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LA QUESTION DE TAHMIS AL-BARBAR Le peuple arabe avait introduit, dans ses diverses conquêtes territoriales, des foules d'hommes variés. Plus que les Berbères, les Arabes gardent le souvenir et l'orgueil de leur clan, se glorifient d'être de Quraysh, de Mudar, de Rabî c a, de Qahtân, de Qudâ c a etc. La lutte contre les byzantins et les Berbères hérétiques avaient exaspéré cet orgueil. Les textes coraniques et la tradition, avec ses thèmes de fraternité et de justice, devaient en réalité amorcer un rapprochement entre tous les Musulmans de tout bord, sans ségrégation raciale, surtout que le Maghreb est issu d'une conquête au nom de l'islâm. Observons tout d'abord deux phénomènes: l'implantation des Arabes et les différentes politiques opérées par les gouverneurs vis-à-vis des Berbères. Les premières incursions arabes, sont restées des raids de reconnaissance. Ils n'avaient laissé que de maigres empreintes et de témoignages de leur occupation, même si elles avaient permis à un nombre faible de familles arabes, venues avec l'armée, de s'installer. Le Maghreb a vu des vagues successives d'immigrants arabes, surtout après la constitution de la wilaya d'Ifrîqiya, déferler et grossir la présence arabe. Cela était indispensable aux gouverneurs du calife, délégués pour administrer la nouvelle province de l'empire, puisque les révoltes berbères, sous forme de représailles contre les arabes, ont vidé et stoppé leur immigration. Quand Mûsâ b. Nusayr est arrivé en Ifrîqiya, il avait constaté ce désastre, puisque les centres et les bourgades des Musulmans étaient en ruine et vides d'habitants (1). Pour combler ce vide, il avait fait venir d'orient de nouveaux immigrants arabes et persans. Ces immigrants arabes se sont installés, tout en créant de nombreux centres urbains, en particulier (Beni Tamîm, Zarûd, Beni Jerîr, al-Munya, al-Ansârîn...) (2). Les Arabes de la conquête étaient formés de deux composantes connues sous le nom de Mudarite ou Qaysite d'une part et les Arabes du sud nommé Kalbite ou Yamanite d'autre part. Entre les deux, il y avait des conflits tribaux permanents que la poésie arabe avait décrits. Avec l'islâm et sa tendance unitaire, ils se sont trouvés côte à côte dans la guerre sainte. Les branches Yamanites étaient les premières, puis les Qaysites. Toutes les deux ont profité des avantages de la conquête, tout en formant un groupe social, qui tire sa supériorité de l'action militaire et la domination de la scène politique. Ils ont bénéficié de salaires fixes en temps de paix comme de guerre (Diwân al-jund), de fay' et de la mise en place d'un entourage de Mawâlî (3). Les deux fortes personnalités de la résistance berbère: Kusayla et la Kâhina, ont mis en échec les Arabes. Malgré leur combativité, et même si la défaite des Berbères était cuisante, ils ont montré, par ces luttes, aux arabes deux capacités: celle de repousser la domination étrangère et la possibilité du rassemblement des tribus derrière un chef. De ce fait, les hésitations et les ambiguïtés du traitement des berbères, malgré la volonté d'islamisation et d'intégration affichée chez tel ou tel chef militaire arabe, ont laissé les berbères, en fin de compte, à l'état de populations de second rang. En effet, deux politiques se croisent au moment des campagnes militaires: la politique d'une conquête par les armes, où la pacification devait être menée rudement, sans concession, son premier chef de file était c Uqba b. Nâfi c , suivi par Târik b. Ziyâd. La deuxième est la conquête par conciliation et l'intégration des berbères, amorcées pour la première fois par Abû al-Muhâjir Dinâr, l'ami et allié de Kusayla, suivi par Hasân et Mûsâ b. Nusayr. Avec les deux califes Sulaymân b. c Abd al-Mâlik (79 H/ 698 - 95 H/ 714) et c Umar b. c Abd al- c Azîz (99 H/717 - 101 H/ 720), la tentative d'une politique juste dans le domaine fiscal était observée, en particulier par le gouverneur Muhammad b. Yazîd. Pour retrouver un événement du comportement des gouverneurs arabes et le changement du traitement des berbères très importants et dignes d'être souligné, il faut remonter à la wilaya du gouverneur Yazîd b. Abî Muslim. Il s'agit de la constitution d'une garde personnelle des berbères Butr, malgré leur utilisation (H idmat al- c âmil) à des fins administratives et sécuritaires, ce gouverneur a déclaré qu'il mettrait un signe distinctif (Washm -Tatouage) à ces gardes berbères, comme le faisaient avant les Rûm. Il avait tatoué la main droite, en mettant le nom de l'homme et dans la main gauche, le nom de sa fonction pour les distinguer. Ce traitement allait lui coûter

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Le peuple arabe avait introduit, dans ses diverses conquêtes territoriales, des foules d'hommes variés. Plus que les Berbères, les Arabes gardent le souvenir et l'orgueil de leur clan, se glorifient d'être de Quraysh, de Mudar, de Rabîca, de Qahtân, de Qudâca etc. La lutte contre les byzantins et les Berbères hérétiques avaient exaspéré cet orgueil. Les textes coraniques et la tradition, avec ses thèmes de fraternité et de justice, devaient en réalité amorcer un rapprochement entre tous les Musulmans de tout bord, sans ségrégation raciale, surtout que le Maghreb est issu d'une conquête au nom de l'islâm.

Observons tout d'abord deux phénomènes: l'implantation des Arabes et les différentes politiques opérées par les gouverneurs vis-à-vis des Berbères.

Les premières incursions arabes, sont restées des raids de reconnaissance. Ils n'avaient laissé que de maigres empreintes et de témoignages de leur occupation, même si elles avaient permis à un nombre faible de familles arabes, venues avec l'armée, de s'installer. Le Maghreb a vu des vagues successives d'immigrants arabes, surtout après la constitution de la wilaya d'Ifrîqiya, déferler et grossir la présence arabe. Cela était indispensable aux gouverneurs du calife, délégués pour administrer la nouvelle province de l'empire, puisque les révoltes berbères, sous forme de représailles contre les arabes, ont vidé et stoppé leur immigration. Quand Mûsâ b. Nusayr est arrivé en Ifrîqiya, il avait constaté ce désastre, puisque les centres et les bourgades des Musulmans étaient en ruine et vides d'habitants (1). Pour combler ce vide, il avait fait venir d'orient de nouveaux immigrants arabes et persans.

Ces immigrants arabes se sont installés, tout en créant de nombreux centres urbains, en particulier (Beni Tamîm, Zarûd, Beni Jerîr, al-Munya, al-Ansârîn...) (2).

Les Arabes de la conquête étaient formés de deux composantes connues sous le nom de Mudarite ou Qaysite d'une part et les Arabes du sud nommé Kalbite ou Yamanite d'autre part. Entre les deux, il y avait des conflits tribaux permanents que la poésie arabe avait décrits. Avec l'islâm et sa tendance unitaire, ils se sont trouvés côte à côte dans la guerre sainte. Les branches Yamanites étaient les premières, puis les Qaysites. Toutes les deux ont profité des avantages de la conquête, tout en formant un groupe social, qui tire sa supériorité de l'action militaire et la domination de la scène politique. Ils ont bénéficié de salaires fixes en temps de paix comme de guerre (Diwân al-jund), de fay' et de la mise en place d'un entourage de Mawâlî (3).

Les deux fortes personnalités de la résistance berbère: Kusayla et la Kâhina, ont mis en échec les Arabes. Malgré leur combativité, et même si la défaite des Berbères était cuisante, ils ont montré, par ces luttes, aux arabes deux capacités: celle de repousser la domination étrangère et la possibilité du rassemblement des tribus derrière un chef. De ce fait, les hésitations et les ambiguïtés du traitement des berbères, malgré la volonté d'islamisation et d'intégration affichée chez tel ou tel chef militaire arabe, ont laissé les berbères, en fin de compte, à l'état de populations de second rang.

En effet, deux politiques se croisent au moment des campagnes militaires: la politique d'une conquête par les armes, où la pacification devait être menée rudement, sans concession, son premier chef de file était cUqba b. Nâfic, suivi par Târik b. Ziyâd. La deuxième est la conquête par conciliation et l'intégration des berbères, amorcées pour la première fois par Abû al-Muhâjir Dinâr, l'ami et allié de Kusayla, suivi par Hasân et Mûsâ b. Nusayr.

Avec les deux califes Sulaymân b. cAbd al-Mâlik (79 H/ 698 - 95 H/ 714) et cUmar b. cAbd al-cAzîz (99 H/717 -101 H/ 720), la tentative d'une politique juste dans le domaine fiscal était observée, en particulier par le gouverneur Muhammad b. Yazîd.

Pour retrouver un événement du comportement des gouverneurs arabes et le changement du traitement des berbères très importants et dignes d'être souligné, il faut remonter à la wilaya du gouverneur Yazîd b. Abî Muslim. Il s'agit de la constitution d'une garde personnelle des berbères Butr, malgré leur utilisation (Hidmat al-câmil) à des fins administratives et sécuritaires, ce gouverneur a déclaré qu'il mettrait un signe distinctif (Washm-Tatouage) à ces gardes berbères, comme le faisaient avant les Rûm. Il avait tatoué la main droite, en mettant le nom de l'homme et dans la main gauche, le nom de sa fonction pour les distinguer. Ce traitement allait lui coûter

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la vie en 102 H/ 720-21(4). Abû Yazîd b. Abî Muslim, au dire d'al-Nuwayrî avait pris la résolution de suivre ce système en Ifrîqiya, en imitant la politique du célèbre al-Hajâj vers les musulmans (cÂma) de l'Irak, qui selon lui descendaient d'ancêtres tributaires. De ce fait, al-Hajâj les obligeait à payer la capitation, comme ils le faisaient avant leur conversion à l'islâm (5).

La conversion à l'Islâm n'avait pas empêché cUmar b. cAbd Allâh al-Murâdî et Abû Yazîd b. Abî Muslim de considérer les Berbères comme butin acquis aux musulmans arabes. Le prélèvement habituel sur les biens (6) et humiliation des gardes ne peut que conduire à une révolte qui voyait la grandeur, le clan et le privilège de l'arabe mis à l'honneur.

Le texte d'al-Tabarî est l'un des témoignages qui montre bien à quel point la division et la fracture était profondeentre les Arabes et les nouveaux convertis berbères au Maghreb, où l'idéal de l'islâm était loin d'être appliqué par les gouverneurs de la wilaya. Maysara al-Mataghrî, chef de file des révoltés berbères avait pris le chemin de l'orient, à la tête d'une délégation d'environ une dizaine de personnes, pour porter à la connaissance de Hishâm b. cAbd al-Malik (105 H/724 - 125 H/743), leur situation humiliante au Maghreb. Après plusieurs tentatives pour avoir une audience, ils ont chargé al-Abras de porter leur message au calife, ce message était une véritable accusation à l'ensemble de l'institution califale, puisque les berbères étaient exclus du butin, bien qu'ils soient dans les premières lignes lors des sièges des villes. Le message explique que les arabes "se mirent à éventrer les brebis pleines à la recherche des fourrures blanches des fétus destinés au Prince des Croyants, mais tous ces faits étaient supportés, jusqu'à ce que les gouverneurs et les arabes ont poussé l'humiliation à l'enlèvement des jolies filles berbères pour les envoyer en Orient (7).

Abû Muslim et cUmar al-Murâdî ont excité les Berbères qui ont embrassé l'islâm. La révolte berbère n'était pas contre la religion musulmane (8), mais contre l'application des lois de la dimma par les gouverneurs au nom d'une autorité suprême (9). Il n'est pas surprenant que les berbères se révoltent contre l'autorité des gouverneurs, qui, depuis la conquête arabe, ont délivré un message d'égalité entre les musulmans au sein de la communauté et l'égalité devant la loi religieuse (devoirs et obligations). Mais, dans la réalité, les nouveaux convertis se sont trouvés devant une double fiscalité: d'une part les impôts légaux (Sadaqât) et les dîmes (cUshûr) et le quint (Tahmîs al-Barbar) instauré par certains gouverneurs qui considèrent les berbères comme le bien (Fay') des musulmans, même si le quint est réservé aux communautés qui n'ont pas répondu à l'appel de l'islâm (Yuhammisûna man lam yujib li-al--Islâm) (10). Ainsi, les jund arabes ont enseigné aux berbères ce qui est licite et illicite (Harâm wa halâl) dans l'islâm et à ne pas faire des dépassements aux principes religieux (cAdam tajâwuz hudûd al-dîn) tout en appliquant une politique basée en grande partie sur les rapports de force. C'est sur ce dernier point que le kharijisme allait intervenir pour modifier la donne politique et sociale.

La doctrine kharijite, apportée de l'Irak, son berceau, par des réfugiés arabes, allait transformer ces luttes contre l'injustice en une lutte pour l'indépendance des berbères vis-à-vis de l'orient (11). Avec la révolte de Maysara al-Mataghrî au nom du kharijisme, les berbères ont trouvé une doctrine élaborée pour faire face aux arguments de l'institution califale.

(1)-N: Le texte d'Ibn Sabbît, trad., par ABDUL-WAHHAB, coup d'œil général sur les apports ethniques en Tunisie, dans R.T., N° 123, juillet 1917, p., 310, note 1, informe que: «al-Walîd écrivit à son oncle cAbd al-cAzîz (en Egypte) l'invitant à envoyer en Ifrîqiya Mûsâ b. Nusayr, c'était en l'année 88 H. Mûsâ trouva la plupart des cités vides (d'arabes) par la suite des représailles des Berbères. Il fait venir des Arabes et des persans de différentes conditions».(2)-ABDUL-WAHAB H. H., Coup d'œil générale ..., op. cit., p., 310.(3)-MAHMÛD Ismâcîl, Qadâyâ fî al-târîh..., op. cit., pp., 111 sq.(4)-IBN cABD AL-HAKAM, Futûh..., op. cit., pp., 88-89.-N: MARMOL C., informe sur une tradition des Zawâwa de l'Algérie orientale, peuple fier de ces origines chrétiennes, cette tradition consiste à faire un tatouage (Washm) à l'aide d'un fer sous forme d'une croix (Salîb) sur la joue où la main, afin de ce faire distinguer par ce signe des autres peuples en se référant à leur origine chrétienne consciente ou inconsciente. Marmol ajoute à titre d'explication, que cette tradition leur vient des Romains, puisque ces derniers ont demandé à tous les Chrétiens du pays berbère de porter un signe distinctif sous forme de croix, afin de permettre au percepteur d'impôt l'exercice de son travail en toute facilité, toute en évitant les déclarations fausses des non-chrétiens pour échapper à cet impôt. Mais avec l'arrivée des Arabes et l'Islâm, les Zawâwa avaient continué de porter ce signe distinctif avec bien d'autres, comme le faisaient les filles des nomades pour leur beauté. MARMOL C., L'Afrique, éd., et Trad., par HAJJI Mohamed et autres, édit., Librairie al-Macârif, T., I, 1984, p., 94.(5)-AL-NUWAYRÎ, Appendice..., op. cit., p., 356.

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(6)-Ibid., p., 356.(7)-Texte traduit par TALBI Mohamed, L'indépendance du Maghreb, dans Histoire général de l'Afrique, V., III, UNESCO, 1990, p., 275.(8)-AL-NUWAYRÎ, Appendice..., op. cit., p., 357.(9)-AL-NUWAYRÎ, Appendice..., op. cit., p., 357.(10)-IBN cIDÂRÎ, al-Bayân..., T., I, op. cit., pp., 51 sq.-AL-NUWAYRÎ, Appendice..., op. cit., p., 356.(11)-IBN KHALDÛN cAbderrahmân, Histoire des Berbères...., T., I, pp., 216 sq. L’auteur farouchement opposé au kharijisme il nous dit: «de tous côtés, ces aventuriers recrutèrent des partisans parmi les berbères de la basse classe et leur enseignèrent les croyances hétérodoxes qu'ils professaient eux-mêmes. Habile à déguiser l'erreur sous le voile de la vérité, ils parvinrent à répandre dans le peuple les semences d'une hérésie...».

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LES ETRANGERS DU GEOGRAPHE AL-YA'QUBI EN IFRIQIYA

La campagne arabe à caractère militaire était accompagnée d'une organisation de la fiscalité d'Etat, au profit de l'orient, comme le soulignent nos sources. Sûrement depuis l'expédition de Hasân b. al-Nucmân, l'Ifrîqiya a été dotée officiellement d'un bureau d'impôt et de listes de la dimma. Le premier qui a fait allusion à la nouvelle situation de la chrétienté en Ifrîqiya est le chroniqueur Egyptien Ibn cAbd al-Hakam (803/871), en traitant de la taxe de capitation, il nous signale que vers 695, le gouverneur d'Ifrîqiya avait imposé un impôt sur les cAjamd'Ifrîqiya (1).

Deux remarques s'imposent à propos du terme de la taxe de capitation et celui de cAjam(étrangers).

1-La taxe de capitation, est un impôt coranique imposé aux non-musulmans, en particulier aux juifs et aux chrétiens -les gens du livre- comme on les appelle dans la terminologie juridique du fiqh-. Les chrétiens étaient dans l'obligation de payer une somme d'argent au fisc. Cette taxe touchait chaque personne, sans distinction, et quel que soit son rang social au sein de son groupe communautaire, c'est-à-dire que les religieux de la communauté minoritaire ne faisaient pas exception à la règle générale (2). Le paiement du kharâj ou de la jizya était considéré comme une contribution de la minorité aux efforts de la majorité. L'impôt était le prix de la protection de ces groupes (les étrangers à l'Umma) et de leurs biens à l'intérieur du territoire de Dâr al-Islâm. Mais nous pouvons voir aussi dans cette contrainte financière un moyen de pousser à la conversion, en particulier les couches de la société berbère, les moins attachées au christianisme (3).

Dans le contexte historique de la conquête, il nous semble que l'impôt sous ces différentes formes était un fait pesant dans les relations entre les musulmans et les chrétiens du Maghreb, mais son application n'était pas permanente à cause du retour en Orient des conquérants, soit par un traité de paix (Kharâj sanawî), comme dans la première expédition ou à cause des défaites militaires comme dans le cas de la deuxième expédition d'Uqba b. Nâfic. Donc conquête et la reconquête byzantino-berbères étaient deux faits qui ont rendu les prélèvements des impôts instables et non durables en Ifrîqiya au moins dans la période du VIIe et le début du VIIIe siècle. Mais nous considérons que ces efforts d'organisation fiscale étaient le début d'un impôt permanent. Il allait augmenter avec la mise en place des pouvoirs semi-indépendants et indépendants en Ifrîqiya, ainsi que la naissance d'un noyau de société musulmane qui distingue les communautés chrétiennes du sol de l'Ifrîqiya et les considère comme des étrangers. Peut-être l'importance que les sources arabes accordent aux réformes de Hasân b. al-Nucmân, avec peu de détails, ne nous permet pas de voir une continuité chronologique chez ses successeurs en Ifrîqiya.

2-Les cAjam (étrangers) d'Ibn cAbd al-Hakam (4) posent des interrogations d'ordre historique et linguistique. Les historiens du Moyen-Age s'accordent à dire qu'ils étaient des Rûms et des Africains romanisés, ainsi que des Berbères fidèles au christianisme (5).

A combien s’élevait le chiffre des Rûms, des Africains romanisés? Aucun chiffre, même approximatif, mais ces étrangers d'Ibn cAbd al-Hakam liés à la foi chrétienne montrent que le christianisme était un facteur de classification sociale dans la nouvelle société, et que la survie était dans les deux groupes de l'ancienne Afrique du Nord. De ce fait, l'administration fiscale avait géré des registres de tributaires (Dimmî), qui refusait de renier leur religion, quelle que soit leur appartenance tribale ou raciale, sans aucune possibilité d'accéder à des fonctions

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d'autorité publique, même si le poste de percepteur d'impôt a été souvent entre les mains des chrétiens comme Ibrâhîm al-Nasrânî à Barqa en 697 (6), cette désignation qui semble retenir la proximité et la connaissance des populations locales.

On peut ajouter à ces étrangers milles coptes qu'en 76 H/ 695, Hasân b. al-Nucmân avait fait venir d'Egypte, des coptes qualifiés, artisans et artistes pour accomplir la tâche de créer un arsenal au pays d'Ifrîqiya (Dâr al-sinâca) et construire des navires pour réaliser des conquêtes sur les îles et les côtes de la Méditerranée pour mettre en échec les attaque navales des chrétiens (7). S'ajoutent à ces coptes leurs frères interprètes qui accompagnaient les expéditions militaires.

Les lettres pontificales, documents complémentaires et nécessaires des textes arabes, ils signalent l'importance de ces communautés, qui semblent si attachées à leurs croyances.

La lettre du pape Léon IV, en 847/848, aux évêques de la Grande-Bretagne, souligne la présence d'une communauté chrétienne à Carthage, "Les autres Eglises, dont celles des carthaginois et des Africains observent la manière de jeûner à Rome".

Une lettre du pape Formose (891-997) à Foulques, évêque de Reims, souligne le schisme, qui avait surgi entre les évêques de plusieurs provinces d'Ifrîqiya. Autre lettre datée de 974-983 du clergé et du peuple de Carthage au pape Benoît VII (8).

