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LA QUESTION DE MADRID Jacques-Alain Miller I - Cours du 21 novembre 1990 D'habitude je fais ce cours avec un affect de travail. Quand je le prépare, quand je le prononce, je sens que je travaille. Eh bien, cette fois-ci, au moins aujourd'hui, ce n'est pas le cas. Je le fais avec un affect de distraction, et même en manière de hors-d'œuvre, ou de hors- texte. En effet, ça fait exactement deux mois, depuis le 21 septembre, que je n'ai pas dételé, et, je peux le dire, comme jamais. Donc, aujourd'hui pour moi, c'est vacances. Le vrai chic en japonais, ça se prononce iki. Le iki, ça serait vraiment de ne pas dire un mot sur ce qui m'occupe par ailleurs depuis deux mois. C'est ce que je vais essayer de faire, mais je ne suis pas sûr d'y parvenir. Comme j'utilise à l'occasion ce cours pour tenir un petit journal, parfois un petit journal de voyage, je vais, pour commencer, vous dire un mot sur un petit voyage que j'ai fait au Japon pendant les vacances. Ce qui m'a frappé, c'est qu'il y a au moins un point commun entre les Japonais et les psychanalystes, à savoir que ni les uns ni les autres ne savent vraiment qui ils sont. C'est pourquoi ils ne parlent que de ça. Les Japonais et les psychanalystes, ils ne parlent que d'eux-mêmes. Quand vous allez au Japon et que vous parlez avec des Japonais, vous ne leur parlez pas japonais, sauf Jean-Louis Gault, qui est peut-être ici. Vous leur parlez français ou anglais, et eux-mêmes s'intéressent à vous dans cette langue, encore qu'il y ait un traducteur. Quand vous leur parlez, vous constatez qu'ils ne vous posent pas de questions sur la France, sur l'Europe, sur là d'où vous venez. Ils vous posent des questions sur eux- mêmes. Ils vous demandent: Qu'est-ce que vous pensez du Japon? Comment trouvez-vous les Japonais? C'est clairement les questions qu'ils se posent à eux-mêmes par votre intermédiaire. Ces questions ne sont pas sans un certain pathétique. Elles traduisent sans doute ce que Lacan notait d'une sorte de déficit de l'identification qui serait propre au sujet japonais, c'est-à-dire au sujet comme effet de la langue japonaise. A cet égard, il y aurait - c'est en tout cas ce que Lacan fait pressentir - un statut original du sujet qui serait proprement le statut japonais du sujet. Ce n'est pas que le sujet japonais ne s'identifie pas, mais que - c'est la thèse de Lacan - son appui identificatoire n'est pas seulement S 1 , le signifiant maître. Ce n'est pas seulement S 1 mais tout un essaim, une constellation, qui tient à ce que dans la langue japonaise la lettre est faite chose, est faite référence. C'est comme si faisait défaut, si je puis dire, le noyau dur du moi, comme si faisait défaut le je suis moi où le sujet occidental ou occidenté s'assure de sa permanence, de son autonomie, de son indépendance, croit-il, à l'endroit de l'Autre. Au fond, tous les commentaires qui sont faits sur le Japon, et par les Japonais eux-mêmes, consistent à mettre en valeur à quel point le Japonais est inscrit au lieu de l'Autre, et le sait, à quel point ne lui vient pas à l'idée cette sottise d'occidenté de penser que je suis moi. Il ne dirait même pas, avec Rimbaud: je suis un Autre. Il dirait: je suis les autres. 1

La Question de Madrid 1990-1991

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Jacques Alain Miller, cours 1990-1991

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LA QUESTION DE MADRID

LA QUESTION DE MADRID

Jacques-Alain Miller

I - Cours du 21 novembre 1990

D'habitude je fais ce cours avec un affect de travail. Quand je le prpare, quand je le prononce, je sens que je travaille. Eh bien, cette fois-ci, au moins aujourd'hui, ce n'est pas le cas. Je le fais avec un affect de distraction, et mme en manire de hors-d'uvre, ou de hors-texte. En effet, a fait exactement deux mois, depuis le 21 septembre, que je n'ai pas dtel, et, je peux le dire, comme jamais. Donc, aujourd'hui pour moi, c'est vacances.

Le vrai chic en japonais, a se prononce iki. Le iki, a serait vraiment de ne pas dire un mot sur ce qui m'occupe par ailleurs depuis deux mois. C'est ce que je vais essayer de faire, mais je ne suis pas sr d'y parvenir.

Comme j'utilise l'occasion ce cours pour tenir un petit journal, parfois un petit journal de voyage, je vais, pour commencer, vous dire un mot sur un petit voyage que j'ai fait au Japon pendant les vacances.

Ce qui m'a frapp, c'est qu'il y a au moins un point commun entre les Japonais et les psychanalystes, savoir que ni les uns ni les autres ne savent vraiment qui ils sont. C'est pourquoi ils ne parlent que de a. Les Japonais et les psychanalystes, ils ne parlent que d'eux-mmes. Quand vous allez au Japon et que vous parlez avec des Japonais, vous ne leur parlez pas japonais, sauf Jean-Louis Gault, qui est peut-tre ici. Vous leur parlez franais ou anglais, et eux-mmes s'intressent vous dans cette langue, encore qu'il y ait un traducteur. Quand vous leur parlez, vous constatez qu'ils ne vous posent pas de questions sur la France, sur l'Europe, sur l d'o vous venez. Ils vous posent des questions sur eux-mmes. Ils vous demandent: Qu'est-ce que vous pensez du Japon? Comment trouvez-vous les Japonais? C'est clairement les questions qu'ils se posent eux-mmes par votre intermdiaire.

Ces questions ne sont pas sans un certain pathtique. Elles traduisent sans doute ce que Lacan notait d'une sorte de dficit de l'identification qui serait propre au sujet japonais, c'est--dire au sujet comme effet de la langue japonaise. A cet gard, il y aurait - c'est en tout cas ce que Lacan fait pressentir - un statut original du sujet qui serait proprement le statut japonais du sujet. Ce n'est pas que le sujet japonais ne s'identifie pas, mais que - c'est la thse de Lacan - son appui identificatoire n'est pas seulement S1, le signifiant matre. Ce n'est pas seulement S1 mais tout un essaim, une constellation, qui tient ce que dans la langue japonaise la lettre est faite chose, est faite rfrence. C'est comme si faisait dfaut, si je puis dire, le noyau dur du moi, comme si faisait dfaut le je suis moi o le sujet occidental ou occident s'assure de sa permanence, de son autonomie, de son indpendance, croit-il, l'endroit de l'Autre.

Au fond, tous les commentaires qui sont faits sur le Japon, et par les Japonais eux-mmes, consistent mettre en valeur quel point le Japonais est inscrit au lieu de l'Autre, et le sait, quel point ne lui vient pas l'ide cette sottise d'occident de penser que je suis moi. Il ne dirait mme pas, avec Rimbaud: je suis un Autre. Il dirait: je suis les autres. C'est en quoi il est port, tous les moments, s'identifier partir de l'Autre qui il s'adresse. Sa langue l'oblige se dsigner, dans la parole, dans l'criture, dans le discours, toujours en fonction de l'Autre auquel il s'adresse. La langue elle-mme contraint sa position subjective tre une position relationnelle, non substantielle - pour reprendre l l'opposition que Hjelmslev avait isole. Si Lacan formule que le Japonais est conduit, de par la langue qui l'habite, prendre appui sur le tu pour son identification, a signifie qu'il ne peut pas prendre appui sur le je. De ce fait, ce qu'il se trouve formuler dans sa langue est videmment trs diffrent quand il s'exprime dans une autre langue. Dans sa langue, le rsultat, c'est que gnralement il tient vous faire plaisir.

Il y a toute une littrature assez copieuse, genre manuel, amricaine par exemple, qui essaie d'enseigner l'Occidental la manire de faire du commerce avec les Japonais, spcialement la manire de vendre aux Japonais. Vous le savez, on n'y arrive absolument pas. Au fond, a traduit le dsespoir occidental devant le statut japonais du sujet. Allez faire comprendre un homme d'affaire du Middle-West que oui peut tre une faon de dire non. Oui, c'est la faon lgante de dire non. C'est la modalit chic - l'assertion tant trop brutale. D'ailleurs, au Japon, quand vous regardez des chanes de tlvision japonaises, et que vous tes sensible, mme si vous ne comprenez pas, un ton d'ensemble, et puis qu'ensuite vous tombez sur une chane amricaine, vous vous dites: Oh la la! qu'est-ce qu'ils sont brutaux. Le Franais, lui, est entre les deux, juste entre les deux.

Le culte du kaijuda, de l'ambigut, qui est au fond trs analytique, fait qu'un Japonais peut parler durant trs longtemps sans que mme les autres japonais saisissent ce qu'il veut dire. Ca tient souvent un certain nombre d'lments qui, comme en allemand, sont placs la fin de la phrase, et qui peuvent vous permettre de savoir s'il vous a plutt dit oui ou merde, ou mme s'il vous a parl d'une petite promenade la campagne ou de la table des catgories d'Emmanuel Kant. On n'est pas sr jusqu'au bout. C'est ce qui fait qu'il ne faut pas interrompre un Japonais et qu'on est par l-mme forc une certaine politesse. J'ai fait une causerie sur Lacan l'universit Toda de Tokyo. Ils m'ont dit la fin: Comme vous tes clair! Je ne suis toujours pas sr que c'tait un compliment.

Je me suis trouv assez hystrique pour avoir envie de faire le Japonais moi-mme. J'ai donc tenu une conversation longue avec un Japonais. Il s'agissait d'un contrat signer pour une traduction de l'oeuvre de Lacan, auquel, de plus en plus nombreux, ils portent un grand intrt. On a commenc parler de la pluie et du beau temps, puis on a continu parler de la pluie et du beau temps, et puis, jusqu'au bout, on a parl de la pluie et du beau temps - jusqu' ce que le Japonais me dise: Monsieur Miller, rpondez-moi franchement. J'ai t, je dois le dire, assez content. Mais l non plus, je ne suis pas trs sr, parce que je me dis que les Japonais aussi doivent avoir des manuels pour parler aux trangers, et que le cas de figure de l'tranger qui joue au Japonais doit tre sans doute prvu: ce moment-l, dites rpondez-moi franchement l'tranger. Je dois vous dire que, dans cette fine stratgie, je ne sais plus si on a sign le contrat ou pas. Ce serait reprendre au chapitre des jeux de stratgie. Peut-tre que cette anne nous aurons l'occasion d'en parler un petit peu.

Il y a donc toute cette littrature japonaise. C'est une rubrique qu'on trouve dans la librairie, qui fait des kilomtres et qui s'appelle Nihonjinron. a veut dire: les discussions du Japonais. C'est une littrature qui est japonaise et, l'occasion, trangre. Elle est consacre scruter ce qui fait le propre, l'essence, le vrai de vrai du Japonais. C'est une littrature qui est certainement une des rubriques parmi les plus importantes des diteurs japonais. videmment, comme on ne sait pas quelle est l'essence japonaise, on crit perte de vue l-dessus, avec l'ide que le Japonais est unique, qu'il ne ressemble rien d'autre. De sorte qu'on a au moins ce point commun avec les Japonais, savoir que l'essence japonaise qu'il n'y a pas, que la chose japonaise est, un certain niveau, aussi exotique pour eux que pour nous. Ils ont beau habiter cette chose japonaise, elle ne cesse pas de leur poser des questions. J'ai t ravi, l, de retrouver, mise en scne, cette phrase de Hegel que j'aime citer et qui est de son Esthtique: "Les mystres des gyptiens taient des mystres pour les gyptiens eux-mmes." Eh bien, j'ai vu ces gyptiens-l sous les espces des Japonais.

