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Daniela DINCĂ Mihaela POPESCU Gabriela SCURTU LA RECONFIGURATION SÉMANTIQUE DES GALLICISMES DANS L’ESPACE SOCIO-CULTUREL ROUMAIN

la reconfiguration sémantique des gallicismes dans l'espace socio

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Daniela DINCĂ Mihaela POPESCU

Gabriela SCURTU

LA RECONFIGURATION SÉMANTIQUE DES GALLICISMES DANS L’ESPACE SOCIO-CULTUREL

ROUMAIN

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Daniela Dincă Mihaela Popescu Gabriela Scurtu

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Coordinateur de la collection Etudes françaises: Cristiana-Nicola Teodorescu Comité scientifique : Luc Collès, Université Catholique de Louvain, Louvain-la-Neuve, Belgique Jean-Louis Dufays, Université Catholique de Louvain, Louvain-la-Neuve,

Belgique Olivier Bertrand, École Polytechnique, Paris, France Isabelle Schaffner, École Polytechnique, Paris, France Yasmine Attika Abbès Kara, École Normale Supérieure des Lettres et Sciences

Humaines, Bouzaréah, Alger Malika Kebbas, École Normale Supérieure des Lettres et Sciences Humaines,

Bouzaréah, Alger Mihaela Toader, Universitatea Babeş-Bolyai, Cluj-Napoca Dumitra Baron, Universitatea „Lucian Blaga” din Sibiu Anca Gâţă, Universitatea „Dunărea de Jos”, Galaţi Alexandra Cuniţă, Universitatea din Bucureşti Gabriela Scurtu, Universitatea din Craiova Cecilia Condei, Universitatea din Craiova Daniela Dincă, Universitatea din Craiova Anda Rădulescu, Universitatea din Craiova Monica Tilea, Universitatea din Craiova La collection Etudes françaises propose des contributions scientifiques dans les domaines de la linguistique, littérature, civilisation française et francophone. La collection réunit une diversité de productions scientifiques (études, ouvrages collectifs, présentation de projets de recherche, thèses de doctorat, anthologies, actes de colloques scientifiques etc.). Les propositions de publications seront adressées au comité scientifique: [email protected]. Note: Les membres du comité scientifique ont la possibilité de soumettre les propositions de publication à d’autres spécialistes réputés dans le domaine de la linguistique, littérature, civilisation française et francophone.

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Daniela DINCĂ Mihaela POPESCU Gabriela SCURTU

LA RECONFIGURATION SÉMANTIQUE DES GALLICISMES

DANS L’ESPACE SOCIO-CULTUREL ROUMAIN

Editura UNIVERSITARIA

CRAIOVA, 2015

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Daniela Dincă Mihaela Popescu Gabriela Scurtu

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Referenţi ştiinţifici:

Prof. univ. dr. Cecilia CONDEI Prof. univ. dr. Elena PÎRVU

Copyright © 2015 Editura Universitaria Toate drepturile sunt rezervate Editurii Universitaria Nicio parte din acest volum nu poate fi copiată fără acordul scris al editorului. Descrierea CIP a Bibliotecii Naţionale a României DINCĂ, DANIELA La reconfiguration sémantique des gallicismes dans l’espace socio-culturel roumain / Daniela Dincă, Mihaela Popescu, Gabriela Scurtu. - Craiova : Universitaria, 2015 Bibliogr. Index ISBN 978-606-14-0905-1

I. Popescu, Mihaela II. Scurtu, Gabriela

811.133.1 « Cet ouvrage a été partiellement soutenu financièrement par le Projet de recherche no 34c/27. 01. 2014, Reconfigurarea semantică a galicismelor în spaţiul socio-cultural românesc (FROMISEM II) [« La reconfiguration des gallicismes dans l’espace socio-culturel roumain »], obtenu dans le cadre de la compétition interne de l’Université de Craiova ».

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SOMMAIRE

Avant-Propos 7

LES GALLICISMES DU ROUMAIN : ASPECTS THÉORIQUES ET MÉTHODOLOGIQUES

Les gallicismes du roumain: considérations en marge d’un projet de recherche……………………………………………………………………...

13

Autour d’un corpus de mots roumains d’origine française (DILF)………….. 27 Vers une définition de l’emprunt lexical (le cas des gallicismes du roumain)……………………………………………………………………….

35

Les gallicismes du roumain: de l’étymologie unique à l’étymologie multiple………………………………………………………………………..

44

L’adaptation des gallicismes du roumain: le cas des termes juridiques………………………………………………………………………

52

CHAMPS SÉMANTIQUES Les emprunts lexicaux roumains au français: approche du micro-champ lexical des meubles [pour s’asseoir]…………………………………………

65

Aspects de la reconfiguration sémantique des gallicismes du roumain: le cas des meubles [pour dormir] …………………………………………….

80

Etude lexico-sémantique du micro-champ lexical des meubles de rangement en français et en roumain……………………………………….

96

Conservation et innovation lexicales dans le champ sémantique des meubles de rangement pour vêtements ……………………………………..

107

La reconfiguration sémantique des gallicismes dans l’espace socioculturel roumain. Présentation d’un projet en cours …………………………………

115

Les emprunts lexicaux roumains au français: approche lexicographique et sémantique du vocabulaire de la mode vestimentaire……………………….

126

Les gallicismes du roumain dans le domaine des tissus pour vêtements…… 143 Sur le lexique chromatique en français et en roumain (I) ………………….. 156 Un cas de synonymie stylistique: roum. cenuşiu et gri …………………….. 168 Les gallicismes du roumain: entre la définition lexicographique et l’emploi contextuel ……………………………………………………………………

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Convergences et divergences sémantiques dans le domaine des gallicismes du roumain…………………………………………………………………...

187

Bibliographie générale …………………………………………………….. Index rerum …………………………………………………………………. Index des gallicismes ……………………………………………………….

195 207211

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AVANT PROPOS

1. Les gallicismes du roumain : objet de recherche du projet FROMISEM

L’influence française représente sans conteste le principal moyen d’enrichissement et de modernisation du roumain, ainsi que de redéfinition de sa physionomie néo-latine, dans l’aire de la romanité sud-est européenne. C’est un exemple unique d’influence d’un adstrat de prestige, à distance, qui s’explique aussi par le penchant que les couches intellectuelles roumaines ont toujours eu et ont encore pour la France, considérée comme une soeur aînée.

La problématique des emprunts lexicaux français en roumain, en d’autres mots, des gallicismes du roumain1, a fait l’objet d’un projet de recherche qui s’est déroulé en deux étapes : dans une première étape (2009-2011), le projet Typologie des emprunts lexicaux français en roumain. Fondements théoriques, dynamique et catégorisation sémantique (FROMISEM I) et, dans une deuxième étape, le projet Reconfiguration sémantique des gallicismes dans l’espace socioculturel roumain (FROMISEM II).

2. Deux étapes de recherche : FROMISEM I et FROMISEM II

Le premier projet (FROMISEM I) a porté sur l’analyse des gallicismes du roumain sous trois aspects : la définition des concepts opérationnels (emprunt, gallicisme, néologie, néologisme, néonyme, étymologie multiple, etc.), la présentation des principaux problèmes étymologiques et l’élaboration d’une typologie sémantique des gallicismes dans la langue roumaine actuelle. En outre, du point de vue sémantique et pragmatique, l’emprunt lexical se relève en tant que marqueur socio-culturel qui reflète les changements de nature sociale, politique et culturelle existants dans la vie d’une communauté à un certain moment donné ; c’est un indicateur d’univers mentalitaire ou bien un élément distinctif entre les langues au niveau axiologique (cf. Arrivé et al. 1986: 244-252).

Les études sémantiques menées dans le cadre de ce projet ont fait relever la typologie suivante:

1 Nous employons le terme de ‹gallicisme› au sens de «mot français emprunté par d’autres langues» (cf. Thibault 2009).

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(i) conservation - totale ou partielle - du sens / des sens de l’étymon français, (parfois avec le maintien en roumain d’un sens aujourd’hui disparu en français);

(ii) innovations sémantiques opérées en roumain, ayant comme point de départ une signification de l’étymon français. Ces innovations se manifestent à travers divers mécanismes sémantiques : extensions analogiques et restrictions de sens, métaphorisations, passages métonymiques, glissements connotatifs, etc.

À noter que ces deux catégories, le plus souvent, se superposent (v. Iliescu et all. 2010). Sablayrolles considère d’ailleurs que «les deux grandes voies reconnues de la néologie sémantique sont la métaphore et la métonymie» (Sablayrolles 2000: 155), procédés qui reposent sur la similitude entre les deux référents.

Comme un prolongement, le deuxième projet (FROMISEM II) se propose de mettre en évidence le rôle des gallicismes en tant que marqueurs socioculturels reflétant les changements de nature sociale, politique et culturelle qui ont eu lieu dans la société roumaine. Notre intérêt pour ce dernier aspect se justifie par le fait que l’étude des gallicismes dans une perspective sémantico-pragmatique a été relativement peu abordé dans les travaux de spécialité2, ce qui est à même de justifier la nécessité de continuer cette direction de recherche, assurant de la sorte l’originalité et la pertinence de la démarche proposée.

Plus précisément, le nouveau projet FROMISEM II se propose d’approfondir l’étude lexicologique et sémantique des gallicismes du roumain, en visant, prioritairement, les aspects suivants :

1) l’analyse des métasémies (extensions et / ou restrictions de sens par métaphorisation, transferts métonymiques, glissements connotatifs, etc.) et des cas de conservation (totale ou partielle) du sens de l’étymon français ;

2) la corrélation de l’analyse linguistique avec le facteur extralinguistique, afin de mettre en exergue la fonction de l’emprunt en tant que : a) marqueur socioculturel qui reflète les mutations de nature sociologique, historique, culturelle d’une communauté à un moment donné et b) indice d’univers mentalitaire ;

3) le raffinement de l’analyse étymologique afin de vérifier la pertinence du concept d’‹étymologie multiple› dans la lexicologie roumaine, avec une application directe aux emprunts provenant de plusieurs sources, y compris française, ou entrés par filière française.

2 Les difficultés soulevées par une telle entreprise sont liées principalement à l’absence d’un dictionnaire étymologique complet pour le roumain (sauf la lettre A), le manque de la première attestation et des sources informatisées.

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3. Chantiers de la recherche Vu leur présence massive en roumain, les gallicismes du roumain ont fait

l’objet de nombreuses études portant sur des aspects variés tels que la dynamique, les domaines de manifestation, l’adaptation et, dans une moindre mesure, les aspects sémantiques. Parmi les principaux champs lexicaux qui ont déjà fait l’objet de notre analyse dans le cadre du projet de recherche FROMISEM I et II, nous citons les champs suivants:

(i) les meubles [pour s’asseoir]: fr. banc / roum. bancă, fr. banquette / roum. banchetă, fr. chaise longue / roum. şezlong, fr. fauteuil / roum. fotoliu, fr. pouf / roum. puf, fr. strapontin / roum. strapontină, fr. tabouret / roum. taburet ;

(ii) les meubles [de rangement] ayant comme archisémème le trait « petite armoire » : fr. buffet / roum. bufet, fr. commode / roum. comodă, fr. servante / roum. servantă; les meubles [de rangement] ayant comme archisémème le trait « grande armoire » : fr. garde-robe / roum. garderob, garderobă, fr. chiffonnier / roum. şifonier ;

(iii) les meubles [pour dormir]: fr. canapé / roum. canapea, fr. ottomane/ roum. otomană, fr. sofa / roum. sofa, fr. dormeuse / roum. dormeză, fr. sommier / roum. somieră ;

(iv) les pièces de vêtement: fr. blouse / roum. bluză, fr. veste / roum. vestă, fr. jupe / roum. jupă ;

(v) les tissus pour vêtements : fr. bouclé / roum. bucle, fr. chantoung / roum. şantung, fr. crêpe / roum. crep, fr. flanelle / roum. flanelă, fr. hollande / roum. olandă, fr. jersey / roum. jerseu, fr. lustrine / roum. lustrin(ă), fr. mousseline / roum. muselină, fr. organdi / roum. organdi, fr. popeline / roum. poplin, fr. tulle / roum. tul, fr. velours / roum. velur, fr. voile / roum. voal.

(vi) le lexique chromatique : fr. gris / roum. gri, fr. orange / roum. oranj, fr. violet / roum. violet.

Dans l’analyse des champs sémantiques mentionnés ci-dessus, nous avons constaté que le roumain a emprunté les étymons français avec leurs acceptions fondamentales et que les changements sémantiques subis en roumain sont dus principalement au cadre extra-linguistique dans lequel se produit l’emprunt. Plus précisément, dans la reconfiguration sémantique des gallicismes du roumain, le principal facteur extralinguistique est représenté par le décalage temporel entre les acceptions des étymons (à partir de l’époque de leur attestation) et l’époque où se sont produits les emprunts.

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4. Résultats escomptés L’impact anticipé par ce projet se définit à plusieurs niveaux :

(i) niveau théorique : faire une approche comparative (français-roumain) élargie de la problématique sémantico-pragmatique des gallicismes du roumain dans plusieurs domaines conceptuels, sur les plans synchronique et diachronique ;

(ii) niveau lexicographique : offrir aux lexicographes, auteurs de dictionnaires explicatifs ou de néologismes, des suggestions explicites ou implicites sur l’aspect chronologique, formel, sémantique des emprunts lexicaux, afin d’améliorer la qualité des futurs ouvrages lexicographiques ;

(iii) niveau institutionnel : définir un instrument d’aide à la promotion d’une politique linguistique cohérente par les organismes de surveillance nationale de la langue roumaine ;

(iv) niveau didactique : constituer une ressource pédagogique à l’intention des didacticiens, portant sur les ressemblances et les différences entre les deux langues sur le plan lexico-sémantique (avec application au vocabulaire d’emprunt) ;

(v) niveau culturel : proposer une importante ressource lexicologique pour les usagers de la langue, par des analyses détaillées sur les significations et les valences expressives des gallicismes du roumain, laquelle permettra une utilisation adéquate des mots dans leur contexte situationnel et linguistique. Les études menées dans le cadre de ce projet se constituent dans un miroir

des tendances enregistrées dans l’évolution du roumain sous l’influence du français, mettant aussi en évidence les changements culturels, sociaux et historiques des deux sociétés parlant ces deux langues. Le comparatisme linguistique a été ainsi doublé d’un comparatisme socio-historique étant donné que l’emprunt témoigne à la fois de l’idéologie elle-même d’une langue, et, conséquemment, du peuple qui la parle. Les gallicismes du roumain illustrent une certaine étape d’évolution de la société, ce qui veut dire que les mots sont entrés en roumain avec leurs référents, par nécessité de dénomination. Si, d’une part, il y a des sens absents en roumain (c’est-à-dire les sens antérieurs à leur emprunt), d’autre part, les gallicismes enregistrent des acceptions nouvelles en fonction de l’évolution des référents dans les deux sociétés.

En fin de compte, on pourrait dire que le projet FROMISEM a frayé un chemin dans l’étude des emprunts lexicaux avec les instruments de l’analyse sémantique et lexicographique et que cette recherche a ouvert de nouvelles pistes de recherche dans les domaines de la lexicologie et de la lexicographie romanes.

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LES GALLICISMES DU ROUMAIN : ASPECTS THÉORIQUES ET

MÉTHODOLOGIQUES

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LES GALLICISMES DU ROUMAIN: CONSIDÉRATIONS

EN MARGE D’UN PROJET DE RECHERCHE1

1. INTRODUCTION La problématique des emprunts lexicaux français en roumain a fait l’objet

d’un projet de recherche CNCS qui s’est déroulé à la Faculté des Lettres de l’Université de Craiova, entre 2009 - 2011. Les études des membres de l’équipe de recherche2, publiées dans le volume Typologie des emprunts lexicaux français en roumain. Fondements théoriques, dynamique et catégorisation sémantique (FROMISEM), paru en 2011 aux Éditions Universitaria, sont groupées autour de quatre axes majeurs qui ont constitué d’ailleurs les objectifs du projet: 1. la présentation et l’approfondissement de la terminologie de spécialité du domaine analysé; 2. la constitution d’un corpus général des emprunts lexicaux au français (les gallicismes du roumain); 3. l’étude de ces gallicismes du point de vue étymologique; 4. l’esquisse d’une typologie sémantique. Dans cet article nous voulons présenter quelques aspects que nous considérons comme pertinents pour la recherche entreprise, à savoir: (i) les difficultés liées à la définition des concepts opérationnels mobilisés dans la recherche; (ii) la constitution du corpus général des gallicismes du roumain; (iii) quelques problèmes relatifs à leur adaptation dans la langue réceptrice. 2. DÉFINIR LES CONCEPTS OPERATIONNELS UTILISÉS

Un premier objectif du projet a consisté à définir les principaux concepts

opérationnels mobilisés dans la recherche: emprunt, gallicisme, néologisme, néologie, néonyme, néosème, xénisme, péregrinisme, étymologie multiple, etc. Ce fait s’est avéré d’autant plus nécessaire que les travaux théoriques consacrés à ce sujet, sans faire défaut, présentent souvent un aspect embrouillé et atomistique.

1 Gabriela Scurtu, «Les gallicismes du roumain: considérations en marge d’un projet de recherché», in AUC. Langues et littératures romanes, nr. 1-2, 2012, p. 183-200. 2 Maria Iliescu, Adriana Costăchescu, Daniela Dincă, Ramona Dragoste, Mihaela Popescu, Gabriela Scurtu.

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L’identification des lacunes terminologiques de ce domaine, la mise en évidence de nombreux aspects controversés, comme par exemple la polysémie des termes utilisés, ont été réalisées dans la lumière des recherches récentes en linguistique roumaine, corroborées avec les études des linguistes étrangers, notamment français. En voilà quelques exemplifications.

2.1. Emprunt / gallicisme / francesisme La problématique de l’emprunt est, de toute évidence, centrale en lexicologie

historique. Le terme lui-même est polysémique et, de par là même, n’est pas exempt d’une certaine ambiguïté. Ses deux acceptions fondamentales sont: (i) élément emprunté à une autre langue (par exemple Dimitrescu 1994 le définit comme un mot nouveau dû a une influence externe); (ii) processus d’intégration d’un élément dans une langue.

Concernant la première acception, celle d’«unité acquise à travers un processus d’intégration d’une unité lexicale appartenant à une autre langue» (Buchi 2010: 5), à partir du xénisme à l’unité assimilée, il faut noter l’existence d’opinions selon lesquelles «les mots appelés à tort emprunts ne sont en rien des emprunts, mais bien des créations nouvelles, différentes de leur modèle à tous les points de vue (phonologique, morphologique, sémantique)» (Thibault 2009: 11), l’auteur cité préférant les nommer, pour cette raison, adaptations ou imitations.

Quant à la seconde acception du mot emprunt, nous dirons seulement qu’en tant que fruit du contact entre les langues, l’emprunt est un des principaux mécanismes linguistiques de la création néologique, représentant souvent la solution la plus viable pour remplir les lacunes lexicales d’une langue. Procédé externe d’enrichissement lexical, l’emprunt consiste à faire apparaître dans un système linguistique un élément issu d’une autre langue – ancienne (latin, grec) ou moderne –, mais aussi d’un dialecte, d’un sociolecte, d’une langue de spécialité. L’emprunt est favorisé par des facteurs extralinguistiques tels que le voisinage, les rapports économiques, politiques et culturels de deux ou plusieurs communautés (v. Scurtu 2009). En nous référant strictement aux emprunts lexicaux faits au français par les différentes langues – européennes ou non européennes –, le même auteur a relancé, avec succès, parait-il, le terme gallicisme, avec l’acception spéciale d’«emprunt d’une langue étrangère au français» (Thibault 2004, 2009). Cette acception, attestée depuis 1848, s’ajoute à celle qui est déjà consacrée dans la terminologie linguistique («emploi, tournure propre à la langue française», in TLFi). Quoi qu’il en soit, le terme gallicisme semble jouir d’une certaine faveur de nos jours, étant de plus en plus employé dans les études du domaine pour remplacer le syntagme emprunt (lexical) au français. À noter toutefois que les acceptions avec lesquelles

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le terme est véhiculé ne sont pas toujours identiques, une certaine ambigüité transperce encore. À côté de gallicisme, circule aussi le mot francesisme (roum. franţuzism), qui désigne le plus souvent un emprunt tel quel au français – mot ou syntagme –, non adapté au système de la langue réceptrice (par exemple dernier cri, coup de foudre, abat-jour)3. C’est dans cette acception que les termes sont considérés comme des francesismes dans le livre d’Ansalone (1997) consacré à cette problématique, dans le cas de la langue italienne. Mais le francesisme peut également renvoyer à un mot ressenti comme étranger: pempant, plezir, parol, surnatural, etc.4. Envisagés dans un sens ou autre, les emprunts ne sont pas sans poser des problèmes, dont, en particulier: a. les problèmes sociolinguistiques des différences de statut axiologique entre les langues (cf. Arrivé et al. 1986: 244-252); b. l’intégration (phonologique, orthographique, morphosyntaxique, sémantique) de l’unité empruntée dans la structure de la langue réceptrice; c. l’établissement correcte de l’étymologie du mot emprunté, etc. (v. Scurtu 2009). Les études portant sur la problématique de l’emprunt lexical suivent, en principe, deux types de démarche: une démarche descriptive qui s’attache à classer les emprunts selon des critères formels et sémantiques et une autre diachronique, qui remonte la filière de l’emprunt (étymologie: simple, multiple, directe, indirecte, voie de pénétration, etc.). Les deux s’entremêlent, le plus souvent, pour offrir une image d’ensemble sur ce phénomène particulièrement complexe qu’est le contact linguistique réalisé par l’emprunt. 2.2. Néologisme

La définition du néologisme enregistre, à son tour, beaucoup d’aspects controversés. Le TLF, le Larousse, le Robert, le Webster présentent le néologisme comme une notion polysémique avec, d’habitude, les acceptions suivantes: 1. mot, tour nouveau que l’on introduit dans une langue donnée (néologisme de forme); 2. mot (expression) existant dans une langue donnée mais utilisé(e) dans une acception nouvelle (néologisme de sens); 3. création de mots, de tours nouveaux et introduction de ceux-ci dans une langue donnée (syn. néologie).

3 Franţuzism, s.n. Cuvânt, expresie împrumutate din limba franceză de o altă limbă şi neasimilate de aceasta (DEX) («mot, expression emprunté(e) au français par une autre langue et non assimilé(e) par celle-ci»). 4 Concernant la richesse terminologique, cette citation tirée de Resplendy (2002) est éloquente: «Les mots d’emprunt sont les témoins bien vivants des époques passées […]. Qu’on les nomme gallicismes, xénismes, néologismes, francesismes, ils sont des milliers que l’anglas, l’allemand, le russe, le roumain, l’espagnol, le vietnamien [… ] ont intégré à leur lexique».

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Les dictionnaires roumains définissent le néologisme comme un mot nouveau emprunté ou formé récemment dans une langue (DLR) ou comme un mot nouveau, emprunté à une langue étrangère ou créé par des moyens internes; emprunt lexical récent, acception nouvelle d’un mot (DN4). À l’exception des dictionnaires spéciaux (par exemple DŞL), les dictionnaires roumains ne retiennent que rarement le sens de «nouvelle acception d’un mot existant dans une langue», sens créé par calque ou par des moyens internes (par exemple fereastră «surface délimitée, affichée sur l’écran du moniteur d’un ordinateur, où l’on présente un certain type d’informations» ou undă avec le sens moderne de «propagation d’une oscillation […]», d’après le fr. onde). C’est pourquoi, le terme néologisme se superpose, dans bien des cas, sur celui d’emprunt, en tant qu’unité lexicale qui a récemment pénétré dans une langue donnée (Ibid.). D’ailleurs, de par leur structure, les langues sont articulées de manière à permettre la créativité, en l’occurrence lexicale, par des mécanismes qui opèrent soit au niveau de la forme, soit au niveau du sens (cf. Busuioc 2007).

Un problème épineux concernant la définition du néologisme est celui de la durée du statut de néologisme d’un mot. À cet égard, il existe parfois des opinions totalement divergentes. Dans une acception plus large, on considère que sont des emprunts lexicaux néologiques, c’est-à-dire des néologismes, les mots entrés en roumain à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle et du début du XIXe (Şerbănescu 1985: 8). Une partie des néologismes sont, en même temps, des mots internationaux, des mots empruntés à une langue et présents dans plusieurs langues de civilisation: stress, show, etc. Selon la même opinion, ceux-ci devraient être considérés comme des néologismes, sans tenir compte de leur ancienneté: filozof et filozofie, attestés en roumain dès le XVIIIe siècle, sont donc considérés comme des néologismes. D’autre part, Florica Dimitrescu exprime son opinion en faveur de l’emploi du concept de néologisme dans un sens restreint, pour désigner «la dernière couche d’éléments étrangers entrés en roumain – des mots attestés pour la première fois entre 1960 et 1980» (1994: 246)5.

2.3. Néonyme À son tour, le néonyme est un néologisme utilisé dans les langues de

spécialité. Les rapports existant entre néologie et langues de spécialité sont très étroits, car les nouvelles créations lexicales surgissent avec les nouveaux produits et les nouveaux concepts scientifiques, techniques et technologiques. Pour cette raison, le néonyme désigne l’unité lexicale spécialisée, pour le distinguer du néologisme, qui désigne l’unité lexicale de la langue générale.

5 C’est avec ce concept que l’auteur a opéré dans la sélection des mots-titre enregistrés dans le DCR.

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Par conséquent, si la néologie de la langue générale fait l’objet d’étude du lexicologue qui puise souvent son corpus dans la presse générale (quotidiens, hebdomadaires, magazines, etc.), la néonymie est traitée par le terminologue à partir de corpus spécialisés ou officiels, y compris la presse pour les spécialistes (v. aussi Dincă / Popescu 2011).

2.4. Classification des emprunts / néologismes / néonymes Dans la littérature de spécialité, les emprunts / les néologismes / les

néonymes sont classifiés en fonction de différents critères. D’après l’origine et le rôle de l’emprunt dans la communication, il existe:

(i) des emprunts dénotatifs ou techniques (ou néonymes) et (ii) des emprunts connotatifs ou stylistiques.

La première classe regroupe les termes utilisés dans les langues de spécialité, dont le but est celui de combler «un vide terminologique» (Busuioc 2007). Les spécialistes distinguent encore: (i) la néologie primaire, qui répond à une nécessité immédiate par l’introduction d’un nouveau terme pour un nouveau concept et (ii) la néologie traductive, auquel cas le terminologue / le traducteur est confronté à l’existence de nouveaux termes dans la langue-source, pour lesquels il est mis dans la nécessité de trouver des équivalents dans la langue-cible6. Tel est le cas des néologismes exigés par les nouvelles institutions européennes (le droit communautaire) et qui a imposé la création de noms correspondant aux nouvelles réalités: roum. ombudsman, acquis comunitar, guvernanţă, etc. Quant aux emprunts connotatifs ou stylistiques, rencontrés souvent dans le langage de la presse, mais aussi dans le langage courant ou en littérature, ceux-ci forment une classe beaucoup plus hétérogène que la première, incluant des doublets étrangers pour les mots du fonds traditionnel de la langue roumaine. En relation de synonymie avec les mots autochtones, les emprunts connotatifs ont surtout le rôle de nuancer le vocabulaire (voir par exemple les paires synonymiques amănunt – detaliu («détail»), jertfă – sacrificiu («sacrifice»), nădejde – speranţă («espoir, espérance»), împrejurare – circumstanţă («circonstance »), etc.7. De telles créations sont parfois considérées comme des emprunts de luxe ou des barbarismes; voir le cas des mots récents entrés, par filière française, dans la presse écrite, dans diverses terminologies ou dans la conversation quotidienne (a antama, a bulversa, a devoala, a se deroba, indenegabil, mefienţă, etc.) ou anglaise (a clica, cool, trendy, thriller, shopping, etc.).

6 «Proposer, en accord avec les spécialistes, un néologisme adéquat dès la première diffusion de la nouveauté est la meilleure manière d’éviter un long et délicat processus d’aménagement linguistique a posteriori» (Lemaire / Van Campenhoudt 2010). 7 «La grande richesse en synonymes d’étymologies différentes […] constitue un trait caractéristique du roumain» (Şora 2006: 1730).

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2.5. Néosémie Pour le signifié nouveau qu’acquiert un même signifiant, les linguistes ont

créé un nouveau terme: le néosème, alors que le processus s’appelle néosémie (cf. Rastier / Valette 2009: «À partir de cette distinction, on étudiera la création de nouveaux signifiés pour des lexies existantes, ou néosémies». À mentionner aussi que tout un numéro récent de la revue Cahiers de lexicologie (2012) est consacré à la problématique de la néologie sémantique.

2.6. Xénisme / pérégrinisme Les néologismes qui ont une existence éphémère enregistrent des

occurrences isolées, sans avoir le pouvoir de pénétrer dans la langue courante. De ce point de vue, c’est-à-dire l’intégration (phonologique, orthographique, morphosyntaxique, sémantique) de l’unité empruntée dans la structure de la langue réceptrice, on parle, d’une part, d’emprunts naturalisés, et, de l’autre, de xénismes (emprunts tels quels, alloglottes) ou de pérégrinismes (cf. Kocourek 1982: 133).

Pour ce qui est du rapport entre le xénisme et le pérégrinisme, nous renvoyons à Chadelat (2000): «Les pérégrinismes ne sont après tout que des mots voyageurs ou migrateurs considérés du point de vue linguistique, en fonction d’une place hypothétique au sein du système susceptible de les adopter, tandis que les xénismes sont ces mots étrangers considérés du point de vue des locuteurs en fonction de leur forme exotique»8. À titre d’exemple, on peut citer le grand linguiste roumain, Iorgu Iordan (1954), qui relevait dans la presse roumaine d’entre les deux guerres une série de mots empruntés au français «qui ne correspondaient à aucune nécessité»: aberant (du fr. aberrant), abhorat (du fr. abhorré), alert (du fr.alerte), angoasă (du fr. angoisse), aviva (du fr. aviver), bulversa (du fr. bouleverser), claca (du fr. claquer), compozit (du fr. composite), confesa (du fr. confesser), cozerie (du fr. causerie), curonament (du fr. couronnement), devanseur (du fr. devanceur), diurn (du fr. diurne), dompta (du fr. dompter), efasa (du fr. effacer), flana (du fr. flâner), flaterie (du fr. flatterie), etc. Mais si l’on examine aujourd’hui, donc plus d’un demi-siècle plus tard, ces formations, l’on doit remarquer que beaucoup sont aujourd’hui parfaitement intégrées dans le roumain courant, étant consignées par les dictionnaires explicatifs ou de néologismes: aberant, alert, angoasă, a aviva, a claca, compozit, a confesa, diurn, etc., alors que d’autres (a dompta, a efasa) sont ressenties comme des mots étrangers («franţuzisme») ou bien ont été éliminées de l’usage (devanseur). Par ailleurs, même à l’époque actuelle, beaucoup d’emprunts, surtout au français, ont un caractère livresque et ne sont pas entrés dans le circuit

8 Voir à ce sujet Volclair (sous la dir. de), Dictionnaire évolutif des pérégrinismes http://itiri.unistra.fr/IMG/pdf_Peregrinismes.pdf

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général de la langue. C’est, par exemple, le cas de: a lacera (du fr. lacérer), a libela (du fr. libeller), a umecta (du fr. humecter), a uzita (du fr. usiter), a oblitera (du fr. oblitérer), a cola (du fr. coller), a hanta (du fr. hanter), lancinant (du fr. lancinant), obsecvios (du fr obséquieux), etc.

Il arrive parfois que même l’importation d’une nouvelle acception pour un mot existant dans une langue soit ressentie comme étrangère. Tel est par exemple le cas du terme aplicaţie (du fr. application) qui, sous l’influence de l’anglais, a acquis le sens de «demande, sollicitation en vue de participer à un concours pour un poste vacant», sens qui se superpose sur ceux qui existaient déjà dans la langue courante: «mise en pratique; exercice militaire de lutte; aptitude, talent, etc.». Le DEX précise que cette nouvelle acception est d’origine argotique (cf. ARGOU 2007), ce qui veut dire que la langue parlée peut être une source pour l’adjonction de nouveaux sèmes aux unités lexicales qui existent dans une langue.

2.7. Étymologie Le caractère profondément hétérogène du vocabulaire néologique de la

langue roumaine est dû, comme le remarquait Th. Hristea (1968), à sa structure étymologique (sa constitution sous l’influence de plusieurs langues: le néogrec, le russe, l’allemand, le latin savant, le français, l’anglais, etc.) et à l’origine multiple des mots. C’est la raison pour laquelle la littérature de spécialité mentionne l’existence de trois types de situations (cf. Popescu 2011):

(i) emprunts à étymologie unique, par exemple UNITAR (du fr. unitaire), JURNAL (du fr. journal), PACTIZA (du fr. pactiser), etc.;

(ii) emprunts à étymologie multiple (concept introduit par Al. Graur 1950) qui regroupent des mots qui ont pénétré par plusieurs voies, par exemple: UMANITATE (du lat. humanitas, -atis, fr. humanité), PACHET (du fr. paquet, all. Paket), etc.;

(iii) emprunts à étymologie controversée (qui peuvent s’expliquer aussi par des procédés internes, tels que la dérivation ou la néologie sémantique). Les deux grands problèmes et, en même temps, les deux points faibles dans l’étude de l’étymologie et qui attendent une tentative de solution sont l’étymologie multiple et l’étymologie controversée.

2.7.1. L’étymologie multiple Le concept d’étymologie multiple s’applique aussi bien aux mots qui peuvent

avoir plusieurs étymons (les cas les plus fréquents impliquent le français et l’anglais, mais aussi le latin savant, l’italien, l’allemand, etc.) qu’à certains suffixes (par exemple -ez ou -bil). C’est un principe qui a été adopté par la majorité des chercheurs roumains pour l’explication du vocabulaire néologique du roumain.

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On distingue trois types d’étymologie multiple: 1. l’étymologie multiple interne, c’est-à-dire le cas où un dérivé provient de deux ou de plusieurs primitifs qui font partie de la même famille lexicale (Hristea 1973) ainsi que la situation des déraillements ou des contaminations lexicales (Király 1973); 2. l’étymologie multiple externe, c’est-à-dire le cas où le même mot est emprunté à deux ou à plusieurs langues de culture et de civilisation (soit à la même époque, soit à une certaine distance temporelle et spatiale) (Hristea 1973), un exemple souvent cité pour illustrer ce type d’étymologie étant le mot lampă9; 3. enfin, la soi-disante étymologie multiple mixte (ou combinée), le cas où le même mot a une double provenance (externe et interne) (Idem), par exemple, pour le verbe a arhaiza on devrait indiquer l’étymologie suivante: de arha[ic] + arha[ism] + suffixe –iza, cf. fr. archaïser (rare) (Sala 1999).

Dans le cas de beaucoup de mots enregistrés en roumain avec une étymologie multiple persiste, souvent, dans les ouvrages lexicographiques, une situation d’incertitude. De nombreux cas de discordances apparaissent quand on confronte plusieurs sources, par exemple:

ULTIMATIV, -Ă, adj. - Du fr. ultimatif [DEX]; - Du fr. ultimatif, it. ultimativo [DLR]. ULTIMATUM, s.n. [Var.: (vx.) ultimat s.n.] - Du fr. ultimatum, all. Ultimatum [DEX]; - Du fr. ultimatum, all. Ultimatum, lat. méd. Ultimatus [DLR] ULTRAPAS, s.n. - De l’all. Ultrapas, fr. ultrapas [DEX]; de l’all. Ultrapas [DLR] UMOARE, s.f. [Var.: humoare s.f.] - Du fr. humeur, lat. humor, -oris [DEX, DLR]; fr. humeur [DER] UNANIM, -Ă, adj. - Du fr. unanime [DEX] ; - Du fr. unanime, lat. unanimus [DLR] UNGULIGRAD, -Ă, adj., s.m. et f.- Du fr. onguligrade, angl. Unguligrade [DEX]; - Du fr. onguligrade [DLR] UNIAT, -Ă, adj. Du fr. uniate [DEX]; - Du pol., ukr. uniat [DLR] UNIFICA, vb. - Du fr. unifier, it., lat. unificare [DEX, DLR]; fr. unifier [DER] UNIPOLAR, -Ă, adj. - Du fr. unipolaire [DEX]; - Du fr. unipolaire, all. uniopolar [DLR] UNISON s.n. Du fr. unisson, lat. unisonus [DEX]; De l’it. unisono, fr. unisson, all. unisono URGENT, -Ă, adj. - Du fr. urgent, lat. urgens, -ntis [DEX, DLR]; it. urgente, fr. urgent [DER]

De toute façon, Mioara Avram (1982) reprochait aux linguistes de faire appel à l’étymologie multiple non pas par nécessité mais par commodité, même dans les

9 Lampă est entré pour la première fois en roumain du néogrec, sous la forme lambă «lampe à huile», puis sous la forme actuelle, avec le sens de «lampe à pétrole », pouvant venir du russe, du français, de l’allemand et en s’ajoutant par la suite des significations nouvelles, en concordance avec l’évolution du référent extralinguistique.

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cas où les indices formels ou les dates historiques s’opposaient à faire admettre certaines sources.

2.7.2. L’étymologie controversée En ce qui concerne l’étymologie controversée, celle-ci se rencontre souvent dans le cas des néologismes ou des dérivés, où les difficultés de choisir une source commune sont évidentes. En plus, ce concept apparaît dans certains ouvrages lexicographiques qui n’adhèrent pas aux classifications proposées pour l’étymologie multiple. L’une des possibles explications réside dans la diversité des sources d’information aussi bien que des critères selon lesquels les auteurs des dictionnaires établissent les étymologies. C’est un problème qui a préoccupé en effet les romanistes et qui consiste à dissocier, dans le cas des mots dérivés, les emprunts tels quels des mots créés dans la langue réceptrice. Souvent on enregistre des contradictions entre les différents ouvrages lexicographiques, qui se trouvent dans l’impossibilité de trancher net en faveur d’une solution ou de l’autre. Par exemple, Reinheimer Rîpeanu (1989: 374) cite des mots comme lexical, licitaţie, manevrabil, maleabilitate, concretiza, qui ont des chances égales d’être formés en roumain ou de représenter des emprunts au français. Le DEX fournit un nombre considérable de telles formations:

- NUCLEAR, adj. vient du fr. nucléaire, mais pour les dérivés on adopte l’hypothèse d’une dérivation à l’intérieur de la langue roumaine: nucleariza, vb. (nuclear + -iza), denucleariza, vb. (des- + nuclear + iza), plurinuclear, adj. (pluri- + nuclear) ; - pour les mots NEALINIAT, adj. (ne- + aliniat) et NEALINIERE, s.f. (ne- + aliniere), bien que considérés comme formés en roumain, on renvoie également au français (cf. respectivement fr. non-aligné et non-alignement); - NUCLEINIC, adj., est dans la même situation: formé en roumain de nucleină + -ic, mais pourrait s’expliquer aussi par le fr. nucléinique, etc. - NEOMALTHUSIAN, - Ă, s.m.f. et adj., vient du fr. néo-malthusien, mais neomalthusianist, -ă, s.m.f. et adj. est considéré comme formé en roumain de neomalthusian + -ist, alors que neomalthusianism, s.n. viendrait du fr. néo-malthusianisme.

La confrontation de plusieurs sources (en l’occurrence le DEX et le DLR) n’est pas en mesure de clarifier le problème des étymologies incertaines, car les désaccords persistent: dérivés en roumain ou emprunts au français. Souvent sont prises en compte les deux hypothèses; parfois l’hésitation des lexicographes se cache derrière des formules neutres comme ‘cf. fr.’, ou bien on invoque le modèle français par le recours à la formulation ‘d’après le fr.’. Tels sont par exemple les cas de:

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ULTRAACUSTIC: ultra- + acustic, cf. fr. ultraacoustique (DEX); du fr. ultraacoustique, all. Ultraakustik (DLR) ULTRASECRET, -Ă: ultra- + secret, cf. fr. ultrasecret (DLR); ultra- + secret, d’après le fr. ultrasecret (DEX) ULTRASENSIBIL, -Ă: ultra- + sensibil, cf. fr. ultrasensible (DLR, DEX) ULTRALIBERALISM: ultraliberal + -ism (DEX); ultra- + liberalism, cf. fr. ultralibéralisme (DLR) ULTRASONOR, -Ă: ultra- + sonor (DEX); du fr. ultrasonore (DLR) ULTRASONOTERAPIE: ultrasonic + terapie (DEX); du fr. ultrasono-thérapie (DLR) Il n’est pas difficile d’admettre les raisons objectives pour lesquelles tant

d’étymologies doubles ont été proposées: dans la plupart des cas il est impossible de dire si le dérivé est roumain, d’après un modèle courant, ou emprunté tel quel au français10.

Voilà pourquoi nous considérons qu’une corrélation entre les aspects de la théorie linguistique et ceux de l’activité lexicographique s’avère plus que nécessaire notamment dans le cas des mots à étymologie controversées (les mots où il n’y a pas moyen de faire une distinction nette entre emprunt et création interne et les mots pour lesquels on propose diverses étymologies multiples), car ce sont deux points faibles de l’analyse linguistique dans le cas des emprunts, en particulier, et de l’analyse étymologique, en général, qui attendent encore une tentative de solution.

3. LE CORPUS GÉNÉRAL DES GALLICISMES DU ROUMAIN

L’équipe de recherche du projet FROMISEM a établi un corpus-registre des emprunts français en roumain (gallicismes), qui a pris la forme d’un dictionnaire (DILF), ouvrage destiné tant aux spécialistes qu’aux personnes intéressées par les problèmes de formation du vocabulaire du roumain moderne et contemporain. Il représente la première tentative de constitution d’un corpus de mots d’origine française, à partir des termes enregistrés dans le dictionnaire explicatif le plus usuel de la langue roumaine, le DEX (1998), dans sa variante électronique, le DEX on line. Pour ce qui est de la structuration du DILF, celui-ci a deux sections différentes, qui correspondent à deux catégories d’emprunts: (i) emprunts à étymologie uniquement française; (ii) emprunts à étymologie multiple, y compris française.

10 Nous citons à ce propos Şora: «Lorsqu’il s’agit d’affixes latino-romans récents, devenus productifs dans le roumain actuel, la difficulté consiste parfois à distinguer un emprunt d’un mot créé en roumain» (2006: 1727).

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Cet ouvrage a permis de réaliser une statistique sur l’ensemble des élémentx lexicaux à étymon français dans la langue roumaine (mots d’origine française exclusive et mots à étymologie multiple, y compris française), ainsi que sur la force dérivative de ces éléments en roumain (par exemple autour de l’entrée sofistica, vb. - du fr. sophistiquer, sont groupés les dérivés: sofisticare, s.f., sofisticat, adj., nesofisticat, adj., desofisticare, s.f. et ainsi de suite). Notre statistique sur ce corpus de grandes dimensions (65.000 mots), incluant les mots bases et les mots dérivés, se présente comme suit (pour d’autres précisions, v. Scurtu / Dincă 2011): 1. Mots-bases

Mots à étymologie uniquement française: 30,60%

Mots à étymologie multiple, y compris française: 9,04%

Total: 39,64%

2. Mots dérivés à partir de bases à étymologie uniquement française et à étymologie

multiple: 7,87%

Total général: 47, 51 %.

Ce qui donne une image suggestive de l’ampleur du phénomène étudié: presque la moitié du lexique du roumain actuel est redevable, sous une forme ou autre, à l’influence française! Certes, ces informations ne sont que lacunaires et, parfois, erronées, tributaires aux insuffisances du dictionnaire utilisé comme point de départ. Les données ainsi obtenues devront être corroborées avec d’autres sources (dictionnaires explicatifs et / ou étymologiques du roumain) pour obtenir un dictionnaire des gallicismes du roumain, réalisé sur des bases scientifiques11.

4. PROBLÈMES D’ADAPTATION ET D’INTÉGRATION DES

GALLICISMES

La dernière question dont nous voulons traiter dans cet article concerne un aspect qui a suscité l’intérêt de nombreux chercheurs roumains: il a été souvent relevé que les néologismes doivent respecter les normes phonologiques, orthographiques et morphosyntaxiques de la langue d’accueil, car toute unité lexicale nouvelle se construit en partant d’une forme déjà existante et avec des éléments et des stratégies de formation appartenant au système de celle-ci (v. Busuioc 2007). C’est aussi le cas des gallicismes qui, en principe, se sont adaptés aux systèmes phonétique, orthographique et morphologique du roumain, mais les 11 Nous nous rallions à l’opinion de Thibault, qui écrit à propos du Diccionario de la lengua española (DRAE) de la Real Academía Española: «Il serait illusoire de prétendre établir la liste de tous les gallicismes de l’espagnol à partir d’un dépouillement mécanique du DRAE» (2009: 130), ce qui est aussi notre cas.

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difficultés d’adaptation et les nombreuses oscillations enregistrées sont dues aux différences majeures qui existent entre les deux langues en question (au niveau de la graphie et de la prononciation).

D. Macrea (1961) montrait à cet égard que, malgré la tentative échouée des représentants de la Şcoala Ardeleană de créer une terminologie pour exprimer les notions de la culture moderne par l’introduction de mots latins, elle a préparé le terrain pour la réception en roumain des néologismes français (et italiens) dans une forme proche de la variante latine. Par exemple, des mots comme activitate, afinitate, antichitate, claritate viennent du français, mais ont été rapprochés de leur forme latine et ressemblent aux mots hérités (comme par exemple bunătate < lat. BONITAS, -ITATIS). Dans la même direction, Al. Graur (1963) remarquait le fait que la lecture des mots français selon l’orthoépie roumaine a rapproché ces mots de leur base latine (par exemple accent [aktsent]).

4.1. Voies de pénétration La forme des emprunts permet, dans de nombreux cas, d’établir la voie par

laquelle ceux-ci sont entrés: orale ou écrite, étant données les différences systémiques qui existent en français entre ces deux codes de la langue. C’est ainsi que des mots comme coşmar (du fr. cauchemar), fular (du fr. foulard) ou manşetă (du fr. manchette) viennent de la langue parlée, car leur forme en roumain se rapproche de la prononciation qu’ils ont en français, alors que des mots comme automat [awtomat], certificat [tsertifikat], sergent [serjent], viennent, évidemment, par voie écrite (v. Iliescu 2003-2004). Une analyse des registres stylistiques de la langue mettrait en lumière le fait que les mots entrés par voie orale font plutôt partie de la langue courante, familière, alors que les termes de spécialité viennent le plus souvent par voie écrite (v. aussi Hristea 1995).

4.2. Adaptation phonétique

Concernant les nombreux problèmes d’ordre phonétique, nous mentionnons les faits suivants: (i) le e muet est généralement prononcé en roumain: bulevard, bibelou (mais decolteu, du fr. décolleté); (ii) le e ouvert du français se prononce fermé: creion (du fr. crayon), mersi (du. fr. merci), premieră (du fr. première); (iii) le e arrondi [ø] est prononcé aussi [e]: fetru (du fr. feutre), sauf bleu, prononcé [blö]; (iv) les emprunts plus vieux terminés en [o] (bureau, stylo) ont développé en roumain l’élément labial de la voyelle o, devenu la semi-voyelle u: birou, stilou, tandis que les emprunts plus récents conservent la voyelle o; (v) les modifications apparaissent au niveau de l’accent (rádio) et de la flexion, lors de l’emploi de

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l’article enclitique12; (vi) dans le cas des mots plus récents terminés en français en [ü] (comme pardessus), celui-ci se transforme en diphtongue: pardesiu, d’après le modèle des vieux mots roumains en -iu: vizitiu («cocher»), etc.

4.3. Facteurs dont dépend l’adaptation phonétique et graphique Il faut préciser que l’adaptation phonétique, mais aussi graphique, est

fonction de plusieurs facteurs dont le moment de l’entrée du mot dans la langue et la conscience linguistique des locuteurs (le fait de connaître ou non la langue étrangère, en l’occurrence le français). Concernant ces aspects, on peut mentionner que les premiers gallicismes, ayant subi une assimilation phonétique et graphique parfaite, sont aujourd’hui bien intégrés en roumain: roum. tren (du fr. train), roum. compozitor (du fr. compositeur), roum. celibatar (du fr. célibataire), etc. Ce phénomène peut être signalé pour les emprunts à d’autres langues aussi: roum. scadenţă (de l’it. scadenza), roum. ofsaid (de l’angl. offside), roum. ştecăr (de l’all. Stecker), etc. Par contre, les gallicismes plus récents sont entrés, en bonne partie, tels quels, avec la forme (et leur sens étymologique), étant donc non (encore) adaptés au système de la langue roumaine (par exemple acquis, déjà bien implanté dans la terminologie de spécialité). Voici quelques exemples de gallicismes récents: aidemémoire, à la longue, à la russe, bain-marie, bordeaux, café-concert, café-frappé, chateaubriand, chou à la crème, ciné-vérité, déjà-vu, deux-pièces, en détail, fondu, etc. (nous parlons dans ce cas de xénismes ou de francesismes (cf. supra 2) (on peut consulter, pour plus de détails, Scurtu 2009). Des fois, la prononciation présente des formes se trouvant en variation libre: airbus avec la prononciation anglaise [érbas] ou française [erbüs]. C’est un aspect sur lequel Rodica Zafiu (2005) nous attire elle aussi l’attention: l’existence de nombreux emprunts récents (c’est vrai que la plupart sont des anglicismes), non adaptés, mais inclus dans un dictionnaire normatif roumain (DOOM-2), qui indique explicitement aussi la prononciation (par exemple parură, prononcé [parüră], etc.). Enfin, terminons par la remarque qu’on peut trouver une liste de gallicismes non adaptés dans le DIN: ces mots gardent des phonèmes inexistants en roumain, comme [ö]: berceuse, chartreuse, cozeur, deux-pièces, dizeur, dizeuză, en cœur, friteuză, frondeur, gafeur, maseur, maseuză, pas-de-deux, porte-bonheur, pozeur, raisonneur, remaieuză, tapeur, trompe-l’œil, trotteur, voyeurism ou [ü]: airbus, alură, bruxellez, caracul, carură, cupură, ecru, etui, fondue, impromptu, malentendu, montagne russe, muguet, parură, tul, tutu, des nasales: sanculot, etc.

12 L’article défini en roumain est postposé au nom: om «homme», mais omul «l’homme» et se décline: omului «à l’homme», etc.: radióul, radióului.

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Simona Constantinescu (2005) souligne qu’au niveau de la prononciation et de la graphie les mots empruntés reflètent leur degré d’assimilation. Dans l’histoire d’un mot, un moment arrive où il cesse d’être considéré comme étranger, ce qui veut dire que ces emprunts subissent une assimilation parfaite. Tel est par exemple le cas du mot angro (DOOM-2), avec une orthographe roumaine (après des variantes comme en gros, engros, angros, angross). 5. QUELQUES CONCLUSIONS

Les emprunts, les néologismes de diverses origines dans le lexique du roumain et tout particulièrement les gallicismes ont été étudiés d’une manière constante par nos linguistes, qui ont tous signalé l’importance de l’élément roman et son rôle dans la modernisation du roumain littéraire.

Des préoccupations systématiques, dans la linguistique roumaine, sont encore nécessaires tant en ce qui concerne les aspects théoriques (définition des principaux concepts opérationnels ou standardisation du métalangage) que les aspects pratiques (tels que détection et la classification des néologismes ou leur traitement automatique). Notre recherche menée dans le cadre du projet FROMISEM s’inscrit dans ces directions. Elle a visé à un caractère interdisciplinaire, assuré notamment par la corrélation entre les aspects de la théorie linguistique et ceux de l’activité lexicographique. Nous apprécions également que les résultats de nos études sont à même d’ouvrir de nouvelles pistes de recherche dans le domaine et contiennent indubitablement des suggestions, implicites ou explicites: a. pour les auteurs des dictionnaires explicatifs ou de néologismes, notamment des gallicismes; b. pour l’analyse des aspects théoriques de la néologie; c. pour la détection, la classification et le traitement automatique des néologismes / gallicismes; d. pour l’appréhension des aspects sociaux et sociolinguistiques qu’ils soulèvent, etc.

Le projet de recherche que nous venons de présenter de manière succincte s’est s’arrêté aussi sur un aspect quelque peu négligé dans les travaux portant sur la problématique des gallicismes du roumain, en réalisant une étude détaillée de leur sémantisme, qui s’est concrétisée par l’élaboration d’une typologie basée sur les critères de la transmission du sens du français vers le roumain et de l’innovation opérée en roumain par différents types de transferts sémiques (métaphores, extensions, restrictions, etc.). C’est un aspect qui n’a pas été pris en compte dans cette présentation, mais pour lequel nous renvoyons à Iliescu et all. 2010, en nous proposant d’y revenir avec des précisions supplémentaires dans un prochain article.

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AUTOUR D’UN CORPUS DE MOTS ROUMAINS D’ORIGINE FRANÇAISE (DILF)1

1. INTRODUCTION Sur l’ensemble des langues romanes, le roumain est défini comme «une

entité politique mal définie» (Cyril 2002: 9), car les anciennes provinces de Valachie et de Moldavie avaient été soumises à la tutelle de l’Empire ottoman et de la Russie pendant environ trois siècles. Mais, à partir du XVIIIe siècle, le roumain a subi un ample processus de re-romanisation qui a accentué et accru ses traits romans à tous les niveaux (lexique, phraséologie, phonétique, structure grammaticale) mais, surtout, au niveau de l’enrichissement du lexique et de la phraséologie par de nouveaux éléments romans. De ce point de vue, le roumain est défini comme une langue accueillante, «hospitalière», selon le réputé romaniste Alf Lombard (1967: 17), preuve incontestable de sa force créative illimitée.

Dans ce contexte, la contribution de la langue française à la formation du roumain moderne, c’est-à-dire à la redéfinition de sa structure lexicale, tant au niveau de la langue générale qu’au niveau des lexiques spécialisés, est incontestable. Ces deux langues en contact ont d’ailleurs une situation privilégiée, étant donné qu’il s’agit de deux langues apparentées généalogiquement qui se partagent bon nombre de mots d’origine latine.

Pour le XIXe siècle on peut même parler d’un phénomène de francomanie, qui s’identifie avec ce qu’on peut appeler «l’emprunt par snobisme», phénomène signalé par Deroy (1956: 183) pour l’hellénisme à Rome, dans l’Antiquité. Ce qui lui est spécifique, c’est le fait qu’il a un usage momentané, car il s’agit d’une phase de transition qui reflète une volonté d’affirmation et d’assimilation d’une culture nouvelle. Mais ce qui est évident c’est le fait que, après tout un siècle d’invasion de mots empruntés au français, la langue roumaine est sortie plus consolidée en ce qui concerne sa capacité d’enrichir son vocabulaire et de définir ses propres normes d’adaptation des emprunts à d’autres langues, y compris le français.

1 Daniela Dincă / Gabriela Scurtu, «Autour d’un corpus de mots roumains d’origine française (DILF)», in AUC. Langues et littératures romanes, nr. 1-2, 2011, p. 255-266.

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2. LE DILF - TÉMOIN DE L’INFLUENCE FRANÇAISE SUR LE VOCABULAIRE DU ROUMAIN MODERNE

2.1 L’équipe de recherche qui a travaillé dans le cadre du projet de recherche

Typologie des emprunts lexicaux français en roumain. Fondements théoriques, dynamique et catégorisation sémantiqu (FROMISEM) a établi un corpus-registre des emprunts français en roumain, représentant la première tentative de constitution d’un corpus de mots d’origine française (DILF 2009), à partir des termes enregistrés dans le dictionnaire explicatif le plus usuel de la langue roumaine, le DEX (1998), dans sa variante électronique, le DEX on line. Cet ouvrage destiné tant aux spécialistes qu’aux personnes intéressées par les problèmes de formation du vocabulaire du roumain moderne et contemporain comprend 65 000 mots, faisant ainsi une large place aux néologismes. Il nous a permis de réaliser une statistique sur l’ensemble des élémentx lexicaux à étymon français dans la langue roumaine (mots d’origine française exclusive et mots à étymologie multiple, y compris française), ainsi que sur la force dérivative de ces éléments en roumain (par exemple autour de l’entrée SOFISTICA, vb. (< fr. sophistiquer), sont groupés les dérivés: sofisticare, s.f., sofisticat, adj., nesofisticat, adj., desofisticare, s.f. et ainsi de suite).

Cette statistique effectuée sur les mots d’origine française dans le DILF indique un fait d’une importance exceptionnelle: sous une forme ou autre, presque la moitié du lexique du roumain est tributaire à l’influence française (47,51%), ce qui donne une image assez suggestive de l’ampleur de ce phénomène. Plus exactement les mots-bases représentent 39,64% sur l’ensemble du dictionnaire (dont 30,60% mots à étymologie uniquement française et 9,04% mots à étymologie multiple, y compris française), alors que les mots dérivés enregistrent, à leur tour, un pourcentage de 7,87%.

À juger d’après le corpus élaboré jusqu’à présent, on peut donc constater que la plupart des emprunts au français appartiennent à la catégorie des mots à étymologie uniquement française (30%) et, si l’on ajoute les mots à étymologie multiple, y compris française, le pourcentage atteint 39% sur l’ensemble du dictionnaire, ce qui rapproche notre statistique de celle de Macrea (1961) sur le DLRM (39%). Cela pourrait constituer un argument en faveur du fait que les mots d’origine française ont pénétré massivement jusqu'à la moitie du XXe siècle.

2.2. En outre, il faut souligner le rôle du français en tant que filière de

pénétration pour les mots d’autres origines, notamment les mots latins savants, entrés en roumain par la filière de la langue française (ce qui est encore un argument pour le rôle de cette langue dans la reromanisation de notre langue). Pour mettre en lumière l’importance du français en tant que filière de pénétration des

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néologismes d’origine latine savante, nous avons retenu les données fournies par le Dictionnaire des emprunts latins dans les langues romanes (DELLR), coordonné par Sanda Reinheimer Rîpeanu et paru aux Éditions de l’Académie Roumaine, 20042.

Dans la section consacrée au roumain, on a inclus, à juste titre, les formes dues à l’étymologie multiple: des termes entrés en roumain souvent par l’intermédiaire du français, mais aussi d’une autre langue - romane ou non:

«Les traits qui lui sont conférés [au roumain] le rapprochent dorénavant de plus en plus de ses langues sœurs de l’Occident (où le même processus s'était déroulé plus tôt et d’une façon directe); c’est pourquoi en roumain ce type d’emprunts, dans la pénétration desquels le français a joué un rôle important, [c’est nous qui soulignons] porte le nom d’emprunts latino-romans; ce sont en général des mots à étymologie multiple, une étymologie qui réunit dans bien des cas non seulement le latin, le français et l’italien, mais aussi des langues non-romanes qui avaient connu elles aussi un afflux de latinismes et qui ont favorisé leur transfert en roumain.» (Reinheimer Rîpeanu 2004: 14) 2.3. Certes, les informations offertes à la suite du dépouillement du DEX ne

sont que lacunaires et, parfois, erronées, tributaires aux insuffisances du dictionnaire utilisé. Les données ainsi obtenues devront être corroborées avec d’autres sources (dictionnaires explicatifs et / ou étymologiques du roumain, en principal le DA et le DLR), pour obtenir un dictionnaire des emprunts français en roumain, réalisé sur des bases scientifiques3.

3. DIFFICULTÉS LEXICOGRAPHIQUES

3.1. Critères pour établir l’étymologie d’un mot Pour établir correctement l’étymologie d’un mot il y a deux critères dont il

faut tenir compte: le critère linguistique et celui extralinguistique (v. une vue synthétique sur cette question dans Popescu 2011). À son tour, le critère linguistique comporte deux sous-divisions: le critère formel et le critère sémantique. Le premier consiste dans une ressemblance formelle entre le mot

2 Le DELLR a été réalisé à partir du dépouillement des dictionnaires étymologiques de six langues romanes (catalan, espagnol, français, italien, portugais et roumain) et comprend un riche matériel, rigoureusement structuré à partir de 6.932 étymons latins savants. Ceux-ci se répartissent comme suit dans les langues romanes: portugais: 6.165, espagnol: 5.508, catalan: 5.891, français: 5.458, italien: 5.991, roumain: 3.883. 3 Nous nous rallions à l’opinion de Thibault (2009: 130), qui écrit à propos du Diccionario de la lengua española (DRAE) de la Real Academia Española: «Il serait illusoire de prétendre établir la liste de tous les gallicismes de l’espagnol à partir d’un dépouillement mécanique du DRAE», ce qui est parfaitement valable dans notre cas aussi.

