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3:HIKNLI=XUXUU[:?b@a@k@e@k;M 03183 - 1004 - F: 3,00 E
Afghanistan Négocier avec les talibans
EUROPE Barroso a tout faux !ÉTATS-UNIS Poussée populiste
www.courrierinternational.com N° 1004 du 28 janvier au 3 février 2010 - 3 €
Mac
iPod
iPhone
iSlate
AFRIQUE CFA : 2 500 FCFA - ALGÉRIE : 420 DA - ALLEMAGNE : 3,50 € -
AUTRICHE : 3,80 € - BELGIQUE : 3,50 € - CANADA : 5,50 $CAN - DOM : 3,80 €
ESPAGNE : 3,50 € - E-U : 5,50 $US - G-B : 3,00 £ - GRÈCE : 3,50 € IRLANDE : 3,80 €
ITALIE : 3,50 € - JAPON : 700 ¥ - LUXEMBOURG : 3,50 € - MAROC : 25 DH - NORVÈGE : 46 NOK
PORTUGAL CONT. : 3,50 € - SUISSE : 5,80 CHF - TOM : 700 CFP - TUNISIE : 4,10 DTU
L’homme qui change
nos viesSteve Jobs,
patron d’Apple
CLIMAT L’après-Copenhague
niques des livres, des journaux et des maga-
zines. Les dirigeants du monde de l’édition
prient avec ferveur pour qu’un tel matériel voie
le jour. Il pourrait aussi, nous dit-on, trans-
former notre manière de regarder la télévision
et les vidéos, de naviguer sur la Toile, de jouer
aux jeux vidéo ou encore de communiquer en
vidéo sur Internet. Il permettra peut-être même
de faire tout cela à la fois. Rien d’étonnant,
donc, si certains parlent d’un “tournant déci-sif dans l’accès à toutes sortes de médias et dansleur utilisation” ou encore d’une “réinventionpar Apple de l’informatique individuelle”. Dans
The New York Times, le chroniqueur médias
David Carr écrit : “Je n’ai pas été aussi enthou-siasmé à l’idée d’acheter quelque chose depuis mes8 ans, quand j’ai commandé de petits hippocampesproposés en quatrième de couverture d’un maga-zine de bandes dessinées.”
Mais, pour vraiment révolutionner notre
vie, la création d’Apple doit être bien davan-
tage que le meilleur lecteur électronique de sa
catégorie : elle doit aussi nous permettre de
regarder les films autrement, de jouer autre-
THE GUARDIANLondres
La scène se passe dans un avenir proche.
La journée a été longue. Enfin venu à
bout de vos obligations professionnelles,
vous vous affalez dans votre canapé et
vous attrapez cet appareil étincelant que
vous avez acheté l’autre jour. Ce petit
bijou au design épuré – qui vous a coûté
1 100 euros au bas mot – est la tablette
d’Apple. Avec son écran de 10 pouces sans cla-
vier, c’est un peu un iPhone survitaminé. Vous
le mettez en marche d’une simple pression du
doigt et vous commencez à… A faire quoi, au
juste ? On nous annonce que cet appareil va
révolutionner la lecture des versions électro-
ment. Et là, la question reste posée : en quoi
cet objet sera-t-il différent d’un ordinateur por-
table classique, mis à part son prix plus élevé
et l’absence de clavier ? Après tout, Lenovo,
Asus et Apple lui-même fabriquent tous des
portables ultraminces, pesant à peine plus que
la grande enveloppe dans laquelle on peut les
glisser. Mais ce serait sous-estimer le dénomi-
nateur commun de la plupart des produits
Apple : presque toujours, ils prennent une idée
existante et la rendent irrésistible. L’iPod,
l’iPhone et l’iMac sont tous des produits qui
ont innové, obligeant le reste du secteur à s’ali-
gner sur cette nouvelle référence.
Prenons l’exemple de l’iPod. En oc to -
bre 2001, Apple n’était pas le premier sur le
marché des lecteurs MP3. Mais, si l’on en croit
Ian Fogg, analyste en matière de produits grand
public chez Forrester Research, Apple a bou-
leversé les choses en proposant un baladeur
plus petit, à la capacité bien plus importante
(environ 1 000 morceaux). La véritable révo-
lution fut la molette cliquable, permettant de
naviguer parmi tous ces morceaux. Avec le
Pourquoi Steve Jobs gagne presque à tous S’appuyant sur ses succès passés, la société californienne s’apprête,avec sa tablette, à changer notrefaçon de consommer les médias.
LA RÉVOLUTION
APPLEDepuis son retour, en 1997, à la tête de son entreprise alorsmoribonde, Steve Jobs en a fait l’un des géants del’infor matique grand public. ■ Chaque nouveauté estampilléede la fameuse pomme est désormais synonyme de succès etde bouleversement de nos existences. ■ Le lancement de latablette, le 27 janvier, ne déroge pas à cette règle. ■ Cettefois, c’est l’ensemble de la filière des médias traditionnelsqui espère profiter de l’innovation.
■ RécompenseEn novembre 2009,
le magazine
économique
Fortune a désigné
Steve Jobs comme
le patron
de la décennie,
considérant qu’il
avait notablement
contribué
à “changer notre
monde”.
en couverture●
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COURRIER INTERNATIONAL N° 1004 32 DU 28 JANVIER AU 3 FÉVRIER 2010
En attendant la mise en vente du premier iPhone à New York,le 29 juin 2007, des jeunes fans de la marque passent le tempsen regardant un film sur leur ordinateur portable.
◀ Steve Jobs, l’homme qui change nos vies.
recul, cela paraît évident, mais l’iPod était si
indispensable qu’il s’est hissé au premier rang
en un rien de temps.
De même, l’iPhone n’était pas le premier
“téléphone intelligent” (smartphone) permet-
tant d’envoyer des courriels ou de surfer sur
Internet. “De tels matériels existaient depuis huitou neuf ans, rappelle Ian Fogg. Mais l’iPhone apermis de faire tout cela de manière tellement ifférente.” Véritable ordinateur de poche, c’est
par de petits détails comme la double pression
pour zoomer qu’il a paru particulièrement
révolutionnaire – sans parler de la multitude
de miniapplications utiles, drôles et tout
implement géniales qui sont apparues dans
son sillage.
