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I:\SEMIO-2007\WIROTIUS-HORIZON-SEMIOLOGIE-03.doc
JMW Page 1 30/03/2008
La description de la sémiologie en Médecine Physique et de Réadaptation
Essai de sémiotique pratique en rééducation
Jean-Michel Wirotius
Centre de Recherches Sémiotiques, EA 3848
Département des Sciences du Langage,
Université de Limoges
87000 Limoges
Service de Médecine Physique et de Réadaptation
05 55 92 60 05, 06 87 48 37 09
Centre Hospitalier
19100 Brive
Résumé : Les diverses spécialités médicales et la médecine en général proposent une écriture explicite des
systèmes de signes utilisés dans les pratiques professionnelles. Au contraire, le champ de la rééducation et du
handicap n’ont pas encore décrit leur sémiologie. Nous proposons une analyse de ce manque, une première
écriture des systèmes de signes en Médecine Physique et de Réadaptation et une approche de ce qui constitue
dans ce paysage professionnel, la rhétorique comme substitut sémiotique.
Mots clés : sémiologie médicale, sémiotique, rhétorique, rééducation, handicap, médecine physique et de
réadaptation (MPR)
Jean-Michel Wirotius
1 rue Louis Miginiac
19100 Brive
06 87 48 37 09
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1. INTRODUCTION
Nous proposons une première synthèse des travaux sur la sémiologie en MPR. Notre projet est de décrire dans la
langue la sémiologie telle qu’elle est utilisée dans le registre de la rééducation et du handicap. Cette écriture n’est
pas disponible aujourd’hui pour les professionnels de santé engagés dans les soins des personnes dont le corps
est modifié par la maladie, l’accident.
Le point de départ que chacun peut accepter est le suivant : la sémiologie médicale, celle qui est permet le
diagnostic des maladies, n’est pas pertinente dans le champ de la rééducation et du handicap. Mais au-delà de
cette évidence qui ne fait que relayer en amont l’inadéquation de la Classification Internationale des Maladies
(CIM) par rapport au handicap, que pouvons-nous dire de plus. Si on suppose une singularité dans la
« classification » des handicaps alors, il y a aussi une sémiologie singulière qu’il importe de décrire.
Nous ne savons ce que pourra apporter dans le futur la description explicite de cette sémiologie en MPR, mais
nous mesurons dès à présent les conséquences de ce manque tant au niveau des pratiques professionnelles que de
la recherche clinique. Les conséquences de l’absence de théorie sémiotique en MPR sont plus faciles à décrire
que les bienfaits que sa description dans la langue permettra.
La sémiologie médicale dans sa version commune ne fait pas que permettre l’accès au diagnostic. Elle réverbère
ses principes pratiques dans le champ de la rééducation où elle impose ses modèles, comme elle le fait dans la
lecture du handicap pour les professionnels de la santé. Le handicap devient alors (1) une représentation
commune des difficultés proche du sens commun (2) la somme des symptômes à visée diagnostique que connaît
le professionnel via la sémiologie médicale. C’est à partir de cette prise d’informations, de cette lecture que les
attitudes soignantes se mettent en place.
La sémiologie en MPR, en attente d’une description partagée, a déjà une histoire et les premiers textes publiés
sur ce sujet datent des années 80. Il y a maintenant plus de 20 ans qu’ont été formulées les prémisses de ces
recherches et de ces questionnements. Nous avons découvert en premier ce que n’est pas cette sémiologie. Ce
qui reste à découvrir, à décrire plus avant est devant nous. La question clé est celle de la validation de cette
description. Comment savoir si nos propositions d’écriture de cette sémiologie ont de l’intérêt et sont
pertinentes. A la démarche déductive de mise en place des concepts doit correspondre en miroir une démarche
inductive de vérification empirique de leur pertinence. C’est dans cet aller et retour que nous pensons trouver la
voie à suivre pour progresser.
Cette recherche encore exploratoire a déjà une prétention pédagogique, car cette sémiologie en rééducation n’est
pas décrite et manque au cursus des professionnels de santé. En effet, il y a un grand besoin de ces données sur le
terrain des soins même si les contenus sémiologiques en MPR sont loin d’être stabilisés. Ce travail sur une
pratique professionnelle montre l’importance de la recherche fondamentale en sémiotique et de la recherche
appliquée qui renforce les contenus théoriques et parfois les ajustent.
Nous sommes ainsi face à un double défi : (1) Ecrire la sémiologie pour la penser (2) proposer des stratégies de
communication cohérentes avec les concepts actuels de la sémiotique et avec les valeurs et les discours
professionnels de la rééducation (MPR).
1. L’objectif du travail sémiotique en MPR
L’objectif que nous poursuivons est tellement simple que nous sommes surpris après quelques années de travail
de n’avoir encore pu aboutir. Notre cible est bien définie : décrire la sémiologie en MPR dans le champ du
handicap et de la réadaptation, comme on le propose depuis des décennies dans toutes les disciplines médicales.
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La sémiologie est décrite en médecine, en chirurgie, en cardiologie, etc. et chacun s’accorde à dire l’importance
de la description des symptômes et des signes en médecine.
« La sémiologie est de toutes les matières demandées aux divers
examens qui s’échelonnent sur les six années d’études médicales, la
plus importante, la seule importante peut-être. Elle est en effet, le
lieu de rencontre des signes cliniques et des données scientifiques
indispensables au médecin, ainsi que le point de départ des
constructions permettant de reconnaître puis de classer les
maladies »1 Mathé G, Richet G, 1965
Figure 1 : La sémiologie : son importance dans les études médicales
Pourtant en MPR rien de tel n’est mis en mots. Est-ce à dire pour autant que les situations vécues au quotidien
n’ont pas de sens ? Bien sûr que non ! Notre univers nous parle et nous interagissons avec lui, mais alors quel est
le support de ce plan du contenu et comment lui-même est-il structuré ? Pouvons-nous mettre en mots cette
expérience ? C’est cela notre objet : il est simple à dessiner, très difficile à construire. Ce manque de capacité à
rapporter dans la langue l’univers des significations dans ce domaine des soins est universellement ressenti par
les professionnels de la rééducation, tantôt renvoyé à un code secret partagé entre initiés, tantôt à une lacune
pénible à supporter, avec toujours en toile de fond un sentiment d’isolement.
Nous ne souhaitons pas faire exister ce qui ne serait pas, mais traduire le quotidien de chacun, ce qui se fait dans
les pratiques des professionnels de la rééducation. Ceci suppose une mise à distance du discours commun sur la
rééducation qui la perçoit comme une pratique médicale ordinaire avec des « interventions » prescrites comme
des médications (des séances de …). Dans la doxa la rééducation agit comme un antibiotique avec une relation
effet-dose des « interventions ». Si cette dimension médicale commune de la rééducation est l’un des axes
possibles des soins, et de la recherche, elle n’est qu’une partie visible et très partielle de ces pratiques. Elle
masque l’essentiel des objectifs en rééducation, « la (re)constitution de soi-même comme sujet, utilisant le plus
heureusement ses possibilités, l’autonomie et la dissolution de l’état de dépendance à l’égard des soignants, et
non pas l’hétéronomie et l’emprise sur autrui, facilitée par la fragilité et la vulnérabilité de ce dernier2 ».
Les divers pays ont, dans le monde, essayé de structurer les soins en milieu sanitaire dédiés aux personnes
handicapées sous le nom aujourd’hui générique de Médecine Physique et de Réadaptation (Physical Medicine
and Réhabilitation). Mais rien n’est encore véritablement acquis quant à la stabilité des univers professionnels
construits. Le champ défini reste fragile, avec des contours incertains, flous et des représentations encore à
préciser auprès des divers publics. Cette discipline médicale n’a aujourd’hui ni représentation symbolique
communément partagée, ni sémiologie explicite et écrite, ni catégorisation stable disponible. Autant dire que
dans la période actuelle, du tout « évaluation », du tout « procédure », du tout « certification », ce manque de
contours perceptibles est particulièrement préjudiciable à son développement.
De nombreux thèmes sont attachés à cette description de la sémiologie en rééducation : (1) les raisons de cette
absence de description de la sémiologie rééducative (2) la description utile et pratique de la sémiologie en
rééducation (3) l’analyse des conséquences de cette absence de description. Mesure-t-on mieux le manque
sémiologique que l’intérêt de sa présence à venir ? (4) l’histoire du signe en MPR, (5) les objets rhétoriques et
éthiques de remplacement, (6) la visibilité et la lisibilité de la rééducation pour chacun, etc. Notre souhait dans
ces premières ébauches de description est de rester en phase, en harmonie tant avec la sémiotique, avec la
science des signes qu’avec la MPR, son histoire et ses valeurs. Pour la MPR notre propos est d’assurer une
cohérence de l’ensemble du monde des significations en MPR, de prendre en compte ce qui fait sens aujourd’hui
1 Mathé G, Richet G : Sémiologie médicale. Paris, Flammarion, 1965. (préface)
2 Darrault-Harris I, Klein JP : Pour une psychiatrie de l’ellipse. Limoges, Pulim, 2003. (p 72-73).
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pour les professionnels, ce qui émerge dans les discours et ce qui n’est pas encore mis en mots. Cette approche
peut avoir comme objectif d’être une sémiologie professionnelle et une métasémiotique.
La sémiologie en MPR offre un paysage singulier : elle utilise de façon conjointe la sémiologie médicale usuelle,
commune aux diverses disciplines médicales, mais aussi une autre sémiologie dite « fonctionnelle » ou
« rééducative » dont la description est en cours. A ces deux sémiologies sont adossées deux conceptions des
soins en rééducation que nous proposons d’appeler les schémas médicaux et les schémas rééducatifs.
En pratique, la sémiologie médicale est la langue véhiculaire commune en médecine comme en rééducation dans
cette situation de carence actuelle, d’absence d’une sémiologie rééducative explicite. Mais le point de vue lié à la
sémiologie médicale oriente aussi la conception de la rééducation. D’aucun n’ont pas vu que cette forte
imprégnation de la sémiologie médicale en rééducation avait des conséquences considérables sur les pratiques et
ceci indépendamment même de son absence de pertinence reconnue par tous dans le champ du handicap.
Pourquoi proposer de décrire un autre système de signes ? Alors que rien ne vient inciter à faire coexister au côté
de la langue dominante, une langue différente (celle de la rééducation) porteuse d’une culture singulière.
Pourquoi écrire cette autre sémiologie ? Elle n’est pas demandée par les professionnels. La sémiologie en MPR
n’est ni visible par sa présence, ni perceptible comme manque.
Le caractère exploratoire de ces recherches sur la sémiologie en rééducation est à souligner : rien de stable et de
classique n’est encore construit. Nous sommes à la recherche non pas d’une description exhaustive du signe en
MPR mais au moins d’une approche de cette question qui puisse (1) être éclairante pour les professionnels de la
réadaptation, (2) être proposée dans l’enseignement auprès de ceux qui ont à connaître le champ de la
réadaptation, (3) servir de médiation à des échanges entres disciplines, entre les disciplines médicales comme
entre la rééducation et d’autres champs investis dans le champ de l’humain (les sciences humaines et sociales
comme la psychologie, la sociologie, l’anthropologie, la linguistique, …).
L’intérêt de la description de la sémiologie en MPR se retrouve dans (1) l’enseignement de ceux concernés par le
handicap et aujourd’hui tous les professionnels de santé le sont, (2) la visibilité de la discipline, la MPR et plus
généralement le champ rééducatif institutionnel, (3) la résolution des hétérogénéités perçues dans le champ du
handicap et de la rééducation, (4) les perspectives cliniques pour utiliser de façon extensive les principes
généraux de la rééducation dans et au-delà des indications actuelles, (5) les schémas médicaux classiques, (6) la
lecture du sens en rééducation, (7) les processus de catégorisation du handicap, (8) la stigmatisation des
comportements. En effet l’utilisation de la sémiologie médicale en retour sur les comportements (des lésions vers
les symptômes et non plus des symptômes vers les lésions) propose une lecture de symptômes toujours les
mêmes pour tout le monde (et pour cause, ils ont été retenus pour cela) et volontiers non pertinents (ou alors pas
pour les mêmes raisons) sur le plan fonctionnel.
Nous proposons d’utiliser les concepts et la terminologie de l’existant tant dans le champ sémiotique que
rééducatif pour éviter les néologismes et faciliter au mieux l’accès à cette description. Cette préservation de la
terminologie commune permet à celui qui s’informe plus avant sur un terme de le retrouver dans les littératures
scientifiques disponibles. Par exemple dans la catégorisation du handicap, nous avons conservé la dénomination
de « prototype » alors qu’appliqué à l’humain et plus encore au champ du handicap, il semble mal venu. Ce
contingentement théorique contient ses propres limites puisqu’il est lié aux outils disponibles3 dans les sciences
humaines.
Il ne faut pas chercher à retrouver dans ces descriptions un calque ou une photocopie des pratiques utilisables
directement sans un apprentissage conjoint en immersion dans le milieu professionnel : « L’analyse de la
sémiologie rééducative est irréductible à sa seule lexicalisation, qu’elle soit commune ou experte4. Toute
représentation d’un système de signes, ici en MPR, n’est qu’un simulacre au regard du champ des pratiques.
Dans les langues (ici professionnelles), l’acquisition de l’outil en situation pour comprendre et parler la langue et
3 Cette disponibilité tient non seulement aux développements théoriques disponibles mais aussi et sans doute
surtout à notre capacité à les mettre en œuvre dans ce travail. 4 Floch JM : Identités visuelles. Paris, Puf, 1995. (p 117)
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la description que les sciences du langage en proposent à un moment donné sont nécessaires à la pratique
professionnelle mais elles ne sont pas réductibles l’une à l’autre.
