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a 3f e e UlnZalne littéraire du 1 er au 15 janv. 1971 - .. '.' , Les Etats-Unis et leurs nouveaux Tocqueville Entretien avec Yves Courrière Domaine maghrébin Comment devenir , . . un ecrlvaln de télévision ? Max Ernst Prévert par Claude Roy

La Quinzaine littéraire n°109

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La Quinzaine littéraire n°109, du 1er au 16 janvier 1971

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Page 1: La Quinzaine littéraire n°109

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e eUlnZalnelittéraire du 1er au 15 janv. 1971

- ..

'.' ,

Les Etats-Uniset leurs

nouveauxTocqueville

Entretienavec

Yves Courrière

Domaine maghrébin

Comment devenir, . .un ecrlvaln

de télévision ?

Max ErnstPrévert

parClaude Roy

Page 2: La Quinzaine littéraire n°109

SOMMAIRE

3 LE LIVRE DE Hubert Selhy Jr Last exit to Brooklyn par Maurice NadeauLA QUINZAINE

5 ROMANS ETRANGERS Mikhaïl Boulgakov La Garde Blanche par Georges Nivat

6 Patrick White Le mystérieux Mandala par Claude. Bonnefoy7 Paul Ritchie Le Protagoniste par Jean Gaugeard

8 Lawrence Durrell Nunquam par Anne Fabre-Luce

10 TIERS MONDE Mohammed Dib Dieu en barbarie par Michèle CoteFormulaires

Gabriel Audisio L'Opéra fabuleuxManuelle Roche Les diamants de sable

Le M'zab

11 ENTRETIEN Yves Courrière Propos recueillis parGilles Lapouge

13 Rafael Pividal Plus de quartier pour Paris par François ChâteletB. Boie, J. Crickillon, J. de Decker 1ulien Gracq par Serge Fauchereau

14 POESIE Jacques Roubaud Mono no aware par Alain Huraut

HISTOIRE LITTERAIRE Roger Duchêne Madame de Sévigné par Samuel S. de Sacyet la lettre d'amour

16 ARTS Dans les galeries par Jean.Jacques Lévêque17 Jacques Prévert 1maginaires par Claude Roy

Max Ernst Ecritures18 Livres d'art par Jean Selz

G. S.

19 HISTOIRE J adenoz Manteuffel Naissance d'une hérésie par Claùde MettraLes adeptes de la pauvretévolontaire au Moyen Age

Jean Meslier Œuvres. Tome 1Maurice Dommanget Sur Babeuf et la conjuration

20des égaux

Jean Orieux Talleyrand ou le sphinx incompris par Jean.Louis Bory

21 POLITIQUE E. Morin Journal de Californie par Jean ChesneauxJ.F. Revel Ni Marx ni JésusR Néraud La gauche révolutionnaire

au Japon22 Claude Rane! Moi luif palestinien par Marc Saporta

23 Turgot Ecrits économiques par M.L.

THEATRE Metteurs en scène par Simone Benmussa

25 Georg Büchner Wovzeck par Lucien AttounJohn Arden L'â~e de l'HospiceBoulgakov La fuiteAntoine Bourseiller Oh! America

26 Goldoni Le Marquis de Montefasco par Gilles Sandier

CINEMA Jerry Lewis Ya, ya, mon général par Louis Seguin

28 TELEVISION Comment devenir par Olivier Misaineécrivain de télévision ?

p. 3 D.R.

p. 4 Alhin Michel

p. 5 Télé-Hachette

p. 7 D.R.

p. 11 D.R.

p. 12 Fayard

p. 15 D.R.D.~.D.R:

p. 16 D.R.

p. 17 D.R.

p. 18 Skira

p. 19 RN.

p. 21 D.R.

p. 24 C.N.R.S.

p. 25 Bernand

p. 26 Bernand

p.27 D.R.

La Quinzainelitternire

François Erval, Maurice Nadeau.

Conseiller: Joseph Breitbach.

Comité de rédaction :Georges Balandier,Bernard Cazes,François Châtelet,Françoise Choay,Dominique Fernandez,Marc Ferro, Gilles Lapouge,Gilbert Walusinski.

Secrétariat de la rédactionet documentationAnne Sarraute.

Courrier littéraire :Adelaide Blasquez.

Maquette de couverture:Jacques Daniel.

Rédaction, administration43, rue du Temple, Paris (4e

)

Téléphone: 887-48·58.

Publicité littéraire : Crédits photographiques

22, rue de Grenelle, Paris (7e).

Téléphone: 222·94·03.

Publicité générale : au journal.

Prix du nO au Canada : 75 cents.

Abonnements :Un an : 58 F, vingt-trois numéros.Six mois : 34 F, douze numéros.Etudiants: réduction de 20 %.Etranger: Un an : 70 F.Six mois: 40 F.Pour tout changement d'adresseenvoyer 3 timbres à 0,40 F.Règlement par mandat, chèquebancaire, chèque postal :C.C.P. Paris 15551-53.

Directeur de la publication :François Emanuel.

Impression G.I.P.A.v.

Printed in France.

Page 3: La Quinzaine littéraire n°109

....... IYR. D.

"'A QUINZAIN.

Un coup de maître

La Quinzaine Uttâ'alre, du 1er au 15 janvier 1971

1Huoert Selby Ir-Last Exit lo BrooklynTrad. de l'américainpar J. ColzaAlbin Michel éd., 312 p.

Cet unique ouvrage d'HubertSelby, publié en 1957 aux Etats­Unis et maintes fois réimprimé de·puis, avait attiré l'attention de lacensure américaine et donné lieu, enAngleterre, à un procès spectacu­laire. On ne s'étonnera pas qu'enFrance, dans le climat d'ordre mo­ral instauré par le gaullisme, plu­sieurs éditeurs n'aient pas voulucourir le risque de la saisie. D'où leretard d'une publication qui honoreles éditions Albin Michel dont onne sache point qu'elles aillent géné­ralement à la recherche du scandale.

Comme la plupart des écrivainsaméricains qui ne sortent pas del'Université, Hubert Selby a exercétous les métiers. Il a probablementfort bien connu les bas·fonds deNew York, vécu sans doute au seinde cette sous-humanité dans laquelleil nous plonge et dont l'existencetourne autour d'un pôle unique :le sexe. S'il s'en évade, pour pein.dre les comportements d'un mili­tant syndicaliste au cours d'unegrève de plusieurs mois, ou encorepour nous révéler l'intimité d'ungrand immeuble genre H.L.M., c'esttoujours le même problème obsé­dant qui revient au premier plan :comment apaiser le monstre quironge chacun des individus mis enscène, qui les asservit à son pou­voir absolu ?

Le récit de ces vies sans horizon,dans leurs manifestations quotidien­nes secrètes, a de quoi, certes, cho­quer les délicats, d'autant que leschoses du sexe sont appelées pardes noms qui ne figurent pas dansles traités d'anatomie et que lesdiverses formes de son fonctionne­ment donnent lieu à des exposi­tions fort complètes. On peut cepen­dant douter que cette peintured'une crudité sans égale - et quilaisse loin derrière elle le lyrismepanique d'Henry Miller comme lebel exercice rhétorique de M. Guyo­tat - possède les attraits dontsont friands les amateurs d'une lit·térature spécialisée. Hubert Selbypiétine tous les tabous que se croittenu de respecter un langage hon­nête. Avec toutefois une rage laten·te qui dénonce le bon vieux purita­nisme américain. Ce n'est pas parhasard que chacune des grandesparties de son ouvrage s'ouvre sur

une citation de la Bible.Bien qu'on voie réapparaître cer­

tains personnages, Last exit toBrooklyn n'est pas un roman. Unesuite de tableaux plutôt, peints surla même toile de fond ; la ville sub­urbaine de Brooklyn. avec sesdocks, ses usines, ses quais, sesterrains vagues, son fameux pont.ses lieux de plaisir - bistrots etboîtes - que fréquentent pédéras­tes. drogués, prostitués des deuxsexes, marlous et truands, sesgrands immeubles-dortoirs où s'en­tassent ouvriers et employés. Ce quiintéresse Selby, ce sont les milieuxplus ou moins fermés, nécessaire­ment en marge, où se manifeste. etsouvent de façon explosive, la fra­ternité du vice, du délit, de l'anor­malité ; davantage encore : des in­dividualités, significatives ou excep­tionnelles. avec leurs problèmespropres. En ce sens, et n'était uneécriture très particulière, la démar­che de l'auteur ne s'écarte pas d'unetradition du récit naturaliste et psy­chologique.

Le premier coup de projecteuréclaire la boîte du Grec, cc un tro­quet minable ouvert toute la nuit àcôté de la base militaire de Broo­klyn ll, hanté par des marins enbordée, des militaires rentrant depermission, des prostituées et unebande de petits truands en mal debagarre. Comme il fallait s'y atten­dre celle-ci éclate ; un pauvre trou­fion saoûl qui a manqué de respectà ces dames en fait les frais. Aprèsqu'on lui a fracassé la mâchoire.défoncé les côtes, qu'on l'a laissébaigner dans le vomi et le sang.avant de tenter de l'écraser contreun mur à l'aide d'une auto pourfaire croire à un accident, on bafan·ce ce pantin désarticulé par-dessusles barbelés du camp où il reste

accroché, cc le sang éclaboussant lachaussée en dégoulinant de sa tê·te ll. Les flics prennent le parti destruands contre la police militaire.Il ne reste plus aux assassins enpuissance qu'à ·se congratuler àcoups de grandes claques dans ledos. Voici, d'un coup. créée l'atmos­phère du livre.

Pour nous mettre au courant desmœurs d'un milieu d'homosexuels.Selby n'a pas été sans penser àGenet, dont le nom est d'ailleursévoqué. Nous sommes conviés auxpréparatifs et au déroulement d'une(c partie II entre pédérastes travestis.Georgette en est (c la reine ». quidomine le lot par ses ambitions in­tellectuelles - elle (il) lit à ses ca­marades, abrutis par la benzédrineet l'alcool, le Corbeau, d'Edgar Poe- et par ses problèmes sentimen­taux : elle voudrait gagner définiti­vement Vinnie, un dur qui lui enfait voir de toutes les couleurs (ilvient de lui planter quelques heuresauparavant un couteau dans le mol­let). Les durs arrivent, Vinnie. hé·las. n'a pas d'yeux pour Georgette etc'est au gros et suant Harry qu'ellese donne en s'enfermant dans un dé­lire où elle se voit pénétrée par lecher Vinnie. A ses propres yeuxcomme à ceux de ses congénèreselle a perdu la face. Son règne estterminé.

Selby et Genet peignent la mêmepittoresque franc-maçonnerie. soncode d'honneur, son rituel, sa vie enmarge, ses rêves de compensation.Les lecteurs de Pompes funèbres oude Querelles de Brest savent quel'auteur français ne recule pas de­vant la description de l'acte sexuelentre gens du même bord. Pourtantce n'est pas cela qui retient au pre­mier chef. L'étreinte n'est que lamanifestation secondaire d'un com·

plexe fait d'amour, de révolte, defrustration, et qui cherche sa réso­lution au sein d'un univers poétiqueoù l'imagination a plus de part quela réalité. Avec Selby nous affron·tons la matérialité brutale et nuedes faits, nous sommes submergéspar eux jusqu'à demander grâce.L'auteur a beau tenter de donner àGeorgette une dimension supplé­mentaire, nous n'en demeurons pasmoins au niveau de la manifesta·tion élémentaire. Genet nous faitpénétrer dans son univers. Selbynous transforme en voyeurs d'unspectacle repoussant et sinistre. Aupoint qu'on pourrait le soupçonnerd'avoir voulu faire prendre l'homo­sexualité en horreur par les homo­sexuels eux-mêmes.

Un souci. probablement incons­cient, de (c moralisation », apparaîtplus nettement encore dans l'histoi·re de Tralala, une toute jeune pros­tituée qui compte exclusivement surses c( beaux nichons» pour entaulerde minables quidams et qui, alorsqu'elle aime avant tout l'argent,pousse la bêtise jusqu'à refuser unparti qui la tirerait définitivementd'affaire. Après avoir descendutous les degrés de la déchéance, ellefinit sur un terrain vague, violéepar « quarante ou cinquante » bons­hommes, piétinée, mutilée, arroséepar le pipi des enfants.

cc La grève » va nous faire péné.tr~r dans un milieu plus relevé;celui de l'honnête monde du travail.Le héros en est un militant syndi.caliste qui a (( des problèmes » avecson épouse et qui découvre tardive­ment qu'il est homosexuel. On nousl'a présenté comme un paresseuxdont la principale activité consisteà chercher noise au patron. Par unenchaînement de manigances, ilparvient à déclencher une ~rève.

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~ Selby En feuilletant...Hâbleur, pénétré de son importan­ce, il va pouvoir enfin jouer le rôleauquel il aspirait. C'est l'occasionpour lui de plonger la main dansla caisse du syndicat, de boire à sa

soif et de jouer les costauds, celleaussi d'échapper à la corvée conju­gale. La grève, avec ses aléas, etbien qu'elle soit correctement dé­crite, n'est qu'un prétexte. Ce quel'auteur a voulu montrer, c'est lafaçon dont un homosexuel quis'ignorait parvient, par approchessuccesSives, à découvrir et acceptersa vraie nature. Ce ne sera pas pourson bonheur. On peut faire confian­ce sur ce point à l'auteur qui ré­vèle de surcroît son dédain pour lesluttes ouvrières.

Ce livre, bien sûr, dénonce. Ladénonciation est implicite. PourSelby, toute société comporte sesdéchets, et l'américaine plus quetoute autre. Il ne l'excuse ni ne lacondamne, la question semblanthors de sa prise. Il se borne à ra­conter et à décrire. Les choses sontainsi. Quant à l'espèce humaine,considérée en ces échantillons, ellen'est pas belle·à .voir, même si l'ons'élève d'un degré, parmi les· ou­vriers, les employés, les petits bour­geois. Le sexe, l'argent, le méprisdu semblable· et toutes les formesde la cruauté qu'on peut exercerà son égard en commençant. par leplus proche, voilà la vraie réalité.

Du moins est-ce là- le prolonge­ment qu'on peut donner à cettesuite de récits dont le réalisme bru·tal prend corps à partir d'une écri·ture qui se veut elle aussi perpé­tuelle agression. La traduction rendassez bien la force pénétrante d'undiscours qui mêle étroit.ement, dansle même paragraphe, dialogue, des­cription, monologue intime, en untout qui fait flèche pour se fichersolidement dans la sensibilité (onoserait presque dire la peau) dulecteur où elle vibre longuement. IIn'est pas douteux qu'Hubert SelbysOit un grand écrivain et son livreun coup de maître.

Maurice Nadeau

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La noyade

de Villequier

De bons esprits estiment que labiographie de Victor Hugo compor­te une seule date déterminante : le9 septembre 1843, où, à Rochefort,dans un café, un journal parcourudistraitement lui apprit soudain lamort absurde de sa fille Léopoldine.(Il l'appelait Didine; Juliette Drouetétait pour lui Juju, et lui, pour elle,Toto; ne ricanez pas bêtement.) S'ila beaucoup évolué dans sa vie, iln'a subi qu'une seule mutation :celle-là. Et la même date marque,à un mois près, le milieu de sonexistence; le hasard chez un telhomme s'appelle destin.

D'où les significations particuliè­res du livre d'Yvan Delteil intitulé,un peu longuement, La fin tragiquedu voyage de Victor Hugo en 1843,d'après le Journal de voyage· auto­graphe de Juliette Drouet (1843).

1 Ce qui se termina si mal, c'était

1

en effet une longue escapade desdeux amants. Dont il n'est pas excluque Hugo ait gardé quelque tempsle sentiment d'une sorte de culpa-'bilité, et une confuse rancune en­vers sa partenaire.

Sa propre relation, inachevée, etla plupart de ses notes sont connuesdepuis longtemps. Du journal paral­lèle de Juliette, révélé seulement en1952 par l'exposition de la Nationale,on n'avait pu lire jusqu'à présentque des fragments, souvent et inex­plicablement maltraités.

A vrai dire, Yvan Delteil n'a pascru devoir en donner une repro­duction tout à fait intégrale. Il apréféré en insérer de nombreux etlongs passages dans une narrationcontinue, appuyée sur mille vérifi­cations patientes, scrupuleuses, mi­nutieuses, enrichies de notations iné­dites. Qu'un travail de rechercheaussi rigoureusement érudit selaisse lire avec autant d'aisance etmême, oui, malgré les résonancessinistres, d'agrément - cela est bienrare.

Yvan Delteil est mort en 1957. Ilaura fallu treize ans pour que pa­raisse son livre (chez· Nizet, placede la Sorbonne). Trop tard pourpermettre à l'équipe de M. JeanMassin d'en tenir compte au to­me VI des Œuvres complètes deHugo que le Club français du livreachève de publier. Edition impo­sante; un peu confuse peut-être;pas trop maniable; d'une richesseincomparable; indispensable. Lecontretemps est fâcheux; car·on nesaurait négliger aucune précision,fût-elle minime, quand elle toucheà la noyade de Villequier, cette finqui commença tant de choses.

S.

Bousquet-Cassou

En 1930, Jean Cassou était leconseiller littéraire d'un tout nouveléditeur : J.O. Fourcade. Il eut enmains le premier manuscrit de JoeBousquet, le remarqua, et s'occupade le faire publier. De ce- premiercontact avec le jeune demi-paralyséde Carcassonne devait naître uneamitié qui s'exprima en particulierdans une centaine de lettres en­voyées par Joe Bousquet jusqu'à samort, en 1950. .

-Jean Cassou publie 46 de ces let­tres chez l'éditeur Rougerie, à Li­moges, qui a fait paraître, déjà,

. cinq recueils posthumes de JoeBousquet. «J'admire à quel pointnotre amitié a été un partage, écritJean Cassou, et certainement l'undes plus vifs et des plus parfaitsque j'aie pu. connaître.» Nous pu­blierons prochainement dans ces co­lonnes une étude de Serge Fauche­l'eau sur Joe Bousquet.

Les fi dits. de Paulhan

Jean-Claude Zylberstein publiedans «Idées» (Gallimard) les en­tretiens de Jean Paulhan avec Ro­bert Mallet, radiodiffusés en juil­let 1952 et qui figurent depuis peudims les Œuvres complètes (Cer­cle du Livre précieux). Quatre surdouze de ces entretiens avaient étéeffacés par erreur. Paulhan les avaitreconstitués et gardés dans ses car­tons où ils furent trouvés aprèssa mort. On a plaisir à y relire l'élo­ge, parmi les grands écrivains mé­connus, de Georges Limbour : « En-

. core un qui resplendira de tout sonéclat quand on aura depuis long­temps oublié les contrebandiers dela littérature, les tristes enfantsd'Autant en emporte le vent...". Ons'applique à réunir les merveilleuxcontes de Limbour. On publierapeut-être un jour l'ouvrage qu'il aconsacré à son ami du Havre, JeanDubuffet, qu'il a fait connaître auxParisiens. (Jean Paulhan : les In­certitudes· du langage, «Idées ",Gallimard).

Han Ryner

Louis Simon, qui a consacre JUS­

qu'à présent sa vie, au conteur,philosophe et poète Hari Ryner, pu­blie une étude biographique et cri­tique sur celui que Jean Rostand, enpréface à l'ouvrage, appelle «ungrand solitaire" et qui incarne pourlui «l'indépendance de l'esprit" :« Il retiendra toujoUrs sa vertu sa­lutaire et, plus que jamais en 1970,nous avons besoin de son pur' ·et·tonique enseignement ". fA ·la dé­couverte de Han Ryner, 160 p.,14,50 F, Roger Maria, éd.).

Des poètes pour lecteurs

Notre ami Georges Mounin, quis'est fait connaître des lettrés avecAvez·vous lu Char? en 1946, n'a ja­mais dissimulé son amour de lapoésie derrière son occupation prin·cipale : la linguistique. Il en donneune nouvelle preuve en rassemblantpour Poésie 1 quelques échantillonsdivers de douze poètes jeunes oupeu connus (et qui mériteraientsans doute de l'être davantage).«La poésie, écrit-il, n'est pas faitepour l'inter-consommation des poè­tes et des critiques, cette espècede vase clos où fermente forcé­ment quelque chose comme uneAcadémie Française de quarante,quatre mille ou quarante milleélus... ", «elle est faite pour les lec­teurs." Il avoue même une préfé­rence pour « ceux qui n'écrivent pasde poèmes ", mais qui sont capables« de transformer en poème n'impor­te quelle situation vraie de notrevie" et qui risquent par là de sefaire entendre- de tout un chacun.Par son choix, Georges Mounin mon­tre qu'il se réfère malgré tout àun autre critère : la qualité. (Poé·sie 1, Poèmes de Bellay, Cousin,Della Faille, Dodat, Fortin, Godeau,Liberati, Malrieu, Perret, Pue!, Til­man,. Wise, Librairie Saint-Germain­des-Prés).

Valery Larbaud

Les amoureux de Valery Larbaudsont reconnaissants à la Sociétédes amIs du dit, de poursuivre lapublication de Cahiers qui entre­tiennent le souvenir de l'écrivain etcontiennent maints renseignementsutiles aux érudits. Dans le n" 6 (no­vembre 1970) on trouvera en parti·culier une - histoire fort complètedes collaborations de Valery Lar­baud aux revues littéraires, depuis« la Phalange" avant 1914 jusqu'aux« Cahiers de la Pléiade» en passantnaturellement par la «N.R.F." et« Commerce" (dont Larbaud fut leco-directeur). Nino Frank, dont onattend ·avec impatience le 3' tomede ses Mémoires brisées, donne uneimage de Larbaud rencontré en1926. (Cahiers des amis de ValeryLarbaud, Mlle Kuntz, Bibliothèquemunicipale, Vichy).

G. L. M.

Les précieuses étrennes envoyéescette année par Guy Lévis Mano àses amis comprend. : Poésies elchansons de Gil Vicente (avec texteespagnol en regard), Douze Dizainsde Maurice Scève, «pour ennoblirles mois ", le Chasseur Gracchus deKafka (texte français de Henri Pa­risot, 2 i!Dages de Max Ernst), SixSonnets de Shakespeare (texte an­glais, texte français de François Vic­tor-Hugo et Maurice Blanchard).

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ROIIANI

La fin des tempsErRANGER.

1Mikhaïl BoulgakovLa Garde BlancheRoman trad. du russepar Claude LignyRobert Laffont éd., 336 p.

« Le troisième ange sonna de latrompette et il tomba du ciel unegrande étoile enflammée commeune torche ». La Garde Blanche estune chronique de la fin des temps.Fin des temps douillets, fin des in­térieurs choyés et protecteurs, findes appartements protégés par lapénombre douce et heureuse desabat-jours orange, fin de toutes lesnotions morales, et en particulierde celle de l'honneur. De tout unmonde ancien de tradition, de no­blesse d'âme, de dévouement, deloyauté, il ne reste absolument plusrien, tout est trahi, tout est souillé,tout sombre dans la pire des couar­dises, et les héros n'ont plus qu'àcrier : «Fichez le camp! suivez­nous! sauve qui peut! »

Et pourtant cette chronique ef­frayante, où tout sombre dans legrotesque ou la puanteur, a néan­moins un quelque chose de léger, deguilleret, d'alerte, qu'on a du malà s'expliquer. Comme si, en dépitdes deux citations de l'Apocalypsequi encadrent le récit, Boulgakovavait quelque secrète énigme en ré­serve, une toute petite clé, mais quiouvrirait la porte de seco1U'8 menantde la Ville en folie à la sérénité duParadis. Ce paradis moqueur et ac­cueillant que voit en rêve AlexisTourbine, et où le bon Dieu tient enréserve une place aussi bien pourles Junkers tombés à Kiev que pourles communistes que leur mort at­tend à l'héroïque Perekop. « Ils necroient pas en moi, dit le Bon Dieu.Bon, et alors, que veux-tu que j'yfasse ? A vrai dire, ça ne me faitni chaud, ni froid. Et à toi rwn plus.Et Ù eux, pas davtintage. Parce quemoi, votre croyance, je n'ai rien à ygagner, ni à y perdre. L'un croit,l'autre ne croit pas, mais vous vousconduisez tous exactement de la mê-

me façon : en ce moment vous vousprenez à la gorge ».

Ce monde où tous se prennent àla gorge, Michel Boulgakov l'a re­gardé avec attention et compassion,mais en refusant de partager leshaines. Jeune homme rêveur et ra­cé, au profil allongé, aux yeux em­bués, il a lui-même contemplé lafureur, et, médecin de son métier,il a essayé de soulager les hommesen fureur. Il appartient au mondequi s'écroule et il ne le cache pas.C'est un peu sa propre famille quiest ici décrite : cette entente intel­lectuelle, cette douceur des rap­ports, cette mutuelle confiance, cegoût amusé de la mystification quidélivre, ce dégoût naturel du bour­geois avide, accapareur, poltron, quise retranche dans son chez soi, etqui cache son magot derrière la che­minée. Les Tourbine représententce que l'ancienne Russie possédaitde mieux, ces aristocrates intellec­tuels, généreux, fidèles, libéraux.Eux ne se terreront pas. Nous lesverrons sortir tous pour aller audevant du danger et mourir s'il lefaut. Mais pour défendre quoi ?

Une chronique

impitoyable

La chronique impitoy:~le deBoulgakov montre, avec quelle ir0­nie, qu'il n'y avait vraiment plusrien à défendre à Kiev, « mère desvilles russes », berceau de la Russie,en ce Noël 1918 qu'il a choisi dedécrire. La Ville est occupée par desAllemands prêts à s'enfuir, 1'1Jkrai­ne est soi-disant gouvernée par unimposteur qui collabore avec lesAllemands, mais qui va prendre lafuite comme un capon dans sontrain de luxe illuminé, la Ville estcernée par les hordes de Petlioura,une sorte de nouveau Stenka Ra­zine à la tête d'une énorme cohuede paysans qu'anime la haine de laVille et l'appétit secret de ses ri­chesses.

Mais la Ville se berce d'illusionset de fausses rumeurs. La mort sé­vit partout à l'entour, mais chez lesTourbine, autour de la table fami­liale, où éclatent la blancheur de lanappe et l'éclat de la porcelaine,rescapés des combats, les frèresTourbine et leurs amis de collègesavourent, tout en jurant de tempsà autre, le plaisir de se revoir, etd'entendre encore la gavotte quejoue le carillon de la pendule, et defredonner les vieux refrains chéris.On entend au loin la canonnade,l'angoisse est tapie au creux descœurs, mais la vieille bibliothèqueléguée par le père a toujours un bonvieux goût de chocolat. La rédactionau présent que fait Boulgakov apour nous la naïveté d'un ancienkinétoscope. Le kinétoscope tressau­te et les silhouettes courent ou ram­pent, ou tombent. Les imposteurssurgissent en un(' nuit, les unités dejunkers regroupées un soir sont dis­soutes le lendemain matin, les fau­bourgs voient se succéder les déta­chements avant-coureurs. La mortinvisible fait crépiter des mitrail­leuses jamais identifiées, «de jeu­nes coqs rouges s'envolèrent, légerset vifs, on vit paraître dans la pour­pre du soleil couchant un cabaretierjuif pendu par le sexe... la diable­rie s'en donna littéralement à cœurjoie ».

Si l'o~ veut sentir commentmeurt un pays, il faut lire les pagescruelles et alertes que Boulgakovconsacre à l'exode, à la peur collec­tive, au goût écœurant qu'a la dé­faite. «Bijoux, yeux effarés, che­veux lustrés, argent, tout fuyait ».Ce~ndant les Tourbine et leursamis officiers, derniers preux d'uneRussie qui n'a plus rien de chevale­resque et où grandit le pas lourd etassuré des bolcheviks, achevant derelire les Démons de Dostoïevsky,courent s'engager et jouent aux che­valiers porte-croix. Les plus jeuneset les plus enthousiastes n'arriventpas à comprendre qu'ils n'ont plusque le temps d'arracher leurs épau­lettes et de s'enfuir par les ruelles

tortueuses et les jardins innombra·bles de Kiev : tout est trahi, il n'ya plus rien à défendre.

Qu'a voulu dire

Boulgakov?

Qu'a voulu exactement dire Boul­gakov? Le trio chevaleresque desTourbine et leurs amis officiers,malgré leurs gentillesses et leurscolères ont quelque peine à vivreréellement devant nous. Ni le marid'Hélène Tourbine, un arrivistepoltron qui s'enfuit avec l'Hetman,ni son opposé, le courageux et lu­cide colonel Nai-Tours n'arriventvraiment à vivre en profondeur. ny a dans leur psychologie quelquechose de trop rigide qui les rendfugaces et ridicules. Et quant auxfrères Tourbine, c'est moins eux quivivent que l'appartement de. la rueAléxeÏevski d'où ils partent pourl'exploit et reviennent pour mourir.