La thse lacanienne d'un dficit d'identification est quelque chose qui peut permettre de saisir la mobilit, la rapidit de l'ducation japonaise - mobilit qui a fait que quand l'empereur Meiji a dclar qu'il fallait se mettre l'cole des Occidentaux, il y a eu en srie une mutation gnrale. cet gard, eux, ils n'ont pas, depuis lors, dtel. Peut-tre qu'ils se sont tromps d'Occidentaux. Ils ont fait comme les Allemands - la structure des langues les rapproche - et a les a mens, depuis 1940-41 jusqu' 45, certains excs. Et puis ils en ont pris d'autres, c'est--dire les Amricains, et nous vivons actuellement, dans les conomies occidentales, les effet de la dcision de l'empereur Meiji. Ca occupe de plus en plus notre ct du monde.

videmment, dans cette littrature, on cherche le mot propre pour dsigner cet unique. En psychanalyse, par exemple, Do Takeo a propos le concept de amae, qui serait le trait diffrentiel du sujet tel qu'il apparatrait dans l'exprience analytique. Dans un autre ordre d'ides, un personnage tout fait tonnant, qui tait comte, le comte Kuki Shuzo, et qui est all se perdre un moment du ct de Marburg, a enchant Martin Heidegger avec l'ide que le nom propre de l'tre pour le Japonais tait iki, le chic. a a tout de mme assez frapp Heidegger pour qu'en 1953-54 il crive un dialogue, qui est une forme tout fait inhabituelle chez lui - je n'ai pas vrifi mais je me demande si ce n'est pas le seul exemple de dialogue crit par Heidegger - et o il s'entretient avec un Japonais en mmoire du comte Kuki Shuzo. Vous trouvez ce dialogue extraordinaire dans le recueil intitul Acheminement vers la parole. C'est un ouvrage qui a t traduit chez Gallimard. On y voit la prcaution et l'intrt avec lesquels Heidegger essaie de saisir le iki du comte Kuki.

Iki, a veut dire quelque chose comme le chic, l'lgance, mme le coquet, le dandy, le raffin. J'ai lu dans un livre, un livre justement du Nihonjinron, un livre qui est de l'espce anti-culte de l'unicit japonaise, qu'en dfinitive iki s'tait implant dans la langue la fin de l'poque Edo, pour qualifier la sophistication style demi-monde. On voit a un peu avec le mot de dandy. videmment, a laisse un peu rveur de penser que le comte Kuki a russi persuader Heidegger que le nom de l'tre en japonais vient plus ou moins, pour le dire franchement, du bordel.

Quand on a affaire au registre Nihonjinron, on craint toujours d'avoir affaire des subterfuges. On se dit: est-ce que ce trait qui est mis en valeur est vraiment si spcifique que a? C'est en effet une littrature trs contestable, qui est une sorte de raction, de sous-produit de l're Meiji. C'est au moment o le Japon a abandonn son mode d'tre traditionnel pour se mettre l'cole de l'Occident, qu'a surgit, en rponse, cette littrature du Japonais unique. La jeune gnration semble, quand elle n'est pas fascisante, avoir horreur de cette littrature. Je ne voudrais pas trop insister sur les traits diffrentiels que Lacan impute au Japonais en raison de sa langue, parce que les Japonais en mouvement, les Japonais d'avant-garde, n'ont pas de sympathie pour ce culte de l'unique. Mais, vu sous une autre face, on voit que ce iki essaye de cerner l'objet a, l'objet a de la langue japonaise elle-mme, l'objet a que Lacan appelait "l'effet de langage majeur" - ce point majeur qu'il en devient un produit, un produit, si je puis dire, objectiv.

On ne peut pas, proprement parler, appeler a l'indicible. Michel Leiris, qui a disparu, disait de l'indicible que c'est un qualificatif "un peu trmolo". C'est sr que le trmolo, a n'est pas iki. C'est une dgradation que d'appeler l'insaisissable ce dont il s'agit avec l'objet a. Ca ne fait que dsigner notre impuissance, alors que ce dont il s'agit, c'est de ce qui a saisi le sujet, et de comment, l, le sujet habite une manire d'tre. C'est une expression de Heidegger dans ce dialogue: "habiter une manire d'tre". Il faudrait savoir cerner les manires d'tre, les usages, les coutumes, les us et coutumes, les murs, et ce que a traduit toujours d'un rapport la jouissance.

Les analystes, ils habitent aussi certaines manires d'tre. Mettant le sujet analysant dans la situation de devoir s'appuyer sur le tu plutt que sur le je, et par l-mme dans la situation de voir se dfaire les identifications, on pourrait dire que l'analyse japonise. En effet, elle soulage le sujet d'une relation univoque avec le signifiant matre. Elle le met par l en mesure de jouer avec une gamme d'identifications bien plus large, comme il est ncessaire dans la pratique analytique.

L'analyste est un petit peu Arlequin. C'est Louis Althusser, autre grand disparu, qui en public avait lanc Lacan, la dernire fois o il le vit, qu'il tait un Arlequin. Eh oui, peut-tre bien qu'il y a de l'Arlequin japonais chez l'analyste, sauf qu'il tend, pour un sujet dans l'exprience, se confondre avec l'objet a de ce sujet. Ca fait, pour l'analyste, une difficult propre avec le nom d'analyste. De fait, l'objet a et le signifiant matre sont des ples opposs du discours. Le nom d'analyste, c'est un signifiant matre. Il n'y a rien qui passionne autant l'analyste effectif, ou l'analyste en puissance, que les affaires de nomination, de dsignation, de reconnaissance. C'est au point que Lacan avait pu dcomposer le nom d'analyste pour en faire l'ne--listes, qui traduit cette antinomie cartelant le psychanalyste entre le nom d'analyste et son statut d'objet a dans l'exprience. Ca fait que dans le mme mouvement o il appelle de ses voeux, parfois en trpignant, le S1 du nom d'analyste qui viendrait rdmer sa dchance, il est habit d'un affect d'imposture qu'il cache ou qu'il affiche.

C'est que l'analyste, dans son statut d'exprience, est sans essence. C'est en quoi Lacan pouvait formuler, en 1973, que l'analyste relve du pas-tout, que le prdicat tre analyste est un prdicat paradoxal qui ne permet pas de former l'ensemble de tous les analystes, qui ne permet pas un analyste de se sentir tout analyste, qui ne permet pas de formuler un critre de l'analyste, mais qui oblige - je l'ai dj dit l'anne dernire - les prendre un par un pour vrifier ce qu'il en est. Ca ne va pas sans faire des difficults l'universel du signifiant. C'est ce qui fait que quand, convoqus par le discours universel, les analystes doivent dire qui ils sont, ils sont bien emmerds. Comme cet an-ci le discours universel se fait un petit peu pressant un peu partout, on s'inquite, au niveau des pouvoirs publics, de savoir qu'est-ce que c'est que cette tribu-l. Les analystes commencent prouver l'intrt qu'il y aurait se rompre la logique que dj Lacan avait prpare pour eux en leur annonant qu'ils auraient en rpondre.

cet gard, ce n'est pas mal que dimanche soit fini, et qu'il y en ait quand mme un certain nombre, en France par exemple, qui commencent s'apercevoir qu'ils ont mang leur pain blanc. a pousse un certain nouveau copinage. a a un petit effet de cohsion sur ceux qui sentent que la rcre est finie. J'ai dj eu l'occasion de le dire: moi, je suis pour. Je suis pour que les collgues qui se rfrent l'enseignement de Lacan s'entendent entre eux, mme s'ils ne veulent pas s'entendre avec moi et mes amis. Ils sont en train de se frictionner abondamment, de se dcrasser un peu pour faire figure et parce que le matre les a convoqus. Ils passent la savonnette vilain. Je ne sais pas si vous savez ce que c'est, la savonnette vilain. Vous trouverez cette expression dans une note des crits de Lacan.

Puisque nous sommes passs du Japonais au psychanalyste - la psychanalyse est une le aussi - voyons ce que Lacan nous annonce, et que je me suis trouv, dans un autre de mes voyages, commenter dans un lieu bien prcis. Vous savez, il y a dix ans, c'est peine si j'avais travers deux ou trois frontires europennes. Je connaissais un petit peu l'Espagne, un petit peu la Suisse, un petit peu l'Angleterre. C'est cause du Champ freudien que je me promne.

Cette fois-ci, c'tait Grenade, tout au sud de l'Espagne, que j'ai comment, pour des raisons trs prcises, cette phrase de Lacan: "Ce n'est pas moi qui vaincrai, c'est le discours que je sers." Cette phrase de 1972 contredit effectivement ce que Lacan disait en 1968 et que j'avais formul l'anne dernire. En 68, Lacan voquait "le moment o la psychanalyse aura rendu les armes devant les impasses croissantes de notre civilisation". C'tait une prophtie de disparition de la psychanalyse. L, en 72, c'est le contraire. C'est une curieuse prophtie de victoire pour le discours analytique, et introduite par un ce n'est pas moi, c'est lui - formule qui sert d'habitude exonrer le sujet d'une agression, et que l'on peut souponner d'tre marque au coin d'un imaginaire spculaire: lui c'est lui, moi c'est moi. D'un ct, le discours analytique, et, de l'autre ct, Jacques Lacan.

Dans cette phrase, il faut donner toute sa valeur la diffrence entre le moi et le Je. Ce n'est pas le moi qui est ici en question, c'est le Je du sujet en tant qu'il dpend d'un discours qui le dtermine: je ne suis que ce qui sert un discours. Il faut dire que c'est le statut comme tel du sujet. C'est bien parce que le sujet est serf dans son statut de sujet de l'inconscient, qu'il y a toujours pour un sujet une cause. La question est de savoir si c'est une cause qui est l'horizon ou si c'est une cause qui est derrire. Le sujet est serf, et c'est pourquoi il y a toujours pour lui une cause qui est la cause du dsir, et dont nous avons vu certains divins dtails il y a deux ans.

Eh bien, il y a une espce de cause du dsir d'un type spcial qui s'appelle la cause freudienne et sans laquelle le discours analytique lui-mme est impensable, en dpit de la pente que pourraient avoir des analystes dvoys hors de la voie analytique, en dpit de la pente qu'ils pourraient avoir nier la cause, dire non, pour nous pas de cause. Evidemment, la cause freudienne, il faut encore la trouver, parce qu'elle se prsente d'abord comme perdue ou comme rate. C'est par l qu'elle peut faire croire qu'il n'y en a pas. Du coup, l'analyste peut se prendre - ce qui est vraiment norme - pour cause de soi. Je n'appellerai mme pas a du cynisme. C'est un ravalement du cynisme. Le cynisme est une haute thique et c'est une position subjective qui a toute sa dignit comme exercice spirituel. Le cynisme, a consiste, pour le sujet, s'identifier l'objet de rebut de la cit et, du mme coup, mettre la sublimation au rebut.

Ce qui est vrai - il faut le reconnatre - c'est qu'il y a un malaise dans la cause freudienne. Depuis toujours, on parle de cause dans la psychanalyse. Freud avait rapport avec quelque chose qu'il appelait une cause, sa cause. Les premiers psychanalystes - et c'est a que nous devons que la psychanalyse se soit rpandue un peu au-del de Vienne - taient des militants de la cause de Freud. videmment, cette cause tait plutt aborde dans le registre de l'idal. Qu'est-ce que c'est qu'une cause? C'est bien cette question qui explique le malaise dans la cause freudienne. Qu'est-ce que c'est qu'une cause qui sait n'tre pas un idal ?

Le au service de est un topos, un topos propre au christianisme qui propose une thique qui n'est pas celle des matres mais celle des serviteurs. Le nom de serviteur est devenu, si je puis dire, un signifiant matre. Est-ce quand Lacan parle d'une victoire, il s'agit d'une victoire de matre ? Est-ce que toute victoire est victoire de matre? Ici, il voque quelque chose qui serait une victoire de discours. C'est le vocabulaire de Lacan, et pas qu'une fois, et spcialement quand il fonde son cole en 1964. Relisez les deux ou trois pages de son Acte de fondation. Ca tourne autour de quelque chose qui est tout fait cohrent avec cette notion d'une victoire, et cohrent aussi, d'ailleurs, avec la notion d'une dfaite. Dans la phrase de 68 que je citais tout l'heure, il s'agissait d'une psychanalyse qui rendrait les armes - ce qui suppose qu'avant elle en avait. Si on peut craindre qu'elle puisse rendre les armes, c'est peut-tre parce qu'avant les psychanalystes taient arms.