Ahmad b. Yacqûb b. Wâhid al-Kâtib, connu sous le nom d'al-Yacqûbî, un grand témoin, qui a visité l'Ifrîqiya et le Maghrib vers 287 H/ 880. Dans son ouvrage les pays (al-buldân), le célèbre géographe avait d'écrit les ethnies et les populations des provinces et des villes de l'Ifrîqiya.

La description d'al-Yacqûbî est riche en appellations, surtout dans la province de Qamûda, connue actuellement sous le nom de (al-Sabâsib al-Tunusiyya), qu'Abdul-Wahhâb H., avait situé approximativement du nord au nord-est jusqu'à Qayrawân, du sud jusqu'à Gafsa, à l'Ouest Sabîba et enfin à l'est jusqu'à Sfax (9).

Concernant l'espace géographique, en peut relever les villes et les provinces suivantes: provinces de Barqa (10), Qâbis (11), Qayrawân (12), Bâja et Majjana (13), les villes de la province de Qastîliya -Tûzar, al-Hamma, Taqiyûs et Nafta-, province de Nafzawa (Bisrra) (14). Le pays du Zâb -Tobna, Baghâya, Tijîs- (15).

Le mot cAjam assez vague qui désigne les non-arabes où non arabophone, que le géographe utilise pour parler, en grande partie, des Persans, élément ethnique immigrant en Ifrîqiya. Ils étaient différents des Arabes, même s'ils partageaient avec eux le titre d'immigrants de l'Orient. Ces non-arabes du pays parfois nommé par al-Yacqûbî, comme des cAjam de Hurasân (cAjam min ahl Khurasân) à Qayrawân et à Baghâya (16). Les cAjam sont bien associés aux Arabes, comme à Gabès, Bâja, Majjana et Tobna au titre de leurs fonctions, puisque les persans sont les soldats (Jund) cAbbasîdes, venus de l'orient pour renforcer l'armée arabe dans les villes et les garnisons, une présence militaire très significative dans le métissage du Maghreb. S'ajoutent à eux des colonies de marchands persans, venus principalement d'Irak pour le commerce en Ifrîqiya et dans tout le Maghrib.

La deuxième classification est de nature très difficile de la part d'un homme venu de l'orient. Il fait appel à l'histoire communautaire, comme critère de base pour définir non pas la priorité

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au sol d'Ifrîqiya, mais les données spécifiques de telle ou telle communauté. Le géographe utilise le terme de (al-cAjam al-qudum), c'est-à-dire les étrangers anciens, avec tout de même une part de clarification importante pour l'histoire, comme à Barqa, il parle de fils des anciens Rûm ('Abnâ' al-rûm al-qudum) (17), dans les villes de Qastîliya, on trouve des anciens Rûms (Qawm cajam min al-rûm al-qudum) (18), ou des survivants des Rûms (Baqâyâ al-rûm), mais ils sont, d'après al-Yacqûbî, dans la ville de Qayrawân les cAjam al-Balad (les étrangers, les non-arabes du pays) (19).

En effet, le texte est important dans la mesure où il est précis sur la survivance de communautés chrétiennes en Berbèrie orientale. Les Rûm étaient les descendants des soldats et des fonctionnaires de Byzance, venus deux ou trois siècles auparavant, et qu'ils étaient restés en Ifrîqiya après l'exode massif du VIIe siècle et du VIIIe siècle (20). Que peut-on donc retenir d'une telle description à partir d'une classification linguistique?

Les Rûms d'al-Yacqûbî portent les traits suivants:

1-Ils sont les descendants des sujets de l'ancienne Afrique byzantine.

2-Ils forment une population qui possède des caractéristiques particulières et constituent une communauté (Qawm).

3-Ils appartiennent au pays (cAjam al-Balad).

Un siècle et demi après, le célèbre géographe andalou, Abû cUbayd Allâh al-Bakrî, signale à Tobna seulement les Arabes et les métis (Muwallad plu., Muwalladûn). Ces métis nés d'un père arabe et d'une mère non-arabe sont un indice important dans la transformation sociale en Ifrîqiya (21). Donc ce progrès constaté dans les mariages mixtes chez les arabes d'Ifrîqiya, les Rûms d'al-Yacqûbî font certainement partie de ce progrès, mais à quel degré? Nous ne savons rien qui puisse nous éclairer, surtout que la plupart des Rûms étaient certainement fondus avec les Berbères qui représentent la majorité sur le territoire.

L'identité des Afâriq, minoritaires en Ifrîqiya, à Qâbis (22), Qayrawân, et dans les villes de la province de Qastîliya et à Tobna (23) est moins saisissable que les Rûms. Ils appartiennent par naissance au pays (cAjam al-Balad) (24). Ils sont les premiers Afâriq (al-Afâriq al-awal), et plus anciens que les autres ethnies (Afâriqa qudum) (25). Le territoire d'Ifrîqiya leur avait donné le nom d’Afâriq

Surement, les Afâriq avaient des particularités spécifiques en comparaison avec les autres communautés d'Ifrîqiya. La première est la langue parlait qui ne ressemble ni au berbère, ni à l'arabe, ni au grec. C'était la langue latine de l'Ifrîqiya. Dans le sud tunisien, le latin, jusqu'au milieu du XIIe se maintenait, malgré l'effort d'arabisation et l'invasion hilalienne. A Gafsa, le géographe al-Idrîsî, informe que les habitants sont berbérisés; la plupart d'entre eux parlent le latin d'Ifrîqiya (al-Lisân al-latînî al-afâriqî) (26).

Les données d'al-Yacqûbî, d'al-Bakrî et celles d'al-Idrîsî, s'ajoutent aux deux lettres en date du 17 décembre 1053 du pape Léon IX adressées aux évêques de l'Ifrîqiya (27), ainsi que trois lettres à l’église de Carthage, deux en 1073 et une en 1076 par le pape Grégoire VII (28).

Dans l'ensemble, ces documents attestent une permanence des populations chrétiennes au Maghreb. Nous avons envie de dire que l'ensemble du territoire ifrîqiyienne a connu une

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présence chrétienne, mais sous forme d'îlot au sein d'une majorité musulmane. La présence est en particulier visible dans les grandes villes qui restent les plus organisées au moins religieusement.

(1)-IBN cABD AL-HAKAM, Futûh..., op. cit., pp., 64-65.-IBN cIDÂRÎ, al-Bayân...., T., I, op. cit., p., 38. cABD AL-HALÎM, Nouveau récit..., op. cit., p., 41.(2)-N: ce cas n'était pas spécial au Maghreb, al-Damanhûrî nous informe que la taxe de capitation en Egypte concernant les chrétiens coptes en particulier était de deux dinârs pour chaque personne, quel que soit son rang social ou son appartenance politique au milieu de la communauté copte (al-DAMANHÛRÎ, Iqâmat al-Huja al-bâhira calâ hadm Kanâ'is misr wa al-Qâhira, Edited and transhated with Introduction and Notes By MOSHE PERLMANN, University of California Press, 1975, p., 8).(3)-N: IBN cABD AL-HALÎM, Nouveau récit..., op. cit., p., 41, mentionne que « Hasân inscrivit à ce moment sur les listes de perception du kharâj ceux des Rûms d'Ifrîqiya qui désiraient conserver la religion chrétienne... Les habitants du Maghrib étaient, dès lors, décidés à embrasser l'Islâm avec sincérité ». Le texte montre que le problème avait une dimension politique très importante, puisque il s'agit de créer les conditions de la conversion et la coexistence des communautés sur un territoire qui vient d'être conquis.(4)-IBN cABD AL-HAKAM, Futûh..., op. cit., pp., 64-65.(5)-TALBI Mohamed, droit et économie en Ifrîqiya au IIIe / IXe siècle, dans Etudes d'Histoire Ifrîqiyienne, 1982, p., 186.-N: (Dawana al-dawâwîn), Hasân avait mis en place une administration chargé de percevoir le kharâj négocié ou imposé aux cAjamd'Ifrîqiya et ceux qui les avaient suivis dans leur religion (IBN cIDÂRÎ, al-Bayân..., T., I, op. cit., p., 38). IBN cABD AL-HAKAM, spécifie les Berbères en majorité de la branche Barânis (Futûh..., op. cit., pp., 64-65). Les Berbères que le successeur de Hasân Mûsâ b. Nusayr avait décrit à Sulaymân b. cAbd al-Malik: « les Berbères sont lui dit-il les cAjam qui ressemblent le plus aux arabes, forts et courageux, de bons cavaliers, généreux aussi, mais hélas ils sont prompts à trahir ». IBN QUTAYBA, al-Imâma wa al-siyâsa..., T., II, op. cit., p., 105.(6)-IBN cABD AL-HAKAM, Futûh Ifrîqiya wa al-Andalus..., op. cit., pp., 65-66, il souligne que le percepteur était spécialement désigné pour percevoir le kharâj des tributaires. Voir aussi Appendice dans IBN KHALDÛN cA., Histoire des Berbères..., op.cit.(7)-N: « cAbd al-Mâlik b. Marwân écrivit à son frère cAbd al-cAzîz, en Egypte, d'envoyer au camp de Tunis mille coptes avec leurs familles, de les prendre en Egypte et de faciliter le voyage jusqu'à Tunis. Il écrivit ensuite à Hasân b. al-Nucmân pour lui ordonner de créer un Dâr al-sinâca (Arsenal) pour eux afin que les musulmans en tirent la force et les munitions jusqu'à la fin du monde. Il l'invita à y faire construire des bateaux et d'envoyer ceux-ci en incursion sur les rivages des Chrétiens afin de détourner ces derniers de Qayrawân. Et ce dans le but d'assister et de protéger les musulmans. Ces coptes se rendirent chez Hasân, qui était à Tunis, du port de Radès, Hasân fit communiquer la mer avec l'arsenal, y fit construire des grands bateaux et y installa les coptes », trad., du texte par Abdul-Wahhâb H. H., Coup d'œil général..., op. cit., pp., 309 à 310.(8)-Les lettres pontificales ont été publiées dans la Patrologie latine de Migne, vol., 115, col., 668/ vol., 149, col., 267/ vol., 139, col., 342-343. Ces mêmes lettres sont reproduites dans Monumenta Germaniae Historica, Scriptores, II.(9)-Sur le pays de Qamûda au Moyen-Age, se référé à Abdul-Wahâb H. H., Warakât, Etude sur certains aspects de la civilisation arabe en Ifrîqiya, 3e parties, édit., al-Manâr, Tunis, 1972, pp., 301 sq.-Du même auteur Les steppes Tunisiennes au Moyen-Age, dans R.T., 1945, pp., 5 à 16.(10)-AL-YAcQÛBÎ, Kitâb al-buldân, édit., Dâr Ihyâ' al-Turât al-cArabî, Beyrouth, 1988, p., 101.(11)-Ibid., p., 104.(12)-Ibid., p., 105.(13)-Ibid., p., 106.(14)-Ibid., p., 107.-N: pour al-Bakrî le pays de Qastîliya contient plusieurs villes, telles que Tûzar, al-Hammâ et Nefta. Tûzar, qui est la métropole, est une grande ville, autour de ces villes ont trouve de vastes faubourgs remplis d'une nombreuse population". AL-BAKRÎ, Description de l’Afrique..., tx., fr., op. cit., p., 102.(15)-Ibid., p., 107.(16)-AL-BAKRÎ, Description de l’Afrique..., pp., 105 et 107.(17)-AL-YAcQÛBÎ, Kitâb al-Buldân..., op. cit., p.,101.(18)-Ibid., p., 107.(19)-Ibid., p., 105.

(20)-MARçAIS Georges, La Berbèrie au IXe siècle d'après al-Yacqûbî, dans R.A., V., 85, 1941, p., 46.

-DIEHL, Afrique byzantine..., op. cit., pp., 561-583-585 sq.(21)-AL-BAKRÎ, Description de l’Afrique..., op. cit., pp., 41-49.(22)-"Qâbis qu'on appelait aussi la ville des Afâriq al-cAjam". La ville avait pris le nom certainement de sa population en majorité des Afâriqa cAjam qui signifie des populations christianisées. IBN KHURDÂDBAH, al-Masâlik wa al-mamâlik, édit., Dâr Ihyâ' al-Turât al-cArabî, Beyrouth, 1988, p., 81.(23)-AL-YAcQÛBÎ, Kitâb al-buldân..., op. cit., pp., 104 à 107.(24)-Ibid., p., 105.

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(25)-Ibid., pp., 104-107.(26)-AL-IDRÎSÎ, Nuzhat al-Mushtâq, trad., par HADJ SADOK Mohamed, édit., Office des Publications Universitaires, Alger, 1983, p., 127.(27)-CUOQ Joseph, L’Eglise d’Afrique..., op. cit., référence à Migne P. L., op. cit., V., 143, col., 728-782.(28)-Ibid., V., 148, col., 305-308.

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L'HOMME POLITIQUE MUHAMMAD IBN TUMART

Selon l'historien Ibn Abî Zarc , le réformateur Muhammad Ibn Tûmart a été l'un des élèves d'Abû Hâmid: «Parmi les réunions des savants où al-Mahdî acquit toutes ses connaissances se trouvait le Shayhs, l'Imâm incomparable, le célèbre Abû Hâmid al-Ghazâlî (que Dieu lui fasse miséricorde et l'agrée!), au quel il s'attacha pendant trois ans. al-Ghazâlî, en voyant al-Mahdî pour la première fois, devina son avenir, et lorsqu'il fut sorti, il dit à ses disciples: "Il n'y a pas de doute que ce berbère ne devienne souverain du Maghrib al-Aqsâ et qu'il n'y fonde un vaste et puissant empire. Il porte en lui tous les signes décrits dans la tradition. "al-Mahdî, ayant eu connaissance de cette prédiction, et quelques-uns de ses compagnons lui ayant dit que le docteur l'avait même trouvé dans son livre se consacra entièrement aux leçons d'al-Ghazâlî, qu'il suivit jusqu'à ce qu'il n'eut plus rien à apprendre. Et c'est alors partit pour suivre la destinée que le Très-Haut avait dicté».

Si Ibn Khaldûn avait mis des doutes sur la rencontre des deux hommes, au contraire d'Ibn Abî Zarc et Ibn cIdârî, l'auteur d'al-Hulal al-mûshiya avait parlé d'une contribution directe du maître oriental dans l'avènement du mouvement almohade. Après que le souverain almoravide eût ordonné de brûler et d'interdire le livre Ihyâ' culûm al-ddîn, al-Ghazâlî avait prié pour que la dynastie soit détruite par Ibn Tûmart qui était présent dans la salle, c'est-à-dire que Abû Hâmid ne s'oppose pas au projet de son disciple et que la lutte contre le pouvoir des Lamtûna devint une priorité des culamas.

Ibn Tûmart, disciple convaincu d'al-Ghazâlî, avait fait du principe de la censure des mœursson cheval de bataille dès qu'il quitta l'orient pour regagner son pays natal, comme prédicateur et comme censeur des mœurs. Partout où il passe il fait parler de lui. Avant son arrivée au sein de la société d'accueil, Ibn Tûmart s'est montré révolté de la situation de communauté de l'occident musulman.

Dans le bateau qui le ramenait en Ifrîqiya, le faqîh brisa des jarres de vin et obligea les passagers à faire la prière. A al-Mahdiya, capitale du royaume zîrîde, il causa un désordre dans la ville, en brisant jarres de vin et instruments de musique. Il passa ensuite à Munastîr et à Tunis où il enseigna aux talabas (étudiants) le cilm (la science religieuse). Mais Ibn Tûmart, originaire d'un petit village nommé Ijlî au sud de Marrakech, région de la société d'accueil Masmûda et le fief du pouvoir almoravide, avait dit à ses compagnons selon l'historiographe du mouvement al-Baydaq: «Nous nous dirigerons vers le Maghrib, s'il plaît à Allâh», comme si le faqîh de Sûs, de la tribus Hargha et disciple d'al-Ghazâlî l'ennemi des Almoravides, ne faisait que passer à travers le Maghreb pour le Maghrib al-Aqsâ.

A Constantine, province des Hammadîdes, tenue par le gouverneur Sabc fils du souverain al-cAzîz, Ibn Tûmart avait continué d'enseigner la science religieuse. Dès son arrivée à Bijâya, il s'installa à la Mosquée du Myrte (Masjid al-Ryhâna), tout en interdisant "aux habitants de porter des sandales aux lanières dorées, les turbans de l'époque du paganisme; il défendit aux hommes de revêtir les tuniques dite (futûhiyât).

Deux incidents ont fait d'Ibn Tûmart le disciple et l'activiste de la branche la plus radicale des culamas musulman:

1-A l'occasion de la fête de la rupture du jeûne (al-cîd al-Saghîr), la foule mêlée sans distinction de sexe révolta l'Imâm «puis vint se placer au milieu d'eux, donna des coups de bâton à droite et à gauche et les dispersa».

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2-A Mallala, petite ville dans la banlieue de Bougie où les fils d'al-cAzîz lui ont bâti un oratoire, le faqîh arriva un jour à la porte de la Mer (Bâb al-Bahr), brisa les jarres de vin, ce qui a entraîné une réaction violente des esclaves de Sabc le Hammadîde, puisque la police des mœurs (la hisba) était une fonction administratif, tandis qu’Ibn Tûmart la considère comme une fonction des culamas musulmans. Ces incidents poussèrent le souverain hammadîde à l'expulser de la ville.

Passant par Mattîja, al-Akhmâs, Malyâna, Wanshrîs, Ibn Tûmart arriva à la grande ville de Tlemcen, où il séjourna un moment pour enseigner la science religieuse et il s'attaqua en même temps aux instruments de musique. Les mêmes actions se reproduisent à Oujda, Sâc, Garsîf et Qallal.

A Fès, Ibn Tûmart s'installa avec ses compagnons à la Mosquée Ibn Ghannân puis à la Mosquée d'Ibn al-Maljûm et enfin à la Mosquée Batriyâna. Au cours de son séjour à Fès, il avait ordonné à ses compagnons de détruire les instruments de musique qui se trouvaient sur le marché de la ruelle nommée Bazqâla.

De Fès, le faqîh et ses compagnons ont regagné Marrakech, passant par Meknès et Salé. Au cours de son voyage il a enseigné le cilm (science religieuse) et a insisté sur la censure des mœurs. Dès son arrivée à Marrakech, capitale des Almoravides qui ont interdit le Kitâb Ihyâ' culûm al-ddîn dans les Mosquées et persécuté ces fidèles, Ibn Tûmart ne tarda pas à se manifester contre l'autorité politique et contre les foqahâs malikites. Après un séjour à la Mosquée de Tuba puis à la Mosquée de cAliy b. Yûsuf, l'affrontement a eu lieu au sein de la Mosquée, lors d'une protestation du faqîh contre cAliy b. Yûsuf qui portait le voile selon une ancienne tradition des Sanhâja du désert. Après des jours à la Mosquée cArafa, Ibn Tûmart a été invité au débat théologique (al-Munâdara) organisé par le souverain qui allait réunir les foqahâs de son royaume pour faire face à la menace politique que représente Ibn Tûmart. Ce dernier est sorti vainqueur de la Munâdara. Les foqahâs malikites à leur tour faisaient appel à l'autorité politique pour mettre fin à la menace d'Ibn Tûmart (Sâhib al-dirham al-murabac ou al-murakan). Expulsé de la capitale Marrakech, Ibn Tûmart regagna la société d'accueil qui allait lui fournir l'aide contre le pouvoir almoravide.

La période de l'effort politique avait réuni trois forces de contestations dirigées contre le pouvoir qui pèse sur la société d'accueil sur le plan fiscal, et qui a privé les montagnards de leur espace stratégique ou vital. Toute en interdisant l'accès sur ces territoires au livre d'al-Ihyâ' qui allait servir comme moyen de contestation contre les Almoravides, seuls détenteurs du pouvoir dans l'occident musulman farouchement opposés à l'idée de réformer les mœurs.

L'arrivée d'Ibn Tûmart vers l'année 1121 ap.J.C au Maghrib occidental, après un long voyage en Orient été remarqué par deux éléments, d'une part les critiques d'Ibn Tûmart au palais, aux foqahâs et aux habitants de l'occident musulman. D'autre part la stratégie unique et radicale du faqîh du Sûs (al-amr wa al-nnahy). A vrai dire, Ibn Tûmart n'avait jamais cessé d'enseigner, de censurer et d'adresser publiquement le constat d'ignorance de ces interlocuteurs (souverain, culamas, talaba et câma...). Cette intransigeance qu’Ibn Tûmart avait affichée le long du voyage et son insistance permanente, nous avait poussés à le qualifier du réformateur-rebelle.

Les sources arabes rapportent qu’Ibn Tûmart avait commencé par un programme socio-religieux. Il avait pratiqué ses théories et provoqué la société de l'umma de l'occident musulman, et en premier lieu les pouvoirs politiques. Ce programme tûmartienne a été grosso-modo un discours qui comporte trois points:

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1-L'interdiction du blâmable.2-La lutte contre les traditions de la société.3-La vivification des sciences religieuses.

