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-Théologie biblique------------ Dans l'« Argument» présentant l'Institution de 1541, Calvin la disait « comme une clef et ouverture pour donner accès» à l'Ecriture, mais il arrive, hélas! que nous abusions de la dogmatique pour fermer cet accès et museler l'Ecriture! Quand nous nous servons d'une vérité centrale avec l'étroitesse rigide qui refuse la complexité vivante - et révèle notre arrogante mainmise sur la Parole de Dieu. Ainsi quand nous nous servons de la vérité de la Grâce pour ignorer l'enseignement sur les récompenses. Merci à Frédéric SEPARI, pasteur de l'Eglise Evangélique Libre d'Orléans, d'avoir évité ce piège, et soigneusement, sobrement, recueilli l'instruction révélée. La réussite et les récompenses dans le Nouveau Testament par Frédéric SEPARI P our pouvoir parler d'échec ou de réussite dans l'exercice d'un minis- tère pastoral ou plus généralement dans notre vie chrétienne, deux éléments au moins doivent être réunis : 1) une évaluation de nos actes, de notre vie doit être possible ; 2) la réussite ou l'échec ne doit pas être fortuit mais vraiment appartenir à la personne évaluée. Plus une évaluation se veut profonde, intérieure et spirituelle, plus elle se révèle en général difficile et complexe, humaine- ment parlant. Cette difficulté ne concerne --24 Fac-Réflexion nO 42-43

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-Théologie biblique------------

Dans l'« Argument» présentant l'Institution de 1541,Calvin la disait « comme une clef et ouverture

pour donner accès» à l'Ecriture,mais il arrive, hélas! que nous abusions de la dogmatique

pour fermer cet accès et museler l'Ecriture!Quand nous nous servons d'une vérité centrale

avec l'étroitesse rigide qui refuse la complexité vivante ­et révèle notre arrogante mainmise sur la Parole de Dieu.

Ainsi quand nous nous servons de la vérité de la Grâcepour ignorer l'enseignement sur les récompenses.

Merci à Frédéric SEPARI,pasteur de l'Eglise Evangélique Libre d'Orléans,

d'avoir évité ce piège, et soigneusement, sobrement,recueilli l'instruction révélée.

La réussite et les récompensesdans le Nouveau Testament

par Frédéric SEPARI

Pour pouvoir parler d'échec ou deréussite dans l'exercice d'un minis­tère pastoral ou plus généralement

dans notre vie chrétienne, deux élémentsau moins doivent être réunis :

1) une évaluation de nos actes, denotre vie doit être possible ;

2) la réussite ou l'échec ne doit pasêtre fortuit mais vraiment appartenir à lapersonne évaluée.

Plus une évaluation se veut profonde,intérieure et spirituelle, plus elle se révèleen général difficile et complexe, humaine­ment parlant. Cette difficulté ne concerne

--24 Fac-Réflexion nO 42-43

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pas seulement le jugement des autres ànotre égard mais également le jugementque nous sommes en mesure de portersur nous-mêmes. « Qui connaît ses éga­rements ? »(1) nous rappelle l'Ecriture.Toutefois cette évaluation reste toujourspossible pour Dieu, la doctrine du juge­ment dernier est là pour nous le rappeler.Dieu portera non seulement un verdict degrâce ou de condamnation sur notre vieentière mais Il jugera aussi nos œuvres(2)et nos actions secrètes(3). La notion derécompense telle qu'elle apparaît dans leN.T. confirme et développe utilementcette vérité biblique sous son aspectpositif.

Si tout est grâce peut-on en­core parler d1échec ou de réus­site de la part de Ilhomme ?

Mais c'est surtout par rapport ausecond point que l'idée de récompensenous semble offrir un apport appréciable.En effet si tout est grâce peut-on encoreparler d'échec ou de réussite de la partde l'homme ? Dans ce cas précis,l'échec peut certes être celui de l'hommemais la réussite ne devient-elle pas alorscelle de Dieu et de son plan de salut enJésus-Christ? Toutefois si les récom­penses célestes ou terrestres, promisespar Jésus et les apôtres, ne sont pas desimples dons inconditionnels, mais effec-

(1) Ps 19.12.

(2) Ap 20.11-15.

(3) Rm 2.16.

tivement la réponse que Dieu donne àl'usage fait par chacun de sa libertéhumaine, alors les notions d'échec et deréussite devant Dieu reprennent de laforce et du sens.

Avant d'avancer dans cette voie, ilconvient de commencer par rassemblerles données bibliques pour essayerensuite, avec prudence, de déterminer lanature des récompenses promises dansle N.T.