2. La difficulté d’écriture de la sémiologie en MPR
Une fois dit l’objectif, celle de la mise en mot de la sémiologie en MPR, tout se complique et induit une
interrogation récurrente : pourquoi de ce long purgatoire de la sémiologie en MPR ? Si cette sémiologie n’est pas
décrite de façon explicite, plusieurs hypothèses sont envisageables :
(1) Cette sémiologie n’existe pas et c’est une première hypothèse, mais comme le souligne Greimas, s’il y a du
sens dans une situation donnée alors il y a tout à la fois un plan d’expression et un plan du contenu : « cette
présupposition réciproque est le seul concept logique non défini qui nous permet de définir réciproquement à la
suite de Hjelmslev le signifiant et le signifié »5. Si le quotidien des situations cliniques est porteur de sens pour
les professionnels de la rééducation, alors il y a un support d’expression qui lui correspond.
(2) L’absence usuelle de conscience sémiologique : la sémiologie ne se laisse pas découvrir par la simple
expérience de l’usage d’un système de signes. Or la théorie sémiotique comme la théorie du langage est
« nécessairement empirique et déductive6 ». La prise de conscience sémiotique est difficile et nous n’avons pas
d’accès au mode de fonctionnement des langues en général. Nous ne savons pas vraiment comment fonctionne
notre propre langue maternelle et l’expérience du quotidien ne nous éclaire pas toujours.
(3) Cette absence de conscience sémiologique est à mettre en parallèle avec l’absence d’identification de la
« rééducation » comme un champ sanitaire aux contours définis. La « rééducation » (ou MPR) n’est pas
reconnue comme une discipline médicale mais plutôt un jeu de techniques sans contenu théorique propre. La
référence disciplinaire médical est liée à la compétence sémiologique : si nous faisons appel à une spécialité
médicale, c’est que nous reconnaissons aux professionnels correspondants une expertise sémiologique singulière.
(4) Il y a déjà un langage qui occupe le terrain celui de la sémiologie médicale commune. Commune, veut dire
ici que la sémiologie médicale partage au seins des diverses autres spécialités une même structure.
Ce langage médical est dominant, consensuel, partagé chez les professionnels de santé qui l’ont tous découvert
par l’enseignement et il génère l’intercommunication. Les professionnels de la rééducation ont plutôt un désir de
conformisme pour ressembler au mieux aux autres disciplines médicales. Résister à cette dominance supposerait
offrir au groupe majoritaire la réflexion consistante d’une minorité culturelle consistante. La sémiologie
médicale commune véhicule des valeurs axiologiques fortes (guérir l’autre) et réfère à une entité unifiante, la
maladie, jugée comme une totalité indépassable et émotionnellement forte mais apaisante. Elle reste nécessaire
en rééducation car pour une part la rééducation est organisée autour du diagnostic médical des cascades
lésionnelles qu’il faut stopper au premier palier. La rééducation offre cette particularité et cette ambiguïté
d’utiliser la sémiologie médicale et la sémiologie rééducative de façon conjointe et inbriquée.
(5) La description écrite de cette sémiologie est difficile : elle est mal aisée à mettre en mots, à traduire dans la
langue. Mais alors on ne fait que repousser l’explication. Pourquoi cette sémiologie rééducative est-elle difficile
à mettre en mots ? La sémiologie en rééducation ne se laisse pas décrire comme une sémiotique de signes et son
univers sémantique est instable basé sur la notion de situation. « Mais, ils n’écrivent pas ! » : c’est souvent ainsi
que l’on présente les intervenants des services de rééducation. Ils ne notent rien sur les dossiers de soins ou tout
au plus une présence, un passage. Est-ce qu’ils n’ont rien à dire, est-ce qu’ils ne veulent pas le dire ou qu’ils ne
peuvent pas le dire faute d’un langage disponible ? Cette question reste en suspend, mais notre sentiment est que
cela témoigne de la difficulté à inscrire cette expérience dans des mots. La rééducation est action dans le sens de
l’énaction de Varela, c’est à dire qu’elle se construit dans l’interaction et qu’elle s’évanouit aussitôt que la
situation disparaît.
5 Greimas AJ : Sémantique structurale. Paris, Puf, 1986. (p 10)
6 Hjelmslev L : Prolégomènes à une théorie du langage. Paris, Les Editions de Minuit, 1968. (p 23).
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Tous les professionnels de la MPR connaissent cette laborieuse et frustrante communication (ou non-
communication) avec les autres spécialités médicales. Ce qui est le cœur du sens pour la MPR n’est pas lu par les
autres professionnels. Cette difficulté à mettre en mots ce système de signes, celui de la rééducation est ressenti
dans toutes les cultures, comme en témoigne la métaphore de l’ascenseur proposée par nos collègues des USA
(Figure 2).
« Imaginez-vous entrant dans un ascenseur. La personne à côté de vous vous
pose une simple question : « que faites-vous ? » Pouvez-vous lui répondre avant
que l’un de vous deux ne sorte de l’ascenseur ? »
Figure 2 : The Physiatrist7 : L’indicible et la métaphore de l’ascenseur
L’ascenseur est une métaphore très curieuse à utiliser en rééducation, car l’ascenseur est un objet
paradigmatique, rapide et presque intemporel. Il va vite, son tempo est vif et il annule le contexte : il n’y a plus
de temps et plus d’espace visité. Son attente est pénible à vivre mais ensuite il agit dans une forme de virtualité
car les changements de niveaux s’ils sont ressentis sur un plan proprioceptif ne se segmentent que si l’on observe
le défilement des numéros correspondants aux étages. Ce contraste entre les représentations d’un « ascenseur » et
celles de la rééducation permet de susciter le malaise perçu. La rééducation fonctionne sur l’axe syntagmatique
avec du temps et dans un espace perçu, dans une situation de vie. Les significations en rééducation s’opposent à
celles évoquées par la métaphore de l’ascenseur.
3. Le champ de la rééducation
La rééducation est un mot transparent pour les divers professionnels du champ de la santé comme pour le
public. La vacuité du terme renvoie à la construction d’un sens « évident » celui du sens commun. La
construction sémantique en rééducation suppose d’abord que l’on pose de façon formelle la question du sens
dans ce chapitre des soins.
La MPR est le cadre académique et institutionnel de la rééducation dans le monde sanitaire. Ce champ de la
rééducation est très vaste et s’étend au-delà du monde sanitaire, au monde éducatif, social, professionnel,
politique. Il correspond toujours à l’idée d’immerger un sujet « déviant » dans un milieu (un collectif
professionnel) qui va lui permettre de retrouver le cadre social ordinaire. Cette dynamique suppose qu’une
personne accueillie dans un groupe d’influence est susceptible d’évoluer et de se conformer à ses propositions
idéologiques.
7 « Physiatrist » est le nom donné aux médecins spécialistes de MPR aux USA et au Canada (Physiatre)
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Figure 3 : La rééducation : du sanitaire au social
La notion de rééducation sous-tend le fait de proposer des zones de transition entre un état ancien jugé décalé par
rapport aux besoins fonctionnels, professionnels, sociaux et un nouvel état dit « adapté ». De façon incidente,
cela sous-entend des capacités de changement et ici une transformation attendue lors d’un parcours rééducatif.
Figure 4 : Les réunions des professionnels de la MPR
en France et aux USA en 2007 (à Saint-Malo et à Boston)
Les deux contextes de l’éducation et de la rééducation supposent qu’un changement est possible. Dans les deux
cas, c’est le choix des personnes (éduquées ou soignées) qui est l’essentiel. On sait que ce qui va définir la place
hiérarchique d’un établissement scolaire est le niveau de ses élèves, d’où l’importance du recrutement, de la
« sélection » de ceux que l’on choisit.
Les ressemblances et les différences entre éducation et rééducation sont utiles à analyser. La proximité lexicale
nous y invite et nous pouvons, dans un premier regard, comprendre la rééducation comme une éducation
recommencée. Cette hypothèse est confortée par l’idée que celui qui entre en rééducation a perdu des aptitudes
antérieurement acquises et qu’il convient de les retrouver. Ce sont d’abord les pertes fonctionnelles qui sont
ressenties en rééducation même si la sémiologie en MPR doit s’accommoder des excès à côté des manques.
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« LA REHABILITATION » EN PSYCHIATRIE
Figure 5 : Extrait de l’annonce de la réunion : « La réhabilitation, c’est maintenant », 2008
La notion de rééducation semble prendre corps dans le champ de la pathologie mentale : sur le site internet de
« rehab »8 la page d’accueil note : « des équipes de réhabilitation psychosociale composées de professionnels, de
familles et d’usagers œuvrent dans le champ sanitaire et le champ médico-social pour les personnes souffrant de
troubles psychiatriques chroniques ».
Dans notre propos, le mot « rééducation » est utilisé comme un terme générique, avec le souci d’intégrer non
seulement les idées communes qui lui sont associées, mais aussi les niveaux d’analyse que les disciplines comme
la MPR développent. Cette articulation permanente, ce dialogue entre les représentations communes et les
représentations professionnelles est constitutive de ce champ des soins.
4. Quels principes pour la description de la sémiologie en MPR
Les tentatives de description de la sémiologie en MPR ont connues diverses périodes : (1) avant 2000, nos
repères étaient les sémiotiques de signes au sens d’unités minimales à identifier avec la construction d’un
dictionnaire et d’une grammaire ; (2) depuis 2000, on se réfère à la sémiotique tensive, avec « le déplacement
des opérations discrètes vers les différences tensives et graduelles9 » et à un mélange des sémiologies médicales
et rééducatives avec les schémas médicaux et rééducatifs utilisés en MPR. Ce détachement possible de
l’aboutissement d’une sémiotique via la description d’une liste, d’un dictionnaire de signes élémentaires est
essentiel pour comprendre les développements actuels de la sémiologie en rééducation : « La sémiotique est
devenue progressivement une sémiotique du discours : elle assume par là ce à quoi elle était dès le départ
destinée, c’est à dire à élaborer une théorie des ensembles signifiants, et non une théorie du signe. Une
sémiotique dont les objets d’étude ne sont pas les signes, mais les ensembles et les pratiques signifiantes10
».
La description des langages s’effectue de deux manières différentes et complémentaires : « la description obéit
(…) à deux principes simultanément présents et contradictoires : elle est inductive dans son désir de rendre
fidèlement compte de la réalité qu’elle décrit ; elle est déductive de par la nécessité de maintenir la cohérence du
modèle en construction et d’atteindre à la généralité, coextensive du corpus soumis à la description11
» Les
difficultés de traduction dans l’écriture des significations en rééducation ont diverses origines, mais la nécessaire
construction à priori des modèles et le caractère déductif de la description sont pour nous l’une des causes
premières. Rien n’est offert à l’observation directe, même répétée chaque jour. En l’absence d’une théorisation
préalable aucune procédure de lecture du quotidien n’est objectivable.
8 http://www.rehabilite.fr
9 Fontanille J : Sémiotique du discours. Limoges, Pulim, 1999, 2003. (p 13)
10 Fontanille JF : Sémiotique et littérature. Paris, Puf, 1999. (p 2, p 17).
11 Greimas AJ : Sémantique structurale. Paris, Puf, 1986.
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Les « modèles » pour rendre compte de la rééducation et de sa sémiologie sont des outils qui ont la particularité
d’être temporaires et incomplets. Temporaires car ils sont destinés par effet d’aller-retour entre la théorie et la
description à être révisés et incomplets car aucun modèle ne peut être exhaustif.
Cette sémiologie en rééducation répond-elle à des principes communs quels que soient les champs envisagés,
moteurs, cognitifs, … ? Est-elle unifiante dans cette optique ? « Pour peu qu’on admette qu’une science se
définit par ses méthodes d’approche (ici une sémiologie singulière) et non par l’objet et le domaine
d’application » nous admettrons que ces méthodes qui fondent le point de vue des professionnels MPR et qui
définissent ce domaine des soins sont représentées par la description de la sémiologie en MPR.
Le propos attendu est de pouvoir « traduire cette théorie en un langage formel, cohérent et unique12
». Greimas
note13
« Les quelques remarques … ne sont destinées qu’à répondre, par approches successives, à la question
que tout chercheur se pose naturellement, à savoir : comment et par où commencer l’exploration d’un domaine
prometteur mais vaste et complexe » pour retrouver un processus général d’analyse qui ne dépende pas de l’objet
étudié, mais de la façon de l’étudier.
Il s’agit d’une traduction intersémiotique car il nous faut passer d’une sémiotique du corps à une description dans
le langage. Mais peut-on rendre compte du corps en action sans reformuler les informations dans ce même
langage (un film par exemple) ou faut-il aussi les traduire dans la langue ? Décrire la sémiologie en rééducation,
suppose de l’identifier et d’en rapporter les éléments dans la langue : « l’idée de la traduction se fonde sur des
processus de négociation, cette dernière étant justement un processus selon lequel pour obtenir quelque chose
on renonce à quelque chose d’autre, et d’où au final, les parties en jeu sortent avec un sentiment de satisfaction
raisonnable et réciproque à la lumière du principe d’or selon lequel on ne peut pas tout avoir14
». Cette
proposition nous invite à avoir des objectifs raisonnables pour cette description de la sémiologie en rééducation.
5. Les conséquences du manque de description de la sémiologie en rééducation
Les conséquences pratiques de l’absence de description de la sémiologie en MPR sont nombreuses et
d’importance variable.
Le point le plus critique est l’absence de construction symbolique de la discipline. Les professionnels d’une
discipline sont identifiés d’abord sur leurs compétences sémiologiques, sur leurs capacités à lire les signes et à
décoder les situations cliniques. Ici, rien de tel, car cette sémiologie en MPR n’est pas objectivée par les divers
acteurs des soins.