Jusqu'à la ville d'Aghmât, la stratégie d'Ibn Tûmart n'avait obtenu que de maigres résultats sur le plan politique. Elle avait permis au réformateur d'avoir une célébrité et un nom, c'est-à-dire qu'il avait acquis une réputation comme savant, réformateur et serviteur de Dieu. L'expérience du voyage avait porté à la connaissance d'Ibn Tûmart l'état d'esprit des habitants, des gouverneurs et des autorités morales. La stratégie d'Ibn Tûmart avant son arrivée au sein de la société d'accueil avait pu mobiliser des élites du savoir au Maghreb, c'est-à-dire qu’IbnTûmart avait laissé derrière lui des foyers de disciples.

Le pouvoir almoravide, qui avait mesuré la menace de la dacwa d'Ibn Tûmart, n'avait pas cessé de le harceler au sud de Marrakech, d'une localité à l'autre. Au cours de cette persécution, il nous apparaît que deux événements avaient intervenu dans le parcours du réformateur, qui allait couper les ponts avec la période du retour et sa stratégie:

1-Ibn Tûmart avait rencontré les opposants au régime des Almoravides, dans la personne du Shaykh Ismâcîl Ikîk (l'un des membres du conseil des dix), ce dernier lui avait fourni la protection de Aghmât Warîka au pays des Masmûda (une garde de 200 personnes de sa tribu).

2-Ibn Tûmart avait rejeté la reconnaissance du pouvoir des Almoravides (Khalaca calayhi wa can ashâbihi cAliy b. Yûsuf), dès sa sortie de Marrakech.

Ces deux précédents événements apparaissent tout à fait significatifs, pour de multiples raisons:

1-Le contact d'Ibn Tûmart avec le Shaykh Ismâcîl Ikîk signifie la fin de la période de la recherche du faqîh (tel qu'il était nommé par l'historiographe du mouvement al-Baydaq) au cours de son retour de l'orient et le début de la période d'invitation.

2-Le contact avait signifié aussi les résultats de l'effort préparatifs, d'une part Ibn Tûmart avait trouvé un espace, qui allait devenir le territoire de la Dacwa et ses habitants des Mujâhidîn de la communauté almohade, et d'autre part la société (Masmûda) avait trouvé le réformateur attendu.

L'union entre les trois potentialités politiques à savoir: les Masmûda / les élites des tribus/ les élites du savoir, avaient formé les trois groupes nécessaire à la mise en place du pouvoir politique. Par contre il faut tout de même remarquer, en ce qui concerne le cas almohade, que la liaison entre les trois forces de changement n'était ni exemplaire, ni simple, ni sans contradiction, puisque l'intérêt commun était de mettre fin au pouvoir des Lamtûna, tandis que les intérêts spécifiques des uns et des autres et les réflexions politiques étaient loin d'être homogène. Ces pour cela que le réformateur Ibn Tûmart allait intervenir pour rapprocher les idées afin d'aboutir à un équilibre entre les forces du territoire de la Dacwa.

d'Aghmât jusqu'à Hargha (tribu du réformateur), Ibn Tûmart avait effectué 29 déplacements à l'intérieur du territoire de la société d'accueil. Il avait séjourné dans plusieurs localités du Haut-Atlas occidental, afin de rencontrer le plus grand nombre d'habitants et leurs élites. Les localités étaient grosso-modo des petits villages, des souks et des points stratégiques où les tribus avaient l'habitude de se réunir. A vrai dire nous ne possédons pas suffisamment

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d'informations sur ses localités, sauf ce qu'avait rapporté Abû Bakr al-Sanhâjî, connu sous le nom d'al-Baydaq dans son ouvrage sur la vie du Mahdî.

Conscient de la puissance de la cAsabiya masmûdienne, Ibn Tûmart avait abordé la société autrement. Le dialogue au nom d'al-amr wa al-nahy n'avait pas tout son porté politique et religieux, comme il l'avait pratiqué au cours de son voyage. Le réformateur Ibn Tûmart à la différence d'Ibn Yâsîn apparaît sociable, il avait même fait des concessions en parlant de la grandeur de la cAsabiya masmûdienne, de sa puissance et de son avenir politique. Il avait profité de l'alliance de Banû Wakâs pour les utiliser contre les opposants à ces réformes les Banû Hamûd.

Les sources arabes rapportent que le Mahdî n'avait pas déclaré son projet politique à long terme. Par contre il avait multiplié ses efforts pour réunir les élites de la société Masmûda. On remarque que la stratégie d'Ibn Tûmart avait progressé depuis les rencontres avec les Shaykhs des Masmûda à une stratégie qui faisait de sa tribu Hargha le rempart contre toute tentative de rébellion des autres tribus, et de jabal Ijlîz le centre de la Dacwa. Pendant trois ans ces facteurs étaient les seuls éléments pratiqués par le réformateur Ibn Tûmart. Ces points pratiques étaient renforcés par une propagande du réformateur, il avait exercé tout son talent et ses connaissances pour faire de sa personne l'exemple du savant musulman, saint et serviteur de Dieu. Les sources arabes rapportent qu’Ibn Tûmart avait utilisé ses connaissances en langue arabe et berbère pour influencer ses interlocuteurs. Il avait en même temps, et dans tout les cas, mis en avant sa personnalité et ses idées sur la religion, la pratique des Musulmans et le devoir de savoir.

A la différence d'Ibn Yâsîn, Ibn Tûmart avait accepté la nourriture des Masmûda. Dès son arrivée à Hargha, il avait changé sa stratégie d'action, en se retirant dans une grotte. Ce qui nous apparaît comme l'un des moyens qui avait augmenté le charisme du réformateur. En même temps ces pratiques avaient préparé la société à accepter le mahdisme, qu'il avait déclaré après avoir préparer la société à cet événement.

Ces quelques pratiques du réformateur illustrent les liens politiques entre la société Masmûda et les groupes du savoir islamique, il nous montre une manière de faire de la politique au Moyen-Age. Les réformes socio-religieuse, comme stratégie à court terme, n'avaient rien de surprenant en comparaison avec d'autres qu'avaient connu le Maghrib occidental. Par contre le discours politique de réforme faisait un système politique pour aborder la société.

Autrement dit, le religieux a été adopté à un niveau politique pour répondre au système interne de la société et les sociétés régionales. Pour le réformateur-rebelle Ibn Tûmart, l'ignorance de l'élite du savoir de l’umma de l'occident musulman a été due en grande partie à l'enseignement des sciences des furûc. Il avait mis à l'honneur al-usûl (science religieuse), en particulier, ce qui avait touché aux fondements de la religion.

Le réformateur avait toujours refusé d'appartenir à l'un des quartes rites juridiques de l'islâm de ces interlocuteurs, son étonnement tel qu'il l'avait exprimé sur des questions juridiques que les traités de droit résolues de manières différentes, lui avait permis de s'opposer le long de son voyage et au cours des débats théologiques aux foqahâs. De l'expérience d'Ibn Tûmart devait surgir une doctrine religieuse que nous avons tendance à appeler l'almowahidisme, où les idées ashcarites, muctazilites et ghazaliennes allait coexister pour composer la stratégie à long terme et la matière de légitimation du pouvoir, celle-ci avait concerné le dogme unitaire (tawhîd), la légitimation et la morale.

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Avant de procéder à l'analyse du but du dogme unitaire, on va tout d'abord le définir. Le thème de (Tawhîd, Wahdâniyat Allâh) ou l'unicité divine était l'une des questions fondamentales des débats théologiques entre les culamas de l'orient comme de l'occident musulman. Le Tawhîd était rattaché à la science des fondements de la religion, au phénomène de la croyance en un mot à al-usûl, son opposition symbolique et intransigeante était la science des applications juridiques.

Pour le réformateur-rebelle le Tawhîd est «l'affirmation de Dieu unique et la négation de tout ce qui n'est pas lui: divinité, associé, saint, idole», et il est aussi un fondement de l'islâm à côté de la prière, la zakât, le jeûne et le pèlerinage. Ibn Tûmart avait justifié intellectuellement l'unicité divine en se basant à la fois sur la raison à la manière des Muctazilites, et sur les textes du Qurcân et les Hadîts du prophète. Il avait insisté sur l'idée que: «Dieu ne ressemble à rien, car on ne ressemble qu'à une chose de même espèce, or, Dieu ne peut être de la même espèce que les créatures, car s'Il l'était. Il serait impuissant comme elles et l'existence des actes en deviendrait impossible, ce qui ne peut se concevoir puisque nous avons établi que les actes existent».

Devant les versets al-Mutasâbihât "ambigus", comme par exemple le verset 4 de la sûrate XX "Miséricordieux, sur le trône se tient en Majesté" semblant conduire à une représentation humaine de la divinité, Ibn Tûmart avait insisté sur le fait qu'il fallait les prendre tels qu'ils sont, en écartant toute tentative de comparaison, toute figuration. Ibn Tûmart à la suite des Ashcarites et des Muctazilites avait proposé leur interprétation sans comparaison. Par conséquent, toute présentation de Dieu par les moyens dont dispose l'intelligence, était pour Ibn Tûmart une preuve d'athéisme et d'anthropomorphisme.

Le Tawhîd avait constitué la source de la légitimité politique du réformateur-rebelle et de ses successeurs à l'intérieur comme à l'extérieur de la société masmûdienne.

Sur le plan intérieur, dans une lettre que le réformateur avait adressé à la communauté almohade, il écrivait: «Occupez-vous à apprendre le Tawhîd car il est la base de votre religion, afin de repousser loin du créateur toute comparaison (Tashbîh), ou toute association (al-Ishrâk ou Shirk), toute idée d'imperfection (al-Naqâ'is), de diminution (al-Afât), de limite (al-Hudûd) de direction (al-Jihât); ne le situez pas en un lieu, ni dans une direction, car le Très-Haut existe avant les lieux et les directions! Celui qui lui donne une forme corporelle en fait une créature et celui qui en fait une créature est comme l'adorateur d'une idole».

La société d'accueil avait trouvé dans le discours religieux d'Ibn Tûmart deux principes fondamentaux:

1-Le Tawhîd était un élément unificateur entre les États-Cités du Haut-Atlas, il avait représenté une nouveauté en matière de légitimation d'une force qui avait caressé le rêve d'être un jour une puissance dominante.

2-Ibn Tûmart avait réussi au nom de la science religieuse, en particulier le Tawhîd, au cours de son voyage et dans la Munâdara avec les foqahâs de Marrakech à donner l'exemple sur l'efficacité de théories religieuses et politiques.

Sur le plan extérieur, Ibn Tûmart avait défini le champ de l'action idéologique de la communauté almohade, puisque tout les habitants qui refusaient la doctrine de Tawhîd, se rendaient par cette acte coupable d'associationnisme et d'anthropomorphisme, qu'il fallait

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réduire par les armes; à ce titre Ibn Tûmart écrivait à ses disciples: «Appliquez-vous au Jihâddes infidèles voilés car il est plus important de les combattre que de combattre des Chrétiens et tous les infidèles deux fois ou plus encore; en effet, il ont attribué un aspects corporel au créateur -qu'il soit glorifié! -rejeté le Tawhîd, été rebelles à la vérité». Tel était l'objectif de la doctrine du Tawhîd du réformateur-rebelle.

Ibn Tûmart, avec la législation, composante du projet, avait marqué son opposition aux foqahâs malikites du régime almoravide. La sharica était pour le réformateur une source importante du droit, les sources de lois religieuses (le Qurcân, et les traditions du prophète) étaient les principes fondamentaux de la sharica, et pour marquer son opposition il avait enseigné à la communauté almohade une matière de droit musulman qui comporte les grands principes suivants:

1-Ibn Tûmart avait distingué dans les hadîts deux catégories: les hadîts les plus sûrs qui ont une chaîne de transmission ininterrompue, avant les hadîts qui sont basé sur une seule autorité.

2-Ibn Tûmart n'avait pas accepté al-ijmâc basé sur le qiyâs (l'analogie), mais il avait admis l'ijmâc des compagnons du prophète.

3-Il avait exclu le raisonnement dans la loi religieuse.

4-Il avait exclu aussi l'appréciation individuelle de la sharîca.

5-L'Imâm Mâlik b. Anas et les chefs des écoles juridiques qui étaient une source pour les foqahâs almoravide, ne constituaient pas la fin de l'effort juridique, c'est-à-dire que Ibn Tûmart avait refusé d'admettre que l'ijtihâd était close.

Dans la pensée politique d'Ibn Tûmart, la mise en place de la communauté almohade (al-umma al-muwahidiya), ne peut suffire à déclencher les hostilités contre le pouvoir almoravide, puisque ce dernier, malgré ces difficultés idéologiques, représentait un puissant pouvoir par son expérience militaire au Maghrib occidental et en Andalousie. Par conséquent, la première période d'Ibn Tûmart, où le programme politico-religieux avait obtenu l'adhésion de la société Masmûda, ne peut satisfaire Ibn Tûmart qui se voulait réformateur et organisateur d'un mouvement. Pour aller au delà de son premier programme, il allait procéder à une organisation des Masmûda, tout en complétant son programme à partir des éléments suivants:

1-L'Imamat mahdiste.

2-Le jihâd (la guerre sainte) contre les Almoravides pour compléter la formule al-Amr bi al-macrûf wa al-nnahy cani al-munkar, les réformateurs musulmans avaient considéré depuis la naissance du premier État islamique, les deux derniers principes comme un devoir, une obligation et une mission des créatures (l'être humain) de Dieu, c'est-à-dire que Dieu avait ordonné aux Musulmans de pratiquer al-Amr wa al-nahy et le jihâd.

3-L'organisation des organes suprêmes de la communauté almohade et les premières expéditions militaires.

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La hijrat permanente à travers le pays des Masmûda, a été signalé par les sources arabes comme de simples déplacements du Mahdî, à l'exception d’un seul qui semble spectaculaireen 514 de l'Hégire, où le Mahdî avait séjourné à Ijlîz dans une grotte au lieu d'être dans une maison, il y resta quelques jours. Le Mahdî avait en réalité reconstitué une symbolique (la symbolique de la grotte de hirâ'). Ce fait avait sûrement une influence sur les compagnons du Mahdî et les populations Masmûda. Dès sa sortie de la grotte, on remarque deux événements qui allaient traduire l'état d'esprit des populations Masmûda vis-à-vis du Mahdî:

1-La bayca au Mahdî au nom du Qurcân et de la Sunna, mais avec une pratique que le Mahdî avait mis en place pour la première fois, il consiste à mettre du sel dans la main au moment du serment.

2-Les populations Masmûda au moment d'un repas collectif, ont déclaré que le Mahdî ne mange pas, ce qu'il rejeta.

Ibn Tûmart avait accompli l'acte de la hijrat d’Ijlîz à Tinmal, comme Ibn Yâsîn. Tinmal était devenu le centre et la capitale provisoire du mouvement almohade, puisqu'il était dans une région fortifié et difficile.

Le deuxième point fort de la pratique d'Ibn Tûmart était lié à la théorie de l'Imâmat. Les chercheurs ont signalé l'influence de la pensée shicite sur la théorie de l'Imâmat chez Ibn Tûmart, mais le problème est plus compliqué, puisque l'imâm de point de vue shicite correspond à l'Imâmat du calife chez les sunnites. Donc l'imâm est le successeur du prophète.

L'imâm pour Ibn Tûmart devrait être un prophète ou un Mahdî puisque l'Imâmat était de la manière suivante:

1-Âdam.

2-Noé.

3-Ibrâhîm.

4-Dâwûd.

5-cÎsa.

6-Muhammad.

Les califes orthodoxes (Abû Bakr, cUmar etc.) avaient représenté la période de hilâfat al-nubuwa. De ce point de vue, Ibn Tûmart avait pris le nom "d'al-Imâm al-Mahdiy" et le titre de calife pour son successeur cAbd al-Mu'min. L'historiographe du mouvement almohade avait confirmé les deux titres dans son ouvrage sur l'histoire du mouvement.

L'Imâmat dans les écrits d'Ibn Tûmart, n'avait rien à voir avec la pensée shicite et moins encore avec la pensée sunnite. Donc comment Ibn Tûmart avait démontré la question de l'Imâmat?

Selon Ibn Tûmart, l'Imâmat était partagé en deux périodes: période de la prophétie et celle du mandisme. Pour la période du prophète la succession était d’Abû Bakr jusqu'à cAliy, ce qui

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fait qu’Ibn Tûmart, à la différence des idées d'al-Mawardî et d'al-Ghazâlî, avait considéré que la période de la dynastie Umayyade était une période de l'absence de l'Imâmat, c'est-à-dire que les Umayyades n'avaient aucune légitimité pour réclamer le titre d’imâm. Par conséquent, l'imâm n'avait duré que trente ans. La deuxième période était celle de l'Imâmat mahdiste, après une longue absence de l'imâm, c'est-à-dire du dernier calife cAliy b. Abî Tâlib jusqu'au Mahdî Ibn Tûmart. A ce titre Ibn Tûmart était l'Imâm al-Mahdiy et ses successeurs étaient des califes de l'Imâmat du Mahdî et non pas des califes de l'Imâmat du prophète. La pensée d'Ibn Tûmart dans ce domaine n'avait rien à voir avec les principes du shicisme sur la question de la rajca (retour) et la période de la wilâya. Il avait insisté sur la reconnaissance par les Musulmans du Mahdî. Il est selon Ibn Tûmart Muhammad reconnu par «les Arabes, les Chrétiens, les nomades et les gens des villes», puisque beaucoup de hadît allaient dans le sens de son existence.

Pour résoudre la question de la cisma (l'infaillibilité de l'imâm), le Mahdî l'avait posé pour deux raisons:

1- Au yeux des Almohades, Ibn Tûmart avait besoin de justifier son autorité incontestable et indiscutable au sein du mouvement.

2-Le Mahdî avait reconstitué la période du prophète, mais sous forme d'une période du mahdisme, puisque la période de hilâfat al-nubuwa avait connu l'absence de l'application du droit dans le domaine de la succession. Le mahdisme ou l'idée du Mahdî avait trouvé sa légitimité dans le fiqh islamique, ce qui avait facilité depuis des siècles la déclaration du mahdisme au Moyen-Orient et en Occident musulman.

La reconstitution de la symbolique prophétique était destinée à la légitimation du mahdisme, en même temps il avait renforcé le nouveau pouvoir, ce dernier a été mis en place au milieu de tribus et qui n'avaient jamais accepté une autorité de l'extérieur, sauf un leader de leur cAsabiya dans les périodes des guerres.

Le Mahdî Ibn Tûmart avait fondé pour la première fois dans l'histoire du Maghrib occidental un pouvoir politique, basé sur l'infaillibilité de l'imâm al-Mahdiy pour réunir les tribus et dépasser leurs institutions, ce qui l'avait poussé à mettre en place une organisation de la nouvelle communauté almohade.

Pour dépasser le cadre tribal, Ibn Tûmart avait mis en place une organisation au service exclusif du pouvoir central à Tinmal. Par une expérience originale et unique dans l'histoire du Maghrib occidental, il avait organisé une structure compliquée, spécialement formée pour préparer l'assaut contre le pouvoir des Almoravides. Les organes suprêmes de la communauté almohade ont été organisés de la manière suivante:

1-Autour de l'imâm al-Mahdiy viennent "les gens de la maison" (Ahl al-dâr), ils étaient plus proche du Mahdî.

2-Le conseil des dix (Ahl al-jamâca ou al-cashara), les premiers disciples, dont cAbd al-Mu'min b. cAliy, véritable instance du mouvement.

3-Le conseil des 50 (Ahl al-khamsîn), formés principalement de chefs de tribus et de sous-tribus (Hargha, Tinmal, Hantâta, Ganfîsa, Gadmiwa, Sanhâja, al-Qabâ'il, Haskûra etc.).

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4-Le conseil des 70 (Ahl al-sabcîn), une instance plus ouverte.

5-Les talabas (étudiants), formés pour être les futurs idéologues du pouvoir, à partir des ouvrages du Mahdî (le Muwatta', le Tawhîd et la Murchida...).

6-Les Huffâd, à qui le Mahdî et les membres du conseil des dix enseignent le Tawhîd, avec une formation dans le domaine militaire, ces derniers avaient remplacé les Shaykhs au commandement de l'armée et au gouvernement des provinces.

Dans le mouvement mahdisto-almohade, on trouve utilisés tous les moyens pour deux objectifs: fondre les Masmûda dans un nouveau État et prendre le pouvoir en Occident musulman. Par conséquent, le purges politiques du "tri" (Tamyîz), la réorganisation des organes almohades et le jihâd ont constitué le dernier teste de la communauté almohade avant les grandes conquêtes de cAbd al-Mu'min.

La méthode d'Ibn Tûmart avait permis l'organisation du mouvement sur des bases solides. L'historiographe du mouvement avait parlé du système de réorganisation des organes suprêmes de la communauté almohade (Nidâm al-ta'âhî). Ce système au nom de l'hospitalité et de la solidarité avait permis, surtout au moment du "tri" (Tamyîz), à faire une intégration entre les Almohades.

Une longue liste de noms de tribus et de personnalités était donnée par al-Baydaq, qui montre qu'au nom du Mahdî, on fait un regroupement autour de grandes tribus comme Hargha, Hantâta etc.

On remarque que le système al-Ta'âhî, signifie sur le plan politique l'intégration par esprit de solidarité au nom de la doctrine de Tawhîd, sans avoir les mêmes liens de sang, ce qui a été pour Ibn Tûmart un moyen de dépasser l'esprit des clans hostiles, à l'intérieur du mouvement aux personnalités étrangères.