Non, ce n'est pas dans ces por­traits d'aristocrates vaincus que sesitue l'étoffe réelle de ce livre. Elleest dans le film rapide, incohérent,les bribes de poignant et de quoti­criptions unanimistes de la Ville,les brides de poignant et de quoti­dien qui se succèdent en s'ignorant,le tout sous la lueur sanglante desétoiles que l'Ange fait pleuvoir surla Terre. Alexis est mourant dansl'appartement devenu terrier, maisle piano joue encore de temps entemps, absurdement. La Ville ac­cueille avec délire Petlioura le briogand, qui vient la violer et la piller.Mais au loin un train blindé bolche­vik s'approche et le petit garçonPétia voit en rêve une grosse étoilede diamant tomber dans un pré etcourir jusqu'à ses bras. En fin decompte Alexis se remet miraculeu­sement, Hélène oublie son marienfui et écoute les compliments deChervinski, la guitare des Tourbinese remet à jouer et la vie, ironique,paradoxale, hypocrite, reprend soncours. « Tout passera. Les souf/ran-

La Qnlnzalne Uttaalre, du 1er au 15 janvier 1971 5

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'. Boulgakov

ces, les tourments, le sang, la faimet la' peste. Le glaive disparaîtra, etseules les étoiles demeureront,quand ü n'y aura plus trace sur laterre de nos corps' et de nos efforts.Il n'est personne qui ne 'sache cela.'Alors, pourquoi ne voulons-nouspas tourner nos regards verselles? »

Toute l'œuvre est comme accom­pagnée musicalement par un or­chestre dont les cordes se font en­tendre en sourdine mais avec obsti­nation. Aussi bien les images trèsinattendues que les leitmotive, dontle principal est celui de la tourmen­te de neige, le côtoiement des in­tonations les plus opposées, le hu­lulement de la Rumeur, le contre­point des thèmes' intimes et desgrands thèmes épiques, tout estcomme soumis au frémissement decet orchestre à cordes, tendre et ai·grelet, qui donne à toutes les démar­che~ des personnages, et à toutesles épreuves de la Ville une sortede légèreté tragique et poétique, àmi-chemin entre le guignol et leconte de Noël.

Staline aimait...

I..e destin de ce livre fut excep·'tionnel. Une moitié environ de l'œu·vre parut en 1924 dans la revueRossia à Moscou. Mais cette paru­tion fut interrompue et il fallut at­tendre, pour voir le texte completenfin publié en Union Soviétique,l'année 1966. C'est que l'œuvre futviolemment attaquée dans les an­nées 20 par tout ce qui en Russieavait l'llIilbition d'imposer une litté­rature d'inspiration pr91étarienne.La revue des « écrivains prolétai­res », En Sentinelle déclare la guer­re à Boulgakov, coupable de fairele panégyrique de l'ancienne Rus­sie. Deux ans plus tard, BoulgakoveSt sollicité poul' donner de son ro­man une version dramatique quis'intitulera les Jours des Tourbineet qui sera jouée avec grand succèsau Théâtre d'Art de Moscou. Faitétrange, Staline lui·même aimabeaucoup la pièce et sc rendit mêmequinze fois au théâtre pour la re­voir. La pièce fut retirée de l'affi·che deux aris plus tard, à ,la suitedes furieuses attaques des « prolé.tariens» qui en 1926 organisèrentun « procès » contre le « boulgako­visme » et ses pernicieux. miasmes.Plus tard, après bien des tribula·tiqns et des persécutions littéraires,Boulgakov dut s'adresser à Stalinedans une lettre personnelle pour

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mendier un quelconque poste authéâtre, fût·ce celui de balayeur. Ilfut nommé conseiller au Théâtred'Art et bientôt sa pièce des Tour-

, bine fut reprise et connut à, nouveauun grand succès. Le public étaitcomme fasciné par cette sorte d'élé­gance inutile et héroïque 'que lesTourbine apportaient dans leur fa·çon d'être vainèus., Humoriste raffiné, spectateur in­

cisif des luttes humaines et dessubstitutions de l'histoire, Boulga­kov a conté dans un autre romanl'hi~toire de son livre ia Garde Blan­che. Les lecteurs français, paradoxa.lement, ont connu ce second roman,le Roman Théâtral, avant la GardeBlanche. C'est, à peine transposée,l'histoire des mésaventures de Boul·gakov dans le monde niesquin, peu­reux et conformiste des litt~rateurs

de Moscou. La Grande Blanche s'yintitule la Neige Noire, par unesorte de calembour, et l'auteur ydécrit naïvement toutes les avaniesqui l'assaillirent dès qu'il lut sonœuvre à ses amis. Interdit à la pu­blication, le roman est adapté pourla scène et, grâce à cette adaptation,l'auteur découvre le labyrinthe in­croyable des vanités et des petitesses

, du monde cabotin. Déjà c'est pres­que le monde grotesque des littéra·teurs du Maître et Marguerite, oùWoland distribue sa justice expé­ditive et sensée.

On peut se demander si Boulga­kov gagne à être révélé dans l'or­dre .inverse de sa bibliographie. Lesnombreux admirateurs du Maître etMarguerite accepteront.ils que lemagicien inventeur des mythes quiles ont tant séduits soit ici avanttout un chroniqueur de la Russiede la guerre civile, ou sauront-ilsdécouvrir sous la petite musiqueaiguë ef irritante de la Garde Blan­che les prémices des grands mythesdu chef·d'œuvre de Boulgakov?« Tout sera juste, c'est là-dessusqu'est bâti le monde» dit le diabledans le Maître et Marguerite. Est­ce cette idée de justice cachée, pa­radoxale et presque folle que re·cèle le chaos étoilé de la GardeBlanche?

Georges Nivat

La Garde Blanche est traduiteavec élégance par Claude Ligny, quiétait aussi le traducteur du Ro­man Théâtral. Malgré des inexacti·tudes dans les termes de civilisa­tion, l'effort est réussi, pour rendrela rapidité" l'alacrité du style deBoulgakov. Une alacrité qui semble

'avoir beaucoup inspiré Nella Biels­ki pour sa préface au livre.

PatrickWhite

1Patrick White'Le Mystérieux MandalaTrad. de l'anglaispar André R. PicardColl. « Du monde entier»Gallimard éd., 368 p.

Patrick White sera-t-il le premierAustralien à recevoir le prix Nobel?Peut-être. Cette année même sonnom fut prononcé avec insistancecomme celui d'un possible lauréat.De fait, son œuvre, commencée ily a un peu plus de trente ans avecEden Ville, l'impose comme le pre·miel' écrivain de son pays.

Jusqu'à présent, par rapport à lalittérature anglaise, la littératureaustralienne était·elle plus qu'unelittérature provinciale, d'une pro­vince éloignée, pittoresque, exoti·que, mais retardataire ? Et la forcede Patrick White n'est·elle pasd'avoir fait ses classes et ses débutsen Angleterre, de s'être nourri delittérature européenne (et, aussi, dephilosophie hindoue), enfin den'être rentré chez lui qu'une foisparfaitement maître de son métier?Sans doute.

Même s'ils ont généralement pourcadre la région de Sidney, ses récitsne nous dépaysent pas totalement.N'étaient les grands espaces, les dé­serts qui s'ouvrent à leurs portes, lesbanlieues qu'il décrit, semées depavillons pauvres avec, çà et là, unebelle demeure perdue dans ungrand jardin, habitées par des em­ployés ou des ouvriers qui, chaquematin, gagnent la ville par le trainou l'autobus, pourraient être cellesde n'importe quelle grande cité eu­ropéenne ou américaine. Ses person­nages, petits bourgeois médiocresfaussement satisfaits de leur sort,ratés dévoré~ d'ambitions déçues,torturés par la peur du sexe, hantéspar le mystère de l'existence, s'en­fonçant lentement dans la vieillesse,la déchéance, et la mort, ont descousins chez Dostoïevsky et chezBeckett, donnent' pàrfois l'impres­sion d'être à mi-chemin de Muych­kine et de Molloy.

On s'aperçoit alors que, d'unecertaine manière, l'œuvre de Pa·trick White ressemble à son pays.Dans celui-ci, un très grimd moder­nisme, notamment technologique,n'exclut pas une mentalité tradi­tionnelle, héritée de l'Angleterrevictorienne. Dans les romans deWhite, on retrouve le même phéno­mène, mais inversé. La techniqueest celle des romans du XIXe siècle,mais les thèmes, solitude, échec,

déréliction, répétition, incommuni­cabilité sont ceux de la littératurecontemporaine.

Cela est particulièrement sensi·,ble dans le Mystérieux Mandalapublié en 1966 et qui vient d'êtretraduit en français. Une fois deplus, le décor est Sarsaparilla, cettebanlieue de Sidney qui par sa mé­diocrité, sa situation-limite entreles rumeurs de la ville et l'immen­sité de la campagne australienne,fascine Patrick White. C'est aussisemble-t-il, là banlieue pauvre, quin'attire guère les citadins, et qui, enconséquence, a peu bougé. Une ban­lieue où l'on végète, où l'on s'enlise.Les frères Brown qui n'y font riend'autre, qui y vivent depuis leur en­fance, depuis le jour où leur mai·son a été achevée, avec son frontonclassique - que leur père, Anglaisémigré, avait exigé de l'entrepre­neur.

Le roman est l'histoire de cesjumeaux et de leur ratage, de leurimpossibilité de faire quelque choseensemble comme de vivre l'un sansl'autre; Waldo est l'intellectuel.l'orgueilleux, qui longtemps se croitpromis à un grand destin littéraire.Arthur est un bon garçon, un peudemeuré, aussi lourd et pataud queson frère est mince et élégant, etqui, toute sa vie, garde dans sespoches les billes de verre ae sonenfance. Seulement les dons deWaIdo tournent court. 'Les notesqu'il accumule ne feront jamais unroman, ni même un livre. Jusqu'àsa retraite, il ne sera qu'un petitemployé de bibliothèque, distant àl'égard de ses collègues, convaincud'être brimé par des supérieursqu'il méprise. Arthur, avec songénie pour le calcul mental, réussitfort bien comme commis d'épicerie,et avec sa démarche de gros ours etsa naïve gentillesse, se fait aimer detout le monde.

Les deux garçons, puis les deuxhommes, ,enfin, les deux vieillardssont comme prisonniers l'un de l'au·tre. Depuis l'enfance, Waldo haitson frère comme il méprise secrète­ment ses parents. Depuis l'enfance,Arthur qui admire Waldo est prêtà tout sacrifier pour, lui. MaisWaldo qui se méfie de tout étran­ger, qui est incapable d'être natu­rel avec quiconque, même pas avecDulcie Feinstein dont il est amou­reux, ~e peut jamais s'arracher àla, famille, à la maison de Sarsa­parilla, son seul refuge. Et Arthur,malgré les sarcasmes de Waldo de­meure dans l'ombre de celui-ci, re-

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Paul,Ritchie'

nonce souvent pour lui aux ami­tiés qu'il pourrait nouer. Cependantc'est Arthur qui est le mieux adap­té à la vie, Arthur qui a peut-êtrela vie secrète la plus intense, luiqui fait de ses billes l'incarnationdu mandala, figure parfaite de latotalité.

Une mameresingulière

La manière dont Patrick Whiteconte l'histoire des jumeaux est sin­gulière. S'il adopte les techniquesclassiques du roman de mœurs, lapsychologie du roman d'analyse, ilfait éclater son récit en deux par­ties qui sont comme les miroirs ­déformants - l'un de l'autre. Suc­cessivement, il donne sur les mê­mes faits le point de vue de Waldoet celui d'Arthur. Mais si le secondrespecte relativement la chronolo­gie et se donne ainsi comme unemise au point, une mise en ordredu premier, celui-ci mêle les épo­ques, les événements, les fantasmeset, par là-même, révèle tout ce quidans le vieillard sauvage et soli­taire provient de ses peurs et de sesdésirs d'enfant, dévoile son goûtmorbide de l'échec, son inadapta.tion fondamentale au monde.

En fait, le drame des jumeaux,perdus dans leur banlieue, engluésdans leur famille, égarés dans leurrêve est de n'être jamais entrésdans la vie. Pire, est de ne s'êtrejamais séparés l'un de l'autre, d'êtrerestés liés comme ils l'étaient dansla matrice maternelle, d'être unesorte de couple monstrueux et her­maphrodite. De nombreuses scènes,symboliques ou précises, soulignentcet hermaphrodisme latent : la fas·cination d'Arthur enfant pour lepersonnage de Tirésias que Waldo,plus tard, prendra pour héros de sonroman inachevé, le fait que les deuxgarçons, puis les deux hommes cou­cheront toujours dans le même lit,leur absence totale d'aventuressexuelles malgré quelques timidestentations, la scène hallucinante en·fin, où Waldo, vieillissant se pared'une vieille robe de sa mère etjoue de l'éventail devant la glace.C'est à de tels moments que le réa­lisme de Patrick White libère toutesa charge symbolique et que sous lemonde qui nous est décrit on dé­couvre un autre monde, mystérieuxcomme ce mandala qu'Arthur aper·çoit et reconnaît dans le scintille­ment de ses billes de verre.

Claude Bonnefoy'

1Paul RitchieLe ProtagonisteTrad. par René DaillieColl. « Lettres Nouvelles »Denoël éd., 286 p.

Cela commence à se murmurer :l'Australie est un curieux pays.Pays d'hier ou de demain? Lesdeux peut-être. Pays de pionniers,de colons au rêve vite réalisable,de super-société industrielle. Etpays si loin. Pour les géographes,cette île forme à elle seule, ou pres­que, l'un des cinq continents.Curieuse contradiction dans lestermes. De toute manière, celane fait guère le compte.

A quoi rattacher cette ile-conti­nent ? A l'Asie dont elle se trouvele plus proche ? Certainement pas.A l'Europe originaire? De moinsen moins. A l'Amérique du Nord,évidemment oui. Or les Américainsont toujours possédé une littératurevivace quand l'une des curiosités(par le vide) de la curieuse Austra­lie semble être son dédain de lachose littéraire. Serait-ce le faitd'un pays en gestation ou d'un paysen avance sur les autres, à une épo­que où l'on commence à parlerd'une mort de la littérature? Toutce que l'on peut déjà dire c'est quel'immigrant passe pour s'y ennuyerferme, en Australie. Il serait, en re­vanche, malséant d'omettre PatrickWhite, le plus grand des romanciersaustraliens, ce qui ne peut, malheu­reusement, s'énoncer sans ironie in­volontaire, puisque l'un des seuls.En France d'ailleurs, l'audience dePatrick White est demeurée fortrestreinte. Il faudra peut-être at­tendre le prix Nobel que l'Académielittéraire (et diplomatique) de Suè­de ne manquera pas de lui décernerl'un de ces prochains automnes.

Tout cela pour nous introduire- dans une mesure assez faible ­à un nouveau venu de qualité. Ilse nomme Paul Ritchie. Il est néà Sidney et fit la guerre dans lePacifique. « Peintre réputé» nousapprend ,la notice biographique, ilabandonna les brosses pour se con·sacrer à l'écriture. Son premier ro­man parut.en 1962, puis vinrent leprésent roman - premier traduiten français - et un troisième, inti­tulé les Confessions d'un ami dupeuple. Or, devenu romancier, cetAustralien cherche son inspirationà Ibiza, comme un quelconque b0­hème ouest-européen...

Le Protagoniste constitue ce queles Anglo-Saxons, amis du sport,

aiment à nommer une performance.En voici l'argument qui tient ­tout est là - en quelques lignes.Un homme encore jeune, curieuse­ment appelé Honey, cherche unechambre dans le quartier populaired'une ville britannique. On luipropose d'en 'partager une avec unnommé Hinds. Honey accepte etpaye d'avance. Il est très fatigué,semble relever de maladie, et vou­drait se reposer tout de suite. Maisla dame et le monsieur propriétaireslui font remarquer qu'il ne seraitpas correct de s'installer avant leretour de Hinds ; qu'il vienne donc,Honey, en attendant, prendre lethé et faire connaissance. Honey faitconnaissance et attend Hinds ­comme d'autres, attendaient Godot- jusqu'au milieu de la nuit. Hindsarrive enfin mais pourvu d'unefiancée, chassée de chez ses parents,et qu'il faut loger sans tarder. Ho­ney reprend donc le sac qui consti­tue tout son bagage et disparaît.

J'ai parlé de Godot, mais onpourrait davantage évoquer le Care­taker de Pinter. Comme le careta­ker, Honey s'est vu ouvrir les portesde la maison: Il a eu sa chance, ill'a gâchée, il a été exclu. En fait,le Protagoniste inverse l'équationd'u Caretaker. Si le frère aîné duCaretaker est, selon ma propre in·terprétation, quelque peu Dieu lePère, et son clochard l'homme quel­conque, dans le Protagoniste c'estHoney qui abrite les derniers re·flets de la divinité; le ramassis deshabitués de la Maison étant chargé

de figurer l'humanité ordinaire. Lachance gâchée par le départ de Ho­ney est donc avant tout la leur. Ici,

'c'est plutôt Dieu qui est mis à laporta. Et pourtant - différence im·portante d'avec le Caretaker - Ho­ney a perdu, lui aussi, une chance,la dernière peut-être. Honey est unpersonnage hors de l'ordinaire, unpeu fantastique - il y a du Mel·ville en lui - mais il est homme dechair et de sang, doit trouver lesvoies de son existence et s'enfonceen une impasse. Honey n'est pasune allégorie. Ni plus ni moins quene sont allégoriques les logeurs,leurs parents et amis. Le Protago­niste est à l'image d'une certaineschizophrénie socio·culturelle.

Mais qui sont les autres, tous lesautres? Alf Lister, le logeur, estun héros de 14-18. Il a conservé dela guerre une jambe douloureuse,à peu près inutilisable, et des souve·nirs. Son grand ami, Ted, ancienboxeur profassionnel, fut sherif du­rant quelques décennies aux Etats­Unis. Il cultive, lui aussi, de glo­rieux souvenirs. Pour l'Ordre etpour la Patrie, Ted et Alf ont, l'unet l'autre tué. Là résident leurs sou·venirs principaux, fondamentauxpeut-être, vaguement heureux, va·guement honteux, en tous casjustifiés. Leurs autres souvenirs fa­voris ont trait à toutes les horreursqu'ils ont pu observer au cours deleur chienne de vie. Ils aiment àfaire assaut d'horreurs - particu­lièrement devant les dames - com·me par une inconsciente et problé-

La Quinzaine UttUalre, du 1er au lS janvier 1971 7

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~ Ritchie Le dernier

Phallocentrisme

vée de son mystère, parce que gué­rie de sa passion incesh'.euse pourson frère Julian. Elle connaît main­tenant le parfait amour avec le nar­rateur Félix Charlosk, inventeur del'ordinateur Ahel. Le frère de Ju­lian, Jocas, meurt après s'être ré·concilié avec son frère, etc.

L'auteur se trouve donc sans ces­se ramené en arrière et la matièredu récit devient une sorte de « pèle­rinage éclairant aux sources».L'identité véritable des héros, lesévénements qui avaient été laissésen SUSpellS font l'objet de ces re­tours, constituant des « histoires »présentées en abyme par rapport àla progression de l'action du romanqui s'en trouve considérablementralentie.

Par ailleurs, le phallocentrismedéjà évident dans Tunc semble s'ac-

ment d'une pensée dont Gide disaitlui-même dans son Journal qu'il neserait pas aisé de cerner la trajectoire,mais dont le propre fut d'appliquer àdes préoccupations multiples et à unedisponibilité délibérée une exception­nelle ferveur.

L'exposition est animée par les ar­chives sonores de l'O.R.T.F., grâce aux­quelles on peut entendre Gide parlerde Gide.

(Bibliothèque Nationale - GalerieMansart - Exposition ouverte tous lesJours jusqu'en février 1971).

Georges Cogniot, Armand Lanoux, Lu­cien Scheler ainsi que des lettres iné­dites de Zola à Jules Vallès.

Verticales 12 (N° 4-5). - Cette re­vue qui se publie à Decazeville tenteune approche de la poésie en 1970:les auteurs y distinguent deux cou­rants, l'un qui se situerait sous l'égidede Tel Quel, l'autre qui poursuivraitun certain humanisme poétique. Maispas un mot n'est dit des deux poètesles plus originaux de ces dernières an­nées et qui ne se rattachent à aucunde ces deux courants, Jacques Rédaet Jacques Roubaud.

Quaternaire (N° 7). - Revue éditéeà Lens (Pas-de-Calais) par le poèteJeanpyer Poels et qui se situe trèsnettement dans la première veine. Ason sommaire : Michel Deguy, MichelVachey, ,Jean-Luc Steinmetz, André Six,Gérard Duchene et Jean-Pierre Verheg­gen.

Manteia (N° IX-X). - Aux antipodespuisque publiée à Marseille, Manteiaest directement dans la lignée telque­lienne. Outre quelques textes des for­malistes russes, on relève les noms de,Jean-Claude Montel, Gérard Arseguel,Jean-Jacques Viton, Jean Todrani, Char­les Grive!.

LES REVUES

Lorsqu'un roman se propose com­me la suite et la résolution d'unpremier texte, comme c'est le caspour Nunquam et Tune, la matiè­re « du roman-solution» se trou­trouve par là même condamnée à re­couvrir celle du « roman-problè­me». C'est le cas pour Nunquamqui n'évite pas cette redondance in­terne. Ce ronlan est un retour surTune dont il résout les « blancs»volontairement laissés par Durrelldans l'aventure des personnages quigravitent autour de la fameuse so­ciété Merlin. La solution proposéepar Nunquam porte en effet à lafois sur la psychologie des person­nages et sur leur comportement :nous retrouvons une Bénedicta pri-

A l'occasion du centenaire de lanaissance d'André Gide, la Bibliothè­que Nationale présente actuellement aupublic une exposition consacrée à cetécrivain.

Plus de 700 pièces ont été réuniespar les organisateurs, telles que ma­nuscrits, éditions rares, correspondan­ces avec les plus grands écrivains deson temps, tableaux, gravures et sculp­tures d'artistes qui comptèrent parmises amis, photographies et documentspersonnels. Du symbolisme à l'immo­raliste de la Porte étroite à Thésée, onpourra suivre ainsi le long chemine-

La Nouvelle Revue Française(N° 216). - Ce numéro de décembres'ouvre par des fragments d'un longpoème de Pierre Emmanuel : • Hym­ne à la déesse -. Pour suivre, uneétude de Pierre Gascar sur ArthurRimbaud, une autre de Michel Gressetsur Flannery O'Connor (avec un texteinédit de la romancière sudiste) etune évocation de Dostoïevsky par lePolonais Adolf Rudnicki.

Esprit (décembre 1970). - Pour lepremier anniversaire de la mort dePaul Chaulot, Esprit publie un ensem­ble d'hommages signés notamment deRené Char, André Frénaud, Jean Fol­lain, Guillevic, Georges - EmmanuelClancier, Robert Marteau. Divers tex­tes politiques complètent ce numéronotamment sur • le parti et l'arméedans la politique chinoise., par L.Vandermeersch et deux études sur deGaulle par Jean-Marie Domenach etStanley Hoffmann.

Europe (N° 499-500). - Fondée en1923, Europe publie son cinq-centièmenuméro consacré à la Commune deParis. 388 pages pleines tentent d'épui­ser ce sujet inépuisable. Parmi lescollaborateurs, Henri Guillemin, Hen­riette PSichari, Maurice Chavardès,

1Lawrence DurrellNunquamGallimard éd., 330 p.

1ean Gaugeard

propos volontiers sybillins. Alf l'in­jurie, Tet! le boxe, MalI tente del'avoir par le sexe et Dottie par lesentiment. Mais rien ne sert à rien.Honey oppose finalement à tout unefin de non-recevoir, assortie ou nond'évanouissement. Furieuse, MoUfait boire à Honev, comme auChrist, du vinaigr~. Bouleversée,Dottie croit devoir révéler à sescompagnons que Honey est unsaint. Mais non; Honey n'est pasun saint. Il ne fait que traînercomme un boulet des résidus d'unespiritualité dont il n'a pas plusl'usage que Alf ou Ted mais qui luiinterdisent de s'amalgamer aux AHet Ted, de coucher avec MalI, com­me tout le monde, d'épouser Dottiequi ne tardera sans doute pas àdevenir veuve.

Si le Protagoniste n'apparaît guè­re comme le produit d'une littéra­ture australienne à l'état naissant.ce roman manifeste assez remarqua­blement l'une des tendances actuel-

les de la littérature anglo-saxonne...••••••••••••••••••••••••••••••••••L'idéalisme n'y désarme pas. Onle voit cependant évoluer, élire vo­lontiers un thème qui semble pré­cis, s'incarner en une situation biencernée. Or que l'on y regarde d'unpeu plus près, l'on s'aperçoit que lasituation est ambiguë, que le thèmeest diffus, que la morale est en rui­nes. La richesse particulière du Pro­tagoniste tient à ce qu'il assume dé­libérément une telle situation qued'autres œuvres cherchent plus oumoins consciemment à masquer. Delà vient qu'Honey n'est pas, et nepouvait être une allégorie à la Pin­ter. Si Ted et Alf sont de pauvresdiables, Honey tout en étant leurcontraire, n'en est pas moins unpauvre diable et plus douloureuse­ment. C'est un moine sans cellule,un croyant sans foi et qui n'a pasdroit non plus à l'enfer des autres.

Paul Ritchie a conçu là une œu­vre particulièrement attachante.J'ai bien parlé de performance. Ilest assez remarquable que l'on pren­ne tant de goût à s'attarder en cetteMaison Lister, à entendre déblaté·rer deux vieilles ganaches et criail­ler deux commères, à voir s'éva­nouir un mort-vivant. En vérité, laMaison n'est pas cernée par les ruesdu quartier mais par de sombresallées fascinantes, dont Paul Rit­chie connaît bien la géométrie, pal'des lointains hantés de mystèresressassés. Cet au-delà de la Maison,le discours intime de Honey, sup­pliant et secret, l'empêche de dis­paraître.

Et ce n'est qu'une longue journéesuivie d'une longue soirée pousséeloin avant dans la nuit, par la fautede ce Hinds qui n'arrive pas. Com­me à l'accoutumée on se chamailleet on se réconcilie daus la maison­née. Les tasses de thé alternent avecles verres d'alcool cependant que lesfemmes cuisinent saucisses et purée.Alf joue les martyrs et les tyransdomestiques. Ted tourniquote lubri­quement autour de Moll. Enfin unpetit drame familial: Jim, qui n'ai­me pas que son oncle cherche à letripoter, fait une fugue. Il fautaller en bande à sa recherche dansle parc voisin où Moll oubliera unmoment son fils pour se laisser vio­1er, à peu près sous les yeux de sonvieux fiancé, par une terreur desparages.

Honey, pour sa part, assiste à toutcela plus qu'il n'y participe. Il nedemande qu'une chose: aller s'iso­1er, se reposer dans cette chambremais cela justement ne lui est paspermis. Il lui faut demeurer pré­sent à ce monde où il ne peut s'inté­grer. Et comme c'est trop lui de­mander, son organisme réagit cu­rieusement. Honey a d'étrangesabsences, de longs évanouissementsqui terrorisent l'entourage, excitentla pitié, le mépris ou la fureur.

Peut-on dire qu'Honey révèle lesautres à eux-mêmes? Même pas.Cela supposerait une forme decommunication. Tout au plus : illes tarabuste. Un animal étranges'est introduit dans la basse-cour.On tourne autour de lui, on l'exa­mine, on l'asticote mais en défini­tive, il gêne, on ne sait qu'en faire,on n'en a pas l'usage. Honey estfrêle, doux, ne résiste pas quand onl'attaque, il a un air de pureté unpeu obscène. Quand on lui adressela parole et quand il consent à ré­pondre c'est généralement par des

En attendant Hinds

matique tentative d'exorcisme, avecune verve rabelaisienne.

Quant à Dottie, la femme d'Alf,c'est une ménagère qui n'a plus toutà fait ni le temps, ni l'âge d'êtremalheureuse. Mais, épouse sans en­fants, d'uu homme âgé et impotent,il serait téméraire de la croire satis­faite. Sa jeune sœur MalI, n'a pasde chance non plus. Tous les hom­mes du quartier lui passent dessus,qu'elle le veuille ou pas. Elle atrente ans, un enfant naturel, Jim,et s'inquiète de son avenir. Quandle septuagénaire Ted lui propose del'épouser, lui et ses économies, elleest sur le point d'y consentir.

