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La prison facteur criminogcne Par OLOF KINBERG D a n s les pays i civilisation occidentale il y a depuis longtemps des crises politiques et economiques reitCrees et presque chro- niques. Elles ont ete aggravees par les deux guerres mondiales, et ont pris, dans plusieurs pays, un caractPre nettement revolu- tionnaire. A la suite de ces crises, les corps politiques, dans tous les pays affect&, ont cru necessaire d’introduire un grand nombre de lois par lesquelles bien des activites humaines, jusqu’alors considerees comme legales, ont 6t6 criminalis6es. Par ce fait, de nouveaux groupes de citoyens qui n’appartiennent pas 2 la foule criminelle sont menaces de peines privatives de liberte, et un certain nombre d’entre eux sont condamnes 5 l’imprisonnement, de sorte que la clientPle des prisons embrasse i present des grou- pes nouveaux. La critique de ces peines est de vieille date. Elle a soutenu, avec une emphase variante de pays en pays, que les effets pre- ventifs de ces peines etant des plus douteux, leur influence no- cive ou meme destructive sur les malheureux qui les subissent sont manifestes. Cette critique gagne un surcroit d’importance dans une situation 06 de nouveaux groupes de citoyens sont ex- poses au risque d’ttre soumis i ce traitement punitif. Aussi la Rapport gCnCral prksenti au Congrks international de criminologie de Paris 1950, revu et complCtC. ~ ~~ ~~ ~~ ~ ~ Publication de I’lnjtitut dz Criminologie. Unisevsiti de Stockholm. n:o I.

La prison facteur criminogène

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La prison facteur criminogcne ’ Par

OLOF KINBERG

D a n s les pays i civilisation occidentale il y a depuis longtemps des crises politiques et economiques reitCrees et presque chro- niques. Elles ont ete aggravees par les deux guerres mondiales, et ont pris, dans plusieurs pays, un caractPre nettement revolu- tionnaire. A la suite de ces crises, les corps politiques, dans tous les pays affect&, ont cru necessaire d’introduire un grand nombre de lois par lesquelles bien des activites humaines, jusqu’alors considerees comme legales, ont 6t6 criminalis6es. Par ce fait, de nouveaux groupes de citoyens qui n’appartiennent pas 2 la foule criminelle sont menaces de peines privatives de liberte, et un certain nombre d’entre eux sont condamnes 5 l’imprisonnement, de sorte que la clientPle des prisons embrasse i present des grou- pes nouveaux.

La critique de ces peines est de vieille date. Elle a soutenu, avec une emphase variante de pays en pays, que les effets pre- ventifs de ces peines etant des plus douteux, leur influence no- cive ou meme destructive sur les malheureux qui les subissent sont manifestes. Cette critique gagne un surcroit d’importance dans une situation 06 de nouveaux groupes de citoyens sont ex- poses au risque d’ttre soumis i ce traitement punitif. Aussi la

Rapport gCnCral prksenti au Congrks international de criminologie de Paris 1950, revu et complCtC.

~ ~~ ~~ ~~ ~ ~

Publication de I’lnjtitut dz Criminologie. Unisevsit i de Stockholm. n:o I.

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critique de cette forme de peine a-t-Clle pris un elan accelere Bu cours de ces deux dernieres decades.

Elle a it6 dirigee non moins contre le regime en commun que contre le r6gime cellulaire. A mesure que la tendance readapta- tive de la peine a gagne du terrain, le principe presque sacre de I’etape historique anterieure de la theorie penale selon laquelle la solitude forcee dans une cellule de prison serait le moyen le plus efficace de provoquer la contrition de I’iime chez le prisonnier, a commencC de vaciller. Car nous savons maintenant que le re- pentir est un phenom2ne rare chez le dklidquant ordinaire, et qu’il joue un r61e asset insignifiant parmi les facteurs qui con- duisent i une readaptation sociale. En outre, un isolement im- post par force ne saurait favoriser une activite psychologique en vue d’une revision des normes morales et des modPles de con- duites qui mheraient i une readaptation sociale. Au contraire, le manque de stimuli psychologiques et moraux, la monotonie, l’ennui, le vide interieur presque total riduisent chet la plupart des hommes soumis au regime cellulaire l’activite psychologique 2 un minimum, amoindrit ce que PIERRE JANET appelait la ,,tension psychique, et provoque un etat de demi-mort mentale caracterise par des sentiments de prostration psychique, de d6- fection de la fonction du reel et de deplaisir profond. Seulement tout cela est precisement I’antithese de ce qu’il faut pour qu’un homme fasse la critique constructive de sa propre vie afin de dicouvrir les circonstances personnelles et mesologiques qui ont amen6 les actions dblictueuses et afin de preparer une vie nou- velle.

Sur ce point, la critique a 6tC presque unanime. Seulement, si I’on veut eviter le Charybde du r6gime cellulaire, on tombe fa- cilement dans le Scylla du regime en commun. Car la vie en commun avec des personnes dont vous Stes force de subir la societC presente d’autres dangers qui ne sont peut-Stre pas moin- dres. Toujours est-il que les influences exercees par une telle vie sont plus complexes et par consequent plus difficiles i analyser . Aussi n’en avons-nous que des connaissances fragmentaires et peu sQres. Pour acquerir des connaissances plus complPtes et

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plus sQres il faudrait des analyses systCmatiques d’un grand nombre de cas provenant de pays differents. Car les resultats obtenus dans un pays ne pourraient pas ttre consider& comme ayant une valeur generale puisque les peines privatives de libertk sont organikes de manicre differente dans les pays differents. L’attitude du public envers ceux qui ont subi des peines priva- tives de IibertC n’est pas non plus la mCme dans tous les pays. En attendant il faut donc se contenter des exp6riences un peu vagues obtenues par des observations eparses.

