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u P. 6 LE DOSSIER LE VOTE UTILE ? LE VOTE UTILE ! P. 34 HISTOIRE LES COMMUNISTES ET LE FRONT POPULAIRE Par Jean Vigreux P. 26 UN DROIT DE PRÉEMPTION POUR LES SALARIÉS Par Sylvie Mayer P. 20 ÉVASION FISCALE : LA LISTE DES 44 Par Gérard Streiff N°16 AVR 2012 REVUE POLITIQUE MENSUELLE DU PCF NOTES COMBAT D’IDÉES

La revue du projet n°16

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La revue du projet n°16

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Page 1: La revue du projet n°16

u P.6 LE DOSSIER

LE VOTE UTILE ?LE VOTE UTILE !

P.34 HISTOIRE

LES COMMUNISTESET LE FRONT POPULAIREPar Jean Vigreux

P.26 UN DROIT DEPRÉEMPTION POURLES SALARIÉSPar Sylvie Mayer

P.20 ÉVASION FISCALE :LA LISTE DES 44Par Gérard Streiff

N°16AVR2012

REVUEPOLITIQUEMENSUELLE

DU PCF

NOTESCOMBAT D’IDÉES

Page 2: La revue du projet n°16

LA REVUE DU PROJET - AVRIL 2012

2 SOMMAIRE2

QUEL VOTE UTILE ?

Nous disposons d'une édition La Revue du Projet publiée et recommandée parla rédaction de Mediapart. Nous vous invitons à participer à cette collaborationen réagissant, en commentant et en diffusant largement les contributions quenous mettons en ligne. http://blogs.mediapart.fr/edition/la-revue-du-projet

Note : Pour tout commentaire concernant cette édition, vous pouvez nous contacter à l'adressesuivante : [email protected]

Parce que prendre conscience d'un problème, c’estdéjà un premier pas vers sa résolution, nouspublions, chaque mois, un diagramme indiquant lepourcentage d'hommes et de femmes s’exprimantdans la revue.

Part de femmes et part d’hommes s’exprimant dans ce numéro.

4 FORUM DESLECTEURS/LECTRICES

5 REGARDEtienne Chosson Resisting the present

6 u19 LE DOSSIERLE VOTE UTILE ? LE VOTE UTILE !Guillaume Quashie-Vauclin Vote utile, sincéritécommuniste et ambition populaireRaymond Huard Voter Utile, une mise en pers-pective historique XIXe-XXe siècleSimon Desmarest « Votez utile ! votez pourmoi ! » petite histoire d’une expressionMarlène Coulomb-Gully Responsabilité démo-cratique de la télévisionHenri Maler Des média de second tourAlain Garrigou, Richard Brousse La politiquesoulmis aux sondagesLydie Benoist Comment vaincre le vote utile ?Martine Billard Le vote utile est trop souventun vote inutileJean-Paul Lecoq De l’utilité du vote commu-nisteGuillaume Royer Vote (f)utile et démocratiesondagièreMarion Guenot Derrière le vote utile, le renon-cement à l’exercice de la démocratie

20 COMBAT D’IDÉESGérard Streiff Evasion fiscale : la liste des qua-rante quatre

22 SONDAGESLutte des classes à l'américaine

23 BULLETIN D’ABONNEMENT

24 PROGRAMME DU FRONT DE GAUCHE EN DÉBATGuillaume Etievant, Pierre Nicolas, PierreLafourcade Pour une copropriété des entre-prises

26 NOTESÉCONOMIE SOCIALE ET SOLIDAIRE Un droit depréemption pour les salariés en cas de cessionde leur entrepriseÉCOLOGIE L’eau n’est pas une marchandise !

28 REVUE DES MÉDIAAlain Vermeersch La polémique gauche/droitesur la taxation des riches

30 CRITIQUESCoordonnées par Marine Roussillon• Gilles Kepel, Banlieue de la République

• Martha C. Nussbaum Not for Profit

• Jean-Luc Chappey et al. Pour quoi faire larévolution

• Hubert Krivine La terres des mythes au savoir

32 COMMUNISME EN QUESTIONJean Salem Élections, piège à cons ? Que reste-t-il de la démocratie

34 HISTOIREJean Vigreux Les communistes et le front pop-mulaire

36 PRODUCTION DE TERRITOIRESNicolas Lebrun L’accessibilité c’est dépassé,vive la proximité

38 SCIENCESLeo Coutellec La démocratie épistémiquecomme condition d’une science citoyenne

40 CONTACTS / RESPONSABLESDES SECTEURS

HommesFemmes

Le potentiel de mobilisation du Frontde gauche est ainsi devenu le meilleur

atout de la gauche pour gagner et pour, ensuite,réussir. Ne nous laissons pas impressionner. Onnous parle de « vote utile » ? Quoi de plus utileque le travail entrepris par le Front de gauche,et le vote pour son candidat ?Oui, il redevient possible, non seulement d’ima-giner que ce sont là les derniers jours de la droite

au pouvoir, mais aussi les temps premiers d’une renaissance démocra-tique et d’une politique de gauche dictée non par le consensus maispar la détermination à combattre la dictature de l’argent. Oui, il rede-vient possible d’envisager de reprendre la main sur les richesses dupays, sur le pouvoir économique et de le soumettre aux besoins humainset sociaux.Oui, il redevient possible d’envisager à court et moyen terme l’inver-sion de l’ordre établi. La portée de ce que nous construisons va bienau-delà de l’échéance présidentielle qui en est la première étape déci-sive. Ce que nous visons, c’est la mise en mouvement de majoritésd’idées et d’action, de majorités électorales et populaires, autour d’ob-jectifs de changement clairs, de majorités agissantes décidées à « nerien lâcher » tant que ces objectifs ne sont pas atteints.Oui, ces majorités d’idées et d’action sont possibles si les forces popu-laires s’en mêlent... »

Adresse de Pierre Laurent au soir du 18 mars :Une nouvelle campagne démarre

Face à des sondages qui s'étiolent etbien que leur candidat soit haut placé,certains au PS remettent en selle lathématique du « vote utile »

C'est aux socialistes de s'interroger sur le pour-quoi du manque de dynamique de leur cam-

pagne. C'est ce qu'ils devraient faire en premier.Le vote utile, dans cette circonstance, ne signifie strictement rien. Marine Le Penest à dix points, presque quinze points derrière. Il n'y a donc pas de danger d'éli-mination de la gauche pour le second tour. Les socialistes ont décrété qu'ilsdevaient être le plus haut possible sans faire des propositions de même niveau.En 1981, Mitterrand était second, il a gagné. En 1995, Jospin était premier, il a perdu.J'analyse ces appels au « vote utile » comme un signe de panique dans la cam-pagne de François Hollande. Ils ne savent plus quoi faire. La dernière bûchettequ' ils ont jetée au feu, c'est un truc mal bricolé, la taxation à 75 %. Il y a encoreplein d'idées qu'ils peuvent nous prendre : le salaire maximum.François Hollande pourrait par exemple se prononcer sur le SMIC. Voilà des chosesqui feraient avancer sa cause. L’affolement, de leur part, les conduit à créer unesituation de division à gauche.Lorsque vous commencez à gesticuler avec le « vote utile », vous créez un trou-ble à gauche. »

Extrait de l’interview de Jean-Luc Mélenchondans l’Humanité dimanche du 22 mars

““

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3

AVRIL 2012 - LA REVUE DU PROJET

3

PATRICE BESSAC, RESPONSABLE DU PROJET

ÉDITO

NE TE DEMANDE PAS CE QUE LAREVUE PEUT FAIRE POUR TOI,DEMANDE-TOI CE QUE TU PEUXFAIRE POUR LA REVUECamarade lectrice, camarade

lecteur : l'heure est grave maispas désespérée. Après de longs

mois durant lesquels vous nous avezdemandé d'imprimer la Revue duProjet en version papier, j'ai le plai-sir de vous informer que ce mois-cinous répondons positivement àcette juste et légitime revendication.À présent, la balle est dans votrecamp amies lectrices et amis lec-teurs. Il faut mettre la main au porte-monnaie et nous aider à diffuser laRevue.

Le ton est badin mais le fond est bienlà. Voilà de longs mois durant les-quels une équipe de volontaires, demilitants ont consacré leur énergieà la réalisation de cette revue enapplication de notre décision decongrès. Lectrices et lecteurs, commevous le savez, ce n'est pas une pro-menade de santé : ils et elles bossentavec beaucoup de ténacité. Ainsi,qu'il me soit permis de les remerciertrès chaleureusement et plus encore.

À mes yeux, cette équipe réalise undes besoins essentiels de l'avenir : ils'agit d'une équipe. Il s'agglomèreprogressivement une générationnouvelle disons de jeunes intellec-tuels, même s’ils trouveront le termeexagéré. Ils et elles ont comme carac-téristique le fait de vouloir mener ledébat de fond avant le débat de ligne.En clair, les débats cuits et recuits neles intéressent que très moyenne-ment et ils et elles sont heureux d'yéchapper autant que faire se peut.

Ce refus du bavardage qui se dit poli-tique est l'avenir. Dieu frappant d'or-gueil ceux qu'il veut perdre, il estprudent de considérer l'avenir avecune certaine humilité et de ne pastrop vite considérer les évidencescomme évidentes.

À ce point de mon éditorial uneremarque : je suis frappé dans lesformations de base auxquelles j'as-siste par la demande d'efficacité quis'exprime notamment, mais pas seu-lement, parmi les nouveaux adhé-rents du Pcf. C'est le cas partout, jecrois. Il s'exprime un désir d'aller aucombat devant l'urgence des enjeuxauxquels nos sociétés sont confron-tées. Il faut répondre à cette volontéd'efficacité c'est-à-dire reconstruireun type de vie commune danslaquelle le débat politique, l'actionmilitante, l'éducation populaire sontclairement identifiés et à leur place.

Un exemple à l'appui de ce propos :le meeting de Lille du Front degauche a été une très grande réus-site. Dans cette réussite, il y a uneautre réussite. La fédération du Norda organisé une équipe de 40 mili-tantes et militants qui sont allés auxcontacts des participant-es. Bilan ?Plusieurs milliers de coordonnéesrecueillies, plus d'une centained'adhésions, des centaines decitoyens ayant manifesté leurvolonté d'agir.

Cet exemple est à mes yeux arché-typal de la situation car il exprime la

grande disponibilité de dizaines demilliers de nos concitoyens non seu-lement à voter mais surtout à se met-tre en mouvement, à s'engager.

Or, nous savons que nous nesommes pas calibrés dans la grandemajorité des cas pour accueillir legrand nombre des bonnes volontés.Les pratiques et le nombre de cadresorganisateurs disponibles sont tropfaibles. D'où s'en suit le fait que nouspassons à côté de la grande massed'énergie citoyenne que nous pour-rions déployer. Car sans un mini-mum d'organisation, il n'y a pas degénération spontanée.

À partir de cet exemple et de biend'autres, le débat sur les change-ments nécessaires dans notre vie col-lective devient intéressant. C'est-à-dire appuyé sur le réel du momenthistorique... Car sans ce réel, quifrappe à la porte, le débat retournevite à ses amours décatis, à nos vieuxmoulins à vent.

Ainsi, pour apporter notre pierre àl'édifice, nous demanderons danscet esprit à quelques-uns de cesjeunes et moins jeunes amis de sepencher sur ce problème et d'écrirepour vous un numéro spécial denotre revue.

Le risque principal dans la réussiteet la victoire est l'assoupissement etl'autosatisfaction. Alors, à bas leconformisme ! Vive ce qui vit ! Vivele réel ! n

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LA REVUE DU PROJET - AVRIL 2012

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FORUM DES LECTEURS

[email protected]Écrivez-nous

Le déplacement mondial relatif mais massif, de la production etdes forces productives des «  biens matériels  » au sens strict,des zones de forte consommation vers les zones de faible

consommation et à taux de profit supérieur porte le fétichisme dela marchandise à son paroxysme.  [...] 

P. A.

Je suis très heureux de la publication de l’article, L'Église catholique, la criseet la mondialisation, qui met l'accent sur l'intérêt des propositions de l'Églisedans le domaine économique et financier, dans le domaine social et politiqueaussi.  Des propositions qui ne caressent pas le capitalisme dans le sens du poil.Il n'y a qu'à voir d'ailleurs comment ces textes ont été reçus, par un certainnombre de thuriféraires du libéralisme : ils ont renvoyé l’Église à ses propresaffaires en lui enjoignant de ne pas se mêler des affaires sérieuses du mondede la finance. Et qui en a parlé dans la presse ?

NERAC40

L es milieux

dirigeants et les

instances européennes

veulent utiliser la crise

pour atteindre leurs

buts de toujours :

diminuer les dépenses

publiques et sociales,

remplacer la démocratie

par la dictature de

technocrates soumis

aux milieux financiers.

C'est ce que je me tue à

faire admettre depuis

bientôt deux ans.

A. L

Je veux vous signaler, tout envous remerciant de la qualité

de votre dossier consacré le moisdernier aux politiques du genre,un papier de Libération daté du20 mars (article intitulé CubaMariela Castro, fidèle aux«déviants») qui ne vous a proba-blement pas échappé, dans lequelnous pouvons mesurer l'impor-tant travail et la mission pédago-gique menés par le Cenesex(Centre national d’éducationsexuelle). Nous pouvons ainsi lireau sujet d'une femme fréquen-tant les lieux : « elle aussi fait par-tie du petit groupe des seize trans-sexuels opérés depuis 2007 àCuba. Sans débourser un peso,une première mondiale. » Je croisqu'il nous faut considérer et médi-ter cette avancée qui constitueune évolution des mœurs - et desreprésentations - tout à fait consi-dérables, permises par la ténacitéet l'engagement exemplaire deMariela Castro et son entouragesur l'île cubaine.

METAMEC

À lire Les économistes atterrés, j'ai uneimpression de convergence très forte avec leprogramme du Front de gauche... La batailleidéologique risque d'être longue.

J. C.

La crise de la zone euron’est en fait que l’un des

aspects d’une crise globale,conséquence d’un endette-ment privé insoutenableaccumulé dans les paysdéveloppés, favorisé par ladérèglementation et lasophistication des mon-tages financiers, la libérali-sation des mouvements decapitaux et l’existenced’une masse énorme decapitaux cherchant à seplacer (surplus des paysexportateurs, dividendesénormes distribués auxactionnaires…). Un grandmerci pour ce rappel.

“VIVRE EST UN VILLAGE»

Ce qui manque c'est une vul-garisation de leurs thèses auprofit du plus grand nombre.

J. B.

« Si on veut échapper à lacatastrophe sociale qui seprépare dans les laboratoiresde l’idéologie néolibérale »,[...] « la misère program-mée » (Henri Sterdyniak)était un concept des libérauxen Argentine. L'expériencedevrait être utile à tous.

G. R.

Page 5: La revue du projet n°16

Arrivant devant l'entrée de l'exposition, le visiteur est

accueilli par un immense USD 50.000, découpé à

même le mur. Cette œuvre du collectif Tercerunquinto

intitulée Aucun jeune artiste ne peut résister à uncoup de canon de 50 000 dollars d’après une réflexion

d’un des généraux de la révolution mexicaine à pro-

pos des militaires donne le ton de l'exposition Resistingthe present qui se tient au musée d'art moderne de

la ville de Paris jusqu'au 8 juillet.

Le parti pris des commissaires est de dresser un pano-

rama de la jeune scène de l'art contemporain mexi-

cain en réunissant 24 artistes nés après 1975. Loin

d'être une rétrospective d'un art régional, Resistingthe present ne présente pas d’œuvres se distinguant

par la forme sur la scène internationale mais plus

par la teneur profondément politique et polémique

de leurs propos.

Narco-trafic présenté comme le stade ultime du capi-

talisme, manque de crédibilité des grandes institu-

tions internationales, problèmes écologiques, flux

migratoires vers les États-Unis, chaque problème qui

touche le Mexique se voit réapproprié et transformé

dans une des œuvres présentées.

Alors que Juan Pablo Macias a constitué une biblio-

thèque de deux cents livres subversifs qu'il a recou-

vert d'un papier de verre noir pour qu'ils abiment sys-

tématiquement tous les autres livres de papier, Hector

Zamora installe seize manches à air noir symbolisant

les organisations internationales montrant chacun

une direction différente. Quelques mètres plus loin,

un mur de brique rouge bâti au-dessus d'un exem-

plaire du château de Kafka avoisine la grande fresque

rouge et noir de Bayrol Jimenez qui représente dans

une danse macabre la réalité géopolitique mexicaine.

Cette exposition, qui détonne par la très grande diver-

sité des media utilisés, est surtout l'occasion de se

confronter à des œuvres qui, tout en portant un juge-

ment sévère du monde d'aujourd'hui, n'en sont pas

moins un appel à l'action et à la réflexion.

Étienne Chosson

AVRIL 2012 - LA REVUE DU PROJET

REGARD

55

MARCELA ARMASI-MACHINARIUS, 2008

Pétrole, chaîneindustrielle, moteur,système de lubrificationCourtesy de l’artiste etArróniz ArteContemporáneo, MexicoPhotographie CarlosVarillas / FundaciónAmparo.

RESISTING THE PRESENT, Mexico 2000-2012

Page 6: La revue du projet n°16

GUILLAUME QUASHIE-VAUCLIN*

Il hésitait, il tortillait, il susurrait… Àprésent ça y est ! François Hollande aclairement dégainé sa tapette à

mouches préférée : « le vote utile ». Demeetings en communiqués, la « disper-sion » est désormais l’ennemi n°1 et la têtedu premier tour l’objectif prioritaire. Oncommence même à ressortir du placardle spectre utile de 2002… Et tant pis si lerisque de l’élimination de la gauche ausecond tour est nul grâce au travail accom-pli (par nous !) contre le FN ! Et tant pis sien 1995 Lionel Jospin, arrivé en tête aupremier tour, a été battu au second quandFrançois Mitterrand en 1981 a vécu le scé-nario exactement inverse… Bref, ontouche là au cœur de la bien triste cam-pagne du PS : comme en 2007, la logiqueest essentiellement négative, anti-sarko-zyste. « Tous derrière moi pour renvoyerSarkozy à Neuilly ! Point barre… ».Mais comment juger une démocratie oùune si grosse ficelle a tant d’efficace ?Rappelons qu’en 2007, c’est sans doute(LH2) la moitié des électeurs de SégolèneRoyal qui lui avaient confié leur suffragepar seule logique de « vote utile »… Quelleétrange démocratie où plus de cinq mil-lions de personnes sont amenées à votercontre leurs convictions et leurs intérêtsidentifiés ! Disons-le tout net : le « voteutile » est un verrou antidémocratique, lesinistre symptôme d’une démocratie dégé-nérée ; c’est l’encouragement à l’abdica-tion du peuple à prendre en mains sondestin, une négation de la démocratie ensomme…N’est-il pas temps d’en finir avec cette VeRépublique et d’en proposer une VIe oùchacun, notamment, pourra voter libre-ment grâce au seul scrutin qui le permet,la proportionnelle ?Mais allons plus loin. Communistes,avons-nous, collectivement, quelque res-

ponsabilité dans la progression massivedu « vote utile » ? Esquissons une triplehypothèse.1) N’avons-nous pas intégré une concep-tion bien fruste de « l’avant-garde », endépit de nos dénégations rituelles ? Pas uncommuniste, sans confondre gauche etdroite, n’ignore en effet combien terri-fiantes sont les politiques menées par lessociaux-démocrates dans le monde nicombien inquiétante est la position deFrançois Hollande sur des sujets aussi cen-traux que les salaires, la retraite, l’éduca-tion, l’industrie… Pour autant, combiende communistes se refusent à dire sim-plement ce qu’ils pensent à ceux qu’ilsrencontrent ? Avant-garde supérieurementtacticienne, ne nous censurons-nous passur le PS, laissant ainsi intacte son auréoleprogressiste charitablement déposée parles papes médiatiques et les cardinaux dela comm’ ?2) C’est qu’évidemment, et c’est ladeuxième dimension de l’hypothèse, « lagauche », dans la population, est souventperçue comme un bloc indistinct de pro-grès et quiconque ose élever la voix setrouve vite suspecté de division politi-cienne au service de la droite. Notre grandequalité d’écoute ne nous mène-t-elle passouvent à refuser le débat sur ce point età conforter cette vision populaire maiscontestable où PS, PCF et FdG sont toutun, vision menant tout droit au « voteutile » ?3) Dernière dimension : la grosse déprimedes années 1990 ne nous a-t-elle pas faitperdre de vue notre immense ambitiontransformatrice ? Voulons-nous toujourschanger radicalement le monde ? Si tel estle cas, comment ne pas voir qu’est bieninsuffisant le maigre objectif de « peser »sur un autre que nous ? Comment ne pasvoir que cela renforce nécessairement le« vote utile » puisque, à la fin, l’objectifreste bien que ce soit « l’utile » qui gère ?Communistes, nous voulons changer le

monde ! Pour cela, nous voulons doncgagner les élections et gouverner, rendrele pouvoir au peuple et stimuler les luttes,conditions sine qua non d’un progrèssocial et économique effectif. Nos seuls ennemis sont les droites et leurpolitique de classe : pas d’antisocialismeprimaire donc ; simplement le parti pris dela vérité et de la franchise ; simplementprendre le peuple au sérieux ; simplementdonner à voir notre projet singulier. À vraidire, nous sommes sur le bon chemin, non ?

Bien sûr, toutes les causes de l’essor du« vote utile » à gauche ne sont pas internes,tant s’en faut. Mais justement, tous lessignaux sont pour nous au vert (ou au rougesi on préfère…) dans la période historiqueque nous vivons. En avons-nous pris toutela mesure ? Lisons bien les sociologues GuyMichelat et Michel Simon (Le peuple, lacrise et la politique, hors-série de La Pensée,2012) ; ils nous le montrent avec éclat. Oui,les années 1980 sont finies et avec ellesl’adhésion de masse au libéralisme triom-phant. Oui, la crise a balayé LehmanBrothers et son souffle chamboule encoretous les esprits. Oui, le torrent populaire estlà, bouillonnant, et nul ne sait jusqu’où ilira s’il identifie le vecteur politique utile àses intérêts – et à vrai dire, il commence…Il y a bien deux gros obstacles : l’abstentionet le vote utile – deux faces d’une mêmepièce, celle du renoncement et du silencepopulaire. À nous, par nos mille actions deles pulvériser. Si nous y parvenons, c’estune tout autre France qui peut surgir ! Oui,soyons sur tous les fronts, guidés par la« boussole de l’esprit de conquête » (PierreLaurent). L’heure est propice et le poète atoujours raison : « Ô camaradeOn a comme une impatience de prin-temps » (Jean Ristat). n

*Guillaume Quashie-Vauclin est coordonna-teur de ce dossier.

ÉDITO

LE DOSSIER

6

LA REVUE DU PROJET - AVRIL 2012

Le « vote utile » est un phénomène aujourd’hui massif et constitue un véritable verrou anti-démocratique autant qu’un obstacle solide au change-ment. Le présent dossier entend donner à voir l’histoire et les ressorts decette pratique et suggérer des pistes pour le dépasser enfin et redonnerainsi des couleurs à notre démocratie affadie.

VOTE UTILE, SINCÉRITÉ COMMUNISTE ET AMBITION POPULAIRE

Le vote utile ? le vote utile !

Page 7: La revue du projet n°16

AVRIL 2012 - LA REVUE DU PROJET

77

PAR RAYMOND HUARD*

Si l’on vote, c’est bien parce qu’onpense que cela sert à quelque chose.Sinon, on s’abstient et on prône

même l’abstention (« Élection-trahi-son ! »). Les variations très importantesdu taux d’abstention selon les scrutinsrévèlent d’ailleurs l’appréciation que lesélecteurs portent sur l’utilité de telle outelle consultation.

