1
evaluer les questions et a leur chercher des reponses. Jean-Marie Legay (UniversW de Lyon I) La Republique a-t-elle besoin de savants ? Michel Dodet, Philippe Lazar, Pierre Papon Presses Universitaires de France, toll * Science, Histoire et Societe *, 1998 D ‘entree de jeu ce livre, ecrit par des acteurs de la politique scientifique francaise, nous met face a I’evolution de la recherche scientifique de ces dernieres an&es et a ses obligations : le chercheur est sorti de sa tour d’ivoire et la science se doit d’avoir un statut social. Les lignes de force de la recherche sont alors finalisa- tion, pluridisciplinarite, ouverture a des partenaires exterieurs. Des les premiers chapitres, il est clairement montre que Pconomie, mondialisation, competition, sont les moteurs de nos societes et que la science ne peut pas faire abstraction de ces contraintes. Nos societes dites avancees n’ont alors finalement que le libre choix de la fuite en avant deter- mince par I’economie, le progres scienti- fique n’etant qu’un moyen de participer a cette fuite. Les auteurs insistent en propo- sant qu’une solution au probleme du chomage dans nos societes est une acce- leration du rythme des innovations. Pour atteindre cet objectif, les connaissances et les techniques nouvelles doivent etre largement diffusees dans le tissu econo- mique. La recherche devient ainsi partie integrante de I’economie. Les moins jeunes de nos chercheurs deduiront de ces propositions I’enorme chemin parcouru depuis plus de vingt ans, Ppoque a laquelle les mots industrie, economic, finalite, les faisaient descendre dans la rue. Les auteurs lancent alors un appel a la transformation des habitudes scientifiques, jugees trop institutionnelles, au profit d’une conception plus souple, plus flexible de la recherche. Dans ces premiers chapitres, on ne trouve qu’un passage, assez court, pour dire le danger qu’il y aurait quand meme a supprimer les ” savants *, ces chercheurs concern& par une approche fondamentale, celle qui n’est qu’un instrument desinteresse d’ac- cumulation de connaissances. Francois Gros, qui a fait une tres intbessante preface a ce livre, * une reflexion sociale et politique sur les metiers de la recherche n, I’a d’ailleurs bien note et invite les auteurs a plus de prudence pour ne pas couper la branche sur laquelle I’ensemble du dispositif de recherche repose a long terme. Lexemple montre est celui du Japon qui apres plusieurs annees de recherche a but finalise est justement en train de reprendre une part active a la recherche plus fondamentale et privilegie les innovations de produits par rapport aux innovations de procedes. Est-ce le moment que va choisir la France pour s’adonner au plaisir temporaire d’une recherche finalisee ? II est a noter cependant qu’au fur et b mesure de la lecture, et surtout dans les derniers chapitres du livre, les auteurs prennent conscience du probleme que poserait I’abandon d’une recherche par les a savants n et qu’ils essayent de temperer leur opinion. Ils s’en tirent alors en presentant une analyse de I’activite de recherche qui remet en cause I’existence des chercheurs a vie. Une longue activite de recherche productive ne serait alors que I’apanage de quelques-uns qui pour- raient s’investir, en partie, dans une recherche fondamentale. Les autres devraient pouvoir sortir du domaine de recherche pour se diriger vers les entre- prises ou I’administration de la recherche. Le systeme de recherche et la politique technologique au sein de I’hexagone, leurs forces et leurs faiblesses, sont analyses dans le cadre de I’union euro- peenne. Les auteurs proposent plusieurs pistes pour resoudre les difficult& et les contradictions entre les tendances centrali- satrices d’une autorite supranationale et la regionalisation de la politique scientifique de notre pays. Est ainsi denonce le machiavelisme de certains comporte- ments nationa/istes qui tendent simplement a recuperer les mises financieres natio- nales. Les auteurs en appellent a une conscience europeenne forte qui elle seule sera a meme de faire face aux assauts de I’Amerique et des pays asiatiques. On peUt regretter que les lourdeurs de I’administra- tion europeenne, simplement Pvoquees, n’aient pas fait l’objet de la meme intense reflexion que d’autres sujets. Pourtant la reside peut-etre I’une des difficult& des scientifiques francais a une plus grande ouverture vers des collaborations euro- peennes. Les difficult& administratives, de gestion financiere, de redaction de dossiers, de contacts en anglais, contri- buent peut-etre plus a la mauvaise place des chercheurs francais que leur soit disant desinteret pour une recherche en collaboration. Dans I’ensemble, ce livre est plaisant a lire et stimulant. Douze chapitres decoupent les 245 pages et sont accompagnes d’une bibliographie de 29 titres, d’une liste expli- cative des 43 principaux sigles utilises, et d’un index alphabetique de 248 items. On peut ne pas etre d’accord avec I’ana- lyse des auteurs mais au moins cette analyse a le merite d’exister non plus comme paragraphes de nombreuses revues differentes mais comme un seul livre. Les problemes de la recherche scien- tifique en general et de la recherche fran- Caise en particulier sont abordes en termes clairs et sans langue de bois. Des propositions existent qui n’attendent qu’a etre discutees. La forte offensive utilitariste de la recherche fera certainement bondir nombre de collegues qui n’ont pas force- ment compris, ni entierement admis, a quel point la recherche est maintenant tributaire des themes choisis, voire imposes de par leur impact sur la societe. L’importance des subventions attribuees par les associations caritatives dans les budgets de nombreuses equipes montre bien que le role de I’ttat dans la politique de recherche s’amenuise au moins pour certains laboratoires et certains themes. Meme les auteurs finissent par s’inquieter de I’evolution des mentalites des jeunes chercheurs en se demandant s’il y a encore quelqu’un dans la tour d’ivoire ! L’ensemble des problemes de la recherche scientifique et de ses liens avec la societe est ainsi aborde, avec des points de vue legerement differents selon les chapitres, ce qui souligne sans doute les variations d’opinion et de sensibilite des trois auteurs. Mais la conclusion est Claire : on a besoin de la recherche scientifique. Reste a definir sous quelle forme doit S’eX- primer cette activite de recherche. A nous de participer a la discussion et de faire des propositions, meme si selon les conclu- sions de ce livre, nous n’avons plus notre libre arbitre qui est tributaire de I’eCOnO- mique et du modele scientifico-politique anglo-saxon. Christian Biemont (CNRS)