Ainsi, en bonne logique, il devrait en aller
de même pour la tablette tant attendue. En
effet, les ordinateurs-tablettes sont déjà là. Ils
ont été lancés dès novembre 2001 par Bill
Gates lui-même, le rival de Steve Jobs. “J’uti-lise déjà une Tablet [Microsoft] comme ordina-teur de tous les jours”, avait déclaré le patron de
Microsoft en 2003. “C’est un PC aux possibi-
lités pratiquement illimitées.” Il y était allé de son
petit pronostic modeste : “D’ici cinq ans, je pré-vois que ce sera le type de PC le plus populaire auxEtats-Unis.” Il s’est trompé. Aujourd’hui, le
marché des tablettes représente moins de 1 %
des ventes d’ordinateurs, tous types confon-
dus, car celles-ci sont généralement encom-
brantes et onéreuses (environ 20 % plus chères
que l’ordinateur portable équivalent).
La raison en est que la plupart d’entre elles
sont en réalité des ordinateurs portables dou-
blés de téléphones, dont le clavier se glisse sous
l’écran, ce qui n’est pas une solution très élé-
gante. L’autre format utilise des claviers vir-
tuels sur lesquels on saisit les caractères avec
un stylet spécial, à moins que l’appareil ne fasse
appel à la reconnaissance de l’écriture manus-
crite, qui laisse beaucoup à désirer.
DES CHOIX QUI SE SONT PARFOISRÉVÉLÉS MALHEUREUX
Cela étant, Apple a déjà prouvé qu’il était
capable mettre au point un clavier virtuel
agréable à utiliser sur l’iPhone, et, de fait, les
utilisateurs s’en servent pour écrire d’assez longs
messages. Alors, en définitive, à quelle révolu-
tion faut-il s’attendre ? Ce qui se profile, c’est
le multi-touch [interface tactile] qui permettra
de commander l’ordinateur directement depuis
l’écran, avec un doigt ou plusieurs, sans avoir
besoin de clavier ni de souris. Ce système de
contrôle intuitif et futuriste, un peu à la Mino-rity Report, permettra aux utilisateurs de se défi-
nir un écran sur mesure et de passer sans effort
d’une fonction à l’autre. Dotée d’un écran d’une
taille décente, d’un multi-touch facile à utili-
ser, de lignes épurées et de millions d’appli-
cations, la tablette d’Apple va peut-être faire
mouche et devenir l’outil favori des consom-
mateurs pour regarder la télévision et des films,
pour lire des livres électroniques, pour surfer
sur Internet et pour jouer.
Cependant, n’oublions pas qu’Apple n’a
pas toujours eu raison. L’Apple TV, présenté
en 2006, en est un bon exemple. En dépit de
son nom, ce n’est pas un téléviseur. C’est un
boîtier de type décodeur, destiné à lire des
vidéos ou de la musique à partir de l’iTunes
Store ou de votre ordinateur. Vous n’en avez
jamais entendu parler ? Il faut dire que les
ventes ont été plus que décevantes, à l’instar
du Cube, un ordinateur cubique d’allure com-
pacte lancé en juin 2000. Personne n’a vrai-
ment compris à quelle catégorie d’utilisateurs
le Cube était destiné. Il coûtait plus cher, mais
il était moins puissant que les machines de
bureau professionnelles d’Apple. Cela étant, il
est peu probable que la tablette d’Apple
connaisse le même sort. Jobs est devenu plus
habile et il a de nombreux atouts en main,
notamment avec le multi-touch et les écrans
meilleur marché. Les CD et les DVD nous ont
obligés à utiliser des appareils différents pour
regarder des films et pour écouter de la
musique. Mais le succès d’une tablette pour-
rait mettre fin à cette séparation. “A l’ère dumultitâche”, explique Mark Mulligan, analyste
médias chez Forrester Research, “elle pour-rait faire la synthèse entre nos différents lecteurs demédias numériques.”
Charles Arthur
les coups
MacintoshPlus
Newton
G4 Cube
Apple TV
Macintosh Portable
Macintosh
iPhone
Plus de 230 millions d’exemplairesde ce baladeur équipé d’un disque dur ont été commercialisés depuis son lancement. Un énorme succès, qui s’explique aussi par l’existence d’une plate-forme de distribution unique.
iPod/iTunes
Dessiné par JonathanIve, cet ordinateur monobloc a marquéle retour gagnantde Steve Jobs à la têtede l’entreprise. Plus de6 millions d’exemplaires ont été vendus.
iMac
Contrairement au premier Mac, celui-ci était évolutifgrâce à son port SCSI,qui lui permettait de connecter des périphériques externes.
Baptisé ainsien hommageà Isaac Newton,cet assistant personnel sans clavier et équipé d’un logiciel de reconnaissance de l’écriture manuscrite n’a pas trouvé son public.
Le développement d’applications a en grande partie permis
le succès de ce téléphone,qui intègre un disque durdont la capacitépeut atteindre 16 Go.
Cette unité centrale dont la particularité
est d’être concentrée dans un cube de 20 cmde côté est un tour de force technologique. Cela n’a pas suffi pour plaire au grand public.
Cet appareil, qui permetla communication sans fil entre un ordinateuret un téléviseur, n’a pas encore trouvé son public. Le peu de contenus disponibles y est sans doute pour beaucoup.
Accueilli avec enthousiasme parla critique, ce premier portable n’a pas pluau grand public en raison de son prix (4 600 euros) et de son poids (7,2 kg).
Malgré un prix de vente élevé, cet ordinateur personnel commercialisé dès janvier 1984 a séduit grâce à son interface graphique WIMP (fenêtres, icônes, menus et souris).
DES HAUTS MAIS AUSSI DES BAS
Le logode 1977à 1998
Depuis1998
Cour
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ry/A
FP
COURRIER INTERNATIONAL N° 1004 33 DU 28 JANVIER AU 3 FÉVRIER 2010
on disait que le département marketing d’Apple
se résumait à Jobs debout devant son miroir en
train de se demander ce dont il aurait envie.
Son éviction d’Apple en 1985 a été vécue
par Jobs comme un arrêt de mort, mais il ne s’est
pas laissé entraîner facilement dans les ténèbres.