L’utilité du vote a été conçue de façonsdiverses au cours du temps. En outre,dans l’ensemble des électeurs, tous, à unmoment donné, n’ont pas forcément lamême conception de l’utilité de leur vote,et sans doute aussi, chez un même élec-teur, plusieurs conceptions peuventcoexister de façon plus ou moinsconsciente. Elles peuvent être naturel-lement instrumentalisées par les candi-dats. Ces différentes visions se regrou-pent en deux catégories principales, l’unequi privilégie, pour des raisons trèsvariées d’ailleurs, la personne du candi-dat, l’autre, celle du vote politique.

INTÉRÊT IMMÉDIAT, DÉFÉRENCE, VOTEPLÉBISCITAIREAu XIXe siècle, à l’époque du SecondEmpire, chez les électeurs les moins poli-tisés et dans les milieux ruraux, on a puconsidérer que l’élection était une occa-sion d’obtenir d’un candidat des avan-tages immédiats sous forme de donsd’argent, de libations et agapes diverses,ou bien qu’elle devait donner lieu à descadeaux aux communes (pour une fon-taine, une voiture de pompiers, etc.). Siles abus en cette matière furent sanc-tionnés et si ces pratiques devinrentmoins voyantes, sous la TroisièmeRépublique, les élus républicains eux-mêmes n’hésitèrent pas parfois à fairevaloir auprès des électeurs les avantagesconcrets qu’ils pouvaient leur apporter.

Plus élaborée, moins directement inté-ressée, une conception notabilitaire futsurtout présente pendant la période desuffrage censitaire entre 1815 et 1848,

mais persista au-delà, en particulier danscertaines régions rurales ou mêmeurbaines. Le notable local (grand pro-priétaire ou usinier) est considéré alorscomme le seul candidat valable, « natu-rel », ce que semblent justifier son ins-truction, sa richesse, sa capacité à ani-mer la vie économique du pays, soninfluence au niveau du pouvoir d’État.Il fait appel, non sans contrainte parfois,à la déférence, au dévouement person-nel des électeurs. Ses adversaires sontjugés comme des utopistes impuissants,risquant de mener le pays à la ruine.

Tout au long de l’histoire électorale, levote plébiscitaire, que ce soit au profitde Bonaparte, de Louis Napoléon en 1848et sous le Second Empire, du généralBoulanger entre 1887 et 1889, ou deCharles de Gaulle en 1958, incarna aussiune conception du vote utile. Il répon-dait, en général dans une période demalaise ou de crise, à la demande d’unpouvoir fort, privilégiait l’exécutif jugéplus efficace que les « bavards » desAssemblées. L’électeur était dès lors prêtà s’abandonner à un homme « excep-tionnel », qu’il fût effectivement hors ducommun ou fût promu tel par une pro-pagande efficace.

UN VOTE POLITIQUEAUX CONTENUS DIVERS Mais très tôt également, et dès laRévolution, s’affirma une conceptionplus politique du vote. Dans le granddébat qui opposait les partisans de laRévolution aux contre-révolutionnaires,l’enjeu politique, la survie, la consoli-dation ou même l’approfondissementdes acquis de la Révolution passa aupremier plan et les élections de l’époque

révolutionnaire que ce soient celles pourla Législative en 1791, la Convention en1792 ou les élections du Directoire entre1795 et 1799, manifestèrent bien l’exis-tence d’un débat politique de fond. Cethéritage se retrouva dans le mouvementrépublicain au XIXe siècle, qui mit l’ac-cent sur un choix institutionnel, celuide la République présentée comme unrégime propre à assurer à la fois les liber-tés et le progrès social, puis il se diffé-rencia en fonction des options de cesmêmes républicains. Le vote politiquecaractérisa aussi les royalistes qui défen-daient l’option opposée. Nombre d’élec-tions législatives de la troisièmeRépublique de 1875 jusqu’au Frontpopulaire, furent marquées par un débatpolitique de grande ampleur.

L’attitude du mouvement ouvrier etsocialiste fournit un autre cas de figure.Il resta divisé assez longtemps sur laquestion de l’utilité du suffrage, mais ilfinit par s’y rallier majoritairement etpetit à petit s’imposa l’idée du « vote declasse ». L’utilité du vote consistait dés-ormais à promouvoir au niveau de l’Étatdes représentants de la classe ouvrièredans la perspective d’un passage ausocialisme. Si au départ, que ce soit en1848 ou en 1864, on associa cette idée àl’élection de représentants ouvriers, lesélus proprement ouvriers furent raresjusqu’en 1914 et, de fait, les ouvriers etpaysans socialistes acceptèrent d’êtrereprésentés surtout par des intellectuelsoriginaires de la bourgeoisie du momentqu’ils se réclamaient du socialisme. C’estavec la fondation en 1920 d’un parti com-muniste qui s’implanta fortement dansla classe ouvrière, que le vote de classeput coïncider, au moins partiellement,avec l’élection de députés d’origineouvrière.Aujourd’hui, si l’on prend l’exemple del’élection présidentielle actuelle, le votepolitique semble l’emporter dans lescomportements, et, au-delà de leur per-sonnalité – qui entre toujours cependanten compte – les principaux candidats sedifférencient d’abord par leur pro-gramme politique, mais les autresconceptions du vote utile, que j’ai men-tionnées, ne subsistent-elles pas obscu-rément dans les cerveaux sous forme detraces et ne sont-elles pas à l’occasionutilisées par des candidats ? n

*Raymond Huard est historien, professeurémérite à l’université de Montpellier, auteurde L’élection du président au suffrage univer-sel dans le monde, La Dispute, 2003.

VOTER UTILE, UNE MISE EN PERSPECTIVEHISTORIQUE XIXe-XXe SIÈCLESi le terme « vote utile » est apparu assez récemment dans la viepolitique française, la notion d’utilité n’en est pas moins depuis long-temps consubstantielle à celle d’élection.

L’utilité du voteconsistait désormais à promouvoir

au niveau de l’État desreprésentants de la classe ouvrièredans la perspective d’un passage

au socialisme.

“”

Page 8: La revue du projet n°16

LA REVUE DU PROJET - AVRIL 2012

Le vote utile ? le vote utile !

PAR SIMON DESMAREST*

Neuf mars 2012, France 3. FrançoisBayrou est l'interviewé du jour. « Leseul vote utile c'est moi » lâche-t-il

au milieu de l'entretien. Cinq jours plustard, le 14 mars, dans un entretienaccordé à La Provence, François Hollandelance : « la dynamique du premier tourest décisive pour l'emporter. Aucune voixne doit manquer », élégante manièred'appeler au vote utile en faveur du PS.

1962 - 1974 : UN VOTE UTILE IMPLICITELe « vote utile » sous-tend l'idée du ras-semblement contre une force politiqueadverse. C'est donc un phénomène bienplus ancien que l'expression elle-même.C'est à partir de 1962 que la pratique du« vote utile » se met en place dans l'élec-tion présidentielle, le général De Gaulleayant décidé que le président de laRépublique serait dorénavant élu au suf-frage universel direct. Ce choix va modi-fier en profondeur la compétition poli-tique. La première élection présidentielleau suffrage universel direct (depuis 1848)a lieu en 1965. L'expression de vote utilen'y est pourtant pas utilisée et ce, pourtrois raisons :• il n’y a que six candidats au premiertour : François Mitterrand, Charles DeGaulle, Jean-Louis Tixier-Vignancour,Jean Lecanuet, Pierre Marcilhacy etMarcel Barbu ;• la campagne présidentielle se fait sansgrand concours télévisé, et les candidatsles moins connus – Marcilhacy, Barbu etTixier-Vignancourt – ne disposent pasd'un espace médiatique suffisant pourse faire connaître face à un De Gaulle, unLecanuet ou un Mitterrand ;• en 1965, la gauche présente un candi-dat unique, sorte de pratique « anti-voteinutile ». Toute la gauche s'est rangéederrière François Mitterrand, ce qui per-met d'affirmer que déjà en 1965, la ten-tative d'écarter toute candidature inu-tile est réfléchie. Cette expression n'estdonc pas utilisée mais la gauche a effec-

tivement un comportement de « voteutile » qui ne dit pas son nom. Le candi-dat le laisse d'ailleurs entendre lui-même : « je suis candidat contre le géné-ral De Gaulle, contre lui seul, car lui seulcompte à droite. […] je suis le candidatde la gauche, […] je suis le candidat detoute la gauche ». Cette logique est martelée avecconstance par François Mitterrand. Ainsi,en 1970 encore, en vue des prochainesélections législatives : « Je pense que toutdoit être fait pour maintenir l'union dela gauche, pour rassembler les socialistes,et pour, liquidant tous les sectarismesinutiles, appeler la majorité des Françaisà 'changer de bord'. »

Mais l'unité de la gauche se fissure et laformation de François Mitterrand ne faitpas l'unanimité en 1969. Se présententalors une pluralité de candidats de gauche– cinq sur les sept candidats. C'est sansdoute lors de ces élections que l'expres-sion, directe ou détournée, de « voteutile » trouve ses fondements. MichelRocard lance ainsi un appel le 27 mai1969 : « voter utile, c'est voter pour unavenir socialiste. » Mais cet appel est vive-ment critiqué le soir du second tour parun journaliste de l'Humanité qui luireproche d'être un « candidat de divi-sion ». Jacques Duclos, le candidat duPCF en 1969, expliquait en effet la veilledu premier tour qu'il « est absolumentindispensable que la gauche soit présente

à ce 2e tour de scrutin. Et elle ne peut l'êtrequ'en ma personne. […] J'appelle tousceux qui veulent quelques changementsdans la société à [voter pour moi] dès lepremier tour de scrutin. »

1974 - 1988 : LA CRISTALLISATION ET LAROUTINISATION DE L'EMPLOI DU TERMEVOTE UTILEIl est intéressant de remarquer que paral-lèlement à l'essor du vote utile en France,apparaît dans les années 1970 la théori-sation de ce phénomène par l'intermé-diaire des Américains, Allan Gibbard etMark Sattherwaite, sous le nom de tac-tical voting [vote tactique]. Dès lors, lesthéories de l'individualisme méthodo-logique utiliseront beaucoup ce para-digme de sociologie électorale.En outre, l’expression figée commenceà cristalliser : Michel Rocard parle en1973 à la télévision de « vote utile ou effi-cace » pour expliquer son échec.

C'est en fait l'élection présidentielle de1974 qui est fondamentale pour laconstruction de cette expression. Onpeut le remarquer en observant troisphénomènes :1) après avoir été éliminée dès le premiertour en 1969, la gauche décide à nou-veau de se regrouper et de ne présenterqu'un candidat – François Mitterrand.Là encore, la stratégie de l'utilité d'uneseule candidature se déploie : la logiquedu « vote utile » liée au mode de scrutinlui-même joue à plein ;2) mais ce qui fait des élections de 1974un événement fondamental pour le« vote utile » c'est aussi que la droite est,cette fois, divisée : Valéry Giscardd’Estaing le dispute au gaulliste JacquesChaban-Delmas, successeur en titre deGeorges Pompidou, décédé en avril 1974.Le gaulliste veut jouer sur le « vote utile »face à son concurrent, en s'appuyant surla rhétorique gaullienne du « rassemble-ment ». Il dit par exemple en avril1974 : « Il m'est apparu que ma candida-ture était indispensable, pour barrer laroute aux candidats du parti socialisteet du PCF » ; quelques jours plus tard : «ne tombez ni d'un côté ni de l'autre... ».Mais lors de la soirée post-électorale de1974, Pierre Charpy, journaliste à LaNation, dira que Chaban-Delmas « abeaucoup souffert des conditions danslesquelles cette campagne s'est engagée[…] autour des thèmes de l'unité de can-didature, le bon, le mauvais candidat ».Le pari de Chaban-Delmas est doncperdu malgré sa campagne autour del'utilité de sa présence.

Le vote utile possèdedonc une double acception et donc

une double dynamique :l'unification derrière le favori faceà un adversaire commun appelle le

vote utile pour fortifier un campcontre un autre ; les « dissidents »

par contre, eux, l'emploient occasionnellement,

à contre-pente

« VOTEZ UTILE ! VOTEZ POUR MOI ! »PETITE HISTOIRE D’UNE EXPRESSIONPourquoi les partis politiques appellent-ils désormais au vote utile aupoint d’en faire un argument de campagne ? Apparent fruit du « trau-matisme politique » du 21 avril 2002, le vote utile s'avère être enréalité une expression bien plus ancienne, utilisée dès les débuts dela Ve République.

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3) Jean-Marie Le Pen essaie lui aussi dese faire une place dans l'échiquier poli-tique à droite de Giscard d'Estaing.

LE FN DU STATUT DE VICTIME DU VOTE UTILEÀ CELUI DE PRÉTENDANT AU VOTE UTILELe Front National joue aussi sur le ter-rain du vote utile en se montrant hostileà la gauche et très opposé à la droite.Jean-Marie Le Pen regrette ainsi amère-ment le « vote utile » en faveur dePompidou en 1974 : « un certain nom-bre d'électeurs ont jugé utile, et plusintelligent, tactiquement, de voter pourM. Giscard d'Estaing en essayant de bar-rer la route au marxisme. » Il déplore queles électeurs n'aient pas « voté pour leursidées. » (Le Pen, 19/04/1974).Le « vote utile » permet ainsi de com-prendre une part de l'ascension du FNet de sa dynamique depuis sa création.Toutefois, les élections « intermédiaires »des années 1980 – européennes (1984)et cantonales (1985) – ne sont pas pro-pices au « vote utile », l’enjeu d’une éli-mination du second tour étant inexis-tant du fait même du mode de scrutin(proportionnelle d’une part et qualifica-tion pour le second tour au-dessus d’unseuil et non par élimination des candi-dats arrivés en-deçà de la deuxième posi-tion). Le FN s’étant imposé au point derassembler 14,8% des voix en 1988, il uti-lise dès lors à son profit le « vote utile »jusque-là déploré. Ainsi, en 1995, Le Penappelle l’électeur de Philippe de Villiersà « voter utile […] pour reporter ses voix

sur le candidat bien placé », c'est-à-direle FN. Ce parti passe donc de victime duvote utile (1974) à celui de prétendantau vote utile (1995). Grâce aux appels auvote utile, ou, au contraire à « voter pourses idées », on entrevoit peut-être la forced’un parti dans le champ politique à unmoment donné.

1974 ET LA CRISTALLISATION DUSYNTAGMERevenons aux élections de 1974, momentoù cristallise l'expression « vote utile »qui sera dès lors utilisée pour appeler àvoter pour son parti, principalementlorsqu’on est annoncé en tête de soncamp, voire pour expliquer une défaite.Il semble donc qu'à partir de cette date,l'expression se soit institutionnaliséedans le débat. Elle devient donc com-mune et employée très fréquemment.Deux exemples lors des élections prési-dentielles de 1981 et de 1995.En 1981, la dynamique d'alliance àgauche fonctionne, mais au détrimentdu PCF. Georges Marchais, candidat com-muniste, n'est pas qualifié au second tour.Le soir même, interrogé par la télévision,il déclare : « je comprends, évidemmentje regrette [… que] les électeurs aientpensé qu'il fallait voter utile et au pre-mier tour se débarrasser de Giscard. »Second exemple, en 1995, Robert Hueest alors le candidat du PCF. À l’occasiond'une interview accordée à Antenne 2 le19 avril 1995, le commentaire indi -que que « Robert Hue entend çà et là les

appels répétés au vote utile. La présenced'un candidat de gauche au second tourserait l'enjeu. »La cristallisation, l'évolution et l'instal-lation du syntagme « vote utile » depuiscinquante ans se révèle ainsi très inté-ressante dans la mesure où elle consti-tue un indice pour comprendre l'histoirede la vie politique qui se polarise autourde l’élection présidentielle au suffrageuniversel direct, uninominal et ne rete-nant, pour le second tour que les deuxcandidats arrivés en tête au premier.Parallèlement, on constate que les argu-mentaires des principales forces poli-tiques soulignent de plus en plus en l'uti-lité de leur candidature et/ou de leurparti, comme s'il s'agissait d'une justifi-cation de leur présence dans la compé-tition politique.Le vote utile possède donc une doubleacception et donc une double dyna-mique : l'unification derrière le favoriface à un adversaire commun appelle levote utile pour fortifier un camp contreun autre ; les « dissidents » par contre,eux, l'emploient occasionnellement, àcontre-pente, comme en 1969 (Rocard)ou encore en 1974 (Le Pen) pour mar-quer une candidature du sceau de l'ori-ginalité : votre vote pour moi est utile,car il permet à de nouvelles idées d'ar-river au pouvoir. n

*Simon Desmarest est étudiant en histoireet en sciences politiques à l’UniversitéParis 1 Panthéon-Sorbonne.

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RESPONSABILITÉ DÉMOCRATIQUE DE LA TÉLÉVISION

ENTRETIEN AVECMARLÈNE COULOMB-GULLY*

REVUE DU PROJET : La télévision est-elleneutre vis-à-vis des forces politiques ?Permettez-moi d’abord de revenir sur lestermes de la question. Parler de « la » télé-vision, c’est comme parler « du » livre :cela désigne un support, rien de plus. Etde même qu’il n’y a pas grand chose decommun entre un recueil de poésie et unlivre de cuisine (il s’agit pourtant de deuxlivres), il n’y a rien de commun entre Arteet TF1, par exemple.

Je ne suis pas plus à l’aise avec le termede « neutralité » : je ne sais pas ce qu’est

un média « neutre » ; en revanche, je voismieux ce qu’est le pluralisme. Quant aux « forces politiques », je suis làaussi dans la difficulté. Le législateur atenté d’approcher cette réalité, avec lesnotions de « partis » représentés – ou non –à l’Assemblée nationale, mais on sait bienque les partis ne recouvrent que très par-tiellement les « forces » politiques à l’œu-vre dans un pays.C’est donc à travers ces notions de plu-ralisme et de forces politiques représen-tatives que le législateur a tenté d’enca-drer la médiatisation de la politique à latélévision, en particulier pendant lespériodes électorales. Il faut en effet se rap-peler que les citoyens considèrent la télé-vision comme le moyen le plus utile de

s’informer pour savoir pour qui voter(avant la radio et les journaux et bien avantl’Internet), ce qui lui donne une respon-sabilité démocratique supplémentaire.

REVUE DU PROJET : Outre le temps deparole comptabilisé par le CSA, ne peut-onpas considérer qu’il y a aussi différence detraitement qualitatif ?Ces questions concernant les outils àmobiliser pour assurer un minimumd’équité entre les candidats ont été beau-coup discutées à deux périodes de notrehistoire : d’abord dans les années 60, avecl’élection du président de la Républiqueau suffrage universel ; cela a coïncidéavec la montée en puissance de la télé-vision dans l’espace public, d’où les dis-

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LE DOSSIER Le vote utile ? le vote utile !

SUITE DE LA PAGE 9 > positions – qui existent encore – concer-

nant la campagne officielle dans l’audio-visuel : tous les candidats disposent alorsd’un temps d’antenne équivalent pours’adresser aux citoyens.Cette question est revenue à l’ordre dujour dans les années 80, avec la fin dumonopole public. On a alors distinguéentre « temps d’antenne » et « temps deparole » des candidats, et entre période

« d’équité » et période « d’égalité » de trai-tement entre les candidats. Tout cela estbien sûr très quantitatif. Aujourd’hui, onvoit que les équipes de communicationdes candidats veulent imposer leursimages aux chaînes de télévision (qui lesacceptent), ce qui montre bien l’impor-tance de la dimension qualitative … etcreuse les inégalités entre les candidats :en effet, tous ne peuvent disposer de

telles équipes de professionnels. J’ajoutequ’à mon sens, les télévisions nedevraient pas accepter ces images ; ouen tout cas pas sans en faire un usagecritique : on se rappelle que les imagesdu meeting du Bourget, en janvier, four-nies par l’équipe du candidat Hollande,ne montraient pas le départ précipité deSégolène Royal, fâchée de l’ « oubli » dontelle s’estimait victime dans la rétrospec-tive effectuée.

REVUE DU PROJET : Les logiques média-tiques d’inspiration publicitaire ne sont-elles pas favorisées au détriment deslogiques démocratiques ?Pour répondre plus globalement à cettequestion du rôle de la télévision dansnotre espace public contemporain, et desa responsabilité démocratique, je vou-drais pour terminer avancer troisnotions. La première porte sur ce qu’un chercheura nommé « le cens médiatique » : les« grands » candidats bénéficient d’uneexposition sans commune mesure aveccelle des « petits » candidats (sans pourautant que l’on puisse en déduire queles média favorisent ainsi le « vote utile » :on l’a vu en 2002). Ces derniers partentsouvent très tôt en campagne, parfois unan avant l’échéance finale, et ne bénéfi-cient de l’attention des média que dans

les semaines qui précèdent immédiate-ment le scrutin, la campagne « officielle »(15 jours avant le 1er tour) obligeant lesmédia audio-visuels à l’égalité de traite-ment entre les candidats de même queceux-ci accèdent aux émissions spéci-fiques … boudées par les téléspectateursil est vrai. La seconde porte sur ce que les cher-cheurs nomment « l’agenda », c’est-à-dire la mise en avant par les média dethèmes qui peuvent favoriser telle outelle formation politique, ce qui dépassela question de la médiatisation des seulscandidats. On a vu en 2002 ce qu’il en aété avec le thème de la sécurité, plus enphase avec les « fondamentaux » de ladroite que de la gauche (on ne peut man-quer de faire un parallèle avec la récente« tuerie de Toulouse » et de s’interrogersur ses retombées politico-médiatiques).La troisième est celle de la temporalité :le temps court de la campagne doit êtremis en relation avec un temps plus longau cours duquel se forgent les opinionsdes citoyens, à travers les média, biensûr, mais aussi à travers leur expériencequotidienne. n

*Marlène Coulomb-Gully est professeure encommunication à l'université de Toulouse-LeMirail, auteure de Présidente : le grand défi.Femmes, politique et médias, Payot, 2012.

Les équipes de communication des candidatsveulent imposer leurs images

aux chaînes de télévision (qui les acceptent), ce qui montre

bien l’importance de la dimensionqualitative… et creuse

les inégalités entre les candidats

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DES MÉDIA DE SECOND TOURLe mode de scrutin incite à unebipolarisation de la vie politiqueet à une personnalisation dudébat public qui bride la diversitépolitique et invite à se focalisersur le second tour de l’électionprésidentielle.

PAR HENRI MALER*

Les institutions de la Ve République,leur fonctionnement et, en particu-lier, l’élection du président de la

République au suffrage universel sontmarqués par un présidentialisme dontle caractère démocratique est, pour lemoins, contestable. Le mode de scrutinincite à une bipolarisation de la vie poli-tique et à une personnalisation du débatpublic qui bride la diversité politique etinvite à se focaliser sur le second tour del’élection présidentielle. Tout ne vient

donc pas du rôle joué par les médiadominants. Mais ceux-ci ne se bornentpas à épouser les tendances les pluslourdes : ils les confortent.

UNE VÉRITABLE COURSE DE CHEVAUXLa prolifération des sondages d’inten-tion de vote dont ces média sont les prin-cipaux commanditaires et qui sont d’au-tant plus dénués de signification qu’ilssont éloignés de la date du scrutin, inciteles électeurs à choisir les candidats enfonction des chances qui leur sont accor-dées pour le second tour. Mais surtout,cette « sondagite » est une inépuisableréserve de bavardages (y compris debavardages sur la validité des sondages)sur les chances attribuées aux candidats« les mieux placés » pour figurer ausecond tour. Et, quand les scores « son-dagiers » des autres candidats sont prisen compte, c’est presque exclusivementquand ces scores semblent devoir modi-fier ceux des candidats les mieux cotés

dans la course de chevaux qui, généra-lement plus que les projets eux-mêmes,passionne les pronostiqueurs.