Dans un rapport au CongrPs de Criminologie de Paris en 1950 M. C L E M N E R ~ cite M. BENNET qui dans son Annual Report, Federal Bureau of Prisons, 1948, p. 3, souligne certaines contra- dictions inherentes au systPme pinitentiaire actuel. aD’une part)), dit-il, ,les prisons doivent punir, d’autre part, elles doivent am& liorer leur clientPle. Elles doivent maintenir une discipline rigou- reuse et apprendre aux prisonniers confidance en eux-mCmes. Elles sont construites pour fonctionner comme des grandes ma- chines impersonnelles, seulement elles doivent adapter les pri- sonniers B vivre une vie normale en commun avec les citoyens, en dehors des murailles. Elles sont dirigees selon une routine autocratique fixee, et pourtant elles doivent developper l’initia- tive personnelle des prisonniers. En raison de lois restrictives les prisonniers sont trop souvent forces 2 mener une vie paresseuse, quoiqu’un de ses objectifs primaires est de leur apprendre B gag- ner leur vie par des moyens hondtes. Elles refusent aux prison- niers toute influence sur leur sort dans la prison en mCme temps qu’elles expectent qu’ils deviendront des citoyens pensants dans une societC dimocratique. A quelques-uns la prison n’est qu’un ’club campagnard’ qui courtise les caprices et les lubies des pri- sonniers. A d’autres l’atmosphhe enitentiaire est satur6e d’amer- tume, de ressentiment et d’un sentiment omniprisent d’Ctre des rPtCs. Et tout ce schema paradoxal continue de fonctionner parce

I‘ DONALD CLEMNER (Director, Department of Corrections, District of Colum- bia, Governm. Washington D. C.) , 0b.rervations on rhe Causality of Criminalit) by Imprisonment.

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que les idees i l’Cgard des tiches des institutions correction- nelles dans nos sociCtCs sont confuses, affairCes et nCbuleuses..

I1 n’est pas Ctonnant qu’un systPme biti sur de tels principes donne de mauvais rCsultats. Aussi M. CLEMNER rapporte-il que le nombre des rechutes en crime varie dans les Etats-Unis entre 40-80 yo. Selon M. PINATEL, inspecteur des prisons, les chiffres correspondantes en France sont 5 0 - 6 0 yo. Or, si une organisa- tion visant des r6sultats pratiques n’obtient qu’un cas reussi sur quatre cas manqu6s il n’est pas exagere de la consid6rer comme ayant fait banqueroute.

Parmi les conditions des prisons exersant une mauvaise in- fluence sur les dCtenus. M. PINATEL indique la m6diocritC du logement, le manque de lumiPre et d’aeration, le rCgime de sous- alimentation malgrC un nombre suffisant de calories, circon- stances qui font que la tuberculose cause trois fois plus de dCcPs que dans la vie libre. Puis la vie en prison favorise l’inadapta- tion au lieu de la faire disparaitre, l’emprisonnement de longue dur& nengendre dans le foyer la honte, la souffrance physique ou morale, la misPre au foyer, le divorce et la dCsunion, l’in- adaptation des jeunes, 1’antisocialitCx. Si le facteur ne serait pas la cause determinante de la rCcidive elle la ,favorise pourtant certainemen t..

Afin de voir plus clair, il serait bon, me semble-t-il, de dis- tinguer entre les influences provenant de l’organisation de la peine, des stipulations qui rPglent la conduite des internes, de I’atmosphPre pCnitentiaire de l’etablissement, des qualifications du personnel et de leur attitude envers les internes, d’une part, et des influences psychologiques rCciproques du groupe des dC- tenus et du dCtenu individuel, d’autre part.

Comme je viens de le dire, l’organisation de la vie en prison diffPre beaucoup de pays en pays. C’est pourquoi je dois re- streindre mon expos6 aux conditions qui rPgnent dans mon pays, la SuPde. Jusqu’i l’adoption de la nouvelle ,Lei sur l’exicution de la peine, en 1945, loi dont je donnerai plus tard un bref expos6, la vie du prisonnier Ctait rCglCe par quelques centaines

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d’articles d’un reglement qui. ne laissaient qu’un minimum d’ac- tion libre i l’initiative du prisonnier. La plupart de ces articles visaient des restrictions mesquines et tracassieres, et qui n’avaient presque pas d’autre effet psychologique que d’irriter et d’humi- lier le detenu. La note dominante de l’atmosphere etait d’obtenir de la part des detenus une obkissance servile au reglement et, au cas contraire, de defkrer le contrevenant i une punition dis- ciplinaire.

Le personnel etait choisi au petit bonheur et l’kducation spe- ciale qu’il recevait etait tout i fait insuffisante.

Le contrepoids aux mauvaises influences exercees par les in- ternes les uns sur les autres ne se trouvait donc ni dans l’atmo- sphere psychologique de la prison ni dans les qualifications du personnel.

I1 est kvident, comme d’ailleurs l’a remarque M. CLEMNER, qu’aucune analyse de la prison comme facteur criminogene, si penetrante soit-elle, ne pourrait Ctre complete. C’est pourquoi je tiens i porter l’attention sur quelques faits qui me semblent d’une importance speciale.