D’autres conséquences sont observables : (1) la dominante de la sémiosphère médicale dans les pratiques
référentes. La « rééducation » est perçue comme une sorte de « médication » que l’on administre lors
d’« interventions » ; (2) l’usage de la sémiologie médicale de façon réversible, c’est non plus en allant des
symptômes vers les lésions mais des lésions vers les symptômes alors assimilés aux comportements. C'est-à-dire
que seuls les symptômes connus pour leur appartenance aux signes médicaux sont identifiés au niveau du
discours du corps ; (3) l’absence d’enseignement formalisé de la MPR où les propos sont toujours de présenter
d’un côté la maladie et de l’autre des « techniques » de rééducation ; (4) la difficulté à concevoir les évaluations
des pratiques professionnelles : que va-t-on évaluer ? ; (5) le maintien du champ de la rééducation dans un
univers décontextualisé et purement logique, comme en médecine. La notion de situation qui est définitoire en
MPR pour le handicap comme pour la rééducation ne trouve pas sa place ; (6) l’impossible travail d’analyse, de
réflexion, de conceptualisation, sur des notions non écrites.
12
Greimas AJ, Courtès J : Sémiotique : dictionnaire raisonné de la théorie du langage. Paris, Hachette, 1979. (p
301). 13
Greimas AJ : Sémiotique de l’espace. Paris, Denoël, 1979. (p 15). 14
Eco U : Dire presque la même chose. Paris, Grasset, 2006.
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La liste des conséquences pratiques de cette absence de description n’est pas finie et chacun peut y ajouter
d’autres effets ressentis dans sa pratique clinique.
6. La sémiologie en médecine
La « sémiologie » d’une manière générale, hors de toute confrontation à la rééducation n’a plus de présence
théorique dans l’enseignement médicale, dans les livres mêmes dans ceux qui s’énoncent comme des livres de
sémiologie.
Elle n’a plus de place dans la réflexion au quotidien des professionnels, elle va de soi. Nul ne sait dire
aujourd’hui ce que sont les signes et les symptômes autrement qu’en les nommant. L’exemple du signe de
Babinski (du nom du médecin éponyme) est emblématique de la construction de la sémiologie médicale.
Figure 6 : Un signe emblématique en médecine, le signe de Babinski15
La sémiologie médicale retient comme symptômes des éléments qui répondent à des critères généraux : outre le
fait d’être identifiables, il faut qu’ils soient communs à tous les patients porteurs de la même lésion, et qu’ils
soient stables dans le temps si la lésion persiste. De ces remarques, on infère que l’on a en retour la sensation que
tous les patients se ressemblent car ils ont produit par principe tous les mêmes symptômes. Or les sémiologies et
leurs niveaux de pertinence ne se contentent pas d’être des langages. La sémiologie est aussi un point de vue qui
oriente les regards et les pratiques cliniques, diagnostiques et thérapeutiques.
Tableau 1 : Les logiques de la dépression16
(D Widlöcher, 1983)
«Faut-il donc (à la dépression) lui reconnaître le statut de maladie ou le lui refuser ? … La notion de
maladie obéit avant tout à des fins pratiques. Il s’agit de reconnaître un état identifié et de le traiter. La
démarche clinique commence lorsque l’état de maladie est admis. … Il est vrai qu’il n’existe que des
malades, mais la tâche du clinicien est de reconnaître derrière les particularités individuelles, les signes
d’une maladie universelle … Le clinicien doit opérer une réduction des données d’observation et les
convertir en signes de la maladie. Ceci nécessite qu’il dispose d’un code et qu’il sache déchiffrer les
données empiriques en fonction de ce code. Cette réduction de la conduite concrète au signe est en effet
inséparable de l’établissement de la liste des symptômes qui définissent la maladie. C’est même le fait que,
d’un malade à l’autre, on retrouve les mêmes signes, qui authentifie la maladie comme une entité
autonome. »
15
Bariéty M, Bonniot R, Bariéty J : Sémiologie médicale. Paris, Masson, 1969. 16
Widlöcher D : Les logiques de la dépression. Paris, Fayard, 1983.
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La sémiologie médicale reste une énigme tant pour ceux qui l’abordent du côté de la sémiotique puisque rien
n’est dit de sa structure dans les livres de médecine contemporains que pour les médecins pour lesquels elle est
une pratique, un langage dont la description formelle n’est pas ressentie comme utile à l’exercice quotidien.
L’essentiel est dans être dépositaire et non d’en déchiffrer les mécanismes.
« J’espérais quoique n’étant pas médecin saisir facilement
quelques principes de la sémiologie médicale dans les livres
qui portent ce titre ; ces livres ne m’ont rien apporté parce
qu’ils sont hautement techniques, hors de portée de ma
lecture, et aussi parce qu’ils ne comportent aucune
conceptualisation de la sémiologie ni aucune théorie de la
science des signes médicaux »
Figure 7 : La sémiologie médicale une énigme pour les sémioticiens17
(R
Barthes)
La sémiologie n’est pas une discipline dont on enseigne les bases conceptuelles. Certains comme Jean-Paul
Escande déplorent cette situation, cette perte des repères sémantiques. On propose une description matérielle des
signes médicaux sous la forme de dictionnaires, de listes de signes, mais rien n’est dit des principes de base qui
fondent en médecine les principes sémiologiques.
« Allons d’emblée à l’essentiel. Combien d’étudiants en médecine
répondraient correctement, si leur était posée à brûle-pourpoint cette
question basique : oui combien d’étudiants même chevronnés,
sauraient-ils répondre à cette question ? Quelle est la différence
opérationnelle entre un symptôme et un signe ? On peut craindre qu’il
n’y en ait presque aucun. »
Figure 8 : La sémiotique est une énigme pour les médecins18
(JP Escande)
Les raisons de ce manque tiennent à la fois au champ médical et au champ sémiotique. En effet du côté médical,
la question du signe n’est plus posée sur un plan théorique depuis de nombreuses décennies, et très peu de
médecins s’intéressent à la sémiologie dans ses mécanismes.
La sémiologie est décrite comme une liste de signes qui sont les produits de l’histoire de la clinique et du
consensus médical mais il n’est plus question de son identité, de sa structure. Elle constitue un patrimoine
partagé et rien ne semble utile à développer au niveau théorique tant sa position est statutaire et non discutée.
Elle n’est plus questionnée d’autant que les performances actuelles de l’imagerie médicale laissent croire qu’il ne
s’agit pas tant de lire des signes en médecine à partir de l’observable du corps malade mais de percevoir
directement un corps en images.
Les signes en médecine sont décrits et enseignés de façon commune à tous les professionnels de santé. Enseigner
la connaissance des maladies c’est enseigner la sémiologie médicale comme une base des savoirs partagés avant
d’aborder ensuite pour chacun les aspects plus spécifiques d’un champ professionnel.
17
Barthes R : L’aventure sémiologique. Paris, Editions du Seuil, 1985. (p 274) 18
Escande JP : Des symptômes et des signes, de la médecine et des humains. Site « Horizon Sémiologie »,
13/03/2007.
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2. L’HISTOIRE DU SIGNE EN MPR
La recherche sémiotique en rééducation est une histoire débutée il y a 25 ans ce qui au regard du temps n’est rien
ou très peu et avec trop peu de recul. Notre propos historique ne vaut ici que dans son apport à la compréhension
de la sémiologie en MPR.
Figure 9 : La leçon inaugurale d’André Grossiord pour la Chaire de Rééducation à Paris en mars 1968
Dès les débuts des réflexions en rééducation, la question du sens est présente. A Grossiord note que s’il peut
décrire les acteurs et le décor des soins, du service qu’il anime à l’Hôpital de Garches, il lui est plus difficile de
dire le sens et sa substance. Il en évoque pourtant l’importance en se référant à la notion d’ « esprit ». Ainsi le
plan d’expression de la MPR peut-être utilement décrit mais il reste à mettre en mots l’univers des significations
en jeu, le plan du contenu. Nous sommes dans cette filiation, dans la recherche d’une description de l’univers des
significations en rééducation.
En 1984, dans un document de travail présenté au CTNERHI19
pour une « Plate forme d’information sur
l’identification des situations de handicap », nous proposions quelques réflexions sur la sémiologie en MPR avec
des chapitres dont les intitulés sont toujours d’actualité : (1) la sémiologie à visée diagnostique n’est pas
pertinente pour l’analyse fonctionnelle, (2) peut-on rééduquer les signes ? (3) la sémiologie diagnostique ne peut
évaluer les changements observés dans l’évolution en rééducation. Toujours en 1984, et pour illustrer cette
question du signe en rééducation, nous avons écrit une ébauche de la sémiologie médicale dans un article du
Concours Médical20
. En 1986, nous avons organisé sous l’égide de l’ANMSR (Association Nationale des
Médecins Spécialistes de Rééducation21
) une réunion professionnelle sur l’apport des Sciences Humaines en
Rééducation : dans cette réunion une des thématiques, un des chapitres était consacrée à la sémiologie. En 1998,
nous avons publié un texte dans une revue de MPR des USA : Functional semiology, description and relevance
in Physical Medicine and Rehabilitation22
. Nous souhaitions proposer cette approche de la sémiologie dans un
commentaire de la revue, comme une bouteille à la mer à destination des professionnels de la réadaptation. Ce
texte de commentaires a été indexé dans les bases de données et donc diffusé très largement, mais il n’a
provoqué aucun débat en retour. Le mot de « semiology » n’a pas pour nos collègues des USA le sens que nous
lui donnons en Europe. Les « signes » sont regroupés dans les chapitres de « clinique médicale » et non de
« sémiologie médicale ».
19
CTNERHI : Centre Technique National d’Etudes et de Recherches sur les handicaps et les Inadaptations.
236bis rue de Tolbiac, 75013 Paris 20
Wirotius JM, Nadeau G, Pailler D : Un regard sur la rééducation fonctionnelle et sur la réinsertion sociale. Le
Concours Médical 1984 ; 106 : 35-40. 21
ANMSR : http://www.anmsr.asso.fr 22
Wirotius JM : Functional semiology, description and relevance in physical medicine and rehabilitation.
American Journal of Physical Medicine and Rehabilitation, 77, N°5, 463-464.
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Figure 10 : La sémiologie fonctionnelle
American Journal of Physical Medicine and Rehabilitation, 1998
L’opposition des deux sémiologies (ici nommées la sémiologie diagnostique et la sémiologie médicale) est
proposée dans une première schématisation publiée en 1998 dans l’American Journal of Physical Medicine and
Rehabilitation (Figure 10). Dans ce texte, la sémiologie diagnostique est présentée comme une sémiotique de
signes avec le couple signe – symptôme qui permet le diagnostic lésionnel et la mise en route des thérapeutiques
dites étiologiques. Pour l’autre partie, ici dans la zone inférieure du schéma la sémiologie fonctionnelle, propose
un schéma syntagmatique avec des cascades lésionnelles et fonctionnelles. D’un système fait d’oppositions (les
signes) on passe à un système fait de dépendances (les conséquences fonctionnelles). Cette première version très
sommaire, conserve de l’intérêt car on retrouve les éléments de cette version schématisée dans les
représentations sémiotiques actuelles de la rééducation.
En janvier 2000 ce thème (la description de la sémiologie en rééducation) est repris dans le cadre des recherches
du CeReS23
. La sémiotique proposait non plus la seule mise en évidence des signes élémentaires, mais la
description de deux plans autonomes celui de l’expression et celui du contenu : « les deux plans sont autonomes
et aucune correspondance terme à terme ne peut être affirmée entre les unités des deux plans : le parallélisme
observé est d’ordre structural et typologique, et non atomiste et biunivoque. Le langage n’est donc pas un
système de signes dans le sens conventionnel dont on a tant abusé, il se constitue comme une double implication
de structures hiérarchiques indépendantes, celles de l’expression et du contenu24
». La sémiologie en MPR
n’étant pas une sémiotique de signes, elle pouvait trouver dans les nouveaux paradigmes des possibilités de
description. Les premiers résultats de ces recherches seront présentés sous forme d’une thèse d’Université en
avril 200625
.
23
CeReS : Centre de Recherches Sémiotiques, EA 3848, Département des Sciences du Langage, Université de
Limoges. Direction : J Fontanille, puis JF Bordron. 24
Greimas AJ : Préface de la traduction française. Hjemslev L : Le langage. Paris, Les Editions de Minuit, 1963,
1966. 25
Wirotius JM : Approche sémiotique des pratiques professionnelles en Médecine Physique et de Réadaptation.
Doctorat en Lettres et Sciences Humaines, Sciences du Langage, Directeur de thèse : J Fontanille. Université de
Limoges, 565 p.
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3. LA DESCRIPTION SEMIOLOGIQUE
1. Les deux sémiosphères médicales et rééducatives
La pertinence de la notion de sémiosphère lorsque l’on observe la rééducation à la lumière de ce concept
témoigne de la banalité des questions soulevées par la rééducation lorsqu’elle constate ses rapports rugueux à la
langue dominante qui est celle de la médecine et de la sémiologie médicale.
Figure 1 : Les deux sémiosphères médicale et rééducative et leur intersection.
Sémiosphère
médicale
Sémiosphère
rééducative
Intersection des deux
sémiosphères
Figure 11 : Les deux sémiosphères médicales et rééducatives
Le projet est de décrire la langue qui correspond à la sémiosphère rééducative. Comme le rappelle Youri
Lotman, en se référent à Benveniste « aucune sémiosphère ne peut exister sans une langue naturelle en tant que
centre organisateur26
». La rééducation oscille entre deux schémas, celui de la médecine et celui de la
rééducation, c'est-à-dire qu’elle utilise pour un même objet et selon les moments l’un ou l’autre, l’un et l’autre.
Le modèle de la sémiosphère de Lotman définit un centre et une périphérie étrange, anomique, transgressive et
facinantes.
Dans le schéma médical, la rééducation est un lieu géographique ou sont réunis divers professionnels avec des
projets d’interventions différenciés et identifiés. Dans cette représentation chacun semble jouer un rôle singulier
différent de celui des autres. Dans le schéma rééducatif, la rééducation est un lieu culturel qui devient un espace
culturel unique où les divers professionnels partagent une culture commune et construisent un milieu de soins où
sont immergés les patients. Ce lieu est alors porteur d’une culture unifiée et commune.