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emprunté et son étymon. Par exemple, le mot yoghin vient de l’anglais yogin, car le mot français yogi a une prononciation et une graphie différentes. Mais, si dans le cas des mots hérités, le critère formel est facilement applicable grâce aux différents types de modifications phonétiques, il est évident que celui-ci ne fonctionne plus dans le cas des mots récemment empruntés. Par exemple, dans le cas du mot inginer, souvent expliqué par le français (même aujourd’hui, v. par ex. in MDN), cette étymologie est difficile à admettre, pour des considérations d’ordre phonétique (en conformité avec les normes d’adaptation des emprunts au français, ingénieur aurait dû aboutir en roumain à *ingeni-or/injeni-or (cf. skior, trior). D’ailleurs on accepte pour ce mot une étymologie multiple, tout en indiquant le français en première position, bien que l’italien ingegnere (consolidé par l’influence d’autres langues - français, allemand) puisse mieux expliquer la forme roumaine. En même temps, il faut préciser que l’un des traits spécifiques de notre langue est l’existence d’une multitude de solutions linguistiques d’adaptation des néologismes, ce qui fait du roumain une langue extrêmement permissive (Dănilă / Haja 2005). Par exemple, le mot rasă est expliqué exclusivement par le fr. race (in DLRM), mais avant la réforme de l’orthographe on écrivait aussi rassă, d’après l’allemand Rasse (le DEX admet une double étymologie, du français et de l’allemand).

Le critère sémantique implique une identité ou une relation justifiable entre le sens des deux mots: celui du mot d’origine et celui du mot emprunté, explique (Sala 1999). Il faut recourir aux classifications de la sémantique, surtout dans le cas où il n’y a pas d’indices formels permettant identifier l’origine des mots. Par exemple, le nom drugstore n’a pas le même référent en français et dans la langue source, l’anglais américain. En roumain, drugstore paraît avoir une double étymologie, en conformité avec ses sens: 1. «magasin général où l’on vend des produits alimentaires, pharmaceutiques, etc.» 2. «ensemble moderne comprenant un bar, un café, une salle de spectacle, etc.». Avec son premier sens, le mot peut être considéré un mot américain. Dans sa deuxième acception, il s’agit d’un mot d’origine française, car il a développé ce sens uniquement en français: «ensemble comprenant un bar, un café-restaurant, divers stands de vente (librairie, pharmacie, journaux, bibelots, produits de beauté, etc.) et parfois une salle de spectacles» (TLFi).

À son tour, le critère extralinguistique retrace l’histoire du mot en cause: son aire géographique, sa position dans la langue (la fréquence, le champ sémantique), etc., informations qui portent aussi bien sur la langue source que sur la langue cible (Sala 1999). L’auteur cité mentionne les sous-critères extralinguistiques suivants: 1. le critère géographique (l’analyse diatopique); 2. le critère fonctionnel; 3. le critère historico-social; 4. le critère de l’ancienneté / le critère de la première attestation (Dimitrescu 1994: 250), dans ce dernier cas, une difficulté particulière

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étant soulevée par les mots qui présentent un décalage de datation, au cas où la datation en roumain précède celle dans la langue source (ibid.); 5. la comparaison avec les langues apparentées.

Nous illustrons ce critère avec le terme microelectronică qui existe dans deux langues qui ont beaucoup influencé le roumain: le français et l’anglais. Dans ce cas, on pourrait se demander si, en roumain, ce mot a une étymologie unique (du français ou de l’anglais) ou multiple. Pour mieux comprendre, il faut rappeler que cette branche de la science s’est développée aux Etats-Unis, au début des années’60, et que le premier ouvrage de ce genre a été traduit en roumain en 1966. C’est un argument décisif pour prendre en considération l’origine anglaise du mot en question, d’autant plus que le français exprimait ce concept par la périphrase électronique moléculaire, le terme microélectronique étant introduit à peine en 1969.

3.2. Étymologie multiple vs. étymologie controversée Par conséquent, il y a dans l’étude de l’étymologie deux grands problèmes et,

en même temps, deux points faibles qui attendent une tentative de solution. Il s’agit de l’étymologie multiple et de l’étymologie controversée.

Le concept d’étymologie multiple s’applique aussi bien aux mots qui peuvent avoir plusieurs étymons (les cas les plus fréquents impliquent le français et l’anglais) qu’à certains suffixes (par exemple -ez ou -bil).

Il faut souligner deux phénomènes complémentaires: d’une part, beaucoup d’éléments lexicaux romans sont entrés en roumain par la filière de langues non-romanes (le néogrec, les langues slaves - surtout le russe et le polonais -, le turc, le hongrois, l’allemand et l’anglais) et, d’autre part, des mots provenant d’une certaine langue romane ont eu comme intermédiaire une autre langue d’origine romane (par exemple des mots d’origine portugaise ou espagnole sont entrés en roumain par le français), les langues romanes étant l’intermédiaire ou la filière de pénétration des mots issus de différentes langues (souvent du latin, du grec ancien ou, récemment, de l’anglais) (Avram 1982, Iliescu 2007).

Dans ce contexte, il faut faire la distinction, souvent négligée dans les ouvrages lexicographiques, entre étymologie et filière de pénétration. Plusieurs étapes méthodologiques doivent être parcourues: l’établissement du type d’étymologie (emprunt direct vs. emprunt indirect) ou la tentative d’établir la chronologie de pénétration (il y a des cas où il a une seule entrée). Conformément à ce dernier critère, on a démontré, par exemple, l’origine française des mots: biodegradabil (biodégradable), bionică (bionique), geostaţionar (géostationnaire), interfon (interphone), etc. (Dimitrescu 1994). C’est la raison pour laquelle Mioara Avram (1982) reprochait aux linguistes de faire appel à l’étymologie multiple non

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pas par nécessité mais par commodité, même dans les cas où les indices formels ou les dates historiques s’opposaient à faire admettre certaines sources.

On distingue trois types d’étymologie multiple: 1. l’étymologie multiple interne, c’est-à-dire le cas où un dérivé provient de deux ou de plusieurs primitifs qui font partie de la même famille lexicale (Hristea 1973) ainsi que la situation des déraillements ou des contaminations lexicales (Király 1973); 2. l’étymologie multiple externe, c’est-à-dire le cas où le même mot est emprunté à deux ou à plusieurs langues de culture et de civilisation (soit à la même époque, soit à une certaine distance temporelle et spatiale) (Hristea 1973), un exemple souvent cité pour illustrer ce type d’étymologie étant le mot lampă; 3. enfin, la soi-disante étymologie multiple mixte (ou combinée), le cas où le même mot a une double provenance (externe et interne) (Ibid.), par exemple, pour le verbe a arhaiza on devrait indiquer l’étymologie suivante: de arha[ic] + arha[ism] + suffixe –iza, cf. fr. archaïser (rare) (Sala 1999). En ce qui concerne l’étymologie controversée, celle-ci se rencontre souvent, tout comme l’étymologie multiple, dans le cas des néologismes ou des dérivés, où les difficultés de choisir une source commune sont évidentes. En plus, ce concept apparaît dans certains ouvrages lexicographiques qui n’adhèrent pas aux classifications proposées pour l’étymologie multiple. L’une des possibles explications réside dans la diversité des sources d’information aussi bien que des critères selon lesquels les auteurs des dictionnaires établissent les étymologies.

Nous considérons que, dans la recherche sémantique que nous allons développer à partir de ce corpus (DILF), nous devons prendre en compte uniquement les cas à étymologie claire, en retenant exclusivement les mots roumains dont l’origine française est justifiée en conformité avec les critères mentionnés plus haut.

3.3. Mots dérivés vs. mots à étymologie multiple Les problèmes délicats dans l’analyse lexicographique visent principalement

deux aspects, qu’on pourrait appeler cas d’étymologie controversée: les mots dérivés et les mots à étymologie multiple.

Un problème qui a préoccupé, en effet, les romanistes consiste à dissocier, dans le cas des mots dérivés, les emprunts tels quels des mots créés dans la langue réceptrice. Souvent on enregistre des contradictions entre les différents ouvrages lexicographiques, qui se trouvent dans l’impossibilité de trancher net en faveur d’une solution ou de l’autre. Par exemple, S. Reinheimer Rîpeanu (1989: 374) cite des mots comme lexical, licitaţie, manevrabil, maleabilitate, concretiza, qui ont des chances égales d’être formés en roumain ou de représenter des emprunts au français. Dans le DEX, la même situation persiste. Ainsi:

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NUCLEAR, adj. vient du fr. nucléaire, mais pour les dérivés on adopte l’hypothèse d’une dérivation à l’intérieur de la langue roumaine: nucleariza, vb. (nuclear + -iza), denucleariza, vb. (des- + nuclear + iza), plurinuclear, adj. (pluri- + nuclear); pour les mots NEALINIAT, adj. (ne- + aliniat) et NEALINIERE, s.f. (ne- + aliniere), bien que considérés comme formés en roumain, on renvoie également au français (cf. respectivement fr. non-aligné et non-alignement); NUCLEINIC, adj., est dans la même situation: formé en roumain de nucleină + -ic, mais pourrait s’expliquer aussi par le fr. nucléinique, etc. NEOMALTHUSIAN, - Ă, s.m.f. et adj., vient du fr. néo-malthusien, mais neomalthusianist, -ă, s.m.f. et adj. est considéré comme formé en roumain de neomalthusian + -ist, alors que neomalthusianism, s.n. viendrait du fr. néo-malthusianisme.

La confrontation de plusieurs sources (en l’occurrence le DEX et le DLR - un

dictionnaire de type trésor de la langue roumaine) n’est pas en mesure de clarifier le problème des étymologies incertaines, car les désaccords persistent: dérivés en roumain ou emprunts au français. Souvent sont prises en compte les deux hypothèses; parfois l’hésitation des lexicographes se cache derrière des formules neutres comme ‘cf. fr.’, ou bien on invoque le modèle français par le recours à la formulation ‘d’après le fr.’. Tels sont par ex. les cas de:

ULTRAACUSTIC: ultra- + acustic, cf. fr. ultraacoustique (DEX); du fr. ultraacoustique, all. Ultraakustik (DLR) ULTRASECRET, -Ă: ultra- + secret, cf. fr. ultrasecret (DLR); ultra- + secret, d’après le fr. ultrasecret (DEX) ULTRASENSIBIL, -Ă: ultra- + sensibil, cf. fr. ultrasensible (DLR, DEX) ULTRALIBERALISM: ultraliberal + -ism (DEX); ultra- + liberalism, cf. fr. ultralibéralisme (DLR) ULTRASONOR, -Ă: ultra- + sonor (DEX); du fr. ultrasonore (DLR) ULTRASONOTERAPIE: ultrasonic + terapie (DEX); du fr. ultrasonothérapie (DLR) (cf. Scurtu 2011).

Il n’est pas difficile d’admettre les raisons objectives pour lesquelles tant

d’étymologies doubles ont été proposées: dans la plupart des cas il est impossible de dire si le dérivé est roumain, d’après un modèle courant, ou emprunté tel quel au français. Nous citons à ce propos Sanda Şora: «Lorsqu’il s’agit d’affixes latino-romans récents, devenus productifs dans le roumain actuel, la difficulté consiste parfois à distinguer un emprunt d’un mot créé en roumain.» (2006: 1727)

Une situation d’incertitude persiste aussi dans le cas de beaucoup de mots enregistrés en roumain avec une étymologie multiple. De nombreux cas de discordances apparaissent quand on confronte plusieurs sources, par exemple:

ULTIMATIV, -Ă, adj. - Du fr. ultimatif [DEX]; - Du fr. ultimatif, it. ultimativo [DLR].

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ULTIMATUM, s.n. [Var.: (vx.) ultimat s.n.] - Du fr. ultimatum, all. Ultimatum [DEX]; - Du fr. ultimatum, all. Ultimatum, lat. méd. Ultimatus [DLR] ULTRAPAS, s.n. - De l’all.Ultrapas, fr. ultrapas [DEX]; de l’all. Ultrapas [DLR] UMOARE, s.f. [Var.: humoare s.f.] - Du fr. humeur, lat. humor, -oris [DEX, DLR]; fr. humeur [DER] UNANIM, -Ă, adj. - Du fr. unanime [DEX] ; - Du fr. unanime, lat. unanimus [DLR] UNGULAT, s.n. - Du lat. ungulata, fr. ongulés [DEX, DLR] UNGULIGRAD, -Ă, adj., s.m. et f.- Du fr. onguligrade, angl. Unguligrade [DEX]; - Du fr. onguligrade [DLR] UNIAT, -Ă, adj. Du fr. uniate [DEX]; - Du pol., ukr. uniat [DLR] UNIFICA, vb. - Du fr. unifier, it., lat. unificare [DEX, DLR]; fr. unifier [DER] UNIPOLAR, -Ă, adj. - Du fr. unipolaire [DEX]; - Du fr. unipolaire, all. uniopolar [DLR UNISON s.n. Du fr. unisson, lat. unisonus [DEX]; De l’it. unisono, fr. unisson, all. unisono URGENT, -Ă, adj. - Du fr. urgent, lat. urgens, -ntis [DEX, DLR]; it. urgente, fr. urgent.

4. CONCLUSIONS

La dynamique du vocabulaire roumain actuel est mise en évidence par le fait

que le fonds néologique continue de s’enrichir, étant consigné par les nombreux dictionnaires de néologismes parus les derniers temps, ou les nouvelles éditions, enrichies et corrigées, des dictionnaires plus vieux, mais qui ne peuvent toutefois pas tenir le pas avec l’avalanche des mots nouveaux.

Quoi qu’il en soit, le grand nombre des lexèmes enregistrés dans le DILF indique l’influence extraordinaire qu’a eue le français pour la constitution du fonds lexical de la langue roumaine, influence qui s’est manifestée pratiquement dans tous les secteurs du vocabulaire.

Dans le cas des mots à étymologie controversée (les mots où il n’y a pas moyen de faire une distinction nette entre emprunt et création interne et les mots pour lesquels on propose diverses étymologies multiples), il s’impose une corrélation entre les aspects de la théorie linguistique et ceux de l’activité lexicographique car ce sont deux points faibles de l’analyse linguistique dans le cas des emprunts, en particulier, et de l’analyse étymologique, en général, qui attendent encore une tentative de solution.

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VERS UNE DÉFINITION DE L’EMPRUNT LEXICAL (LE CAS DES GALLICISMES DU ROUMAIN)1

1. INTRODUCTION

Le développement du lexique se manifeste par une adaptation des signes existants à de nouveaux emplois et par la création de nouveaux signes. De ce point de vue, l’emprunt lexical représente un moyen important d’enrichissement du lexique, une source inépuisable qui permet de le nuancer, de le moderniser et de lui attribuer un caractère international. Dans une perspective linguistique stricto sensu, l’emprunt lexical représente le moyen le plus rapide, mais aussi le plus commode, adopté fréquemment par chaque système linguistique dans son effort de désigner, d’exprimer et de communiquer (Lerat 1993: 132) la réalité extralinguistique. Les emprunts lexicaux de diverses origines dans le lexique du roumain ont été étudiés d’une manière constante par les linguistes, qui ont tous signalé l’importance de l’élément roman et son rôle dans la modernisation du roumain littéraire. Mais les emprunts soulèvent de nombreux problèmes de nature sociolinguistique, d’intégration (phonologique, orthographique, morphosyntaxique, sémantique) de l’unité empruntée dans la structure de la langue réceptrice ou bien d’étymologie du mot emprunté.

(i) la définition de l’emprunt lexical et des notions voisines en tant que concepts opérationnels fondamentaux dans la recherche en néologie;

(ii) les théories concernant le statut et le rôle de l’emprunt lexical; (iii) l’application des concepts et des taxinomies (renvoyant plutôt à un

fonctionnement systémique) à la typologisation d’une catégorie précise d’emprunts lexicaux, celle des gallicismes du roumain.

2. VERS UNE DÉFINITION DE L’EMPRUNT LEXICAL La littérature de spécialité consacre à ce phénomène une ample

bibliographie, centrée surtout sur la mise en évidence de certains aspects

1 Daniela Dincă / Mihaela Popescu, «Vers une définition de l’emprunt lexical (le cas des gallicismes du roumain)», in AUC. Langues et littératures romanes, nr. 1-2, 2011, p. 132-144.

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concernant le processus d’intégration et d’adaptation phonétique, phonologique, orthographique, morphosyntaxique et sémantique des néologismes obtenus par l’emprunt lexical. En outre, du point de vue sémantique et pragmatique, l’emprunt lexical constitue un marqueur socio-culturel qui reflète les changements de nature sociale, politique et culturelle existants dans la vie d’une communauté à un certain moment donné; c’est un indicateur d’univers mentalitaire ou bien un élément distinctif entre les langues au niveau axiologique (Arrivé / Gadet / Galmiche, 1986: 244-252).

Les aspects les plus controversés de l’emprunt lexical concernent surtout la définition de la notion mais aussi l’étymologie, la forme, la fréquence, la circulation et le sémantisme des mots considérés comme des néologismes.

2.1. Procédés de création néologique (emprunt, néologisme, néonyme, etc.) En tant que procédé de création néologique, l’emprunt consiste à faire

apparaître dans un système linguistique un élément issu d’une autre langue, ancienne (latin, grec) ou moderne, mais aussi d’un dialecte, d’un sociolecte, d’une langue de spécialité. Par rapport aux procédés morphologiques (siglaison, affixation, dérivés flexionnels, composition, lexies complexes, etc.), sémantiques (extensions ou restrictions de sens, métaphores, métonymies, etc.) et syntaxiques (modification du type de construction), qui reposent sur les moyens internes d’une langue, l’emprunt utilise des moyens externes de transfert d’un mot / terme d’une langue source dans une langue cible.

En plus, il n’y pas de délimitation stricte entre ces procédés de sorte que les lexicologues se confrontent parfois à la difficulté de classer certains néologismes, dont la formation relève à la fois de différents procédés (dérivation, emprunt) ou même d’un seul type. À titre d’exemple, on peut citer Sablayrolles (2000) qui considère que le verbe français réaliser, au sens de «comprendre», relève à la fois de la néologie sémantique et de l’emprunt, sous l’influence de l’anglais to realize. De même, dans la langue parlée contemporaine, un bon nombre de néologismes d’origine française, tels que a aplica (du fr. APPLIQUER), ou oportunitate (du fr. OPPORTUNITE) acquièrent de nouveaux sens: «demander, solliciter» (pour le mot a aplica), respectivement, «chance, possibilité, occasion» (pour le mot oportunitate) - qui représentent des calques sémantiques d’après l’anglais APPLY / OPPORTUNITY (Groza, 2004: 122).

À part les néologismes représentés par les emprunts à d’autres langues, il existe donc des néologismes «de forme», c’est-à-dire des mots nouveaux formés par un procédé morphologique (dérivation, composition, analogie). C’est par exemple le cas des dérivés régressifs roumains du type: a recepta qui pourrait provenir de plusieurs étymons: RECEPTOR, RECEPTIV et RECEPTIE ou bien a candida qui pourrait provenir de CANDIDAT et de CANDIDATURA (Groza 2004: 83).

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Cette problématique à laquelle on a consacré un grand nombre d’études ne fera pas l’objet du présent article.

Le concept-clé de néologisme est un concept opérationnel, pragmatique, mais qui reste entouré «d’un certain flou» (A. Rey, ap. Sablayrolles, 2000: 145), lié à la nature de l’unité ainsi qu’à la notion et à la durée de la nouveauté. Il apparaît avec évidence de toutes les études qu’un néologisme est une unité fonctionnelle qui ne correspond pas toujours au cadre de ce que l’on appelle ordinairement un mot. La taille et le degré de complexité des unités néologiques varient, à partir du mot ou même d’unités de niveau inférieur (comme les préfixes: un ex, les psy), jusqu’aux séquences syntaxiques lexicalisées.

D’autre part, le néologisme est une notion polysémique avec les acceptions suivantes: 1. mot, tour nouveau que l’on introduit dans une langue donnée (néologisme de forme); 2. mot (expression) existant dans une langue donnée mais utilisé(e) dans une acception nouvelle (néologisme de sens); 3. création de mots, de tours nouveaux et introduction de ceux-ci dans une langue donnée (syn. néologie).

Comme on peut s’en rendre compte, le terme de néologisme se superpose, dans bien des cas, sur celui d’emprunt, en tant qu’unité lexicale qui a récemment pénétré dans une langue donnée.

Le terme de néonyme désigne l’unité lexicale spécialisée, pour le distinguer du néologisme, qui désigne l’unité lexicale de la langue générale. Si les néonymes répondent à une nécessité d’ordre terminologique, étant imposés par les nouvelles réalités, les néologismes sont un moyen d’enrichissement et de modernisation du vocabulaire. Par conséquent, ces derniers ne répondent pas à une nécessité terminologique, mais plutôt au besoin de la langue de nuancer le vocabulaire, par rapport aux premiers, qui répondent à des nécessités dénominatives et qui ont une stabilité beaucoup plus grande. Par conséquent, la néologie de la langue générale fait l’objet d’étude du lexicologue, qui puise souvent son corpus dans la presse générale (quotidiens, hebdomadaires, magazines, etc.), alors que la néonymie est traitée par le terminologue à partir de corpus spécialisés ou officiels, y compris la presse pour les spécialistes.

2.2. La durée du statut de néologisme Un problème sensible concernant la définition du néologisme est celui de la

durée du statut de néologisme d’un mot. Dans une acception plus large, on considère que ce sont des emprunts lexicaux néologiques, c’est-à-dire des néologismes, les mots entrés en roumain à partir de la seconde moitié du XVIIIe

siècle et du début du XIXe (Şerbănescu, 1985: 8). D’autre part, Florica Dimitrescu, qui remarque elle aussi les limites

temporelles vagues du terme néologisme, renvoyant à des mots empruntés ou créés en roumain à partir de la fin du XVIIIe siècle, opine en faveur de l’emploi du

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concept de «néologisme» dans un sens restreint, pour désigner «la dernière couche d’éléments étrangers entrés en roumain – des mots attestés pour la première fois entre 1960 et 1980» (Dimitrescu, 1994: 246).

Un autre argument en faveur de cette dernière position visant l’aspect chronologique d’un néologisme serait l’existence des variations diatopiques, diastratiques, diaphasiques pénétrées simultanément ou de manière successive dans l’espace et dans le temps et disparues de la langue actuelle. Par exemple, Ursu (1965: 55-57) cite le cas du mot clas - une variante plus ancienne de clasă «classe» - dont les premières attestations sont enregistrées dans les textes parus en Transylvanie, en 1780 et dont l’indication étymologique correcte serait: clasă [variante vieillie: clas] du fr. CLASSE, all. KLASSE (Ursu 1965: 55-57). D’autre part, l’existence de plusieurs variantes lexicales ne fait parfois qu’augmenter le nombre des langues potentielles sources de l’emprunt et, par conséquent, mettre le chercheur dans l’embarras du choix en ce qui concerne l’étymon (les étymons) primaire(s). Şora (2006: 1726) cite le cas du roumain arteră, attesté sous cette forme à partir du XIXe siècle, qui renvoie au fr. ARTERE et qui présente les variantes: artirie (du XVIIIe siècle), explicable par le néogrec ARTIRIA, respectivement, arterie (attestée vers 1850) qui pourrait être d’origine italienne, allemande ou russe. Il s’agit, dans ce cas, (a) de plusieurs formes qui ont coexisté, chacune venue par une autre filière, (b) on pourrait considérer que la variante du roumain actuel (arteră du fr. ARTERE) s’est greffée sur toutes les autres variantes ou bien (c) qu’il s’agit d’une forme empruntée une deuxième fois.

3. ESQUISSE DE TYPOLOGISATION

Les différentes taxinomies opérées à l’intérieur de la classe des emprunts

reposent sur des critères tels que: la nécessité, le domaine de manifestation (vocabulaire général vs. vocabulaires spécialisés), la propagation, etc.

3.1. Emprunts de nécessité vs. emprunts de luxe Du point de vue de leur intégration dans la langue, la littérature de spécialité

véhicule la taxinomie suivante: emprunts de nécessité vs. emprunts de luxe. Dans la première classe, on regroupe les emprunts naturalisés, assimilés par

le système de la langue réceptrice. En ce sens, on peut affirmer que l’insertion des termes néologiques d’origine française a été faite au XIXe siècle au niveau des concepts, dans les domaines de l’activité scientifique, politique et culturelle. Par exemple, le langage philosophique roumain repose, en grande partie, sur les termes d’origine française. Doina Butiurcă (2006) affirme qu’en 1846 A. T. Laurian traduit le manuel de philosophie d’A. Delavigne en recourant à «un nouveau mot pour chaque nouvelle idée», ayant comme but de «former une langue

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philosophique pour la réflexion philosophique». Ces termes ont survécu de nos jours, entrant également dans le vocabulaire général: analogie, eroare, filosofie, formă, idee, imagina, logică, sensibilitate.

D’ailleurs, l’influence française sur la terminologie philosophique roumaine ne constitue pas un fait isolé. Le domaine des sciences positives et de la technique inclut lui aussi un riche inventaire de néologismes d’origine française. À cet effet, Dimitrie Macrea (1982) remarquait le fait que 27% sur l’ensemble des termes techniques et scientifiques (donc sur l’ensemble des néonymes) sont d’origine française.

Florica Dimitrescu (1994) faisait remarquer que les domaines les plus réceptifs aux emprunts sont les suivants: médecine, biologie, technique, physique, circulation, art, chimie et cinématographie, aviation, alimentation, littérature, vestimentation, électricité et marine, informatique, musique et sport.

La deuxième sous-classe, les emprunts de luxe, regroupe les xénismes (des emprunts alloglottes) et les pérégrinismes (des mots migrateurs, imposés par une certaine «mode linguistique» - Chadelat: 2000, apud Scurtu 2009: 193). Ces derniers sont perçus par l’usager comme un élément étranger qui n’est pas encore intégré dans le système linguistique de la langue cible.

La mise en parallèle des xénismes recensés dans Franţuzitele de Constantin Faca (bavardă, caresuri, pensif, turmente, supsonuri) et de leur étymon français (bavarde, caresses, pensif, tourments, soupçons) est évidente pour la non-intégration graphique et phonétique de ces mots dans le vocabulaire du roumain actuel. Au-delà de leur déformation graphique, ces xénismes ne sont pas adaptés du point de vue morphologique, ce qui conduit à des exagérations de genre et de nombre, fait qui rend leur présence exotique et, en quelque sorte, étrangère.

Si l’on fait référence à l’époque actuelle, beaucoup d’emprunts, surtout au français, ont un caractère livresque et ne sont pas entrés dans le circuit général de la langue. C’est, par exemple, le cas des mots: a lacera (lacérer), a lapida (lapider), a libela (libeller), a umecta (humecter), a uzita (usité), a oblitera (oblitérer), a cola (coller), a hanta (hanter), lancinant (lancinant), umanoid (humanoïde), obsecvios (obséquieux), etc.

Le roumain a emprunté au français non pas seulement des lexèmes simples, mais, comme toutes les langues européennes, un grand nombre de phraséologismes. D’ailleurs, la plupart des phraséologismes sont de provenance française. Ainsi, on a pu recenser dans le DILF (2009) les catégories suivantes:

(1) des phraséologismes parfaitement assimilés dans le roumain (artist liric, controlor general, critic literar, director general, jurnal de bord, pareză intestinală, petrol lampant, poet liric, tur de scrutin);

(2) des phraséologismes maintenus avec leur forme d’origine (à contre cœur, à la légère, comme ci comme ça, mise en scène, parti pris);

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(3) des phraséologismes intermédiaires (mouton doré > mouton dorel – par étymologie populaire).

3.2. Emprunts dénotatifs ou techniques vs. emprunts connotatifs ou stylistiques

La première catégorie inclut des termes qui servent à combler «un vide terminologique» (Busuioc, 1996: 2). Il s’agit des néonymes, les néologismes utilisés dans les langues de spécialité pour répondre à une nécessité d’ordre terminologique. Dans cette catégorie entrent des mots tels que: abazie (du fr. abasie), abces (du fr. abcès), brahiopod (du fr. brachyopode), caolinit (du fr. kaolinite), carcinotron (du fr. carcinotrone), decapaj (du fr. décapage), eredobilogie (du fr. hérédobiologie), foliculită (du fr. folliculite), linotipie (du fr. linotypie), radionevrită (du fr. radionévrite), salpingectomie (du fr. salpingectomie), sufix (du fr. suffixe), timpanită (du fr. tympanite), etc.

La catégorie des emprunts connotatifs ou stylistiques est plus vaste et plus hétérogène que la première. Elle inclut des termes d’origine étrangère qui doublent en quelque sorte les mots du fonds traditionnel. Un mot néologique peut ainsi avoir comme synonyme un autre, existant déjà dans la langue. Et comme, de façon générale, il n’existe pas de synonymie parfaite, leur fonction est de nuancer le vocabulaire: cf. en roumain les paires synonymiques (renvoyant au même référent), dont le premier terme est traditionnel et le second néologique: amănunt - detaliu, jertfă - sacrificiu, nădejde - speranţă, împrejurare - circumstanţă.

En ce qui concerne les types sémantiques rencontrés, suite à l’analyse statistique sur les entrées de la lettre F du DEX, on peut remarquer que la plupart des termes analysés entrent dans la catégorie des emprunts dénotatifs ou techniques, introduits certainement par la voie culte, écrite; mais on enregistre aussi des emprunts connotatifs ou stylistiques, tels que: famat, familial, fana, facultativ, fantomă, farsă, febleţe, feeric, ferm, filiaţie, flagelat, fluent, etc. (il s’agit de mots qui ont en roumain des correspondants hérités du latin ou provenant du superstrat slave ou entrés par l’intermédiaire de toute autre langue que le français) ou tels que: fantasmagoric, fantezie, fanfaron, fariseic, fatalism, festival, fineţe, flata, formalitate, fotoliu, foulard (des mots qui désignent des réalités extralinguistiques pour lesquelles le roumain ne disposait pas d’un lexème adéquat).

L’emprunt néologique représente donc une source de synonymie; le choix du terme adéquat d’une série synonymique se fait en fonction du style fonctionnel du texte et du thème faisant l’objet de la communication (Ştefănescu, 1985: 9).

Un grand nombre d’emprunts apparaissent dans ce qu’on appelle le langage usuel, mais l’influence française se manifeste pleinement sur la terminologie des domaines scientifiques et techniques. Dans le domaine juridique, le législateur crée

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ou emprunte les termes qui correspondent aux notions juridiques nouvelles, mais, le plus souvent, au lieu d’inventer un nouveau terme, ou d’en forger un par composition ou dérivation, la création sémantique consacre un nouvel emploi aux mots de la langue usuelle. Ces mots sont ainsi transformés en termes juridiques et deviennent de ce fait des polysèmes. La polysémie est d’ailleurs considérée comme un obstacle majeur à la clarté du langage juridique et c’est donc un terrain de choix pour l’activité des linguistes terminologues. Pour appuyer notre affirmation, nous donnons comme exemple l’existence en parallèle des emprunts à d’autres langues (surtout le français) et des mots polysémiques qui développent de nouveaux sens dans la langue juridique par rapport à la langue courante: acquiescement (achiesare /acceptare, consimţire), admonestation (admonestare / dojenire, admonestaţie), concussion (concusiune / oprimare fiscală), dol (dol / viclenie, fraudă), infanticide (infaticid / pruncucidere), succession (succesiune / moştenire).

D’autre part, la mode, la commodité, la recherche de l’originalité peuvent expliquer la circulation des emprunts stylistiques dont la nécessité n’est pas évidente. Ceux-ci sont très utilisés dans le langage de la presse où les mots roumains sont doublés d’emprunts étrangers: a antama (entamer), a envizaja (envisager), a bulversa (bouleverser), a devoala (dévoiler), a se deroba (se dérober), indenegabil (indenegabile), lejeritate (légèreté), mefienţă (méfiance), a stopa (stopper), ce qui s’explique soit par «un snobisme linguistique», soit par la recherche d’un style personnel.

On peut également prendre en compte le problème de l’acceptabilité des innovations sémantiques du point de vue de la langue roumaine littéraire. Quand peut-on parler d’impropriétés sémantiques flagrantes? D.-L. Teleoacă (2005) remarquait à cet égard que la néologie dénominative (motivée par le besoin de désigner un référent nouveau) est moins bien représentée que la néologie stylistique (subordonnée à la fonction expressive). Cette réalité se constitue aussi comme expression de la tendance à l’économie, réalisée par le développement de la polysémie; plus exactement, de nombreux termes néologiques spécialisés entrent par l’intermédiaire de la presse dans d’autres terminologies que celles auxquelles ils appartiennent par définition et, ultérieurement, dans le langage littéraire standard.

4. ADAPTATION DES GALLICISMES DU ROUMAIN

En ce qui concerne les problèmes d’adaptation, les néologismes doivent respecter les normes morphologiques, morphosyntaxiques et phonologiques de la langue dans laquelle ils vont fonctionner, car une nouvelle unité lexicale se construit toujours en partant d’une forme déjà existante et avec des éléments et des stratégies de formation appartenant au système de la langue-cible (Busuioc 2005).

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Les difficultés d’adaptation de certains mots sont dues à des différences majeures d’ordre phonétique entre les deux langues. Ainsi les gallicismes plus vieux terminés en [o] (bureau, stylo) ont-ils développé en roumain l’élément labial de la voyelle o, devenu la semi-voyelle u: birou, stilou, tandis que les gallicismes plus récents conservent la voyelle o; les modifications apparaissent au niveau de l’accent (rádio) et de la flexion, lors de l’emploi de l’article enclitique: radióul, radióului. Ou bien, dans le cas des gallicismes plus récents terminés en français en [y] (comme pardessus), celui-ci se transforme en diphtongue: pardesiu, d’après le modèle des vieux mots roumains en –iu: vizitiu.

Les modifications phonétiques apparaissent au niveau du thème aussi bien qu’à celui des affixes. Par exemple, la voyelle o (accentuée) s’est diphtonguée en oa, phénomène courant dans les mots hérités: coloană, consoană, au niveau de la flexion nominale, ou, dans le cas de la flexion verbale: a convoca, a provoca, à la IIIe personne: (el) convoacă, (el) provoacă.

De grandes modifications apparaissent également dans le cas de leur catégorisation morphologique. Les féminins du français (incendie, tribu) deviennent, dans la plupart des cas, neutres en roumain (incendiu, trib).

D’ailleurs, l’adaptation formelle d’une bonne partie des gallicismes du roumain, sous l’influence de la forme latine correspondante, devient aussi un critère étymologique très important. Par exemple, dans le cas du mot culoare qui provient du fr. COULEUR et du lat. COLOR, COLORIS, la métaphonie de la voyelle o, inattendue ici, caractérise des mots plus anciens hérités du latin et terminés en –or, tels: floare du lat. FLOS, FLORIS. Si le critère formel favorise la source latine, il doit être corroboré avec celui morphosyntaxique, car le mot roumain est de genre féminin tout comme son correspondant français (LA COULEUR), par rapport aux autres langues romanes qui maintiennent le genre de l’étymon latin (it. il colore, esp. el color, etc.).

Certains verbes néologiques entrés en roumain entre 1840-1860 ont été inclus dans la Ière conjugaison, à laquelle ils appartiennent aussi en français: a contribua (fr. contribuer), a dispoza (fr. disposer), utilisés par M. Kogălniceanu et N. Bălcescu. La forme actuelle s’est imposée sous l’influence du modèle latin: a contribui (lat. contribuere), a distribui (lat. distribuere). Les verbes de la Ière conjugaison en français ont été difficilement catégorisés vu qu’en roumain la Ière conjugaison comporte deux classes: des verbes sans suffixe flexionnel (a aduna - adun, a alerga - alerg, a chema - chem) et des verbes à suffixe (a lucra - lucrez, a păstra - păstrez, a desena - desenez). Les verbes français terminés en –ir (du type appartenir, réussir) ont été inclus soit dans la IIIère conjugaison: a aparţine, soit dans la IVère: a reuşi, avec le suffixe –esc, par analogie avec privesc, folosesc.

Sur la même ligne, Simona Constantinescu (2005) souligne qu’au niveau de la prononciation et de la graphie, les mots empruntés reflètent leur degré

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d’assimilation. Dans l’histoire d’un mot, un moment arrive où il cesse d’être considéré comme étranger, ce qui veut dire que ces gallicismes subissent une assimilation phonétique parfaite.

5. CONCLUSIONS

La littérature de spécialité reconnaît d’une manière unanime que, sur

l’ensemble des langues romanes, le français occupe la première place, car les gallicismes du roumain recouvrent non seulement une longue période en diachronie, mais ils peuvent également illustrer tous les types de critères qui déterminent le statut de néologisme d’un mot. À partir du XVIIIe siècle, le roumain a subi le processus de re-romanisation qui a accentué et qui a accru ses traits romans à tous les niveaux (lexique, phraséologie, phonétique, structure grammaticale) et, surtout, au niveau de l’enrichissement du lexique et de la phraséologie par de nouveaux éléments romans.

On a ainsi des emprunts au français proprement dits, qui appartiennent aux emprunts de «nécessité» et qui entrent dans la catégorie de la néologie primaire; on a aussi des xénismes et des pérégrinismes, ou, selon une autre terminologie, des «emprunts de luxe». D’autre part, on peut faire souvent la distinction entre un emprunt direct et un autre indirect (pénétré en roumain à l’aide du grec ou du russe, par exemple), entre un emprunt populaire et un emprunt savant, littéraire et, enfin, entre un emprunt oral et un emprunt écrit.

Cabré (1998: 262) précise que c’est le rôle de la Commission de standardisation d’une langue de décider sur l’adaptation d’un emprunt lexical en fonction de son niveau d’adaptation et des critères qui justifient la nécessité de son intégration. À cet effet, l’un des traits spécifiques de la langue roumaine est l’existence d’une multitude de solutions linguistiques d’adaptation des mots récemment entres dans le lexique, ce qui la présente comme «une langue extrêmement permissive» (Dănilă 2005: 75).

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LES GALLICISMES DU ROUMAIN: DE L’ÉTYMOLOGIE UNIQUE À L’ÉTYMOLOGIE

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1. INTRODUCTION Il est bien évident que les gallicismes du roumain représentent un terrain

fertile de recherche pour les spécialistes qui s’intéressent à l’évolution du lexique de la langue roumaine, mais leur traitement est l’un des plus délicats, à partir de la définition même de cette notion jusqu’aux aspects visant l’étymologie, la forme, la fréquence ou le sémantisme des mots considérés comme appartenant à cette catégorie. Du point de vue terminologique, les gallicismes sont les «mots venus de France», dont le référent est importé avec la désignation correspondante et non pas une construction française abusivement introduite en roumain. Nous utilisons donc leur acception de «emploi, tournure propre à la langue française» (Dictionnaires des XIXe et XXe siècles) et non pas celle qui se trouve dans le TLFi comme «construction française abusivement introduite dans une autre langue ».

Notre intérêt pour l’étude des gallicismes du roumain se justifie par le fait que nous avons déroulé deux projets de recherche consacrés à ce sujet à l’Université de Craiova: dans une première étape, 2009-2011, le projet Typologie des emprunts lexicaux français en roumain. Fondements théoriques, dynamique et catégorisation sémantique (FROMISEM I) et, en 2014, le projet Reconfiguration sémantique des gallicismes dans l’espace socioculturel roumain (FROMISEM II). Le premier a porté sur l’analyse des gallicismes du roumain sous trois aspects : la définition des concepts opérationnels (emprunt, gallicisme, néologie, néologisme, néonyme, étymologie multiple, etc.), la présentation des principaux problèmes étymologiques et l’élaboration d’une typologie sémantique des gallicismes dans la langue roumaine actuelle. Comme un prolongement, le deuxième projet se propose de mettre en évidence le rôle des gallicismes en tant que marqueurs socioculturels reflétant les changements de nature sociale, politique et culturelle qui ont eu lieu dans la société roumaine.

1 Daniela Dincă / Mihaela Popescu, «Les gallicismes du roumain: de l’étymologie unique à l’étymologie multiple», in AUC. Filologie, Seria Lingvistică, nr. 1-2, 2014, p. 52-62.

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L’un des principaux objectifs du projet FROMISEM I a été la constitution d’un corpus-registre des emprunts au français à partir du plus grand dictionnaire du roumain (DEX 1998), intitulé – Dicţionar de împrumuturi lexicale din limba franceză (DILF). Comme le DEX est plutôt un dictionnaire explicatif, les indications étymologiques du DILF seront corroborées, dans notre contribution, avec le nouveau Dicţionar etimologic al limbii române (DELR), d’autant plus que notre préoccupation initiale, dans la constitution du DILF, a été uniquement la sélection des gallicismes et non pas leur définition étymologique. En fait, cette recherche serait nécessaire surtout pour résoudre des problèmes d’étymologie et d’attestation, ainsi que pour faire la distinction, très difficile à opérer d’ailleurs, entre les mots dérivés en français et ceux créés ultérieurement sur le terrain de la langue roumaine.

D’autres difficultés que le lexicographe rencontre pour établir l’étymologie des mots concernent surtout les aspects suivants: le manque de la première attestation dans les dictionnaires, l’absence des exemples en contexte (sauf les DA / DLR et DLRC) et l’impossibilité de prendre en compte toutes les variantes lexicales du mot-titre. Dans notre contribution, nous nous proposons d’illustrer tous ces problèmes étymologiques sur un corpus formé des gallicismes commençant (dans les deux ouvrages lexicographiques) par la lettre A à étymologie uniquement française et à étymologie multiple, y compris française.

Plus précisément, dans cet article, notre principal objectif est celui de mettre en exergue les problèmes étymologiques rencontrés lors de la constitution du DILF et, à la fois, la nécessité de la corroboration avec les dictionnaires spécialisés, à savoir le DELR dont le premier volume, paru jusqu'à présent, porte sur les lettres A et B. En même temps, la mise en parallèle des deux ouvrages lexicographiques (DILF et DELR) nous permettra de présenter surtout les divergences de structuration méthodologique et de définition étymologique en fonction de différents facteurs pris en compte par les lexicographes.

2. MISE EN PARALLÈLE DE DEUX OUVRAGES

LEXICOGRAPHIQUES (DILF ET DELR) 2.1. L’étymologie des gallicismes de la lettre A dans le DILF Pour constituer le corpus-registre des gallicismes du roumain, nous avons

pris comme point de départ Dicţionarul explicativ al limbii române (DEX 1998), le plus grand dictionnaire d’usage général de la langue roumaine, publié par L’Institut de Linguistique „Iorgu Iordan - Alexandru Rosetti” de l’Académie Roumaine. Ce corpus-registre s’est ultérieurement constitué dans un Dicţionar de împrumuturi lexicale din limba franceză (DILF), structuré en deux sections différentes, qui correspondent, en fait, à deux catégories d’emprunts: (i) emprunts à étymologie

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uniquement française; (ii) emprunts à étymologie multiple2, y compris française. Cette dernière catégorie inclut les mots dont la filière de pénétration peut être due non seulement au français, mais aussi à d’autres langues où circule le même néologisme : le latin savant ou les langues romanes (l’italien, l’espagnol) et non romanes (l’anglais, l’allemand, le néogrec, le russe, le polonais etc.).

Pour la lettre A, les mots à étymologie uniquement française du DILF sont beaucoup plus nombreux que ceux à étymologie multiple, environ 1926 mots-titres sans y ajouter les dérivés.

Pour les gallicismes à étymologie multiple, y compris française, les combinaisons les plus usuelles sont celles à deux sources: le français et le latin (413 unités lexicales), le français et l’allemand (27 unités lexicales), le français et l’italien (20 unités lexicales), le français et le russe (9 unités lexicales), le français et l’anglais (9 unités lexicales), le français et le néogrec (4 unités lexicales).

Les mots à trois sources sont les moins nombreux et les combinaisons qui y apparaissent sont les suivantes : le français, le russe et le latin (4 unités lexicales), le français, le latin et l’allemand (2 unités lexicales), le français, le russe et l’allemand (2 unités lexicales), le français, l’italien et le latin (1 unité lexicale).

Comme on peut le constater, les gallicismes à étymologie uniquement française sont extrêmement nombreux dans le DILF. En ce qui concerne les mots à étymologie multiple, y compris française, on observe la prééminence des cas à double étymon par rapport aux gallicismes à trois sources. Dans ce dernier cas, l’une des sources pris en considération est d’habitude le latin néologique, en combinaison avec d’autres langues (soit le russe, soit l’allemand, soit l’italien), influence qui s’explique par leur proximité géographique ou bien par les contacts culturels et politiques entre les deux peuples.

2.2. L’étymologie des gallicismes de la lettre A dans le DELR Ce nouveau dictionnaire étymologique récence tous les mots qui se trouvent

dans le plus grand dictionnaire explicatif du roumain (DEX), auxquels s’ajoutent les mots du dictionnaire trésor (DA/DLR) et d’autres sources lexicographiques importantes telles que CADE et SDLR.

En ce qui concerne les principes méthodologiques du DELR, les plus importants sont : la traduction en français du/des sens du mot-titre, l’indication des correspondances héritées dans les dialectes historiques parlés au sud du Danube aussi bien que dans d’autres langues romanes, la prise en compte, comme solution

2 Dans la linguistique roumaine, ce type d’étymologie est nommé ‹étymologie multiple›, d’après un célèbre article au même titre de Graur (1950), qui considère qu’un mot peut avoir à la fois un, deux ou bien n étymons possibles, surtout dans une langue comme le roumain, formée sous l’influence d’aussi nombreuses cultures étrangères. gallicisme

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étymologique, de l’étymologie multiple externe et interne, la présence d’un grand nombre de mots appartenant aux différents niveaux et styles fonctionnels de la langue (archaïsmes, régionalismes, néologismes), la mention de la première attestation, y compris dans le cas des constituants d’une même famille lexicale et l’organisation générale du corpus en nœuds lexicaux (Moroianu 2012 : VII). Mais la perspective méthodologique centrale de ce dictionnaire « moderne par sa vision et par sa structure» [notre trad.] (Moroianu 2012 : VII) réside dans le principe suivant :

« (…) le dictionnaire évalue d’une manière critique les étymologies antérieures, privilégie les solutions mixtes, accepte le critère de l’origine multiple interne et indique, la où il est possible, les moyens analogiques favorables à la création de nouveaux mots » [notre trad.] (Moroianu 2012 : VII)3. En d’autres termes, pour la définition étymologique ont été évaluées les

solutions proposées dans les plus importants ouvrages lexicographiques du roumain (LB, HEM, CDDG, TDRG, LM, CDDE, FEW, CDER, LTR, DN, etc. – voir la Bibliographie) ou dans des études ponctuelles telles que celles de Bogdan Petriceicu Hasdeu, Alexandru Graur, Theodor Hristea, Marius Sala, etc.

Sur les mots commençant par la lettre A dans le DELR, les lexèmes à étymologie uniquement française sont beaucoup plus nombreux par rapport aux mots à étymologie multiple, ce qui soutient de nouveau les pourcentages des statistiques dressées jusqu'à présent concernant l’influence du français sur le vocabulaire de la langue roumaine (environ 43%). Par exemple, la prise en compte des mots-bases et de leurs dérivés (uniquement par suffixation) nous indique un nombre d’environ 1100 mots d’origine française.

En ce qui concerne les mots à étymologie multiple, dont le français représente l’une des sources, les cas décelés pour la lettre A sont les suivants :

(i) combinaisons de deux sources : le français et le latin néologique (290 unités lexicales), le français et l’italien (47 unités lexicales), le français et l’allemand (44 unités lexicales), le français et l’anglais (16 unités lexicales), le français et le néogrec (10 unités lexicales), le français et l’espagnol (5 unités lexicales), le français et le russe (3 unités lexicales);

(ii) combinaisons de trois sources : le français, l’italien et le latin néologique (52 unités lexicales), le français, le néogrec et le latin néologique (20 unités lexicales), le français, l’allemand et le

3 « […] dicţionarul evaluează critic etimologiile anterioare, dă prioritate soluţiilor de tip mixt, acceptă criteriul originii multiple interne şi indică, acolo unde este posibil, mijloacele analogice de creare a noi cuvinte » (Moroianu 2012 : VII).

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latin néologique (19 unités lexicales), le français, l’anglais et l’allemand (5 unités lexicales), le français, l’italien et l’allemand (3 unités lexicales), le français, l’italien et le néogrec (3 unités lexicales), le français, l’allemand et le russe (2 unités lexicales), le français, l’anglais et le russe (2 unités lexicales), le français, le russe et le polonais (1 unité lexicale), le français, le polonais et le latin néologique (1 unité lexicale) ;

(iii) combinaisons de quatre sources : le français, l’italien, le latin néologique et le néogrec (7 unités lexicales), le français, l’italien, le latin néologique et l’allemand (3 unités lexicales) ;

(iv) combinaisons de cinq sources : le français, l’italien, le polonais, le russe et l’allemand (4 unités lexicales), le français, l’italien, le latin néologique, le néogrec et le polonais (2 unités lexicales), le français, l’italien, le latin néologique, l’allemand et le néogrec (1 unité lexicale), le français, l’italien, le russe, l’allemand et le néogrec (1 unité lexicale).

2.3. Convergences et divergences étymologiques Du point de vue statistique, le nombre d’unités lexicales à étymologie

française (unique ou multiple) pour la lettre A est visiblement plus grand dans le DILF (environ 2400 mots) que dans le DELR (environ 1700 mots), bien que le nombre de mots recensés dans le DELR soit plus grand par rapport au DILF, car le premier prend en considération des archaïsmes, des régionalismes, le fonds héréditaire et celui néologique de date récente de la langue roumaine. Plus précisément, le décalage statistique majeur entre les deux dictionnaires apparait dans le cas des mots à étymologie uniquement française (1926 mots-titre par rapport à 1100 mots-titre) car, pour les mots à étymologie multiple, les pourcentages sont très rapprochés (491 mots-titre par rapport à 600 mots-titre). Une explication potentielle qui pourrait expliciter une différence d’une centaine de mots résidé dans le fait que certains lexèmes, qui apparaissent dans le DILF comme ayant une étymologie uniquement française, ont dans le DELR une étymologie multiple externe, par exemple, française et allemande comme dans le cas des mots tels que axiologie, alcaliu, antroponimie, etc.

Les 700 gallicismes du DILF qui ne se retrouvent pas dans le DELR prouvent que le nouveau dictionnaire étymologique apporte un certain raffinement concernant la définition et la conception étymologique des mots empruntés à d’autres langues. Par exemple, le DELR ne prend pas en considération toutes les variantes lexicales étymologiques d’un mot-titre telles que les variantes lexicales vieillies ou celles à circulation restreinte pour lesquelles on indique séparément l’étymologie. Par conséquent, ce principe méthodologique conduit à la régression

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du nombre des gallicismes à étymologie multiple, existants dans le DELR. C’est le cas du mot roumain alcool qui dans cet ouvrage lexicographique apparaît comme emprunt uniquement au français. C’est sa variante lexicale alcohol, sortie de l’usage, qui a un étymon allemand.

Une deuxième divergence qui s’établit entre les deux sources lexicographiques analysées se retrouve au niveau des définitions étymologiques proprement-dites. Par exemple, il y a des cas où des gallicismes considérés dans le DILF (et implicitement dans le DEX) comme ayant une étymologie unique sont recensés par le DELR dans l’un des deux cas suivants :

(i) avec une étymologie multiple externe par le fait que le dictionnaire prend en compte l’existence de toute définition étymologique différente, donnée par une certaine source lexicographique prise en compte. Par exemple, dans le cas du mot a autoriza, le DELR indique simultanément la filière française (autoriser) selon le DA, CADE, DEX et un étymon italien (autorizzare) selon le TDRG2. Le mot atentat provient du français selon le CADE et le DEX, il a un étymon italien (attentato) selon le TDRG3 ou il a une étymologie multiple externe selon le SDLR (du fr. attentat, lat. néologique ATTENTATUM);

(ii) avec une étymologie multiple mixte : par exemple, le nom automobil provient du français automobile selon le DA, CADE, DEX ou bien il est un dérivé sur le terrain de la langue roumaine (auto + mobile) selon le SDLR ; de même, abisal est considéré dans le DELR comme un gallicisme ou comme un dénominatif du mot roumain abis.

Ces deux cas illustrent aussi le fait que, pour les gallicismes à étymologie multiple, le DELR prend en considération toutes les sources lexicographiques pour nous offrir toutes les solutions proposées, avec la mention étymologique sous-jacente. D’ailleurs, par rapport au DILF, les solutions étymologiques sont plus nombreuses et plus diversifiées, comme dans l’illustration suivante :

(i) le nom abate a pour étymon le nom italien ab(b)ate selon le TDRG, CADE, CDER et le DEX et il a une étymologie multiple, provenant, selon le DA, du français abbé et du latin néologique ABBAS, -ATEM ou bien de l’italien, du latin néologique et du vieux grec, selon SDLR. Ce cas démontre que les mots roumains pénétrés par filière française et surtout ceux à étymon italien se confondent du point de vue formel avec les cultismes (les latinismes mis en circulation vers la fin du XVIIIe siècle par « Şcoala Ardeleană›) (cf. Ursu 1962: 115 ; v. Popescu 2013 : 343).

(ii) le mot roumain absolut est considéré par le DELR comme un cultisme car il renvoie au latin néologique ABSOLUTUS, mais, du point de vue sémantique, il a aussi les sens du mot français absolu. Une situation pareille se présente pour le verbe a absolvi, qui a pour étymon le latin

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néologique ABSOLUERE mais dont le sémantisme est celui du mot français absoudre. L’emprunt sémantique au français nous indique, en fait, un autre cas d’étymologie multiple externe.

(iii) dans le nœud lexical : aberaţie, a abera, aberant, aberativ, l’origine de chaque élément est différente selon plusieurs critères dont la date à laquelle le mot est entré, pour la première fois, dans la langue roumaine pourrait être très importante. Plus précisément, le nom aberaţie, attesté le premier, en 1842, provient du français aberration, de l’allemand Aberration et du latin néologique ABERRATIO, -ONIS tandis que le verbe a abera, pénétré en roumain en 1939, a une étymologie multiple mixte, un emprunt au latin néologique ABERRARE et un dérivé régressif du nom aberaţie ou de l’adjectif aberant, qui est lui-aussi un emprunt à étymologie multiple externe, française (aberrant) et latine (ABERRANS, -TIS), pénétré plus tôt en roumain, en 1906. Au même nœud se rattache, en 1961, le néologisme d’origine uniquement française aberativ (du fr. aberratif).

Enfin, une troisième divergence, qui découle de la situation mentionnée

supra, vise le nombre de sources acceptées par le DILF ou par le DELR, qui enregistre même des unités lexicales à quatre ou cinq étymons. Tel est le cas du mot roumain atmosferă que le DELR considère comme provenant du français atmosphère, de l’italien atmosfera, du latin néologique ATMOSPHAERA, de l’allemand Atmosphäre et du néogrec ατμόσφαιρα. Au contraire, dans le DILF, le mot fait partie des gallicismes à étymologie uniquement française. De même, des mots tels que actor, alfabet, almanah ont dans le DELR une source étymologique triple (français, allemand, latin néologique), tandis que dans le DILF ils sont des emprunts au latin néologique et au français. Dans ce dernier cas, des données supplémentaires concernant, par exemple, la première attestation et/ou la région des Pays Roumains où le mot a été emprunté semblent imposer aussi la prise en considération de l’étymon allemand.

3. EN GUISE DE CONCLUSION Les gallicismes ont un statut spécial dans la langue emprunteuse car, au

moment de l’emprunt, ils entrent uniquement avec l’un de leurs sens et non pas avec toutes les significations définissant le sémème de leur étymon. Ensuite, leur parcours continue par leur recensement dans les dictionnaires, où les sens sont définis en fonction des contextes qui ont servi comme source de documentation pour les lexicographes. Dans un troisième temps, l’influence du contexte socioculturel sur la reconfiguration sémantique des gallicismes du roumain reste

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définitoire car les locuteurs ont une certaine liberté à utiliser ces mots avec des acceptions qui ne sont pas enregistrées dans les dictionnaires.

Notre analyse sur la définition étymologique des gallicismes du roumain dans deux ouvrages lexicographiques a essayé d’illustrer trois aspects importants dans la recherche lexicographique et étymologique roumaine, à savoir :

1. la complexité de toute définition étymologique qui rend très difficile le travail du lexicographe qui doit être un véritable homo universalis, l’étymologie impliquant des connaissances multiples, transgressant ainsi les frontières des sciences du langage ;

2. les divergences entre les définitions étymologiques dans les deux ouvrages lexicographiques analysés et l’existence de nombreux facteurs distinctifs de nature linguistique ou extralinguistique ;

3. la nouveauté de structuration méthodologique de ce nouveau dictionnaire étymologique du roumain, le DELR, consistant notamment dans l’organisation des mots en nœuds lexicaux et dans la variété des solutions étymologiques acceptées.

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L’ADAPTATION DES GALLICISMES DU ROUMAIN : LE CAS DES TERMES JURIDIQUES1

1. INTRODUCTION

Prenant comme point de départ le contact de deux langues romanes, le français et le roumain, notre contribution propose une réflexion théorique sur le concept d’emprunt lexical, défini comme « une forme d’expression qu’une communauté linguistique reçoit d’une autre communauté » (Deroy, 1956 : 18) pour remplir ses lacunes lexicales. L’emprunt lexical est favorisé par des facteurs extralinguistiques entre deux ou plusieurs communautés, tels que le voisinage, les rapports économiques, politiques et culturels. Il représente un procédé externe d’enrichissement d’une langue et témoigne à la fois de l’évolution d’une société et de son ouverture aux nouveaux défis et tendances.

À partir de la fin du XVIIIe siècle, le roumain a subi un processus de néologisation massive, renforcé surtout au XIXe siècle et poursuivi pendant la première moitié du XXe siècle, mais qui s’est manifesté différemment d’une province à l’autre. Ce mouvement culturel et linguistique est devenu tellement fort qu’il a modifié la physionomie du roumain et surtout la structure de son vocabulaire (Şora, 2006: 1728).

Dans le cadre du projet de recherche Typologie des emprunts lexicaux français en roumain. Fondements théoriques, dynamique et catégorisation sémantique (FROMISEM), déroulé à l’Université de Craiova (2009-2011), nous avons analysé les emprunts lexicaux sous les aspects suivants : (a) la définition des concepts opérationnels mobilisés dans la recherche (emprunt, gallicisme, néologie, néologisme, néonyme, étymologie multiple, etc.), (b) les problèmes étymologiques et (c) l’analyse sémantique comparative des mots roumains et de leur étymon français en vue de l’élaboration d’une typologie sémantique des emprunts français en roumain.

1 Daniela Dincă / Mihaela Popescu, «Deux langues romanes en contact: le roumain et le français», in Qvestiones Romanicae, Lucrările Colocviului Internaţional «Comunicare şi cultură în Romania europeană» (ediţia I / 15-16 iunie 2012), Szeged, Jatepress, 2012, p. 134-142.

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Un objectif majeur de notre recherche a été également celui de la constitution d’un corpus général des gallicismes du roumain (pour employer la terminologie proposée par A. Thibault 2004, 2009). À partir du Dicţionarul explicativ al limbii române (DEX), nous avons constitué un corpus-registre Dicţionar de împrumuturi lexicale din franceză (DILF), qui nous a permis de faire une statistique sur le pourcentage des mots à étymon français dans le lexique roumain ainsi qu’une typologie sémantique des gallicismes du roumain. En même temps, ce corpus-registre pourrait constituer une source pour l’analyse de l’étymologie et de l’adaptation des mots français en roumain.

Sans prétendre à l’exhaustivité, cette recherche a ouvert d’autres pistes de recherche dans les domaines de la lexicologie et de la lexicographie romanes, tels que l’étude des emprunts du point de vue étymologique, la dynamique des emprunts dans les principaux domaines de manifestation (vocabulaire général vs. vocabulaires spécialisés), l’adaptation des emprunts aux systèmes graphique, phonétique et morphologique de la langue roumaine, etc. Dans cet article, nous voulons faire quelques remarques concernant ces derniers aspects afin d’envisager une analyse beaucoup plus détaillée consacrée surtout à l’étymologie et à l’adaptation des gallicismes du roumain.