Il a créé NeXT. La société produisait de beaux
ordinateurs destinés à l’éducation, mais ils étaient
chers et impossibles à vendre. Un an plus tard,
il a acheté au créateur de Star Wars, George
Lucas, une étrange communauté d’hommes
brillants qui pensaient que l’on pouvait faire des
films sur ordinateur. La communauté s’appelait
Pixar. Même si cela ne semblait devoir débou-
cher sur rien, Steve Jobs préparait sa vengeance
et il avait bien l’intention de l’assouvir. Pixar a
d’abord conclu un partenariat avec Disney pour
produire Toy Story, tandis qu’Apple, malade et
perdant de l’argent, a racheté NeXT et réinté-
gré Jobs. En quelques mois, il est redevenu Dieu.
Pixar a engrangé des millions, et bientôt des mil-
liards de dollars. Apple a essuyé la poussière qui
lui souillait la face pour sortir de sa tombe grâce
à l’iMac, un ordinateur de bureau monobloc res-
semblant à un jouet. Puis, en 2002, les années
de vaches maigres de NeXT ont enfin produit
un retour sur investissement. Mac OS X, le nou-
veau système d’exploitation d’Apple, était fondé
sur l’architecture logicielle de NeXT. Il était
superbe, infiniment meilleur et infiniment plus
beau que Microsoft Windows. Steve Jobs était
bien décidé à ringardiser Microsoft. Mais la
domination mondiale lui échappait encore. Il l’a
obtenue en 2001 avec l’iPod, puis en 2007 avec
l’iPhone. Le premier a pratiquement raflé la tota-
lité du marché des lecteurs MP3, et le second
est en passe de réaliser la même chose sur le mar-
ché des téléphones mobiles. Apple est désormais
THE TIMES (extraits)Londres
Apple Inc. vaut environ 140 milliards de
dollars [98 milliards d’euros]. Mais
vaut-elle un seul cent sans Steve Jobs ?
L’entreprise s’est bâtie autour de sa per-
sonnalité et de son inspiration. Et c’est
aujourd’hui l’entreprise la plus obser-
vée, enviée, admirée et adorée au monde. “Jobsn’est pas un ingénieur, remarque l’écrivain Dan
Lyons. Il est à peu près incapable de concevoir quoique ce soit et il ne connaît rien aux circuits impri-més. Mais c’est le modèle parfait de l’utilisateurfinal, le type qui est de notre côté.” Dan Lyons a
créé un blog intitulé The Secret Diary of SteveJobs [Le Journal secret de Steve Jobs] en l’ac-
compagnant d’une devise qui résume l’étrange
mélange de pouvoir et de fantaisie de geekqu’incarne le patron d’Apple : “Je vous redon-nerai le sens de l’émerveillement enfantin. Il n’y arien que vous puissiez faire pour m’en empêcher.”Aussi, entre politique du secret et fanatisme de
geek, le Bon Steve et le Mauvais Steve se fon-
dent pour ne former qu’une seule personna-
lité gigantesque et fascinante. “Il aurait fait unexcellent roi de France”, disait Jef Raskin, le
cerveau qui fut derrière le premier Mac.
Qualifier Jobs d’obsédé du contrôle, c’est
comme dire que la pluie mouille. Au moment
de la conception du premier Mac, les ingénieurs
voulaient y inclure des “ports d’extension” à par-
tir desquels les gens auraient pu connecter des
dispositifs leur permettant de configurer leur
machine. Jobs s’y est opposé. C’était sa machine,
elle devait être fermée et parfaite. Depuis, il n’a
pas changé, même s’il a fait des concessions pour
l’iPhone, en autorisant des entreprises extérieures
à développer des applications – “apps” – que l’on
peut télécharger sur son mobile. Steve Jobs est
également obsédé par les entrailles de ses
machines. Il rend ses ingénieurs littéralement
fous, en exigeant que l’intérieur des machines
soit beau, en dépit du fait que les clients ne le
verront jamais. Ce code de perfection impéné-
trable s’étend même à la vision qu’a Jobs de son
propre corps. Il a toujours été extrêmement
attentif à son alimentation, et ses ennuis de santé
n’ont fait qu’exacerber cette tendance. Il fut
un temps où l’on racontait que son plat préféré
consistait en carottes crues râpées sans le moindre
assaisonnement.
Pour reprendre les termes du psychiatre
Michael Maccoby, le numéro un d’Apple est un
“narcissique productif”. Pour Jobs, le monde est
un épiphénomène, un effet secondaire de l’exis-
tence de Steve. Ou plutôt c’est une pyramide
avec Jobs au sommet, quelques personnes bril -
lantes juste au-dessous de lui, et puis tous les
autres – les “blaireaux”. Pour lui, le blaireau client
n’a pas toujours raison. A l’époque de ses débuts,
le fabricant d’électronique grand public à l’éta-
lon duquel tous les autres sont jugés – et jugés
comme ne faisant pas le poids.
La santé de Jobs ne tenant qu’à un fil, la
question se pose inévitablement de savoir si Apple
peut continuer sans lui. Bien sûr que oui, estime
Andy Hertzfeld, l’un des concepteurs du Mac
originel, qui travaille à présent chez Google. Il
est “ridicule de penser qu’Apple est une entreprisequi ne repose que sur une seule personne. Il y a descentaines, sinon des milliers d’individus exception-nellement doués qui y travaillent. Leur destin aprèsSteve dépendra en grande partie de la directionqu’ils se donneront pour le remplacer. L’entreprise s’est désintégrée après le départ de Steve, au milieu desannées 1980 ; espérons qu’ils feront mieux la pro-chaine fois.” D’autres doutent cependant qu’Apple
puisse survivre longtemps sans le perfectionnisme
exigeant que Jobs met dans ses produits. “Applecontinuera sur la lancée de son modèle commercialactuel”, estime Philip Elmer-DeWitt, responsable
du blog Apple 2.0, “et cela pourrait se poursuivredes années. Mais les choses seront différentes sur unpoint essentiel : avec Jobs, il y avait un type au débutet à la fin de tout projet, et ce type avait le pouvoir dedire : ‘C’est nul, reprenez tout de zéro.’ Celui oucelle qui le remplacera aura peut-être la même visionet le même titre de fonction, mais il ou elle ne serajamais le cofondateur ou la cofondatrice d’Apple, etdonc n’aura jamais la même autorité que lui.”
