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La réduction des villes ligueuses àl'obéissanceAuthor(s): Michel CassanSource: Nouvelle Revue du XVIe Siècle, Vol. 22, No. 1 (2004), pp. 159-174Published by: Librairie DrozStable URL: http://www.jstor.org/stable/25599008 .
Accessed: 14/06/2014 04:07
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Nouvelle Revue du Seizieme Siecle - 2004 - N? 22/1, pp. 159-174
LA REDUCTION DES VILLES LIGUEUSES A L'OBEISSANCE
Les rapports entre la monarchie et les villes du royaume oscillent durant la periode moderne entre cooperation et conflictualite, alliance et defiance, obeissance et desobeissance. Les tensions sont particulierement vives au cours des guerres de Religion et elles mettent a mal?1'entente cordiale ? qui prevalait depuis le XIVe siecle entre les bonnes villes et le pouvoir royal1. U accord politique conclu entre des echevinages et des consulats dotes d'une representation valable de Vuniversitas et la royaute vola en eclats des le printemps 1562 avec le soulevement des communautes protestantes de
plusieurs dizaines de villes repondant a 1'appel du prince de Conde. L'ac cord politique precaire qui avait survecu a 1'emergence du lutheranisme et du calvinisme ainsi qu'aux decisions royales de plus en plus repressives a
l'egard des ?mal sentants de la foi? se trouvait mine. II s'ensuivit une
periode d'un quart de siecle durant laquelle les communautes citadines se
perdirent dans leurs divisions portees a un point paroxystique lors de la ? saison des Saint-Bartheiemy ? et de la Ligue. Les barricades parisiennes de mai 1588 inaugurent cette derniere sequence de tensions et de divisions entre les partisans de 1'Union, des Guises et les sujets restes fideles au sou verain. La double execution des Guises les 23 et 24 decembre 1588 et, apres 1'assassinat d'Henri III, la perspective de voir un prince reforme acceder au trone de France decident du passage de nombreuses villes dans le camp de la Ligue. Le mouvement, apparu en mai-juin 1588, s'amplifia en janvier fevrier 1589, reprit en aout-septembre 1589 au point que la plupart des
grandes cites du royaume furent ligueuses pour des durees variables entre 1588 et 15962. Si l'on observe la distribution geographique des villes de la Sainte Union et des villes restees fideles a la monarchie, une opposition apparait de part et d'autre d'une ligne Saint-Malo/Narbonne. A Test de la
diagonale, les villes ligueuses sont sensiblement plus nombreuses que les villes loyalistes et des correlations sommaires entre la presence des Guises, d'eveques ou de gouverneurs influents comme Joyeuse et l'adhesion a la
1 Bernard Chevalier, Les bonnes villes de France du XIV au XVF siecle, Paris, Aubier, 1982, p. lOletss.
2 Arlette Jouanna, Jacqueline Boucher, Dominique Biloghi, Guy Le Thiec, Histoire et dic tionnaire des Guerres de Religion, Paris, Robert Laffont, Bouquins, 1998, p. 369.
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Sainte Union eclairent cette cartographie contrastee. A Fest de la ligne Saint-Malo/Narbonne, il n'y a guere, parmi les cites d'un rang significatif, que Montpellier, Beziers, Carcassonne, Clermont-Ferrand, Issoire, Chalons-sur-Marne ou Langres a avoir toujours refuse la Ligue. En
revanche, a Fouest de la diagonale, la situation est inversee et la Ligue a peu
d'appuis urbains. Toutefois, a Fechelle du royaume, le comptage des villes
ligueuses ou royalistes fait debat. L'historiographie a longtemps affirme que la Ligue controlait Fessentiel du royaume aux depens d'Henri III puis d'Henri IV; or, selon Jean-Marie Constant, la situation etait beaucoup moins defavorable aux souverains qui conservaient l'appui d'une multitude de villes importantes et de rang second, la maitrise de nombreuses ponts et
points de passage strategiques et des places fortes3. Cependant la rarete d'etats precis des engagements des villes comme dans la Champagne de
15944 conduit a se satisfaire d'appreciations globales. L'on peut affinner
qu'au debut de Fete 1593, la Ligue controle au moins une quarantaine des
plus importantes villes du royaume alors qu'en 1596, le mouvement s'est
evanoui. Entre la reddition officielle de Meaux le 4 Janvier 1594 et la chute
de Marseille, le 17 fevrier 15965, la Ligue des villes s'est effilochee. Son extinction survient dans un contexte general marque par F extreme lassitude des habitants, l'epuisement du royaume, la desunion des ligueurs divises entre ? mayennistes ?, ? espagnolises ?, radicaux, moderes; autant de condi
tions qui faciliterent les entreprises d'Henri IV en vue d'obtenir le rallie ment des villes et des chefs de la Ligue.
Le retour des villes ligueuses dans le giron de la monarchie prit la forme
officielle de textes qualifies ?d'edits de reduction a l'obeissance au Roi?.
Chaque ville, parfois un ensemble de villes comme en Normandie avec
Rouen, Le Havre, Pont-Audemer, Verneuil, beneficia d'un edit dedinant les
3 Jean-Marie Constant, La Ligue, Paris, Fayard, 1996, p. 314-316.
4 Un inventaire des places et villes tenues par les differentes parties est vraisemblablement
possible. Ainsi, a la date du 25 fevrier 1594, dans les provinces de Champagne, Brie, Lor
raine, le roi peut compter sur le fort de Gornay, les villes de Provins, Montereau-Font
Yonne, Epernay, Chalons-sur-Marne, Sainte-Menehould, Langres, Mussy-sur-Seine, Metz,
Richecourt, Bar-sur-Seine, Mery-sur-Seine, Nogent-sur-Seine, Pons-sur-Seine, Sezanne,
Chaource, Tonnerre, Chateauvillain, Sedan, Stenay, Dun-sur-Meuse, Maubert-Fontaine,
Rozoy, Douzy, Grancey-le-Chateau, Plancy-L' Abbaye, Mosson; pour la Ligue, Chateau
Thierry, Sens, Troyes, Reims, Rethel, Rocroi, Moncornet, 1'abbaye de Chaumont, Verdun,
Toul, Jamais, Mezieres, Bar-le-Duc, Vitry-le-Francois, Janville, Andelot, Chaumont-en
Bassigny, Chateau-Porcien, Fismes, Genville, Saint-Dizier, Bar-sur-Aube, Coiffy, Monti
gny-le-Roi, Villefranche, Nogent, Montsaon, Villeneuve-le-Roi, Joigny, Vezelay, Saint
Florentin, Chablis, Brineon-sur-Armancon, Villemaur-sur-Vanne, Diant (Bibl. nat., ms. fr.