Bien des delinquants condamnes i une peine privative de li- bertk viennent de milieux non criminels. Avant de commettre des delits, ils ont vecu dans une ambiance psychologique qui ne differe pas beaucoup des conditions 06 vivent la plupart des citoyens. Cela est le cas pour bien des personnes appartenant i certaines categories de delinquance, p. ex. dktournement, coups et blessure, quelques formes de delits sexuels, des meurtres et meme parfois des assassinats, pour ne pas parler de nombre de delits Crees par les crises economiques et politiques de notre Ppoque, delits qui, souvent, ne decelent pas de tendances anti- sociales, mais sont plut8t occasionnCs par I’ignorance des stipula- tions nouvelles (p. ex. des infractions contre certaines regles re- gardant le commerce, la construction des maisons, les secrets mi- litaires etc.). Dans beaucoup de ces cas, les delinquants ne sont pas des criminels i tendances aggressives envers leurs proches

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ou envers la sociit6, mais des transgresseurs par ignorance ou imprhoyance.

Pour eux le placement dans le milieu Fnitentiaire devient souvent un vrai choc. I1 est impossible de dkcrire en peu de mots ce milieu. Prives de la plupart des droits d’expression et d’action par un reglement meticuleux, les dktenus se trouvent dans un etat de compression psychologique, comme un gaz sous pression dans un vase ferme. 11s tendent continuellement 2 rompre cette resistance, et cette tendance se manifeste parfois d’une manicre dramatique par des evasions, des attaques sur le personnel, des emeutes. A la longue pourtant les forces comprimantes resistent et continuent d’exercer leur inf hence nefaste non seulement sur les internes, mais aussi sur les fonctionnaires, agents de cette compression psychologique, en creant une attitude caracteris- tique: mefiance, dedain, melangk de crainte, incapacitC de con- siderer les internes comme leurs semblables et tendance 2 recou- rir 2 des mesures disciplinaires 2 l’occasion de la moindre in- fraction contre les stipulations du r6glement. Cette attitude du personnel est un ingrkdient constitutif de l’atmosph6re de la prison et un des facteurs les plus importants qui empechent ce personnel d’avoir une influence educatrice sur les detenus.

La part stable du milieu de la prison en tant que constitue par les dktenus est composk par des dklinquants i une longue car- ri6re criminelle, i savoir des criminels chroniques. En gCnCral, ils sont condamnes i des peines de longue durke, et ainsi ils restent tandis que les petits criminels viennent et s’en vont assez vite.

La plupart de ces criminels chroniques sont des primitifs, ce qui ne veut pas dire qu’ils soient tous des debiles. Certes, il y a parmi eux beaucoup de debiles, mais mEme les plus intelligents sont incapables de comprendre bien des choses essentiellement humaines. Ce qui leur fait dCfaut est surtout certaines qualites de la vie emotive. 11s proviennent en grand nombre de milieux dont le trait distinctif est l’indigence culturelle. Cette indigence n’est pas identique i la pauvrete Cconomique et se trouve assez souvent dans des milieux aisCs, par exemple chez beaucoup de

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nouveaux riches. D’autre part il y a un trPs grand nombre de personnes pauvres et qui sont riches en culture. L’indigence cul- turelle est constituee par une ignorance plus ou moins Ctendue du trCsor des traditions historiques, religieuses et morales, des normes de comportment, des idCaux guides et stimulateurs de l’activitb collective du peuple, en somme de tout ce qui constitue la vie spirituelle et I’atrnosphPre socio-morale d’une nation.

L’indigence culturelle implique que l’individu est prive de la facultC de rCagir avec des Cmotions socio-morales adhuates sur les stimuli de la vie. Elle empCche le diveloppement des senti- ments collectifs qui pourraient contrebalancer les tendances Cgoistes instinctives de I’individu. Ainsi elle renforce les com- posants de la personnalite qui tendent 5 faire des hommes des etres isoles, dont la maxime dirigeante est ,chacun pour soi, rien pour les autresn.

I1 est facile de comprendre que l’attitude genCrale des hom- mes ainsi construits et vivant sous la pression psychologique continue de la prison revet un caractPre nCgativiste et aggressif. I1 a CtC souligne il y a longtemps que l’argot des criminels r C d e trPs clairement les sentiments distinctifs de ce milieu: l’attitude haineuse et dCdaigneuse, cynique et froide envers autrui, 1’CspPce de fausse gait6 sardonique et ricanante, I’envie de trainer dans la boue tout ce qui est considCrC comme ClevC et digne de respect par les honnetes gens, le manque de sympathie et de commise- ration, et la joie maligne vis 5 vis des chagrins et malheurs d’autrui, la grossiPret6 cynique et salissante B I’Cgard des mani- festations de la vie sexuelle, etc.

J’ai appuyC sur l’indigence culturelle chez la clientde habi- tuelle des prisons comme facteur psychologique prCpondCrant dans le milieu des prisons parce qu’elle me semble de premier ordre dans la crCation de la delinquance. Dans les recherches que j’ai faites avec mes ClPves G. INGHE et SVEND RIEMER sur I’inceste, l’indigence culturelle et l’isolement psychologique qui en resulte a CtC un trait dominant dans tous les c ~ s . ~ Ainsi tous

0. KINBERG, G. INGHE, S . RIEMER, lnrestproblemet i Sverige ( L e problPme d e l’inceste en S d d e ) 1943.

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les individus condamnes pour inceste de n’importe quelque forme provenaient de familles vivant sur le niveau culture1 le plus bas. Or, l’evolution des emotions et des sentiments sociaux et mo- raux a lieu pendant 1’8ge plastique sous l’influence des stimuli aptes h eveiller des Cmotions de ce genre. S’ils font dCfaut - ce qui est un des caractkristiques de ces milieux - la formation de ces ingrCdients de la personnalite manquera ou s’arretera h un niveau rudimentaire, de sorte qu’on peut designer ces ;tats com- me dus h une inhibition cCrebrale, entrainant un dCveloppement dkfectible socio-moral.