Avec cette organisation extraordinaire et au nom du Tawhîd, le jihâd contre les voilés Lamtûna et leurs foqahâs (les Mujasima), surtout après une longue lutte idéologique à tout les niveaux contre le pouvoir des Almoravides, devient nécessaire. Après 9 ghazwa contre les Almoravides, les Almohades avaient perdu la bataille d'al-Buhayra en 522 de l'hégire, où le compagnon du Mahdî al-Bashîr avait trouvé la mort. Après l'assaut militaire contre la capitale Marrakech, les Almohades se sont retirés à Tinmal. Dès la mort du Mahdî vers l'année 524 H/ 1130 ap.J.C, cAbd al-Mu'min avait remporté la victoire du Maghrib central et la chute de Marrakech en 541 H/ 1146 ap.J.C, ses successeurs ont fini la constitution de l'empire almohade après la conquête de l'Andalousie et l'Ifrîqiya. L'occident musulman et pour la première fois dans l'histoire fut unifié sous une même autorité politique et militaire.

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UMMA ET DAR AL-ISLAM AU MOYEN-AGE

Ce que les savants musulmans nomment umma (communauté) est-ce que l'islâm doit apporter à l'humanité. L'unité de pensée et de croyance est le premier caractère de cette communauté. Ils croient en un Dieu unique (Tawhîd) et dans le message du Prophète Muhammad. Dans la vie familiale et communautaire, ils se plient aux principes du Coran et de la Sunna, en pratiquant en premier les cinq piliers de l'islâm (1). Sur la base du verset coranique: « vous êtes le peuple le plus excellent qui n'ait jamais surgi parmi les hommes; vous ordonnez ce qui bon et défendez ce qui est mauvais, et vous croyez en Dieu » (2). La communauté est définie par l'appartenance à l'islâm qui est le seul critère valable pour être un membre de la communauté des croyants (3). Les théologiens musulmans ont trouvé un consensus de l'umma dans le principe de l'ijmâc.

Umma musulmane est le facteur essentiel à protéger contre toute influence empruntée à d'autres civilisations qui ne peut que nuire à sa fonction sacrée de délivrer le monde de l'erreur et de l'hérésie. De ce fait, l'ensemble de la communauté devait adopter un comportement de défense des valeurs de la religion. Le pouvoir politique central, les gouverneurs, l'administration fiscale et judiciaire devait orienter leurs efforts vers la création d'une société musulmane légitimement puissante par ces lois, sa culture et sa supériorité. Dans ce cas, la vie communautaire pluraliste ne peut pas être compatible avec le dogme de la supériorité de la communauté et sa perfection.

La communauté islamique est une société qui a élaboré un système de défense basée sur les valeurs religieuses, qui régularise la vie privée et publique, en contrôlant l'ensemble des activités humaines qui se déroulent sur le territoire de la umma, purement islamique et homogène au niveau des croyances et du comportement, c'est-à-dire que l'homogénéité de la communauté prônée par les juristes et les savants musulmans n'avait pas un caractère ethnique, ni régionaliste mais religieux. C'est pourquoi l'idée des frontières, elle aussi, est fondée sur l'appartenance à l'islâm.

Dans ce contexte, l'islâm avait réclamé une unité profonde de toute l'humanité, mais dans une culture spirituelle et sociale de la communauté musulmane, qui interdit de mêler d'autres formes de vie religieuse à celles inscrites dans le Coran. C'est de ce principe d'ailleurs que ressort la mise à l'écart des communautés religieuses qui vivaient sur le sol musulman. Le message social de l'islâm qu'avaient mis en application les fidèles se voulait exemplaire; de l'entraide entre les membres de la communauté, l'hospitalité, la générosité, la fidélité dans les engagements commerciaux, la responsabilité personnelle dans les actes moraux et même dans la conversion à l'islâm.

Pour couronner cet aspect de l'unité et du message de l'islâm, la communauté (Umma) islamique avait établi des règles juridiques issues du Coran et des enseignements du Prophète, c'est, ce que nous appelons la sharîca -la loi-qui rassemble les préceptes du Coran et de la Sunna. L'interprétation du droit avait donné naissance à quatre écoles juridiques, dont l'école malikite allait triompher au Maghreb, en particulier après la fin des mouvements kharijites et le début des dynasties issues d'un mouvement politico-religieux de base sunnite.

Le triomphe de la doctrine malikite, soutenu par les État, avait glissé vers des degrés de plus en plus intransigeant pour construire et appliquer l'idéal social de la communauté et des traditions culturelles proprement islamiques dans des espaces géographiques, qui rendait la coexistence inévitable entre les musulmans et les non-musulmans et entre un passé historique de plus en plus présent dans la société, la cultures et les traditions, d'où la lutte des berbères au moment de la conquête et en particulier après l'islamisation contre une forme de l'islâm imposée par les orientaux aux populations locales.

En effet, l'islâm oriental avait trouvé devant lui une société berbère, dont le modèle d'organisation était très complexe pour parvenir à une paix inter-tribale. Les arabes ont trouvé dans ce territoire l'existence d'un droit traditionnel qui était basé sur le serment collectif, la justice rendue dans la plupart des cas par des assemblées de tribus ou de villages, selon un mode de pénalités connu sous le nom Kanûn. L'islâm avait longtemps toléré cescoutumes, ce qui avait donné une forme d'originalité linguistique et culturelle au monde berbère que nous appelons souvent le monde arabo-berbère. Le modèle de l’umma qui faisait l'unanimité en Orient, était aussi pour les musulmans de l'occident après l'islamisation de la région et le retour à une unité de base après l'indépendance du Maghreb vis-à-vis de l'orient. Dans les principes de la sharica -conduite fixée par Dieu pour la communauté musulmane-, les juristes insistaient sur le caractère indivisible de son application dans le dâr al-

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islâm, que ni les révoltes, ni les régimes politiques ne pouvaient mettre des frontières entre ces unités territoriale religieuse.

Les écrits des historiens et des géographes arabes ont permis d'examiner le problème de dâr al-islâm dans sa dimension politique. Dès le début, la réflexion à partir des sources historico-géographiques, nous signalent deux niveaux d'information. D'une part, les auteurs avaient fourni des frontières et des appellations, et, d'autre part, ils avaient donné les explications des intéressés. Selon ces sources, dâr al-islâm avait des facteurs fondamentaux:

1-Dâr al-islâm est un espace géographique (montagne, plaine, fleuve etc.).

2-Dâr al-islâm est composé de frontières naturelles et politiques où les élites de la communauté exercent un pouvoir et appliquent une politique socio-religieuses.

3-Dâr al-islâm est définie par la religion de ces habitants.

Dès le VIIIe siècle, la tradition historico-géographique médiévale avait encadrée dâr al-islâm Nord-africain par rapport au centre de l'islâm (4), c'est-à-dire que, dès la conquête musulmane, tout territoire sous domination arabe faisait partie de dâr al-islâm, quelle que soit l'évolution politique, ses groupements provinciaux et le particularisme de ces habitants. De quelque côté qu'on l'examine, le cycle de la conquête finissait par islamiser un territoire et fonder un taghr (5). Donc tout changement qui intervient au sein de dâr al-islâm ne mettait pas en cause l'appartenance des territoires du Maghreb au dâr al-islâm.

Autrement dit, les duels conquêtes-reconquêtes avec dâr al-harb ou avec les révoltes internes quel que soit leur caractère idéologique, au moment de la pacification n'avaient pas mis les frontières en cause, puisque l'avance et le recul des guerriers a été pour les intéressés un fait des rapports de forces et des tactiques militaires.

En effet, les expériences du pouvoir au Maghreb ont été réalisées sur un seul et même espace, nommé par les historiens et géographes arabes le gharb -Le Maghrib-. Ils l'avaient situé grosso modo entre la ville d'Alexandrie et l'atlantique pour l'appellation gharb, tandis que le Maghrib était encadré de Barqa à Tanger (6). Les descriptions des sources arabes prises entre les groupements politiques et les descriptions économiques avaient fait de la Cyrénaïques et l'Ifrîqiya des provinces, et du reste des territoires du Maghreb les foyers économiques (Sûs, Sijilmâsa, la plaine Atlantique des Bûrghwâta, Tâhert, le pays du Zab...).

La tradition historico-géographique arabe est accoutumée à faire, volontairement ou involontairement, du pays du Maghrib un territoire qui va de l’atlantique (al-Bahr al-Muhît ou al-Bahr al-Mudlim) jusqu'aux frontières de l'Égypte, et du nord de l'Espagne musulmane au sud du Sahara (bilâd al-Sûdân, l'Afrique de l'Ouest) (7). L'espace de l'occident musulman était considéré par les intéressés comme un espace homogène, puisqu'il avait représenté le cadre de l'évolution politique, économique et sociale islamique dès l'islamisation de ce territoire par les conquérants arabes. Il a été, selon al-KABLY Mohamed, un espace stratégique de dâr al-islâm (8).

L'histoire commune du Maghreb entre les dominations étrangères et les luttes des Berbères pour leur indépendance, avait contribué au renforcement du sentiment d'appartenance, d'une part à un territoire limité (propriété de la tribu), et d'autre part le sentiment d'appartenir à l'ensemble du Maghreb, puisqu'ils avaient partagé plus au moins quelques traditions, la vocation commerciale et les grands événements politiques et économiques.

Avant l'apparition de l'islâm dans la région, les colonisations passagères de Rome, des Vandales et de Byzance avaient soudé le Nord-africain berbère, au moins en deux parties: l'une occidentale et l'autre orientale. Les colonisations avaient aussi accentué le sentiment des Berbères qui se résume à la population de deuxième degré, même si les dominations avaient hiérarchisé la société berbère entre les tribus de confession chrétienne ou judaïque et les tribus païennes.

L'islamisation du Maghreb n'avait en aucun cas un caractère pacifique; après une longue résistance, les Berbères avaient été islamisés. Sous l'autorité des conquérants, les Berbères n'avaient pas tardé au nom de la "l'égalité politique et fiscale" de demander des comptes au pouvoir de l'orient.

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Le soulèvement kharijite avait été une défaite cuisante du pouvoir califale, en même temps qu'un succès pour les populations du Maghreb, puisque, avec cette doctrine, ils s'étaient insurgé au sein de l'islâm pour ne pas devenir une population intermédiaire entre la communauté dite musulmane et le reste de la dimma, comme il était désigné dans le projet des gouverneurs arabes après Mûsâ b. Nusayr, c'est-à-dire que les Berbères avaient lutté au nom de l'islâm contre la façon dont on l'interprétait, concernant les territoires du Maghreb et ces populations (9).

Les luttes entre les doctrines inter-musulmanes pendant des siècles avaient contribué à la liberté des populations sur le plan politique et achevé l'établissement de l'islâm dans cette région de dâr al-islâm. La victoire visible de l'orthodoxie classique de l'islâm qui avait gagné vers la fin du VIIIe siècle, de nouvelles régions, cette fois grâce à l'influence des théologiens venus de l'orient, et le recul de l'orient "Califal et politique" allait instaurer définitivement la coalition berbèro-arabe au pouvoir et institutionnaliser la mise en place du pouvoir politique en Occident musulman. Ainsi les éléments sur lesquels se fonde le jugement définitif d'appartenir à dâr al-islâmdans sa partie occidentale relève d'un statut politico-religieux de l'islâm sunnite pour administrer la société dans le domaine privé et public par les principes de la Sharica, et de permettre en même temps la gestion des intérêts des uns et des autres membres de la communauté. Donc, dâr al-islâm est un parcours d'évolution politique et doctrinale depuis 78 H/ 697, où huit gouverneurs se sont succédé à la tête de la capitale de l'occident musulman Qayrawân, pour administrer directement ces territoires au profit du centre de l'islâm, Damas.

Dès 122 H/ 740 , "la centralisation des décisions politiques" autour de Damas n'était plus possible, et un mouvement des États indépendants avait commencé sous les drapeaux de la doctrine kharijite, née de la crise de la fitna en 35 H/ 656 . La théologie politique du kharijisme, qui a pour axe central la fraternité et l'égalité des chances pour tout les Musulmans pour accéder au pouvoir suprême de la communauté, sans distinction de race, de pays ou de couleur, était considérée par les nouveaux venus à l'islâm comme le chemin unique pour s'opposer à l'injustice des gouverneurs du calife, ainsi que le moyen d'intégration à dâr al-islâm sur un pied d'égalité politique et fiscale.

Dans ce parcours historique des berbères en islâm médiéval, les vaincus après la conquête arabe, avaient su profiter des dogmes de l'islâm pour prendre une liberté de constituer une communauté et un dâr al-islâmindépendant et autonome vis-à-vis d'un centralisme arabe et oriental.

(1)-N: MASSIGNON Louis considère que les traits les plus caractéristiques de l'umma sont la volonté de vivre ensemble, quel que soit le contenu que les musulmans font dans le concept de communauté (MASSIGNON Louis, L'Umma et ses synonymes: notion de communauté sociale en Islâm, dans R.E.I., 1941, pp., 151-157.(2)-BAT Ye'or, Juifs et chrétiens sous l’Islâm. Les Dhimmis, édit., Berg international, Paris, 1994, p., 22.(3)-N: Gardet Louis souligne que pour le musulman la religion fait la citoyenneté, c'est-à-dire que l'appartenance à une communauté de Muhammad est le sentiment du musulman (GARDET Louis, La cité musulmane, Paris, pp., 28 et 193.(4)-N: les géographes arabes faisaient une distinction entre les zones habitées (cÂmir) et les zones inhabitées (khâliya), à partir d'une idée centralisatrice, c'est-à-dire terre-mer sont liées au Dâr al-Islâm, MIQUEL André, Origines et cartes des mers dans la géographie arabe aux approches de l'an mil, dans Annales E.S.C., N° 3-4, Mai-août 1980, pp., 452-461.(5)-N: Le taghr plu., tughûr était l'endroit le plus exposé aux attaques militaires; selon la stratégie militaire médiévale. Le taghr était grosso modo l'endroit fortifié et gardé pour observer les manœuvres militaires de l'ennemi, mais il faut remarquer aussi que son utilisation par les écrits médiévaux avait signifié le long des frontières de dâr al-islâm.(6)-AL-BAKRÎ Abû cUbayd Allâh, Description de l’Afrique septentrionale, trad., par DE SLANE., p., 21.-N: les géographes arabes avaient divisé le Maghrib en deux régions climatiques, d'une part le climat méditerranéen et d'autre part le climat saharien, avec des nuances à l'intérieur de chaque région, c'est-à-dire que les descriptions des centres urbains, des villages et des routes commerciales avaient poussé les auteurs arabes à fournir des informations sur la particularité climatique de tel ou telle région du Maghreb. Sur les frontières climatiques du Maghrib occidental par exemple, al-Bakrî, (Description de l’Afrique..., op. cit., pp., 21-123), avait fait d'Oued Darca la limite entre le Maghrib al-Aqsâ méditerranéen et saharien, tandis qu’Ibn Hawqal, (al-Masâlik wa al-mamâlik..., op. cit., p., 41 à 43) avait désigné l'Atlas comme la limite entre les deux climats.(7)-IBN HAWQAL, al-Masâlik..., , p., 41.-MARMOL C., L'Afrique, trad., par D'ABLANCOURT Perrot, Paris, 1667, T., I, p., 9.-LEON L'AFRICAIN, Description de l’Afrique, trad., par Epaulard, Paris, 1956, pp., 3-4.-N: une rapide enquête à partir des écrits géographiques montre à quel point les centre urbains avaient influencé les descriptions des géographes médiévaux, par exemple les villes de Barqa, de Tanger, de Tunis, de Mahdiya, de Marrakech, de Tlemcen etc.., avaient constitué des provinces (Iqlîm Barqa, Iqlîm Tanja, Iqlîm Tunis...), c'est-à-dire que la ville avec son domaine avait constitué la province, comme pôle économique, politique et social très soudé (ville, terre d'agriculture, pâturage, point d'eau...).

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(8)-KABLY Mohamed, Hawla at-Tajârib al-Wahdawiyya al-wasîtiyya bi-bilâd al-Maghrib al-Kabîr..., p., 9.(9)-SZYMANSKI Edward, Etude sur la formation des états Maghrébins, Varsovie, 1978, p., 158.-SZYMANSKI d., Formation de l'Etat Marocain, Revue Africana, N° 3, Varsovie, 1965, pp., 27 à 48.

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LA MUTATION MILITAIRE DE LA CONQUETE ARABE AU MAGHREB

Dans l'an 20 H/ 641, le célèbre cAmr Ibn al-cÂs et le Patriarche Cyrus, gouverneur byzantin de l'Égypte conclurent un traité à Alexandrie, qui donnait tous les droits aux musulmans sur l'ensemble du territoire de l'Égypte. De ce fait, l'armée byzantine quitta définitivement le territoire de l'Égypte. La Cyrénaïque, qui appartenait à la province de l'Égypte selon la réorganisation de l'empire par l'empereur Maurice Tibère (582-602), fit l'objet d'une annexion par cAmr Ibn al-cÂs au début de l'année 22 H/ 643. La conquête de Barqa fut d'une facilité indiscutable. Les troupes arabes ne trouvèrent face à eux que des tribus berbères appartenant aux groupes des Luwâta et des Huwâra, qui ont accepté, dès la première demande faite par les conquérants, un traité de paix sur la base d'un tribut annuel estimé par les historiens à 13 000 dinars.

De l'autre côté, cUqba b. Nâfic l'un des lieutenants de cAmr b. al-cÂs occupa les routes du sud et leurs points d'eau très importants pour les expéditions militaires, en particulier l'oasis de Zawila, entre Barqa et le Fazzân. Un an plus tard, les conquérants prirent Tripoli, puis Sabra et Waddân, l'oasis la plus importante qui permit l'annexion de tout l'arrière-pays, dont la partie montagneuse de Nefûsa (1) territoire de la confédération berbère des Nafûsa. La conquête de l'Égypte et la mainmise sur le territoire de la Cyrénaïque allaient assurer les frontières de la province de l'Égypte. Mais elle donnait aussi une base militaire aux troupes arabes sur les frontières de la province byzantine de la Byzacène (l'Ifrîqiya) qui ne tarda pas à devenir un champ stratégique de l'expansion musulmane sur les frontières occidentales de dâr al-islâm dès l'an 27 H/ 647.

Dans les textes qui relatent la conquête de la cyrénaïque, nous pouvons observer une transformation dans les stratégies militaires utilisées par cAmr b. al-cÂs et son lieutenant cUqba b. Nâfic. Le premier avait usé du traité de paix et du principe de trêve, et conçu un traité avec les Luwâta à la ville de Barqa, tandis que le deuxième avait déjà forgé une forme de radicalisme religieux, dans lequel on évite tous compromis, puisqu'au cours de la chevauchée d'Uqba b. Nâfic dans les oasis du sud, seule la conversion était proposée aux habitants. En constate combien dans cette seconde stratégies, l'idée même du compromis est écartée. Désormais, l'Ifrîqiya était l'objectif des généraux arabes, et les premières préparations furent amorcées dès la prise de Tripoli.

L'Égypte et la Tripolitaine étaient entre les mains d'un des chefs militaires les plus prestigieux de l'armée arabe, accompagné, dans ses conquêtes, par des hommes de haut rang de la société Mékkoise. Il voulait profiter de ses victoires, en étendant la conquête en territoire d'Ifrîqiya (transcription de l'Africa romaine), mais, la tradition et l'organisation militaire de l'Etat islamique, confiaient au seul calife la décision de lancer une guerre. Conformément à cette règle, inspirée des campagnes du Prophète, cAmr b. al-cÂs consulta le calife cUmar b. al-Khattâb (2). Ce dernier, soucieux de la vie de la communauté musulmane, montra une grande réticence à l'égard d'une incursion en Afrique byzantine. Les sources arabes retranscrivent tous une phrase, devenue très célèbre, du calife pour désigner la perfidie de ce pays (3). De ce fait, si la Syrie, la Perse et l'Égypte, les territoires conquis jusqu'alors lui étaient familiers, depuis trois siècles, la province byzantine en revanche, éloignée de l'Égypte qui était la principale base de l'armée arabe, lui était une contrée totalement inconnue, car la Tripolitaine n'avait été qu'une étape de halte pour l'armée arabes(4). La réticence du calife à s'aventurer dans cette contrée est signalée par l'ensemble des auteurs arabes car elle constitue à leurs yeux la vision politique et militaire d'un calife soucieux de la vie de ses troupes. Par la suite, les victoires obtenues par ses successeurs seront signalées comme la revanche militaire d'une Égypte, confinée dans l'attente en raison de l'interdiction de son calife.

Sous le calife cUtmân (23-35 H/ 644-656), les militaires obtiennent l'autorisation de conquérir l'Ifrîqiya, changement de position qui allait susciter l'opposition des fidèles à la ligne de conduite fixée par le calife cUmar premier (5).

cUtmân, soutenu par la majorité du conseil islamique qui avait approuvé la guerre sainte (6), accéléra les préparatifs militaires afin d'obtenir une victoire par les armes qui ne pouvait que consolider son pouvoir, l'établir comme troisième calife du Prophète, et l'un des représentants de l'oligarchie aristocratique qurayshite. Au nom du jihâd, facteur fondamental de légitimité et réunificateur des composantes de la société, le calife cUtmân avait appelé la communauté à la guerre sainte, ce qui permit de mobiliser une armée estimée à 20 000 hommes, du nom de "Jaysh al-cAbâdila" (les troupes des cAbd Allâh), sous le commandement du gouverneur de l'Égypte le qurayshite cAbd Allâh b. Abî Sarh en 27 H/ 647 (7).