Les deux sémiologies médicale et rééducative et les deux schémas de soins correspondants sont imbriqués en
MPR, ce qui complique la représentation des soins et encourage le maintien des clichés et des stéréotypes. On
peut toujours retrouver en rééducation le cadre générique des schémas médicaux et de la sémiologie médicale et
ne voir que cela. Notre proposition sémiotique se doit de rendre compte de cette adhésion massive à la doxa. En
effet, si la sémiologie MPR et les schémas rééducatifs sont si délicats à identifier c’est qu’ils occupent un
territoire qui n’est pas vide, les modèles médicaux ordinaires n’ont pas désertés le territoire de la rééducation.
Nous soulignons que les attentes communes, celles des patients et des professionnels non formés à la rééducation
sont toujours construites dans les schémas médicaux. Un sujet qui constate une paralysie de son bras veut qu’on
le fasse « travailler » pour récupérer et non pas qu’on lui propose de faire avec les compétences corporelles
disponibles (ce qui persiste) les gestes qu’il faisait hier. Les deux approches sémiologiques coexistent et il en est
de même pour les schémas de soins. Cette coexistence, ces recouvrements permanents des deux champs sont
d’autant plus difficiles à identifier que les professionnels ont été davantage formatés par la sémiologie et les
schémas médicaux.
26
Lotman Y : La sémiosphère. Limoges, Pulim, 1999. (p 16)
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La rééducation est souvent prise dans une contradiction liée à son positionnement : faire comme si elle était de la
médecine et basculer vers les schémas médicaux au moins pour ce qui concerne la recherche formalisée et la
communication scientifique. Le désir de mimer la médecine a toujours été présent. Dans cette approche, elle est
mieux acceptée et reconnue, ou au moins tolérée dans sa proximité avec le champ sanitaire usuel. Il lui est plus
difficile de revendiquer son originalité pour faire exister les pratiques et les soins qui ne trouvent pas leur place
dans la lecture médicale. Ce mouvement est d’autant plus délicat que les pôles culturels identifiés sont rattachés
aux hôpitaux universitaires où la compétition intra-médicale est très active avec un risque élevé de
marginalisation. Ceci peut inciter à la prudence et à une recherche de conformité plus que de singularité.
La qualification en rééducation, celle qui va ouvrir les portes d’un service de rééducation est univoque. C’est
toujours une modification de la forme du corps qui permet l‘entrée en rééducation. Que ce soit une scoliose ou
une aphasie, c’est une forme qui est questionnée et non un contenu. La forme lorsqu’elle se déploie dans l’espace
et le temps est au niveau du corps un mouvement. Cette forme s’associe à l’aura du corps (ce qui l’entoure : les
personnes, les odeurs, sa famille, …) et à son enveloppe (les modifications en terme de volume, de perte, de
cicatrices, …) comme support des significations.
La réponse à une modification perçue de la forme du corps est possible selon deux schémas, le schéma médical
et le schéma rééducatif. Ces deux schémas coexistent, sont tous les deux légitimes et cette imbrication des deux
sémiosphères perturbe une lecture aisée de la rééducation.
(i) Dans le schéma médical (qui est aussi celui du sens commun) la réponse se fait en terme de force et de force
qui se déploie, c’est-à-dire de travail. Le mot travail est l’un des mots les plus fréquemment prononcés dans une
unité de rééducation. Cette représentation médicale de la rééducation a une pertinence limitée, car très peu du
champ de la rééducation répond à ce diagramme médical. Dans ce schéma, le plus apparent pour l’observateur,
les soins infirmiers n’ont pas de sens en rééducation.
(ii) Dans le schéma rééducatif, la réponse s’organise en terme de fonction. Il est beaucoup plus complexe pour
les patients de transformer une question de forme du corps en une réponse en terme de fonction, et ainsi de
passer du schéma médical au schéma rééducatif. La sémiologie médicale n’est pas que le langage commun en
rééducation, elle imprime aussi sa marque sur les systèmes de représentation en rééducation et elles continuent à
imprégner le champ des pratiques soignantes dans les unités spécialisées.
La notion de « guide de haute maladie » comme il y a des « guides de haute montagne » suggère qu’il convient
d’aider celui qui découvre un corps nouveau à faire un bout de chemin alors qu’il ignore comment poursuivre sa
vie dans une nouvelle enveloppe. Cette dimension suppose (1) des professionnels ayant déjà fait ce périple et qui
connaissent la route à prendre et ses embuches, (2) des sujets qui ont un potentiel pour faire ce voyage vers un
avenir meilleur possible.
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Tableau 2 : Les deux logiques des soins en rééducation (MPR)
selon les deux sémiosphères médicales et rééducatives27
SEMIOSPHERE MEDICALE
SCHEMAS MEDICAUX
SEMIOSPHERE REEDUCATIVE
SCHEMAS REEDUCATIFS
La forme du corps (dichotomie forme / contenu)
Force (Travail) Fonction
Faire Faire-faire
Limites Seuils
Concession Implication
Interventions Activités
Survenir Parvenir
La MPR utilise à la fois des schémas médicaux et des schémas rééducatifs dans ses pratiques. Cette séparation
entre les schémas médical et rééducatif est plus complexe que l’impression première le suggère. En effet le
schéma médical peut être proposé en réponse à une analyse en sémiologie MPR. Par exemple lorsque la
rééducation aborde la question des excès, alors les réponses au-delà des limites sont proposées dans les schémas
médicaux. Prenons l’exemple de l’agitation, de la desinhibition comportementale qui en franchissant des limites
(celles de la tolérance du milieu de soins) sera « traitée » par des médications psychotropes dans des conduites
médicales communes.
Une des modalisations les plus utiles de la rééducation est celle de la cascade, de l’effet domino, de la spirale.
Toutes ces métaphores traduisent le fait qu’un premier événement a une conséquence qui devient elle-même
l’inducteur d’un événement second et ainsi de suite. Cette idée qu’une lésion première va en provoquer d’autres
en cascade est essentielle et cette approche explique que certaines lésions autrefois fatales ne le sont plus
aujourd’hui. On pense en particulier aux lésions médullaires qui aboutissaient le plus souvent au décès, non pas
du fait de la lésion elle même mais de cette spirale d’effets qui peut déborder les capacités vitales. Le principe est
de limiter les conséquences à la chute du premier domino, et de bloquer les cascades de nuisances. On retrouve
cette démarche dans des chapitres nouveaux de la rééducation : le déconditionnement28
, les thérapies
contraintes29
.
Ce sont les modifications perçues de la forme, qu’elle soit enveloppe ou mouvement, que cette forme soit figurée
ou imagée, qui induisent un fort désir de correction, de normalisation et un mouvement à forte charge
émotionnelle vers la rééducation. Ceci rejoint les propos de C Zilberberg : « les discontinuités repérables dans le
jeu des formes sont isomorphes des discontinuités affectives30
».
27
Zilberberg C : Eléments de grammaire tensive. Limoges, Pulim, 2006. 28
Shankar K, Jain S : Deconditioning and bed rest. In Physical Medicine and Rehabilitation edited by M
Grabois, SJ Garrison, KA Hart, LD Lehmkuhl. Malden, Blackwell Science, 2000. (p 831-847). 29
Taub E, Uswatte G : Constraint-induced movement therapy based on behavioral neuroscience. In Handbook of
Rehabilitation, Edited by RG Frank, TR Elliot, Washington, American Psychological Association, 2002. (p 475-
496). 30
Zilberberg C : Présence de Wölfflin. Limoges, Nouveaux Actes Sémiotiques, 1992. Cité par JM Floch :
Identités visuelles. Paris, Puf, 1995. (p 129).
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Tableau 3 : L’intrication des champs médicaux et rééducatifs en MPR
(exemples de situations cliniques)
Sémiologie médicale Sémiologie MPR
Schémas médicaux « Phlébite » « Agitation »
« Spasticité »
Schémas rééducatifs « Paralysie d’un bras » « Aphasie »
« Perte d’équilibre »
Les schémas médicaux et rééducatifs vont coexister pour les mêmes problèmes : c’est le cas de la spasticité
d’abord analysée en terme de seuil et prise en compte dans la fonction, les activités, … dans les schémas
rééducatifs puis lorsque la spasticité devient excessive et atteint des « limites » alors on retrouve des schémas
médicaux (des médications, des injections de toxines botuliques, des actes chirurgicaux).
L’implication et la concession sont deux façons d’aborder la pratique professionnelle en rééducation. Du côté de
l’implication : « il est paralysé, donc il ne marche pas ». Nous analysons un constat et un enchaînement de type
logique. Du côté de la concession : « bien qu’il soit paralysé, il marche ». C’est dans ce regard que se situent les
attentes en MPR. Comment vaincre un destin qui semble inexorable et le contrarier par la force ou la magie. Ce
sont les discours et les pratiques attendues.
2. Quelle typologie pour les « signes » en MPR ?
En l’absence d’une correspondance terme à terme dans la sémiologie en rééducation, c’est à dire en l’absence de
signes, d’unités minimales identifiables, on a recours au schéma tensif qui fait correspondre dans une mouvance
toujours en construction une intensité et une étendue. La typologie des signes en MPR emprunte à la sémiotique
tensive : « la sémiotique tensive s ’intéresse à un ensemble de phénomènes que leur caractère graduel, continu,
dynamique rendrait difficilement accessibles à une approche discontinue, binaire, statique31
. ». Si en MPR rien
n’est dichotomique et que tout est gradué alors la tensivité est un outil essentiel pour décrire cet univers des
significations.
Figure 12 : Le schéma tensif en rééducation, l’exemple de la marche
31
Fontanille J, Zilberberg C : Tension et signification. Mardaga, 1998.
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Deux exemples communs en rééducation celui de l’affectivité et de la présence peuvent servir d’illustration à
cette approche de la sémiotique du continu : celui de l’affectivité et de la présence.
(1) L’affectivité est un bon exemple de l’approche de la rééducation dans le champ de la santé. Ici, il ne s’agit
pas de conclure dans une dichotomie « déprimé » vs « non déprimé », ce qui utilise l’humeur comme symptôme,
mais d’approcher un univers affectif complexe, gradué et qui comporte des multitudes de facettes, avec des
valeurs qui se déploient en intensité ou en étendue.
Figure 13 : L’affectivité32
(J Fontanille, 1999)
(2) La présence que nous signalons comme étant un élément clé au niveau des classificateurs sémantiques peut
être analysé selon le schéma tensif. La présence se conjugue et s’oppose à la distance perçue entre un sujet
soigné et l’équipe qui l’accueille.
Figure 14 : La présence (C Zilberberg33
, 2006)
32
Fontanille J : Sémiotique et littérature. Paris, Puf, 1999. (p 78) 33
Zilberberg C : Eléments de grammaire tensive. Limoges, Presse Universitaire de Limoges, 2006. (p 39)
Plan de l’expression
distance
Phénomène
d’expression
Perception
Pla
n d
u c
on
ten
u
présence
concentration dispersion
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Dans la Figure 14, la présence s’analyse comme une question posée en termes de concentration et de dispersion.
Lorsque la présence est nette, nous nous interrogeons sur ses modalités d’expression, lorsqu’elle est modeste
nous nous interrogeons sur notre perception. Existe-t-elle cette présence, que ressentons-nous ?
Figure 15 : Les degrés de présence34
(entre intensité et étendue)
J Fontanille, 1999
Un exemple de questionnement sur la « présence » est celui des états d’éveil, de conscience partielle dans les
unités de rééducation au décours d’une souffrance cérébrale grave. Dans ces situations, la présence est parfois de
très faible quantité : au début de l’accueil des patients, il y a une forte attente et le ressenti est un manque.
Chacun est à l’affut de toute manifestation de présence, de la moindre réaction corporelle qui indiquerait
l’ébauche d’un échange, c’est le manque qui s’exprime. Puis si cette faible présence dure, si l’éveil n’évolue pas,
c’est un vide qui est noté lorsque notre regard s’éteint face à une présence qui n’émerge pas. C’est l’évolution
vers une situation dite « état végétatif persistant ». Le pôle de l’inanité est par exemple celui du dément
déambulant. Il représente une présence importante en quantité, une motricité abondante mais inutile, vaine. La
plénitude ressentie correspond à un sujet dont la présence est certaine.
3. La fonction en rééducation35
Peut-on dire que la fonction en rééducation tient lieu de prédicat ? C'est-à-dire d’élément central autour du quel
tout les reste s’organise en prend sens. Les fonctions sont déclinées en cinq chapitres : les fonctions motrices,
cognitives, sensorielles, fondamentales et émotionnelles. Elles sont définies sur le plan logique par trois
dimensions : une fonction est action, mise en relation et prévision et sont ensuite analysées sur le plan
syntaxique. Par exemple, l’impériosité mictionnelle isolée est un désagrément par la présence de besoins urgents,
mais en lien avec des troubles moteurs, et/ou cognitifs devient une incontinence).
34
Fontanille J : Sémiotique et littérature. Paris, Puf, 1999. (p 76-77). 35
Wirotius JM : La notion de fonction en rééducation. Journal de Réadaptation Médicale 2004 ; 24 : 140-148.
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CV Granger :
« La fonction transcende tout36
»
Atlanta, 59ème
congrès, 1997
Figure 16 : La fonction en rééducation
Pour CV Granger, promoteur de la Mesure d’Indépendance Fonctionnelle (MIF), la fonction transcende tout.
Elle à la fois l’objectif visé par les soins et le juge suprême : ce qui n’améliore pas la fonction n’est pas digne
d’intérêt.
4. Les seuils et les limites
La rééducation et le handicap sont concernés par37
: la mesure, le nombre et la limite. Notre propos est d’analyser
la question du handicap et de la rééducation sous l’angle des seuils et des limites. Le handicap est une question
de seuil, la maladie est une affaire de limites.