I1 est evident qu’un des effets h mon avis les plus importants de l’atmosphke psychologique produit par les habitues des pri- sons sur des individus qui ont vCcu dans des milieux plus nor- maux est le sentiment d’etre dklassCs, degrades, avilis. 11s se sentent attaques dans leur dignit6 humaine, dans leur valeur personnelle, dans le respect de soi-meme. Et par Ih ils sentent s’affaiblir les liens qui les unissent avec le monde des honnetes gens, leur espoir en l’avenir diminue, leur force morale s’amol- lit, flcchit. 11s commencent de se rCsigner h leur sort, et pendant cette Cvolution vers une readaptation au milieu de la prison ils sont envahis par un Ctat Cmotif morne, dysphorique, miserable.

Pour le novice de la prison le contact f o r d avec des habituCs de la prison qui proviennent trPs souvent d’un milieu caractiris6 par une indigence culturelle plus ou moins complPte et augmen- tee par une vie parmi les ClCments qui constituent la lie de la societe humaine renforce son sentiment d’avilissement.

Pour le rkcidiviste la rCintCgration dans le milieu stable des dktenus qui se trouve souvent sur un niveau d’indigence cultu- relle encore plus bas que celui du nouveau venu, les restes des sentiments socio-moraux qu’il puisse encore possCder se rCduisent encore.

Dans tous les deux cas les barriPres contre des pulsions cri- minelles s’affaiblissent.

Cette evolution psychologique sous la pression de l’atmo- sphere de la prison est funeste. Elle est frCquente mais heureuse-

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ment pas la seule. Comme le fait remarquer M. CLEMNER, il y a des dklinquants qui sont refractaires aux influences provenant du milieu de la prison. Dans son rapport, M. CLBMNER a in- diquC quelques-uns des facteurs dont dCpend cet Ctat. On pour- rait y ajouter que certains alliages constitutionnels, comprenant des traits anti-hysteriques, peu de suggestibilite et un jugement indCpendant, produisent une attitude oppositionnelle aux mani- festations psychologiques CtrangPres aux tendances dominantes de la personnalite. I1 y a aussi des malades mentaux dont la vie s’Ccoule dans une espPce de vide psychologique ob les stimuli de I’ambiance ne les atteignent pas.

Chez ces personnes qui posGdent une constellation specifique de traits psychologiques, normaux ou anormaux, la solitude men- tale est une cuirasse contre les influences delet6res. Chez les habitues des prisons, par contre, l’isolement ou la solitude so- ciale, dans le sens d’inaccessibilite aux donnCes culturelles, est une source de desagdgation mentale qui les rend incapables de mener une vie conforme aux r6gles qui dirigent la vie des citoyens ordinaires. On trouve cet etat i l’apogee chez certains criminels qui ont vieilli pendant des sejours rCit6rCs dans les prisons et qui ont perdu la facult6 de pourvoir par leurs propres forces aux besoins de la vie, et cela i tel point que la prison est devenue pour eux le foyer ob ils se sentent le plus ii leur aise. Peut-ttre que ces ,,desrnothCriophiles. [ A m . LEY} qui ont souvent cess6 d’ttre dangereux et se contentent de petits vols, parfois commis afin d’ttre r6intCgres dans la prison, representent 1’Cchelon le plus bas de la dCsint6gration psychologique provoquee par la vie en prison.

Quelque richesse d’exemples qu’on puisse citer pour illustrer I’influence nefaste du phitencier sur sa cliendle, il serait er- ronC de nier qu’elle peut aussi avoir des effets utiles.

I1 est certain d’abord que bien des delinquants qui ont suc- comb6 i une situation dangereuse* mais qui n’ont pas de ten-

‘ 0. KINBERG, LPS situations psyrhologiques prPrrimineNes rPvPlatrices der rarcrthres de I’Ptat dangereux. Theoria 1950.

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dances i la delinquance, sont refractaires aux influences crimino- genes de la part de l’ambiance Fnitentiaire. S’ils ne sont pas replaces dans la meme situation dangereuse qui a provoque le crime, ils ne recidiveront pas.

De meme, les delinquants par accident ou par hazard qui ont ete surpris par une pulsion subite i commettre un acte dbfendu par le Code seront souvent tellement dbgoutb par les conditions regnant dans la prison qu’ils seront desormais plus attentifs i l’egard de leur comportement. J’ai souvent observe que des delits de ce genre sont causes par une simple inattention, par impati- ence, imprhoyance, ignorance, voire distraction.