Rassurez-vous, je n'appellerai pas le cours de cette anne Les psychanalystes arms, mais c'est bien dans cet Acte de fondation qu'il est question de la reconqute du champ freudien, exactement d'un mouvement de reconqute. Lacan a dit - mais est-ce que ses lves l'ont cru? - qu'il s'agissait de a: de la reconqute du champ freudien, et qu'il y en allait de la question de savoir si la psychanalyse rendrait les armes ou si le discours psychanalytique vaincrait.

C'est pour a que je suis all commenter cette phrase Grenade qui est la ville de la Reconquista, la ville de la reconqute de la pninsule ibrique. L-bas, j'ai dfendu la thse - et je la dfends de la mme faon ici - que Lacan pensait la ville de Grenade quand il a proclam la croisade de reconqute du champ freudien. C'est au moins trs vraisemblable. C'est trs vraisemblable si on se souvient que cet Acte de fondation est de juin 1964 et qu'il s'inscrit donc prcisment entre l'avant-dernire et la dernire leons du Sminaire XI. Je pense que vous vous souvenez que dans l'une des premires leons - la quatrime je crois - Lacan cite logieusement un pome d'Aragon extrait du Fou d'Elsa. Je suppose qu'un certain nombre d'entres vous savent que le Fou d'Elsa est un trs gros recueil tout entier consacr l'histoire de Grenade, et dont l'une des figures les plus marquantes est celle du dernier roi maure de Grenade, chass de son royaume par les rois catholiques. Retrouver au cours de cette anne 64, quelques mois plus tard, le mot de reconqute sous la plume de Lacan, a autorise au moins faire le rapport.

Cette connotation peut n'tre pas, bien sr, du got de tout le monde: concevoir le champ freudien comme envahi, occup, exploit par les infidles de l'egopsychology, et vouloir lancer l'opration de reconqute au nom de la vraie foi. Mais c'est pourtant de cette connotation que joue Lacan dans son Acte de fondation.

Certes, a n'enlve rien la difficult qu'il y a articuler le rapport de l'inconscient et du groupe. La question demeure de savoir si le groupe, le groupe analytique que cette reconqute concerne, est une no-formation qui a grandi sur l'inconscient. Tout ce qui concerne le groupe, spcialement le groupe analytique, est toujours menac du soupon d'tre fait pour teindre l'inconscient, pour protger contre l'inconscient. L'exprience analytique, c'est un groupe, mais l'extension minimale, et qui permet l'intention d'tre maximale. videmment, lorsque l'extension augmente, on peut dire que corrlativement l'intention devient de plus en plus pauvre. Il reste que c'est l qu'il faudrait suivre le conseil de Balthazar Gracian: toujours prfrer l'intention l'extension.

Il n'empche que Lacan a mis au monde une cole, un type de groupe qu'il a appel cole et dont nous avons parl l'anne dernire. Nous en avons parl dans l'ordre spculatif, nous en avons parl titre de travaux pratiques, mais l, cette affaire militaire dans la psychanalyse - dont je vous montre quel point elle est constante chez Lacan - est justement un fil anti-spculatif, le fil anti-spculatif de l'enseignement de Lacan, puisque a ne prend pas un sens nouveau de se souvenir que quand Lacan essaie de donner un exemple de destitution subjective telle qu'elle se prsente la fin de l'analyse, l'exemple qu'il va entre tous choisir est celui du Guerrier appliqu, ce petit roman de Jean Paulhan qui raconte des fragments de la guerre de 14. C'est l qu'il trouve ce qui se produit la fin d'une analyse. Il l'illustre par un personnage qui n'est pas un fanatique, mais qui n'est pas non plus un couard, c'est--dire qui ne pense pas que la destitution subjective l'autorise se dsolidariser. Il se solidarise, au contraire. Et mme, il se fait solide. Il y a un peu quelque chose de a chez Ernst Jnger, dans Orage d'acier, sauf que Ernst Jnger n'est pas un guerrier appliqu, un guerrier de vocation.

L, il faut bien dire que la guerre n'est pas un piphnomne dans la psychanalyse, et d'abord sous les espces de la polmique. C'est vrai que moi, j'ai juste connu Lacan au moment o il commenait sa guerre aprs de longues ngociations avec l'IPA, et a ne me drange pas du tout, pas le moins du monde, qu'on dise que l'IPA soit l'glise et que l'cole de Lacan soit l'Arme. D'ailleurs, c'est comme a que l'entendait Lacan. C'est comme a qu'il l'entendait en 1964, quand il parlait de son cole comme d'une base d'oprations, et qu'il se demandait ensuite si la psychanalyse allait vaincre ou tre vaincue. D'ailleurs, qui ne sait le soulagement que produisent au nvros la guerre et la catastrophe. Le nvros ne va jamais mieux qu'en priode de guerre ou de catastrophe. C'tait dj relev par Freud.

On peut suivre - nous l'avons fait l'anne dernire - ce qui a t la construction par Lacan de sa base d'oprations. J'avais dj distingu les deux temps de cette construction: 1964 et 1967 - premier temps faisant entrer dans son cole les travailleurs dcids, second temps proposant une slection interne cette cole, slection qui s'appelle la passe. En 64, il propose un mode de slection externe, il dfinit comment on passe du dehors au dedans. En 67, il donne un mode de slection interne, et il innove en l'appelant la passe. Vous vous rappelez que a consiste examiner la psychanalyse de quelqu'un, plus exactement examiner ce que ce quelqu'un a en dire, savoir ce qui est proprement le rsultat de l'opration analytique.

On peut dj dire que le fait de cette passe, qui lorsqu'il la proposa suscita le scandale et un lynchage, est un triomphe de Lacan, mme s'il ne russit la faire passer que deux ans plus tard - il y avait eu entre temps mai 68. Une fois que cette proposition de passe passa, il fallut encore des annes pour qu'elle commence, cahin-caha, se mettre en place. C'est un triomphe de Lacan, vingt-cinq ans plus tard, qu'il y ait partout, dans le Champ freudien, un dsir de passe, et que cette soi-disante machine infernale soit aujourd'hui la seule perspective que l'on puisse mettre en place dans des groupes analytiques. a passe pour une grande esprance. Ce qui est en jeu, l, c'est de savoir si l'analyste, selon l'expression de Lacan, veut croire l'inconscient pour se recruter.

videmment, c'est un examen, une preuve d'un type bien particulier que cette passe. La psychanalyse, en effet, n'est pas une science ni non plus un art: il faut la ranger parmi les pratiques. ce titre, la pratique, la pratique humaine - si on lui donne toute sa valeur comme distingue de la science et de l'art - ne concerne pas le ncessaire ni l'impossible mais ce qui est de l'ordre du possible et du contingent, c'est--dire, pour parler comme Aristote, ce qui pourrait tre autre que ce qu'il est. L'ide est belle, l'ide de Kant est belle dans son thique, l'ide que la pratique, la raison pratique comme il dit, serait rductible l'universel. Car c'est a que comporte l'impratif catgorique de Kant: une rduction de la pratique au signifiant. C'est quoi Lacan a oppos Sade, pour distinguer et opposer ce qui est irrductible dans la pratique l'universel. L'aberration de Kant, celle d'une rduction de la pratique humaine l'universel, est une aberration de l'ge de la science, et qui, comme le note Lacan, traduit dans l'ordre de l'thique la science newtonienne.

Les Anciens taient plus sages. Ils avaient isol quelque chose sous le nom grec de phronsis, qui a donn chez les Latins prudentia, la prudence. Il y a, courant dans la littrature universelle, dans la littrature occidentale, un fil qui est celui des arts de la prudence, du savoir de la prudence. La prudence est ce qui occupe cette zone d'cart qu'il y a entre ce qui est de l'ordre de la pratique et ce qui est de l'ordre de l'universel. Ce qu'on a appel dans l'histoire la prudence, et essay d'enseigner aussi bien, c'est un certain savoir faire avec l'objet a, un savoir faire chappant au mathme. C'est ainsi que l'excellence de la prudence est de parvenir saisir le kairos, le moment opportun, l'instant propice qui n'est pas dductible a priori, qui tient la contingence des choses nouvelles. Au fond, ce que les Anciens appelaient la prudence, c'tait la rponse adquate du sujet la contingence.

Eh bien, la prudence, elle a quelque chose de japonais. La prudence, justement parce qu'elle est toujours au niveau du contingent et du particulier, ne peut pas se dfinir par une ide universelle. La prudence, elle a quelque chose de japonais et quelque chose de psychanalytique en mme temps. Elle ne se soutient que dans l'existence mme de l'homme prudent. Tout ce qu'on peut dire, c'est: regardez celui-ci, regardez celui-l, et celui-l encore. Elle ne se soutient que par les prudents pris un par un, on ne peut faire que donner des exemples. Le prudent, ce n'est pas l'interprte d'une juste loi, ce n'est pas le dtenteur d'un savoir sparable de lui. Par l, la prudence introduit la notion qui paraissait Aristote lui-mme comme tout fait limite, la notion de l'homme critre. Pas d'autres critres de la prudence qu'un homme prudent. C'est pourquoi il disait, en quelque sorte, que le prudent ne s'autorise que de lui-mme. Il disait peu prs: l'homme distingu, l'homme iki - pour prendre le terme du comte Kuki, mais il y a beaucoup d'autres rfrences, un peu baroques bien sr - est lui-mme sa propre loi. C'est quelqu'un qu'on prend au srieux. Pierre Aubanque, pour dfinir ce terme si difficilement traduisible d'Aristote qu'est le spoudaios, c'est--dire l'homme de bien, le bon, le traduit par le valeureux. Le spoudaios, dit Aubanque, "c'est l'homme qui inspire confiance en raison de ses travaux, c'est l'homme auprs de qui on se sent en scurit, c'est quelqu'un qu'on prend au srieux".

La prudence, cet gard, n'est pas de l'ordre de l'thique. La prudence, c'est une qualit, ou une vertu, de l'intelligence, mais d'une intelligence qui n'est pas l'intelligence scientifique, qui est une intelligence proprement de la contingence. C'est l-dedans que se meut ce qu'on appelle une pratique. Elle se meut dans un univers o tout peut tre autre qu'il n'est, c'est--dire un monde o l'accident ne se laisse pas rduire l'essence. C'est pourquoi la psychanalyse a son versant de mathme mais aussi bien son versant de prudence dans la pratique.

Les arts de la prudence, qui en gnral restent comme un certain nombre de niaiseries, essaient de prciser quand on doit et quand on ne doit pas: il faut faire les choses juste point, pas avant et pas aprs. C'est aussi ce que Pindare, dont j'ai parl l'anne dernire dans un autre lieu, voque quand il considre que ce qu'il y a de plus lev dans l'existence humaine, c'est de saisir ce qui convient dans l'instant prsent.

J'ai fait l une petite loge du prudent. Il est certain que la passe de Lacan est un essai pour oprer de faon rationnelle dans l'ordre du contingent. Il est vrai qu'on a tout de mme progress par rapport aux Grecs sur ce qu'il en est de la prudence, et que la thorie des jeux est un effort pour, cette prudence, la mathmatiser. La passe, c'est un effort pour essayer de mathmatiser, de rendre transmissible dans la psychanalyse, ce qui est prcisment de l'ordre du pas-tout, savoir le psychanalyste lui-mme.

La passe, disons-le, c'est une sorte de douane psychanalytique. D'une certaine faon, la psychanalyse se joue des douanes, elle traverse toutes les frontires, elle n'est pas captive des douanes. Mais il y a toujours eu une douane psychanalytique, et la douane psychanalytique que Lacan a invente, elle consiste, la frontire, dclarer son fantasme.

"L'analyste ne s'autorise que de lui-mme." Cet aphorisme de Lacan, il faut bien voir ce que c'est. C'est d'abord une arme de guerre. C'est l'arme de guerre que Lacan a forge contre l'IPA. C'est une arme de guerre dont tout le monde a pu s'emparer, et pour, il faut bien le dire, en faire n'importe quoi l'occasion. Quand on n'a qu'une petite arme, il faut bien lever des suppltifs o l'on peut, et c'est ce que Lacan a fait. Avec cette arme de guerre, il a dchan dans le monde un mouvement qui a pris de l'ampleur, au point que la citadelle apparemment imprenable se trouve assige dans le monde entier par une bande de va-nu-pieds innombrables.