/. Les données bibliques

a) Le premier terme à retenir notreattention est misthos. Il a le sens de« paye», « salaire», « récompense», cequi induit des dérivés ayant le sens de« louer », « engager ». Il apparaît 21 foiset ses dérivés 4 fois. Le Sermon sur lamontagne nous en donne plusieursexemples : « Heureux serez-vous,lorsqu'on vous outragera ... réjouissez­vous et soyez dans l'allégresse, parceque votre récompense sera grande dansles cieux» (Mt 5.12) ; « Si vous aimezceux qui vous aiment, quelle récom­pense méritez-vous ? » (Mt 5.46) ;« Aimez vos ennemis, faites du bien, etprêtez sans rien espérer. Et votre récom­pense sera grande ... » (Lc 6.35). Endénonçant l' hypocrisie et la recherched'une gloire personnelle dans les œuvresde piété, Jésus précise égalementqu'elles font perdre toute récompense:« Gardez-vous de pratiquer votre justicedevant les hommes, pour en être vus;autrement, vous n'aurez point de récom­pense auprès de votre Père qui est dans

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les cieux» (Mt 6.1). Ce même enseigne­ment est appliqué successivement àl'aumône, à la prière et au jeûne. Jésussemble même distinguer entre différentstypes de récompenses: « Celui qui reçoitun prophète en qualité de prophète rece­vra une récompense de prophète, etcelui qui reçoit un juste en qualité dejuste recevra une récompense de juste.Et quiconque donnera seulement unverre d'eau froide ... ne perdra point sarécompense» (Mt 10.41-42). L'apôtrePaul approfondit ces distinctions à samanière : « Celui qui plante et celui quiarrose sont égaux, et chacun recevra sapropre récompense selon son propretravail» (1 Co 3.8) ; « Si l'œuvre bâtie parquelqu'un sur le fondement subsiste, ilrecevra une récompense. Si l'œuvre dequelqu'un est consumée, il perdra sarécompense ... » (1 Co 3.14-15). L'apôtreJean quant à lui laisse entendre qu'unerécompense peut n'être que partielle:« Prenez garde à vous-mêmes ... pourque vous receviez une pleine récom­pense» (2 Jn 8). A cette liste incomplète,il convient d'ajouter les dérivés du verbemisthoo qui ont été traduits le plus sou­vent par la notion de rémunération :« N'abandonnez donc pas votre assu­rance, à laquelle est attachée une granderémunération» (He 10.35) ou encore: « Ilfaut que celui qui s'approche de Dieucroie ... qu'il est le rémunérateur de ceuxqui le cherchent» (He 11.6).

b) Misthos n'est pas le seul termeexprimant l'idée de récompense, le verbeapodidomi et ses dérivés le font toutautant. Apodidomi apparaît 43 fois dans

le N.T, principalement dans l'évangile deMatthieu. Il a un champ sémantique largemais signifie assez souvent « rendre enretour », «payer en retour », « rétribuer »,« récompenser ». Nous lisons parexemple dans l'évangile de Matthieu:« Que ta main gauche ne sache pas ceque fait ta droite ... et ton Père, qui voitdans le secret, te le rendra» (Mt 6.3-4).Cet enseignement concernant l'aumôneva être repris à propos de la prière(Mt 6.6), du jeûne (Mt 6.18), et mêmedes festins donnés aux pauvres(Lc 14.12-14). Dieu est celui qui « renden retour ». Cette pensée est étendue àplusieurs reprises aux œuvres de façongénérale: « Le Fils de l'homme... rendraà chacun selon ses œuvres» (Mt 16.27) ;« Dieu ... rendra à chacun selon sesœuvres» (Rm 2.6) ou encore: «Voici, jeviens bientôt, et ma rétribution est avecmoi, pour rendre à chacun selon cequ'est son œuvre» (Ap 22.12).

c) Enfin kerdos et ses dérivés sontaussi des termes intéressants pour notresujet. Ils expriment l'idée de gain. Le nomapparaît seulement 3 fois dans le N.T.mais le verbe kerdaino y figure 16 fois. Ilest bien sûr utilisé dans la parabole destalents: « Celui qui avait reçu les cinqtalents s'en alla, les fit valoir, et il gagnacinq autres talents» (Mt 25.16), maisaussi dans le discours de Jésus : « Queservirait-il à un homme de gagner tout lemonde, s'il perdait son âme ? »(Mt 16.26) ou dans celui de Paul: « J'airenoncé à tout ; je les regarde comme dela boue, afin de gagner Christ ... »(Ph 3.8).

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A cette énumération déjà longue, il fautajouter tous les versets évoquant l'idéede récompense de façon plus indirecte.Ainsi les paroles de Jésus faisant allusionà un trésor dans le ciel appartiennentcertainement à cette liste: « Amassez­vous des trésors dans le ciel, où la teigneet la rouille ne détruisent point, et où lesvoleurs ne percent ni ne dérobent »(Mt 6.20). Au jeune homme riche Jésuslance ce défi: « Si tu veux être parfait, va,vends ce que tu possèdes, donne-le auxpauvres, et tu auras un trésor dans leciel» (Mt 19.21). Paul poursuit dans lemême sens: « Recommande-leur defaire du bien, d'être riches en bonnesœuvres ... et de s'amasser ainsi pourl'avenir un trésor placé sur un fondementsolide» (1 Tm 6.18-19).