- On entre dans le champ de la maladie en franchissant une limite. La maladie définit la limite entre ce qu’est la
maladie et ce que n’est pas la maladie. La sélection des maladies et des malades est organisée par inclusion. Le
contre programme est d’anéantir la maladie présente, par exemple « détruire » les lésions ou réparer les tissus ou
les remplacer.
- Au handicap correspondent des seuils et secondairement des limites. (1) Pour les excès, il y des seuils puis des
limites qui vont retrouver les schémas médicaux utilisés en rééducation. C’est le cas des troubles du
comportement, des troubles du tonus, etc. (2) La limite du handicap pour les manques est la mort du sujet, quand
tout handicap disparait. La limite revient également dans la part du faire lorsque les fonctions nécessitent une
intervention professionnelle.
Le « handicap » est défini sur le plan social à partir d’exclusions successives : certaines sont institutionnelles
(après 60 ans, les personnes sont âgées et non plus handicapées), d’autres sont conjoncturelles (Les commissions
disent le handicap au sein des commissions départementales). Comme nous sommes tous handicapés, nous
devons exclure de ce groupe premier ceux que nous ne souhaitons pas y voir, selon des seuils qui sont très
incertains. Aucune toise n’existe pour dire le handicap, le mesurer et aider à faire le tri. Ces réductions
successives aboutissent à une société de l’interdit et organisent un univers des intouchables.
36
Granger CV : The emerging science of functional assessment : our tool for outcomes analysis. Archives of
Physical Medicine and Rehabilitation 1998 ; 79 : 235-240. 37
Coquet JC : La quête du sens. Paris, Puf, 1997. (p 45).
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SEUILS ET LIMITES EN MPR
Limites : réduire les excès
seuils
seuils
seuils
seuils
LES EXCES (vers le haut)
LES MANQUES (vers le bas)
Faire-Faire
seuils
seuils
seuils
(ne rien faire pour le patient)
seuils
seuils
seuils
seuils
seuils
Limites : introduire le faire
seuils
seuils
seuils
(tout faire pour le patient)
seuils
La mort
Schémas médicaux
Schémas médicaux
Schémas rééducatifs
--------------------------------
Schémas médicaux et
rééducatifs
--------------------------------
--
----
-Ba
rth
el,
MIF
----
----
--
Figure 17 : La coprésence des schémas médicaux et rééducatifs en MPR
Le Figure 17 représente la dualité des schémas médicaux et rééducatifs en MPR, en rapport avec les phénomènes
de seuils et de limites. Les limites en rééducation annoncent le recours conjoint des schémas médicaux aux
schémas rééducatifs. Vers le haut, vers les excès, il y a d’abord des seuils, une gradation puis des limites.
Le cas le plus éclairant est représenté par les troubles du comportement dans l’excès. Une agitation, une
agressivité sont des exemples communs en rééducation lors de l’accueil des patients cérébro-lésés. Les excès
font rebasculer vers les schémas médicaux lorsque des limites sont franchies. Par exemple les troubles
comportementaux en excès : humeur, agitation, agressivité, spasticité vont déclencher des contre-programmes
médicaux. Alors il est fait appel au champ médical pour réduire ces excès et refranchir cette limite devenue
impossible à gérer pour une équipe.
La réduction des excès peut-être pensée de façon préventive ou curative : prévenir un excès
d’hypercoagulabilité, … ou réduire l’excès comme avec les prescriptions de psychotropes (excès d’agitation, de
troubles de l’humeur). Ce n’est que lorsque l’excès de troubles de l’humeur franchit une limite que la notion de
« dépression » devient un diagnostic médical et retrouve alors des réponses dans ce même registre.
Vers le bas dans l’ordre des manques, plus représentatifs des conséquences attendues en MPR, (le handicap est
plus volontiers représenté par des manques que par des excès) on franchit une limite lorsqu’apparaît la nécessité
de recourir au « faire ». Faire des soins pour maintenir les fonctions : soins urinaires, soins nutritionnels, soins
cutanés, … et non plus « faire-faire ». C’est dans cette zone d’articulation du faire et du faire-faire que se
positionnent les indicateurs utilisés en MPR comme l’Index de Barthel et la Mesure d’Indépendance
Fonctionnelle. La pertinence, la zone d’éclairage de ces indicateurs est assez limitée mais rend compte d’une
zone charnière et de la part du faire pour compenser des manques fonctionnels.
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L’appel aux schémas médicaux en rééducation se retrouve ainsi (1) dans la réduction des excès, et (2) dans la
gestion du faire : comme prescrire des sondages, une sonde à demeure, une nutrition entérale, des soins
d’escarre, … et aussi pour réduire la quantité du « faire » dans l’unité lorsque la charge de travail devient trop
importante. La demande, la sollicitation des équipes revient dans le champ médical par rapport aux entrées de
nouveaux patients dans l’unité. Lorsque des schémas médicaux sont utilisés, ils doivent être pensés et agis dans
la perspective des soins rééducatifs (voir la notion de soins signifiants développés pour les soins infirmiers en
rééducation38
).
Les objectifs des unités de MPR sont de rester entre ces deux limites : celle en haut des excès à réduire et celle
en bas du faire à combler. Le champ médical commun devant alors contenir la situation clinique et
institutionnelle entre ces deux limites où l’on ne retrouve que des phénomènes de seuil et le ressenti d’être
pleinement dans le champ rééducatif.
Le possible et l’impossible renvoient aux schémas médicaux avec les limites et le probable et l’improbable
renvoient à des schémas rééducatifs avec des seuils. En rééducation rien n’est impossible même si c’est
improbable.
5. Les indications des soins en MPR : l’entrée en rééducation
Dans le domaine du handicap comme en MPR (Rééducation) on se réfère au processus d’exclusion pour dire
ceux que nous ne retiendrons pas dans le champ du handicap, ou nous n‘accueillerons pas dans les services de
MPR. L’opposition dans la façon de concevoir les « indications » d’admission dans les soins en MPR correspond
à la prise en compte des seuils en rééducation et des limites en médecine. En médecine, une limite franchie
permet l’inclusion dans le groupe des personnes soignées, opérées, traitées. En rééducation point de limites mais
des situations graduées avec des seuils.
Toute personne est éligible à un accueil en MPR : en effet (1) toute personne est handicapée dans le sens donné
par la loi de 2005 et (2) personne n’a un usage optimum de ses capacités fonctionnelles. Chacun peut désirer
valoriser son potentiel fonctionnel. C’est le grand champ aujourd’hui ouvert en MPR par le déconditionnement.
Ainsi, dans le champ du handicap ou de la rééducation, chaque personne répond à la définition du handicap et
toutes les personnes sont éligibles à des soins en rééducation. Qui peut prétendre n’avoir aucune limite
fonctionnelle et être capable de tout faire dans toutes les situations ? Et qui parallèlement est certain d’avoir
optimisé toutes ses capacités fonctionnelles et n’avoir aucune réserve à mobiliser, aucun projet qui nécessiterait
de parfaire ses compétences ? Or tout le monde n’est pas accueilli en rééducation : il faut donc exclure nombre
de personnes.
« Constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d’activité ou
restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par
une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive
d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou
psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant ».
Figure 18 : Loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des
personnes handicapées du 11 février 2005 (Article L 114)
38
Wirotius JM., Bourgès C, Géraud F : Proposition d’un lexique spécifique pour nommer les soins infirmiers en
MPR : rééducation soignante et soin signifiant. Journal de Réadaptation Médicale 2001 ; 21 : 123-132.
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1/ Les exclusions liées aux sujets
Ces zones d’exclusions sont les suivantes :
- L’absence d’une soustraction fonctionnelle reconnue, d’une perte de compétences par rapport à une situation de
référence antérieure. Ce qui est pertinent est le différentiel (avant – après) ou entre une norme (prototype) et un
écart ressenti.
- L’absence de cascades lésionnelles, d’effet domino sur le toboggan des enchaînements lésionnels avec une
première lésion, puis une seconde qui découle de la première.
- La non perte de l’identité, ou la non rupture d’un parcours de vie. Ceux qui n’ont pas besoin de découvrir
comment marche leur corps, comment faire le mieux avec ce qui constitue la matière qui l’anime.
- L’absence du capital nécessaire pour se réapproprier l’outil corporel défectueux, de ressources disponibles, à
mettre en jeu avec l’impact de l’âge lié de façon inverse aux réserves fonctionnelles.
- La non modification de l’enveloppe corporelle car la qualification première pour l’accès aux soins en
rééducation est liée à la forme du corps.
- Les attentes du sujet et de sa famille lorsqu’elles sont hors des possibilités de la MPR.
- Un handicap non adossé à une maladie identifiée car l’accès aux soins est liée au couplage de la maladie et du
handicap. Le handicap a besoin de la maladie pour être « embrayé » dans le champ sanitaire et encore davantage
dans le champ social.
2/ Les exclusions liées au contexte social
La famille est l’institution sociale qui possède la compétence et la légitimité d’intervention dans le champ du
handicap. Les équipes pour construire un parcours en rééducation considèrent aujourd’hui l’entité familiale
comme l’interlocuteur de référence.
3/ Les exclusions liées aux institutions
- Le nombre de places disponibles pour les admissions en MPR est très variable selon les lieux de vie rapporté
aux nombre de personnes éligibles aux soins de rééducation.
- Les circuits mis en place par les équipes médicales comme filières de soins constituent les autoroutes de la
rééducation avec autant de bretelles d’accès contraintes.
- Certaines pathologies peuvent être exclues selon l’institution. Ces exclusions sont plus ou moins nombreuses
mais elles sont parfois extensives. Au point qu’à l’extrême il s’agit d’inclusion comme en médecine. La structure
n’accepte que des sujets ayant des lésions cardiaques, des lésions cérébrales, etc. Ces services sont de fait des
services médicaux avec un souhait de compétence en rééducation. Seuls les schémas médicaux de la rééducation
sont alors disponibles.
- « La charge de travail » de l’équipe soignante est un critère important. Cette charge est liée au « faire » de
l’équipe dans le registre des soins corporels, des fonctions fondamentales. Les unités sont organisées pour un
accueil de sujets ayant toutes les palettes de capacités fonctionnelles, du handicap le plus modeste au plus grave.
Au total, la question des exclusions comme mode d’entrée en rééducation n’est pas sans rappeler le mode
d’accès à l’éducation choisie, à l’accès à l’enseignement supérieur, tel les « grandes écoles » en France. Faire le
choix d’un accueil de patients à grands potentiels d’évolution permet des succès dans les projets de réadaptation.
Cette question peut être renvoyée au champ de l’éthique professionnelle.
6. Le parcours rééducatif
La description du parcours des significations en rééducation, celui que nous proposons, n’est pas à ce jour un
parcours figé, il est en construction et la validité des propositions actuelle est à remettre sans cesse en cause.
Nous avons néanmoins quelques points repères : (1) La dimension de l’évaluation en MPR est indissociable de
la dimension thérapeutique. Il n’y a pas d’un côté l’évaluation et de l’autre la rééducation. L’évaluation n’est que
l’input et la rééducation l’output qui est sans cesse ajustée ; (2) L’importance de la fonction est souligné par tous
comme l’ultime recours sémantique, comme le juge de paix de toutes les pratiques en rééducation ; (3) La
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contextualisation (handicap de situation) de tout ce champ renvoie à une analyse du sens et non des seules
significations ; (4) La dimension syntaxique est décisive et reprend aussi à la notion générique de situation. La
situation réfère bien sur à l’espace mais aussi au temps qui n’est habituellement pas pris en compte dans le
champ de la santé.
Le parcours de la signification est d’aller du simple au complexe, du plus abstrait vers le plus concret, d’analyser
des paliers de pertinence39
, de proposer une approche générative, d’entrer dans un processus de complexification
croissante : « Le langage n’est donc pas un système de signes dans le sens conventionnel dont on a tant abusé, il
se constitue comme une double implication de structures hiérarchiques indépendantes, celles de l’expression et
du contenu40
. ». Deux axes structurant sont proposés : un axe vertical paradigmatique, l’axe du système, menant
de la profondeur logico-sémantique à la surface discursive et un axe horizontal syntagmatique, l’axe du procès,
départageant un volet sémantique et un volet syntaxique41
. « Le parcours génératif concerne deux types de
données : des données dites sémantiques ou paradigmatiques et des données syntaxiques ou syntagmatique :
autrement dit, les éléments d’un côté ; et de l’autre les relations qu’ils entretiennent »42
. C’est en résumé la
description d’un dictionnaire et d’une grammaire. Toutes ces opérations, il faut le souligner encore, n’étant que
des mécanismes de représentation, que des simulacres.
I – La qualification : la forme du corps
La forme du corps est l’élément de qualification pour une entrée dans un parcours rééducatif. C’est à partir d’une
modification perçue de l’enveloppe corporelle que le désir d’accès à des soins de rééducation se produit avec les
attentes de réparation. Cette notion de « forme » doit s’interpréter de façon directe (une amputation d’un
membre) de façon déployée (dans le mouvement : une paralysie) et de façon métaphorique (l’aphasie perturbe la
forme du langage elle n’altère pas le contenu de la pensée). Ensuite c’est la phase des actions, des
transformations attendues puis celle de la glorification, de la sanction en termes de handicap. La forme sur le
plan des significations élémentaires est associée à l’aura (ce qui entoure la personne, les odeurs, les autres
membres de la famille, le lit, …) et à son enveloppe. La silhouette est « une forme sensible qui se déploie dans
l’espace et que le regard parcourt43
». L’idée commune veut que la réponse à une modification de la forme du
corps soit des contraintes physiques externes : mobilisations, postures, orthèses, … des forces qui lorsqu’elles
sont déployées dans le temps sont nommées « travail ». Mais est-ce là le bon moyen ? Notre analyse globale du
sens en rééducation nous porte à analyser différemment la situation et à relier forme et fonction plutôt que forme
et force.