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collection U PAVILLONS"

Durrellcentuer considérablement ici dansle sens d'une érotisation facile dutexte, qui se manifeste par exemplesous la forme d'anagrammes dumot Tunc (compréhensible seule­ment pour les lecteurs qui connais­sent l'anglais), ou bien qui prendles espèces très contestables d'aven­tures mercantiles de la sociétéMerlin - telle la névrose du Koloque la statuette d'un dieu phalli­que est susceptible de guérir... pourne pas mentionner la très improba­ble entreprise de commercialisationdu sperme comme crème de beautéet les obstacles que peuvent rencon­trer les « démarcheurs» à son ob­tention dans les pays musulmans.Des séquences de ce genre rappel­lent, mal à propos, je dois le dire,.les canulars des Copains, ces der­niers étant d'ailleurs plus drôlesparce que plus « directs ». Le Qua­tuor d'Alexandrie paraît situé àquelques années-lumière de ces fa­cilités regrettables.

Il y a pourtant une sorte d'actiondans Nunquam, même si le sujeten est contestable par sa fragilitédramatique: il s'agit de la résurrec­tion de la belle Iolanthe, petite pros­tituée grecque de Tunc devenuel'idole de Hollywood. Elle revit icisous la forme d'un automate extrê­mement perfectionné, produit del'ordinateur Abel pour la psyché, etdes dernières découvertes en matièrede substances artificielles, telles quela guttapercha et le nylon, pour lecorps. Elle est l'objet de l'amourinconditionnel et fétichiste de Ju­lian qui a malheureusement subi letriste sort d'Abélard. L'artifices'étend également à la savante taxi­dermie pratiquée par le ProfesseurGoytz qui fait une réclame assezpeu convaincante pour ses futuresvictimes avec des slogans du genre« Mummy is a Mummy » (Mamanest une momie).

A la description de la mécauisa·tion inévitable de l'homme dans lasociété moderne que Durrell veutmettre en accusation dans son livre,s'ajoutent les « retombées» d'uneculture psychanalytique (Freud etFerenczi surtout) qui permet de dé­noncer aisément l'érotisme anal re­présenté par le capitalisme. Analitéet coprophilie semblent faire lesdélices de l'auteur: « Or, pain, ex­citation et accroissement sortant dela société anonyme du gros intestinen train de rêver. Et puis, par lemême lien d'associations d'idées,du pot de chambre à Aphrodite,l'austère, la terrible, l'indifférente,

faisant carillonner son sexe commeune cloche ». (248).

Ce qui sauve le roman d'unegrande lourdeur, c'est l'incontesta­ble don poétique de Durrell pour lespaysages : Il peut en une phrase« visionnaire» nous montrer une« Athènes posée en équilibre dansses creux violets, comme un fruitbleu sur les branches de la nuit »(232)... ou « L'Hymette tournantlentement sur son plateau et mon­trant sa nuque rasée »... Ou bienc'est la Turquie dont il résume lanature profonde en une phrase :« une lourde vague propulsée parla mort, la rêverie de quelque vieilalligator qui somnole dans la boue»(248).

La fin du roman montre l'échecde la société dont Charlock, devenuLe président, s'apprête à détruiretous les contrats. La fin de la mysti­fication touche aussi Iolanthe l'au­tomate, qui précipite Julian dans sapropre fin, pendant l'enterrementde Jocas dans la cathédrale de Saint·Paul à Londres - dont les nefssont comparées à des '« trompes deFallope »... ? - Destin douteuxpar excellence, mais qui veut met­tre en évidence la faillite de la no­tion de culture comme' le dit l'au­teur dans la post-face du roman. Ils'agit bien de combattre l'antiphysispour retrouver dans une sorte derousseauisme ironisant la « vraie etbonne nature» de l'homme. Maisle commentaire que Durrell veutfaire de la théorie pessimiste deSpengler dans ce livre, et qu'iloppose à un freudisme superficieln'est guère convaincant.

Les outrages que la société capi­taliste fait suhir à l'homme, l'exces­sive déshumanisation qui fait dubonheur « primitif» une sorte d'in­déchiffrable palimpseste est pour­tant le plus topique des sujets etl'auteur aborde certes en cela undes points essentiels de toute pro­blémati'JUe concernant la « moder­nité ». Mais il semble bien que Dur­rell ait atteint dans le Quatuorune synthèse désormais indépassa­ble, qui consiste à énoncer les ter­mes de cette problématique et dela transfigurer aussi par l'intensepoésie des lieux et le lyrisme déli­cat de la forme.

Durrell sait bien sans doute quec'est seulement par le paysagecomme métaphore qu'il peut, avecun étonnant bonheur capter l'essen­ce de ses personnages dans ce qu'ellea de mouvances et de profondeur.

Anne Fabre-Luce

LEPREMIERCERCLE

VOYAGESAVEC MA

TANTE

LAGARDE

BLANCHE

JOURNAL DELA GUERREAU COCHON

LEBOURREAUAFFABLE

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La Qulnzalne Uttéralre, du 1"r au 15 janvier 1971 9

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TIERS

MONDE

Domaine maghrébin

1Mohammed DibDieu en barbarieLe Seuil éd., 112 p.

1FormulairesLe Seuil éd., 222 p.

1Gabriel AudisioL'Opéra fabuleuxJulliard éd.

1Manuelle RocheLes Diamants de sableAlbin Michel éd., 238 p.

I Le M'zabArthaud éd., 132 p.

Ranger sous la rubrique maghré­bine des ouvrages aussi différentsque Dieu en Barbarie et Formldai­res de Mohammed Dib, l'Opéra fa­buleux de Gabriel Audisio, les Dia­mants de sable et le ft!zab de Ma­nuelle Roehe relèverait de l'extrapo­lation hâtive si un dénominateurcommun, l'Algérie, ne reliait, mal·gré leurs dissemblances, ces ouvra·ges entre eux. Présente ou déjàdépassée, irréductiblement chevil­lée au cœur des uns, simple décorou prétexte à recherches romanes­ques et esthétiques pour les autres,l'Algérie est saisie par chacun àtravers un prisme et un discourspersonnels.

Mohammed Dib, on le sait, aquitté depuis longtemps son Oranienatale pour s'établir en France et yécrire. Depuis 1952, une dizained'ouvrages l'ont consacré. Les pre·miers romans venus des confinsd'un réalisme balzacien et vague­ment socialiste : la Grande Maison,l'Incendie, le Métier à tisser cam­paient des scènes de la vie tlem·cénienne ,où le régionalisme dé­bordait ses recettes et ses poncifspour <lire la prise de conscienced'un peuple opprimé, l'éveil despaysans et des artisans et celuimême, des enfants des' classes ex­ploitées. Pour dire ensuite la guerreet ses horreurs, le langage devenaitinsurrection et sécession, à la ma­nière surréaliste. Le « fantastique»de Qui se souvient de la mer etCours sur la rive sauvage prend ap­pui sur un réel hélas trop présent,- la guerre - pour le faire explo­ser. Il est destruction d'un mondeque défigurent la mort et la faim,comme une affiche lacérée. Ainsi,les Minotaures dans Qui se souvientde la mer, échappés à la mythologiela plus inquiétante, représentaient

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le système de résistance au pouvoircolonial en bouleversant les fron­tières établies entre bien et mal,vivant et inanimé, réel et imagi­naire.

Dieu

en Barbarie

Dieu en Barbarie délaisse unetelle vision onirique du monde et ilest permis de le déplorer. Par cerécit de forme tout à fait tradition­nelle, Dib ne revient pas au chiffreréaliste, mais très personnel, de sesdébuts. L'Algérie, après huit ansde décolonisation, s'interroge. Dibnous fait entrer dans le débat enprêtant ses préoccupations à quel­ques personnages qq'il suppose vi­vant dans l'Algérie de 1970 : unchirurgien déçu par l'Indépendan­ce, le Dr Berchig, un coopérantfrancais, J.M. Aymard, le chef decabinet d'un préfet, Kamel Waëdet une sorte de mystique attardé,Hakim Madjar, « mendiant deDieu». Et nous voici lancés dansde longues discussions nocturnes.On conteste l'agression, par la civi­lisation occidentale, des structuresmentales façonnées dans l'Islam. Onmédite sur le destin des petites na­tions du tiers monde coincées entreles « grands empires», soucieusesde se formuler à elles-mêmes leuridentité et de découvrir des voiesoriginales vers le socialisme.

Il n'est pas facile de bâtir unroman autour de tels thèmes et Dibn'a su donner ni véritable épaisseurà ses personnages ni vraisemblanceà leurs relations. Les partenaires durécit se meuvent, comme des ma­rionnettes porteuses de rôles abs­traits; leurs propos sonnent faux.L'échantillonnage en tout cas paraîtbien peu convaincant. Où rencon­trer ce grand' scout de coopérant,ancien militant du réseau Jeanson,venu en Algérie pour y trouver lesupplément d'âme qui manque à no­tre civilisation technicienne (d'où letitre Dieu en Barbarie) ? Et ce jeu­ne cadre algérien déchiré entre cha­rité et socialisme, entre le rationa­lisme appris en Europe et la nos­talgie d'un monde traditionnel im­prégné de foi religieuse? Il n'estpas étonnant que nous ayons du malà communier avec de tels personna­ges, surtout lorsqu'aux détours decertaines lignes on retrouve tel outel vieux cliché auxquels nousavaient habitués les écrivains de labelle époque coloniale : à la diffé-

rence du petit Français « simple etsincère» apparaît l'Algérien « men·diant» et « menteur» qui, tropfacilement, « s'en remet à Dieu »...

Le lecteur, dès lors, s'interroge:Mohammed Dib a choisi de vivreen marge de son pays et de s'adres­ser d'abord à un public « maghré.bin » hors du Maghreb. N'est-il pastrop coupé de l'histoire réelle deshommes qu'il met en scène, du par·tage quotidien de leurs vies, puis­que leur problématique nous paraîtsi peu existentielle, leur dialogue entout cas, plus imaginé à distanceque véritablement entendu ?

Les poèmes de Formulaires quinous éloignent de l'Algérie actuelleet de ses prohlèmes nous permettent,du moins, de rejoindre le mondeintérieur de Dib. A travers un lyris­me tantôt fluide et intimiste, tantôtrésolument moderne, enrichi d'in­fluences symboliste et surréaliste,nous voici invités à chercher « lemot des mots », « le chemin qui estune façon de redire la prière ». Dm­hres et lumière éclatante se partaogent la conscience du poète qui n'apas oublié « la sauvage vendangedes chlores» :

« la voix d'un dieu mortcherche dans sa mémoirepar où l'ombre est entrée ».

Lieu

de la mémoire

« Lieu de la mémoire»... Cetitre d 'un Formulaire si consonantavec l'Algérie de Dib, convient hiendavantage encore à celle que GabrielAudisio fait revivre dans l'Opérafabuleux, plus de trente ans aprèsAmour d'Alger. L'auteur, aujour­d'hui septuagénaire, ne s'est sansdoute pas départi de cette utopielibérale qui lui faisait magnifier lemétissage culturel des « Méditerra­néens » et croire à la symbiose descoloniaux et des colonisés.

L'Opéra fabuleux n'est pourtantpas une reprise des thèses chères àl'essayiste. Tout ensemble IDysse etHérodote d'un pays inoubliable,Audisio veut ici, simplement, en« sauver quelques images ». Il n'aqu'à puiser à pleines mains dans lessouvenirs de son enfance, à l'époqueoù ses parents, après avoir beaucoupbourlingué, guérissaient de leur no­madisme impénitent en se fixant àAlger.

« L'Algérie de mon père » (lequelétait alors directeur de théâtre)n'est pas pour Audisio. l'avatar d'un

mot devenu historique. C'est uneréalité vivante où les anecdotes sa·voureuses relaient les méditationslyriques. Ecrivains en voyage, Gide,Pierre Louys, croisent Montherlant,Valéry. Plus tard Grenier, Rohlès,Camus fonderont « l'école d'Alger ».Audisio attache un grand prix à cesrencontres auxquelles il nous faitparticiper, et ce n'est pas le moindremérite de ce livre qui par ailleursattache par sa tendresse contagieuse,par un refus de la délectation mo­rose, alors même qu'il se déploiedans les « méandres de la nostal­gie ».

Trompe-l'œil

et faux-semblant

Si l'Algérie de cet enfant de lahalle paraît réduite à des fictionsd'opéra, peuplée uniquement d'hom­mes de lettres, c'est qu'elle fut pourles pieds-noirs comme pour ce« frangaoui », d'abord, un décor.« Restons-en à 1930, écrit Jules Roydans sa préface, à l'odeur des hro­chettes et au parfum du jasmin, auxvendeurs de cartes postales ohscènessous les palmiers de la Régence etdu Café d'Apollon ». L'Histoire elle­même leur était trompe-l'œil etfaux-semblant. « On s'en foutaitbien, à l'époque, moi le premier,de la justice! Personne ne nousl'avait enseignée. Notre vraie patrieétait pour nous tous le soleil»,écrit encore le préfacier.

L'Algérie des plages

et des pinèdes

La hande qui enveloppe les Dia­mants de sable de Manuelle Rochea beau offrir au menu « Décor :l'Algérie. Atmosphère : la guerre.Personnage principal : l'Amour »,elle promet plus que véritablementelle ne sert... Des hommes et desfemmes certes, s'aiment et se déchi­rent d'un bout à l'autre de ce ro­man, où abondent de fines notationspsychologiques. La guerre ne mohi­lise pas ces êtres enfermés dans leursubjectivité et jaloux de leursconquêtes amoureuses. Tout au plusrompt-elle le charme de certainesheures. Cette Algérie est celle desplages et des pinèdes. Ce n'est pasun pays en guerre, même si quel­ques manifestants trouent parfois ce

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Yves Courrièreà "1'heure des colonels'~Entretien de Gilles Lapouge

tableau, « hérissant de drapeauxverts leurs voitures », se faisant« canarder» ,par les parachutistes,tandis qu'à Clos-Salemhier brûlentles villas.

Le M'zab

Bien davantage nous retient etséduit sein ouvrage d'art consacré auM'zab. Après les pages liminaires deMammeri, une soixantaine de très

,belles photos illustrent un textedense et nerveux;. Manuelle Rochea su voir, et nous faire voir, la pu­reté de ligne de ces murailles iba­dites, de ces terrasses éclatantes, deces puits séculaires, de ces minaretsqui dominent chacune des cinq vil­les comme autant d'index levés pouraffirmer le Dieu Unique.

Précieux par tout ce qu'il nousI1vre des traditions et de l'histoirede ces «puritains du désert », lecommentaire n'échappe pas toute­fois à un certain lijdactisme : il fautapprendre aux Algériens tentés parle modernisme à voir la beautéqu'ont su créer leurs ancêtres il ya dix siècles; il faut redonner auxOccidentaux la saveur' de la simpli­cité, leur apprendre à renonc,er auxdécors factices dont la société decoD.S9mmation enveloppe leur exis-tence... ' ' .

Nous gêne également l'apologieidyllique de la vie au désert. Il estconfortable de s'extasier à distancesur la sobriété de ces sociétés sou­mises à la raréfaction de touteschoses et sur la spiritul,llité cister·cienne qui s'en dégage (l'auteur fait,à ce propos, d'intéressants rappro­chements entre l'éthique austèred'un Saint Bernard, les intuitions deLe Corbusier et celles des Kharé·jites réfugiés au M'zab). Les ré·flexions de Manuelle Roche sonthypothéquées par l'oubli de tout unversant de l'existence des Mozabi·tes: leur vie à l'extéri~ur, besogneu­se et commerçante est passée soussilence. Sans cette émigration, lesoasis du S1,ld auraient-elles pu survi·vre ? S'il y a un message spirituelau M'zab, il ne réside pas dans leseul dédain des biens matériels oul'enfouissement au' désert, comme lesuggère un peu vite l'auteur.

Cet ouvrage d'art témoigne, on levoit, plus directement que les Dia­mants de sable de la « présencemaghrébine ». Il dit, à sa manière,la fascination que continue d'exer­cer l'Algérie sur tous ceux qui ontété, peu ou prou, mêlés à son destin.

Michel Cote

Yves Courrière a vécu deuxfois la guerre d'Algérie, com­me acteur d'abord puis corn·me historien. Il a vingt ans encette Toussaint 1954, quand'un groupe de maquisards allu­me la première étincelle de"incendie. Comme tous leshommes de sa génération, sondestin sera modelé par celuide "Algérie.

Quand il doit accomplir son ser­vice militaire, en 1958, il est affec­té à Paris, au service de presse del'armée. Un jeune colonel, fort bril·lant. le dirige, il s'appelle Gardes.Voici entré dans le regard de Cour·rière le prèmier personnage del'histoire à laquelle il consacreraplus tard cinq années de travail.D'autres' personnages suivront, sinombreux qu'aujourd'hui, aprèsavoir écrit plus de 1 600 pages,Courrière n'a pas encore achevésa tâche. Son troisième volume,l'Heure des Colonels (1) couvre les

,années 1957 à 1960. Il faudra en­core un gros volume pout arriverà la proclamation de l'indépendan­ce.

Le 13 mai 1958, Courrière est en­'core à Paris, avec Gardes. Il estensuite dirigé sur l'Algérie et cebidasse occupe un poste privilé·gié : affecté au 5" bureau, il sur­veille toute l'organisation politico­administrative de la zone. Depuiscet observatoïre d'exception, Cour·rière comprend vite que les chosesne sont pas aussi simples que lespropagandes contraires le disent :sous les images visibles de la guer­re, il découvre un fantastique laby­rinthe, des galeries obscures ouradieuses, une fourmilière dans la­quelle grouillent les passions, lesintrigues, les cruautés, les dévoue­ments. Ce n'est pas dans les états·majors ou dans les cabinets maislà, au fond de ces souterrainsétouffants, que se forge le sortde la guerre.

Le 16 septembre 1959, de Gaulleproclame l'auto-détermination del'Algérie. Les pieds noirs entrenten transe. L'armée doute, se dé·chire et une partie de ses cadres,les colonels et les capitaines, atti­se la révolte qui éclate en janvieravec la semaine démente des barri­cades. Déjà, Courrière ne peutpartager l'aveuglemellt, ni la fréné­sie des insurgés. Sa rupture avec lecolonel Gardes, qui s'est avéré l'un

des soutiens militaires de l'agita·teur du forum, le cafetier Ortiz, pré­cède de peu son retour en métro­pole. Les fascinations exercéespar l'Algérie sont durables. Denouveau journaliste à R.T.L., Cour­rière ne cessera de hanter la scènedu drame. Il retourne quatre-vingtsfois en Algérie. Il couvre la confé­rence d'Evian, les révoltes deses·pérées et sanglantes de Bab-EI­Oued, la fusillade de la rue d'Isly.En tous les lieux de l'orage, Cour­rière est présent. Jusqu'au jour oùl'O.A.S. le condamne à mort.

y. C. - Quelques années plustard, en 1966, quand je me déci·de à quitter R.T.L. pour écrire l'his·toire de cette guerre, très vite, ilm'apparaît que tout est à faire.Même la chronologie exacte de cessept années, il faut que je l'éta·blisse moi·même. Et puis, la na·ture d'un pareil combat commandele secret absolu. Pas d'archives,une action clandestine, des initia­tives locales, le mystère, tout estenfoui. Tenez : quand Delouvrierest nommé délégué général à AI·ger, quels sont ses rapports avecde Gaulle? Il a reçu peut-être troislettres du général durant tout sonmandat. 'Le dialogue se nouait àl'occasion des visites de Delouvrierà Paris. Il fallait le reconstituerbribe par bribe.

« Cela ne signifie pas que monexpérience algérienne avait étéinutile. Elle m'avait initié au stylede ce combat. J~ savais que toutl'essentiel était dissimulé. En outre,j'avais rencontré les hommes, iIIus·

, tres ou anonymes, qui conduisaient

la bataille. Enfin, les lieux m'étaientfamiliers et, pour mon projet, c'étaitessentiel. Pas seulement pour lacouleur laca,le mais si l'on veutfixer correctement. les traits decette guerre étrange et sauvage, Ilfaut savoir ce qu'est un paysankabyle, -une mechta, il faut avoir'partagé la vie ~e Bab-el-Oued, con­naître les dédalés de la casbah.

Vous dites l'histoire mais, dèsles premières pages de L'heure descolonels, vous nous transportezdans -les djebels de Haute Kabylie.Il y a là I<rim Belkacem et son gui­de Aomar. Et vous nous faites en,­tendre uneconvel'sation entre lesdeux hommes. Cela se lit avec'passion mais t;e dialogue, commetous ceux' qui animent le livre, est­ce du grand reportage ou est-cede l'histoire?

y, C. ~ Il n'était pas q!Jestiond'écrire une histoire froide, de sty­le universitaire. Mais je ne vou­lais ,pas davantage, sous prétextede Cf faire vivant », inventer ou tra.hir les faits. Si donc je rapporte undialogue entre Krim et son' guidé,c'est que ce dialogue a été tenu.J'en connais le sens, les résultats,le mouvement.

Ce qui suppose une documenta­tion considérable.

y. C. - J'ai essayé de rencan-'trer tous les principaux sUnfivan,s;depuis les plus célèbres, commeLéonard, Mendès France ou Trin·quier, jusqu'à des hommes qui o~t

joué un rôle de premier plan. sansqu'on le sache.

Par exemple?

La Qulnzalne Uttéralre, du 1er au 15 janvier 1971 11

Page 12: La Quinzaine littéraire n°109

~ Yves Caurrière

Y. C. - Chez les Français, unhomme comme Jean Pouget. On leconnaît, certes, mais surtout pourle rôle qu'il a joué en Indochine,auprès de de Lattre, puis à Dien­Bien-Phu mais sait-on qu'il fut, enAlgérie, un des maîtres de l'an­tenne gaulliste d'Alger avant le13 mai? Même chose pour le ca­pitaine Léger qui contrôlait ceuxque l'on appelait • les bleus dechauffe -, c'est-iHfire ces ralliés duFLN qui travaillaient avec l'arméefratnçaise et qui étaient chargésd'intoxiquer les rebelles. Et là, ilY a une péripétie extraordinaire:ce travail d'intoxication réussit sibien que:Je chef de la Willaya 3,Amirouche~ est saisi d'une sortede folie. Il imagine que toute sawillaya est farCie de traîtres etd'espions et 11, ,démantèle lui-mê­me, par d'affreuses purges, sonpropre instrument de combat. Ducôté des rebelles, le phénomèneest identique; Tout le monde enFrance, a entendu parler de FerhatAbbas, de Krim, de Ben Khedda,à la rigueur de Boussouf, de SiM'Hamed et d'Assedine, mais sait·on l'importance capitale d'un homome comme Abane Ramdane, véri·table leader jusqu'au jour où Bous­souf, avec la désapprobation mollede ses pairs, le liquide? C'estaprès sa disparition que le FLN,derrière une façade civile qu'illus­tre Ferhat Abbas, tombe sous lacoupe des trois B - Boussouf,Ben Tobbal et BeUcacem c'est·à·dire les colonels. Le titre du livres'explique du, reste ainsi : l'heuredes colonels, ne 'fait pas allusionseulement aux colonels françaiscomme Gardes, Godard, Argoud,Trinquier ou Broizat. En face d'eux,il y avait aussi des colonels et, àbien des reprises, c'est un combatsingulier qui les oppose.

Votre livre apprend beaucoupde choses. les règlements decompte, à Tunis, entre les chefsdu CEE, on en avait eu des échosmais j'avoue que, pour moi, je n'ensoupçonnais ni la violence, ni "am­pleur. Mais, en même temps, uneautre question se pose : durantcette guerre, on avait le sentimentque les péripéties du combat pou­vaient se multiplier, se contredire,mais qu'à la fin, par une sorte depesée diracte de l'histoire, L'indé­pendance serait acquise. Or, votrelivre ébranle ces convictions. Sou­vent, le résultat d'un hasard, unedécision, un règlement de comp-

12

Yves Courrière

tes, une victoire semblent pouvoirinfléchir le fléau du côté de la vic­toire ou du côté de la défaite.

Y. C. - Les deux idées sontvraies, à mon avis. Il est exact quejusqu'au bout, rien n'était joué. Lesrebelles ont frôlé la catastrophe etil faut bien reconnaître que surla fin, Challe, qui est un grandhomme de guerre, détruit tout lesystème adverse. Mais cela, c'estûn premier niveau. Au-dessousjouent d'autres forces. Même uneliquidation radicale de l'appareil duFLN n'aurait pas mis fin au com·bat. L'idée de l'indépendance étaitdevenue irréversible. C'est ce quede Gaulle avait compris.

Vous placez une très belle phra­se de Cholokov en épigraphe • Ence temps de trouble et de misère,frères, ne jugez pas vos frères-.Votre récit est impartial et pour­tant, vos amitiés n'allaient sûre­ment pas aux fanatiques de l'Algé­rie française.

Y. C. - Je voulais poser surcette affaire si peu sereine un re­gard détaché. J'admets que devantcertaines sottises ou devant cer·tains actes affreux - des deuxcôtés du reste - il est difficilede conserver son contrôle. Mais, ily a plus : tlUand on.a une connais­sance très intime, très profondedes hommes, eh bien, il devientdifficile de les accabler, même sileur comportement paraît injustifia­ble. Et en outre, certains des par·tisans de l'Algérie française étaientdes hommes absolument nobles,désintéressés et généreux. Je pen-

se aux jeunes officiers, ceux desSAS par exemple, que j'ai bienconnus et auxquels je réserve unepart importante du récit. Ils setenaient pour des militaires révolu­tionnaires et ils voulaient passion­nément une Algérie nouvelle, fra­ternelle. Ils étaient sincèrementdécidés à mettre un terme auxerreurs, à l'exploitation, à l'humi·liation des musulmans. Pas dedoute sur ce point : à leur maniè­re, ils aimaient les musulmans. Etalors, ils ont vécu un déchirementcruel, parce qu'ils ont été broyéspar la machine politique. Je croisacquis que de Gaulle avait acceptél'idée de l'i,ndépendance dès sonretour au pouvoir, et même avantsi l'on en croit les confidencesqu'il fait au journaliste autrichienRosenberg. Mais, il était obligé decheminer par des voies ambigüeset détournées. Il trompe donc lesofficiers révolutionnaires. Ceux-cis'engagent à fond pour l'Algérienouvelle et, bien pis, ils y enga­gent des musulmans qui serontplus tard sacrifiés.

En écrivant ce récit, l'idée quevous vous faisiez des événementsauxquels vous avez assisté person­nellement s'est-elle modifiée?

Y. C. - Je ne sais pas qui saisitle mieux la vérité, du journalisteou de l'historien, sans doute lesdeux visions se complètent-elles,mais je peux vous dire qu'une sor·te de seconde guerre d'Algéries'est en effet dévoilée au fur età mesure que je m'informais. Celaest vrai, je crois, pour tous lesacteurs du drame. Je suis frappépar le peu de choses que saventles responsables. Mendès France,en novembre 1954, ignore à peuprès tout. Plus étrange encore :Massu, au moment de la batailled'Alger, il n'en aperçoit qu'une partinfime. Personne ne connaissaitl'ensemble de l'échiquier. Bien sûr,cela est vrai pour tous les grandsévénements et Stendhal l'a dit defaçon définitive. Mais, en Algérie,plus qu'ailleurs peut-être. C'estque les deux formidables organi­sations qui se défiaient étaientobligées, par la nature du combat,d'accorder une grande liberté d'~

'lion aux acteurs. Du côté français,c'est éclatant. A Alger, les initia­tives latérales les plus insenséesétaient prises par des hommesd'un rang très modeste dans la hié­rarchie. A un niveau plus élevé, le

détournement de l'aviOn de BenBella, le bombardement de Sakhietle confirment. Et quand Delouvrierarrive à Alger, pas plus que Challeil ne sait vers quel point se dirigede Gaulle. Pendant des mois, iltâtonnera. Partout, donc, des incer·titudes, des silences, des initiati­ves locales. C'est aussi ce qui ex·plique la difficulté de l'informa­tion : dans cette guerre fragmen­tée, il faut reconstituer d'abordchaque morceau du puzzle pouravoir une idée de l'ensemble.

Même après des années, lespassions ne sont pas éteintes.Après vos trois premiers livres,comment les deux camps vous ont­ils lus?

Y. C. - Très sincèrement, Jeconserve des amis des deux côtés,aussi bien chez les anciens para­chutistes que chez les ancienscombattants algériens. En Algériemême, les choses sont moinsclai·res. J'ai fait six voyages, depuis1966 pour établir ma documenta­tion. Je n'ai pas pu avoir de c0n­

tacts officiels av~ les dirigeantsactuels mais on ne gênait en rienmon travail.

• L'année dernière, en septem­bre, j'y suis retourné. J'y était de­puis un mois, au YU de tous, lors­qu'une nuit, la police est venuem'arrêter avec ma femme, dansmon hôtel. J'ai été interrogé qua­tre heures par les hommes de laSécurité Militaire. Ils .repro­chaient rien aux ouvrages· -déjà pu­bliés. Même, ils m'auraient plu­tôt félicité mais ils trouvaient qu'iln'était pas bon que les dessousde l'histoire soient connus. La rai·son ? Oh, elle est assez évidente:aucun des noms qui apparaissentdans ces pages, ou 'presque aucun,ne figure parmi les r'esponsablesactuels, après l'éviction de BenBella. Tous ceux qui ont mené lecombat sur le terrain sont morts,en exil ou sur la touche. Les poli­ciers algériens m'ont f~t ,savoir quej'étais non pas • expulsé. mais• refoulé. d'Algérie. Depuis, jesuis interdit de séjour.