Certaines distinctions honori­fiques comme la couronneincorruptible, la couronne degloire, de justice, de vie sem­blent très proches de la notionde récompense.

Certaines distinctions honorifiquescomme la couronne incorruptible, la cou­ronne de gloire, de justice, de vie sem­blent très proches de la notion derécompense évoquée dans les para­graphes précédents: « J'ai combattu lebon combat, j'ai achevé la course, j'aigardé la foi. Désormais la couronne dejustice m'est réseNée ... » (2 Tm 4.7-8).Cette couronne ou ces couronnesrécompensent non seulement ceux qui

ont combattu le bon combat de la foi,mais aussi ceux qui ont fidèlementannoncé l'évangile (1 Co 9.25 ;1 Th 2.19), ceux qui ont humblementservi l'Eglise (1 P 5.4), ceux qui ontrésisté à la tentation (Jc 1.12).

On peut également penser aux versetsqui expriment l'éventualité d'être plus oumoins proche du Christ lorsqu'il régnera(Mt 10.35-45), ou bien la possibilité departager son règne (2 Tm 2.12 ;Mt 19.28), ou encore d'avoir des res­ponsabilités plus ou moins grandes dansle royaume (Lc 19.11), ou enfin de rece­voir un prix particulier (Ph 3.14), unelouange personnelle (1 Co 4.5).

Pour terminer ce bref ratissage, onpeut noter également les paroles deJésus affirmant la présence de petits etde grands dans le royaume de Dieu:« Celui donc qui supprimera l'un de cesplus petits commandements, et quienseignera aux hommes à faire demême, sera appelé le plus petit dans leroyaume des cieux; mais celui qui lesobseNera, et qui enseignera à les obser­ver, celui-là sera appelé grand dans leroyaume des cieux» (Mt 5.19). « C'estpourquoi, quiconque se rendra humblecomme ce petit enfant sera le plus granddans le royaume des cieux» (Mt 18.4). Età propos de Jean-Baptiste Jésusaffirme : « Cependant, le plus petit dansle royaume des cieux est plus grand quelui» (Mt 11.11).

Ce rapide sUNol n'a évidemment paspu nous faire entrer dans une exégèse

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détaillée. La nature même des récom­penses reste encore à élucider et, de cefait, la force des versets cités est encoredifficile à évaluer. Mais on peut d'ores etdéjà constater, aussi étonnant que celapuisse paraître pour tous les défenseursd'une saine et juste théologie de lagrâce, une présence massive de lanotion de récompense dans les Ecritureset notamment dans le N.T.

1/. Quelle est la nature de cesrécompenses?

Plusieurs des versets cités nous ontdéjà fait très nettement sentir la naturespirituelle et éternelle de ces récom­penses, grâce à la précision du lieu oudu moment de leur attribution. Cesrécompenses seront données « dans lescieux» (Mt 5.12), « dans le royaume descieux» (Mt 5.19), « [lorsque] le Fils del'homme va venir dans la gloire »(Mt 25.31), « en ce jour-là» (Lc 6.23), « àla résurrection des justes (Lc 14.14) ».Cette impression est clairement renfor­cée par toutes les paroles de Jésus nousexhortant à ne rien attendre maintenant:« Aimez vos ennemis, faites du bien, etprêtez sans rien espérer. Et votre récom­pense sera grande... » (Lc 6.35) ou bien« ... tu seras heureux de ce qu'ils nepeuvent pas te rendre la pareille; car ellete sera rendue à la résurrection desjustes» (Lc 14.14). Ce qui est aussicohérent avec tous les passages oùJésus décourage ses auditeurs derechercher des biens matériels et ter­restres : « Ne vous amassez pas des tré-

sors sur la terre ... » (Mt 6.19), « cherchezd'abord le royaume de Dieu ... »(Mt 6.33).

Les promesses de récompenses ter­restres s'appuient souvent sur des cita­tions de l'A.T. (He 2.2 ; 11.8-9), ou biensur des lois morales ou spirituelles quiportent naturellement leurs fruits(Rm 1.27 ; 6.23). Elles doivent êtreconsidérées comme les prémices desrécompenses finales, réservées autemps du plein établissement duroyaume. « Il n'est personne qui ayantquitté... ne reçoive au centuple dans cesiècle-ci et dans le siècle à venir la vieéternelle» (Mc 10.28-31). Cet aspect ter­restre parfois présent souligne que larécompense ne s'évanouit pas dans unfutur eschatologique lointain et quelquepeu irréel.

Lorsqu'on cherche à préciser davan­tage la nature de ces récompenses, lesinterprétations divergent en deuxgrandes tendances. La première n'y voitque de multiples façons de faire allusionau salut et à la vie éternelle. La secondey perçoit des distinctions célestes au seinmême des sauvés et des héritiers de la

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grâce en Jésus-Christ. Des nomscélèbres se retrouvent dans l'un oul'autre camp. Ainsi H. Marshall(4),H. Cazelles et A. Feuillet, P.C. Bottger(5),Blomberg(5) ou P.Y. Emery(7) soutiennentla première position, tandis que G. Fee(S),L. Morris(9), J. Stott(10), R.H. Mounce(11),M.J. Erickson(12), D. Guthrie(13) etD.F. Wright(14) défendent la seconde.