Le signifiant (le corps déformé) apparaît comme un véritable langage qui signifie la présence de l’homme
handicapé au monde. Dans l’organisation des deux termes44
, le signifiant est corporel, coextensif du monde
naturel et le signifié est culturel.
Le parcours rééducatif est généré à deux niveaux, un niveau sémantique et un niveau syntaxique au moment de
son déploiement dans le temps et dans l’espace.
II – Le niveau sémantique
Le niveau sémantique est celui qu’un expert (un professionnel de la rééducation expérimenté) peut construire
lors d’un premier contact avec un patient. L’accès à ce niveau des significations est rapide, évalué à un multiple
de la minute, sans doute moins cinq minutes.
Le niveau sémantique est analysé dans un objectif de décontextualisation du handicap. En effet la situation
spatio-temporelle est pour le handicap et la rééducation définitoire. Le sens en MPR comme de façon générale a
besoin de la situation, du contexte pour exister. Ce sont les impressions premières apportées par la confrontation
39
Floch JM : Identités visuelles. Paris, Puf, 1995. (p 33) 40
Greimas AJ : Sémantique structurale. Paris, Puf, 1986. (p 10). 41
Zilberberg C : Eléments de grammaire tensive. Limoges, Pulim, 2006. 42
Kinkenberg JM : Précis de sémiotique générale. Paris, De Boeck & Larcier, 1996. (p 180). 43
Floch JM : Identités visuelles. Paris, Puf, 1995. (p 115) 44
Greimas AJ : Sémiotique de l’espace. Paris, Denoël, 1979. (p 16).
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directe avec le corps modifié alors même que nous ne l’observons pas encore dans une interaction prolongée,
dans son déploiement en situation. Dans un premier temps, ce contact initial très bref informe l’observateur.
Le niveau sémantique comprend deux zones de profondeur différente : le niveau sémantique proprement dit et le
niveau des morphèmes.
1/ Les classificateurs sémantiques
Les significations élémentaires, que nous nommons les classificateurs sémantiques, s’organisent autour de deux
pôles : celui de l’être sensible en termes d’identité et de proprioceptivité et celui de l’être agissant avec la
verticalité et la mobilité.
(1) L’identité comprend deux dimensions la présence et l’existence. L’identité est différentielle, elle est une
différence et une permanence.
(a) La présence
La présence est un thème essentiel du champ de la réadaptation, elle présuppose l’existence. Pourtant, ce thème
est difficile à mettre en scène car il n’appartient pas à la sémiosphère médicale. Il n’est pas partie prenante de la
sémiologie médicale, mais peut-il être une pierre essentielle de la sémiologie rééducative ? Nous le pensons car
le degré de présence est l’une des clés qui ouvre l’univers des significations lorsqu’un patient nouveau arrive
dans une unité de rééducation. Quel est son niveau de présence ? Est-il là dans l’instant, sans hiatus dans
l’échange et la communication ou nous paraît-il lointain, plus à distance, voire tellement loin de nous que l’on se
surprendre à parler comme si le sujet n’était pas là, n’était pas présent. Le niveau de présence élevé est un point
considéré comme favorable par les services de rééducation.
La présence s’analyse en degrés de présence (la profondeur spatio-temporelle procure à la présence un devenir et
une étendue, du proche au lointain) et s’oppose à l’existence qui est dichotomique. La combinaison d’un degré
d’intensité avec un degré d’étendue détermine un degré de présence. Elle comporte une dimension temporelle :
est présent ce qui est ici et maintenant et une dimension spatiale. La présence rejoint en MPR la problématique
de l’espace et du temps. Pour Hjelmslev, la présence reste un domaine indéfinissable, elle ne peut-être que
relationnelle et tensive.
Tableau 4 : Les classificateurs sémantiques en MPR
1/ IDENTITE Présence
PASSION
ETRE
SENSIBLE
Existence (rôles)
2/ PROPRIOCEPTIVITE Moi vs soi
45
Thymie
3/ VERTICALITE Haut vs bas
ACTION
FAIRE
INTELLIGIBLE 4/ HORIZONTALITE
Liberté
Temporalité
Spatialité
(b) L’existence
45
Fontanille J : Soma et séma, figures du corps. Paris, Maisonneuve et Larose, 2004.
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L’existence dans cette schématisation correspond aux divers positionnements identitaires avec tout ce qui
caractérise le champ des topoï. Par exemple un sujet masculin, adulte, père de famille, … et aussi la maladie en
cause, … ce qui organise une fiche identitaire dans l’immédiateté de la rencontre à partir d’informations
génériques. Il s’agit de fait d’une définition topique du sujet, c’est-à-dire d’une classification par stéréotypes qui
fait l’objet d’une démarche dite du « recueil de données » et qui constitue le cliché identitaire qui se propage très
rapidement au sein de l’équipe soignante. Ce sont les éléments de l’existence que l’on va retrouver à la page 1
des fiches préétablies et des divers documents médicaux et administratifs.
Pour décrire plus avant les éléments pris ici en compte, nous utilisons la notion d’aura dans sa définition suivante
: « sorte de halo enveloppant le corps visible, …, atmosphère qui entoure un être ou une chose »46
. A partir du
sujet comme centre du discours nous trouvons du centre vers la périphérie : l’aura corporelle constituée de
dimensions esthétiques, ontologiques et topologiques, puis l’aura familiale avec la dimension patronymique et
démographique puis l’aura social avec trois champs ethnologiques, pédagogiques et juridiques.
Tableau 5 : L’aura du sujet (corporelle, familiale et sociale) et son existence topique
1/ L’aura corporelle
Esthétique (enveloppe)
Le sexe (masculin ou féminin)
L’âge
Le poids
Les vêtements
Ontologique (matière)
Le terrain et les antécédents médicaux
La (les) lésion (affection en cause à laquelle est adossé le handicap)
Topologique (trajectoire spatio-temporelle)
Le lieu précédent (hôpital, domicile) et le parcours de soins
Le calendrier
2/ L’aura familiale
Patronymique
Le nom de famille
Démographique
Ménage (union, taille)
Parentèle
3/ L’aura sociale
Ethnologique
L’origine géographique, le lieu de naissance, la langue maternelle,
L’adresse actuelle (domicile, institution)
Le lieu de vie après les soins
Pédagogique
L’éducation
La profession actuelle ou ancienne pour les retraités
Les activités autres que professionnelles
Juridique
Assurances, cause du handicap (accident, travail, ..)
La référence à la lésion, à l’origine des troubles, c'est-à-dire à la notion de maladie ou d’accident, est centrale sur
le plan du confort psychologique des soignants comme des soignés. Il y a alors comme une détente cognitive et
46
Lexis. Paris, Larousse, 2002.
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affective, un apaisement. Nous devons à notre niveau, en rééducation, fragmenter cette unité nommée (la
maladie) pour retrouver le handicap en ligne de mire.
(2) La proprioceptivité
La proprioception a un premier sens en physiologie et en médecine. Elle désigne : (1) la perception inconsciente
qui se projette au niveau du cervelet et qui intervient dans le contrôle de la posture du tronc et des membres ; (2)
la proprioception consciente qui se projette sur le cortex somesthésique primaire et qui permet d’avoir
conscience de la position de notre corps dans l’espace. Cette proprioception nous renseigne sur notre
positionnement, nos mouvements, notre gestion de la force musculaire.
Pour la sémiotique, la proprioceptivité s’articule en intéroceptivité et extéroceptivité. Le sujet ne peut agir
indépendamment de ce qu’il ressent (intéroceptivité) et de ce qu’il perçoit (extéroceptivité)47
.
A - La question des rapports du « moi » au « soi » est l’une des questions centrale posée aux équipes de
rééducation. On connaît des situations cliniques extrêmes où le sujet est très loin de pouvoir analyser ses
aptitudes, ses capacités corporelles. Ces troubles sont volontiers regroupées sous le nom d’anosognosie48
lorsqu’une lésion cérébrale est jugée responsable de cette difficile auto-analyse. Mais la pratique clinique montre
que si ces cas témoignent des écarts les plus importants, chaque patient accueilli en rééducation est confronté à
ce problème.
Les deux principes de l’identité sont construits autour de l’idem et de l’ipse : « Tout actant incarné est analysable
en deux instances au moins, le moi-chair de référence et le Soi-corps propre en devenir49
». Le moi est l’instance
sensori-motrice de référence. Le soi, instance corporelle en construction, est composé d’un soi-idem qui organise
par répétition les similitudes et d’un soi-ipse où l’actant se découvre autre. L’idem formule la permanence dans
le temps de cette identité et l’ipse énonce le registre variable, le changement, les fondements de la relation à
l’autre.
Cette représentation est tout à fait pertinente pour le champ de la rééducation lorsque le moi (matière) et le soi
(image) ont été brusquement dissociés par un bouleversement corporel inopiné. Si cette perception du
changement nous échappe au quotidien, le changement brutal lié au handicap installe de façon évidente un écart
avec la norme. Le handicap suppose un écart de performance, un écart entre le souhaité et l’observé, entre
l’avant et l’après maladie, entre des performances usuelles et celles effectivement observées.
B – La thymie
La catégorie thymique est immédiatement à l’œuvre dans l’instant premier de la rencontre. « La catégorie
thymique sert à articuler le sémantisme directement lié à la perception qu’à l’homme de son propre corps. Elle
entre comme terme complexe dans l’articulation de la catégorie qui lui est hiérarchiquement supérieure, celle de
l’extéroceptivité/intéroceptivité, … La catégorie thymique s’articule à son tour en euphorie/dysphorie, … elle
provoque la valorisation positive et/ou négative de chacun des termes de la structure élémentaire de la
signification50
». La thymie va représenter dans cette approche du moment de la rencontre ce que l’on perçoit de
la relation du sujet avec son nouvel environnement51
. C'est-à-dire comment le sujet nous semble s’investir dans
ce nouveau projet de soins : est-il agacé ou apaisé, rejetant ou dans une attente positive, ou encore dans une
dépendance affective, … A-t-il un « bon comportement » ?, nous perçoit-il comme « bons » ou « mauvais »
sujets pouvant lui offrir « un bon traitement52
» ? Autant d’états de l’humeur de la personne accueillie et ressentis
par les équipes soignantes. On retrouve ainsi les catégories thymiques communes entre l’euphorie et la dysphorie
47
Courtès J : La sémiotique du langage. Paris, Nathan, 2003. (p 113). 48
L’anosognosie désigne la méconnaissance par l’individu de sa maladie, de son état même grave, de la perte de
la capacité fonctionnelle dont il est atteint. 49
Fontanille J : Soma et Séma, figures du corps. Paris, Maisonneuve et Larose, 2004. (p 36) 50
Greimas AJ : Sémiotique, Dictionnaire raisonné de la théorie du langage. Paris, Puf, 1993. (p 396) 51
Greimas AJ : Du sens II. Paris, Editions du Seuil, 1983. (p 95) 52
Courtès J : Analyse sémiotique du discours. Paris, Hachette, 1991. (p 175)
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avec des termes intermédiaires comme l’ambivalence (mélange de positif et négatif) ou l’indifférence (absence
de thymie)53
.
(3) La verticalité
Le rapport à la verticalité est sans doute l’une des approches les plus universelles et les plus immédiates de
l’approche corporelle. « Le rapport entre le poids moyen d’un être humain, la force de gravité et la position
verticale du corps a produit un concept universel, présent dans toutes les cultures humaines : l’opposition du haut
et du bas54
».
Tableau 6 : La verticalité et l’horizontalité55
Expression Verticalité Horizontalité
Contenu Affirmation Négation
Rien n’est plus envahissant, n’est plus désiré, n’est plus attendu que le retour de la verticalité lorsqu’une
affection nous en prive provisoirement ou durablement. C’est une pulsion toujours présente et un moteur
émotionnel fort qui alimentent le désir de reconquête fonctionnelle. Ce rapport du corps à la verticalité est
immédiatement perçu comme central par les soignants, comme l’une des clés de l’autonomie au quotidien.
(4) L’horizontalité
L’horizontalité renvoie à l’accès aux divers cercles concentriques qui entoure le sujet : si le lieu référent est le lit
(situation commune en milieu de soins) les cercles suivants sont le pourtour du lit, la chambre, le couloir, la salle
à manger, les extérieurs du service hospitalier, … Cette conquête de l’espace pour un sujet handicapé est
essentielle et sa probabilité de franchissement est très vite analysée par les soignants.
2/ Le handicap décontextualisé
La notion de « handicap » comme celle de « rééducation » réfère à une signification en situation, à du sens. Mais
peut-on retrouver les significations présentes lorsque l’on propose dans un mouvement inverse de
décontextualiser la notion de handicap.