2. ASPECTS ÉTYMOLOGIQUES

La direction qui s’est occupée de l’étymologie des gallicismes du roumain a dû tenir compte de plusieurs critères, dont les plus importants sont les suivants: la première attestation, l’analyse des lexèmes correspondants des autres langues envisagées comme sources potentielles d’emprunt, les variations diachroniques, diastratiques, diaphasiques de la langue source ainsi que celles de la langue cible, et la recherche de la filière, c'est-à-dire, de la voie de pénétration. La prise en compte de tous ces facteurs nous a conduit à la catégorisation suivante, opérée sur le corpus DILF :

a. mots à étymologie unique ; b. mots à étymologie multiple2 - mots dont la filière de

pénétration peut être due non seulement au français, mais aussi à d’autres langues où circule le même néologisme3 ;

2 D`après un célèbre article avec le même titre d’Alexandru Graur (1950 : 22-34), qui considère qu’un mot peut avoir à la fois un, deux ou bien n étymons possibles, surtout dans une langue comme le roumain, formée sous l’influence de nombreuses cultures étrangères. 3 Les grands dictionnaires étymologiques, tel que le LEI (Max Pfister et alii, Lessico etimologico italiano, Wiesbaden, 1979), qui tiennent compte de la pénétration des lemmes comme néologismes dans d’autres langues, pourraient résoudre, au moins partiellement, le problème.

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Dans le cas des mots à étymologie unique, les dictionnaires roumains indiquent comme origine exclusivement un mot français, hypothèse renforcée par l’aspect phonétique, plus ou moins adapté au roumain4 , le sens spécifique pour le français, la date de pénétration et / ou l’auteur dont provient la première attestation. À en juger d’après le corpus que nous avons élaboré jusqu'à présent, la plupart des mots font partie de cette première catégorie d’étymologies, c'est-à-dire ils sont des emprunts pénétrés en roumain directement du français. Font partie de cette catégorie: fabricant, -ă du fr. fabricant, a fabula du fr. fabuler, fantezie du fr. fantaisie, frenetic du fr. frénétique, mais aussi rău famat – calque partiel du fr. mal famé – ou cale ferată – qui est un calque partiel du fr. voie ferrée ; des emprunts plus récents qui circulent surtout dans le langage de la presse et qui ne figurent pas encore dans les dictionnaires tels : a antama (du fr. entamer), a anvizaja (du fr. envisager), inubliabil (du fr. inoubliable) ont une évidente origine française.

Pour les mots à étymologie multiple, nous avons distingué plusieurs situations :

a. les dictionnaires indiquent une source française, mais renvoient en même temps à une autre source possible (ex. le mot filtru «dispositif, appareil ou installation qui sert à débarrasser un liquide des particules solides qui s’y trouvent […]» du fr. filtre, cf. it. filtro ; financiar du fr. financier, cf. it. finanziario, rugos (rare, médical) du fr. rugueux, cf. lat. rugosus)

b. les dictionnaires indiquent comme étymons possibles plusieurs langues, dont le français, le latin savant, le néogrec, l’italien, l’allemand, l’anglais sont les plus fréquentes. On tiendra ici compte surtout des mots pour lesquels le français se trouve à la première ou à la seconde place (ex. fabrică du fr. fabrique, rus. fabrika, all. Fabrik ; a imagina du fr. imaginer, lat. imaginare, roză du fr. rose, it. rosa, lat. rosa, all. Rose). Nous devons préciser que cette dernière situation concerne des emprunts qui auraient pu provenir : (i) de plusieurs langues de culture simultanément ou (ii) à distance dans le temps et dans l’espace; il en va ainsi de : renglotă [variantes : renclodă, ringlotă] du fr. reine-claude, all. Ringlotte, retenţie [variante : retenţiune] du fr. rétention, lat. Retentio ou bien ciocolată [variante : şocolată, ciocoladă] de l’it. cioccolata, cf. le fr. chocolat, all. Schokolade – pour lesquels les variations formelles diastratiques / diatopiques sont indispensables pour indiquer leur étymologie. Les cas discutés sous (a) et (b) explicitent le concept linguistique d’étymologie multiple externe.

Une situation spéciale est apparue dans le cas de certains lexèmes dont la forme renvoie au latin savant et dont le sens est, dans la plupart des cas, celui de termes lexicaux correspondants en français : a reprezenta du lat. repraesentare,

4 Leurs signifiants se caractérisent en général par peu de changements phonétiques ou morphologiques, dus au passage du français au roumain.

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fr. représenter (ex.: représenter quelqu’un ou représenter un spectacle) ou rapid du fr. rapide, lat. rapidus (p. ex.: train rapide). Malheureusement les renvois manquent souvent de support scientifique, étant fort discutables. À juste titre, Gh. Ivănescu (1980: 671) remarque que : « les cas où l’on peut décider de la provenance d’un emprunt latino-roman sont rares. Le plus souvent, en roumain un néologisme est toujours d’origine latine ou italienne, ou d’origine latine, italienne et française, ou d’origine latine et française, ou bien d’origine italienne et française » (Ivănescu, 1980 : 671).

Dans la catégorie des emprunts à étymologie multiple, nous avons également trouvé des lexèmes dont une seule acception était d’origine française. Ainsi foaie, foi, s.f. «feuille» est un mot hérité du latin, comme dans la plupart des langues romanes. Un des sens du mot roumain est pourtant probablement un emprunt au français. Il s’agit de l’acception culinaire de foaie, d’après le fr. «feuille [de pâte]». De même, raion – « 1. (entre 1945-1989) unité administrative d’un territoire ; 2. partie d’un magasin où l’on expose le même type de marchandises » - a deux sens dont le second est un emprunt au français rayon.c. Nous donnons le nom d’étymologie multiple indirecte aux mots dont l’origine n’est pas française, mais qui ont pénétré en roumain par filière française. Ainsi, le mot roumain interviu est entré en roumain par l’intermédiaire du français, où, à son tour, il vient de l’anglais. Pourtant l’origine du mot anglais interview se trouve dans l’ancien français (cf. TLFi, s.v.). Quant à fandango, mot espagnol, il est entré d’abord en français et plus tard en roumain. Il s’agit de mots qui désignent généralement des objets ou des concepts directement liés à certaines cultures et civilisations (v. aussi Iliescu, 2007 : 133 ; Costăchescu et alii, 2011 : 117). d. Il y a aussi des mots à étymologie multiple interne ou à étymologie multiple mixte / combinée (Sala, 1999 : 67) ; il s’agit :

- soit de mots qui « proviennent de deux ou plusieurs mots base qui appartiennent à la même famille lexicale » (Hristea, 1973 : 4), tels : a recepta, (est un) dérivé régressif de plusieurs mots base: receptor, receptiv, recepţie ;

- soit de mots qui ont une double étymologie (externe et interne à la fois), tels : revoltat participe passé de a revolta ou bien du fr. révolté, etc. À ce point, les lexicographes peuvent indiquer pour étymon une forme inexistante dans le français parlé en France, auquel cas il faut prendre en charge toutes les variations diachroniques, diastratiques, diaphasiques de la langue source, dans notre cas surtout le français parlé en Belgique ou en Suisse où l’on a trouvé quelques correspondances exactes pour certains mots roumains faussement interprétés auparavant (Avram, 1982 : 258-259). Tel est le cas des mots : conspirativ « qui appartient à une conspiration, illégal » (de conspira + suff. –ativ, cf. all. konspirativ, rus. Konspirativnâi, dedicaţie « un petit texte adressé à quelqu’un sur

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un livre, sur un album, etc. » (du lat. dedicatio, -onis, it. dedicazione). Le français ne dispose que de dédicace.

Pour ce qui est de l’étymologie multiple, la première position parmi les langues source, abstraction faite du français, est occupée par le latin, la deuxième – par l’italien, et, enfin, la troisième revient à l’anglais. Il y a peu de situations où l’étymologie française est en alternative avec des langues non romanes. Il s’agit dans ce cas du néogrec, de l’allemand, du russe et, enfin, de l’anglais qui, surtout ce dernier temps, est, d’un point de vue lexical, assez «romanisé».

3. DOMAINES DE MANIFESTATION DES GALLICISMES EN ROUMAIN

Un autre aspect important que nous avons mis en évidence dans notre étude

porte sur les domaines de manifestation des emprunts lexicaux. Les rapports existant entre néologie et langues de spécialité sont très étroits, car les nouvelles créations lexicales surgissent avec les nouveaux produits et les nouveaux concepts scientifiques, techniques et technologiques. Pour faire la différence entre les deux domaines envisagés, lexique général vs. lexique de spécialité, les spécialistes utilisent le terme de néonyme pour l’unité lexicale spécialisée et celui de néologisme, qui désigne l’unité lexicale de la langue générale.

Le corpus que nous avons constitué (DILF) inclut 39% des mots recensés dans le DEX, ce qui veut dire que les mots d’origine française ont pénétré massivement en roumain jusqu'à la moitié du XXe siècle, date de la constitution du lexique moderne de la langue roumaine. À partir de ce corpus-registre, nous avons pu faire notre propre statistique sur les mots appartenant à quelques domaines de spécialités: 1135 médecine, 244 physique, 148 sciences juridiques, 89 mathématiques, 5 archéologie. Les termes médicaux occupent la première place et témoignent de l’influence de la médecine française sur la constitution d’une terminologie médicale en roumain.

En fait, par rapport aux langages économique et informatique, plus réceptifs à l’influence anglaise, les terminologies médicale, juridique et philosophique s’avèrent beaucoup plus conservatrices en roumain. Selon cette même statistique, la contribution du français à la modernisation du vocabulaire roumain et à la formation d’un langage médical est incontestable. Le domaine de la médecine, situé sous le signe des Lumières, était très bien représenté en Transylvanie au XVIIIe siècle. Les premiers textes médicaux roumains du XVIIIe siècle sont des traductions d`après des études hongroises et allemandes. Du point de vue de l’adaptation, la terminologie de la médecine reproduit en roumain la variante écrite de l’étymon français.

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Pour ce qui est de l’importance des emprunts juridiques français, on peut affirmer qu’après 1830, la principale source de modernisation du lexique juridique est constituée par les emprunts néologiques latino-romans (cod, dosar, ordonanţă, sentenţă), qui éliminent progressivement les vieux emprunts. La France a représenté le modèle d’une législation démocrate et d’une organisation moderne, auxquelles s’est ajouté son prestige intellectuel et culturel. Le Code civil roumain (1865) a pris comme modèle le Code Napoléon (1804), et la Constitution roumaine s’est inspirée de la Constitution française. Depuis cette période, la quantité des termes juridiques d’origine latino-romane a augmenté d’une manière impressionnante, conférant un aspect moderne au style juridico-administratif du roumain.

4. L’ADAPTATION ET L’INTÉGRATION DES EMPRUNTS

LEXICAUX FRANÇAIS EN ROUMAIN Pour analyser la manière dont le roumain a emprunté les mots français, en les

adaptant à son système phonétique et orthographique, nous avons utilisé comme corpus les termes juridiques identifiés dans le DILF, environ 118 termes, qui illustrent l’état actuel de l’adaptation de ces termes en roumain. L’influence française sur le lexique juridique roumain peut être envisagée comme une adaptation des notions et des réalités juridiques françaises à la culture roumaine par l’intermédiaire de la langue. Il s’agit d’une importation de termes juridiques par nécessité dénominative. L’insertion des termes néologiques s’est réalisée en étapes, au niveau des concepts et de la langue.

En ce qui concerne les problèmes d’adaptation, on sait que les néologismes doivent respecter les normes morphosyntaxiques et phonologiques de la langue dans laquelle ils vont fonctionner, car une nouvelle unité lexicale se construit toujours en partant d’une forme déjà existante et avec des éléments et des stratégies de formation appartenant au système de la langue cible. Néanmoins, son intégration dans la langue cible ne se produit pas sans poser des problèmes, dont, en particulier, des problèmes d’ordre sociolinguistique, tels les différences de statut axiologique entre les langues (cf. Arrivé et al., 1986 : 244-252), l’intégration (phonologique, orthographique, morphosyntaxique, sémantique) de l’unité empruntée dans la structure de la langue cible, l’établissement correct de l’étymologie du mot emprunté, etc.

Selon le degré d’intégration de l’emprunt dans la langue cible, Deroy (1956: 215-234) distingue deux sous-classes : (a) emprunt total dans le cas des emprunts proprement dits, désormais naturalisés et adaptés au système de la langue cible; (b) emprunt partiel dans le cas des pérégrinismes et des xénismes, ressentis comme étrangers, puisqu’ils gardent leur forme d’origine. Si les emprunts lexicaux intégrés

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montrent une forme graphique et/ou phonique adaptée au système de la langue-cible, les xénismes sont des emprunts qui gardent la forme d’origine et/ou qui essayent de reproduire la prononciation étrangère, malgré une certaine interférence phonétique. Selon Kocourek (1982: 133), les pérégrinismes sont des mots voyageurs ou migrateurs considérés, du point de vue linguistique, comme occupant une place hypothétique au sein du système susceptible de les adopter. Dimitrescu (1994) identifie cette dernière catégorie avec les franţuzisme et donne comme exemples: boutique (avec sa variante butică), milieu, grand-guignol, cache-radiator, coupé, voyeur, voyeurisme, café-concert, policier, café, frappé, clou.

On outre, si l’on veut trouver des points communs et divergents entre les xénismes et les pérégrinismes, on dira que les premiers sont dus à des contacts culturels et sont le résultat d’une attitude cosmopolite des locuteurs, qui veulent utiliser des mots étrangers pour la couleur locale, alors que les pérégrinismes apparaissent comme des éléments ayant une utilisation assez restreinte, des mots à la mode, ayant donc un caractère temporaire.Deroy soutient que: « le pérégrinisme appartient souvent à la langue cultivée, savante, écrite », pour annoncer un peu plus loin que « le pérégrinisme appartient souvent aux langues spéciales » (Deroy, 1956: 224).

4.1. L'adaptation phonétique et graphique des termes juridiques

français en roumain Les difficultés d’adaptation de certains mots sont dues à des différences

majeures d’ordre phonétique entre les deux langues. En effet, le français et le roumain ont des systèmes phonétiques et orthographiques assez différents.

Nous explicitons dans ce qui suit la manière dont ce décalage a été résolu : 4.1.1. La terminologie juridique reproduit en roumain la variante écrite de

l’étymon français: fr. agnat > roum. agnat, fr. dol > roum. dol, fr. considérent > roum. considerent, fr. pertinent > roum. pertinent, fr. criminologie > roum. criminologie, fr. incident > roum. incident, fr. mandat > roum. mandat, fr. fideicomis > roum. fideicomis, etc.

D’autre part, nous précisons qu’il y a des termes juridiques qui ont été adaptés selon la forme orale du français : fr. casier > roum. cazier, fr. enquête > roum. anchetă, fr. réplique > roum. replică, etc.

D’autres termes combinent partiellement la forme écrite et la forme orale : fr. appel > roum. apel, fr. plaidoirie > roum. pledoarie, fr. cohabitant > roum. coabitant, fr. comission > roum. comision, fr. appelant > roum. apelant, fr. recours > roum. recurs, etc.

Les consonnes finales non prononcées en français subissent un traitement différent selon la voie, orale ou écrite, par laquelle le mot pénètre dans la langue cible. Dans les exemples cités ci-dessus, comme les emprunts ont reproduit soit la

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forme écrite soit la forme orale, ou bien les deux à la fois, les consonnes finales ont été maintenues en roumain.

Les verbes du premier groupe, en –er, ont pris en roumain les formes de la première conjugaison, la plus productive d’ailleurs ; ce phénomène est valable d’ailleurs pour la majorité des verbes empruntés au français : fr. désister > roum. desista, fr. perimer > roum. perima, fr. audier > roum. audia, fr. stipuler > roum. stipula, fr. intenter > roum. intenta, fr. invalider > roum. invalida.

4.1.2. Au contact de la langue cible, l'emprunt est assimilé au système de prononciation de celle-ci, surtout si le mot contient des phonèmes qui ne s’y retrouvent pas. Le problème des phonèmes inconnus peut être résolu, selon Deroy (1956 : 245-249), de deux manières : élimination ou substitution par des phonèmes similaires. Par conséquent, les voyelles françaises qui n’ont pas de correspondants en roumain sont rendues par les sons les plus proches par les locuteurs roumains. Le - e muet enregistre deux cas d’adaptation. Le premier, le plus répandu, est celui de la disparition totale en roumain (fr. concessionale > roum. concesional, fr. incessible > roum. incesibil, fr. indemne > roum. indemn, fr. indisponible > roum. indisponibil). Le second consiste dans une adaptation du e muet au système roumain sous plusieurs formes : une voyelle qui n’existe pas en français (-ă), mais qui est très proche en ce qui concerne le degré de fermeture : fr. antichrèse > roum. antihreză, fr. crime > roum. crimă, fr. récidive > roum. recidivă, fr. récréance > roum. recreanţă, fr. litispendance > roum. litispendenţă ; - iu peut également substituer le e muet - fr. privilège > roum. privilegiu, fr. interrogatoire > roum. interogatoriu), alors que –u vient naturellement en roumain après une mutta cum liquida: fr. séquestre > roum. sechestru. Les mots à finale –eur (provenant d’un suffixe nominal agentif latin) sont adaptés en roumain par –or: fr. successeur > roum. succesor, fr. détenteur > roum. detentor, fr. créditeur > roum. creditor, fr. débiteur > roum. debitor.

4.1.3. Les finales (consonnes, voyelles nasales) subissent aussi des modifications en roumain:

(a). la sonorisation des sourdes finales : - if > - iv : fr. dolosif > roum. dolosiv, fr. infirmatif > roum. infirmativ, fr. prorogatif > roum. prorogativ, fr. rétrocessif > roum. retrocesiv, fr. afflictif > roum. aflictiv, fr. suspensif > roum. suspensiv, fr. préventif > roum. preventiv ;

(b). dénasalisation de la voyelle finale : - ation > - aţie : fr. habitation > roum. abitaţie, fr. cohabitation > roum. coabitaţie, fr. subrogation > roum. subrogaţie, fr. alégation > roum. alegaţie, fr. novation > roum. novaţie, fr. promulgation > roum. promulgaţie ; - tion > -ţie : fr. condition > roum. condiţie, fr. instruction > roum. instrucţie, fr. convention > roum. convenţie, fr. intention > roum. intenţie, fr. location >

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roum. locaţie, fr. mutation > roum. mutaţie, fr. rétention > roum. retenţie, fr. résolution > roum. rezoluţie ; - ion > - iune : fr. indivision > roum. indiviziune, fr. réclusion > roum. recluziune, fr. revérsion > roum. reversiune, fr. usucapion > roum. uzucapiune, fr. rescision > roum. resciziune.

Nous avons recensé des emprunts en - tion qui ont gardé leur forme archaïque: fr. probation > roum. probaţiune, fr. reconvention > roum. reconvenţiune, fr. péremption > roum. perempţiune, fr. interlocution > roum. interlocuţiune (cu var. interlocuţie), fr. éviction > roum. evicţiune. À cela s’ajoutent des mots du vocabulaire général qui ont enregistré une phase de transition archaïque, mais qui enregistrent maintenant une forme adaptée au roumain, sous l’influence russe : fr. amélioration > roum. amelioraţiune > roum. amelioraţie, fr. capitulation > roum. capitulaţiune > roum. capitulaţie, fr. complication > roum. complicaţiune > roum. complicaţie, fr. congratulation > roum. congratulaţiune > roum. congratulaţie, etc. (c). adaptation d’après le modèle latin : - ité > - itate : fr. imputabilité > roum. imputabilitate, fr. incessibilité > roum. incesibilitate, fr. officialité > roum. oficialitate, fr. paternité > roum. paternitate, fr. invalidité > roum. invaliditate. (d). le groupe consonantique «mutta cum liquida » est mouillé : - able > - abil: fr. alienable > roum. alienabil, fr. consomptible > roum. consumptibil, fr. incessible > roum. incesibil, fr. insaisissable > roum. insesizabil, fr. prescriptible > roum. prescriptibil, fr. fongible > roum. fungibil, fr. amiable > roum. amiabil.

(e). monophtongaison et évolution du - e muet (voir supra 4.1.2) : - oire > - oriu : fr. aléatoire > roum. aleatoriu, fr. commissoire > roum. comisoriu, fr. exécutoire > roum. executoriu, fr. résolutoire > roum. rezolutoriu, fr. rescisoire > roum. rescizoriu, fr. rédhibitoire > roum. redhibitoriu, fr. récursoire > roum. recursoriu.

4.2. Compte tenu de toutes ces modifications, on pourrait affirmer que les

néonymes juridiques font preuve d’un degré d’adaptation élevé, ce qui veut dire que, d’une part, les dictionnaires n’enregistrent pas de variantes formelles et que, d’autre part, il y a eu une adaptation presque totale des termes juridiques français en roumain grâce à leur fréquence et à leur utilisation en langue roumaine. En outre, les termes analysés sont entrés par voie écrite, ce qui veut dire que le traducteur a essayé de trouver un équivalent adapté à la langue-cible, d’autant plus que le terme était destiné à désigner un concept ou une réalité juridique à long terme.

Cependant, l’étymologie multiple des termes empruntés de même que l’influence des langues voisines, le russe en espèce, expliquent l’existence des

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doublets qui se sont maintenus dans la langue pour une assez longue période et que le DEX mentionne entre parenthèses en tant que variante pour le terme utilisé actuellement en langue juridique: fr. séquestre > roum. sechestru (var. sequestru), fr. réclamation > roum. reclamaţie (var. reclamaţiune), fr. interdiction > roum. interdicţie ( var. interdicţiune), fr. pétition > roum. petiţie (var. petiţiune).

5. EN GUISE DE CONCLUSION

L’emprunt lexical est un domaine de recherche qui soulève encore maintes

interrogations dont les réponses tardent parfois à venir. La démarche la plus difficile reste la constitution d’un corpus et la définition d’une méthode de recherche pour ce vaste domaine lexical. Suite à notre approche des trois volets envisagés, qui nous a permis de mettre en évidence la dynamique du fonds lexical roumain, surtout dans le domaine juridique, nous avons fait les constatations suivantes:

(a) La définition étymologique des gallicismes du roumain représente encore un problème extrêmement compliqué. Dans les cas où la source immédiate d’un emprunt reste ambiguë ou lorsqu’il est possible, en principe, qu’un néologisme provienne au moins par deux filières, il s’agit de l’étymologie multiple. Appliquée au langage spécialisé (dans notre cas, juridique), cette grille d’analyse pourrait nous apporter des données importantes surtout pour ce qui est de l’attestation ou de la voie de pénétration des néonymes (v. aussi Sâmbrian, 2011).

(b) le DILF pourrait constituer un corpus-registre pour faire des statistiques concernant le pourcentage des gallicismes du roumain, dans le langage usuel ou dans les domaines spécialisés.

(c) la différence assez grande entre le phonétisme français et celui du roumain a conduit à une adaptation graphique et/ou phonique quasi générale des emprunts juridiques français (pénétrés surtout par voie culte, écrite) à la phonétique roumaine.

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CHAMPS SÉMANTIQUES

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LES EMPRUNTS LEXICAUX ROUMAINS AU FRANÇAIS : APPROCHE DU MICRO-CHAMP LEXICAL

DES MEUBLES [POUR S’ASSEOIR]1

1. INTRODUCTION

Le processus de réception et d’assimilation des éléments lexicaux

occidentaux, notamment romans, s’est avéré un phénomène complexe et souvent controversé, mais impérieusement nécessaire pour la constitution du lexique de la langue roumaine moderne. Ce sont en tout premier lieu les mots d’origine française qui ont joué un rôle fondamental pour l’achèvement du caractère moderne du roumain littéraire. Ils sont entrés dans cette langue à partir de la fin du XVIIIe siècle, recouvrant donc une longue période en diachronie, et ce processus se poursuit de nos jours aussi.

L’insertion des termes néologiques d’origine française dans le lexique du roumain a été faite dans les domaines les plus variés de l’activité humaine, contribuant ainsi à la redéfinition de la physionomie lexicale du roumain, en tant que langue néo latine.

En nous référant strictement au domaine du mobilier, on remarque que les mots qui désignent les meubles ‘fondamentaux’ : pat « lit », masă « table », scaun « chaise », dulap « armoire » ne sont pas des emprunts au français, mais des mots appartenant au fonds héréditaire (masă < lat. MENSA et scaun < lat. SCAMNUM), ou bien des mots représentant des emprunts plus anciens (pat, avec une origine obscure – du néogrec, mais on a proposé aussi une étymologie latine, et dulap, emprunté au turc).

Les autres mots désignant des pièces de meuble sont, pour la plupart, des emprunts au français :

balansoar (< fr. BALANÇOIRE), bibliotecă (< fr. BIBLIOTHEQUE), birou (< fr. BUREAU), bufet (< fr. BUFFET), canapea (< fr. CANAPE), comodă (< fr. COMMODE), dormeză (< fr. DORMEUSE), etajeră (< fr. ETAGERE), fotoliu (< fr. FAUTEUIL), garderob (< fr. GARDE-ROBE), gheridon (< fr. GUERIDON), servantă (< fr.

1 Daniela Dincă / Gabriela Scurtu, «Les emprunts lexicaux roumains au français: approche du micro-champ lexical des meubles [pour s’asseoir]». CILPR, Nancy, 2013 (sous presse).

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SERVANTE), şezlong (< fr. CHAISE LONGUE), şifonier (< fr. CHIFFONNIER), taburet (< fr. TABOURET), vitrină (< fr. VITRINE), etc. Nous avons envisagé dans la présente étude de faire l’analyse complexe de

quelques lexèmes porteurs du sens générique « siège », défini comme « objet fabriqué, meuble disposé pour qu’on puisse s’y asseoir » (NPR). Ces lexèmes constituent le macro-système des meubles [+siège], formé à son tour de microsystèmes, en fonction des traits définitoires considérés :

(i) [pour s’asseoir] / [pour dormir] ; (ii) [pour une personne] / [pour plusieurs personnes].

Dans cette communication nous traiterons uniquement du champ sémantique

(lexical et conceptuel) des lexèmes marqués par le trait définitoire [pour s’asseoir] : fr. banc / roum. bancă, fr. banquette / roum. banchetă, fr. chaise longue / roum. şezlong, fr. fauteuil / roum. fotoliu, fr. pouf / roum. puf, fr. strapontin / roum. strapontină, fr. tabouret / roum. taburet. Plus précisément, l’analyse que nous proposons porte sur trois points principaux :

(i) la description lexicographique des lexèmes qui appartiennent au micro-champ précisé ci-dessus ; (ii) l’analyse sémantique comparative de ces lexèmes ; (iii) la corrélation entre la description linguistique et la réalité extralinguistique (par l’analyse de l’évolution des référents à travers le temps).

Notre démarche est fondée, en principal, sur l’analyse des traits sémiques que nous avons considérés comme pertinents pour la définition du sens global de chaque lexème, ce qui permet la différenciation entre les référents et, par voie de conséquence, entre leurs dénominations.

2. ANALYSE DU MICRO-CHAMP LEXICAL DES MEUBLES [POUR S’ASSEOIR]

Pour la description lexicographique que nous proposons, les sens français sont donnés, en général, d’après le TLFi, complété avec les dictionnaires GRLF, GLLF et le Littré ; les sens roumains, d’après le DA / DLR, le DEX et le DN. Pour diverses précisions sur les emplois actuels, nous avons utilisé aussi d’autres sources, comme les sites Internet. L’analyse est fondée sur le sens fondamental et actuel, enregistré dans les dictionnaires consultés, mais nous partirons des acceptions antérieures, en commençant par le sens étymologique. Nous prendrons

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aussi en considération les mutations subies à travers le temps, toujours accompagnées de changements radicaux des référents, qui voient modifier leur forme, les éléments composants et même la destination.

2.1. Sièges pour une personne 2.1.1. fr. tabouret / roum. taburet Le fr. tabouret est un dérivé par suffixation (-et) de tabour, forme ancienne

de tambour. Cette étymologie est, sans doute, due à la ressemblance entre les deux référents. Le mot est attesté, selon le TLFi, en 1525, déjà avec son sens actuel : « siège pour une personne, à trois ou quatre pieds, sans bras ni dossier ». Quant à sa forme, le tabouret est généralement rond, mais aussi carré ou cylindrique (cf. GRLF). La matière de fabrication est rigide : tabouret en bois (cf. escabeau), tabouret en acier, en fer forgé, mais ce n’est pas une caractéristique générale pour les différents modèles existants : tabouret paillé, en cuir (Ibid.).

Pour désigner divers types de tabourets du point de vue de leur fonctionnalité, le français dispose d’une riche série de collocations : tabouret de bar / de bureau / de cuisine / de jardin / de piano / de pieds / de salle de bains, etc.

Leurs référents présentent certaines caractéristiques supplémentaires par rapport au tabouret ‘traditionnel’, comme par exemple : [+réglable], dans le cas de tabouret de piano, ou bien [+haut], pour les tabourets de bar (cf. les expressions monter / grimper / être juché sur un tabouret), se différenciant ainsi des tabourets ‘ordinaires’ (surtout les tabourets de cuisine). En outre, le tabouret de bar, pour raisons de commodité, est parfois pourvu d’un dossier, ce qui l’oppose au tabouret, pris dans l’acception courante, et qui est celle de « siège sans dossier » (voir <www.leguide.com/tabourets_de_bar.htm>). Dans tabouret de pied(s) (« petit support où l’on pose les pieds, lorsqu’on est assis », in GRLF), on enregistre le changement du sème générique : [pour s’asseoir] [pour reposer les pieds] ; il y a donc une modification de la fonctionnalité de l’objet.

Les sièges communément appelés tabourets subissent de nos jours toutes sortes de mutations, telles qu’indiquées sur divers sites Internet, ce qui conduit à une grande diversité de formes, de hauteurs ou d’utilisations.

Le roum. taburet est un emprunt au fr. tabouret, étant également attesté sous la forme taburel, par changement de suffixe (CDER). Il a conservé les sens de l’étymon français, y compris son sens spécialisé, dans taburet de pian (« tabouret de piano »).

En interrogeant les sites Internet, il semble que l’occurrence la plus répandue du lexème en question soit taburet de bucătărie (« tabouret de cuisine ». À mentionner aussi que pour taburet de bar (« tabouret de bar »), l’offre sur Internet est très généreuse, comprenant des sièges d’une grande diversité de formes (à trois

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ou à quatre pieds, de hauteurs différentes, réglables ou non, avec ou sans dossier, même sans pieds, ce qui ramène le tabouret à ce qu’on appelle traditionnellement un puf, etc.).

Les champs sémiques des deux lexèmes en question : fr. tabouret et roum. taburet sont, comme on le voit, quasiment identiques, comportant les traits suivants : [sur pieds], [sans dossier], [sans accoudoirs], [de forme ronde ou carrée] et [en matière (en général) rigide]. Il s’y agit de la définition du tabouret ‘traditionnel’, car, comme l’attestent les sites spécialisés dans la vente des meubles, ces traits se modifient substantiellement dans le cas des mots désignant des tabourets modernes, spécialisés pour différents emplois.

2.1.2. fr. pouf / roum. puf Le fr. pouf est défini comme : 1. « tabouret bas, capitonné, sans bois

apparent, pour une ou plusieurs personnes » ; 2. « gros coussin posé sur le sol » (TLFi). La première acception est qualifiée par le GRLF de vieillie, malgré son utilisation courante, à côté de la deuxième.

Le nom provient d’une onomatopée, pouf !, évoquant la chute (1458). Deux siècles plus tard, il est attesté comme adjectif invariable, dans le domaine technique : grès, marbres, pierres pouf, c’est-à-dire « qui se délitent facilement, qui s’effritent quand on les travaille » (GRLF).

Comme nom, pouf est d’abord un terme appartenant au domaine de la mode, avec diverses acceptions : sorte de « bonnet de femme » (XVIIIe siècle) (GRLF), « coiffure de femme » (Littré), pour acquérir ultérieurement, par extension, l’acception de « tournure qui faisait bouffer la jupe ou la robe par derrière » (1871, GRLF).

Le pouf, tout comme le tabouret, peut être aussi l’accessoire d’un fauteuil ou d’un canapé, utilisé pour allonger les pieds à la même hauteur que le siège.

Ce mot n’est entré en roumain qu’avec les acceptions du domaine de l’ameublement : « sorte de tabouret ou de coussin capitonné ou en plastique, rempli d’air » (DEX).

Le pouf est aujourd’hui un meuble moderne, en vogue surtout dans les chambres pour les adolescents, qui préfèrent ce type de siège pour sa commodité et sa fonctionnalité, pouvant servir de tabouret (pour une personne), de canapé (pour plusieurs personnes) ou de siège d’appoint. Les catalogues de mobilier offrent un grand choix de poufs de diverses formes (cylindriques, carrés), se présentant comme des matelas ou bien des coussins.

2.1.3. fr. strapontin / roum. strapontină Dans le même micro-champ, on retrouve le fr. strapontin, mot qui vient de

l’it. strapontino, de strapunto « matelas ». Sa première acception est celle de « petit

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siège que l’on met sur le devant ou aux portières d’un carrosse » (1666, in TLFi). Ultérieurement, elle connaît une extension pour d’autres véhicules, surtout de transport en commun, et pour les salles de spectacles, désignant les sièges d’appoint servant à augmenter le nombre de places assises.

Le mot français a connu aussi des acceptions, aujourd’hui disparues de l’usage, dans le domaine de la marine : « matelas placé sur une couchette de bord et maintenue par une planche à coulisse et qui, serré le jour dans un caisson, était un lit d’appoint » et dans celui de la mode : « coussinet que les femmes attachaient au bas du dos pour faire bouffer leur robe, suivant la mode des années 1883 à 1889 » (TLFi). Tout comme dans le cas de pouf, strapontin acquiert le dernier sens par une analogie entre la forme du siège et celle du coussinet.

Le roum. strapontină a remplacé la forme initiale strapontin et a une étymologie multiple (du français et de l’italien, cf. DLR). Son unique acception est celle de « siège repliable dans les véhicules et les salles de spectacles » (DEX). Il s’agit donc d’une conservation partielle de sens, car le roumain ne garde que l’acception fondamentale de « siège », les sens vieillis du français étant déjà sortis de l’usage au moment où le mot a été emprunté.

Le trait [+repliable] des mots fr. strapontin / roum. strapontină est différenciateur par rapport à tous les autres lexèmes du micro-champ lexical des meubles [pour s’asseoir].

2.1.4. fr. fauteuil / roum. fotoliu Le fr. fauteuil est un mot ancien, venant de l’a.b. frq. *faldistôl, proprement

« siège pliant », attesté déjà dans Roland (cf. TLFi). Le sens usuel du mot est « siège à dossier, généralement à bras, pour une personne, et dans lequel on est assis confortablement » (Ibid.).

La matière de fabrication est en principe non rigide (cf. fauteuil de velours / de damas / de cretonne / de cuir / de moleskine / de paille), mais pas forcément (cf. fauteuil de bois sculpté / d’osier / canné ou même fauteuil de jardin en fer) ; à noter cependant que ces derniers sont des représentants moins prototypiques de la catégorie des fauteuils.

On se doit de préciser qu’à notre époque cet objet de mobilier connaît une évolution spectaculaire, car les fauteuils conçus par les designers contemporains ne ressemblent point à leurs ancêtres : vifs en couleurs, de formes bizarres (en œuf, en boule, en cocon, en coquille, etc.), il est difficile d’y reconnaître un ‘vrai’ fauteuil, en conformité avec la définition ci-dessus (par exemple <www.leblogdeco.fr/tag-deco/fauteuil>).

Le mot fauteuil (surtout quand il figure dans des collocations) présente des sens spécialisés, en accord avec ses usages particuliers, tels que les fauteuils de coiffeur / de bureau / de dentiste / de malade. De même, le fauteuil de poste

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(ou trémoussoir) est « une sorte de machine par le moyen de laquelle on fait un exercice utile à la santé sans sortir de sa chambre » (Littré) ; cette lexie est aujourd’hui tombée en désuétude. Pour désigner un référent similaire, on dit plutôt fauteuil à bascule (v. berceuse, rocking-chair, in GRLF). Le sens du mot enregistre dans tous ces cas une restriction, par spécialisation.

Notons aussi quelques évolutions sémantiques intéressantes. Par métonymie, fauteuil d’orchestre / de balcon désigne la place dans une salle de spectacle, située en avant du parterre. Pris dans un sens figuré, mais toujours métonymique, fauteuil (surtout fauteuil présidentiel ou de président) signifie « titre, charge, place dans une assemblée », ce qui explique les expressions siéger au fauteuil, occuper le fauteuil (« présider »), monter au fauteuil, céder le fauteuil à un autre. En particulier, avec référence à l’Académie française, fauteuil désigne le titre d’académicien (cf. briguer un fauteuil, être élu au fauteuil de…; présenter sa candidature au fauteuil vacant).

En revenant au sens propre de « siège », caractéristique pour le mot analysé, dès ses premières attestations, il faut mentionner que celui-ci s’enrichit, quand il figure dans les mots composés fauteuil-lit, fauteuil extensible, d’un nouveau sème : [pour dormir] (à côté de celui de départ : [pour s’asseoir]). Le mot fait ainsi le passage entre les deux classes établies au début : meubles [pour dormir], dont l’archilexème est lit et meubles [pour s’asseoir] avec l’archilexème chaise.

Le mot roumain fotoliu vient du fr. fauteuil, avec adaptation phonétique et graphique, présentant aussi une forme ‘roumanisée’ fotel, aujourd’hui tombée en désuétude (cf. DLR). Le DEX renvoie aussi à une forme du pol. fotel. Ses définitions lexicographiques se superposent sur celles qu’offrent les dictionnaires du français : « grande chaise, d’habitude capitonnée, avec dossier et accoudoirs » (DLR, DLRC, DEX, etc.).

Il est intéressant de constater que le mot roumain présente non seulement le sens de base de son étymon français, mais aussi toutes les évolutions sémantiques indiquées plus haut, ce qui peut être l’effet de l’emprunt, mais aussi celui d’évolutions indépendantes (il est difficile de le préciser, en l’absence de dictionnaires roumains indiquant les dates d’attestation pour les différentes acceptions d’un mot). Quoi qu’il en soit, fotoliu a le sens de « place dans une salle de spectacles », apparaît dans les syntagmes fotoliu academic / ministerial / prezidenţial, en désignant, comme en français, la dignité qui s’identifie au fauteuil occupé. Même l’adjonction du sème [pour dormir] est réalisée dans fotoliu-pat « fauteuil extensible qui peut devenir lit » (DEX).

On peut noter l’évolution assez spectaculaire des objets nommés communément fauteuil / fotoliu (sur les sites de publicité), et pour lesquels les définitions lexicographiques indiquées supra ne s’appliquent qu’avec grand-peine.

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De même, il est à noter les évolutions sémantiques de divers types (spécialisations, passages métonymiques, emplois figurés) qu’ont subies les deux lexèmes.

2.1.5. fr. chaise longue / roum. şezlong Le fr. chaise longue est un mot composé, analysable, attesté en 1710 chez

Saint-Simon. Le sens indiqué par les dictionnaires est : « siège à dossier et parfois pliant sur lequel on peut allonger les jambes » (TLFi).

Tout comme on l’a d’ailleurs fait remarquer pour les autres termes appartenant au même micro-champ, il nous semble intéressant d’observer l’évolution du référent à partir de son apparition jusqu’à nos jours et, par voie de conséquence, du métasémème du mot en question.

Ainsi, pour illustrer l’objet appelé chaise longue, les gravures de l’époque (XVIIIe et XIXe siècles) montrent un meuble de salon assez somptueux, large et confortable, en bois et en étoffe, sur pieds et avec des annexes (appuie-tête, coussins, etc.). En passant par la chaise longue classique (un siège fixe ou pliant, consistant dans une toile fixée sur un cadre fixe en bois ou métallique et muni d’un appui pour les jambes), on arrive aux meubles modernes, car les chaises longues continuent leur évolution. Vu la multitude des modèles, elles sortent dans le jardin, sur la plage, etc., devenant, par exemple, des lits de plage (cf. <www.lachaiselongue.fr>).

Le mot jouit aujourd’hui d’une certaine faveur en France, étant utilisé comme nom de restaurants, de sites internent où l’on vend des produits insolites (<www.lachaiselongue.fr>). Par glissement métaphorique, chaise longue désigne un plateau de cuisine, de fromage, de lit.

Le roum. şezlong, devenu mot simple, a perdu la motivation linguistique qui existait dans le cas de l’étymon français (processus analogue à celui que l’on enregistre pour abajur, portmoneu, garderob, etc.). Il entre dans la langue avec le sens usuel du mot, à savoir « chaise pliante formée d’un squelette de bois ou métallique garni de tissu d’ameublement et dont le dossier peut s’incliner au gré de l’utilisateur » (DEX). C’est avec cette acception que le mot est présent dans la conscience des locuteurs roumains, et c’est à peu près la même définition lexicographique qu’en donnent aussi les autres dictionnaires, explicatifs ou de néologismes. Les anciennes variantes renvoyant aux chaises longues de salon ne sont pas connues dans l’espace civilisationnel roumain, le mot ayant été emprunté quand la mode de ce type de meubles était déjà passée en France. Mais, chose notable, une fois entré en roumain, le mot s’enrichit de nouvelles acceptions, opération parallèle aux mutations subies par les référents et justifiée par cela même.

Les chaises longues modernes sont loin de l’image prototypique que les locuteurs ont de cet objet, étant de conceptions bien diverses, avec des designs

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ergonomiques, ressemblant tantôt à des lits de plage, se voyant tantôt réduites à un simple cadre rabattable en métal ou en plastique (<www.clubafaceri.ro/39259/ sezlong-plaja-1305115.html>).

2.1.6. Quelques conclusions sur le micro-champ des sièges [pour une

personne] Dans le micro-champ des sièges [pour une personne], nous avons regroupé

cinq lexèmes : fr. tabouret / roum. taburet, fr. strapontin / roum. strapontină, fr. pouf / roum. puf, fr. fauteuil / roum. fotoliu et fr. chaise longue / roum. şezlong. Pour définir leur contenu sémantique, nous avons pris en considération des traits sémiques communs pour tous les lexèmes envisagés, mais également des traits spécifiques, à caractère distinctif.

Font partie de la première catégorie des traits sémiques visant les éléments constitutifs ([sur pieds], [avec dossier], [avec accoudoirs]), les traits physiques (forme, hauteur) et la matière de fabrication [±rigide]. Les autres traits sont, par excellence, spécifiques : [+repliable] (pour strapontin), [+pliant] (pour chaise longue) ou [+réglable] (pour certains types de tabourets), mais les traits communs peuvent devenir, en l’occurrence, différenciateurs pour tous les lexèmes du micro-champ envisagé : [sans pieds] (pour pouf et strapontin), [sans dossier] et [sans accoudoirs] (pour tabouret, pouf et strapontin), [+bas] (pour pouf et strapontin), [+haut] (pour certains types de tabourets).

Parmi ces meubles, le tabouret et le fauteuil sont les plus anciens et, en même temps, les plus répandus de nos jours, ce qui s’explique par leur caractère multifonctionnel.

2.2. Sièges pour plusieurs personnes 2.2.1. fr. banc / roum. bancă Le fr. banc est un mot ancien, venant du germ. *bank-, par l’intermédiaire du

lat. vulg. bancus, attesté au Moyen Âge par son dérivé bancalis « coussin où l’on s’assied », puis attesté lui-même en 1025 avec l’acception actuelle de « siège étroit et allongé où peuvent se tenir plusieurs personnes » et en 1065-1140 au sens de « comptoir de marchand » (TLFi). Donc les deux sémèmes fondamentaux de banc sont déjà attestés au XIe siècle.

En nous rapportant au sens de « siège », il faut préciser que le trait distinctif en est [+allongé], caractéristique qui rend l’objet nommé banc fonctionnel pour accueillir plusieurs personnes. Quant aux parties composantes, les bancs peuvent se présenter avec ou sans dossier, de même qu’avec ou sans accoudoirs (appelés aussi accotoirs), mais sur pieds.

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Le matériel de fabrication est traditionnellement rigide (cf. banc de bois / de pierre / de fer / en marbre) ; aujourd’hui, on en trouve aussi en matériaux synthétiques.

Vu sa capacité de recevoir plusieurs personnes, le banc est une pièce de mobilier fréquemment rencontrée dans l’espace public (on le retrouve dans les parcs, les jardins, les promenades publiques et le long des avenues), faisant partie de ce qu’on appelle communément mobilier urbain.

De par l’importance du banc comme siège et vu son rôle public, le mot qui le désigne se spécialise dans différents domaines, de sorte qu’il est presque devenu le symbole d’une institution (écoles, églises, tribunaux, etc.). D’abord dans le domaine de l’enseignement (les bancs de l’école) d’où, par métonymie, ce mot arrive à désigner l’école, l’université (cf. être, se mettre sur les bancs « aller à l’école, à l’université », cf. GRLF).

Le sens du mot enregistre ensuite un fin passage du concret à l’abstrait, auquel cas banc ne désigne plus l’objet, le siège (quel qu’il soit), mais bien l’emplacement réservé dans certaines assemblées, ainsi :

- dans le domaine parlementaire, nous avons le banc de la noblesse / des sénateurs (anciennement) et (actuellement) le banc des ministres ou du gouvernement (à l’Assemblée nationale) ;

- dans le domaine juridique, avec un emploi usuel, on a (au tribunal) le banc des accusés (ou de l’accusation) et le banc des avocats ;

- dans le domaine religieux, le banc seigneurial était un banc réservé dans l’église à la famille du seigneur, alors que le banc d’église désigne la place réservée à une famille pour l’assistance au service divin ;

- enfin, le banc de la presse est « la tribune de la presse dans les endroits où celle-ci est professionnellement et officiellement représentée ».

Le mot conserve son sens propre dans le domaine de la marine, où il renvoie à « un siège sur lequel s’assoient un, deux ou plusieurs rameurs » (y compris dans les expressions banc de rameur ou banc de nage) (Littré).

Par analogie, le mot sert à désigner, dans des domaines spécialisés (tels marine, géologie, mines) : une « masse formant une couche », une « surface horizontale plus ou moins étendue » (cf. banc de gazon / de mousse / d’algues / de neige / de glace, etc.), un « amas de diverses matières formant une couche » (banc de gravier / de roches / de vase) ou une « troupe d’animaux marins » (banc de moules / de poissons). Les principaux traits qui ont permis ce transfert analogique sont [+horizontal], [+étendu]. Le lexème banc a développé des sens techniques, surtout lorsqu’il est employé dans les expressions banc d’établi / d’épreuve / d’essai (<www.cnrtl.fr/definition/banc>).

Le deuxième sens étymologique, celui de « comptoir de marchand», est lui aussi encore vivant pour désigner l’étal des marchands (surtout boucher), comme

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l’attestent des annonces publicitaires : « Vends banc de boucher, 120 ans d’âge, bois debout » (<www.leboncoin.fr/materiel_ professionnel/221615857.htm>) ou banc de marché poissonnerie (<www.transactioncommerce.com/vente-annonce-vente-commerce-banc-de-marche-poissonnerie-id52115.html>) et connaît de nos jours diverses extensions pour désigner le support pour étaler les marchandises les plus diverses (éventaires pour des produits alimentaires, textiles, etc.). Ce sens peut être lié à un archisémème : « meuble sur lequel on pose quelque chose » (cf. banc au sens de « batte de blanchisseuse » et même de « table » (pop.) (<www.cnrtl.fr/definition/banc>).

Ce qui représente un glissement vers une autre catégorie de mobilier, c’est l’emploi actuel des bancs en tant que meubles de rangement pour les chaussures, pour les chaussettes, etc. Cette acception n’est enregistrée par aucun des dictionnaires consultés, mais elle est détectable dans le cas des offres dans les catalogues de mobilier (<www.touslesprix.com/achat,banc-a-chaussure.html>).

Donc le mot banc présente une riche polysémie, à partir du domaine du mobilier, enregistre des métasémies des plus intéressantes jusqu’à des sens spécialisés reposant sur des analogies et des métaphorisations.

Le roum. bancă est attesté en 1830 dans l’expression a sta pe băncile şcolii (« être sur les bancs de l’école ») (in RDW). Le mot a une étymologie multiple controversée, liée à ses différentes acceptions (les dictionnaires roumains indiquent comme sources le fr. banc, l’it. banca, l’all. Bank).

Dans le micro-champ des meubles [pour s’asseoir], bancă, tout comme banc en français, signifie : « siège allongé, avec ou sans dossier, sur lequel plusieurs personnes peuvent s’asseoir en même temps » ; ensuite « banc pour les écoliers et les étudiants » et « siège, emplacement réservé à certaines personnes dans certaines assemblées » (cf. banca acuzaţilor « le banc des accusés »).

Dans l’espace civilisationnel roumain, le banc, en tant qu’objet de mobilier, est sans doute entré avant 1830, mais son utilisation n’était pas encore tellement répandue (par exemple dans les maisons paysannes il y avait une sorte de bancs de bois rangés le long des murs, mais qui s’appelaient laviţă - du bg. lavica -, les copistes écrivaient debout, etc.).

Les dictionnaires du roumain moderne indiquent deux entrées pour bancă, considérées comme des homonymes : bancă1 (« siège » et « étal ») et bancă2 (« institution financière »), mais ne s’accordent pas sur l’étymologie. Pour le DA, bancă1 vient de l’it. banca (et l’all. Bank en Transylvanie) - à remarquer que la source française n’est même pas indiquée -, alors que le DEX indique, par contre, uniquement le fr. banc. Quant à bancă2 « banque », le mot remonterait à l’it. banca, selon le DA, et au fr. banque et à l’it. banca, selon le DEX.

Bancă2 est un terme employé dans le domaine financier (« institution financière, banque », d’où «bâtiment où est installée une banque »). Ce serait le

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résultat d’une conceptualisation métaphorique, opérée déjà dans la langue source (en l’occurrence l’italien), avec les métasémies suivantes : sens 1 « objet en bois formé d’une surface plane sur pieds » sens intermédiaire 2 « table placée devant la maison des commerçants qui pratiquent l’échange monétaire » sens moderne 3 « établissement bancaire » (Ivan 2010).

Toutes les autres acceptions présentes dans le cas du fr. banc se retrouvent incarnées en roumain dans le lexème banc (de l’all. Bank) : banc de nisip (« banc de sable »), banc de gheaţă (« banc de glace »), banc de cărbune (« banc de charbon »), banc de peşti (« banc de poissons »), banc de probă (« banc d’essai »).

En conclusion, l’analyse parallèle des définitions lexicographiques du fr. banc et du roum. bancă a mis en évidence des différences notables portant sur :

- la date d’attestation des deux lexèmes (XIe siècle en français, début du XIXe en roumain) ;

- l’amplitude sémantique très différente des lexèmes dans les deux langues ; - le parcours diachronique sinueux du lexème français ; - les sens des deux lexèmes qui ne se recoupent que dans le domaine du

mobilier (bancă au sens de « siège » est un hétéronyme direct et réversible pour le fr. banc) ;

- l’existence de deux homonymes en roumain : bancă1 et bancă2, alors qu’en français il y a deux lexèmes différents pour désigner le siège et l’institution financière (banc et banque) ;

- l’existence en roumain de l’hétéronyme banc pour le fr. banc, pris dans les autres acceptions que celles de « siège » ou « étal ».

2.2.2. fr. banquette / roum. banchetă Le fr. banquette, probablement un emprunt à l’a. prov. banqueta

« banquette », est attesté en 1417 au sens de « selle » (cf. TLFi) et en 1681 (daté 1677 par FEW), dans le domaine de l’ameublement. Le mot est polysémique, enregistrant, avec le sens qui nous intéresse, celui de « siège », la définition lexicographique suivante : « banc canné ou rembourré, avec ou sans dossier, occupé par une ou plusieurs personnes » (CNRTL).

Par extension, banquette signifie : 1. « impériale d’une diligence, d’un omnibus » (sens attesté dans la plupart des dictionnaires généraux du XIXe et du XXe siècles) ; 2. « banc en pierre pratiqué dans l’embrasure d’une fenêtre » ; 3. « (petite) planche sur laquelle l’ouvrier est assis, dans les manufactures de soie » (<www.cnrtl.fr/definition/banquette>).

Par rapport à banc, banquette ajoute comme trait spécifique [+rembourré], ce qui rend ce type de siège plus confortable que le banc. Grâce à cette caractéristique, la banquette apparaît dans des véhicules (banquette d’une voiture, d’un wagon), mais aussi dans l’espace public, par exemple les halls ou les bars.

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Comme matériaux de fabrication, il y des banquettes en cuir, mais aussi en bois et en fer forgé, pour les jardins et les terrasses, ce qui annule son trait spécifique et rapproche la banquette du banc (qui à son tour est en bois ou en fer forgé).

Le mot développe, par analogie, une multitude de sens : « petite élévation, petite levée de terre, horizontale et allongée » (banquette de gazon, banquette gazonnée), dont beaucoup sont des sens spécialisés, banquette s’employant dans divers domaines, comme l’architecture (« appui d’une fenêtre, socle d’une colonne »), la chimie (« partie d’une cuve à mercure sur laquelle on pose les éprouvettes, les flacons renversés »), géographie, géologie (« replat rocheux, horizontal et de forme allongée »), technologie (« bandes de fer placées dans les fourneaux des forges pour soutenir une portion de la charge du minerai et du charbon »), viticulture (« bande de terre de faible largeur entre les pieds d’une vigne, que la charrue ne peut labourer ») et bien d’autres. Il est évident que toutes ces analogies jouent sur divers traits caractéristiques de la banquette : longueur, largeur, rôle de support, etc.

Le roum. banchetă est entré dans la langue avec les mêmes acceptions du domaine du mobilier qu’en français : 1. « petit banc (rembourré) sans dossier » ; 2. « banc ou canapé dans les véhicules » (DEX). À préciser l’emploi, au sens 2, surtout pour désigner les sièges dans les trains (alors que pour les autobus, on emploie de préférence les mots scaun « chaise » et bancă, selon le type de siège (stai pe scaun « prends place sur la chaise »). Par contre, si en français banc désigne, dans les petites embarcations, le siège sur lequel s’asseyent les rameurs, en roumain c’est banchetă qui lui correspond dans ce cas. On remarque donc que l’amplitude sémantique des deux lexèmes diffère dans les deux langues.

En outre, le mot a une multitude d’acceptions spécialisées, qui ne correspondent pas toujours à celles de l’étymon, ce qui signifie que banchetă a donné lieu en roumain à des glissements dénotatifs et connotatifs : (équitation) « obstacle naturel formé d’un talus couvert d’herbe »; « bande horizontale, en forme de marches, le long d’un terrassement », etc.

L’analyse parallèle des définitions lexicographiques du fr. banquette et du roum. banchetă a mis en évidence les faits suivants :

- la valeur (ou amplitude sémantique) des lexèmes dans les deux langues n’est pas identique (tout comme pour banc / bancă d’ailleurs) ;

- les sens des deux lexèmes ne se recoupent que dans le domaine du mobilier ;

- pour désigner les sièges dans les véhicules, on emploie en français tant siège que banquette, en roumain, banchetă semble préféré pour désigner les places assises dans les voitures, banc dans les trains, scaun dans les autobus (sans que cette règle soit générale).

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2.2.3. Quelques conclusions sur le micro-champ des sièges [pour plusieurs personnes]

En nous rapportant strictement au domaine du mobilier, nous pouvons affirmer que les sens des lexèmes fr. banc / roum. bancă et fr. banquette / roum. banchetă se caractérisent par un ensemble de traits communs pour ce type de siège [pour plusieurs personnes] : [sur pieds], [avec ou sans dossier], [avec ou sans accoudoirs], [+allongé] et [+étroit] (ce dernier trait caractérisant surtout banquette). La définition lexicographique identifie comme trait spécifique pour banquette [+rembourré], mais les banquettes modernes sont aussi en bois ou en fer forgé.

En tant qu’objets de mobilier, le banc et la banquette se différencient aussi en ce qui concerne leur emplacement : le banc est prioritairement un meuble urbain, alors que la banquette est plutôt un meuble d’intérieur (bars, cafés, halls, etc.)

3. CONCLUSIONS SUR LES EMPRUNTS ROUMAINS AU FRANÇAIS DANS LE MICRO-CHAMP LEXICAL DES MEUBLES [POUR S’ASSEOIR]

À l’issue de cette présentation, voici quelques conclusions se rapportant à des aspects que nous considérons comme pertinents pour caractériser le contact entre les deux langues, en l’occurrence les emprunts roumains au français (ou, en d’autres termes, les gallicismes du roumain). En nous arrêtant sur les lexèmes du micro-champ ayant fait l’objet de l’analyse proposée et en envisageant, comparativement, les sens des étymons, leur transmission dans la langue réceptrice et les changements sémantiques qui caractérisent ces emprunts, nous avons retenu les aspects suivants :

(1) Une première constatation majeure : le roumain a emprunté les mots

français avec leur acception fondamentale de « siège », qu’il s’agisse des meubles [pour une personne] ou [pour plusieurs personnes]. Notons à cet égard que dans le domaine des changements sémantiques subis par les emprunts au français, la sélection des sémèmes de l’étymon est le phénomène le plus fréquent : « cette sélection dépend entièrement du cadre extra linguistique » (Thibault 2004 : 104).

Dans le cas pris en compte, le principal facteur extra linguistique responsable des différences relevées dans les deux langues, au niveau de la configuration sémantique des lexèmes analysés, est représenté par le décalage temporel entre les acceptions des étymons (à partir de l’époque de leur attestation) et l’époque où se sont produits les emprunts. Tous ces mots n’entrent en roumain qu’au cours du XIXe siècle, avec le sens presque exclusif de « siège », n’ayant pas pris les anciennes significations de l’étymon (par exemple « petit siège que l’on

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met sur le devant ou aux portières d’un carrosse », de strapontin, « tournure qui faisait bouffer la jupe ou la robe », de strapontin et pouf, ou « selle », qu’on retrouve dans le cas de banquette). Ces gallicismes illustrent une certaine étape d’évolution de la société, ce qui veut dire que, dans le domaine du mobilier, les mots sont entrés en roumain avec leurs référents, par nécessite de dénomination.

2) Les mots appartenant au micro-champ des meubles [pour s’asseoir] ont

connu en français des évolutions sémantiques, sinon spectaculaires, au moins dignes d’être enregistrées :

(i) d’une part, du sens étymologique à celui de « siège » (par exemple tabouret vient de ta(m)bour, pouf est à l’origine une onomatopée, strapontin est lié à strapunto « matelas », etc.) ;

(ii) d’autre part, des modifications à l’intérieur du champ même des « sièges » (cf. tabouret réglable ou à dossier, alors que le tabouret classique est non réglable, sans dossier), allant jusqu’à la modification de la fonctionnalité de l’objet (cf. tabouret de pieds, non [pour s’asseoir], mais [pour reposer les pieds] ou banc, en tant que meuble de rangement). Évidemment, ces divers changements sont parallèles aux modifications survenues dans la sphère de la référence, car ces objets de mobilier ont connu de grands changements à travers le temps, sous l’effet de la mode et des nouvelles fonctions qui leur incombent ;

(iii) enfin, des extensions à partir de « siège » vers des sens spécialisés dans divers domaines : marine, géologie, mines, technologie, ou vie courante. Ainsi, à partir de certains traits physiques ou fonctionnels des objets de mobilier en discussion, on peut enregistrer des glissements connotatifs, des passages métonymiques ou des analogies métaphorisantes, par exemple banc de gazon, de neige, etc., qui reposent sur une telle analogie, bancs de l’école, qui signifie, par métonymie, l’école elle-même, banquette, qui désigne divers objets [+allongé], [+étroit], [+pour soutenir qch.], pouf comme terme de mode, selon l’analogie entre un coussinet et la tournure de la jupe, etc.

3) En roumain, par contre, ces mots, entrés avec le sens de « siège », n’ont

pas donné lieu à des métasémies importantes. Mais, une fois assimilés par la langue d’accueil, ils connaissent la même évolution qu’en français, alors que les référents subissent les mêmes types de transformations, suite au contact serré entre les deux espaces de civilisation et de culture et, sans nul doute, suite au processus de globalisation. Il n’y a donc pas de reconfiguration sémique importante dans le passage des lexèmes qui ont fait l’objet de cette étude du français vers le roumain, mais seulement, pour des raisons objectives, des sens absents en roumain (c’est-à-dire les sens antérieurs à leur emprunt), le tout en dépendance étroite avec les évolutions qu’ont connues les référents, dans le cadre de l’évolution de la société.

