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° 1758 6 2018 49 48 ° 1758 6 2018 © DOSSIER LA RECHERCHE, UNE VOIE D’AVENIR POUR LES VÉTÉRINAIRES ? Souvent mal considérée, la recherche vétérinaire est un grand enjeu de demain pour promouvoir le rayonnement de notre profession à l’échelle nationale ainsi qu’à l’international. À ces fins, les initiatives se multiplient au sein des écoles et des perspectives nouvelles voient le jour. Faisons le point.

LA RECHERCHE,...2018/04/06  · 50 1758 6 2018 1758 6 2018 51 L a science a joué, au cours de l’histoire, un rôle stratégique dans l’ascension sociale de la pro-fession vétérinaire

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N° 1758 I 6 AVRIL 2018 I LA SEMAINE VÉTÉRINAIRE I 4948 I LA SEMAINE VÉTÉRINAIRE I N° 1758 I 6 AVRIL 2018

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LA RECHERCHE,UNE VOIE D’AVENIR

POUR LES VÉTÉRINAIRES ?Souvent mal considérée, la recherche vétérinaire est un grand enjeu dedemain pour promouvoir le rayonnement de notre profession à l’échelle

nationale ainsi qu’à l’international. À ces fins, les initiatives se multiplient ausein des écoles et des perspectives nouvelles voient le jour. Faisons le point.

D O S S I E R R É A L I S É P A R C L O T H I L D E B A R D E

Page 2: LA RECHERCHE,...2018/04/06  · 50 1758 6 2018 1758 6 2018 51 L a science a joué, au cours de l’histoire, un rôle stratégique dans l’ascension sociale de la pro-fession vétérinaire

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La science a joué, au cours de l’histoire, un rôlestratégique dans l’ascension sociale de la pro-fession vétérinaire et dans ses différentesconquêtes institutionnelles. Les vétérinaires, ini-tialement formés pour être des professionnelsde terrain, ont vu leurs missions et leur statutévoluer au sein de la société, principalementgrâce à leur participation aux découvertes ma-

jeures en recherche vétérinaire et humaine à la fin du XIXe

siècle et au début du XXe. Aujourd’hui encore, les lienstoujours très étroits entre la santé animale et la santéhumaine, conceptualisés dans la notion du One World,One Health, donnent la priorité aux problématiques desanté publique et de sécurité alimentaire dans les thé-matiques de recherche au sein des écoles nationales vé-térinaires (ENV).Cependant, en dépit de son importance pour la santé del’animal et de l’homme et pour l’économie du pays, la re-cherche vétérinaire française (et plus particulièrement larecherche clinique) n’est toujours pas assez connue etreconnue aux niveaux national et international, à la dif-férence de la recherche médicale1. Même si des initiativesnouvelles ont déjà vu le jour, elles devraient être complé-tées prochainement par de nouvelles mesures gouverne-mentales.

La recherche par des vétérinaires en école vétérinaire, un enjeu important

pour la professionL’attrait des étudiants vétérinaires pour la recherche resteencore faible actuellement. Par conséquent, les vétéri-naires sont peu nombreux à occuper des postes de re-cherche dans leur domaine, ce qui diminue d’autant plusla capacité de la profession à prendre des décisions pourorienter sa recherche. Ainsi, les vétérinaires ont souvent peu conscience de l’im-portance pour notre profession de promouvoir ces tra-vaux. Il s’agit pourtant d’un enjeu essentiel. Interrogé àce sujet, Laurent Tiret (DVM, PhD, HDR) souligne en effet