De surcroît, la « règle d’équité » – dont ladéfinition est à peu près introuvable etqui ne s’applique qu’aux média audiovi-suels – n’est même pas respectée et, quandelle l’est, elle épouse, avec l’assentimentdu CSA lui-même, la courbe des sondages.Encore ne s’agit-il, pour l’essentiel, quede l’évaluation des temps de parole etd’exposition des candidats eux-mêmes.L’évaluation du temps consacré par lescommentateurs à papoter sur la cam-pagne desdits candidats est effectuéeselon les critères les plus flous : et làencore, c’est l’affrontement escomptépour le second tour qui mobilise lesdurées les plus longues (et en presse écriteles espaces les plus étendus).Encore ne s’agit-il trop souvent que des’étendre sur les effets médiatiques desprestations des candidats, plutôt que sur

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leurs programmes. On ne compte plusen effet, en particulier sur les chaînesd’information en continu (LCI, i-télé,BFM-TV), les débats ou les ébats consa-crés à l’image que les principaux candi-dats donnent d’eux-mêmes et au stylede leur campagne. Sondologues et« science-pipeaulogues » bénéficientdésormais du renfort de plus en plus fré-quent d’experts recrutés dans desagences de communication. On devinequel bénéfice les candidats de moindreimportance sondagière pour le secondtour peuvent tirer des commentaires dedevins qui scrutent les entrailles des son-dages et de communicants pour qui laforme l’emporte sur le fond.

Le pire n’est pas toujours omniprésent.La presse écrite et, en particulier la presse

écrite nationale, accorde une certaineplace aux propositions de tous les candi-dats du premier tour. Mais les média departi-pris les plus lus proportionnent l’im-portance qu’ils accordent à ces proposi-tions en fonction des candidats qu’ils pri-vilégient ou soutiennent ouvertement etqui semblent promis au second tour. Etles média de consensus, comme le sontou affectent de l’être, les principaux médiaaudiovisuels organisent des entretiens quiportent parfois sur ces même proposi-tions. Mais, si les journalistes, dans lesémissions dites d’information, n’omet-tent pas toujours de les mentionner, c’està condition qu’elles soient « spectacu-laires » (et souvent conçues pour « faireévénement ») et, surtout, à conditionqu’elles suscitent les commentaires desfavoris ou de leurs suivants immédiats.

UNE MINORATION QUALITATIVE DESCANDIDATS « INUTILES » Ainsi, ce n’est pas seulement quantita-tivement que des candidats sont mino-rés (sous prétexte qu’ils seraientmineurs), c’est qualitativement. En leurabsence, mais aussi en leur présence.

Même quand de « petits » candidats sontinterrogés sur leurs projets, c’est pourmesurer l’irréalisme qu’on leur prête auréalisme que l’on attribue aux projetsdes « grands » ou que l’on serait en droitd’attendre d’eux. Et cela du moins quandles principales questions ne portent passur le positionnement tactique des« petits » (ou des « moyens ») par rapportà ceux auxquels les sondages accordentune prééminence et dont ils anticipentla présence au second tour.

Ainsi tout concourt, sans qu’il soit néces-saire d’imaginer une entreprise concer-tée, à traiter la plupart des candidats dupremier tour en « candidats inutiles »(comme le disait de certains d’entre euxJean-Michel Aphatie) ou en candidatsqui ne sont utiles qu’en fonction dusecond tour. Pas besoin, dès lors, de don-ner une consigne : on devine ce qu’est,pour la plupart des journalistes et quelsque soient leurs votes personnels, le« vote utile » au premier tour. n

*Henri Maler est co-animateur de l’associa-tion Acrimed (Action-Critique-Média).

C’est l’affrontement escompté pour le second tour

qui mobilise les durées les pluslongues“”

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Le vote utile ? le vote utile !

PAR ALAIN GARRIGOU, RICHARD BROUSSE*

Si les effets systémiques de l’ubiquitédes sondages sont moins spectacu-laires et apparemment moins déci-

sifs que leur influence sur la sélectiondes candidats puis sur les choix des élec-teurs, ils sont les plus importants car ilsconcernent moins des personnes et despartis que les institutions politiques ausens le plus large du terme. On mesurealors à quel point les politologues et son-deurs n’ont rien compris à la critique dessondages en l’assimilant à une critiquedu suffrage universel.Cette conception fétichisée – et quelquepeu artificielle – de l’opinion n’est peut-être pas l’idéal de la démocratie dontrêvent les politologues sondeurs, maiselle est la conception qui s’est imposéedans l’ensemble du monde démocra-tique. Elle est aussi celle qu’ont prise àpartie les idéologues conservateurs et, àleur manière, tout en prétendant défen-dre la démocratie, les sondeurs d’au-jourd’hui.

DES PERSONNALITÉS PLUTÔT QUE DES CANDIDATSOn est amené à se demander commentl’avènement d’une compétition oppo-sant des personnes plutôt que des can-didats, qui stimule le calcul tactique del’électeur plutôt que ses convictions,pourrait ne pas être un recul. Pourtant,certains assurent que cette course dechevaux instituée par les sondages estdérisoire et sans importance, voire « sym-pathique » comme le disait un polito-logue sur un plateau de télévision (laminimisation restant la tactique la plusbanale de l’idéologie conservatrice). Bienentendu, c’est faux, et il ne faut pasconcevoir les effets des sondages seloncette vision pratique de la politique aujour le jour et de la lutte pour les emplois,mais comme la soumission de la poli-tique à l’inflation des sondages, à l’at-tention qui leur est accordée par lescitoyens avec leur publication et – plusencore – par les responsables politiquesdont l’action est largement commandéepar les sondages publics et confidentiels.

Organiser la compétition politiqueautour de la personne des dirigeants poli-tiques est un flagrant retour en arrière,qui nous rapproche de la politique plé-biscitaire. Les implications en sontimmenses. La politique devient un théâ-tre d’ombres. [...] L’anticipation deschances pèse sur les procédures élec-tives au point de les faire paraître commede simples ratifications.

Il s’agit dans une large mesure d’un effetdu mécanisme de l’électeur médian : eninterrogeant tout le monde sur une pré-férence électorale, il existe un avantagemécanique pour le candidat le plusproche de l’électeur médian, c’est-à-direcelui qui a le même nombre d’électeurssur sa gauche et sur sa droite. En d’au-tres termes, le candidat de gauche le plusproche de la droite et le candidat dedroite qui paraît le plus proche de lagauche bénéficient d’un avantage, dansles intentions de vote comme dans lescotes de popularité. Les sondages auprèsdes sympathisants, qui essaient de gom-mer ce biais, sont incertains car ils sefient aux déclarations de sondés et repo-sent sur des sous-échantillons trop fai-bles (autour de 200 personnes pour lespartis les plus importants).De plus, les conditions de la lutte poli-tique s’éloignent de cette sorte de fictioncréée par les sondeurs. En l’occurrence,les candidats de sondage peuvent pro-fiter des avis favorables de sondés qui,mués en électeurs, ne voteront jamaispour le même – mais réel – candidat.Enfin, les sondages sur les intentions devote opèrent en partie comme des cotesde popularité. [...] Les faveurs des son-dés vont alors plus facilement aux per-sonnalités connues, celles que l’on voitbeaucoup dans les média, qui les invi-tent d’autant plus volontiers sur leursplateaux qu’elles sont populaires, contri-buant à accroître leur notoriété. [...]Dans ces jeux où les faveurs des sondésvont à des personnes, c’est à ces der-nières que sont logiquement attribués le

bénéfice ou la défaillance. Les explica-tions acquièrent alors inévitablementune tendance psychologisante, puisqueles bons ou mauvais résultats seraientliés à des traits de caractère ou de com-portement et à l’image publique.La politique devient le terrain des envieset des désirs. [...] Les sondages font pas-ser les luttes politiques pour des luttesde personnes. Avec la complicité et lacécité des commentateurs, ils mettentdes masques ou des fétiches à la placede l’essence du combat politique. Ils éri-gent l’apparence en réalité.Dans ce théâtre d’ombres, les stratégiespolitiques sont donc centrées sur les per-sonnes et non plus sur les partis, les pro-grammes et autres marques d’identifi-cation. Cela explique certainement enpartie la vogue des campagnes « nologo » durant lesquelles les partis ne figu-rent plus sur le matériel de communica-tion ; cela explique la pipolisation de lapolitique où par plaisir ou par obliga-tion, les dirigeants politiques doivent seplier aux mises en scène médiatiques etcomposer une représentation idéale pourles média [...]. Le mélange probable deplaisir personnel et de service du partiet des fidèles encourage sans doute lestendances narcissiques de dirigeantsdont les visages, les paroles, les goûtssont exposés au public. Et les pourcen-

tages des sondages viennent, comme unscore, indiquer la réussite ou l’échec despersonnes qui s’exposent. Sans doute unstimulant puissant de constitution desegos et, entre eux, de luttes des egos.Cette personnalisation du leadershippolitique, qui fait du dirigeant à la fois lechampion d’un camp et sa marque,modifie toute l’économie des relationspartisanes, devenues des relations cour-tisanes. Le dirigeant se retrouve dans lapeau d’un monarque dont le moindregeste sert de repère à ceux qui l’entou-rent. [...]Les sondages ont largement contribué àinitier l’organisation de primaires dansles partis et donc à marginaliser les mili-tants « à l’ancienne », ceux qui ne visaient

LA POLITIQUE SOUMISE AUX SONDAGESLes usages politiques des son-dages ont contribué à changer lapolitique : les stratégies, lescompétences, les procéduresmêmes en ont été bouleversées.

Les sondages ont largement contribué à initier

l’organisation de primaires dansles partis et donc à marginaliser lesmilitants « à l’ancienne », ceux qui

ne visaient pas une fonctionélective

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L’anticipation des chances pèse sur les procédures électives aupoint de les faire paraître comme

de simples ratifications“”

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pas une fonction élective. Les partis sontainsi largement devenus des formationsd’élus, quand près de la moitié de leursadhérents ont des mandats électifs. Si lapolitique reste un univers enchanté, c’estpar la mauvaise foi, les faux semblants…et la « pipolisation ». Cette « pipolisa-tion » a cependant un revers : la perti-nence des stratégies de scandale. Si lepouvoir paraît une affaire de stratégiesindividuelles, celle de leaders qui sontsoutenus par une équipe mais dont lesuccès apparaît largement lié à leur cré-dit personnel et à leur image, les adver-saires sont logiquement conduits à s’at-taquer à la personne de ces leaders pourdétruire leur crédit. On comprend quela vie politique bruisse de rumeursconstantes sur les secrets inavouablesdes uns et des autres. Ce n’est assuré-ment pas nouveau, mais la personnali-sation du leadership renforce ce phéno-mène à l’extrême.

DES OPINIONS PLUTÔT QUE DES SAVOIRSLes sondages auraient contribué àl’émergence d’une démocratie d’opinion.Certes l’expression chante aux oreillesdes sondeurs, mais le premier terme estici de trop ! Par définition, les opérationsstatistiques enregistrent toutes les opi-nions comme des quantités équivalentes.Selon les sondeurs, ce serait la traduc-tion du one man, one vote contre lesvisions aristocratiques, oligarchiques etnotabiliaires de la politique où seulel’opinion éclairée de quelques-unsdevrait s’exprimer.

Est-ce à dire que la démocratie ne sepréoccupe pas de la qualité des opi-nions ? Elle s’en préoccupe en tout cassuffisamment pour avoir inscrit dans sesinstitutions que le vote était un choix etnon une réponse donnée un peu auhasard. C’est inscrit dans la norme deréflexion instituée par la procédure élec-torale, via la campagne électorale dontl’invention vise à éclairer les choix detous les citoyens – ce qui n’est pas le casde cette opération où, pressé par unenquêteur payé au questionnaire, lesondé doit répondre vite [...].

DES SONDAGES PLUTÔT QUE DE LA POLITIQUELes usages politiques des sondages ontcontribué à changer la politique : les stra-tégies, les compétences, les procéduresmêmes en ont été bouleversées. Enretour, cette politique transforméeimpose aussi les sondages, selon unerelation de circularité. Dorénavant, lapolitique ne peut plus se passer des son-dages, qui sont devenus non seulementnécessaires, mais aussi plus importantsque la politique.Le processus est en cours, et se manifestedans la systématisation de l’exploitationde cette circularité : il ne s’agit plus deconnaître l’opinion pour éventuellements’adapter à elle, il s’agit à présent de fairel’opinion. Faire croire pour faire advenir,telle est la stratégie politique des spin doc-tors, qui tentent d’imposer les croyances.[...] Un pas important de la méthodolo-gie politique est franchi avec ce passage

de la connaissance passive des choses,servant à s’adapter le mieux possible auxcirconstances, à la mise en œuvre délibé-rée de stratégies qui utilisent la connais-sance des choses pour les créer. [...]Ce à quoi nous assistons n’est jamais quele passage de la science à la technique dansl’ordre politique. De même que l’on uti-lise les connaissances en matière de phy-sique pour fabriquer des moteurs, on vou-drait utiliser la connaissanceclimatologique non seulement pour pré-voir la météo mais aussi pour faire le tempsde demain. Si le pas a été franchi avec suc-cès dans le premier domaine, il ne l’est pasdans le second. Cela n’empêche nullementles humains de le rêver et de tenter...La politique relève évidemment dusecond domaine, celui où l’on tente sansassurance de succès. L’incertitude estd’ailleurs telle que l’on reste émerveilléde voir les stratèges croire avec autantd’enthousiasme en un savoir aussi incer-tain. Quoi qu’il en soit, les pratiquesintuitives de manipulation des croyancesont été rationalisées et systématisées, etles sondages, utilisés comme une piècemajeure de ce dispositif, y ont puissam-ment contribué. n

*Alain Garrigou est professeur en sciencespolitiques à l'université Paris X-Nanterre.Richard Brousse est sociologue.Extraits de Alain Garrigou, Richard Brousse,Manuel anti-sondages. La démocratie n’estpas à vendre !, éditions La ville brûle, 2012,publiés avec l’aimable autorisation de l’édi-teur.

COMMENT VAINCRE LE VOTE UTILE ? Ce n’est pas l’idée du vote utilequi est contestable, mais lecontenu idéologique qui vise à leréduire à la seule alternativeentre deux candidats, en l’occur-rence jusqu’ici ceux du PS et deL’UMP.

nants jouent bien évidemment de l’ar-gument dans la bataille idéologique, lais-sant entendre qu’il serait inefficace devoter pour des « petits partis » qui ne peu-vent prétendre à la victoire finale. Cetteidée n’est pas sans force puisque toutélecteur est soucieux de traduire politi-quement ce qui lui semble utile pourinfluencer par son suffrage les événe-ments et, ainsi, changer la donne poli-tique. Le vote pour Jean-Luc Mélenchon,candidat du Front de gauche, a une uti-lité réelle même si on pense qu’il ne serapas qualifié au deuxième tour.

LE VOTE DU PREMIER TOUR DÉTERMINELES RAPPORTS DE FORCE POLITIQUEÀ ceux qui redouteraient l’émiettementdes candidatures à gauche comme en2002, on rappellera que la situation pré-

PAR LYDIE BENOIST*

L’idée de vote utile s’inscrit en appa-rence dans une logique d’efficacitépolitique où l’électeur est sommé

de « rentabiliser » son vote en choisis-sant un candidat crédible qui, dans lecadre d’institutions favorisant la bipola-risation, peut prétendre gagner l’élec-tion présidentielle. Média et partis domi-

sente est bien différente : si Le Pen devaitéliminer un candidat, ce serait Sarkozy,et nul ne doute que Hollande sera bienprésent au second tour. On peut doncau 1er tour voter « vraiment » pour sesidées ! Voilà pourquoi il est important dedébattre avec les gens sur cette questiondécisive pour marquer des points danscette lutte des idées qui a jusqu’ici contri-bué à rabougrir la vie politique française.Il faut donc bien convaincre les électeursque le vote Front de gauche a une légi-

Faire valoir« l’humain d’abord » n’est pas

contradictoire avec lapréoccupation politique de créer

les conditions d’avoir un présidentde gauche.

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timité : faire valoir « l’Humain d’abord »n’est pas contradictoire avec la préoc-cupation politique de créer les condi-tions d’avoir un président de gauche.

On ne rappelle jamais assez qu’au pre-mier tour on choisit, que ce premier votedétermine les rapports de forces poli-tiques et qu’ensuite, au second tour, onvote pour le candidat de la gauche lemieux placé, et ce à toutes les électionsau scrutin uninominal majoritaire !Vouloir le rassemblement à gauche n’im-plique pas de passer sous les fourchescaudines du candidat socialiste dès le1er tour mais, bien au contraire, un votede classe permettra que notre influenceprogresse, modifiant de facto les rapportsde forces à l’intérieur de toute la gauche.

DYNAMISER LA GAUCHE DETRANSFORMATIONSi l’enjeu est de « virer » Sarkozy, le votePS suffit ; si l’enjeu est en plus la mise enplace d’une politique de gauche vrai-ment de gauche, alors le vote PS ne suf-fit pas. Ce qui est alors vraiment utile aupremier tour, c’est bien de dynamiser lagauche en élargissant l’influence de cellequi se réclame de la transformationsociale. D’ailleurs la lecture des sondagesmontre que la dynamique actuelle pro-fite au Front de gauche comme au Partisocialiste sans que la progression de l’unse fasse au détriment de l’autre, les élec-torats apparaissant complémentaires.

La candidature de Jean-Luc Mélenchonpermet de rassembler au premier tourdes gens qui n’ont pas envie de voter Partisocialiste au premier tour (abstention-nistes, syndicalistes, électeurs écologistesou du Nouveau Parti anticapitaliste) etqui contribueront à un plus grand suc-cès de la gauche au second tour.Aucune contradiction donc à vouloir bat-tre le candidat de l’UMP en élisant unprésident de gauche qui sera d’autantplus à gauche que le Front de gaucheaura fait un bon score.

Il faut s’approprier audacieusementl’idée du vote utile. En conséquence toutdevient utile : le vote au premier tourpour le candidat qu’ont choisi les com-munistes renforce l’utilité du vote ausecond tour pour élire un président degauche qui le soit vraiment. On nemanque donc pas d’arguments pourdéjouer le piège du vote utile en mon-trant que la véritable utilité n’est pas làoù on l’attend à grands renforts média-

tique. Rompre avec les politiques d’aus-térité pilotées par le libéralisme ne pourraêtre envisageable sans une modificationdes rapports de forces à gauche. Nousdevons démontrer aux femmes et auxhommes avec qui nous dialoguons quevoter pour notre candidat le 22 avril oupour nos candidat(e)s au scrutin légis-latif, ce sera œuvrer à l’élargissementtous azimuts de la colère, de la résistance,de la radicalité.Osons affirmer que chaque voix comp-tera pour avoir de meilleurs rapports deforces, y compris pour discuter avec nospartenaires sur les exigences quant auxchantiers à ouvrir pour que change lavie. Il nous faut aller chercher des mil-lions de voix pour faire élire davantaged’élu(e)s « utiles » dans l’hémicycle et surle terrain et qu’enfin soient créées lesconditions d’une nouvelle mandaturebien ancrée à gauche car, d’expérience,les député(e)s communistes serontdemain comme hier aux côtés des tra-vailleurs, présents dans les mouvementssociaux, promoteurs de lois…

À nous d’informer, de rassurer, de confor-ter les électeurs qui ont envie de solu-tions novatrices et transformatrices àgauche mais qui doutent encore dubien-fondé de voter pour nous. n

*Lydie Benoist est membre du comité exécu-tif national du PCF, responsable aux élec-tions.

Voter pour notre candidat le 22 avril ou pour noscandidat(e)s au scrutin législatif,ce sera œuvrer à l’élargissement

tous azimuts de la colère, de la résistance, de la

radicalité.

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LA REVUE DU PROJET - AVRIL 2012

Le vote utile ? le vote utile !

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LE DOSSIER

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LE VOTE « UTILE » EST TROP SOUVENT UN VOTE INUTILELes appels au « vote utile » représentent une négation de ce qu'est une élection à deux tours : le pre-mier tour doit servir à voter en fonction de ses choix, et non selon le réflexe du « moindre mal » qui peutprévaloir lors d'un second tour.

PAR MARTINE BILLARD*

Un vote est l'expression de la convic-tion de chaque citoyenne et citoyen,forgée par l'éducation reçue et par le

débat éclairé, et s'exprimant dans le secretde l'isoloir à l'abri des pressions socialesdes groupes dominants. Qu'y a-t-il de plus« utile » que de voter selon ses convictions,en fonction de ses intérêts de classe et del'idée que chacune et chacun se fait del'intérêt général ? C'est sur ce fondementque la gauche a pu avancer ses projetsd'émancipation sociale et porter la ques-tion écologique dans le débat politique. Le « vote utile », dans le jargon politique

courant est pourtant tout autre chose :il s'agirait de voter selon le résultat élec-toral que les autres croient qu'il va être.Cette tentation de chaque électeur de setransformer en « stratège », anticipant àla lecture des sondages, l'éventuelle éli-mination du second tour du candidatqui lui apparaît porter ses idées, est par-ticulièrement prégnante du fait du scru-tin uninominal majoritaire aux électionsprésidentielles, législatives et cantonales.Cela conduit à renforcer les tendancesbipartisanes de notre système politique.Ce phénomène a été aggravé depuis le21 avril 2002 de peur d'une qualificationdu FN au second tour de la présiden-

tielle. Les appels au « vote utile » n'ensont pas moins une négation de ce qu'estune élection à deux tours : le premiertour doit servir à voter en fonction de seschoix, et non selon le réflexe du « moin-dre mal » qui peut prévaloir lors d'unsecond tour.

LE VOTE UTILE NUISIBLE À LADÉMOCRATIE ET À LA GAUCHELe vote utile est nuisible à la démocra-tie en général et à la gauche en particu-lier, quant au contenu des politiquespubliques. Il fait obstacle à la nécessaireémergence de formations nouvelles àgauche pouvant constituer des majori-

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AVRIL 2012 - LA REVUE DU PROJET

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> SUITEPAGE 16

tés politiques aptes à prendre en chargeles enjeux économiques, sociaux, démo-cratiques et écologiques de chaquepériode. Si l'électorat de gauche restecaptif d'une seule formation politique,le PS pour ne pas le nommer, cela ali-mente la droitisation de ce parti, passéen quelques décennies de l'incarnationdu socialisme, à la social-démocratie puisdésormais au social-libéralisme. Ainsi,

dès lors qu'ils sont devenus sûrs de cap-ter les suffrages dès les premiers toursdes scrutins, les dirigeants du PS ontcessé de donner des gages aux électeursporteurs des idées de gauche et ont finipar glisser vers le centre. Le processusdes primaires socialistes et les notes dela fondation Terra Nova conseillant auPS d'abandonner les classes populairespour ne se consacrer qu'aux classesmoyennes, illustrent ce glissement. Surles questions sociales (et non les ques-tions morales ou sociétales, sans cesse

revisitées par le PS pensant plaire ainsiaux classes dites moyennes), le pro-gramme du PS est à chaque élection demoins en moins à gauche : il est ainsipassé des nationalisations au "ni ni" mit-terrandien du second septennat, à « l'ou-verture du capital » des entreprises pourterminer avec davantage de privatisa-tions sous le gouvernement Jospin quesous la droite. De même, le PS fait sienne,dans son programme de 2012, la réformeFillon de 2003 des retraites avec l'allon-gement de la durée de cotisation au-delàdes 40 annuités et n'abrogera pas la loide 2010 ayant mis fin à la retraite à 60ans. Quant aux questions européennes,le PS a fait campagne avec l'UMP pourle TCE en 2005, a laissé passer la ratifi-cation du Traité de Lisbonne en 2008 eta juste trouvé à s'abstenir sur le TraitéMES examiné au Parlement français, finfévrier de cette année. Et très significa-tif, pour la première fois un candidatsocialiste ne prend aucun engagementpour l'augmentation du SMIC.