APPLE CONTINUE DE SURPRENDRE UN PUBLIC QUI EN REDEMANDE
Mon opinion personnelle est qu’une fois que
Jobs ne sera plus là Apple cherchera à fusionner
avec Google. Les deux entreprises sont en train
de converger à un rythme accéléré. Les princi-
paux secteurs de convergence sont, en premier
lieu, les téléphones mobiles. Il y a l’iPhone
d’Apple et l’Android de Google, lequel n’est pas
un téléphone en soi, mais un système d’exploi-
tation qui peut être utilisé par d’autres opéra-
teurs téléphoniques. Google produit également
le logiciel de navigation Chrome, qui fait concur-
rence au Safari d’Apple. Et, surtout, Google tra-
vaille actuellement sur un système d’exploitation
d’ordinateur, également baptisé Chrome, qui
pourrait devenir un concurrent sérieux pour Mac
OS X. Les apps de l’iPhone d’Apple sont éga-
lement en compétition avec de nombreuses appli-
cations Google gratuites. L’enjeu, c’est que les
deux entreprises cherchent à ravir la domination
du marché mondial à Microsoft. En dépit de ses
défauts et de son incapacité à innover, le système
d’exploitation Microsoft Windows continue à
dominer le marché informatique mondial. La
perte du génie de Jobs pour la conception de
nouveaux produits signifierait qu’un rappro-
chement entre le sens de l’innovation de Google
et le sens du design et du marché d’Apple pour-
rait s’avérer extrêmement prometteur, même
si les autorités antitrust risquent probablement
de voir la chose d’un mauvais œil.
Et puis il y a la grande question épique de
Steve Jobs lui-même. La Silicon Valley peut-être
survivre sans lui ? Pouvons-nous survivre sans
lui ? “Je pense que nous avons besoin de narcissiquesproductifs comme Jobs, affirme Michael Maccoby,
mais il y a toujours des bavures. Vous pouvez hériterd’un Abraham Lincoln ou vous retrouver avec un
en couverture
Un patron perfectionniste et exigeantL’entreprise à la pomme doitbeaucoup à la personnalité de sonprincipal dirigeant. Ce “narcissique”lui a permis de s’imposer dans lequotidien de millions de personnes.
COURRIER INTERNATIONAL N° 1004 34 DU 28 JANVIER AU 3 FÉVRIER 2010
Steve Jobs, à SanFrancisco en 2004.
■ A la uneLe numéro un
d’Apple a fait
la couverture
de nombreux
magazines au cours
des dernières
années.
En octobre 1999,
Time vantait déjà
son parcours et ses
choix. En juin 2007,
quelques jours
avant le lancement
de l’ iPhone,
New York Magazine
n’hésitait pas
à le déifier
en parlant d’iGod.
Jonh
G.
Mab
angl
o/C
orbi
s
Adolf Hitler ; vous pouvez avoir un Winston Chur-chill ou vous pouvez vous coltiner un Joseph Sta-line.” La force et la relative stabilité de l’entre-
prise Apple prouvent que Jobs a tiré les leçons
de sa chute et de son retour sur scène. Il a appris,
poursuit le psychiatre, qu’une personnalité nar-
cissique comme lui, extrêmement peu douée
pour les relations humaines, a besoin de quel-
qu’un ayant un tempérament plus consensuel
pour lui éviter les dérapages. Il l’a trouvé en la
personne de Tim Cook, patron des opérations
chez Apple, qui est quelqu’un de plus serein et
son plus probable successeur. Il n’égale peut-être
pas Jobs, mais c’est une perle rare dans la Sili-
con Valley – un type fiable et solide. Tout le
monde reconnaît que Jobs a fait d’Apple quelque
chose de plus qu’une simple entreprise. Pour les
fans, il en a fait une grande cause ; aux yeux des
sceptiques, cependant, la réalité est plus sinistre.
“Apple est moins une entreprise qu’une véritablesecte, souligne Dan Lyons. Si l’Eglise de sciento-logie se lançait dans l’électronique grand public, çadeviendrait Apple.” Le statut de l’entreprise n’est
guère remis en question. Elle est observée par
des blogueurs qui épluchent ses applications bre-
vetées et analysent chacune de ses initiatives. “Jenage dans les sites d’infos Apple comme une baleinedans un banc de crevettes”, reconnaît Philip Elmer-
DeWitt. Et pourtant, l’entreprise continue à sur-
prendre et à stupéfier. Si je ne veux pas que Jobs
meure, ce n’est pas parce que mes ordinateurs
et mon iPhone sont “absolument déments” par
rapport à leurs piètres concurrents, mais parce
que, avant tout, on le doit à une personnalité
extraordinaire. Je me suis fait une règle de ne
pas employer le mot “génie” pour qualifier un
homme d’affaires, mais je suis prêt à faire une
exception pour Steve Jobs. Les génies ont ten-
dance à voir leur propre existence comme ayant
une signification universelle, comme incarnant
les grands courants de leur époque. Peut-être
qu’ils n’en sont pas conscients, mais cela trans-
paraît de manière évidente dans leur travail. Tout
ce que je sais de Jobs me confirme que c’est bien
ainsi qu’il voit sa propre vie, comme le lieu de
fusion de la révolution high-tech et du consu-
mérisme chic. Il est, comme le dit Dan Lyons,
“le parfait utilisateur final”, à la fois producteur
et consommateur. Il ne fait qu’un avec les blai-
reaux et leurs gadgets. Voilà la personne qu’est
Steve Jobs. Bryan Appleyard
THE WASHINGTON POST (extraits)Washington
Pour mémoire, j’écris cet article sur un
MacBook Pro. Simultanément, j’écoute
de la musique sur iTunes grâce aux
écouteurs vendus avec l’iPod, dans le
souci de ne pas déranger mes voisins. A
moins de 30 centimètres de l’endroit où
je suis assis, mon iPhone est en train de se
recharger. Comme le diraient les gourous du
marketing, je suis vraiment “très Mac”.Comme la plupart des gens qui s’intéressent
de près ou de loin aux technologies, je consacre
chaque jour un peu de mon temps à me tenir
au courant des actualités en la matière.