En resume, on pourrait dire que, tant que les facteurs psycho- logiques qui tendent i assimiler le nouveau venu au groupe des habitues de la prison restent sans effets, I’atmosphPre psycho- logique de ce groupe exerce sur lui une influence plut6t repug- nante et degoutante. Aussi n’est-il pas rare d’entendre dire B des prisonniers de ce genre: nUne fois, soit, mais jamais

Un effet criminogene indirect produit par la prison provient de la reaction du public sur la condamnation et l’emprisonne- ment. Depuis l’introduction dans le Code penal de la condamna- tion i sursis, on a une exFrience abondante qui demontre la distinction que fait le publique entre ces d,iff&ents faits: avoir commis un delit, avoir subi une condamnation et avoir purge une peine d’emprisonnement. Tandis qu’un sujet qui a ete con- damn6 avec sursis n’a pas en general de grandes difficult& i trouver une place, celui qui a purge une peine se heurte i chaque pas i des obstacles. Donc, il est evident que le contact avec la prison laisse une fletrissure indelebile, tandis que, selon la doc- trine, le coupable devait expier sa faute par la peine. Alors c’est la reclusion et non le ddit qui est infamant. Aussi entend-on parfois dire aux prisonniers liberb que la peine commence i la sortie de la prison. Par cette attitude du public, qui ne se soucie pas des theories de la doctrine e n a l e , la prison contribue indi- rectement i la genese de la delinquance, en creant au libere des difficult& sociales que parfois il ne peut pas vaincre.

plus.

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Dans mon pays, la critique des peines privatives de liberte a d’abord 6t6 dirigee contre leur incapacite & prkenir la rkcidive. En premier lieu on a soutenu que les peines de courte dude ne pouvaient pas amender le delinquant. Au contraire elles lui por- taient prejudice en laissant la fletrissure infamante et en mettant le condamnC, qui Ctait peut8tre plutbt un malheureux qu’un coupable, en contact avec des elements depraves et qui pouvaient devenir de mauvais exemples, ou qui pouvaient lui porter mal- heur en le recherchant et l’affichant ap rb la liberation. C’etait surtout pour les delinquants jeunes et inexperts qu’on craignait le contact avec la prison. Ces considerations amenaient les lois de sursis et sur l’education correctionnelle pour les jeunes delin- quants entre 15-18 ans (1906).

En second lieu la critique a attaque la manihe d’appliquer les peines privatives de libertC contre certains delinquants anor- maw. D2s 1865, le Code suedois a contenu un article sur le traitement des anormaux qui ne sont pas consideris comme des alien& ou des imbeciles. Selon cet article, les delinquants de cette categorie devaient jouir d’une peine reduite. Seulement, cette maniere de traiter des delinquants qui, prkisement, en raison de leurs anomalies mentales, Ctaient souvent tres dangereux en m2me temps que peu Educables, a souleve m e critique soutenue, surtout de la part des psychiatres. Cette critique a eu pour r6sul- tat l’introduction dans la 16gislation des lois sur l’internement B durCe indeterminee dans des Ctablissements spkiaux pour cer- tains criminels anormaux dangereux et pour certains recidivistes (1927).

Par suite des travaux criminologiques de certains representants de la psychiatrie judiciaire la question du traitement des malades mentaux et des anormaux a et6 placee au centre du champ d’at- tention, et a ete l’objet de nouvelles stipulations lkgales. L’exa- men mentale des accuses devint obligatoire dans certains cas (1929). Le nombre des examens mentaux montait tres vite, sur- tout entre 1930 et 1940, de sorte qu’au milieu de cette dernike decade tous les cinq accuses environ etaient soumis & un examen mental. L’obligation de faire ces examens a 6th confiCe B un a

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groupe de psychiatres secialistes appartenant B une organisa- tion officielle, de sorte que les tribunaux n’ont aucune influence sur le choix des experts medicaux.

Sous l’influence de la discussion criminologique asset vive qui s’est prononcCe en S d d e et qui a mis en 1umih-e l’insuffisance des peines privatives de liberte comme moyen de prbvention cri- minelle, les difficult& thhriques soulevees par la distinction pratique insuffisante des peines et des mesures de sGretC, et l’or- ganisation incomplke des moyens de traitement & l’egard du grand nombre d’accus6s qui ont CtC exempts de peines en raison de maladie mentale, la base thtorique de tout le systeme de poli- tique criminelle a commenck de vaciller.

Par la tendance de plus en plus antimktaphysique, empirique et rcaliste selon laquelle le seul moyen de prevenir la delinquance serieuse est la readaptation sociale des delinquants et de ceux qui, pour des causes biologiques et misologiques sont menaces d’un developpement criminel, readaptation qui ne peut se faire qu’en collaboration avec ces individus eux-memes, la notion meme de la peine est devenue discutable. Car cette notion est taree d’ilements metaphysiques, d’ordre cognitif et emotif, et qui l’emgchent de devenir un moyen utile dans le combat contre le crime. Selon la thcorie classique de la philosophie de droit, la peine doit infliger une souffrance proportionnee & la ,dette moraler encourue par le dllit. Mais la .dette morale, elle-meme est une notion metaphysique. Partant la souffrance envisagee par la peine devient un but en soi. Mais en infligeant une telle souffrance A un sujet qu’on veut eduquer, on provoque chez h i une attitude de ressentiment, de rancune et de dCfi par laquelle on sape l’influence educatrice qu’on veut produire.

A la suite de telles considirations, on est arrive & la con- clusion que la notion m6me de peine est un obstacle & une poli- tique criminelle rationnelle et realiste.

A la place de la notion de peine il faut mettre la notion de protection : d’une part, protection des honn6tes gens contre les attaques criminelles, d’autre part, protection contre une holu- tion criminelle chez les personnes qui sont poussees vers la

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dklinquance par leur propre nature ou par des circonstances pressantes.

Eliminer la notion de peine du systeme d’idCes qui a jusqu’ici guidC la politique criminelle pratique Cquivaut & produire une rkvolution d’id6es. Mais les rkolutions dans le monde de la pen- &e sont lentes & se produire si elles ne sont pas poussCes par des soulevements dans la vie konomique ou politique. I1 est vrai que la politique criminelle ne manque pas d’aspects Ccono- miques et politiques mais ils sont peu connus du grand public. Sans crainte d’exagirer on pourrait, au contraire, soutenir que la politique criminelle est une terre inconnue & la plupart des politiciens. On peut donc &re assez certain que l’abolition de la notion de la peine dans la politique criminelle se fera encore attendre.