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Cette conclusion ne s’applique pas dans le cas de nombreux autres gallicismes du roumain, caractérisés, par contre, par des innovations sémantiques manifestées à travers des mécanismes divers (extensions analogiques et restrictions de sens, métaphorisations, passage métonymiques, glissements connotatifs, etc.), opérées dans la langue d’accueil et ayant comme point de départ une signification de l’étymon français (v. Iliescu et all. 2010).

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ASPECTS DE LA RECONFIGURATION SÉMANTIQUE DES GALLICISMES DU ROUMAIN:

LE CAS DES MEUBLES [POUR DORMIR]1

1. INTRODUCTION 1.1. Argument Les gallicismes2 du roumain sont considérés comme une partie importante

du patrimoine culturel de l’humanité, constituant un élément définitoire de l’identité spirituelle européenne moderne (v. Reinheimer-Rîpeanu 2011). Dans le cadre de cette problématique, il a été souligné, à maintes reprises, le rôle qu’a joué l’influence française pour l’achèvement du caractère moderne du roumain littéraire, sans doute dans une mesure plus grande que dans aucune autre langue européenne (la plus forte influence qu’une langue de culture ait exercée sur une autre)3. Nous tenons à souligner encore le fait que, pour le roumain, le français a représenté beaucoup plus qu’une influence culturelle due au prestige de la langue prêteuse, mais bien un facteur responsable d’une restructuration profonde de toute la structure lexicale (c’est ce qu’on appelle reromanisation, réalisée beaucoup plus tard que la relatinisation des langues romanes occidentales, et ce, à cause des facteurs historiques, socioculturels et linguistiques particuliers qui ont marqué le développement de cette langue).

1.2. Résultats antérieurs de l’équipe de recherche L’étude que nous proposons pour le présent volume s’intègre dans le projet

de recherche La reconfiguration sémantique des gallicismes dans l’espace socioculturel roumain (FROMISEM II, 2014), qui se situe dans le prolongement

1 Daniela Dincă / Mihaela Popescu / Gabriela Scurtu, «Aspects de la reconfiguration sémantique des gallicismes du roumain: le cas des meubles [pour dormir]», in Laurent, Gautier / Cristiana Teodorescu / Cecilia Condei (éds.) : Diversité des discours et des pratiques traductionnelles, Berlin, Frank und Timme, 2014 (sous presse). 2 Nous employons le terme de ‹gallicisme› au sens de «mot français emprunté par d’autres langues» (cf. Thibault 2009). 3 L’appréciation du grand linguiste suédois Alf Lombard à cet égard est relevante: il considère la reromanisation due à l’influence française comme «unique au monde, en ce qui concerne ‘les emprunts à distance’» (1969: 646).

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d’un projet de recherche CNCS déroulé à la Faculté des Lettres de l’Université de Craiova (Typologie des emprunts lexicaux français en roumain. Fondements théoriques, dynamique et catégorisation sémantique FROMISEM, 2009–2011) et dont les objectifs ont été:

1) la présentation et l’approfondissement de la terminologie de spécialité du domaine analysé;

2) la constitution d’un corpus général des emprunts lexicaux au français (les gallicismes du roumain);

3) l’étude de ces gallicismes du point de vue étymologique; 4) l’esquisse d’une typologie sémantique4. Tous les travaux réalisés dans le cadre du projet FROMISEM ont mis en

évidence, d’une part, des aspects généraux liés à la spécificité des langues en contact, l’interdépendance entre la langue et la société dans laquelle elle fonctionne et évolue, et, de l’autre, des aspects particuliers tels que les relations complexes entre langue prêteuse (en l’occurrence le français) et langue réceptrice (le roumain) et, surtout, le caractère créatif du roumain, un système linguistique qui a eu la capacité d’intégrer et d’assimiler les éléments étrangers dans son propre système lexical et sémantique, leur accordant une valeur particulière (dans l’acception saussurienne du mot), tout en conférant au vocabulaire une physionomie spécifique et originale.

Le nouveau projet FROMISEM II se propose de poursuivre l’étude lexicologique et sémantique des gallicismes du roumain, en visant, prioritairement, deux aspects majeurs:

1) l’analyse des métasémies (extensions et / ou restrictions de sens, métaphorisations, sens connotatifs, etc.), mais aussi des cas de conservation (totale ou partielle du sens de l’étymon français);

2) la corrélation de l’analyse linguistique avec le facteur extralinguistique, afin de mettre en exergue la fonction de l’emprunt en tant que: a) marqueur socioculturel qui reflète les mutations de nature sociologique, historique, culturelle d’une communauté à un moment donné; b) indice d’univers mentalitaire.

Ce dernier aspect de l’étude des gallicismes d’une perspective sémantico-pragmatique a été relativement peu abordé dans les travaux de spécialité, ce qui est à même de justifier la nécessité de continuer cette direction de recherche, assurant de la sorte l’originalité et la pertinence de la démarche proposée.

4 Les études des membres de l’équipe de recherche ont été réunies dans le volume Gabriela Scurtu /Daniela Dincă [éds] (2011) (www.fromisem.ro).

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1.3. Objectifs visés Plusieurs études élaborées dans le cadre du projet FROMISEM ci-dessus

mentionné ont abordé la problématique du sémantisme des gallicismes du roumain, dans une double perspective: (i) leur typologie sémantique (v. Iliescu / Costăchescu / Dincă / Popescu / Scurtu 2010); (ii) l’approche de quelques domaines et champs sémantiques (mobilier, mode vestimentaire, gastronomie, tourisme, etc.), vu que l’insertion des termes néologiques d’origine française dans le lexique du roumain a été faite dans les domaines les plus variés de l’activité humaine.

Nous avons envisagé dans le présent article de continuer l’analyse du domaine du mobilier, déjà amorcée dans quelques études (Scurtu 2010, 2011, Scurtu / Dincă 2012), en abordant le macro-système des meubles [+siège]5, formé à son tour de microsystèmes, en fonction des traits définitoires considérés:

1) [pour s’asseoir] / [pour dormir]; 2) [pour une personne] / [pour plusieurs personnes]. Comme les lexèmes marqués du trait [pour s’asseoir] ont fait l’objet d’une

communication présentée au Congrès International de Linguistique et de Philologie Romanes, Nancy 2013 (v. Dincă / Scurtu 2013), la présente étude portera sur la sous-classe de termes présentant le trait définitoire [pour dormir].

Les buts visés par l’analyse que nous proposons sont les suivants: (i) la description lexicographique des lexèmes qui appartiennent au micro-

champ des meubles désignant des sièges ayant comme archisémème le trait [pour dormir];

(ii) l’analyse sémantique comparative des lexèmes roumains et de leur étymon français;

(iii) la corrélation entre la description linguistique et la réalité extralinguistique (par l’analyse de l’évolution des référents à travers le temps).

L’étude sémantique des gallicismes se base, en premier lieu, sur l’analyse des trais considérés comme prototypiques pour la configuration du sémantème de chaque unité lexicale analysée. Seront ainsi pris en compte les cas de conservation des sens de l’étymon français, mais aussi les métasémies opérées dans le cas des emprunts en roumain. En même temps, nous avons accordé une attention spéciale à des aspects de nature pragmatique ou sociolinguistique, dans le but de réaliser une corrélation correcte entre la description linguistique et le cadre référentiel, conçus dans leurs rapports réciproques, en synchronie et en diachronie. L’intérêt d’une telle étude se justifie par l’absence d’un aperçu détaillé sur cet aspect particulier, malgré les nombreuses études, générales ou ponctuelles, sur les gallicismes du roumain.

5 Ce macro-système est formé de quelques lexèmes porteurs du sens générique «siège», défini comme «objet fabriqué, meuble disposé pour qu’on puisse s’y asseoir» (NPR).

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1.4. Démarche méthodologique Le corpus de notre analyse est formé, comme nous l’avons déjà indiqué

supra, par les gallicismes du micro-champ lexical des meubles présentant l’archisémème [pour dormir]: fr. canapé / roum. canapea, fr. sofa / roum. sofa, fr. ottomane / roum. otomană, fr. studio / roum. studio, fr. dormeuse / roum. dormeză, fr. sommier / roum. somieră. Les archilexèmes de toute cette série, fr. lit / roum. pat6, ne font pas l’objet de notre analyse, car pat n’ést pas un gallicisme, mais d’origine néogrecque.

Le principal trait distinctif qui nous a permis de les regrouper en deux sous-classes est [±extensible] :

1) [+extensible]: canapé, sofa, ottomane, studio; 2) [-extensible]: dormeuse, sommier. Notre démarche est fondée, principalement, sur l’analyse des traits sémiques

que nous avons considérés comme pertinents pour la définition du sens global de chaque lexème, ce qui permet la différenciation entre les référents et, par voie de conséquence, entre leurs dénominations. L’analyse effectuée focalise le sens fondamental et actuel enregistré dans les dictionnaires consultés, mais seront également prises en compte les acceptions antérieures, à partir du sens étymologique même, ainsi que les mutations sémantiques subies à travers le temps, et qui sont toujours accompagnées de modifications radicales dans la sphère de la référence (i.e. les objets désignés, qui changent souvent de forme, d’éléments composants et même de destination).

Pour la description lexicographique que nous proposons, les sens français sont donnés, en général, d’après le TLFi, complété avec les dictionnaires GRLF, GLLF et le Littré ; les sens roumains, d’après le DA / DLR, le DEX, le DLRC, le CDER et le DN7.

Nous tenons à préciser qu’à part les sens des lexèmes relevant du micro-champ des meubles [pour dormir], nous présenterons également les sens initiaux ou ceux qui en dérivent, afin d’avoir une vue d’ensemble sur leurs évolutions sémantiques.

6 Pat / lit présentent les sèmes: [-extensible], [+cadre de bois / métal] [+dossier], [±pieds], [+sommier / matelas détachable], [±confortable], [dimensions variables]. 7 Pour diverses précisions sur les emplois actuels, nous avons utilisé aussi d’autres sources, comme les sites Internet.

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2. ANALYSE LEXICO-SEMANTIQUE DU CHAMP LEXICAL DES MEUBLES [POUR DORMIR]

2.1. fr. canapé / roum. canapea L’analyse sémantique comparative du couple fr. canapé / roum. canapea

illustre la conservation en roumain du sens le plus courant de l’étymon français au moment de l’emprunt, cette signification ayant, dans les deux systèmes linguistiques, une évolution parallèle jusqu’à l’époque actuelle, où elle a développé aussi une extension par analogie:

canapé s. m. 1. siège à dossier, pourvu d’accoudoirs, où plusieurs personnes peuvent s’asseoir, pouvant aussi servir de lit de repos pour une personne; 2. (Par analogie de forme) tranche de pain de mie taillée en rectangle, frite ou grillée, dont l’épaisseur et la grandeur varient suivant le mets qu’elle doit supporter; 3. chaise de bois à l’usage du raffineur de sucre. canapea s.f. 1. meuble (à dossier et accoudoirs, parfois rembourré) pour s’asseoir et pour dormir; 2. petite chaise, tabouret pour les pieds; 3. banc en bois dans les petits commerces; 4. tranche de pain de mie taillée en rectangle, frite ou grillée, où l’on met du salami, du jambon ou des œufs de poisson. Le mot français canapé a une origine assez controversée, les sources

lexicographiques consultées renvoyant soit à l’ancien français conopé «rideau de lit» (< lat. CONOPEUM / CONOPIUM «moustiquaire» (sens pris au grec, dont le mot latin est issu par emprunt), un mot attesté chez Varron (Rust., 2, 10, 8, apud TLFi) avec l’extension sémantique de «sorte de lit entouré d’une moustiquaire»)8, soit à l’italien canapè «sorte de lit» (FEW t. 2, 1, p. 1057b, apud TLFi), solution étymologique douteuse selon le critère de la première attestation9.

La première signification du mot est: «siège à dossier, pourvu d’accoudoirs, où plusieurs personnes peuvent s’asseoir, pouvant aussi servir de lit de repos pour une personne» (TLFi). Le canapé est donc défini par des sèmes regroupés autour des significations prototypiques suivantes :

8 Le sémantisme du mot canapé offre donc une évolution intéressante, illustrant plusieurs processus évolutifs: 1) d’abord à partir de l’étymon latin conopeum, conopiun «moustiquaire», suite à un processus de type métonymique, il arrive à désigner une «sorte de lit entouré d’une moustiquaire»; 2) ensuite, par extension, en perdant les sèmes «protection contre les moustiques» (le mot grec kônôpeion est d’ailleurs dérivé d’un mot signifiant «moustique»), canapé arrive au sens actuel: «siège pour s’asseoir ou pour dormir». 9 Selon le TLFi, la première attestation de l’équivalent italien se trouve entre les XVIIe-XVIIIe siècles, donc à une date postérieure par rapport à l’attestation du mot en français, au XIVe siècle.

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- la forme: [+dossier], [+accoudoirs]; - la fonction: [s’asseoir], [se reposer], [dormir]; - le bénéficiaire: [plusieurs personnes]. Les premiers types de canapés apparaissent à partir du XVIIIe siècle, munis de

rembourrage dans les assises, et d’accoudoirs, étant considérés, grâce à leur confort, comme propices à la conversation.

La plupart des sèmes de l’étymon français se retrouvent aussi dans la signification primaire de l’équivalent roumain, un gallicisme à étymologie multiple10, défini, conformément au DEX, comme «un meuble à dossier et à accoudoirs, parfois rembourré pour s’asseoir ou pour dormir». Par rapport aux ouvrages lexicographiques français, les dictionnaires roumains insistent sur un autre trait spécifique, plus précisément le matériel dont le canapé est fabriqué: c’est un meuble rembourré en étoffe ou en cuir. C’est pourquoi, le DA (une source lexicographique quasi concomitante avec la première attestation de l’emprunt)11 souligne, par sa définition: lung jeţ îmbrăcat în stofă sau în piele («trône rembourré en étoffe ou en cuir»), premièrement, la synonymie avec le mot d’origine allemande jeţ «trône» et le fait que le référent faisait partie de la vie de luxe d’une certaine couche sociale – les boyards: Şi doaă canapele iarăşi să-mi cumperi, cu asemenea postav fistichiu (Iorga, N, 1792, apud DLR) «Et vous m’achèterez aussi deux canapés, avec la même étoffe couleur pistache».

Le même objet se retrouve aussi dans l’espace familier d’une autre classe émergeante à l’époque, les petits commerçants, où il acquiert cette fois-ci une certaine fonction pratique – objet pour s’asseoir: bancă de lemn în prăvălii (DLR) «banc en bois dans les petits commerces». Toutefois, ce n’est pas un cas de synonymie totale avec le mot bancă «banc», car le DA indique pour cette signification le rapprochement sémantique avec divan et sofa. Il ne s’agit pas seulement du changement de sa fonction, mais aussi du matériel de fabrication (le bois), probablement sous l’influence de la civilisation des Sas12. À la même époque, le mot analysé a développé une autre signification, beaucoup plus

10 Les sources lexicographiques consultées indiquent pour étymon soit le fr. canapé ou bien l’all. Kanapee, le DA précisant que cette dernière source peut s’expliquer en roumain par filière turque. En revanche, le DEX donne comme source primaire le néogrec Kanapés, prenant peut-être en compte les variantes diachroniques attestées et disparues de l’usage actuel, canapeiu et canapeu, mais il renvoie aussi aux modèles français et allemand. À son tour, le CDER considère comme source étymologique l’it. canapè et le fr. canapé et renvoie lui aussi au néogrec et au turc. Comme la plupart des renvois prennent en compte le français, nous avons considéré que le mot roumain canapea est un gallicisme à étymologie multiple. 11 Selon le RDW, la première attestation du mot roumain apparaît chez G. Şincai, in Hronica românilor şi a mai multor neamuri, II, p. 117 (ouvrage écrit entre 1853-1854). 12 Population d’origine ethnique allemande, établie en Transylvanie.

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restreinte, qu’on ne retrouve pas en français: lăicioară pentru picioare «petite chaise, tabouret pour les pieds». Les deux derniers sens ne se retrouvent plus dans la langue actuelle, pas même dans sa variante littéraire.

C’est toujours la fonction pratique du canapé, dérivée cette fois-ci non pas de l’action de s’asseoir, mais de dormir, qui lui a ajouté, à l’époque moderne, et dans les deux espaces culturels mis en relation, le trait sémique [+extensible], qui le distingue d’autres objets pour s’asseoir: banc / bancă, banquette / banchetă et le rapproche, au contraire, des objets pour dormir: lit / pat, dormeuse / dormeză. Par conséquent, le syntagme canapé extensible désigne, dans les deux langues, un objet multifonctionnel (pour s’asseoir, pour se reposer et pour dormir) pour une ou plusieurs personnes, qui peut meubler aussi bien une chambre à coucher qu’un salon.

D’autre part, si le français utilise le syntagme canapé d’angle pour désigner un meuble de cuisine disposé autour de la table, le roumain désigne le même objet par colţar, mot dérivé de colţ («coin»), représentant une extension métonymique qui repose sur la forme de l’objet et de son emplacement: une sorte de banquette courbée placée d’habitude aux angles d’une pièce.

L’analyse des significations de l’étymon français fait ressortir encore une, vieillie, sortie de l’usage actuel: «chaise de bois à l’usage du raffineur de sucre» (Littré), qui n’existe pas en roumain, ce qui démontre que le gallicisme a gardé uniquement le sens fondamental que le mot source avait à l’époque du contact entre les deux civilisations et, par conséquent, du processus de l’emprunt.

Par analogie de forme, à l’époque contemporaine, canapé signifie aussi «tranche de pain de mie taillée en rectangle, frite ou grillée, dont l’épaisseur et la grandeur varient suivant le mets qu’elle doit supporter» (TLFi), acception spécialisée dans le langage culinaire et qui a été empruntée en roumain en même temps que son référent: fr. canapé de fromage et de concombres / roum. canapele cu brânză şi castraveţi, fr. canapé de beurre / roum. canapele cu unt, fr. canapé d’œufs de saumon / roum. canapele cu icre de manciuria.

Pour conclure, entré dans l’espace socio-culturel roumain comme un meuble pour s’asseoir et pour dormir, dont les traits fondamentaux reposent sur la forme (avec accoudoirs et dossier) et le confort, ayant aussi la caractéristique [+extensible], le canapé devient un archisémème pour le champ sémantique des meubles [pour dormir].

Revenant à son sens fondamental, on assiste de nos jours, dans les deux espaces analysés, suite à l’évolution des conditions socio-économiques, à un changement de la fonctionnalité du canapé: de meuble pour s’asseoir et pour dormir à un objet confortable, pas de luxe, mais pour l’usage habituel.

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2.2. fr. sofa / roum. sofa Le même cas de conservation en roumain du sens le plus courant de

l’étymon français au moment de l’emprunt est illustré par l’analyse sémantique comparative du couple fr. sofa / roum. sofa:

sofa s.m. 1. estrade élevée couverte de tapis, de coussins, constituant un siège d’honneur; 2. lit de repos à trois dossiers, sans bois apparent, servant aussi de siège.

sofá s.f. divan étroit, souvent avec une tête plus élevée. Le mot français sofa est un emprunt au turc sofa (TLFI), ayant, tout comme

son étymon, deux acceptions: «(en Orient) estrade élevée, couverte de tapis et de coussins, où l’on reçoit les personnages que l’on veut honorer» et «lit de repos à deux ou trois dossiers, sans bois apparent, servant aussi de siège». Le premier sens, attesté en 1915, est aujourd’hui vieilli, tandis que le second connaît, dès 1689 (selon TLFi), un usage beaucoup plus répandu et, initialement, même une graphie différente: sopha, désignant, comme on l’a déjà dit, une espèce de lit de repos à la manière des Turcs, particularisé par la forme ovale de son dossier.

Dans l’espace socioculturel français, en tant que meuble pour s’asseoir, le sofa a comme caractéristique fondamentale le confort créé par un siège très commode, couvert de matériaux textiles fins et même luxueux. Un autre trait spécifique de ce meuble est sa fonction: pour se reposer, surtout le jour, et non pas pour dormir, pendant la nuit, ce qui le rapproche plutôt du canapé que du lit ou du divan. C’est un mot qui s’applique surtout aux meubles de style, en en suggérant l’élégance et le raffinement. Dans les catalogues de meubles on retrouve des offres de sofas en cuir, en soie, en velours, etc., avec un design particulier.

Le sofa est donc défini par des sèmes regroupés autour des significations prototypiques suivantes:

- la forme: [+dossier], [+accoudoirs]; - la fonction: [s’asseoir], [se reposer], (occasionnellement) [dormir]; - le bénéficiaire: [plusieurs personnes]. En roumain, le mot correspondant est un emprunt à étymologie multiple,

turque et française (DLR), désignant un divan îngust, de obicei cu un căpătâi mai ridicat «divan étroit, d’habitude avec une tête plus élevée» (DEX, DLR). Il y a peut-être un changement de fonctionnalité, sinon même un changement de référent: le sofa est, dans l’espace culturel roumain, une pièce de meuble pour s’asseoir et pour dormir (de là son rapprochement avec le divan). Si l’on compare les définitions lexicographiques, on observe que le sofa s’approche en roumain de la dormeuse (voir infra), par une déformation de la configuration des deux référents, qui arrivent à se superposer.

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La définition réduite et ambiguë du lexème sofa dans les dictionnaires roumains, de même que son usage assez rare dans la langue courante ne nous offrent pas la possibilité de faire une analyse plus poussée, d’une part, avec son étymon français, et, de l’autre, avec dormeză (voir infra sa définition presque identique).

2.3. fr. ottomane / roum. otomană Le couple fr. ottomane / roum. otomană représente un autre cas de

conservation en roumain des sens de l’étymon français: ottomane s.f. 1. grand siège à pieds, de forme ovale, comportant parfois un dossier enveloppant; 2. s.m. tissu de soie, à trame de coton, à grosses côtes. otomană s.f. (Vieilli) 1. canapé, sofa; 2. tissu à grosses côtes. Ottomane, mot d’origine turque, attesté assez tard en français (1729),

signifie «grand siège à pieds, de forme ovale, comportant parfois un dossier enveloppant» (TLFi). Il s’agit d’une pièce de mobilier raffinée, stylisée, de grand confort, créée dans l’espace culturel français, mais d’inspiration turque - à cette époque-là (le XVIIIe siècle), une culture et une civilisation exotiques par rapport au raffinement occidental. Ce type de canapé ou lit de repos en ottomane (http://fr.wikipedia.org/wiki/ Canap%C3%A9) désignait initialement un large siège à pied dont la principale caractéristique était son assise de forme ovale, très confortable Le long du temps, le référent a changé plusieurs fois de forme, arrivant de nos jours à se rapprocher du tabouret ou du pouf, par l’absence du dossier et des accoudoirs et par sa forme carrée.

Le sens de ottomane se définit donc par des sèmes regroupés autour des significations prototypiques suivantes:

- la forme: [+dossier], [+accoudoirs]; - la fonction: [s’asseoir], [se reposer], (occasionnellement) [dormir]; - le bénéficiaire: [une personne]. En ce qui concerne sa fonctionnalité, il est évident qu’il s’agit d’une pièce de

mobilier prioritairement pour s’asseoir et non pas pour dormir. De ce point de vue, il se rapproche plutôt du canapé ou du sofa, sièges reconnus pour leur confort, mais aussi pour leur valeur esthétique dans l’aménagement domestique.

Cette nouvelle pièce de mobilier s’est répandue dans l’espace européen, y compris en Roumanie où son équivalent otomană a une étymologie multiple qui prend en charge des sources différentes: lat. othomannus, fr. ottomane, all. Ottomane, it. ottomano. En tout cas, on observe le genre féminin du mot, peut-être le résultat d’une condensation lexicale du type [canapea] otomană et donc, d’une conversion. Il faut toutefois remarquer que de nos jours otomană ne s’emploie

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presque plus avec le sens de «siège» (les explications peuvent venir de la confusion créée avec les autres mots renvoyant à des référents semblables: divan, sofa, studio et du fait que le mot était l’expression d’une mode tombée en désuétude).

2.4. fr. studio / roum. studio L’analyse du couple fr. studio / roum. studio met en évidence un cas

d’extension sémantique opéré par métonymie: studio, s. m., 1. (Vieilli) atelier d’artiste, de photographe d’art; 2. a) (Cin.) local ou ensemble de locaux aménagés pour les prises de vue cinématographiques; b) (Mus., Radio, Télév.) local où ont lieu les enregistrements destinés à la radiodiffusion, à la télévision, à l’industrie du disque; 3. lieu de projection de films pour cinéphiles; (Par ext.) petite salle de spectacle; 4. salle où l’on fait des répétitions de danse ou divers exercices physiques; 5. (Vieilli) pièce qui sert à la fois de salon, de salle à manger, de bureau et de chambre à coucher; 6. logement indépendant comportant une belle pièce et disposant de commodités (cuisine, sanitaire, etc.).

studio, s. n., 1. atelier d’artiste, de photographe d’art, etc.; 2. local ou ensemble de locaux aménagés pour les prises de vue cinématographiques; 3. local où ont lieu les enregistrements destinés à la radiodiffusion, à la télévision, à l'industrie du disque; 4. ensemble de locaux, d’installations pour concevoir, enregistrer et transmettre les programmes de radiodiffusion et de télévision; 5. petite salle de spectacle, dans un grand théâtre, destinée aux spectacles expérimentaux ; 6. divan placé habituellement dans un coin ou le long d’un mur, pourvu d’une caisse pour la literie et d’un panneau isolateur du coté du mur, avec des rayons et des niches pour les livres, les bibelots, etc.

Le mot français studio, venant de l’it. studio par filière anglaise, a une

longue histoire et une riche sémantique. Par son étymologie primaire, le mot renvoie à la notion d’étude («cabinet de travail»), qui se retrouve d’ailleurs dans sa première attestation en anglais (1819), en désignant le lieu où l’on étudie et où l’on travaille, d’où il arrive à désigner l’atelier d’un peintre ou d’un sculpteur (cf. TLFi). Cette signification fondamentale se développe dans les quatre premiers sens de l’équivalent français. Pour ce qui est de la cinquième signification, vieillie en français actuel, celle de «salon, salle à manger, bureau et chambre à coucher», elle représente une extension des significations antérieures, déterminée par la polyfonctionnalité du référent. À son tour, ce sens se trouve à la base d’une autre extension sémantique, produite toujours sur l’influence anglo-américaine, où studio apartment (attesté en 1903) est un calque sur l’anglais studio flat, par lequel on désignait «un cabinet de travail ou un atelier disposant des commodités d’un appartement, puis un petit appartement» (Ibid.).

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Cette évolution du référent à partir d’une chambre d’étude, de travail pour un artiste à une chambre à plusieurs fonctions qui peut devenir un petit appartement témoigne d’une évolution sociale qui se reflète dans la sémantique des mots.

Le gallicisme du roumain, un mot à étymologie multiple, du fr., angl., it. studio, présente presque tous les sens de son étymon. Les ouvrages lexicographiques enregistrent les significations relevant d’une pièce utilisée comme atelier dans les différents domaines de la vie artistique: peinture, sculpture, musique, cinéma, théâtre, ballet, radiodiffusion et télévision, qui recouvrent les quatre premiers sens du correspondant français. Les deux derniers sens ont connu une destinée différente en roumain.

Le sens de «chambre polyfonctionnelle», vieilli en français actuel, ne se retrouve pas parmi les significations du roumain studio, qui a développé, en revanche, le sens de divan amplasat, de obicei, în colţ sau de-a lungul unui perete, prevăzut cu o ladă alipită la cap (pentru păstrarea aşternutului) şi cu un panou izolator pus de-a lungul, în partea dinspre perete, cu etajere sau cu o nişă pentru cărţi, pentru bibelouri etc. (DEX): «divan placé habituellement dans un coin ou le long d’un mur, pourvu d’une caisse pour la literie et d’un panneau isolateur du côté du mur, avec des rayons et des niches pour les livres, les bibelots, etc.».

Il s’agit d’une extension sémantique réalisée sur le terrain de la langue roumaine par métonymie, à partir du sème: «petit espace à plusieurs fonctions», d’où le mot roumain arrive à signifier «un petit espace pour se reposer, dormir, lire» (en y ajoutant, comme fonctions auxiliaires, celle de ranger le linge, les livres, les bibelots)13. Il s’y agit, croyons-nous, d’un changement de paradigme, par une conceptualisation différente de l’espace, et donc d’une modification de la configuration de l’univers domestique, du macro au micro espace: «Dormeza fusese scoasă şi în locul ei fusese adus un studio lat.» Preda, Incognito, p. 146, apud. DLR) («On avait enlevé la dormeuse en la remplaçant avec un studio plat»). Cette innovation sémantique, mais qui repose sur un changement dans la sphère de la référence, dévoile un certain paradigme cognitif, traduisant une représentation de l’univers mentalitaire dans l’espace socioculturel roumain.

La dernière acception du mot français, celle de «logement indépendant comportant une belle pièce et disposant de commodités (cuisine, sanitaire, etc.)» ne se retrouve pas parmi les acceptions lexicographiques du mot roumain, bien qu’elle soit enregistrée sur les sites Internet, dans le domaine de l’immobilier, où elle vient peut-être par traduction directe du français ou de l’anglais. Dans la langue courante, pour cette dernière signification, on emploie le gallicisme à étymologie

13 On se doit de noter que la présence des livres et des bibelots (mis en valeur surtout pendant la belle-époque, en tant que marques d’une certaine position sociale) représente une nouveauté pour les meubles qui font l’objet de cette analyse.

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unique française: garsonieră (< fr. garçonnière) avec l’acception de «petit appartement pour une personne seule» (GLLF)14.

L’évolution du sémantème du gallicisme studio en roumain est différente de son étymon français, ce qui lui a permis une innovation sémantique du macro au micro espace domestique et même la réduction à un seul objet: meuble pour s’asseoir, se reposer, lire, dormir, alors que l’acquisition de la signification dans le domaine de l’immobilier ne se produit que dans les domaines spécialisés.

2.5. fr. dormeuse / roum. dormeză L’analyse sémantique comparative du couple fr. dormeuse / roum. dormeză

illustre la conservation dans la langue réceptrice actuelle d’un sens vieilli de la langue source:

dormeuse s.f. (Vieilli) 1. chaise longue sur laquelle on peut s’étendre pour dormir; 2. sorte de voiture de voyage où l’on peut s’étendre pour dormir; 3. nom, donné, chez les joailliers, à des boucles d’oreilles formées d’une perle ou d’un diamant, montés sur un pivot et serrés sur le côté extérieur de l’oreille par un écrou.

dormeză s.f. canapé étroit sans dossier avec une tête élevée15, où l’on peut dormir. Le lexème le plus transparent de ce champ sémantique est dormeuse, un mot

créé sur le terrain de la langue française, par dérivation du verbe dormir avec le suffixe -euse et dont la définition lexicographique, «chaise longue sur laquelle on peut s’étendre pour dormir» (TLFi), met en évidence sa fonctionnalité, sans trop insister sur ses caractéristiques, assez réduites en termes de confort, de forme et de matériel de fabrication. Dans les catalogues actuels de mobilier, dormeuse figure dans le syntagme canapé dormeuse, ce qui veut dire un canapé sans accoudoirs ayant une tête élevée, où l’on peut s’allonger pour se reposer.

Le lexème dormeuse au sens vieilli de «meuble pour dormir» est donc défini par des sèmes regroupés autour des significations prototypiques suivantes:

- la forme: [-dossier], [-accoudoirs]; - la fonction: [dormir]; - le bénéficiaire: [une personne].

14 Bien que certains dictionnaires rappellent (de manière explicite ou implicite) la filiation possible des mots roumains garson et garsonieră, pour le locuteur contemporain il n’y a plus aucune relation étymologique entre ces deux termes. Cette situation peut être justifiée aussi par le fait qu’en roumain actuel, garson est, selon le DEX, un terme vieilli ou même un barbarisme, et, selon le CDER, un terme «technique», spécialisé, ayant le sens d’«homme ou jeune homme qui travaillait dans un restaurant». 15 Dans les dictionnaires de néologismes (DN, MDN), cette caractéristique n’est plus mentionnée dans la définition du mot dormeză.

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Au contact des deux cultures, le mot français entre en roumain sous la forme dormeză, emprunt à étymologie uniquement française, défini dans la langue courante comme: canapea îngustă fără spătar, de obicei cu căpătâi (cu un capăt ridicat), pe care se poate dormi (DEX) («canapé étroit sans dossier, avec une tête élevée, où l’on peut dormir»). La fonctionnalité de l’objet est donc presque la même dans les deux espaces, à la différence du couple canapé / canapea, qui renvoie à des objets avec une double utilité: pour s’asseoir et pour dormir. Dans le cas analysé, le mot entre dans le champ sémantique des meubles pour dormir, à côté de pat («lit»), divan, studio et sofa.

Il faut préciser que la définition donnée par les dictionnaires du roumain pour le lexème dormeză est assez imprécise, les seuls traits définitoires indiqués étant la ressemblance avec canapé, sans dossier et avec En fait, entre les deux référents il y des différences majeures en ce qui concerne les caractéristiques et la structure: le canapé est extensible, la dormeuse ne l’est pas, le canapé, à la différence de la dormeuse, est pourvu de dossier et d’accoudoirs.

Dans l’espace socioculturel roumain, le lexème analysé se rapproche plutôt de l’archilexème de cette série, pat «lit» (v. note 5), mais s’en distingue par le sommier non-détachable et l’absence de dossier. Ce type de définition vague et imprécise prêtant des confusions à d’autres référents du même domaine conceptuel explique, peut-être, le remplacement du terme par d’autres lexèmes avec une plus grande fréquence d’emploi, pat et canapea, surtout dans le milieu urbain. Le référent et sa dénomination ne sont pas sortis de l’univers mentalitaire roumain, car ils existent encore dans le milieu rural. Cela veut dire que la langue est en relation étroite avec le niveau socio-économique de la communauté qui la parle.

Il faut préciser que trois sens enregistrés dans les dictionnaires de grandes dimensions du français: «sorte de voiture de voyage où l’on peut s’étendre pour dormir» (GRLF) ou «semi-dormeuse, voiture du même genre» (Littré), «nom, donné, chez les joailliers, à des boucles d’oreilles formées d’une perle ou d’un diamant, montés sur un pivot et serrés sur le côté extérieur de l’oreille par un écrou» (Littré) ne sont pas entrés en roumain, ce qui s’explique par la nature de l’emprunt qui, d’habitude, vise l’importation d’un signe linguistique associé à un référent unique et non pas de l’ensemble des acceptions de l’étymon. De l’autre côté, le signifiant transparent du mot dormeză ne lui permet pas l’association avec d’autres signifiés.

Bref, les deux langues en contact se rapprochent par un usage assez réduit des lexèmes analysés: si, en français, la signification primaire est vieillie, s’enregistrant actuellement comme un emploi spécialisé uniquement dans le domaine des meubles de luxe pour canapé dormeuse, en roumain, la fréquence d’emploi du mot dormeză a subi une régression, vu la diminution de l’emploi du référent au niveau de l’aménagement domestique.

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De toute façon, il y a une certaine confusion entre canapé et dormeuse de sorte le syntagme canapé dormeuse désigne une sorte de canapé avec des accoudoirs, le seul trait conservé du mot originaire dormeuse étant celui de lit de repos, ce qui signifie, en fait, une annulation du trait distinctif de «lit pour dormir».

2.6. fr. sommier / roum. somieră L’analyse sémantique comparative du couple fr. sommier / roum. somieră

illustre une autre extension métonymique opérée en roumain: sommier s.m. 1. partie inférieure d’un lit, destinée à supporter le matelas et comportant un cadre muni de ressorts, de lamelles ou d’une matière souple; 2. (Archit.) partie d’un édifice qui supporte la retombée d’une voûte; 3. (Constr.) pièce de charpente qui supporte des solives ou qui forme le linteau des baies de grande ouverture; 4. (Mécan.) pièce qui sert à soutenir le poids ou l’effort d’une autre; 5. partie de l’orgue qui supporte la tuyauterie et emmagasine l’air nécessaire à produire les sons; 6. traverse du bas de toute espèce de grille. somieră 1. réseau élastique de ressorts fixé sur le support du lit, où l’on met le matelas; 2. partie d’un édifice en pierre qui soutient une voûte; 3. chacune des pièces de charpente qui supporte les charpentes secondaires d’un plancher. Provenant du latin médiéval SAGMARIUS «bête de somme»16 (814 d’apr.

FEW t. 11, p. 70b, apud TLFi), le mot sommier a comme signification principale «partie inférieure d’un lit, destinée à supporter le matelas et comportant un cadre muni de ressorts, de lamelles ou d'une matière souple» (TLFi) comme, par exemple, dans les syntagmes: sommier à ressorts, sommier métallique, sommier à lattes de bois. Le mot est attesté assez tard en français, en 1847, avec cette signification primaire assez spécialisée, qui s’est aussi maintenue dans la langue actuelle, désignant uniquement une certaine partie composante d’un lit, un ensemble formé donc d’un matelas, d’un sommier et de quatre pieds.

Le sommier est donc défini par des sèmes regroupés autour des significations prototypiques suivantes:

- la forme: [-dossier], [-accoudoirs]; - la fonction: [dormir]; - le bénéficiaire: [une personne], [plusieurs personnes].

16 Les descendants romans du mot latin ont connu des évolutions sémantiques intéressantes qui consistent à désigner, comme en français, divers outils («poutre »; «sorte de matelas qui soutient les autres matelas»; «pièce de charpente», etc.) par le signifiant animal. Le fr. sommier devient ainsi un mot purement technique. À noter que le roum. samar a été l’objet d’un transfert sémique «animal (âne)» «charge d’un âne, ânée», par un effet métonymique. Il s’y ajoute encore quelques sens techniques: «oiseau de maçon », «faîtage», etc. D’autres langues conservent le sens latin (cf. it. somaro «âne»).

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En roumain, le correspondant somieră, avec la variante analogique somnieră, entre avec le sens connu de son étymon français: reţea elastică de sârmă, de arcuri etc. fixată pe cadrul patului, peste care se aşază salteaua (DEX, DLR, DLRC) «réseau élastique de ressorts fixé sur le support du lit, où l’on met le matelas».

Ce sens a connu une première extension métonymique en roumain: de «réseau élastique» on est passé à «tout type de cadre» qui soutient le matelas d’un lit (apud DEX, DLR). Avec le temps, une autre extension métonymique se produit, le mot désignant, dans la langue actuelle, non seulement une partie composante de l’objet (le cadre), mais le lit, dans son ensemble. Cette nouvelle signification, qui rapproche, selon le DLR, le mot roumain somieră d’un autre meuble pour dormir (divan), est pourtant rare dans le langage courant, mais elle apparaît souvent dans le langage hôtelier: Modelele standard de somieră pentru hotel (pensiuni) au patru picioare de 5 sau 10 cm, înălţimea fiind de aproximativ 25 - 30 cm (http://stilautentique.real-web.ro/:Serviciu:somiere_tapitate_somiere_hoteliere (940) («Les modèles standard de sommiers pour hôtels (pensions) ont quatre pieds de 5 ou 10 cm, hauteur 25 - 30 cm approximativement»).

Le mot connaît en français actuel des significations spécialisées dans les domaines des constructions, de la mécanique, à partir de son sens fondamental de [support] vers des extensions métonymiques ayant la même valeur et, ce qui est aussi à retenir, c’est le fait que deux sur ces six sens spécialisés sont actuellement en usage dans le domaine des constructions en roumain (apud DLR, MDN).

3. CONCLUSIONS

1. Du point de vue étymologique, sur les six gallicismes du roumain (canapea, sofa, otomană, studio, dormeză, somieră), deux (dormeuse et sommier) ont une étymologie uniquement française, alors que les quatre autres sont entrés en roumain avec une étymologie multiple (canapé: français, allemand, néogrec; studio - français, anglais; sofa et otomană: turc et français).

2. Dans le champ sémantique des meubles pour dormir, dormeză et somieră désignent des meubles ayant prioritairement cette fonction, étant dépourvus de dossier, et d’accoudoirs. Pour ce qui est des quatre autres, canapea reste l’hyperonyme de toute une série lexicale (sofa, otomană, studio) renvoyant à des meubles à fonction à la fois pratique et esthétique. Leur champ sémique de certains mots (canapea et studio) s’enrichit, dans le passage du français au roumain, de traits qui suggèrent le confort et le luxe: avec dossier, avec accoudoirs, en cuir ou en velours, ce qui les transforme plutôt en meubles pour se reposer que pour dormir. Afin d’acquérir cette dernière fonction, tous ces meubles présentent une

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caractéristique supplémentaire [+extensible], qui transforme leur fonction esthétique en fonction pratique.

3. Les mots analysés mettent en évidence le fait que, une fois de plus, les gallicismes ont une charge sémantique partielle par rapport à leur étymon, ce qui veut dire que les mots entrent en roumain avec une ou plusieurs significations en usage au moment du processus de l’emprunt et que, ultérieurement, ils connaissent une évolution sémantique indépendante, ce qui leur permet d’ajouter des sens supplémentaires, de faire des innovations ou des extensions sémantiques à partir de leurs sèmes fondamentaux. Plus précisément, sur les six gallicismes faisant partie du champ sémantique des meubles pour dormir, quatre (canapea, sofa, otomană, dormeză) reflètent la conservation du/des sens les plus courants de l’étymon français au moment de l’emprunt tandis que les deux autres (studio, somieră) représentent des cas d’extension sémantique à base métonymique.

4. Dans le domaine analysé, on enregistre, d’une part, beaucoup de changements et de mutations portant sur la configuration des référents et, d’autre part, une certaine liberté dans l’emploi des mots, visible dans les catalogues de mobilier, surtout en roumain, où l’on retrouve des annonces du type: vând canapea extensibila (divan, somieră, studio) (http://mercador.ro/oferta/vand-canapea-extensibila-divan-somiera-studio-IDYAp1.html) («vends canapé extensible (divan, sommier, studio)»). C’est un fait qui conduit à de nombreuses confusions au niveau de la désignation des référents, ce qui impose la nécessité d’une vérification et une mise à jour des définitions lexicographiques en vue d’une normalisation et d’une utilisation correcte de la terminologie du domaine.

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ÉTUDE LEXICO-SÉMANTIQUE DU MICRO-CHAMP LEXICAL DES MEUBLES DE RANGEMENT EN

FRANÇAIS ET EN ROUMAIN1

1. INTRODUCTION L’insertion des termes néologiques d’origine française dans le lexique du

roumain a été faite dans les domaines les plus variés de l’activité humaine, contribuant ainsi à la redéfinition de la physionomie lexicale du roumain, en tant que langue néo latine. Vu leur présence massive en roumain, les emprunts au français ont fait l’objet de nombreuses études portant sur des aspects variés tels que dynamique, domaines de manifestation, adaptation et, dans une moindre mesure, aspects sémantiques2.

En nous référant expressément au champ sémantique du mobilier, on constate d’emblée que dulap (= armoire), pat (= lit), masă (= table), scaun (= chaise) mis à part, les mots qui désignent les objets formant le mobilier sont d’origine française : balansoar (du fr. balançoire), bibliotecă (du fr. bibliothèque), birou (du fr. bureau), bufet (du fr. buffet), canapea (du fr. canapé), comodă (du fr. commode), dormeză (du fr. dormeuse), etajeră (du fr. étagère), fotoliu (du fr. fauteuil), garderob (du fr. garde-robe), servantă (du fr. servante), şezlong (du fr. chaise-longue), şifonier (du fr. chiffonnier), taburet (du fr. tabouret), etc.

Dans cet article, l’analyse que nous proposons porte sur trois points principaux :

(i) la description lexicographique de quelques mots appartenant au micro-champ des meubles de rangement ayant comme archisémème le trait « petite armoire » : fr. buffet / roum. bufet, fr. commode / roum. comodă, fr. servante / roum. servantă ;

(ii) l’analyse sémantique comparative des mots roumains et de leur étymon français ;

1 Gabriela Scurtu / Daniela Dincă, «Étude lexico-sémantique du micro-champ lexical des meubles de rangement en français et en roumain», in RRL, LVII-3, 2012, p. 305-316. 2 Les difficultés soulevées par une telle entreprise sont liées principalement à l’absence d’un dictionnaire étymologique complet pour le roumain, le manque de la première attestation et des sources informatisées.

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(iii) la corrélation entre la description linguistique et la réalité extralinguistique (l’analyse de l’évolution des référents à travers le temps).

Notre démarche est fondée, en principal, sur l’analyse des traits sémiques que nous avons considérés comme pertinents pour la définition du sens global de chaque lexème, ce qui permet la différenciation entre les référents et, par voie de conséquence, entre leurs dénominations (voir infra les confusions relevées à cet égard). Les traits communs et distinctifs que nous avons pris en considération pour l’analyse sémantique des lexèmes dans les deux langues considérées sont :

(i) traits physiques : forme, hauteur, nombre de corps ; (ii) présence de certains éléments constitutifs : tiroirs, battants, etc. ; (iii) destination : pour le linge, pour les habits, pour la vaisselle, etc. ; (iv) location : salle à manger, salle de séjour, chambre à coucher, cuisine,

salle de bains. Pour la description lexicographique que nous proposons, les sens français

sont donnés, en général, d’après le TLFi, complété avec les dictionnaires GRLF, GLLF et le Littré ; les sens roumains, d’après le DA / DLR, le DEX, le DLRC et le DN3.

2. ANALYSE LEXICO-SÉMANTIQUE 2.1. Typologie sémantique L’analyse sémantique des emprunts roumains au français4 a fait ressortir la

typologie suivante : (i) conservation – totale ou partielle – du sens / des sens de l’étymon

français, parfois avec le maintien en roumain d’un sens aujourd’hui disparu en français (situation rencontrée dans le cas des mots appartenant à un domaine spécialisé, technique et scientifique) ;

3 Pour diverses précisions sur les emplois actuels, nous avons utilisé aussi d’autres sources, comme les dictionnaires de l’argot et les sites Internet. 4 L’analyse a été effectuée dans le cadre du projet de recherche FROMISEM dont les objectifs sont les suivants: l. la définition des concepts opérationnels mobilisés dans la recherche (emprunt, néologisme, néonyme, néosème, etc.) ; 2. la constitution d’un corpus général des emprunts lexicaux français en roumain ; 3. la présentation systématique, analytique et critique, des contributions des linguistes (notamment roumains) à la description du domaine, tout en relevant les principales directions de recherche : l’importance de ces emprunts, les statistiques qui mettent en évidence l’importance de l’influence française sur le lexique général de la langue roumaine et sur le vocabulaire spécialisé, les principaux domaines de pénétration des mots d’origine française, les types d’étymologie rencontrés, l’adaptation et l’intégration phonétique et morphosyntaxique de ces emprunts ; 4. l’élaboration d’une typologie sémantique des mots roumains à étymon français.

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(ii) innovations sémantiques opérées en roumain, ayant comme point de départ une signification de l’étymon français. Ces innovations se manifestent à travers divers mécanismes sémantiques : extensions analogiques et restrictions de sens, métaphorisations, passages métonymiques, glissements connotatifs, etc. (v. Iliescu et al. 2010 : 593).

2.2. Analyse du micro-champ lexical des meubles de rangement L’analyse que nous proposons dans cet article est une brève illustration de

ces deux cas : d’une part, sens conservés et, de l’autre, sens développés à l’intérieur de la langue roumaine. Nous tenons à préciser qu’à part les sens des lexèmes relevant du micro-champ des meubles de rangement, nous présenterons également les sens initiaux ou ceux qui en dérivent, afin d’avoir une vue d’ensemble sur leurs évolutions sémantiques.

2.2.1. - fr. buffet / roum. bufet buffet, s.m. 1. (vieux) table sur laquelle sont disposés la vaisselle, le pain et le vin servi au repas. Par métonymie : a. la vaisselle elle-même ; b. personnel chargé du service au buffet ; c. pièce où le personnel prend ses repas (office) ; (usuel) dans un bal, une réunion de société, table où sont disposés les mets, la pâtisserie, les boissons. Par métonymie : a. pièce où sont dressées les tables lors d’une réunion. b. les consommations servies sur les tables ; 2. meuble, le plus souvent à deux corps, destiné à recevoir la vaisselle, le linge, le service de table ; 3. (en milieu pop.) meuble identique, servant en outre de garde-manger. Par analogie : (pop.) estomac. Par extension populaire : la poitrine, le tronc, le ventre ; 4. (emplois techniques) : a. (mus.) corps de menuiserie contenant le mécanisme d’un orgue. Par métonymie : (petit) orgue de salon, de boulevard, etc. ; b. (constr.) tablements de pierre adossés à un mur ou placés au fond d’une niche, disposés en gradins, supportant des vasques, bassins ou coupes de manière à faire rejaillir l’eau en nappes ou cascades. bufet, s.n. 1. petite unité de restauration où l’on sert des repas (froids), des boissons, etc. Par extension : (au théâtre ou au bal) chambre ou table où l’on sert des repas froids, des pâtisseries, des boissons et du café. Par extension : la nourriture qu’on y sert ; 2. meuble, dans la salle à manger et dans la cuisine, destiné à recevoir la vaisselle, les couverts, les verres, l’argenterie, etc. ; 3. (argot) estomac.

En ce qui concerne l’étymologie du mot français buffet, on a émis, d’une

part, l’hypothèse d’une dérivation de la racine onomatopéique buff- (exprimant le bruit d’un souffle, d’un déplacement d’air) et, de l’autre, l’hypothèse moins satisfaisante d’une formation à partir de buff- interprété comme exprimant une idée de gonflement, parce que ce meuble serait ventru ou objet d’apparat, avec rapprochement de l’ancien français bufoi « orgueil, présomption » (TLFi).

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Ce mot est attesté dès 1150 avec le sens de « escabeau », puis il a évolué vers le sens de « table, dressoir, comptoir » (1268), pour acquérir en 1547 l’acception de « meuble de rangement ». Les premiers sens sont donc liés à l’idée de mobilier de différents types. Parmi les sens qui sont indiqués dans le TLFi, le premier est vieilli : « table sur laquelle sont disposés la vaisselle, le pain et le vin servi au repas » et, par métonymie, « la vaisselle elle-même », « le personnel chargé du service au buffet » et « la pièce où le personnel prend ses repas (office) ». Le sens moderne, attesté en 1832, est celui de « table où sont servis des plats froids, des pâtisseries, des rafraîchissements à l’occasion d’une réception privée ou publique » (in GRLF).

On retrouve aussi ce sens pour l’emprunt roumain bufet : « au théâtre ou au bal, chambre ou table où l’on sert des repas froids, des pâtisseries, des boissons et du café » (in DA). C’est d’ailleurs ce sens qui est illustré dans l’exemple fourni par le dictionnaire : Am venit să-ţi spun, … că asară în bufetul teatrului, N. mi-a dat o palmă. (Negruzzi, in DLR) (= Je suis venu te dire qu’hier soir, au buffet du théâtre, N. m’a giflé).

Il s’agit donc d’un sens emprunté au français, que le roumain emploie depuis la première moitié du XIXe siècle, le mot bufet étant attesté en 1835 (cf. RDW).

Par métonymie, à partir du sens de « table où sont disposés les mets », le mot français a développé des sens supplémentaires : « pièce où sont dressées les tables lors d’une réunion » et « les consommations servies sur les tables ». Le mot buffet s’est enrichi aussi du sens de « unité de restauration », qui, bien que non précisé explicitement dans les dictionnaires, résulte des emplois tels que le buffet campagnard, où l’on sert des charcuteries et du vin (le buffet traditionnel étant plutôt constitué de petits fours accompagnés de champagne, whisky, etc.), ou le buffet de gare, un café-restaurant installé dans les gares importantes (cf. GRLF, GLLF).

Le mot roumain bufet a emprunté au français ce dernier sens, pour désigner couramment « une unité de restauration où l’on sert des repas froids, des boissons, etc. » (DA, DEX), alors que, dans le milieu rural, le mot bufet renvoie à une sorte de bistrot où l’on ne consomme que des boissons. Un autre emploi apparaît dans le syntagme bufetul Parlamentului (= le buffet du Parlement), local où l’on ne trouve pas de repas froids mais des mets chauds à la ligne ou à la carte (cf. fr. la buvette de l’Assemblée Nationale, la buvette des parlementaires).

Une deuxième extension est celle de buffet suédois / bufet suedez, syntagme qui est très peu utilisé en français, où l’on emploie soit buffet, soit des expressions pour suggérer la richesse des repas : petits déjeuners gourmands en buffet (www.hotelarcadien.com/usersimage/File/Offres_%20speciales_Arcadien_ete_%202010.pdf), par rapport au roumain, où l’expression bufet suedez est d’un usage

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très répandu aussi bien pour les repas qu’on organise pour les anniversaires à la maison que pour les repas qu’on sert dans les restaurants, surtout le matin quand il y a un grand choix à faire entre les divers mets5.

Dans le domaine du mobilier, le buffet est une sorte d’armoire, le plus souvent à deux corps, destinée à recevoir la vaisselle, le linge, le service de table (TLFi), « assez basse et de forme parallélépipédique, fermée par des battants » (ajoute le GRLF). On le retrouve surtout dans les salles à manger, mais également dans les cuisines, sous forme de deux corps, mais aussi un seul corps à deux ou à trois portes, avec éventuellement des tiroirs, ce qui mène à une confusion de signifiants (buffet et commode) pour le même signifié (voir infra).

En outre, le mot buffet ajoute, en milieu populaire, une autre acception : « meuble servant de garde-manger » (TLFi). Par analogie de destination et, évidemment avec une intention humoristique, il s’ajoute aussi le sens métaphorique de « estomac, ventre », attesté en 1803 et utilisé dans les expressions populaires : avoir le buffet garni, le buffet vide, de même que dans les expressions danser devant le buffet et n’avoir rien dans le buffet (www.mediadico.com/dictionnaire/expression/Buffet/1).

Le sens de « estomac » est enregistré pour le roumain aussi (in ARGOU). Le mot buffet connaît aussi des emplois techniques, signifiant, dans le

domaine musical, « un corps de menuiserie contenant le mécanisme d’un orgue » et, par métonymie, « un (petit) orgue de salon, de boulevard », etc. En architecture, le mot buffet a l’acception de « tablements de pierre adossés à un mur ou placés au fond d’une niche, disposés en gradins, supportant des vasques, bassins ou coupes de manière à faire rejaillir l’eau en nappes ou cascades », étant utilisé dans le syntagme buffet d’eau, car les sèmes du lexème initial qui y sont valorisés sont ceux de [+position verticale] et [+caractère fonctionnel].

Le mot roumain bufet n’a pas ces acceptions techniques. Donc le fr. buffet au sens de « espèce d’armoire » est attesté en 1547,

dérivant de celui de « table, dressoir » (1268), qui dérive à son tour de « escabeau » (1150). Le mot s’emploie aussi pour désigner une pièce où sont dressées les tables lors d’une réunion, d’où les extensions actuelles au sens de « unité de restauration» (cf. le buffet de la gare).

En tant que meuble de rangement, le fr. buffet se caractérise par les traits sémiques suivants :

5 Quant à cette association entre le buffet et la cuisine suédoise, il est bien évident que les repas suédois sont riches en plaisirs gourmands et que les méthodes de conservation séculaires (fumer, fermenter, saler, sécher, mariner, stériliser) font le délice de ces repas. Cette habitude d’organiser des buffets suédois pour les fêtes permet d’ailleurs aux hôtes de rester tout le temps parmi les invités, alors que, dans les restaurants, les clients venus de tous les coins du monde peuvent manger selon leurs habitudes alimentaires.

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(i) traits physiques : meuble bas et large, à deux corps ; (ii) présence de certains éléments constitutifs : avec des battants, avec ou sans tiroirs ;

(iii) destination : pour le linge et la vaisselle ; (iv) location : cuisine et salle à manger. Les extensions apparaissent en milieu populaire et visent la

destination : « meuble servant de garde-manger ». Le mot connaît aussi des emplois techniques, par analogie de forme et / ou de fonction, dans les domaines musical et architectural.

Le mot roumain bufet est attesté en 1835 avec le sens de « petite unité de restauration » (cf. bufetul teatrului = le buffet du théâtre), sens qui s’est maintenu et développé dans des syntagmes comme bufetul parlamentului (= le buffet du Parlement), bufetul gării (= le buffet de la gare), bufetul din sat (= le buffet du village).

À la même époque, le roumain a emprunté aussi le sens de « espèce d’armoire », avec tous les traits de son étymon. Le mot est encore utilisé avec cette acception, surtout en milieu rural, pour les cuisines modernes les termes les plus utilisés étant actuellement dulap de bucătărie (= armoire de cuisine), comodă cu corp suspendat (= commode à corps suspendu / à étagère).

Contrairement au français, dans le cas du mot roumain ne sont pas enregistrés d’emplois techniques.

2.2.2. - fr. commode / roum. comodă commode, s.f. 1. (vx.) sorte de coiffure ; 2. meuble bas et large, souvent richement travaillé, muni de tiroirs pour y renfermer du linge et des habits. comodă, s.f. 1. meuble à hauteur d’appui avec de larges tiroirs superposés où l’on range du linge et des habits.

Le nom commode représente, du point de vue étymologique, la substantivation de l’adjectif commode, en raison du caractère éminemment pratique de ce meuble (cf. TLFi).

Le sens ancien « sorte de coiffure », comme dans l’exemple de Saint-Simon : On portait dans ce temps-là des coiffures qu’on appelait des commodes, qui ne s’attachaient point. (in Littré), ne se retrouve pas en roumain.

En tant que meuble, la commode est en fait une espèce de petite armoire à tiroirs (initialement en forme de bureau), ayant des utilisations multiples (sa destination initiale était d’y ranger du linge et des habits). On la retrouve dans toutes les pièces d’une maison, principalement salle à manger, salle de séjour et chambre à coucher, mais actuellement aussi salle de bains et cuisine.

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Les éléments définitoires pour l’objet désigné par le mot commode sont : la forme (meuble bas et large, « à hauteur d’appui », in GRLF), la présence des tiroirs, le dessus de bois, de marbre ou d’autres matériaux précieux (commode de bois d’acajou, in GRLF), mais aussi la facture élégante (« souvent richement travaillé », in TLFi), de styles divers (commode Louis XVI, Empire, in GRLF).

Le roumain a emprunté au français le mot comodă avec ce même sens de « meuble bas et large à tiroirs où l’on range le linge et les vêtements » (cf. DA, DEX, DLRC). Le sens de « armoire en forme de bureau », tombé en désuétude en français, n’a pas été emprunté par le roumain, probablement parce que, au moment où le mot est entré dans cette langue (XIXe siècle), la commode se présentait déjà sous la forme de petite armoire ou d’armoire basse.

Les dictionnaires consultés pour le français aussi bien que pour le roumain sont unanimes à indiquer le sens de « meuble à tiroirs pour divers objets », sans en donner les développements récents. Car ce meuble connaît, à l’époque actuelle, toutes sortes d’extensions, ayant changé tant de forme que de destination.

Pour meubler la salle de bains, la toilette-commode ou commode-toilette désigne un « meuble à tiroirs dont le dessus a été aménagé en lavabo », sens attesté en 1864 (TLFi, s.v. commode), alors qu’un site Internet (www.leboncoin.fr/ameublement/158177375.htm) indique pour la commode toilette (ancienne) un meuble de style, en noyer massif, à tiroirs et dessus de marbre blanc, surmonté d’une glace. Il s’agit, de toute évidence, de deux objets distincts, avec des fonctionnalités différentes. On y trouve, en outre, beaucoup d’annonces publicitaires pour les commodes de salle de bains ou commodes de rangement pour salle de bains, qui sont en fait des meubles de formes diverses (bas, mais aussi hauts), avec des tiroirs ou des battants (www.leguide.com/s/w/Commode+salle+de+bain).

Pour le roumain, le même référent a, sur un site spécialisé dans le commerce des meubles de salles de bains, les dénominations suivantes : set comodă şi chiuvetă (= commode et lavabo), chiuvetă baie şi comodă (= lavabo et commode), comodă şi raft suspendat (= commode à étagère), comodă de baie (pentru toaletă) (= commode toilette) (http : //shop.4interior.ro/mobilier-baie/mobilier-baie-set-comoda-chiuveta-si-oglinda-1-p2258.html).