Ce débat est particulièrement impor­tant pour notre thème de la réussite. Eneffet, la définition générale d'une récom­pense est celle d'une gratification offerteen reconnaissance d'un service rendu oud'un acte méritoire. Or la pertinence dela notion de réussite varie avec l'étroi­tesse du lien imaginé entre la récom­pense et le service rendu. Plus ce liensera lâche moins l'idée de réussite aurade sens, ce qui est notamment le cas dela première position qui renvoie tout ausalut offert par grâce. Au contraire lanotion de réussite devant Dieu prenddavantage de force dans la secondeinterprétation qui perçoit des degrésdans les récompenses.

Argumentsen faveur de la première position

Dans un article déniant la notion dedegrés dans les récompenses, Blom­berg développe des arguments qui selonlui démontrent que la seule récompenseenvisageable est la vie éternelle. On peutles résumer par quatre questions fonda­mentales:

1) Comment interpréter la paraboledes ouvriers (Mt 20.1-16) telle qu'elle est

racontée au chapitre 20 de l'évangile deMatthieu? Tous ceux qui travaillent dansla vigne du Seigneur sont des disciplesayant déjà passé le cap d'être recrutéspar le Seigneur et pourtant l'ouvrier de lapremière et de la dernière heure reçoi­vent à la fin la même récompense(15).

(4) 1. Howard Marshall, Commentary on Luke, Coll.N.l.G.T.C. (Grand Rapids, Eerdmans, 1983).

(5) P.C. Bottger, « Recompense », The New Interna­tional Oictionary of the New Testament (GrandRapids, Zondervan, 1981),1. III, p. 134-145.

(6) C.L. Blomberg, « Degrees of Rewards in theKingdom of Heaven », Journal of the TheologicalEvangelical Society (Jackson, Mississippi, Evan­gelical Theological Society, 1992) vol. 35, n° 2,juin 1992, p. 159-172.

(7) P.Y. Emery, Le Christ notre récompense (Neu­châtel, Delachaux et Niestlé, 1962), 248 p.

(8) Gordon Fee, The First Epistle to the Corinthians,Coll. N.l.C.N.T. (Grand Rapids, Eerdmans, 1988),p.143-145.

(9) Leon Morris, Luke, Coll. Tyndale New TestamentCommentaries (Grand Rapids, Eerdmans, 1992),p. 131.

(10) John Stott, The Letters of John... Coll. TyndaleNew Testament Commentaries (Grand Rapids,Eerdmans, 1964), p. 210.

(11) Robert H. Mounce, The Book of Revelation,Coll. N.I.C.N.T. (Grand Rapids, Eerdmans,1992).

(12) Millard J. Erickson, Christian Theology (GrandRapids, Baker Book House, 1991) p. 1234.

(13) D. Guthrie, New Testament Theology (Leicester,Inter Varsity Press, 1981), p. 859-862.

(14) D. Wright, « Rewards in the Teaching of Jesus »,

Themelios (Harrow, England, International Fel­lowship of Evangelical Students, 1967), vol. 4,n° 1, p. 24-32.

(15) La difficulté du v. 16 qui semble réintroduire à lafin de la parabole la notion d'ordre peut se com­prendre selon Blomberg comme une simpleinterchangeabilité numérique.

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2) Comment introduire une notion derétribution au sein même du royaume quine vienne pas en conflit avec le salut pargrâce?

3) Comment imaginer un monde sanslarmes, sans cris, sans douleurs tel quecelui décrit aux chapitres 21 et 22 del'Apocalypse qui puisse simultanémentlaisser place aux regrets de ne pas avoirles plus hautes récompenses(16) ?

CommentiJjmaginer un mO'Î.t/esans larmes, sans cris, sansdouleurs tel que celui décritaux chal!,"res 21 et 22 Sfil'Apoca/YPJ.e qui puisse simul'tanément:''1aisser place auxregrets de ne pas avoir lesplus hautes,:récompenses ?

4) Comment comprendre l'idée mêmede degrés de perfection, sans qu'il y aitcontradiction dans les termes?

Blomberg s'attaque également auxdonnées bibliques citées précédem­ment. Sa politique est celle de « l'émiet­tement » : elle consiste à morceler cettemasse en apparence compacte et àmontrer que beaucoup de versets quisemblent militer pour une large variété derécompenses possibles, peuvent jouird'une interprétation différente.

(16) Dans le cas où on imaginerait une situation oùles personnes n'auraient pas conscience desdifférences entre elles, alors Blomberg estimeque la portée même des récompenses ou desmarques honorifiques serait considérablementréduite.