Mais du mme coup que Lacan supprimait la licencia analysandi de l'IPA, du mme coup qu'il dsautorisait la douane de l'IPA, il construisait une nouvelle douane - la passe - et sans qu'il y ait pour autant obligation passer par cette nouvelle douane. Ce qui est formidable, c'est qu'il a inspir aux gens le dsir de se prsenter eux-mmes la douane et non pas de passer en catimini. Vouloir faire la passe, a veut dire: je dsire faire vrifier que je n'ai rien d'interdit dans mes bagages. A cet gard, Lacan est all, en 1973 - et a aurait pu tre le troisime temps de sa construction d'cole - jusqu' proposer qu'on n'entre dans son cole qu'en passant par la passe - proposition qui n'a jamais t applique et que lui-mme a garde dans une certaine discrtion.

Je parlais tout l'heure de la prudence. La prudence n'est pas, bien sr, le tout de la position analytique. La prudence s'incarne avant tout dans la dlibration. Le prudent, c'est l'homme qui dlibre. C'est le kalos bouleuesthai, celui qui dlibre bien, qui passe du temps chercher les moyens pour raliser une fin pralablement pose. C'est en cela que la prudence est un exercice et une vertu de l'intelligence et qu'elle n'est pas d'ordre thique. Poser les fins, c'est de l'ordre de l'thique. Chercher les moyens pour raliser les fins, c'est de l'ordre de la prudence. Aristote s'enchante de prciser tous les temps, tous les moments de la dlibration - dlibration comme mi-chemin entre la science et la doxa - pour dboucher sur le proairesis, sur le choix. Et on ne choisit que le meilleur, on ne choisit pas l'absolu.

videmment, il y a bien une thique qui est incluse l-dedans. Disons, pour revenir au Japon, que cette thique est tout fait l'oppos de l'thique zen. Le zen connat les coles, des coles srieuses. Lacan visite a. Ce sont des temples, des temples sombres, o il y a de vritables filiations de matres et d'lves selon diffrentes coles, chacune reprsentant une varit de zen et rpondant ses kang-tsong, ses principes directeurs. Cette organisation extraordinaire d'coles n'empche pas que le zen est l'oppos de la prudence aristotlicienne. Le zen donne prcisment la valeur suprme la non-dlibration. Le zen, c'est l'antiprudence. Il s'agit justement de supprimer, chez le sujet, le moment de la dlibration. Dans les entretiens des matres zen, peu importe ce que vous rpondez aux questions. Ca se passe dans un jeu de questions et de rponses, et ce qui compte, c'est de ne pas hsiter. Si vous hsitez, c'est le coup de bton. C'est le coup de bton ou le signifiant sans signifi du kht qui est une simple ructation prive de signification. C'est un coup de bton signifiant.

Ce qu'il s'agit de supprimer avec le zen, dans ce type de saint qu'est un moine zen - l'homme prudent est un autre type de saint - c'est tout ce qu'on appelle, au moins dans les textes chinois sur lesquels le zen japonais s'est construit, le yi-yi. Le yi-yi, c'est ce qui est la fois la dlibration, la prmditation et l'hsitation. C'est un ensemble o il y a justement un intervalle entre ce qu'il s'agit de dire et la pense qui vient l se glisser. L'idal zen, c'est que l'homme sache rpondre d'une faon totale et instantane, comme la lueur de l'clair, et que cela jaillisse des profondeurs de l'homme dans l'instant. L'idal zen est l'oppos de l'idal aristotlicien. L'idal zen se traduit par ceci, que pour peu qu'on n'ait aucune pense, on sera dlivr o qu'on soit. L'adquation de soi soi-mme fait en mme temps sortir de toute identit. L'homme zen, c'est l'homme vrai sans situation, et qui se dfinit lui-mme comme je ne sais quel btonnet merdeux. C'est avec des bouts de bois qu'on s'essuyait. On trouve mme des textes o le Bouddha est dfini comme un bton merdeux. a veut dire qu'ils avaient quand mme, avec a, une certaine ide, dvoile chez Aristote, du statut de l'objet a anal du sujet. Ca, c'est pour vous viter de penser que la prudence ou l'homme prudent est le fin mot du psychanalyste. a fait cho.

J'ai maintenant un petit dveloppement que je ne vais pas pouvoir vous donner, un petit dveloppement sur tout l'intrt qu'il y a savoir se dbarrasser de sa pense, un petit dveloppement sur le nvros obsessionnel.

Le nvros obsessionnel a les plus grandes peines du monde accder au registre de la prudence, c'est--dire au registre de la contingence. Ce qu'il aime, c'est la modalit du possible. Il l'aime tellement qu'il y nage. C'est d'ailleurs a qui produit une vritable satisfaction pour la pense. C'est le possible, c'est d'examiner les possibles. Le doute obsessionnel, c'est la pense jouissant du possible et jouissant aussi de la contrainte qu'elle prouve du ncessaire et de l'impossible. L'obsessionnel est en effet cras par l'impossible ou fascin par ce qui ne peut pas tre autrement - l'occasion y revenant indfiniment pour s'assurer que, vraiment, ce n'est pas possible. Le plus difficile reste le registre du contingent qui est celui de l'amour.

Il n'empche que la contribution obsessionnelle est par l-mme minente la dcouverte de l'inconscient. Il n'y en a que pour les hystriques. Les hystriques auraient vraiment pris Freud par la main pour le conduire l o le pauvre bonhomme trbuchait. Heureusement qu'il y en avait pour lui dire la vrit. Et c'est vrai - Freud le note - que le nvros obsessionnel n'est pas aussi accessible pour l'analyste que l'hystrique, qu'il est occup dans un dbat avec lui-mme, que l'obsession est une maladie de l'intra-subjectivit. C'est intra-subjectif et non pas intersubjectif comme dans l'hystrie. Demander est difficile pour l'obsessionnel, dans la mesure o ce serait confesser son manque. Comment mme demander une analyse tout en annulant l'Autre? Il y a cette densit, cette consistance que l'obsession donne l'ide. De l'ide, elle fait des choses, des choses contre lesquelles il faut lutter. On voit l'obsessionnel faire des efforts pour penser, pour chasser des ides. De telle sorte, au fond, que c'est par lui que Freud a aperu que l'inconscient tait fait de penses.

cet gard, c'est clairement par l'obsessionnel que l'tre de rptition de l'inconscient a t par Freud isol. Mme la mmoire inconsciente comme automatisme de rptition, c'est de l'obsessionnel que Freud l'a apprise. La mmoire hystrique est de l'ordre du souvenir, de l'ordre du souvenir et du secret de ce qui s'est pass avant. Mais ce que met en vidence l'obsession, c'est la mmoire au sens cyberntique, c'est--dire une mmoire qui est un automatisme et non pas un souvenir. Ca se voit aussi bien pour ce qui est de l'isolement du fantasme. Dans l'hystrie, le fantasme passe par la pantomime. Chez le pervers, il se ralise, c'est--dire qu'il passe la ralit. Mais c'est proprement chez l'obsessionnel qu'il s'isole avec sa consistance propre.

Ce dveloppement, je le garde pour une autre fois, parce qu'il faut quand mme que j'introduise, pour finir, le troisime temps que j'avais gard pour la bonne bouche, le troisime temps de la construction de l'cole par Lacan.

1964: l'entre des travailleurs dcids. 1967: proposer une slection par la passe l'intrieur de l'cole. 1973-74: proposer qu'entrent seulement dans l'cole des passs, seulement des gens qui ont fait la passe. Cette seconde proposition de la passe n'a jamais t considre comme telle. On voit bien que Lacan lui-mme a t discret l-dessus. Cette proposition, il l'a envoye quelques Italiens. On pouvait penser qu'il voulait leur rendre impossible de faire une cole. En plus, a a t rejet par ces trois Italiens qui sont partis chacun vers leur destin. Ces trois-l, il n'a pas russi les convaincre. Ce n'est pas encourageant pour quelqu'un qui fait une proposition et qui essaye de voir ce que a donne. Et puis, en 73-74, sans doute avait-il l'ide qu'il n'avait plus aucune chance de faire adopter a par ses lves. Il faut bien voir qu' cette poque-l, Lacan avait simplement essay, non pas mme de rendre un tout petit peu de dignit, mais de sauver la vie de ce Dpartement de psychanalyse o nous sommes, et qui tait en train d'tre vid, de tomber en dbris, en miettes. Ca avait dj suscit, alors mme que ce n'tait qu'un tout petit coin de l'espace, une telle leve de boucliers au sein de son cole, qu'on n'imagine pas qu' l'poque il aurait song faire adopter cette seconde proposition de la passe.

Et puis, il n'y a pas que des raisons de circonstance. Il y a deux objections, apparemment de structure, ce qu'on fonctionne comme a. C'est qu'en effet, on peut craindre, premirement, s'il ne s'agit que de prendre des analyses termines, que l'ensemble reste vide, et, deuximement, que a prsente videmment une contradiction avec le projet de 1964. Celui de 64, c'est de faire entrer des travailleurs dcids, l'occasion non-analystes et non analyss. En 73-74, c'est une hyperslection d'analyss.

Eh bien, je pense, pour avoir fait ce que j'ai fait l'anne dernire, que dix-sept ans aprs cette proposition, il est temps de la mettre en oeuvre. Je pense que ce qui se prsente dans la diachronie comme l'entre dfinie en 64 et l'entre dfinie en 73 doit trouver son placement synchronique, et que, de la mme faon que la slection interne d'une cole distingue l'A.M.E. et l'A.E., c'est--dire fait une slection en fonction du travail - c'est l'A.M.E. - et en fonction de l'exprience analytique - c'est l'A.E. - une cole qui se rfre Lacan doit en 1990, et bientt en 91, distinguer deux voies d'entre: la premire fonde sur le travail - proposition de 64 qu'il faut conserver - et la seconde fonde sur une passe l'entre. Passe l'entre qui sans doute ne vrifiera pas la fin de l'analyse mais qui serait capable de vrifier - et ce serait dj beaucoup - le cours de l'analyse, vrifier qu'il y a analyse.

Je dis que la seconde proposition de la passe, celle de 74, est depuis dix-sept ans en attente d'tre prise au srieux. La rvrence que l'on a pour ce texte, qui est aujourd'hui comment dans le monde entier, fait que c'est si sacr qu'on n'ose pas y toucher. C'est si formidable qu'on n'ose pas y toucher. Pour y toucher, pour faire passer a dans la pratique, avec la prudence qui convient, il faut, premirement, ne pas en faire un mode exclusif d'entre - pas plus qu'il n'y a une slection interne selon un seul critre - et, deuximement, que la vrification que comporte la passe soit elle-mme modalise. De telle sorte qu'elle porte non pas seulement sur la fin de l'analyse, mais sur les chances qu'il y ait un jour une fin parce qu'il y a eu un commencement.

Dans la mesure o Lacan a forg cette arme de guerre de l'analyste qui ne s'autorise que de lui-mme, et que a a multipli partout des gens pratiquant l'analyse et appuys sur leur confiance en eux-mmes - et c'est bien a que Lacan visait en 73, puisqu'il tait oblig de prciser: je n'ai pas dit que n'importe qui est l'analyste qui peut s'autoriser de lui-mme - je dis que la pertinence de cette proposition de Lacan est vrifie par le moment historique, et que nous serons les Japonais dignes de ce nom, si nous savons, au mode d'entre par le cartel prvu par Lacan, qui est le mode d'entre par le registre du tout et du plus un - le cartel obit la logique du tout et du plus un - ajouter une entre selon la logique du pas-tout, une vritable entre un par un, selon la pratique de la passe.

Voil. la semaine prochaine.