que « le progrès de notre profession passe par celui de la sciencevétérinaire, que seule peut garantir la recherche. Nous devonsdonc prendre part à cette recherche, au risque de redevenir desimples techniciens appliquant les découvertes de scientifiquesissus d’autres formations ». La participation à une recherchede qualité est donc la condition nécessaire au perfection-nement de la médecine vétérinaire. Par ailleurs, les tra-vaux de recherche, notamment en santé publique, peu-vent permettre aux vétérinaires d’occuper des postes dedécision clés. Cécile Adam, diplômée en 2013 de l’ENV deToulouse, note ainsi dans sa thèse2 que les inspecteursde la santé publique vétérinaire (ISPV), qui bénéficientpar leur formation à la fois d’aptitudes scientifiques (ini-tiation à la recherche) et de notions de management, sontdes interlocuteurs privilégiés des autorités publiques. Leuranalyse est jugée inestimable lors de la prise de décisionspolitiques sur des questions à composantes purementscientifiques ou pour instaurer des politiques publiquesen adéquation avec les besoins de la société. L’importancede la recherche auprès des ISPV illustre donc bien le faitque la recherche n’est pas qu’une obligation institution-nelle pour les universitaires, mais également un instru-ment de pouvoir pour ceux qui ont été formés par la re-cherche et non pour la recherche. Reste toutefois à savoir si, dès lors qu’il existe en Francedes établissements publics et privés où se conduisent desactivités reconnues de recherche vétérinaire, le dévelop-pement de la recherche au sein des ENV est bien néces-saire. Les conclusions remises dès 2009 dans le rapportde l’Académie vétérinaire de France sur la recherche vé-térinaire3 plaident en ce sens. En effet, il souligne le faitque la publication de travaux de qualité au sein des la-boratoires des ENV est indispensable au maintien et auperfectionnement du niveau d’enseignement vétérinairefrançais, mais aussi au rayonnement national et inter-national des écoles. De plus, la présence sur les écolesdes chercheurs vétérinaires donne aux étudiants unemeilleure visibilité quant à ce débouché. Ainsi, MatthiasKohlhauer, diplômé en 2012 de l’ENV d’Alfort (ENVA),

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jeune maître de conférences (MC) dans cette même école,ainsi qu’à l’Institut national de la santé et de la recherchemédicale (Inserm) et à l’université Paris-Est Créteil (Upec),nous a fait part de son expérience : « Mon projet s’estconstruit avec les années à l’école vétérinaire, j’ai pu bénéficierde l’expérience de chercheurs d’horizons divers au sein de l’école,dont nos enseignants-chercheurs (EC), qui m’ont permis deréaliser ma thèse dans un laboratoire de l’école. » Et, en ce quiconcerne plus particulièrement la recherche clinique ausein des ENV, le récent rapport du Conseil général de l’ali-mentation, de l’agriculture et des espaces ruraux(CGAAER) sur le “développement de la médecine vétéri-naire spécialisée des animaux de compagnie et animauxde sport dans les écoles nationales vétérinaires” recom-mande la mise en place d’actions pour la développer ausein des ENV afin de « maintenir et développer le niveauscientifique des équipes, pour la carrière des enseignants-cher-cheurs, et pour le rayonnement national et international deséquipes et des établissements (…). Elle est l’un des élémentsobjectifs des évaluations scientifiques par l’examen du nombreet du niveau des publications ». Enfin, la présence de vétérinaires est fortement appréciéeau sein des équipes de recherche pluridisciplinaires. « Laprésence des vétérinaires au sein des équipes de recherche estimportante car ils ont une vision globale des mécanismes phy-siologiques à l’échelle de l’animal par rapport aux chercheurs“purs” dont les connaissances se limitent à une échelle plus li-mitée au centre de leurs travaux de recherche », explique ainsiMarie Abitbol, diplômée de l’ENV d’Alfort en 1998, EC engénétique à VetAgro Sup. Laurent Tiret ajoute que « leurformation multi-espèces leur permet de se distinguer des mé-

decins par leur prédisposition à accueillir des mécanismes in-novants. En effet, ils savent qu’une même fonction peut êtrerégie par des mécanismes variés, par exemple. »