On retrouve aujourd’hui la commode dans la cuisine aussi, par exemple commode rangement 3 tiroirs bouleau massif teinte bois clair, tiroirs aluminium, pieds réglables, tiroirs avec arrêts (www.priceminister.com/offer/buy/ 81996830/commode-cuisine-rangement-3-tiroirs-mobilier.html) ou commode-cuisine (www.potiron.com/decoration-interieur-Decoration-2_c_27.html?so=sf); pour le roumaincomodă bucătărie (=commode-cuisine) (www.kronemarket. com/comoda-si-raft-suspendat-bucatarie-lemn-masiv-p-1210.html).

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La commode a diversifié ses fonctions, comme par exemple la commode bébé, servant à langer (www.berceaumagique.com/commode-bebe.php) ou, en roumain, comodă de înfăşat (= commode pour langer) (www.bebelusultau.ro /detalii.php?cod=KD26).

Donc, en français, le mot commode, attesté en 1708, désigne à l’origine une espèce d’armoire ayant les traits suivants :

(i) traits physiques : meuble petit, bas, (souvent) orné ; (ii) présence de certains éléments constitutifs : avec des tiroirs, sans battants,

avec un dessus de bois ou de marbre ; (iii) fonctionnalité : à hauteur d’appui ; (iv) destination : pour le linge et les habits ; (v) location : salle à manger, salle de séjour, chambre à coucher, (plus

récemment) salle de bains et cuisine. C’est avec ce sens que le mot est emprunté en roumain, un siècle plus tard,

sous la forme comodă. L’objet connaît le long du temps des spécialisations multiples, devenant une

espèce de petite armoire polyfonctionnelle, ce qui va de pair avec la modification de la forme, en sorte que des confusions se créent constamment entre les objets nommés commode / comodă et servante / servantă, des mots appartenant au même microsystème lexical et désignant divers types de petites armoires avec des tiroirs, mais aussi avec des portes, à destinations multiples.

2.2.3. - fr. servante / roum. servantă

servante, s.f. 1. (vieux ou rég.) femme employée comme domestique ; 2. (vieux) petit meuble de salle à manger (table, étagère) servant de desserte ou placé à côté d’un convive ; 3. (théâtre) petite lampe qui servait au cours des répétitions ; 4. (techn.) support de hauteur réglable offrant un point d’appui pour les pièces de bois ou de fer très longues que l’on travaille à l'établi. servantă, s.f. 1. (vieux) femme employée comme domestique ; 2. meuble d’appoint servant de desserte ; 3. armoire où l’on garde la vaisselle, les couverts pour le service de la table ; 4. petite lampe au théâtre ; 5. (techn.) support réglable pour le menuisier et pour le forgeron. Le mot français servante vient du participe présent du verbe servir,

substantivé au féminin, ayant, dès la première moitié du XIVe siècle, le sens de « femme employée comme domestique» et, quatre siècles plus tard, en 1746, celui de « petit meuble de salle à manger ».

Le premier sens est considéré comme vieilli ou régional en français (cf. GRLF), tout comme en roumain d’ailleurs, qui l’a emprunté. Aujourd’hui, cette occupation est restée, mais avec une autre nomenclature. En français, les mots les

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plus usuels pour la désigner, en fonction aussi du lieu de travail et des attributions remplies, sont femme de chambre, domestique, bonne, camérière, etc., tandis qu’en roumain on emploie couramment menajeră, cameristă, femeie de menaj, bonă.

Une autre acception, que nous avons identifiée pour les deux langues, celle de « petite lampe qui servait au cours des répétitions au théâtre», est tombée en désuétude.

Dans l’acception de « mobilier », servante signifie en français « un petit meuble de salle à manger (table, étagère) servant de desserte ou placé à côté d’un convive » (GRLF), sens considéré également comme vieilli. C’est un support qui complète le mobilier de la table à côte du buffet, défini comme « table sur laquelle sont disposés la vaisselle, le pain et le vin servi au repas » (TLFi).

En roumain, le mot servantă signifie « meuble d’appoint servant de desserte », sens emprunté au français (qui l’a abandonné d’ailleurs), et a développé le sens de « armoire où l’on garde la vaisselle, les couverts pour le service de la table » (cf. fr. buffet). Pour cette dernière acception nous n’avons pas trouvé d’attestation en français. Si, en roumain, on continue à utiliser servantă assez fréquemment, le français utilise d’autres mots, qui sont apparus par métonymie pour désigner le contenant par le contenu, tels que vaisselier, lingère, etc.

Le mot servante enregistre des sens techniques plus récents : « support de hauteur réglable offrant un point d’appui pour les pièces de bois ou de fer très longues que l’on travaille à l’établi », dans les syntagmes servante de menuisier, servante de forge, servante d’atelier (pour ranger et garder à portée de mains les outils d’usage (www.dedale-latelier.com/servante-d-atelier-en-metal-patine-et-bois-mobilier-brocante-industriel-loft-meuble-de-metier,fr,4,MEU-247.cfm).

Nous avons trouvé des emplois similaires pour le mot roumain servantă : servantă mobilă pentru scule cu 3 etajere (= servante mobile pour des outils à 3 étagères) (www.bizoo.ro/firma/GEDAKO/vanzare/350361/Servanta-mobila-pentru-scule-cu-3-etajere).

Pour le mot français servante n’est pas attesté le sens de « meuble de rangement (petite armoire) ». C’est un sens qui a été créé en roumain.

Les traits sémiques du mot roumain servantă sont : (i) traits physiques : meuble large, orné ou non ; (ii) présence de certains éléments constitutifs : avec des tiroirs, avec des

battants, avec un dessus de bois ou de marbre ; (iii) fonctionnalité : à hauteur d’appui ; (iv) destination : pour le linge de table et pour le service de table ; (v) location : salle à manger. Tout comme dans le cas des mots précédemment discutés, le fr. servante et

le roum. servantă connaissent des développements récents, visibles sur les sites de publicité, désignant des pièces de meubles de différentes formes et dimensions

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(pour le roumain, la servante de la salle à manger se confondant fréquemment avec la commode).

3. CONCLUSIONS

Dans tous les cas discutés, il s’agit d’une conservation partielle des sens des

étymons français, mais on enregistre aussi des innovations sémantiques opérées en roumain.

C’est ainsi que le roumain a emprunté la majorité des sens des lexèmes relevant du micro-champ des meubles de rangement (« petite armoire »), maintenant, dans le cas des mots bufet et comodă, tous les traits des étymons.

Le mot roumain servantă représente un cas particulier, car il a développé un sens nouveau, à partir de « meuble d’appoint » (de l’étymon français servante) à « meuble de rangement », qui n’est pas attesté en français. En outre, il a conservé le sens « meuble d’appoint servant de desserte », qui n’est plus actuel en français.

À partir du sens de base de « meuble », en français se sont développés d’autres sens, particulièrement dans les domaines techniques, et qui ne sont pas toujours entrés en roumain, par exemple « orgue » et « cascade » pour le mot buffet, alors que quelques-unes des extensions sémantiques actuelles, par exemple « support pour ranger les outils » (servante d’atelier) se retrouvent aussi en roumain.

Dans l’analyse sémantique des lexèmes en question, nous avons opéré avec les traits communs, qui aident à les lier par le sens et les traits distinctifs aidant à les différencier.

Dans les cas envisagés, les traits communs visent la forme : meuble bas et large. Les traits distinctifs se rapportent à la structure (avec ou sans tiroirs / battants), la destination (pour le linge, les vêtements, la vaisselle) et la location.

Par exemple le buffet est défini comme un meuble à deux corps, avec des tiroirs et des battants, alors que la commode se caractérise principalement par les traits : un seul corps, avec des tiroirs, sans battants. Quant au mot roumain servantă, il se caractérise par les traits : meuble à un seul corps, avec des tiroirs et des battants, ce qui crée une confusion de référents avec le buffet à un seul corps, mais se distingue de la commode par la présence des battants. Le seul trait distinctif entre commode et servante est donc [battants].

La destination ne constitue pas toujours un trait pertinent pour la distinction à opérer entre les référents des mots en question : si le buffet et la servante se sont spécialisés pour ranger le linge de table et la vaisselle, la commode a une fonctionnalité multiple. En français il existe aussi des termes désignant les meubles par leur destination : vaisselier (meuble servant au rangement du linge de table et

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de la vaisselle), secrétaire (meuble où l’on range des papiers), lingère (armoire où est rangé le linge) (cf. TLFi).

En ce qui concerne la location, le buffet est un meuble spécifique pour la cuisine et la salle à manger, alors que la commode est d’un usage presque général, se retrouvant dans toutes les pièces de la maison. Les confusions se créent surtout dans le langage commercial, qui utilise par exemple le terme de buffet pour désigner une commode de cuisine (www.lespac.com/ameublement/mobilier-maison/terrebonne/d-commode-de-chambre-ou-buffet-pour-cuisine).

Tous les trois mots discutés et désignant des meubles de rangement connaissent aujourd’hui des extensions de sens, désignant des pièces de meubles de différentes formes et dimensions. Ils sont très utilisés dans le langage commercial et publicitaire, mais renvoient parfois aux mêmes référents, comme l’illustrent les catalogues du mobilier. Les termes sont donc employés d’une manière impropre, ce qui mène à des confusions entre les termes et les objets. Souvent les locuteurs préfèrent utiliser, dans les deux langues, les mots génériques : armoire / dulap (armoire de cuisine / dulap de bucătărie, armoire de salles de bains / dulap de baie, etc.).

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CONSERVATION ET INNOVATION LEXICALES DANS LE CHAMP SÉMANTIQUE DES MEUBLES

DE RANGEMENT POUR VÊTEMENTS1

1. INTRODUCTION

L’étude des gallicismes du roumain reflète l’évolution et la transformation de la société roumaine, en général, et de son vocabulaire, en particulier, puisque l’influence française sur le lexique du roumain peut être révélatrice, d’une part, de la relation qui s’est établie entre les deux langues et, d’autre part, entre les deux nations. Les facteurs extralinguistiques tels que le voisinage, les rapports économiques, politiques et culturels entre les deux pays ont été pleinement favorables de sorte que l’emprunt lexical au français était, de toute évidence, la solution la plus commode pour remplir les lacunes lexicales. Par conséquent, à partir de la fin du XVIII-e siècle et tout au long du XIX-e siècle, la langue roumaine a enregistré un important processus de modernisation, de renouvellement lexical, de ré-romanisation sous l’influence de la langue et de la culture françaises. Cet enrichissement lexical a été accompagné d’une modernisation de la société roumaine sur le plan de la vie culturelle, institutionnelle, intellectuelle, mais aussi sur celui de la vie quotidienne.

Le roumain et le français sont deux langues romanes qui s’individualisent par des traits spécifiques aux niveaux lexical, mais aussi syntaxique et morphologique. Les gallicismes du roumain sont entrés par voie écrite et orale dans le vocabulaire de la langue roumaine, même dans le fonds lexical principal, et ils révèlent la romanité profonde, la vitalité et l’originalité de la langue roumaine qui a démontré, à plusieurs reprises, qu’elle possède la capacité de l’intégration des éléments étrangers, en les adaptant à ses systèmes phonologique et graphique.

Notre contribution se propose de faire l’analyse sémantico-pragmatique de deux lexèmes très transparents faisant partie du champ sémantique des meubles de rangement pour vêtements : fr. garde-robe / roum. garderob, garderobă et fr. chiffonnier / roum. şifonier. Dans le processus d’importation de nouveaux mots, la

1 Daniela Dincă, «Conservation et innovation lexicales : le cas des gallicismes du roumain», in I. Bădescu / M. Popescu (éds.): Studia linguistica et philologica in honorem Prof. univ. dr. Michaela Livescu. Craiova: Editura Universitaria, 2014, p. 55-63.

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langue emprunteuse, le roumain dans notre cas, choisit un ou plusieurs sens en usage dans la langue prêteuse. Par l’analyse comparative des deux gallicismes, on aura l’illustration d’un parcours sinueux qui a engendré des confusions sémantiques par la conservation de certains sens et par l’adjonction d’autres.

La démarche est fondée, en principal, sur l’analyse des traits sémiques que nous avons considérés comme pertinents pour la définition du sens global de chaque lexème, ce qui permet la différenciation entre les référents et, par voie de conséquence, entre leurs dénominations.

2. ÉTAT DES LIEUX SUR LES GALLICISMES DU ROUMAIN Les gallicismes du roumain ont fait l’objet d’un projet de recherche

Typologie des emprunts lexicaux français en roumain. Fondements théoriques, dynamique et catégorisation sémantique (FROMISEM), qui s’est proposé trois pistes d’analyse : la définition des concepts opérationnels mobilisés dans la recherche (emprunt, néologisme, néonyme, néosème, gallicisme, etc.), la constitution d’un corpus général des gallicismes du roumain et l’élaboration d’une typologie sémantique des emprunts au français. Les résultats les plus importants ont été la statistique sur la dynamique des gallicismes du roumain et leur typologie sémantique.

Par conséquent, pour illustrer l’importance de l’influence française, on a réalisé une statistique sur le plus important dictionnaire d’usage général de la langue roumaine (DEX), qui a indiqué un pourcentage de 39% mots empruntés au français sur les 65000 entrées du dictionnaire.

En ce qui concerne l’analyse sémantique élaborée dans le cadre du projet (v. Iliescu et al. 2010 : 593), celle-ci a fait ressortir la typologie suivante :

(i) conservation – totale ou partielle – du sens / des sens de l’étymon français, parfois avec le maintien en roumain d’un sens aujourd’hui disparu en français (situation rencontrée dans le cas des mots appartenant à un domaine spécialisé, technique et scientifique) ;

(ii) innovations sémantiques opérées en roumain, ayant comme point de départ une signification de l’étymon français. Ces innovations se manifestent à travers divers mécanismes sémantiques: extensions analogiques et restrictions de sens, métaphorisations, passages métonymiques, glissements connotatifs, etc.

Cette typologie sémantique s’est d’ailleurs constituée comme grille d’analyse pour de nombreux gallicismes du roumain rassemblés autour des champs sémantiques tels que : le micro-champ des meubles [pour s’asseoir] (fr. banc / roum. bancă, fr. banquette / roum. banchetă, fr. chaise longue / roum. şezlong, fr. fauteuil / roum. fotoliu, fr. pouf / roum. puf, fr. strapontin / roum. strapontină, fr. tabouret / roum. taburet), le micro-champ des meubles [de rangement] ayant

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comme archisémème le trait « petite armoire » (fr. buffet / roum. bufet, fr. commode / roum. comodă, fr. servante / roum. servantă), le micro-champ des pièces de vêtement (fr. blouse / roum. bluză, fr. veste / roum. vestă, fr. jupe / roum. jupă).

3. ÉTUDE DE CAS Notre analyse sémantico-pragmatique repose sur deux mots très transparents

qui, dans le passage du français au roumain, ont conservé certains sens et ont rajouté d’autres, ce qui a conduit à l’apparition des faux amis dont la signification passe au-delà de la forme graphique pour rejoindre leur sémantisme interne: fr. garde-robe / roum. garderob, garderobă et fr. chiffonnier / roum. şifonier. Le champ sémantique des meubles de rangement pour vêtements regroupe en français actuel tout un ensemble de lexèmes renvoyant à des référents prévus avec des tiroirs, des étagères et des penderies, tels que : armoire, penderie, bonnetière, chiffonnier, coffre, étagère, placard, portant, portemanteaux, semainier, tiroirs de rangement, etc. Sur cet ensemble, le seul gallicisme du roumain est chiffonnier. La garde-robe n’est plus d’usage en français actuel et elle ne figure plus dans les catalogues de mobilier.

Plus précisément, l’analyse que nous proposons porte sur trois points principaux :

(i) la description lexicographique des deux lexèmes ; les sens français sont, en général, donnés d’après les dictionnaires: TLFi, GRLF et GLLF et les sens roumains d’après les dictionnaires: DA / DLR, DEX, DN, RDW et CDER. (ii) l’analyse sémantique comparative des mots roumains et de leur étymon français ; (iii) la corrélation entre la description linguistique et la réalité extralinguistique (l’analyse de l’évolution des référents à travers le temps).

3.1. fr. garde-robe / roum. garderob, garderobă garde-robe, s.f., 1. meuble, autrefois coffre, aujourd'hui armoire, où sont rangés les vêtements ; 2. (Par métonymie) : a. ensemble de(s) vêtements appartenant à une personne ; b. chambre où sont rangés les vêtements ; c. ensemble des personnes qui étaient occupées à l'entretien des vêtements du Roi ; 3. (vieux) chambre où se trouve la chaise percée; 4. (vieux) selles. 5. tablier de toile que les femmes et les enfants portent pour conserver leurs vêtements. garderob, s.n., garderobă, s.f. 1. armoire pour garder les vêtements ; 2. (Par métonymie) : a. chambre où sont rangés les vêtements ; b. lieu spécialement aménagé à l’entrée dans un local public ou dans une salle de spectacles pour que les

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visiteurs déposent leurs vêtements ; c. ensemble de(s) vêtements appartenant à une personne ; d. totalité des costumes d’un théâtre. (DEX) Même s’il ne fait plus partie du champ sémantique actuel des meubles de

rangement pour vêtements, le mot le plus transparent et le plus ancien dans l’espace socio-culturel français est garde-robe. Selon son étymologie, le mot a été premièrement conçu pour désigner « la chambre ou le cabinet où l'on conserve les vêtements». Un siècle plus tard, le mot renvoie à un autre référent, de dimensions beaucoup plus restreintes, « armoire ou coffre » et, par métonymie, trois siècles plus tard, il désigne «l’ensemble des vêtements de quelqu'un ». Bref, dans le passage du contenant au contenu, le contenant connaît plusieurs dimensions : chambre, cabinet, armoire et coffre.

À côté de ces acceptions renvoyant au champ sémantique du mobilier, le mot enregistre d’autres sens, plus ou moins rapprochés. Il s’agit de deux vieux sens sans relation avec les vêtements, « chambre où se trouve la chaise percée » et « selles », et d’un sens transparent dont le contenu est sémantiquement analysable «tablier de toile que les femmes et les enfants portent pour conserver leurs vêtements ».

La langue roumaine emprunte ce mot au XIXe siècle par deux filières : française (garderobe) et allemande (Garderobe), avec la signification de « armoire pour garder les vêtements », avec une grande variété d’outils : tiroirs, tablettes et tringles.

Le gallicisme acquiert ensuite en roumain les deux sens métonymiques pour désigner aussi bien « la chambre où sont rangés les vêtements » que « l’ensemble de(s) vêtements appartenant à une personne », mais il revêt deux formes graphiques distinctes : garderob – garderoburi s.n. pour « le meuble où sont rangés les vêtements » et garderobă – garderobe s.f. pour « l’ensemble des vêtements ».

Il y a pourtant des différences de configuration sémantique entre les deux langues. Par exemple, les deux vieux sens du français n’ont pas été emprunté en roumain à cause du manque de contact entre les deux civilisations à l’époque où le mot français était utilisé (du Moyen Age au XIX-e siècle) : « chambre où se trouve la chaise percée » et « selle ». En français actuel, si le premier sens est récupéré dans le syntagme « chaise garde robe pour personne âgée avec bassin d'hygiène » (http://www.toutypasse.com/hydiene-personne-agee-chaise-garde-robe-a-roulettes _robe-d-audiencec7a469402p1), le second est complètement sorti de l’usage.

D’autre part, après avoir emprunté le mot, le roumain a ajouté, par filière russe, où le mot avait cette signification, le sens de « vestiaire, chambre où sont rangés les vêtements dans un théâtre ou un musée », et, par métonymie, celui de « totalité des costumes d’un théâtre ». Comme, au théâtre, les gens doivent déposer leurs vêtements à l’entrée, le roumain garderobă a également acquis cette

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acception : « lieu spécialement aménage à l’entrée dans un local public ou dans une salle de spectacles pour que les visiteurs déposent leurs vêtements ». Cette innovation sémantique du roumain a comme correspondant français le vestiaire, qui inclut le caractère provisoire et temporaire du dépôt des vêtements d’extérieur et des objets encombrants dans certains établissements publics, mot que le roumain a aussi emprunté sous la forme vestiar avec cette acception même, mais qui n’est pas d’usage en roumain actuel, étant plutôt réservé à l’endroit où l’on enlève les vêtements de ville pour revêtir une tenue correspondant à une activité précise (au travail, dans une salle de sport, etc.).

Comme la garde-robe a la fonction de garder les vêtements, il incombe la nécessité d’avoir une personne qui s’en charge, garderobier, un mot dérivé en roumain de garderob(ă) + suf. -ier. Ce mot existe aussi en français, mais avec une autre acception, pour désigner uniquement « un officier chargé, chez les princes, du soin de la garde-robe » et non pas « l’ensemble des personnes qui étaient occupées à l'entretien des vêtements du Roi », qui sont désignées par le lexème homonyme: un(e) garde-robe.

Pour ce qui est de l’usage actuel de garde-robe, nous avons constaté que les deux langues l’utilisent couramment pour désigner « l’ensemble de(s) vêtements appartenant à une personne » pour toutes les catégories : homme, femme, enfant, acteurs, etc., acception qui est fortement concurrencée par le mot anglais dressing : le dressing d’un homme/d’une femme (fr.) / dresingul unui bărbat/al unei femei (roum.).

D’autre part, l’acception de « armoire » est de moins en moins en usage dans les deux langues, même si les catalogues de meubles proposent des modèles de chêne et parties en bois massif, deux penderies séparées, plusieurs étagères et trois grandes portes coulissantes.

3.2. fr. chiffonnier / roum. şifonier chiffonnier, ère s.m. 1. personne qui fait le commerce de vieux chiffons, de vieux objets, achetés ou ramassés dans les rues. En particulier : homme de lettres de bas étage, qui collectionne et diffuse des faits, des nouvelles hétéroclites, sans intérêt et souvent sans fondement ; celle qui colporte les nouvelles. 2. petit meuble à tiroirs superposés dans lequel on range de menus objets, tels que chiffons, travaux d'aiguille, papiers, bijoux, etc.

şifonier, s.m. 1. (vieux) personne qui fait le commerce de vieux chiffons. 2. grande armoire où l’on garde les vêtements et le linge. La première attestation du chiffonnier est celle de l’ancien métier qui a été

exercé jusque dans les années 1960 en France. Il consistait pour une personne à passer, le plus souvent à bicyclette, mais aussi en charrette dans les villes et

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villages pour racheter des choses usagées et les revendre à des entreprises de transformation (http://fr.wikipedia. org).

Par métaphore, le mot acquiert une nouvelle connotation qui combine les deux sèmes fondamentaux : [métier] et [insignifiant] pour désigner un homme de lettres « qui collectionne et diffuse des faits, des nouvelles hétéroclites, sans intérêt et souvent sans fondement » et, comme les femmes sont connues pour leur talent de colporter les nouvelles, la chiffonnière remplit cette même fonction.

Toujours par métaphore, Chiffonnière avec les chiffonniers est un titre d’ouvrage paru en 2007 pour raconter l’expérience de la sœur Emmanuelle, une religieuse qui prend la misère à bras le corps pour la combattre résolument à côté des chiffonniers (sans-abri) du Caire. Comme les chiffonniers ramassent les chiffons pour gagner leur vie, le terme désigne aussi les sans-abri. L’emploi du féminin chiffonnière pour la sœur Emmanuelle est métaphorique vu que, dans ce contexte, la sœur n’est pas un sans-abri, mais une personne se trouvant à la tête des autres dans sa démarche de les aider à survivre.

Par le même transfert de sèmes, on désigne par chiffonnier le meuble où l’on peut ranger «de menus objets, tels que chiffons, travaux d'aiguille, papiers, bijoux, etc. » (TLFi). C’est un meuble à tiroirs apparu sous la Régence qui ressemble à un semainier. Il y a également un autre mot qui fait partie du même champ sémantique, la chiffonnière, une petite commode, beaucoup plus mignonne, qui ressemble parfois même à un petit bureau. La différence principale à établir entre les deux lexèmes, le chiffonnier et la chiffonnière, c'est que le premier, haut généralement de 1 m 40 à 1 m 60, offre, comme taille et comme aspect, certaines analogies avec un secrétaire et que le second, beaucoup plus mignon, ressemble plutôt à une petite commode, parfois même à un petit bureau.

Dans le catalogue des meubles de styles, il y le modèle « table chiffonnière », une petite table avec des tiroirs pour les petits objets datant du XVIIIe siècle, « commode chiffonnière », une commode à trois tiroirs dont le premier sert d’écritoire. Le chiffonnier est aussi un meuble de rangement assez bas, à quatre ou cinq tiroirs qui sert à ranger les petits objets, ce qui le rapproche de la commode.

En roumain, le mot şifonier a emprunté sa première acception, celle de « personne qui fait le commerce de vieux chiffons », mais celle-ci est considérée comme vieillie et sortie de l’usage actuel. La plus usuelle acception est celle de : « grande armoire où l’on garde les vêtements et le linge”, terme employé fréquemment pour désigner l’armoire qu’on met d’habitude dans les chambres à coucher et qui a comme synonyme le mot dulap, qui vient du turc dolap (DEX).

Même si la fonctionnalité reste la même [meuble de rangement] pour les deux mots analysés, chiffonnier et şifonier, ils ne recouvrent pas la même réalité dans les deux langues : le français chiffonier renvoie à un meuble assez bas à des

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tiroirs superposés, tandis que le roumain şifonier est un meuble grand, assez haut avec des étagères, des tiroirs, des miroirs et avec plusieurs portes (de deux à cinq).

Il est bien évident qu’un mot emprunté ne doit pas garder tous les sens de son étymon, mais qu’il entre d’habitude dans la langue cible avec son référent. Ce qui nous intéresse, dans ce cas, est d’expliquer le décalage qui existe entre les référents désignés par le même lexème dans les deux langues.

Dans les chambres à coucher, style Louis XVI, nous retrouvons les armoires à deux portes ou à quatre portes, pas de chiffonniers qu’on retrouve plutôt dans le salon pour ranger de petits objets. Alors la question qui se pose est la suivante : Comment, en roumain, le gallicisme şifonier est entré directement dans la chambre à coucher, sans rester dans le salon, avec des dimensions beaucoup plus réduites? Ce phénomène pourrait s’expliquer par une innovation de son sémantisme interne, que le roumain a opérée dans bien d’autres cas, ce qui suppose le changement de la configuration du référent original actualisé par l’étymon français.

4. CONCLUSIONS Il est bien évident que le français joue le rôle de langue de prestige qui s’est

répandue dans l’usage général à partir de traductions, surtout au XIXe siècle, et ensuite par nécessité terminologique pour désigner les nouveaux concepts et objets introduits dans le lexique de la langue roumaine. Le problème des gallicismes du roumain est très important aussi bien en linguistique que pour le développement de la culture du peuple roumain. Le roumain a eu besoin de mots nouveaux, surtout dans les domaines de l’activité scientifique, politique et culturelle, mais aussi dans celui de la vie courante, telle que l’illustre l’analyse sémantique des gallicismes du roumain envisagée dans les différents domaines du mobilier.

Si la garde-robe est un mot couramment utilisé pour l’ensemble des vêtements d’une personne dans les deux langues, le chiffonnier garde son actualité uniquement en roumain pour désigner un autre référent que celui de la langue d’origine, au moins en ce qui concerne les dimensions d’un meuble de rangement de petite taille.

Par rapport à la langue française, qui a la vocation d’une langue bien normée, dont les locuteurs connaissent bien la sémantique des mots qu’ils utilisent, le roumain est reconnu comme une langue où les mots sont, par excellence, employés d’une manière beaucoup plus libre, ce qui mène à des confusions entre les mots et les référents qu’ils désignent. Par conséquent, les locuteurs préfèrent souvent utiliser, dans les deux langues, les mots génériques : fr. armoire / roum. dulap pour ne pas déformer le sens et pour ne pas créer de telles confusions.

En fin de compte, au-delà de toutes ces modifications sémantiques dans le voyage des mots d’une langue à l’autre, il ne faut pas oublier un facteur qui

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pourrait éliminer toutes ces confusions tout en uniformisant l’emploi des mots pour désigner aussi bien le contenant que le contenu: la domination de l’anglais qui utilise le mot dressing pour désigner, d’une part, le mobilier où l’on garde les vêtements, une armoire qui peut occuper jusqu’à deux m² de surface et même toute une chambre spécialement aménagée pour l’habillement et, d’autre part, les vêtements qui y sont rangés.

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LA RECONFIGURATION SÉMANTIQUE DES GALLICISMES DU ROUMAIN APPARTENANT AU

DOMAINE DU MOBILIER1

1. L’IMPORTANCE DE L’INFLUENCE FRANÇAISE POUR LA CONSTITUTION DU VOCABULAIRE NÉOLOGIQUE DU ROUMAIN

Le vocabulaire néologique de la langue roumaine moderne a un caractère

profondément hétérogène qui est dû à sa constitution sous l’influence de plusieurs langues (le néogrec, le russe, l’allemand, le français et, les derniers temps, l’anglais), mais sa physionomie latine, les affinités spirituelles avec la romanité occidentale ont déterminé l’ouverture toute naturelle de cette langue vers la réception permanente des néologismes d’origine romane.

En effet, à partir de la fin du XVIIIe siècle, mais surtout tout au long du XIXe siècle et de la première moitié du XXe, le roumain a subi un ample processus de modernisation de sa structure grammaticale et lexicale, surtout sous l’influence de la langue et de la culture françaises. Ce processus de ‹reromanisation› (Şora 2006, 1728), déterminé par des facteurs historiques, socioculturels et linguistiques particuliers, a conduit à une pénétration massive de mots d’origine romane, notamment française et, par conséquent, au changement du pourcentage étymologique du vocabulaire roumain. Ainsi la modification de la physionomie lexicale du roumain s’est-elle réalisée tant dans la langue courante que dans les domaines où l’on avait enregistré les plus grands progrès et innovations : scientifique, technique, social, politique, administratif, juridique, économique, artistique, etc.

Dans ce contexte, la problématique que les néologismes soulèvent dans la littérature de spécialité est centrée, en principe, sur deux types de démarches : une démarche descriptive, classifiant les emprunts selon des critères formels et sémantiques, et une autre diachronique, consacrée à leur étude étymologique,

1 Daniela Dincă / Mihaela Popescu / Gabriela Scurtu, «La reconfiguration sémantique des gallicismes dans l’espace socioculturel roumain. Présentation d’un projet en cours», Conferinţa Internaţională de Ştiinţe Umaniste şi Sociale „Creativitate, Imaginar, Limbaj” – Craiova, 16-17 mai 2014. http://www.cilconference.ro/wpcontent/uploads/ 2014/05/ program-en.pdf

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y compris la filière de pénétration. La complexité et l’importance de ce champ d’études justifient pourquoi des préoccupations systématiques sont encore nécessaires en ce qui concerne les aspects théoriques (définition des principaux concepts opérationnels ou standardisation du métalangage), aussi bien que les aspects pratiques (détection, classification ou traitement automatique des néologismes).

En ce qui concerne l’analyse des néologismes roumains d’origine française ou gallicismes2, celle-ci est d’une grande complexité, impliquant l’étude de plusieurs aspects qui se situent aussi bien au niveau étymologique qu’aux niveaux syntactico-sémantiques : l’aspect quantitatif de cette influence dans le vocabulaire général ou dans les lexiques spécialisés, les étapes de pénétration des mots d’origine française, le problème de l’adaptation des gallicismes aux systèmes phonétique, orthographique ou morphologique du roumain, les domaines de manifestation de ces termes, leur évolution sémantique dans la langue réceptrice, etc. Certains de ces aspects seront pris en compte dans l’étude que nous proposons dans ce qui suit.

2. OBJECTIFS VISÉS DANS NOTRE COMMUNICATION 2.1. Un premier objectif est de réaliser une brève présentation du projet de

recherche La reconfiguration sémantique des gallicismes dans l’espace socioculturel roumain (FROMISEM II), qui se situe dans le prolongement d’un projet de recherche CNCS déroulé à la Faculté des Lettres de l’Université de Craiova (Typologie des emprunts lexicaux français en roumain. Fondements théoriques, dynamique et catégorisation sémantique FROMISEM, 2009–2011 (www.fromisem.ro).

Tous les travaux réalisés dans le cadre du projet FROMISEM ont relevé des aspects généraux liés à la spécificité des langues en contact ou à l’interdépendance entre la langue et la société dans laquelle elle fonctionne et évolue. D’autre part, ont été mis en évidence des aspects particuliers tels que les relations complexes entre langue prêteuse (en l’occurrence le français) et langue réceptrice (le roumain) et, surtout, le caractère créatif du roumain, un système linguistique qui a eu la capacité d’intégrer et d’assimiler les éléments étrangers dans son propre système lexical et sémantique, leur accordant une valeur particulière (dans l’acception saussurienne du mot), tout en conférant au vocabulaire une physionomie spécifique et originale.

2 Nous employons le terme de ‹gallicisme› au sens de « mot français emprunté par d’autres langues » (cf. Thibault 2009).

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Plusieurs études élaborées dans le cadre de ce projet ont abordé la problématique du sémantisme des gallicismes du roumain, dans une double perspective : (i) leur typologie sémantique (v. Iliescu et al. 2010) ; (ii) l’approche de quelques domaines et champs sémantiques (mobilier, mode vestimentaire, gastronomie, tourisme, etc.), vu que l’insertion des termes néologiques d’origine française dans le lexique du roumain a été faite dans les domaines les plus variés de l’activité humaine.

2.2. Le deuxième objectif visé par notre propos est d’illustrer un cas de

reconfiguration sémantique des gallicismes du roumain faisant partie du domaine conceptuel du mobilier. Les analyses effectuées jusqu’à présent (Scurtu 2010, 2011, Scurtu et Dincă 2012, Dincă et al. 2014, Dincă 2014), qui ont surpris, d’une part, les métasémies survenues en roumain par rapport au français et, de l’autre, l’évolution sémantique de ces unités parallèlement à l’évolution sociale et culturelle de la société roumaine, nous permettront de tirer quelques conclusions d’une portée plus générale sur la façon dont les lexèmes d’origine française se sont intégrés dans le système lexical et dans l’espace socioculturel roumains. Ce genre d’approche des gallicismes du roumain dans une perspective sémantico-pragmatique a été relativement peu effectué dans les travaux de spécialité, ce qui se constitue en un argument justifiant la nécessité de poursuivre une telle direction de recherche.

3. PRÉSENTATION DU PROJET FROMISEM II Le nouveau projet FROMISEM II se propose d’approfondir l’étude

lexicologique et sémantique des gallicismes du roumain, en visant, prioritairement, les aspects suivants :

1) l’analyse des métasémies (extensions et / ou restrictions de sens par métaphorisation, transferts métonymiques, glissements connotatifs, etc.) et des cas de conservation (totale ou partielle) du sens de l’étymon français ;

2) la corrélation de l’analyse linguistique avec le facteur extralinguistique, afin de mettre en exergue la fonction de l’emprunt en tant que : a) marqueur socioculturel qui reflète les mutations de nature sociologique, historique, culturelle d’une communauté à un moment donné et b) indice d’univers mentalitaire ;

3) le raffinement de l’analyse étymologique afin de vérifier la pertinence du concept d’‹étymologie multiple› dans la lexicologie roumaine, avec une application directe aux emprunts provenant de plusieurs sources, y compris française, ou entrés par filière française.

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L’impact anticipé par ce projet se définit à plusieurs niveaux : - niveau théorique : faire une approche comparative (français-roumain)

élargie de la problématique sémantico-pragmatique des gallicismes du roumain dans plusieurs domaines conceptuels, sur les plans synchronique et diachronique ;

- niveau lexicographique : offrir aux lexicographes, auteurs de dictionnaires explicatifs ou de néologismes, des suggestions explicites ou implicites sur l’aspect chronologique, formel, sémantique des emprunts lexicaux, afin d’améliorer la qualité des futurs ouvrages lexicographiques ;

- niveau institutionnel : définir un instrument d’aide à la promotion d’une politique linguistique cohérente par les organismes de surveillance nationale de la langue roumaine ;

- niveau didactique : constituer une ressource pédagogique à l’intention des didacticiens, portant sur les ressemblances et les différences entre les deux langues sur le plan lexico-sémantique (avec application au vocabulaire d’emprunt) ;

- niveau culturel : proposer une importante ressource lexicologique pour les usagers de la langue, par des analyses détaillées sur les significations et les valences expressives des gallicismes du roumain, laquelle permettra une utilisation adéquate des mots dans leur contexte situationnel et linguistique.

4. ÉTUDE DE CAS : LA RECONFIGURATION SÉMANTIQUE DES

GALLICISMES APPARTENANT AU DOMAINE DU MOBILIER 4.1. Les micro-champs sémantiques formant le domaine conceptuel du

mobilier Dans le domaine conceptuel du mobilier nous avons identifié et analysé les

micro-champs sémantiques suivants : 1) le micro-champ sémantique des lexèmes marqués par le trait définitoire

[pour s’asseoir] (porteurs du sème générique « siège »), formé à son tour de deux sous-classes :

(i) sièges [pour une personne] : fr. chaise longue / roum. şezlong, fr. fauteuil / roum. fotoliu, fr. pouf / roum. puf, fr. strapontin / roum. strapontină, fr. tabouret / roum. taburet ;

(ii) sièges [pour plusieurs personnes] : fr. banc / roum. bancă, fr. banquette / roum. banchetă ;

2) le micro-champ lexical des meubles présentant l’archisémème [pour

dormir] : fr. canapé / roum. canapea, fr. sofa / roum. sofa, fr. ottomane / roum. otomană, fr. studio / roum. studio, fr. dormeuse / roum. dormeză, fr. sommier / roum. somieră ;

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3) le micro-champ des meubles de rangement, comportant deux sous-

classes : (i) lexèmes ayant comme archisémème le trait « petite armoire »: fr. buffet /

roum. bufet, fr. commode / roum. comodă, fr. servante / roum. servantă ; (ii) lexèmes ayant comme archisémème le trait « grande armoire » (meuble

de rangement pour vêtements) : fr. garde-robe / roum. garderob, garderobă et fr. chiffonnier / roum. şifonier.

L’analyse des micro-champs présentés supra s’est focalisée sur les aspects

suivants : (i) un bref aperçu de nature étymologique des gallicismes du domaine du

mobilier ; (ii) la description lexicographique des lexèmes qui appartiennent aux micro-

champs sémantiques faisant partie de ce domaine conceptuel ; (iii) la comparaison lexico-sémantique des gallicismes du roumain et de

leurs étymons ; (iv) la corrélation entre la description linguistique et la réalité

extralinguistique (par l’analyse de l’évolution des référents à travers le temps).

4.2. Aspects étymologiques Un bref regard sur l’étymologie des gallicismes du domaine du mobilier

attire d’emblée la remarque que les mots qui désignent les meubles ‹fondamentaux› : pat « lit », masă « table », scaun « chaise », dulap « armoire » ne sont pas des emprunts au français, mais des mots appartenant au fonds héréditaire (masă < lat. MENSA et scaun < lat. SCAMNUM), ou bien des mots représentant des emprunts plus anciens (pat, avec une origine obscure, peut-être du néogrec pàtos, mais on a proposé aussi une étymologie latine, et dulap, emprunté au turc dolap).

Les autres mots désignant des meubles sont, pour la plupart, des emprunts au français (à étymologie unique ou multiple).

L’étymologie unique est illustrée par des gallicismes comme : balansoar (< fr. balançoire), banchetă (< fr. banquette), bibliotecă (< fr. bibliothèque), birou (< fr. bureau), bufet (< fr. buffet), comodă (< fr. commode), dormeză (< fr. dormeuse), etajeră (< fr. étagère), fotoliu (< fr. fauteuil), gheridon (< fr. guéridon), puf (< fr. pouf), servantă (< fr. servante), somieră (< fr. sommier), şezlong (< fr. chaise longue), şifonier (< fr. chiffonnier), taburet (< fr. tabouret), vitrină (< fr. vitrine), etc.

Les cas d’étymologie multiple peuvent être illustrés par les gallicismes : canapé (< ngr. kanapés, fr. canapé, all. Kanapee), studio (< fr., angl. studio), sofa (< fr., tc. sofa), otomană (< fr. ottoman, lat. othomannus, it. ottomano, all.

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Ottomane), garderob (< fr. garde-robe, all. Garderobe), bancă (avec un étymologie multiple controversée liée à ses différentes acceptions : < fr. banc, it. banca, all. Bank), strapontină (< fr. strapontin, it. strapontino).

L’indication de l’origine des gallicismes du domaine envisagé permet de

faire les remarques suivantes : (i) la forte influence française (quantitative et qualitative) sur

l’enrichissement du vocabulaire du roumain, illustrée dans un domaine restreint, mais qui peut être extrapolée à l’ensemble du vocabulaire ;

(ii) tous ces lexèmes représentent des formations néologiques, entrés dans la langue depuis le début de la période de modernisation (fin du XVIIIe siècle) et se poursuivant jusqu’à nos jours ;

(iii) la réceptivité de la société et de la culture roumaines pour la modernisation et l’innovation, suite aux contacts avec différents espaces culturels.

4.3. Principales conclusions qui se sont dégagées à la suite de l’analyse

sémantico-pragmatique En envisageant, comparativement, les sens des étymons français, leur

transmission dans la langue réceptrice et les changements sémantiques qui caractérisent les gallicismes du roumain, nous avons retenu quelques aspects essentiels, à l’intérieur desquels se dessinent d’autres possibles remarques et autant de pistes à suivre.

4.3.1. Sélection des sémèmes de l’étymon Une première constatation : les mots d’origine française étant pour la plupart

polysémiques, le roumain en a emprunté l’acception fondamentale, celle de « pièce de mobilier », n’ayant pas pris les anciennes significations de l’étymon. Comme les exemples ci-dessous l’indiquent, il peut s’agir toutefois d’un certain type de meuble sorti d’usage à l’époque moderne, lorsque l’emprunt s’est produit.

C’est ainsi qu’on ne retrouve pas dans les sémèmes des gallicismes roumains les sens vieillis des étymons français, dans des cas tels que :

strapontin (vx). « petit siège que l’on met sur le devant ou aux portières d’un

carrosse » ; (mar.) «matelas placé sur une couchette de bord et maintenue par une

planche à coulisse et qui, serré le jour dans un caisson, était un lit d’appoint»

pouf (vx.) «bonnet de femme» (XVIIIe siècle); «coiffure de femme»

strapontin et pouf (vx.) « tournure qui faisait bouffer la jupe ou la robe »

banquette (vx.) «selle »

buffet (vx.) « table sur laquelle sont disposés la vaisselle, le pain et le vin servi au

repas »

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commode (vx.) « sorte de coiffure »

dormeuse (vx.) « chaise longue sur laquelle on peut s’étendre pour dormir », etc. Il résulte donc que la plupart des lexèmes du domaine analysé ont conservé

partiellement les sens de l’étymon. Comme le précise A. Thibault dans une étude consacrée aux gallicismes de l’espagnol, la sélection des sémèmes de l’étymon dépend entièrement du « cadre extra linguistique » (Thibault 2004, 104). Dans notre cas, le décalage temporel entre les acceptions des étymons (à partir de l’époque de leur attestation) et l’époque où se sont produits les emprunts représente le principal facteur extralinguistique ayant déterminé les différences dans la configuration sémantique des lexèmes dans les deux langues (prêteuse vs. réceptrice)3.

Ces gallicismes illustrent donc une certaine étape d’évolution de la société, les mots étant entrés en roumain avec leurs référents, par nécessité de dénomination, ce qui est un fait qui démontre le rôle de marqueur socioculturel des emprunts lexicaux.

4.3.2. Innovations sémantiques opérées en roumain À part la conservation du sens fondamental de l’étymon (« un certain type

de meuble »), on peut enregistrer pour les gallicismes du roumain de nombreuses innovations sémantiques ayant comme point de départ une signification de l’étymon français (v. 2.1.). Ces innovations se manifestent, comme déjà indiqué supra (v. 3.), à travers divers mécanismes : extensions analogiques et restrictions de sens, métaphorisations, passages métonymiques, glissements connotatifs, etc. Les quelques exemples qui suivent sont à même d’illustrer le caractère créatif du roumain en ce qui concerne l’adaptation sémantique des gallicismes du domaine conceptuel analysé.

C’est ainsi que le sens de « chambre polyfonctionnelle », vieilli en français actuel, ne se retrouve pas parmi les significations du roumain studio, qui a développé, en revanche, le sens de « divan placé habituellement dans un coin ou le long d’un mur, pourvu d’une caisse pour la literie et d’un panneau isolateur du côté du mur, avec des rayons et des niches pour les livres, les bibelots, etc. ». Il s’agit dans ce cas d’une extension sémantique réalisée par métonymie, à partir du sème « petit espace à plusieurs fonctions », d’où le mot roumain arrive à signifier « petit espace pour se reposer, dormir, lire » (en y ajoutant, comme fonctions auxiliaires, celle de ranger le linge, les livres, les bibelots). Nous croyons que c’est

3 Les référents eux-mêmes apparaissent plus tard dans l’espace civilisationnel roumain (jouissant de faveur en tant que meubles, parfois de style, surtout au cours du XIXe siècle ou dans la première moitié du XXe).

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un changement de paradigme, par une conceptualisation différente de l’espace, et donc d’une modification de la configuration de l’univers domestique, du macro au micro-espace4.

Un autre exemple est celui du gallicisme servantă qui a emprunté le sens de « meuble d’appoint servant de desserte » (sens abandonné d’ailleurs en français actuel), tout en développant la signification de « armoire où l’on garde la vaisselle, les couverts pour le service de la table » (cf. fr. buffet). Pour cette dernière acception nous n’avons pas trouvé d’attestation en français5.

Le couple fr. sommier / roum. somieră représente un autre cas d’innovation sémantique. Le mot sommier signifie « partie inférieure d’un lit, destinée à supporter le matelas et comportant un cadre muni de ressorts, de lamelles ou d’une matière souple ». Ce sens a connu une première extension métonymique dans le cas du roum. somieră : de « réseau élastique » on est passé à « tout type de cadre » qui soutient le matelas d’un lit. Avec le temps, une autre extension métonymique s’est produite, le mot désignant, dans la langue actuelle, non seulement une partie composante de l’objet (le cadre), mais le lit, dans son ensemble.

De même, un autre exemple nous est fourni par le couple fr. chiffonnier et roum. şifonier, qui désignent, dans les deux langues, des meubles de rangement (les objets en question ayant donc une même fonctionnalité). Cependant, ils ne recouvrent pas la même réalité : le fr. chiffonier renvoie à un meuble assez bas avec des tiroirs superposés, tandis que le roum. şifonier désigne un meuble grand, assez haut, avec des étagères, des tiroirs, des miroirs et avec plusieurs portes. Dans ce dernier cas, il est bien évident que le roumain a repris un sens vieilli en français actuel (« petit meuble à tiroirs superposés dans lequel on range de menus objets, tels que chiffons, travaux d'aiguille, papiers, bijoux, etc. ») et l’a développé par glissement métonymique dans une acception qui renvoie à un autre référent que celui de la langue source (« grande armoire où l’on garde les vêtements et le linge »).

4.3.3. Évolutions dans la sphère de la référence Les mots du domaine du mobilier ont connu dans les deux langues des

évolutions sémantiques significatives, parallèles aux modifications survenues dans la sphère de la référence. Ces objets de mobilier ont connu de grands changements

4 Cette innovation sémantique, mais qui repose sur un changement dans la sphère de la référence, dévoile un certain paradigme cognitif, traduisant une représentation de l’univers mentalitaire dans l’espace socioculturel roumain. 5 Si, en roumain, on continue à utiliser assez fréquemment servantă, le français utilise d’autres mots, qui sont apparus par métonymie pour désigner le contenant par le contenu, tels que vaisselier, lingère, etc.

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à travers le temps, sous l’effet de la mode et des nouvelles fonctions qui leur incombent.

Ainsi, un exemple très intéressant nous est offert par l’évolution du référent désigné par le couple de mots fr. chaise longue / roum. şezlong. Les gravures de l’époque (XVIIIe et XIXe siècles) présentent la chaise longue comme un meuble de salon assez somptueux, large et confortable, en bois et en étoffe, sur pieds et avec des annexes (appuie-tête, coussins, etc.). En passant par la chaise longue classique (un siège fixe ou pliant, consistant dans une toile fixée sur un cadre fixe en bois ou métallique et muni d’un appui pour les jambes), on arrive aux meubles modernes, qui sont loin de l’image prototypique que les locuteurs ont de cet objet, étant de conceptions bien diverses, avec des designs ergonomiques, ressemblant tantôt à des lits de plage, se voyant tantôt réduites à un simple cadre rabattable en métal ou en plastique.

On peut noter aussi l’évolution assez spectaculaire des objets nommés communément : fr. fauteuil / roum. fotoliu (notamment sur les sites de publicité), et pour lesquels les définitions lexicographiques courantes (« siège à dossier, généralement à bras, pour une personne, et dans lequel on est assis confortablement ») ne s’appliquent qu’avec grand-peine. Car à notre époque les fauteuils conçus par les designers contemporains ne ressemblant point à leurs ancêtres : vifs en couleurs, de formes bizarres (en œuf, en boule, en cocon, en coquille, etc.), il est difficile d’y reconnaître un fauteuil ‹standard›.

Le couple de mots fr. pouf / roum. puf (définis communément comme « gros coussins posés sur le sol ») désignent aujourd’hui un meuble moderne, en vogue surtout dans les chambres pour les adolescents, qui préfèrent ce type de siège pour sa commodité et sa fonctionnalité, pouvant servir de tabouret (pour une personne), de canapé (pour plusieurs personnes) ou de siège d’appoint. Les catalogues de mobilier offrent un grand choix de poufs de diverses formes (cylindriques, carrés), se présentant comme des matelas ou bien des coussins.

En bref, la plupart des lexèmes faisant partie du domaine conceptuel du mobilier enregistrent aujourd’hui, dans les deux langues, des extensions de sens, désignant des pièces de mobilier de différentes formes et dimensions, devenues des objets polyfonctionnels.

4.3.4. Confusions terminologiques

Le dernier aspect discuté (v. 4.3.3.) a des répercussions directes sur la terminologie utilisée pour désigner les référents (i.e. les différents types de meubles).

Par exemple, on y remarque une certaine liberté dans l’emploi des mots, visible surtout dans les catalogues de mobilier, où l’on retrouve des annonces du

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type : vând canapea extensibila (divan, somieră, studio6 « vends canapé extensible (divan, sommier, studio) ». Il est évident que par canapea y sont désignés divers types de meubles pour dormir, le mot fonctionnant donc ici comme une sorte d’archilexème pour toute la série des lexèmes du micro-champ des meubles pour dormir.

Dans le cas des meubles de rangement, du fait que tous les trois mots discutés (fr. buffet / roum. bufet, fr. commode / roum. comodă, fr. servante / roum. servantă) connaissent aujourd’hui des extensions de sens, désignant des pièces de meubles de différentes formes et dimensions, mais qui renvoient parfois aux mêmes référents, les termes arrivent à être employés d’une manière impropre, ce qui mène à des confusions entre les termes et les objets. C’est pourquoi les locuteurs préfèrent souvent utiliser, dans les deux langues, les mots génériques : fr. armoire / roum. dulap (armoire de cuisine / dulap de bucătărie, armoire de salles de bains / dulap de baie, etc.).

Dans la même direction s’inscrivent les mots fr. guéridon / roum. gheridon, désignant initialement une espèce de petite table ronde à un ou à trois pieds (de toute façon un meuble de luxe), qui arrivent à s’appliquer aujourd’hui à différents types de meubles ou objets se présentant sous des formes diverses, telles que tables roulantes, chariots, coffres à anses, etc. On retrouve des guéridons dans les unités de restauration, en tant que mobilier médical, ou même en tant que meuble de rangement. Toutes ces spécialisations rendent nécessaire la spécification guéridon standard pour désigner l’objet prototypique connu sous ce nom, autrement il serait difficile d’attacher l’étiquette de guéridon / gheridon à des objets qui ont si peu à voir avec la pièce initiale.

Il va de soi que ce fait, conduisant à de nombreuses confusions au niveau de la désignation des référents, impose la nécessité d’une vérification et d’une mise à jour des définitions lexicographiques, en vue d’une normalisation et d’une utilisation correcte de la terminologie du domaine analysé.

5. CONCLUSIONS Toutes les conclusions ponctuelles dégagées à la suite de l’analyse

sémantico-pragmatique des gallicismes faisant partie du domaine du mobilier convergent en premier lieu vers le postulat suivant : l’étude des gallicismes du roumain se dévoile en tant que domaine de recherche qui ne cesse pas d’ouvrir de nombreuses perspectives d’approche. Dans leur ensemble, ces gallicismes doivent être considérés comme une partie importante du patrimoine culturel de l’humanité, comme un élément définitoire de l’identité spirituelle européenne moderne

6 Voir http://mercador.ro/oferta/vand-canapea-extensibila-divan-somiera-studio-IDYAp1.html.

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(v. Reinheimer-Rîpeanu 2011). Dans ce contexte, le projet FROMISEM et sa variante actuelle, FROMISEM II, justifient pleinement leur utilité, à la fois scientifique, culturelle et didactique.

Il faut noter aussi le caractère ‹hospitalier› du roumain, souligné dans notre approche par le nombre élevé des gallicismes composant le domaine conceptuel du mobilier, aussi bien que par leur étymologie (par exemple, le contact avec d’autres civilisations, romanes et non-romanes, a favorisé lui aussi la pénétration des gallicismes du roumain à étymologie multiple).

D’autre part, il ne faut pas ignorer l’extraordinaire aptitude de ce système linguistique pour l’innovation sémantique, mise en œuvre par une large palette de mécanismes d’enrichissement lexical et / ou favorisée par l’évolution produite dans l’univers extralinguistique des référents, à travers le temps. On a constaté ainsi que les gallicismes ont une charge sémantique partielle par rapport à leur étymon, ce qui veut dire que les mots sont entrés en roumain avec une ou plusieurs significations en usage au moment du processus de l’emprunt. Ultérieurement, ils connaissent une évolution sémantique indépendante, ajoutant des sens supplémentaires à partir de leurs sèmes fondamentaux.

Ce dernier aspect relève donc le caractère polysémique d’un bon nombre de gallicismes. Ce fait, corroboré à son tour avec une certaine liberté enregistrée au niveau discursif, en fait une rupture entre le niveau lexical et le niveau discursif, conduit à de nombreuses confusions dans la désignation des référents, ce qui implique la nécessité d’une vérification et d’une mise à jour des définitions lexicographiques par une politique nationale normative et cohérente.

Comme l’enrichissement lexical du roumain est l’expression d’une volonté d’état de faire de la terminologie et de la néologie un instrument de sa politique linguistique, nous espérons que notre recherche aura un impact direct sur les organismes de surveillance linguistique qui mènent une activité pertinente pour recenser, créer, diffuser et implanter les néologismes.

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LES EMPRUNTS LEXICAUX ROUMAINS AU FRANÇAIS: APPROCHE LEXICOGRAPHIQUE ET SÉMANTIQUE DU VOCABULAIRE DE LA MODE

VESTIMENTAIRE1

1. INTRODUCTION 1.1. Ancrage historique À la fin du XVIIIe siècle et surtout à partir des années 1820-1830, la société

roumaine commence un ample et nécessaire processus de modernisation, qui se prolonge ensuite tout au long du XIXe siècle. À la recherche de leur propre identité, les Roumains deviennent d’autant plus conscients de leur origine latine et, pressés longtemps par le monde slave et balkanique, ils se dirigent finalement vers l’adoption des modèles (spirituels, sociaux, culturels) occidentaux, français, en tout premier lieu.

Au niveau linguistique, le contact (à distance) entre le roumain et le français a eu pour conséquence l’enrichissement et la modernisation, ainsi que la redéfinition de la physionomie néo-latine du roumain, dans l’aire de la romanité sud-est européenne. L’insertion des termes néologiques d’origine française dans le lexique roumain a été faite dans les zones les plus variées de l’activité humaine.

1.2. Les emprunts lexicaux roumains au français dans le vocabulaire de

la mode vestimentaire L’un des domaines de la vie socio-culturelle qui s’est enrichi et renouvelé à

partir de la fin du XVIIIe siècle par un grand nombre de néologismes d’origine française est celui de la mode2 vestimentaire, longtemps influencée par les modèles

1 Popescu, Mihaela, «Les emprunts lexicaux roumains au français: approche lexicographique et sémantique du vocabulaire de la mode vestimentaire » in Revue Roumaine de Linguistique, Numéro spécial dédié au / special issue for xxviie Congrès International de Linguistique et Philologie Romanes, Nancy, 2013, LVIII, 2, 2013, p. 153-168. 2 Le mot français mode (du latin MODUS, avec le changement du genre), au sens d’ « ensemble d’habitudes passagères, conformes au modèle esthétique reçu par la société à laquelle on appartient », dérivé, par extension métonymique, de la signification originaire

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byzantins et turcs. Ainsi, des mots tels que: alagea « espèce d’étoffe de toile rayée », biniş « habit long doublé de fourrure », cacom « habit en fourrure de hermine, porté par les voïvodes et par le boyards de premier rang », caftan « manteau blanc, orné, porté par les voïvodes et par le boyards », cauc « bonnet de fourrure haute et sphérique », ceacşiri « pantalons à la Turque », feregea « manteau léger porté l’été », fermenea « veste courte doublée de fourrure », gevrea « mouchoir en toile », giugiuman « bonnet de fourrure de zibeline », işlic « bonnet à la Turque », pambriu « espèce d’étoffe de laine », şamalagea « espèce d’étoffe de Démasque », zuf « espèce d’étoffe fine de laine », etc. (Groza 2004: 44), aujourd’hui des archaïsmes, complètement inusités à cause de la disparition des référents, démontrent-ils cet état de choses.

En revanche, une statistique faite sur le vocabulaire actuel de la mode vestimentaire (v. Iovănescu / Rădulescu 2000: 41) démontre que le nombre des lexèmes à étymologie française représente plus d’une centaine de termes, dont la plus grande majorité enregistre leur première attestation entre la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe siècle3. La langue illustre ainsi le dynamisme extraordinaire du phénomène socio-culturel de la mode vestimentaire, présent dans les Principautés Roumains à cette époque-là. Du point de vue typologique, dans la catégorie des termes dénommant des pièces de vêtements proprement dites, Iovănescu / Rădulescu (2000: 42) font distinguer: (i) des sous-vêtements: chiloţi « caleçons, culotte », combinezon « combinaison », furou « fourreau », jupă « jupon », maiou « maillot de corps », portjartier « porte-jarretelles », sutien « soutien-gorge » ; (ii) des pièces de vêtement qui revêtent la partie supérieure du corps: bluză « blouse », bustieră « bustier », corsaj « corsage », corset « corset », etolă « étole », jachetă « jaquette », troacar « trois-quarts », tunică « tunique », vestă « gilet » ; (iii) des pièces de vêtement qui revêtent la partie inférieure du corps: pantaloni «pantalons », colanţi « collants » ; (iv) des pièces de vêtement qui revêtent les deux parties du corps: capot « robe de chambre (pour femmes), peignoir », deux pièces « deux pièces », dezabié « robe d’intérieur, déshabillé », taior « costume tailleur » ; (v) des pièces de vêtement qu’on porte par-dessus d’autres: canadiană « canadienne, longue veste de peau – apud TLFi », impermeabil « (vêtement)

« manière de se comporter propre à un groupe social, une région, un pays » (TLFi) est d’ailleurs un emprunt panroman : roum. modă, it., esp., port. moda. 3 Il faut préciser que dans ce pourcentage ne sont pas intégrés les mots avec une existence éphémère dans le vocabulaire analysé, tels que: bertă, balaieuză, bavolet, ghimpă, tabliet, etc. (v. aussi Popescu, L. 2010).

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imperméable », mantou « manteau », palton « paletot », pardesiu « pardessus », pelerină « pèlerine ».