Mais pas ce soir. Ce soir, pas moins
de sept des dix articles les plus
récents sur l’agrégateur d’infor-
mations Techmeme portent sur
Apple. Certes, Internet ne se
résume pas à la page d’accueil de ce
site, qui n’est qu’un algorithme aidé
par une équipe de journalistes en chair
et en os. Peut-être est-ce simplement
qu’ils se font une petite journée Apple.
Je vais donc faire un tour sur ma
source préférée d’infos sur les techno -
logies hors Silicon Valley : le blog de
Rory Cellan-Jones sur le site de la
BBC. Rory s’intéressant surtout à
Londres, on peut généralement
compter sur lui pour jeter un œil
hors de la bulle. Mais pas ce soir.
“Le monde de l’édition est-il en passede connaître son grand moment iPod ?”
●
Des journalistes ? Non, des fanatiques de la pommeLes dirigeants d’Apple savent entretenir le suspense.Pendant plusieurs mois, ils ont laissé grandir la rumeur à propos de leur tablette, avec la complicité de nombreux reporters.
LA RÉVOLUTION APPLE
COURRIER INTERNATIONAL N° 1004 35 DU 28 JANVIER AU 3 FÉVRIER 2010
s’interroge-t-il, avant de se demander si la nou-
velle tablette d’Apple sera aux livres ce que l’iPod
a été à la musique.
Sur tous les sites d’infos consacrés aux nou-
velles technologies, c’est la même chose : Apple,
Apple, Apple. Je comprends bien que le lance-
ment de la tablette a été une grande nouvelle. J’en
conviens, les lancements de produits Apple méri-
tent plus d’attention que ceux d’autres sociétés,
dans la mesure où il est souvent arrivé qu’ils bou-
leversent les règles du jeu. Mais j’aurais préféré
ne pas entendre un mot de plus sur Apple et sa
tablette avant le lancement officiel. Non pas parce
que ce n’est pas une information, mais parce que
nombre des journalistes glosant sur ce futur lan-
cement ont manifestement renoncé à la respon-
sabilité qu’ils ont vis-à-vis de leurs lecteurs au
profit d’un fanatisme mielleux à souhait.
Ce qui est sûr, c’est qu’il n’y a aucun service
rendu au lecteur. Conscient du battage
façon tsunami qui s’annonçait, tout
journaliste vraiment soucieux de rendre
un service à ses lecteurs aurait dû avoir
le bon goût de fermer son clapet sur Apple
pendant une semaine et de se concentrer sur
de vrais scoops. Sept jours au cours desquels
ils auraient dû cesser de se comporter comme
des gamins qui n’arrivent pas à se concentrer
sur leur cours de maths parce qu’ils savent que
les vacances de Noël commencent dans une
semaine. Sept jours de silence avant l’inévi-
table débauche de masturbation journalis-
tique sur l’écran impeccable du dernier
miracle d’Apple. Paul Carr
CONCURRENCE L’ombre menaçante de Google
L e 5 janvier, Google a agi comme l’auraitfait Apple. Lors d’un événement orga-
nisé au Googleplex de Mountain View, enCalifornie, le géant d’Internet a présentéNexus One, son téléphone tactile au designsoigné qui utilise le système d’exploitationAndroid, développé par ses ingénieurs. Il a
choisi de s’attaquerau marché avec leslogan ‘La Toile arendez-vous avec letéléphone’ avec lemême optimisme etla même simplicitéqu’Apple lorsque cedernier avait lancéson iPhone, en 2007,
en promettant de mettre ‘Internet dans votrepoche’. Le même jour, Apple a agi commeGoogle l’aurait fait. Steve Jobs a annoncéune acquisition stratégique : pour 275 mil-lions de dollars [194 millions d’euros], Applea acheté Quattro Wireless, une régie publi-citaire spécialisée dans les plates-formesmobiles.” C’est en ces termes que BusinessWeek entame un long dossier consacré àla rivalité entre les deux entreprises cali-forniennes. “Quand deux entreprises com-mencent à s’imiter, c’est souvent l’expres-sion d’une volonté de flatter ou d’entrer enguerre”, poursuit l’hebdomadaire écono-mique, qui rappelle pourtant que les deuxsociétés, séparées de quelques kilomètres,ont eu au cours de la décennie écoulée des
relations plutôt bonnes dans la mesure oùelles menaient chacune de leur côté unebataille contre Microsoft.Les rapports entre Apple et Google onttourné au vinaigre à partir du moment oùle célèbre moteur de recherche a annoncéson intention de développer Android pourtéléphones mobiles, à la fin de 2007,quelques mois seulement après le lance-ment de l’iPhone. “Le développement et lesuccès des applications pour ces appareilsportables ont fini par convaincre les unset les autres que les téléphones seraient lesordinateurs du futur. Dès lors, les tensionsentre les deux acteurs du secteur se sontexacerbées”, ajoute Business Week. Al’été 2009, Apple a refusé d’homologuer
deux applications Google pour son iPhone.La société à la pomme montrait ainsi trèsclairement qu’elle entendait limiter l’in-fluence de Google dans ses appareils.Eric Schmidt, patron de Google, a quittéquelques jours plus tard le conseil d’admi -nistration d’Apple, dont il était membredepuis 2006. “Eric fait un superbe boulotà la tête de Google”, estimait alors SteveJobs. Aujourd’hui, plus question de faire debelles déclarations. Apple est même prêtà s’associer avec le diable Microsoft. SelonBusiness Week, le patron d’Apple pourraitabandonner Google, le moteur de recherchepar défaut de son iPhone, au profit de Bing,la dernière création développée par sonancien rival.
◀ Le premier logo d’Apple a été réalisé en 1976 par Ron Wayne, cofondateur de l’entreprise. Il représentait Isaac Newton assis au pied d’un arbre avec la fameuse pomme au-dessus de la tête. Très vite, cette image un peu désuète a été remplacée par une pomme multicolore dessinéepar le graphiste Rob Janoff. Elle fut l’image demarque de l’entreprise pendant plus de vingt ans.
conception et la programmation de la tablette
pour que son utilisation soit la plus intuitive pos-
sible. L’entreprise a testé un moyen d’écrire des
notes virtuelles et un système pour que l’appa-
reil reconnaisse automatiquement l’utilisateur
avec une Webcam. La campagne de recherche
de contenus menée par Apple s’est intensifiée
à l’automne. Des représentants auraient été
envoyés, en octobre, au Salon du livre de Franc-
fort, le plus grand rendez-vous littéraire du
monde. Au même moment, la marque aurait
proposé aux groupes de télévision un projet de
service d’abonnement sur le thème du “meilleur
de la télé”, qui permettrait aux abonnés de vision-
ner à la demande les programmes d’un bouquet
de chaînes contre paiement d’un forfait mensuel.