3989, fol. 101 et G. Herelle, La Reforme et la Ligue en Champagne. Documents (1559
1600), Paris, Champion, 1867, p. 531-532). L'orthographe a ete actualisee. 5
Wolfgang Kayser, Marseille au temps des troubles 1559-1596, Paris, Editions de
l'EHESS, 1992, p. 345-346.
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conditions de sa reunion avec le roi. Ces textes octroyes par Henri IV, dument enregistres par toutes les cours souveraines dont dependent les villes beneficiaires, fondent-ils une pratique du pouvoir d'essence contrac tuelle ? Michel de Waele, dans une contribution tres stimulante suggere une telle interpretation. Rappelant que Philippe Duplessis-Mornay fut l'un des conseillers politiques des plus ecoutes d'Henri IV et l'un des theoriciens
monarchomaques6, il pense que le roi a pu etre sensibilise a la theorie et a la
pratique du contrat. II rappelle egalement qu'un precedent proche existe
puisque Alexandre Farnese conclut des contrats avec les villes des Pays-Bas du nord qui aboutirent a FUnion d'Arras (1579). Henri IV, en traitant avec
les villes ligueuses, aurait agi en s'inspirant de ces positions theoriques et de cette demarche politique et, au terme d'une analyse des edits, Michel de
Waele s'interroge sur la possible assimilation d'Henri IV a un ?politicien monarchomaque ?7. Les reductions des villes seraient alors la traduction d'un projet de monarchie contractuelle et non Fallegeance que des cites auraient faite au roi vainqueur.
Le corpus des edits de reduction des villes a l'obeissance est accessible dans le fonds du parlement de Paris. Le Recueil des edits et articles publie par Pierre Mathieu en 1606 le complete8 ainsi que les Preuves de l'Histoire de Languedoc de Dom Devic et Vaissette et des pieces originates editees aux XIXe et XXe siecles9. Au total, l'ensemble reuni comprend 41 pieces redigees entre Janvier 1594 et aout 1596. Elles concernent 55 villes pour les
quelles l'on dispose generalement des dates d'obtention et de publication de l'edit. Entre les deux dates, l'ecart est de l'ordre de trente a quarante jours avec quelques variations -
quatre jours pour Paris, plus de six mois pour Morlaix et Beauvais -. Comme F indique le tableau10, les reductions de villes furent tres nombreuses en 1594. Le mouvement commence fort modestement au debut de Janvier 1594 et les edits sont exceptionnels avant le mois d'avril 1594. Cinq villes ont deserte les rangs de la Ligue, Meaux, Bourges, Orleans, Pontoise, Lyon. Sauf a Lyon ou Fechevinage a contribue
6 Hugues Daussy evoque ce point: Les huguenots et le roi. Le combat politique de Philippe Duplessis-Mornay (1572-1600), Geneve, Droz, Travaux d'Humanisme et Renaissance, n? CCCLXIV, 2002, p. 505-508.
7 Michel De Waele,? Henri IV, politicien monarchomaque ? Les contrats de fidelite entre le Roi et les Francais ?, p. 117-131 dans Le Traite de Vervins. Textes reunis par Jean-Fran cois Labourdette, Jean-Pierre Poussou et Marie-Catherien Vignal, Paris, Presses de 1'Uni versite Paris-Sorbonne, 2000.
8 Pierre Matthieu, Recueil des edicts et articles accordes par le roy Henri IV pour la reunion de ses subjects (1593-1598), 1606, si., 136 folios.
9 Notamment, Ernest Prarond, La Ligue a Abbeville 1576-1594, t. Ill, Paris, 1873, Jean Tissier, Documents inedits pour servir a l'histoire de la Reforme et de la Ligue a Nar bonne et dans le Narbonnais, Narbonne, 1900, 576 pages.
10 Voir 1'annexe placee a la fin de l'article.
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au coup de force contre les ligueurs et a l'epuration du corps de ville en
fevrier11, les autres villes se rallient au roi en accompagnant 1'initiative de leurs gouverneurs. Le marechal Louis de Vitry a Meaux12, le due Claude de
La Chatre, gouverneur de l'Orleanais et du Berry, d'Alincourt, lieutenant de la Ligue a Pontoise, sont les instigateurs de ces transferts d'allegeance qui demeurent rares. Meme si le retour de villes prestigieuses et strategiques comme Orleans et Lyon est important pour Henri IV, les adhesions des villes
ligueuses demeurent rarissimes. Ce bilan demontre le pietre echo des deci sions recentes du souverain. Son ?grand saut? du 25 juillet 1593 n'a nulle
ment convaincu les ligueurs, doutant de la sincerite de 1'abjuration du
monarque et attendant 1'absolution pontificale pour eventuellement reviser leur jugement vis-a-vis du roi. Le sacre, celebre le 27 fevrier 1594 a
Chartres n'a pas davantage suscite un mouvement de reconnaissance en faveur du roi. En fait, les ralliements des villes ligueuses debutent a 1'ex treme fin du mois de mars et se multiplient jusqu'a la fin du mois de mai13. Entre le 29 mars et le 25 mai qui marque le debut du siege de Laon, 26 villes reconnaissent Henri IV. Elles sont 21 a le faire durant les six mois suivants, de juin a decembre 1594, et, apres une annee blanche - 1595 -, le mouve ment s'acheve en 1596 avec les villes de Toulouse et de Marseille et en 1598 avec le retour de Nantes. La chronologie demontre de fa<jon probante que 1'entree du roi dans Paris donne le signal du ralliement des villes de la Ligue au roi. L'abjuration et le sacre ont pu ebranler quelques convictions, ils demeuraient incapables d'enclencher un mouvement d'adhesion au roi. C'est bien l'entree d'Henri IV dans la capitale, sa prise de controle de la ville sans combattre, la transformation d'une surprise militaire en deambu lation proche d'une entree princiere qui ebranle les ligueurs et les decide a
accepter le roi. L'evenement parait inoui"; il releve du domaine de l'impen sable, de l'inimaginable, mais devant l'evidence, bien des villes se resignent et s'appretent a reconnaitre Henri IV14.