L’Afrique byzantine était alors sous l'autorité du patrice Grégoire (Gregorius) (Djarjir dans les sources arabes), l'exarque avait profité des dissensions religieuses entre l’église et l'empereur quelques années auparavant, pour se déclarer indépendant (8), et coupé sa province du reste de l'empire. Grégoire avait délaissé Carthage pour

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s'établir à la ville de Sufetula (Sbeytla dans les sources arabes). Il se porta au-devant de l'armée arabe dans un terrain découvert, favorable aux tactiques militaires arabes et fut tué au cours de la bataille. Son armée abandonna alors Sufetula. Les Arabes lancent des raids dans toutes les directions, sans s'attaquer aux villes fortifiées du nord. Malgré cette victoire retentissante en Orient, les recommandations précises d'Utmân sur la tactique militaire à suivre laissent l'expédition au point d'un raid de reconnaissance. (9). La campagne du gouverneur qurayshite cAbd Allâh b. Sacd prend fin en 28 H/ 649, dans un contexte somme toute peu glorieux puisque l'évacuation du territoire conquis s'obtint par rançon et suscita d'importantes querelles parmi les officiers sur les modalités de partage du butin de la conquête. Cette première campagne militaires qui sembla si facile et fructueuse ne laissa donc aucune trace d'occupation permanente, après que les byzantins eurent acheté le départ des troupes arabes, le Maghreb connut dix-sept ans de répit (10).

Après l'assassinat du calife du califat cUtmân, la communauté musulmane traversa une grande crise d'instabilité, qui endigua un temps les projets des militaires installés en Tripolitaine. Les querelles inter-musulmanes, notamment les luttes entre les cAlites et les Mucawites (11), s'achevèrent par la victoire en 40 H/ 660 de la tendance de Mucâwiya, et la mise en place d'un nouveau pouvoir à Damas, qui devint aussi le centre de l'islâm (12). La naissance des deux tendances politico-religieuses: le kharijisme et le shicisme au cours de cette crise instaura une nouvelle pratique du pouvoir. Les deux tendances allaient jouer, l'une après l'autre, un grand rôle dans l'histoire du monde musulman oriental ainsi que dans les transformations politiques au sein du Maghreb. Le kharijisme, en particulier, avec son idéologie égalitaire, allait inspirer et justifier les actes des révoltés, qui voulaient accéder à l'indépendance de la région vis-à-vis de l'orient musulman et son institution politique le califat (13), la doctrine kharijite est certainement l'élément le plus essentiel au Maghreb médiéval.

Ce déchirement politico-religieux en Orient laisse à penser que l'Afrique byzantine allait profiter de ces dix-sept ans pour réorganiser ces positions militaires et consolider son unité religieuse. Les textes ne stipulent rien de tel: les querelles religieuses persistèrent et la ligne militaire stagna aux frontières de la Tunisie centrale et septentrionale.

Les militaires de l'Égypte et de la Tripolitaine en particulier, qui tenaient depuis l'expédition d'Amr b. al-cÂs et cAbd Allâh b. Sacd, une garnison permanente à Barqa et Waddân, et possédaient une certaine connaissance du territoire d'Ifrîqiya, des moyens de défenses militaires de Byzance et des populations berbères, ne tardèrent pas à lancer un appel au nouveau calife. La seconde campagne fut rapidement mise en route, avec une armée estimée à 30 000 hommes, sous la direction de Mucâwiya b. Hudayj. Une fois débarqué à Sousse (Hadrumète) alors sous commandement de Nicéphore, l'exarque envoyé par l'empereur Constantin (641-668), la ville fut assiégée et prise par cAbd Allâh b. al-Zubayr (14), Jalûla à son tour tombait aux mains d'Abd al-Mâlik, ainsi que la ville de Benzarte et l'île de Djerba (15). Cette campagne éclair, qui avait semé le trouble en Ifrîqiya et qui portait ses vue sur les villes du nord, était-elle une nouvelle stratégie de chefs militaires, attendait-elle une meilleure connaissance du territoire et des forces militaires byzantines? Les textes arabes n'apportent aucune réponse sur ce point. Comme la précédente campagne, nous observons qu'elle reste un raid de reconnaissance, s'achevant sur des querelles entre les chefs militaires au sujet de la gestion des retombées financières de la campagne.

L'orientation vers une politique d'occupation permanente pour soumettre la population locale ne semait en place qu'avec cUqba b. Nâfic (16). Chef militaire habile, il avait fait ses preuves en Afrique par une longue marche militaire en Cyrénaïque, au Fazân et par la conquête de l'oasis de Ghadamès en 42 H/ 662 (17). Pour les sources arabes, cUqba b. Nâfic est une véritable autorité de l'islâm en Ifrîqiya.

Commandant une armée estimée à 10 000 hommes, il dirigea des opérations militaires en 670. Durant les trois ans que dura la campagne, le chef militaire se démarqua de ses prédécesseurs, fidélité aux tactiques recommandées par le calife cUmar Ier, il eut pour objectif l'occupation de l'Ifrîqiya. Entant que gouverneur, il passa outre les étapes préliminaires à la conquête et fonda au cœur de la byzacène une nouvelle ville -al-Qayrawân-, qui signifie au Moyen-Age "camp" ou "arsenal". L'histoire de l'islâm au Maghreb considérera la fondation de cette ville comme la place d'armes devant servir l'islâm jusqu'à la fin des temps" (18). Malgré les victoires obtenues, ainsi que son expérience du terrain, cUqba b. Nâfic fut relevé de ses fonctions en 56 H/675: trop radical dans son zèle religieux, il ne sut faire preuve de sens militaro-diplomatique, et l'on rapporte son mépris et les insultes répétées à l'égard des berbères. En désigna pour le remplacer Abû al-Muhâjir Dînâr un homme de compromis.

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Abû al-Muhâjir Dînâr était mawlâ des Ansâr (19), nommé par le gouverneur de l'Égypte Maslama b. Mukhallad al-Ansârî, commandant des opérations militaires en Ifrîqiya. Les sources arabes nous présentent la personnalité d'Abû al-Muhâjir: un homme de compromis, dont la finesse diplomatique permettrait de gagner la sympathie des Berbères, en particulier de leurs chefs, traditionnellement très suivis par la majorité de leurs tribus. Toutefois Abû al-Muhâjir reste mandaté par le calife pour réaliser des poussées militaires au pays des berbères. Ce qu'il fit puisque les sources lui accordent les mérites des premières avancées de la conquête vers l'ouest jusqu'aux bourgades de Tlemcen, où il captura Kusayla, le chef des Awraba et de la future résistance berbère (20). Abû al-Muhâjir laissa aux Byzantins la Proconsulaire et la Numidie (21).

Opposé à la politique radicale de son prédécesseur. Dont il avait critiqué les projets, Abû al-Muhâjir mit en place une toute autre politique de conquête, un comportement différent à l'égard des berbères et modifia l'emplacement de Qayrawân, un comportement qui rappelle bien des politiques dynastiques au Maghreb plus tard et des gouverneurs qui se trouvaient de plus en plus indépendants des orientations politiques du calife (22). Pour la première fois la politique de négociation qu'avait menée Abû al-Muhâjir avec le chef des Awraba et de la confédération Sanhâja, qui dominait tout le Maghrib central, donna des résultats. Le chef des Awraba avait accepté de se rallier à l'islâm, à condition que son clan devienne membre de la communauté musulmane. La date de 59 de l'hégire restent une date importante de la conversion massive, qui allait permettre aux Arabes de s'attaquer avec leur allié à Carthage et Mila. Mais la nomination d'Uqba b. Nâfic, pour la seconde fois, allait changer la donne politique et les procédés militaires de la conquête.

De retour au pouvoir en 682, cUqba b. Nâfic avait rétabli Qayrawân dans son ancien emplacement tout en mettant en détention son rival Abû al-Muhâjir au côté de Kusayla qu'il avait humilié selon les sources arabes (23). Entre 682 et 683, une période qui reste célèbre par l'étendue de la conquête: des steppes de l'Atlas jusqu'au sud du Maghrib occidental, les auteurs arabes évoquent l'itinéraire d'Uqba, de Qayrawân jusqu'au nord des Aurès, le Zab, Tâhert et Tanger. cUqba poursuivit ensuite sa route jusqu'au sud du Maghrib occidental à Nafîs et Aghmât (24). Durant cette longue marche militaire, cUqba se heurta aux coalitions des Berbères et des Byzantins, notamment à Baghâya, Lambès, au Zab etc. C'est à son retour, que Kusayla l'attaqua par surprise dans la ville de Tahûda près de Biskra. cUqba et Abû al-Muhâjir y trouvèrent la mort. La coalition berbère maître de Qayrawân, prenait sa revanche sur les conquérants et mit en place une situation difficile pour l'armée arabe qui allait durer cinq ans (25). Le désastre de Tahûda allait ainsi ouvrir la voie à des mouvements de révolte des Berbères, qualifiés par l'historiographie arabe d'apostasie (Rida) et exploités par "l'infidèle" byzantin.

Le calife ne peut tolérer longtemps pareille situation. La position militaire de Byzance n'est pas au point mort. Elle possède encore des ports de ravitaillement pour ses militaires et ses garnisons. Il garde les forteresses dans le nord. Les Berbères, de leurs côtés, résistent par tous les moyens. Ils sont arrivés à mettre en déroute les troupes arabes en prenant le symbole de l'islâm (Qayrawân), la première garnison et ville fondée par les conquérants pour maintenir le territoire sous leur domination (26). Le calife cAbd al-Mâlik (66 H/685 - 86 H/705) décida d'envoyer Zuhayr b. Qays. Ce dernier affronta la coalition berbère de Kusayla à Mens, à l'ouest de Qayrawân, où le chef berbère trouva la mort. La mission accomplie, l'armée arabe se replia sur ses bases: cette campagne fit alors figure d'expédition punitive à l'encontre des berbères. La domination arabe fut brève: débarquées en Ifrîqiya, les forces byzantines éliminèrent Zuhayr b. Qays infligeant une nouvelle défaite aux arabes et installant à nouveau leur pouvoir sur l'Ifrîqiya (27)

La résistance berbère commence à se mettre en place lorsque ces derniers réalisent que la volonté des arabes à souhaiter leur intégration à la communauté musulmane et à l'empire islamique, signifie accepter de vivre sous domination étrangère. Les berbères acceptent l'islâm mais refusent farouchement la domination politique des arabes (28), ce que marque la révolte berbère de Kusayla (68 H/687 - 71 H/690) et leur victoire s'amorce dans ce que l'on peut qualifier de lutte contre la domination étrangère qui n'associa pas les byzantins. Ce modèle de lutte libre se renouvela dans une résistance initié par la princesse de l'Aurès, de la tribu de Jrawa, connue sous le nom légendaire de Kâhina.

A la tête de 40 000 hommes, le gouverneur Hasân b. al-Nucmân avait pour objectif la conquête d'Ifrîqiya. Installé à Qayrawân, il avait attaqué en 694 la ville de Carthage. Une fois la ville aux mains des conquérants, les Rûms, poursuivis jusqu'à Binzerte, se réfugièrent à Bône (29). Malgré la reconquête de la ville en 695 par une flotte conduite par le patrice Jean, Hasân reconquit Carthage pour la seconde fois en 697 (30). Hasân allait cependant devoir affronter un autre adversaire, la princesse berbères, nommée par les textes arabes la Kâhina -surnom

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arabe signifiant devineresse- (31); dont les origines sont entourées de légendes. De la tribu des Jrawa, elle reprit le flambeau de la révolte berbère, de résistante aux conquérants.

Après sa victoire militaire d'Ayn al-Bayda, elle repoussa l'armée arabe jusqu'à Gabès en inaugurant la stratégie de "la terre brûlée", détruisant les cultures entre l'Aurès et l'Ifrîqiya, qui selon elle constituait le butin recherché par les Arabes (32). Après s'être replié sur Tripoli, Hasân affronta la Kâhina à Gabès, puis la poursuivit jusqu'à Tabarka, où elle succomba au bord d'un puits (Bîr al-Kâhina) à la sortie de la montagne Neshâr, à quelque 50 km de Tobna. Après sa défaite à Gabès, la Kâhina conseilla à ses deux fils de changer de camp et de passer à la religion des vainqueurs (33). Malgré la victoire de Hasân b. al-Nucmân le calife cAbd al-cAzîz le remplaça par Mûsâ b. Nusayr en 85 H/ 704.

L'Ifrîqiya conquise, il reste pour les vainqueurs, la poursuite de l'expansion territoriale vers le Maghrib extrême et la Péninsule Ibérique. Abû cAbd al-Rahmân Mûsâ b. Nusayr al-Lahmî, Mawlâ d'origine arabe des Umayyades, fut placé en 85 H/704 par le gouverneur d'Égypte cAbd al-cAzîz b. Marwân à la tête de la province d'Ifrîqiya. Fort de son expérience administrative et politique en Iraq et en Égypte, Mûsâ poursuivit l'œuvre d'Uqba b. Nâfic. Dès son arrivée à Qayrawân, il déposa le gouverneur Abû Sâlih, lieutenant de Hasân, en reprenant en même temps la pacification de l'Ifrîqiya. Puis, il engagea une expédition vers Tanger et dans le Sûs al-Aqsâ. Après que "le peuple fut rentré dans l'obéissance", Mûsâ b. Nusayr désigna Târiq b. Ziyâd commandant de Tanger, et l'investit de la mission de la conquête de la Péninsule ibérique qui débutera en 92 H/ 711. Ainsi, dans la première décennie du VIIIe siècle, le Maghreb, fut sur le plan militaire, soumis à l'autorité des califes d'orient.

Après la conquête arabe du Maghreb (642-711), les Berbères ont embrassé l'islâm en masse, cependant leur conversion n'était guère que pure forme. Ils adhérèrent à l'islâm parce que les Arabes leur avaient porté des coups militaires décisifs, mais il reste que l'islâm apparaît aux berbères comme une doctrine simple et claire, porteuse d'une plate-forme de société égalitaire. Mais cette adhésion allait se transformer au fil des années, en raison de la politique purement arabe de l'empire Umayyade de l'aristocratie Mekkoise des Qurayshîtes, les anciens adversaires les plus farouches au Prophète et les convertis de la dernière heure à l'islâm. Cette aristocratie Mékkoise dirigeant le monde musulman à son profit, elle peinait à appliquer les principes égalitaires de l'islâm, continuant à traiter les nouveaux convertis en citoyens de deuxième ordre sur le plan fiscal, administratif et politique. En un mot les nobles de la Mecque détenaient sans partage le pouvoir politico-religieux dans le monde musulman. La conquête arabe bouleversa profondément le Maghreb tournée jusqu'à lors vers l'occident chrétien à travers les rapports économiques, sociaux et militaires, particulièrement entretenus avec Byzance, l'Italie et l'Espagne, le Maghreb malgré son autonomie dont il jouissait au VIIe siècle, s'attacha à la fin de la conquête de Mûsâ b. Nusayr, à Damas et à la dynastie Umayyade Qurayshite. De ce fait, l'histoire des dominations étrangères au Maghreb est, pour la première fois, celle d'une domination de civilisation qui n'était pas romaine et chrétienne.

(1)-Sur ces conquêtes, nous citons à titre indicatif:-IBN cABD AL-HAKAM, Appendice dans IBN KHALDÛN cAbd al-Rahmân, Histoire des Berbères..., T., I, édit., Paul Geuthner, Paris, 1978, pp., 302 sq.-AL-YAcQÛBÎ, Târîh al-Yacqûbi, E.J., Brill, Leiden, 1969, pp., 179-180.-IBN AL-FAQÎH, Mukhtasar Kitâb al-Buldân, Beyrouth, 1988, p., 77.-AL-BAKRÎ, Description de l’Afrique septentrionale, trad., DE SLANE, édit., Maisonneuve, Paris, 1965, pp., 4-5.-JARRY Jacques, L'Egypte et l'invasion musulmane, Annales Islamologiques, T., I, 1966.-IBN cIDÂRÎ, al-Bayân al-mughrib fî akhbâr al-Andalusie wa al-Maghrib, éd., par LEVI-PROVENçAL Evariste, édit., Dâr al-Taqâfa, Beyrouth, 1983, T., I. p., 8-MARMOL C., Ifrîqiya, trad., par HAJJI Mohamed et autres, édit., Maktabat al-Macârif, Casablanca, T., I, 1984, p., 148.-ZAWI Ahmad, Târîkh al-fath al-cArabî fî Libyâ, Dâr al-Macârif, le Caire, 1963, p., 31 sq.

(2)-N: cUmar b. al-Khattâb (13-23 H/ 634-644) est l'un des califes du Prophète, qui a doté la communauté d'un califat unitaire, centralisé et des premières institutions étatiques et religieuses.Sur ce compagnon du Prophète, nous citons l'étude de:-MAHMÛD Ismâcîl, Qadâyâ fî at-târîkh al-islâmî, Dâr at-Taqâfa, Casablanca, 1981, pp., 13 à 33.-SÂLIH cAbbâs, al-Yamîn wa al-yasâr fî al-Islâm, Beyrouth, 1972, pp., 59 sq.

(3)-IBN cABD AL-HAKAM, Appendice..., op. cit., pp., 306-307).-AL-YAcQÛBÎ, Târîkh..., T., II, op. cit., p., 197.

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(4)-LECOMTE G., L'Ifrîqiya et l'Occident dans le Kitâb al-Macârif d'Ibn Qutayba, dans C.T., N° 19-20, pp., 252 sq.(5)-N: selon al-Nuwayrî, (Appendice.., op. cit., p., 314), Abû l-Acwâr Sacîd b. Zayd avait répondu pour expliquer le motif de sa désapprobation: "j'ai entendu cUmar b. al-Khattâb déclarer que tant que ses yeux porteraient les larmes, aucun musulman ne ferait une expédition contre ce pays; et je ne conseillerai jamais une démarche qui serait en opposition avec la volonté de ce calife".(6)-N: le conseil du calife, composé principalement des compagnons du Prophète avait fonctionné comme une chambre consultative.

(7)-AL-NUWAYRÎ, Conquête de l'Afrique septentrionale par les Musulmans et l'histoire de ce pays sous les Émirs arabes, dans IBN KHALDÛN cA., Histoires des Berbères..., T., I, édit., Paul Geuthner, Paris, 1978. pp., 314 sq.-IBN cABD AL-HAKAM, Appendice..., op. cit., p., 304.-IBN cIDÂRÎ, al-Bayân.., T., I, op. cit., p., 9.-IBN KHALDÛN cA., Histoire des Berbères..., T., I, op. cit., p., 209.

(8)-Sur la situation militaire de l'Afrique byzantine, nous citons:-BREHIER Louis et AGRAIN René, Grégoire le Grand, les Etats barbares et la conquête arabe (590-757), édit., Bloud et Gay, 1938, en particulier les pages 211 à 230.-DIEHL Ch., L'Afrique byzantine, Paris, 1896.

(9)-IBN cABD AL-HAKAM, Appendice..., op. cit., pp., 304 sq.-AL-NUWAYRÎ, Appendice..., op. cit., p., 314.-AL-YAcQÛBÎ, Târîkh..., T., I, op. cit., p., 191.-AL-BALADÛRÎ, Kitâb al-Buldân, édit., Sharikat Tabc al-Kutub al-cArabiya 1900, pp., 234 sq.-AL-MÂLIKÎ, Riyâd al-nufûs fî macrifat tabaqât cUlamâ' al-Qayrawân wa Ifrîqiya, éd., par BAKOUCH Bachir, édit., Dâr al-Gharb al-Islâmî, Beyrouth, 1984, T., I., pp., 17-19-21- sq.-IBN KHALDÛN, Histoire des Berbères..., T., I, op. cit., pp., 209-210.

(10)-N: a part l'éloge que les auteurs arabes faisaient de la campagne d'Abd Allâh b. Sacd, ils insistent sur la destruction de Sufetula, événement symbolique de la première expédition à ce sujet voir:-AL-NUWAYRÎ, Appendice..., op. cit., p. 322.-IBN cABD AL-HAKAM, Appendice..., op. cit., pp., 304 - 305. Il écrit: "il retourna en Egypte sans laisser de gouverneur, et sans y établir de Qayrawân...".-IBN KHALDÛN cAbd al-Rahmân, Histoire des Berbères..., T., I, op. cit., 209.

(11)-Sur les polémiques autour d'Utmân, sa gestion des biens de la communauté, les prélèvements sur le trésor public, la destitution des grands compagnons des charges provinciales, nous citons:-LAOUST Henri, Les schismes dans l'Islâm, Payot, Paris, 1977, pp., 7 sq.