1) Ainsi les couronnes auxquelles leN.T. fait allusion sont presque toujoursmentionnées simultanément avecd'autres mots tels que prix, joie, espé­rance qui évoquent sans difficulté la vieéternelle (1 Co 9.24-27 ; 1 Th 2.19). Ellessont souvent attribuées à des catégoriesde personnes, « ceux qui attendent savenue », « ceux qui l'aiment» qui peuventreprésenter l'ensemble des chrétiens.

2) Les nombreux versets de l'évangilede Matthieu qui semblent exprimer l'idéed'une récompense très particulière peu­vent souvent être mis en parallèle avecd'autres versets qui élargissent et modi­fient cette lecture. Ainsi le privilège desapôtres de juger sur douze trônes(Mt 19.28) semble être étendu àl'ensemble des chrétiens par Paul(1 Co 6.2-3). La récompense réservéeaux persécutés (Mt 5.12) semble êtreaussi le royaume de Dieu (Mt 5.10). Letrésor préservé dans le ciel (Mt 6.20)semble être aussi la vie éternelle(Mt 19.16). Le prix de la vocation célestedont parle Paul (Ph 3.14) semble êtreidentique à la résurrection d'entre lesmorts (Ph 3.11).

3) Les expressions indiquant l'exis­tence de petits et de grands dans leroyaume de Dieu peuvent très biens'expliquer par une forme de style(17) oupar la reprise d'une terminologie rabbi­nique afin de mieux se distancer du cri-

(17) En Mt 5.1 9, on peut imaginer l'expression « leplus petit dans le royaume» comme une reprisede l'idée de plus petit commandement.

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tère de distinction des rabbins(Mt 11.11). Dans certains versets letemps présent des verbes n'oblige pas ày lire une compréhension lointaine eteschatologique du royaume (Mt 18.4 ;Mc 9.34-35).

4) En ce qui concerne les parabolesdes talents et des mines, Blombergrépond par une prudence légitime dansl'interprétation des images offertescomme illustration. Il remarque que lalouange est exprimée dans le même lan­gage pour les deux serviteurs fidèles etque le contraste essentiel est entre euxet le dernier.

5) Enfin, face au passage difficile duchapitre 3 de la Première épître auxCorinthiens(18), Blomberg imagine unhonneur ou une honte qui ne persistepas dans l'éternité mais qui appartientseulement au jour du Seigneur et de sonretour glorieux!

Son double souci est d'éviter un espritmalsain de compétition entre chrétiens etune notion facultative de la persévérancechrétienne.

P.Y. Emery garde la même optiongénérale mais pour lui la récompensen'est pas uniquement notre salut, mais lapersonne même de Christ(19). En effet

(18) 1 Co3.11-15.

(19) B. Siede va dans le même sens avec son articlesur kerdos dans Le dictionnaire biblique. TheNew International Oictionary of the New Testa­ment (Grand Rapids, Ed. Zondervan, 1981),t. III, p. 136-138.

Jésus-Christ est seul digne de la récom­pense qu'il a acquise par son abaisse­ment volontaire (Ph 2.5-11). Notre parti­cipation à l'œuvre de Christ n'est ni ceque nous faisons, ni ce que nous lais­sons Christ faire en nous, mais elle estcelle que Christ a obtenue pour lui et qu'ilpartage avec nous. Pour ce frère deTaizé notre récompense est donc àdouble niveau: elle est celle qui appar­tient à Christ et qu'il partage avec nouset elle est en même temps Christ lui­même qui est notre vie et notre récom­pense. Pour lui, toutes nos œuvres n'ontde valeur que dans le sens où elles sontdes signes du cœur. Et la récompensede ces services qui implique une com­munion avec le Christ et son prochain estcette communion même.

Jésus-Christ est seul digne dela récompense qu'il a acquisepar son abaissement volon­taire (Ph 2.5-11J.

L'avantage d'une telle conception estqu'elle relie harmonieusement les notionsde grâce, de service et de récompense:

- La récompense n'est pas un droit del'homme mais une grâce puisquel'amour de Dieu précède tout acte denotre part.

- La récompense ne peut même pasêtre intéressée ou individualiste puisquec'est la communion même qui est larécompense.

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- La récompense finale est de demeu­rer dans la communion de Christ qui estjustement son service.

Un autre point fort de cette interpréta­tion est qu'elle associe deux mobiles apriori opposés: l'action engendrée parl'amour de Christ et l'action engendréepar intérêt. En effet toutes les deux serejoignent dans la communion avec leChrist. La première découle de notreamour pour Christ et la seconde de notredésir d'être aimé de lui. Désir de Dieu,« éros» et don à Dieu « agapé » se rejoi­gnent ici en un même élan.

Argumentsen faveur de la seconde position

La position rivale défendue par G. Fee,R.H. Mounce, M.J. Erickson, D. Guthrieet D.F. Wright, tout en admettant la per­tinence de certaines interprétations exé­gétiques précédentes, réfute cependantl'idée que l'ensemble des passages tou­chant à la notion de récompense puissese réduire à des allusions concernantuniquement la vie éternelle.