Il s’agirait, pour les utilisateurs, d’un moyen sup-
plémentaire d’accéder facilement à des conte-
nus télévisuels. Apple souhaiterait proposer entre
quatre et six émissions par chaîne.
L’entreprise envisagerait également de mo -
derniser iTunes, en créant une version Inter-
net du service, qui pourrait être lancée dès le
mois de juin. Provisoirement appelé iTunes.com,
elle permettrait aux utilisateurs d’acheter de la
musique sans passer par le programme iTunes
installé dans les ordinateurs et les iPhone. L’un
des principaux axes de cette nouvelle stratégie
serait de disséminer des onglets “Acheter” dans
autant de sites Internet que possible, et d’inté-
grer les transactions avec iTunes à des activités
telles que l’écoute de la radio sur Internet ou
la consultation de sites de critique musicale.
En novembre 2009, Apple a embauché Tracy
Augustine, ancienne directrice commerciale des
éditeurs de manuels scolaires Cengage Learning
et Pearson Education, et lui a confié la direction
du programme pédagogique au niveau mondial.
D’après ce que l’on peut lire sur le site de réseaux
professionnels LinkedIn, elle a été chargée de “lastratégie et des ressources à mettre en œuvre pourdévelopper le service éducatif en ligne à destinationdes étudiants”.
Yukari Iwatani Kane et Ethan Smith
en couverture
Une bouffée d’oxygène pour les médias
COURRIER INTERNATIONAL N° 1004 36 DU 28 JANVIER AU 3 FÉVRIER 2010
▲ Dans le métro de New York, les habitudes de lecture ont évolué. Certains utilisent leur Kindle (à gauche) ou leur iPhone, d’autres préfèrent le papier.
La tablette sera peut-être une aubaine pour les éditeurs de journaux et de livres. Resteà savoir quelles seront les pratiquescommerciales imposées par Apple.
THE WALL STREET JOURNAL (extraits)New York
Le patron d’Apple, Steve Jobs, en est per-
suadé : son nouvel outil va transformer les
secteurs du manuel scolaire, de la presse
et de la télévision de la même façon que
l’iPod a bouleversé l’industrie de la mu -
sique. Des responsables de la marque à
la pomme auraient récemment rencontré des
éditeurs de livres, de journaux et de magazines
pour poser les bases d’une éventuelle collabora-
tion. The New York Times, Conde Nast Publica-
tions, HarperCollins Publishers et son proprié-
taire, News Corp., qui possède également
The Wall Street Journal, pourraient fournir des
contenus pour la tablette.
Le président du New York Times, Arthur Sulz-
berger, s’est refusé à tout commentaire sur le
sujet, se contentant d’un simple “Restez àl’écoute !” Apple serait également en train de
négocier avec certains groupes de télévision
comme CBS et Walt Disney, propriétaire d’ABC,
un abonnement mensuel à un certain nombre
de chaînes. L’éditeur de jeux vidéo Electronic
Arts pourrait, pour sa part, être chargé de mettre
en avant le potentiel ludique de la tablette. La
stratégie déployée par Apple pour approcher les
médias contraste fortement avec celle de ses
concurrents. Google, par exemple, propose sur-
tout des contenus sans copyright, comme sur
son site de partage de vidéos, YouTube, qui fait
relativement peu de différence entre les vidéos
fournies par les utilisateurs et celles qui viennent
des sociétés de médias. Des sites Internet tels
que Twitter et Facebook peuvent aussi accueillir
les contenus produits par les utilisateurs.
Depuis longtemps, Steve Jobs cherche à
concevoir de nouvelles façons d’accéder aux
contenus plutôt qu’à réinventer ces contenus.
L’iTunes Store est ainsi devenu le premier dis-
tributeur de musique du monde, notamment
parce qu’il permet d’acheter plus facilement
de la musique (produite généralement par de
grands labels discographiques), en proposant des
morceaux plutôt que des albums. L’Apple TV,
un récepteur multimédia numérique, a égale-
ment été conçu pour que les utilisateurs puis-
sent acheter ou louer des films et des émissions
télévisées à l’unité. Selon l’un de ses anciens col-
laborateurs, Steve Jobs est “attentif aux besoinsdes acteurs traditionnels du secteur et veut les aideren leur proposant de nouveaux canaux de distri-bution”. On ne sait pas encore comment Apple
compte faire payer les contenus accessibles depuis
sa tablette, mais, d’après des personnes connais-
sant bien l’entreprise, celle-ci pourrait bien renon-
cer aux modes de paiement classiques. Apple
réfléchirait avec The New York Times à un moyen
d’acheter les informations en passant par iTunes.
Le chemin qu’a emprunté Steve Jobs pour
moderniser l’accès aux contenus et augmenter
leurs ventes n’est pas sans embûches. En choi-
sissant d’exploiter seulement les meilleurs
contenus et non pas l’intégralité des programmes
de certaines sociétés de télévision et d’opérateurs
du câble, Apple s’est heurté à leur résistance.
Dans l’industrie de la musique, beaucoup se
plaignent du fait qu’Apple est devenu un filtre
obligé entre les labels et les consommateurs.
De plus, le nombre de téléchargements de
morceaux sur l’iTunes Store n’a pas augmenté
assez rapidement pour compenser la baisse des
ventes de CD.
MODERNISER iTUNES DEVIENT UNE DE SES PRINCIPALES PRIORITÉS
Le dernier bébé d’Apple va devoir surmonter
plusieurs obstacles. Selon les spécialistes, la
demande dépendra de son prix. Pour la marque,
il s’agit aussi de convaincre les utilisateurs d’ache-
ter ce produit en plus d’un iPhone et d’un ordi-
nateur portable. En outre, elle devra faire face à
la concurrence de netbooks meilleur marché ainsi
que d’autres gadgets, comme Kindle, le lecteur
de livres électroniques d’Amazon.