La vague des ralliements concerne au printemps 1594 les villes de la
Normandie, ou le marechal de Villars-Brancas joue un role important, puis
11 Yann Lignereux, Lyon et le Roi. De la ?bonne ville? a I'absolutisme municipal (1594
1654), Paris, Champ Vallon, 2003, p. 28-30. 12
Journal de L'Estoile pour le regne de Henri IV, I (1589-1600), ed. Louis-Raymond Lefevre, Paris, Gallimard, 1948, p. 335-336.
13 Voir annexe.
14 Abbeville donne un bon exemple de cette surprise. Le 26 mars, averti des Evenements
parisiens, l'echevinage Ecrit: ?Nous avons estime ne debvoir rien precipiter de nostre
part en ce changement et ne nous povan persuader que Messieurs de Paris ou nous avons
tousjours recogneu pr les effets mesmes toutte la piete et prudence crestienne de ce
roiaulme avoir este conservee durant ces troubles aient rien faict de mal a propos ny pre judiciable a nostre commun serment? Ernest Prarond, La Ligue a Abbeville, 1576-1594,
t.II,p. 109, Paris, 1873.
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les cites du nord de la Bourgogne, de la Picardie et de la Champagne. Durant
Fete, les villes d'Auvergne et de Lorraine reconnaissent a leur tour Henri IV En revanche, les cites meridionales ligueuses, meme stupefaites et abasour dies a Fannonce de la chute de Paris comme peut Fetre Le Puy-en-Velay15, restent fermes dans leurs engagements. Elles recusent Henri IV que la
Papaute n'a toujours ni absous, ni accueilli au sein de l'Eglise catholique. Evidemment, les villes ligueuses du sud n'ont pas l'exclusivite de cet argu ment; les ligueurs du nord Fagitent aussi mais sans empecher le bascule ment des cites dans le camp monarchique. La fracture geographique entre la
Ligue du nord et la Ligue du sud demontre Femprise du Paris des Seize sur
les villes du Bassin parisien et a contrario sa faible influence dans la France du sud. L' organisation de la Ligue sur un mode federatif voulu par Paris a trouve une traduction dans la France du nord. Le Bassin parisien, avec son tissu urbain dense, sa desserte routiere et fluviale, est sensible aux sollicita tions de Paris. Cet espace vit au rythme de la capitale tandis que la France
meridionale n'eprouve pas de maniere aussi tangible la primaute parisienne. Celle-ci faiblit, sous l'effet de Feloignement, laissant aux pouvoirs provin ciaux et aux villes de la Ligue une large autonomic et une plage de libre ini tiative. Voila pourquoi la France ligueuse du sud, moins sensible a Fonde de choc engendree par la conversion henricienne du Paris des Seize, a tarde a reconnaitre Henri IV. Elle le fait apres F absolution pontificate qui leve, au moins dans la sphere discursive, les dernieres reserves des ligueurs jus qu'au-boutistes et les contraint a admettre Henri IV
Le basculement des villes ligueuses dans le camp du roi fut rapide, mais il n'eut rien de spontane. Des la chute de Paris, le souverain et son entou
rage, conscients de l'evenement et de sa portee16, creerent et entretinrent les conditions d'une dynamique du ralliement. Immediatement, ils deciderent Fenvoi de lettres annon?ant le fait. Des missives de deux types furent redi
gees: les unes par Paris adressees aux seules villes ligueuses, les autres par le roi et expedites a toutes les villes du royaume. Pour le roi, il s'agit d'an noncer son entree pacifique dans la capitale, de signaler que Paris, inacces sible a tout souverain depuis pres de six ans, Favait fete; pour Paris devenu
loyaliste, il faut justifier un revirement brutal et complet, en insistant sur le
respect pour la religion que ?ce prince embrasse et veult servir de la vie,
15 Jean Burel, catholique ligueur, rapporte la stupefaction inquiete des habitants a l'annonce de Fentree d'Henri IV a Paris et Fexaltation des royaux installes au chateau voisin de
Polignac. Memoires de Jean Burel, Journal d'un bourgeois du Puy a l'epoque des Guerres de religion, ed. Bernard et Pascale Rivet, 1983, p. 365.
16 Outre le temoignage de Jean Burel, l'on peut rapporter une lettre des consuls de la bour
gade d'Azille adressee aux consuls ligueurs de Narbonne. Le 13 avril 1594, ils ecri vent que ? ceulx du contraire party nos voy sins font grand trophee de ce qu'ils dizent que le Roy de Navarre est dans Paris ? Jean Tissier, op. cit., p. 424.
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(son) amour de la patrie?, avant d'inviter ses alliees d'hier a l'imiter17. Les habitants de Meaux, precoces transfuges de la Ligue, avaient adopte cette
demarche le premier Janvier 159418; au lendemain du 22 mars, Paris la
reprend a son compte et ecrit a Amiens pour 1'inciter a quitter la Ligue. D'autres exemples de cette correspondance abondent: Troyes reconnait le roi le 5 avril et presse Reims d'epouser la meme position le 4 mai. Le 13 aout Amiens s'adresse a Beauvais et 1'invite a accepter Henri IV, puisque les villes ?peu a peu signent avec Henri IV ?19.