(12)-L'assassinat d'Ali, gendre et cousin du Prophète, et l'installation de son rival Mucâwiya au pouvoir, fils d'Abû Sufyân, autrefois chef de la maison puissante des Umayyades et de l'opposition mékkoise est la première dissension décisive dans l'Islâm (W. Montgomery Watt, Mohamed à la Mecque, Paris, 1958, pp., 133-175 et Mohamed à Médine, Paris, 1959, pp., 85-98). Cette dissension allait changer l'orientation de l'histoire politico-religieuse de l'Islâm dans le domaine de la succession, de la légitimité des successeurs. L'initiative de désigner son fils héritier du pouvoir de son vivant, Mucâwiya a suscité des réactions hostiles à ce changement, qui allaient durer le long de l'histoire des Umayyades (40 H/ 660 - 132-750); pour mieux contrôler l'opposition les Umayyades au cours de leur histoire ont poussé à la conquête. (Sur les conquêtes Umayyades, D. J. Sourdel, la civilisation classique de l'Islâm, Paris, 1983 et MANTRAN Robert, L'expansion musulmane (VIIIe - XIe siècle), édit., PUF, Paris, 1969).

(13)-Sur la crise du califat et le kharijisme en Afrique du Nord, nous citons:-Mahmûd Ismâcîl, Qadâyât fî at-târîkh..., op. cit., pp., 34 sq (3 articles).-LAROUI Abdallah, Histoire du Maghreb. Un essai de synthèse, François Maspero, Paris, 1982, pp., 86 à 96.-TERRASSE Henri, Histoire du Maroc des origines à l'établissement du protectorat français, édit., Atlantides, Casablanca, 1950, pp., 86 à 104.

(14)-IBN cABD AL-HAKAM, Appendice.., op. cit., p., 307. al-Bakrî, Description...., op. cit., p., 75.(15)-IBN cABD AL-HAKAM, Appendice..., op. cit., p., 307.

-AL-NUWAYRÎ, Appendice..., op. cit., pp., 324-326. -IBN KHALDÛN cA., Histoire des Berbères..., T., I, op. cit., pp., 210-211. -AL-BAKRÎ, Description de l’Afrique..., tx., fr., op. cit., pp., 71 et 122.

(16)-N: parmi les mérites des textes arabes, la distinction entre les raids de reconnaissances et la conquête organisée et permanente.(17)-IBN cABD AL-HAKAM, Appendice..., op. cit., pp., 309-312.

-AL-NUWAYRÎ, Appendice..., op. cit., pp., 327-330.-IBN KHALDÛN cA., Histoire des Berbères..., T., I, op. cit., p., 211.

(18)-IBN cABD AL-HAKAM, Appendice..., op. cit., pp., 311-312.-AL-NUWAYRÎ, Appendice..., op. cit., pp., 327-330.-IBN KHALDÛN cA., Histoire des Berbères..., T., I, op. cit., p., 211.-N: cUqba b. Nâfic avait fondé la ville administrative et politique d'une province que les autorités de l'orient voulaient indépendante vis-à-vis de l'Egypte: « Mucâwiya b. Hudayj rentra alors en Égypte, et reçut d'Ibn Abî Sufyân le gouvernement de ce pays, en échange de celui de l'Ifrîqiya. Ce dernier pays devint ainsi un gouvernement séparé, ne dépendant plus de celui de l'Égypte, mais relevant directement du calife » AL-NUWAYRÎ, Appendice..., op. cit., p., 326.

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(19)-IBN cABD AL-HAKAM, Appendice..., op. cit., p.,-ABÛ AL-cARAB, Tabaqât cUlamâ' Ifrîqiya wa Tunis, 1968, AL-MÂLIKÎ, Riyâd al-nufûs..., T., I, op. cit., p., 31 et autres disent qu'il était mawlâ de Maslama b. Mukhallad (voir aussi AL-NUWAYRÎ, Appendice..., op. cit., p., 330).

(20)-AL-NUWAYRÎ, Appendice..., op. cit., pp., 330-331.-AL-MÂLIKÎ, Riyâd al-nufûs..., T., I, op. cit., p., 33.-Selon l'auteur des cIbars: « Kusayla rallièrent tous les Branès sous leurs drapeaux, Abû al-Muhâjir marcha contre les révoltés, et, arrivé aux sources (cUyûn) de Tlemcen, il les battit complètement et fit Kusayla prisonnier... » Ibn Khaldûn cA., al-cIbar, trad., DE SLANE, "Histoire des Berbères...", T., I, op. cit., p., 211.

(21)-Sur le traité entre les Berbères et les Byzantins d'un côté et Abû al-Muhâjir, nous citons AL-MÂLIKÎ, Riyâd al-nufûs..., T., I, op. cit., p., 33.

(22)-Sur la rivalité entre ces deux chefs militaires: Abû al-Muhâjir et cUqba b. Nâfic :-AL-YAcQÛBÎ, Târîkh..., T., II, op. cit., p., 272.-AL-MÂLIKÎ, Riyâd al-nufûs..., T., II, op. cit., p., 33.-IBN cIDÂRÎ, al-Bayân..., T., I, op. cit., p., 23.

(23)-N : la stratégie des militaires arabes avait produit deux faits lors de la conquête du Maghreb.1 - Le premier est que des régions du Maghrib étaient souvent restées autonomes, les montagnes de l'Awrâs au Maghrib central et l'Atlas au Maghrib occidental. Ces foyers montagneux ont constitué les refuges des notables berbères et de leurs familles, c'est de ces régions que les berbères ont organisées et menées leur résistance aux arabes.2 - Le deuxième fait est le traitement des chefs berbères qui ont bénéficié d'une captivité "dorée". Kusayla par exemple, vaincu par Abû al-Muhâjir Dînâr, s'était soumis et rallié au vainqueur, mais dès que le successeur d'Abû al-Muhâjir lui avait retiré ces privilèges; il s'échappe pour rejoindre les berbères dans les montagnes autonomes insoumises, d'où il avait appelé à l'insurrection contre les Arabes.(24)-N: les sources arabes estiment son armée à 15 000 cavaliers et des contingents berbères ralliés à sa marche militaire à travers le

Maghreb, (IBN cIDÂRÎ, al-Bayân al-mughrib..., T., I, op. cit., p., 23). L'auteur d'al-Bayân trace la route d’Uqba de Qayrawân, Baghâya, Carthage, Munastîr, le pays du Zâb, Tâhert, Bilâd Tâmasna (Sûs al-Adnâ, Sus al-Aqsâ). Ibid., pp., 23 sq.-AL-BAKRÎ, Description de l’Afrique..., tx., fr., op. cit., p., 150.

(25)-«Pendant cinq années, Kusayla gouverna l'Ifrîqiya et exerça une grande autorité sur les Berbères. Il s'était fixé à Qayrawân...» IBN KHALDÛN cA., Histoire des Berbères..., T., I, op. cit., p., 212.-IBN cABD AL-HALÎM, Nouveau récit de la conquête de l'Afrique du Nord, dand Arabica, V., I, Leyde, 1954, p., 40.-IBN cIDÂRÎ, al-Bayân..., T., I, op. cit., p., 31.-AL-BAKRÎ, Description de l’Afrique..., tx., fr., op. cit., p., 151.

(26)-N: une affirmation pertinente d'Ibn Khaldûn sur le traitement des Arabes: «Il (Kusayla) avait accordé grâce et protection à tous les Arabes qui, n'ayant pas le moyen d'emmener leur enfant et leurs effets, étaient restés dans cette ville (Qayrawân)» Histoire des Berbères...,T., I, op. cit., p., 212.

(27)-Le "royaume berbère de Kusayla" entre (68 H/687 - 71 H/690), n'avait pas de politique anti-islâm comme religion, mais anti-arabe comme domination étrangère, surtout que les Umayyades étaient intraitables en ce qui concerne la souveraineté d'un non-arabe sur leur province(28)-IBN cABD AL-HAKAM, Futûh..., op. cit., pp., 61-62.

-AL-NUWAYRÎ, Appendice..., op. cit., pp., 337-338. AL-BALADÛRÎ, Futûh..., op. cit., p., 236.-AL-MALÎKÎ, Riyâd al-nufûs..., T., I, op. cit., pp., 45-46-38.-IBN cABD AL-HALÎM, Nouveau récit..., op. cit., p., 40.-IBN KHALDÛN cA., Histoire des Berbères..., T., I, op. cit., pp., 212-213.-AL-DABÂGH, Macâlim al-Imân fî macrifat ahl al-Qayrawân, édit., al-Matbaca al-carabiya, Tunis, T., I, op. cit., pp., 50-55.-IBN cIDÂRÎ, al-Bayân..., T., I, op. cit., pp., 31 - 32.

(29)-N: «la ville de Bône était la demeure de Saint Augustin (Augochtîn), grand docteur de la religion chrétienne». AL-BAKRÎ, Description de l’Afrique..., tx. fr., op. cit., p., 116.

(30)-IBN cABD AL-HAKAM, Appendice..., op. cit., p., 62.-AL-NUWAYRÎ, Appendice..., op. cit., p., 339.-AL-MALÎKÎ, Riyâd al-nufûs..., T., I, op. cit., pp., 48 - 49.-AL-DABÂGH, Macâlim al-Imân..., T., I, op. cit., pp., 55 – 56.-IBN cABD AL-HALÎM, Nouveau récit..., op. cit., p., 40.-IBN KHALDÛN cAbd al-Rahmân, Histoire des Berbères et des dynasties musulmanes de l'Afrique septentrionale..., T., I, op. cit., p., 213.-IBN cIDÂRÎ, al-Bayân al-mughrib..., T., I, op. cit., pp., 36 - 37.

(31)-N: le premier siècle de l'islamisation qui s'étend du VIIIe au XIe siècle était l'époque des faux prophètes, dont la reine des Aurès, la Kâhina qui a organisé la résistance aux arabes était la première dans l'histoire de la région et qui apparaît dans les sources arabes comme une femme qui avait des dons prophétiques sur ce sujet, voir à titre indicatif:-FERHAT Halima et TRIKI Hamid, Faux prophètes et mahdis dans le Maroc médiéval, dans Hesp., Tam., V., XXVI - XXVII, Fasc.,

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unique, 1988 - 1989, pp., 5 à 23.-LEWICKI T., Prophètes, devins et magiciens chez les berbères médiévaux, Folia Orientalia, T., VII, Cracovie, 1965.

(32)-IBN cABD AL-HAKAM, Futûh..., op. cit., p., 63.-AL-NUWAYRÎ, Appendice..., dans IBN KHALDÛN cAbd al-Rahmân, Histoire des Berbères..., op. cit., pp., 340 - 341.-AL-MÂLIKÎ, Riyâd..., T., I, op. cit., pp., 48 - 49. AL-DABÂGH, Macâlim..., T., I, op. cit., p., 59.-IBN cABD AL-HALÎM, Nouveau récit..., op. cit., p., 40.-IBN cIDÂRÎ, al-Bayân..., T., I, op. cit., pp., 36 - 37.-IBN KHALDÛN cA., Histoire des Berbères..., T., I, op. cit., pp., 213 - 214.

(33)-IBN cABD AL-HAKAM, Futûh..., op. cit., p., 64.-AL-BALADÛRÎ, Futûh..., op. cit., p., 236. AL-NUWAYRÎ, Appendice..., op. cit., p., 238.-AL-MÂLIKÎ, Riyâd al-nufûs..., op. cit., pp., 51-55.-AL-DABÂGH, Macâlim al-Imân..., T., I, op. cit., pp., 56-60.-IBN cABD AL-HALÎM, Nouveau récit..., op. cit., p., 41.

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JIHAD, SHAHID ET ECONOMIE DE LA CONQUETE ARABE AU MAGHREB.

Le mouvement des conquêtes (Futûhât) se fonde à partir du principe du jihâd, qui est la base d'une confrontation entre l'islamisateur et le futur islamisé. Le Maghreb fut le territoire qui allait permettre à la communauté des croyants d'installer un pouvoir politico-religieux, attaché au centre de l'islâm et à l'institution du califat. Notons que la plate-forme de l'islâm de base constitué de principes unitaires et égalitaires, facilite d'une certaine façon le discours à tenir au futur islamisé, à ce titre, tout indique que l'hostilité première des uns et des autres à la conquête arabe disparut à la fin de la guerre grâce à l'application du mode d'organisation politico-social et la vocation universaliste revendiqués par le coran et la sunna. Le jihâd, véritable institution juridico-théologique, est resté pendant des siècles un concept d'expansion territoriale qui détermina les relations entre les musulmans et les non-musulmans, c'est pourquoi la guerre sainte est un dogme, une institution musulmane et une application historique du concept.

Le jihâd (nom d'action à la troisième forme, -celle qui désigne l'action dirigée sur un objet- d'une racine signifiant "faire effort") est l'acte suprême qui désigne la lutte pour l'expansion de la religion musulmane et sa défense contre le deuxième peuple de la terre, les habitants du pays de la guerre. Les infidèles, quelle que soit leur croyance sont destinés à passer sous la juridiction musulmane. La guerre permanente des musulmans contre Dâr al-harb est donc une obligation divine émanant du Coran "Combattez les polythéistes totalement comme ils vous combattent totalement" ainsi que des paroles et actes du prophète.

Ce devoir collectif était entouré de discussions juridiques sous des formes diverses, afin de tracer un cadre juridique précis dans sa forme et ses principes pour que l'obligation religieuse devînt un acte de croyance indissociable des autres actes de l'islâm. Les juristes et les docteurs de la loi musulmane passèrent le Coran au crible et la Sunna pour expliquer et justifier l'obligation de l'acte suprême, dont sa pratique était nécessaire à la religion et à la communauté. Le jihâd est une guerre ouverte contre tous ceux qui se soumettent à l'erreur, il a pour but de les convertir, de les conquérir de force et de confisquer leurs biens (1). Les jurisconsultes des quatre rites du droit musulman ont développé la doctrine suivante: selon les malikites «Le jihâd est une obligation d'institution divine. Son accomplissement par certains en dispense les autres. Pour nous, Malikites, il est préférable de ne pas commencer les hostilités avec l'ennemi avant de l'avoir appelé à embrasser la religion d'Allâh, à moins que l'ennemi ne prenne d'abord l'offensive. De deux choses l'une ou bien ils se convertiront à l'islamisme, ou bien ils paieront la jizya, sinon, on leur fera la guerre.» (2).

En effet, pour le Musulman, Dieu a ordonné le jihâd contre les païens, les juifs, les chrétiens ainsi que zoroastriens (Majûs) (3) ainsi que contre toute forme de religion; le jihâd doit légitiment se poursuivre jusqu'à ce que la religion soit entièrement et uniquement. Le jihâd se trouve donc être l'activité la plus honorable que les juristes et les membres de la société musulmane peuvent consacrer à Dieu (4). Le jihâd contre dâr al-harb est un acte légal, pieux et légitime; tourné contre les non-musulmans destinés par conséquent à la conquête il est conformément à la volonté divine. Cette conquête est régie par un code de principes juridiques, dont la finalité suprême est la conversion des infidèles. Les premiers visés par cet acte militaire sont les païens qui n'avaient que deux choix: la mort ou la conversion, tandis que les juifs et les chrétiens pouvaient, sous certaines conditions politiques, économiques et sociales garder une semi-liberté de culte, la propriété et la sécurité des personnes et des biens.

La guerre sainte demeure une obligation pour tous les Musulmans, selon la possibilité de chacun. Elle est l'un des piliers de la foi, mais aussi le pilier de l'état islamique basé sur le Coran et la sharîca, de ce fait le jihâd est une institution, puisqu'il permet à la fois le financement des conquêtes, l'organisation de la fiscalité et celle du territoire. L'état islamique soumis à l'institution de la guerre sainte privilégia dans son organisation administrative le militaire aux dépens de politique. En effet, c'est l'institution militaire du jihâd qui déterminerait le caractère des institutions politiques, aucun changement ne pouvait être réalisé sans la contribution de l'organisation militaire. Le jihâd reste l'une des sources de profits et de richesses pour les Musulmans. Ce dernier de la mort du Prophète en 632 jusqu'à la bataille de Poitiers en 732, dota l'état islamique d'un nombre très important de provinces. Les retombées financières permirent à cet empire de réaliser des progrès politiques, économiques et administratifs et octroyèrent aux arabes d'entrer dans d'une civilisation de raffinement, loin de la vie nomade de l'Arabie.

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De fait, un siècle après la mort du Prophète, seules les guerres du jihâd ont permis l'expansion de l'état islamique, criant ce que nous pouvons appeler la sphère de l'islâm ou dâr al-islâm. Le territoire conquis était réglé par l'ordre politique et social de l'islâm même si ses habitants n'étaient pas tous musulmans. De ce fait, l'état islamique œuvre à ce que le culte musulman et la suprématie de la sharîca deviennent l'opinion majoritaire dans le pays, au delà des conversions des populations. Au Maghreb, ce qui peut intéresser nos démarches historiques ce sont les faits et les événements de la conquête qui relatent et expriment les principes du jihâd, lesquels tournent autour de quatre interprétations juridiques:

1 - La période offensive et l'appel à l'islâm par la persuasion, qui peut mener à un traité de paix ou à la guerre sainte. Il en va ainsi lorsque aucune menace ne pèse sur dâr al-islâm, dans ce cas précis, le jihâd devient une obligation collective (Fard calâ al-Kifâya).

2 - La deuxième interprétation est le combat défensif pour repousser les agressions contre dâr al-islâm. Face à une menace imminente qui touche le territoire, le jihâd dans ce cas devient (Fard calâ al-cayn): tous les Croyants -hommes, femmes et parfois même les enfants et les tributaires se regroupent pour repousser les agresseurs. Le jihâd dans ce cas s'impose à la communauté dans son ensemble.

3-La troisième interprétation est l'initiative de l'attaque, en dehors des quatre mois sacrés, ou en tous temps comme l'exige la ligne intransigeante des imâms pour ramener les impies sur le "droit chemin" (5).

Il est absurde de discuter la question du jihâd juridiquement et de conclure très hâtivement que la guerre sainte au Maghreb était appliquée à la lettre tant par les chefs militaires que par le pouvoir d'orient, organisateur des campagnes militaires et cela pour deux raisons: la première, est que la guerre sainte suppose et exige des conquérants, quelle que soit leur appartenance tribale ou doctrinale, de conserver l'ensemble des territoires conquis, sauf en cas de défaite militaire. La deuxième, est que la guerre sainte est un moyen militaire pour la conquête d'un territoire au delà de son importance économique et stratégique, c'est un devoir politique qui repose sur un engagement de religieux, comme il est souligné dans les hadîts du Prophète, c'est un acte de dévotion pure, il est l'une des portes du paradis, de grandes récompenses célestes sont assurées à ceux qui s'y a donnent (6).

Le Maghreb a connu ce que nos sources appellent en général: la conquête éclair (Hamla khâtifa) organisait au début de la conquête et la conquête permanente (Istiqrâr). Quelles sont les raisons de ces deux stratégies? Pourquoi le pouvoir musulman a-t-il pu choisir de privilégier l'éphémère (le non-permanent)? Et ce en dépit de ses moyens financiers, de l'expérience de ses combattants, des retombées politiques et financières liées à la conquête? Nous voyons donc que la guerre sainte au Maghreb ne peut être analysée à travers les seuls principes des juristes, même si historiquement tout le mode s'accorde à dire que le jihâd était l'objectif en soi. Le cas du Maghreb n'est nullement un exemple en la matière et il nous faut nous intéressé au jihâd historique pour saisir pleinement les mutations qui suivirent la conquête du Maghreb.

Le calife cUtmân préoccupé par l'état du Maghreb, qui représentait une menace pour les forces musulmanes en Égypte et en Tripolitaine (Qurb hawzihim mina al-Muslimîn) avait envisagé une intervention militaire (7). En effet, la majorité de nos textes légitime ainsi l'action militaire par ces frontières (Tughûr) entre dâr al-islâm et dâr al-harb, et l'acte de la guerre sainte dans ces conditions s'impose à l'ensemble de la communauté. Une fois que la décision prise par le chef suprême, l'orient se prépare à la guerre sainte à tous les niveaux, sous l'autorité du calife et de ses orientations. L'envoi des forces musulmanes, avait fait l'objet d'un rituel religieux du calife à la Mosquée de Médine (Istikhâra) et d'un rituel politique, la réunion des grands compagnons du Prophète pour débattre de la question (Istishâra) (8). Les préparatifs achevés, cUtmân exhorta ses troupes dans les termes suivants: «il monta alors en chaire, et adressant la parole aux troupes, ils les exhorta à combattre pour la cause de Dieu» (9). Le discours du calife avait clôturé la cérémonie des préparatifs guerriers en Orient. La jonction des deux forces de Médine et d'Égypte lança la conquête de l'Ifrîqiya.

Une fois en Ifrîqiya, l'application du dogme du jihâd s'impose aux chefs militaires arabes. Au début, les pourparlers furent engagés entre l'homme fort du pays le patrice Grégoire (10) et cAbd Allâh b. Sacd (11). Les 13 jours des pourparlers se sont achevés par la bataille de Sufetula, mais rien ne fut relaté par les chroniqueurs sur

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les discussions (12), sauf l'invitation faite à Grégoire d'embrasser l'islâm (13). Quelles était les garanties politiques et économiques offertes par les conquérants? Quel était l'avenir des hommes de haut rang? Nous n'avons pas de texte qui réponde à ces questions, hormis cette invitation, que le patrice Grégoire avait refusée, les textes en notre possession stipulent que dans le cadre de la lutte «dans la voie de Dieu», la première procédure religieuse fut suivie d'après nos textes.