PAS DE RISQUE DE NOUVEAU 21 AVRILEn 2012, il n’y a pas de risque de « nou-veau 21 avril » : il n'y a que 5 candidatsà gauche, contre 8 en 2002, et les rap-ports de forces sont très différents. Lerisque de qualification de Marine Le Penau second tour, a disparu, notammentgrâce au travail de démystification de

son programme entrepris par le candi-dat du Front de gauche, Jean-LucMélenchon. François Hollande agite unautre risque : la dynamique de campagnepour le second tour. Rappelons qu'en1981, François Mitterrand, bien qu’ar-rivé deuxième au premier tour, a été éluau second, alors que Lionel Jospin en1995, a été battu au second tour aprèsêtre arrivé en tête au premier. Maisaujourd'hui, alors qu'à un mois de l’élec-tion Jean-Luc Mélenchon est devantFrançois Bayrou et que se joue la 3e placeentre lui et Marine Le Pen, il n'y a plusde « vote utile » vers Hollande qui tienne.La dynamique de campagne est du côtédu Front de gauche et de Jean-LucMélenchon qui a su redonner espoir aupeuple de gauche pour qui le programme« l'humain d'abord » est le véritable voteutile. François Hollande ne peut plusrefuser ce débat à gauche que lui pro-pose depuis des mois Jean-LucMélenchon. Ses appels au « vote utile »donnent juste l’impression qu’il chercheà se débarrasser de toute gauche, afind'avoir les mains libres pour gouverneret pour transformer le PS en parti du cen-tre, désespérant les classes populaires etles mouvements sociaux, de tout nou-veau progrès humain. n

*Martine Billard est députée de Paris, copré-sidente du Parti de Gauche.

Rappelons qu'en 1981,François Mitterrand, bien qu’arrivédeuxième au premier tour, a été éluau second, alors que Lionel Jospinen 1995, a été battu au second tour

après être arrivé en tête au premier.

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DE L’UTILITÉ DU VOTE COMMUNISTEAffirmer les valeurs que nous portons ne s’oppose pas au rassemblement, mais a contrario, le nourrit.

PAR JEAN-PAUL LECOQ*

La question du vote utile a été réacti-vée, non sans succès, à partir de laprésidentielle de 1981 à gauche par

le PS, à notre détriment. Nous l’avonsintériorisée, d’autant plus que le rapportdes forces nous était défavorable et quela Constitution, en instituant l’électiondu président de la République au suf-frage universel, avec l’avènement de laVe République entérinait ce phénomène.À cela s’ajoutent le système de circons-criptions (et de charcutage des circons-criptions) et bien sûr, l’inversion ducalendrier plaçant la présidentielle justeavant les législatives. Autant de mesuresfavorisant cette présidentialisation. Dans les faits, seuls comptent ceux quipeuvent gagner au 2e tour et le 1er tourest gommé. On l’a d’autant plus intério-

risé qu’en 1965 et 1974, nous avonsdécidé – pensant qu’un communistedans ce type d’élection ne pouvait pasgagner – de présenter dès le 1er tour, uncandidat commun issu de la mouvancesocialiste, puis du parti socialiste. Cechoix, dans cette bataille qui structurela vie politique française, n’a pas été, eneffet, sans conséquence... J’en tirecomme conclusion à cette étape, qu’aucontraire, il faut s’affirmer et affirmer lesvaleurs que nous portons. Que ce prin-cipe ne s’oppose pas au rassemblement,mais qu’a contrario, il le nourrit.

LE VOTE UTILE À QUOI ET À QUI ?Utile aux travailleurs, aux retraités, auxjeunes, aux familles. Utile aux côtés decelles et ceux qui souffrent des politiqueslibérales, du règne des marchés finan-ciers.

Le lien qui est fait dans la réflexion quim’est demandée tient au fait qu’en 2007,comme communiste, je suis le seul quiait gagné une nouvelle circonscription.Le même scénario qu’en 2002, avecAndré Chassaigne. Les premières interrogations que nousnous sommes posées c’est : quel com-bat mener ? Quelles propositions for-muler ? Quelles lois porter, si j’étais élu,pour représenter les gens, les électriceset les électeurs de la circonscription ?Alors d’abord et avant tout, en quoi ledéputé communiste serait utile pour lesgens à l’Assemblée Nationale ? Sous l’in-titulé « gens d’ici » nous avons déclinéune démarche et des propositions disantconcrètement ce qu’il fallait changer etcomment, dans une circonscription,diverse dans la nature de ses activités,la sociologie de sa population, son rap-

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LA REVUE DU PROJET - AVRIL 2012

Le vote utile ? le vote utile !LE DOSSIER

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SUITE DE LA PAGE 15 > port au développement et aux nécessi-

tés écologiques, en s’appuyant sur lespropositions de notre Parti, populari-sées lors de la campagne présidentiellepar Marie-George Buffet. La priorité auxcouches populaires, au monde du tra-vail, mais sans rien négliger, y comprisles questions de l’agriculture et de l’en-vironnement. Cette circonscription issue du charcu-tage électoral de Pasqua en 1986 intègreune partie très populaire du Havre, uncanton de sa banlieue non moins popu-laire, dont une commune où je suismaire, comme la commune limitrophede la mienne. Ces deux cantons sontreprésentés au Conseil général par deuxconseillers généraux communistes. Deuxcantons de droite et un canton socialistecomposent le reste de la circonscription.Circonscription plutôt taillée sur mesurepour la droite ou, en cas de perte de celle-ci, pour le PS.

ÊTRE UNE GAUCHE COMBATIVE QUI NERENONCE PASMême face à cette situation, nous avons,à toutes élections, présenté des candi-dates et candidats communistes, et entoutes circonstances, mené campagnepour gagner. Ce qui nous a permis d’avoirtoujours un score pas trop affaibli, quellesque soient les vagues présidentielles quiprécédaient les législatives. Pour ma part,j’ai été candidat trois fois dans cette cir-conscription. Malgré de bons scores, nousétions toujours devancés par le candidatde la gauche socialiste. Mais, nous avonstoujours maintenu une structure de cir-conscription du Parti, réfléchissant et pre-nant des initiatives et moi-même dansmon mandat de vice-président de larégion Haute-Normandie, je participaisà ce « travail » communiste et militant. En 2007, cette famille socialiste se trouvadivisée, notamment du fait d’un para-chutage d’un candidat parisien, alors quecelui qui fut le député socialiste – avantd’être battu par la droite – avait rejointle PRG. Trouvant sa candidature la seulelégitime, il est allé à l’affrontement avecle candidat officiel du PS. La droite quiavait repris en 2002 cette circonscrip-tion, y trouva là un espoir certain de laconserver. Or, dans les faits, les divisionsnées d’ambitions personnelles de l’an-cien député PS, recouvraient, sur le fond,des divisions beaucoup plus profondesdans l’électorat, comme l’a révélé le voteen 2005, sur le traité constitutionnel, pourlequel les électrices et les électeurs de lacirconscription se sont prononcés mas-sivement contre.

Le déclencheur fut sans doute aussi laquestion sur l’avenir de l’industrie,puisque cette circonscription est la plusindustrielle de France. La réalité de cesdivisions est tellement vraie qu’elle estau cœur du nouveau découpage des cir-conscriptions et que les deux cantonscommunistes réintègrent l’une des deuxcirconscriptions du Havre. En 2007, le candidat que j’étais s’est donctrouvé en tête de la gauche au 1er touravec 16,74 %. Toute la diversité de lagauche et de l’écologie, répartie sur 7candidats, ne faisant que 46,3%. Ladroite, au regard de la faiblesse du totalde la gauche, avec de plus, cette fois-ci,un représentant communiste « n’étantpas rassembleur par essence » dans cer-tains esprits, lui laissait penser à sa vic-toire au second tour. Ce fut exactementl’inverse.Un peu avant les législatives, entre lesdeux tours de la présidentielle, nousavions, en tant que parti et moi en tantque candidat, poursuivi le combat sur labase de nos propositions, autour de lacandidature de gauche au 2e tour, menéune vraie bataille contre Sarkozy, son

programme, ses idées. Le score au secondtour des législatives fut de 51,11%, c’est-à-dire, que nous avons fait plus que lescore de toute la gauche au 1er tour. Ànoter également, que le seul meeting queNicolas Sarkozy a tenu pendant la cam-pagne des législatives a eu lieu dans lapartie havraise de cette circonscription.On peut estimer que cela a compté dansle fait que la région havraise a désormaisdeux députés communistes. Comme aaussi compté le premier essai de la droitesur « la TVA sociale » et je crois que lesimages diffusées à la télévision d’unechambre « bleu horizon » au soir du pre-mier tour des législatives a effrayé lesdémocrates. La conclusion que j’en tire, c’est qu’ilfaut être nous-mêmes, communistes,plus encore dans ce temps de crise pro-fonde du capitalisme. C’est-à-dire lagauche combative, qui ne renoncejamais, qui porte ses valeurs transforma-

trices, qui maintient le lien avec le mondedu travail, le mouvement syndical, asso-ciatif et les couches populaires. C’estaussi cette proximité qui est reconnuecomme nécessaire et utile. Depuis, c’estla même logique qui m’a inspiré dansl’exercice de mon mandat, dans lecompte rendu, dans les initiatives.... Une autre réflexion, c’est que la diver-sité dans le peuple de gauche, même sielle est marquée et masquée pendant untemps par le vote utile, est une réalitétrès profonde, traduisant un sentimentd’appartenance de classe.

A l’époque déjà, les prémices de la phasede la crise sociale, économique, démo-cratique, politique, que nous vivonsaujourd’hui le confirmait. C’en est lefond. On a réveillé des réflexes d’appar-tenance de classe. En 2005, des villescomme Le Havre ou ma commune ontété à la tête, chacune dans sa strate, duvote NON contre le traité constitution-nel européen. À la fois dans sa dimen-sion du rejet du traité, l’exposé d’uneautre politique de l’Europe, comme danssa dimension protestataire dans la situa-tion faite aux gens à cette période. Lesluttes et le rassemblement dans lesluttes, dans la région havraise, ont étéd’une puissance inégalée, inédite. Ce futle cas contre la réforme des retraites,pour la défense des activités portuaires,dans l’automobile, dans le raffinage etla pétrochimie...N’est-ce pas la démonstration d’un réveilde la conscience de classe et d’un regainde combativité, dans une crise qui s’ap-profondit ? Il apparaît qu’il ne s’agit passeulement de lutter pour garantir lesacquis sociaux, pour contrer le systèmecapitaliste, mais qu’il existe une réelleaspiration au changement, à une autresociété. Ce combat que nous menonsau plan national ne s’arrête pas à nosfrontières. Nous le poursuivons au planinternational, auprès des peuples enlutte, pour un autre monde. C’est aussilà être « utile ». Et pour clore mon propos, je constateque le lien entre les élus communistesque nous sommes avec ce développe-ment du mouvement social en est d’ail-leurs ressorti renforcé, car il est « utile »dans le moment que nous vivons, ainsique pour construire une perspectiveconcrète de changement. Comme quoile terme « utile » peut recouvrir de nou-velles ambitions populaires. n

*Jean-Paul Lecoq est député communiste deSeine-Maritime.

La diversité dans le peuple de gauche, même si elleest marquée et masquée pendant

un temps par le vote utile, est une réalité très profonde,

traduisant un sentimentd’appartenance de classe

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PAR GUILLAUME ROYER*

Q u’est-ce qu’une démocratie où l’onn’aurait le choix qu’entre deux can-didats ? Pas beaucoup mieux qu’un

système à parti unique, diront certains,peut-être avec raison…Alors que les indignés d’Espagne s’étaientmanifestés avant l’été au cri rassembleurde Democracia real ya ! [Une vrai démo-cratie maintenant !], tout semble, dansleur pays comme dans le nôtre, concou-rir en permanence au contraire : laFrance est-elle condamnée à dériver versun système électoral à l’américaine ? Onen a perçu les prémices dès la fin de l’étélors de l’organisation des primaires duPS. Plutôt que d’être un parti indépen-dant, dont les militants seraient libres dechoisir la ligne politique et le programmed’action, le PS a choisi de s’abandonnerà la démocratie des instituts de sondagespour se présenter comme « la gauche »,comme s’il n’y en avait qu’une, commesi les autres partis de gauche n’étaientpas eux aussi une partie de « la gauche», cette gauche dont on se demande par-fois si le PS tient encore un moyen de ladéfinir autrement que par une étiquetteauto-accolée qui se voudrait performa-tive…

UNE ÉLECTION À QUATRE TOURSPuisqu’il fallait élire à l’automne dernierle candidat de « la gauche » à la prési-dentielle, nous étions donc en présenced’une élection à quatre tours. FrançoisHollande était dès le départ déclaréfavori. Il ne lui avait d’ailleurs pas fallubien longtemps pour l’être après ledépart forcé de Dominique Strauss-Kahn. Mais François Hollande était aussidéclaré favori par les instituts de son-dages dans un deuxième tour face àNicolas Sarkozy. Parce qu’il était déclaréfavori à la présidentielle, il a gagné la pri-maire. Et parce qu’il allait gagner la pré-sidentielle, il était déclaré favori à la pri-maire. On tourne en rond.Ainsi l’argument principal du voteHollande aux primaires socialistes a étéque lui seul pouvait faire « gagner lagauche ». Mais à aucun moment la ques-tion de « quelle gauche » n’a été vraiment

creusée sauf à travers une oppositioncosmétique « gauche dure » – « gauchemolle », si bien relayée par les journa-listes que l’on a jamais vraiment su quelsétaient les fondements programmatiquesde cette distinction. Car il faut bien ledire : ce à quoi nous avons assisté n’estrien d’autre qu’un phénomène de voteutile dès le premier tour d’une électionà quatre tours, c’est à dire à un formida-ble recul de ce qui devrait être le fonde-ment de toute démocratie qui voudraitun tant soi peu mériter son nom : le débatd’idées.Cette question du vote utile se reposebien entendu à l’approche du premiertour de l’élection présidentielle, plus oumoins dans les mêmes termes. La placedes instituts de sondages dans le pro-blème est toujours centrale. En effet, sanssondages, il n’y a plus aucune justifica-tion au vote utile. Car ce qui le justifie-rait, dans la bouche de la majorité deceux qui s’apprêtent à y céder, c’est biensûr le danger d’un second « 21 avril ». Sinous pouvons d’ores et déjà les rassureren leur rappelant que l’élection a cetteannée lieu le 22, il est tout de même deuxpoints plus sérieux sur lesquels nouspouvons nous attarder.

LA POLITIQUE SPECTACLELe premier consiste en une critique dece système politique dans lequel nousvivons aujourd’hui, et que l’on pourraitqualifier de « démocratie sondagière ».

Dans cette mise en scène qu’est la poli-tique-spectacle (qui se traduit par exem-ple dans les génériques des émissionspolitiques, qui ressemblent de plus enplus à ceux des tournois sportifs) on voitdes journalistes qui, dans les questionsqu’ils posent aux candidats, s’intéressentplus aux stratégies de campagne qu’à

VOTE (F)UTILE ET DÉMOCRATIE SONDAGIÈREDéfiant la politique spectacle, regardée par le petit bout de la lor-gnette des sondages, les électeurs de gauche en votant pour lecandidat qui représente leurs idées marqueront la volonté d’uneréelle alternative.

leur contenu même. Chacun prend ouperd des points, est dans un état de grâce,ou au contraire subit un retour de bâton,et tous ces discours ont un effet perfor-matif incroyable : il a suffi qu’on arrêtequelques semaines de crier dans tous lesmédia que les ouvriers étaient voués au« lepénisme », pour qu’alors que le thèmen’était plus évoqué, un sondage sortedébut mars qui vienne prouver lecontraire… Ainsi, plutôt que de regarderla politique par le petit bout de la lor-gnette des sondages, on pourra considé-rer qu’il est plus intéressant de s’intéres-ser aux programmes, aux propositions(et de comprendre leur sens), bref d’al-ler s’éduquer en allant chercher, chezchacun des partis, les arguments à lasource. On s’apercevra bien sûr au pas-sage, et c’est une bonne chose, que cer-tains n’en ont pas de sérieux, puisqu’ilsse satisfont de cette politique-spectacle.

Le FN, de madame Le Pen, est le premierd’entre eux, qui n’entre dans les maisonsque par la télévision. On se rappelleraenfin, si cela peut faire réfléchir, que lesTunisiens, lors de l’élection de leurassemblée constituante en octobre 2011,ont eu cette bonne idée d’interdire lessondages… Au passage, les programmesd’Éva Joly pour EELV, et de FrançoisHollande pour le PS sont disponibles enligne. Celui du Front de gauche et deJean-Luc Mélenchon déjà vendu à300 000 exemplaires, est en vente enlibrairie. Les sites du NPA et de LO, et desautres partis précédemment cités regor-gent de ressources et de communiquésde presse exprimant les positions despartis.Le deuxième point, c’est pour ceux quele premier n’a pas convaincu. À quoi sertMadame Le Pen ? Dans le contexteactuel, un de ses rôles principaux est jus-tement de faire peur : son existence enarrange beaucoup, car elle est en cela laclé de voûte du système « bipartidaire ».Sans elle, pas de vote utile. Sans elle, cha-cun des partis de gauche serait devantses responsabilités quant au programme

Le PS a choisi de s’abandonner à la démocratie des

instituts de sondages pour seprésenter comme « la gauche »,comme s’il n’y en avait qu’une,comme si les autres partis de

gauche n’étaient pas eux aussi unepartie de « la gauche »

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Nul ne pourra reprocher aux électeurs de gauched’avoir voté selon leur conviction

plutôt que pour un candidat qui ne représente pas

leurs idées

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LA REVUE DU PROJET - AVRIL 2012

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LE DOSSIER Le vote utile ? le vote utile !

SUITE DE LA PAGE 17 > qu’il présente aux électeurs : aucun ne

serait en position de se prétendre plusreprésentant de la gauche que les autres,car c’est le premier tour de l’élection quijouerait le rôle d’une vraie primaire àgauche. Alors qu’en est-il aujourd’hui ?Eh bien, si on accepte d’en croire les son-dages, c’est l’évidence même… SiMadame Le Pen peut bien prendre laplace d’un des deux désignés d’avanceau second tour, c’est bien celle du can-didat de droite, et non de gauche ! Et c’estd’ailleurs bien naturel puisque les nou-veaux électeurs FN sont majoritairementd’anciens votants UMP écœurés par cinqans de sarkozisme… Le vrai vote utile,face au FN, c’est Sarkozy !

UN VÉRITABLE DÉBAT D’IDÉESAujourd’hui il est encore temps de faireen sorte que le débat d’idées reprenneen considérant toutes les voix de gauchecomme légitimes, et que le peuple puissetrancher au sein des élections pour savoirquelle gauche il souhaite pour le repré-senter. Des percées comme celles duFront de gauche, pour ne pas les citer,qui rassemble les plus gros meetings dela campagne, montrent qu’il n’est pasévident pour tous de se rallier à « lagauche » personnifiée par le candidatHollande. Comme à leur habitude, lessondages, parce que c’est l’essencemême d’un système fondé sur eux, ontfavorisé le candidat le plus centriste, carchacun fait son choix au moins en par-tie en fonction du choix qu’il croit êtrecelui des autres. Mais quand viendra letemps du vote, il n’est pas sûr qu’il seraréellement le plus apte à rassemblertoute la gauche… Et ce ne seront pas lesélecteurs qui seront responsables : nulne pourra reprocher aux électeurs degauche d’avoir voté selon leur convic-tion plutôt que pour un candidat qui nereprésente pas leurs idées. Surtout cetteannée où, étant donné le nombre de can-didats à gauche, en cas de gros scoresd’autres formations de gauche, il nes’agira pas d’une « dispersion » mais biendu marqueur de la volonté d’une réellealternative, d’une « autre gauche » ! n

*Guillaume Royer est étudiant en premièresupérieure au lycée Lakanal (Sceaux).Texte paru dans L’herbe et le clou, mars 2012,publié avec l’autorisation de l’auteur.

PAR MARION GUENOT*

Les étudiants communistes de magénération ont fait leurs armes pen-dant le mouvement contre le CPE

en 2006, qui se caractérise par un mou-vement étudiant d'ampleur, massif, etdéterminé. Face à cela, le gouvernementse bornait à refuser ce qu'il désignaitcomme étant « la dictature de la rue »,à considérer nos manifestations commeun coup de force face à une majoritésilencieuse qui, bien évidemment,approuvait la réforme : « J'entends ceuxqui manifestent, mais j'entends surtoutceux qui ne manifestent pas » clamaitalors de Villepin. Au quotidien, les étu-diants s'entendaient dire, par les forcespolitiques de droite ou leurs relaismédiatiques : « les enfants, bloquer l'en-trée de son université, ce n'est pas ça ladémocratie. La démocratie, c'est voterpour un président de la République, enespérant qu'il ait la possibilité d'appli-quer ce que vous appelez de vos vœux. »La formidable mobilisation des jeunesa eu raison de ces discours et de ce sys-tème qui ne laissait alors aucune placeà l'expression populaire.

L’UNIVERSITÉ, LIEU DE CITOYENNETÉ :OÙ EN EST-ON ?Lorsque Nicolas Sarkozy a été élu, il s'estattaqué en premier lieu aux universités,avec un double objectif : celui de met-tre les universités au service du patro-nat, mais aussi de mettre durablementà terre le mouvement étudiant, et detuer son pouvoir historique de sensibi-lisation de l'opinion publique et decontagion des autres franges du mou-vement social. Être étudiant grévisteétait tout d'un coup devenu l'affaire desgroupuscules extrémistes et donc pas-sible de sanction. Autrefois joyau de lacouronne du mouvement social fran-çais, le mouvement étudiant a été stig-matisé comme étant l'apanage de pri-vilégiés, et donc devenu profondémentimpopulaire. La deuxième vague deréformes sur le statut des enseignants-chercheurs est venue renforcer cettedynamique de casse de l'universitécomme lieu de citoyenneté où se pense

la société. Les luttes pour l'indépen-dance de l'Algérie, contre la guerre enIrak, contre les réformes des retraitesne sont plus qu'un souvenir, et nos uni-versités des lieux de consommation decours.

C'est donc dans un contexte où l'on res-treint l'expression politique et syndicale,où l'on saisit comme prétexte la faibleparticipation aux élections étudiantes,où, en clair, Valérie Pécresse veut « répa-rer les dégâts de mai 68 » que les logiquesde « vote utile » prennent toute leurampleur. Dans une situation de préca-rité sans précédent, l'évolution descontenus de formation conditionne ledésintérêt des étudiants pour la poli-tique. On ne pouvait donner de terreauplus fertile à l'idée selon laquelle : « peuimporte le candidat et le programmequ'il porte, il faut avant tout faire bar-rage à l'extrême-droite ». Dans chacunede nos initiatives militantes, de la grèvedes loyers dans les résidences universi-taires de Lille aux difficultés rencontréespendant la mobilisation contre laréforme des retraites, en passant par nosdiscussions avec les étudiants, nousvoyons que les logiques de vote utile,l'hyperprésidentialisation, l'abstentiondes jeunes, prennent leurs racines dansla même politique : la casse de tous lesespaces de débats. Privés de la moindrepossibilité d'avoir une prise sur les poli-tiques en cours ni même sur leur propreavenir, les jeunes et étudiants nourris-sent une grande défiance vis-à-vis de lapolitique. Le « vote utile » est la cerised'un gâteau composé du découragementde la jeunesse exploitée à se faire enten-dre, et de l'arrogance des principaux can-didats qui s'en revendiquent pour fairel'économie de nous écouter.