LA QUESTION DE MADRID

Jacques-Alain Miller

II - Cours du 28 novembre 1990

Ce par quoi j'ai termin la dernire fois a retenu l'attention. Je ne vous en avais pas rserv la primeur. J'avais amen a quelques jours auparavant dans la ville de Madrid, sous forme d'une question. C'est une question qui a t pose Madrid. Quand il faudra que a se rdige, a sera sous ce titre-l. Cette question pose Madrid doit tre reprise, se faire entendre, Barcelone, Paris, Rome, Buenos Aires.

Il y a ce fait que j'ai pos une question, c'est--dire que j'ai demand l'assistance ce qu'elle en pensait: qu'est-ce que vous en pensez? Qu'est-ce que vous diriez de ce qu'une cole prenne au srieux la proposition de Lacan faite aux Italiens en 1973? Est-ce que a vous chanterait, une cole de ce genre-l? Le fait que j'ai pos cette question Madrid et que j'en ai expos le motif, a a donn lieu une discussion qui a d durer trois heures. Le lendemain, je me suis trouv poser la mme question Barcelone, et, l encore, a a prolong les choses jusqu' minuit. Ici, nous n'avons pas les mmes aises, mais j'entends vous poser la question. Ici, a ne peut pas durer jusqu' minuit, a ne peut pas durer trois heures, a ne peut durer que jusqu' trois heures et quart - ce qui veut dire qu'il faudra aller plus vite.

Aprs tout, j'ai fait cours toute l'anne dernire trs tranquillement - pas tout fait au dbut mais par aprs - sur cette question-l: comment est-on admis au banquet des analystes? Ne vous imaginez pas que c'tait dans un souci de contemplation du problme. Il n'y a pas grand chose contempler du banquet des analystes. Donc, aprs avoir arpent a avec vous une anne durant, je suis pass aux travaux pratiques, l'action. Pour moi, la conclusion de mon cours de l'anne dernire, c'est ce petit passage l'acte sous forme d'une question.

Je ne me prcipite pas. Je demande l'avis. Je demande d'opiner sur la mise l'ordre du jour de la proposition que Lacan a crite aux Italiens en 1973, proposition qui n'a pas, ma connaissance, t publie l'poque, et dont il se trouve qu'il m'avait donn le texte tap la machine. Je l'ai donc conserv et je l'ai publi en 1982 dans le numro 25 d'Ornicar?, sous le titre de Note italienne, puisque a n'a pas de titre dans l'original. Cette proposition, je l'ai dj assez ressortie pour que ce soit comment de partout, mais maintenant je demande: qu'est-ce que vous en faites, de cette proposition de Lacan qui est l depuis seize ou dix-sept ans? Qu'est-ce que vous en faites, et est-ce qu' l'un ou l'autre, a vous dit quelque chose? Est-ce que a vous parle? Est-ce que vous le prenez pour vous? Est-ce que vous acceptez de vous en faire destinataire? par del le trio italien qui, peine cette proposition formule, a pris - a a t radical - la poudre d'escampette.

Notre runion d'aujourd'hui fera donc encore partie des hors-duvre, des hors-textes de mon cours de cette anne dont je diffre le commencement pour vous donner la parole. videmment, je ne vous ai pas habitus a. Depuis que je fais ce Cours de L'orientation lacanienne, depuis que j'ai commenc sa deuxime srie qui a dbut en 1981, il m'est peut-tre arriv une ou deux fois de donner la parole la salle. Je ne vous ai donc pas entrans a. Je me suis moi-mme contraint tenir chaque sance, sauf quelques fois o j'ai demand tel ou tel collgue ou camarade de me remplacer cette tribune. Il va donc vous falloir peut-tre un petit temps pour vous dcouvrir. Mais allez-y gaiement!

Quand il y a une proposition, la faon la plus simple de rpondre, c'est d'abord plutt oui ou plutt non. Tout le monde sait normalement dire plutt oui ou plutt non. Dire oui ou dire non, c'est dj plus difficile. D'ailleurs, Lacan fait allusion a dans son texte aux Italiens, puisqu'il invite, un moment, ce que ce soit "voix pour-ou-contre" qui dcide. Dans ces matires, il arrive qu'il faille en venir ce qui est quand mme le minimum de l'expression, savoir le binarisme du signifiant. C'est oui ou c'est non, on lve la main ou on la garde dans sa poche, et puis voil.

Le oui ou le non, c'est videmment trs difficile pour les congnres analystes. C'est trs difficile pour des raisons qu'il faut comprendre, savoir que les psychanalystes, de leur place dans le discours analytique, sont surtout sensibles la modalisation du discours. Ils sont forms a. Ils sont plus forms la modalit qu' l'assertion. Il y a toujours dans le oui et le non, pour un analyste, place pour le soupon du passage l'acte. Dans l'horreur de son acte, que Lacan a diagnostique, il y a chez le psychanalyste une horreur de tout acte, s'il est vrai que l'acte analytique est le comble de l'acte. Il y a une horreur de tout acte pour la raison que l'acte est antinomique l'inconscient.videmment, un passage l'acte, c'est ne rien vouloir savoir de plus. C'est pourquoi le comble du passage l'acte, c'est le suicide. Quand on rpond oui ou quand on rpond non, a veut dire qu'on n'a plus en savoir plus, que le compte est fait. L'analyste et l'analysant sont plutt pris dans la logique d'un "Encore un instant, Monsieur le bourreau!" Tous des Madame du Barry - Encore un instant!

C'est pourquoi priodiquement - si vous y songez - Lacan a d rappeler aux analystes que le loi du signifiant c'est oui et non. Par exemple, la dernire phrase de son Sminaire sur les Noms-du-Pre, celui dont nous n'avons qu'une leon, se termine par une phrase qui dit peu prs: Je crois ne vous avoir jamais donn aucune raison de supposer que pour moi le oui et le non c'est la mme chose. L, dans cette lettre aux Italiens, il y a, avec c'est voix pour-ou-contre qui dcide, un cho de ce Sminaire.

Je dis tout a pour vous mettre l'aise, puisque le minimum de l'intervention, quand il s'agit d'une proposition, c'est oui ou non. Je modalise l'assertion par un plutt oui et un plutt non parce que je ne propose pas de voter l-dessus. Je propose de dlibrer l-dessus, c'est--dire de regarder la question sous ses diffrentes facettes, pour voir si a tient. Est-ce que a tiendrait comme ci ou comme a, sur la pointe, sur le tranchant? C'est, en effet, une affaire d'quilibre. Le mot quilibre figure au dbut de la Note italienne de Lacan. Il s'agit, dit-il, de mettre l'essai un quilibre. Nous ne sommes pas des sauvages. Nous ne sommes pas des brutes - un petit peu, mais enfin. Il s'agit de savoir si a tient.

Il s'agit aussi de savoir pourquoi cette proposition sensationnelle est reste lettre morte depuis dix-sept ans. J'ai dj eu le temps, la fois dernire, dans le dernier quart d'heure, de vous l'indiquer rapidement. Il y a le fait que Lacan lui-mme n'a donn a aucune publicit. Il a t extrmement discret. Il faut essayer peut-tre un point de vue historique pour nous ddouaner nous-mme de notre surdit, c'est--dire considrer le contexte que j'ai rappel rapidement, savoir, premirement, que ce n'est pas encourageant, quand vous faites une proposition trois personnes, que celles-ci se tirent aussi sec. Ca n'encourage pas le proposant. Il y a aussi, deuximement, que le fait de rendre a public, d'essayer de le faire adopter Paris en 1974 - je peux vous le dire parce que j'y tais - a aurait t coton pour Lacan.

C'est rtrospectivement qu'on est ravi de faire rvrence Lacan, parce qu'on s'imagine qu'il ne peut plus rien dire. On est tranquille de ce ct-l. On peut parader comme si on tait adopt par Lacan. Ca ne cote pas cher. Ce n'est pas lui, croit-on, qui va venir dire non. Je n'annonce pas le ghost de Hamlet, mais enfin, le jeu de l'nonc et de l'nonciation rserve quelques surprises. Je pense que si vous relisez maintenant la lettre aux Italiens de Lacan, a vous parlera autrement. Ca aura peut-tre un petit effet quand vous allez la relire: a serait comme si Lacan vous parlait aujourd'hui travers ce texte. Il ne faut donc pas faire trop les malins avec le rapport ou le pacte avec Lacan. Cette histoire-l, a remue encore.

Voil, c'tait pour vous mettre l'aise. Il y a dj une question? Oui? C'est formidable! Est-ce qu'il y a l un micro-baladeur? Non? Je vais donc passer le mien quelqu'un et je vais aller prendre un sige. J'avais d'ailleurs prpar une petite variation sur le sige. Au dbut de son texte aux Italiens, Lacan voque - c'est peut-tre ce qui les a fait fuir - qu'il entendait s'asseoir sur le trio italien pour en faire le sige du discours analytique. Le discours analytique, en effet, a besoin d'un sige - "Prends un sige, Cinna"... et la suite.

Puisque nous n'avons qu'un micro en raison de l'improvisation prsente, je vais le confier la premire personne qui parlera. Je prendrai des notes, je ne rpondrai pas aussitt. Cette personne voudra bien transmettre ce micro la seconde, qui en fera de mme pour la troisime, et ainsi jusqu' la sixime ou septime, ou jusqu' ce que je sois indign un moment donn. Mais je ne le serai pas, je vous l'assure. Donc, je passe le micro. Attention, c'est prcieux, c'est fragile...

ELISABETH DOISNEAU : - Pour ma part, je rpondrai affirmativement cette proposition de Lacan aux Italiens, savoir qu'on entre dans l'cole par la passe. La question que je me pose - et l je serai moins affirmative - c'est celle de la distinction que vous semblez avoir faite, la dernire fois, d'une passe qui serait, non plus une passe menant la nomination d'un A.E., mais qui serait, si j'ai bien entendu ce que vous avez dit, tmoignage d'entre en analyse. C'est cette seconde passe qui me pose question. J'aimerais que vous en disiez un peu plus et que vous disiez quelle autorit elle pourrait avoir dans l'cole.

JEAN-CLAUDE RAZAVET : - Cette lettre aux Italiens, je l'ai souvent lue et relue, beaucoup travaille avec des collgues. Elle m'a appris beaucoup de choses sur la passe, sur l'articulation du discours de l'analyste et du discours scientifique, sur l'horreur de savoir. Mais je dois avouer que je ne l'avais jamais vue sous un jour pareil. Vous nous invitez rflchir, et je dois dire qu' la suite de votre dernier cours, j'ai eu l'esprit la mme objection qu'lisabeth Doisneau. Cette lettre aux Italiens apprend beaucoup de choses sur le moment de la passe, et vous avez vous-mmes, l'anne dernire, apport beaucoup de choses sur ce moment. Je suis donc un peu tonn que l'on parle de la passe pour une procdure qui aurait dire simplement: voil quelqu'un qui a fait une analyse, qui est dans l'analyse, il y a promesse de passe. S'il y a promesse de passe, ce n'est pas la passe. Je suis tout fait sensible - et je l'ai dj dit dans une lettre que j'ai envoye au Conseil - ce qu'on entre dans l'cole en se prtant au dispositif de la passe, mais je peux dire, pour avoir particip aux cartels de la passe, que pour au moins 9/10 des gens que nous avons entendus, il est possible de dire qu'ils ont fait une analyse, mais que l o nous n'avons pas pu nous prononcer, c'est sur la question de la passe - peut-tre parce que nous n'tions pas encore assez forms cette question. Il me semble qu'il faudrait faire attention ne pas dvoyer ce signifiant de la passe. On pourrait inventer un autre terme.

J.-A. MILLER : - Quand on n'y touche pas, on est sr qu'il n'est pas dvoy. Quand finalement il est l dans la naphtaline depuis dis-sept ans, on est tranquille. Que l'cole s'occupe bien que la passe soit dans la bonne voie et que pendant six ans elle produise successivement cinq A.E. peu rsistants, moi, a ne m'enchante pas. Je serai plutt inquiet qu' se servir de la passe comme a, il n'en reste plus rien, et qu'au moment o on la sortira de la naphtaline, elle sera mange aux vers. Vous voyez, je reprends la parole plus vite que prvu.