Pour compléter le panorama sur l’importance de l’influence française dans le domaine analysé, on cite encore quelques exemples, classifiés par Iovănescu / Rădulescu (2000: 42–43) de la manière suivante : – termes désignant des accessoires ou des chaussures: colerată « collerette », colier « collier », cravată « cravate », eşarfă « écharpe », fular « foulard », medalion (culisant, placat) « médaillon (coulissant, plaqué) », şal «châle» ; manşon « manchon » ; basc « (béret) basque », fişiu « fichu », melon « (chapeau) melon », tocă « toque » ; botină « bottine », escarpeni « escarpin », mocasini « mocassin », sanda « sandale », şosetă « chaussette », trotteuri « trotteurs » ; fermoar « fermoir », franjuri « franges », paiete « paillettes », pasmanterie « passementerie », paspoal « passepoil (liseré) » ;

– termes désignant des techniques de couture: bretele « bretelles », broderie « broderie », calotă « calotte », cambrat « cambré », decolteu « décolleté », drapaj « drapage », dublură « doublure », matlasat « matelassé », (guler) montant « col montant », pense « pinces », pliseuri « plissés », revere « revers », (rochie) midi, mini, maxi « (robe) mini, midi, maxi », tăiat în biais « coupé en biais », trenă « traîne » ; a deşira « (se) démailler », a mula « (se) mouler », a surfila « surfiler » ; – termes désignant des tissus et des fourrures: brocart « brocart, étoffe de soie, brochée d'or, d’argent – apud TLFi », catifea ecosez « velours écossais », crep-satin « crêpe satin », crep Georgette « crêpe Georgette, crêpe très fin et léger, en soie naturelle, artificielle ou synthétique – apud TLFi », (eşarfă din) dévoré de mătase « écharpe en dévoré de soie », fetru « feutre, étoffe non tissée, imperméable, obtenue en foulant et en agglutinant du poil ou de la laine - apud TLFi », (rochie) gofrată « (robe) gaufrée, dont le tissage fait apparaître une alternance de reliefs et de creux – apud TLFi », lamé « lamé, Qui est orné de fines lames (d'or, d'argent, etc.), qui est tissé avec des fils de métal ou de matière synthétique lui conférant un aspect scintillant – apud TLFi », jersé / jerseu « jersey », ottoman / otoman « tissu de soie, à trame de coton, à grosses côtes – apud TLFi », muselină « mousseline », organza « organza, organdi », pluş « peluche », satin « satin », satin duchesse « satin duchesse », şifon « chiffon », tafta « taffetas », tafta brocată « taffetas brochée », triplu voal « triple voile », tul « tulle », ţesătură satinată « tissu satiné » ; vizon « fourrure de vison ».

1.3. Démarche méthodologique Nous nous proposons de faire une analyse sémantique contrastive des

descriptions lexicographiques de trois unités lexicales appartenant au micro champ notionnel des pièces de vêtement: fr. blouse / roum. bluză, fr. veste / roum. vestă,

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fr. jupe / roum. jupă. Bien que tous ces lexèmes illustrent en roumain le même phénomène de conservation partielle4 des sens de l’étymon français, ils se distinguent pourtant sous plusieurs aspects que nous voulons mettre en évidence:

(a) conservation partielle des sens de l’étymon avec une ou plusieurs innovations sémantiques réalisées à l’intérieur de la langue roumaine, comme dans le cas du mot bluză;

(b) conservation du sens le plus souvent véhiculé dans la langue source au moment de l’emprunt, comme dans le cas du mot vestă;

(c) conservation de tous les sens de l’étymon français avec le maintien en roumain actuel uniquement d’une signification moins usuelle dans la langue source, comme dans le cas du mot jupă.

La démarche sémantique adoptée s’appuie premièrement sur l’analyse des traits sémiques considérés comme prototypiques dans la configuration du sémantème de chaque mot analysé, ce qui nous conduit à la distinction et à la désambiguïsation au niveau référentiel et, par voie de conséquence, au niveau de leurs dénominations d’un système linguistique à l’autre. En deuxième lieu, l’analyse sémantique sera étayée souvent par le recours à la pragmatique ou bien à la sociolinguistique, pour mieux corréler la description linguistique avec l’évolution des référents au fil du temps, étant donné que la mode est par elle même « un objet culturel autonome » (Barthes 1967: 227) avec une profonde visée sociologique:

« [...] un énoncé de Mode implique au moins deux systèmes d’information: un système proprement linguistique, qui est la langue (...), et un système « vestimentaire », selon lequel le vêtement (les imprimés, l’accessoire, la jupe plissée, une veste-brassière, etc.) signifie soit le monde (les Courses, le printemps, l’âge mur), soit la Mode. Ces deux systèmes ne sont pas séparés: le système vestimentaire semble pris en charge par le système linguistique » (Barthes 1967: 38). Par suite, pour ce qui est des traits communs et distinctifs pris en

considération pour l’analyse sémantique des unités lexicales dans les deux langues considérées, nous avons pris comme point de départ les taxinomies suivantes:

4 Une analyse sémantique des emprunts roumains au français effectuée dans le cadre du projet de recherche FROMISEM a fait ressortir la typologie suivante : (i) conservation – totale ou partielle – du sens / des sens de l’étymon français, parfois avec le maintien en roumain d’un sens aujourd’hui disparu en français (situation rencontrée dans le cas des mots appartenant à un domaine spécialisé, technique et scientifique); (ii) innovations sémantiques opérées en roumain, ayant comme point de départ une signification de l’étymon français. Ces innovations se manifestent à travers divers mécanismes sémantiques: extensions analogiques et restrictions de sens, métaphorisations, passages métonymiques, glissements connotatifs, etc. (v. Iliescu et al. 2010: 593).

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1. LA CONFIGURATION: Forme: [+large] ou [+étroite] ou bien [+légère] ou [+grosse], etc.; Dimension: [+longue] ou [+courte] ou [+moyenne]; Substance / Matière: [+lin] et / ou [+toile] et / ou [+tissu], etc. ou bien [+opaque] ou [+transparente], etc.; Modèle: [±ornements (boutons et / ou manches (longues / courtes) et / ou col (large / petit)]; 2. LA LOCALISATION: [+partie supérieure du corps] et / ou [+partie inférieure du corps]; [+dessus] ou [+dessous]; 3. LE GENRE DE L’USAGER: [+masculin] et / ou [+féminin]; 4. LA DESTINATION: [+objet de mode] et / ou [+costume] et / ou [+vêtement]. Enfin, pour la description lexicographique que nous proposons, les sens

français sont donnés, en général, d’après le TLFi, complété avec les dictionnaires GRLF, GLLF et le Littré; les sens roumains, d’après le DA / DLR, le DEX, le DLRC et le DN5 (v. la bibliographie).

2. ANALYSE LEXICO-SÉMANTIQUE DU CORPUS 2.1. fr. blouse / roum. bluză

L’examen contrastif, à partir de la description lexicographique présentée infra, des significations du mot français blouse et de celles du mot roumain bluză, qui en provient6, met en évidence le phénomène de conservation partielle des sens de l’étymon avec deux autres développements connotatifs réalisés à l’intérieur de la langue roumaine:

blouse, s.f. 1. vêtement de grosse toile en forme de chemise porté autrefois dans leur travail quotidien par les gens de la campagne, les ouvriers, les marchands, etc.; 2. vêtement de toile ou de tissu plus léger, taillé comme une blouse, et qui sert, dans certains métiers, à protéger les autres vêtements. Par métonymie: personne revêtue d'une blouse; paysan, ouvrier. Par extension: sorte de corsage féminin à manches, flou et boutonné7.

5 Pour diverses précisions sur les emplois actuels, nous avons utilisé aussi les sites Internet. 6 Les ouvrages lexicographiques roumains sont unanimes à indiquer pour étymon du roumain bluză, le mot français blouse. Seul le NDU indique une étymologie multiple: « le roum. bluză provient du. fr. blouse, allm. Bluse ». 7 Les sens indiqués représentent un résumé des descriptions lexicographiques données par le TLFi.

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bluză, s.f. 1. pièce de vêtement pour la partie supérieure du corps, longue jusqu’à la taille, souvent à manches, taillée comme une chemise et portée par les femmes; 2. vêtement de tissu plus léger qui sert, dans certains métiers, à protéger les autres vêtements; 3. vêtement de tissu porté l’été par les soldats au lieu du veston8.

Selon le TLFi, le mot français blouse a une étymologie obscure: d’une part, l’hypothèse proposée par le FEW (tome 21 : 518) à partir de l’étymon *blaude (mot d’origine germanique au sens de « vêtement de grosse toile porté surtout par les charretiers »)9 serait satisfaisante uniquement du point de vue sémantique et moins opérante du point de vue formel, car le changement du -d- en -z- reste difficile à expliquer (v. TLFi) ; d’autre part, le rapprochement formel du toponyme Péluse (lat. PELUSIUM, apud TLFi) ne pourrait lui non plus justifier les mécanismes cognitifs de l’antonomase, car « cette ville avait changé du nom avant le Moyen Âge et l’industrie textile ne paraît pas avoir été une de ses activités » (TLFi). Enfin, ni l’hypothèse qui prend en charge l’héritage du latin BULLOSA « bouffant » n’a pas fait fortune dans les ouvrages lexicographiques, car seul le GLLF avance un tel point de vue.

Le mot est attesté en français dès 1788 avec le sens originaire de « vêtement ample des paysans ». Jusqu’en 1822, il a ajouté le sens secondaire de « vêtement taillé comme une blouse paysanne qui sert à protéger les autres vêtements », puis il a évolué vers l’acception plus spécialisée de « sorte de corsage de mode tout actuelle » et plus tard, entre 1858-1866, il a reçu, par métonymie, la signification de « personne revêtue d’une blouse; paysan, ouvrier ».

Les premiers sens (v. supra 1 et 2) de blouse, tous les deux reliés par le sème [+étiquette d’une « situation mentale »] attestent donc le passage de l’idée de VÊTEMENT à celle de COSTUME, dans le sens proposé par Gogibu (2008):

« Le costume traduit et / ou correspond à une situation mentale (croyances, coutumes, situation sociale, sens de l’esthétique). [...], on pourrait dire que le vêtement est organique et le costume fonctionnel, l’altération du vêtement (abîmé ou incomplet) ayant une incidence sur sa praticité, celle du costume (inadapté à une situation donnée) sur sa fonction » (Gogibu, 2008).

Plus précisément, la blouse, qui particularise initialement le costume des charretiers et ensuite celui des paysans, a, dès le début, une fonction symbolique identitaire. En plus, tout en servant à protéger les différents « corps de métier » dans leur travail quotidien, ce type de vêtement léger acquiert à travers le temps

8 Les sens indiqués représentent un résumé des descriptions lexicographiques données par le DEX, le DN et le MDN. 9 L’étymon *blaude se trouverait à l’origine de plusieurs variantes dialectales du fr. blouse (Littré).

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une destination précise et devient un indice distinctif au niveau socio-professionnel. Comme la première acception semble être vieillie en français moderne (la séquence « portée autrefois » indique la disparition du référent, vers la fin du XIXe siècle), dans son acception secondaire, la blouse devient un synonyme partiel de bourgeron, sarrau, souquenille, tablier, cotte, bleu (v. PRob). Mais, cette fois-ci il n’y a aucune connotation négative et aucune spécification sur la nature du travail effectué par ceux qui la portaient. Ce rapport d’équivalence devient visible dans des expressions très usuelles, telles que: blouse d’écolier, blouse de peintre, blouse de mécanicien, blouse de laboratoire, blouse d’artiste, blouse de chirurgien (blouse de médecin ou blouse stérile), blouse de ménagère ou, tout simplement, blouse de travail. Il y a pourtant deux locutions blouse-robe « une robe courte de maison », respectivement, blouse-tablier « une sorte de robe de maison longue », où le mot blouse semble garder son sens originaire lié au monde rural.

À partir de cette acception secondaire et par le renforcement de l’idée d’ « indice », d’ « étiquette », la métonymie se produit: les blouses représentent « les ouvriers » ou bien « le peuple », tandis que les blouses blanches indiquent une catégorie socio-professionnelle précise, « les médecins ».

Il est important pour notre démarche contrastive d’observer qu’aucun élément métalinguistique (des définitions présentées supra) n’indique la longueur du vêtement, plus précisément s’il recouvre tout le corps ou seulement la partie supérieure. Le GLLF mentionne pourtant que, dans l’acception secondaire du mot, il s’agit d’un type de « vêtement long ». Pourtant, le référent est défini de manière implicite ou explicite par les traits suivants :

– la configuration: Forme: large en taille / au bas; Substance: toile, tissu ou cotonnade, c’est-à-dire des matériaux légers qui trahissent le confort pour un travail plus ou moins difficile;

– le genre de l’usager: plutôt masculin; – la destination: différents corps de travail. C’est justement sa fonctionnalité et, par la suite, « sa popularité » qui

détermineront au fil du temps le raffinement esthétique de la blouse, comme objet de mode féminine. Une nouvelle extension métonymique conduit à l’acception « sorte de corsage féminin à manches, flou et boutonné » qui se superpose partiellement sur la signification des mots chemisier, chemisette, corsage, guimpe. Le nouveau référent maintient la caractéristique ‘léger’ (y compris la finesse des matériaux) et la fermeture à boutons, mais il change le genre de l’usager et la dimension.

En conclusion, l’histoire du sens du lexème blouse résume trois paradigmes dans l’évolution même de la civilisation française: la dimension identitaire (dans la première acception, aujourd’hui vieillie), la dimension fonctionnelle, pragmatique (dans la signification secondaire, la plus courante dans la langue actuelle) et

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finalement la dimension artistique, propre à la mode féminine (dans le sens dérivé par extension métonymique, aujourd’hui plus ou moins technique et moins fréquent que l’acception secondaire).

En roumain, le mot bluză est attesté par les ouvrages lexicographiques (v. le RDW) dès 1823, premièrement avec la troisième acception du correspondant français, celle de « pièce de vêtement pour la partie supérieure du corps, longue jusqu’à la taille, souvent à manches, taillée comme une chemise et portée par les femmes » qui est, d’ailleurs, la signification la plus courante de nos jours.

En plus, en roumain moderne, ce mot ne désigne pas seulement un certain type de « corsage féminin, flou et boutonné », mais aussi toute une série de pièces de vêtement qui couvrent la partie supérieure du corps des femmes ou des hommes. Un tel objet peut être boutonné ou non, avec ou sans manches (longues ou courtes) et fabriqué des matériaux extrêmement variés: lin, laine, tissu, toile, coton, etc. Par conséquent, à côté de la signification principale de « corsage féminin, flou et boutonné », le mot bluză devient en roumain actuel un hyperonyme de cămaşă « chemise », helancă, pulover, flanel(ă) (subţire), bluzon ou tricou, désignant « toute espèce de pièce de vêtement légère pour la partie supérieure du corps », comme dans les exemples suivants: Bluza de polar nu trebuie să lipsească din nici un rucsac. E mult mai bună decât un pulover. (www.viajoa.ro/sfaturi-si-idei/ghidul-calatorului-lista-de-echipamente-de-munte-si-magazine-de-profil/) « Le polo ne doit pas manquer du sac à dos. Il est meilleur qu’un pull. » ou bien Pe mine port aşa:tricou sau bluză de corp sintetică, ca strat de bază.... (http://www.viajoa.ro/sfaturi-si-idei/ghidul-calatorului-lista-de-echipamente-de-munte-si-magazine-de-profil/) « Je mets d’habitude: un T-shirt ou maillot de corps synthétique…».

Dans ce cas, à la différence de son étymon français qui désigne un vêtement de mode féminine, le mot roumain semble traduire, dans la langue contemporaine, plutôt l’idée de VÊTEMENT. Si au niveau conceptuel, on pourrait donc parler d’une régression, au niveau linguistique la relation métonymique engendre un nouveau sens pas encore attesté par les ouvrages lexicographiques consultés.

Mais, à l’époque où l’emprunt s’est produit, le mot roumain bluză avait uniquement le sens spécialisé, appartenant exclusivement au domaine de la mode vestimentaire féminine qui, longtemps influencée par les modèles orientaux et byzantins, se trouvait au début du XIXe siècle dans une étape d’imitation accrue des créations vestimentaires occidentales. C’est pour cela que le mot bluză s’imposera en roumain justement avec l’acception que son correspondent français véhiculait à ce moment-là et qui désignait un référent nouveau pour l’espace socio-culturel d’adoption.

La définition lexicographique donnée en 1913 par le DLR – un ouvrage quasi contemporain avec l’époque de l’attestation de l’emprunt, n’est pas manquée

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d’intérêt: « petit vêtement de tissu, de laine, etc. en forme de iie, porté par les femmes » (tome I, 1ère partie). Premièrement, cette définition démontre la manière d’assimilation du concept dans l’espace socio-culturel roumain par la comparaison et la catégorisation du nouvel référent par rapport aux éléments propres, identitaires, dans notre cas, l’ie (du lat. [VESTIS] LINEA, selon le DEX) « une sorte de blouse féminine spécifique pour le costume populaire national [... ] »10. En même temps, cette définition indique implicitement la raison pour laquelle la première acception du mot français, celle de « vêtement ample des paysans », n’a pas été reprise par le roumain bluză: l’ie représente l’étiquette identitaire roumaine, un symbole fortement fixé dans le mental collectif qui caractérisait surtout le monde rural, beaucoup plus conservateur. Or, bluză était un objet tout à fait nouveau, spécifique du monde urbain.

Le passage graduel du lexème bluză au sens de VÊTEMENT prend en charge en tout premier lieu certaines modifications opérées au niveau du trait [+protection], une caractéristique qui se retrouve aussi dans les deux autres acceptions du mot roumain (v. supra 2 et 3), plus récentes et moins fréquentes dans la langue actuelle.

Ainsi, le second sens (v. supra (2) dans la description lexicographique), celui de « vêtement de tissu plus léger qui sert, dans certains métiers, à protéger les autres vêtements », attesté dès 1907 (v. Goicu-Cealmof, 2008: 18), est aujourd’hui assez rarement employé, étant remplacé par le mot halat (du bulg., russ. halat, apud DEX), un terme qui décrit mieux l’objet de la réalité extralinguistique: la blouse s’était fixée dans le mental collectif comme un vêtement caractérisé par le trait [+court] ou [+jusqu’à la taille]; or, dans l’espace socio-culturel roumain, ces pièces de vêtement de protection sont le plus souvent de dimension moyenne ou plutôt longue. Aussi, dans des syntagmes du type: bluză de casă, bluză de şcoală, bluză de serviciu ou bien bluză de pijama, bluză de salopetă, bluză de trening, le mot roumain traduit plutôt l’idée de « vêtement pour la partie supérieure du corps, destiné à accomplir une action en cours » et en second lieu le concept de « protection proprement dite » qui, lui seul, aurait pu accorder à l’objet désigné le statut d’indice socio-professionnel.

Toutefois, il faut préciser qu’une telle valeur fonctionnelle du lexème bluză aurait existé au début du XXe siècle, car le DLR atteste l’existence du mot bluzar (une création autochtone éphémère avec le suffixe nominal agentif -ar à partir de la base bluză) qui a le sens métonymique d’ « ouvrier » (enregistré supra pour le français blouse), comme dans l’énoncé suivant appartenant à Alexandru Odobescu: [Lulea] de pământ, din care fumează bluzarul şi studentul francez (apud DLR I,

10 Voir le célèbre tableau d’Henri Matisse intitulé « La blouse roumaine » où la blouse traduit en fait le roumain ie.

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1ère partie). « [Une pipe] de terre, par laquelle fument la blouse et l’étudiant français ».

Enfin, la troisième signification, (v. supra (3) dans la description lexicographique) celle de « vêtement de tissu porté l’été par les soldats au lieu du veston », une acception technique appartenant au domaine militaire et attesté dès 1913 (v. Goicu-Cealmof, 2008: 18), démontre la même atténuation du trait [+protection] au profit de la caractéristique [+légèreté]: tout en remplaçant pendant l’été d’autres vêtements plus chauds, tels que: le veston (du fr. veston, selon le DEX) ou la tunică (du fr. tunique, lat. TUNICA, apud DEX), bluză acquiert en fait le sens d’ « espèce de vêtement léger pour la partie supérieure du corps », comme dans l’exemple suivant: Sanitarilor, în loc de tunică, li s-au dat bluze de postav. (apud DLR I, 1ère partie). « Au lieu de la tunique, les soldats sanitaires ont reçu des blouses de drap ».

En conclusion, le roumain bluză connaît une évolution sémantique inverse (v. infra le schéma) à celui de son étymon français:

Fr. BLOUSE

VÊTEMENT (IDENTITARE) ― VÊTEMENT DE PROTECTION [costume] ―

OBJET DE MODE

Roum. BLUZĂ

OBJET DE MODE ― VÊTEMENT DE PROTECTION [costume] ―

VÊTEMENT

À partir du sens qui encode initialement la valeur esthétique de son étymon français, le mot bluză a développé en roumain moderne la signification (pas encore lexicalisée) de « tout espèce de vêtement léger pour la partie supérieure du corps » à laquelle on est arrivé par la modification du trait sémique [+protection], spécifique aussi bien pour la deuxième acception empruntée au français blouse, que pour le troisième sens, créé, par extension métonymique, à l’intérieur de la langue roumaine.

2.2. fr. veste / roum. vestă L’analyse lexico-sémantique du couple (fr.) veste / (roum.) vestă exemplifie

sur la base des données lexicographiques présentées en abrégé infra, une situation de conservation dans la langue cible du sens le plus souvent véhiculé au moment de l’emprunt dans la langue source:

veste, s. f., 1. vêtement à quatre pans, muni d’une poche de chaque côté, qui couvre le corps jusqu’à mi-cuisse, avec ou sans manches, boutonné sur le devant et qui se porte sous l’habit; 2. veste courte portée par les sans-culottes pendant la Révolution.

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Loc. fig.: Retenir qqn par le(s) pan(s) de la/sa veste. empêcher, in extremis, quelqu’un de s’en aller. 3. vêtement long que les Orientaux portent sous la robe; 4. vêtement court s’arrêtant à la taille ou couvrant les hanches, à manches longues, boutonné sur le devant: Veste chemise: veste d’été en tissu léger destinée à être portée à même la peau; Veste d'intérieur, d'appartement, de chambre: vêtement croisé ou boutonné sur le devant utilisé comme une robe de chambre; Veste de pyjama: partie supérieure d'un pyjama, à manches longues ou courtes. 5. Familier: échec.11 vestă, s. f., 1. pièce de vêtement, courte, jusqu’à la taille, d’habitude sans manches et sans col, portée par les hommes sous l’habit et par les femmes au-dessus de la blouse (apud DEX). Le mot français veste, un emprunt à l’italien veste (du lat. VESTIS, apud

TLFi) au sens de « vêtement, élément de habillement », a une histoire à rebours de celle rencontrée auparavant dans le cas du mot blouse. Si pour ce dernier cas de figure (v. supra les commentaires) on a observé un trajet du type VÊTEMENT – COSTUME, ou, en d’autres termes, l’évolution d’un référent à valeur fonctionnelle vers un objet à valeur purement vestimentaire, dans le cas du mot veste on va constater un parcours inverse, semblable en quelque sorte, à celui enregistré par le roumain bluză. Plus exactement, le sémantème du lexème veste se constitue à partir de la signification d’un objet de mode [+costume] vers le sens d’un référent à valeur fonctionnelle [+vêtement].

Ainsi, la première acception, celle de « vêtement à quatre pans descendant jusqu’aux genoux et se portant sous l’habit », attestée dès 1578, traduit la valeur purement vestimentaire du référent: une pièce de vêtement, initialement longue, à manches facultatives, d’inspiration orientale (v. vestes à la persane (1671) ou veste à la Turque – au XIXe siècle).

En tant que « manière d’habillement », la veste a reflété à travers le temps les diverses modes d’esprit, se superposant au dolman, à l’hoqueton ou à la soubreveste: « D’abord [...] longue et droite, à peine plus courte que le justaucorps; puis, sous Louis XV se raccourcissant petit à petit » (Leloir 1961, apud TLFi). Et la conséquence définitive de toutes ces modifications va apparaître en 1835 lorsque le gilet « remplacera » la veste: « les pans de la veste se raccourcissent, les manches facultatives disparaissent complètement et la forme de la veste se rapproche à celle de gilet » (TLFi).

Pendant la Révolution, ce type de vêtement de courte dimension acquiert pour la première fois le statut d’indice social car il est devenu ces jours-là le costume d’une certaine catégorie de révolutionnaires issue de la partie modeste et

11 Les sens indiqués représentent un résumé des descriptions lexicographiques données par le TLFi.

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laborieuse du peuple, les sans-culottes. Cette valeur fonctionnelle du référent se développera au fil du temps et elle sera explicitée plus tard, en 1820, lorsque l’Observateur des modes (15 juin, VI, p. 120 apud TLFi) note que: « La veste nouvelle [...] est proprement dite de manège; cependant elle n’est pas moins portée dans la chambre, à la chasse, à cheval, à la promenade jusqu’à deux heures ».

À partir de cette époque-là, la veste devient l’indice d’une certaine activité et, par conséquent, d’une certaine catégorie socio-professionnelle. Du point de vue sémantique, la veste se charge des sèmes supplémentaires suivants: [+action], [+protection]. Ainsi, l’expression ramasser / remporter une veste, attestée dès 1866, justifie-t-elle son sens d’ « échouer dans une entreprise; se faire siffler [au théâtre] » (TLFi) à partir de l’idée intrinsèque d’ « action » colportée par le mot veste. De même, dans sa deuxième acception fondamentale, la plus usuelle dans la langue actuelle, veste désigne une espèce de vêtement court, à manches longues, boutonné sur le devant, donc un VÊTEMENT, c’est-à-dire un objet à valeur plutôt fonctionnelle qui correspond à la signification actuelle du mot roumain bluză: veste de cuisinier, veste de garçon de café, veste de groom, veste de militaire, veste de travail, veste de chasse, veste de sport, veste de voyage, veste d’intérieur (d’appartement ou de chambre) ou bien veste de pyjama.

En conclusion, le sémantème du lexème veste traduit: – un objet de vêtement initialement autonome (de forme longue, avec ou

sans manches, boutonné sur le devant), plus tard semblable au gilet (de forme courte, sans manches et toujours boutonné sur le devant) et

– un objet de vêtement fonctionnel, pratique, semblable à la blouse (de forme courte, généralement à manches longues, boutonné sur le devant, habillée dans certains métiers, activités).

De tous les sens de l’étymon français12, le roumain en a emprunté, sous la forme vestă, uniquement le premier, celui de pièce de vêtement proprement dit. Et comme le correspondant roumain est attesté assez tard, à peine en 1910 (v. Goicu-Cealmof, 2008: 23), la forme du référent vestă est, en fait, celle du français gilet: toujours « courte, jusqu’à la taille, sans manches et sans col, portée par les hommes sous l’habit et par les femmes au-dessus de la blouse » (DEX).

Il faut pourtant rappeler que dans le fonds néologique du roumain il y avait déjà deux autres mots, jiletcă (du russ., bulg. žiletka, apud CDER) et lăibăr (de l’allm. transilv. leibel apud CDER), pour désigner le même référent. Dans cette

12 Les définitions étymologiques présentées par les ouvrages lexicographiques roumains dans le cas du mot vestă ne sont pas convergentes. Tandis que le DEX et le MDN considèrent pour étymon uniquement le mot français veste, le NODEX et le DLR indiquent une étymologie multiple: « le roum. vestă provient de l’allm. Weste, fr. veste ». Le DN définit l’origine du mot roumain vestă toujours par l’appel à l’étymologie multiple, mais choisit pour étymons le fr. veste et l’it. vesta.

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situation, le roumain vestă, un néologisme occidental, s’imposera dans la langue moderne comme terme littéraire, tandis que les deux autres lexèmes occuperont la position des variantes dialectales. Cela est dû tout d’abord au phonétisme, plus simple dans le cas du mot vestă, et deuxièmement au raffinement esthétique de l’objet désigné initialement dans la langue source.

Cependant, il faut signaler qu’au-delà de la fonction purement vestimentaire, le mot roumain vestă a acquis les dernières décennies la signification d’ « objet d’habillement à valeur fonctionnelle » (traduisant d’habitude une activité de protection, de sécurité), comme le démontrent les syntagmes suivants: vestă antiglonţ, vestă reflectorizantă, vestă tactică, vestă militară, vestă de jandarmi, vestă de asalt, vestă de salvare, vestă outdoor, vestă airsoft, vestă multicam.

En conclusion, le mot français veste exprime – comme on l’a déjà précisé – le passage de l’idée de COSTUME à celle de VÊTEMENT. La première acception, celle de COSTUME, sera initialement reprise par le correspondant roumain vestă, mais uniquement au sens du français gilet. Ultérieurement, par des calques totaux, en roumain apparaît aussi la signification de « vêtement de protection », pas encore attestée dans les ouvrages lexicographiques consultés.

2.3. fr. jupe / roum. jupă Certains emprunts roumains au français se caractérisent par la conservation

initiale de tous les sens de l’étymon, avec le maintien dans la langue actuelle d’une signification moins usuelle, vieillie ou même disparue dans la langue source. Un tel exemple est illustré par l’analyse lexico-sémantique du mot français jupe et de son correspondant roumain jupă, à partir des définitions lexicographiques suivantes:

jupe, s. f. 1. robe de dessous à l'usage des femmes, formée de deux pièces, le corps de jupe ou corsage, et le bas de jupe, allant de la taille aux pieds et généralement visible; 2. a. vêtement féminin de dessus, qui descend de la taille vers les pieds, plus ou moins bas selon la mode. b. (Vieilli, au pluriel): ensemble formé par la jupe de dessus et un ou plusieurs jupons. c. (Couture): partie inférieure de la robe, à partir de la ceinture. 3. (Vieilli) vêtement analogue porté par les hommes dans certains pays; 4. (Par métonymie, familier, vieilli): une / la femme, une / la fille; 5. (Technologie): partie latérale d'un piston qui s'adapte à la paroi interne du cylindre; 6. (Technologie): carénage de tôle, aérodynamique, de la partie inférieure d'une locomotive ou d'un wagon; 7. (Technologie): cylindre flottant de matière souple qui enferme le coussin d’air permettant le fonctionnement d'un aéroglisseur13.

13 Les sens indiqués représentent un résumé des descriptions lexicographiques données par le TLFi.

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jupă, s. f. 1. jupe; 2. une espèce de jupe mise d’habitude au-dessous d’une robe ou d’une autre jupe; 3. (Technologie): partie cylindrique d’un réservoir d’emmagasinage; 4. (Aéronautique): élément de la structure d’un engin spatial qui sert à raccorder deux étages successifs; 5. (Mécanique): partie latérale d'un piston qui assure le guidage à l’intérieur d’un cylindre14. Le mot français jupe, tout comme veste, est lui aussi un emprunt à l’italien

méridional giubba (v. TLFi) dont le sens de « veste d’homme ou de femme d’origine orientale » (TLFi) renvoie à un tiers espace socio-culturel de provenance, plus précisément au monde arabe où par ğubba [djoubba] on désignait une espèce de « veste de dessous » (TLFi).

En tant que pièce de vêtement, la jupe a deux significations fondamentales, différenciées par le trait [±visibilité]. Ainsi, l’acception la plus usuelle dans la langue actuelle, attestée dès 1603, de « vêtement féminin de dessus, qui descend de la taille vers les pieds, plus ou moins bas selon la mode » renvoie, par le placement dessus, à un référent appartenant au domaine de mode proprement dite qui a subi à travers le temps beaucoup de modifications: jupe droite, jupe froncée; jupe à godets, jupe à lés, jupe à plis (jupe plissée), jupe à volants; jupe écossaise; jupe portefeuille; mini-jupe; jupe de tennis, etc.

Au contraire, l’autre acception, celle de « robe de dessous à l'usage des femmes, formée de deux pièces, le corps de jupe ou corsage, et le bas de jupe, allant de la taille aux pieds et généralement visible » traduit, par le positionnement dessous, un référent à valeur fonctionnelle, dérivée de l’idée de [+protection], un sème fondamental, comme on l’a vu supra, pour l’étymon arabe: cette fois-ci il ne s’agit plus d’un objet proprement dit de la mode vestimentaire, mais plutôt d’un accessoire dont la fonction primaire est celle de faire protéger et de couvrir le corps humain contre les caprices météorologiques de toutes sortes ou bien contre les regards licencieux. Par cette dernière acception, attestée dès 1690, la jupe remplace le cotillon « une jupe de dessous particulièrement chez les femmes du peuple et les paysannes » (TLFi) et s’impose dans la langue comme un terme technique appartenant au vocabulaire spécialisé de la mode vestimentaire.

Mais, pour désambiguïser au niveau de l’expression cette dichotomie conceptuelle: [OBJET DE VÊTEMENT] vs. [ACCESSOIRE] – deux notions fondamentales pour le domaine analysé, le français a créé par dérivation avec le suffixe -on, le diminutif jupon (attesté aussi dès 1690) pour désigner une sorte de « jupe de dessous, le plus souvent aujourd'hui en tissu de lingerie, portée par les femmes » (TLFi). Il y a pourtant une nuance subtile qui différencie l’accessoire jupe de l’accessoire jupon: la jupe garde encore une petite partie de sa fonction

14 Les deux premiers sens sont indiqués par le DEX, tandis que les sens techniques sont enregistrés dans le MDN.

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d’objet de vêtement, car elle est « généralement visible » dans la partie inférieure, tout en dépassant en longueur la pièce de vêtement de dessus, tandis que le jupon a une fonction purement pratique, tout en servant à soutenir ou à déterminer le contour d’une jupe ou d’une robe. D’ailleurs, cette valeur pure d’accessoire du jupon est aussi mise en évidence par la nature des matériaux dont on fabrique un tel objet, « généralement un tissu de lingerie » (v. TLFi).

Le roumain atteste l’emprunt au français sous la forme jupă dès 1771 (DLR, tome II, 2ème partie), initialement avec la première acception du correspondant français, celle de « pièce de vêtement de dessus, qui descend de la taille vers les pieds ». Ce sens s’enregistre encore au début du XIXe siècle dans les différentes publications « de spécialité » ou chez certains auteurs francophiles, comme dans l’exemple suivant de Mateiu Caragiale: O doamnă înaltă, cu o bluză şi cu jupă. (apud DLRC, 1956: vol. 2) « Une dame à grande taille, avec une blouse et une jupe ».

Mais avec cette première acception, la plus usuelle d’ailleurs pour l’étymon français, le mot jupă ne réussira pas à se fixer dans la langue roumaine contemporaine, probablement parce que les éléments de nouveauté du référent n’étaient pas du tout frappants par rapport à l’objet généralement désigné en roumain par le mot fustă (du néogr. fústa, attesté dès 1829 apud RDW) ou, au milieu rural, par foaie (pl. foi) (du lat. FOLIA, v. le DEX). Voilà pourquoi en 1937 le DLR définit le mot jupă comme « un franţuzism vechiu pătrus şi la ţară » (trad.: mot français vieilli adopté aussi à la campagne), pour qu’en 1956, le DLRC le considère déjà « un franţuzism, ieşit din uz » (trad.: mot français vieilli).

Il y a pourtant en roumain des syntagmes assez usuels, tels que: modă mini-jupe « mode mini-jupe », stil mini-jupe « style mini-jupe » ou bien (dans la langue moins soignée) même fustă mini-jupe « jupe mini-jupe », où le mot français garde la signification de « pièce de vêtement de dessus, extrêmement courte » (v. aussi Iovănescu / Rădulescu 2000: 44). De tels syntagmes se sont imposés en roumain (le plus souvent avec la graphie de la langue source) justement à cause de la modification radicale d’un trait fondamental du référent: la réduction considérable de la longueur de cette nouvelle pièce de vêtement est vraiment un élément qui a fait attirer l’attention et bouleverser le mental collectif.

En revanche, si la première acception du mot français est sentie comme vieillie en roumain actuel, la signification de « jupe habillée d’habitude au-dessous d’une robe ou d’une autre jupe » est aujourd’hui le sens le plus fréquent dans l’espace socio-culturel d’adoption. On a toute raison de croire qu’il s’agit d’un sens assez récent15, car ni le DLR (1937), ni le DLRC (1957) ne le mentionnent. En revanche, le premier ouvrage lexicographique ajoute comme diminutif (avec la

15 Le RDW ne mentionne pas le mot jupă.

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remarque: vieilli) le mot jupon (du fr. jupon), attesté dès 1937 (v. Goicu-Cealmof, 2008: 23) et dont le sens coïncide avec la deuxième acception du mot jupă. Bien qu’au début du XIXe siècle, au niveau référentiel, jupă et jupon se soient distingués par le trait [±visibilité], tout comme le couple correspondant du français, dans la langue roumaine moderne et contemporaine, les deux mots désignent la même réalité extralinguistique, devenant ainsi des synonymes parfaits. Dans la langue actuelle, le mot roumain jupon a perdu donc sa signification diminutive originaire et a contribué à faire enraciner la deuxième acception du mot jupă en tant que signification principale, justement par l’approfondissement des traits prototypiques [+protection], [+doublure].

D’ailleurs, on retrouve les mêmes traits sémiques [+protection] et [±doublure] pour le mot roumain giubea (un emprunt au turc cüppe selon le CDER) au sens de « habit long et large de drap (fin), le plus souvent doublé de fourrure, porté autrefois par les boyards roumains » qui représente le doublet étymologique tant du mot jupon, que du mot şubă (un emprunt au serbe, russe šuba, polonais szuba, hongrois suba et à l’allm. médiéval Schübe « tablier », selon le CDER) au sens de « habit long et large, à col large, doublé de fourrure et porté surtout par les hommes ».

Les autres significations du mot français jupe dérivées de ses acceptions du domaine vestimentaire (v. supra les sens 2 b, c et 3), senties comme vieillies elles-mêmes dans la langue actuelle, ne se retrouvent pas dans le cas du correspondant roumain.

En revanche, tout comme l’étymon français, le mot roumain jupă semble enregistrer (selon le MDN) des sens techniques plus récents, mais rarement rencontrés, dans des syntagmes tels que: jupe de piston « jupes de piston » (http://www.tagracing.net/pdf/2008Homologation/C.Gazelle2.pdf). Dans ce cas de figure il s’agit plutôt d’un calque total, issu par la traduction fidèle des énoncés français du même type, car le roumain dispose, pour dénommer la même réalité extralinguistique, du mot valvă (un mot à étymologie multiple: du fr. valve, lat. VALVA, selon le DEX).

En conclusion, bien que le roumain jupă ait initialement conservé toutes les significations de l’étymon français, il s’est fixé dans la langue actuelle comme synonyme parfait du mot jupon, au sens de « pièce de vêtement mise d’habitude au-dessous d’une robe ou d’une autre jupe ». Par cette acception, moins usuelle pour le correspondant français, le mot roumain désigne uniquement un accessoire et non pas un objet de la mode vestimentaire proprement dit, étant défini par les traits sémiques fondamentaux suivants: [+protection] et [+doublure].

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3. CONSIDÉRATIONS FINALES L’analyse lexico-sémantique contrastive de quelques unités composant le

micro-champ notionnel des « vêtements » en français et en roumain nous à permis de constater qu’il y a une différenciation assez grande dans la reconfiguration sémique des unités qui composent le même ensemble notionnel. Cette constatation devient encore plus évidente lorsque le champ notionnel analysé se constitue lui même dans un système sémiotique indépendant, intimement lié à l’univers mentalitaire de chaque communauté. De ce point de vue et par notre positionnement dans la zone de la néologie sémantique, cette approche démontre premièrement la fonction de marqueur socio-culturel de l’emprunt lexical aussi bien que la faculté dont chaque langue dispose pour accorder à chaque unité signifiante une valeur (dans l’acception saussurienne du mot) à l’intérieur du système.

D’autre part, une telle démarche attire l’attention une fois de plus sur la sémantique assez différente des mots dits « internationaux », un aspect qui empiète directement sur l’activité de traduction aussi bien que sur l’élaboration des ouvrages lexicographiques (surtout bilingues ou étymologiques).

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LES GALLICISMES DU ROUMAIN DANS LE DOMAINE

DES TISSUS POUR VÊTEMENTS1

1. INTRODUCTION Les gallicismes du roumain se constituent comme une partie importante du

patrimoine culturel de l’humanité car ils sont les porteurs de l’identité spirituelle européenne moderne. Le contact entre les deux langues commence à la fin du XVIIIe siècle, date à partir de laquelle on assiste progressivement à un processus de modernisation, de renouvellement lexical et de reromanisation de la langue roumaine sous l’influence de la langue et de la culture françaises. Cette forte influence à distance – unique au monde, d’après le linguiste Alf Lombard (1969: 646) – s’est manifestée dans les Principautés Roumaines dans les différents domaines de la vie culturelle et intellectuelle et elle se poursuit encore de nos jours.

Dans cet article, nous nous proposons d’illustrer ce phénomène linguistique et culturel par le dynamisme extraordinaire enregistré dans le domaine de la mode vestimentaire (v. aussi Popescu 2013 :153-168). Plus précisément, notre analyse porte sur les gallicismes du roumain dans le domaine des tissus pour vêtements et elle fait partie d’une recherche beaucoup plus étendue qui se déroule dans le cadre d’un projet intitulé Reconfiguration sémantique des gallicismes dans l’espace socioculturel roumain (FROMISEM II) dont les objectifs sont, d’une part, le raffinement des aspects relevant de l’étymologie multiple des gallicismes du roumain et, d’autre part, l’analyse de leurs métasémies (extensions et /ou restrictions sémantiques, métaphorisations, sens connotatifs, etc.) en relation étroite avec le facteur extralinguistique (sociologique, historique, culturel et mentalitaire), aspect qui a été moins abordé dans les ouvrages de linguistique roumaine.

À son tour, l’analyse entamée par cette approche se propose d’atteindre trois objectifs, qui coïncident d’ailleurs avec ceux du projet FROMISEM II: (1) identifier les gallicismes du roumain faisant partie du domaine conceptuel des tissus pour vêtements ; (2) réaliser un bref aperçu étymologique ; (3) faire l’analyse lexico-sémantique comparative des lexèmes appartenant à ce domaine.

1 Daniela Dincă / Mihaela Popescu, « Les gallicismes du roumain dans le domaine des tissus pour vêtements », in AUC. Langues et littératures romanes, nr. 1-2, 2014, p. 197-211.

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2. CONSTITUTION DU CORPUS : DÉMARCHE

MÉTHODOLOGIQUE

Dans cet article, nous nous proposons d’identifier, dans une première étape, les gallicismes du roumain faisant partie du domaine conceptuel des tissus pour vêtements. Pour cela, nous avons pris comme point de départ les deux taxinomies suivantes: (1) la matière de fabrication : [+coton], [+soie], [+laine], [+lin]; (2) les propriétés physiques: [+léger], [+transparent], [+lisse/ apprêté].

En fonction de ces deux critères, les lexèmes regroupés dans la classe des tissus pour vêtements sont les suivants: fr. bouclé / roum. bucle, fr. chantoung / roum. şantung, fr. crêpe / roum. crep, fr. flanelle / roum. flanelă, fr. hollande / roum. olandă, fr. jersey / roum. jerseu, fr. lustrine / roum. lustrin(ă), fr. mousseline / roum. muselină, fr. organdi / roum. organdi, fr. popeline / roum. poplin, fr. tulle / roum. tul, fr. velours / roum. velur, fr. voile / roum. voal.

Par suite, pour ce qui est des traits communs et distinctifs pris en considération pour l’analyse sémantique des unités lexicales dans les deux langues considérées, nous avons dressé le tableau suivant:

Lexème Coton Lin Soie Laine Léger Transp

arent Lisse/ apprêté

Bouclé - - - + - - - Chantoung + + + - + + + Crêpe - - + + ± ± ± Flanelle - - - + + - + Hollande - + - - + - + Jersey + - + + + - + Lustrine + - + - + - + Mousseline + - + + + ± + Organdi + + - - + + + Popeline + + - + + - + Tulle + + + - + + + Velours + - + + - - - Voile + - + + + + +

En ce qui concerne la matière de fabrication2, nous avons identifié, dans

notre analyse, des tissus faits prioritairement en matières naturelles (selon la fréquence d’emploi : le coton, la laine, la soie et le lin), mais aussi en matières artificielles (la cellulose, la viscose, l’acétate de cellulose) et synthétiques (le

2 Il faut préciser que les matières textiles sont divisées, selon leur origine, en trois grandes catégories: les matières naturelles, les matières artificielles et les matières synthétiques.

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polyester, le polyamide, l’acrylique, l’élasthanne). Il y a aussi des tissus qui peuvent être fabriqués en plusieurs matières naturelles. Par exemple: le jersey, la mousseline, le velours et le voile peuvent être en coton, en soie ou en laine, tandis que la popeline est en coton, en laine ou en lin et le tulle est en coton, en soie ou en lin.

Il y a aussi des tissus qui peuvent être fabriqués de deux types de matières de fabrication. Tel est le cas du bouclé (fait en coton ou en laine), du crêpe (fait en soie ou en laine), de la lustrine (faite en coton ou en soie), de l’organdi (fait en coton ou en lin). D’autre part, des tissus tels que le chantoung (la soie), la flanelle (la laine), la hollande (le lin) ont uniquement une seule matière de fabrication.

Pour ce qui est des propriétés physiques, les tissus pour vêtements présentent les traits sémiques suivants : [+léger], [+transparent], [+lisse/apprêté]. De ce point de vue, une perspective combinatoire pourrait être représentée de la façon suivante :

1. Lexèmes qui vérifient les trois traits distinctifs : [+léger], [+transparent],

[+lisse/apprêté] : le chantoung, le voile, l’organdi, la mousseline, le tulle. 2. Lexèmes qui vérifient deux sur les trois traits distinctifs [+léger],

[-transparent], [+lisse/apprêté] : la flanelle, la hollande, le jersey, la lustrine, la popeline.

3. Lexèmes qui se trouvent à la frontière entre les deux : [±léger], [±transparent], [±lisse/apprêté] : le crêpe.

4. Lexèmes qui ne vérifient aucun des trois traits distinctifs : [-léger], [-transparent], [-lisse/apprêté] : le bouclé, le velours.

Après un bref regard sur l’origine des étymons français, nous nous proposons

ensuite de faire une analyse sémantique contrastive des descriptions lexicographiques3 de ces unités lexicales appartenant au domaine des tissus pour vêtements. La démarche sémantique adoptée s’appuie, dans un premier temps, sur l’analyse des traits sémiques considérés comme prototypiques dans la configuration du sémantème de chaque mot analysé et, dans un deuxième temps, sur l’analyse pragmatique et sociolinguistique pour mieux mettre en rapport la description linguistique avec l’évolution des référents à travers le temps.

3 Pour la description lexicographique que nous proposons, les sens français sont donnés, en général, d’après le TLFi, complété avec les dictionnaires GRLF, GLLF et le Littré; les sens roumains, d’après le DA / DLR, le DEX, le DLRC et le DN (v. la Bibliographie).

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3. CONSIDÉRATIONS ÉTYMOLOGIQUES En français, les dénominations des tissus retenues pour notre analyse relèvent de plusieurs caractéristiques: l’aspect (le bouclé, la lustrine, le crêpe, le velours), la destination (le voile), la matière de fabrication (la flanelle) ou bien le lieu d’origine (le chantoung, l’organdi, la hollande, la mousseline, le jersey, la popeline, le tulle). En fait, l’antonomase du nom de lieu où le tissu a été fabriqué pour la première fois représente, comme on peut le constater, l’étymologie la plus fréquente des lexèmes appartenant au domaine des tissus pour vêtements. Dans ce sens, il faut commencer la liste4 des noms de lieu qui ont dénommé les tissus fabriqués par l’Orient, plus précisément par la Chine, qui est renommée pour la production de la soie depuis les temps les plus anciens (entre 3000 et 2000 ans av. J.-C.) jusqu'à présent. Par exemple, le chantoung est issu par antonomase de l’ancienne transcription du nom de la province chinoise du Chan-Toung, par l’intermédiaire de l’anglais shantung avec le sens de «tissu de soie d’origine chinoise» (TLFi). Il faut préciser que la même matière de fabrication se trouve à la base du célèbre crêpe de Chine, «une sorte d’étoffe de soie naturelle ou artificielle légèrement crêpée» (Ibid.). De très loin vient aussi l’organdi, toile de coton, plus précisément de Ourguentch, ville de la province historique de Khwarezm (Khorezm), au sud de la Mer d’Aral, dont l’économie est basée sur le traitement du coton ainsi que sur la fabrication de la soie et la production de textiles et la mousseline provenant de Mossoul, ville célèbre sur le Tigre pour la toile fine qui y était fabriquée. Au contraire, trois autres tissus proviennent de trois régions assez proches de la France : la hollande «toile de lin très fine» a comme origine l’un des pays des Provinces Unies (la Hollande) où l’on fabrique cette toile fine servant à faire des chemises pour hommes et femmes; le jersey provient du nom de l’île anglo-normande Jersey, pour désigner des produits textiles originaires de cette île et, à partir du XIXe siècle, même une sorte de corsage ou maillot de tricot de laine ajusté au corps ; la popeline tire son nom de la ville de Poperinge, en Flandre, connue pour ses draps, Enfin, il y a dans notre liste un seul mot qui représente un type de tissus désignant par antonomase une ville de France. Il s’agit de tulle qui tire son nom du nom de Tulle, ville de Corrèze où il y a toute une industrie où l’on fabrique la dentelle et surtout le réseau ou filet connu sous le nom de «point de Tulle».

4 De cette longue liste font aussi partie le damas et le madras qui désignent des étoffes provenant des villes portant le même nom de Syrie et de l’Inde ou le cachemire dont le nom provient du nom d’un état (Cachemire) de l’Inde.

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4. ANALYSE LEXICO-SÉMANTIQUE DU CHAMP LEXICAL DES TISSUS POUR VÊTEMENTS

Dans l’analyse lexico-sémantique du champ lexical des tissus pour vêtements, nous avons identifié5 deux cas de figure illustrés par les mots suivants :

(i) conservation totale des sens de l’étymon français : fr. mousseline /

roum. muselină, fr. organdi / roum. organdi, fr. chantoung / roum. şantung, fr. tulle / roum. tul, fr. lustrine / roum. lustrin(ă), fr. popeline / roum. poplin, fr. jersey / roum. jerseu, fr. bouclé / roum. bucle, fr. crêpe / roum. crep, fr. hollande / roum. olandă.

(ii) changements de sens opérés en roumain : fr. flanelle / roum. flanelă, fr. voile / roum. voal, fr. velours / roum. velur.

4.1. Conservation totale des sens de l’étymon français

4.1.1. fr. mousseline / roum. muselină En français, le mot mousseline est attesté sous deux formes qui correspondent, au niveau référentiel, à deux types de pièces de vêtement, en fonction de la matière de fabrication : le masculin mosulin est un «drap d’or et de soie fabriqué à Mossoul » (1298), tandis que le féminin mousseline (1656) renvoie à «une sorte d’étoffe légère de coton». L’origine italienne du mot est incontestable car il s’agit d’un emprunt français à l’italien mosolino signifiant «originaire de Mossoul», ville célèbre sur le Tigre pour la toile fine qui y était fabriquée. La mousseline est donc une «toile de coton claire, peu serrée, fine et légère» (TLFi), pouvant être aussi fabriquée en laine ou en soie. Le mot roumain muselină, que certains ouvrages lexicographiques considèrent comme un mot à étymologie multiple (du fr. mousseline, pol. múslin, tc. muslín) vu l’existence de la variante vieillie dans la langue actuelle mosul / musul, a conservé les mêmes significations, désignant toujours «un tissu en coton

5 L’analyse sémantique des emprunts roumains au français a fait ressortir la typologie suivante : (i) conservation – totale ou partielle – du sens / des sens de l’étymon français, parfois avec le maintien en roumain d’un sens aujourd’hui disparu en français (situation rencontrée le plus souvent dans le cas des mots appartenant à un domaine spécialisé, technique et scientifique) ; (ii) innovations sémantiques opérées en roumain, ayant comme point de départ une signification de l’étymon français. Ces innovations se manifestent à travers divers mécanismes sémantiques : extensions analogiques et restrictions de sens, métaphorisations, passages métonymiques, glissements connotatifs, etc. (v. Iliescu et al. 2010 : 593).

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ou en soie, très fin et transparent, dont on fabrique des vêtements légers, des rideaux, etc.» (DEX) ou bien «une étoffe en laine très fine» (Ibid.).

4.1.2. fr. organdi / roum. organdi L’organdi désigne une sorte de «mousseline de coton légère, claire et

apprêtée» (TLFi), faite de coton, la matière première de l’industrie de Turkestan. Sa principale caractéristique est le fait d’être très apprêtée, ce qui explique son utilisation pour la fabrication des objets de vêtement ou des rideaux.

En roumain, le mot organdi garde la forme et la signification de l’étymon français6, désignant surtout un tissu pour vêtements fortement apprêté.

4.1.3. fr. chantoung / roum. şantung Au niveau référentiel, il s’agit d’un produit en soie naturelle 100% utilisé

pour une tenue élégante ; par analogie, le chantoung (avec ses variantes orthographiques shantoung, shantung) désigne un tissu d’apparence similaire fabriqué aussi dans d’autres matières (coton, rayonne, etc.).

En roumain, le şantung signifie «une variété de tissu en lin ou en soie naturelle, fait de fils plus gros ou irréguliers qui sortent en relief à la surface du tissu» (DEX). Si la signification du mot roumain reprend complètement celle de son étymon, il est à remarquer pourtant l’adaptation du signifiant aux normes phonétiques de la langue emprunteuse, fait qui pourrait indiquer qu’il s’agit d’un emprunt réalisé par voie orale.

4.1.4. fr. tulle / roum. tul Au niveau extralinguistique, les deux mots considérés cette fois-ci désignent

une sorte de «tissu très léger, fabriqué avec de fins fils de soie, de coton, etc., formant un réseau de mailles lâches, rondes, carrées ou polygonales» (TLFi / DEX). La technique de production de même que les matériaux de fabrication qui peuvent être utilisés représentent des indices qui attestent qu’il s’agit d’un tissu très fin, léger et moderne.

Il est aussi à remarquer que le roumain a gardé la palatalisation vocalique dans la prononciation tout comme dans le cas de son étymon français, ce qui indique que ce mot a été au début un néonyme, pénétré en roumain à travers les langues de spécialité et ensuite un mot utilisé dans la langue courante.

6 Seul le DEX considère que ce mot a une étymologie multiple, française (organdi) et allemande (Organdin).

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4.1.5. fr. lustrine / roum. lustrin(ă) Dans le cas du référent désigné en français par le mot lustrine, on observe un changement diachronique de la matière de fabrication de ce tissu. Le sens vieilli de cette unité lexicale est celui de «étoffe de soie» (Dict. XIXe et XXe s., apud TLFi), tandis que la signification actuelle est celle de «étoffe de coton fortement apprêtée et glacée sur une face» (TLFi). Étymologiquement, ce mot est fortement transparent parce qu’il s’agit d’un emprunt à l’italien lustrino «drap de soie brillant fabriqué à Gènes», à son tour, un dérivé de lustro «apprêt qui donne aux étoffes leur éclat» (Ibid.). En roumain, le mot lustrină garde les deux significations (concernant la matière de fabrication): «tissu fin de soie (naturelle ou artificielle) ou de coton, ayant un éclat spécifique» (DEX), mais il change aussi de genre grammatical7, fait qui pourrait suggérer une étymologie multiple, française et italienne, comme apparaît dans le DEX (s.v. lustrin).

4.1.6. fr. popeline / roum. poplin Le même changement de genre grammatical s’enregistre dans le cas suivant :

fr. popeline / roum. poplin, ce qui ajoute à la définition étymologique du mot roumain la source allemande (v. Pop(e)lin). Au niveau référentiel, les deux mots analysés indiquent un «tissu à chaîne de soie et à trame de laine, de lin ou de coton, qui a de petites côtes dans le sens de la largeur» (TLFi).

4.1.7. fr. jersey / roum. jerseu Le jersey est un «tricot fin, généralement en laine, confectionné sur un

métier» (TLFi). Comme matière de fabrication, le jersey est en coton, en laine ou en soie. Par métonymie, le mot renvoie aussi au «vêtement en particulier moulant, couvrant le torse, confectionné en ce tissu» (Ibid.).

En roumain, le mot jerseu renvoie à un «tissu élastique en laine, fibres synthétiques, en coton ou en soie, utilisé pour confectionner des vêtements». Tout comme pour le français, jerseu indique aussi «un objet de vêtement qui couvre la partie supérieure du corps» (DEX).

Par le même procédé métonymique, le jersey désigne dans les deux langues l’objet de vêtement par la matière dont il est fabriqué, étant synonyme avec pullover (roum. pulovăr).

4.1.8. fr. bouclé / roum. bucle Les tissus en bouclé sont d’habitude en laine car le mot est enregistré dans le

TLFi comme participe passé du verbe boucler dans le syntagme laine bouclée. De

7 La variante du féminin, lustrină, est assez rare.

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nos jours, la laine se combine avec les fibres synthétiques, comme le polyester ou la viscose. Comme principales caractéristiques, le bouclé est «un tissu lourd, adéquat pour tailleurs et manteaux et il est réalisé avec des fils de fantaisie retordus qui donne l’effet spécial en arc» (TLFi).

Le mot entre en roumain comme le résultat d’une condensation lexicale, sous la forme bucle, bucleuri, désignant un tissu bouclé ayant comme matière de fabrication le coton, la laine ou les fibres synthétiques. En plus, le mot roumain renvoie aussi au coton comme matière de fabrication, ce qui n’est pas spécifique pour le mot français, n’étant pas pourtant complètement exclu.

4.1.9. fr. crêpe / roum. crep Le mot crêpe vient du latin cripus, qui signifie frisé, ondulé ; en ancien

français il est devenu cresp, puis crêpe. Le crêpe est une «étoffe généralement de laine ou de soie, plus ou moins légère et transparente à l’aspect ondulé, dont la texture grenue est obtenue par une forte torsion des fils» (TLFi). Il s’agit d’un lainage fin et lâche, crêpé pour devenir résistant au toucher, utilisé dans la confection des robes et des tailleurs.

De la même famille lexicale font partie deux entrées lexicales spécialisées pour la soie naturelle, artificielle ou synthétique avec un aspect crêpé qui se distinguent pourtant par la finesse et la transparence du tissu: le crêpe Georgette, un tissu léger, souple, légèrement transparent par rapport au crêpe de Chine, «étoffe de soie naturelle ou artificielle légèrement crêpée» (TLFi).

Sauf le tissu utilisé dans le domaine de la couture, le crêpe désigne «des vêtements (notamment des voiles) en crêpe noir marquant le deuil» (TLFi) et, par métonymie, il renvoie aussi bien au «vêtement en voile de crêpe noir symbolisant le deuil » (Ibid.) qu’au « bandeau de crêpe noir que l'on porte sur ses vêtements en signe de deuil» (Ibid.)

Le roumain a emprunté tous les trois mots : crep, crep Georgette, crepdeşin, ce dernier connaissant en plus un processus de lexicalisation pour définir une espèce de «tissu léger de soie ou de laine légèrement crêpé». Sur les deux acceptions désignant le deuil porté soit par des vêtements ou par un bandeau, le roumain ne garde que la deuxième.

4.1.10. fr. hollande/ roum. olandă

Le mot hollande est attesté en français en 1453 dans l’expression toile de Hollande, chemise de Hollande avec la signification: «toile de lin très fine». Le roumain tout comme le français réalisent au niveau linguistique une condensation lexicale du type «(toile/chemise de) Hollande» > hollande, obtenant par antonomase un nouveau nom de tissu.

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En roumain, le mot olandă garde les mêmes traits sémiques que le français : «un tissu épais et fin, de lin très fin, utilisé pour le linge de corps, de maison, etc. » (DEX), mais il opère aussi une restriction sémantique car en roumain, olandă ne désigne pas seulement un certain type de toile fine de lin, mais le tissu léger de lin pour la fabrication du linge de corps ou de maison. Pour tirer une conclusion sur les mots analysés ci-dessus, on observe que les gallicismes du roumain ont gardé le (les) sens de l’étymon français qui renvoyait à des référents absents de l’espace civilisationnel des Pays Roumains au moment de l’emprunt. Il est bien évident qu’il s’agit, dans ce cas, des emprunts naturalisés ou emprunts de nécessité qui répondent à un besoin terminologique et qui suivent le parcours normal de leur intégration dans le système linguistique de la langue roumaine.

4.2. Changements de sens opérés en roumain par rapport à l’étymon français

Dans le domaine des tissus pour vêtements, très peu de gallicismes du

roumain enregistrent des changements sémantiques dans le passage d’une langue à l’autre. Les seuls phénomènes identifiés sont la conservation partielle des sens de l’étymon français et le développement des métasémies par glissement métonymique.

4.2.1. fr. flanelle / roum. flanelă Emprunté au moyen anglais flanen, le mot flanelle est attesté en français dès

1503 comme terme désignant: «une étoffe douce et légère, de laine peignée ou cardée, à tissage assez lâche» (TLFi). Le sens primaire est celui de : «sorte de vêtement de laine» (Ibid.) provenant du gallois gwalen dont il est originaire. Par métonymie, du matériel de fabrication à la pièce de vêtement, le mot développe une autre signification, celle de : «vêtement ou ceinture de flanelle» se rapprochant ainsi de sons sens primaire8.