Ces envois de messages de ville a ville perpetuent une pratique de 1'in
formation que les villes ligueuses avaient amplifiee, secretant ainsi une
sphere horizontale informative, doublee de liaisons verticales entre Paris, tete et centre du reseau20. Toutefois, si les modalites de diffusion des nou
velles sont stables, l'objectif recherche apres mars 1594 est radicalement
oppose a celui des ligueurs. Au lieu de tisser des liens entre cites et de conso
lider une federation de villes, les lettres incitent chaque ville a se retirer de
l'Union, a traiter ses affaires separement avec le roi. La solidarite ligueuse, les serments et les traites d'association commandaient de rester unis. Dans
l'adversite, il n'en a rien ete et les objurgations pour une reconnaissance d'Henri IV contenues dans les lettres emises par des villes hier fortement
engagees dans la Ligue enterinent l'echec de leur projet politique. L'echevi
nage de Troyes, qui vient de reconnaitre Henri IV et annonce la nouvelle a sa
voisine et alliee Reims, ressent douloureusement la portee de sa decision. La
lettre ouverte par une allusion a l'adage ? Charite bien ordonnee commence
par soi-meme? devient grave lorsque les Troyens s'excusent d'avoir traite
seuls avec Henri IV, sans les avertir alors qu'ils auraient du le faire21. Dans ce delitement de la Ligue des villes, les options de Mayenne ont
leur part, mais la dynamique royale ne se dementait pas, savamment orches tree et entretenue par tous les hommes investis de Fautorite royale. Le roi
envoie des messagers, tel ce heraut d'armes accouru a Beauvais le 6 avril
159422, les gouverneurs multiplient les missives et depechent des messagers
17 Bibl. nat., ms fr. 3989, f? 217.
18 Bibl. nat., ms fr. 3989, f? 6, lettre des habitants de Meaux a ceux de la Ligue. 19
Jean Gaillard, ? Les derniers temps de la Ligue a Beauvais ?, Memoires de la Societe aca
demique d'Archeologie, Sciences &. Arts du departement de I'Oise, t. XVII, 1898 art. cit.,
p. 572. 20 Elie Barnavi, ?Centralisation ou federalisme? Les relations entre Paris et les villes a
l'epoque de la Ligue (1585-1594), Revue historique, avril-juin 1978, n? 526, p. 335-344. 21 E. Henry, La Reforme et la Ligue en Champagne et a Reims, s. 1., 1867, p. 477. Dans une
lettre du debut de mai, les Troyens ecrivent: ?A la verite, nous reconnoissons quelque faute, en ce que nous ne vous avons descouvert nos intentions auparavant que nous les
ayons mis a effect?. 22
J. Gaillard, art. cit., p. 560.
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aupres des villes ligueuses afin de les convaincre de faire allegeance au roi. Le 3 mai, Ludovic de Gonzague, due de Nevers, presse Fechevinage remois de se degager de la Ligue. Devant le silence des Remois, il expedie le 7 mai un messager porteur de deux autres lettres de meme facture23. Joachim de
Dinteville, lieutenant general en Champagne, procede a Fidentique a
l'egard de Chaumont au debut d'avril avec Fenvoi de lettres et d'un messa
ger re?u le 12 du mois24. Cette succession de lettres et le mandatement d'emissaires visent a convaincre les villes desorientees par la defection de Paris qu'elles n'ont qu'une solution: accepter le roi le plus vite possible afin de beneficier de sa mansuetude. Le due de Nevers use de cet argument presque trivial en liant F attitude bienveillante ou severe du roi a la celerite ou a la lenteur du ralliement des villes. Le resulte escompte fut atteint
puisque la configuration politique qui tenait tete au roi depuis cinq ans s'ef filocha en quelques semaines dans le Bassin parisien.
Leur defaite politique consommee, les villes engageaient des pourpar lers avec les representants du roi. Dans la plupart des cas, les gouverneurs de la province comme Ludovic de Gonzague, due de Nevers, en Cham
pagne25, les lieutenants generaux comme Joachim de Dinteville en Cham
pagne26 ou Philibert d'Apchier dans le Gevaudan27, les gouverneurs de villes comme de Sasseval a Beauvais, d'Alincourt a Pontoise ou le sieur Dubois a Selles, tinrent ce role. Ils prirent part a des entrevues avec les dele
gues des villes et contribuerent a degager une solution acceptable. Si la situation etait particulierement delicate et conflictuelle ou si les relais
royaux en place etaient insuffisamment puissants, Henri IV depechait un de ses plus fideles serviteurs. II proceda de la sorte a Toulouse ou il expedia
Mery de Vic, un maitre des requetes a son service depuis les annees 1580. II avait pu apprecier sa determination lorsqu'il s'opposa aux entreprises des
ligueurs a Limoges en 1588-1589. C'est done un homme experimente qui en decembre 1594-janvier 1595 eut la tache de rencontrer les parlemen
23 E. Henry, op. cit., p. 473-475: lettres des 3 et 7 mai 1594.
24 E. Henry, op. cit., p. 541.
25 Intervention du due de Nevers aupres des habitants de Rethel au lendemain de Fassassi nat du marechal de Saint-Paul pour les inciter a reconnaitre Henri IV et le 5 mai 1594
aupres de Castignau, gouverneur de la ville et du chateau pour la Ligue. Emile Jolibois, Histoire de la ville de Rethel, Paris-Rethel, 1867, p. 95.
26 Pour une vue generale du role de Joachim de Dinteville, Laurent Bourquin, Noblesse seconde et pouvoir en Champagne aux XVP et XVIP siecles, Paris, Publications de la Sor bonne, 1994, notamment, p. 92-120.
27 Jean Roucaute, Le Pays de Gevaudan au temps de la Ligue, Paris, Picard, 1900, p. 253: interventions couronnees de succes de Philibert d'Apchier aupres des communautes du
Malzieu et de Saugues (18 et 27 septembre 1594) pour qu'elles reconnaissent Henri IV.
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taires, les capitouls, l'eveque farouchement ligueur Urbain de Saint-Gelais28 et d'obtenir leur retour a l'obeissance royale.