Figure 19 : « Handi » comme logo
53
Hébert L : Dispositif pour l’analyse des textes et des images. Limoges, Pulim, 2007. (p 153) 54
Lotman Y : La sémiosphère. Limoges, Pulim, 1999. (p 22) 55
Floch JM : Identités visuelles. Paris, Puf, 1995. (p 59)
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Tableau 7 : L’utilisation de « handi » dans les créations lexicales
(corpus attesté non exhaustif)
Handi Nancy
Handi Tennis
handi sitting
handi FM
handi up
handi loisirs
handi flash
handi job
handi info 84
handi champagne
handi restaurant
Handi Cap Evasion
handi ergo
handi accueillante (une ville)
handi BO
handi montage
handi demo
handi natation
handi cup
handi voile
handi ski
handi glisse
handi karaté
handi cuisine
handi banque
handi transports
handi-livres
Handi-bus
handi-capable
handi-sup limoges
handi-grimpe
handi-information
handi-services
handi-cité
handi-assur
handi-up
handi-u
handi-cv
handi-lift
handi-occasion
handi-plongeur
handi-cap vers le Maroc
handi-accueillante (une
démarche)
handi-nuaire
handi-cheval
handi-grimpe
handi-dope
handi-sup
handi-voyage
handi-emplois
handi-moi oui
handi-blues
handi-culture
handi-move
handi-clips
handi-pouce
handi-bois
handi-activités
handi-cap info
handi-annonces
handi-reel
handi-maltraitance
Handi-gite
handi-flash
handi-plages
handi ’chien
handi ’bus
handi ’car
handi ’acteurs
handi ’conduite
handilog
Handimode
handidanse
handicafé
handispots
handiacteurs
Handitec
handi’art
handisport
handipark
handibip
handiplage
Handinnov
Handic’Evasion
HandiCaoZero
Handroit
Hand-dire-plus
Atl’Handic
Cyber-handic
master handi
canal handi
Cette approche décontextualisée est attestée par l’autonomisation dans la langue de la séquence « handi » qui
accolée à tout autre segment (et les exemples sont nombreux) apporte une signification immédiatement
identifiable.
III – Le niveau praxéologique
Le déploiement des capacités fonctionnelles dans une situation, dans l’espace temps est ici nommé
« praxéologie » dont va rendre compte l’analyse des actions et des interactions du sujet dans un milieu de soins,
de ses différentes manières d’agir. C’est l’accomplissement d’un mode de vie menée d’une certaine façon :
« dans l’exacte mesure où l’action humaine fait l’objet d’une recherche scientifique, celle-ci relève, même si le
terme est peu employé de la praxéologie56
». La praxéologie représente la théorie de l’action humaine, la science
dont l’objet serait la praxis, l’agir du sujet. L’action est un agencement de moyens pour atteindre une fin mettant
en jeu des valeurs comme la volonté, souvent mise en avant en rééducation alors que l’oisiveté serait
difficilement acceptée en rééducation.
Le niveau praxéologique se construit dans l’interaction au sein d’un service MPR et nécessite plus de temps pour
sa mise en œuvre (plusieurs jours, voire une semaine et même plus) que la construction des stéréotypes
identitaires de départ. C’est le fait de permettre une connaissance par l’action : l’action se réfléchit vers le sujet
et vers l’équipe dans un dialogue continuel entre le sujet et les autres. C’est l’idée d’une réflexion sur l’action
dans un espace de liberté offert dans l’unité de soins. L’observation de l’action est la source de cette
connaissance du sujet. C’est un dialogue entre le savoir et l’action. C’est ainsi que en MPR l’évaluation et
l’action ne sont pas séparables : l’évaluation représente les afférences sensibles qui vont permettre les
ajustements comportementaux au fil de l’évolution.
56
wikiberal
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Nous proposons un double découpage de la sémiologie en MPR. Nous utilisons ici les découpages
habituellement proposés en sémiotique mais en ayant adapté la terminologie pour la rendre plus transparente au
lecteur. Ainsi, on définit le parcours génératif de la signification qui va de la profondeur à la surface, et les
aspects morphologiques et syntaxiques pour passer d’un champ logique, descriptif, taxinomique à une dimension
figurative, discursive.
Un premier découpage (vertical) a comme repère le temps avec les deux colonnes nommées « achronique » et
« chronologique », ou « analytique » versus « situationnel ». Cette dernière mention a l’avantage d’une plus
grande transparence pour les professionnels de la rééducation.
Outre que la temporalité est l’une des clés de la compréhension et de l’accès au domaine de la rééducation, nous
illustrons ici les deux temps de l’évaluation en rééducation. En clinique, nous avons un premier accès au sens
lors des premiers moments de contact avec le sujet, puis c’est au cours de la mise en situation dans l’unité de
soins que cette évaluation se précise. Il faut comprendre la notion d « achronie » comme constituant le champ
des significations décontextualisées, celles que l’on peut lister et qui relèvent d’une analyse basée sur la logique.
La première colonne pourrait correspondre à des significations et la seconde à du sens c’est à dire à des
significations contextualisées, faisant alors intervenir le temps et l’espace. On pourrait aussi retrouver là la
distinction entre le paradigmatique (achronique) et le syntagmatique (chronologique).
Le second découpage (horizontal) a comme repère la profondeur des significations. Cette profondeur correspond
à ce qui se voit, ce qui se manifeste à l’observateur, qui est au niveau de la surface, puis il y a un niveau ici
qualifié d’explicatif qui est plus en profondeur ou l’on retrouve la place centrale de la notion de fonction, et enfin
un troisième niveau nommé ici « définition » qui correspond au morphème du handicap dont le scénario est la
difficulté d’alterner une ou des fonctions. C’est à dire par exemple, marcher ou ne pas marcher, parler ou ne pas
parler, …
L’ensemble va constituer ce que l’on pourrait nommer : le discours du corps. Dans l’hypothèse actuelle de notre
travail, la sémiologie en rééducation est basée sur l’analyse du discours du corps.
Les modalisations sont représentées par les verbes modaux (devoir, pouvoir, vouloir, savoir) mais aussi par des
mots de la langue (la permission est un pouvoir faire), ou par des suffixes comme « able, ible ». C’est un
potentiel disponible, un pouvoir être qui peut se déployer. Ce qui peut-être lu est « lisible », ce qui peut-être
manger est « mangeable ». Les suffixes sont rarement couplés et alors ils sont dysymétriques comme « crédible
vs incroyable ». Le « ible » définit une limite, le « able » des seuils.
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TABLEAU 8 : La sémiologie en MPR
Le parcours des significations en rééducation
SEMANTIQUE
système achronique, immanent,
SYNTAXIQUE procès
chronologique, discours
MA
NIF
ES
TA
TIO
NS
S
TR
UC
TU
RE
S F
IGU
RA
TIV
ES
str
uctu
res d
iscu
rsiv
es
CLASSIFICATEURS SEMANTIQUES - identité (présence, existence) - proprioceptivité (moi/soi, thymie) - verticalité (haut / bas) - liberté (horizontalité)
MALADIE (CIM) / HANDICAP (CIH) - totalité vers globalité - catégories (prototype)
PRAXEOLOGIE – la situation : l’espace et le temps – les acteurs PARCOURS REEDUCATIF – La qualification : formes du corps – Les transformations : le contrat – La sanction : la sortie = transition le handicap
EX
PL
ICA
TIO
NS
S
TR
UC
TU
RE
S N
AR
RA
TIV
ES
FONCTIONS - 5 fonctions (m, c, f, s, e) - logique : action, relation, prévision ACTANTS (rôles) - anthropomorphes (soigné, soignant, corps, etc.) - inanimés (espoir, motivation, etc.) - collectif / individuel
SYNTAXE FONCTIONNELLE - chronologique - syntaxique COMPETENCES MODALES - faire-faire : devoir, vouloir, savoir, pouvoir - (faire : schéma médical))
DEFINITIONS STRUCTURES PROFONDES
Morphème « handicap » : le scénario de l’« alternativité »
Les fonctions en MPR sont au nombre de 5 : motrices, cognitives, fondamentales (urinaire, intestinale, nutritionnelle, etc.),
sensorielles, émotionnelles. Les deux colonnes sont à gauche pour Hjelmslev le système, pour Greimas la sémantique et à droite pour le premier le procès, pour le second la syntaxe.
Les actants sont de purs rôles qui peuvent être assumés par un groupe, par une abstraction, par une chose. La
notion d’actant en sémiotique est différente de celle d’acteur : elle correspond à tout élément récurrent prenant
place dans une histoire, dans un schéma narratif. L’actant peut correspondre à (1) un être anthropomorphe (par
exemple un humain, un animal, ou une épée qui parle, …) ; (2) un élément inanimé concret, incluant les choses
(par exemple une épée), mais ne s’y limitant pas (par exemple le vent, la distance à parcourir) ; un concept (le
courage, la motivation, l’espoir, la liberté, etc.). Par ailleurs, il peut-être individuel ou collectif (exemple la
société, l’équipe de rééducation, etc.). Un « acteur » correspond à un syncrétisme actantiel : il contient plusieurs
actants. Exemple d’un « actant » en MPR non anthropomorphe : le travail, la motivation, …
La fonction représente dans le champ des significations en MPR le centre d’analyse autour duquel tout
s’organise. En effet en deçà des manifestations de surface du discours du corps, le plan suivant plus en
profondeur est celui de la fonction qui répond à une double composante logique et syntaxique. Le système des
fonctions est représenté par les cinq domaines, moteur, cognitif, affectif, sensoriel, fondamental et leur
déploiement syntaxique envisage leurs interactions en situation de faire.
La question toujours en suspend, c'est-à-dire qui ne relève pas d’un observable immédiat, mais de l’observation
des fonctions dans le temps est la connaissance des réserves dont le sujet dispose et que les diverses mises en
situations vont pouvoir révéler.
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Le morphème57
est défini comme une unité sémantique non-catégorielle codant une information qui le plus
souvent implique plusieurs assertions successives, autrement dit les morphèmes codent des petits films nous
proposons comme exemple de scénario codant une unité de sens dans la langue, « quelque chose qui s’ouvre et
se ferme et sépare un espace en deux ». On y retrouve des mots comme : porte, fenêtre, passage à niveau,
vasistas, portail, portière, issue, porte-fenêtre, baie, ouverture, entrée, frontière, but, rideau, portillon, contre-
porte, vasistas, avant-portail, … Pour le handicap, le morphème correspondant à toutes les dénominations déjà
passées, existantes ou qui pourront exister serait « la difficulté à alterner l’expression d’une fonction ». C'est-à-
dire par exemple la difficulté à passer de assis à debout, …
4. LES SCHEMAS DE SOINS EN MPR
Les schémas de soins en MPR font appel à (au moins) deux registres. (1) Le schéma médical des soins en
rééducation qui utilise la sémiologie médicale et la catégorisation en maladie et qui propose la rééducation
comme une « médications ». La rééducation correspond alors à des « interventions » qui sont proposées pour
corriger un trouble. Les interventions en rééducation vont correspondre à des actes matérialisés au moins sur un
plan spatial et temporel : ce sont des séances de … En réponse à une modification perçue de la forme du corps, la
réponse alors la plus commune est proposée dans le registre de la force et du travail. Ainsi, on va proposer de
travailler dans le registre des zones déficitaires : travailler le quadriceps, l’équilibre, la mémoire, le manque du
mot, … C’est la recherche de la correction des déficits. (2) Le schéma rééducatif est l’autre versant des
approches rééducatives. La modification de la forme est traduite en termes de fonction. Il ne s’agit plus de faire
travailler un muscle paralysé pour remarcher, mais de retrouver des capacités de déplacement malgré les déficits
moteurs. La rééducation est alors menée autour d’activités avec comme projet la valorisation du capital et
comme fil conducteur la recherche fonctionnelle. La première approche dite ici médicale est attendue et aisée à
mettre en œuvre, la seconde ne l’est pas mais de fait est l’essentiel des soins dans les unités spécialisées.
Figure 20 : Les attentes en rééducation :
la discordance entre les attentes des patients et la réalité observée58
57
Nemo F : Indexicalité, unification contextuelle et construction extrinsèque du référent. Paris, Larousse, 2003.
Langages N° 150 : La constitution extrinsèque du référent. (p 88 – 105). 58
Kirby RL : Impairment, disability, and handicap. In Rehabilitation Medicine, principles and practice, third
edition. Edited by JA DeLisa and BM Gans. Philadelphia, Lippinncott-Raven Publishers, 1998. (p 59).
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Le schéma médical et sa sémiologie met en place des interventions en rééducation qui valent pour des
« médications » mises en place de façon technique et dont l’évaluation relève des pratiques usuelles cherchant
les preuves d’efficacité. Il s’agit de proposer un faire technique avec des supports théoriques comme la
neuroplasticité.
Dans ce registre de la sémiologie médicale commune en MPR on retrouve aussi d’autres éléments :
- la référence à la maladie indispensable à l’analyse du handicap,
- les lésions en cascades qui sont l’une des cibles désignées des soins en MPR : éviter l’effet domino d’une
première lésion (une paralysie), qui peut en induire une seconde (par exemple une phlébite), elle même
responsable d’une troisième (une embolie pulmonaire), etc.
Chacun a bien conscience que si ces aspects sont essentiels, ils ne sont qu’une partie des soins en MPR. Cette
analyse rend compte d’aspects non spécifiques et que chaque spécialité médicale peut gérer. Rien de très
original.
Le schéma rééducatif est autre avec une sémiologie très différente de celle décrite en médecine.
La MPR utilise à la fois les schémas médicaux et les schémas rééducatifs. C’est une nécessité, une opportunité et
aussi une difficulté. Les schémas médicaux se mettent en place en MPR dès lors que des limites entrent en jeu.
Des limites dans l’excès et des limites dans les manques. Dans les manques, les limites sont liées à la difficulté
des équipes soignantes lorsque l’on descend dans les difficultés fonctionnelles et que l’on ne peut se situer dans
le faire-faire. Il faut alors « faire » pour tout ou partie afin de maintenir le niveau fonctionnel.
Cet entrecroisement des schémas médicaux et rééducatifs en MPR est une caractéristique : mais attention à ne
pas rester sur le seul versant médical. Car, il est une part parfois essentielle mais il n’est qu’une part de la prise
en charge en MPR. D’autant que l’on doit toujours réinvestir la démarche médicale dans le champ rééducatif : ce
qui a été nommé les soins signifiants.
L’utilisation des schémas médicaux en rééducation se fait à la fois dans la sémiospère médicale et dans la
sémiosphère rééducative.
(1) La maladie identifiée en tant qu’événement (maladie ou accident). La maladie à laquelle va s’adosser le
handicap.
(2) Les autres pathologies associées (par exemple un diabète) peuvent être contingentes ou participer aux
troubles fonctionnels. Par exemple une polyneuropathie diabétique qui peut amplifier les troubles de l’équilibre
d’un sujet hémiplégique.