Le succès de la tablette va dépendre de “lafaçon dont elle s’intégre dans la vie quotidienne del’utilisateur, et du fait qu’elle donne accès à suffi-samment de contenus pour justifier son utilisation”,
estime Henry Lu, vice-président de Micro-Star
International, une entreprise taïwanaise qui a
essayé en vain, il y a quelques années, de com-
mercialiser une tablette électronique.
Dans le domaine de l’éducation, Apple pour-
rait avoir du mal à séduire les universités si la
tablette ne répond pas à leurs besoins ou si elle
n’est pas compatible avec les autres appareils
électroniques utilisés par les étudiants. Ama-
zon espérait conquérir ce marché avec son lec-
teur de livres électroniques de 9,7 pouces, le
Kindle DX, mais les écoles ont trouvé qu’il n’était
pas assez interactif et manquait de fonctions de
base, comme le foliotage et les dessins en cou-
leur. Selon une source bien informée, Apple a
mis en œuvre des moyens importants dans la
■ RésultatsGrâce à une
très forte demande
d’iPhone
et de matériel
informatique
estampillé de par
sa célèbre pomme,
Apple a terminé
l’année 2009 en
beauté en réalisant
ses plus grosses
ventes au cours du
dernier trimestre,
avec un revenu
historique de
15,6 milliards de
dollars (11 milliards
d’euros) et un
bénéfice net de plus
de 3,3 milliards
de dollars. Pendant
cette période,
l’entreprise
a écoulé quelque
8,7 millions
d’iPhone, deux fois
plus qu’en 2008 à
la même période.
Dans le même
temps, elle a vendu
3,3 millions
d’ordinateurs,
soit un bond de
33 % par rapport à
l’année précédente.
De quoi donner
le sourire
à la société et
ses actionnaires.
Ces derniers
espèrent que
la tablette leur
permettra de faire
encore mieux en
2010.
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VU
THE NEW YORK TIMESNew York
Pour obtenir les faveurs des éditeurs, des
auteurs et des lecteurs, Apple et Ama-
zon ont décidé d’ouvrir les hostilités.
Pour l’heure, la librairie électronique et
son Kindle règnent sur un marché nais-
sant, mais en plein boom. Ils représen-
tent 70 % des ventes de lecteurs de livres
électroniques et 80 % des achats d’ouvrages.
S’inspirant d’Apple, Amazon a annoncé, le
21 janvier, qu’il ouvrirait son Kindle aux déve-
loppeurs d’applications. Apple, avec sa tablette,
plus polyvalente (et plus onéreuse) que le Kindle,
entend bien favoriser la lecture de livres, de jour-
naux et d’autres supports. “Le système de prix duKindle l’emportera-t-il sur le sex-appeal d’Apple ?Là est la question, non ?” s’interroge Richard
Charkin, directeur exécutif de Bloomsbury
Publishing, à Londres, qui suit l’évolution des
ventes de livres électroniques avec le plus vif
intérêt. “Je n’en ai pas la moindre idée. Tout ce queje peux dire, c’est que c’est génial. Plus il y a de gensqui vendent des livres, en format électronique ouautre, mieux c’est.”
Pour répondre à l’offensive d’Apple, le
libraire en ligne a décidé de publier un kit de
développement que les entreprises, y compris
les éditeurs de livres et de magazines, pour-
ront utiliser pour créer et vendre des applica-
tions destinées au Kindle. Mais, tant qu’il n’aura
pas lancé de modèles plus sophistiqués de son
Kindle, les développeurs resteront limités par
son écran noir et blanc et par la lenteur du rafraî-
chissement de la page. Selon Ian Freed, l’un des
responsables de Kindle, chez Amazon, les déve-
loppeurs pourront concevoir un vaste éventail
de programmes, par exemple des calculatrices,
des systèmes d’information boursière et des jeux
vidéo. Qui plus est, les maisons d’édition ven-
dront un nouveau type de livre électronique,
comme des guides touristiques ou gastrono-
miques personnalisés en fonction du lieu où l’on
se trouve, des livres avec des quiz interactifs, ou
encore des romans qui combinent écrit et audio.
“Dès le lancement du Kindle, nous savions que lesinnovations ne se feraient pas toutes entre les mursd’Amazon, confie-t-il. Nous voulions ouvrir leKindle à une large palette de créateurs – depuis lesdéveloppeurs jusqu’aux éditeurs, en passant par lesauteurs – pour que chacun y trouve son intérêt.”
LE LIBRAIRE EN LIGNE EST PRÊT À EN DÉCOUDRE
Mais cette manœuvre marque aussi une évo-
lution de la relation qu’entretient Amazon avec
les journaux et les magazines qui lui fournissent
des éditions numériques. En effet, nombre de
ces sociétés ont exprimé leur mécontentement
à propos de la part qui leur revient, limitée à
30 % du prix d’abonnement, et de l’absence de
relation directe avec leurs abonnés. Avec la créa-
tion d’applications spécifiques au Kindle, ces
sociétés pourront vendre davantage de conte-
nus mis à jour en continu, qui leur rapporteront
de l’argent.
Reste que, pour les maisons d’édition, la
nouvelle tablette d’Apple constitue une chance
en or. Elle leur offre la possibilité de contrer la
mainmise d’Amazon sur le marché du livre élec-
tronique et de regagner un certain pouvoir de
négociation dans des domaines sensibles comme
celui des prix. Plusieurs éditeurs racontent
qu’Apple a proposé un arrangement selon lequel
ils pourraient fixer le prix de leurs livres, Apple
percevant seulement une commission de 30 %.
Comme Amazon paie aux maisons d’édition un
prix de gros qui équivaut d’ordinaire à la moi-
tié du prix de vente d’un livre imprimé, les édi-
teurs craignent que le géant du livre en ligne ait
habitué les consommateurs à des niveaux de
prix déraisonnablement bas. L’arrivée d’Apple
et de sa tablette sur le marché du livre électro-
nique donne aux éditeurs l’espoir de regagner
un certain pouvoir de négociation face à Ama-
zon. Par exemple, pendant qu’ils vendraient des
versions plus chères destinées à la tablette Apple,
ils pourraient différer la sortie de leurs livres
dans la boutique Kindle. “La bataille portant surla valeur d’un livre électronique est en train de sedérouler sous nos yeux”, confie un directeur édi-
torial qui préfère garder l’anonymat. “Dans cettebataille, Apple propose une offre favorable aux édi-teurs et, par conséquent, aux auteurs.”