DERRIÈRE LE VOTE UTILE, LE RENONCE-MENT À L'EXERCICE DE LA DÉMOCRATIEPour combattre les logiques de vote utile chez les étudiants, repre-nons le pouvoir sur nos universités !

Les logiques de vote utile,l'hyperprésidentialisation,

l'abstention des jeunes, prennentleurs racines dans la même

politique : la casse de tous lesespaces de débats

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AVRIL 2012 - LA REVUE DU PROJET

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FACE AU VOTE UTILE, DES ARMESUTILES : NOS ORGANISATIONSPour arracher véritablement les étu-diants à l'influence néfaste du « voteutile » donc, il ne suffit pas de leurdemander de se ranger derrière un can-didat plus petit aux idées meilleures !Nous avons pris le parti de combattrece mal à la racine, en combattant pied-à-pied la dépolitisation du milieu étu-diant. Au mois de septembre, nousavons lancé notre campagne pour lanationalisation du logement étudiant.Cette campagne qui pose la nécessitéde sortir ce besoin fondamental deslogiques de marché, qui met le pouvoirétudiant sur le contrôle des loyers aucœur de la réponse à nos besoins fon-damentaux, qui a été élaborée collecti-vement avec tous les étudiants etacteurs qui le souhaitaient, nous a per-mis de taper juste dès la rentrée univer-sitaire. Il ne nous a fallu que quelquessemaines pour recueillir plus de 20 000signatures, des milliers d'étudiants serassemblant en comité de résidence,organisant des actions coup de poingdevant les CROUS et les agences de loca-tion privées sous le mot d'ordre « Ni pré-carité, Ni charité, des logements pourétudier ! » Quelques semaines plus tard,nous subissions le défaut de paiement

des bourses, plongeant les étudiantsdans une catastrophe sanitaire et socialed'ampleur, allant jusqu'à provoquer dessuicides. Une fois encore, les étudiantsse sont saisis des comités de résidencepour lutter, et exiger que justice soitfaite. « Ma bourse attendra ? Le paie-ment de mon loyer aussi ! » disaient lesétudiants mobilisés de Toulouse etBordeaux, « Pas de bourse : Pas de ticketCROUS ! » clamaient les étudiants lillois,organisant des actions resto U gratuit .Nous avons ainsi poussé les étudiantsà s'exprimer par eux-mêmes, à entreren lutte pour affirmer qu'ils sont plei-nement légitimes pour définir leursbesoins et la manière d'y répondre. C'estainsi que les députés du Parti commu-niste et du Parti de Gauche ont réponduà notre appel avec leur projet de loicadre sur la jeunesse, où figurent lesrevendications du semestre dernier,pour de vraies qualifications, pour l'ac-cès à la santé, pour la nationalisationdu logement étudiant, pour le droit autravail, aux transports. Le gouvernementnous impose la précarité, les étudiantsrépondent : sécurité d'accès à la forma-tion, assez d'être de la chair à patron,assez de profits sur notre dos ! Si la campagne du Front de gauche ren-contre un fort succès chez les étudiants,

c'est qu'elle permet de poursuivre cecombat. Nous avons pu nous en empa-rer pleinement pour nous faire enten-dre plus fort, loin de nous ranger der-rière un homme providentiel. Lesmobilisations sur le logement étudiantse poursuivent en lien avec la cam-pagne, et dans le cadre de la semainede la pensée marxiste, nous avons puorganiser des débats avec des intellec-tuels et enseignants-chercheurs sur toutle territoire, d'Yvon Quiniou à JeanSalem, en passant par Ivan Lavallée etPatrick Tort. Pour combattre leslogiques de casse de l'enseignementsupérieur en tant que lieu de vie et d'es-prit critique, nous n'attendons pas demiracle, et poussons les étudiants à agirpar eux-mêmes sur le cours des choses.C'est au fil de la réussite de ces initia-tives que les étudiants ont la démons-tration concrète que la messe n'est pasdite, et que l'avenir nous appartientpleinement. Bien au delà des élections,notre milieu a envie d'en découdre, ila besoin de repartir à la conquêtesociale. De la rue aux urnes, et des urnesà la rue, à la rentrée c'est décidé, onreprend le pouvoir ! n

*Marion Guenot est secrétaire nationale del’union des étudiants communistes.

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T «Tu peux tout accomplir dans la vie si tu as le courage de le rêver, l’intelligence d’en faire un projet

Par GÉRARD STREIFF

toutes les caisses de pension du pays, ouencore plus que le PIB helvétique. Et puisl'étude présente l'intérêt tout particulierde dévoiler les noms de 44 Françaismembres du « club », 44 exilés de hautvol, c'est le cas de l'écrire, qui fuient ainsile fisc et pèsent 30 milliards d'euros.Voici leurs noms en fonction de leur for-tune estimée (et présentée de manièredécroissante) :

FORTUNE ÉVALUÉE...l entre 3,2 et 4 milliards d'eurosFamille Wertheimer (Chanel...) ; FamilleCastel (Thonon, Saint-Yorre, VichyCélestin, 33 export...).l entre 1,6 et 2,5 milliards d'eurosFamille Primat (Schlumberger Limited) ;Benjamin de Rothschild (Groupe finan-cier Edmond de Rothschild).l entre 1,2 et 1,6 milliards d'eurosFamille Peugeot (Groupe PSA) ; FamilleLescure (Seb, Tefal, Rowenta, Krups,Moulinex, Calor...) ; Famille Bich (GroupeBic) ; Famille Mimran (Compagniesucrière sénégalaise).l entre 815 et 1,2 milliards d'eurosHéritiers Louis-Dreyfus (Groupe Louis-Dreyfus, Olympique de Marseille) ;Claude Berda (Fondateur du groupe ABProd) ; Paul-Georges Despature(Damart...) ; Famille Murray ; NicolasPuech (Hermès).l entre 650 et 730 millions d'eurosFamilles Defforey et Fournier(Carrefour).

l entre 400 et 490 millions d'eurosFamille Zorbide (Lancel) ; Roger Zannier(Z, Kenzo, Kookaï, Oxbow, Chipie...).l entre 325 et 400 millions d'eurosFamille Lejeune (Seita...) ; Philippe Jabre(Jabre Capital Partners) ; Famille Harari ;Famille Taittinger (Champagne).l entre 245 et 325 millions d'eurosAlexandra Pereyre de Nonancourt(Champagne Laurent Perrier) ; DenisDumont (Enseigne Grand Frais) ; MichelLacoste (Vêtements Lacoste) ; GeorgesCohen (Groupe Sogeti).l entre 165 et 245 millions d'eurosNicole Bru-Magniez (Laboratoire Upsa) ;Michel Reybier (Cochonou, Aoste, JustinBridou...) ; Alain Duménil (AcantheDéveloppement) ; Bruno Moineville(Réseaux cablés de France) ; AntoineZacharias (Vinci) ; Hugues de Montfalconde Flaxieu (Maxiris) ; Christian Picart(Buffalo Grill) ; Jean Pigozzi (Simca) ;Michèle Bleustein-Blanchet (Publicis) ;Thierry Roussel.l entre 80 et 165 millions d'eurosDaniel Hechter ( Hechter) ; PhilippeHersant (Groupe Hersant presse) ; PaulDubrule (Accor) ; Jean-Louis David(Coiffure) ; Maurice et David Giraud(Pierre et Vacances) ; Eric Guerlain(Groupe Christian Dior) ; Famille Ducros (Ducros) ; Jérôme de Witt (Horlogerie DeWitt) ; Dominique Frémont (Mauboussin).

Il y a donc là des noms connus (Peugeot,Benjamin de Rothschild, Taittinger,

À quelques semaines de la présidentielle, une rengaine est de retour : lesfortunés veulent se tirer en Suisse. Rien de nouveau sous le soleil. Depuis1981, au moins, on connaît la chanson. C'est vrai que pour les cossus, laSuisse est parfaite, on y est imposé sur son train de vie (logements, habil-lement, yacht, avions, limousines...) et non sur sa fortune. Les exilés fran-çais dans les cantons de Genève, de Vaud, du Valais ou de Zurich sontnombreux et discrets. Mais on les connaît tout de même un peu.

n parle de 2 000 Français exi-lés fiscaux en Suisse. Bercy ne déploieguère d'efforts pour les débusquermême si l'administration évalue entre60 et 80 milliards d'euros les sommesque ces fuyards cachent chez lesHelvètes. Les banques suisses de leurcôté ne sont guère causantes. Et puis lesmilliardaires savent multiplier les socié-tés écrans, trusts ou fondations quiempêchent – en principe – de connaîtreles véritables bénéficiaires des comptes.Toutefois, il existe là bas des journalistesqui font leur métier. C'est le cas de larédaction de la revue économiqueromande Bilan (et de son homologue enlangue alémanique Bilanz) : elle a récem-ment publié la liste des « 300 plus richesde Suisse ». Cette recherche de transpa-rence, la revue la justifie ainsi : « Dans ledomaine politique, les puissants sonttoujours dépendants d'une légitimationpopulaire. Pas de ça en économie où lepropriétaire ne doit affronter aucun votepopulaire. » Un vrai travail d'investiga-tion, donc, où les deux journaux ontmobilisé pendant trois mois une tren-taine de journalistes. L'enquête et sesrévélations ont fait du bruit.

On retiendra que ces 300 superriches,de toutes nationalités, sont toujours plusriches, une fortune en progression de13% sur un an ; ils disposent au total de420 milliards de francs suisses (un francsuisse = 0,8 euro), soit l'équivalent de

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Évasion fiscale : la liste

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réaliste, et la volonté de voir ce projet mené à bien.» Sidney A. Friedman, économiste américain

Daniel Hechter, Eric Guerlain) et desnoms plus mystérieux mais on retiendraque tous, ou presque, sont à la tête degrands groupes de l'hexagone. Onretrouve là une caractéristique souli-gnée dans un reportage du journal LeMonde, intitulé « Au secours, la gaucherevient ! » (7/02/12, voir extraits ci-des-sous) : « Les contribuables qui se déloca-lisent sont des entrepreneurs qui dispo-sent à la fois de capitaux et d'expérienceplutôt que des retraités ». La liste four-nie par la revue Bilan confirme que cesexilés français ne sont pas tant des ren-tiers, des chenus en fin de parcours qued'actifs managers qui prospèrent sur lasurexploitation : PSA/Simca qui sup-prime 6 000 postes en Europe ;Carrefour qui dérégule le travail ; Vinciqui comprime les salaires ; Publicis quiorganise un référendum interne pourdiminuer les salaires des employés ;Hersant, le papivore, qui fait pression surles rédactions ; Accor où les syndicatsont l'habitude de dire que dans cettesociété « les salaires des employés sontles oubliés de la croissance ». C'est biencette pression salariale constante, cevéritable étouffement du salaire ici qui,dans un effet de vases communicants,alimente les coffres là-bas.

Propos d'évidence, dira-t-on. Pas du toutsûr. Le rapport de l'un à l'autre est rare-ment fait spontanément. Par exemple : lesite web de RMC, Radio Monte Carlo, a

ouvert, cet hiver, un forum précisémentsur ce sujet des 44 exilés richissimes(http://www.rmc.fr/editorial/205355/les-44-francais-les-plus-riche...) ; le débatsuscité a été interminable, des centaineset des centaines de réactions, totalementpassionnelles, et exclusivement denature morale. Ou bien l'internautedisait : « Et alors ? Ils en profitent ? Ils ontraison ; si on était à leur place... », uneréaction largement majoritaire, bien dansl'air du temps libéral du chacun pour soi ;ou bien une colère qui tourne sur elle-même : « Ce sont des traîtres, ils ne sontplus Français. » Aucune interrogation surle processus d'enrichissement, sur l'ex-ploitation, sur l'inégalité comme formenaturelle du capitalisme. C'est peut-êtrenormal dans ce genre de forums, lieuxd'échanges impulsifs, sans médiateur, etpartiellement ludiques ou polémiques ;mais c'est aussi, en partie, un signe dudésarroi ambiant face à la crise et sesaberrations, une marque de la confusiondes esprits face à l'enfumage ambiant.Dans ces disputes, personne ne fait lerapport capital / travail ! On retiendra unmessage, un peu plus malicieux que d'au-tres, disant « Je ne comprends pas ! Avectout cet argent qui part en Suisse, dansles banques suisses, comment Petroplus(basé à Zoug, Suisse, NDR), ne peut-il pastrouver l'argent nécessaire pour ses raffi-neries et permettre aux ouvriers decontinuer à travailler ? Quelqu'un peut-ilm'expliquer ? » n

des quarante-quatre

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L'AVOCAT-PASSEUR«  L'avocat vaudois Philippe Kenel,star en la matière, avoue avoir aidéune trentaine de Français à passer lafrontière en 2011. L'année 2012 s'an-nonce exceptionnelle. Pour le seulmois de janvier, il a monté le dossierde dix personnes, des Français dontla fortune dépasse les 10 millionsd'euros et “qui comprennent bienque l'État français a besoin d'argent,et qu'on ne les laissera pas tran-quilles, quel que soit le vainqueur àl'élection présidentielle”. A Genèveet ailleurs, le business de la délocali-sation, également porté par lescraintes suscitées par la crise de lazone euro, se porte à merveille.Comme Maître Kenel, des bataillonsd'avocats, de conseillers fiscaux etde banquiers s'activent depuisquelques mois pour satisfaire lesinterrogations et les besoins deFrançais fortunés qui veulent sauterle pas avant la présidentielle.“Beaucoup n'ont pas encore pris ladécision finale mais ils ont déjà surleur table de nuit le dossier consti-tué” témoigne le responsable d'unfamily office (gestionnaire de patri-moine familial) qui compte parmi sesclients de très riches industriels.“Nous nous préparons à leur arri-vée, car les vaches à lait maltraitéesfiniront par aller brouter cheznous.”  »(Le Monde, 7/02/12)

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T SONDAGES

Lutte des classes à l'américaine

Page réalisée par GÉRARD STREIFF

DIRIEZ-VOUS QUE LA PRINCIPALE SOURCE DE TENSIONAU SEIN DE LA SOCIÉTÉ EST DUE AUX CONFLITS (FORTSOU TRÈS FORTS) ENTRE RICHES ET PAUVRES ?

LA MÊME QUESTION POSÉE AUX ÉLECTEURSRÉPUBLICAINS :

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Martine Jacot, du Monde, n'en revient pas :les Américains «  estiment que la lutte desclasses est de retour  ». C'est le titre deson papier (29/1/2012) dans le supplé-ment «  Géo & Politique ». En effet uneenquête, réalisée par le Pew ResearchCenter de Washington entre le 6 et le19 décembre 2011 auprès de 2000adultes, indique que pour 66% dessondés, la première cause de tensionsau sein de la société américaine sontdes conflits «  forts ou très forts  »entre riches et pauvres. Si jusqu'ici cessondés mettaient en avant des thèmescomme l'immigration ou le racismecomme principales préoccupations,aujourd'hui c'est la lutte des classesqu'ils pointent du doigt. «  Un curieuxretournement » pour la journaliste, quiestime qu'il faut remonter aux années1920-1930 pour trouver une telle grillede lecture. Les raisons ? L'explosiondes inégalités et l'écho du mouvement«  Occupy Wall Street ».

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LA REVUE DU PROJET - AVRIL 2012

LE PROGR A MME DU EN DÉBAT

A lors que les plans de rigueur s’abat-tent sur les peuples de toutel’Europe pour payer les marchés

financiers, il y a urgence à sortir du capi-talisme. En effet, au-delà de la dérivefinancière de l’économie, cette crise estdue à la nature même du capitalisme :seuls les actionnaires décident de l’ave-nir d’une entreprise et de la répartitionde sa valeur ajoutée. En cette période cri-tique, la responsabilité historique duFront de gauche est plus que jamais desortir de cette exploitation fondatrice ducapitalisme. Il s’agit aujourd’hui dereprendre le flambeau des grandesréformes de la propriété, comme l’ontété l’abolition des privilèges féodaux en1789 ou les nationalisations en 1945.

LES PRINCIPESAu cours des vingt-cinq dernières années,195 milliards (10 points du PIB) sont pas-sés des salaires à la rémunération du capi-tal. Cet excès de richesse dans très peude mains a été en grande partie investidans la spéculation qui nous mèneaujourd’hui au désastre. C’est l’aboutis-sement logique du capitalisme : le capi-tal s’accumule indéfiniment en extor-quant la plus-value sur les salariés. Lesactionnaires tout puissants imposent dessalaires de plus en plus bas pour que larépartition de la valeur ajoutée se fasseencore davantage à leur profit. La richessecréée par les salariés leur est ainsi confis-quée pour rémunérer le capital et pour

financer des moyens de production dontils ne peuvent être propriétaires.

Le but de la proposition de copropriétédes entreprises est de rompre définitive-ment avec l’accumulation du capital auseul profit de quelques-uns, en permet-tant aux salariés d’être copropriétairesde l’entreprise dans laquelle ils travail-lent. Dans le système actuel, chaqueannée les fonds propres de l’entrepriseaugmentent par incorporation des béné-fices non distribués en dividendes. C’estle mécanisme d’accumulation, où la tota-lité du capital accumulé appartient auxactionnaires, alors que cette accumula-tion est le résultat combiné du capital etdu travail.

La nationalisation est une des alterna-tives à cette propriété capitaliste. Maispas la seule. Nous proposons en effet queles actionnaires ne soient plus les seulspropriétaires de l’entreprise : les salariésdétiendraient également des titres de pro-priété. La part du bénéfice incorporé dansles fonds propres de l’entreprise chaque

année serait donc partagée entre lesactionnaires et les salariés. Ces titres,appelés actions de travail, ne donneraientpas droit à dividende. Car notre objectifest la substitution progressive des capi-taux rémunérés par des capitaux nonrémunérés, à l’image du paysan proprié-taire de sa terre qui vit de son travail sansverser de rente. Cette réappropriation del’entreprise et du pouvoir économiquepar les travailleurs est indispensable poursortir du salariat, obstacle historique àl’émancipation des travailleurs commele furent l’esclavage et le servage autre-fois.

Une première étape a été franchie danscette logique en 1945 lors de la créationde la Sécurité sociale, financée par répar-tition et non par capitalisation. Notre butest de franchir un pas de plus en mettantfin à la rémunération du capital et doncà son accumulation. Ce pas de plus, dansla lignée de Marx et de Jaurès, nous feraitsortir du capitalisme en quelques décen-nies.

LA MISE EN ŒUVRE DE LA COPROPRIÉTÉ L’augmentation des fonds propres étantle résultat combiné du capital et du tra-vail, nous proposons qu’elle appartienneau capital et au travail selon leur contri-bution respective. Celle-ci peut se mesu-rer au prorata des facteurs de produc-tion : le capital consommé dans laproduction (les amortissements), et le

Pour une copropriété des entreprises Nous soumettons à la réflexion collective une réforme de la propriété des entreprises, la finalité étant l’abolition duprivilège-clef du capitalisme qui octroie au capital seul la totalité des moyens de production, alors qu’ils sont lerésultat de la combinaison productive du capital et du travail.

PAR GUILLAUME ETIEVANT, PIERRE NICOLAS, PIERRE LAFOURCADE*

Quand le prolétariat socialiste aura été porté au pouvoir par les événements,par une crise de l’histoire, il ne commettra pas la faute des révolutionnaires de

1848 : il réalisera d’emblée la grande réforme sociale de la propriété . “ ”JEAN JAURÈS, SOCIALISME ET LIBERTÉ, 1898.

M. Mittal ne peut pas produire d’acier sans nous. Mais, nous, nous pouvons produire de l’acier sans M. Mittal. “ ”SYNDICALISTE DE FLORANGE, ARCELOR-MITTAL, 2011.

La part du bénéfice incorporé dans les fonds propres

de l’entreprise chaque année seraitdonc partagée entre les

actionnaires et les salariés.

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travail consommé dans la production (lesfrais de personnel). Puisque dans la tota-lité des entreprises la masse salarialereprésente plus de 50% de la valeur ajou-tée, plus de la moitié de l’augmentationdes fonds propres par autofinancementsera attribuée aux salariés chaque année.Si les pouvoirs publics (l’État et –ou – lescollectivités territoriales) n'investissentpas dans l'entreprise, si les actionnairesne sont que des rentiers, les travailleursdeviendront progressivement majori-taires. À l'inverse, si l’État investit dansun secteur stratégique, par exemplel’énergie, les entreprises resteront souscontrôle public. Il s’agit d’un choix dupouvoir politique qui détermine les sec-teurs stratégiques pour l’intérêt général.Nous aboutirons ainsi progressivementà l’abolition du salariat et son remplace-ment par les travailleurs associés, c’est àdire une transition du capitalisme ausocialisme tel que défini par Karl Marx.

LES IMPACTS SUR L’EMPLOI ET LESSALAIRESLa copropriété aura un impact immédiatsur l’emploi et les salaires. En effet, lestravailleurs co-détermineront la politiquedes entreprises (politique industrielle,emploi, salaires…) puisqu’ils serontdevenus copropriétaires de leur entre-prise et auront donc les droits de vote auconseil d’administration qui correspon-dront à leur part du capital.

Bien sûr, pour éviter l’émergence de nou-velles formes de domination, les syndi-cats et les CE conserveront leur rôle dereprésentation et de défense des « tra-vailleurs associés » vis-à-vis de leur direc-tion, fût-elle élue par eux. Et si un groupemultinational veut fermer un site enFrance, il devra restituer aux travailleursde la filiale, comme aux pouvoirs publicset collectivités locales qui ont apportédes fonds, leur quote-part de la valeur deliquidation des bâtiments, machines,stocks, etc. Et s’il abandonne ses parts,le site appartiendra mécaniquement auxcopropriétaires restant.

À terme, dans les entreprises où les sala-riés seront devenus progressivement pro-priétaires de la totalité du capital, la valeurajoutée ne pourra plus du tout être ver-sée en dividendes puisque les actions de

travail ne seront pas rémunérées. Le par-tage de la valeur ajoutée se fera donc dés-ormais exclusivement entre les investis-sements, les impôts, la réserve légale(obligation imposée par l’État d’utiliserune partie du bénéfice pour renforcer lesfonds propres) et les salaires. Ces der-niers pourront donc considérablementaugmenter et reprendre la courbe ascen-dante qu’ils avaient pendant les trenteglorieuses.

LES PRÉCÉDENTS HISTORIQUES Notre proposition est à la fois crédible,réaliste et issue d’une longue traditionhistorique. Elle se rapproche notammentdes coopératives, issues du socialismeouvrier du XIXe siècle, et de cette mêmeaspiration des travailleurs à maîtriser col-lectivement l’outil de travail. Les scops(société coopérative et participative)emploient aujourd’hui plus de 40 000 per-sonnes en France. Elles s’organisent surle principe une personne/une voix, quelque soit le niveau de capital possédé.Mais contrairement à notre proposition,le capital détenu par les travailleurs y estrémunéré.

Par le passé, plusieurs initiatives impor-tantes sont allées dans ce sens : les gaul-listes du CNR avaient élaboré un projetde copropriété, qui a malheureusementconduit à l’ordonnance de 1959 sur laparticipation : un simple intéressementaux bénéfices exonéré de cotisationssociales, toujours en vigueur aujourd’hui.Plus récemment, la CGT Renault avaitproposé en 2002 l’attribution chaqueannée aux salariés de titres de propriéténon rémunérés et l’acquisition des droitsde vote correspondants au conseil d’ad-ministration.