Cependant il faut faire quelque chose pour amCliorer la situa- tion actuelle, qui n’est vraiment pas satisfaisante. C’est ce que nous avons fait en Suede par la ,Lei sur 1’exCcution de la peine,, adoptbe en 1945. Son trait distinctif est une rCduction des me- sures qui limitent la libertC d’action des dCtenus. Les nombreu- ses stipulations & tendance punitive et disciplinaire des anciens rsglements, qui entouraient de barrieres mCme les activitCs les plus inoffensives des detenus, son rkduites. GrBce & cela on a supprime une des causes d’irritation et d’opposition des dCtenus vis & vis du systeme phitentiaire.

En somme, on a ttchC d’enlever & la loi quelques-unes des stipulations qui peuvent humilier les dCtenus, en amoindrissant leur sentiment de valeur humaine et leur respect de soi-mCme. Ainsi, la loi prescrit que le dCtenu sera trait6 avec ,respect pour sa dignit; humaine.. La tendance essentielle de la loi est donc de favoriser la rCadaptation sociale du dCtenu et de diminuer les effets nuisibles de la vie en prison.

Pour sauvegarder les intCrCts et les droits du dCtenu chaque Ctablissement pknitentiaire sera pourvu d’un comitk. Dans ce cornit6 le ph ident est nommC par le roi et deux autres membres - dont au moins un doit avoir une experience personnelle de l’assistance sociale sont nommCs par le prCfet. Le president sera

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juge ou ancien juge ou aura une education juridique. Le directeur du penitencier et encore un de ses fonctionnaires seront membres du comite. Lassistant social du rayon oh est situi le penitencier est autorise de prendre part aux seances du comite.

Si quelqu’un a t5te condamn6 aux travaux forces ou B l’empri- sonnement dune dude d’au moins six mois, il doit Ctre soumis A un examen medical dont le resultat servira A determiner le genre de traitement qu’il recevra.

Les phitenciers sont fermes ou ouverts. Sont consider& com- me des Ctablissements ouverts les colonies et les cantonnements.

Celui qui est condamn6 aux travaux forces subira les trois premiers mois de sa peine dans un etablissement ferme et le reste dans un Ctablissement ouvert; celui qui est condamn; B l’emprisonnement subira toute sa peine dans un etablissement ouvert, pourvu que des circonstances speciales ne rendent ce placement inopportun.

Le dktenu doit travailler en commun avec d’autres detenus. Celui qui est condamne B l’emprisonnement passera aussi son temps de recreation avec ses cc-condamnes. Au besoin le direc- teur de l’etablissernent pourra faire exception A cette r6gle g6- nerale.

Dans des cas idoines, l’autoriti competente peut permettre au detenu de travailler chez un patron hors de l’etablissement.

Pendant l’exkution de sa peine, le detenu peut correspondre avec ses proches et en recevoir des visites; dans des cas spkiaux (maladies serieuses des proches, enterrements) il peut avoir la permission de quitter le penitencier pour un peu de temps. Le dltenu condamne B I’emprisonnement et qui travaille seul peut se procurer du travail du dehors.

Le detenu est recompense selon son assiduite au travail et sa capacite pour le travail dont il est charge. I1 peut disposer d’une part de son p h l e pour ses besoins personnels pendant son se- jour au phitencier et pour les besoins de ses proches; l’autre part de son p&ule est reservee pour son entretien pendant les premiers temps aprb sa liberation.

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I1 a t indiniable que la loi de 1945 a tranche thhriquement bien des difficult& inherentes i la legislation enitentiaire clas- sique. Elle donne au detenu un grand nombre de droits qu’il n’avait pas sous le regime anterieur. Au lieu de rompre aussi completement que possible les liens entre le ditenu et les hon- nCtes gens en dehors de la prison elle tdche de maintenir i un certain degre le contact avec le monde exterieur. En somme, elle tend i donner au detenu le sentiment qu’il reste un citoyen pos- ddant des droits ainsi que des moyens par lesquels il pourra faire respecter ces droits. Au lieu d’inculquer au detenu qu’il est un homme sans valeur et sans droits, un Ctre reprouvi et expulse de la communaute de ses semblables - comme le fai- sait la loi ancienne - elle veut lui garder sa dignit6 humaine et son espoir en l’avenir, tous deux des imponderables indispen- sables i sa readaptation sociale.

Voila r6sumCs sommairement la tendance et le contenu de la loi de 1945.

Quels sont les effets obtenus jusqu’ici par cette loi? Mal- heureusement ils ne sont pas du tout i la hauteur des inten- tions du legislateur. La loi a change radicalement la position &ale du detenu. Auparavant il n’etait qu’un numero anonyme n’ayant qu’un minimum de libertk daction et presqu’aucuns droits envers le personnel qui devait appliquer la loi. Mainte- nant il est ou il doit Ctre consider6 comme un citoyen possedant des droits stipules par la loi et dont il est bien conscient. Car la loi prescrit qu’un rapport sur le but et l’organisation de l’exku- tion de la peine, ainsi qu’un expos6 des stipulations touchant le traitement des internes, doit ttre tenu ii sa disposition. Tandis qu’avant l’adoption de la nouvelle loi la tdche du personnel con- sistait avant tout i surveiller que les mille et trois defenses qui rtglaient la vie du detenu fussent observees par lui, il incombe i present au fonctionnaire d’Ctre un educateur qui doit aider et guider le detenu dans ses efforts de readaptation sociale.