Une multiplication des initiatives pour promouvoirla recherche vétérinaire

Les doctorants vétérinaires sont encore peu nombreuxdans les ENV. Pourtant, de nombreuses initiatives se dé-veloppent pour les encourager à suivre cette voie. Les ECs’impliquent souvent personnellement pour attirer denouvelles recrues, notamment via la recherche de stagepour les étudiants. Ce fut notamment le cas pour Sou-heyla Benfrid, diplômée de l’ENV d’Alfort en 2015, doc-torante au Centre national de la recherche scientifique(CNRS) et au sein de l’unité de virologie structurale à l’Ins-titut Pasteur, qui nous a indiqué : « J’ai été attirée par la re-cherche lors de ma formation à l’ENVA grâce à nos professeursenseignants-chercheurs, qui transmettent leurs connaissancesà travers la découverte scientifique. C’est leur engagement quim’a incitée à opter pour cette filière. Ils sont très actifs pournous aider à trouver des stages de qualité dans différents or-ganismes, dont à l’international. » Et si les élèves ne viennentpas d’eux-mêmes voir les EC, ce sont ces derniers qui or-ganisent des événements afin de faire connaître leur tra-vail. Ainsi, des conférences ou des forums des métierssont organisés. Signalons le Passeport recherche, parcoursde formation obligatoire par la recherche tout au long ducursus vétérinaire, mis en place par Oniris et repris dansles autres ENV (encadré). Des événements informels semettent aussi en place. Le 21 décembre dernier, un caféscientifique s’est ainsi tenu à VetAgro Sup, sur le modèledes cafés littéraires. Mise en place par des chercheurs,cette rencontre a permis aux étudiants intéressés de dé-couvrir un sujet de recherche hors du cadre scolaire.Enfin, une option recherche et des sujets de thèse d’exer-cice en recherche sont proposés en fin de cursus danstoutes les ENV. Toutes ces initiatives sont aussi encouragées par les tra-vaux du Haut conseil de l’évaluation de la recherche etde l’enseignement supérieur (HCERES), qui évalue les ECsur les stratégies déployées en matière de recherche, maisaussi sur la valorisation de leurs travaux auprès des étu-diants. Par ailleurs, les organismes de recherche partenaires deslaboratoires des ENV sont aussi friands de vétérinairesdans leurs équipes de recherche. C’est le cas de l’Inserm,qui a initié il y a 2 ans un dispositif original d’incitationà la recherche pour les vétérinaires, présenté par JulietteHadchouel lors de la séance de l’Académie vétérinaire deFrance du 15 mars 20184. Chaque année, ils propo-

EXEMPLES D’INITIATIVES D’INCITATION À LA RECHERCHE, MENÉES À L’ÉCOLE NATIONALE VÉTÉRINAIRE D’ALFORT

- Café chercheur (obligatoire) en1re année d’école depuis trois ans :présentation des équipes de recherchede l’école, plaquettes d’informationdisponibles.- Passeport recherche (obligatoire) dela 1re à la dernière année : rencontresavec des chercheurs de l’école ou de

laboratoires extérieurs à la fin dechaque unité de compétence. Ilsexposent leurs thématiques derecherche en lien avec la thématique del’unité de compétence.- Programme Vocation chercheurs(volontariat) : conférence d’informationsur l’actualité de la recherche, initiation

aux techniques de laboratoire utiliséesen recherche et au mode defonctionnement des laboratoires.- Tutorat d’un professeur de l’école de la1re à la dernière année depuis trois ans :rôle de mentor, aide dans l’élaborationd’un projet professionnel et dans larecherche de stages de qualité.