Au cours de cette sequence, les villes etablissent des memoires habituel lement intitules ?Articles ? et destines au roi. Une douzaine de ces textes
rediges par des communautes en rupture de Ligue a ete examinee. Onze emanent de cites d'un large quart nord-est du royaume et de 1'Auvergne29; une est le fruit des Etats provinciaux de la haute Auvergne tenus a Saint Flour du 3 au 11 mai 1594 sous 1'autorite de Philibert d'Apchier30. Les
textes, d'une longueur variable comprise entre trois et douze feuillets, com
prennent un preambule et des demandes rangees par paragraphes. Les memoires ont ete transmis ou remis au roi. Peu de villes choisissent de confier leur texte a un intermediaire charge de le presenter a Henri IV Bar sur-Aube retient 1'option et charge le lieutenant Joachim de Dinteville de s'entremettre aupres d'Henri IV31; Montdidier fait de meme en s'adressant au prevot des marchands de la capitale. L'ecrasante majorite des villes mandate une deputation chargee de rencontrer le roi et de lui presenter le memoire. Les delegues appartiennent aux ?plus notables de ses conci
toyens (Abbeville)?32, ?aux plus notables bourgeois et citoyens? (Saint
Malo)33. Leur effectif est limite a six membres pour Beauvais34, neuf pour Poitiers conduits par Louis de Sainte-Marthe, lieutenant general au presidial nomme par Mayenne et rallie a Henri IV35. La venue de la delegation a la Cour est un acte fondamental dans le processus du retour des villes a
l'obeissance. La rencontre clot la periode durant laquelle la ville a refuse d'obeir au roi; elle marque la reconnaissance de Fautorite souveraine. Les
deputes, en venant a la Cour, effectuent un acte qui est effectue a l'avene ment de chaque roi36. A cette occasion, les villes envoient des delegues
28 Serge Brunet, ?L'eveque ligueur Urbain de Saint-Gelais (1570-1613). Du Comminges a
Toulouse ou la voie espagnole?, Colloque Paix des armes, paix des ames, p. 151-176. 29
II s'agit des villes d'Abbeville, Chablis, Chatel-en-Porcien, Doullens, Rethel, Saint-Flo
rentin, Sens, Brioude, Murat, Saint-Flour, Vitry-le-Francois. 30
Arch, nat., X1A 8641, f? 159-163. 31
Arch, nat., X1A 8641, f? 92. 32
Arch, nat., X1A 8641, f? 54 v?. 33
La delegation doit representer la meilleure part de la communaute avec les chanoines
Hainques et Dadu pour le clerge, Symphorien Roger et Claude Le Besgue pairs pour le corps de ville, Leonard Driot et Charles Le Lanternier, bourgeois, J. Gaillard, art. cit., p. 575.
34 J. Gaillard, art. cit., p. 560.
35 Henri Ouvre, ?Essai sur l'histoire de la Ligue a Poitiers ?, Memoires de la Societe des
Antiquaires de I'Ouest, vol. 21,1854, p. 227. La delegation comprend en sus de Louis de
Sainte-Marthe, les echevins Francois Humeau et Philippe Laine, les bourgeois Francois Fume, Jacques Barraud, Louis Peyraud, les chanoines Bretonneau et Lefranc et le sieur de
Sautray, representant le due d'Elbeuf 36
Natalie Zemon Davis, Essai sur le don dans la France du XVF siecle, Seuil, 2003, p. 145
146.
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charges de preter serment d'obeissance et de fidelite au roi et d'obtenir la confirmation des libertes et privileges de la cite. Les deputes des villes encore ligueuses se trouvent dans cette configuration. Ils viennent recon naitre leur roi et faire allegeance. En contrepartie, Henri IV confirme leurs
privileges et leur octroie un edit de reduction a l'obeissance. L'echange entre le souverain et les representants de la ville releve du registre du don
royal. La pratique est rituelle et elle ne saurait etre assimilee aux fondements d'une monarchie contractuelle, telle que la definissent les monarcho
maques.
Les articles remis au souverain font l'objet d'un examen et, a la fin de
chaque paragraphe ou en marge, l'avis du roi est appose. L'apostille ?Accorde? est la plus frequemment utilisee, avec si necessaire des com
mentaires sur le champ d'application de 1'article vise. II arrive que des deci sions soient laissees en suspens, renvoyees a l'avis d'une institution judi ciaire ou financiere; les refus, rares, sont motives.
Les pieces soumises au roi ont un indeniable air de cousinage. La distri bution des paragraphes est comparable, leur teneur tres proche et la somme des similitudes indique l'existence d'un modele ou au moins d'un canevas
auquel il convient de se referer, voire de se conformer. La mise en forme du texte est le fait de la chancellerie; sa teneur doit beaucoup a l'avis sollicite ou accepte des representants du roi, au point que, place dans une situation contraire et boude par l'echevinage d'Abbeville, le due de Longueville, gouverneur de Picardie, en concjut quelque depit37. Gouverneurs et lieute nants suggererent l'esprit et la lettre des demandes a introduire aupres du roi. C'est done entre le moment ou la reconnaissance d'Henri IV est envisa
gee par la ville ligueuse et la mise au net de ses vceux que des echanges ont lieu entre les deux parties. S'il y eut negociation sur le contenu des articles, elle prend place a ce moment-la. L'echange se deroule dans des circons tances peu favorables pour les villes vaincues, destabilisees et soumises aux
pressantes sollicitations des royaux. Leur liberte de manoeuvre est reduite; elle devient inexistante apres la reception du memoire assorti des reponses royales. Certes les deputes reviennent devant le corps de ville rendre compte de leur mission comme le fait Claude Le Besgue, pair de Beauvais. Le 25
aout, il expose le contenu des articles obtenus devant l'assemblee qui les
accepte et decide d'envoyer a nouveau les delegues s'accorder avec le roi ?suivant les apostilles et reponses s'ils ne peuvent mieux obtenir?38. En
fait, la formule est une clause de style puisque les edits reconduisent le plus souvent au mot pres les injonctions royales. Ainsi les doleances exposees
37 E. Prarond, op. cit., p. 112.
38 J. Gaillard, art. cit., p. 578.
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par les villes n'ouvrent pas une negotiation avec le souverain; au contraire, il clot le temps de Fecoute royale, d'une possible prise en compte de tout ou
partie des desiderata de ses sujets. Le temps du dialogue est anterieur a la redaction des articles et tant la volonte royale que les sollicitations repetees de ses representants cherchent a en contenir la duree. Les villes sont sommees de statuer dans Furgence, ce qui les place dans l'impossibilite de se concerter et de rediger un cahier commun de doleances. Meme si des revendications semblables courent d'un memoire a l'autre, le roi prefere traiter les situations separement et les villes s'en satisfont.