Tandis que la loi tend ii abaisser la pression psychologique sous laquelle vivent les detenus, on a pu faire l’observation quel- que peu paradoxale que les conditions qui rcgnent dans les ph i -

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tenciers se sont empiries. Ainsi il y a maintenant une agitation assez ripandue, surtout dans les pCnitenciers fermCs, et se mani- festant par de nombreuses Cvasions, par des complots, des Cmeu- tes avec actes de violence contre le personnel, des dCgats sur le mobilier et mCme sur les immeubles.

Cette effervescence parmi les dCtenus, dans les enitenciers de divers genre, pourrait Ctre attribde, me semble-t-il, aux phC- nomhes suivants. L’abolition du rCgime cellulaire et la IibertC de mouvement augmentCe qu’a apportCe la loi aux dCtenus a mul- tipliC leurs occasions de contact et facilitC l’expression de leurs activitgs. La tgche du personnel a CtC profondCment changCe et rendue beaucoup plus dif ficile qu’auparavant mais le personnel est toujours le mCme. Pendant l’ancien systcme pCnitentiaire, il a pris l’habitude d’envisager les dCtenus sous l’aspect discipli- naire et retributif, et il lui a CtC difficile ou impossible de s’ap- proprier l’attitude qu’exige la nouvelle situation crCCe par la loi de 1945. S’il est difficile d’Cduquer des enfants qui se trouvent pourtant dans I’gge plastique, il est infiniment plus difficile d’Cduquer des adultes chez qui une vie dCsordonnCe et criminelle a greffC des habitudes asociales et difficiles A rompre. Nonob stant cela, on a omis les mesures nCcessaires pour rendre le per- sonnel capable de remplir cette fonction nouvelle et prCcaire.

L’impuissance du personnel A cet Cgard constitue une source d’irritation et de dCfi qui entretient la tension Cmotive chez les dCtenus, et lorsqu’elle est arrivCe A un certain point elle Cclate et se manifeste par des Evasions ou des actes de violence.

A c6tC de la situation changCe des dCtenus et le manque de competence professionnelle du personnel, on trouve des imper- fections organisatrices quant A l’occupation des dCtenus. Le tra- vail est souvent insuffisant et peu adquat aux besoins et aux intCri2ts des dCtenus, surtout des jeunes; les occasions de s’occu- per d’une mani2r.e utile et agrCable pendant les loisirs manquent aussi. Ces dCfauts d’organisation sautent aux yeux, surtout A 1’Cgard des jeunes avec leur besoin d’activitC et leur esprit d’ini- tiative.

Un autre fait d’importance comme facteur des troubles inter-

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nes dans les penitenciers est la grande affluence de delinquants souffrants de maladies ou deficiences mentales. La delinquance serieuse itant souvent une manifestation de troubles mentaux de quelque sorte, il est nature1 que nombre de dCtenus sont des cas mentaux. Cependant, il est un postulat humanitaire que tous les detenus dont la delinquance rCsulte de troubles mentaux soient soumis A un traitement dans des etablissements diriges par des medecins. Evidemment, l’intCrCt qu’ont les prisons A Ctre diliv- rees des Clements pathologiques et troublants coincide avec ce postulat humanitaire. Malgre cela, on a change en 1945 le con- tenu des articles du Code penal qui reglaient le traitement des delinquants alien& et anormaux, de sorte qu’un grand groupe d’entre eux qui etaient auparavant exempts de punition sont A present condamnis A des peines. Par cette legislation, on a aug- menti l’affluence des elements anormaux dans les penitenciers, au prejudice des objets que vise le travail enitentiaire.

Parmi les causes des difficult& actuelles du service enitenti- aire, on pourrait aussi nommer l’encombrement temporaire dans certains penitenciers fermes qui se produit quoique le nombre total des detenus soit peu 6levC (environ 2.300 le aoQt 1950).

Comme la derniere mais pas moindre des circonstances qui expliqueraient les effets peu favorables obtenus par la Loi sur l’execution de la peine en Suede il faut nommer l’attitude de l’administration enitentiaire centrale vers la question d’instruc- tion et entrainement professionnels du personnel des prisons. Jusqu’ici le personnel supCrieur des prisons (directeurs, sous- directeurs, assistants etc.) n’a r e p aucune instruction profession- nelle. Celle qui est donnee au personnel infCrieur est toute rudi- mentaire. Or, dans un rapport officiel sur cette question le chef de l’administration enitentiaire dklare qu’il est desirable que le personnel supCrieur des pknitenciers possede des connaissan- ces suffisantes dans la criminologie et les branches apparenttes (sociologie, psychologie, psychopathologie, psychiatrie judiciaire, assistance sociale etc.) . On pourrait donc prendre en considera- tion que personne ne fQt admis comme fonctionnaire sans avoir pr6alablement fait des etudes dans ces matieres et sans avoir

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servi comme assistant social. ,Pour plusieurs raisons, entre autres la difficult6 des aspirants de se procurer une instruction si vaste, on ne doit poser de telles conditions; seulement, des etudes et du travail pratique prealables doivent etre considkres au recrutement de ce personnel.,

En appliquant ce principe curieux B d’autres professions on serait en dr0i.t de soutenir qu’il serait trop demander a w per- sonnes qui pensent devenir des medecins, des juges, des ingeni- eurs etc. qu’ils se procurent les connaissances thhriques et pra- tiques necessaires pour exercer ces professions. Un proverbe suedois dit: BSi le bon Dieu donne B quelqu’un un office il lui donne aussi la capacite de la remplir., I1 est nature1 qu’avec cette confiance exageree et quietiste en la Providence le chef de l’administration penitentiaire n’a fait rien qui vaille pour rendre le personnel des enitenciers capables B remplir leurs fonctions educatrices et B contrecarrer ainsi l’influence funeste du p h i - tencier sur les dktenus.