La copropriété des entreprises, c’est lapoursuite de cette logique. Le rapport deforce politique n’est pas hors de portée.Un des principaux handicaps est peut-être à l’intérieur de la gauche de trans-formation elle-même. Après s’être oppo-sée au courant anarcho-syndicaliste quidonnait la primauté à la conquête dupouvoir économique par les travailleursen occultant la nécessité de la conquêtedu pouvoir politique, la gauche de trans-formation a donné à l’inverse la primautéà la conquête du pouvoir politique audétriment de la conquête du pouvoir éco-nomique « de l’intérieur » des entreprises.Sa stratégie s’est centrée sur la maîtrisepublique du crédit aux entreprises, unefiscalité incitative, une réglementationsociale plus contraignante, c'est-à-diresur l’action sur les entreprises « dudehors » comme disait Jaurès. Aprèsl’échec de la propriété d’État et du com-munisme au XXe siècle, devant la diffi-culté à « nationaliser les multinatio-nales », la question de la propriété, et pluslargement, celle du travail, a progressi-vement perdu de sa centralité dans lagauche de transformation à partir de lafin du XXe siècle. Ce mouvement peutaujourd’hui s’inverser.

*Guillaume Etievant est expert auprès descomités d’entreprise et président de lacommission Économie du Parti de Gauche.

*Pierre Nicolas est ingénieur de recherche,ancien responsable syndical chez Renault.

*Pierre Lafourcade est un ancien dirigeantd'une grande entreprise, membre de lacommission Économie du Parti de Gauche.

Remerciements : nous tenons à remerciertout particulièrement pour leurs contribu-tions à cette proposition la CGT Renault etson responsable lors des élections CA de2002, Philippe Martinez, la section du PCFde Renault Technocentre et son secrétaireAlain Tailleur, Daniel Bachet, sociologue, lacommission Économie du PG qui a adopté leprincipe de cette proposition, et le comitéPG du 92 sud pour ses critiques construc-tives.

Si un groupe multinational

veut fermer un site en France, ildevra restituer aux travailleurs de

la filiale, comme aux pouvoirspublics et collectivités locales quiont apporté des fonds, leur quote-

part de la valeur de liquidation desbâtiments, machines,

stocks, etc.

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Une proposition etune démarcheinventives pouraider les salariésdes PME-PMI.Mais aussi, unepréoccupationmondiale, l'accès àl'eau pour tous...

ù NOTESÉCONOMIE SOCIALE ET SOLIDAIRE

UN DROIT DE PRÉEMPTIONPOUR LES SALARIÉS ENCAS DE CESSION DE LEURENTREPRISE Une initiative de démocratie partici-pative au service du maintien et dela création d’emplois à laquelle sesont associés le Pcf et le Front degauche

En 2007 sortait le Guide de l’économieéquitable publié par la FondationGabriel Péri. Parmi les auteurs,

Daniel Arnaudin, directeur de l’Unionrégionale des SCOP (à l’époque, Sociétéscoopératives ouvrières de productiond’Île-de-France, aujourd’hui sociétés coo-pératives participatives), soumettait l’idéede créer par la loi un droit de préemptiondes salariés pour racheter leurs entre-prises et en faire une coopérative.

UN PROJET DE PROPOSITION DE LOICette idée, Ap2E, Agir pour une écono-mie équitable a voulu aider à la transfor-mer en une réalité concrète, par la rédac-tion d’un projet de proposition de loi. C’est urgent : dans la décennie qui vient,30% des entreprises PMI-PME change-ront de propriétaire. Les patrons de700 000 d’entre elles partiront en retraite,le sort de 3 millions de salariés est en jeu.Que vont devenir ces entreprises ? Seront-elles absorbées par de grandes entreprisesmultinationales ? Seront-elles reprisespar les enfants du propriétaire de l’en-treprise ? C’est le cas de 9% des PME-PMIvendues. Seront-elles fermées ? La

conjoncture de crise et de chômage lefait craindre. La transformation récente d’HélioCorbeil en coopérative de production,– SCOP – montre qu’une telle loi permet-trait aussi aux salariés de devenir descitoyens économiques, responsables dela bonne marche, des orientations et dela gestion des entreprises, en empêchantles délocalisations et les cotations enbourse.C’est une des pistes qui peut modifiertout à la fois le rapport au travail, lesconditions de travail, le rôle de ces entre-prises dans la production de biens et ser-vices utiles.Le projet rédigé par Ap2E est basé notam-ment sur le préambule de la Constitutionde 1946 qui énonce « le droit de travail-ler et le droit d’obtenir un emploi, le droità la participation et à la déterminationcollective des conditions de travail ainsiqu’à la gestion des entreprises », sur lalégislation qui, en cas de vente d’un loge-ment par son propriétaire protège le loca-taire en lui permettant de se porteracquéreur par un droit de préemption.

UNE DÉMARCHE NOUVELLEPour que la loi soit portée à l’ordre dujour du Parlement avec une chance desuccès, nous sommes sortis des sentiersbattus et avons initié une démarchenouvelle : • faire connaître le projet aux parlemen-

taires intéressés aux questions de l’éco-nomie sociale ainsi qu’aux acteurs del’économie sociale, syndicats, associa-tions...

• conduire une campagne d’opinion pourobtenir un soutien le plus large possi-

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LA REVUE DU PROJET - AVRIL 2012

Chaque mois, des secteurs de travail du PCF produisent des analyses,des propositions, des notes. Cette rubrique publie leurs travaux :

2012 A ÉTÉ PROCLAMÉE ANNÉE INTERNATIONALE DES COOPÉRATIVES PAR LES NATIONS-UNIES.A travers cette initiative et dans un contexte où le monde connaît l’une des crisesles plus difficiles de son histoire, la communauté internationale reconnaît l’effica-cité du modèle coopératif, sa pertinence face aux excès du capitalisme et sonapport en termes de pratiques économiques et sociales : gouvernance démocra-tique, partage des décisions, répartition équitable des bénéfices, innovation…Aujourd’hui, plus d’un milliard de personnes sont membres de coopératives àtravers le monde.En Europe, l’Italie, l’Espagne et la France sont les premiers pays en nombre d’en-treprises coopératives : 41 552 coopératives en Italie, 24 276 en Espagne et21 000 en France... La France, avec 23 millions de membres, est le pays européen qui compte le plusgrand nombre de coopérateurs. (source : www.les-scop.coop/sites/fr/)

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ble et une participation citoyenne activeà la rédaction du projet ;

• nous avons fait se rencontrer des acteursde l’économie sociale, des partis poli-tiques, élus territoriaux, syndicats, asso-ciations, administrateurs judiciaires,professionnels de la cession d’entre-prise, syndicats de salariés et d’em-ployeurs, universitaires, média spécia-listes de l’ESS, citoyennes et citoyensde la société civile pour examinerensemble le projet, publiquement.

Deux réunions ont permis de recueillir,en toute transparence, les avis d’une cen-taine d’acteurs très divers, d’acter lesconvergences et divergences, de modi-fier et d’améliorer le projet dans le sensde plus de droits pour les salariés, desprécisions sur le financement de cesachats d’entreprises, notamment par l’ap-pel à la solidarité à travers l’utilisation del’épargne salariale. Une rencontre de sala-riés de douze entreprises en lutte, dontcertaines souhaitant reprendre leur entre-prise en SCOP, a conforté la démarche.Le projet ainsi rédigé sera remis à l’en-semble des groupes parlementaires, afinqu’ils le traduisent dans un texte de loi,en toute connaissance des aspirationsdes uns et des autres. n

SYLVIE MAYER

Responsable du secteurÉconomie sociale et solidaire du PCF.

ÉCOLOGIE

L’EAU N’EST PAS UNEMARCHANDISE !Elle est un bien commun de l’huma-nité qui impose une rupture avec leslogiques capitalistes.Du 11 au 17 mars, le droit à l’eau a été aucœur de l’actualité écologique mondiale.Le Forum mondial de l’eau (FME) àMarseille devait être celui des décisions.Il a accouché d’une souris. Le présidentde la République devait l’inaugurer etfaire une annonce majeure. Il a fuit lesujet et a délégué son premier ministre.Ce dernier s’est contenté d’annoncer leversement d’une dotation de 50 millionsd’euros dédiée à l’Afrique. L’État françaiss’est engagé à peu de frais. C’est l’exactmontant qu’il a prélevé aux agences de

l’eau privant ainsi les communes de sub-ventions essentielles à leurs investisse-ments. Le FME est organisé, pour une grandepartie, par des multinationales qui cher-chent à s’approprier l’eau dans le seulbut d’accroître leurs profits. Il a été loinde traiter l’aspiration grandissante à unevéritable gestion publique de l’eau, ici etdans le monde. Cependant, lors desdébats, nombre d’interventions expri-maient cette attente. La vocation desentreprises privées à générer du béné-fice sur une ressource vitale souvent biendifficile à préserver, à prélever ou à assai-nir a été interrogée. Seules de grandesinstitutions de service public comme leSIAAP (syndicat interdépartemental pourl’assainissement de l’agglomération pari-sienne), présidé par Maurice Ouzoulias(PCF), a permis de faire entendre unautre son de cloche répondant ainsi ausouhait de Magali Giovannangeli (PCF)présidente de l’agglomération des paysd’Aubagne de bâtir un lien entre le forumofficiel et le forum alternatif afin « de nepas redouter la confrontation et d’ouvrirdes possibles ».Car les citoyens n’étaient pas conviés auxdébats du forum officiel, pas plus que lessyndicats ou les associations environne-mentales et d’usagers. Tous ceux-là sesont donc retrouvés au Forum alterna-tif mondial de l’eau (FAME) soutenu parle PCF, le PG, la GU et le PGE afin de por-ter ensemble l’exigence de la sortie del’eau du marché. L’ANECR y tenait unstand. Pierre Laurent et Jean-LucMélenchon s’y sont rendus ensembleafin d’apporter leur soutien et porter lespropositions du FdG.La délégation du PCF conduite par Pierre

Laurent a rencontré tous les acteurs, élus,syndicats et citoyens qui agissent pour ledroit à l'eau réaffirmant que l’eau est unbien commun de l'humanité qui imposeune rupture avec les logiques capitalistes. Ouvrir un nouveau champ de solidariténationale par un autre financement del’eau.

Ce n’est plus, en effet, aux seuls usagersde supporter, sur leur facture, le poidsdes investissements à réaliser pouratteindre le bon état écologique de l’eau.La délégation a réaffirmé que seul le ser-vice public peut garantir l’égalité et sonaccès à chacun. Il doit être l'outil de lamise en œuvre d’un tarif unique modulésur l’ensemble du territoire et assurer lapéréquation financière entre les collec-tivités locales qui doivent conserver lacompétence de la gestion de l’eau. Leservice public national de l’eau doit lesaccompagner dans leur gestion publique,permettre la réappropriation des enjeuxde la recherche, du développement dela formation, aujourd’hui détenus par leprivé, et agir pour un contrôle démocra-tique associant les citoyens.

AGIR POUR LA CRÉATION D’UN NOUVEAUDROIT SOCIALIl est en effet urgent de dépasser le sys-tème curatif d’aide à l’impayé et instau-rer un nouveau droit. Il faut asseoir unnouveau financement, instaurer un prin-cipe de solidarité nationale mettant àcontribution les revenus financiers issusde la marchandisation de l’eau. n

HERVÉ BRAMY

Responsable du secteur écologie du PCF.

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AVRIL 2012 - LA REVUE DU PROJET

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Par ALAIN VERMEERSCH

REVUE DES MÉDIA

LA REVUE DU PROJET - AVRIL 2012

En annonçant qu'il comptait taxer à 75 % les plus riches des Français,François Hollande veut défier Nicolas Sarkozy. Mais qu'en est-il enréalité ?

UN EFFET D'ANNONCE ?«  En donnant sciemment un coup debarre à gauche, ce qui ressemble à unsignal donné aux électeurs tentés parla candidature de Jean-Luc Mélenchon.C'est peu dire, en effet, que la propo-sition du candidat PS de taxer les plusriches n'est pas passés inaperçue.  »relève Dominique de Montvallon(France Soir 28/02). Pour le journa-liste, Hollande « poursuit quatre objec-tifs. Sortir d'un registre trop 'sage'.Envoyer un signal à la 'gauche de lagauche'. S'adresser à l'électoratouvrier qui ne croit plus à l'alternanceversion PS. Quatrième cible  : le can-didat Sarkozy, longtemps sous-estimépar l'équipe Hollande, laquelle s'at-tend de sa part à tous les culots.  »Bien entendu, Yves de Kerdrel LeFigaro joue au voltigeur «  LorsqueFrançois Hollande harangue sestroupes en leur assénant que l'Argenta pris le pouvoir, il n'apporte aucunesolution. Il se contente de flatter lesinstincts les plus bas d'un populismequi s'élevait déjà il y a des décenniescontre les Juifs de Francfort, lesgnomes de Zurich ou le Mur del'Argent. Quand Nicolas Sarkozy poseà la fois le problème “des profiteursd'en haut et des profiteurs d'en bas”,c'est-à-dire des abus de l'assistanatcomme des scandales de certainesrémunérations de dirigeants, il sou-lève un dysfonctionnement grave dela société qui peut être réglé et quidoit être réglé. La richesse est évi-demment salutaire, nécessaire et utile.Qui pourrait le nier – à part Jean-LucMélenchon ? » Nicolas Sarkozy n'a t-il pas «  estimé

La polémique gauche-droitesur la taxation des riches

qu'avec la proposition de créer unetranche d'impôt à 75 %, les très richesn'ont aucun intérêt à rester en France. »Elsa Freyssenet (Les Echos 29/02)admet « L'autre inconnue est la façondont cette mesure sera ressentie dansles classes populaires. A priori, la colèreest grande contre l'augmentation desrevenus des grands patrons. MaisNicolas Sarkozy et ses troupes ne ces-sent de dénoncer une folie fiscale, qui,selon lui, isolerait la France. »

LA LEVIER DE BOUCLIER DU GRANDPATRONATMaurice Lévy, le président de l'asso-ciation française des entreprises pri-vées (Afep) «  juge la mesure prônéepar le candidat socialiste parfaitementnégative pour la compétitivité. Uneprise de position d'autant plus cocasseque Maurice Lévy avait signé l'été der-nier, en pleine crise des dettes souve-raines et préparation du premier plande rigueur, un appel public visant àtaxer plus les riches dans une logiquede cohésion sociale, souligne Le Figaro03/03. Pour ce quotidien, «  PourMaurice Lévy, cette proposition deFrançois Hollande ne vise au final qu'àdiviser les Français et à'priver ceux quiréussissent des fruits de leur talent. »Antoine Seillière lui emboîte le pas (LesEchos 29/02) « Cette proposition d'untaux d'imposition à 75 % est ridicule »remarque-t-il avant d'ajouter «  Celaveut dire que la France ne veut pasfaire venir du monde entier des grandstalents du management[...] Les préoc-cupations économiques et morales nesont pas convergentes. La mission d'unconseil d'administration est de faire

réussir l'entreprise pour créer de l'ac-tivité et de l'emploi. De toute façon,pour quelqu'un qui est au SMIC, tousces chiffres n'ont aucun sens. »

UNE PROPOSITION CONTESTÉE«  En somme, ce taux à 75 % a pourfonction de frapper les imaginations,mais ne rendra pas pour autant le sys-tème français des prélèvements plusprogressifs. Il restera même fortementdégressif pour les plus hauts revenus »déplore Laurent Mauduit (Mediapart29/02). « Si on prend en compte l'en-semble des cotisations sociales, desprélèvements de CSG et de l'impôt surle revenu avec un taux supérieur à41 %, on se rend compte que le sys-tème est progressif pour les revenusfaibles et moyens et devient dégres-sif pour les très hauts revenus. Et sion relève le taux marginal de l'impôtsur le revenu à 75 %, sans toucher àl'assiette des prélèvements, commele suggère François Hollande, que sepasse-t-il  ? C'est une fausse réformecar le système des prélèvements obli-gatoires reste toujours dégressif pourles plus hauts revenus. FrançoisHollande a inventé la réforme fiscalecanada dry. » Thomas Piketty constateégalement « Seule l'arme fiscale peutcalmer le jeu et dire qu'on peut êtreun chef d'entreprise compétent etgagner moins d'un million d'euros paran. C'est une étape importante quipermet de sortir de l'idéologie du tou-jours plus.  » Mais, ajoute-t-il «  Celareste insuffisant et imprécis[...]Lestrois quart des revenus financiers nesont pas soumis au barème de l'impôtsur le revenu. L'UMP et le Modem par-

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lent pour leur part de spoliation, d'im-pôt confiscatoire [...]. Les conserva-teurs sont en retard d'une guerre. » Ilconstate enfin «  Lors de la dernièredécennie, les baisses d'impôts par ladroite ont donné l'équivalent d'un 13e

mois aux revenus supérieurs à500 000 euros par an  ! Se contenterde revenir à 45 %, c'est timide vu l'am-pleur des enjeux. Il faut simplifier etclarifier notre système fiscal.  »

« LE GRAND SOIR FISCAL »Françoise Fressoz relève « Cette fois,on y est. Au centre de l'affrontementgauche-droite. Que faire des riches ?La France n'a toujours pas réglé sonproblème avec l'argent. NicolasSarkozy aime les riches et ne s'en estjamais caché. Parce qu'il les aime trop,il tarde à voir que la crise financièrede 2008 a tout changé, les banques(qui ont) bénéficié d'aides massivesde l'État sont devenues indécentes. Ilfinit par agir, mais à contrecoeur et àcontre-temps. François Hollande recon-naît désormais qu'il existe desrichesses fondées sur le talent, lemérite, l'engagement, la création d'en-treprise et qu'il faut aussi des richesdans la société. Mais à peine l'a-t-iladmis qu'il sort le bazooka  : un tauxmarginal de 75 % appliqué aux reve-nus de plus de 1 million d'euros pourriposter aux 34 % d'augmentation quese sont octroyés les patrons du CAC40. Le coup est d'abord politique.  »Selon Dominique Seux (Les Echos08/03) « L'impôt est en train de deve-nir l'alpha et l'oméga de la campagne

présidentielle 2012 sur le terrain éco-nomique. Nicolas Sarkozy a répliquéavec une proposition d'un impôt mini-mum sur les bénéfices réalisés enFrance par les sociétés du CAC 40. Leproblème est que cette campagne faitentendre un air désagréable, celui dela recherche du bouc émissaire, qu'ils'agisse des contribuables aisés ou destrès grandes entreprises. Montrer dudoigt une seule classe sociale et éco-nomique sans aucune considérationsur ce qui se passe au-delà de nos fron-tières apparaît surtout comme unmoyen commode, et dangereux, defaire l'impasse sur des sujets moinsgratifiants sur le plan électoral, quinécessitent en réalité plus de courage. »Il conclut « Les citoyens-contribuablesavertis comprendront facilement queces surenchères pour quelques-unssont là aussi pour faire accepter demainà tous des hausses de prélèvements. »Le même quotidien note (08/03)«  Pour le président sortant commepour son rival PS, l'enjeu du bras defer est de taille  : envoyer aux électeursun signal de justice sociale. Le prési-dent sortant n'ignore rien des écartsde fiscalité existant entre les grandesentreprises, qui paient peu d'impôtsur les sociétés, et les PME, fortementpressurisées, mis en évidence dans unrapport du budget à l'Assemblée natio-nale, Gilles Carrez.  »«  Beaucoup se demandaient, notam-ment dans son propre camp, siFrançois Hollande n'était pas un peumou.  » constate Pierre-AntoineDelhommais (Le Point 08/03). «  Au-

delà ce doute levé sur sa personna-lité, il faut reconnaître un mérite sup-plémentaire à l'idée de M. Hollande desurtaxer les riches . C'est précisémentde constituer... une idée.  » Celle-ci« pose sans détour le problème majeurdes inégalités croissantes dans notresociété, problème bien identifié parnos meilleurs économistes et intellec-tuels. La question, pas morale, maiséconomique, est de savoir si s'en pren-dre aux riches est le meilleur moyende combattre la pauvreté. Sans doutenon. Difficile de s'en prendre aux richessans s'en prendre à la richesse, à lacréation de richesse, donc à la crois-sance, seule capable de rendre dura-blement les pauvres moins pauvres. »Il conclut « Mais tout le monde a com-pris qu'un impôt à 75 % provoqueraitl'exil immédiat des meilleurs dirigeantsd'entreprise ou des créateurs les plustalentueux.  »

« JE NE SUIS PAS DANGEREUX »A Londres, le candidat socialiste aobtenu le soutien du leader du Partitravailliste, Ed Miliband sur la ques-tion de la régulation financière. LesEchos (01/03) remarquent « Même si,à son arrivée de l'Eurostar, le candi-dat socialiste a lancé un “je suis pasdangereux” en direction du quartierfinancier de Londres. FrançoisHollande, qui veut renégocier le pactefiscal européen et se dit favorable àune taxe sur les transactions finan-cières, a insisté sur le fait que la financedoit créer de la richesse, mais pas audétriment de “l'économie réelle”.  »

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CRITIQUES

Banlieue de la républiqueSociété, politique etreligion à Clichy-sous-boiset Montfermeil Gallimard, 2011

GILLES KEPEL

PAR PATRICK COULON

Cet ouvrage – bien que com-mandé par l’ultralibéral InstitutMontaigne – est riche d’ensei-gnements. Grâce à une enquête

d’une année, entre l’été 2010 et l’été 2011, autour d’en-tretiens approfondis avec cent personnes, Banlieue dela République donne la parole à ceux qui y vivent. Il permet à tous ceux qui s’intéressent à ces probléma-tiques de lire comment ces habitants voient la causedes difficultés que vivent la plupart d’entre eux, etrépondent à des questions aussi diverses que : se sont-ils organisés pour faire face à l’adversité, et envisagerl’avenir ? Comment cohabitent des populations d’ori-gines très diverses, de l’habitat social aux zonespavillonnaires ? Que peut faire l’école pour éduquer etsociabiliser des jeunes générations fragiles en prove-nance des pays les plus déshérités du continentafricain ? Comment assurer la sécurité, en liaison avecun nouveau commissariat, et quelles leçons tirer desémeutes ? Comment les jeunes commencent-ils à s’en-gager significativement en politique ? Quelles sont lesincidences sur les équilibres électoraux à venir ? Com-ment la religion – l’islam en premier lieu – a-t-elle prisune importance sociale de premier plan, après la dés-industrialisation et l’effondrement de la cultureouvrière ?Le choix du lieu n’est pas anodin : Clichy-Montfermeil,c’est le territoire où ont éclaté les violences urbaines de2005. C’est aussi le territoire qui a connu le plus grandplan de rénovation urbaine de France.On y voit comment l’islam a fourni une « compensa-tion » au sentiment d’indignité sociale, politique etéconomique. L’islam s’est développé en l’absence de laRépublique, plus qu’en opposition, en liaison avec lesdégâts des politiques ultralibérales. La demande demoyens importants pour l’éducation, d’une autre poli-tique de sécurité, les contradictions à l’œuvre entre lerejet de la politique telle qu’elle est et la volonté d’êtreacteur sont confirmés.Le lecteur de la Revue du Projet ne pourra qu’apprécierla conclusion de l’introduction de Gilles Kepel : « Sansdoute est-ce la faible capacité d’attraction de la pro-messe laïque qui interroge le plus au terme de cetterecherche : mais la laïcité a-t-elle un corps qui ne soitpas social – comme le dit son beau nom grec, laïkos,qui signifie qu’elle est “du peuple” ? Il faudrait pour celaque l’insertion dans la société par l’emploi rende au

peuple dans sa diversité une pleine croyance dans lesvaleurs de la nation, et que l’éducation lui en ait fourniles capacités, face aux défis quotidiens d’un universmondialisé et postindustriel qui bouleverse les repèresd’hier ». Je ne suis pas sûr que les dirigeants de l’Insti-tut Montaigne s’attendaient à de tels propos.