Les ouvrages lexicographiques roumains sont unanimes à indiquer pour étymon du roumain flanelă (avec les variantes populaires et dialectales flanea et flanel) le mot français flanelle avec le sens de «tissu léger, de laine ou de coton, mou et lâche» (DA) comme dans l’exemple :

8 Dans tous ses registres, le français développe des métasémies à partir des traits fondamentaux de l’objet désigné : [+doux], [+léger], [+lâche]. Ainsi, dans le registre littéraire, la flanelle acquiert-elle le sens figuré de «vie confortable et douillette» et, dans l’emploi argotique, celui de «homme manquant d'énergie». Au même niveau stylistique, faire flanelle renvoie à une personne parasitaire, qui ne fait rien, qui n’entreprend rien.

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Ana... într-o rochie de flanelă albă cu dungi albastre, umbla, legănîndu-și capul și trupul ca un copil răsfățat. (VLAHUȚĂ, O. A. III 34, apud DLRC). (= Ana…dans une robe en flanelle blanche à rayures bleues se promenait en se balançant la tête et le corps telle une enfant gâtée.)

À la différence de son étymon français, qui a développé le sens générique de

«sorte de vêtement de laine», le roumain a créé, toujours par métonymie, la signification, «vêtement de laine (plus rarement de coton) tricoté en forme de veste sans manche ou de chemise courte» (DA) comme dans les exemples suivants :

Vasile Catrina își trase o flanelă pe el și plecă. (PREDA, Î. 33 apud DLRC). (= Vasile Catrina mit une flanelle et s’en alla.) La munte umbla lumea, seara, cu flanele și cu palton. (PAS, Z. I 240, apud DLRC). (= À la montagne, le soir, les gens se promenaient en flanelle et en manteau.)

Avec cette dernière acception, le mot devient un synonyme de pulovăr (fr.

pullover), un mot à étymologie multiple française et anglaise qui désigne «un objet de vêtement tricoté (sans boutons) qui couvre la partie supérieure du corps et qui est porté d’habitude avec une chemise ou un chemisier» (DEX). Mais, au niveau référentiel, le mot pulovăr désigne un objet vestimentaire beaucoup plus stylisé, introduisant dans l’espace culturel roumain une réalité nouvelle. Cela pourrait expliquer la distribution diamésique suivante : pulovăr (fr. pullover) entre dans la langue littéraire tandis que flanelă (fr. flanelle) est utilisé surtout dans le registre populaire.

À cette innovation sémantique opérée en roumain pour le mot flanelă par rapport à son étymon français flanelle, on peut ajouter une autre analogie faite entre un vêtement et un sous-vêtement : flanelă de corp avec le sens de «maillot de corps manches longues», ce qui ajoute un trait sémique supplémentaire [+coton] à l’étymon français.

4.2.2. fr. voile / roum. voal La définition lexicographique9 du mot voile met prioritairement en évidence

son principal rôle, qui est celui de recouvrir, protéger ou masquer : «pièce d'étoffe qui recouvre, protège ou masque» (TLFi), ce qui s’explique par son sens originaire qui est celui de «pièce d'étoffe qui couvre la tête des religieuses» (Ibid.). Avec référence aux personnes, le mot ajoute deux traits supplémentaires : [+ léger] et [+ transparent] pour une étoffe dont les femmes se couvrent la tête, soit de façon habituelle, soit à l’occasion de certains événements ou cérémonies.

9 Nous ne prendrons pas en considération les acceptions religieuses du mot, limitant notre analyse aux acceptions en usage dans la langue courante.

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En ce qui concerne le matériel de fabrication, le voile est en coton, en gaze, en mousseline, en soie et en tulle, des matériels de fabrication transparents et légers. Toujours dans le sens de protéger, le voile a acquis aussi un sens spécialisé pour désigner «une coiffure de tissu sous laquelle, dans certaines professions, les femmes enferment leurs cheveux par mesure d'hygiène» (TLFi). Le voile peut servir aussi en tant qu’accessoire: «morceau de tissu fin qui orne un chapeau, une coiffure féminine» (Ibid.). Par extension, le voile est «un tissu très léger fait de laine, de coton, de soie, de fibres synthétiques, utilisé dans la confection de vêtements ou dans la fabrication de rideaux» (Ibid.).

À l’inverse du français, le roumain voal enregistre comme première signification l’acception de: «tissu très fin et transparent fait de coton, soie ou fibres synthétiques, utilisé dans la confection des vêtements de femme» (DEX) et ensuite celle de «morceau de tissu fin, rare pour couvrir la tête ou le visage» (Ibid.), cette deuxième acception ayant comme synonyme le mot văl, un emprunt au latin VELUM (qui est aussi l’étymon du mot français voile); en roumain, ce doublet étymologique, văl, est exclu du domaine des tissus pour vêtements, désignant un objet utilisé uniquement pour couvrir la tête des femmes.

Les deux langues se ressemblent pourtant par l’adjonction d’une acception supplémentaire, enregistrée souvent dans la langue littéraire, au pluriel : «vêtement léger et qui recouvre le corps de la femme» (TLFi et DA):

Danse des sept voiles. Les nuits où tu voudras que je danse, je danserai jusqu'au matin. Je danserai tout habillée, avec ma tunique traînante, ou sous un voile transparent, ou avec des caleçons crevés et un corselet à deux ouvertures pour laisser passer les seins. (Louys, Aphrodite, 1896, p. 56, apud TLFi)

ou bien en roumain :

La cimitir o să fie parfum de chiparoase şi…Fetele-mbrăcate-n voaluri uşoare. (ARH.OLT.XVII, 371, apud DLRC). (= Au cimetière il y aura du parfum de tubéreuses et…les filles habillées en voiles fins.)

Le roumain a emprunté même le sens spécialisé de «partie anormalement

obscure d’une épreuve, blanche sur la photo, due à diverses causes, notamment à une exposition excessive à la lumière. Voile de développement». (Dict. XXe s., apud TLFi).

4.2.3. fr. velours / roum. velur Le velours fait partie de l’industrie des textiles et du domaine de

l’ameublement, renvoyant aussi bien à une fourrure qu’à un tissu. Dans l’industrie textile, le velours est une «étoffe de coton, laine, soie, etc.

qui présente généralement à l'envers une surface mate et lisse, à l'endroit une

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surface lustrée et moelleuse, formée de poils courts, dressés, serrés» (TLFi). C’est une étoffe à poil court et serré. Mais il existe deux types de velours: (1) le velours coupé ou velours chaîne, un velours par trame réalisé tout en coton; (2) le velours cannelé, côtelé ou à côtes, un velours à raies parallèles formées par des poils alternativement pleins et ras.

Le roumain emprunte ce mot sous la forme velur avec son acception principale de «tissu en laine de qualité supérieure, soumise à des processus technologiques qui lui donnent une surface lustrée et moelleuse» (DEX), ayant comme synonyme le mot catifea, un mot à étymologie multiple, provenant du turc kadife et du néogrec katifés.

Même si les dictionnaires ne font aucune distinction entre les deux mots, velur et catifea, le marché des tissus commence à les différencier en fonction des deux types de velours: catifea pour le velours coupé ou velours chaîne et velur pour le velours cannelé, côtelé ou à côtes.

En bref, aux deux acceptions du mot français velours correspondent en roumain deux mots différents: velur pour l’acception de velours cannelé, côtelé ou à côtes et catifea pour le velours coupé ou velours chaîne, ce qui s’explique par l’influence turque sur le vocabulaire de la langue roumaine à partir du XVe siècle jusqu’au début du XIXe siècle suite aux contacts politiques, économiques et culturelles entre les deux pays.

Pour résumer, les cas de changements de sens opérés en roumain par rapport à l’étymon français sont, d’une part, le glissement métonymique enregistré pour flanelă (fr. flanelle) qui désigne aussi bien le tissu que le vêtement qui couvre la partie supérieure du corps (fr. pullover) ou le sous-vêtement (fr. maillot de corps à manches longues) et, d’autre part, la conservation partielle des sens de l’étymon français et l’utilisation d’un autre mot, emprunté à une autre langue, pour couvrir les significations de l’étymon français : fr. voile (roum. voal et văl) et fr. velours (roum. velur et catifea).

5. CONSIDÉRATIONS FINALES L’analyse des gallicismes du roumain a mis en évidence le caractère créatif

de la langue roumaine, mais aussi l’absence d’une norme, ce qui rend leur emploi aléatoire et surtout inapproprié, conduisant parfois à leur déformation et à leur usage erroné. Dans ce sens, nous considérons que l’étude de chaque microsystème de la langue, pris séparément et dans une vision contrastive, en synchronie ou en diachronie, pourrait apporter des informations essentielles sur les aspects suivants : l’originalité et la spécificité de chaque langue, les relations entre les langues, l’interdépendance entre la langue et la société où elle évolue et fonctionne.

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Dans cette perspective, les conclusions de notre analyse pourraient être synthétisées dans les aspects suivants:

(1) Dans le passage du français en roumain, les gallicismes faisant partie du domaine des tissus pour vêtements ont gardé tous les traits distinctifs de leur étymon d’autant plus que les mots entrent dans la langue par nécessité dénominative pour désigner de nouveaux référents.

(2) Comme ces gallicismes du roumain sont des emprunts de nécessité, on enregistre, dans la plupart des cas, une conservation totale des sens de l’étymon français : fr. bouclé / roum. bucle, fr. chantoung / roum. şantung, fr. crêpe / roum. crep, fr. hollande / roum. olandă, fr. jersey / roum. jerseu, fr. lustrine / roum. lustrină, fr. mousseline / roum. muselină, fr. organdi / roum. organdi, fr. popeline / roum. poplin, fr. tulle / roum. tul.

(3) Il y a uniquement trois cas de modifications sémantiques opérées en roumain par rapport au français : par métonymie, le mot flanelă (fr. flanelle) désigne aussi le vêtement qui couvre la partie supérieure du corps (fr. pullover) et le sous-vêtement (fr. maillot de corps à manches longues) ; le mot voile entre en roumain dans le domaine des tissus, mais pour l’objet qui couvre le visage d’une femme, on utilise văl du lat. VELUM, dont le mot primaire voile est lui-même dérivé; pour les deux acceptions du mot velours, le roumain utilise le gallicisme velur pour le velours cannelé, côtelé ou à côtes tandis que le mot néogrec catifea commence à se spécialiser pour le velours coupé ou velours chaîne.

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SUR LE LEXIQUE CHROMATIQUE EN FRANÇAIS ET EN ROUMAIN (I)1

1. OBJECTIFS DE LA RECHERCHE Le lexique chromatique2 sera appréhendé dans notre recherche, dont y est

présentée une première partie, comme renfermant l’ensemble des termes ayant trait à la chromaticité (dér. de chromatique, du gr. khrôma, «couleur»: vx, s. f., OPT. «Partie de l’optique qui comprend la dispersion, la décomposition, la recomposition de la lumière, les raies spectrales, la théorie des couleurs, les propriétés particulières des rayons colorés», in TLFi; mod., adj. «Qui a rapport aux couleurs», in NL). Ce lexique comprend des mots appartenant à diverses classes morphologiques et phraséologiques (adjectifs, substantifs, verbes, locutions, expressions, proverbes), formés sur la base d’un terme de couleur.

Notre étude envisage de traiter (au moins dans un premier temps) uniquement des adjectifs chromatiques (communément appelés ‘adjectifs de couleur’), en suivant une démarche allant du général au particulier, comme cela ressort des objectifs préconisés:

(1) Définition des adjectifs chromatiques dans différents plans; (2) Typologie de ces adjectifs; (3) Domaines d’utilisation; (4) Bref aperçu du système des adjectifs chromatiques en français; (5) Bref aperçu du système des adjectifs chromatiques en roumain; (6) L’influence du français sur le vocabulaire chromatique du roumain. Il est sans conteste qu’en linguistique, soit-elle roumaine ou étrangère (en

l’occurrence française), les contributions - ponctuelles ou de synthèse -, dans cette direction, ne manquent pas et recouvrent une problématique diverse, comportant des analyses effectuées à différents niveaux: à partir de l’étymologie à la morphologie, la syntaxe, la sémantique, la phraséologie, la stylistique, la sémiotique ou la pragmatique, ce qui illustre la complexité et l’intérêt du domaine en question.

1 Gabriela Scurtu, «Sur le lexique chromatique en français et en roumain », in AUC. Langues et littératures romanes, 2013, p. 194-208. 2 En d’autres termes, les chromonymes.

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En ce qui nous concerne, le point d’aboutissement de la recherche envisagée sera l’examen de la contribution du français à l’enrichissement quantitatif et qualitatif de la terminologie chromatique du roumain, ce qui se situera dans le prolongement d’autres recherches menées en équipe sur les gallicismes du roumain3. Au fur et à mesure de l’approfondissement de la thématique, d’autres directions de recherche peuvent surgir, le domaine étant non seulement vaste mais aussi extrêmement généreux.

2. DÉFINITION ET TYPOLOGIE DES ADJECTIFS

CHROMATIQUES 2.1. Niveaux d’analyse La définition et conséquemment l’analyse de cette classe sémantique

d’adjectifs peut s’effectuer à plusieurs niveaux: scientifique (optique), artistique, usuel, linguistique, etc.4.

Comme dans les définitions des chromonymes interviennent des termes de l’optique (v. note 3: «culorile spectrale», fr. «les couleurs du spectre, spectrales»), nous partirons de la célèbre division du spectre en sept couleurs, opérée par Newton: rouge, orange, jaune, vert, bleu, indigo et violet5. À rappeler ici que le blanc et le noir ne sont pas des couleurs: le blanc est l’association de toutes les couleurs du prisme, alors que le noir est l’absence de couleur [http://www.code-couleur.com/dictionnaire/]6.

La complexité du phénomène envisagé ainsi que ses multiples valences dans des domaines variés du savoir et de l’esprit (y apparaissent mentionnées aussi la physiologie, la psychologique et les données culturelles) est mise en évidence dans

3 Cf. Gabriela Scurtu / Daniela Dincă (éds.): Typologie des emprunts lexicaux français en roumain, Craiova: Editura Universitaria, 2011. 4 «Culorile spectrale dispun de două tipuri de definiţii: una ştiinţifică, cealaltă uzuală, ostensivă, concretă» (cf. Bidu-Vrănceanu 2008: 68) (Les couleurs du spectre disposent de deux types de définitions: l’une scientifique, l’autre usuelle; n. trad.); «In definiţii regăsim cel puţin două criterii: al ştiinţei şi al artei. Lingvistica ţine seama de cele două criterii, dar operează pe baza celui de-al treilea, uzul general» (Pitiriciu 2009: 115) (Dans les définitions on retrouve au moins deux critères: celui de la science et celui de l’art. La linguistique tient compte des deux, mais opère avec un troisième, l’usage général; n. trad.). 5 Newton choisit sept couleurs à cause d’une croyance venant des anciens philosophes grecs, qu’il y avait un lien entre les couleurs, les notes de musique, les objets connus du système solaire et les jours de la semaine [http://fr.wikipedia.org/wiki/Lumi%C3%A8re_visible]. 6 Cette dichotomie et le pouvoir expressif, la symbolistique dont peut se charger chaque terme, les voilà magnifiquement illustrés dans ce fragment de Rabelais: «La nuyct n’est-elle funeste, triste et melancholieuse? Elle est noire et obscure par privation. La clarté n’esjouit elle toute nature? Elle est blanche plus que chose que soit [...]» (Rabelais, Gargantua, chap. X).

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une étude qui se penche surtout sur les relations entre linguistique et culture et dont nous citons:

«La couleur, perception sensorielle provoquée par les radiations lumineuses, est un phénomène particulièrement complexe qui met en relation différents éléments: une source lumineuse, un objet et le récepteur (le couple œil-cerveau). La perception de la couleur et sa nomination sont donc à l’intersection de données non seulement physiques et physiologiques, mais aussi de données psychologiques et culturelles» (Mollard-Desfour 2011: 89). 2.2. Les couleurs sur le cercle chromatique Avant de voir quel est le critère de définition utilisé par les linguistes (tel

qu’il apparait dans les définitions lexicographiques), nous présenterons d’abord le classement traditionnel des adjectifs chromatiques (tel qu’il apparait dans les traités de spécialité: optique et art), qui les divisent, selon leur provenance, en couleurs primaires, couleurs secondaires et couleurs intermédiaires. Le cercle chromatique7, document de référence en matière de théorie et d’harmonie des couleurs, est composé des trois groupes de couleurs ci-dessous:

(1) Les couleurs primaires qui sont le ROUGE, le JAUNE et le BLEU, le mélange de ces trois couleurs (on appelle cela ‘synthèse additive’) donnant de nouvelles couleurs.

(2) Les couleurs secondaires sont obtenues par le mélange à parts égales de deux couleurs primaires. Dans le domaine de la peinture, ce sont l’ORANGE, le VERT et le VIOLET. Par exemple, la position qu’occupe le vert, entre le bleu et le jaune, dans le spectre, conduit immédiatement à l’idée qu’il résulte du mélange de ces deux couleurs, hypothèse confirmée par l’expérience. Il en est de même pour l’orange (rouge et jaune) et le violet (bleu et rouge).

(3) Les couleurs tertiaires ou intermédiaires sont obtenues par le mélange d’une couleur primaire avec une couleur secondaire, en obtenant ainsi des nuances qui varient suivant la position qu’elles occupent respectivement dans le cercle chromatique. Si elles sont voisines, le mélange rappelle l’une et l’autre: bleu et vert = bleu verdâtre; bleu et violet = bleu violacé; jaune et vert = vert jaunâtre; jaune et orange = jaune-orangé, etc.

À remarquer qu’un dernier groupe, comprenant le BLANC, le GRIS et le NOIR, ne fait pas partie du cercle, car ce sont des couleurs achromatiques.

Selon leur position dans le cercle chromatique on distingue encore les couleurs complémentaires: c’est-à-dire les couleurs qui se trouvent opposées dans

7 Le cercle chromatique est la création du chimiste français Eugène Chevreuil.[www.peinturelaurentide.com/fr/couleur_en_theorie/vocabulaire_de_la_couleur.asp_] et [www.milleetunefeuilles.fr/harmonie-des-couleurs].

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le cercle chromatique. Par exemple, la couleur complémentaire du rouge est le vert (obtenu en mélangeant les deux autres couleurs primaires, le jaune et le bleu). La complémentaire du bleu est l’orangé (mélange de jaune et de rouge) et la complémentaire du jaune est le violet (mélange de bleu et de rouge).

2.3. Les définitions dans les traités d’art Nous allons jeter un bref regard sur les définitions des chromonymes telles

que pratiquées dans les traités d’art, et ce pour un double considérant: 1) les ouvertures culturelles de ce domaine et 2) l’existence de définitions alternatives.

Concernant le premier aspect, disons que, s’agissant d’un lexique spécialisé, mais en égale mesure culturel, les données culturelles y occupent une place de choix, par la manière dont une société, une culture voient les couleurs:

«Entreprendre la rédaction d’un dictionnaire des termes de couleur peut sembler alors une gageure tant est grande la difficulté à cerner la couleur, la définir, non seulement d’un point de vue descriptif (quelle est la teinte exprimée?) mais aussi d’un point de vue symbolique (quelle est la/les valeur(s) de la couleur, dans une société donnée, à une époque donnée?)» (Mollard-Desfour 2011: 89).

Concernant le second aspect, nous faisons renvoi à une étude consacrée au

lexique spécialisé des arts plastiques réalisée par A. Bidu-Vrănceanu (2002), qui souligne l’importance des termes chromatiques dans ce domaine, tout en précisant qu’ils y sont utilisés et définis d’une autre manière que dans le lexique commun.

Dans les traités et les dictionnaires d’art, ces définitions se présentent comme des études plus ou moins amples, renfermant une riche information. Par exemple, dans le cas de ALB («blanc») est présente la caractérisation scientifique (du point de vue de la physique), incluant des données pertinentes pour la peinture:

«culoarea produsă pe orice suprafaţă care reflectă în întregime lumina. Poate fi compusă din amestecul aditiv al culorilor sau al culorilor pigmentare primare» (ibid.), (la couleur produite sur n’importe quelle surface qui reflète complètement la lumière. Elle peut être composée du mélange additif des couleurs ou des couleurs pigmentaires primaires - n. trad.),

suivie de la caractérisation effectuée de la perspective stricte des arts plastiques (le blanc y est considéré une non-couleur, interprétation qui diffère de celle de la langue commune, où toute couleur s’oppose aux autres).

Les textes de spécialité proposent donc des définitions comportant un degré de technicité plus ou moins élevé, accessibles de manière inégale aux néophytes. L’analyse du lexique spécialisé utilisé dans les arts plastiques montre l’importance des chromonymes, qui y sont analysés d’une manière spécifique.

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D’autre part, les définitions qu’offrent les dictionnaires généraux sont, affirme l’auteur cité, approximatives et imprécises à plusieurs égards (nous y reviendrons dans le paragraphe suivant). Les prochaines éditions devraient imposer également les définitions des traités scientifiques du domaine, tout comme cela arrive pour d’autres domaines spécialisés, tels la terminologie médicale.

2.4. Les définitions dans les dictionnaires généraux Les définitions des chromonymes dans la lexicographie générale réunissent

le type scientifique (physique, chimie, mais non les arts plastiques) et le type usuel (langue commune), représentant des solutions alternatives, mais incomplètes. Ces définitions sont principalement fondées sur la représentation d’objets concrets caractérisés par la couleur en question. La dichotomie langue-référent devient ainsi essentielle dans une telle description.

Nous allons procéder dans ce qui suit à un examen de quelques définitions fournies par des dictionnaires généraux des deux langues analysées, pour les couleurs fondamentales (celles du spectre, divisées en couleurs primaires et couleurs secondaires) et les couleurs achromatiques, cette séparation étant imposée par les caractéristiques (principalement au niveau de l’optique) des couleurs en question; nous essayerons de voir dans quelle mesure ce fait est refleté dans les dictionnaires.

2.4.1. Les couleurs du spectre 2.4.1.1. Les couleurs primaires: rouge/roşu, jaune/galben, bleu/ albastru ROUGE Qui est d’une couleur semblable à celle du feu, du sang, etc. (NL) Qui est d’une couleur voisine de celle de l’extrémité du spectre solaire, couleur dont la nature offre de nombreux exemples (sang, fleur de coquelicot, rubis, etc.). (GRLF) D’une couleur qui parmi les couleurs fondamentales se situe à l’extrémité du spectre, et rappelle notamment la couleur du coquelicot, du rubis, du sang. (TLFi) ROŞU De culoarea sângelui («de la couleur du sang»). (DEX) Arămiu, purpuriu («cuivré, poupre»). (DER) De culoarea sângelui, a rubinului, v. arămiu, bordo, cărămiziu, purpuriu, stacojiu («de la couleur du sang, du rubis, v. cuivré, bordeaux, rouge brique, écarlate»). (DLR) JAUNE Qui est de couleur d’or, de citron, de safran. (NL) Qui est d’une couleur placée dans le spectre entre le vert et l’orangé, et dont la nature offre de multiples exemples: être jaune comme l’or, le safran, la paille, le miel, le soufre, le citron. (GRLF)

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Qui constitue la couleur la plus chaude et la plus lumineuse et rappelle notamment la couleur du citron, de l’or, des blés mûrs. (TLFi) GALBEN De culoarea aurului, a lămâii etc. («de couleur d’or, de citron»). (DEX, DER) Care este de culoarea aurului sau a lămâii; ca aurul; ca lămâia («de couleur d’or ou de citron; comme l’or, comme le citron»). (NODEX) Exemples: lumânări de ceară galbenă («des cierges de cire jaune») (Negruzzi), galbenele file («les feuilles jaunes») (Eminescu), pere galbene ca ceara («des poires jaunes come la cire») (Creangă). (DA)

BLEU Qui est de la couleur du ciel sans nuage. (NL) Qui est d’une couleur entre l’indigo et le vert, dont la nature offre de nombreux exemples, comme un ciel sans nuages, certaines fleurs (bleuet, bluet, myosotis, pervenche), certains minéraux (Lapis-lazuli, saphir). (GRLF) Qui, parmi les sept couleurs fondamentales du spectre, se situe entre le vert et l’indigo, et rappelle notamment la couleur diurne du ciel sans nuage, celle de l’eau profonde et claire, etc. (TLFi) ALBASTRU Care are culoarea cerului senin («qui a la couleur du ciel serein»). (DEX) De culoarea cerului senin («de la couleur du ciel serein»). (DER) Albastru este o nuanţă mai deschisă a culorii vinete exprimând mai ales culoarea cerului, a ochilor şi a mării («le bleu est une nuance plus claire du violacé traduisant surtout la couleur du ciel, des yeux et de la mer»). (DA) Remarques1

1) Les trois dictionnaires du français consultés à ce dessein concordent en

donnant tous une définition ostensive (ils indiquent les objets qui se caractérisent par cette couleur): le feu, le sang, mais aussi des fleurs (le coquelicot) pour le ROUGE; le JAUNE est associé à l’or, au citron, au safran, à la paille, au miel, etc., alors que le BLEU est la couleur du ciel sans nuages, mais aussi celle de certaines fleurs, de l’eau claire, etc.

2) Deux dictionnaires (GRLF et TLFi) combinent ce type de définition basé sur la représentation d’objets concrets avec des remarques du type (pré)scientifique (la position de la couleur dans le spectre: le ROUGE est à l’extrémité du spectre, le JAUNE est placé entre le vert et l’orange, le BLEU entre le vert et l’indigo), avec, cependant, la remarque que le TLFi ne se montre pas conséquent à cet égard et renonce à cette précision dans le cas de JAUNE.

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3) Pour ce dernier adjectif est mise à profit une indication relevant d’une autre caractéristique de cette couleur, plutôt subjective, celle de son «langage secret»: la plus chaude et lumineuse des couleurs.

4) Les dictionnaires du roumain utilisent le même principe de définition basé sur la représentation d’objets concrets (les différences d’avec les dictionnaires du français peuvent venir uniquement des référents auxquels on fait appel, mais il y a des constantes: le sang pour ROŞU, le ciel serein pour ALBASTRU ou l’or pour définir GALBEN; à remarquer cependant que pour ALBASTRU, le DA renvoie non seulement à la couleur du ciel mais aussi à celle de la mer et … des yeux. Mais on peut affirmer qu’on n’enregistre pas de différences culturelles dans ce cas, les deux langues appartenant au même espace culturel européen8.

5) On retrouve aussi des définitions réalisées à l’aide de la synonymie, ce qui implique un certaian degré d’approximation: ROŞU défini par deux autres adjectifs arămiu («cuivré»), purpuriu («pourpre») (DER et DLR).

6) GALBEN, en tant qu’adjectif n’est même pas défini, sa signification se dévoile uniquement à travers des comparaions (exemples littéraires).

2.4.1.2. Les couleurs secondaires: vert/verde, orange/portocaliu, oranj,

violet/violet VERT Qui est de la couleur de l’herbe et des feuilles des arbres. (NL) Intermédiaire entre le bleu et le jaune (radiations lumineuses dont la longueur d’onde avoisine 0,52 ��). (GRLF) En parlant d’une couleur du spectre solaire: Qui se trouve entre le bleu et le jaune; en partic., «qualifie des radiations lumineuses dont la longueur d’onde qui avoisine 0,52 , ou des radiations complexes qui produisent sur l’œil une impression analogue». (TLFi) VERDE Care are culoarea frunzelor, a ierbii sau, în general, a vegetaţiei proaspete de vară («qui a la couleur des feuilles, de l’herbe ou, en général, de la végétation fraiche d’été»). (DEX) Care are culoarea vegetaţiei proaspete de vară («qui a la couleur de la végétation fraiche d’été»). (DER) Care are culoarea frunzelor, a ierbii sau, în general, a vegetaţiei proaspete de vară, (despre culoare) care are o nuanţă particulară rezultată din combinarea galbenului şi

8 Sont à relever des différences notables dans la perception des couleurs, à travers l’histoire des civilisations et, à l’heure actuelle, dans divers espaces géoculturels. Par exemple, le terme bleu était absent chez les Romains (cf. entre autres Giuglea / Kelemen 1966). En même temps un mot comme color thalassicus («couleur de la mer») est un vert qui vire au bleu. On peut consulter à cet égard Michel Pastoureau, Bleu, histoire d’une couleur, Paris, Le Seuil, 2000.

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a albastrului; care se află între aceste doua culori în spectrul solar («qui a la couleur des feuilles, de l’herbe ou, en général, de la végétation fraiche d’été; qui a une nuance particulière résultant de la combinaison entre le jaune et le bleu; qui se trouve entre ces deux couleurs dans le spectre»). (DLR) ORANGE Couleur qui approche de celle de l’orange. (NL) D’une couleur semblable à celle de l’orange, c’est-à-dire formée par la combinaison du jaune et du rouge. (GRLF) D’une couleur semblable à celle de l’orange. (TLFi) PORTOCALIU9 De culoarea portocalei coapte; galben-roşiatic, oranj («de la couleur de l’orange mûre; jaune rougeâtre, orange»). (DEX) De culoarea portocalei; galben-roşiatic, (franţuzism) oranj («Idem»). (DA) VIOLET De couleur de la fleur qu’on nomme violette. (NL) Qui est de la couleur obtenue par le mélange du bleu et du rouge. (GRLF) D’une couleur qui parmi les couleurs fondamentales du spectre, en constitue l’une des limites visibles et rappelle la couleur de la fleur nommée violette. (TLFi) VIOLET De culoarea viorelei («de la couleur de la violette»). (DEX) De culoarea violetei, a micşunelei; vioriu, mov; liliachiu («de la couleur de la violette, de la mixandre; violet, mauve, lilas»). (DN) De culoarea florii de viorea; care are culoarea intermediară între roşu şi albastru (închis) («de la couleur de la violette; d’une couleur intermédiaire entre le rouge et le bleu foncé »). (DLR) Remarques2 1) Dans les dictionnaires du français, le VERT est associé à l’herbe, les

feuilles, alors que l’ORANGE et le VIOLET sont définis en fonction des noms dont ils dérivent.

2) Le critère scientifique (physique), qui définit la couleur en termes de longueur d’onde (microns), n’est appliqué que dans le cas du VERT (GRLF et TLFi). Même la précision que c’est une couleur du spectre est aléatoire: ici pour le VERT et le VIOLET (dans le TLFi).

3) Le fait que ces couleurs, étant secondaires, résultent d’une combinaison, n’est spécifié pour les trois couleurs, de façon constante, que dans le GRLF, alors

9 Le néologisme oranj, emprunt au français, est qualifié de livresque par le DEX et de francesisme par le DLR (vu que ce mot est un emprunt au français qui double la forme autochtone portocaliu (dérivé de portocală «orange (fruit)».

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que le TLFi ne le fait que pour le VERT, ce qui démontre une certaine inconséquence dans un même et unique dictionnaire.

4) Les dictionnaires du roumain font également appel aux référents prototypiques auxquels ces couleurs sont associées: la végétation fraîche pour VERDE, la violette pour VIOLET, l’orange pour PORTOCALIU.

5) Dans le DLR ce type de définition se combine avec des informations sur le spectre (v. VERDE) et sur la nature de la combinaison chromatique dans le cas de VIOLET (sans précision de la position de la couleur dans le spectre), ce qui indique un manque de cohérence dans le cadre du dictionnaire.

6) Le recours à des synonymes caractérise, tout comme dans le cas des couleurs primaires, uniquement les définitions en roumain: respectivement vioriu, mov, liliachiu pour VIOLET et galben-roşiatic, oranj pour PORTOCALIU.

2.4.2. Les couleurs achromatiques: blanc/alb, noir/negru, gris/gri, cenuşiu BLANC Qui est de la couleur du lait, de la neige, etc. (NL) Qui est d’une couleur combinant toutes les fréquences du spectre, et produisant une impression visuelle de clarté neutre, dont la nature offre de nombreux exemples: Blanc comme la neige, comme le lait, l’albâtre, la craie, un lis. (GRLF) Qui, combinant toutes les couleurs du spectre solaire, a la couleur de la neige, du lait, etc. (TLFi) ALB Care are culoarea zăpezii, a laptelui («qui a la couleur de le neige, du lait»). (DEX) De culoarea zăpezii, a laptelui («Idem»). (DER) Exemples: dinţii lui mai albi vor fi decât laptele («ses dents seront plus blanches que le lait») (Palia), ca marmura de albă («blanche comme le marbre») (Eminescu), două iepe albe ca zăpada («deux juments blanches comme la neige») (Creangă). (DA) NOIR Qui est de la couleur la plus obscure, la plus privée de lumière. (NL) Se dit de l’aspect d’un corps qui produit une impression particulière sur la vue du fait que sa surface ne réfléchit aucune radiation visible. Rem. Noir, à proprement parler, ne désigne pas une couleur mais on dit couramment: la couleur noire. (GRLF) Caractérisé par l’absence de couleur (ou par une couleur très sombre) ou bien par l’absence de lumière. Rem. À strictement parler, noir ne désigne pas une couleur. Le corps noir absorbe intégralement les rayons qu’il reçoit à sa surface. Mais la langue retient le fait que le noir produit une impression visuelle analogue à celle des couleurs et admet couramment la couleur noire. (TLFi)

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NEGRU Care nu reflectă lumina, care are culoarea cea mai închisă; de culoarea funinginii, a cărbunelui; (despre culori) ca funinginea, ca penele corbului, cu cea mai închisă nuanţă («qui ne reflète pas la lumière, qui est de la couleur la plus obscure; de la couleur de la suie, du charbon; (à props des couleurs) comme la suie, comme l’aile du corbeau, avec la nuance la plus foncée»). (DEX) De culoarea funinginii («de la couleur de la suie»). (DER) Care nu reflectă lumina, care are culoarea cea mai închisă, de culoarea funinginii, a cărbunelui, a penelor corbului («qui ne reflète pas la lumière, qui est de la couleur la plus obscure, de la couleur de la suie, du charbon, de l’aile du corbeau»). (DLR) GRIS Qui est de couleur entre blanc et noir. (NL) D’une couleur intermédiaire entre le blanc et le noir. (GRLF, TLFi) GRI10 Cenuşiu («couleur de cendre, cendré»). (DEX) Remarques3

1) Etant donné les caractéristiques physiques spécifiques des couleurs

achromatiques (dont en optique on ne reconnait pas même le statut de ’couleur’)11, les dictionnaires choisissent des modalités diversifiées de définition. Il y a d’abord le recours au critère de la référence, mais qui s’y applique uniquement pour le BLANC, associé à la neige et au lait. Pour le NOIR, ces associations n’apparassent que dans les exemples fournis après la définition.

2) Dans le cas du BLANC, les définitions (préscientifiques) insistent sur les caractéristiques optiques: combinaison de toutes les fréquences du spectre (GRLF, TLFi), alors que et le NOIR est défini comme une non-couleur: privée de lumière (NL), absence de couleur et de lumière (GRLF).

3) Enfin, le GRIS est unanimement caractérisé par sa position intermédiaire entre le blanc et le noir.

4) On remarque dans le cas du roum. ALB, la même association qu’en français avec la neige et le lait, alors que NEGRU renvoie au charbon, aux plumes du corbeau ou à la suie (et qui est d’ailleurs l’unique référence dans le DER). Cette couleur est qualifiée aussi de «la plus foncée» (DEX, DLR).

5) GRI est défini seulement par le recours à la synonymie avec cenuşiu («cendré») (DEX). La définitin scientifique, qui apparait normalement dans ce

10 Dans les manuels des arts plastiques le GRIS bénéficie de définitions beaucoup plus amples, avec la description de divers mélanges chromatiques, à partir du gris neutre aux gris avec une certaine teinte. (cf. Bidu-Vrănceanu 2002). 11 Dans d’autres disciplines, imprimerie, photographie, peinture, cinématographie, on les considère comme des couleurs et on valorise artistiquement leur pouvoir suggestif.

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dictionnaire seulement pour les noms, est donnée dans le cas de ce lexème sous l’entrée CENUŞIU (Culoare obţinută prin suprapunerea în diferite proporţii a culorilor alb şi negru – Couleur obtenue pas la superposition dans différentes proportions du blanc et du noir), quoique ce soit gri qui est le terme non marqué diastratiquement et utilisé dans le langage des arts plastiques.

6) Dans le cas de GALBEN, tout comme dans le cas de ALB, le DA ne le définit pas, en recourant uniquement à des comparaisons tirées de la littérature.

3. CONCLUSIONS La différence de principe entre les définitions lexicographiques relevées dans

les dictionnaires des deux langugues prises en compte vient du fait qu’en roumain, contrairement au français, la définition scientifique par référence au spectre est donnée uniquement pour les substantifs12. Les adjectifs sont définis prioritairement par ostension (définition qui, quoique incomplète, approximative et dépendant de la perception individuelle, a l’avantage d’être concrète, ‘visualisant’ en quelque sorte la couleur, qui devient ainsi accessible aux usagers de la langue). Dans le DLR, on fait aussi des références sommaires au spectre même pour les adjectifs (v. VERDE, mais il n’en est pas de même pour VIOLET - dans le même tome du dictionnaire!), ces informations apparaissant uniquement pour le substantif13.

Les dictionnaires du français réunissent dans le cadre de la catégorie morphologique de l’adjectif la définition usuelle, par ostension, et celle (pré)scientique, en termes de position dans le spectre, fréquences du spectre, etc., ces dernièeres précisions n’étant accessibles qu’à des personnes plus ou moins initiées à l’optique.

12 Culorile primare […] (alb, negru, galben, roşu, albastru, verde) sunt definite în DEX’96 în două maniere diferite, după cum sunt adjective sau substantive. […] Când sunt substantive, se dă definiţia ştiinţifică din fizică: ALB, «culoare obţinută prin suprapunerea tuturor componentelor luminii zilei», ALBASTRU, «una dintre culorile fundamentale ale spectrului luminii, situată între verde şi indigo», VERDE, «una din culorile fundamentale ale spectrului solar, situată între galben şi albastru», ş.a.m.d. (cf. Bidu-Vrănceanu 2002) («Les couleurs primaires (le blanc, le noir, le jaune, le rouge, le bleu, le vert») sont définies dans le DEX ’96 de deux manières différentes, selon qu’elles sont des adjectifs ou des noms. Quand elles sont des noms, on donne la définition scientifique utilisée en physique: BLANC «couleur obtenue par la superposition de toutes les composantes de la lumière du jour», BLEU «l’une des couleurs fondamentales du spectre, située entre le vert et l’indigo», VERT «l’une des couleurs fondamentales du spectre, située entre le jaune et le bleu», et ainsi de suite (n. trad.). 13 VERDE est défini en tant qu’adjectif comme une couleur située entre le jaune et le bleu dans le spectre solaire et en tant que s.n. comme la quatrième couleur fondamentale du spectre, alors que dans le cas de VIOLET ces indications apparaissent uniquement pour le s.n., la septième couleur du spectre.

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Donc, il s’est avéré, par la brève analyse comparative effectuée, que ces critères de définition sont hétérogènes, combinant des critères divers (scientifique + usuel), (abstrait + concert), etc.; en plus, on a signalé des différences de principe entre les deux langues concernant la définition lexicographique des adjectifs chromatiques.

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UN CAS DE SYNONYMIE STYLISTIQUE : ROUM. CENUŞIU ET GRI1

1. LA STRUCTURE ÉTYMOLOGIQUE DES ADJECTIFS

CHROMATIQUES DU ROUMAIN

Cet article fait suite à un autre (Scurtu 2013), projet d’une étude plus vaste se proposant de traiter de l’influence du français sur le vocabulaire chromatique du roumain. En fait il s’agira d’effectuer une étude comparative des caractéristiques sémantiques et pragmalinguistiques des chromonymes d’origine française du roumain, dont nous présentons dans ce qui suit un échantillon.

Afin de justifier notre démarche, nous commençons par la présentation d’un bref aperçu sur la structure étymologique de ces adjectifs. Dans le cas des chromonymes peut être mise en évidence, tout comme dans n’importe quel autre compartiment du vocabulaire du roumain, l’hétérogénéité de la structure étymologique du lexique de cette langue, qualifiée souvent d’hospitalière : aux mots du fonds traditionnel s’ajoutent de nombreux dérivés formés sur le terrain du roumain ainsi qu’un nombre appréciable d’emprunts à d’autres langues, notamment au français.

1.1. Le fonds hérité du latin Les termes d’origine latine désignent les couleurs fondamentales, plus

précisément : - les trois couleurs primaires du spectre (le ROUGE, le JAUNE et le BLEU) : roşu < ROSEUS, galben < GALBINUS, albastru < ALBASTER ; - une des trois couleurs secondaires (le VERT) : verde < VIR(I)DIS ; - deux couleurs achromatiques (le BLANC et le NOIR) : alb < ALBUS, negru < NIGRUM2.

1 Gabriela Scurtu, «Un cas de synonymie stylistique: roum. cenuşiu et gri», in AUC, Seria Lingvistică, 2014, p. 161-172. 2 Sont toujours d’origine latine quelques adjectifs avec une circulation plus restreinte, tels que : cărunt < CANUTUS, roib < RUBEUS.

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1.2. Les dérivés sur le terrain de la langue roumaine Les formations dérivées ont été perçues comme formant un microsystème

lexical, ce qui leur a assuré une considérable stabilité. Elles peuvent provenir de bases :

- d’origine latine : arămiu, auriu, cenuşiu, cânepiu, fumuriu, argintiu, brumăriu, pământiu, ruginiu ;

- ou d’autres origines : cafeniu, castaniu, cărămiziu, liliachiu, măsliniu, portocaliu, stacojiu, vişiniu, etc.

Ces dérivés en -iu forment un groupe relativement important et qui s’enrichit constamment (azuriu, blondiu) (cf. Stoichiţoiu Ichim 2013).

1.3. Les emprunts Les emprunts forment une classe très riche, celle des néologismes d’origine

étrangère, entrés en roumain soit par besoin de dénomination (néologismes connotatifs), soit pour nuancer le vocabulaire (néologismes connotatifs ou stylistiques). En nous référant uniquement aux emprunts français, il faudra préciser que la liste est assez longue, dont voici quelques exemples : acaju < fr. acajou, bleu < fr. bleu, bleumarin < fr. bleumarine, bej < fr. beige, bordo < fr. (vin) de Bordeaux, corai < fr. corail, crem < fr. crème, ecarlat < fr. écarlate, frez < fr. fraise, gri < fr. gris, kaki < fr. kaki, lila < fr. lilas, maro < fr. marron, mov < fr. mauve, oliv < fr. olive, oranj < fr. orange, roz < fr. rose, turcoaz < fr. turquoise, vernil < fr. vert Nil, violet < fr. violet, etc.

À cela s’ajoutent les adjectifs composés servant à exprimer une large gamme de nuances : roz-somon < fr. rose somon, bleu vert < fr. bleu vert, gri fer < fr. gris fer, gri-perle < fr. gris perle, etc.

2. BUTS VISÉS DANS L’ARTICLE La présente étude porte sur le fonctionnement (sémantisme, valeurs, emplois

spécifiques) du couple synonymique : cenuşiu < cenuşă « cendre » (du lat. CINUSIA < cinis) + -iu et gri (< fr. gris). Nous nous proposons de faire une étude comparative, à partir du mot français gris (sens, amplitude sémantique, valeurs, emplois spécifiques, symbolisme) pour examiner ensuite comment les deux synonymes existant en roumain (cenuşiu et gris) se partagent les mêmes zones et quels sont les points qui les différencient aux divers paliers de leur usage. C’est un cas de synonymie stylistique3, l’un des termes étant un mot du fonds traditionnel et

3 La synonymie stylistique inclut des termes d’origine étrangère qui doublent en quelque sorte les mots du fonds traditionnel. Un mot néologique peut ainsi avoir comme synonyme un autre, existant déjà dans la langue. Et comme, de façon générale, il n’existe pas de

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l’autre un néologisme d’origine française (à mentionner que tel est également le cas pour le couple portocaliu (< portocală «orange (fruit)» + -iu) et oranj (< fr. orange).

Les quelques préliminaires qui suivent, en précédant l’exposé proprement dit, s’attachent à fournir des précisions nécessaires concernant les principes de classement et de définition des adjectifs chromatiques, afin de mieux situer les adjectifs analysés dans cet ensemble.

3. PRÉCISONS PRÉLIMINAIRES 3.1 Critères de classement des adjectifs chromatiques 1) En optique, selon leur provenance, sont établies quatre classes d’adjectifs

chromatiques (v. le cercle chromatique4), à savoir : - les couleurs primaires (le ROUGE, le JAUNE et le BLEU) ; - les couleurs secondaires, obtenues par le mélange à parts égales de deux

couleurs primaires (l’ORANGE, le VERT et le VIOLET) ; - les couleurs tertiaires ou intermédiaires, obtenues par le mélange d’une

couleur primaire avec une couleur secondaire, en obtenant ainsi des nuances (bleu verdâtre, bleu violacé, vert jaunâtre, jaune-orangé, etc.) ;

- les couleurs achromatiques, qui ne font pas partie du cercle (le BLANC, le GRIS et le NOIR).

2) Une autre vision, exprimée par A. Mollard-Desfour (2008), se rapporte à l’existence de « champs chromatiques »5, champs ou focus désignés en français par les termes génériques: NOIR, BLANC, ROUGE, JAUNE, VERT, BLEU, BRUN, GRIS, VIOLET, ORANGE, ROSE6.

Le GRIS est donc rangé parmi les onze termes génériques, en vertu de sa qualité de correspondre à un espace rattaché à une couleur de référence qui en signale la dominante.

synonymie parfaite, leur fonction est de nuancer le vocabulaire (cf. David 1979, Şerbănescu 1985, Scurtu 2008). 4 Le cercle chromatique, document de référence en matière de théorie et d’harmonie des couleurs, est la création du chimiste français Eugène Chevreuil. [www.peinturelaurentide.com/fr/couleur_en_theorie/vocabulaire_de_la_couleur.asp_] et [www.milleetunefeuilles.fr/harmonie-des-couleurs]. 5 « Ces champs de couleur correspondent à une zone, un espace chromatique englobant toutes les nuances de la tonalité, du clair au foncé, parfois même des nuances proches d’une autre tonalité » (Mollard-Desfour 2008 : 24). 6 On observe donc que ces champs comprennent les couleurs primaires (le ROUGE, le JAUNE et le BLEU), les couleurs secondaires (l’ORANGE, le VERT et le VIOLET), les couleurs achromatiques (le NOIR, le BLANC et le GRIS) ainsi que deux couleurs intermédiaires, n’appartenant pas au spectre : le BRUN « d’une couleur sombre entre le roux et le noir » (GRLF) et et le ROSE « d’une teinte d’un rouge très pâle » (TLFi).

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3.2 Critères de définition des adjectifs de couleur dans les dictionnaires généraux

Les définitions des chromonymes dans la lexicographie générale réunissent le type scientifique (physique, chimie) et le type usuel (langue commune), représentant des solutions alternatives, mais incomplètes. Ces définitions diffèrent en fonction de la position de la couleur dans le cercle et illustrent des modalités diversifiées, essentiellement fondées sur la représentation d’objets concrets caractérisés par la couleur en question (le critère de la référence), mais aussi sur la position de la couleur en question par rapport aux autres couleurs.

GRIS Qui est de couleur entre blanc et noir. (NL) D’une couleur intermédiaire entre le blanc et le noir. (GRLF, TLFi) GRI7 Cenuşiu (« cendré »). (DEX) Care este de culoare cenuşie ; ca cenuşa, cenuşiu (« qui est de couleur cendrée, comme la cendre »). (NODEX) CENUŞIU De culoarea cenuşei (« de la couleur de cendre »). (DA) 1) De culoarea cenuşii ; gri, bozafer (« de la couleur de cendre ; gris, cendré ») ; 2) Şters, lipsit de expresivitate (« effacé, sans personnalité »). (DEX) 1) Care este de culoarea cenușii ; sur ; gri (« de la couleur de cendre ; gris, cendré ») ; 2) (fig.) Care nu se remarcă prin nimic ; inexpresiv (« qui ne se remarque par rien ; inexpressif). (NODEX) Ces définitions lexicographiques, puisées dans des dictionnaires généraux

usuels des deux langues, nous permettent de faire les commentaires suivants : i) Étant donné les caractéristiques physiques spécifiques des couleurs

achromatiques (dont en optique on ne reconnait pas même le statut de ’couleur’), le GRIS est unanimement caractérisé dans les dictionnaires du français par sa position intermédiaire entre le blanc et le noir.

ii) Pour le roumain, GRI est défini seulement par le recours à la synonymie avec cenușiu (« cendré », « couleur de cendre »). La définition scientifique, qui apparait normalement dans le dictionnaire cité seulement pour les noms, est donnée dans le cas de ce lexème sous l’entrée CENUȘIU s.n. (culoare obţinută prin suprapunerea în diferite proporţii a culorilor alb și negru « couleur obtenue pas la superposition dans différentes proportions du blanc et du noir ») (in DEX).

7 À mentionner que gri ne figure pas dans le DA. D’autre part, dans les manuels des arts plastiques le GRIS bénéficie de définitions beaucoup plus amples, avec la description de divers mélanges chromatiques, à partir du gris neutre aux gris avec une certaine teinte (cf. Bidu-Vrănceanu 2002).

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iii) À son tour CENUȘIU est défini par ostension, c’est-à-dire par la représentation de l’objet concret caractérisé par la couleur en question, en l’occurrence la cendre. En plus, remarquons les sens figurés (« effacé », « inexpressif », etc.), qui n’apparaissent pas dans la définition de GRI, malgré la possibilité qu’a cet adjectif d’apparaitre avec ces valeurs (c’est un aspect sur lequel on reviendra avec de plus amples commentaires dans ce qui suit).

4. ANALYSE COMPARATIVE DES ADJECTIFS FR. GRIS / ROUM.

CENUŞIU ET GRI 4.1. Le cas du français Concernant l’étymologie de l’adjectif gris, les dictionnaires indiquent

l’a.b.frq. *grîs (in TLFi), avec la précision, chez A. Mollard-Desfours (2008), que gris a certainement été introduit en Gaule par les mercenaires germains comme adjectif qualifiant la robe des chevaux ; il a ensuite été utilisé en français pour parler de la barbe (1150).

Gris est unanimement défini, comme indiqué supra (3.2.), par le fait qu’il désigne une couleur intermédiaire entre le blanc et le noir.

Un bref aperçu, tel qu’il en ressort de quelques dictionnaires généraux du français (TLFi, GRLF, NL, ainsi que le portail lexical CNRTL) portant sur les significations (sens concrets et abstraits) de l’adjectif gris, le type de nom auquel il est incident, les contextes, les emplois spéciaux (langues de spécialité), symbolistique, etc. pourrait conduire au schéma suivant :

1) Gris caractérise un trait inhérent du qualifié ou bien il n’est pas essentiel à la qualité, à la nature de celui-ci, qualifiant des traits accessoires ;

2) Il s’applique en parlant de personnes ou d’inanimés, tant concrets qu’abstraits ;

3) Il présente des sens concrets et des sens abstraits (souvent métaphoriques) ;

4) Il s’utilise dans la langue générale et dans certaines langues de spécialité. Voilà dans ce qui suit des précisions plus détaillées, avec des illustrations : A. Lorsque gris est inhérent à la qualité, la nature, la fonction du qualifié, il

s’applique : 1) À des noms [+personne] pour en qualifier : a) l’aspect physique : yeux gris, barbe grise, cheveux gris (et par

métonymie) tête grise « tête couverte de cheveux gris ». À cela se rattache aussi la locution verbale (fam.) être, devenir gris (« commencer à) avoir les cheveux gris » ;

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b) les vêtements : habillement gris, chapeau gris, chaussures grises, robe grise.

2) À des noms [+animé] [-personne] : Une jument grise à queue sombre (Fromentin, in TLFi). Le plumage gris de certains oiseaux (GRLF). (Proverbe) La nuit tous les chats sont gris.

En particulier, en parlant de la robe d’un cheval : gris pommelé « tacheté de poils noirs et de poils blancs ». Chevaux gris-pommelés (Balzac, in TLFi).

3) À des noms [-animé] [+concret] : roche, terre grise. Ce brouillard gris et froid (Alain-Fournier, in TLFi).

À noter l’emploi spécial en anatomie : matière, substance grise, cellules grises « cellules de couleur grise distribuées dans certaines parties de l’encéphale », « partie du système nerveux central ».

B. Lorsque gris n’est pas essentiel à la qualité, à la nature, à la fonction du

qualifié, renvoyant donc à un trait accessoire, il s’applique : 1) À des noms [+personne] (en parlant de la couleur de la peau) : visage gris

« fatigué » (GRLF), « qui manque de fraîcheur, d’éclat; terne, usé » (TLFi), peau grise et terne (GRLF).

2) À des noms [-animé] [+concret], avec le sens de « qui est d’une teinte sombre, obscure », en particulier en parlant du temps, du climat : temps gris « temps couvert et froid ».

Les premiers brouillards, les premières journées grises ajoutaient à tout cela leur désolée tristesse (Loti, in TLFi). Par métaphorisation : Le ciel gris de nos mornes pensées (Moréas, in TLFi). Nous apprécions que dans la citation suivante sont réunis les caractéristiques

de l’adjectif présentées sous A et B, gris s’appliquant aussi bien à des noms de personne qu’à des inanimés, indiquant les deux types de qualifications (inhérente ou non à la nature du qualifié) :

C’est un grand vieillard gris. Quand je dis qu’il est gris, ce n’est pas une image mais une description réelle. Il est grand, maigre, décharné, osseux… Il a la peau grise, les cheveux et la moustache gris, une chemise grise, un costar gris, une cravate grise, des souliers gris et, pour se gratter, il se met sûrement de longs gants (calembour sur onguent) gri (San-Antonio, in GRLF). 3) À des noms [-animé] [-concret], toujours dans un sens figuré : « sans

éclat » et, par extension, « sans intérêt terne, morne », entrant en relation de synonymie avec monotone, terne, triste, etc. : style gris « sans couleur ».

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Ses pensées étaient grises et indistinctes ainsi que les aspects des rues et des places que la pluie effaçait (A. France, in TLFi). […] une vie grise avait recommencé. Pendant douze ans, elle ne se souvenait pas d’une secousse. Elle était très calme et très heureuse, sans une fièvre de la chair ni du cœur, enfoncée dans les soucis quotidiens d’un ménage pauvre (Zola, in TLFi). […] vie terne et grise où les sentiments trop forts étaient des malheurs, où l'absence de toute émotion était une félicité (Balzac, in TLFi). 4.2. Le cas du roumain En roumain deux adjectifs, cenuşiu et gri, se partagent les emplois d’un seul

lexème en français (les sens propres et figurés, les valeurs dénotatives et connotatives), car ces deux adjectifs sont synonymes (on a vu que certains dictionnaires définissent l’un par renvoi à l’autre), commutent le plus souvent dans les mêmes contextes, mais enregistrent aussi des contextes privilégiés où ils sont exclusifs l’un de l’autre.

Cenuşiu et gri s’appliquent tous les deux, tout comme gris en français, à diverses classes de noms, de personne ou inanimés, concrets et abstraits, et peuvent prendre de nombreuses et intéressantes valeurs figurées.

En analysant, comparativement, les emplois et les sens en français et en roumain et en suivant le même schéma, on obtient, grosso modo, les équivalences suivantes

A. Les adjectifs qualifient un trait inhérent du déterminé : 1) Ils s’appliquent à des noms [+personne] a) pour en qualifier les yeux, les cheveux, la barbe, etc. : ochi gri ou cenuşii

(« yeux gris »), păr gri ou cenuşiu (« cheveux gris »), avec la remarque que cenuşiu s’emploie surtout dans le syntagme blond cenuşiu (« blond cendré ») ; d’ailleurs ces adjectifs sont utilisés de préférence pour désigner les couleurs artificielles, alors que pour les cheveux qui commencent à blanchir on emploie cărunt (< lat. CANUTUS) ou grizonant (< fr. grisonnant), ce dernier étant marqué connotativement par le trait [+distingué] ;

b) appliqués à l’habillement, nous opinons que gri désigne la couleur d’une façon neutre (fonctionnant comme adjectif descriptif) : costum gri (« costume gris »), rochie gri (« robe grise »), cravată gri (« cravate grise »), alors que cenuşiu peut conférer une valeur connotative, suggérant l’idée de « triste, morne, terne » ; straie cenuşii « ponosite, cernite, vechi, negre, de doliu » (« vêtements ternes, usés, râpés, sombres, de deuil ».

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(http://mihneafiran.ro/index.php?option=com_content&view=article&id=134&Itemid=109&x=1&litera=H)

2) Appliqués à des noms d’animaux, les deux adjectifs semblent être en variation libre : par exemples blană gri ou cenuşie (« fourrure grise »), pisică gri ou cenuşie (« chat gris »), lup gri ou cenuşiu (« loup gris »), etc. Dans les exemples ci-dessous, fournis par des sites internet, l’on observe que dans une même phrase apparaissent alternativement les deux adjectifs, avec la même valeur qualifiante, descriptive, ce qui peut s’expliquer par la nécessité de varier l’expression :

Blana este de culoare cenușie-deschis, cu pete în formă de inel. [....] Culoarea de bază a blănii la spate și în partea superioară este de un gri-gri deschis (http://ro.wikipedia.org/wiki/Leopardul_z%C4%83pezilor) Penajul cucului are o coloraţie generală cenuşie cu ceva nuanţe maronii pe aripi. Pieptul şi burta sunt albe-galbui, brăzdate de dungi gri închis. (http://www.animale-salbatice.ro/cucul.html) À remarquer cependant que dans le proverbe La nuit tous les chats sont gris,

l’équivalent roumain fait appel à cenuşiu : Noaptea toate pisicile sunt cenuşii, peut-être pour la raison que la référence à la couleur est réalisée métaphoriquement (non seulement en tant que phénomène physiologique : notre vision nocturne, mais aussi dans un sens figuré : dans l’obscurité, les différences s’effacent)8.

3) Avec des noms [-animé] [+concret] : rocă gri (« roche grise »), pământ gri (« terre grise »), pânză cenuşie (« toile grise »), [Graurii] au clocit oăle lor cenuşii (« Les étourneaux ont couvé leurs œufs gris ») (Odobescu). Chelaru-Murăruş (2011: 193) remarque que « la plupart des zones référentielles auxquelles renvoient les termes spécificateurs du noyau chromatique GRIS appartiennent à la matière anorganique, sans vie (roches, matériaux de construction, pierres semi-précieuses, métaux) » (n. trad.)9.

Gri semble, constatation plutôt intuitive, l’emporter sur cenuşiu avec cette valeur propre, désignant la couleur d’un objet matériel. On peut cependant relever aussi des exemples ou gri, désignant la couleur, sans aucune autre connotation, s’applique à des noms n’appartenant pas strictement à cette classe sémantique, par

8 L’expression La nuit tous les chats sont gris est alors utilisée pour définir ce sentiment de se fondre dans l’obscurité, voire de cacher son « étrangeté » et sa singularité (Catherine Espinasse, Peggy Buhagiar, Les passagers de la nuit: vie nocturne des jeunes, L’Harmattan, Paris, 2004). 9 Le texte original: Cea mai mare parte a zonelor referenţiale la care trimit termenii specificatori ai nucleului cromatic GRI aparţine materiei anorganice, lipsite de viaţă (roci, materiale de construcţie, pietre semipreţioase, metale) […] (Chelaru-Murăruş 2011 : 193).

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exemple : ceaţă gri (« brouillard gris » (Negruzzi), zare gri (« horizon gris ») (Alecsandri).

4) À noter aussi les emplois spécialisés, où les deux adjectifs ne commutent plus :

Anatomie : materie cenuşie (« matière, substance grise »), celule cenuşii (« cellules grises, cellules de couleur grise distribuées dans certaines parties de l'encéphale », y compris au sens figuré par glissement métonymique « intellect ») ;

Économie : piaţă gri (« marché gris ») ; Théologie : eminenţă cenuşie (« éminence grise » et, par extension,

« conseiller influent qui reste dans l’ombre d’une personnalité »).