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sent ainsi deux postes de chercheur exclusivementréservés à des vétérinaires (titulaires d’un diplômed’études fondamentales vétérinaires, DEFV, depuis moinsde 5 ans ou d’un master de recherche), afin de renforcerles liens entre la recherche en biologie et la recherche enpathologie animale comparée. Des laboratoires privésaussi, tel que Boehringer Ingelheim, cherchent à attirerdes vétérinaires dans cette filière en soutenant des pro-grammes comme le Cornell Leadership Program for Veteri-nary Students, qui permet à des étudiants vétérinaires àtravers le monde de travailler pendant huit semainesdans un laboratoire étranger d’une université vétérinairede leur choix. Souheyla Benfrid a ainsi pu bénéficier decette « immersion incroyable, très enrichissante ». Ces diversesexpériences, proposées depuis peu, aux étudiants vétéri-naires au cours de leurs études sont de véritables atoutspour les nouveaux chercheurs. Ainsi, selon Laurent Tiret,« les étudiants en recherche ne sont pas plus nombreuxqu’avant, mais ils ont un niveau scientifique plus élevé grâceaux nombreux stages qui leur sont proposés à travers lemonde. Leur expérience est déjà riche en sortant de l’école, cequi leur permet d’être concurrentiels par rapport aux autresuniversitaires ». Enfin, concernant la recherche cliniquevétérinaire, Agreenium, l’Institut agronomique, vétéri-naire et forestier de France, a souhaité récemment sou-tenir son développement via un appel à projet lancé en2017. Ce dernier permettra de financer des travaux de re-cherche clinique vétérinaire impliquant la collaborationde chercheurs d’au moins deux écoles vétérinaires fran-çaises. Julie Hervé, diplômée de l’ENV de Nantes en 2003,EC en physiologie à Oniris, a également soutenu récem-ment le développement de la recherche clinique, encréant un comité d’éthique spécifique à Oniris : « Si l’onstructure mieux la recherche clinique vétérinaire, on pourraplus facilement faire participer les cliniciens vétérinaires privéset ainsi favoriser son développement. »

De belles perspectives de carrièreLes étudiants vétérinaires qui ont choisi la voie de la re-cherche présentent chacun une motivation et un par-cours très personnels, mais en général ils ne le regrettentpas, d’autant qu’un changement de voie est possible àtout moment. « Ce n’est pas un parcours fléché, je ne saispas encore ce que je ferai après mon doctorat, cela dépendrades opportunités. Je pourrai toujours bénéficier du suivi de cer-tains professeurs, qui sont pour moi de véritables mentors »,nous indique ainsi Souheyla Benfrid. L’expérience deMarie Hanin, diplômée de l’ENV d’Alfort en 2016, confortece point de vue : « Après avoir fait de la recherche, je suis

allée travailler auprès du ministère de l’Agriculture anglais àLondres et j’envisage ensuite de retourner en France faire dela pratique en rurale. » Les débouchés sont pour le moinsdivers. Ainsi, Timothée Vergne, diplômé de l’ENV de Tou-louse en 2009, jeune EC et maître de conférences au seinde l’unité mixte de recherche IHAP Inra-ENVT5, a décidéde travailler en épidémiologie animale (mathématiquesappliquées au contrôle des maladies animales infec-tieuses). Il peut ainsi allier son attrait pour les mathéma-

tiques à sa formation de vétérinaire. À l’inverse, SouheylaBenfrid travaille actuellement sur un sujet de recherchebeaucoup plus fondamental, à l’échelle moléculaire :l’étude du rôle de la lipoprotéine virale NS1 dans la phy-siopathologie des flavivirus.

Un avenir plus prometteur de la recherche en école vétérinaire ?

Plusieurs propositions pour poursuivre et accélérer la ré-novation de la recherche au sein de nos ENV ont vu lejour récemment. Ainsi, le rapport remis par le CGAAERen mars dernier évoque des pistes. Tout d’abord, la créa-tion au niveau national d’une Société universitaire et derecherche (SUR) associant les quatre ENV, utilisant le dis-positif proposé dans le cadre du Plan d’investissementd’avenir et des moyens d’acteurs privés, est envisagée.Par ailleurs, l’importance du développement des collabo-rations entre centres hospitaliers (universitaires) vétéri-naires (CH[U]V) et centres de vétérinaires spécialistes