Not for profitWhy democracy needs theHumanities Princeton University Press,2010

MARTHA C. NUSSBAUM

PAR MARINE ROUSSILLON

Pourquoi la démocratie a-t-ellebesoin des lettres, des arts et des

sciences humaines ? Dans le contexte d’une crise del’éducation et de menaces croissantes sur les humani-tés, Martha Nussbaum, professeure de philosophie àChicago, oppose à « l’éducation pour le profit » qui sedéveloppe le projet d’une « éducation pour la démo-cratie » dans laquelle les humanités joueraient un rôleessentiel. Selon elle en effet, ces disciplines dévelop-pent des compétences nécessaires à la formation descitoyens : l’esprit critique et la propension à l’empa-thie, c’est-à-dire à imaginer ce que les autres peuventressentir et à en tenir compte. L’argumentation estclaire, le projet louable, et les exemples d’autant plusintéressants qu’ils sont choisis dans des systèmes édu-catifs peu connus du public français : principalementles États-Unis et l’Inde. On peut cependant s’interroger sur le lien étroitconstruit par l’auteure entre démocratie, émotionsesthétiques (suscitées par les arts et les lettres) etmorale. Tout en revendiquant le rôle des humanitésdans la formation de l’esprit critique, elle affirme eneffet la valeur morale et politique des émotions susci-tées par les textes (l’empathie), comme si ces émotionset les valeurs dont elles sont porteuses ne pouvaientpas être soumises à l’examen de la raison. Éduquerpour la démocratie, dans cette perspective, c’est trans-mettre (ou imposer) les valeurs démocratiques, et nondonner à chacun les moyens de se positionner libre-ment face à ces valeurs (et aux autres). On reconnaît dans cette argumentation, pourtant auservice de la défense des humanités, la même concep-tion des lettres et des arts qui a présidé aux réformesrécentes des études littéraires en France. Cette ten-dance à transformer le cours de lettres en cours demorale prend sens dans le cadre de l’imposition d’unnouveau modèle démocratique : le modèle libéral ducare, dans lequel les droits et les devoirs de chacun nesont plus garantis que par l’empathie de chacun pourles autres, et non par des institutions qui dépassent les

Chaque mois, des chercheurs, des étudiants vous présentent des ouvrages, des films, des DVD...

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individus. Mais pour que cette nouvelle forme de ladémocratie libérale voie le jour, il est paradoxalementnécessaire que l’État intervienne pour former lesfuturs citoyens à l’empathie : voilà pourquoi cettedémocratie a besoin des humanités.

Pour quoi faire larévolution Agone, 2012

JEAN-LUC CHAPPEY,BERNARD GAINOT,GUILLAUME MAZEAU,FRÉDÉRIC RÉGENT ET PIERRESERNA

PAR LOUIS GABRIEL

C’est d’histoire qu’il s’agit dans ce petit livre rouge : lescinq auteurs sont membres de l’Institut d’histoire dela Révolution française. Leur ambition est pourtantliée à une actualité, à la fois historienne et politique :vingt ans après la chute du mur, on ne pense plus laRévolution comme on la pensait en 1989. Contre lespensées simplificatrices, contre « les analogies pares-seuses et anachroniques entre révolution ettotalitarisme », mais aussi contre les récits dorés etautres mythologies, ce livre entend « redonner à laRévolution française sa dimension de laboratoire dupolitique ». Pierre Serna, dans un premier chapitre particulière-ment original, opère un renversement de perspective :« ce ne serait pas des centres que seraient venues lesrévolutions » mais d’espaces périphériques « qui setrouvaient inscrits dans des logiques de domination,voire de colonisation ». Il propose donc d’étudier larévolution de 1789 comme une guerre de décolonisa-tion au sein d’un processus étendu du XVIe au XVIIIe

siècle et tout aussi important que la construction desÉtats.Frédéric Régent répond ensuite à la question « pour-quoi faire l’histoire de la Révolution française par lescolonies » en étudiant les « interactions du processusrévolutionnaire des deux côtés de l’Atlantique ». Lechapitre III est une synthèse sur la « Terreur » remar-quable par sa clarté et son intelligence. Loin de toutemythologie, Guillaume Mazeau fait des années 1793-1794 un moment clé de la « transition démocratique ».Revenant à notre actualité, il souligne les dangers queles politiques de lutte contre le terrorisme font couriraux libertés civiles. Dans le quatrième chapitre, Jean-Luc Chappey étudie la manière dont entre 1789 et 1802les élites politiques ont défini leurs rapports avec lepeuple pour fonder leur pouvoir. On voit là se formerles « élites bien-pensantes » d’aujourd’hui, qui distin-guent « un personnel politique présenté comme seulapte à savoir ce qui est bon, et un peuple ignorant etarchaïque ». Bernard Gainot réfute enfin l’idée d’unecoupure historique au moment de la chute de Robes-pierre et propose de faire de l’histoire sociale à partirdu concept d’économie politique.Le volume tient les promesses de son introduction : il

produit « un savoir démocratique et critique » assuré-ment utile. Mais pourquoi dire que les lecteursauxquels il s’adresse sont « appelés de plus en plus à sediriger seuls face à des contraintes sociales et poli-tiques de plus en plus fortes » ? Il est paradoxal, de lapart d’un collectif d’auteurs, de présenter une histoirede la Révolution qui minimise le rôle des collectifs mili-tants et semble suggérer qu’il n’en existerait plusaujourd’hui.

La Terre, des mythesau savoir Cassini, 2011

HUBERT KRIVINE

PAR IVAN LAVALLÉE

Hubert Krivine nous livre unouvrage qui fera date. On yassiste à la naissance d’unedémarche scientifique cons -ciente d’elle-même, et en fait à

l’émergence des Lumières. Comment les hommes ensont venus à se débarrasser des mythes, religieux ouautres, en regardant les cieux et la Lune et en explorantla Terre ? Comment en cherchant à mettre en cohé-rence la bible avec ce qu’ils voyaient, en sont-ils arrivésà faire en quatre siècles vieillir la Terre de 4 000 à 4 mil-liards d’années ? Quelle a été la démarche, tortueuseparfois et non sans chausses-trappes, commencée parles savants arabes et qui a conduit aux Lumières de laRenaissance ?L’heure de la pensée scientifique commence avec lespremières horloges, et les limbes en sont l’astrologie,l’alchimie, la magie et les horoscopes. On voit là com-ment le développement de la connaissance scientifiqueest fait d’avancées et de reculs et comment un modèleerroné peut faire avancer la science. La science appa-raît comme une construction sociale : elle met en jeunombre de disciplines et d’acteurs. La déterminationde l’âge de la Terre aura eu besoin de passer de l’astro-nomie de Képler et Copernic à la physique nucléaire viaDarwin, la chimie et la thermodynamique. On est loinlà du chercheur génial isolé et des « initiatives d’excel-lence ».En cette époque de crise systémique marquée par leretour du religieux et de l’obscurantisme, par un « rela-tivisme scientifique » qui touche parfois aussi destravailleurs scientifiques, ce travail est un bon antidote.Hubert Krivine pointe aussi les abus sectaires de lapériode révolutionnaire du XXe siècle. Il aurait aussibien pu évoquer ce grand savant que fut Lavoisier, vic-time d’une époque de feu et de fureur où un procureura pu déclarer : « la République n’a pas besoin desavants ». Le mouvement progressiste n’est pas exemptde contradictions qui peuvent prendre des formes dra-matiques. Galilée en est un exemple, après GiordanoBruno qui s’ y est brûlé les ailes.

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COMMUNISME EN QUESTION

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nfants, puis adolescents, etpeut-être même jusqu’au début desannées 1980, nous nous demandionscomment des peuples pétris de culture,comment les Allemands, en particulier,avaient bien pu ne pas voir venir ce quise fit, ce qui fut commis en leur nomavant et pendant la période de laseconde guerre mondiale. Cela servait,accessoirement, à modérer les ardeursde ceux qui étaient tout prêts à se pros-terner devant la moindre émotionpopulaire et, particulièrement, devantcelles qui paraissaient signaler l’insatis-faction de telle ou telle fraction de lapopulation dans les pays du « socia-lisme réel ». Et, par-dessus tout, celadonnait aux plus fins l’occasion de seremémorer chaque jour une évidencequi heurte, semble-t-il, le préjugédémocratique : les peuples peuvent setromper. Et, par voie de conséquence,mal voter… Hitler (on peut, certes, leregretter) ne s’était pas emparé dupouvoir par un coup d’État !

À l’élection présidentielle de mars-avril1932, il avait obtenu 2,75 millions devoix, ce qui représentait alors 37,3 % ducorps électoral, mais il avait été battu,tout de même, par le maréchalHindenburg.Dans un contexte pourtant marqué parde terribles violences causées par lesbandes nationales-socialistes (oncomptait des centaines de morts, dansles combats de rue que ces dernièresavaient provoqués pendant le seul moisde juillet, en Prusse ainsi qu’à Altona,au nord de Hambourg), les élections du31 juillet 1932 donnèrent également37,3 % des voix au NSDAP.

RIEN NE DIT QUE LA MAJORITÉ ATOUJOURS RAISONDe façon bien plus générale, la marchetoute prosaïque des régimes dits« représentatifs » conduit toute per-sonne sensée à penser, avec Alexis deTocqueville, que « ceux qui regardent levote universel comme une garantie dela bonté des choix se font une illusioncomplète ». Le « vote universel », ajou-tait Tocqueville, « a d’autres avantages,mais non celui-là » (De la démocratieen Amérique). Car rien ne dit que lamajorité a toujours raison. Surtoutlorsque la majorité est aussi évidem-ment fabriquée qu’elle l’est aujourd’hui.Sans parler de la masse immense deceux qui ne jouent plus au jeu d’élec-tions si souvent décevantes, dérou-tantes, ahurissantes, même. La tradi-tion qui est mienne en philosophie a

constamment allié, jusqu’au XVIIIe siè-cle au moins, un très grand optimismenaturaliste à un pessimisme foncier enmatière anthropologique. Pour le maté-rialisme d’Ancien Régime, pour l’épicu-risme ancien comme pour les grandsseigneurs libertins, il n’est nullementquestion d’imaginer que, de proche enproche, tout homme aura accès auxlumières de la raison, à l’apaisementdes passions, à la sagesse et au bon-heur. Les « déniaisés », comme ils se

nommaient eux-mêmes, savent bienque la religion est un instrument dupouvoir d’État ; mais le peuple, pren-nent-ils le soin d’ajouter aussitôt, nelaisse pas d’y croire et d’en ignorer lesressorts. Bref, ce n’est qu’avec lesLumières, et a fortiori avec le com-tisme, le marxisme et autres doctrinesrationnelles datant du XIXe siècle, ques’est fait jour, parmi les tenants dumatérialisme philosophique, l’idéed’une possible conversion de tous leshumains de bonne volonté à des optionspolitiques justes, morales et susceptiblesd’apporter le bonheur à tous.

Élections, piège à cons ?Que reste-t-il de la démocratie ?La montée des suffrages pour l’extrême droite et le vote démocratique.

PAR JEAN SALEM*

E Les campagnes électorales, les bonnes intentions et les scrutins à venir suffiront-ilspour éviter à ceux qui militent à

gauche, en ce XXIe sièclecommençant, de finir dans des

camps (ancien style) ou dans desstades (à la chilienne)

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*JEAN SALEM est philosophe, professeur à l’université Paris-IPanthéon-Sorbonne.

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Et puis voici que nous y sommes : leshéritiers du fascisme et du national-socialisme relèvent la tête en Europe…Ici, c’est un mouvement fondé par unancien tortionnaire qui obtient, depuisplus de vingt ans, 10 à 18 % des suf-frages exprimés. Ailleurs, le NPD, leParti national démocratique allemand,obtient 9,2 % des voix lors des élec-tions de 2004, en Saxe. Depuis 1986,les scores du très mal nommé Partiautrichien de la liberté (FPÖ) ne ces-sent d’augmenter lors des scrutinslégislatifs, jusqu’à atteindre 27 % dessuffrages exprimés en 1999. Le FPÖétait alors la deuxième force politiqued’Autriche. Après un tassement provi-soire, il revint en force aux législativesde 2008, avec un score de 18 %, auqueldoivent être ajoutés les 11 % de voixrecueillies par l’Alliance pour l’Avenir del’Autriche (BZÖ) – elle-même issued’une scission du FPÖ : cela donne untotal cumulé de 29 % des suffragesexprimés en faveur de l’extrême droite! En Norvège aussi, le FrP, le Parti duprogrès, s’est imposé comme ladeuxième formation politique du pays,en obtenant 23 % des suffrages expri-més lors des élections législatives de2009. Aux Pays-Bas, enfin, 17 % dessuffrages se sont portés à l’extrêmedroite à l’occasion des élections euro-

péennes de juin 2009. Partout, oupresque, des gouvernements ne répu-gnant pas à passer des alliances avecl’extrême droite, voire à quémanderson appui (Danemark, Hongrie) ; desgouvernements – généralement élus,certes, ou du moins venus au pouvoirdu fait d’élections – confiant des porte-feuilles de ministres à des racistes

patentés ou à d’authentiques fascistestrès fraîchement reconvertis en démo-crates très sincères (Italie). Partout ledanger encore-rampant-mais-si-peu duretour de la peste noire ou de l’avène-ment de ses avatars postmodernes(Belgique, Suisse).Bref, un problème peut désormais légi-timement agiter nos neurones : lescampagnes électorales, les bonnesintentions et les scrutins à venir suffi-ront-ils pour éviter à ceux qui militent àgauche, en ce XXIe siècle commençant,de finir dans des camps (ancien style)

ou dans des stades (à la chilienne) ?D’autant que, comme me l’affirmait unétudiant au cours d’un oral assezdécoiffant, « le capitalisme a un grosproblème : il est allé trop loin ». Autantdire qu’il pourrait finir en apocalypse…Et que ni les votes « utiles » ni lespaniques sans grands lendemains despetits-bourgeois ne pourront faireoffice de rempart approprié contre cequi vient ! C’est en pensant à cela, sur-tout, c’est-à-dire au vacillement denotre civilisation, que je souhaiterais iciparler : l de ce que j’appellerai volontiers l’ac-tuel cirque électoral ;l de la confiscation du pouvoir que cecirque autorise et entretient sous nosyeux ; l du régime d’élection ininterrompuedans lequel on fait vivre aujourd’hui lecitoyen de démocraties épuisées,régime qui participe d’une période decrise suraiguë du capitalisme, d’unepériode d’anxiété et de troubles, d’unepériode qui sent l’avant-guerre. n

Introduction du livre de Jean Salem Élections,piège à cons ? Que reste-t-il de la démocratie ?,Flammarion, collection Antidote.Publiée avec l’aimable autorisation de l’au-teur.

Ni les votes « utiles » ni les paniques sans grands

lendemains des petits-bourgeois nepourront faire office de rempart

approprié contre ce qui vient !

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Les communistes etle Front populaireRevenir sur cette question tant débattue, c’est rendre compte à la fois desavancées historiographiques récentes liées à l’ouverture des archives dumonde communiste, mais aussi des enjeux culturels et mémoriels de cettepériode féconde de 1934-1938. Comment ne pas voir dans le terme« Front de gauche » un écho ou une tentative de réification du Front popu-laire, un héritage assumé et revendiqué ?

l ors que les partis communistessont subordonnés totalement à Moscou età l’Internationale communiste, cette irrup-tion d’une alliance avec des « partis bour-geois » pour défendre la République faceaux coups de force d’extrême droite, resteune expérience fondatrice, tant en France,qu’en Espagne ou au Chili. Il s’agit à la foisde défendre les libertés, mais surtout d’élar-gir la démocratie sociale et culturelle dansune période de crise économique sans pré-cédent où les tensions internationales sontaccrues par les politiques agressives desÉtats fascistes ou autoritaires (guerred’Éthiopie menée par les fascistes italiensou menaces japonaises en extrême orient).Dans cette dynamique plurielle, le PCF joueun rôle moteur, fédérateur aux côtés d’au-tres forces politiques, syndicales et asso-ciatives. Pourtant, depuis le VIe Congrèsde l’Internationale Communiste (IC), en1928, le mouvement communiste qui avaitenvisagé la grande crise (grâce à E. Varga)prône une ligne très sectaire « classe contre

classe » où tous les adversaires, y comprisles socialistes sont considérés comme destraîtres, des fascistes… Mais l’onde de chocde l’arrivée d’Hitler au pouvoir en janvier1933 change la donne. D’autant qu’enFrance, la IIIe République confrontée à lacrise connaît une montée des ligues d’ex-trême-droite qui exploitent le désarroiambiant (6 février 1934).

RAPPROCHEMENT ET RÔLE ACTIF DES COM-MUNISTESLe choc cumulé de ces événements ravive,au sein de la gauche, les lointains souve-nirs de la République en danger. La pre-mière riposte est celle du PCF et de la CGTUqui organisent une manifestation le 9 févrierdurement réprimée (6 militants commu-nistes sont tués). À cette manifestation, lesrangs communistes ont vu l’arrivée de mili-tants socialistes  : on en appelle alors au«  front unique à la base  ». La SFIO et laCGT, de leur côté, décident de manifesterle 12 en province et à Paris. Le rôle moteurde la CGT est essentiel. À Paris, le PCF etla CGTU se joignent au cortège des«  sociaux-traîtres ». Mais, en fin de mani-festation, des militants des deux cortègestonnent « Unité !, Unité ! ». Certes, les direc-tions de la SFIO et du PCF campent surleur méfiance réciproque, mais l’élan estdonné.Dans cette dynamique, certains dirigeants

communistes interprètent dans un sensnouveau les principes du front unique prô-nés par l’IC. Il s’agit de  : Renaud Jean, lafigure paysanne du PCF, député deMarmande, directeur de l’organe La Voixpaysanne ; Guy Jerram responsable del’Association républicaine des anciens com-battants, dirigeant du comité national delutte contre la guerre et le fascisme et ducomité Amsterdam-Pleyel  ; et surtout dudirigeant, Jacques Doriot, député-mairede Saint-Denis.

Les deux positions — alliance sans condi-tion avec les socialistes et application dufront unique à la base — ne peuvent plusêtre maintenues. Le PCF adopte, dans unpremier temps, une tactique d’isolementde Doriot et de ses proches, puis MauriceThorez prend contact avec la SFIO pourmener des actions communes antifascistes.Dès lors, le PCF, sous l’égide de Thorez,aidé par Eugen Fried, émissaire de l’IC,engage son parti sur la voie de l’unité.

Par JEAN VIGREUX*

*JEAN VIGREUXest professeur d’Histoire contemporaine àl’université de Franche-Comté.Il vient de publier Le Front Populaire (1934-1938), PUF, Coll. « Que-Sais-Je ? », 2011.

HISTOIRE

La première riposte est celle du PCF et de la CGTU qui

organisent une manifestationle 9 février durement réprimée

(6 militants communistes sont tués)

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Le déblocage de la situation est venu deMoscou avec le nouveau dirigeant de l’IC,Georges Dimitrov, depuis avril 1934. Cecommuniste bulgare, accusé à tort par lesnazis de l’incendie du Reichstag et sortitriomphalement de son procès, se retrouvepropulsé au sommet de l’IC. Il infléchit laligne politique en mettant l’accent  sur lalutte antifasciste et la défense démocra-tique, repoussant la perspective révolu-tionnaire à plus tard. L’alliance avec la SFIO en juillet 1934 scellela première pierre de l’édifice. Puis à l’au-tomne, Thorez s’adresse aux dirigeantsradicaux qui rejoignent le rassemblement.Avec la consultation électorale de mai 1935,l’inscription du Front populaire devient tan-gible. Si de grandes villes sont gagnées parla SFIO, le PCF fortifie la « ceinture rouge »autour de Paris (26 mairies sur les 80 dudépartement de la Seine) et double le nom-bre de municipalités qu’il dirige (passantde 150 municipalités communistes à 297).

DU VIIe CONGRÈS DE L’IC À LA VICTOIRE DE1936Le 14 juillet 1935 symbolise au mieux cettedynamique où l’on prête serment au Frontpopulaire en s’engageant, entre autres, àdissoudre les ligues factieuses. Cet élanest transporté à Moscou au VIIe Congrèsde l’IC (25 juillet-30 août 1935), où la délé-gation française donne le ton. Dimitrovlance alors officiellement la ligne de Frontpopulaire antifasciste. Après de longuesdiscussions, le programme commun pré-conisé par le PCF est adopté en janvier1936 « Pour le pain, la paix et la liberté ».Le PCF, à l’aise dans cette campagne élec-torale dont il a dessiné la configuration,souhaite réconcilier la nation en s’appuyantsur l’héritage commun légué par laRévolution française  (illustré par le dis-cours radiodiffusé de Thorez dit de «  lamain tendue »).

Au soir du 1er tour, la progression du PCFest l’élément le plus neuf de cette élection.Il double presque ses voix tandis que laSFIO surclasse  les radicaux. La progres-sion communiste est générale et se concré-tise dans les zones où le parti était déjà

influent (région parisienne, Nord). Fait nou-veau, le vote communiste s’affirme dansles villes du Sud-Est méditerranéen, du Varau Gard, en passant par les Bouches-du-Rhône. Il s’étend aussi dans certaines zonesrurales (Lot-et-Garonne, Dordogne ouHaute-Vienne) reflétant une nouvelle phy-sionomie de l’électorat. Au second tour, lePCF bénéficie de la dynamique unitairepassant de 10 députés à 72 ! Le groupe par-lementaire animé par Jacques Duclos estdésormais une composante essentielle del’activité politique communiste sur le plannational. Dès les lendemains, Léon Blumpropose aux communistes de rejoindre sonfutur gouvernement, mais ils ne participe-ront pas, malgré les efforts de Thorez, l’ICayant mis son veto dès 1935.

LE FRONT POPULAIRE À L’ÉPREUVEAprès la victoire, une vague de grève, avecoccupations des usines, déferle sur le pays.Le mouvement social lié à la réunificationsyndicale de la CGT souligne les espoirs dela classe ouvrière et du PCF (le « ministèredes masses  », Paul Vaillant-Couturier).Débouchant sur des acquis sociaux sansprécédent, ce mouvement renforce lesadhésions au PCF.

Toutefois, l’histoire du Front populaire estmarquée aussi par les divisions. Dès l’au-tomne 1936, le PCF se démarque de la poli-tique gouvernementale à propos del’Espagne et des questions économiques.Il prend position en faveur d’une interven-tion active auprès de la république espa-gnole. Devant la Chambre des députés,Gabriel Péri dénonce une politique qui laissele champ libre au fascisme international etne sert pas à préserver la paix. Le partiorganise l’envoi des Brigades internatio-nales. En février 1937, lorsque Léon Blumannonce la «  pause  » c’est une nouvelle

rupture. Mais de l’été 1937 au printemps1938, le PCF apporte toujours son soutienaux gouvernements malgré la multiplica-tion de ses critiques. Le gouvernementDaladier qui cède aux exigences allemandeslors de la conférence de Munich et quidonne satisfaction à la droite en revenantsur les conquêtes sociales, cautionne larépression de la grève générale du 30novembre 1938.