Les edits de reduction a l'obeissance etant cachetes de sceaux verts pen dants sur lacs de soie rouge et verte39 sont credites d'un caractere perpe tuel40. Ils comportent un preambule et une serie de 8 a 39 articles, avec un
chiffre moyen de 18. L'ecart resulte plus de la segmentation de copieux paragraphes que de F insertion de clauses particulieres. En effet, les edits
repondent aux memes objectifs et visent tout a la fois a solder le temps de la
Ligue, a restaurer Fappareil etatique anterieur a 1589, a jeter les fondements d'une vie communautaire pacifiee.
Solder le temps du conflit ligueur necessite d'en effacer les sequelles materielles et cette tache est finalement la plus facile a decider. Les villes ont des finances en piteux etat, souvent exsangues, elles croulent sous les
arrerages des dettes; aussi demandent-elles extinctions ou remises d'impots directs, moderation de taxes telles que la gabelle. Henri IV accorda des
exemptions sans barguigner. II dispensa les villes du paiement de leurs arre
rages de taille jusqu'au 31 decembre 1593, tres exceptionnellement jus qu'au mois de mai 1594 pour Amiens41. II octroya aussi une harmonisation a la baisse de la gabelle pour Chaumont en Bassigny42, mais maintint l'im
position de la solde des prevots des marechaux. Ces mesures ne coutent a
peu pres rien a Henri IV qui aurait eu les pires difficultes a faire rentrer dans
les caisses royales un impot deja leve par la Ligue. Elles soldent le passif du
passe et ecartent les differends et les proces que n'aurait pas manque d'en
gendrer F exigence de nouveaux versements fondes sur des ordres de paie ment anciens. L'abandon financier est des plus reduits alors que son bene
fice politique est eleve. Quelques villes comme Chaumont43 reclament
Faffectation temporaire d'un impot afin de proceder a des campagnes de
fortifications, et Henri IV accede toujours a ces demandes. De meme, toutes
39 Arch, nat., X,A 8641, f? 35-38 pour Vezelay.
40 Olivier Guyotjeannin, Diplomatique medievale, Brepols, 1993, 454 pages.
41 Arch, nat., X,A 8641, P 231-237.
42 Arch, nat., X1A 8641, f? 98-100.
43 Arch, nat., X1A 8641, f? 98-100: 333 ecus 1/3 a prelever sur l'octroi pendant 10 ans pour les fortifications.
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les innovations fiscales, comme les peages introduits dans le Maconnais durant les troubles, sont abolies. Ces decisions s'inscrivent dans la politique de restauration de l'ordre administratif regnant avant 1589 qui transparait egalement avec la suppression des instances ligueuses creees par Mayenne. Tous les Conseils provinciaux de la Sainte Union comme celui d'Agen sont
supprimes. Les modifications de ressorts d'election comme celles com mises dans les generalites de Bourges et d'Orleans44 sont abolies et les tri bunaux installes dans des villes controlees par la Ligue rapatries dans leurs villes originelles45. Le retablissement de la carte administrative et institu tionnelle est accompagne du retablissement des officiers.
L'entreprise etait des plus complexes en raison de la situation extreme ment confuse creee par les decisions contradictoires ou concurrentes prises depuis 1589. En effet, le due de Mayenne en tant que lieutenant general du
royaume s'etait arroge le droit de creer des officiers. Henri III s'etait eleve contre cette pretention et avait declare le 10 juillet 1589 que les officiers nommes par Mayenne seraient pri ves de leurs charges, mais la decision etait restee lettre morte. Henri IV heritait d'une situation delicate avec des offi ciers illegalement pourvus, des officiers exer?ant des charges subtilisees a leurs adversaires qui etaient assignes a residence ou avaient du quitter leur ville. Revenir a la situation anterieure a 1589 etait impossible. L'officier devait etre rembourse de sa finance et l'etat du tresor royal Finterdisait. Aussi Henri opta pour une mesure conservatoire. Tous les edits de reduction a l'obeissance prevoyaient le maintien des officiers choisis par Mayenne a la condition expresse qu'ils prennent de nouvelles lettres de provision signees de la main du roi. La decision n'a aucune incidence materielle pour les officiers puisque le roi les dispense du versement d'une nouvelle finance; mais elle a une signification politique transparente. Le don opere par Mayenne est frappe de nullite, d'illegalite et d'illegitimite, puisque le roi a seul le pouvoir de creer des officiers. Les officiers designes par la Ligue sont sommes, en prenant des lettres de provision signees de la main du roi, de faire allegeance a l'homme qu'ils ont combattu, critique, voire execre. En outre, ils doivent, comme tout nouveau pourvu, se faire recevoir dans une institution composee d'officiers de sensibilite differente et aux engage ments recents contraires. Entre officiers recrutes par la Ligue et officiers
royalistes, les relations peuvent etre conflictuelles si les clivages persistent et sont rejoues en permanence. Elles peuvent etre apaisees si l'esprit de
corps, la sagesse, les alliances familiales et le devoir d'oubli parviennent a eteindre ou a reduire les tensions. Les compagnies deviennent des lieux de
44 Les elections de Gien et Clamecy font retour a la generalite d'Orleans; l'election de Cha tillon-sur-Indre fait retour a la generalite de Bourges. Recueil, op. cit., p. 18.