(CVS) est soulignée. La participation soutenue des équipesd’EC cliniciens dans la formation continue des vétéri-naires praticiens hors des ENV, comme cela se fait déjàdans certains pays, est aussi fortement encouragée afinde mieux valoriser leurs compétences auprès des prati-ciens et de constituer un réseau de terrain qui pourraitêtre associé à des travaux ultérieurs de recherche cli-nique. Il est à noter que certaines initiatives ont déjà eulieu en ce sens : l’organisme de formation continue Ve-terinarius a, par exemple, été créé par d’anciens EC horsde l’ENVA. Pour les activités qui ne sont pas dans les mis-sions de base des écoles, telles que la recherche clinique,des filiales et des partenariats peuvent être créés à l’imagedes initiatives déjà menées par de grandes écoles (Agro-ParisTech, École des mines, Arts et Métiers ParisTech,entre autres). Dans cette même optique de promotionde la recherche vétérinaire, les membres de l’Académievétérinaire de France se sont réunis récemment pour ré-fléchir à la réactualisation d’un rapport sur l’état de larecherche en France au sein des ENV. Les discussions de-vraient débuter après consultation des conclusions duprochain rapport sur les formations doctorales et l’ensei-gnement supérieur agricole du ministère de l’Agricultureet de l’Alimentation. L’avenir de la recherche dans lesENV, garante du maintien et de l’amélioration de l’excel-lence scientifique, est donc assuré, pourvu que ces der-nières se prêtent au difficile exercice d’une remise enquestion constante, afin d’anticiper et de s’adapter. •1 Lire aussi pages 54 et 55.2 Cécile Adam. « La recherche scientifique dans les écolesvétérinaires françaises : développement historique et situationactuelle (2000-2010) vue par les indices bibliométriques ». Thèsede doctorat vétérinaire, ENVT, 2013.3 Rapport de l’Académie vétérinaire de France sur la recherchedans les écoles nationales vétérinaires françaises, 2 avril 2009.4 « Parcours professionnel des vétérinaires dans la recherche ».5 Interactions hôtes agents pathogènes Institut national de larecherche agronomique-ENVT.

« J’étais intéressée par la recherchesur le concept One Health »

Comment avez-vous eu envie de suivre unparcours de recherche après l’école ?Lors de mon entrée à l’école en 2011, j’ai assezvite réalisé que l’idée de travailler à l’échelleindividuelle d’un animal n’allait pas me plaire, carj’étais déjà très intéressée par les thématiquesplus globales, comme l’écologie.

Comment vous êtes-vous orientée danscette voie ?J’ai pris contact, dès la 1re année, avec desenseignants-chercheurs que je trouvaissympathiques et accessibles, afin de mieuxcomprendre leur travail. En fin de 2e année, leprojet Merial Cornell Leadership Program forVeterinary Students a été lancé. C’était une trèsbonne opportunité pour moi et j’ai été retenue.J’ai donc pu recevoir une bourse qui m’a permisde faire des travaux de recherche pendant troismois dans un laboratoire d’écotoxicologie à

l’université de Floride. J’ai travaillé sur des embryons de poissons exposés aupétrole ou à un agent dispersant, dans le contexte de la grande marée noirequi a eu lieu dans le golfe du Mexique, en 2011. C’était donc très intéressant,car les résultats de mes travaux avaient une implication concrète. C’était unebelle introduction à la recherche.

Dans votre parcours, avez-vous hésité avec une activité libérale ? Si oui,pourquoi ? Oui, en 3e année, j’ai eu envie de voir ce qui se passait sur le terrain pour desvétérinaires. J’ai donc fait des stages en rurale et mon expérience clinique enrurale m’a beaucoup plu. En 5e année, cependant, après avoir hésité avec unparcours clinique, j’ai choisi l’opportunité offerte par l’école de faire une annéede master en recherche. Cela m’a permis de gagner une année d’étude enrecherche et je me suis dit que, quoi qu’il en soit, la rurale se pratique sur leterrain, et non à l’école.

Pourquoi avoir choisi l’étranger pour réaliser votre master derecherche ? J’ai fait un master en Grande-Bretagne, en partageant mon temps entre leCentre for Virus Research (CVR) de l’université de Glasgow et la London Schoolof Hygiene and Tropical Medicine (NSHTM), sur les interactions entre l’animal,l’homme et l’environnement, dans le cadre du concept One Health. J’ai choiside partir d’abord parce que cette thématique de recherche, qui m’intéressait,est très peu étudiée dans les laboratoires français. Mais j’avais aussi très enviede vivre en Grande-Bretagne et de travailler à l’international. J’ai pu améliorermon niveau d’anglais tout en travaillant dans des établissements vétérinairesreconnus à l’international.