La République a-t-elle besoin de savants ?

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: La République a-t-elle besoin de savants ?

evaluer les questions et a leur chercher des reponses.

Jean-Marie Legay (UniversW de Lyon I)

La Republique a-t-elle besoin de savants ? Michel Dodet, Philippe Lazar, Pierre Papon Presses Universitaires de France, toll * Science, Histoire et Societe *, 1998

D ‘entree de jeu ce livre, ecrit par des acteurs de la politique scientifique

francaise, nous met face a I’evolution de la recherche scientifique de ces dernieres an&es et a ses obligations : le chercheur est sorti de sa tour d’ivoire et la science se doit d’avoir un statut social. Les lignes de force de la recherche sont alors finalisa- tion, pluridisciplinarite, ouverture a des partenaires exterieurs. Des les premiers chapitres, il est clairement montre que Pconomie, mondialisation, competition, sont les moteurs de nos societes et que la science ne peut pas faire abstraction de ces contraintes. Nos societes dites avancees n’ont alors finalement que le libre choix de la fuite en avant deter- mince par I’economie, le progres scienti- fique n’etant qu’un moyen de participer a cette fuite. Les auteurs insistent en propo- sant qu’une solution au probleme du chomage dans nos societes est une acce- leration du rythme des innovations. Pour atteindre cet objectif, les connaissances et les techniques nouvelles doivent etre largement diffusees dans le tissu econo- mique. La recherche devient ainsi partie integrante de I’economie. Les moins jeunes de nos chercheurs deduiront de ces propositions I’enorme chemin parcouru depuis plus de vingt ans, Ppoque a laquelle les mots industrie, economic, finalite, les faisaient descendre dans la rue. Les auteurs lancent alors un appel a la transformation des habitudes scientifiques, jugees trop institutionnelles, au profit d’une conception plus souple, plus flexible de la recherche. Dans ces premiers chapitres, on ne trouve qu’un passage, assez court, pour dire le danger qu’il y aurait quand meme a supprimer les ” savants *, ces chercheurs concern& par une approche fondamentale, celle qui n’est qu’un instrument desinteresse d’ac- cumulation de connaissances. Francois