45 La clause concerne notamment Agen, Bourges, Orleans, Poitiers, Saint-Flour.
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la reconciliation entre adversaires de la veille ou au moins des laboratoires de la restauration de l'unite citadine depuis longtemps abimee et qui est
l'objectif majeur des edits de reduction a l'obeissance. Pour parvenir a ce
resultat, Henri IV interdit toutes les poursuites judiciaires intentees en
reponse aux exactions, voies de faits, violences, assassinats perpetres lors des troubles de la Ligue. Tout le contentieux penal et criminel est desormais
frappe de caducite. La priorite est le devoir d'oubli, la perte de la ? memoire de tout ce qui s'est passe esdictes villes & lieux depuis le commancement des troubles et a 1'occasion d'iceux jusqu'a present, demeure esteinte &
assopie?46. Ce devoir d'oubli est un leitmotiv du temps des guerres de Religion. II
figure dans la Paix de Saint-Germain et les edits de pacification ulterieurs. Les edits de reduction reconduisent la teneur et parfois la formulation
depuis longtemps retenue par la chancellerie. Seul le champ d'application est modifie, passant du royaume a une serie de villes. D'autres voix s'ele vaient en faveur de l'oubli, notamment celle de l'avocat general Antoine Loisel qui fit du necessaire oubli la thematique de sa harangue prononcee a
Agen lors de sa venue en Guyenne en 1582 et 158447. Tous les edits contien nent un article appelant a ce devoir d'oubli qui apparait comme la condition
imperieuse au retour d'une paix civile durable. Car les objurgations en faveur de l'amnesie collective sont die tees par la volonte de voir ?les habi tans vivre paisiblement ensemble comme freres, amis et concitoyens?, ?sous peine d'estre puniz et chastiez comme perturbateurs de repos
public ?, comme le stipulent les edits d'Auxerre, Vezelay48, Sens, Agen ou sous peine de la vie pour ceux de Rouen, Orleans49. La peine encourue est
maximale, indice patent de 1'importance de la decision et de sa place dans la
procedure du retour a la paix civile. L'amnesie volontaire est erigee en vertu
cardinale et comme le stipule l'article XIII de l'edit de reduction en faveur
de Sens, il ne faut se ?provoquer l'un l'autre pour raison de ce qui s'est
passe ains [mais] se contenir et vivre paisiblement ensemble comme freres, amis et concitoyens ?50. L'oubli est exige, nullement l'amnistie et le pardon
qui sont prerogatives royales. L'oubli est mitoyen avec le mutisme, il
reclame le silence sur le passe afin de faciliter la vie commune d'une societe
46 Edict du Roy sur la reduction des villes d'Agen, Ville-neufve, Marmande, & autres villes
& lieux du pays d'Agenois, en son obeyssance, p. 56. 47
Mark Greengrass,? Amnistie et oubliance: un discours politique autour des edits de paci fication pendant les guerres de Religion?, p. 113-125 dans Paix des armes, paix des
ames, Actes du colloque international tenu au Musee national du chateau de Pau et a
1'Universite de Pau et des Pays de I'Adour, Paris, Imprimerie nationale, 2000. 48
Arch, nat., X1A 8641, f?22-25,35-38. 49
Recueil, op. cit., p. 9-14, 27-32. 50
Arch, nat., X1A 8641, f?26-29.
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hier dechiree. C'est sa raison d'etre et Feconomie des edits de reduction.
Chaque texte regie Fechec local des ligueurs tout en degageant les condi tions propices a la recomposition de la communaute.
Le premier article, sauf dans l'edit concernant la ville de Rethel51, traite
toujours de la religion. II stipule qu'il ne sera fait que l'exercice de la reli
gion catholique, apostolique et romaine dans la ville beneficiaire de l'edit. L'interdiction du culte protestant s'applique aux faubourgs comme a Bar
sur-Aube, Poitiers52; il peut etre etendu a trois lieues a la ronde comme a
Saint-Malo53, a un bailliage - Amiens -, un gouvernement
- Lyon54 -, mais
comme le meme article fait ensuite reference a l'edit de 1577, la contradic tion est evidente. Elle se dissout avec la priorite
- de facto - accordee a la
Paix de Bergerac qui devient la matrice des edits de reduction55. L'on sait que l'edit de Poitiers fut moins favorable aux reformes que l'edit
precedent dit de Beaulieu, mais la reprise de ses clauses confessionnelles56 dans les edits de reduction ne saurait etre interpretee comme une victoire des
ligueurs les plus farouches. En fait, les edits perpetuent une politique deja ancienne du traitement inegal des deux confessions. Ils prevoient, comme dans les edits en faveur d'Agen, Marmande, Villeneuve, Toulouse57, un exer cice libre et general du catholicisme et la restitution de tous les lieux de culte
catholique alors que le protestantisme est contenu a quelques localites par senechaussee. Un tel choix satisfait une ecrasante majorite de catholiques, bien au-dela de la mouvance des ligueurs. La seule discrimination confes sionnelle explicite couchee dans des edits concerne Faeces aux offices et aux
charges. Selon les edits de Vitry-le-Francois, Orleans58, Saint-Malo, les
gouverneurs ne sauraient etre que catholiques et a Chaumont59 ou Saint
51 Emile Jolibois, Histoire de la ville de Rethel, 1847, Paris-Rethel, p. 100-101.
52 Arch, nat., X1A 8641, f? 92, f?131.
53 Recueil, op. cit., p. 11.
54 Recueil, op. cit., p. 41.
55 La demarche a a voir avec celle mise en oeuvre dans l'ecriture des 6dits de pacification qui reemploie des textes anterieurs. Monique Cuillieron, ?Les edits de tolerance de la fin du XVP siecle: 1'emergence de temps nouveaux?, Revue historique de droit frangais et
etranger, t. 80, n?l, janvier-mars 2002, p. 57-76. 56
Andre Stegmann, Edits des guerres de Religion, Paris, Vrin, 1979, p. 131-153. Uarticle 3 de l'6dit de pacification fait par le roi pour mettre fin aux troubles de son royaume et faire desormais vivre tous ses sujets en bonne paix, union et concorde, sous son obeissance
stipule que ?la religion catholique, apostolique et romaine soit remise et retablie en tous les lieux et endroits de cestui notre Royaume et pays de notre obeissance ou l'exercice d'icelle a ete intermis?.