Le passage le plus convaincant à cesujet est sans doute celui où Paul décritle rôle et les récompenses des serviteursde Dieu (1 Co 3.11-15). Les versets 14et 15 montrent une claire distinctionentre l'œuvre elle-même et son auteur.Les deux types d'individus envisagéssont également sauvés et pourtant l'unaura une récompense et l'autre la perdra.Beaucoup de commentateurs relient ce

passage à celui concernant le tribunal deChrist (2 Co 5.10). L'argument de Blom­berg consiste à créer une discontinuitéentre le jour du jugement et ce qui suitpour l'éternité. La honte ou la gloire obte­nue le jour du jugement ne saurait sub­sister au-delà sans menacer la naturemême du royaume de Dieu. Mais riendans les Ecritures ne permet de soutenirune telle hypothèse. Elle obéit biendavantage à un présupposé théologiquequ'à une obligation exégétique. Elle faitd'ailleurs perdre en force à l'exhortationde Paul à fuir la jalousie et les disputes.

La parabole des mines, quant à elle,crée un lien étroit entre les services ren­dus dans ce monde et ceux à rendredans le monde à venir. Il aurait été facileet clair d'avoir une même responsabilitépour les deux serviteurs fidèles. La pro­portionnalité est ici intentionnelle et nepeut être aisément repoussée commesimple détail parasite de l'histoire(20).

Le verset 8 de la Seconde épître deJean : « Prenez garde à vous-mêmes,afin que vous ne perdiez pas le fruit devotre travail mais que vous receviez unepleine récompense» (2 Jn 8) sembleparticulièrement probant. La notion depleine récompense qui suggère l'éven­tualité d'une récompense partielle, nesemble pas compatible avec la thèse deBlomberg ou de Emery.

(20) Sans rentrer dans les débats relatifs aux tempsde la fin, le gouvernement de dix villes confié aupremier serviteur fidèle ne semble pas concer­ner une période réduite au seul « Jour du Sei­gneur ».

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Dans l'évangile de Marc, lesdeux apôtres Jean et Jacquessuscitent la réprobation desautres disciples en désirantêtre auprès de Jésus lorsqu'ilsera dans sa gloire.

Enfin dans l'évangile de Marc, les deuxapôtres Jean et Jacques suscitent laréprobation des autres disciples en dési­rant être auprès de Jésus lorsqu'il seradans sa gloire. Jésus ne laisse pasentendre que de telles distinctions n'exis­tent pas. Il reconnaît au contraire leurexistence mais affirme qu'il ne lui appar­tient pas d'en disposer. Il ne leurreproche même pas de chercher la gran­deur mais de le faire à la manière deshommes.

De nombreux autres passages pour­raient être évoqués, mais ceux-là suffi­sent déjà à invalider une position qui refu­serait toute idée de degrés dans lesrécompenses. Nous reconnaissons lapertinence de certaines interprétationsde Blomberg et le danger de trop fairedire aux textes invoqués mais les argu­ments invoqués n'ont pas à notre sensun poids suffisant pour emporter l'adhé­sion. P.Y. Emery nous rappelle très utile­ment que Dieu est notre récompensesuprême, notre vie. Et cela nous autoriseà penser que certaines marques de dis­tinctions décrites par les Ecritures serontcertainement liées à notre position ou ànotre communion avec Dieu. Mais cettepensée n'affaiblit pas les possibilités devariations des récompenses, ni par la

même occasion celles de l'appréciationde Dieu sur notre vie.

III. Y a-t-il une tension entrela notion de récompenseet celle de grâce ?

La notion de justice de Dieu avec rétri­bution des œuvres bonnes ou mauvaisesparcourt les deux Testaments. Et mêmesi les œuvres ne sont en elles-mêmesque l'expression des cœurs deshommes, elles gardent ce caractèreobjectif sur lequel peut s'effectuer unjugement. Cette notion de justice divineest un préalable indispensable pour quela notion de grâce puisse à son tourapparaître. Rien ne s'oppose à ce quecette grâce qui nous est faite en Jésus­Christ s'applique de façon dissymétriquesur le schéma punitions/récompensesdu jugement divin. La justification et lepardon des péchés offerts en Jésus­Christ n'obligent pas Dieu à supprimertoute appréciation positive des œuvresbonnes de ses enfants.

En bon calviniste, on peut objecter quenos œuvres bonnes sont le fruit de lagrâce de Dieu. Et cela nous semble justeet compatible avec tout ce qui précèdepourvu que l'œuvre de la grâce de Dieune devienne pas quelque chose d'exté­rieur à nous-mêmes. Lorsque nous par­Ions de nous-mêmes, lorsque nousdisons « moi >l, se trouve incluses dansce mot toute notre histoire, toutes lesinfluences humaines, toutes les actionscréatrices, régénératrices exercées par

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Dieu aussi bien sur notre être physiqueque psychique et spirituel. Et cela sansque nous soyons en mesure de distin­guer là où se situe la limite de ce qui estnôtre et de ce qui ne l'est pas. Nosœuvres sont le fruit de la grâce de Dieuen nous, mais Dieu les considère nôtreset Dieu récompense ces œuvres commevenant de cet ensemble complexe quenous comprenons mal et que nousappelons « moi ». La présence de sesœuvres en nous ne peut-elle pas nousaccorder un mérite personnel au mêmetitre que la présence d'une bonne édu­cation ou d'une personnalité équilibrée?