Malgré tout, le PCF se veut le champion del’unité et défend les réalisations du Frontpopulaire. Deux camps s’affrontent àgauche ceux qui restent pacifistes et ceuxqui par antifascisme sont dénoncés commedes bellicistes et « agents de l’étranger ».Gardien du Front populaire, le PCF réac-tive à l’occasion du 150e anniversaire de laRévolution française en 1939, l’idéal de1936. Toutefois, il doit se plier au pacte ger-mano-soviétique…

UNE BOUSSOLE ? Cette période fondatrice marque durable-ment la vie politique et celle du PCF, quirencontre définitivement la nation. La pressedu parti connaît une embellie : L’Humanitétire parfois à 700  000 exemplaires, sansoublier Regards, ni La Terre lancée en 1937par Waldeck Rochet. Dorénavant,«  L’Internationale  » se chante avec «  LaMarseillaise  », le drapeau rouge est asso-cié au drapeau bleu blanc rouge fusionnantl’héritage de la Révolution de 1789-1793avec celui du mythe d’Octobre 1917.

La Résistance permet de renouer avecl’élan antifasciste et conduit au programmedu CNR. Ainsi, il me semble judicieux depenser le Front populaire dans le cadre dechronologies emboîtées, débouchant surl’élargissement du modèle républicain à ladémocratie sociale après la Libération.Cette expérience originale ne doit pasconduire à une certaine nostalgie béate,mais peut rester boussole  : une victoireélectorale peut être accompagnée par unmouvement social sans précédent qui inviteà « changer la vie »… n

Une victoire électoralepeut être accompagnée

par un mouvement social sansprécédent qui invite à

« changer la vie »“

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PRODUCTION DE TERRITOIRES

PAR NICOLAS LEBRUN

partir des années 1970, ledéveloppement des grandes surfacess’accompagne d’un discours de stigma-tisation opposant le petit commerce etla grande distribution. Dès 1973, la loiRoyer se veut être la loi de défense dupetit commerçant face à l’immixtion degéants. Pour autant, le développementdes entrées de ville, se poursuit à unrythme soutenu depuis lors. Ondénonce alors, notamment à des finsélectoralistes, le déclin des centres-villes alors que ce sont principalementles commerces de proximité dans lesquartiers qui disparaissent. Le centre-ville, en effet, semblait alors condamnéne pouvant lutter à armes égales face àcette révolution commerciale  : nou-veaux formats de vente et offre élargie,accessibilité aisée en automobile. Ladémocratisation automobile, amorcéepar les Trente Glorieuses, devient l’élé-ment clef des localisations commer-ciales  : il convient avant tout d’êtreaccessible en auto, et les nouveaux cen-tres commerciaux sont situés à proxi-mité des rocades et autres pénétrantesurbaines.

L’accessibilité c’estdépassé, vive la proximité !

À

Quand le commerce devient un outil au service de la ville durable

NICOLAS LEBRUN est maître de conférences

en géographie à l'université Lille Nord de

France, Artois.

Les territoires sont des produits sociaux et le processus de production se poursuit. Du global au local les rapports de l'Homme àson milieu sont déterminants pour l'organisation de l'espace, murs, frontières, coopération, habiter, rapports de domination,urbanité... La compréhension des dynamiques socio-spatiales participe de la constitution d'un savoir populaire émancipateur.

UNE ÉVOLUTION DES RAPPORTSÀ LA MOBILITÉAujourd’hui, la donne a changé. Lagrande distribution n’est plus perçuecomme une immixtion fâcheuse. Unretour au statu quo ante semble impos-sible, tant l’habitude de fréquenter lesgrandes surfaces est désormais ancrée.De même, opposer commerce tradition-nel indépendant de centre-ville etgrande distribution périphérique sem-ble anachronique  : cela fait bien long-temps que les franchisés et autresenseignes nationales sont tout autantprésents en hypercentre qu’en entréede ville.Pour autant, s’il n’y a pas de réelle nou-velle révolution commerciale – la révo-lution du commerce en ligne ne sem-blant pas à même de changer drasti-quement nos équilibres commerciaux –notre façon de vivre la ville évolue aupoint de faire évoluer notre rapport auxlieux de consommation. D’un enjeupurement économique et politique, onglisse vers un enjeu de société.Notamment parce que c’est notre rap-port à la mobilité qui change  : nousn’exigeons plus que nos lieux d’achatssoient accessibles, nous exigeons qu’ilss’inscrivent de la façon la plus neutrepossible dans nos pratiques de mobili-tés quotidiennes et hebdomadaires.Nous n’avons jamais été aussi mobilesmais nous voulons choisir nous-mêmenotre façon de nous déplacer. Nousn’avons jamais été aussi mobilesnotamment parce que nos chaînagesde déplacements se complexifient. Maisnous voulons rationnaliser «  à lacarte  » nos déplacements  : faire sesachats n’est plus à soi seul un motif de

déplacement suffisant. Soit le déplace-ment marchand se doit d’apporterautre chose, soit celui-ci se doit d’êtreréduit au maximum pour nous permet-tre de répondre à nos autres motifs demobilité. La proximité redevient alorsun enjeu d’urbanité.Nous adoptons des comportementséco-responsables lorsque l’offre demobilité est moderne et adaptée. Sinous sommes plus mobiles, dans unmême temps – et ceci peut semblerparadoxal – notre rapport à la mobilitéest plus marqué par les mobilités dites«  douces  ». Nous prenons davantageles transports en commun ou nousmarchons davantage, pas nécessaire-ment par souci écologique mais parceque le tramway ou le vélo participe à unnouveau style de vie, influencé par lespays nordiques ou germaniques. Lestransports propres sont tout autantdes marqueurs de modernité que desprogrès environnementaux.

LA PROXIMITÉ, UN ENJEU DEDÉVELOPPEMENTDe fait, la proximité, passée de mode ily a trente ans, redevient un enjeu dedéveloppement urbain. On lui trouvetoutes les qualités. La proximité permetde maintenir la mixité fonctionnelle,ciment social et garant de la qualitéurbaine de nos espaces de vie  : et quoide mieux que le commerce pour fairevivre un espace public  ? La proximitépermet de se donner une conscienceéco-responsable  : elle chasse le besoinde véhicules automobiles ou permet delui accorder un rôle moins exclusif (cf.photo 1). Elle permet de satisfaire auxenjeux de la ville durable, que les urba-

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nistes s’accordent à vouloir compacte.Quant au commerçant, il y voit lemoyen d’investir de nouveaux terri-toires et d’y développer de nouveauxconcepts. L’acteur marchand se doit deréinventer le commerce afin de s’ins-crire au mieux dans les territoires de laville. L’ancienne supérette devientespace de vente gentrifié, adapté aumode de vie d’un citadin en perpétuelmouvement  ; la gare ou la station demétro se voit réinvestie par le com-merce, sur le modèle de ce qui se pra-tique plus volontiers au Japon oumême dans certains pays européens(cf. photo 2).Mais il y a deux façons d’envisager laproximité  : être au cœur de nos lieux devie, ou concentrer l’activité marchandeen des lieux dédiés ouverts à d’autresperspectives. En soi la concentrationmarchande permet, aux dires de sespromoteurs, de rationaliser les déplace-ments  : en caricaturant, se rendre aucentre commercial régional en automo-bile serait alors un acte éco-responsa-ble. Sauf que cela revient à légitimer ledéplacement par le seul acte d’achat,ce qui en soi ne permet pas de l’inscrirede façon efficiente dans nos schémasde mobilité pluriels. Le fait que les cen-tres commerciaux se repensent autourde la dimension «  plaisir  » permet enrevanche d’en faire un produit socialtout autant que mercantile  : le dévelop-pement de complexes ludo-commer-ciaux ou des centres commerciaux« concepts », qui allient qualité archi-tecturale, durabilité, diversité des acti-vités et approches thématiques (lafamille, les marques, etc.) s’inscrit plei-nement dans ce renouveau d’une offre

plus adaptée aux besoins d’aujourd’hui,dans lequel le citoyen se refuse à êtreperçu comme simple consommateur.

DES POLITIQUES DE LA VILLE EN DÉCALAGEPour autant, si tous les voyants sont auvert, cette nouvelle révolution des pra-tiques de mobilités tarde à se mettre enplace notamment dans notre pays. LaFrance a davantage été marquée, parrapport aux autres pays européens, parla révolution commerciale des années1970 : le chemin à parcourir n’en estque d’autant plus grand. Si la réflexiondes acteurs de la distribution sembleamorcée, les éléments de mise enœuvre dans le cadre des politiques dela ville semblent timides. Ainsi, lesautorisations d’implantation périphé-rique en France atteignent des niveauxtoujours très élevés, notamment parceque les commissions départementales

d’aménagement commercial (CDAC) nerefusent que très peu de dossiers.Leurs buts et leur composition depuisla loi LRU de 2008, l’expliquent très lar-gement  : elles sont majoritairementconstituées d’élus plus sensibles à ladimension économique (quel élu neserait pas sensible à quelques pro-messes d’emplois supplémentaires surson territoire  ?) qu’à la dimensiondéveloppement durable (pour l’essen-tiel réduite à l’effort d’isolation desbâtiments) ou à la dimension aménage-ment du territoire (au nom de la libreconcurrence). En effet, malgré ce vernis«  développement durable  », le fonc-tionnement de ces structures, pourtantmaintes fois modifiées, s’inscrit dans leprolongement de la loi Royer de 1973,pensée dans un tout autre contexte.D’autres pays ont fait des choix plusnovateurs  : en Suisse, le critère nombrede places de stationnement demandéesest primordial dans le dossier dedemande d’implantation  : cela a poureffet de sanctionner les nouveaux pro-jets périphériques sans affecter lescentralités traditionnelles, même si celaa pour autre effet de changer la naturede l’offre  : davantage de demandes depetites et moyennes surfaces y comprisalimentaires (plus de hard-discount etmoins d’hypermarchés). Mais l’inten-tion est là.Dès lors, la fonction commerciale dis-pose désormais des potentialités pours’inscrire pleinement dans les enjeux dela ville. Reste à donner les moyens à lapolitique de la ville de rapprocher ceséléments trop longtemps opposés  quesont la ville durable et la fonction mar-chande. n

Navette électrique du service Riponne Express, assurant depuis 1999 la livraison gratuite descourses des trois grands magasins du centre piétonnier de Lausanne jusqu’au parking de la Riponne.Place de la Palud, Lausanne (Suisse). © Nicolas Lebrun - Février 2012.

Earl’s Court Station dans l’ouest de Londres (Royaume-Uni). Entrée principale sur Earl’s Court Road.© Nicolas Lebrun - Février 2007.

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LA REVUE DU PROJET - AVRIL 2012

SCIENCESLa culture scientifique est un enjeu de société. L’appropriation citoyenne de celle-ci participe de la constructiondu projet communiste. Chaque mois un article éclaire une actualité scientifique et technique. Et nous pensonsavec Rabelais que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ».

*LÉO COUTELLEC est docteur en philoso-phie des sciences à l’INSA de Lyon – EVS-ITUS (UMR 5600)

ans un précédent texte, nouspostulions que les appels à une sciencecitoyenne et participative, auxquels nousnous associons, ne trouveront leur per-tinence que s'ils s'accompagnent d'unemise en œuvre effective des conditionsd'une démocratie épistémique ; en d'au-tres termes, que la démocratisation desrapports entre science et société ne sefera pas sans une démocratisation de lascience elle-même. Nous esquissions unepremière condition : le pluralisme épis-témique. Ce dernier concept impliquel'identification et la reconnaissance dela matérialité plurielle constitutive de ladémarche scientifique. Nous avonsconstaté, à l'occasion de l'exemple desorganismes génétiquement modifiés, laportée pratique d'une telle hypothèsepour la tenue des débats sur les objetsdes sciences et des techniques contem-poraines.Il nous faut maintenant avancer uneseconde condition  : celle qui consiste àétablir de nouveaux rapports entresciences et éthiques. Les réflexions à pro-pos de ces rapports sont souvent trèsmal engagées car elles reposent toutessur deux postulats assez problématiquesqui font système  : la neutralité axiolo-

Par LÉO COUTELLEC*

gique de la science et la suffisance d'uneéthique de la science. Dans un premiertemps, nous allons argumenter en faveurd'une impossibilité de soutenir ces deuxpostulats afin de dégager, dans un secondtemps, les contours d'une éthique sus-ceptible de s'engager auprès des sciencesdans des rapports de construction démo-cratique.

L'IMPOSSIBLE NEUTRALITÉ AXIOLOGIQUEDE LA SCIENCELa présence dans les sciences de valeursépistémiques est la démonstration la plusévidente de l'impossible neutralité axio-logique des sciences. Toutefois, la ques-tion des valeurs considérées comme nonépistémiques est plus difficile. Elle a étémise sur le devant de la scène, en philo-sophie des sciences, par le mouvementféministe. Quelques fois appelée « épis-témologie libératrice », cette philosophiedes sciences féministe entend redonnerune place à la question axiologique ausein de l'espace épistémique et contrasteavec ce que certains auteurs appellentune « épistémologie de l'ignorance » quine permettrait pas de faire de la placepour l'expression de toutes les voix (detoutes les voies). Historiquement, ces tra-vaux ont montré que « les idées clas-siques de raison et de connaissance ontrégulièrement accueilli, sinon renforcer,les divisions sociales injustes, en parti-culier celles liées au sexe, à la race et auxclasses ». Ils participent de la critique dupositivisme logique et de la représenta-tion selon laquelle la science serait exclu-sivement indépendante des valeurs

(value-free science). Ils ont donc joué unrôle important dans le développementdes arguments suggérant que les valeurshabituellement considérées comme non-épistémiques ne peuvent pas être élimi-nées des pratiques épistémiques, maisqu'au contraire ces valeurs doivent êtreexplicitées et peuvent avoir un rôle delégitimité épistémique. Il persiste toute-fois une difficulté à circonscrire cesvaleurs et à évaluer leur impact sur larobustesse de la connaissance. L'équité,le bien-être, la justice sociale, la soute-nabilité écologique, etc. sont des valeursimportantes que la science ne sauraitignorer si elle veut continuer à être vec-teur d'émancipation humaine tout commeelle se doit de se défaire de valeurs réac-tionnaires ou inégalitaires. Mais le che-min semble difficile entre une concep-tion positiviste de la science n'admettantque des valeurs épistémiques et défen-dant une neutralité axiologique radicaleet une conception relativiste qui concè-derait à tout type de valeurs non-épisté-miques une place de choix dans ladémarche scientifique. L'un des enjeuxépistémologiques actuels peut donc êtreformulé ainsi  : comment ne pas excluredu processus épistémique les valeurséthiques, sociales et contextuelles touten maintenant un concept de sciencerobuste ne se diluant pas dans une pos-ture relativiste  ?Devant l'ampleur de cet enjeu, une réponsede compromis semble avoir été trouvéedans le développement de ce que l'onappelle les éthiques de la science qui, sansremettre en cause la neutralité axiologique

La démocratie épistémique commecondition d'une science citoyenneLa démocratisation des rapports entre science et société ne se fera passans une démocratisation de la science elle-même.

De nouveaux rapports entre sciences et éthiques (2/3)1

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AVRIL 2012 - LA REVUE DU PROJET

de celle-ci, lui impose une morale sur plom-bante pour contrôler ses procédures etjuger ses productions.

UNE ÉTHIQUE DE LA SCIENCE NÉCESSAIREMAIS NON SUFFISANTEToutes les tentatives pour définir uneéthique de la science ou une éthiquescientifique partent de ce postulat d'unescience axiologiquement neutre.Autrement dit, c'est précisément parceque l'on cherche à exclure dans lessciences toute influence de valeurs non-épistémiques que la nécessité d'uneéthique de la science est avancée. Cetteéthique de la science n'est toutefois pastant une éthique mais plutôt une moralede la science ou une déontologie scien-tifique qui se caractérise classiquementpar des appels au respect des règles, prin-cipes et protocoles que la communautéscientifique se donne et se présente sou-vent sous le terme d'intégrité scienti-fique. Une conception que l'on retrouve

par exemple chez les signataires de l'ap-pel pour le respect des travaux sur lechangement climatique lancé en réac-tion aux propos de ce que l'on appelle lesclimato-septiques. Cet appel exprimait lanécessité pour les pouvoirs publics dereconnaître l'intégrité des travaux scien-tifiques sur le climat qui se basent surles principes d'une « éthique scientifique »caractérisée principalement par des pro-cessus critiques de relecture, de vérifi-cation et de publication des résultats. Àcela, nous pourrions ajouter l'absence deconflits d'intérêt qui devient primordialaujourd'hui et qui peut prendre la formed'appels pour une déontologie de l'ex-pertise, ainsi que la volonté de prévenirla fraude scientifique. À notre avis, cesdifférents aspects sont fondamentaux.Ils constituent inévitablement un soclecommun pour les démarches scienti-fiques, garant d'une partie de la qualitédes productions et d'une forme de col-

légialité de la recherche scientifique parla diffusion systématique des résultatset par des principes organisationnels devalidation. Mais nous constatons qu'ilmanque un aspect important du pro-blème. Celui-ci a été identifié et argu-menté par la philosophe des sciences J.Kourany lorsqu'elle fait remarquer que,malgré la multiplication des codeséthiques, des codes de bonnes conduites,des chartes de déontologie, etc., il n'estjamais explicité la façon dont les scien-tifiques ont à faire face aux confits entreresponsabilités épistémiques et respon-sabilités éthiques. Plus largement, toutesces éthiques de la science laissent intactle concept de science, elles agissent surla science prise comme un fait. L'éthique,comprise de cette façon, ne peut êtreconsidérée comme suffisante au risqued'agir comme une morale surplombantla science contrôlant ses procédures ouintervenant a posteriori pour limiter oujuger ses productions. En cela, elle ne seprésente pas comme une issue positivepour une prise en compte mesurée devaleurs non-épistémiques dans lessciences. Pour ce faire, nous pensons qu'ilest nécessaire de repenser le statut et laplace de l'éthique, non plus à propos ouautour des sciences mais aux cœur dessciences.

POUR UNE ÉTHIQUE GÉNÉRIQUE INSCRITEAU CŒUR DES SCIENCESDe façon classique, l'éthique n'est pasconsidérée comme un savoir et encoremoins comme une science car elle nepourrait prétendre à l'autonomie. Nouspostulons le contraire. Qu'il s'agisse d'unappel des scientifiques, d'une demandesociale ou d'une orientation politique,l'intervention de l'éthique dans lessciences et les techniques nécessite enpremier lieu de caractériser précisémentles conditions de son autonomie. Pour cefaire, il s'agit en premier lieu de clarifierles motifs de convocation de l'éthiquepour lutter contre son instrumentalisa-tion. Comment concevoir l'éthique pourqu'elle ne soit considérée ni comme unalibi, ni comme un ustensile, ni commeune prothèse, ni comme « justificatrice »de toute innovation scientifique ou tech-nique ni comme une « nouvelle morale »qui imposerait ses normes a priori ? Nouspensons que l'éthique devrait intervenirle plus tôt possible dans les processus

d'élaboration d'une connaissance ou d'unobjet, comme espace de savoir autonome.Il nous est impossible dans ce texte dedonner les contours de cet espace. Nouspouvons toutefois caractériser le moded'intervention d'une telle éthique dansles sciences. Selon nous, l'enjeu n'est pasde construire une éthique de la scienceou une éthique scientifique – nous enavons esquissé les limites – mais plutôtune dimension autonome dont le moded'intervention et la portée permettentde ré-évaluer les rapports entre scienceset éthiques. Nous donnons le nomd'éthique générique à ce projet. Noustransformons le concept d'éthique à l'aidedu générique, qualificatif que nousempruntons au philosophe FrançoisLaruelle. La généricité de l'éthique secaractérise par sa capacité à intervenirsur des espaces hétérogènes de savoirssans jamais dépendre complètement del'un de ces savoirs. Ainsi, l'éthique géné-rique n'est ni une éthique appliquée niune éthique absolument théorique maisplutôt une multiplicité de démarchesexpérimentales composant avec tous lesingrédients de la réflexion éthique. Laforce du générique est une force d'inter-vention neutre et non-autoritaire d'unsavoir dans un autre savoir considérécomme étranger. Cela se fait selon unelogique cumulative et non substitutive.L'éthique ne cherche pas à se substituerà la science ou à la limiter mais plutôt às'y additionner comme savoir. Un de sesusages est de permettre de faire valoir,au cœur des sciences, des valeurs commele pluralisme, la coopération ou encorel'engagement qui forment la matrice dela communalité propre aux sciences, àsavoir cette capacité à créer un mondecommun. L'éthique en tant que savoirsera mise à contribution pour donner àces valeurs une dimension épistémique.Quelques exemples récents nous permet-tent d'illustrer cette posture de l'éthiquedans les sciences.

L'éthique générique est donc une contri-bution pour une science de l'Homme etselon l'Homme. Dans un troisième texte,nous approfondirons cette dimension intrin-sèquement éthique des sciences en abor-dant la question du temps.

1) Ce texte fait suite à un premier article publié dansle numéro de janvier 2012 de la Revue du Projet.

L'équité, le bien-être,la justice sociale, la soutenabilitéécologique, etc. sont des valeursimportantes que la science ne

saurait ignorer si elle veutcontinuer à être vecteur

d'émancipation humaine

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Patrice BessacRepsonsable national du [email protected]

Stéphane Bonnery Formation/Savoirs, é[email protected]

Nicolas Bonnet [email protected]

Hervé Bramy É[email protected]

Ian Brossat Sécurité[email protected]

Laurence Cohen Droits des femmes/Féminisme [email protected]

Xavier Compain Agriculture/Pêche [email protected]@pcf.fr

Olivier Dartigolles [email protected]

Yves Dimicoli Économie [email protected]

Jacques Fath Relations internationales, paix et désarmement [email protected]

Olivier Gebhurer Enseignement supérieur et [email protected]

Jean-Luc Gibelin Santé Protection [email protected]

Isabelle De Almeida [email protected]

Fabienne Haloui Lutte contre racisme, antisémitisme et [email protected]

Alain Hayot [email protected] ou [email protected]

Valérie GoncalvesÉ[email protected]

Jean-Louis Le Moing [email protected]

Danièle Lebail Services Publics et solidarités [email protected]

Isabelle Lorand Libertés et droits de la [email protected]

Sylvie Mayer Economie sociale et solidaire [email protected]

Catherine Peyge Droit à la ville, [email protected]

Gérard Mazet [email protected]

Eliane Assassi Quartiers populaires et liberté[email protected]

Richard Sanchez [email protected]

Véronique Sandoval [email protected]

Jean-François Téaldi Droit à l’information [email protected]

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Jean-Marc Coppola Réforme des collectivités [email protected]

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Noëlle MansouxSecrétaire

de rédaction

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Pages critiques

Alain VermeerschRevue des

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Partice Bessac

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COMITÉ DU PROJET ÉLU AU CONSEIL NATIONAL DU 9 SEPTEMBRE 2010 : Patrice Bessac - responsable ; Patrick Le Hyaric ; Francis WurtzMichel Laurent ; Patrice Cohen-Seat ; Isabelle Lorand ; Laurence Cohen ; Catherine Peyge ; Marine Roussillon ; Nicole Borvo ; Alain Hayot ; Yves DimicoliAlain Obadia ; Daniel Cirera ; André Chassaigne.

L’ÉQUIPE DE LA REVUE

LES RESPONSABLES THÉMATIQUES

Liste publiée dans CommunisteSdu 22 septembre 2010

Nicolas Dutent

Communisme en question

Gérard Streiff

Combat d’idées

FrédoCoyère

Mise en pagegraphisme

Côme SimienHistoire

AnneBourvicRegard

RenaudBoissac

Collaborateur

Corinne Luxembourg

Territoires