J.-C. RAZAVET : - On pourrait trs bien concevoir deux passes.

J.-A. MILLER : - Mais vous dites que vous tes tonn qu'on parle de la passe s'il n'y a pas la passe. D'abord, pour savoir si pour un sujet il y a eu le moment de passe ou non, le seul moyen, c'est le dispositif de la passe. D'autre part, il est vrai que le dispositif de la passe se conclut par si oui ou non il y a eu moment de passe. Seulement, la slection est actuellement de un sur dix. Comme il y a eu une pr-slection, c'est mme moins qu'un sur dix. Les autres sont-ils tous pareils? Est-ce qu'entre une personne qui s'est prsente parce qu'elle a lu Freud - elle a trouv a formidable, puis elle a lu Lacan et c'tait formidable aussi, alors elle se prsente la passe - et quelqu'un qui a fait un cycle, un travail analytique important, on ne peut pas penser qu'il y a exactement le mme rapport avec la cause analytique ou avec le moment de la passe?

Madrid comme Barcelone, il y a eu cette objection: Ah mais, il ne faudrait pas appeler a la passe. Je dis tout de suite mon avis: il faut surtout appeler a la passe, et il faut se demander si nous avons bien conu la passe comme Lacan l'avait conue. On peut d'ailleurs la concevoir autrement. a peut tre lgitime. Mais quand mme: est-ce que ce serait venu l'ide des praticiens d'aujourd'hui de mettre la passe l'entre de l'cole? Je n'en suis pas sr. Il faut se demander alors ce qu'tait la passe pour Lacan, quelle tait sa place, quelle tait, dans son systme conceptuel, la place fonctionnelle de la passe, pour qu'il suggre de la mettre l'entre d'un groupe.

C'est peut-tre que la passe n'tait pas ce qu'un vain peuple pense. C'est peut-tre que c'tait, comme Lacan lui-mme le formulait, une preuve de capacit pour savoir si quelqu'un a une chance d'tre en mesure d'apporter quelque chose la psychanalyse, une preuve pour que ce quelqu'un ne pitine pas l'entre, pendant des annes, sous le mur des vieux, et que a lui permette de sauter par dessus ce mur, pour s'assurer que, par exemple, il n'est pas une canaille. C'tait un souci de Lacan concernant l'exprience analytique. C'est aussi, bien entendu, s'assurer du moment de la passe. Il y a l tout un ensemble. Nous pouvons dire que nous, nous savons dj ce qu'est la passe et que l a ne cadre pas. Mais comme la passe - Lacan le note lui-mme - personne n'en avait eu l'ide avant qu'il l'amne, essayons encore aujourd'hui d'tre enseigns par lui, essayons de penser la passe partir du fait que six ou sept ans aprs en avoir amen le concept, Lacan ait suggr d'en faire le principe d'entre des membres de l'cole.

J'admets tout fait que l'on peut discuter. Je comprends tout fait la surprise. Ca prouve bien qu'on a une certaine notion de la passe, et que la proposition de Lacan ne cadre pas avec l'ide qu'on en a. Je propose donc qu'on fasse l'effort de se placer au moment de la proposition de 1973, et qu'on reconsidre le concept de la passe partir de a.

Il y a une objection qui est possible et qui est de dire: il a dit a aux Italiens pour faire partir les trois et pour qu'il n'y ait jamais de groupe italien. Moi, j'ai vraiment considr la chose, et je ne crois pas que ce soit le cas. Je crois qu'il considrait la situation italienne o la psychanalyse n'a pas pris. Bien que la S.P.I. de l'IPA ait trois cents membres, ce qui a vraiment pris, c'est le jungisme. Comme me le disait, il y a quelques annes, un latino-Amricain d'origine italienne, qui n'tait pas analyste - c'tait un banquier - mais qui connaissait son Italie, sa famille: comment voulez-vous que la psychanalyse prenne dans un pays o l'Eglise cette place? C'tait cohrent avec la proposition de Lacan que les vrais catholiques sont inanalysables. De fait, les Italiens sont de moins en moins de vrais catholiques, mais c'est vrai que Lacan voyait bien dj se dvelopper, dans l'Italie de 1973, le ct j'analyse sans tre analys, et que mettre la passe au principe du recrutement d'un groupe, c'tait d'abord pour parer a, pour que d'abord l'exigence de l'analyse pse sur les praticiens de l'analyse.

MARC STRAUSS : - Il y a des antcdents la passe dans l'cole freudienne de Paris, dans l'cole de la Cause, qui font qu'on a plutt tendance fuir. C'est une zone dangereuse pour tout le monde. Il y a des questions que a pose. Il y a un ct plutt oui, parce que a repose des questions sur la passe, en particulier des questions sur la passe comme garantie, la question de la passe comme nomination transitoire. Et aussi sur le fait que la passe a t - vous l'avez voqu un moment - une sorte d'agalma. La discussion que vous venez d'avoir avec Razavet permet d'clairer les choses par ce que a apporte de nouveau. Avec le dispositif que vous proposez...

J.-A. MILLER : - Comment dites-vous? Je vous arrte tout de suite. Je ne propose aucun dispositif. Je mets en discussion la proposition de Lacan. Je demande quelles conditions la proposition de Lacan peut devenir effective. Ce n'est pas une proposition de Jacques-Alain Miller. Si j'en avais une faire, je la ferais. Je mets seulement en discussion ceci: quelles conditions la proposition de Lacan de 1973 peut-elle devenir effective? Peut-elle devenir effective, oui ou non? Va-t-elle le devenir, oui ou non? Si la rponse est oui, comment? Voil ce que je mets en discussion. Je ne propose aucun dispositif, sauf si je ne m'en suis pas aperu. Peut-tre que j'en ai propos un sans m'en tre aperu.

M. STRAUSS : - Votre position de discussion suppose que a serait plus simple de dterminer une entre en analyse qu'une issue.

J.-A. MILLER : - Ah! c'est a que vous pensez tre mon dispositif. Eh bien non, pas du tout. Je vais vous dire, et, l-dessus, c'est trs clair: si j'avais quelque chose a proposer, a serait qu'on rende effective la proposition de Lacan. Il y a beaucoup de faons de la rendre effective, il y a beaucoup d'hypothses pour la rendre effective. Quand Lacan a fait sa Proposition de 67, il avait donn une certaine procdure. Il avait discut avec des personnes et il avait rencontr normment de rsistances. On a cri l'attentat la psychanalyse. A l'poque, c'tait: Attention la fin de l'analyse! La passe va faire du mal la fin de l'analyse! Aujourd'hui, a s'est dplac, et c'est: Attention, on va faire du mal la passe! Il y en a qui ont connu l'atmosphre de 1967-69 autour de Lacan et les cris d'orfraie qu'il y avait: Attention, Lacan va tuer la psychanalyse! Il va tuer la fin de l'analyse! Il va salir tout a! C'est une insatisfaction profonde que cette poque avait prouve, au moment o un certain nombre des lves de Lacan s'taient empresss d'oublier la passe. Ils ont tout fait sauf la passe.

D'ailleurs, j'aimerais bien savoir comment vont faire un certain nombre de personnes qui souhaiteraient prendre une position de grand ou de grand solitaire. Le concept de la passe comme la pointe de l'agalma analytique, la pointe de ce qui est prcieux dans la psychanalyse, n'est absolument pas praticable sans un groupe et sans avoir rsolu les problmes effectifs de l'association entre analystes. S'il y a donc quelque chose qui devrait empcher le narcissisme de la cause perdue, le narcissisme de la solitude, c'est bien la passe. Mais, de fait, dans l'espace analytique, dans tous les pays, il y a toujours une place rserve pour les analystes solitaires, pour ceux qui sont hors de la foule, de ses bruits, hors de la cit mme. Le groupe, ce n'est encore pas assez extraterritorial, il faut vraiment devenir soi-mme une le. Et a tente surtout les elles, bien sr, de devenir une le. Je crois que la passe implique prcisment le groupe, et que nous pouvons nous rjouir qu'aujourd'hui notre souci - je le partage - soit de protger la passe. Ca montre quand mme le chemin parcouru depuis 1967.

Moi, si j'ai quelque chose proposer, ce n'est rien de plus que l'application de cette proposition. Ca veut dire, en effet: la passe, intgralement la passe, avec son oui et son non pour son moment de passe, avec son oui et son non pour la nomination d'A.E., et que peut-tre l'on puisse seulement - c'est trois fois rien - faire en mme temps une autre rponse, qui est: membre de l'cole. Ce qui veut dire que ce ne soit pas des Conseils qui en juge, des Conseils qui sont d'habitude dbords, etc., mais que ce soit au contraire ouvert, et que certaines responsabilits soient prises, non pas partir des informations srieuses qu'on prend sur l'activit du candidat, mais partir de la position du sujet. Je dis qu'une collectivit analytique se recruterait selon ce principe, c'est--dire une collectivit qui arriverait surmonter ce que Lacan crit dans son discours l'EFP: "Le psychanalyste ne veut pas croire l'inconscient pour se recruter", et qu'il pourrait y avoir, pour la premire fois, des psychanalystes qui veulent bien croire l'inconscient pour se recruter, qui se recrutent, non partir de la fin de l'analyse accomplie - on aurait alors un club - mais partir de la passe, partir de la position du sujet.

Je vais dire les choses simplement. Je fais partie du Conseil de l'cole, et j'y suis rest, avec une interruption due la permutation, presque dix ans. Eh bien, j'en ai assez de la faon dont on prend les membres en s'informant sur les activits d'un candidat. Ca suffit! Si a ne change pas, je vais le dire simplement: je m'en vais de ce Conseil. Si a ne change pas, je pense que mes collgues feront exactement la mme chose. Je pense que a sera comme les prisonniers de l'apologue de Lacan: les neuf prisonniers vont s'en aller du mme pas. C'est simplement ce que j'essaie presque de provoquer, et, en tout cas, que ce Conseil lui-mme renonce juger de choses dont on ne peut pas juger.

Si un candidat veut se prsenter au nom de l'activit qu'il dploie, il faut lui laisser une porte ouverte, il faut laisser une porte ouverte au non-analys, au non-analyste, une porte ouverte quelqu'un qui peut apporter, partir de sa discipline ou partir de sa pratique, quelque chose au mouvement analytique. Il doit pouvoir le faire, et il a un Conseil tout fait adapt pour en juger. Mais, mon avis, il serait mieux - a serait plus conforme la logique du discours analytique - que lorsqu'on veut rejoindre le mouvement analytique au-del de sa propre analyse - il y a un certain nombre de personnes qui se mettent y penser partir d'un certain moment - on accepte de se recruter partir de l'inconscient, c'est--dire de faire la passe, la passe unique - il n'y en a pas deux - et qu'il y ait simplement, l'autre bout, des personnes pour l'entendre, des personnes qui puissent modaliser - puisqu'on veut tellement modaliser dans la psychanalyse - le oui et le non, c'est--dire: non, ce n'est pas encore le moment final, ou: oui, d'accord, vous tes membre.

Pourquoi faire en sorte que des gens qui vont s'y prsenter prtendent tre la fin de leur analyse? Ils peuvent aussi s'y prsenter en disant je ne suis pas la fin de mon analyse mais je voudrais quand mme faire la passe. Faut-il qu'il y ait un secrtariat slectionneur qui les empche de faire a? Je ne le pense pas. Je considre que c'est toujours la passe, la passe unique. Si quelqu'un dit: je ne suis pas la fin de mon analyse mais je veux faire la passe, et qu'au jury il y a des gens qui disent: il n'est pas la fin de son analyse mais nous lui donnons quand mme une rponse positive quant son appartenance comme membre, et qu'alors on dise: s'il y a a, ce n'est plus la mme passe, je dis: c'est vous qui le dites, moi je considre que c'est la mme passe. C'est simplement qu'on puisse s'y prsenter sans avoir fini son analyse, et donc qu'il n'y ait pas un secrtariat slectionneur. Il faut une pr-slection mais qu'elle n'empche pas, au nom de cette dclaration, le sujet de se prsenter, et que, au terme, on puisse entendre un oui et pas ce non assourdissant, qu'on puisse entendre un oui, un vritable dignus est intrare. Bien sr, il y aura des gens qui ne seront pas pris.