Propos 'recueillis

par Gilles Lapouge.

(1) Editions Fayard. Précédents vo­lumes : Les fils de la Toussaint etLe temps des léopards.

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Un •rire grinçant

François Caradec désire prendrecontact avec toute personne possé­dant de la correspondance, des dOCJJ­ments ou témoignages sur RaymonDRoussel. par l'intermédiaire de sonéditeur, Jean-Jacques Pauvert. 8, ruede Nesle. Paris-S-.

Chacun des essais de Marginaless'est tenu à un livre ou un aspectparticulier de Julien Gracq : Bern·hild Boie et J.L. Leutrat se pen·chent sur les romans, et JacquesCrickillon consacre quelques pagesexcellentes au Beau ténébreux ;Christian Hubin s'arrête à l'œuvre::ritique et Henri Piard examine lesaffinités avec Ernst Jünger. Si aprèsce remarquable ensemble on pou·vait avancer une menue critique, ceserait d'avoir négligé l'essai deGracq sur André Breton, à ce jourencore, il me semble, le meilleur qùiait été consacré à Breton (1).

Le numéro spécial que la revuebelge Marginales lui consacre n'estpas un recueil d'hommages mais unensemble organisé d'études criti­ques : aucune anecdote, aucune dé­monstration amicale, point de' bio­graphie et point même de biblio­graphie : Julien Gracq est un au­teur trop vivant pour établir déjàdes bilans. Les sept collaborateursrassemblés par Jacques De Deckerse sont volontairement tenus auxseuls livres; eux-mêmes sont d'unegénération bien postérieure à cellede Gracq et il est bien probableque la plupart ne le connaissent paspersonnellement.

Le nom de Julien Gracq n'est pasde ceux qui circulent dans lesconversations du Tout-Paris, intel­lectuel; et son œuvre, une dizainede volumes, est finalement aussi àl'écart des modes que lui-même.

lB. Baie, J. Crickillon.J. De Decker, ...Julien GracqBruxelles, Marginales, 80 p.

Françoîs Châtelet

(1) Theatrum philosophicum,.Critique,., n° 282, pp. 885-908.

pitié qui incline l'idéal à être unpeu moins sévère pour le réel; l'iro­nie procède par subversion, laquelleconsiste à It filer l'idéal jusqu'à sonplus extrême détail » jusqu'au poinlprécis où éclate son caractère déri­soire; l'humour. lui, s'empare dl'l'idéal et (1 se laisse tomber ll, l'en­traînant dans sa chute: il pervertiten mimant le tracé du sérieux avecdes gestes, mal élevés.

Ce nouveau texte de Rafael Pivi­dal introduit peut.être quelque cho­se d'autre, qui ne se situe ni dansles eHets de surface de l'ironie, nidans la gravité de l'humour. Disons.faute de mieux. que s'amorce et secontredit ce qu'on appelle esprit.L'esprit n'est ni feinte ni gravité:il est mise en œuvre directe dl'l'impossibilité réelle de tout sérieux.Lisez « La Police est là ll, « la po­lice qui se dit lala lala lala ll. ou« Pourquoi mange-t-on au restau­rant ? », ou encore la pseudo.ana­lyse sociologique de Il L'Ennui Il. etvous serez saisi de fou rire tant laréalité, patiemment décrite. paraîtimpossible. Lisez « Programme II etvous serez glacé de désespoir et vousrirez encore, mais en- grimaçant.cette fois, parce que le possible S')'

. donne manifestement comme ir­réel...

Prévenons deux malentendus: lacritique aura vite fait de réduirePlus de quartier pour Paris à. unealternative : produit « contestant ,.de la société dite de consommation(lui-même consommé) ou expression(para.délirante) d'une suhjectivit~

malheureuse. Il n'y a rien de celadans le livre : celui·ci est la mani-festation de la santé même. d'un On ne pense pas assez souventrire qui ne se dément jamais, de cel que Gracq est aussi l'auteur d'unesprit qui se plait' à mystifier (pro- petit volume de magnifiques poè-visoirement) ses amis et à détruire mes en prose, Liberté grande~ etses ennemis, qui joue, d!lns une l'on a plaisir à lire les· pages que'fausse candeur, de l'irréelle frontiè- Jacques De Decker lui a consacrées.re du normal et du pathologique. Au moment où paraît la Pre$qu'Ue,qui fait le fou quand il parle du ce serai" peut-être l'occasion de ré·

venir à ces proses : on verrait avecplus réel et qui parle, le plus réelle.. le' quart de siècle qui les séparement, de notre commune folie. l'étonnante cohérence de l'œuvre de

Il devrait aussi y avoir un prix Gracq, aujourd'hui comme hier, l'unpour ce genre d'écriture : celle qui. des écrivains les plus Iibre~, l'un'phrase après phrase, fait rire et qui. des plus exemplaires aujourd'hui~

tout ensemble, terrorise, maniant Il' S. Fauchereau.lieu coinmun comme source indéfi- (1) J'y joindrai André Breton a-t-il ditnie de dérision et de destruction. passe (Lettres Nouvelles, Denoël 1969)et l'ordre de la pensée comme ex- de Charles Duits, passé comme le sou-

ligne Robert Lebel dans «Opus inter­pression minable de la folie du dé- national", «étrangement inaperçu-.sir. Le rire, pas gai, est peut-êtrel~(IIMII·IIN.'i1i)'•••••••••·••••l'acte de ces décalages mêmes. Lenôtre.

blie, à l'avance, dans le désert. 11est dans le travers, tout à la fois, duduc de Saint-Simon, qui savait,d'entrée de jeu, sa cause perdue,et de l'Indien qui décoche sa flèchealors que trente soldats D.S. poin­tent sur lui leur fusil.'

Ce qui meurt dans ce comba"confus, sous ces convulsions extrê­mes et que Pividal se plaît à laisserincontrôlées, c'est l'idée même del'harmonieuse composition de laphrase, de l'écrit; c'est aussi la no­tion qu'une leçon politique pourraiten être induite. Au vrai, il n'y u

plus d'ordre littéraire. Maintenant,la littérature c'est n'importe quoi(et c'est miracle que l'admirableMichel Tournier y soit reconnu).De cette contingence. Rafael Pivi­dal fait le constat.

Mais assez parlé autour de lui.Ce qu'il dit, c'est la même chosc,mais autrement conté. Paradoxale·}Dent, le travers de Saint·Simon etde l'Indien, c'est Charles Perrault,Mais, cette fois, il n'v a ni fée nicitrouille : la pantoufle de vair .estun godillot et Cendrillon, la bien­aimée malaimante, a la pâle sil­houette d'un mannequin trop paré.Le thème de ce mythe, c'est un jeude marionnettes où l'auteur figurecomme acteur-spectateur; le jeu estsans histoires. quand bien même seprofileraient, entre. les lignes. desantagonismes: celui. puéril, de l'en­fant et de sa mère; celui, enfantin,du gendarme et du voleur; celui,adolescent, du sexe et de la femme;celui, actuel, du conflit politique;celui, omnitemporel. des forces depuissance et des valeurs d'impuis.sance. Le livre est à lire comme onparcourt un damier' (conseil au lec·teur : feuilletez avant que de pren­dre le droit-fil de l'ordre des pages).La logique qui préside au texte est- textuellement· - absente. Ellesollicite non point l'ordre, maisl'éventualité de n'importe quel or·dre. pourvu que soient respectéesles règles.

Quelles règles ? Précisément cel·les du constant déplacement. Il nes'agit pas de ces « montages »,fort en cours aujourd'hui, qui exi·gent du lecteur qu'il ait assimilé,au préalahle, une grille arbitraire.Le jeu porte sur le contenu. Dansun raccourci surprenant de perti.nence, Michel Foucault, dans unarticle récent (1), présentant Diffé­rence et répétition et la Logique du.sens de Gilles Deleuze, définit lesprocédés du sér~ux, de l'ironie etde l'humour. Le sérieux a pourrègle la conversion, c'est·à-dire cette

Quand il est question de ces tex·tes qll 'on appelle « littéraires II ­

ce sera probablement le cas de Plusde quartier pour Paris, ensemble de.« nouvelles ", le troisième, en cinqans. que publie Rafael Pividal ­on éprouve avant tout le désir desavoir à queUe motivation profon.de correspond cette écriture. On aenvie de déterminer dans quelleévaluation du « livre », du « livrelittéraire Il, de la « littérature»s'inscrit cette manifestation. Or, ilfaut le voir d'entrée de jeu, il nes'agit pas, pour Pividal, d'écrirebien ou mal, avec ou sans style, enmettant ici (ou ailleurs) la virgulequi convient, de recopier formelle­ment Malebranche ou Jean Genet,de faire selon la rhétorique ancien­ne ou selon la nouvelle. Il ne s'agitpas non plus de sélectionner lesphrases ou les écrits en fonctiond'un quelconque jugement de goût.Le goût, comme le dégoût, est demême nature en cette affaire : le« mauvais» est toujours près del' Il exquis II ; il n'en est que d'unléger déplacement...

Rafael Pividal est, exactement,déplacé. Au point que l'on peut sedemander pourquoi une maisond'édition le publie (ou, plutôt,comme il l'indique lui-même, on lecomprend trop bien : à une chancesur dix, la bonne affaire est possi.ble ; au reste, c'est le bon moyen dese débarrasser, en cas d'insuccès,d'un personnage encomhrant). Au­teur ? Pividal n'en a pas la hauteur(ou, pour parler plus strict, la trans·cendance). S'il est intéressant, cen'est pas parce qu'il y aurait en luiquelque chose de Joyce et de Kafka;ce n'est pas non plus parce qu'onpourrait l'inscrire dans la suite ba·roque, mais moins composée, deJ .L. Borges. Ce qu'il présente,comme un manœuvrier attelé à cettetâche qui ne l'amuse que par mo- '.menta brefs et dont il n'attend rien,c'est une suite de récits disparatesen apparence, ne véhiculant aucunmessage, sinon celui·ci : en ce do­maine, tout message, toute démons­tration sont et doivent tomber dansla dérision. A cet égard, Pividaldonne la réplique formelle du tra·vail de dé.composition accompli par·Cioran.

Comme Cioran, Pividal, tant estépaisse ·Ia crasse qui recouvre au·.jourd'hui l'activité littéraire, pu·

1Rafael PividalPllts de quartier pour ParisEditions du Seuil, 190 p.

La Qldnzalne Uttênlre, du 1er au 15 janvier 1971 1 S

Page 14: La Quinzaine littéraire n°109

.Le vert du •pin

BI.TOIR.

I.ITTiR'&IR.

1.Jl!CCfUC:S RouhaudMono no awareGallimard éd., 265 p.

Il Y a d'abord ce qui se suffit;le poème. Un singulier « acord »

préservé, sauvé parmi le retraitmorcelé des choses en leur silence.Poème : le « fait» rare d'un fairequi com·pose les choses en dis­posant la scène du monde pourelles; la place faite où toutes les~encontres sont possibles par un côtéde' lune et d'automne ouvert àw~tuelle convenance.,-Ce qui se suffit, comme le monde,

ces « îlots délicieux» dont parleClaudel à propos de dessins japo.nais; (1 fantômes significatifs, toutpénétrés de cette acidité spécialeque la mystique locale appelle lcsentiment du Ah! (en anglais theAh awareness) (1). l( Le sentimentdes choses » (mono no aware) ras·semble en sa formulation équivoquel'étonnement redécouvert devant les'cQoses et ce que prodiguent leursprésence et contour; mais non paspar 'manœuvre ou c~nfusion : plutôtl'accès re.frayé à l'indistinction pri·mordiale en laquelle se noue lcrapport au présent de l'homme et dumonde ~ en aucun sens privilégié.'On le voit, c'est l'inscription

dàns les choses mêmes de la possi.hilité de langage qui est évoquée et"Constitue le thème et la trame dulivre de Roubaud - en tant quel'objet qui s'ouvre pour donner àlire. .

. (Toutes 'questions étant secondes- l'interview qui demande descomptes sur le fonds japonais dé·cliné "ici, par ex., et d'une manièregénérale sur une « poétique» qui'Se' déclare ailleurs, à côté; piégeantquelque aveu destiné à « prosaïser »le poème, à surprendre l' « auteur»telle une faute, etc. - c'est·à·dire"inessentielles, ne seron't effleuréesqu'ensuite, exposées qu'elles serontalors; et tranchées, au souci déjàbien 'présent du poème).

•Comment est·ce qu'il se suffit, lelivre 't Mono no aware se rappelleà soi en poèmes dont les' unitéssont, pour la plus grande part, desÛi'nka - courtes pièces de trente etune syllabes distribuées en cinq versselon le schéma 5-7-5-7-7. Tous en­trent dans la ·composition suivantun rythme 'que l'impair gouverneet' qui reprend à son niveau lastructure 'penta / heptamétrique dufanka. Des Il Dix Nagauta » qui lecommencent à Rouille, solitude quil'achève, le livre (est le) déploie-

1 4

(ment de) la généralité donnéccomme son thème: le sentiment deschoses. Il. s'agit de la parcourir, delui dévoiler son corps afin de lamontrer pour ce qu'elle est - nonvaine généralité, mais 'ce qui, enson achèvement de lieu ouvert,laisse inachevé le recensement deschoses qui se comparaissent. Achè·vement offert à l'incessante remiseà jour dont les Anthologies successi·ves confient l'exemple dans la litté­rature japonaise et dont rend comp·te la préface au kokinshu (la secon·de des grandes Anthologies, Xe siè­cle) citée en exergue des Livres desaisons, p. 119. Chaque élan se re·groupe, avancée des vagues, saisons,nuits et jours. D'où le rythme dulivre : progression par « stades » (onpourrait presque dire : à la manièredont l'entend l'épistémologie géné.tique de Piaget, i. e. par « intégra.tions »). Observons, pour arrêter unexemple, les Livres de saisons.

Trois Il moments » de ce « stade »en conduisent la lecture, respective.ment de cinq, sept, et cinq tanka. Lepremier des dix.sept

le vert du pintoujours vertquand vient le printempsest vertun peu plus« Le vert du pin II est le référent

de ce qui, tout en restant le même,est changé par la mêkhanê persis­tante des saisons; le Il plus oumoins» renvoie à la saison en fa·veur du ton commun qui marqueles trois « Livres II variabilité(signifiée, outre que par le temps,par l'eau, le vent, les nuages, etc.)comparante de celle des sentimentshumains «( le tourbillon de monamour », 69) (3) ; rapport caché /dévoilé (64-68) ;.comparaison impli.cite (ainsi le bateau de 64, compa·rant nommé·caché) de la saison, quine cesse de revenir, et 'de la tradi­tion - comparaison induite parl'é~igraphe p. 122 : « ... (le poète)peut offrir sa vie aux fleurs qui tom­bent, mais pas aux feuilles de l'éra­ble. Négliger ces principes signifieque l'on ne vit pas dans la familia.rité des vieux poètes. »

La progression se fait par conti·guïté / ressemblance dans leregis.tre configuratif du tanka précé­dent; ainsi au second « moment» :ce qui est caché (64) ~ oreiller(65) - blancs nuages / cœur (66)~ clins de soleil (67) ~ (dans unesérie décroissante des jaunes jusqu'àl'oubli) éclair / épis / automne /oubli (68) _ absentement / 'eau /tourbillon (69) ~ vagues (70) ; 69

et 70 : cœur ~ amour.Le troisième « moment» {( ra·

masse » en quelque sorte les deuxpremiers qu~il achève en nommantpour finir l'incertitude relancéequant au rapport monde-ego (i. e.au {( sentiment... »).

Ce qui change est le même, levert du pin; progressivement lepoème dévoile en redondant surlui.même, renvoyant la lune à l'au·tomne à la tristesse et réciproque.ment; aller-et-retour du monde eldu langage, du poème qui se dé·nude jusqu'à l'os, s'exangue (Blancpur s'ordonne en cinq moments res­pectivement de 5-7-5-7-7- tanka,soit réitérant le rythme propre dutanka) en même temps qu'il ac­cueille la possibilité pure de sesurvivre (la série du Blanc pur s'ou­vre précisément sur la question Il ilquoi comparer / le monde / .... »p. 41) par cryptages et déguisements(... à la vague blanche derrière / unbateau parti à la rame / dans raIL'

be, ibid.) - masques du Nô quecharge le lent ressac de son énigme.

Or, la concrétion de l'énigme :le monde et le langage sont au plusprès par le poème; s'est primordia.lement donné l'espace d'habitationdu monde, i. e. le dévoilement del'habitable·même comme possibili­té d'y séjourner, d'y inventerl'habitude (ainsi la répétition ja­mais lassante des mêmes compa­rants, la vague, la fleur, le bateau.etc.), modulation du corps au tra­vail, à l'intimité du couple ­mœurs et coutumes, rituels et fêtes.Ce qui se passait déjà dès E ­le suintement insistant du Drameentre le cri parfois dilué et le rai·dissement dans la structure du jeu- a de nouveau cours, mais sur­monté dans le présent livre plus en­core; l'asthme du poème dans l'ir­respirable ayant inscrit en volsd'éphémère ses jets douloureux parle poumon blessé, peut accompliraujourd'hui plus au calme (celui dela grande maîtrise) la synérèse del'air et du sang. Le parcours patientde Roubaud, est de reconnaître l'en·droit où s'espacent les choses, oùleur souffle discret laisse encoreentendre un appel.

Alain H uraut

(1) Pqul Claudel, Dodoïtzu, préfa­ce (in Œuvre Poétique, Pléiade, p.756). . '

(2) Jacques Roubaud,' Quelquesthèses sur la poétique (1), in « Chan­ge ", n° 6, éd. du Seuil, 3' trim. 1970.

(3) Ces chiffres renvoient à lànumérotation des textes dans lelivre.

Nous sommes en l'an-'née 1696 : cc ••• Mme deSévigné, si aimable et desi excellente compagnie,mourut quelque tempsaprès à Grignan chez safille, qui était son idole etqui le méritait médiocre­ment n. Ce verdict deSaint-Simon est restélongtemps celui de lapostérité, éblouie, jus­qu'à l'aveuglement peut­être, par les charmesconvenus et rassurantsde la tendresse maternel­le. La critique moderne,en y regardant de plusprès. dérange ce confortmoral; et enrichit de ré­sonances insolites les in­terlignes des Lettres.

1Roger DuchêneMadame de Sévignéet la lettre d'amourBordas éd., 418 p.

C'est encore Saint·Simon qui af­firme de Bussy.Rabutin qu'il étaitconnu surtout ,« par la vanité de sonesprit et la bassesse de son cœur,quoique très brave à la guerre ». 11y avait entre les deux hommes unedisl~onvenance essentielle. Et puisBussy avait ceci de commun avecnotre Léautaud : la malignité suf·fisait, pour lui, à faire preuve duvrai. Ce séducteur ne pardonnaitpas à la marquise sa cousine d'avoirri de ses avances; il se vengea dansson Histoire amoureuse des Gardes.~'empêche que le portrait qu'on ytrouve d'elle, piquant, méchant, in­diseret, est peut-être, .en fin decompte, ressemblant.

« Elle est d'un tempéramentfroid, au moins si on en croit teuson mari... Je crois que son mariS'etil tiré d'affaire devant les hom­.mes, mais je le tiens cocu devantDieu. » Fidèle à la foi conjugale,mais par insensibilité et non pas parvertu. Et peu .attachée à un épouxqui eut la délicatesse de s~ fairetuel' en duel après six ou sept ansde mariage, lui rendant, le jourmême où elle accomplissait savingt.cinquième année, la liberté.

DQnt. elle s'enivra gaiement etfollement. ,( Il y en a qui. disentque pour une femme de qualité,

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Madame de Sévigné et sa fillepar Samuel S. de Sacy

son caractère est un peu trop ba­din », note encore Bussy, qu'ap­puient aujourd'hui les historiens.Elle allait trop loin; on le lui fitsentir, avec des mines pincées. Ily eut même des scandales mon­dains; sans pourtant qu'on lui at­tribuât jamais de vraies liaisons,malgré ses imprudences parfois pro­vocantes. Son plaisir était d'agui­cher les hommes, puis de se refu­ser ; nous ne pouvons nous défendred'y soupçonner quelque égare­ment : comme si elle avait eu be­soin d'étourdir en elle une insatis­faction profonde.

Une veuve joyeuse; et deux en­fants, Françoise-Marguerite et Char­les, nés en 1646 et 1648, commeelle avait vingt et vingt-deux ans.·Laissons Charles, qui n'encombraguère son esprit ni son cœur (Ninonde Lenclos, qui eut des bontés pourlui, le jugeait peu viril). Quant àFrançoise-Marguerite, destinée àillustrer tant d'homélies, elle com­mence par nous présenter les visa­ges moins édifiants de la mésen­tente, de la révolte et de la rancune.

Son enfance a été celle des en­fants de l'époque, à qui leurs pa­rents s'intéressaient peu. A dix-septans elle débute dans le monde. Samère approche de la quarantaine;c'est alors l'âge où une femme doitpréparer sa retraite, et commencerà céder la place. Mme de Sévignén'y songe point. Plus brillante, plussémillante, plus turbulente que ja­mais. Elle ne cherche pas délibéré­ment à éclipser sa fille, non; maisle fait est que les louanges qu'onprodigue à la fille n'ont d'autreobjet que de rénover le style desflatteries adressées à la mère. Lafille n'entre en compte que commeornement ou parure de la vedette; .que comme rehaut de la coquette­rie. Et puis il court trop d'histoiressur cette mère débordante. La fillese dépite, se replie, se bute...

Ce qu'il advint d'elle à ce mo­ment demeure confus. Il se peutqu'elle ait demandé sa revanche àune contre-dissipation. On lui prêtedes aventures où elle n'aurait pasimité les dérobades maternelles. Uncomplot se serait formé, sans suc­cès d'ailleurs, pour l'offrir commemaîtresse à Louis XIV; s'agissantdu roi, dans cette société étrange­ment sauvage, le proxénétisme ho­norait. Bref, elle finit en 1669 parépouser le comte d", Grignan, quifut bientôt nommé lieutenant géne­ral en Provence, et qui s'empressade communiquer la vérole à sa jeu­ne femme, dont la santé tient tant

Madame de Sévigné

de place dans la correspondance dela marquise.

Désormais affranchie, donc assa­gie, et attachée à son mari, elle sefit une idée fort digne de ce qu'elledevait à son intérieur, à son .rang,aux fonctions du lieutenant géné­ral. Toutes choses dont Mme de Sé­vigné, curieusement, se souciait sipeu qu'elle pressait inlassablementFrançoise-Marguerite de venir re­prendre auprès d'elle sa plac", an­cienne. Elle ne visait .pourtant pasà détruire le·' ménage (nulle tracen'apparaît chez elle de ce genre dejalousie) ; simplement, mais mous-'trueusement si vous voulez, elle enoubliait les lois. Mme de Grignandut un jour les lui rappeler avecfermeté : « Ne viendra-t-il pas uneannée où je puisse voir mon marisans quitter ma mère? En vérité,je le souhaiterais fort; mais quandil faut choisir, je ne balance pas àsuivre mon très cher comte... »

Les chosess'arrangent

Les choses s'arrangèrent enfin.On ne sait trop comment. Toutesseules, semble-t-il, et peu à peu ; lepoids de l'âge et de l'existence calmeles femmes énervées. Peut-être ai­je grossi les traits de ce petit dramede l'intimité. Proportionnellementil ne tient pas tant de place dansla thèse de M. Roger Duchêne;mais il en est, en quelque sorte,la condition, puisqu'elle démolit le .manichéisme de notre imageriecoutumière, toute perfection d'un'côté, et, de l'autre, tous les tortsde l'ingratitude et de ·la sécheresse.

M. Roger Duchêne démêle cesressorts embrouillés avec. beaucoupd'érudition, et aussi avec une pa­tience toute proustienne. CarProust est son animateur et son ins­tituteur, comme il l'avait été au·paravant de M. Antoine Adam oude M. Jean Cordelier. (Si Baude-

et sa fille

laire fut le grand critique du siècledernier, Proust l'est du nôtre). Sathèse de doctorat - la première,singulièrement, qu'on ait jamaissoutenue sur Mme de Sévigné ­déborde d'ailleurs largement le su­jet auquel, faute de place, je sembleici la restreindre: c'est un foison­nement où le lecteur risque de setrouver désorienté tant que n'au­ront pas paru les autres élémentsdu vaste ensemble de travaux qu'onnous promet. Tenous-nous-en ausous-titre «... et la lettred'amour ».

L'apparence un peu raccrocheuses'explique: l'auteur entend analy­ser non pas un exemple de l'amourmaternel, mais un cas particulierd'hypertrophie, pour né pas dired'aberration. Il se garde pourtantdes excès risibles que nous avonsconnus :. que n'a-t-on pas dit desbaisers de la mère sur la belle gorge.de la fille! Il se plaît néanmoinsà reprendre maintes expressions dela marquise pour les rapprocher desLettres de la Reli~use portugai­se; et, en somme, à confondre déli­bérément le passionné et le passion­nel. Un peu trop, peut-être. Il arriveque le lecteur 'se rebiffe.

A tort, sans doute. Car enfin, uncertain dérèglement du langage de­vrait·il nous surprendre de la partd'une femme gravement humiliéeà l'âge des amours par son inapti.tude, portée à transférer une affec· .tivité vacante, blessée par la reven·dication d'une fille en qui, naîve,elle n'avait vu qu'un moyen de ra·

.viv:er sa propre gloire menacée dudéclin, bafouée enfin dans son af·fection épurée trop tard? Voilàassez de causes et même de r8Ïsonspour une démesure.

A moins que nous n'allions com­pliquer à plaisir des choses simples. .Dans la tendresse d'une mère poursa fille il entre beaucoup de compli­cité féminine; et donc d'un trèslibre abandon. En réalité nous con·

L'Hôtel Carnavalet,demeure parisiennede Mme de Sévigné

naissons fort mal Mme de Sévigné.Nous jugeons d'elle non pas par leslettres qu'elle a écrites, mais parcelles qui nous sont parvenues. Cequi fausse tout; ou du moins dolUleà notre sentiment un caractère par·faitement aléatoire.

L'édition de la Pléiade, la meil·leure jusqu'à nouvel ordre; réunitdans ses trois tomes 1 155 lettres.Dont 809, soit presque les troisquarts, sont adressées à Mme deGrignan et à son proche entourage.Mettons encore à part 138 lettresà Bussy-Rabutin ; ce sont des « ra­butinades» : M. Roger Duchêneinsiste avec une très fine pertinencesur la manière qu'ont les destina·taires d'infléchir le style d'une cor­respondance. Il ne reste que 208pièces pour couvrir un demi-siècled'une activité épistolaire exercéeavec .prédilection. Chiffre .év:l,demment absurde; d'autant plusque nous savons avec certitudequ'il y eut nombre de lettres à Mmède La Fayette ou au cardinal deRetz, et qu'elles sont perdues: se­lon toute apparence elles nous au­raient beaucoup appris; disparitionsans remède. Il nous est impossiblede situer les lettres à Mme de Gri­gnan dans une perspective qui aitquelque chance de se trouver juste.

Reste l'hypothèse, qui ne man­que pas de vraisemblance, que cel·les-ci aient traduit la vérité la plusaiguë de Mme de Sévigné... Ah, qued'incertitudes! Mais n'est-ce pasleur mérite, qu.e de réanimer leportrait trop solennel d'une aïeulequi fut jeune, et qui fut troublée ?

Samuel S. de Sacy

La Qodu"'ne Uttâ'alre, du 1er au 15 janvier 1971 15

Page 16: La Quinzaine littéraire n°109

OFFRE VALABLE JUSQU'AU 30-1-1971

A nos lecteurs,

Jeen-.Jacques Lévique

KRUCZEK et FASSIANOSConteurs, chacun à leur manière, Ma­

ria Kruczek (galerie Lambert) et Fas·sianos (galerie Facchetti) sont sur·tout des inventeurs qui métamorpho­sent la réalité. le premier dans desassemblages en relief, d'une bizarre·rie souvent goguenarde, le second enfaisant courir un dessin narquois, svel­te, pour parler de promenades à bicy·lette et de femmes comme en rêventles adolescents. L'un et l'autre ne crai­gnent pas la naïveté, la boursouflure,le « mauvais goût -. Mais c'est enlevé,prenant, d'une saveur incomparable.