Le différend entre les deux hommes dans les pourparlers était d'ordre financier, puisque les conquérants avaient demandé l'impôt de la jizya (14). En homme fier (15), le patrice Grégoire avait refusé la deuxième procédure du jihâd, avec force (16). Les procédures religieuses que constitue le principe du jihâd ont permis aux conquérants de placer Grégoire devant le choix de la guerre, mais nous pouvons penser que les forces musulmanes étaient, elles aussi, dans l'obligation d'engager les hostilités.

Toutefois une fois la victoire acquise et le butin de guerre obtenu, les conquérants négociant un traité avec les chefs berbères et byzantins. Le traité selon nos documents, n'avait exigé que l'impôt annuel (kharâj sanawî), en échange d'une évacuation totale des territoires. . Pourquoi ce recul rapide? Faut-il l'imputer à la situation politique de l'orient ou à la situation militaire de ses combattants? (17). Si l'on se réfère au récit du chroniqueur al-Nuwayrî, il semble que les critères liés à la guerre sainte n'ont pas tous été respectés par les conquérants, aussi écrit-il «suivant un autre, il leur accorda la paix moyennant une somme d'argent de deux millions cinq cent mille dont ont lui compta, et une condition du traité était que les Musulmans gardaient tout le butin qu'ils avaient fait pendant la guerre, mais qu'il rendait ce qu'il avaient enlevé depuis le commencement des pourparlers» (18). Les vaincus n'ont donc pas émis comme seul condition au traité de paix, l'évacuation de leur territoire. Il paraît clair à la lecture des ouvrages des chroniqueurs, que les uns et les autres ont essayé de tirer le plus grand profit du traité, sur la base de la terre contre une indemnité.

Cette forme de conquête d'Abd Allâh b. Sacd et de Mucâwiya b. Hudayj à fut suivie par une véritable armée de guerre sainte, celle d'Uqba. Si ces prédécesseurs observent strictement l'appel à la conversion, le jihâd mené par cUqba à pour seul objectif l'occupation de l'Ifrîqiya, qui devint le seul moyen de créer la dynamique de l'intégration de ces territoires à dâr al-islâm. Il joua la carte de l'implantation permanente pour engager le processus de l'islamisation et de l'arabisation. Le déroulement historique de la conquête tient en quelque sorte se conjuguer aux préceptes du dogme de la guerre sainte, conférant à l'appel à la conversion des infidèles un cadre et une signification juridico-théologique, qui allait lourdement peser dans les relations entre les musulmans et les non-musulmans. Les sources chargent la symbolique de la guerre sainte d'un élément supplémentaire: le martyre qui explique et justifie la politique de conquête sans repli ni négociation.

Avant que n'apparaisse la notion de martyre qui allait devenir la marque de l'historiographie de la conquête du Maghreb, la tradition historico-géographique avait justifié le lien sacré avec le Maghreb à travers les paroles du Prophète. Un nombre important de hadits ont été signalés par les écrits arabes pour sacraliser les actes des conquérants. Ils ont ramené la conquête et les actes qui la composent pour qu’ils s’inscrivent dans la continuité historique jusqu'au Prophète.

Le géographe andalou al-Bakrî rapporte les traditions suivantes: «sur l'autorité de Sahnûn Ibn Sacîd et Mûsâ Ibn Mucâwiya, lesquels l'avaient reçu d'Ibn Wahb (19), qui la tenait de Sacîd Ibn Abî Ayûb, qui l'avait eu de Shurahbîl Ibn Suwayd, qui l'avait entendu de la bouche d'Abû cAbd al-Rrahmân al-Jubûlî: «le Prophète, dit-il, envoya une troupe de guerriers en expédition. Lorsqu'ils furent de retour, ils lui racontèrent que l'intensité du froid les avait fait beaucoup souffrir, et il leur répondit: "Le froid est plus fort en Ifrîqiya, mais la récompense est plus forte» (20). Les traditionalistes malikites du Maghreb ont rapportés ce hadît sous différente forme comme Sahnûn et Mûsâ Ibn Mucâwiya. Un autre hadit sur le jihâd en Ifrîqiya fut rapporté par Ibn Abî al-cArab: «Furât m'a raconté qu'il avait entendu dire à cAbd Allâh Ibn Abî al-Hasan que cAbd al-Rrahmân Ibn Ziyâd Ibn Anâm lui avait assuré qu'il tenait d'Abû cAbd al-Rrahmân al-Jubûlî la tradition suivante: "le Saint Prophète a dit: la guerre sainte cessera dans tous les pays, excepté dans un endroit de l'occident qui s'appelle Ifrîqiya. Pendant que les nôtres seront en face de l'ennemi, ils verront les montagnes changer de place; alors, ils se prosterneront devant le tout-puissant, et personne ne les débarrassera de leurs haillons, si ce n'est leurs serviteurs, dans le Paradis» (21). Les hadits rapportés par les traditionalistes sont à la fois une sorte de confirmation symbolique que l'Ifrîqiya, et avec elle l'ensemble du territoire de l'occident (Gharb dâr al-islâm), était une terre de jihâd depuis l'avènement de l'islâm en Arabie, mais ces hadîts étaient également le discours qu'avait tenu la deuxième génération arabe après la conquête, comme les malikites d'Ifrîqiya avec à leur tête le célèbre Sahnûn et les fils des premiers califes

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comme cAbd Allâh Ibn cUmar al-cUmarî fils du deuxième calife du Prophète cUmar et cAbd Allâh Ibn cAmr fils du célèbre général cAmr b. al-cÂs.

Historiquement, ces hadît allaient renforcer la conviction des docteurs de la loi que l'Ifrîqiya est un territoire de la cunwa. Tout acte lié à la conquête de ce territoire est de ce fait symboliquement sacré, et, de ce point de vue, mourir martyr au Maghreb est considéré comme l'acte suprême de tout musulman qui voulait à la fois suivre les préceptes du Prophète et accomplir ce que l'envoyé avait déjà dit. Ainsi, la notion de la sainteté voit elle le jour avec un des martyres de la conquête, cUqba b. Nâfic. Les chroniqueurs qui se sont intéressés au jihâd d'Uqba, l'érigent comme exemple le plus glorieux de la conquête du Maghreb, les divers épisodes de la vie de ce célèbre successeur (Tâbicî), d'abord fondateur de la ville de Qayrawân, sa seconde expédition l'érigea au rang des héros de la conquête de la Berbèrie dépassant en gloire Mûsâ b. Nusayr et Târiq conquérant de l'Espagne. cUqba est perçu comme ayant voué à chercher et œuvrer dans la voie d'Allâh pour obtenir la gloire suprême de la shahâda, accomplissant par ses actes le verset coranique suivant: «ceux qui obéissent à Allâh et à l'Apôtre, ceux-là sont avec les Prophètes, les Justes (Sidîqûn), les témoins (Shuhadâ') et les Saints qu'Allâh a comblés de bienfaits. Combien ceux-là sont bon comme compagnons!».

L'historiographie arabe, souligne et amplifie le talab al-shahâda (la passion du martyre) par cUqba b. Nâfic

marquant ainsi l'aspect de la conquête du Maghreb. Rappelons brièvement, que la nomination d'Uqba b. Nâfic

allait donner un tournant décisif à la conquête arabe. Partant de Wadân, pour sa première expédition, partout où son armée arrivait, il prit soin d'affirmer l'autorité de la religion musulmane: construction de Mosquée et établissement de garnisons pour servir aux missionnaires, une action qui allait se solder par la fondation de Qayrawân, la première cités de l'islâm, la province périphérique de dâr al-islâm au Maghreb était née et, avec elle, la légende du premier saint du Maghreb Sîdî cUqba.

Les auteurs arabes racontent encore qu'Uqba accomplit des miracles. Le ciel lui aurait indiqué la direction de la qibla. Il avait donné ordre à tous les serpents et autres animaux d'abandonner les lieux de Qayrawân. La tradition historico-géographique arabe transforma ce tâbicî en légende et lui conféra une légitimité incontournable, puisqu'elle l'inscrit dans la tradition du prophète. Al-Bakrî signale que selon la tradition qui provient d'Abû al-Muhâjir (gouverneur et chef militaire de la conquête arabe), qui la tenait lui de ses précepteurs...: «Notre saint Prophète, dit Sihr, défendit aux siens de prendre pour demeure cette localité maudite que l'on appelle Tahûda. Il disait: On y tuera plusieurs hommes de mon peuple pendant qu'ils seront à combattre dans la voie de Dieu. Leur récompense sera la même que celle des martyrs de Badr et d'Uhud, avec quel (courage) ils se sont exposés afin de trouver la mort!». Al-Bakrî ajoute qu'il s'agit d’Uqba b. Nâfic tué par les Berbères et les Chrétiens auprès d'une ville que l'on nomme Tahûda.

En érigeant cUqba au rang de martyre de la guerre sainte en Ifrîqiya, la tradition historico-géographique parvient à établir le lien entre le personnage emblématique et l'apparition de l'islâm en Arabie à travers la guerre sainte du Prophète et de ses compagnons, marquée par les bataille de Bar et Uhud. La référence à ces deux batailles, légitime le contexte de la conquête du Maghreb, en l'inscrivant dans la continuité du Jihâd du Prophète. Elle unifié également le territoire du Maghreb autour de la sainteté de cUqba à laquelle se heurta le fatimide al-Mucizz b. Manâd en 345 H/ 956-957 lorsqu'il voulut changer la position de la qibla de la mosquée de Qayrawân. La recherche au Maghreb de la shahâda, ne doit pas nous faire oublier que quel que soit l'idéal des Mujâhidûn, le butin reste un élément déterminant dans les campagnes militaires arabes. Il était une ressource légale et immédiate avant que l'empire au VIIIe siècle organise ce territoire comme terre d'impôt (Kharâj) pour s'assurer une ressource permanente au centre de l'islâm et son trésor public. Nous allons voir à présent comment les sources arabes qui ont fait l'éloge de la passion du martyre, ont décrit ce fameux butin, parfaitement légal selon la tradition de la guerre sainte.

Le mode de désignation des soldats de la conquête obéit à des critères très clairs: il faut que le futur conquérant en premier lieu soit musulman et jouisse de toutes ses facultés physiques et mentales afin d'être à tout moment prêt au combat: ensuite il est tenu compte de la «masculinité» (dukûra) et de la «puberté» -critère sujet à discussion entre les diverses tendances de l'islâm en particulier entre sunnites et shicite. Enfin l'appel à la guerre sainte par l'imâm de la communauté islamique peut mobiliser à la fois les troupes permanentes du calife, les tribus arabes, les auxiliaires et individuellement tout musulman dont les juristes musulmans estiment qu'il répond aux exigences ci-dessus.

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Les sources arabes offrent des conquérants et de leurs organisations militaires au cours des huit campagnes du Maghreb le descriptif suivant: tous sont des hommes (dukâra), musulmans (muslim). Ils étaient organisés militairement en deux catégories: les fantassins et les cavaliers et au niveau opérationnel, ils se constituent en aile droite (Maymanat al-jaysh), en aile gauche (Maysarat al-jaysh), avec à la tête de chaque aile un commandant, tandis que le cœur (Qalb al-jaysh) est constitué du commandant de la campagne et des hommes arabes de haut rang (compagnons du Prophète, fils de califes, représentants des tribus arabes etc.). Les Arabes usèrent des détachements, constitués de leurs meilleurs cavaliers pour le renseignement militaire (troupe de reconnaissance) et pour le ravitaillement auprès des populations locales. La hiérarchie militaire restait simple un chef général de campagne (Qâ'id al-hamla), désigné par le calife, l'entourage du qâ'id composé de ses conseillers, principalement des Qurayshites et parfois des membres de la famille du califat, ainsi que les notables des tribus qui participent à la campagne.

L'historiographie arabe a pris soin de livrer des données chiffrées tant en ce qui concerne le nombre de conquérants pour chaque campagne, que des estimations des butins du Maghreb, de leur partage et des difficultés qui découlent de ce dernier. Aussi avons-nous estimé utile d'établir un schéma de l'économie de guerre que les premiers califes ont instaurée, celle du Maghreb étant un apport conséquent pour le trésor public. Les Musulmans ont traité dans leurs ouvrages du fiqh la question du partage du butin, auquel les expéditions du Maghreb n'est pas échappé et que plusieurs passages de la tradition historico-géographique évoquent. Mais, avant d'aller plus loin, il nous faut tout d'abord définir quelques éléments: les chiffres fournis par la documentation arabe restent des chiffres approximatifs, difficiles à vérifier et parfois mêmes abstraits. Nous avons relevé ces chiffres afin de voir comment les chroniqueurs ont perpétué la tradition du copiage textuel des textes d'un auteur à l'autre. Les appellations utilisées comme indicateurs et indices des retombées financières des conquêtes arabes sont multiples, elles sont souvent nuancées pour parler de la guerre, de ses conséquences, de son importance dans l'économie de l'état islamique. Parmi ces appellations, nous avons, choisi de relever les suivantes:

1 - Ghanîma plu., ghanâ'im, mot qui désigne l'ensemble de ce qu'une armée peut prendre après la victoire militaire, ce qui lui revient de droit. La tradition historico-géographique arabe, a majoritairement, recours à ce mot pour marquer la fin d'un affrontement militaire, mais aussi signifier le but économique de la conquête, qui reste un élément de prédominance sur la question de la conversion des populations. C'est une forme symbolique de la défaite de l'ennemi puisqu'il s'agit d'un transfert des biens des infidèles aux mains des fidèles qui combattent dans la voie d'Allâh. Prendre les biens des vaincus est le début du système de la dimma, des adversaires qui n'ont pas choisi dès le début les deux possibilités offertes: l'islâm ou la jizya. Dans la mentalité des conquérants du Moyen-Age, ils ont toute la légitimité nécessaire pour s'emparer de tout ce qui leur tombe entre les mains après la victoire militaire.

2 - Asr plu., Asrâ (prisonniers), le terme demeure assez imprécis dans les sources arabes, mais souvent il désigne les hommes capturés au moment de la bataille. Ces prisonniers sont considérés comme des prisonniers de guerre, et leur captivité est liée à l'hostilité qu'ils nourrissent à l'égard des conquérants, ainsi peuvent-ils compter parmi la ghanîma.

3 - Saby plu., sabâyâ, est le mot spécifique qui désigne les femmes captives, mais les chroniqueurs arabes ajoutent parfois, à titre d'explication le mot ahl, wildân, duriyatihim, etc. Ces mots désignent l'ensemble de la famille, et illustrent l'ampleur de la victoire, puisque les vaincus n'avaient pas même la possibilité de mettre leurs familles à l'abri des combats.Les lois de la guerre en islâm ont fait l'unanimité (Ijmâc) des jurisconsultes, en particulier sur les modalités des combats et les principes à respecter vis-à-vis des populations. Le droit musulman défend de tuer les mineurs, les femmes, et les vieillards, qui ne participent pas au combat. Mais, légalement, on peut tuer les hommes en armes, les moines et les mercenaires qui sont au service des combattants infidèles. Les traités ont distingué entre les combattants et leurs femmes, enfants, esclaves etc. Pour les non-combattants la solution la plus approuvée dans le milieu des docteurs consistait à réduire en esclavage tous les habitants de la seconde couche de la société, qui n'est pas concernée directement par le conflit. Quant aux biens et aux esclaves des infidèles, ils sont désormais confisqués par les Musulmans et deviennent leur propriété. En revanche, le sort de prisonniers de guerre adultes et libres, est suspendu à l'appréciation du calife ou du souverain qui peut choisir entre quatre possibilités

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juridiques:1 - Le calife peut tuer ces prisonniers.

2 - Les mettre en liberté, sous certaines conditions: rançon...

3 - Les échanger contre les Musulmans prisonniers de l'autre camp.

4 - Les réduire à l'esclavage.Les prisonniers de guerre deviennent donc une propriété des Musulmans et seul l'imâm de la communauté a le droit d'appliquer les principes du traitement réservé par l'islâm aux prisonniers. Les documents arabes attestent la répartition du butin entre deux institutions: les conquérants l'institution militaire sur le terrain au Maghreb, et l'institution politico-religieuse en Orient représentée par le calife. Le premier exemple qui nous est apparu très clair dans le domaine du partage du butin au Maghreb est l'expédition d'Abd Allâh b. Sacd. Ibn cAbd al-Hakam indique: «il partagea entre nous le butin, après avoir prélevé le quint. La part de chaque cavalier atteignit trois mille dinars: deux mille pour le cheval, mille pour son maître. Chaque fantassin reçut mille dinârs. Un homme de l'armée étant mort à al-Humâm, sa famille reçut mille dinârs».

De fait après la victoire de Sbaytla on divisa le butin en quatre pour ensuite le distribuer. Le prélèvement du quint est d'ordre coranique, il est dû au trésor public (Bayt al-mâl) et indispensable pour les combattants; dans ce dernier cas les juristes ont adopté pour une différence entre la part du fantassin et celle du cavalier. Le cavalier reçoit le triple du fantassin, une part pour lui et deux parts pour son cheval, répartition conforme à la penséedominante enseignée par Mâlik b. Anas. Seul Abû Hanîfa s'y était opposé, proposant de réduire la part de l'animal à une seule part. La quatrième part était réservée aux familles des combattants morts dans la guerre sainte.

Ce système économique et financier issu de la guerre sainte, allait assurer une sorte d'autonomie financière aux conquérants. Le butin est une ressource considérable de l'économie de la guerre sainte, qui est renouvelable à chaque victoire de l'armée. Ce qui nous laisse supposer que l'économie de la guerre a renforcé au Moyen-Age la tendance dure du radicalisme juridique au sein des intellectuels. Les traités de paix étaient toujours construits en vue de la rentabilité économique de la guerre. Les vainqueurs de la bataille de Sufetula avaient exigé un tribut considérable pour consentir à l'évacuation des troupes de l'Ifrîqiya. Ce tribut allait alimenter le trésor public du calife cUtmân. Il est par conséquent légitime que des territoires s'interrogent sur le bien fondé de cette expédition, puisqu'il semblait avoir pris la forme de razzia. La remarque d'Ibn cAbd al-Hakam sur le long terme de l'expédition était pertinente: «Ils se retirèrent sans laisser derrière eux un gouverneur et sans établir un Qayrawân», ce qui signifie l'absence de toute revendication de terre. Seul un représentant du pouvoir central permanent et la mise en place d'un camp militaire peut être le symbole de revendications sur le plan politico-religieux, avec l'intention de maintenir ces territoires au sein de dâr al-islâm, même si la conversion des populations à ce stade des conquêtes reste formelle.

Au fur et à mesure que les campagnes se succédèrent en direction du Maghreb, l'historiographie arabe dressa un bilan qui confirme que le butin touche de plus en plus la société berbère. Les campagnes de Mûsâ b. Nusayr ont été plus significatives en matière des captifs. Il avait envoyé près de 60 000 berbères en Orient. Un déplacement de populations massif que ni la politique sécuritaire, ni les combats de pacification ne peuvent justifier. Constatons que la politique des califes d'orient n'était plus légitimée par une autorité, qui respecte scrupuleusement les intérêts publics instaurés par les premiers califes, c'est-à-dire une forme de pouvoir à la manière des Perses et des Sassanides. La réalité, qui se dégage des chiffres de la tradition historico-géographique de la conquête, souligne que le butin de l'armée arabe avait touché la vie économique et sociale des byzantins et des berbères et que le pays était considéré comme une terre riche et précieuse en matière de finances et d'esclaves.

L'historiographie nous rapporte la lettre attribuée à Mûsâ, et adressée à al-Walîd b. cAbd al-Mâlik après la prise de Sekîouma lui annonçant «votre quint des prisonniers faits à Sekîouma monte à cent mille». Cette lettre avait même provoqué l'étonnement du calife, qui avait tendance à orienter la conquête vers plus de captifs (Jawârî et khadam) pour répondre au besoin de plus en plus grand du pouvoir oriental. Le regard que nous venons de citer, nous montre d'une part comment la guerre a dessiné la carte militaires des protagonistes du conflit, d'autre part il révèle à travers la question du butin, celle de l'autonomie des conquérants, des besoins du califat d'orient, du statut des berbères et des byzantins d'une campagne à l'autre, l'instabilité extraordinaire de l'expansion

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musulmane, puisque les berbères ont été tout à tour , selon le tempérament du gouverneur arabe mis en place par le calife, les auxiliaires ou les tributaires de l'armée.

(1)-MORABIA Alfred, La notion de Jihâd dans l'Islâm médiéval des origines à al-Ghazâlî, Albin Michel, Paris, pp., 208 sq. LAGARDERE Vincent, Les Almoravides jusqu'au règne de Yûsuf b. Tâshfîn, l'Harmattan, Paris, 1989, pp., 181 sq. BAT Ye'or, Juifs et chrétiens sous l’Islâm, Les Dimmî face au défi intégriste, édit., Berg International, 1994, pp., 23 à 30 MILLET-GERARD D., Chrétiens mozarabes etculture islamiques dans l'Espagne des VIIIe-IXe s, édit., Etudes Augustiniennes, Paris, 1984, pp., 88.

(2)-IBN ABÎ ZAYD al-Qayrawânî, La Risâla "Epitre sur les éléments du dogme de la loi de l'Islâm selon le rite malikite", Trad., et éd., par BECHER Léon, Alger, 1960, p., 163.