Avez-vous une idée de ce que vous souhaitez faire à présent et àl’avenir ?Oui. Depuis octobre dernier, je ne travaille plus en recherche, mais au sein dugouvernement britannique sur des sujets concrets concernant laréglementation de la pêche commerciale. Suivant les opportunités, je penserester encore six mois à un an. Je souhaite ensuite rentrer sans trop tarder enFrance pour avoir une expérience clinique en rurale. Le terrain et les animauxd’élevage me manquent, mais je n’exclus pas ensuite de retourner vers larecherche si un sujet me plaît. Auquel cas, ce sera sûrement à l’étranger.•

Marie HaninDiplômée de l’Écolenationale vétérinaired’Alfort (ENVA),département desciences biologiques etpharmaceutiques.

E N T R E T I E N A V E C M A R I E H A N I N

« Le chercheur vétérinaire est capable de s’adapter etd’appréhender des situations complexes »Quelles sont les stratégies que vous avez adoptées àl’école pour intéresser les étudiants à la recherche ?C’est un véritable sujet dont nous nous sommes emparéset sur lequel nous travaillons, avec le soutien de nosinstances et de notre conseil scientifique. Plusieurs actionssont déjà mises en place. Dès la 1re année d’école, dans lecadre du module « Enjeux du XXIe siècle », des tablesrondes ou des forums sont organisés. Nous proposonségalement aux étudiants de participer aux séminairesscientifiques et, sous un autre format, nous avons mis enplace des cafés scientifiques baptisés Expresciences. Enfin,les étudiants vétérinaires en 5e année à VetAgro Suppeuvent aussi être sensibilisés à la recherche, sans sefermer les portes de la pratique clinique en suivant, enparallèle de leur cursus, un de nos masters coaccrédités etainsi acquérir une double compétence.

Quel est l’intérêt pour les équipes de recherche derecruter des vétérinaires ?Le chercheur vétérinaire est capable de s’adapter,d’appréhender des situations complexes, grâce à une

approche de type diagnostic, et de proposer des pistes oudes leviers d’action. Il peut également mobiliser, dans sesétudes, ses connaissances et ses savoir-faire techniquesrelevant aussi bien des disciplines cliniques pourappréhender des questions de pathologie comparée et derecherche clinique et préclinique que de disciplinescomme les maladies animales et les maladies zoonotiques.

Quelles sont actuellement les grandes orientationspolitiques données à la recherche vétérinaire àVet Agro Sup ?VetAgro Sup a placé la “santé globale” – amélioration dela santé publique par une approche interdisciplinaire etinternationale – au cœur de son projet d’établissement.Un exemple concret : le campus vétérinaire de VetAgroSup a été soutenu récemment pour la mise en place d’unechaire partenariale de bien-être animal, en appui auCentre national de référence, afin d’apporter aux acteurspublics et privés un soutien scientifique à la décision oupour des travaux d’expertise et de recherche entoxicovigilance. •

EstelleLoukiadisDirectrice scientifique àVetAgro Sup (Lyon),équipe de recherche enbactéries pathogènes etopportunistes del’environnement.

E N T R E T I E N A V E C E S T E L L E L O U K I A D I S

“ Les étudiants en recherche ne sontpas plus nombreux qu’avant, mais leurniveau scientifique est plus élevé.”