La situation actuelle dans mon pays met bien en lumitre qu’une loi, meme si elle est bade sur des principes rationnels, ne garantit pas de bons resultats pratiques, si elle ne dispose pas d’une organisation et d’agents adequats. Quand le legislateur croit pouvoir se passer de ces moyens, c’est qu’il croit que la loi, par quelque force magique, pourrait produire par son existence seule des effets utiles dans le monde sensible.

En faisant cet expose trop fragmentaire de la situation p h i - tentiaire dans mon pays, j’ai essay6 de donner les faits tels que je les vois et sans ambages. Car, B mon avis, il n’est pas pos- sible de trouver les moyens de remedier B certains inconvenients sans bien les connaitre et sans avoir tach6 d’en trouver les causes.

Pour finir je me permets de poser quelques postulats. 1 :o Pour creer une politique criminelle kaliste et rationelle

il en faut eliminer tout ElEment metaphysique. 2:o Le concept de la peine retributive, etant tare d’idees et

d’emotions d’ordre metaphysique, est un obstacle B la realisation

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d’une politique criminelle effective. Donc il doit Ctre 6liminC. D’ailleurs son elimination n’est qu’une cons6quence logique de I’haporation de quelques autres concepts de la philosophie du droit, egalement metaphysiques, ggalement vides de sens com- prehensibles, egalement nocifs A la politique criminelle, A savoir I’,imputabilit&, la Bdette morale,, et la .justice retributive,.

3:o Afin que le traitement penitentiaire dans des Ctablisse- ments ou en libertt puisse donner le maximum d’effets utiles, il doit Ctre execute par des personnes possedant une instruction theorique et un entrainement pratique qui les rendent capables d’Ctre des educateurs paternels ou fraternels pour les personnes qui leur sont confices. A cette fin, il faut organiser dans les universites une instruction scientifique pour le personnel sup& rieur (directeurs, sous-directeurs, assistents sociaux, professeurs, etc.) et une education scientifique et pratique suffisante au moyens de 1’DUniversity Extension, pour le personnel inferieur. I1 est desirable aussi d’ameliorer les conditions de service et les benefices de la charge afin d’attirer des personnes A une educa- tion sugrieure pour toutes les fonctions educatrices auprPs des detenus. La tiche est des plus interessantes, et d’une importance assez grande pour meriter que des gens instruits s’en occupent.

4:o Tous les condamnes dont la delinquance a it6 causbe par des troubles mentaux de n’importe quel genre doivent Ctre sou- mis A un traitement medico-social et Cducatif, dans des etablis- sements ou par des agents qui ne ressortissent pas A l’administra- tion penitentiaire.

5 :o Les delinquants qui souffrent d’alcoholisme chronique ou d’autre narcomanie doivent aussi Ctre soumis A un traitement medico-social en dehors de I’administration penitentiaire.

6:o Les delinquants jeunes et pas depraves doivent Ctre sou- mis A un traitement educatif en liberte relative ou dans des etablissements ressortissant A l’assistance sociale.

7:o L’emprisonnement A dude fixee par I’arrCt de la cour ne doit &re applique que dans les cas oii aucun traitement spkial n’est indique.

8:o Les internes condamnes A des peines A duree determinee

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par l’arrCt de la cour doivent Ctre repartis en des groupes assez petits pour permettre au personnel de bien etudier les influences reciproques des individus.

9:o Le contact des internes avec des honnCtes gens en dehors du gnitencier et avec les evknements exterieurs doit Stre favo- rise par des ,prison visitors,, par la lecture, etc.

10 :o Toute attitude du personnel et toute mesure organisa- trice qui puisse entraver la tendance des internes ii cooperer avec le personnel doivent Ctre tvitees, cette cooperation &ant une condition indispensable pour atteindre le but du traitement ph i - tentiaire.

Je n’ignore pas que l’on pourrait prolonger ii plaisir cette liste de postulats. Mais la vie est courte, la science longue, et dans un expose n6cessairCment sommaire il faut se limiter ii ce qu’on trouve le plus important. La realisation du programme que je viens d’esquisser exige des efforts de longue haleine. Cependant pour trouver les moyens necessaires pour atteindre un but, mEme lointain, il faut le voir clairement et distinctement.

Litte‘rature

d e Pincesie en Sutde) , Stockholm 1943. 1. 0. KINBERG, G. INGHE, S. RIEMER, lncesiproblemei i Sverige (Le probltme

2. 0. KINBERG, Lagen orb d e sinnessjuka (La loi et 1es al idnh), Stockholm 1926. 3. - Aktuella krimindiietsproblem i psykologisk belysning, Stockholm 1930

(public en Mition anglaise, revue et complCtCe, sous le titre de Basic Problems of Criminology, London & Copenhague 1935).

4. - Punishment or Impuniiy. (Aria psychiatr. ei neurol. 1946). 5 . - Le droii de punir. (Theoria 1948). 6 . - Forensic Psychiatry ,without Meiaphysirs. (Journal of Criminal Law and

Criminology 1950).