Amazon veut donc contrecarrer les projets
d’Apple. Le 20 janvier, le libraire en ligne a
annoncé qu’il améliorerait les conditions de
rémunération des auteurs et des éditeurs qui
publieraient des livres électroniques directement
sur le Kindle. Son but est d’amener les auteurs
et leurs agents à céder les droits de leurs livres
électroniques et à les vendre directement à Ama-
zon. Aux termes de ces nouvelles conditions,
Amazon accorderait aux auteurs et aux éditeurs
qui acceptent de fixer le prix de vente de leur
livre en dessous de la barre des 9,99 dollars un
pourcentage de 70 % du prix. Cette proposition
fait sans nul doute écho à l’offre d’Apple. Mais
les éditeurs ne sont pas en mesure d’anticiper
l’arrivée sur le marché d’un autre poids lourd :
Google. Celui-ci cherche également à se lancer
dans la vente de livres électroniques. “Plus lenombre de sociétés qui contrôlent les transactions desconsommateurs est élevé, plus le rôle des éditeurs seraimportant”, estime Mike Shatzkin, directeur
d’Idealog, une société qui aide les éditeurs à
développer des stratégies numériques. “Avecl’entrée d’Apple sur ce marché, et si Google luiemboîte le pas dans trois mois, l’univers du livrenumérique aura peut-être un visage complètementdifférent d’ici la fin de l’année.”
Brad Stone et Motoko Rich
●
Il était une fois une bataille de géantsL’édition est un des secteurs qui intéresse aujourd’huiApple. Mais, pour s’imposer, la société va devoiraffronter Amazon, déjà bien implanté dans le paysage.
LA RÉVOLUTION APPLE
COURRIER INTERNATIONAL N° 1004 37 DU 28 JANVIER AU 3 FÉVRIER 2010
INNOVATION Toujours en avance d’un système d’exploitation
La grande force de l’entreprise
à la pomme ne réside pas forcément
dans le matériel, mais dans le système
qui fait fonctionner ses appareils.
L es grandes innovations d’Apple ont tou-jours relevé de la conception de logi-
ciels et d’interfaces plutôt que du matérielinformatique. C’est dans ce domaine quele groupe a le plus de chances d’arriveravec des idées entièrement nouvelles.Soyons réalistes : d’ici la fin de 2010, lemarché sera saturé de tablettes tactiles,mais les autres tablettes fonctionneronttoutes avec le système d’exploitation deMicrosoft et de Google. En créant un deces appareils, Apple peut véritablementtirer profit du fait que le groupe a conçuet possède son propre système d’exploi-tation. En fait, si l’on additionne l’iPhone,l’iPod Touch et l’OS X, Apple possède plu-
sieurs systèmes d’exploitation – et celapourrait constituer un avantage décisif.Imaginez un instant un appareil permettantdeux modes de fonctionnement distincts :pour vos déplacements, une version del’iPhone OS modifiée pour convenir à ungrand écran, mais orientée vers la navi-gation multitouch (ou multitactile). Pourla maison, une version légère d’OS X dotéed’une interface orientée souris et équipéede suites logicielles comme iWork ou iLife,accessible dès que vous placerez la tablettedans sa station d’accueil. Pour la plupartdes utilisateurs, les tablettes sont des ordi-nateurs secondaires. Dans ce cas, pour-quoi ne pas télécharger Bonjour – qui fonc-tionne à la fois sur Mac et sur PC – et ainsipouvoir glisser/déposer directement deséléments de la tablette vers un ordinateurde bureau équipé d’une carte réseau per-mettant la configuration d’un écran tactile,
ou inversement ? La tablette tactile pour-rait aussi servir de télécommande grandécran pour tous les appareils mis en réseau– un peu comme l’application Apple Remoteactuellement disponible sur iPhone, maisen beaucoup plus complexe.Suivant son mode de connexion, la tablettepourrait devenir un outil précieux pour accé-der à des contenus distants lorsque vousêtes en déplacement. En s’offrant, débutdécembre 2009, la plate-forme de musiqueen ligne Lala, Apple permet à l’utilisateurd’iPhone ou de la tablette tactile de télé-charger des contenus (films et musique)à partir d’Internet ou de son propre réseaudomestique. Pour la musique, l’iPhone suf-fit, mais la taille de la tablette est beaucoupplus adaptée au visionnement de films.Enfin, il ne faut pas oublier la navigation surInternet. Il est évident que les tablettes ser-viront d’abord et avant tout à surfer sur
la Toile. Un grand écran peut notammentpermettre de visionner plusieurs pages enmême temps à l’aide d’un simple geste.Si Apple investit dans un écran réellementmultitactile (plus de deux doigts à la fois),il ouvre la possibilité d’utiliser plusieursdoigts ou les deux mains pour des mou-vements plus complexes et plus intuitifs.Cela pourrait favoriser une expérience delecture unique, notamment pour les jour-naux ou les magazines qui n’ont pas encoretrouvé un mode de diffusion adapté à l’èrenumérique. Mais la navigation tactile pour-rait aussi transformer la consultation dessites web en une expérience de lecture plusproche de celle qu’on connaît avec lesmagazines. C’est ce genre de détails quipourraient rendre la tablette d’Apple vrai-ment unique.
Glenn Derene,
Popular Mechanics (extraits), New York
Internet, livre électronique
Microsoft
Apple
Amazon
et les autres
La guerre du numériqueaura bien lieu
■ DossierDans notre n°994
du 19 novembre
2009, nous avons
consacré de
nombreuses pages
à la question
de l’avenir du livre
électronique. Nous
insistions déjà sur
la rivalité naissante
entre les grands
acteurs du secteur
informatique
– Google, Amazon,
Apple et Microsoft –
pour dominer
le secteur
prometteur de
l’édition numérique.
A commander
ou télécharger
en ligne sur :
http://boutique.cour
rierinternational.com