FRIEDLANDERFaut-il parler de saveur, à propos de

Friedlander (galerie la Hune) parcequ'il sait jouer avec de belles matiè­res, faire chanter les lignes qui s'en­lacent et se croisent, et fertilisentl'espace de leur croissance de végé­taux monumentaux. Il y a là plus quedu savoir : une effusion graphique qUIenchante.

cés en petits tableaux d'une grâce etd'une beauté mélancolique qui vontattirer à l'artiste les foudres des théo­riciens esthétiques actuels, surtout pré­occupés d'éthique.

Andy WARHOLLes Saint-Just de la critique auront

plus d'indulgence pour Warhol (àl'arc). Sa démarche a d'ailleurs trèslargement satisfait à leurs exigencesde puritains du regard. Les systèmesde répétition, (l'accent est souvent missur cet aspect dans l'exposition ac­tuelle) . va jusqu'à la destruction del'image. L'ayant. banalisé - l'artiste larend' à l'environnement: 'motif de pa­pier peint. les grands thèmes deWarhol y sont recensés.' L'artiste aélevé un monument artistique à lastupidité publicitaire, à la falsificationdes mythes. Il y a, assurément, chezlui, un moraliste. Aujourd'hui d'ailleursplutôt tourné vers le cinématographequ'il traite non comme un art maiscomme un simple instrument d'enregis­trement.

LE PARCC'est très précisément ce qui res­

sort d'une œuvre pourtant totalementdifférente par 'le style : celle de LeParc (Galerie Denise René) elle aussisauvée du formalisme des géométriesréduites à l'essentiel par quelque cho­se de vif dans la couleur, une stridefl­ce qui évoque curieusement, pour au­tant qu'on veuille bien admettre cegenre de comparaisons, le jeu trèsclair, • élevé -, du trombone de jazzJ.J. Jonhson. Quelque chose de • 'fi­lé -, disons, dans le chromatisme; quenous importe que celui-ci soit le pro­duit mécanique de quelques combinai­sons préalables. Le résultat, c'est-à­dire le choix, a la valeur d'un style.Celui-ci a une force réelle, une vi­gueur attachante, un vibrato très pre­nant.

JORNOn a trop longtemps confondu ex­

pressionnisme et violence. La couleurjetée sur la toile n'est pas nécessai­rement crue. Et le jet peut avoir desubtils détours. Ainsi chez Jorn (gale­rie Jeanne Bucher) il ne faudra pasvoir que l'Intensité. Il y a, dans lestoiles récentes, des raffinements, destendresses, des insistances qui élar­gissent considérablement la portéed'une œuvre qui perpétue cependllntl'alacrité tenue, dans le groupe • Co­bra -, comme condition essentiellepour ne pas choir dans l'académisme.

Couverture d', «Esquisse., par Andy Warhol

DOUCETEt pour continuer à jouer sur ces

rapprochements si éclairants entre mu·slque et. peinture nous dirons quel'œuvre de Jacques Doucet (galerieDina Vierny) procède, de même quecelle de Roland Kirk, d'un • baroquis­me du déchet - qui a parfois des ac­cents de tendresse, parfois des agres­sivités nécessaires pour ne pas choirdans la joliesse, surtout quand on estaussi doué que Doucet, manieur demiettes, enchanteur de la poubelle. Ilvous ferait, d'un Arman, un Bonnard!Ce qui n'est pas sans danger. Enfer­més dans la matière plastique (en hi­bernation peut-être) les trésors d'unepoche percée et rêveuse sont là, agen-

,ville .. , .. , .. , dépt ..

, rue .' .

(Communiqué)

de l'exposition de TSARAS chez Suzan­ne de Coninck, rue de Beaune.

ILSE VOIGT expose au Foyer du théâ­tre des Champs-Elysées, ses œuvres• ·Images de la Danse ., dans le cadredes ·Ballets <Je l'Opéra de Paris (21 dé­cembre au 20 janvier 1971).

Invitée par le Ministère de l'Instruc­tion publique du Danemark, JoséphineFlglioli a organisé une exposition de45 œuvres à Copenhague.

L'. Académie Européenne des Arts-,dans le cadre habituel du Ménestrel,29, rue de Marignan, présente jusqu'au31 décembre sa nouvelle expositionavec les Œuvres de François Pinardonsous le thème: • l'Europe et l'AfriqueNoire -.

Pierre G. LANGLOIS. Natures mortes,foules, mais surtout paysages, offrent,à l'artiste, l'occasion d'user d'une pa­lette à la fois subtile et forte, saisiedans un dessin ferme, d'un cubismeque n'assèche jamais le souci d'archi­tecturer l'espace. (Galerie Vendôme.)

Variété dans un groupe où se distin­.guent les aquarelles de GLEIZES­. BOBIN, les œuvres de MATSAKIS, d'uncharme simple, de J. MONIER, scrupu­leuses. AVO-VI:ZY s'attache à descompositions florales et Terence J.JERVIS nous propose un auto-portralt.(Galerie .Aor Volmar.)

L1CA DAHAN. fortement empâtée dansune couleur sensuelle, la compositionrelève d'une abstraction simplifiée.Quelques notations en noir et blancs'ont plus vigoureuses, nerveuses, etdistillent une belle lumière. (GalerieJosie Peron.)

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21 décembre-15 janvier

ARTS

XXe SIECLESONIA DELAUNAY

peintures, gouaches,dessins, gravures

jusqu'au 9 janvier 197114, rue des Canettes, Vie

GALERIEDES PEINTRES GRAVEURS159 bis, bd Montparnasse

Tél. : 326-62-29JEAN FRELAUT

1879-1954aquarelles

et gravures originalesjusqu'au 16 janvier 1971

Je, nom ""' , désire abonner, nom ,.,'.'

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MAD-JAROVA dont c'est la premièregrande exposition parisienne à la Gale­rie Henquez - Saint - Joigny, bénéficied'une renommée acquise tant en Bul­garie (24 expositions) qu'en Amériqueet, depuis peu, en France.

Outre les gravures rècentes, ce sontles gouaches de 1960 à 1969 qui com­posent la partie la plus intéressante

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•maIn

Une choseà la fois?

L'ennui c'est que garder les va­ches n'est sûrement pas une vie, nipour les vaches, ni pour les bergers.La preuve c'est que depuis Théo­crite et Virgile, les vaches ne son·gent évidemment qu'à regarder pas­ser les trains, trains de nuages outrains de trains et les bergers qu'àjouer de la flûte. On nous apprendà l'école qu'il ne faut faire qu'unechose à la fois. Mais il n'y a queles morts qui ne font qu'une choseà la fois, et encore, les mythologiesont-elles des doutes là·dessus. MaxErnst s'est bien gardé de jamais fai­re une seule chose à la fois, et ilperd la parole comme il perd sesciseaux, son crayon ou ses pin­ceaux : pour ne pas se laisser pren­dre au piège de ne chasser qu'unlièvre le lièvre s'ennuierait et luiaussi. Jacques Prévert compose descollages comme ça lui chante, et ilchante comme il découpe : en pen­sant des images et des phrasestoutes faites et en les déplaçant sisournoisement qu'elles sont gaie­ment refaites - c'est-à-dire faitesà neuf.

L'erreur de ceux qui froncent lesourcil devant les incorrigibles, in·classables, les polyvalents, les poly-

leur!! de la sécurité et de la fixitéde l'emploi (chaquè chose à sa placeet chaque homme à ses pièces), lesinspecteurs spécialisés de la spécia.lité y perdent leur temps. On saitque le célèbre peintre Victor Hugoa écrit également d'assez beaux poè­mes. Que - le poète Paul Klee apeint des aquarelles, des gouacheset des huiles. Que Pablo Picasso estinscrit à la société des auteurs dra­matiques. Que Jean Arp avait unjoli brin de plume à son ciseau àfroid. Le gardien de square siffleparce qu'il a aperçu quelqu'un quimarchait sur les pelouses. C'étaitI.ewis Carroll qui illustrait lui-mê­me Alf,ce au Pays des Merveilles,Baudelaire qui dessinait très biendans les marges de ses vers. C'étaitHenri Michaux qui dessinait pen­dant que le pion tournait le dos.On a surpris l'élève Berlioz à écri­re de la prose, on a pris Charlesd'Orléans en flagrant délit decomposer de la musique, Degas entrain d'écrire des alexandrins en ca­chette. Le maître d'école tape avecsa règle sur le pupitre : si tout lemonde se mêle de tout, où allons­nous? Chacun chez soi et les va­ches seront bien gardées.

aussi une perversité polymo~e. Ilest arrivé, plus fréquemment que nele souhaiteraient les catalogueurs,que des pervers polymorphes ayantatteint l'âge dit adulte se refusentà se laisser coincer dans les placardsà ranger les esprits. La Renaissanceest peuplée de bonshommes qui dé­rangent les rangeurs parce que cesont des hommes qui ne se sontjamais laissé ranger, hommes-or·chestre qui ne consentirent pas demettre tous leurs yeux dans le mê­me panier.

Ainsi ce Vinci, voleur de sourirescomme le chat de Cheshire, peintre,mathématicien, physicien, poète,philosophe; et Michel-Ange, son­nets en quatorZe vers, fresques enquatorze mois et toujours le diableà quatre. Mais la fameuse Renais­sance n'arrête pas de renaître: Wil­liam Blake passe entre tous lescontrôles d'identité. Poète? Gra­veur? Voyant qui donne à voir ?Prophète qui fait entendrè l'avenirdans un coquillage? Les contrô-

--'A'" Lit-/+

1NTROOl'CTION

Des peintresplutôt doués

-

que tout le touche, et que parconséquent il touche à tout. Maisla règle du jeu officielle c'est qu'onne joue pas pour jouer, qu'il fautsavoir ce qu'on veut, ce qu'on fait,ce qu'on est. Qu'il faut avoir unefiche d'identité, une seule, et quesi Monsieur Ingres jouait aussi duviolon, on peut à la rigueur luipasser ce passe-temps mais ne pasl'autoriser à en faire sa profession,et à se définir trop vaguementcomme un violoneux à pinceau ouun peintre à musique.

On sait que les enfants de septans sont également, en général despeintres plutôt doués. «L'enfant,disait Freud, est un pervers poly.morphe ». Cette forme de perver­sité qui consiste à dessiner et chan·ter, peindre et sculpter, jouer desmusiques et jouer des mots, est

Cette année-là, les pensionnairesde la Centrale s'emparèrent desgeôliers, les mirent hors d'étatd'exercer leur haute surveillance,les libérèrent de la prison qui con­siste à être gardien de prison, leursdérobèrent leurs clefs, ouvrirent lescachots et laissèrent toutes portesbattantes, prirent la clef du greffe,celle de l'administration centrale, laclef des champs en prime et la clefdes chants en sautoir.

Plus personne ne s'y reconnais­sait, c'est-à-dire que tout le mondeavait repris connaissance : les vasescommuniquaient, l'écriture était au­tomatique, quand on pensait la pa­role, la parole vous pensait. C'étaitle temps des grands sommeils, c'est­à·dire du grand réveil. Il n'y avaitplus de tiroirs fermés, seulement descœurs ouverts, et plus de spécialis­tes, seulement des généralistes.

De cette saison en feu de la Gran­de Mutinerie, qui n'était d'ailleursqu'un début, continuons le combat,il y a de beaux restes, qui consti­tuent de superbes commencements.Les créateurs, ces artistes en cham­bre, ont une fâcheuse tendance àtravailler aux pièces, mais aux piè.ces détachées, à cette chaîne qui en­chaÎnc parce qu'elle segmente, etspécialise, parce qu'elle coupe enmorceaux le moi comme Tropmanndécoupait ses victimes en tronçonsdans une malle. :Mais cette année,les vagues sans relâche de la Gran­de Mutinerie laissent sur notre vi­sage des signes merveilleux de non­cloisonnement : Max Ernst l'écri­vain, Jacques Prévert le peintre.

Comme Ecritures, les poèmes deMax Ersnt, sont accompagnésd'images dont il est aussi l'auteur(Que faites-vous dans la vie? ­J'imagine - C'est une image? ­Non, j'imagine par écrits et j'écrisen images) et que les images dePrévert sont aussi des collages au­près desquelles il colle des paroles,les catalogueurs de Manuels autori­taires ne savent plus à quel hommese vouer. Mais enfin, Monsieur,êtes-vous un artiste plastique ou unauteur graphique ? Etes-vous pein.tre ou écrivain ? Le poète - dessi·nateur - artiste - peintre - écri­vain répond qu'~ est poète, et donc

1Jacques PrévertImaginairesSkira éd., 109 p.

1Max ErnstEcrituresGallimard éd., 448 p.

La Qnlnglne Uttâ'alre, du Jer au 15 janvier 1971 t1

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~ Claude Roy

poètes, les polymorphes des formes,ce n'est pas Seulement de s'imaginerque ce qu'on appelle les <l activitéscréatrices » ne sont pas un jeu (alorsqu'elles sOnt justement le jeu de vi­vre dans sa forme en plus vive). Cen'est pas seulement de confondrela rigueur du dessein avec les œil­lères du cheval de labour. C'est sur­tout de croire que « l'artiste» c'estquelqu'un qui a « quelque chose àdire» de la même manière quel'employé du télégraphe a un mes­sage à faire passer. La fameusequestion: « Qu'avez-vous voulu ex­primer ? » est la plupart du tempsconçue par ceux qui la posent ou sela posent comme si « l'œuvre d'art»était la traduction en modèle réduitet « stylisé» d'un modèle extérieurà l'artiste, d'un segment de sa bio­gaphie ou d'un fragment de « mon­de extérieur ». Il y aurait dans cecas, pour chaque « créateur» unesolution, et une seule, à ce passagede l'image à l'imaginaire, du « si­gnifiant » au signe.

Mais ce que la dispersion de MaxErnst ou de Prévert nous rappel.le, comme avant eux celle deHugo peintre - et - poète, et detous les artistes qui avaient plusd'une flèche dans leur sac et plusd'un tour dans leur tour de main,c'est que, quel que soit le mediumun homme qui joue aux jeux del'imaginaire n'est jamais que lemedium de lui-même. Ce que nousexprimons, poètes de sept ans ou desoixante-dix-sept, c'est d'abord lanécessité d'exprimer. Un poème deMax Ernst dit la même chose qu'unde ses collages, qu'un tableau ouqu'une gravure de lui. Un collagede Prévert dit la même chosequ'une chanson ou qu'un sketch dePrévert. Si vous rencontrez un poè­te, un ébéniste, un peintre, un ingé­nieur ou un horticulteur qui esten train de se promener, ne ditespas : «Voilà un promeneur qui aaussi beaucoup de talent », Ditesplutôt : «Voici un talent qui abeaucoup de promenade ».

Car personne n'est doué: il estseulement donné à quelques-uns,étant donné l'état actuel de la « ci·vilisation », d'avoir la possibilitéde donner. Mais celui qui a lagrâce de pouvoir donner, et dont ondit à tort qu'il a des dons, ce n'estpas d'une seule main, même à plu­me, qu'il aimera donner. Mais detoutes les mains, et sous toutes lesformes. Il y a plus de choses entrele cœur et la tête que dans touteton esthétique, Horatio.

Claude Roy

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Civilisations

ILes Trésors de l'IranTexte de A. Mazahéri120 ill. dont 87 pl. en couleursSkira éd., 300 p., 175 F.

Le mot Iran est posé comme undiscret couvercle sur un contenuaux profondeurs insondables.Une plongée à travers les sièclesnous laisse vite égaré dans la géo­graphie instable de ce passé fabu­leux où nous chercherions vaine­ment à discerner des frontières.Les traces des invasions macédo­nienne, arabe, turque, mongole, sesuperposent comme des alluvionsinfiltrées dans la terre et qui l'ontdifféremment fertilisée. Ces tra­ces sont relativement modernes,car on peut appeler moderne cequi commence au quatrième siè­cle avant notre ère dans un paysdont les racines plongent au cœurde civilisations apparues il y asix millénaires.

Mais, si dans les brumes loin­taines de l'histoire, se dessine,simplifiée mais encore saisissa­ble, l'image des Mèdes et des Per­ses, des Scytes et des Par~es,

nous ne savons pas toujours s'ils'agit d'une peuplade ou d'unedynastie, d'une tribu ou d'unesecte, lorsqu'il est question, dansle bel ouvrage de M. Mazahéri, lesTrésors de l'Iran, des Afshars etdes Qadjars, des Arsacides et desSéfévides, des Kouchâns et desCarrhes, des Oghouz et Seldjouk,des Ossètes et des Abkhazes. Etlorsque nous commençons à nousorienter sur ce haut plateau orien­tal, nous nous sentons pris dansles sables mouvants de la gram­maire en apprenant que le mot1rak est l'ancien singulier du plu­riel Iran. C'est alors qu'on se de­mande, après tout cela, si l'onpeut vrainlent être Persan. Qu'ilme soit donc permis de reprocherà l'auteur de ne pas aider suffi­samment le lecteur occidental ày voir clair dans la forêt généalo­gique de ces populations et à éta­blir un rapport entre elles et cequi, par-dessus tout, nous inté­resse, leur archéologie.

Cela dit, ces conjonctures et cetécart des quelques civilisationsqui ont toujours été les domainesprivilégiés de l'histoire de l'art,donnent à l'étude archéologiquede ces régions un intérêt d'autantplus grand qu'elles ont été long­temps négligées.

A la fin du siècle dernier, Mar­cel Dieulafoy, qui venait de passer

•anciennes

Jeune femme, céramique1500 av. J.oC.

cinq années en Perse, avait éveilléun vif intérêt avec sa thèse surl'influence de l'art des Sassanidessur l'art français du Moyen Age.M. Mazahéri reprend aujourd'huicette thèse à son compte et mon­tre aussi l'apport- des Sassanidesà l'Extrême-Orient. Nous aurionsaimé qu'il donnât plus de préci­sion sur ce qu'il appelle le « g0­thique iranien prémongol». Maisdans ce va-et-vient continuel d'in­fluences esthétiques" et aussi reli­gieuses (dont on trouve un signe

cc L'art dans le monde»(Albin Michel)

.Civilisations anciennes du bas­sin méditerranéen nous conduit enlectio)J qui par l'éventail des su­jets traités et le sérieux de sesinformations prend de plus enplus rang d'une véritable ency­clopédie.

Civilisation ancienne du bassinméditerranéen nous conduit enSardaigne, en Corse, aux Baléares,sans oublier les Ibères. Ces civili­sations marginales qui se sont dé­veloppées au III" millénaire avantnotre ère 'sont d'habitude négli­gées dans les histoires de l'art. Lenuraghe de Sardaigne, les méga­lithes corses commencent à êtreconnus grâce au tourisme et lesauteurs nous permettent de sui­vre l'évolution de ces arts. Desfouilles récentes à Majorque ontpermis la découverte de SesPaisses, de constructions qui révè-

inattendu dans le fait que leBouddha du Grand Véhicule estcoiffé avec le triple chignon desprinces arsacides), dans cette isla­misation de l'Iran et cette iranisa­tion des Arabes, puis des Turcs,quelques points de fixation nousvalent, d'une part, la constructionde monuments d'une austéritéféodale grandiose, comme la for­teresse en brique crue de Tcha­kansourak, en Afghanistan, et,d'autre part, la création d'objetsdont les plus connus de nous, de­puis les découvertes faites en1928 dans les régions montagneu­ses du sud-ouest de la mer Cas­pienne, sont les bronzes du Lou­ristan.

D'autres œuvres représententquelques points culminants dansce mélange de civilisation où uncertain côté barbare (héritage desScytes) se joint aux raffinementsornementaux qui ont sans doutedonné au monde arabe l'esthéti­que de l'arabesque (héritage desAchéménides). Dans le très beauchoix de documents que nousoffre le livre, un exemple de cesraffinements nous frappe parl'usage qui a été fait au XII" siè­cle du graphisme de l'écriture:le minaret ghoride de Djam dontla tour, sur toute sa hauteur, pré­sente, incisés dans la brique, les97 versets du XIX" chapitre duCoran.

Jean Selz

lent une civilisation plus vaste.Dans L'Orient hellénisé, Daniel

Schlumberger nous conduit versdes civilisations mieux connues.Dans une remarquable synthèse,il étudie l'évolution de l'art par­the, en définit les contours pourexaminer en particulier deuxhauts-lieux : Palmyre et Doura­Europos. L'art de ces deux villes« caravanières» a réservé aux spé­cialistes, mais aussi aux amateursd'art des découvertes sensation­nelles (les fresques figuratives dela synagogue à Doura-Europos).L'étude de M. Schlumbergerconstitue une remarquable miseau 'point sur ces civilisations à lafois connues et mystérieuses.

G. Lilliu et H. Schubart : Civi­lisations anciennes du bassin mé­diterranéen (Albin Michel).

Daniel Schlumberger : L'Orienthellénisé (Albin Michel).

G.S.

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HISTOIRE

Les "partageux

1Tadeusz ManteuffelNaissance d'une hérésie :les udeples de la pauvretévoloillaire au Moyen AgeMouton éd., 116 p.

Jca n MeslierŒllvres - Tome 1Anthropos éd., 542 p.

Maurice DommangetSlIr Bubeu{ et la conjurationdes tigauxMaspero éd., 392 p.

Il existe beaucoup d'histoi­res de la richesse. Il n'y a pasd'histoire de la pauvreté. Leshommes démunis n'entrentdans le champ de la connais­sance que comme les desser­vants ou les victimes de ceuxdont les biens prospèrent surles privations d'autrui. Les so­ciétés antiques nourrissaientdéjà cette mythologie toujoursvivante au plus lointain del'inconscient collectif : l'es­clave, le pauvre parfait, puis­qu'il n'a 'pas le droit de rienposséder, n'a pas le statutd'homme; il est ou exclu oumaudit.

, Dès les débuts du Christianisme.les incertitudes du message évangé.lique, non sur les limites mais surla nature même de la propriété indi­viduelle, vont servir de refuge à desinterprétations contradictoires. Tou­tes révèlent la difficulté de cons­truire cette communauté des En­fants de Dieu où il n'est nul bienqui n'appartienne à tous. Le débatrenaît avec une acuité singulièredans la chrétienté du XI" siècle, aumoment où les terres occidentalesémergent d'une longue anarchie et,dans une grande ferveur créatricetentent, en organisant commel'avaient fait les grands empires, lescontraintes économiques, de donnerun élan nouveau à la civilisation.L'Eglise est au cœur de ce mouve·ment: liée aux riches, elle a sa partde richesse et elle est contrainte dedonner un fondement théologique àl'inégalité des conditions sociales età l'appropriation individuelle desbiens.

C'est contre cette perversion dela parole christique que se mani­festent, 'au moment où surgissentles premiers sanctuaires romans, lesadeptes de la pauvreté volontairedont le grand historicn polonais

récemment disparu, Tadeusz Man­teuffel raconte les longues tri·bulations dans Naissance d'une hé­résie. L'aventure commence avecles croisades : sur les routes del'Orient, et précisément parce qu'ilsont tout abandonné, souvent sansespoir de retour, les vagabonds dela Terre Sainte ne se sentent plusliés à une organisation cléricale quis'est glissée, presque subreptice­ment, dans les vêtements insolentsde la richesse.

En ses débuts, cette protestationau nom de l'innocence originelleapparaît comme une simple volontéde réforme contre les abus les pluscriants d'une Eglise détournée desa vocation. Mais cette protestationest si forte qu'elle va donner sonvisage à l'immense épanouissementmonastique du XI" siècle finissantet du XII" siècle : cisterciens et pré.montés en témoignent, qui inspirenttout un évangélisme nomade où lapauvreté se trouve sacralisée. Maisce qui était d'abord retour duChrist originel est bientôt remiseen cause de toute l'architecture so­ciale. Les prophètes du dénuement.,patarins, vaudois et en certainescontrées cathares sont une offense àl'ordre fragile de la cit~. Les voicipeu à peu refoulés vers une avant­garde rouge bientôt transformée enhérésie.

Condamnée, ce qui n'était que ten·dance se radicalise et se transformeen doctrine messianique. Mais cettemonnaie de l'absolu, dont saintFrançois tente de faire un soleilquotidien, si elle est rêve pour lesmystiques, les marginaux ou lesexaltés sans foi ni loi, sans feu nilieu, est cauchemar pour la sociétédominante. Parodiant Platon, Romesoutient que nul n'est pauvre vo­lontairement, car le dénuementcomme l'opulence sont des dons deDieu, et nul ne saurait, sans orgueilet sans mépris pour la, communauté,faire de sa pauvreté un privilège.

Pour nombre de ces hérétiques,begards ou spirituels franciscains, lapauvreté n'était pas le refus du tra­vail manuel et ne supposait pas lerecours à la mendicité. Elle expri.mait surtout un besoin d'égalité so·ciale et de solidarité qui, à traversles idéologies des lollards, des hus·sites, de Münzer et des anabaptistes,va errer dans le psychisme occiden·tal jusqu'à l'âge classique. Maispeu à peu tout l'arrière·fond théolo­gique de la pauvreté se délite : elleapparaît dans sa pleine lumière, etcomme le fruit amer, privé de toutesignification. d'un ordre donl l'op-

pression est le soubassemnt, avec lecuré Meslier.

A cet étrange desservant d'uneparoisse des Ardennes qui, quaran­te-cinq ans durant, baptisa, mariaet enterra {( les paysans, ses chersamis » dans son église et laissa aprèssa mort un extraordinaire documentintitulé {( Mémoire des pensées etsentiments de J.M. » Maurice Dom·manget consacra voici quelques an­nées une bouleversante biographie,à la mesure à la fois de l'humilitéet de l'audace du petit prêtre d'Etré­pigny. (1) Voici qu'aujourd'hui, parles soins de Roland Desné, parais­sent les œuvres complètes de JeanMeslier.

Soulignons tout de suite que, surle plan scientifique, cette publica­tion est un événement. Pour la pre­mière fois le lecteur français vapouvoir entrer dans l'œuvre decelui qu'en 1793 la Convention sa­lua comme {( le premier prêtre quiail eu le courage et la bonne foid'abjurer les erreurs religieuses >J,

et son itinéraire à travers ce monu·ment de l'at4éisme moderne lui seragrandement facilité par un appa­reil critique sans nulle pesanteur etpar trois préfaces de Roland Desné,Jean Deprun et Albert Soboul quirestituent Meslier à lui·même et àson village, comme à la pensée puisà l'histoire de son siècle,

A Etrépigny, à douze kilomètresde Charleville, l'église où officiaJean Meslier est toujours là, et lechemin qui conduit à Balaize, saseconde paroisse, monte au flancd'une colline dont la configurationn'a guère changé depuis l'aube duXVIIIe siècle. C'est dans la solitudeet la pauvreté de son village que cepetit curé de campagne, dont lacolère et la générosité ne sont passans rapports avec les fureurs et lesblasphèmes de Bernanos (l'un dé·fendait les hommes contre Dieu,l'autre Dieu contre les hommes),lentement construisit sa longue ré·futation du christianisme. Sans li·vres, sans contacts directs ou épis­tolaires avec les milieux, intellec­tucls de son temps, cet intuitif degénie allait donner à la philosophiematérialiste beaucoup plus qu'unsouhassement conceptuel. Il allaitlui donner une chair frémissanteet traduire, en une imagerie vision·naire, l'aspiration secrète, désordon­née, de tous les humiliés qui, dé·couvrant les mensonges où se tisseleur misère, tentent de savoir cequ'il en est, au fond, de la véritéde leur condition.

De toute la trame de la théologie

Babeuf

biblique ou évangélique, Jean Mes­lier tire les fils les uns après lesautres pour en faire de la charpie,patiemment, ne laissant dans l'om­bre aucun récit de l'Ecriture, n'es­quivant aucune des interprétationséchafaudées laborieusement, sécu·lairement, par ceux qu'il appelle leschristicoles. Mais cette destructionde l'intérieur de l'édifice chrétienn'aurait peut-être qu'un intérêt his·torique, les idées de Meslier ayantmarqué de leur empreinte toute laphilosophie matérialiste depuis deuxsiècles, si elles n'apparaissaient dansla beauté et la fraîcheur d'un lan·gage dont notre époque, délivrée dudiscours classique, peut enfin dé­couvrir l'originalité. L'écriture iciest celle d'un paysan : les mots yont leur poids de terre et de peine ;l'espérance en question, c'est' biencelle des hommes et des femmesqui, saison après saison, arrachent

. aux champs ce qui leur suffit ,àgrand peine à survivre; c'est untaires, la parole d'un peuple quiunivers riche de symboles élémetJ.:sait lire le ciel parce que le' cielcommande à la plùie et au soleil,et qui sait aussi rêver sur son pas­sé et son présent. La philosophieici est poésie et les idées prennentcorps ~ travers tout le tumulte del'humble existence quotidienne..Ilen surgit le cri de révolte le pluscontinu, le plus authentiquementpopulaire peut-être de notre litté­rature, car le spectacle qui hanteMeslier, c'est· celui « des uns quise saoûlent et se crèvent de boireet de manger en faisant bonnechère pendant que les autres meu­rent de faim ».