Les cartels de la passe ou les jurys de la passe sont des instances collectives. Si moi je suis un galvaudeur, le galvaudeur bien connu, eh bien, c'est trs bien: il y a des non-galvaudeurs qui peupleront les cartels de la passe et ils montreront comment, eux, ils ne galvaudent pas ce que moi je suis prt vendre bas prix.

Donc, pour moi, a ne fait qu'une passe. Ca permet de serrer de plus prs, d'tre plus attentif ce qui se dit au dpart et ce qui peut se dire l'arrive, et que ce ne soit pas seulement le oui et le non, mais quelque chose de plus raffin, de plus de got l'occasion, de plus rigoureux, et o ce soit le discours analytique qui soit au poste de commandement. Peut-tre que sur cette lance, nous saurons un peu mieux comment faire pour que nos Associations analytiques, nos coles dont nous sommes si fiers, soient plus conformes l'exprience analytique.

Voil ce qui m'inspire. a suppose que a ne s'impose pas, que a s'offre au dbat. Ca demande un consensus assez profond pour tre ralis. Jusqu' prsent, aucun groupe analytique, jamais, n'est all jusque-l. J'ai le soupon que du ct de Madrid ou de Barcelone, ils en ont plutt envie. Moi, a ne me drange pas du tout que ce soit des Espagnols, des Catalans, qui commencent. Mais j'ai aussi un attachement pour ce qui procde l de l'histoire, depuis la cration de l'EFP par Lacan. J'tais, en 64, le benjamin de cette cole, et j'aimerais bien que ce qui procde directement de cette fondation ne soit pas trop en retard, et que son rapport l'histoire ne soit pas de mettre des freins un peu partout o elle peut.

Actuellement, il se passe quelque chose dans la psychanalyse comme il ne s'en est pas pass depuis un petit bout de temps. En France, c'est encore bas bruits. Il se passe quelque chose et j'aimerais que la contribution de mes collgues franais ne soit pas de chercher par o on peut mettre le frein et de me prendre pour le conducteur d'un train fou. Je ne suis pas le conducteur d'un train fou. Il y a un pilote dans l'avion. Je rsiste justement ce que ce soit dcid dans l'enthousiasme. Un petit peu d'enthousiasme ferait du bien, mais ce n'est pas toujours facile, a ne s'improvise pas. Et il faut encore aller au-del de l'enthousiasme, il faut regarder a avec beaucoup de soins, beaucoup de prcautions, parce que si on augmente la liste des rponses possibles, le refus devient beaucoup plus dur supporter. Aprs tout, ne pas tre la fin de son analyse, eh bien, bon, on continue ou on recommence. Mais qu'est-ce que voudra dire le non partir du moment o on aura tendu l'empire du oui? Ca, c'est un vrai problme. Ce sont des choses laborer. L'ensemble, je le propose l'laboration, je propose que a se mette agiter un petit peu les neurones, c'est--dire, en fait, le dsir.

DANIELE SILVESTRE : - Je ferai l un tmoignage sur la faon de recevoir les demandes d'entre dans l'cole dont tu disais que ce n'tait pas trs satisfaisant. Je voudrais apporter un peu d'enthousiasme a, parce que, finalement, il n'y a pas qu' Madrid et Barcelone que cette proposition fait de l'effet. Elle fait de l'effet ici aussi, puisque, il y a trs peu de temps, j'ai reu, parmi les demandes d'entre l'cole, une demande de quelqu'un qui a au fond devanc les discussions ventuelles qui se produisent ici et ailleurs, puisqu'il m'a dit qu'il ne souhaitait rentrer dans l'cole que dans cette modalit-l. C'est quelque chose qui trouve un cho parmi les gens qui ont envie d'entrer dans l'Colet. Il prcisait - a m'avait frapp - que ce n'tait pas sur ses titres et travaux qu'il avait envie d'entrer dans l'cole. Si vous rflchissez bien a, "titres et travaux", c'est ce qu'on demande pour entrer dans quelque chose qui passe par le discours universitaire. Effectivement, poser le problme d'entre dans une cole de psychanalyse autrement que par les titres et travaux, il n'y a pas trente-six voies possibles. On pourrait rflchir encore longuement, mais je n'en vois pas vraiment d'autres que celle de la passe.

VIVIANE MARINI-GAUMONT : - Danile, en tant que directrice, a fait un tmoignage. Je vais faire le lien, puisque je vais voquer la position de Lacan en tant qu'il tait directeur de l'EFP. Cette proposition de 73 a t suivie, tout de suite aprs, en octobre, d'un congrs Rome, comme si c'tait pour confirmer la lettre aux Italiens, comme si c'tait aussi un cadeau que Lacan voulait faire aux Italiens. Je m'en souviens trs bien, puisque c'tait la premire fois que je votais. J'avais vot du fait de Lacan, savoir que, peu de temps avant, il m'avait annonc, comme a, tout de go, et alors que je n'avais jamais fait aucun travail, que je n'avais produit aucun crit, que je n'avais jamais manifest un travail thorique: "Voil, vous tes membre de l'cole de mon seul fait." Ceci venant quelques mois aprs que j'aie manifest un tat subjectif qu'il a point simplement en disant: "C'est ce qui se passe la fin d'une analyse." Ce fut ma grande surprise, parce que a a dur encore sept ou huit ans, et qu'il a dit pendant sept ou huit ans: "Ce n'est pas encore la fin, ce n'est pas encore la fin." Et pourtant, ce jour-l, il avait dit: "C'est ce qui se passe la fin d'une analyse." Six mois aprs, j'tais devenue membre de l'cole. Voil le tmoignage que j'apporte pour confirmer ce que vous dites.

J.-A. MILLER : - coutez, vraiment, je vous remercie, parce que c'est un tmoignage dont on pourrait faire un paradigme. C'est quand mme un petit peu sot, ou un petit peu simple, l'ide de la fin de l'analyse. Comme Lacan le dit ds les chapitres terminaux du Sminaire XI, il y a des cycles dans une analyse. Comme il le dit dans sa Proposition de 67: "Ca n'est pas qu'une fois." a veut dire qu'on passe et repasse par le mme point avant de pouvoir dire que c'est la passe, que c'est le moment de la passe. Donc, il est fond d'examiner si un sujet est dj pass par un moment dont on peut dire: c'est comme ce qui se passe la fin de l'analyse, et ceci sans que ce soit la fin de son analyse, qui pourra encore durer sept ou dix ans. Ce que vous venez de dire, c'est ce que devrait pouvoir dire un jury de quelqu'un: ce qui a t transmis par les passeurs, c'est quelque chose comme ce qui se passe la fin d'une analyse.

Causons sur ce comme. Le comme, a nous connat. L'inconscient est structur comme un langage. Il y a de quoi causer sur le comme. On peut se dire qu'avec les Italiens, Lacan ne voulait pas qu'ils fassent groupe. En ce qui vous concerne, on peut se dire que c'est parce qu'il voulait que vous continuiez votre analyse. On peut toujours voir a par le petit bout de la lorgnette. Moi, je ne le vois pas par l. Je crois ce c'est comme ce qui se passe la fin de l'analyse. Au fond, ce souvenir, il faut vraiment que je vous remercie de nous le livrer l, en public. Avec ce souvenir, avec ce trait inconnu de Lacan, vous venez de livrer une des rponses possibles, une des indications possibles, pour un jury de la passe, savoir que ce jury apprcie si le sujet a travers un moment comme a.

ESTHELA SOLANO-SUAREZ : - J'ai moi aussi un petit tmoignage prsenter. C'tait une Commission de l'accueil l'Colet o j'ai fonctionn. La diffrence est la suivante. Je recevais des personnes qui aspiraient devenir membres de l'cole, et qui, pour cela, venaient prsenter leur analyse, afin de savoir si c'est une bonne analyse, une analyse qui leur ouvrirait la porte la position d'analyste. Je me suis dit qu'ils avaient l dj fait un pas dans le sens d'une autre modalit, que la modalit est un rapport avec la faon dont le psychanalyste prend sa place dans le rapport qu'il a avec le discours analytique de Jacques Lacan, lorsqu'il rappelle, dans la premire leon des Quatre concepts, que les modalits de recrutement de l'analyste font que les analystes ne peuvent pas accder au principe dialectique qui gouverne l'exprience. Je suis tout fait d'accord pour cette nouvelle modalit de recrutement.

J.-A. MILLER : - Il y a un certain nombre de personnes, parmi les auditeurs de ce cours, qui appartiennent un groupe analytique qui s'appelle l'cole de la Cause freudienne et qui apportent des tmoignages importants. Mais je dis tout de suite que la parole n'est pas rserve aux personnes qui appartiennent ce groupe et qu'elle est d'abord ouverte des personnes qui se trouveraient appartenir d'autres groupes psychanalytiques. Il y en a. Il y a des messagers. Il y a des preneurs de notes appartenant aux diffrentes tendances de groupes analytiques. La parole est peut-tre mme rserve d'abord des personnes qui n'appartiennent pas des groupes analytiques mais qui sont intresses par la psychanalyse, puisqu'elles sont l, et qui peuvent mme tre ventuellement intresses de faon trs proche ce dont il s'agit.

ROSA CALVET : - Quelle est l'ide de cette passe pour les Catalans qui sont l'cole Europenne? On dit toujours qu'une cole, a veut dire qu'il y a de l'inconscient et du transfert. Il me semble que travailler cette possibilit que vous avez propose, c'est de pouvoir faire marcher une institution analytique avec le discours analytique: il y a du transfert et l'inconscient.

J.-A. MILLER : - La personne qui vient de parler est Rosa Calvet. Elle exerce la psychanalyse Barcelone, et elle se trouve, depuis longtemps dj, animer, avec d'autres personnes, un groupe analytique dans cette ville. C'est le groupe d'orientation lacanienne le plus ancien de Barcelone. Il a t cr en 1977 par Oscar Massota qui est celui qui a rpandu et fait connatre l'uvre de Lacan dans les pays de langue espagnole. Ce groupe, qui s'appelait la Bibliothque Freudienne de Barcelone, s'est dissout le 18 novembre dernier, en mme temps qu'un autre groupe, afin que ses membres adhrent une autre cole qui s'appelle l'cole Europenne de Psychanalyse. Je note, parce que a m'a vraiment frapp, que la Bibliothque Freudienne de Barcelone est le groupe qui possde la plus grande bibliothque de psychanalyse en Espagne. Ce qui m'a aussi beaucoup frapp, c'est que ses membres ont dissout leur groupe alors qu'ils ne sont pas encore pris comme membres l'cole Europenne de Psychanalyse qui, ayant des statuts encore incertains, ne veut pas prendre de membres. Donc, avant mme de figurer sur la liste d'un groupe, ils ont accept de dissoudre leur propre groupe qui est certainement le plus auguste. Je dois dire que c'est l un acte qui n'a pas t fait par des gens qui calculent ou qui, en tout cas, ne calculent pas au petit pied. J'en rends volontiers hommage Rosa Calvet.

PIERRE STRELISKY : - Je dirai oui un mode de recrutement qui serait fond sur l'inconscient plutt que sur les titres et travaux. Mais comme je suis dj membre, je vais passer le relais mon voisin, Jean-Louis Gilles, qui a la chance de ne pas tre encore membre.

JEAN-LOUIS GILLES : - Ma question porte sur les praticiens et les non-praticiens. Dans les non-praticiens, il y a les non analyss et les non-analystes. Vous avez parl des analystes non analyss. Je voudrais que vous parliez des analyss non-analystes.

J.-A. MILLER : Par analyss, vous entendez ceux qui ont fini leur analyse sans tre analystes au sens de praticiens?

J.-L. GILLES : - C'est a.