Gros, qui a fait une tres intbessante preface a ce livre, * une reflexion sociale et politique sur les metiers de la recherche n, I’a d’ailleurs bien note et invite les auteurs a plus de prudence pour ne pas couper la branche sur laquelle I’ensemble du dispositif de recherche repose a long terme. Lexemple montre est celui du Japon qui apres plusieurs annees de recherche a but finalise est justement en train de reprendre une part active a la recherche plus fondamentale et privilegie les innovations de produits par rapport aux innovations de procedes. Est-ce le moment que va choisir la France pour s’adonner au plaisir temporaire d’une recherche finalisee ? II est a noter cependant qu’au fur et b mesure de la lecture, et surtout dans les derniers chapitres du livre, les auteurs prennent conscience du probleme que poserait I’abandon d’une recherche par les a savants n et qu’ils essayent de temperer leur opinion. Ils s’en tirent alors en presentant une analyse de I’activite de recherche qui remet en cause I’existence des chercheurs a vie. Une longue activite de recherche productive ne serait alors que I’apanage de quelques-uns qui pour- raient s’investir, en partie, dans une recherche fondamentale. Les autres devraient pouvoir sortir du domaine de recherche pour se diriger vers les entre- prises ou I’administration de la recherche. Le systeme de recherche et la politique technologique au sein de I’hexagone, leurs forces et leurs faiblesses, sont analyses dans le cadre de I’union euro- peenne. Les auteurs proposent plusieurs pistes pour resoudre les difficult& et les contradictions entre les tendances centrali- satrices d’une autorite supranationale et la regionalisation de la politique scientifique de notre pays. Est ainsi denonce le machiavelisme de certains comporte- ments nationa/istes qui tendent simplement a recuperer les mises financieres natio- nales. Les auteurs en appellent a une conscience europeenne forte qui elle seule sera a meme de faire face aux assauts de I’Amerique et des pays asiatiques. On peUt

regretter que les lourdeurs de I’administra- tion europeenne, simplement Pvoquees, n’aient pas fait l’objet de la meme intense reflexion que d’autres sujets. Pourtant la reside peut-etre I’une des difficult& des scientifiques francais a une plus grande ouverture vers des collaborations euro-

peennes. Les difficult& administratives, de gestion financiere, de redaction de dossiers, de contacts en anglais, contri- buent peut-etre plus a la mauvaise place des chercheurs francais que leur soit disant desinteret pour une recherche en collaboration. Dans I’ensemble, ce livre est plaisant a lire et stimulant. Douze chapitres decoupent les 245 pages et sont accompagnes d’une bibliographie de 29 titres, d’une liste expli- cative des 43 principaux sigles utilises, et d’un index alphabetique de 248 items. On peut ne pas etre d’accord avec I’ana- lyse des auteurs mais au moins cette analyse a le merite d’exister non plus comme paragraphes de nombreuses revues differentes mais comme un seul livre. Les problemes de la recherche scien- tifique en general et de la recherche fran- Caise en particulier sont abordes en termes clairs et sans langue de bois. Des propositions existent qui n’attendent qu’a etre discutees. La forte offensive utilitariste de la recherche fera certainement bondir nombre de collegues qui n’ont pas force- ment compris, ni entierement admis, a quel point la recherche est maintenant tributaire des themes choisis, voire imposes de par leur impact sur la societe. L’importance des subventions attribuees par les associations caritatives dans les budgets de nombreuses equipes montre bien que le role de I’ttat dans la politique de recherche s’amenuise au moins pour certains laboratoires et certains themes. Meme les auteurs finissent par s’inquieter de I’evolution des mentalites des jeunes chercheurs en se demandant s’il y a encore quelqu’un dans la tour d’ivoire ! L’ensemble des problemes de la recherche scientifique et de ses liens avec la societe est ainsi aborde, avec des points de vue legerement differents selon les chapitres, ce qui souligne sans doute les variations d’opinion et de sensibilite des trois auteurs. Mais la conclusion est Claire : on a besoin de la recherche scientifique. Reste a definir sous quelle forme doit S’eX- primer cette activite de recherche. A nous de participer a la discussion et de faire des propositions, meme si selon les conclu- sions de ce livre, nous n’avons plus notre libre arbitre qui est tributaire de I’eCOnO- mique et du modele scientifico-politique anglo-saxon.

Christian Biemont (CNRS)