L'œuvre de Jean Meslier devaitconnaître une étrange fortune toutau long du XVIII" siècle. Large.ment copiée par les hommes dt>!!Lumières, utilisée dans une perspec-

La QuInzaIne Uttéraire, du 1er au 15 janvier 1971 19

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• Meslier, Babeuf M. de Talleyrandtive déiste par Voltaire et confon­due parfois avec « le bon sens D ded'Holbaçh, elle semble avoir été peuconnue des héritiers intellectuelsdu curé des Ardennes, Babeuf etses amis, réunis dans la conjurationdes égaux. Il existe pourtant biendes points communs entre Babeufet Meslier, comme si « le Mémoire »du début du siècle avait été le fer­ment secret du Mani/este deségaux. La révélation initiale dontsortira, ici ou là, la pensée maté­,rialiste et égalitaire est la même :c'est la découverte du monde rural,de son, oppression, de sa détresse.Mais, comme le monUil MauriceDommanget dans le recueil des arti­cles qu'il consacra à Babeuf tout aulong de'sa longue enquête sur 1'his­toire du mouvement ouvrier, le ba·bouvisme représente la seconde éta­pe de la pensée communiste. L'aven­ture de Meslier avait été une aven­ture de' la révolte, elle visait essen·tiellement à détruire les fondementsthéoriques de la société esclavagistede l'Ancien Régime. Pour Babeuf.il ne s'agit plus de détruire, maisde reconstruire une société égali.taire et de lutter contre les perver­sions bourgeoises où s'est engagéela France révolutionnaire. Au-delàd~'-la théologie, le propos se' faitdonc proprement politique.

Dans la longue histoire de la pau­vreté, on assiste ainsi à une muta­tion lente du territoire privilégiédes « partageux D. Les hommes duMoyen Age voulaient, par un renon·cement volontaire aux richesses" sa­craliser la pauvreté, réduire le be­soin 'matériel pour mieux répon.dre à la soif de l'esprit. Il s'agissaitde mettre en commun non les biensmais le renoncement aux biens.Ceux du XVIIIe siècle devaientd'abord assurer cette liberté maté­rielle élémentaire sans laquellel'horiune perd sa condition humai·ne. Les uns et les autres peuventnous aider, aujourd'hui, à définirla nature et la fonction de la pau­vreté, dans un mond!! qui s'encom­bre de sa propre' richesse et où,comme le dit Henri Miller, « nousnous traînons d'un pas lourd, lecerveau obtus et l'imagination enca­puchonnée, parmi des miracles quenous ne discernons même pas D

et où « toutes nos inventions, toutesnos découvertes mènent à l'anéan­tissement D.

Claude Mettra

(1) Dossiers des Lettres Nouvelles,Julliard.

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1Jean OrieuxTalleyrandou le sphinx incomprisFlammarion éd., 864 p.

Le diable (boiteux) sait seulcombien la vie de Talleyrand n'estpas simple. A commencer par lafaçon dont il convient de pronon­cer IlOn noin : Taille-rang, à l'an­cienne, ou Talle-rang, modern'style- jamais Tallérand. A l'abri de cenom qui compte parmi les plus an­ciens de France et de Navarre, si sûrde l'excellence de ses origines qu'ildédaigne de s'en prévaloir, le ducde Talleyrand.Périgord fut lecontemporain privilégié d'une épo.que de notre histoire particulière.ment chahutée - celle qui nous afait glisser de l'ancienne Monarchieà la nouvelle, celle de Juillet, enpassant par la Révolution, l'Empire,la Restauration et une seconde ré·volution. De tous ces événements,Tallevrand a été le témoin, souventl'acte~. Sans y laisser une seuledes plumes de son splendide plu­mage. C'est de cet exploit que JeanOrieux nous invite à visiter les cou­lisses.

Pareil. exploit ne va pas sansmystère. Il y a du sphinx en Talley­rand.. Du « sphinx incompris ».Orieux l'apprivoise d'abord, lui sou­rit, s'approche de plus en plus près,jusqu'à lui caresser l'encolure, puisil tourne autour pour le mieux dé­crire. La complexité de Talleyrand,Orieux la rcnd claire sans qu'ellecesse d'être complexe. Talleyrandcontinue d'être sphinx, mais parcequ'on commence à le connaître, ona l'impression de commencer à lecomprendre.

La méthode du dompteurOrieux? Faire revivre, remettre lacouleur, le sang circule, la chaleurrevient. Les dons de romancier,éclatants chez Orieux (qui ne sesouvient de Fontagre ?) volent ausecours du travail, réel, de l'histo­rien. La documentation, abondante,a la bonne grâce de se faire ou­blier. Références, cita,tions sont là,tout 'armées - elles se tiennent enretrait ou entrent dans la dansepour nourrir non seulement. notrecuriosité (et concernant Talleyrandelle est vive), mais notre plaisir.Plaisir à Orieux que ses précédentesbiographies nous ont fait goûter,Bussy-Rabutin, Voltaire, et que ceTalleyrand enrichit.

Evêque, ambassadeur, ministre .:que n'a-t-il été? que n'a-t-il fait?Noblesse d'ancien régime, église

constitutionnelle, exil en Angleterreet en'Amérique, le Directoire et sesbanqueroutes, le Consulat et ses gre­nouillages, l'ascension fulgurantedu général Bonaparte, le despotismeparanoïaque de Napoléon - « cethomme de sacre et de code », com­me dit Jacques Prévert - : que etqui n'a-t-il connu? Toute cela revitavec lui, tout cela respire, parle, ges·ticule, s'aime, se déteste, se combat,galope au galop d'un temps particu.lièrement rapide. Au centre -de lapiste, pareil au Monsieur Loyald'un cirque - aux - étoiles à lamesure de l'Europe d'alors, c'est·à­dire du monde alors civilisé (ou quise croyait tel) : monseigneur le ducde 1'alleyrand-Périgord, gourmé,pomponné, parfumé,' la face blan­che, le cheveu' blond-blanc puisblanc-blond, la jambe traînante ­il avait réussi à faire de sa boiterie(un accident de la petite enfance),qui lui était une torture de chaqueinstant, une démarche glisséed'une distinction inimitable.

Non qu'il tirât toutes les ficel·les : comment un seul homme eût-ilpu prétendre doininer tout ce bruitet toute cette fureur? Napoléonlui-même... Non. Talleyrand s'il aété parfois le diable qui jaillit dela boîte au bon moment (à Vienne,par exemple, en 1814 et 1815), n'apas été le deus ex machina. Orieuxnous le montre bien : capable degrimper au pouvoir, peu capable del'exercer. Trop aristocratiquementnonchalant pour obéir à certainesurgences vulgaires de l'action. Sansdoute trop joueur pour s'engager àfond. Au pouvoir même il préfèreles risques de l'intrigue autour dupouvoir. Vie dangereuse que lasienne, tout bien considéré, parceque sans cesse à la fois sur le devantde la scène et dans les coulisses.Vie dangereuse et luxueuse.

Orieux ne juge pas Talleyrand.Il dit ce que dit le philosophe de­vant les montagnes : c'est commeça. Cette objectivité, tout histori­que (alors que la plupart des bio·graphes précédents de Talleyrandont, le plus souvent, condamnéTalleyrand comme un ennemi, untraître) n'empêche pas le commen­taire cursif - et malicieux. Orieuxne se contente pas de faire vivre sonpersonnage, il le regarde vivre. Ilest le premier spectateur de cette« renaissance ». Spectateur qui par­le à voix haute pendant la repré­sentation, pour notre bonheur.Spectateur surpris, amusé, scanda­lisé, complice, d'une complicitéoù la simplicité entre pour beau-

coup. C'est ,cette sympathie. qui ex·plique la chaleur qui se dégage dece livre d'histoire; et c'est cettechaleur qui se confond avec cellede la vie. Talleyrand, Bussy-Rabu.tin, Voltaire: Orieux ne s'intéressequ'à des personnages qui appartien­nent à la mênie famille d'esprits,qui est aussi celle d'Oriéux. Des

'libertins dans l'acception du. XVIIIe siècle : des esprits libres;libres aussi dans le plein exercice deleur vie et de ses plaisirs; attachésau bonheur; pour eux·mêmes etpour les autres; tenant l'ennui pourla première des sottises et la sottisepour le pire des ennuis; se méfiantde la vertu surtout quand elle s'af­fiche; haïssant l'intolérance consi·dérée comme une criminelle étroi­tesse de l'esprit; goûtant le stylelorsque finesse, élégance, légèreté,plus un certain sourire, y composentle visage d'une civilisation vérita·ble.

Sympathie ne signifie pas indul•.gence. Orieux connaît, et dénonce,les limites de ses héros : aussi peude vigueur que de rigueur, et fortpeu le sens des violences nécessai­res - pour ne pas dire une certai·ne lâcheté. Il s'en explique, parfoisvertement avec M. de Talleyrand. Ilarrive qu'il lui fasse honte : cettevénalité monumentale, par exemple,au demeurant fort équitable (il avendu tout le monde, à commencerpar ceux qui l'ont acheté), ces fortu·nes astronomiques dont Talleyrand,dans le plein sens du terme, a joui,(Orieux donne les chiffres, le détaildes « combinazione », les factures,c'est ahurissant) - même quand oncomprend l'usage que Talleyranden fait, le rôle du luxe dans sa vieet dans sa politique - tout de mê­me, M. de Talleyrand, tout de mê­me... Et cette « plasticité» (c'estun euphémisme), qui inspirait àNapoléon cette définition : « TaI·leyrand, c'est de la ,merde dans unbas de soie », faut-il en accuser seu·lement une intelligence (géniale)trahie par un caractère (faiblissi.me) ?

Œdipe aussi érudit que souriant,Orieux interroge son sphinx : « ton- ou plutôt votre secret? » Lequelsphinx répond : « J'ai duré» ­comme l'autre avait répondu: « j'aivécu D. Mais à la différence deSieyès, Talleyrand ne s'est jamaiscaché, le 'peut.il ? il brille trop, onne dissimule pas un feu d'artificesous un fagot, ou voilà le fagotgerbe d'étincelles.

] ean·Louis Bory

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POLITIQUE

par Jean Chesneaux

Les nouveaux Tocqueville

essai' traduit de l'espagnol par E. de la Souchère, J.M. 'Fossey et J.J. Olivier.

SERGIO VILAR t

Les oppositions à Franco

Un art subjectifde vivre

académico-financier de San Diego.Ce voyage en Californie n'est fina­lement qu'un fête inoffensive etnarcissique, au cours de laquelle onne prend aucun risque «( je veuxconserver mon statut de chercheurC.N.R.S., p. 204).

Et surtout, l'image que donne levoyageur de la gauche américaineest gravement déformée parce quedépolitisée. Morin en retient sixcaractères (p. 132) : chaleur enfan­tine, néo-rousseauisme, besoin depureté chrétienne, tradition liber­taire, communisme utopique, refus« katmandien » de l'Occident. C'est·à-dire que la lutte contre la sociétéaméricaine, se réduit à une révolu­tion « ~uturelle» a-politique. Sansdoute, l'auteur admet-il qu'un des

Dossiers des lettres Nouveles

dirigés par Mlutce Nadeau432 pages : 29 F

Un ouvrage qui passionnera tous ceux qui s'Intéressent à l'Espagne. Claude Coufton.LE MONDE. La synthèse, la plus riche et la plus fascinante, de toutes les forces quiluttent contre la dictature fasciste. R. Caccavale. L'UNITA, Organe du PCI. Plus encorequ'un ouvrage documentaire, une contribution directe Il la cause de la libération del'Espagne. G. Lannutl. MONDO NUOVO, Rome, organe du PSIUP. Révèle l'existenced'une très large opposition, mare pour Imposer la démocratie. NOUS HORITZONS.Parti socialiste unifié de Catalogne. Cette Impressionnante série de déclarationsrecueillies au magnétophone permet de reconstituer toute rhlstoire de la résistanceau franquisme. E. de la Souch6N. LE MONDE DIPLOMATIQUE.

kick, et ne s'en cache pas. Il s'in­terroge constamment, et souventavec vigueur; il pose par exemplele problème nouveau des bases éco­nomiques à partir desquelles une« contre-société» peut se consoli­der à l'intérieur de l'ancienne: re­fus de la consommation conven­tionnelle, néo-artisanat, rôle privi­légié du nouveau prolétariat (dé­classés et marginaux).

Il ne s'agit pourtant que d'unedécouverte esthétique, d'une expé­rience presque onirique (Il j'étaisconstammenthigh», p. 261). Lesdissidents américains sont presquepour Morin un objet de curiositéethnographique «( j'aimerais lesvoir vivre », dit-il p. 174, et jamais« j'aimerais lutter avec eux»).'Leur contact provoque un chocémotionnel sincère, mais qui ne vapas jusqu'à remettre en questionle confort que procure au visiteurson appartenance à l'establishment

Avec Edgar Morin, l'optique serenverse. Les pages du Journal deCalifornie mettent au contraire àl'honneur les Il crisis centers » semi­légaux, les communes, l'éco-mouve­ment, la recherche d'une coiltre-so­ciété et d'une contre-culture procé­dant du refus de la société peut­être la plus luxueuse de notretemps. Au contact des dissidentsaméricains, Edgar Morin a eu le

Morina eu le cc kick ))

tion, mais fort brièvement, sur lesforces de gauehe qui luttent eontrele système américain à l'intérieurde celui-ci. Mais c'est simultané­ment l'ensemhle de la société améri­eaine qu'il nous présente commeintrinsèquement « révolutionnai­re», libre des conventions seléro­sées de la vieille Europe, injuste­ment victime d'un chauvinismeétroit. Cette naïve volonté de réha­bilitation des Etats-Unis comme sys­tème global va jusqu'à se nourrirdu procès des Huit de Chicago,pourtant dénoncé dans tout le payscomme une des formes les plusachevées de l'autoritarisme répressifet hypocrite. Elle invoque même lescrimes de guerre américains duVietnam, puisque les Etats-Unis se­raient (p. 191) le premier paysdans l'Histoire à ne plus invoquercomme ultima ratio l'intérêt de lapatrie... Revel relève sans douteque la gauche américaine se dressecontre « une société subordonnée auprofit, dominée exclusivement parl'économie, régie par l'esprit decompétition et l'agressivité mutuel­le de ses membres» (p. 228). Maisce refus n'est guère intelligible,faute d'une analyse cohérente et dé­veloppée des phénomènes qui ren­dent effectivement intolérable et ir­respirable la société telle que la fa­çonne et la contrôle l'establishmentaméricain. Il ne suffit donc pas derépéter que la révolution de la se­conde moitié du XXe siècle auralieu aux Etats-Unis. Encore faut-ildéfinir cette révolution par rapportau type de société qui est mis enquestion : à savoir la société indus­trielle dont les Etats-Unis sont pré­cisément l'image la plus achevée.On ne peut présenter les Etats-Uniscomme « modèle révolutionnaire»(autre formule de J.F. Revel) qu'àconÙÏtion de porter sur la sociétéaméricaine des jugements aussi sé­vères que les nouveaux révolution·naires américains.

La bourgeoisie « éclairée» del'époque de Louis-Philippe étaitcomme fascinée par les Etats-Unis.Un Michel Chevallier, un Tocque­ville, croyaient y trouver la formule­miracle contre les révolutions socia·les, la voie vers un « progrès » sansviolence. Alors que retentit de nou­veau le « enrichissez-vous», alorsque le « destin national» de laFrance prend à nouveau une rassu­rante silhouette piriforme, il n'estpas sans intérêt que certains aillentchercher une nouvelle fois auxEtats-Unis un modèle social, propresans doute, à la critique de l'ordreancien, mais garantissant en mêmetemps qu'on pourra faire l'économiede bouleversements brutaux. Lesuns cèdent à la séduction facile desautoroutes, des supermarkets et desorÙÏnateurs, et appellent à releverce « défi». D'autres, plus suhtils,regardent du côté de la gauche amé­ricaine; ils en proposent une imagepittoresque et colorée, mais inoffen­sive : une « révolution américaine »qui n'a plus rien de révolutionnaire.

Il est certain qu'il se passe auxEtats-Unis quelque chose de fonda­mental : mouvement noir, féminis­me libérateur et non plus seulementégalisateur, dissidence morale etculturelle de la jeunesse, formesnouvelles d'organisation sociale«( collectives )), « communes»), cri­se universitaire qui attaque l'idéolo­gie par-delà les institutions. C'estsous sa version la plus opulente etla mieux organisée, dans ces Etats­Unis fiers de leur puissance, que lasociété capitaliste développée denotre temps est mise en questionde la fa~on la plus radicale. Il s'agitd'abord de définir l'ampleur etl'originalité de ce mouvement his­torique; c'est ensuite qu'on peutessayer de définir sa capacité révo­lutionnaire.

Si le lecteur de J.F. Revel estdans l'embarras pour répondre à cesdeux questions, c'est qu'il (".st cons­tammènt maintenu dans l'équivo­que. L'auteur attire parfois l'atten-

l E. MorinJournal de CalifornieLe Seuil éd., 265 p.

lB. NéraudLa gauche révolutionnaireau JaponLe Seuil éd., 158 p.

1J.F. RevelNi Marx ni JésusLaffont éd., 264 p.

La Qldnza1ne UtlU'alre. du 1"r au 15 janvier 1971 21

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... Les nouveaux Tocqueville Le fait pales~nien

courants de cette dernière «va semuer en révolte politique, dissociantou mêlant la nouvelle guerilla ur­baine et l'espoir magique que pro­cure l'autre drogue, le marxisme-lé­ninisme » (p. 139). Mais il est clairque cette voie ne l'intéresse pas;« ils ne peuvent pas savoir », dit-ilavec la commisération de « l'an­cien D. Point d'analyse de la notionde complexe militaro-academico­industriel, si importante pour lescontestataires américains. Aucuneconversation sérieuse avec les p~.ibères Noires ou les militants des«radical caucuses» (1). L'âpretéde la lutte qui se déroule aux Etats­Unis se mesure pourtant à la vi­gueur de la répression, mais, celle­ci n'apparaît que par de brèves allu­sions (düficultés de la Free PressCommune). Tout se ramène à uncertain art subjectif de vivre, quise désintéresserait des structuresréelles du pouvoir. Le film [cetient un autre discours, et d'innom­brables jeunes Américains s'y sontretrouvés.

Partiellementconscientes

Il est bien certain que lès forcesde dissidence, aux Etats-Unis, nesont que partiellement conscientesde leur insertion potentielle' dansune stratégie de lutté globale, c'est­à-diré politique, contre l'ordre éta­bli. Ce fait autorise-t-il à se satisfai­re benoîtement de leur apolitismepartiel, à les « récupérer », commeon disait en mai 1968 ? Ne pour­r.ait-on . pas au contraire, mais ceserait sortir du cadre dé cette chro­nique, .relier l'expérience originale1e la gauche américaine à des re­cherches théoriques comme cellesdu Manifesta italien, qui enviSagentla nécessité «d'aller au-delà durenversement. du pouvoir d'état»(thèse 81), ou qui examinent la va­leur militante des « objectifs inter­médiaires» (thèse 82). Dans sa di­versité (noirs, femmes, ouvriers,Indiens, Chicanos, étudiants, hip­pies...) le « Movement» américainne peut-il· pas se définir commeune pluralité de luttes partielles,mais' qui ne SOJ;lt pas nécessairementréformistes dans la mesure où ellessont susceptibles de s'insérer dansune stratégie radicale d'ensemble? Aun autre point de l'horizon, ne peut­on pas relever un certain parallé­lisme entre la démarche spontanéede la gauche américaine et la déter·

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mination chinoise de créer l'hommenouveau, par une révolution cultu­relle qui ne se satisfasse pas desmutations mécaniques d'ordre poli­tique et économique,· mais qui poli­tise néanmoins la culture' au lieude la diluer dans un fade « style devie » ?

La gauchejaponaise

Ce qui nous fait défaut, c'est unlivre qui situerait la gauche améri­caine dans une perspective de luttepolitique: celle par exemple de la« gauche révolutionnaire japonai­se ». Bernard Béraud a sans doutecédé un peu facilement à la tenta­tion du « répertoire de groupuscu­les ». Mais son essai met en évi­dence le rôle décisif de la lutteanti-impérialiste dans la formationde la « gauche combattante » (pourlaisser le terme de gauchiste auxdivers amateurs de dossiers). C'estvrai aux Etats-Unis, même si Revelet Morin Sont fort discrets sur cepoint. C'est tout aussi vrai au Ja­pon, et le mot d'ordre « des Viet­nam dans les usines» relie le mou­vement anti-impérialiste à la hittecontre le patronat japonais.

Même si cette gauche japonaisesemble curieusement insensible auxproblèmes de l'aliénation (techno­logie totalitaire, condition de lafemme, culture) même si elle privi­légie le politique à court terme plusque ne le fait la gauche américai­ne, elle se rapproche aussi de cettedernière sur un autre point fonda­mental. Par-delà l'émiettementgroupusculaire, l'unité ne se faitplus par l'autorité d'un appareilcentralisé qui nivelle les initiatives,mais par des médiations plus sou­ples : celles du « mouvement ».Béraud marque bien l'importancede la lutte de rue comme « fédéra­teur» des groupes maoïstes, trots­kystes, anarchistes...

Le chemin de la gauche combat­tante dans les pays industriels n'estpas un chemin tracé d'avance.Comme le dit Lu Xun, « dans lescommencements du monde, il n'yavait pas de routes sur terre; maislà où les hommes ont marché, les

. chemins se sont peu à peu tracés ».

Jean Chesneaux

(l) Cf. L'homme et la société,avril 1970, n° 16, Le mouvement desradical caueuses dans les scienceshumaines aux Etats-Unis.

1Claude RanelMoi Juif palestinienColl. « Libertés »Robert Laffont éd., 184 p.

Voici un essai qui, malgré sesdimensions exiguës, prend placeparmi les textes les plus importantSque nous apporte le grand-remue­ménage déclenché par les événe­ments de mai 68. Il montre à l'évi­dence que rien ne peut· plus êtreadmis, des vieux dogmes ortho­doxes, sans un examen serré etmême sans l'emploi d'un nouveauvocabulaire. Au surplus, peut-être leséjour de l'auteur à Jérusalem a-t-ilcontribué à enrichir une façon

'd'écrire qui avait désespérémentbesoin d'apports extérieurs.

La thèse de Claude Ranel, déjàbrièvement résumée en 1968 dansune lettre écrite au Nouvel Obser­vateur pour protester contre l'atti­tude de ce magazine à l'égard d'Is­raël, a le grand mérite de mettre enforme un certain nombre d'idéesque d'aucuns avaient épisodique­ment avancées, ici et là, mais· quenul ne s'était enhardi à articuler enforme de raisonnement cohérent etcomplet. Sa présentation très densene permettant guère de le résumer,force est d'en conseiller la lectureet d'en effleurer le sujet.

La naissanced'Israël

Pour Ranel, la naissance del'Etat d'Israël est un .fait insurrec­tionnel et désaliénant; il s'inscritdans le grand mouvement d'émanci·pation du tiers monde; se trouveaffronté à une répression organiséede la part du « monde» arabe oùles fedayines jouent le rôle deflics, chargés de rétablir l'Ordre.

Certes, un ouvrage de franc-ti­reur comme celui-là ne peut man­quer de prêter le flanc à quelquescritiques, ni de se perdre padoisdans des polémiques stériles. Bienqu'il se défende d'invoquer à quel-,que titre que ce soit l'argument« archéologique» selon lequel lesJuifs auraient droit à la ·Terre Pro­mise pour le simple fait que leursancêtres s'y seraient établis troismille ans plus tôt, l'auteur n'en re­vient pas moins à des considérations~imilaires lorsqu'il évoque avec in­sistance le fait que la Palestine ap-

partient à ses deux «populations­souches »; de même, le zèle dontil fait montre lorsqu'il lui faut te.nir les Juifs de la Diaspora, épar.pillés dans le monde, pour des colo­nisés de l'intérieur, sur les territoi·res qui les accueillent, révèle unrespect encore excessif pour certai·nes opinions-sur-rue.

Le lecteur de bonne foi, qui n'acure des querelles d'église, retien­dra moins ces recours casuistiquesque la, démarche même de ClaudeRanel, soucieux de fonder son tai­sonnement sur le vécu contempo­rain plutôt que sur des disputationspoussiéreuses.

Israëlavatar colonial

Partant des faits contemporains,donc, l'auteur constate que la néga­tion systématique de l'Etat d'Israëlpar les Etats arabes s'appuie sur unprésupposé: l'existence d'un « mon­de» arabe unique et cohérent, ausein duquel un élément étrangers'est inséré, dont l'illégitimité estadmise a priori parce que la Pales­tine fait partie intégrante et irréfu·table de l'entité postulée dont on nese préoccupe jamais d'établir l'au­thenticité.

. A partir de là, les Palestiniens(selon la thèse « Fathidique ») neseraient pas tant fondés à revendi·quer les territoires israëliens pOUren avoir été dépossédés (ce quiapparaît historiquement et -juridi­quement faux) que pour être eux­mêmes des Arabes, héritiers de droitdivin de tous les territoires comprisentre le Maghreb et les confins asia- .tiques. A ce titre, il leur faut nonpas' seulement combattre Israël maisle nier. C'est ce que nous enseigned'ailleurs la lecture quotidienne dela presse. Dans cette optique, Israëlne serait qu'un avatar colonial;

Mais, à l'opposé, Ranel pait duphénomène révolutionnaire, insur.rectionnel et désaliénant qu'a repré­senté pour les Juifs et pour le Pro­che·Orient, la création d'un Etat, àl'issue d'une guerre de libérationnationale menée par une armée p0­pulaire. Face à la «mondificationarabiste» qui postule un «Ordrearabe », le fait israëlien devient ef·fectivement un scandale, sur lequeldoivent s'appliquer - et s'appli.quent - toutes les forces répressi­ves disponibles.

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Turgot Metteurs en scène

Dans ce sens, la guerre des Six·jours, n'a été, pour Israël qu'unenouvelle « insurrection discipli.née », une « émeute )J.

La thèse était assez séduisante ensoi pour que Claude Ranel n'eûtpas eu besoin d'y ajouter des consi·dérations brillantes mais discutablesqu'il tient pour indispensables à sonraisonnement et qui le sont moinsqu'il ne pense - concessions à sesadversaires semble-t-il qu'il pour·chasse à plaisir sur leur terrain.Ainsi brode-t-il brillamment sur lefait que les deux « populations-sou­ches» du Proche-Orient ont étéaliénées de façons différentes, l'unesur place, par sa permanence mêmeet l'autre par privation de terroir etdispersion. Cela l'entraîne à cher­cher à établir que les Juifs formentun peuple sans territoire, coloniséchez les autres. Pour conclure quele retour au lieu d'origine était ensoi l'acte désaliénant indispensable,dans l'optique même des révolution­naires du Tiers Monde où s'inscritcette libération.

Des faits,non des théories

Il se peut que ce long détour soitnécessaire pour ébranler le lourdappareil de la néo-scolastique mar·xiste. Ranel pourtant ne semble pass'y tromper, il part des faits plutôtque des théories, constate la présen.ce d'un peuple par soi-même libéré,en butte aux assauts de nouvellespuissances avides de le recoloniseret qui font peser sur lui tout lepoids de leurs instruments de ré­pression.

Le prixd'Auschwitz

Cela ne signifie guère que l'au­teur cherche à faire payer aux Pa­lestiniens le prix d'Auschwitz com­me certains courtisans trop zélésdu nouveau totalitarisme s'empres­sent de le dire. Bien au contraire,nul plus que Ranel n'est sensibleau sort de la population jumelle,mais tant que celle-ci s'en tiendraau rôle que lui a dévolu la thèse« mondificatrice », celui de gendar.me de l'arabité, la réversibilité dela situation est totale et « à la moin·dre défaillance de la ligne de feu,c'est Israël tout entier qui se trans­forme en Fatah, en moins de tempsqu'il n'en faut au Conseil de Sécu­rité pour délibérer ».

Marc Saporta

1TurgotEcrits économiquesPréface de Bernard CazesColl. « Les Fondateursde l'économie»Calmann-Lévy éd., 389 p.

Après un d'Holbach, BernardCazes nous présente un Turgot.Sans doute n'a-t-il retenu que lesprincipaux écrits économiques d'unauteur prolifique : l'édition Schelledes œuvres complètes comprendcinq gros volumes, soit plus de troismille pages. Lorsque l'on songe àla courte vie de Turgot (cinquantequatre années) et à l'importancedes fonctions qu'il a occupées (in­tendant du Limousin, contrôleurgénéral des Finances) il faut biense rendre à l'évidence qu'il s'agit làd'un homme peu ordinaire. EdgarFaure en un livre et quelques arti·cles qui firent naguère beaucoupde bruit, lui avait rendu l'hommagede l'historien, du financier et del'homme politique. Bernard Cazesnous montre plutôt aujourd'huicomment Turgot est un homme desLumières: ainsi s'explique la pré­sence, en tête de l'ouvrage, du peuéconomique « Tableau philosophi­que des progrès successifs de l'es­prit humain ».