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DÉCRYPTAGE

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ments et se veut donc être le reflet de laqualité des travaux de recherche (encadré).Ce dernier est très peu favorable aux ENVfrançaises, dont seules celles d’Alfort(49e place) et de Toulouse (52e place) sontclassées pour la première fois en 2017. Pourexpliquer cela, Cécile Adam met en évi-dence dans sa thèse10 le fait que, chaqueENV française n’étant pas rattachée à uneseule université avec une signature detoutes ses publications avec ce seul nom,il y a par conséquent un jeu croisé des si-gnatures, notamment avec les établisse-ments de recherche partenaires, tel quel’Inra, non pris en compte dans ce classe-ment. En outre, toutes les ENV n’ont pasune dénomination connue à l’échelle in-ternationale ; ainsi les dénominations ac-tuelles d’Oniris et de VetAgro Sup ne sontpas identifiées. À l’échelle de l’Union européenne, unappel à projet a été lancé récemment, afinde mettre au point son propre classement,sans répéter les erreurs concernant les cri-tères des classements existants. La culture du classement et l’appréhen-sion des cahiers des charges de ces orga-nismes internationaux de ranking sont desnouveautés pour l’enseignement vétéri-naire français, qui devra donc y mettrel’accent à l’avenir, pour pouvoir rayonnermondialement. « Pour exister à l’échelle eu-ropéenne et mondiale et disposer d’une élitescientifique en recherche, il faut une recon-naissance académique », souligne RenaudTissier, directeur scientifique de l’ENVA. Etil met en garde contre des initiatives tellesque la création d’un institut commun derecherche, Agreenium11, si l’objectif est defusionner les travaux des quatre écolesvétérinaires sous une même dénomina-tion qui les empêcherait de figurer dansles classements mondiaux.

1 www.bit.ly/2GZe0VG.2 Lire pages 48 à 53 de ce numéro.3 Voir La Semaine Vétérinaire nos 1538 et 1539 des3 et 10/5/2013, pages 27 à 32.4 Rapport du Conseil général de l’alimentation, del’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER)n° 17014. Développement de la médecinevétérinaire spécialisée des animaux de compagnieet animaux de sport dans les écoles nationalesvétérinaires. Mars 2018.5 www.bit.ly/2GZe0VG.6 Université Paris-Est Créteil (Upec), Val-de-Marne,Institut Mondor de recherche biomédicale (IMRB).7 Institut national de la recherche agronomique.8 Institut national de la santé et de la recher chemédicale.9 Le Times Higher Education World UniversityRankings depuis 2004, le US News and WorldReport depuis 2010, le Reitor Global UniversitiesRanking depuis 2009, le Leiden Rankingdepuis 2008, etc. 10 Cécile A. « La recherche scientifique dans lesécoles vétérinaires françaises : développementhistorique et situation actuelle (2000-2010) vue parles indices bibliométriques ». Thèse de doctoratvétérinaire, ENVT, 2013.11 www.agreenium.fr.

LA FILIÈRE RECHERCHE EN QUÊTE DE VÉTÉRINAIRES

En dépit des initiatives nouvelles lancées dans les écoles nationales vétérinaires pour promouvoir la recherche, de nombreux freins s’opposent encore à son développement. Explications.

Une vocation à construireActuellement, près d’un quart des vétéri-naires inscrits à l’Ordre n’exercent pascomme praticiens. Cependant, comme lesouligne le rapport Vetfuturs1, publié en jan-vier dernier, même si le diplôme vétérinairepermet d’exercer de nombreux métiers,l’image du vétérinaire auprès du grand pu-blic est la plupart du temps réduite à celledu praticien soignant les animaux de com-pagnie et les animaux sauvages embléma-tiques. Et d’une façon générale, il sembleque la profession, orientée surtout versl’exercice libéral, porte peu d’intérêt à la re-cherche vétérinaire. Si bien que les jeunesétudiants vétérinaires qui arrivent en écolessont souvent peu renseignés sur la diversitédes débouchés proposés, notamment sur lacarrière de chercheur : « Même si de nouvellesinitiatives voient le jour2, ils souhaiteraient enêtre mieux informés au cours de leur cursus ». La pratique de la médecine vétérinaire estsouvent une vocation de longue date à leurarrivée en école. Et même si la carrière dechercheur pourrait les intéresser pendantleur parcours scolaire, ils hésitent généra-lement à choisir cette voie, peu valorisée etnon tracée, qui les empêche de bénéficierd’une expérience clinique en dernière annéed’école et les contraint à poursuivre leursétudes plus longtemps.