L'idée de§J,mérite peut êtrf!absent~;;l'~C::l;F;!é! doctrinesalut etéê,,,wpresente dadoctrine da jugement.

Comme le souligne D. Guthrie l'idée demérite peut être absente de la doctrinedu salut et être présente dans la doctrinedu jugement. Cette approche permet deconcilier une doctrine des récompensesqui fasse justice à l'ensemble des textesbibliques et un salut par la foi tel qu'il aété enseigné par les Réformateurs. Ellenous aide également à comprendrel'insistance de Paul pour que le péchésoit pris au sérieux ainsi que ses allusionsà un tribunal pour les chrétiens(2 Co 5.10; Rm 14.10).

Toutefois là encore l'idée de mériteimpliquée dans la notion de récompensene doit pas être comprise dans un sens

absolu. Car le lien qui unit le servicehumain et sa récompense est à la foisétroit et lâche.

a) étroit: par la nature même des motsimpliqués : apodidomi, misthos, kerdosqui évoquent la rétribution, le gain, lesalaire.

Parfois ce lien semble être l'expressiond'un processus intrinsèque découlantdes lois morales et divines décrétées parDieu. Le résultat est alors implicitementprésent dans les prémices, la récom­pense suit l'acte comme le fruit sort del'arbre (Ga 6.7-8) pour reprendre uneexpression de D. Wright. Paul écrit: « Sivous vivez selon la chair vous mourrez ;mais si par l'Esprit vous faites mourir lesactions du corps, vous vivrez» (Rm 8.13).

D'autres fois ce lien possède le carac­tère plus extérieur d'une promessedivine. Dieu dans sa souveraineté adécidé que tel service obtiendrait tellerécompense et cela indépendammentde tout mérite éventuel. Le lien entrel'acte et la récompense est alors celui dela fidélité de Dieu à sa promesse.

Ouelle que soit la force du lien envi­sagé, celui-ci ne disparaît jamais totale­ment sous peine de voir la notion mêmede récompense s'évanouir pour êtreremplacée par celle de don.

b) lâche : La confrontation de versetscomme celui de Luc 17.10 : « Noussommes des serviteurs inutiles, nousavons fait ce que nous devions faire» et

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celui de Luc 12.37 : « Je vous le dis envérité, il se ceindra, les fera mettre àtable, et s'approchera pour les servir»nous rappelle que la récompensedépasse largement le service accompli !Cela est d'autant plus vrai que la relationdécrite dans le contexte est celle demaître à esclave. Et comme le fait remar­quer C. Spicq, l'expression « recevoir aucentuple» ne suggère pas un salairemais quelque chose qui dépasse large­ment l'effort effectué.

En préservant ainsi le double aspectdu lien acte/récompense qui est à la foislié à notre conduite mais qui en mêmetemps dépasse toute notion de mériteou de salaire, on affaiblit un grandnombre des reproches théologiques faitsà la notion de récompense.

IV. La notion de récompenseencourage-t-elle un intérêtmalsain?

Une des gênes profondes causées parla notion de récompense est la placequ'elle semble donner à une quelconqueforme d'intérêt. Bernard de Clairvaux, lemystique catholique connu, est repré­sentatif de cette pensée lorsqu'il écrit:« La vraie charité ... n'est cependant pasmercenaire, assurément, elle ne cherchepoint son intérêt. [...] Le véritable amourtrouve son contentement en lui-même,sa récompense est dans l'objet aimé;car tout ce qu'on peut aimer, si on ne

l'aime qu'en vue d'un autre, c'est vérita­blement cet autre qu'on aime et non pascelui par lequel on veut l'atteindre. »(21)

Il est tout à fait légitime de prévenir unesprit mercenaire. La récompense n'estpas pour ceux qui la recherchent commeun but en soi mais pour ceux qui agis­sent à cause de Jésus et de l'Evangile(Mt 25.37 ; Lc 14.14 ; Mc 10.28-30).L'association fréquente de la récom­pense avec le renoncement et la souf­france (Mt 5.12 ; Mt 5.46 ; Jc 1.12 ;Ap 2.10) évite naturellement des atti­tudes égocentriques contraires à l'espritde l'Evangile.

D. Wright remarque également que lesrécompenses ne sont pas mentionnéeslorsque Jésus s'adresse à ses disciplespotentiels. Jésus a plutôt tendance alorsà mettre l'accent sur le coût (Lc 14.25­33) à envisager pour le suivre, exceptionfaite du jeune homme riche (Lc 18.22).En revanche Jésus promet des récom­penses à ses disciples lorsque le décou­ragement risque de les saisir.