57 Recueil, op. cit., p. 108, article II.
58 Idem, p. 13, article XIII.
59 Arch, nat., X,A 8641, fol. 98 v?.
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Florentin60, aucun office n'est accessible a des reformes; mais ce sont des cas d'exception qui retrouvent des interdits naguere publies, notamment par le Parlement de Paris en 1562.
Restauration de l'Etat, retablissement des serviteurs dans leurs charges et dignites, devoir d'amnesie: les decisions majeures des edits bannissent toute epuration et stigmatisation des ligueurs qui peuvent, s'ils le souhai
tent, se retirer de leurs villes. Quelques edits - Amiens, Orleans, Paris -
envisagent cette hypothese et la reglementent avec le souci de proteger les candidats au depart ou a l'exil, beneficiaires de passeports et autorises a vendre ou emporter leurs biens.
L'objectif prioritaire des edits est de jeter les fondements de la recompo sition d'une communaute assagie et invitee a rendre graces a Dieu et au roi d'une telle issue. Les Te Deum qui saluent le retour a l'obeissance des villes manifestent leur reunion a la couronne, la reconciliation publique de l'en semble de la communaute citadine et en particulier les retrouvailles entre
catholiques ligueurs et catholiques royaux. Le temps des processions exal
tees, fortement exclusivistes, s'efface, remplace par des corteges qui mettent en scene l'unite recouvree d'une ville en communion avec Dieu et le Roi. La conflictualite doit ceder le pas devant une cohabitation pacifiee, oublieuse du passe. Les edits de reduction des villes ont degage les condi tions d'une vie commune placee sous le sceau de la tolerance civile et Henri IV attend que les communautes les respectent. L'obeissance au texte doit instaurer la paix civile, civique, citadine, et si des villes naguere ligueuses ne parviennent pas a faire taire leurs rivalites heritees, a les surmonter, mais s'abiment dans la discorde, le souverain se juge fonde a intervenir dans la vie de la ville. Les decisions d'Henri IV bouleversant les regies electorates et/ou les representations municipales61 a Poitiers, Abbeville, Amiens, Lyon ou meme Limoges, qui eut de fortes tentations ligueuses, sanctionnent ces
manquements aux edits de reduction a l'obeissance. Elles ne sont pas une
politique royale deliberee d'aneantissement des liberies municipales, faisant partie d'un plan premedite62, elles sont une replique a de ponctuelles desobeissances a des edits de reduction a l'obeissance.
Universite de Limoges, Michel Cassan Centre de Recherche historique de 1'Universite de Limoges.
60 Arch, nat., X1A8641, fol. 4 v?.
61 Annette Finley-Croswhite, Henry IV and the Towns, The Pursuit of Legitimacy in French
Urban Society, 1589-1610, Cambridge University Press, 1999,219 p. 62
Robert Descimon, ?L'echevinage parisien sous Henri IV (1594-1610). Autonomie
urbaine, conflits politiques et exclusives sociales?, dans La Ville, la Bourgeoisie et la
genese de I'Etat moderne (XIF-XVIIF siecles), Paris, CNRS, 1988, p. 113-150.
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LA REDUCTION DES VILLES LIGUEUSES A L'OBEISSANCE 173
Annexe
La reduction des villes de la Sainte Union a l'obeissance
Chronologie des edits de reduction a l'obeissance des villes
Decision prise En faveur Enregistrement de la ville de de la decision
1594 Janvier Meaux, 4 Janvier 8 mars
Fevrier Bourges 28 fevrier Orleans 28 fevrier Pontoise 13 juin Lyon, 8 fevrier 24 mai
Mars Paris, 24 mars 28 mars Rouen, 29 mars 26 avril Le Havre 26 avril Harfleur 26 avril Montivilliers 26 avril Pont-Audemer 26 avril Verneuil 26 avril
Avril Auxerre, 4 avril 22 avril Troyes, 5 avril 30 avril Sens, 16 avril 29 avril
Vezelay 30 avril Abbeville 11 mai Peronne, 23 avril 3 juin Roye, 23 avril 3 juin Montdidier, 23 avril 3 juin Chablis, 23 avril 8 juin
Mai Saint-Florentin, ler mai 12 mai Bar-sur-Aube, 10 mai 20 juin Rethel, 20 mai 31 juillet Selles 13 mai
Macon 8 juin Chaumont-en-Bassigny 22 juin Agen 26 juin
(Parlement de Bordeaux) Marmande 26 juin
(Parlement de Bordeaux) Villeneuve-sur-Lot 26 juin
_ (Parlement de Bordeaux) Juin Bar-sur-Aube 20 juin
Cluny, 4 juin 19 juillet Poitiers, 16 juin 4 juillet
Juillet Chatel-en-Porcien, 2 juil. 13 octobre Riom, 8 juillet 13 octobre
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174 MICHEL CASS AN
Decision prise En faveur I Enregistrement _I
dela ville de_|
dela decision_ Chateau-Thierry, 11 juillet 2 septembre Vitry-le-Francois, 12 juillet 2 septembre Brioude, 13 juillet 12 aout Saint-Flour, 13 juillet 12 aout Murat, 14 juillet 30 juillet Laon, 22 juillet
_ Rethel, 31 juillet_
Aout Beauvais, 22 aout 3 mai 1595
_I Morlaix_| avril 1595_ I Septembre | Amiens_| 10 octobre_ Octobre Rocroi
Saint-Dizier Guise Joinville Fismes Montcornet-en-Argonne Saint-Malo 5 decembre 1594
I_j (Parlement de Rennes) [ I Novembre | Reims_| 29 novembre_ I Decembre | Doullens_| 6 decembre_ 1596 Janvier Toulouse 14 mars
_I (Parlement de Toulouse) | Juillet Marseille 14 aout
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