J.-A. MILLER : - Ceux-l peuvent mme tre nomms A.E. C'est l que le terme d'analyste introduit des confusions, dans son usage, dans sa langue. L'usage peut suivre ou pas. C'est donc une remarque rudite que je fais. D'ailleurs, nous nageons aujourd'hui dans l'rudition. Dans son usage, le mot d'analyste tait quand mme distinct de celui de praticien. Toute l'ide de la passe chez Lacan est justement de penser qu'on pouvait disjoindre le fait de praticien de l'analyse et un certain tre de l'analyste. Il faut discuter a.

Ce qu'il y a d'amusant, c'est que l les positions sont inverses, parce que Lacan a eu longtemps un point de vue fonctionnaliste sur l'analyste, c'est--dire: j'appelle analyste celui qui fonctionne comme a. D'une certaine faon c'est vrai, mais il faut mettre de la dialectique dans tout a. Ca voulait dire: ne vous prenez pas pour la cause du dsir, ne faites pas d'interprtations avec. "Le poumon, le poumon, le poumon!", comme dit Toinette dans le Malade imaginaire. Lacan entend l l'analyste en tant qu'il fonctionne une certaine place. Mais il n'empche - et c'est toute l'ide de la passe - que la psychanalyse produit une mutation "dfinitive": un sujet analys et un sujet qui ne l'est pas, ce n'est pas le mme type de sujet.

On peut discuter a, on peut se demander si c'est rversible. On se demandait a pour la forclusion: est-elle rversible? La passe est-elle rversible? Ce n'est pas impossible. En plus, il y a un certain nombre de phnomnes - c'est bien connu - et mme de phnomnes post-analytiques, qui tiennent la prsence de l'analyste. Quand c'est de la suggestion pure et simple, on peut vrifier a: le sujet va bien quand il va voir l'hypnotiseur ou le suggestionneur, et s'il arrte de le voir, hop! tous les symptmes reviennent. Pour la suggestion, c'tait connu dj du temps de Mesmer. C'tait des objections que l'on faisait dj au XVIIIe sicle Mesmer, savoir que a demandait le rapport en prsence de l'oprateur. Je m'excuse mais je dois dire que l'on a constat aussi des phnomnes comme a dans la psychanalyse, et pour la bonne raison que le transfert est une version, une laboration. Elle est certainement mise distance mais il reste quelque chose de la suggestion. Quand Lacan, dans son Graphe deux tages, distribue suggestion et transfert, il met suggestion en bas et transfert en haut, des places comparables, en disant que le transfert trouve l son fondement. Quelques annes plus tard, il n'hsite nullement dire que le transfert se motive dj suffisamment de la primarit signifiante du trait unaire. C'est dire que le transfert est l impliqu par le minimum du signifiant.

Alors, qu'est-ce que vous voulez que je pense? quand il y en a qui se prsentent pour nous expliquer que la passe c'est la fin du transfert et qu'aprs on passe hors transfert, genre chat qui s'en va tout seul. En effet, quand on croit a, on devient un chat qui s'en va tout seul, selon l'expression de Kipling. Les chats qui s'en vont tout seuls, ils s'assemblent, comme a, de temps en temps, le soir, autour d'une poubelle. C'est une forme d'cole. Une cole, a n'est qu'une vaste poubelle. Je le regrette pour eux. Je regrette qu'ils n'aient pas mieux lu Lacan. Ca m'inquite beaucoup de penser que la passe ait parfois t dans les mains de gens qui n'avaient pas bien lu Lacan. On va me dire qu'on peut le lire comme ci et comme a. Moi, je n'ai pas ce point de vue-l. On peut le lire comme a ou comme ci, mais il faut encore le dvelopper, il faut encore que a tienne le coup suffisamment longtemps. Puisqu' l'occasion on m'impute de dfendre l'infinitisation du transfert, eh bien, que l'on m'explique comment ou en quoi peut-on penser que le transfert revient zro. Je dis que c'est impossible. Et je le dis d'une faon d'autant plus assure que je ne fais que rpter Lacan une fois de plus. D'ailleurs, c'est ma vocation: je rpte Lacan. Je me suis simplement aperu que quand on le rptait un certain moment, sur un certain ton, dans un certain contexte, a faisait entendre d'une autre faon ce qu'il avait dit. Moi, a me suffit dans l'existence. Je ne cherche pas avoir ma voie propre. Je suis un suivant de Lacan. Ca me suffit.

L'usage que comporte la passe, c'est que l'on puisse distinguer l'tre de l'analyste et le praticien, que donc on puisse tre nomm A.E. sans tre praticien de l'analyse. Ca va loin, et Lacan l'a impos l'poque son cole. Ca a fait un scandale. Ca a fait scandale parce qu'il a impos la nomination d'un qui ne pratiquait pas l'analyse. Donc, il faut faire attention quand Lacan dit que les non-analystes c'est que les autres sont des analystes. On comprend a compltement de travers, comme s'il y avait l deux classes disjointes.

La question, c'est qu'il faut qu'opre, dans une cole, le soupon, c'est--dire la question: est-il analyste ou ne l'est-il pas?, et que ce soit une question au travail. Dans une cole qui rpond au paradoxe de Russell, bien sr qu'on ne peut pas faire la sgrgation des analystes d'un ct et des non-analystes de l'autre. Alors on va en nommer quand mme quelques-uns Analystes de l'cole. Pourquoi? C'est quand mme pour que a tire un peu les choses en avant, qu'on se dise qu'il y en a certains pour lesquels on arrive fermer les yeux sur le ct par o ils sont des non-analystes. Il faut bien qu'ils soient des non-analystes par quelque ct, par exemple pour l'ouvrir. Sans a, on va avoir une cole de muets. Et puis, il faut quand mme aussi, dans une cole, qu'on enseigne, et, quand on enseigne, on est non-analyste. Quand on enseigne d'une certaine faon, on est analysant.

Ici, je me laisse aller. Je me laisse aller certains moments, en prenant des risques, comme aujourd'hui, o je suis la merci de glisser dans un lapsus. Je suis la merci d'en dire plus que je ne voudrais. C'est l que je considre que quand mme, dans la psychanalyse, on peut aller beaucoup plus loin que l'art de la prudence traditionnelle, l'art de la prudence traditionnelle tel qu'il se rencontre chez Baltasar Gracian. Le grand prudent, l'homme de cour, le raffin, il doit parler peu. L'analyste en exercice en donne l'exemple: il faut qu'il mesure ses paroles, il n'a aucune ide de ce qu'un mot qui lui viendrait pourrait avoir comme cho pour celui qui l'coute. l'occasion, c'est celui qu'il laisse passer qui se trouve faire effet d'interprtation ou d'insurrection chez l'analysant. Mais je crois que le prudent moderne doit parler. videmment, c'est beaucoup plus difficile de continuer d'tre le prudent tout en parlant beaucoup. Si vous surveillez chaque mot, si vous crivez tout l'avance et que vous lancez quelques phrases nigmatiques, c'est plus facile. Mais ce n'est pas du jeu. La question, le difficile dans ces affaires, c'est de parler beaucoup - autour, videmment, du silence fondamental. En tout cas, c'est ce que je prends comme orientation.

MARGA MEDELENKO : - J'ai pens plutt - vous l'avez signal mercredi dernier et aujourd'hui encore - l'importance de prendre cette lettre aux Italiens, non comme une unit en soi, mais comme faisant partie d'un processus, c'est--dire la lire pour claircir l'Acte de fondation et la Proposition de 67. Je me demandais s'il n'y avait pas chez Lacan, au moment de sa Note italienne, la volont de signaler quelque chose ici en France.

J.-A. MILLER : - Il faut bien dire que ce qu'il signalait en France l'poque, ils en avaient peine besoin. A peine Lacan disparu, Lacan qui soutenait tout ce monde-l de sa voix - je parlais de ce qui est ncessaire pour soutenir les choses de la prsence -, on les a vus, tous, ou presque, effacer la Proposition de 67, c'est--dire venir nous expliquer qu'ils n'arriveraient pas faire leurs groupes de merde s'ils introduisaient la passe. Ils ne se sont pas dit que peut-tre leurs groupes taient constitus de faon fautive puisqu'ils sauteraient si la passe y tait introduite. Ils se sont dit, pour garder leurs petits empires de souverainet, que s'ils introduisaient la passe, eux, comme notables, passeraient tout de suite la trappe, ou n'arriveraient pas contrler a comme ils le souhaitaient. On a donc vu, aprs la dissolution de l'EFP, de faon honte, toute cette bande de petits notables fabriquer son petit espace, et surtout dire: Non! la passe empcherait notre institution de fonctionner. Et ce sans se poser une seule fois la question si ce n'tait pas la condamnation analytique mme de leurs institutions qu'ils prononaient ainsi.

L, en effet, dans l'histoire de la psychanalyse, la place de l'cole de la Cause freudienne est distingue. C'est un privilge qui ne tient pas une adoption. C'est un privilge de travail. Tout tait fait pour que la passe puisse y fonctionner et soit compatible avec l'existence d'un groupe organis. Alors, il y a tel ou tel groupuscule qui a essay de faire un petit peu pareil, quasiment sans nominations, etc. Ne parlons pas des clowns, ceux qui ne voulaient pas de la passe pour garder en main leur institution. Qu'on regarde le statut de ces groupes, des groupes analytiques franais, qu'on fasse une tude comparative de ces statuts et qu'on constate ceux qui sont visss double-tour, visss de la mme faon dont on me reprochait de l'avoir fait il y a dix ans. Eh bien, celui-l mme qui me reprochait de faire a, regardez comment son groupe est constitu, et demandez-vous pourquoi, dans les annuaires de ces groupes-l, les statuts ne figurent jamais. Dans l'ECF - rendons-lui a - a a t maintenu. C'est l que l'on voit que Lacan a t un prcurseur. Qui aurait song appliquer la Note italienne de 73 alors qu'on pitinait la Proposition de 67 ?

Je marque l un petit peu de colre. Il faut croire que c'est chaque fois comme a en dbut d'anne. Je promets que cette anne je ferai un cours de psychanalyse, et que a, a fait partie du hors-texte.

ERIC LAURENT : - La passe, il me semble, est entre dans un dbat au sein de ce groupe analytique de l'cole de la Cause freudienne, depuis un an et de faon trs insistante. a a permis de gagner sur des zones qui restaient obscures, en particulier de recentrer cette passe sur ce qui peut se transmettre de la psychanalyse en chassant toute conception initiatique.

considrer, telle qu'elle se prsente, cette Note italienne, six ans aprs la Proposition de 67, il me semble que l'on voit que c'tait pour Lacan l'occasion de relancer, dans son cole mme, ce qui tait en jeu dans la passe, et ceci en examinant nouveau la disjonction de la passe et de la fin de l'analyse. Il y a eu beaucoup de faons d'utiliser cette disjonction entre passe et fin d'analyse. Cette distinction est prsente dans le texte, quand Lacan voque un deuil de l'objet a qui dure. Il reprend une formule homologue ce qu'il a pu dire autrefois: "le dur dsir de durer". L, ce deuil dure.

Il y a une faon de disjoindre cette passe de la fin de l'analyse qui serait d'abord de dire que la passe serait ce qui n'aurait pas pu se dire dans l'analyse, et que le dernier mot de l'analyse elle-mme ne viendrait que de la passe. C'est l que la passe serait le dernier mot dire - avec une tentation, celle de faire durer trs longtemps ce dernier mot, sur le principe gnral du "Encore un instant, Monsieur le bourreau".

Cette disjonction entre passe et fin de l'analyse, si elle est cruciale dans le dispositif, on la voit se reporter en amont, pour savoir si avant la fin, il y a des moments comme la passe, s'il y a enclenchement ou pas. Ca redonnerait un sens ce terme de passant quelquefois un peu compact. Il me semble que a remettrait sur ses pieds la bonne faon d'articuler cette disjonction, et que a rinterrogerait le lien entre recrutement et congnre, la faon dont le terme mme de recrutement est accol celui de congnre. C'est une question lancinante chez Lacan; comment faire fonctionner un recrutement sur un tout autre critre que la pratique?

FRANZ KALTENBECK : - La redcouverte de ce texte est certainement un vnement. Il va de soi que je dis oui sans rserves, mais je voudrais donner a une ou deux raisons. La premire, c'est que je trouve que cette nouvelle ouverture de la pass