Cependant P.Y. Emery nous met trèsjustement en garde contre un désintérêtmasochiste, contre le refus d'être unecréature de Dieu, et contre une formed'orgueil qui nierait son besoin et sadépendance et ferait du même coup unsimple non-sens du thème de l'évangiledes pauvres qui ont faim et soif de justice.

(21) Bernard de Clairvaux, « Traité de l'amour deDieu », Saint Bernard, Coll. Les MaÎtres de laSpiritualité Chrétienne, trad. M.M. Davy (Paris,Aubier Montaigne, 1945), 1. l, p. 234.

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F.C. Flenton ajoute avec vigueur que ledésintéressement n'est pas le sommetdu monde moral et spirituel, il n'estmême pas une marque du christianisme.Le christianisme traite du salut, du salutoffert aux gens et qui est à leur avantage.

David Wright précise judicieusementque deux lignes de pensée sont offertesau chrétien: le défi d'une bonté quioublie ses intérêts propres et l'assuranceque la vertu triomphera à la fin. Le chré­tien ne doit pas s'affoler si à la fin cesdeux lignes se rejoignent, si justice et féli­cité s'unissent. Chercher son salut n'estégoïste que si cela entraîne la damnationde quelqu'un d'autre. Rechercher le bienpour lui-même ne peut avoir de sens quesi je suis sûr que celui-ci me transcende,dépasse mon être, a plus de valeur quemoi-même et qu'il est véritablement éter­nel. Ce prétendu « bien ultime» doitprouver qu'il n'est pas, lui aussi, une deces chimères, une de ces pseudo­récompenses.

Il est possible que les récompensesaient à l'occasion un caractère pédago­gique, et que Dieu utilise leur attirancenaturelle pour stimuler notre désir deschoses spirituelles. Cependant jamais

leur attirance n'est trompeuse car ellesfont converger nos regards vers celui quiaccorde les récompenses, qui est lerémunérateur de ceux qui le cherchent.Ainsi la promesse d'une récompensepeut paradoxalement être le moyen dedétourner le regard de nous-mêmespour le fixer sur Dieu et ainsi apprendreà se donner soi-même sans réserve, nicalcul.

\1. Enjeux pour le thèmede la réussite

Ce qui vient d'être dit concernant ledésintérêt pour les récompenses accor­dées par Dieu peut-il être transposé pourl'idée de réussite? Il est permis dans unpremier temps d'en douter. Car si lesrécompenses peuvent conserver uncaractère inattendu (Mt 10.42), quoiqueprévu, ce n'est pas le cas de la réussitequi implique la réalisation d'un souhait,d'un objectif personnel. L'obtention d'unrésultat heureux qui n'aurait pas été sou­haité ne peut être qualifié de réussite. Il ya quelque chose de l'ordre de la satis­faction du « moi », dans la réussite, quisemble poser problème.

Toutefois si cette réussite est prisedans un sens absolu, si elle estdépouillée de la connaissance partielle etlimitée qui affecte le choix de notre objec­tif, alors la difficulté disparaît. Car réussirdans un sens absolu, c'est recevoir cequi peut être attribué de plus grand à unhomme et cela évalué selon la pensée de

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Dieu. Cela consiste à confier à Dieu lechoix de l'objectif que nous devonsatteindre puisqu'il est omniscient et bon.L'intérêt malsain qui marque toutes nosréussites terrestres est ici évacué lorsquecette réussite est prise dans le sensabsolu de réussite devant Dieu.

Toute réussite devant Dieu n'aboutitpas forcément à une récompense, maistoute récompense signe la présenced'une certaine réussite au regard deDieu, car elle manifeste l'accomplisse­ment d'un objectif à la fois fixé par Dieuet accepté par l'homme. Compte tenude ce rapprochement il nous semblepossible de reprendre au moins quatredes cinq thèses de Donald Guthrieconcernant les récompenses et de lestransposer au niveau de la réussite :

1) la réussite est, comme la récom­pense, fondée sur ce que l'on fait de savie;

2) les réussites présentes, comme lesrécompenses terrestres, ne sont que

partielles et ne peuvent être considéréescomme de véritables réussites, fussent­elles aussi bonnes et souhaitables que laconversion de centaines de personnes etle soutien efficace de milliers de pauvres;

3) la réussite véritable, comme larécompense, apparaîtra au jour du juge­ment;

4) la réussite véritable, comme lesrécompenses finales, a un caractère spi­rituel plutôt que matériel.

On peut être tenté de prolonger ceparallèle avec la cinquième thèse et affir­mer: « Le salut n'est ni une récompense,ni une réussite puisqu'il est accordé pargrâce », cependant même si le salutn'est pas considéré comme une récom­pense, il peut néanmoins s'apparenter àune réussite dans la mesure où il estl'objet d'un désir, d'un souhait de la partde l'homme. •

F.S.

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