Des études longues et peuattractivesLa France est d’ailleurs actuellementl’unique pays de l’Union européenne où ilfaut sept ans et non cinq pour être diplômévétérinaire. Un étudiant qui développe leprojet d’être enseignant-chercheur dans uneécole nationale vétérinaire (ENV) a donc, auminimum, 10 ans d’études préalables à ac-complir3, avec des perspectives de rémuné-rations peu attrayantes4. Les chercheursfrançais peuvent aussi peiner à retenir dansles laboratoires des ENV certains étudiantsvétérinaires qui préfèrent poursuivre leursétudes leurs études et même exercer àl’étranger. En effet, il existe dans certainesdisciplines, notamment en recherche cli-nique, de réelles carences d’écoles doctoralesvétérinaires. Ces dernières ont d’ailleurs étésoulignées dans le rapport sur la spécialisa-tion de la médecine vétérinaire rendu par leCGAAER. Marie Hanin (ENV d’Alfort, 2016),jeune vétérinaire ayant choisi la filière re-cherche en dernière année d’école, interro- ©

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gée à ce sujet, nous confirme cela : « Une deces raisons pour laquelle je suis partie faire dela recherche en Angleterre était que la théma-tique qui m’intéressait n’était pas proposée enFrance. » En l’occurrence le concept OneHealth.

Un manque de soutien politique et financier On comprend donc pourquoi les étudiantssont souvent peu enclins à s’orienter danscette filière. Et ce n’est pas les actions poli-tiques menées jusqu’à présent qui permet-tront de faire changer cela. Ainsi, le nouveauréférentiel de diplôme vétérinaire, sorti endécembre 20175, n’évoque même pas cettevoie d’orientation.Par ailleurs, la priorité actuelle des actionsmenées par le ministère de l’Agriculture etde l’Alimentation est d’encourager l’orien-tation des étudiants vétérinaires vers la pra-tique rurale. Cependant, comme le souligneLaurent Tiret6, « si l’on favorise exclusivementl’orientation clinique des vétérinaires, la pratiquedeviendra obsolète. La profession est dynamiséepar les découvertes de la recherche qui lui per-mettent de bénéficier en permanence de nou-veautés ».La recherche vétérinaire, principalementclinique, souffre aussi d’un manque demoyens financiers. Cela a ainsi été mis enévidence par le rapport du CGAAER, quiajoute que, concernant les animaux decompagnie, la recherche clinique est orphe-line d’un grand institut de recherche parte-naire, l’Inra7 s’intéressant aux animaux derente et l’Inserm8 à la santé humaine. Lesenseignants-chercheurs cliniciens des dif-férentes ENV éprouvent donc souvent beau-coup de difficultés à mettre en œuvre leurmission de recherche.

Un rayonnement mondial insuffisant La qualité des travaux menés dans les ENVfrançaises est aujourd’hui peu connue et re-connue à l’échelle inter nationale. La concur-rence est rude et, pour perdurer, les équipesde chercheurs ont besoin de briller sur lascène internationale, notamment par le biaisde classements réputés9. Ainsi, le classementacadémique des meilleures universitésmondiales publié chaque année depuis 2003par l’université Jiao Tong de Shanghai, bienque souvent critiqué, s’est imposé commeune référence. Il tient compte notammentdes publications scientifiques des établisse-

LES SIX PRINCIPAUX CRITÈRES UTILISÉS PAR LE CLASSEMENT MONDIAL DE SHANGHAI- Le nombre de diplômés ayant reçu un prixNobel ou une médaille Fields.- Le nombre de professeurs ayant reçu unprix Nobel ou une médaille Fields.- Le nombre de chercheurs les plus cités(dans leur champ de recherche).- Le nombre de publications dans les revues

scientifiques Science et Nature.- Le nombre de publications rattachées àl’université.- La pondération des cinq critèresprécédents, divisée par le nombred’enseignants-chercheurs del’établissement.

CLOTHILDE BARDE