(3)-N: le terme Majûs est parfois utilisé pour désigner la totalité des nons-musulmans quelle que soit leur appartenance religieuse, comme par exemple le géographe al-Bakrî (Description de l’Afrique..., op. cit., 184) avait signalé: « dans l'an 244 H/ 858, les Majûs (Normands) envahirent la ville de Nakûr (Nokour) et la mirent au pillage. Ils amenèrent en captivité tous les habitants qui n'avaient pas cherché leur salut dans la fuite... ». Ibn cIdârî dans al-Bayân avait utilisé le même terme de Majûs pour désigner les Normands de la Sicile.

(4)-IBN TAYMIYA, al-Siyâsa al-sharciya, trad., par LAOUST Henri, Le traité de Droit Public d'Ibn Taymiya, édit., Institut Français de Damas, Beyrouth, 1948, p., 130. BAT Ye'or, Les Chrétientés d'Orient entre Jihâd et Dhimmitude: VIIe-XXe siècle, Cerf, Paris, 1991, p., 340 et TALBI Mohamed, L’émirat Aghlabide, pp., 22-23.

(5)-Jihâd: Encyclo. Islâm..., T., II, pp., 551-552. MORABIA Alfred, La notion de jihâd..., op. cit., pp., 215-216.

(6)-MILLET-GERARD Dominique, Chrétiens mozarabes..., op. cit., p., 88 note 35.

(7)-AL-MÂLIKÎ, Riyâd al-nufûs fî macrifat tabaqât cUlamâ' al-Qayrawân wa Ifrîqiya, éd., par BAKOUCH Bachir, édit., Dâr al-Gharb al-Islâmî, Beyrouth, 1984, T., I, p., 14. p., 304. AL-NUWAYRÎ, Conquête de l'Afrique septentrionale par les Musulmans et l'histoire de ce pays sous les Émirs arabes, dans IBN KHALDÛN cA., Histoires des Berbères..., T., I, édit., Paul Geuthner, Paris, 1978, p., 314, l'auteur souligne uniquement l'intérêt économique (butin) après les incursions d'Ibn Sacd aux frontières d'Ifrîqiya. IBN cABD AL-HALÎM, Nouveau récit de la conquête de l'Afrique du Nord, dand Arabica, V., I, Leyde, 1954, p., 35.

(8)-AL-MÂLIKÎ, Riyâd al-nufûs..., T., I, pp., 14-15 et AL-BALADÛRÎ, Futûh..., op. cit., p., 234. IBN cABD AL-HAKAM, Appendice..., op. cit., p., 304. AL-NUWAYRÎ, Appendice..., op. cit., pp., 214-215. (Voir aussi la liste des compagnons et la contribution des tribus arabes dans l'expédition d'Ibn Sacd).

(9)-AL-NUWAYRÎ, Appendice..., op. cit., p., 315.

(10)-N: IBN HALDÛN avait écrit, en critiquant les sources arabes: «ce fut les francs (latins), qui exerçait l'autorité suprême en Ifrîqiya, car, les Rûm (Grec) n'y jouissaient d'aucune influence: il ne s'y trouvait de cette nation que des troupes employées au service des francs; et si l'on rencontre le nom des Rûm dans les livres qui traitent de la conquête de l'Ifrîqiya, cela ne provient que de l'extension donnée à la signification du mot. Les Arabes de cette époque ne connaissent pas les Francs, et n'ayant eu à combattre en Syrie que les Rûm, ils s'étaient imaginés que cette nation dominait les autres peuples chrétiens... Sous l'influence de cette idée, ils donnèrent le nom de Rûm à tous les peuples qui professaient le christianisme. En reproduisant les renseignements fournis par les Arabes, je n'y ai fait aucun changement, mais je dois néanmoins déclarer que Grégoire... N'était pas rûmî (grec), mais franc (latin)...» Histoire des Berbères..., T., I, p., 208.

(11)-N: nos sources n'expliquent pas comment les conquérants discutent avec les berbères et les byzantins? Et quelle était la langue utilisée dans les pourparlers ? Sans aucun doute les Arabes chrétiens convertis du Shâm, de Palestine et d'al-Hîra, qui avaient une maîtrise du latin, ils étaient parmi les expéditions, ainsi que les coptes d'Égypte, dont les Arabes ont utilisé les expériences dans les diwân des impôts (Kharâj). En un mot, le latin était resté la langue de l'administration en Egypte jusqu'à la fin du règne d'Abd al-Mâlik b. Marwân. Dans les pourparlers d'Ibn Sacd, les sources nous informent sur un interprète copte d'Égypte (al-Mâlikî, Riyâd al-nufûs..., T., I, op. cit., p., 17 et AL-DABÂGH, Macâlim al-Imân., al-Matbaca al-carabiya, Tunis, T., I, p., 31). Avec les Berbères Abdul-Wahâb, a émis l'hypothèse que les berbères de l'oasis de Siwa étaient les intermédiaires de l'armée arabe (Abdul-Wahab H. H., Etudes sur certains aspects de la civilisation arabe en Ifrîqiya, Librairie al-Manâr, Tunis, 1965, pp., 63 - 64).

(12)-AL-NUWAYRÎ, Appendice..., op. cit., p., 317 et AL-MÂLIKÎ, Riyâd al-nufûs..., T., I, p., 26.

(13)-AL-NUWAYRÎ, Appendice..., op. cit., p., 317. AL-MÂLIKÎ, Riyâd al-nufûs..., T., I, op. cit., pp., 17-19-26.

-N: le discours d'Abd Allâh b. al-Zubayr dans la Mosquée de Médine était une description faite au calife sur les étapes de la conquête d'Ibn Sacd. Ce texte d'ailleurs rejoint dans ces normes religieuses celui d’Utmân « il exhorta les Musulmans à faire la guerre sainte dans la voie d'Allâh, afin que la parole d'Allâh fût la plus haute » (Coran, IX, 40), à inviter les gens à adopter la religion d'Allâh, à proclamer son caractère unitaire (Tawhîd) et à croire à la vérité de ce que Muhammad avait apporté ». IBN cABD AL-HALÎM, Nouveau récit..., op. cit., p., 35.(14)-AL-NUWAYRÎ, Appendice..., op. cit., p., 317, l'auteur souligne la demande d'un tribut annuel (Kharâj sanawî). AL-MÂLIKÎ, Riyâd al-nufûs..., T., I, op. cit., p., 17.

(15)-IBN cABD AL-HAKAM, Appendice..., p., 304. AL-NUWAYRÎ, Appendice..., p., 317. AL-BALADÛRÎ, Futûh..., p., 234. IBN KHALDÛN cA., Histoires des Berbères...., T., I, op. cit., p., 209.

(16)-AL-NUWAYRÎ, Appendice..., op. cit., p., 317, il écrivait: « mais il (Grégoire) répandait: si vous me demandiez un seul dirham, je ne le donnerais pas », même fait dans AL-MÂLIKÎ, Riyâd..., T., I, op. cit., p., 17.

(17)-IBN cABD AL-HAKAM, Appendice..., p., 304. AL-NUWAYRÎ, Appendice..., p., 322. AL-MÂLIKÎ, Riyâd..., p., 322. IBN cIDÂRÎ, al-Bayân al-mughrib fî akhbâr al-Andalusie wa al-Maghrib, éd., par COLIN G., T., I, p., 12. IBN cABD AL-HALÎM, Nouveau récit. p., 40. AL-DABÂGH., Macâlim..., T., I, p., 33.

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-N: les sources arabes implicitement soulignent que le traité a été précipité par de nombreuses attaques et divergences au sujet de la politique du calife cUtmân dans le domaine de la gestion du trésor public (Bayt al-Mâl). AL-NUWAYRÎ, Appendice..., dans IBN KHALDÛN cA., Histoire des Berbères..., T., I, op. cit., p., 323.

(18)-AL-NUWAYRÎ, Appendice..., op. cit., p., 322. IBN cIDÂRÎ, al-Bayân..., T., I, p., 12.

(19)-N: la chaîne de transmission dans ces traditions du Prophète sur l'Ifrîqiya et les difficultés du jihâd dans ce territoire était souvent sous l'autorité des disciples de Mâlik. De grands juristes d'Ifrîqiya et d'Espagne ont rapporté ces hadîts, comme le docteur des malikites en Ifrîqiya Sahnûn Ibn Sacîd, (mort en 240 H/854), cAbd Allâh Ibn Wahb (mort en 197 H/ 817). Ces récits ont permis à la tradition historico-géographique de trouver une source théologique et légitimiste pour raconter l'histoire de la conquête.

(20)-AL-BAKRÎ, Description de l’Afrique septentrionale, édit., Maisonneuve, Paris, 1965, tx., fr., pp., 49-50.

(21)-Ibid., pp., 50-51

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LE POUVOIR DE SIJILMASA (�������)

Comme Sabta, Tlemcen, Fès..., la ville de Sijilmâsa représente un exemple, qui nous explique la pensée des détenteurs du pouvoir politique en matière d'action militaire. Sijilmâsa considérait par l'ensemble des pouvoirs médiévaux du Maghrib occidental comme province de la dynastie. Dès lors, les actions militaires des mouvements et des dynasties étaient orientée à contrôler la ville, en brisant toute tentative d'indépendance ou d'autonomie des habitants. En un mot, la ville de Sijilmâsa avait une importance stratégique dans les relations inter-africaine et entre les deux rives de la méditerranée.

Le premier affrontement a été celui des Idrisîdes avec les Kharijites. La présence des derniers au sud du Maghrib occidental prospère, à cause d'une agriculture intensive, et l'impôt de passage sur le commerce saharien, a poussé l'un des fils de Moulay Idrîs a fondé la ville de Tarûdânt, où il y avait une mine de cuivre. Mais l'intervention Fâtimide au Maghrib occidental avait mis fin aux tentatives Idrisîdes. Les deux forces califiens de l'occident musulman, Fâtimides d'Ifrîqiya et Umayyades d'Espagne avaient mené des actions, afin de contrôler le sud du Maghrib occidental. Les divergences doctrinales entre les deux pouvoirs (Fâtimides shicites et Umayyades sunnites), semblent pour les historiens comme des causes principales dans la lutte en Occident musulman. Mais dans le cas de Sijilmâsa, l'importance des enjeux économiques était plus forte que de simples intérêts doctrinaux, puisque les Fâtimides avaient tenté d'une manière directe de conquérir la ville, tandis que les Umayyades avaient favorisé l'alliance avec la dynastie Maghrawa, pour qu'ils puissent résister aux fâtimides, en échange d'une somme d'argent versé chaque année au calife Umayyade. Parmi les conséquences de cette alliance Umayyado-maghrawite, l'écartement du danger kharijite et fâtimide de la région du sud. Par contre, cette alliance qui n'avait duré que peut de temps, n'avait pas permis, en aucun cas, au pouvoir califale Umayyade d'imposer sa politique à Sijilmâsa.

Au Ve siècle de l'hégire, la région du sud du Maghrib occidental avait connu un changement au niveau des systèmes du pouvoir; une expérience s'est achevée avec le déclin des Émirats, et le commencement du mouvement almoravide au Sahara occidental. Les tribus Sanhâja du mouvement étaient les seuls maîtres de ce dernier territoire stratégique sur le plan économique, en particulier dans les relations de l'Afrique de l'ouest avec le Maghrib. Pour que les tribus Sanhâja puissent jouer pleinement leurs rôles, les Almoravides, juste après la conquête d'Audâghusht, Sijilmâsa était devenu leur priorité, afin qu'ils puissent contrôler les deux rives du commerce saharien.

Les historiographes Ibn Khaldûn, Ibn Abî Zarc, Ibn cIdârî et le géographe al-Bakrî rapportent que la cause principale de la conquête de la ville, était un fait lié aux habitants, ces derniers ont demandé le secours d'Ibn Yâsîn contre la tyrannie de leur émir. La complicité des habitants était sans aucun doute un fait, qui avait favorisé l'attaque militaire. Mais en même temps la ville dans la politique militaire almoravide était une nécessité stratégique. L'itinéraire de la conquête des territoires fondatrice du pouvoir était lié aux routes commerciales de Sijilmâsa jusqu'à Fès (Sijilmâsa, Aghmât, Tâdlat, Fès etc...). Cette réalisation des conquérants a été une stratégie à la fois militaire et économique, c'est-à-dire, d'une part les Almoravides avaient imposé leur autorité politique par les armes, en éliminant les pouvoirs des "États-cités" et d'autre part, ils avaient assuré le ravitaillement de leur conquête.

Au moment de la fondation de Marrakech, les Almoravides ont pris en considération la distance des portes du commerce le long d’Oued Darca. Jusqu'à 1087, Abû Bakr b. cUmar avait gardé Sijilmâsa comme capitale de la dynastie. La numismatique rapporte qu’Yûsuf b. Tashfîn n'apparaissait pas sur les monnaies de Sijilmâsa que vers 1087. Il semble bien que les Sanhâja du sud ont considéré au moins pour les territoires du Sahara, Sijilmâsa comme capitale, malgré la fondation de Marrakech en 1062.

En effet, dans l'histoire de la dynastie almoravide, la période de la prospérité économique et la force militaire au Maghrib occidental et en Andalousie, a été lié au contrôle du commerce, par conséquent, après une résistance de trente cinq ans face aux almohades, le déclin almoravide a été spectaculaire après la conquête de Sijilmâsa en 543 de l'hégire.

Les Almohades ne faisaient pas exception en comparaison avec leur prédécesseur. Ils avaient attaqué au début du mouvement l'ensemble des routes de l'Atlas, pour assurer à leur rébellion l'espace de la société masmûda, puis les régions agricoles et les villes stratégiques sur le plan du commerce. En revanche, la mise en place de l'autorité

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mu'minide n'avait pas transformé l'importance économique de Sijilmâsa. La ville était une menace permanente sur l'autorité politique centrale, malgré le rôle principale qu'avait joué la capitale Marrakech. Les conflits entre la famille royale avaient presque toujours fini par la création d'émirat dans une province loin du centre de l'empire. Al-Rashîd par exemple avait préparé la rébellion contre son frère à partir de Sijilmâsa, ce qui prouve une fois de plus que le contrôle du pouvoir central sur la région de Sijilmâsa était très difficile à tenir.

Après le déclin des Almohades, Sijilmâsa a été le centre des affrontements entre les trois forces politiques du Maghreb, à savoir les Mérinides, les Zayanides et les Almohades. L'historiographie arabe rapporte les causes classiques du conflit Mérinido-Zayanide, qui remontent à la période du partage des territoires sur le plan économique (pâturage, eau etc.), avant que les Almohades permettent aux Zayanides de garder les pâturages de la région de Tlemcen au détriment des Mérinides. On peut pas écarter l'influence des causes historiques dans les conflits entre les deux forces politiques, mais l'économie des nomades avait presque disparu, nom pas de fait, mais dans la pensée des détenteurs du pouvoir et la pratique politique qu'ils avaient conduit vis-à-vis de l'espace de l'occident musulman, du fait de la mise en place du pouvoir sur des bases nouvelles, c'est-à-dire que le partage des territoires économiques classiques avait évolué au partage politico-économique dynastique.

Sijilmâsa a été au le centre de la nouvelle pensée, puisque des faits nouveaux avaient surgi sur la scène politique du Maghreb. Le recours aux commerces et aux impôts avaient constitué la base. Les impôts étaient devenus une source vitale, surtout avec les divisions politiques du Maghreb. Les deux sources (commerce-impôt) avaient assuré les besoins des pouvoirs médiévaux du Maghreb, puisque la fiscalité du commerce était plus importante que l'agriculture.

L'historiographie arabe rapporte des exemples qui confirment la stratégie militaro-économique des Mérinides. Après l'assassinat d'al-Rashîd al-Muwahidî, la mise en place d'un État était une nécessité chez les Mérinides, leur premier objectif dans le sud du Maghrib occidental, avait visé la reprise de Sijilmâsa, avant même la capitale Marrakech, qui s'est retrouvée à leurs portés plusieurs fois. En même temps, on remarque que la stratégie militaire classique -installation des sièges autour de la ville-, n'avait pas beaucoup d'importance, puisque les Mérinides avaient employé les sièges économiques en s'attaquant à Sijilmâsa. Les trois forces politiques qui avaient engagé une course afin de partager l'héritage territoriale almohade, n'ont pas épargné Sijilmâsa. Après l'assaut militaire d'Abû Bakr le mérinide sur Sijilmâsa, l'alliance Zayanido-almohade avait tenté plusieurs fois de récupérer la ville, sans succès. Mais la mort d'Abû Bakr et le contrôle de la ville par son gouverneur avaient facilité la conquête de Sijilmâsa par l'alliance Zayanido-almohade en 658 de l'hégire.

Dès l'année 660 de l'hégire, Abû Yûsuf Yacqûb le mérinide avait tenté de conquérir la ville, mais ses habitants avaient déclaré leur appartenance au zayanide Yaghmurâsan, sous l'influence des tribus arabes (cArab al-Manbât) qui contrôlaient à cette époque les pâturages de la ville. De son côté Yaghmurâsan avait conclu une alliance avec Abû Dabûs de Marrakech, selon laquelle, il avait commencé la conquête des territoires orientales des Mérinides, pour neutraliser les forces mérinides, qui n'avait pas cessé de harceler Sijilmâsa et Marrakech. Cette attitude zayanide avait provoqué l'abondant de l'assaut militaire sur la capitale Marrakech par al-Mansûr, pour faire face au danger zayanide.

Après la victoire sur les troupes zayanides au Maghrib oriental, al-Mansûr avait siégé Sijilmâsa jusqu'à sa reprise en 673 de l'hégire. La conquête finale avait changé la politique mérinide, puisque une nouvelle période avait commencé, selon Ibn Khaldûn la conquête de Sijilmâsa était une étape vers la souveraineté politique. Ces changements ont touché aussi les Zayanides, ils avaient accepté et pour la première fois, un accord de paix avec leurs adversaires, plus encore Yaghmurâsan avait conseillé à son fils de ne pas provoquer directement les Mérinides, tout en cherchant les avantages territoriaux du côté des Hafsîdes. On remarque d'après les indications des sources arabes, qu'il avait eu des rapports dialectiques entre l'évolution politique et le contrôle des routes et des portes du commerce dans la rive nord du Sahara, d'où l'abondant des Mérinides au recours au légitimiste hafsîde a eu lieu dès qu'ils avaient sortie les grands vainqueurs de cette course à la conquête de Sijilmâsa.

L'équilibre court de la ville n'avait pas duré longtemps, du fait des conflits entre les membres de la famille royale. Après la mort d'al-Mansûr, la première rébellion était celle d'Abû cAliy contre l'autorité de son père, d'une bataille à l'autre, ces affrontements avaient débouché sur la fondation d'une véritable Émirat indépendante, en reliant Touat, Tigurârîn et Tamantît. Les actions d'Abû cAliy ne pouvaient pas se réaliser, si la ville n'avait pas les bases de l'indépendance armée, makhzen et principalement le commerce qui a été le facteur matériel fondamental pour la fondation de l'émirat et sa continuité. Donc la province de Sijilmâsa avec son commerce et

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les activités de ses habitants avaient joué favorablement dans la décision politique d'Abû cAliy b. Sacîd, malgré la défaite de ce dernier devant l'armée de son père près d’Oued Oum al-Rabîc.

L'historiographie arabe rapporte que son père avait réagi face à ce problème par principe de l'esprit familial, une explication peu convaincante, puisque Abû cAliy avait dépassé les limites qu'un Émîr des Musulmans pouvait tolérer de son entourage. Par conséquent, l'explication probable est que le sud du Maghrib occidental contrôlait par un membre de la famille royale, était d'une part mieux que les conflits qui dure, et d'autre part la soumission des tribus à l'émir Abû cAliy était un avantage pour le pouvoir central.

Le nouveau maître du Maghrib occidental Abû al-Hasan, avant l'assaut militaire contre les territoires des Hafsîdes, avait rendu visite à son frère Abû cAliy, tout en lui demandant l'allégeance (bayca) des habitants de Sijilmâsa. Cette bayca avait réduit l'autorité d'Abû cAliy à un simple gouverneur. Ce dernier s'est révolté avec l'aide des Zayanides, ce qui avait poussé Abû al-Hasan à faire un retour éclair pour mettre fin à cette révolte. Ce même souverain qui avait assuré l'intégrité de Sijilmâsa au sein du royaume, avait regagné la ville après sa défaite en Ifrîqiya. Son successeur Abû cInân avait changé la politique des Mérinides envers les habitants de la ville. Après la mort d'Abû cInân, la ville était tombé sous le contrôle des tribus arabes Macqil, alliés des Zayanides de Tlemcen. Ces derniers allaient profiter du commerce du sud du Maghrib occidental, jusqu'à ce que la ville soit détruite après la mort d'Ahmad al-Burtughâlî al-Watâsî.

La place qu'avait occupée Sijilmâsa dans le sud du Maghrib occidental dans le domaine économique, avait attiré l'attention des historiens et des géographes arabes, sa puissance comme ville principale dans les écrits médiévaux reflète l'importance stratégique de la ville. Elle était la ville de tous les dangers pour les pouvoirs médiévaux, ces derniers qui n'avaient guère contrôlé leurs territoires de la souveraineté. C'est pour cette raison que le commerce et la force militaire étaient intimement liés au sud du Maghrib occidental, en un mot la stratégie militaro-économique avait été pendant longtemps un garant des politiques au Moyen-Age.