B. Les deux adjectifs qualifient un trait accessoire du déterminé : 1) Ils s’appliquent à des noms [+personne] (par référence à la couleur de la

peau) : ten gri ou cenuşiu, avec une prédilection pour le premier adjectif (« teint gris, fatigué, qui manque de fraîcheur, d’éclat ; terne, usé (peau grise et terne) »), (en opposition avec ten strălucitor, care radiază). Les deux adjectifs, gri et cenuşiu, entrent alors en concurrence avec des synonymes comme cadaveric, palid, galben, à même de souligner non seulement la couleur, mais aussi le manque de fraîcheur, d’éclat (« terne, usé »), mais aussi l’idée de « maladif ».

2) Ils s’emploient avec un sens figuré, avec des noms [-animé] [-concret] : O viață gri ou cenuşie (« vie grise ») exprime une existence morne, triste,

terne, sans félicité. On remarque cependant la préférence pour cenuşiu, car gri peut s’associer à l’idée de couleur proche de bleu, violet (donc une ‘présence’ de la couleur), alors que cenuşiu renvoie à une non couleur, le CENDRÉ, le GRISÂTRE, étant connoté en roumain [+psychologique /+affectif]).

3) Tout comme le français temps gris, en roumain ces adjectifs s’appliquent en parlant du temps, du climat. Les deux couleurs s’associent avec l’automne, le mauvais temps, la mélancolie, la tristesse, symbolistique qui a été abondamment exploitée en littérature :

Cri-cri-cri, Toamnă gri (« automne gris ») (Topârceanu) où l’adjectif est employé avec un sens figuré (le choix de gri au lieu de cenuşiu, qui aurait parfaitement pu suggérer les caractéristiques de cette saison, telles qu’évoquées par le poète, est sans doute dicté par la rime).

Plâns de cobe pe la geamuri se opri, / Si pe lume plumb de iarnă s-a lăsat;/ I-auzi corbii! .../ mi-am zis singur...si-am oftat;/ Iar în zarea grea de plumb/ Ninge gri (« il neige gris ») (Bacovia), où le motif central, associé à la neige grise suggère, pour le poète du volume Plumb (« Plomb »), la correspondance

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dramatique entre le monde extérieur et intérieur, un espace minéralisé, pétrifié, clos, d’où toute tentative d’évasion s’avère impossible.

4) En roumain, seul cenuşiu pourrait rendre l’idée de « monotone, terne, sans éclat, sans valeur », comme équivalent du français gris, pour caractériser une œuvre, un style, un auteur, par exemple :

Il y a [dans ce tableau] bien du bon, mais il est gris et faible (Goncourt, in

CNRTL). Son orchestration est un peu grise, manque de force et d’éclat, de lumière (Lavignac, in CNRTL). La prose ondulante et grise de l’élève de Lamennais (Daudet, in CNRTL).

5. CONCLUSIONS On remarque pour le français gris la variété de sens, en fonction de la nature

de la qualification, les emplois dénotatifs et connotatifs, l’amplitude sémantique de cet adjectif, usuel, vieux dans la langue, mais très productif10.

Les deux adjectifs du roumain, dont l’un vieux (cenuşiu) et l’autre néologique (gri), se partagent les mêmes sens, valeurs et emplois que le seul adjectif gris en français. Les exemples l’ont montré avec assez de clarté. Gri est plutôt le terme non marqué diastratiquement, indiquant la couleur proprement dite, ce qui explique aussi pourquoi il est utilisé dans les traités d’art plastique, à l’exclusion de cenuşiu (Bidu-Vrănceanu 2002).

D’autre part, on a remarqué la propension de cenuşiu pour des emplois figurés, s’appliquant à des noms concrets ou abstraits, où le chromonyme ne fait référence à la couleur que subsidiairement, l’idée dominante focalisée étant une caractéristique que cette couleur suggère, d’habitude le manque d’éclat, la monotonie, la tristesse, etc.11, en fonction de divers paramètres textuels et discursifs12.

10 Une nuance particulière de la couleur peut être précisée : a) (par un adjectif) : gris ardoisé, gris argenté, gris-blanc, gris-bleu, gris cendré, gris clair, gris foncé, gris laiteux, gris perlé ; b) (par un nom apposé) : gris ardoise, gris argent, gris fer, gris moineau, gris perle, gris saumon, gris sauterelle, gris souris, gris taupe ; c) (par une structure prépositionnelle) : gris d’argent, gris d’argile, gris de fer, gris de lin, gris de pierre, gris de plomb. 11 On a toutefois remarqué que gri n’est pas exclus dans de tels contextes, avec ces mêmes valeurs figurées. Les cas de synonymie contextuelle sont donc nombreux. 12 Par exemple Nicu Boaru, Vacarmul cenuşiu (« le vacarme gris »), in Actualitatea Prahoveană (18.02, 2014) ; Mircea Mihăieş, Arcadia cenuşie (« l’Arcadie grise »), in România literară (nr. 43, 2002).

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Une autre remarque vise la productivité de l’adjectif gri, la force de ce terme néologique, tant du point de vue de son amplitude sémantique que de sa vivacité dans la langue13.

13 Les nombreux termes composés actuels créés à partir de gri par l’adjonction (i) d’un nom : gri-cenuşă, gri-quartz, gri-pietriş, gri-nisip, gri-ardezie, etc. (dont la plupart sont des calques sur des modèles étrangers), à côté de formation moins récentes : gri-fer, fri-perlă, gri-oliv, gri-şoarece, etc., (ii) ou d’un adjectif : gri-albăstrui, gri-argintiu, gri-bej, gri-fumuriu, gri-verde, etc. illustrent la dynamique de ce terme de couleur, sous l’influence des pratiques économiques, sociales et culturelles actuelles (cf. Chelaru-Murăruş 2011).

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LES GALLICISMES DU ROUMAIN: ENTRE LA DÉFINITION LEXICOGRAPHIQUE ET L'EMPLOI

CONTEXTUEL1

INTRODUCTION Les gallicismes du roumain représentent un terrain fertile de recherche pour

les spécialistes qui s’intéressent à établir la relation entre l’évolution de la langue et son recensement aux niveaux lexicographique et discursif. Les réflexions qui suivent ont été inspirées par les recherches que nous avons effectuées lors d’un projet de recherche déroulé en deux étapes : (i) entre 2009-2011, le projet de recherche CNCS : Typologie des emprunts lexicaux français en roumain. Fondements théoriques, dynamique et catégorisation sémantique (FROMISEM) ; (ii) en 2014, le projet de recherche Reconfiguration sémantique des gallicismes dans l’espace socio-culturel roumain (Fromisem II). Si le premier projet a été consacré plutôt à l’analyse des gallicismes du roumain sous trois aspects (la définition des concepts opérationnels mobilisés dans la recherche (emprunt, gallicisme, néologie, néologisme, néonyme, étymologie multiple, etc.), les problèmes étymologiques et l’élaboration d’une typologie sémantique des emprunts roumains au français), le deuxième se propose de mettre en évidence le rôle des gallicismes en tant que marqueurs socio-culturels reflétant les changements de nature sociale, politique et culturelle qui ont eu lieu dans la société roumaine.

Dans ce contexte, par l’analyse de l’évolution des référents désignés par les gallicismes du micro-champ du mobilier, depuis le moment de l’emprunt jusqu'à l’époque contemporaine, notre contribution se propose de mettre en rapport leur définition lexicographique avec les sens contextuels que ces mots ont acquis dans les deux langues, la langue prêteuse (le français) et la langue emprunteuse (le roumain). Pour y arriver, nous avons conçu notre contribution en trois étapes :

1 Daniela Dincă, «Les gallicismes du roumain: entre la définition lexicographique et l'emploi contextuel», in M. Pitar (éd.) : Agapes francophones, Actes du XIe Colloque International d’Études Francophones «Le texte en contexte(s)», Timişoara, les 13-14 mars 2014, p. 185-193, Université de Szeged, JATEPress.

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(i) définir la (re)configuration sémantique des gallicismes du roumain dans le passage du français en roumain ;

(ii) analyser la définition lexicographique des gallicismes du roumain pour démontrer le rapport entre leur signification dans les dictionnaires et dans les différents contextes discursifs ;

(iii) mettre en exergue le rôle du contexte comme actualisateur des sèmes d’un gallicisme. Le contexte a le rôle d'actualiser l'une des acceptions du mot ou de la modifier vu qu'un des éléments complémentaires devient dominant selon des facteurs définissant le contenu d’un mot.

2. LES GALLICISMES DU ROUMAIN : ÉTAT DES LIEUX

2.1. Analyse sémantico-pragmatique Comme nous l’avons déjà constaté dans les recherches poursuivies dans le

cadre des deux projets mentionnés supra, le traitement des gallicismes est l’un des plus délicat, à partir de la définition même de cette notion jusqu’aux aspects visant l’étymologie, la forme, la fréquence ou le sémantisme des mots considérés comme appartenant à cette catégorie.

Du point de vue terminologique, les gallicismes du roumain sont les «mots venus de France», dont le référent est importé avec la désignation correspondante et non pas une construction française abusivement introduite en roumain. Nous utilisons donc leur acception de « emploi, tournure propre à la langue française» (Dictionnaires des XIXe et XXe siècles) et non pas celle définie dans le TLFi comme «construction française abusivement introduite dans une autre langue ».

Parmi ses objectifs principaux, le projet Fromisem s’est proposé de faire une typologie sémantique à travers une analyse sémantique contrastive des descriptions lexicographiques des gallicismes du roumain et de leurs étymons français. Les gallicismes ayant déjà fait l’objet de l’analyse sémantico-pragmatique ont été regroupés autour de plusieurs micro-champs sémantiques :

(i) le micro-champ des meubles [pour s’asseoir]: fr. banc / roum. bancă, fr. banquette / roum. banchetă, fr. chaise longue / roum. şezlong, fr. fauteuil / roum. fotoliu, fr. pouf / roum. puf, fr. strapontin / roum. strapontină, fr. tabouret / roum. taburet ;

(ii) le micro-champ des meubles [de rangement] ayant comme archisémème le trait « petite armoire » : fr. buffet / roum. bufet, fr. commode / roum. comodă, fr. servante / roum. servantă;

(iii) le micro-champ des meubles [de rangement] ayant comme archisémème le trait « grande armoire » : fr. garde-robe / roum. garderob, garderobă, fr. chiffonnier / roum. şifonier.

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(iv) le micro-champ des meubles [pour dormir]: fr. canapé / roum. canapea, fr. ottomane/ roum. otomană, fr. sofa / roum. sofa, fr. dormeuse / roum. dormeză, fr. sommier / roum. somieră.

(v) le micro-champ des pièces de vêtement: fr. blouse / roum. bluză, fr. veste / roum. vestă, fr. jupe / roum. jupă ;

Les instruments de l’analyse sémantico-pragmatique ont été aussi bien les

ressources lexicographiques spécifiques pour les deux langues (pour le français : TLFi, GRLF, GLLF et le Littré ; pour le roumain : DA / DLR, le DEX et le DN/NODEX) que les portails lexicaux et les sites Internet, où nous avons identifié à la fois une démultiplication des sens et un désordre terminologique conduisant parfois à la confusion et à la création de faux-amis.

2.2. Typologie sémantique des gallicismes du roumain Il est très rare qu’en langue générale le mot emprunté garde exactement le

même sens que dans sa langue d’origine. L’analyse sémantico-pragmatique réalisée sur les micro-champs sémantiques mentionnés supra a fait ressortir deux grandes catégories de modifications : (i) conservation des sens de l’étymon français ou (ii) innovations sémantiques opérées en roumain, ayant comme point de départ une signification de l’étymon français (extensions analogiques et restrictions de sens, métaphorisations, passage métonymiques, glissements connotatifs, etc.).

Dans les micro-champs analysés, le cas de conservation (totale ou partielle) des sens de l’étymon français est beaucoup plus fréquent que celui d’innovations sémantiques, ce qui veut dire que les gallicismes faisant partie du domaine du mobilier et des vêtements n’ont pas donné lieu à des métasémies importantes, le roumain gardant leur sens fondamental et enregistrant une extension d’emploi des référents dans plusieurs domaines spécialisés. Par exemple, dans le micro-champ des meubles [pour s’asseoir], la définition lexicographique du gallicisme fotoliu se superpose à celle offerte par les dictionnaires du français : «siège à dossier, généralement à bras pour une personne, et dans lequel on est assis confortablement» (DLR, DLRC, DEX). Il est aussi intéressant de constater que le mot roumain présente non seulement le sens de base de son étymon français, mais aussi toutes les évolutions sémantiques enregistrées en français, ce qui peut être l’effet de l’emprunt, mais aussi celui d’évolutions indépendantes (il est difficile de le préciser, en l’absence de dictionnaires roumains indiquant les dates d’attestation pour les différentes acceptions d’un mot).

Nous avons d’ailleurs fait la même constatation dans le domaine des langues spécialisées, plus précisément dans le domaine de la terminologie juridique roumaine. À cette occasion, nous avons constaté que le vocabulaire juridique

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roumain enregistre aussi bien la conservation totale que partielle du sens / des sens de l’étymon français et que les innovations sémantiques n’existent presque pas.

3. LA (RE)CONFIGURATION SÉMANTIQUE DES GALLICISMES

DU ROUMAIN

Dans le processus de (re)configuration sémantique des gallicismes du roumain, on a constaté qu’il y a trois étapes qu’il faut prendre en considération :

(i) le rôle du contexte (linguistique et extralinguistique) au moment de l’emprunt ;

(ii) l’entrée des gallicismes dans les dictionnaires explicatifs ou de néologismes ;

(iii) la reconfiguration sémantique des gallicismes dans l’usage actuel.

3.1. Le rôle du contexte Le processus de l’emprunt ne s’effectue pas au niveau de la langue, mais au

niveau du discours, qui actualise l’une des acceptions de l’étymon, c’est-a-dire du mot d’origine, en fonction de plusieurs facteurs : le contexte et la situation, l'appartenance à un groupe social et l'occupation du sujet parlant, l'expérience et les intérêts du locuteur, la sphère de leur emploi, la manière d'emploi, l'applicabilité, la fréquence d'emploi (cf. Otto Ducháček 1971, 14). Il est évident que le contexte (influence intra-linguistique) figure en première position, mais il y a aussi d’autres facteurs, assez nombreux, variés et très subjectifs en fonction desquels le contenu des mots peut varier assez largement d'une personne à l'autre (la conscience linguistique du locuteur, de ses connaissances et de sa manière de voir la chose en question) et même, selon les circonstances, d'un moment à l'autre chez une seule et même personne (influence extra-linguistique).

Le contexte extralinguistique favorable à la pénétration des gallicismes dans le lexique de la langue roumaine s’est manifesté depuis le XVIIIe siècle, date à partir de laquelle la société roumaine a commencé à prendre contact avec la culture française par les idées modernes et cosmopolites des Lumières. À cette époque-là, le français était présent à la cour princière où il était devenu la langue de prédilection des élites de la société (boyards, hommes politiques, écrivains, etc.).

Mais c’est le XIXe siècle qui marque un tournant dans l’évolution de la langue roumaine par la pénétration massive des mots provenant uniquement du français ou dans lesquels le français reste la première langue de référence à travers la prolifération des traductions du français en roumain, l’introduction du français dans l’enseignement public, l’apparition des grandes bibliothèques avec des livres en français, etc. À tout cela s’ajoutent le snobisme et les exagérations linguistiques

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qui apparaissent dans le jargon des jeunes instruits et qui s’identifient avec ce qu’on peut appeler « l’emprunt par snobisme ».

À part les traductions du français en roumain, qui ont eu un rôle décisif dans la modernisation du vocabulaire par l’introduction des gallicismes, beaucoup de mots français ont pénétré en roumain par voie orale, mais uniquement ceux qui se sont cristallisés dans des formes précises sont restés dans son vocabulaire. Par conséquent, pour qu'un emprunt lexical soit complètement intégré au système de la langue réceptrice, il doit parcourir, d’une manière graduelle, plusieurs types d’intégrations : phonétique, graphique, morphologique et sémantique : amorez (< fr. amoureuse > amoreză > amorez), apetit (< fr. appétit, lat. appetites), a compromite (< fr. compromettre, lat. compromittere), a depinde (< fr. dépendre, lat. dependere), dispus (< fr. disposer, lat. disponere), fantezie (< fr. fantaisie, cf. it. fantasia, gr. phantasia), fotoliu (< fr. fauteuil), grimasă (< fr. grimace), şarmant (< fr. charmant).

3.2. Les dictionnaires explicatifs ou de néologismes Il est ensuite unanimement reconnu que les contenus des mots tels qu'on les

retrouve dans les dictionnaires sont virtuels. Après leur usage dans un contexte linguistique, les gallicismes entrent dans les dictionnaires avec une définition lexicographique reposant sur les sens discursifs définissant leurs acceptions courantes. Dans la rédaction d’un dictionnaire, les lexicographes respectent plusieurs principes dont trois sont essentiels : le caractère explicatif, historique et normatif. Le caractère explicatif réside dans la démarche sémasiologique adoptée par les dictionnaires: ils partent du mot pour en étudier le sens qu’ils décrivent dans son fonctionnement discursif. En principe, la définition lexicographique repose sur deux types d’approches du sens: la paraphrase métalinguistique, c’est-a-dire une explication du sens des mots de manière compréhensible ou la définition par synonyme, ce qui veut dire que les mots peuvent être expliqués par d'autres à travers une définition implicite. Si l’on compare la définition lexicographique des gallicismes du roumain appartenant au micro-champ des meubles [pour dormir] par rapport à la définition de leurs étymons français, on constate que le français privilégie la paraphrase métalinguistique, mettant l’accent sur une explicitation des traits sémiques définitoires pour le sémantème des mots tandis que le roumain préfère plutôt une définition par synonyme, qui n’est pas toujours explicite :

canapé s. m. 1. siège à dossier, pourvu d’accoudoirs, où plusieurs personnes peuvent s’asseoir, pouvant aussi servir de lit de repos pour une personne; 2. (Par analogie de forme) tranche de pain de mie taillée en rectangle, frite ou grillée, dont l’épaisseur et

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la grandeur varient suivant le mets qu’elle doit supporter; 3. chaise de bois à l’usage du raffineur de sucre. canapea s.f. 1. meuble (à dossier et accoudoirs, parfois rembourré) pour s’asseoir et pour dormir; 2. petite chaise, tabouret pour les pieds; 3. banc en bois dans les petits commerces; 4. tranche de pain de mie taillée en rectangle, frite ou grillée, où l’on met du salami, du jambon ou des œufs de poisson. sofa s.m. 1. estrade élevée couverte de tapis, de coussins, constituant un siège d’honneur; 2. lit de repos à trois dossiers, sans bois apparent, servant aussi de siège. sofá s.f. divan étroit, souvent avec une tête plus élevée.

studio, s. m., 1. (Vieilli) atelier d’artiste, de photographe d’art; 2. a) (Cin.) local ou ensemble de locaux aménagés pour les prises de vue cinématographiques; b) (Mus., Radio, Télév.) local où ont lieu les enregistrements destinés à la radiodiffusion, à la télévision, à l’industrie du disque; 3. lieu de projection de films pour cinéphiles; (Par ext.) petite salle de spectacle; 4. salle où l’on fait des répétitions de danse ou divers exercices physiques; 5. (Vieilli) pièce qui sert à la fois de salon, de salle à manger, de bureau et de chambre à coucher; 6. logement indépendant comportant une belle pièce et disposant de commodités (cuisine, sanitaire, etc.). studio, s. n., 1. atelier d’artiste, de photographe d’art, etc.; 2. local ou ensemble de locaux aménagés pour les prises de vue cinématographiques; 3. local où ont lieu les enregistrements destinés à la radiodiffusion, à la télévision, à l'industrie du disque; 4. ensemble de locaux, d’installations pour concevoir, enregistrer et transmettre les programmes de radiodiffusion et de télévision; 5. petite salle de spectacle, dans un grand théâtre, destinée aux spectacles expérimentaux ; 6. divan placé habituellement dans un coin ou le long d’un mur, pourvu d’une caisse pour la literie et d’un panneau isolateur du coté du mur, avec des rayons et des niches pour les livres, les bibelots, etc. dormeuse s.f. (Vieilli) 1. chaise longue sur laquelle on peut s’étendre pour dormir; 2. sorte de voiture de voyage où l’on peut s’étendre pour dormir; 3. nom, donné, chez les joailliers, à des boucles d’oreilles formées d’une perle ou d’un diamant, montés sur un pivot et serrés sur le côté extérieur de l’oreille par un écrou. dormeză s.f. canapé étroit sans dossier avec une tête élevée, où l’on peut dormir.

Dans ce dernier cas, il faut souligner une certaine contradiction que existe

entre les dictionnaires roumains qui donnent comme trait sémique définitoire [le canapé sans dossier], ce qui signifie un canapé avec accoudoirs, ce qui n’est pas toujours évident pour une dormeuse, même dans sa variante ressemblant à un récamier, où elle a une seule tête élevée.

Le caractère historique d’un dictionnaire relève de la présentation de l’évolution des mots et de leur emploi dans les différentes époques d’usage. Pour mieux situer un usage, un contenu de signification, les rédacteurs de dictionnaires

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de langue savent bien que les citations fournissent les contextes définissant le sens du mot, avec des informations sur son attestation et sur le genre textuel où il est entré dans la langue.

Après avoir consulté un bon nombre de dictionnaires pour l’analyse des gallicismes du roumain, on peut constater que, si le DEX donne les sens actuels des mots, le DLR recense aussi bien les sens actuels que les sens vieillis des mots-vedettes.

Par exemple, pour l’entrée canapea, le DEX donne comme acceptions les deux sens les plus courants : « 1. meuble (a dossier et accoudoirs, parfois rembourré) pour s’asseoir et pour dormir ; 2. tranche de pain de mie taillée en rectangle, frite ou grillée, où l’on met du salami, du jambon ou des œufs de poisson ». À son tour, le DLR inclut deux acceptions supplémentaires : 1. petite chaise, tabouret pour les pieds ; 2. banc en bois dans les petits commerces. Ce qui est encore plus spécifique pour le DLR est l’emploi des mots culturellement chargés (lung jeţ îmbrăcat în stofă sau în piele « trône rembourré en étoffe ou en cuir») et surtout l’apparition des citations qui portent témoignage des premiers emplois du mot : Si doaă canapele iarăşi să-mi cumperi, cu asemenea postav fistichiu. (Iorga, N, 1792, apud DLR).

Par rapport aux dictionnaires d’usage général, les dictionnaires de néologismes, qui ont une apparition beaucoup plus périodique, actualisent les sens nouveaux acquis par les gallicismes d’autant plus qu’ils continuent à acquérir de nouveaux sens dans les contextes où ils sont utilisés. Comme illustration, nous prenons le cas du mot servantă, dont les trois premiers sens apparaissent dans le DEX: « 1. (vieux) femme employée comme domestique ; 2. meuble d’appoint servant de desserte ; 3. petite lampe au théâtre », tandis que le NODEX ajoute un sens ultérieurement développé dans la langue : « armoire où l’on garde la vaisselle, les couverts pour le service de la table ».

Pour ce qui est du caractère normatif des dictionnaires, ceux-ci donne la norme imposant l’emploi de certains mots par les locuteurs d’une langue. Comme on le verra sous 3.3., les gallicismes faisant partie du domaine du mobilier sont utilisés d’une manière aléatoire par les locuteurs ou par les auteurs des catalogues de vente, qui s’arrogent la liberté d’utiliser les mots selon d’autres facteurs (expressifs, affectifs, etc.), ignorant le respect de la norme ou de toute restriction dans le choix des mots faisant partie d’un micro-champ lexical.

3.3. La reconfiguration sémantique des gallicismes dans l’usage actuel Dans une troisième étape, au moment de leur réemploi dans l'acte de la

communication, les mots s'actualisent de manière que certains éléments sont affaiblis ou même supprimés, d'autres peuvent devenir plus importants, voire dominants (cf. Otto Ducháček 1971, 17).

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Il n’y a aucune rigueur dans l’utilisation des mots qui peut parfois conduire à une confusion terminologique. Par exemple, dans le micro-champ des meubles [de rangement] ayant comme archisémème le trait « petite armoire » (fr. buffet / roum. bufet, fr. commode / roum. comodă, fr. servante / roum. servantă), les trois lexèmes sont devenus presque synonymes dans le langage commercial et publicitaire, renvoyant parfois aux mêmes référents. En plus, les trois lexèmes sont parfois remplacés par les mots génériques fr. armoire / roum. dulap qui annulent tous les sèmes distinctifs du micro-champ analysé: armoire de cuisine / dulap de bucătărie, armoire de salles de bains / dulap de baie, etc.

Un autre exemple nous est fourni par le gallicisme servantă qui enregistre dans les catalogues de mobilier un sens qui n’est pas inclus dans les définitions lexicographiques courantes (présent d’ailleurs dans les dictionnaires français sous la forme «support de hauteur réglable offrant un point d’appui pour les pièces de bois ou de fer très longues que l’on travaille à l'établi») : servante mobile pour des outils à 3 étagères (www.bizoo.ro /firma/GEDAKO/ vânzare/350361/ Servantă mobilă-pentru-scule-cu-3etajere).

4. CONCLUSIONS Les gallicismes ont un statut spécial dans la langue emprunteuse car, au

moment de l’emprunt, ils entrent uniquement avec l’un de leurs sens et non pas avec tous les sens définissant le sémème de leur étymon. Ensuite, leur parcours continue par leur recensement dans les dictionnaires, où les sens sont définis en fonction des contextes qui ont servi comme source de documentation pour les lexicographes. Dans un troisième temps, l’influence du contexte socioculturel sur la reconfiguration sémantique des gallicismes du roumain reste définitoire car les locuteurs ont une certaine liberté à utiliser ces mots avec des acceptions qui ne sont pas enregistrées dans les dictionnaires. Comme on peut le constater, le contexte dans lequel le sens des gallicismes s’actualise est pris en compte aussi bien avant qu’après sa définition lexicographique, vu que celui-ci joue un rôle essentiel dans la configuration et la reconfiguration de sa signification.

En fin de compte, l’analyse des gallicismes du roumain et de leurs étymons français illustrent une certaine étape d’évolution de la langue et de la société roumaines qui ont été au carrefour des influences romanes, germaniques, slaves et orientales. Le comparatisme linguistique est ainsi doublé d’un comparatisme socio-historique étant donné que l’emprunt lexical témoigne de l’idéologie elle-même de cette langue, et, conséquemment, du peuple la parlant.

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CONVERGENCES ET DIVERGENCES SÉMANTIQUES DANS LE DOMAINE DES GALLICISMES DU ROUMAIN1

1. PRÉLIMINAIRES Les linguistes sont généralement unanimes pour reconnaître que tout contact

plus ou moins prolongé entre deux ou plusieurs langues entraîne inévitablement des interférences linguistiques dont le degré le plus élevé est représenté par l’emprunt lexical. Le roumain a eu besoin de mots nouveaux, surtout dans les domaines de l’activité scientifique, politique et culturelle de sorte que l’enrichissement lexical s’est avéré un processus complexe, difficile mais très nécessaire qui se poursuit aussi de nos jours.

A partir du XVIIIe siècle, la langue roumaine a subi le processus de re-romanisation sous l’influence de la langue française à plusieurs niveaux et, surtout, au niveau de l’enrichissement du lexique et de la phraséologie. En plus, au XIXe siècle on peut même parler d’un bilinguisme franco-roumain d’où la langue roumaine est sortie plus consolidée en ce qui concerne sa capacité d’enrichir son vocabulaire et de définir ses propres normes d’adaptation des emprunts à d’autres langues. Pour illustrer l’importance de l’influence française, la statistique sur le plus important dictionnaire d’usage général de la langue roumaine (DEX) indique un pourcentage de 39% mots empruntés au français sur les 65 000 entrées du dictionnaire (Dincă 2013).

Vu leur présence massive en roumain, les gallicismes2 du roumain ont fait l’objet de nombreuses études portant sur des aspects variés tels que la dynamique, les domaines de manifestation, l’adaptation et, dans une moindre mesure, les aspects sémantiques3.

1Dincă Daniela, «Convergences et divergences sémantiques dans le domaine des gallicismes du roumain», in Volum omagial In Honorem prof. dr. Cornelia Olănescu (sous presse). 2 Nous employons le terme de ‹gallicisme› au sens de «mot français emprunté par d’autres langues» (cf. Thibault 2009). 3 Les difficultés soulevées par une telle entreprise sont liées principalement à l’absence d’un dictionnaire étymologique complet pour le roumain (sauf la lettre A), le manque de la première attestation et des sources informatisées.

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Parmi les principaux champs lexicaux qui ont déjà fait l’objet de notre analyse dans le cadre du projet de recherche FROMISEM4, nous nous proposons d’analyser les interférences sémantiques des gallicismes du roumain dans le macro-système des meubles [+siège] défini comme «objet fabriqué, meuble disposé pour qu’on puisse s’y asseoir» (NPR). Plus précisément, les lexèmes retenus pour l’analyse sont : fr. banc / roum. bancă, fr. banquette / roum. banchetă, fr. canapé / roum. canapea, fr. chaise longue / roum. şezlong, fr. dormeuse / roum. dormeză, fr. fauteuil / roum. fotoliu, fr. ottomane / roum. otomană, fr. pouf / roum. puf, fr. sofa / roum. sofa, fr. sommier / roum. somieră, fr. strapontin / roum. strapontină, fr. studio / roum. studio, fr. tabouret / roum. taburet.

Notre démarche s’appuie sur les instruments de l’analyse linguistique moderne : la description lexicographique des mots appartenant aux champs sémantiques ; l’analyse sémantique comparative des mots roumains et de leur étymon français et la corrélation entre la description linguistique et la réalité extralinguistique (l’analyse de l’évolution des référents à travers le temps).

2. ANALYSE SÉMANTIQUE DES GALLICISMES DU ROUMAIN

[+SIÈGE] Tous les lexèmes qui font l’objet de notre analyse sont des mots transparents

du point de vue de leur signifiant, avec les adaptations convenables aux systèmes phonétique et orthographique de la langue roumaine. Le seul gallicisme qui ait perdu la motivation linguistique est şezlong (fr. chaise longue), devenu un mot simple dont la signification reste opaque au-delà de son signifiant,

Du point de vue sémantique, nous pouvons diviser les gallicismes du roumain faisant partie du domaine des meubles [+siège] dans deux sous-classes :

4 Les micro-champs analysés sont: les meubles [pour s’asseoir]: fr. banc / roum. bancă, fr. banquette / roum. banchetă, fr. chaise longue / roum. şezlong, fr. fauteuil / roum. fotoliu, fr. pouf / roum. puf, fr. strapontin / roum. strapontină, fr. tabouret / roum. taburet ; les meubles [de rangement] ayant comme archisémème le trait « petite armoire » : fr. buffet / roum. bufet, fr. commode / roum. comodă, fr. servante / roum. servantă; les meubles [de rangement] ayant comme archisémème le trait « grande armoire » : fr. garde-robe / roum. garderob, garderobă, fr. chiffonnier / roum. şifonier ; les meubles [pour dormir]: fr. canapé / roum. canapea, fr. ottomane/ roum. otomană, fr. sofa / roum. sofa, fr. dormeuse / roum. dormeză, fr. sommier / roum. somieră ; les pièces de vêtement: fr. blouse / roum. bluză, fr. veste / roum. vestă, fr. jupe / roum. jupă ; les tissus pour vêtements : fr. bouclé / roum. bucle, fr. chantoung / roum. şantung, fr. crêpe / roum. crep, fr. flanelle / roum. flanelă, fr. hollande / roum. olandă, fr. jersey / roum. jerseu, fr. lustrine / roum. lustrin(ă), fr. mousseline / roum. muselină, fr. organdi / roum. organdi, fr. popeline / roum. poplin, fr. tulle / roum. tul, fr. velours / roum. velur, fr. voile / roum. voal.

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(i) Conservation totale des sens de l’étymon français : fr. tabouret / roum. taburet, fr. fauteuil / roum. fotoliu, fr. chaise longue / roum. şezlong, / roum. canapea ;

(ii) Conservation partielle des signifiés de l’étymon français avec parfois des innovations opérées en roumain : fr. banc / roum. bancă, fr. banquette / roum. banchetă, fr. dormeuse / roum. dormeză, fr. ottomane / roum. otomană, fr. pouf / roum. puf, fr. sommier / roum. somieră, fr. strapontin / roum. strapontină, fr. sofa / roum. sofa, fr. studio / roum. studio.

2. 1. Conservation totale des sens de l’étymon français De cette première sous-classe de gallicismes font partie quatre mots : taburet

(fr. tabouret), fotoliu (fr. fauteuil), şezlong (fr. chaise longue), canapea (fr. canapé), des mots qui sont entrés en roumain avec leurs référents, par nécessité de dénomination. Ils ne connaissent d’ailleurs des sens que dans le domaine du mobilier, seul le canapé a des sens hors domaine qui seront aussi empruntés par le roumain5.

Le premier mot de cette série est le gallicisme taburet (du fr. tabouret), attesté également sous la forme taburel, par changement de suffixe (CDER), qui a conservé tous les sens de l’étymon français, y compris son sens spécialisé, dans taburet de pian (fr. tabouret de piano). Vu sa signification primaire de «siège pour une personne, à trois ou quatre pieds, sans bras ni dossier», le tabouret connaît une grande diversité de formes, de hauteurs ou d’utilisations dans les deux espaces culturels.

Un autre mot qui a connu une évolution assez spectaculaire est le fauteuil (roum. fotoliu) a partir de son sens primaire de «siège à dossier, généralement à bras, pour une personne, et dans lequel on est assis confortablement» (TLFi) jusqu’aux sens spécialisés qu’il acquière dans les collocations ou les mots-composés dans lesquels il figure : fauteuil de coiffeur (roum. fotoliu de coafor), fauteuil de bureau (roum. fotoliu de birou), fauteuil de dentiste (roum. fotoliu dentar), fauteuil de malade (roum. fotoliu rulant), fauteuil-lit (roum. fotoliu-pat), fauteuil extensible (roum. fotoliu extensibil).

Même si le mot français chaise longue renvoyait aux chaises longues de salon, le mot a été emprunté en roumain quand la mode de ce type de meuble était déjà passée en France de sorte que le gallicisme şezlong désigne «une chaise pliante formée d’un squelette de bois ou métallique garni de tissu d’ameublement et dont le dossier peut s’incliner au gré de l’utilisateur» (DEX).

5 Il s’agit du sens de «tranche de pain de mie taillée en rectangle, frite ou grillée, où l’on met du salami, du jambon ou des œufs de poisson».

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Un meuble très à la mode est aussi le canapé, un meuble pour s’asseoir et pour dormir, confortable, pas de luxe, mais pour l’usage habituel. Par conséquent, le syntagme canapé extensible (roum. canapea extensibilă) désigne, dans les deux langues, un objet multifonctionnel (pour s’asseoir, pour se reposer et pour dormir) pour une ou plusieurs personnes, qui peut meubler aussi bien une chambre à coucher qu’un salon.

2.2. Divergences sémantiques entre les gallicismes du roumain et leur

étymon français Les gallicismes analysés ci-dessous ont parfois une charge sémantique

partielle par rapport à leur étymon français. Cela veut dire que les mots sont entrés en roumain avec une ou plusieurs significations en usage au moment du processus de l’emprunt et que, ultérieurement, ils connaissent une évolution sémantique indépendante, ajoutant des sens supplémentaires à partir de leurs sèmes fondamentaux.

Dans le domaine des meubles [+siège], le nombre des gallicismes ayant subi ces transformations est beaucoup plus important que celui des gallicismes ayant conservé tous les sens de l’étymon français : bancă (fr. banc), banchetă (fr. banquette), dormeză (fr. dormeuse), otomană (fr. ottomane), puf (fr. pouf), somieră (fr. sommier), strapontină (fr. strapontin), sofa (fr. sofa), studio (fr. studio).

Nous voulons commencer notre analyse par des mots très fréquents dans le domaine de l’ameublement, le puf (fr. pouf) et le strapontin (fr. strapontin). Il s’agit de mots renvoyant à des référents très simples en tant que configuration et fonctionnalité qui entrent en roumain uniquement avec les acceptions appartenant à ce domaine: puf6 est «une sorte de tabouret ou de coussin capitonné ou en plastique, rempli d’air» (DEX) et strapontină7 (remplaçant la forme initiale strapontin) est «un siège repliable dans les véhicules et les salles de spectacles» (Ibid). Le pouf est beaucoup plus répandu que le strapontin, car il s’agit d’un meuble moderne, présent surtout dans la chambre des adolescents, pouvant servir de tabouret (pour une personne), de canapé (pour plusieurs personnes) ou de siège d’appoint.

6 Comme nom, pouf a eu trois acceptions dans le domaine de la mode : sorte de «bonnet de femme» (XVIIIe siècle) (GRLF), «coiffure de femme» (Littré) et «tournure qui faisait bouffer la jupe ou la robe par derrière» (1871, GRLF). 7 Les sens vieillis du fr. strapontin n’ont pas été conservé en roumain : «matelas placé sur une couchette de bord et maintenue par une planche à coulisse et qui, serré le jour dans un caisson, était un lit d’appoint» ou bien : «coussinet que les femmes attachaient au bas du dos pour faire bouffer leur robe, suivant la mode des années 1883 à 1889» (TLFi).

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Un mot avec une riche polysémie est le mot banc qui présente, à partir des acceptions enregistrées dans le domaine du mobilier (1. «coussin où l’on s’assied» ; 2. «siège étroit et allongé où peuvent se tenir plusieurs personnes» ; 3. «comptoir de marchand»8 (TLFi)) jusqu’à des sens spécialisés reposant sur des analogies et des métaphorisations (banc de gazon / de mousse / d’algues / de neige / de glace, etc.).

Dans l’espace roumain, le mot bancă9 garde partiellement les acceptions de l’étymon français, les premiers contextes dans lesquels il apparaît sont : băncile şcolii (fr. les bancs de l’école), banca acuzaţilor (fr. le banc des accusés). Pour les sens spécialisés du français banc, le roumain utilise un autre mot – banc, emprunt à l’allemand Bank : banc de nisip («banc de sable»), banc de gheaţă («banc de glace»), banc de cărbune («banc de charbon»), banc de peşti («banc de poisson»), banc de probă («banc d’essai»).

Il faut également prendre en considération son homonyme bancă2, terme employé dans le domaine financier avec les sens de : 1. «institution financière» ; 2. «bâtiment où est installée une banque». Si l’on veut savoir s’il y a une relation conceptuelle entre les deux homonymes, la réponse est affirmative car, selon Ivan (2010), le trajet sémantique de bancă2 est le résultat de la conceptualisation métaphorique suivante :

Sens 1

«objet en bois formé d’une surface plane sur pieds» ↓

Sens intermédiaire 2 «table placée devant la maison des commerçants qui pratiquent l’échange

monétaire» ↓

Sens moderne 3 «établissement bancaire»

Par rapport à banc, banquette (roum. banchetă) ajoute comme trait

spécifique [+rembourré], ce qui rend ce type de siège plus confortable que le premier.

L’analyse parallèle des définitions lexicographiques a mis en évidence que les sens des deux lexèmes ne se recoupent que dans le domaine du mobilier pour désigner les sièges dans les véhicules10, même si les deux langues font aussi appel à

8 Ce sens est encore très vivant pour désigner l’étal des marchands et connaît de nos jours diverses extensions pour désigner le support pour étaler les marchandises les plus diverses. 9 Le mot a une étymologie multiple controversée, les dictionnaires roumains indiquant comme sources le fr. banc, l’it. banca, l’all. Bank. 10 Les mots développent, par analogie, une multitude de sens spécialisés, surtout en français, sans avoir une identité de référents dans les deux langues, ce qui veut dire qu’il y a

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d’autres mots : pour désigner les places assises dans les voitures on utilise en français siège et banquette tandis que le roumain préfère le mot banchetă (fr. banquette), pour les trains et les autobus le français préfère le mot générique siège, s’agissant surtout de places individuels, tandis que le roumain utilise bancă (fr. banc) pour les trains et scaun (fr. chaise) pour les bus. De même, dans les petites embarcations, le siège sur lequel s’asseyent les rameurs est désigné en français par le mot banc mais, en roumain, c’est banchetă qui lui correspond dans ce cas.

Dans l’espace socioculturel français, en tant que meuble pour s’asseoir, le sofa a comme caractéristique fondamentale le confort, servant au repos, surtout le jour, et pour dormir, pendant la nuit, ce qui le rapproche plutôt du canapé que du lit ou du divan. En roumain, le sofa enregistre un changement de fonctionnalité, sinon même un changement de référent, car il s’agit d’une pièce de meuble pour s’asseoir et pour dormir (de là sa définition comme « divan étroit, souvent avec une tête plus élevée »), ce qui l’approche de la dormeuse, par une déformation de la configuration des deux référents, qui arrivent à se superposer.

Pièce de mobilier raffinée, de grand confort, d’inspiration turque, l’ottomane se rapproche en français du tabouret ou du pouf de point de vue de sa fonctionnalité, tandis qu’en roumain otomană ne s’emploie presque plus avec le sens de «pour s’asseoir» mais plutôt avec le sens de «pour dormir » ce qui pourrait s’expliquer par la confusion avec des référents semblables tels que : divan, sofa, studio.

Les mots somieră et sa variante analogique somnieră entrent en roumain avec le sens de leur étymon français: «réseau élastique de ressorts fixé sur le support du lit, où l’on met le matelas» (DEX, DLR, DLRC). Mais sa signification continue à s’enrichir et, par extension métonymique, le mot passe de «réseau élastique» à «tout type de cadre» et même au « lit, dans son ensemble ». Cette nouvelle signification, rare dans le langage courant, apparaît souvent dans le langage hôtelier.

En français, dormeuse est un mot transparent (un dérivé du vb. dormir) qui met en évidence sa fonctionnalité, qui est celle de s’étendre pour dormir. Le mot figure dans les catalogues actuels de mobilier dans le syntagme canapé dormeuse, c’est-a-dire un canapé sans accoudoirs pour se reposer et pour dormir11.

eu un développement parallèle des référents par un usage différent des deux lexèmes analysés. 11 Il faut préciser que trois sens enregistrés dans les dictionnaires de grandes dimensions du français: «sorte de voiture de voyage où l’on peut s’étendre pour dormir» (GRLF) ou «semi-dormeuse, voiture du même genre» (Littré), «nom, donné, chez les joailliers, à des boucles d’oreilles formées d’une perle ou d’un diamant, montés sur un pivot et serrés sur le côté extérieur de l’oreille par un écrou» (Littré) ne sont pas entrés en roumain.

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Le mot français entre en roumain sous la forme dormeză en tant que « canapé étroit sans dossier, avec une tête élevée, où l’on peut dormir» (DEX). La définition lexicographique prend comme référent le canapé, même si les deux référents (le canapé et la dormeuse) présentent des caractéristiques différentes: le canapé est extensible, pourvu de dossier et d’accoudoirs tandis que la dormeuse ne l’est pas. L’association du signifiant à sa fonctionnalité pourrait expliquer d’ailleurs son utilisation restreinte au milieu rural car, en milieu urbain, on préfère les mots canapea (fr. canapé) et pat (fr. lit). Le même usage restreint s’enregistre aussi en français ou le mot dormeuse connaît un emploi spécialisé uniquement dans le domaine des meubles de luxe pour canapé dormeuse.

La présence du mot studio dans le domaine des meubles [+siège] peut paraître étrange, mais cela s’explique par une innovation sémantique du macro au micro espace domestique opérée en roumain par l’adjonction d’une acception nouvelle faisant référence à ce domaine. Le mot roumain studio (fr. studio) présente presque tous les sens de son étymon français relevant d’une pièce utilisée comme atelier dans les différents domaines de la vie artistique: peinture, sculpture, musique, cinéma, théâtre, ballet, radiodiffusion et télévision, sauf le sens de «chambre polyfonctionnelle», vieilli d’ailleurs en français actuel, ne se retrouve pas parmi les significations du mot en roumain. Dans la langue courante, pour cette signification, on emploie le gallicisme à étymologie unique française: garsonieră (< fr. garçonnière) avec l’acception de «petit appartement pour une personne seule» (GRLF).

En revanche, le mot studio enregistre en roumain une extension sémantique par métonymie et, par conséquent, il a la signification de « divan placé habituellement dans un coin ou le long d’un mur, pourvu d’une caisse pour la literie et d’un panneau isolateur du côté du mur, avec des rayons et des niches pour les livres, les bibelots, etc.».

3. CONCLUSIONS L’insertion des termes néologiques d’origine française dans le lexique du

roumain a été faite dans les domaines les plus variés de l’activité humaine, y compris dans le domaine du mobilier. Dans l’analyse des gallicismes du roumain désignant des meubles [+siège] aussi bien pour s’asseoir que pour dormir, nous avons constaté que le roumain a emprunté les étymons français avec leurs acceptions fondamentales de «siège» et que les changements sémantiques subis en roumain, sont dus, selon Thibault (2004 : 104), au cadre extra linguistique dans lequel se produit l’emprunt.

Plus précisément, dans la reconfiguration sémantique des gallicismes du roumain, le principal facteur extralinguistique est représenté par le décalage

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temporel entre les acceptions des étymons (à partir de l’époque de leur attestation) et l’époque où se sont produits les emprunts. Tous ces mots n’entrent en roumain qu’au cours du XIXe siècle, avec le sens presque exclusif de «siège», n’ayant pas pris les anciennes significations de leur étymon français: par exemple, strapontină n’a pas l’acception de «petit siège que l’on met sur le devant ou aux portières d’un carrosse», strapontină et puf ne signifient pas «tournure qui faisait bouffer la jupe ou la robe», banchetă n’a pas la signification de «selle» ou bien dormeză n’a pas repris les trois significations qui définissaient le sémantème de son étymon: «sorte de voiture de voyage où l’on peut s’étendre pour dormir» (GRLF) ou «semi-dormeuse, voiture du même genre» (Littré), «nom, donné, chez les joailliers, à des boucles d’oreilles formées d’une perle ou d’un diamant, montés sur un pivot et serrés sur le côté extérieur de l’oreille par un écrou» (Ibid.). Cela s’explique par la nature de l’emprunt qui, dans le cas d’un emprunt par dénomination, vise l’importation d’un signe linguistique associé à un référent unique et non pas de l’ensemble des acceptions de l’étymon.

Pour conclure, les gallicismes analysés illustrent une certaine étape d’évolution de la société, ce qui veut dire que, dans le domaine du mobilier, les mots sont entrés en roumain avec leurs référents, par nécessité de dénomination. Si, d’une part, il y a des sens absents en roumain (c’est-à-dire les sens antérieurs à leur emprunt), d’autre part, les gallicismes enregistrent des acceptions nouvelles en fonction de l’évolution des référents dans les deux sociétés.

Au niveau de la terminologie il est aussi à remarquer une certaine liberté dans l’emploi des mots, visible surtout dans les catalogues de mobilier, où l’on retrouve les mots utilisés arbitrairement pour des référents qui sont en pleine modification de configuration et de fonctionnalité. Ce fait conduit d’ailleurs à de nombreuses confusions, ce qui imposerait l’actulisation des définitions lexicographiques et la normalisation de la terminologie du domaine en vue d’obtenir une meilleure transparence semantique entre le signifiant et le signifié des gallicismes analysés.

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LTR = Lexiconul tehnic român, ediţia I : vol. I, 1949 ; vol. II, 1950 ; vol. III, 1951 ; vol. IV, 1952 ; vol. V, 1954 ; vol. VI – VII, 1955, Bucureşti, Editura Tehnică ; ediţia a II-a, vol. I-VII, întocmită prin îngrijirea A.S.I.T. de un colectiv sub conducerea prof. Remus Răduleţ, Bucureşti, Editura Tehnică, 1957 sq.

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207

INDEX RERUM adaptation ~ phonétique / orthographique /

morphosyntaxique / sémantique, 25, 36, 58, 70

allemand, 15, 19, 46, 54, 56, 115 anglais, 19, 29, 30, 31, 36, 46, 47, 54,

55, 56, 89, 90, 114, 115, 146 archaïsme, 47, 48, 127 assimilation, 25, 26, 27, 43, 65, 134 catégorisation sémantique, 7, 13, 44,

52, 81, 108, 116, 179, 196, 197 champ sémantique, 5, 30, 65, 66, 68,

69, 71, 72, 74, 77, 78, 82, 83, 86, 91, 92, 94, 95, 96, 98, 105, 107, 108, 109, 110, 112, 118, 124, 141, 179, 180, 181, 183, 185, 186, 197, 202

chromatique, 5, 9, 156, 157, 158, 164, 168, 170, 175, 202

chromonyme, 156, 157, 159, 160, 168, 171

conservation du sens, 121, 129 ~ totale, 8, 147, 155, 182

~ partielle, 69, 105, 129, 130, 151, 154

corpus (de mots d’origine française, de gallicismes), 5, 13, 17, 22, 23, 27, 28, 32, 37, 45, 47, 52, 53, 54, 56, 57, 61, 81, 83, 97, 108, 201, 202

critère ~ de la première attestation, 30, 84 ~ extralinguistique, 30 ~ fonctionnel, 30 ~ formel, 29, 42 ~ géographique, 30 ~ historico-social, 30 ~ sémantique, 29, 30

définition ~ étymologique, 45, 47, 49, 51,

61, 149 ~ lexicographique, 66, 82, 83, 96,

97, 109, 119, 130, 134, 135, 145, 188

dynamique du vocabulaire, 34 emprunt, 5, 7, 8, 9, 10, 13, 14, 15, 16,

17, 22, 27, 31, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 40, 43, 44, 49, 50, 52, 53, 55, 57, 59, 61, 67, 70, 75, 78, 81, 84, 85, 86, 87, 92, 95, 97, 99, 107, 108, 117, 118, 120, 125, 127, 129, 133, 135, 136, 139, 140, 141, 142, 147, 148, 149, 151, 153, 163, 179, 181, 182, 183, 186, 187, 190, 191, 193, 194, 195, 196, 197, 199, 202

~ lexical, 7, 35, 36, 52, 195 ~ connotatif / stylistique, 17, 40 ~ de luxe, 17, 38, 39, 43 ~ de nécessité, 38, 151, 155 ~ dénotatif, 17, 40 étymologie, 5, 7, 8, 13, 15, 19, 20,

21, 22, 23, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 40, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 60, 61, 65, 67, 69, 74, 85, 87, 88, 89, 90, 92, 94, 97, 98, 110, 117, 119, 125, 127, 130, 131, 137, 141, 143, 146, 147, 148, 149, 152, 154, 156, 172, 179, 180, 191, 193, 200, 201, 203

~ controversée, 19, 21, 31, 32, 34 ~ multiple, 5, 7, 8, 13, 19, 20, 21,

22, 23, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 52, 53, 54, 55, 56, 60, 61, 69, 74, 85, 87, 88, 90, 94, 117, 119, 125, 130, 137,

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Daniela Dincă Mihaela Popescu Gabriela Scurtu

208

141, 143, 147, 148, 149, 152, 154, 179, 191, 200

~ multiple externe, 20, 32, 48, 49, 50

~ multiple mixte, 20, 32, 55 ~ unique, 5, 19, 31, 44, 49, 53, 91,

119, 193 ~ uniquement française, 22, 23,

28, 45, 46, 47, 48, 50, 92, 94 étymon, 8, 23, 28, 29, 38, 39, 42, 46,

49, 50, 52, 53, 55, 56, 58, 67, 70, 71, 76, 77, 79, 81, 82, 84, 85, 86, 87, 88, 90, 91, 92, 94, 95, 96, 97, 98, 101, 105, 108, 109, 113, 117, 120, 121, 125, 129, 130, 131, 133, 135, 137, 138, 139, 140, 141, 147, 148, 151, 152, 153, 154, 155, 181, 182, 186, 188, 189, 190, 191, 192, 193, 194

évolution sémantique, 95, 116, 117, 125, 135, 190

extension analogique, 8, 79, 98, 108, 121, 129, 147, 181

filière de pénétration, 8, 15, 17, 28, 31, 38, 46, 49, 53, 55, 85, 89, 110, 115, 117

force dérivative, 23, 28 francesisme, 14, 15, 163 gallicisme, 2, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 13, 14,

15, 22, 23, 25, 26, 29, 35, 42, 43, 44, 45, 46, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 61, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 83, 85, 86, 90, 91, 94, 95, 107, 108, 109, 110, 113, 115, 116, 117, 118, 119, 120, 121, 122, 124, 125, 143, 144, 151, 154, 155, 157, 179, 180, 181, 182, 183, 185, 186, 187, 188, 189, 190, 193, 194, 196, 197, 200, 201, 203

glissement connotatif, 8, 78, 79, 98, 108, 117, 121, 129, 147, 181

indice d’univers mentalitaire, 8, 81, 117

innovation sémantique, 8, 41, 79, 90, 91, 98, 105, 108, 111, 121, 122, 125, 129, 147, 152, 181, 182, 193

intégration ~ phonologique / orthographique /

morphosyntaxique / sémantique, 14, 15, 18, 35, 36, 38, 39, 43, 57, 97, 107, 151, 195

langue ~ emprunteuse / réceptrice, 13, 15,

18, 21, 32, 35, 38, 50, 77, 81, 91, 108, 116, 120, 148, 179, 183, 186

~ source, 8, 20, 21, 23, 29, 31, 32, 33, 38, 46, 47, 48, 49, 50, 53, 66, 74, 83, 84, 85, 88, 96, 97, 117, 187, 191

latin savant / latin néologique, 19, 46, 47, 48, 49, 50, 54

marqueur socioculturel, 8, 81, 117, 121

métaphorisation, 8, 74, 79, 81, 98, 108, 117, 121, 129, 143, 147, 173, 181, 191

métasémie, 8, 74, 75, 78, 81, 82, 117, 143, 151, 181

métonymie, 8, 70, 71, 73, 78, 89, 90, 98, 99, 100, 104, 108, 109, 110, 121, 122, 129, 130, 131, 132, 138, 147, 149, 150, 151, 152, 155, 172, 193

modification phonétique, 30, 42 mot dérivé, 21, 23, 28, 32, 45 néogrec, 19, 31, 38, 46, 47, 48, 54,

85, 115 néologie, 7, 8, 13, 15, 16, 17, 18, 19,

26, 35, 36, 37, 41, 43, 44, 52, 56, 125, 142, 179, 201 ~ primaire, 17, 38, 43, 85, 89, 92, 93, 139, 151, 155, 158, 170, 189

~ traductive, 17 néologisme, 7, 13, 15, 16, 17, 36, 37,

38, 43, 44, 46, 50, 52, 53, 55, 56, 61, 97, 108, 138, 163, 170, 179, 202

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La reconfiguration sémantique des gallicismes dans l’espace socio-culturel roumain

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néonyme, 7, 13, 16, 36, 37, 44, 52, 56, 97, 108, 148, 179

néosème, 13, 18, 97, 108 néosémie, 18 nœud lexical, 47, 51 pérégrinisme, 13, 18, 39, 43, 57, 58 phraséologisme, 39, 40 reconfiguration sémantique, 5, 9, 50,

80, 115, 116, 180, 182, 185, 186, 193, 196

référence, 39, 70, 78, 83, 90, 122, 152, 158, 165, 166, 170, 171, 175, 176, 177, 182, 193

référent, 20, 30, 40, 41, 44, 70, 71, 85, 86, 87, 88, 89, 90, 92, 102, 110, 113, 122, 123, 132, 133, 134, 136, 137, 139, 140, 149, 160, 180, 192, 193, 194

régionalisme, 47, 48 reromanisation, 28, 80, 115, 143 restriction de sens, 8, 36, 79, 81, 98,

108, 117, 121, 129, 147, 181

russe, 15, 19, 31, 46, 47, 48, 60, 115 Şcoala Ardeleană, 24, 49 sens ~ connotatif, 81, 143 ~ étymologique, 25, 66, 73, 78, 83 ~ figuré, 70, 151, 173, 175, 176 ~ métaphorique, 100 ~ métonymique, 134 ~ propre, 70, 73 ~ spécialisé, 67, 133, 153, 189 statistique lexicale, 23, 28, 40, 48,

53, 56, 108, 127, 187 synonymie stylistique, 5, 168, 169 terme juridique, 5, 41, 57, 58, 60 trait sémique / distinctif, 66, 72, 83,

97, 101, 104, 105, 108, 129, 141, 145, 151, 155, 183

voie de pénétration, 24 xénisme, 13, 14, 15, 18, 25, 39, 43,

57, 58

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La reconfiguration sémantique des gallicismes dans l’espace socio-culturel roumain

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INDEX DES GALLICISMES acaju, 169 balansoar, 65, 96, 119 bancă, 9, 66, 72, 74, 75, 76, 77, 85,

86, 108, 118, 120, 180, 188, 189, 190, 191, 192

banchetă, 9, 66, 75, 76, 77, 86, 108, 118, 119, 180, 188, 189, 190, 191, 192, 194

bej, 169, 178 bibliotecă, 65, 96, 119 birou, 24, 42, 65, 96, 119, 189 bleu, 24, 132, 157, 158, 159, 160,

161, 162, 163, 166, 168, 169, 170, 176, 177

bleumarin, 169 bluză, 9, 109, 127, 128, 129, 130,

131, 133, 134, 135, 136, 137, 140, 181, 188

bluzon, 133 bordo, 160, 169 bucle, 9, 144, 147, 150, 155, 188 bufet, 9, 65, 96, 98, 99, 100, 101,

105, 109, 119, 124, 180, 186, 188 comodă, 9, 65, 96, 101, 102, 103,

105, 109, 119, 124, 180, 186, 188 corai, 169 crem, 169 crep, 9, 128, 144, 147, 150, 155, 188 ~ Georgette, 150 crepdeşin, 150 dormeză, 9, 65, 83, 86, 88, 91, 92,

94, 95, 96, 118, 119, 181, 184, 188, 189, 190, 193, 194

ecarlat, 169 etajeră, 65, 96, 119 flanelă, 9, 144, 147, 151, 152, 154,

155, 188

fotoliu, 9, 40, 65, 66, 69, 70, 72, 96, 108, 118, 119, 123, 180, 181, 183, 188, 189

frez, 169 garderob(ă), 9, 65, 71, 96, 107, 109,

110, 111, 119, 120, 180, 188 gheridon, 65, 119, 124, 202 gri, 5, 9, 164, 166, 168, 169, 171,

173, 174, 175, 176, 177, 178, 196 jerseu, 9, 128, 144, 147, 149, 155,

188 jupă, 9, 109, 127, 129, 138, 139, 140,

141, 181, 188 jupon, 127, 139, 141 kaki, 169 lila, 169 lustrină, 149, 155 maro, 169, 196 mov, 163, 164, 169 muselină, 9, 128, 144, 147, 155, 188 olandă, 9, 144, 147, 150, 151, 155,

188 oliv, 169, 178 oranj, 9, 162, 163, 164, 169, 170 organdi, 9, 128, 144, 145, 146, 147,

148, 155, 188 otomană, 9, 83, 88, 94, 95, 118, 119,

181, 188, 189, 190, 192 poplin, 9, 144, 147, 149, 155, 188 puf, 9, 66, 68, 72, 108, 118, 119, 123,

180, 188, 189, 190, 194 pulovăr, 149, 152 roz, 169 şantung, 9, 144, 147, 155, 188 servantă, 9, 65, 96, 103, 104, 105,

109, 119, 122, 124, 180, 185, 186, 188

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şezlong, 9, 66, 71, 108, 118, 180, 188, 189

şifonier, 9, 66, 96, 107, 109, 111, 112, 113, 119, 122, 180, 188

sofa, 9, 83, 85, 87, 88, 89, 92, 94, 95, 118, 119, 181, 184, 188, 189, 190, 192

somieră, 9, 83, 93, 94, 95, 118, 119, 122, 124, 181, 188, 189, 190, 192

strapontină, 9, 66, 68, 69, 72, 108, 118, 120, 180, 188, 189, 190, 194

studio, 83, 89, 90, 91, 92, 94, 95, 118, 119, 121, 124, 184, 188, 189, 190, 192, 193

taburet, 9, 66, 67, 68, 72, 96, 108, 118, 119, 180, 188, 189

tul, 9, 25, 128, 144, 147, 148, 155, 188

tunică, 127, 135 turcoaz, 169 velur, 9, 144, 147, 153, 154, 155, 188 vernil, 169 vestă, 9, 109, 127, 128, 129, 135,

136, 137, 138, 181, 188 veston, 131, 135 violet, 9, 157, 158, 159, 162, 163,

164, 166, 169, 170, 176 vitrină, 66, 119 voal, 9, 128, 144, 147, 152, 153, 154,

188