Il reste à parler de Turgotcomme l'un des fondateurs de l'éco­nomie - tel est le titre de la collec­tion. Turgot a réussi ce tour deforce de garder l'amitié des physio­crates sans partager absolumenttoutes les doctrines d'une sectepourtant très exigeante. Sans doute,on trouve chez Turgot l'idée cen­trale de la prééminence de l'agricul­ture et de son produit net. Mais ils'agit là au XVIIIe siècle d'une vé­rité d'évidence (l'évidence cartésien­ne devenue physiocratique, à la­quelle le docteur Quesnay consacraun article de l'Encyclopédie). Pourle reste, Turgot n'a pas ces formu­les tranchées qui exaspéraient tant,ou faisaient se gausser, les critiqueset les ennemis de la physiocratie,mais des expressions subtiles quiannoncent Adam Smith.

Turgot est l'un des héros du libé·ralisme économique. Le marché re­présente pour lui l'alpha et l'omégaen matière économique. Selon sespréférences, le lecteur moderne yverra un précurseur ou un ancêtre.Il semble, toutefois, comme le mon­tre Bernard Cazes, que le débat ou·vert par Turgot n'est point refer­mé : sommes-nous à l'aube d'unnouveau libéralisme?

M.L.

Deux livres viennent de paraîtreaux Editions du C.N.R.S. (1) quiconstituent un important rapportdes dernières années du théâtre in­ternational. Sous le titre les Voiesde la création théâtrale sont réuniesdes études à propos de Grotowski,Eugenio Barba, le Living Theatre,Joseph Chaikin et Garcia pour letome 1 ; Brecht, Frisch, Weiss, Cé­saire, et cabral Melo Neto pour letome 2. Je ne parlerai ici que desspectacles étudiés dans le tome 1parce qu'ils correspondent au mou·vement théâtral de ces dernièresannées et que dans le tome 2 lesspectacles étudiés sont d'un intérêtinégal.

Ces spectacles permettent à dif­férents titres d'étudier l'évolutionde la création théâtrale et des rap­ports de l'écriture dramatique et dela mise en scène. Il s'agit là d'untravail théorique fondé sur la prati.que théâtrale aussi bien que de des­criptions de spectacles précis. Lasomme de ces travaux permet d'éla­borer une théorie de la mise enscène et des rapports scène-salle ence qui concerne la nouvelle archi­tecture de l'espace scénique et laparticipation 'des spectateurs. Pourqui suit le théâtre d'un peu près,ces études n'apprennent rien qu'ilne sache déjà car elles ne représen.tent pas une réflexion critique,mais elles sont un maillon pour unehistoire du théâtre. Dossiers de mi·ses en scène donc, indispensablescomme outil de travail, retranscrip.tion d'un moment de théâtre, éclair­cissements sur les techniques em­ployées par les différents metteursen scène... Il est important que cesspectacles puissent être préservés,que l'on puisse reproduire dans l'es­pace de la page le temps de la visionthéâtrale (dans ce qu'on peut re­transcrire d'elle). Je ne suis pas del'avis de Pierre Bourgeade qui, dansun' article récent paru dans ce jour­nal même, jetait l'anathème sur lesthéoriciens de la littérature et duthéâtre àu nom de je ne sais quelprivilège de l'acte créateur. Lesthéories théâtrales devraient aucontraire se développer et être l'ob­jet de publications en collections depoche. Elles représentent une contri­bution à l'événement théâtral, uneapproche, une meilleure connaissan·ce de la pratique de la scène. Lesmetteurs en scène eux-mêmes, citésdans ces deux volumes, ajoutent àleurs expériences pratiques une ré·flexion critique leur permettantune plus grande conscience et une

plus grande maîtrise de ieur tech­nique.

A l'occasion de cette parution, onpourrait se demander où va le théâ·tre des années 70. Est-ce la dictaturedu metteur en scène qui va conti­nuer ou plutôt est-ce un renouvelle­ment de l'acte théâtral qui est àvenir, renouvellement par lequel letexte serait à nouveau un des élé·ments importants du spectacle?

Le Théâtre-laboratoire de Wro­claw, l'Odin Teatret, Le LivingTheatre, le Bread and Puppet oul'Open Theatre, tous ont mis enévidence, se référant pour la plupartà Artaud, la primauté de la mise enscène sur le texte et ont élaboré, àpartir d'un texte ou d'un canevas,des spectacles dont les élémentscomposants essentiels sont l'expres­sion corporelle ou l'émission vocale.

Souci également commun à tou­tes ces troupes: le retour auxgrands mythes.

Théâtre mythique, théâtre detechnique de l'acteur, les deux élé­ments s'intègrent. Les metteurs enscène essaient d'atteindre dans l'ac­teur les racines inconscientes de sesactes et de les mettre à jour sur lascène. Ces actes devront atteindreà leur tour les racines inconscientesdu spectateur. Transposition del'expérience religieuse? catharsis?découverte d'un moi profond? cequi est recherché l'est surtout envue d'une libération de l'hommedans la société, en vue d'une dénon­ciation de cette société comme ié­pressive et destructrice. Le deuxiè­me but, plus politique, prédominedans les troupes américaines.

Ce reto~r à une certaine formede spiritualité, est-ce une évolutionde la sensibilité de notre époque ?Est-ce une réaction contre les rap­ports sociaux actuels que cette vo­lonté d'atteindre les « forces obscu­res de l'affectivité et de l'instinct? »Est-ce une façon « d'accéder à unelucidité plus grande », si c'est« l'instrument d'une meilleureconnaissance de soi et des rapportsavec autrui » ?

Est-il si intéressant de remplacerDieu ? Laissant une place vide pourcertains, on voudrait par le théâtrelui redonner cours dans la vie.Grotowski ou l'Open Theatre ou 'leBread and Puppet ou encore leLiviug ont peut-être ces préoccupa­tions, mais ils ne peuvent parler departicipation avec le public que sile public partage la même foi. ouressent le même vide. Le specta­teur devrait suivre l'exemple derecherche en soi et de dépouillement

La Qldnza1ne Uttéralre, du lu au 15 janvier 1971 23

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• Théâtre des metteurs en scène

vont souvent le transgresser. Leurtravail est, dans ce cas, extrêmementintéressant en ce qu'il est un com­mentaire de l'œuvre et reflète uneattitude critique.

Théâtre de l'expression corporel­le, ditoOn, au détriment du texte ?Cela encore est en passe de devenirun poncif. Il n'y aurait pas de théâ·tre si le geste tenait lieu d'uniqueréalité, sans aucune intention autreque son propre mouvement. Si lethéâtre a tendance à s'engager danscette voie, il se trouvera dans uneimpasse, il aura vite fait d'arriverà ses propres limites.

Il n'y aurait pas non plus dethéâtre si le mot tenait lieu d'uni·que réalité. Le théâtre est l'intégra­tion de ces deux éléments. C'est dece rapport texte-geste que doit sur·gir le nouveau théâtre. De jeunesécrivains devraient retrouver le dé·sir du langage théâtral et, par.delàce désir, contribuer au renouvelle­ment de l'acte théâtral. Il faut queles auteurs puissent approcher lethéâtre. Comment pourraient.ilsfaire une œuvre où le geste et leverbe s'intègrent si on ne leur don­ne jamais la chance de connaîtrela pratique théâtrale, si on les lais­se dans cet isolement du discoursécrit ? Le théâtre est le lieu de laparole proférée, de l'espace poéti­que, du geste fait langage, du langa­ge fait action. Lorsqu'on parle deretour au texte il ne s'agit pasd'un retour au théâtre des littéra­teurs, mais c'est vers cette grandelutte verbe.espace qu'il faut aller.

Simone Benmussa

(1) Tome 1 : le Prince constant,d'après Calderon, mise en scène deJ. Grotowski, Kaspariana, d'EugenioBarba, the Brig, Frankenstein, An­tigone, Paradise now, Living Thea­tre, the Serpent de J.C. Van Italie,mise en scène de Joseph Chaikinet le Cimetière des voitures d'Arra·bal, mise en scène de Victor Gar·ciao

Tome 2 : Mère Courage, la Résis­tible ascension d'Arturo Ui, deBrecht, Andorra, de M. Frisch, L'Ins·truction, de P. Weiss, la Tragédiedu Roi Christophe et une Saison auCongo, de Césaire, Mort et vie deSéverine de J. Cabral de Melo Neto.

Metteurs en scène : E. Axer, I.Bergman, G. de Bosio, B. Brecht,H. Buckwitz, E. Engel, G.Garan,K. Hirschfeld, F. Kortner, P. Pa­litzsch, HA Perten, E. Piscalor,V. Puecher, J.-M. Serreau, S. Siquei·ra, J. Vilar, W. Wekwerth.

Sous la direction de Jean Jacquot,les auteurs des études sont O. As·lan, C. Aubert, J.-L. Bourbonnaud,J. Jacquot, S. Ouaknine (tome 1),O. Aslan, D. Bablet, J.-C. François,P. Ivernel, P. Laville, J. Lorang,M. Meyer (tome 2).

la dispersion et la confusion. Un ouplusieurs éléments doivent servirde point de référence, d'aimant au­tour desquels tout va se structurer,tout prendra un sens, une direction,des couleurs. Dans un spectacle,comme dans la peinture ou la mu­sique, il doit y avoir des lignes deforces qui structurent la composi­tion. Que « la pluralité s'intègredans l'unité » écrit déjà Witkiewiczen 1921 à propos du théâtre etcontre le théâtre psychologique etanecdotique. Il s'agit non pas desupprimer la psychologie, ce quiest infaisable, mais d'introduireune psychologie dévoyée, pervertie,creusant volontairement un fosséavec la psychologie vécue dans lesrapports sociaux ordinaires.

Théâtre de metteurs en scène,dit·on, et non plus théâtre d'au­teurs? Certains nous offrent desspectacles où le texte n'est padoisqu'un canevas, d'autres proposentleur lecture subjective du texte et

Autre poncif du théâtre actuel :« être contre la psychologie », et« démultiplier le personnage ». Unmême personnage sera joué par plu.sieurs acteurs différents. Idée trèsintéressante il y a quelque temps carelle démontait la structure du perosonnage, car elle dénonçait tous sesplans et les exposait dans l'espacemais qui, maintenant, devient sys·tématique et trop souvent gratuite.Qu'est-ce que la psychologie authéâtre ? Au nom de quoi la criti­que-toOn ? Il faut refuser toute réfé­rence à un contexte extérieur auplateau, seul ce qui se passe surla scène, devant le spectateur, à unmoment donné importe. Mais lespectacle a besoin d'un point de ré­férence afin que ses élémentscomposants, personnages ou événe­ments, se colorent, sans quoi c'est

au théâtre?Est-ce que la destruction des

structures· religieuses doit être véri.tablement ressentie comme un man·que ? En cela leur position est nos­talgique donc réactionnaire. Gro­towski parle d'un héritage « cultu­rel et religieux qui serait transmis,pour ainsi dire, avec le sang »! Il"eut le transformer, le rationaliser,il parle à cet égard de « fascina·tion » et d' « inquiétude », de « ten·tation» et de « blasphème ». Maisjusqu'à quand aurons-nous à réglerses comptes au vieux christianis·me? N'est-ce pas là un poncif etn'y a·t·il pas chez Grotowski com·plaisance à ressasser ces problèmesalors qu'il se dit incroyant?

La destruction des structures reli­gieuses est ressentie comme un man­que, pense Grotowski. D'une part

Dispositif scénique pour «Kasperiana »,D.din Theatret, metteur en scène : Eugenio Barba

. il est dérisoire de les remplacer patdes rites et des célébrations de théâ­·tre, d'autre part il serait révolution·naire de la faire suivre de la des­truction de la hiérarchie sociale etfamiliale, sans cela elle n'auraitpas de sens. Au contraire, Grotows·ki ressent cette destruction commeun déséquilibre dans les liens so­ciaux. On retourne aux origines duthéâtre par nostalgie des originessacrées de l'homme, on se sert duthéâtre car on n'ose pas avouerqu'on recherche Dieu. Le rite, lacérémonie, le retour aux originessacrées sont autant de poncifs.

Par contre, dans une perspectivepolitique, comme proposition d'unenouvelle forme de société (le Livinget sa vie communautaire), d'unetransgression à la société établie, cesspectacles ont un plus grand inté·rêt parce qu'ils témoignent d'unmalaise social, d'un phénomène p0­litique vécu, d'une lutte quoti.dienne.

la religionl'école

•DÉCf:MBRE 1970: 8 F

Hommage àPaul Chaulot

L'Europe de l'Estaujourd'hui

Le Parti et l'Arméeen Chine

ESPRIT 19, rue Jacob, Paris 6­

l. C.C.P. Paris 1154-51

Contrede

Charles de Gaulle

ESPRIT

de l'acteur, devrait abattre son mas­que social. Peu sont susceptibles dele faire, c'est à ceux-là que le théâ·tre selon Grotowski s'adresse. Donde soi que fait le comédien, « acted'amour» qui n'a plus Dieu commeobjet aujourd'hui... Mais avons­nous besoin de penser en termesli( d'actes d'amour», de « confes·sion », avons-nous besoin de cettesainteté qui est une reconstitutionsuspecte de l'émotion chrétienne ?Il y a quelquefois un fossé entre ceque le spectateur reconnaît au pas·sage et ce qu'il n'arrive pas à saisiret il lui faut revoir le spectacle plu­sieurs fois ou être aidé d'une pré­sentation ou de lectures postérieu­res. La difficulté de ces spectaclesva à l'encontre de l'idée d'un théâ·tre populaire compréhensible partous. Faut-il être savant pour aller

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'"aThéâtre

Paris

IGeorg BüchnerWoyzeckTh. de Sartrouville

IJOhn ArdenL'âne de l'hospiceT.E.P.

IBoulgakovLa fuiteTh. des Amandiers

IAntoine BourseillerOh! AmericaTh. de France

WOYZECK

Décidément la salle relativementrudimentaire de Sartrouville de­vient, par une programmation équi­librée et vivante, un véritable vi­vier : dernière révélation en date,un admirable Woyzeck présentépar une jeune troupe, l'EnsembleDramatique de Rouen, qui joue ha­bituellement dans son petit Théâ­tre du Robec (1).

La pièce de Georg Büchner estdepuis longtemps la tentation pié­gée des metteurs en scène. Quoide plus exemplaire, en effet, danssa forme comme dans son fond,que ce fait divers mélodramatique?Un brave soldat, manipulé par uncapitaine paternaliste et désabuséet par un docteur cupide et dessé­ché, et quelque peu aliéné lui-mê­me, tue d'amour Marie, la misèrefaite espérance frustrée. Dans cecanevas pré-brechtien, où la dis­tanciation est amorcée par la dis­tance que Büchner met entre lerécit et le commentaire, et où leschansons populaires annoncent lessongs, on a pu voir, à travers ledrame personnel de Woyzeck, leprofil de la lutte des classes pré­monitoires, ou le drame de l'aliéna­tion psychologique et celui de laschizophrénie que reprendront lesexpressionnistes, ou bien encore lafable romantique de l'homme auxprises avec son angoisse métaphy­sique dont nous parleront Kafkapuis Beckett et Adamov, co-traduc­teur avec Marthe Robert de la piè­ce (2). Toutes ces interprétationssont possibles, mais aucune ne ré­siste totalement à la démarche .in­terne d'une œuvre en apparenceschématique, conçue en séquencesbrisées et dont le rythme est dif­ficile à recréer.

Le metteur en scène rouennaisMichel Humbert, par ailleurs acteurremarquable, a choisi de rendre

Woyzeck dans toute sa complexitéfoisonnante, ses potentialités, seshésitations et ses métamorphoseslibératrices. Utilisant intelligem­ment le dispositif scénique de MarcNeveu, fait de fer rouillé et extraor­dinairement souple et mobile, aidéd'une troupe homogène et excellen­te, Michel Humbert reconstitue, àcoups de silences provocants, dedéplacements ralentis ou circonvu­latoires, de flonflons populistes, degrincements de scie, de lumièresambrées et équivoques, la grandefête, naïve et innocente, poétiqueet cruelle, où le désespoir impossi­ble le dispute à la réalité meur­trie. Un beau spectacle populairequi participe de la tendresse enva­hissante, du rire délicat et de laforce d'aimer troublante qui laisseà chacun son libre-arbitre.

L'ANE DE L'HOSPICE

Tel n'est pas tout à fait le pro­pos de Jean-Pierre Vincent, qui,dans cette même salle, a créé LeMarquis de Montefosco dont vousparle, par ailleurs Gilles San­dier. Ce que Vincent a admira­blement réussi avec une pièce nonbrechtienne, Guy Rétoré l'a raté, auT.E.P., avec une œuvre qui veutconcilier le brechtisme avec la tra­dition shakespearienne : L'Ane del'Hospice, de John Arden, traduiteoriginellement par Jacqueline Au­trusseau et Maurice Goldring. Piè­ce ambiguë, s'il en est, qui récon­cilie la gauche et la droite politi­cardes sur le dos refroidi de la dé­mocratie. Mais adapter Arden aupublic français, ce n'est pas tra­duire en transformant. Pourquoiavoir, par exemple, remplacé l'inau­guration, par les conservateurs etles travaillistes réunis, du local dela police par celle d'une autoroute,ce qui déplace automatiquement lepropos initial? Remplacer deschansons populaires anglaises pardes vers mal chantés sur une mu­sique légère, c'est déraciner lapièce et la mettre en porte-à-faux.Les spectateurs français continue­ront d'attendre qu'on leur révèle,dans toute sa force lyrique etbrechtienne à la fois, un jeunehomme anglais qui finira bien unjour par se mettre en colère.

LA FUITE

On attendait également beaucoupde la présentation de là Fuite, de

Une scène de " Woyzeck,.Boulgakov, dont on connaissait es­sentiellement en France l'importantroman le Maître et Marguerite et,plus récemment, la Garde Blan­che. Né à Kiev en 1891 et morten 1940, Mikhaïl Boulgakov, sovié­tique malgré lui et écrivain russeavant tout comme cet autre émi­gré de l'intérieur qu'est Soljenit­syne, a tenté tant bien que mal derésister moralement et physique­ment à l'ostracisme d'une censuremanifestement coupée du public.

La Fuite, c'est la fuite du tempsqui passe pourtant moins vite quel'Histoire en marche, mais c'estaussi la fuite intellectuelle de l'au­teur lui-même devant une réalitéqu'il s'est refusé à admettre tota­lement parce qu'il s'est refusé àla juner. A prendre parti, nette­ment. Et pourtant, sa pièce, diviséeen huit songes, a pour toile de fondl'Histoire, encore chaude en 1927,de la guerre civile. Boulgakov suitmême de près la débâcle, en 1920­21, des Blancs fuyant l'Année rou­ge. La pièce est en fait l'Histoireà contre-courant et a contrario : laRussie soviétique est déjà loin etles fuyards voient en rêve ce quiles attend, l'exil incertain ou lacondamnation, les bas-fonds deConstantinople et les « taxis russesde Paris ".

On parle beaucoup de Gogol etde Pouchkine à propos de Boulga­kov, mais la Fuite me paraît êtrele négatif des Bas·Fonds de Gorki.Ce qui sépare ces deux pièces,c'est une Révolution attendue etqui a eu lieu. Et c'est beaucoup.D'où ce décalage, cette insatisfac­tion devant ce qui nous est donnéà voir. L'auteur donne l'impressiond'avoir réuni quelques archétypesde la littérature russe pour s'api­toyer, simplement parce que cesont des hommes, même s'ils ontmal choisi leur camp, sur le mal­heur des Blancs vaincus. Il y a làquelque chose qui ressemble à unesorte d'auto-justification de la partde quelqu'un qui n'a pas pu choisirl'action.

A en croire les indications del'auteur, on pouvait penser que,jouant de sa palette, et ayant optépour le rêve, il peindrait quelquetableau fantastique de l'âme hu­maine, hésitant entre le cauchemaret l'espérance rêvée.. Or, la fresqueattendue se présente plutôt commeune esquisse. Mais, fort heureuse­ment, le metteur en scène PierreDebauche, remarquablement aidépar une traduction très scéniqued'Antoine Vitez et par un décor,stylisé et ouvert comme la mémoi·re rentrée, de Jacques Noël, gom­mant ce qui était mélodramatiquepour élever le débat, est parvenu,bien souvent, à rejoindre le fantas­tique qui lui est· cher, pour tenterd'atteindre l'inconscient éveillé.Dessinant autour des personnagesdes halos persistants perdus dansl'espace, son travail est, dans lescouleurs, les mouvements, d'unegrande rigueur à laquelle de bonsacteurs, venus d'horizons divers,se sont pliés avec foi et succès.

Au Théâtre de France, AntoineBourseiller a choisi, avec Oh! Ame­rica, de nous montrer l'Histoirenotée au jour le jour dans le carnetde voyage d'un auteur et metteuren scène européen visitant lesEtats-Unis durant seulement troismois. Lui non plus ne prend pasparti, et on le lui a reproché. C'estbien mal le connaître : Bourseillern'a jamais eu l'intention de faire leprocès de l'Amérique. Et même s'ily a quelque chose d'attachant danssa démarche, l'Amérique qu'il a vue,nous la connaissions déjà: il a cru,à son tour, découvrir l'Amérique.et il ne nous a ramené, dans un«défilé rock et guitares., quel'œuf de Colomb.

Lucien Attoun

(1) Ce spectacle sera repris en Janvierdans la région parisienne.

(2) Ce texte, comme l'Ane de l'hospice,est publié aux éditions de l'Arche qui vien­nent d'éditer dans la coll. Travaux : lesImportants écrits de Brecht sur le thélltre,le cinéma, le réalisme, les arts et la ré·volution.

La Qu'ou'ne Uttéralre, du 1er au 15 janvier 1971 25

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Retour '"a Brecht

CINilMA

1GoldoniLe Marquis 'de MontefoscoLe Grenier de Toulouse '

« Un théâtre pourri jusqu'à l'os ".Ce n'est pourtant pas - on pour­rait aisément s'y tromper - duthéâtre français tel que le pratiqueofficiellement notre société, qu'ils'agit là, mais de la comédie italien­ne telle que la voyait, au XVIIIe siè­cle, Goldoni, quand il entreprit dela réformer. Jean Jourdheuil, « dra­maturge " de ce spectacle, a quel­que raison de faire le rapproche­ment, et de nous rappeler le juge­ment que Goldoni, qui se refusaità croire incompatibles enseigne­ment et divertissement, prononçaitcontre une « commedia." exténuée,condamnée à mort pour avoir sé­paré le Théâtre et le Monde.

Depuis lors, Brecht est passé parlà, et il faut bien reconnaître qu'aumoment où chacun se demande àquoi peut servir aujourd'hui le théâ­tre, il est tentant de répondre parle propos très. brechtien de PatriceChéreau :. il peut servir à nous ra­cont~r des histoires où on nousmontre comment ça fonctionne en­tre les hommes, c'est-à-dire à nouséclairer sur les mécanismes dessociétés et sur les jeux qui s'yjouent. Comme aussi force est biende constater que dans le néant duthéâtre à Paris, les seuls spectaclesrécents qui aient eu quelque choseà nous dire sont ceux qui s'inscri­vènt dans cette perspective, que cesoit Homme pour homme (dans lamise en scène de Sobel, à Genne­villiers), la grande Enquête de F.F.Kulpa, par Vitez, Toiler par Chéreauet 1789 de Mnouchkine (ces deux­là il est vrai à Milan), ou même, en­core que ces spectacles ne seveuillent pas brechtiens, Octobre àAngoulême, ou la Moscheta vuepar Maréchal.

Pour le Marquis de Montefoscodevenu (le Feudataire dans la se­conde version), J.P. Vincent etJean Jourdheuil, qui l'ont fait joueret traduite pour la première foisen France, avaient la partie bellepour lire la pièce, comme ils l'ontfait,- à travers les strictes lunettesde Brecht. Il n'est pas en effet unmoment de l'imbroglio, dans la piè­ce de Goldoni, qui ne soit constituépar le jeu des contradictions socia­les. Aristocratie, bourgeoisie, mé­tayérs, paysans sont aux prises.Dans cette œuvre contemporainede la Locandiera (1752) Goldonicontinue de régler son compte à

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une aristocratie pourrie, dont il n'acessé de ridiculiser l'hégémonie,ici un jeune marquis, gamin taréqui ne quitte les jupes de sa Mar­quise de mère que pour tenter demettre .à mal (droit de cuissagetoujours) les filles du village: venuprendre possession d'un héritageacquis .par escroquerie, ce DonJuan œdipéen et minable va mettrele feu aux poudres. Mais les nota­bles du bourg, bourgeois empê~rés

dans leur obséquiosité dérisoire,leurs histoires de gros sous etleurs rodomontades de maris ba­foués ne sont pas gâtés davantage(ni non plus leurs caquetantesépouses), quelque sympathie queGoldoni ait eue, un moment,' pourune bourgeoisie en lutte contre unearistocratie en décomposition. Ilsemble bien que, dans ce monde enfaillite, seuls ceux qui n'ont rien àperdre, ce menu peuple vers lequelse tournera, pour finir, le Goldonide Barouf à Chiogga - ici des pay­sans pauvres, d'autant plus libresqu'ils n'ont rien - sont présentéscomme porteurs d'un espoir. Bref,la chose sociale fait tout le maté­riau de la pièce; même Arlequin etPantalon, vestiges de la «comme­dia JO se retrouvent ici insérés dansla société : l'un est garde-champê­tre communal (et prolétaire), l'au­tre, intendant de la Marquise.

A partir de ces données de Gol­doni, le déchiffrage de Vincent etJourdheuil est remarquablement In­telligent, et clair; un peu systéma­tique aussi, ce serait la seule réser­ve : une volonté comme enragéed'élucidation brechtienne, d'analysesocio-politique, le plaisir forcené derendre tout explicite, et de tout ex­pliquer par le mécanisme des clas­ses; non seulement il n'y a pas unpersonnage qui ne soit envisagécomme prenant part à cette luttedes classes, et des groupes, mais

il n'y a pas un geste, pas une into­nation, pas un gag, qui ne vise àrévéler· une situation, à nous direcomment les situations transfor­ment les caractères.

Mais comme ce remarquabletravail scénique se fonde sur unstyle de jeu qui sert aussi bien lerire que l'analyse, le plaisir estconstant : un jeu distancié, souve­rainement libre, à travers lequell'acteur, en parodiant les gestesconvenus du rite social, joue àvecson personnage, le commente, lecritique et nous dit le plaisir qu'ilprend à s'amuser de lui, d'où l'im­pression de fête - une fête del'esprit et du corps - que laissecette mise en scène, notammentgrâce au jeu de l'étonnant acteurqu'est François Dunoyer, Arlequinpaumé mais indescriptible, r,evu àtravers Buster Keaton et les MarxBrothers.

Certes, les décors et les costu­mes qui sont beaux, rappellent ou­trageusement Chéreau : hommage?citation? référence irivolontaire?Il est vrai que Chéreau et Vincenton travaillé longtemps· ensemble.Mais tout y est :' les ruines vieuxrose - société qui se déglingue ­velours 'blancs et lumière blanche,grands manteaux et chapeaux dansles beige et les grège, etc. - Ilétait peut-être maladroitd'accen­tuer cette référence, car il est bienévident qu'il n'y a pas dans ce spec­tacle, si lumineux et drôle, et intel­ligent qu'il soit, l'exceptionnellepuissance créatrice de Chéreau,son génie inventif, ce sceau, cettegriffe, dont il marque chacun de sesspectacles et qui laisse à chaquefois .Ie critique médusé : on vientencore d'en être frappé avec leToiler qu'il vient de créer à Milan).

Gilles Sandier

1Jerry Lewis

. Ya, ya, mon généralElysées Lincoln IlSaint-Germain village

Au premier regard, Which way tothe front est une démystification.Il exploite la recette du film decommando dont, sinon le prototype,du moins le modèle le plus achevéreste les Douze salopards de Ro­bert Aldrich, tout en déréglant sesressorts et ses engrenages. La ma­chine continue de fonctionner maisson mouvement, comme convaincude sa futilité et de sa nuisance, neconsent plus qu'à tourner au hasardou, au mieux, à l'inverse. A la placedu baroudeur impassible, maître lu­cide et farouche de la vie et de lamort, un magnat las et terrifié delui-même. Des laissés pour compte,réformés comme leur capitaine,prennent la place des repris de jus­tice sauvages et héroïques. Le Noir,traditiqnnel otage du libéralisme,n'est plus l'intellectuel, ou le pur,du groupe mais, cyniquement, lechauffeur du milliardaire. L'aventu­re même, jadis marche hallucinée,ponctuée des brutalités sanglantesvouées au frémissement délicieuxdu spectateur, se transforme enpromenade nonchalante.

Ce serait toutefois appauvrir ledernier film de Jerry Lewis que d'yvoir une simple parodie. Au moinsau cinéma, l'apparition du dérisoi­re sonne le glas des genres et desséries. Elle est le dernier soubre­saut commercial d'un moribond,l'ultime exploitation possible, parles Stooges, Abbott et Costello,jadis, d'un filon épuisé. Sans doute,Which way... entreprise commer­ciale aussi" obéit-il partiellement àla loi, mais cette soumission restesecondaire. La raison du film estailleurs, dans le retournement sin­gulier d'une classification. JerryLewis refuse le choix traditionnelentre le comique psychologique,classique, et le comique matériel,d'objets ou de situations, cher auburlesque et au slapstick, pour dé­couvrir un chemin plusieurs foisentr'aperçu, par lui-même et pard'autres mais dont l'explorationn'est pas moins nouvelle et, pourla première fois, délibérée.

Nouvelle d'abord par ce qu'ellerejette. Which. way... ne manifesteplus, vis-à-vis des choses et desévénements, aucune agressivité. LetOI1 est celUi d'une désinvolture su­perbe. Pour Brendan Byers III la ri-

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Entre Jerry et Lewispar Louis Seguin

44, rue J-*Malstre • PARI8-XVIIIe

tion. Kesselring est un nazi, soit.selon l'optique parfaitement justede l'auteur, non un génie du malmais un pantin vil et odieux, ungrotesque cafouilleux, dont les bé­vues, bien qu'orientées par l'impos­teur, paraîtront couler de source. Apeine dans la place, il fait subir audouble le même traitement qu'auxS.S. qu'il est amené à décorer, unmatraquage vengeur. Ce faisant, Ilrefuse toute métaphysique deconfection et toute méditation mo­rose. Il ne s'arrête pas à donnerune issue favorable à la chasse, Ilen brise la contradiction et du mê­me élan dépasse son objectif.

Le double maudit, traqué, . Investiet méprisé va permettre une autreconfrontation et une autre des­truction. Brendan Byers III s'enprend à Hitler lui-même. Sidney Mil·1er, qui incarne le führer, saute, ef·frayé, sur une table avec le mêmemouvement que Lewis avait jadispour se réfugier dans les bras deDean Martin et ce rappel fragmen­taire d'identité, d'inspiration cha­plinesque, est là pour signifier quesi le faux Kesselring séduit, cajole,bafoue et dynamite le maître del'Europe, ce n'est pas seulementpour donner à l'auteur le plaisirgratuit de refaire l'histoire à sonprofit. C'est aussi et surtout pa~c~

que cet anéantissement est dans lalogique accélérée du projet initiai,logique peu euclidienne d'ailleurspuisque la volonté s'y transformedélibérément en velléité, en volontéfeinte, jouée et qui profite de safiction et de son jeu. La proie estdevenue appât et prétexte, ainsiqu'en témoigne le rebondissementfinal. Incapable de s'arrêter, Lewiss'en prend au Japon, en attendant...

Ainsi, au-delà de l'imitation, dE!la compétition.et de l'hallali, Whichway... est, poussé jusqu'au paroxys­me de la jubilation (le rire du spec­tateur est une sécrétion de sa pro­pre euphorie), un cinéma Impéria­liste de l'exploitation .de sol-mê~.

Louis Seguin

chesse n'est plus un moyen deconquérir mais une possibilité dedédaigner. Que l'armée des Etats­Unis. refuse de se vendre n'est pasle signe de sa vertu mais la tared'une sottise irrémédiable, un re­fus d'accéder à l'ordre du dandys­me que toute une part du film dé­veloppera. Inversement les prota­gonistes, parce qu'ils acceptentleur achat, sont tenus pour dignesd'estime; leur accord est la partievisible d'un mépris fondamental.

Une maladresseparfaite

L'équipement du commando, sur­vêtement de luxe, uniforme degrand faiseur, mitraillettes plaquéesor et Rolls de campagne, est, demême, magnifié, détourné dè savocation d'instrument guerrier com­me les personnages renient leur'destin de héros. Son utilisation, parinadvertance toujours, est d'unemaladresse parfaite. Au cours d'un"entraînement pourtant simplifié parles ressources de l'hydraulique etdu confort, les mitraillettes perfo­rent les voitures qui passent tan­dis que les obus de mortier rava­gent les. stations-services du' voisi­nage. A quoi bon d'ailleurs l'effica­cité? L'aventure est à l'image duyacht qui emmène l'équipe versl'Europe. Elle glisse, dédaigneuse,médusant le danger, à peine bercéepar la houle lente d'une mer d'huile.Lorsqu'il faut investir une forte­resse et desceller une grille pourqu'un général nazi s'y engouffrecomme dans une trappe, l'opérationest menée avec un mépris sardo­nique des règles. Les envahisseursse glissent derrière les sentinellesfigées avec -la démarche des créa­tures de Chuck Jones. Ils font brû­ler un chalumeau jusque sous lespieds d'officiers insensibles, co­gnent à tour de bras et accumulentles fausses captures sans provo­quer la moindre réaction. Leconcret est devenu si malléable, sibien soumis à la puissance qui leprovoque, qu'il finit par renoncer àla lutte, s'effacer de lui-même, allerau-devant de sa propre défaite.

Reste à savoir au profit de quoi,ou plutôt de qui, s'effectue la re­traite. L'évidence de la réponse neva pas 'sans incertitude. Dire qu'ils'agit de l'auteur, confondu avec lehéros, ne suffit pas à rendre comptede l'originalité de Which way... car,d'une part, il est établi qu'~u ciné­ma le propre des grands acteurscomiques est d'être leurs propreS

fabricants et, d'autre part, la car­rière de Jerry Lewis apparaît déjàcomme un perpétuel affrontementavec le double. En 1958, dans Sim­ple Simon ou l'anti.James Dean,premier écrit sérieux, en avance deplusieurs années, sur la vedette,alors, de Artists and Models (Posi­tif, n° 29), Robert Benayoun insatia­ble inventeur, exégète et récipien­daire, décrivait par le menu le dé­doublement de Joseph Levitch, pro­ducteur cerné de courtisans et degardes du corps (il parlait, prémo­nitoire, de • général d'une cliquestipendiée.), et de Jerry Lewis,créature pathétique et incertaine.C'était dix ans après les débuts deMy Friend Irma et .douze ans avantWhich way... L'affrontement, et lapoursuite, n'ont jamais cessé, maisdepuis quelque temps on sentaitchez le chasseur une résolutionnouvelle. En 1963, Jekyll" avait ététout prêt, dans The Nutty Professar,de rejoindre Hyde, ou, ce qui re­vient au même, de se laisser re­joindre par lui, mais le piègé man­quait encore <le précision.' Whichway... rompt alors avec le passé etreprend, avec le ferme propos deforcer enfin la proie, la tactique surune nouvelle base et d'abord, com­me on l'a vu, en éliminant toutepossibilité de distraçtion.

Les mobilesde la quête

Dans un premier temps, il fallaitpréciser les mobiles de la quête,établir la certitude d'un déchire­ment et codifier les simulacres dela chasse. L'opération est vite ethabilement menée. Le ql,ladragé­naire superbe qui s'avance dansun murmure de servilité discrete,/le voici qui médite un moment àl'écart puis qui se retourne versle public (les témoins réels, je veuxdire les. figurants du film, ne levoient pas), grimaçant, en train detéter spasmodiquement une sucettede plastique. Un peu plus tard,pour avoir, épreuve qu'il ne peutsupporter, rencontré une résistan­ce, il se désorganise soudain, sedétruit en une succession frénéti­de tics.

Après le mobile, l'objectif. Bren~

dan Byers III découvre que le ma­réchal Kesselring lui ressemblecomme un faux-frère et décide, par­tant pour l'Italie, de le capturer etde le remplacer. Enfin, la stratégie.Les épaves qu'il achète, vêt, nour­rit et commande sont plus que des

larbins disposé à la flatterie; ilssont des miroirs, prétextes à af­frontements préparatoires. L'und'en­tre eux, Jan Murray, le démontre enlui ressortant avec talent la suitecomplète de ses contorsions. Unsecond, Dack Rambo, porte le nomarboré par le double du Nutty pro­fessor : Love.

Le profil et l'épaisseur mêmes deces personnages secondaires ren­voient inlassablement à Jerry Le­wis. Ils sont à la fois les' preuvessupplémentaires de son existenceet les faire valoir de son génie. Leprouve ce qui est la scène clé dufilm. Avant l'assaut et la captureil s'agit de recréer la démarche deKesselring, allure infiniment parti­culière, secret mystérieux decette personnalité que l'on est ve­nu traquer. Chacun alors de propo­ser sa version et toutes les imita­tions sont brillantes et plaisantesjusqu'au moment ou Lewis lui-mê­me entre en scène et, en quelquespas, surclasse ses prédécesseursde manière d'autant plus définitiveque le modèle est un autre lui-mê­me. Il ne reste plus, dit alors quel­qu'un, qu'à imiter l'âme du double.

Pas d'extrapolationhistoriqùe

Malgré les implications romanti­ques du thème, il faut se garderalors de toute extrapolation histori­que. Which way... n'est pas unenouvelle version de la Lutteavec l'Ange. Il est bien entenduque l'alter ego, si Lewis le'poursuit,ce n'est pas pour. lui arracher unsecret ontologique, mais pourl'écraser sous son propre ridicule.L'investissement n'a d'autre raison,au moins au départ; que la destruc-

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La Qulnulne Uttéralre, du 1er au 15 janvier 1971 27

Page 28: La Quinzaine littéraire n°109

, . .ecrlV81D

'l'llUYUIOl!f Comment devenirde télévision ?

du ,. Novembre 1970 au 31 Mars 1971

13 DÉPARTS PAR SEMAINE

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rationalisation des études mais ils'est heurté à deux problèmes in­solubles : l'impossibilité de faireune prospection sérieuse en raisonde la méfiance des écrivains àl'égard de l'O.R.T.F.; l'inefficacitétotale, puisqu'il n'est tenu aucuncompte de ses avis. Sa sélectionreste entièrement platonique tantque le choix des émissions est leprivilège des directeurs de chaîne.Après dix mois de fonctionnementce Bureau est inutile.

Olivier Misaine

Les neuf conditions

à remplir

Alors, comment faire pour deve­nir écrivain de télévision àl'O.R.T.F., tel qu'il est?

1) Avoir le goût du jeu commeà la Loterie Nationale et, en plus,une très grande patience.

2) Etudier avec attention la grilledes programmes pour savoir ce quise fait et ce qui ne se fait pas.

3) User du langage sans sortirdes normes en vigueur.

4) Eviter la politique et l'érotis­me.

5) N'écrire que des textes qui seterminent bien, afin de ne pas trau­matiser les téléspectateurs.

6) Déposer ses projets auB.C.T.I.P.E. (3).

7) Convaincre un des • grandsréalisateurs. (ceux qui sont à peuprès sûrs de réaliser leurs projets)de s'intéresser à votre proposition.

8) Faire intervenir auprès de laDirection Générale quelques amispolitiques;

9) Etre l'ami d'un directeur dechaîne.

Ecrivains, voici quelques recettespour voir vos œuvres sur le petitécran. Elles ne sont pas garantiescar le hasard joue aussi beaucoupet la concurrence est rude. Maisn'oubliez pas que la radio (qui tou­che un moindre public et rapportemoins de droits) dispose de plusd'heures d'antennes et d'une plusgrande marge d'audace; n'oubliezpas non plus que certains agentslittéraires peuvent vous mettre encontact avec des télévisions étran­gères...

(1) Cf, le rapport du Groupe lettres dela Commission des Affaires culturelles duVI' Plan, dont des extraits ont été publiéspar. le Monde. du 27 novembre 1970.

(2) Moyen électronique de prise de vues.(3) 36, rue des Alouettes, Paris-Hr.

sion. Remarquons d'abord que latélévision française est une decelles qui, en Europe, font le moinsappel aux écrivains tant le nombrede dramatiques réalisées y est fai­ble; celle aussi, sans doute, quirepousse le plus les écrivains detalent par son système de sélec­tion, à tel point que nombreux sontdéjà ceux qui préfèrent travaillerpour la B.B.C. (Grande-Bretagne), laBavaria (R.FA) ou la RAI. (Italie).

La R.T.F., puis l'O.R.T.F. ont tout·fait pour échauder les écrivains enmettant sur pied un très curieuxsystème d'humiliation qui va del'absence totale de correspondance- pour un projet déposé dont onn'aura jamais de nouvelles - àl'interminable délai de paiement(médiocre, d'ailleurs) en passantpar la non-motivation des refus, lanon-réalisation de textes comman­dés, la non-diffusion de textes réa­lisés, etc.

La politique suivie jusqu'à cetteannée par le Service des Dramati­ques pour obéir et plaire au Conseild'Administration et à la Directionde l'Office a été déplorable. Au­cun écrivain n'a été ici révélé,contrairement à ce qui s'est passéen Allemagne, et surtout en Gran­de-Bretagne. On s'est contentéd'inviter quelques privilégiés à secouler dans le moule de la grilledes programmes sans tenter au­cune expérience intéressante, sansprendre le moindre risque à l'égardde la création. Le seul résultat aété de former des fabricants de• dramatiques. qui se contententle plus souvent de mettre à unenouvelle sauce les thèmes éculésdu cinéma, du théâtre et du romanles plus désuets. Quelques nomspris au hasard permettent de sefaire-une idée: Christine Arnothy,Jean Cosmos, Yves Jamiaque,Youri, Denise Lemaresquier... On enreste pantois surtout si l'on sait ceque cela doit au copinage et au• piston. et si l'on ajoute que lapolitique suivie à l'égard des réa­lisateurs est à peu près analogue.

On a pu croire depuis près d'unan qu'un effort allait être fait. Lacréation d'un Bureau Central desTextes, Idées et Projets d'Emis­sions, installé dans les bâtimentsdes Buttes-Chaumont a pu faire es­pérer aux auteurs qu'ils trouve­raient de meilleurs interlocuteurs,que leurs projets seraient plus sé­rieusement étudiés, que la sélec­tion serait mieux faite. Or, pourl'instant, ce B.C.T.I.P.E. est unéchec. Il a bien permis une certaine

télévision n'est encore pour lesécrivains (mais ne devrait-elle pasl'être pour tout son public ?) qu'unobjet de scandale.

Les écrivains sont directementintéressés par la T.V. sur deuxplans:

1) Premier moyen d'information,la T.V. n'accorde que peu de placeà la littérature et d'une manièrequi mérite une profonde critique.Quelques émissi'ons spécialiséeslaissent échapper l'essentiel et ré­duisent à peu près la littératureà un art d'agrément.

2) La T.V. emploie des auteurspour produire un certain nombred'émissions et à ce titre leur com­mande des œuvres·: scénarios,adaptations, dialogues pour films,séries et feuilletons; textes de piè­ces réalisées en video (2). Ces au­teurs sont donc des écrivains detélévision.

Qui sont les écrivains de télévi­sion? Comment peut-on devenirécrivain de télévision? - tellessont les deux questions qu'on doitse poser pour dévoiler l'articula­tion de l'écriture et de la télévi-

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La plupart des écrivains produitdes livres, mais au même titre sontécrivains ceux dont l'écriture visele théâtre, le cinéma, la radio ou latélévision. Si la situation des pro­ducteurs de livres en France est au­jourd'hui déplorable (1) la situationdes écrivains dans les domaines au­tres que ceux du livre est pire :vendre le scénario d'un film, fairejouer une pièce, voir réaliser unedramatique T.V. sont des rêves aus­si fous que ceux d'un joueur detiercé.

.La T.V. est aujourd'hui le mediumde pointe et elle est déjà lourde deson propre dépassement : les ima­ges en cassettes, d'ici cinq ans,seront les plus importantes mar­chandises du loisir. culturel -. Lesécrivains devraient donc trouver làun champ de travail leur permet­tant de se livrer à de nouvelles ex­périences, de prendre pied dans leréseau moderne des communica­tions, de se consoler de la méven­te du livre et de la désuétude crois­sante de la littérature éditée... Cet­te hypothèse de bon sens est purefolie par rapport à la réalité. La

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Page 29: La Quinzaine littéraire n°109

Livres publiés du 5 au 20 décembrecette nouvelle série, 32 ill. d'André Masson à travers le portrait littéraire mutations qui .peuvent

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une vocation alors fort indissociables collaboration derapt d'une jeune fille par Alain Dorémieux • Lou Andreas-Salomé

décriée : celle de la de Malraux. T. van der Elstet sur ses Coll. «Ailleurs et Correspondance avec

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Laffont, 272 p., 18 F 1912-1936, suivi du Charles de Gaulle L'amour dans les 32 hors-texte enFrancis van Eyckeen Un roman de science- Journal d'une année 1890-1970 romans de François couleursWilly pour les intimes fiction quelque peu (1912-1913) ill. d'A. Gobert Mauriac Bordas, 640 p., 96 FL'Or du Temps, psychédélique, qui a Trad. de l'allemand par 650 photos Editions Universitaires, Du romantisme166 p., 24 F pour cadre le monde Lily Jumel, avant-propos Vilo, 400 p., 88 F 112 p., 29,95 F au symbolisme,Aventures policières en 1992. d'Ernst Pfeiffer La vie de Charles de Les clefs d'une œuvre en passant par laet érotiques. Gallimard, 496 p" 39 F Gaulle, de l'enfance à littéraire demeurée réaction naturaliste

Voir le n° 26 de la la mort, reconstituée par jusqu'au bout sous le et sa contre-réaction

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Page 30: La Quinzaine littéraire n°109

l'époque contemporaineTrad. de l'anglais parD. Paveleski, avec lacollaboration deM. Chpolyanski22 cartesColl .• L'UniversHistorique -Seuil, 1 200 p., 95 FLe premier volume decette nouvelle collectionqui se propose d'établirune médiation entrel'Université et le publicamateur d'histoire.

Enric EspieutHistoire de l'Occitanie2 cartes, :3 eaux-fortesoriginales deJ.-L. SévéracEditions Cap E Cap,300 p., 24,50 FL'aventure d'unecivilisation qui, en dépitdes ravages d'unecentralisation excessive,a continué de croireen elle-même.

Gérard IsraëlJacques LebarQuand Jérusalem brûlait8 p. de hors-texteColl. • Ce jour-là­Laffont, 280 p., 20 FLa chute de Jérusalem(le 29 août de l'an 70),reconstituée d'après desdocuments peu connuset replacée dans lalongue histoire d'Israël.

La France à l'époquenapoléonienneGraphiques, tableauxA. Colin, 562 p., 18 FLe texte descommunications et desdiscussions du Colloqueorganisé à la Sorbonneen octobre 1969.

M. MollatP. WolffOngles bleusJacques et CiomplColl. • Les grandesvaguesrévolutionnaires -Calmann-Lévy,330 p., 22,30 FLes révolutionspopulaires en Europeau XIV· et XV· siècles.

• Louise MichelLa CommuneStock, 480 p., 18 FRéédition de ce livrecélèbre, dans la répliquede son édition originale,et augmentée dessouvenirs de son éditeurainsi que de sacorrespondance avecLouise Michel.

• Régine PernoudJeanne devantles CauchonsSeuil, 128 p., 13 FUn essai sur Jeanned'Arc, où l'auteur

Jean PailhousLa représentatiOiIde l'espace urbain(L'e:cemple duchauffeur de taxi)P.U.F., 104 p., 17 FUne analyse, étayée surun exemple précis, desmécanismes mis en jeupar l'homme pouraClluérir la connaissanceet la maîtrise del'espace urbain.

du Dr DjianLaffont, 368 p., 20 FUn ouvrage rédigé parun groupe de médecinset de biologistes àl'intention de tousles publics.

Jean SendyL'ère du VerseauLa fin de l'illusionhumaniste8 p. de hors-texteColl. • Les Enigmes del'Univers»Laffont, 352 p., 20 FUne étude qui s'efforcede répondre auxquestions que l'on peutse poser de nos jourssur la place de l'hommedans le cosmos.

Mario MattioniSur le chemin desanciens potiers36 illustrationsEditions Maritimes etd'Outremer, diff. Seuil,152 p., 28 F .Par le directeur duMusée Départementalde Fort-de-France, undocument de premièremain sur le mondemétaphysique indien etsur ses soubassementsarchéologiques.

Dictionnairearchéologiquede la Bible48 illustrationsF. Hazan, 350 p., 90 FUn répertoire des nomsgéographiques de laTerre Sainte, avec leursdéfinitions actuelles.

Henry ContamineLa victoire de laMarne (9 sept. 1914)32 pl. hors texte et3 dépliantsColl. • Trente journéesqui ont fait la France»Gallimard, 464 p., 42 FUne étude trèsnouvelle, qui s'appuiesur une documentationen grande partie inédite.

HISTOIRE

Francis DvornlkLes Slaves, histoire etcivilisation, del'Antiquité aux débuts de

Bernard HaldaMaine de BiranBordas, 192 p., 10 FLa vie et la pensée dece philosophe dontl'influence sur lesdoctrines actuelles estde plus en plus marquée.

J. Gaston BardetLe trésor secretd'Ishrael4 p. de hors-texteColl. • Les énigmesde l'univers­Laffont, 472 p., 25 FUne analyse de lascissionhébraïco-chrétienneet du chisme entre lesEglises d'Orient etd'Occident, fondée surl'exégèse desLettres-Nombreshébraïques..

La médecinemoléculaireOuvrage collectifsous la direction

Jean BaubérotLe tort d'existerDucros, 264 p., 12 FUne analyse originaledes problèmesthéoriques poséspar le conflitjudéo-palestinien.

Gérard LebrunKant et la fin riela métaphysiqueA. Colin, 528 p., 89 FEssai sur la • critilluede la faculté de juger -.

François DagognetLe catalogue de la vieP.LJ.F., 192 p., 25 FUne tentativeaudacieuse declassification desespèces vivantes.

ESSAIS

• Georges MouninIntroduction à lasémiologieColl. • Le senscommun -Editions de Minuit,224 p., 20 FPar l'auteur de • Clefspour la linguistique - etde • La Communicationpoétique -.

• J.P. BrissetLa grammaire logiquesuivie de La Sciencede DieuPréface de M. FoucaultTchou, 337 p., 32 F• Doctrine d'un ordrelinguistique où se trouvedémontré que leshommes étaientautrefois desgrenouilles... -.

Robert S. de RoppL'énergie sexuelleTrad. de l'américainpar Denis VerguinLaffont, 304 p., 22 FLe rôle de l'énergiesexuelle dans lecomportement humain,étudié d'un point de vueà la fois physiologiqueet historique.

K. SayabalianLe bonheur est à vousSodi, 204 p.Comment échapper à lapitoyable condition quiest celle de l'hommedans le mondecontemporain .

Miguel de la PuenteCarl Rogers : de lapsychanalyse àl'enseignementEd. de l'Epi, 376 p., 39 FUne présentation del'œuvre de Carl Rogersreplacée dans soncontexte culturelet personnel.

Fayard, 320 p., 25 FUn bilan des travauxsur les phénomènesextrasensoriels menésau Laboratoire deparapsychologie del'Université Duke.

PHILOSOPHIE

David VictoroffPsychosociologie dela publicitéP.U.F., 144 p., 12 FUne étude, appuyée surles travaux les plusrécents, des différentsaspects psychiques etsociaux de la publicité .

Francisco BravoLa vision de l'histoirechez Teilhard deChardinCerf, 448 p., 63 FLa réflexion de Teilhardsur le devenir humainet sa position parrapport à Saint Augustin,Hegel, Dilthey etHeidegger.

Th. Isaac RubinVivre ses colèresTrad. de l'américainpar D. BarbierLaffont, 192 p., 15 FDu bon usage d'unsentiment beaucoup plus

. salutaire qu'on ne lecroit communément.

"Institutionpsychiatrique.

Roland-Claude GoriAnnick BondouxLe vécu de l'alcooliqueIllustré de dessinsd'alcooliquesEditions Universitaires,200 p., 39,95 FUne étude à la foisstructurale etdescriptive, qui metl'accent sur l'échecde la thérapeutiquecommunément en usage.

Herbert MarcuseCulture et sociétéEditions de Minuit,392 p., 24 FUn recueil d'articlesécrits entre 1933 et1968 et qui constituentles fondements de lapensée de Marcuse surle travail et sur le lois,ir.

Edgar MorinL'homme et la mortSeuil, 352 p., 29 FNouvelle édition, revue .Theodore Roszaket complétée, du Iivr'e- Vers une contre-clé d'Edgar Morin, pa...u culturepour la première fois Trad. de l'américainen 1951. Stock, 320 p., 25 F

Une analyse originaledu' phénomènecontestataire.

Edgar MorinJournalde CalifornieSeuil, 272 p., 18 FLe journal rapportépar Edgar Morin deson récent voyageaux U.SA

Siegfried NadelLa théorie de lastructure socialeTraduction etprésentation parJ. FavretColl. • Le senscommun -,Editions de Minuit,232 p., 20 FPar un précurseur de lapensée structuraliste,né à Vienne en 1903,émigré à Londres en1932, mort en 1956.

Wardell B. PomeroyLes filles et le sexeTrad. de l'anglaispar Solange BernardBuchet/Chastel,186 p.Un guide destiné auxadolescentes et quis'attache à mettre enévidence les facteurspsychologiques,physiologiques etsociaux impliqués parleur développementsexuel.

Louisa E. RhineLes voles secrètesde l'espritColl.• Expériencepsychique -

René RancœurBibliographie de lalittérature i,ançaisedu Moyen Age à nosJoursA. Colin, 340 p., 33 FL'année 1969.

SOCIOLOGIEPSYCHOLOGIE

Aspirations ettransformationssocialesSous la direction dePaul·Henry Chombartde LauweAnthropos, 388 p., 40 FTextes de deuxcolloques organisésavec le concours del'Unesco, del'AssociationInternationale deSociologie, du C.N.R.S.et de l'Ecole Pratiquedes Hautes Etudes.

Jacques MonférierLe suicide12 IllustrationsBordas, 192 p., 12 FUn étude comparativedes différentesorientations que cethème a Inspiréesà la littératurede tous les temps.

.Domlnique BarrucandLa catharsis dans lethéâtre, la psychanalyseet la psychothérapiede groupe .Ed. de l'Epi, 400 p., 45 FLes principales formesd'actionpsychothérapique et lesmodalités du processus.cathartique.

Sainte-Beuve,LamartineA. Colin, 152 p., 22 FComptes rendus descolloques de la Sociétéd'Histoire littéraire(8 novembre 69).

écrivainsséparés avecviolence mais unis dansune même démarchecréative.

• David CooperPsychiatrie etantl-psychlatrleTrad. de l'anglaispar Michel BraudeauColl. • Le ChampFreudien -Seuil, 192 p., 18 FLa prise de position d'unpsychiatre anglaiscontre la violencesubtile qui, née dans lafamille ou le milieu,s'exerce à travers

30

Page 31: La Quinzaine littéraire n°109

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Les sept pendusPerspective cavalièreLa génération montanteHistoires confidentiellesFugueUne souris dans l'armoireLast Exit to BrooklynLe mystérieux mandala

LITTERATURE

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Leonid AndreevAndré BretonGisela ElsnerPierre HerbartRoger LaporteSiavomir MrozekHubert SelbyPatrick White

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~ë og",

ElU lU=5::g ~.!!:a.ld ~ ..C3li. z;

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(Calmann-Lévy) 4 25 Michel Déon Les poneys sauvages (Gallimard) 6 36 François Nourissier La crève (Grasset) 17 Jean Freustié Isabelle ou l'arrière-saison 1

(ta Table ronde)8 François Jacob La logique du vivant (Gallimard) 19 Erich Segal Love Story (Flammarion) 3 4

10 Anne Hébert Kamouraska (Le Seuil) 7 2

Andreï AmalrikLou Andreas-SaloméLucien Goldmann

ESSAIS

Liste établie d'après les renseignements donnés par les libraires suivants :Biarritz, la Presse. - Brest, la Cité. - Dijon, t'Université. - Issoudun,Cherrier. - Lille, le Furet du Nord. - Lyon, la Proue. - Montpellier, Sau·ramps.·- Nice, Rudin. - Orléans, Jeanne d'Arc. - Paris, les Aliscans, Aude,au Chariot d'or, Delatte, Fontaine, la Hune, Julien-Comic, Présence du temps,Variété, Weil. - Poitiers, l'Université. - Rennes, les Nourritures terrestres.- Royan. Magellan - Strasbourg-Esplanade, les Facultés. - Toulon, Bonnaud.- Tournai, Decallonne. - Vichy, Royale.

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La Qnlnplne Uttéralre, du 1er au' 15 janvier 1971 31

Page 32: La Quinzaine littéraire n°109

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