(3) Les cascades lésionnelles : une lésion qui en induit une autre (une paralysie qui induit une escarre).
L’impact des schémas médicaux est plus important dans le domaine des fonctions fondamentales. Là où les
cascades lésionnelles sont les plus apparentes et les plus bruyantes pouvant même mettre en jeu le pronostic vital
par embolie pulmonaire, infection, insuffisance rénale.
(4) Les interventions (les « médications rééducatives). Une technique de rééducation vaut pour un médicament.
C’est la situation commune dans les pathologies respiratoire lorsque l’on propose d’améliorer l’expectoration, de
dégager mécaniquement les bronches.
(5) La question des excès : la MPR est confrontée à des manques, c’est ce qui est le plus vite identifié et le plus
communément reconnu, mais la MPR est aussi confrontée à des excès (spasticité, agitation, dépression). Dans le
cas des excès si les troubles comme il est règle en MPR sont toujours gradués, ils conduisent à des limites. Dans
le cas des manques la seule limite est la mort du sujet. Lorsque l’on réfère à des limites, alors se représentent les
schémas médicaux de la rééducation. C’est par exemple, le traitement de troubles dépressif (excès de troubles de
l’humeur, excès de spasticité, excès d’agitation, …)
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5. LES AUTRES APPROCHES DU SENS
Le non dit, le non exprimable sont au cœur du vécu de chaque professionnel : On peut décrire le décor de la
rééducation, mais l’accès au sens reste interdit, ou tout au moins cet aspect est difficile à transcrire dans la
langue. C’est l’ « esprit » dont Grossiord59
écrivait qu’il était l’essentiel de la rééducation, mais il n’en disait
rien. La difficulté de la mise en mots de la rééducation et du handicap est un ressenti du quotidien pour les
professionnels.
Par quoi est occupé cet espace, quelles approches du sens correspondent aujourd’hui à ce manque de description
sémiologique. La nature et le champ de la santé ayant tous les deux en horreur le vide, l’espace de la rééducation
est occupée par des propos consensuels. Ces propos s’organisent autour de plusieurs notions :
(1) La sémiologie médicale est le modèle immédiatement disponible et commun et couvre le champ de la
maladie. Elle est celle qui est proposée en façade lors de la confrontation au handicap. Elle est présente mais
aussi elle fait écran.
La réimportation de la sémiologie médicale comme langue véhiculaire de la même façon que nous utilisons
la CIM pour parler des handicaps. Nous ne pouvons nommer les handicaps alors nous nommons les
maladies correspondantes. C’est une victoire de la médecine sur la rééducation, une victoire par abandon et
par conformisme. La rééducation essaie de s’intégrer dans la médecine en se fondant dans une image
commune de la médecine, en utilisant ses langages, ses pratiques scientifiques, ... mais cette fusion est-elle
possible ? Est-elle une démarche dérisoire ? La sémiologie médicale structure de façon puissante le couple
perception - action en médecine. Un élément qui n’appartient pas à la sémiologie médicale ne peut être un
perturbateur fonctionnel identifié. Par exemple dans le cadre de l’hémiplégie impossible de penser les
difficultés d’équilibre comme fait central dans la perte de la verticalité et de la marche, plus volontiers
rapportées à la paralysie du membre inférieur. La paralysie appartient à la sémiologie médicale, pas
l’équilibre. Da la même façon, en MPR notre intérêt se porte tout autant sur les réminiscences que sur
l’oubli. Or si l’oubli et ses manifestations est un élément de l’analyse des troubles mnésiques, la
réminiscence n’a aucun statut et ne peut être pensée.
L’absence d’un langage construit pour mettre en place une authentique sémiosphère rééducative laisse
aujourd’hui les divers professionnels de santé engagés dans ces pratiques professionnels dans un
inconfortable déficit de communication. La difficulté est grande pour justifier les actions entreprises et les
soins mis en œuvre. La tentation est grande aussi pour pouvoir être mieux accepté dans le grand bain
médical de « singer » le modèle médical commun pour entrer dans le champ pratiques ordinaires, des
reconnaissances entre pairs et des validations académiques.
(2) la qualité de vie : le champ médical a perçu que son mode d’analyse premier de la maladie via la sémiologie
diagnostique laissait en friches nombres de problèmes importants pour les personnes mais qui n’entrant pas
dans la construction des signes n’avaient jusque là pas de valeur. C’est ainsi que l’on peut comprendre le
développement de la notion de qualité de vie et l’apparence de « fourre tout » que donne la lecture des items
intégrés à la qualité de vie. C’est une sémiotique « résiduelle » sorte de tri sélectif des déchets de la
sémiologie médicale.
(3) La rhétorique en rééducation cherche à résoudre les hétérogénéités apparentes. Elle utilise quatre termes
principaux qui forment un système : la pluridisciplinarité, la globalité, l’efficacité et la plasticité.
La rhétorique occupe l’espace du discours argumentatif en rééducation. Des termes comme la globalité, la
pluridisciplinarité, … sont devenus à la fois des emblèmes, des drapeaux et des slogans. Ils sont l’expression
des valeurs, de l’argumentaire et de cet appel à la résolution des hétérogénéités. La rhétorique se décline
dans un paradigme qui énonce : la pluridisciplinarité, la globalité, l’efficacité et la plasticité et une idéologie
dans la métaphore des « 3 R » qui propose le déploiement temporel de la rééducation : la rééducation, puis
la réadaptation et la réinsertion comme final.
59
Grossiord A : Leçon inaugurale, Chaire de Rééducation Motrice. Paris, Masson, 1968.
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A défaut d’un discours sémiologique disponible et consensuel, la rééducation a produit un discours
rhétorique assez stable dans le temps fait de deux composantes : (1) une composante axiologique constituée
de 4 termes formant système : la pluridisciplinarité, la globalité, la plasticité et l’efficacité et (2) une
composante idéologique, comme forme d’arrangement des valeurs sur le plan syntagmatique60
, représentée
par le déploiement temporel des 3R (rééducation, réadaptation, réinsertion).
(4) La classification internationale des handicaps va représenter en rééducation un apport conceptuel important
qui est d’une part un drapeau jugé d’envergure car porté par l’OMS61
et une approche conceptuelle d’un
champ culturel en mal de description et d’identification. Deux présentations de 1980 et de 2001 vont se
succéder dans le temps sous la dénomination de « classification » après des débats nombreux et animés.
1. La classification des maladies et des handicaps : maladie et handicap
La catégorisation et la sémiologie ont de grandes parentés. La sémiologie a pour objet d’accéder à la
catégorisation. Elle est l’outil qui conduit vers une classification. Il n’existe pas en MPR de catégorisation
« forte » du type de celle que l’on rencontre en médecine. Cette recherche sur les classifications se heurte, sans
doute pour des raisons proches, aux difficultés de description de la sémiologie en MPR : « Au lieu de focaliser
l ’attention sur le résultat du processus, la catégorie stabilisée, c ’est à dire au lieu de rendre compte de la
structure formelle d ’une catégorie, examinons le processus de catégorisation lui-même, ses espèces et ses
étapes, qui nous en dira beaucoup plus sur les enjeux sociaux, politiques et idéologiques du discours que la
catégorie elle-même62
».
Ne plus considérer la maladie comme une totalité indépassable, ce qu’elle est pour la médecine est l’œuvre
fondatrice des classifications des handicaps de l’OMS. Cette fragmentation secondaire de la maladie est une
proposition majeure beaucoup plus que le niveau de pertinence des concepts proposés dans les modèles de
l’OMS. La grande mission de la rééducation, encouragée par les propositions de l’OMS, est la déconstruction de
la maladie : elle n’est plus tout. En rééducation, elle n’est plus la sainte valeur de référence, elle est une donnée
acceptée comme une totalité indépassable mais qu’il faut fragmenter pour reconstruire ensuite une globalité et
pouvoir donner une place au discours du corps. La schizie maladie / handicap est cette grande étape dans les
approches du corps que l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) à proposé de valoriser sous les noms mal
appropriés de « classifications » des handicaps puis du fonctionnement.
Cette notion de sujet peut s’intégrer à la dichotomie maladie / handicap. Le sujet qui intègre l’acte de jugement
correspond au handicap et le non-sujet lié au stéréotype serait du côté de la maladie63
.
Les autres possibilités d’accès à la classification dans le champ du handicap et de la rééducation sont outre les
propositions des CIH, les notions de prototype et d’isotopie.
(1) Le prototype est l’image centrale et partagée du handicap, le cliché autour duquel s’éloignent en cercles
concentriques toutes les autres configurations. Au centre nous trouvons par exemple le jeune paraplégique
traumatique puis nous glissons vers la périphérie et nous trouvons sur le chemin le polytraumatisé proche de la
centralité et plus au bord la pathologie liée au cancer.
60
Greimas AJ, Courtès J : Sémiotique, Dictionnaire raisonné de la théorie du langage. Paris, Hachette, 1993 (p
26). 61
OMS : Organisation Mondiale de la Santé (OMS) 62
Fontanille J : Avant propos. In Fall K, Simeoni D : Catégorisation épistémique, catégorisation praxéologique.
Limoges, Pulim, 1999. 63
Coquet JC : Le discours et son sujet. Paris, Klincksieck, 1984.
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Figure 21 : La sémantique du prototype64
Notre souhait est de rester lisible tant pour les professionnels des SHS que pour les médecins et les
professionnels de santé. C’est à dire qu’il convient de conserver la terminologie des SHS même lorsqu’elle est
perçue par ses connotations comme dérangeante : c’est par exemple le cas de la notion de « prototype »
appliquée aux patients des services de rééducation. Cette notion renvoie à une possible catégorisation et n’a bien
sûr pas de désir de caricature.
Figure 22 : Le prototype65
et son schéma tensif
A droite la représentation de la ressemblance de famille.
On pourrait considérer que en « a » il y a la poliomyélite et en « c » l’éveil de coma sans le contexte des anoxies
cérébrales. Pour passer de l’une des pathologies à l’autre, il aura fallu de nombreuses situations cliniques
intermédiaires reliées chacune par une intersection.
(2) L’isotopie rend compte de la répétition d’un même élément dans une histoire. Quels éléments pertinents va-t-
on retrouver tout au long de l’histoire du sujet en rééducation. Le nom de la maladie est récurrent et sans cesse
énoncé, l’autonomie, la présence, … sont dans un processus isotopique. Trouver les différentes isotopies en
MPR serait une façon de cerner le champ des catégories pertinentes.
(3) L’OMS a alerté la communauté médicale et internationale sur les limites de la CIM il y a maintenant plus de
25 ans. Cette classification médicale ne pouvait décrire le handicap avec le concept de maladie. Alors pouvions
nous dès l’apparition des premières Classifications Internationales de Handicaps supposer que s’il y avait une
catégorisation nouvelle alors, il y avait aussi une sémiologie originale, mais rien n’était dit à ce sujet, ni ne sera
dit ensuite dans les propositions successives de l’OMS. La sémiologie médicale va vers une catégorisation celle
de la CIM : la première réflexion est venue de l’OMS qui a observé que cette classification ne donnait pas accès
au monde du handicap.
64
Kleiber G : Sémantique du prototype. Paris, Puf, 1990, 1999. 65
Fontanille J : Sémiotique du discours. Limoges, Presses Universitaires de Limoges, 1999, 2003.
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Ces deux classifications successives sur le handicap ont été proposées par l’OMS pour venir compléter la
classification internationale des maladies. Elles déclinent divers termes en interrelation mais ne sont pas
destinées à lister et à classer des faits observables comme pour les maladies.
(a) La version première de la Classification Internationale des Handicaps de 1980 propose une description des
conséquences des maladies en terme de « déficiences », « incapacités » et « handicaps ». Cette classification est
centrée sur l’individu : (1) les déficiences (impairment) sont les anomalies qui se manifestent au niveau de
l’organe, du corps (un membre amputé par exemple), (2) les incapacités correspondent aux incapacités
fonctionnelles potentielles (une difficulté à marcher), (3) le handicap nommé aussi désavantage correspond à
l’interaction entre le sujet, ses incapacités et son milieu de vie dans une situation donnée.
Figure 23 : La Classification Internationale des Handicaps
66
(CIH) de l’OMS (première version de 1980)
(b) La version seconde de 2001 décrit les « déficiences », les « activités » et la « participation » et propose une
évolution vers la description des composantes de la santé.
La loi du 11 février 2005 définit le handicap en reprenant les propos de la classification OMS : « constitue un
handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société
subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive
d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou
trouble de santé invalidant ».
66
Rossignol C : Classification internationale des altérations du corps, invalidités et handicaps : « modèles » et
enjeux du processus de révision. Handicaps et Inadaptations – Les cahiers du CTNERHI, N° 79-80, 1998. (p 49-
65)
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Figure 24 : La Classification Internationale du Fonctionnement (CIF)67
(seconde version de 2001)
La seconde classification apporte des modifications conceptuelles par rapport à la version de 1980.
- la dominante est sociale et politique plus que médicale : la situation de handicap prend le pas sur la personne
handicapée.
- la suppression des termes à préfixes négatifs : ex les « incapacités » deviennent les « activités ».
- la notion de participation sociale (implication dans une situation de vie réelle) se substitue à la notion de
désavantage, de handicap.
- la causalité linéaire (déficience vers incapacité puis vers handicap) est remplacée par des interactions
fonctionnant dans toutes les directions et intégrant les facteurs contextuels environnementaux et personnels
de façon explicite sur le schéma.
La schématisation des deux classifications propose un accès aux représentations sociales du handicap et à ses
évolutions dans le temps. Cette approche conceptuelle a permis une réflexion sur le handicap en affirmant sa
singularité par rapport à la notion de maladie. Elle offre un modèle d’analyse utilisé dans le champ social pour
les échanges et les pratiques professionnelles.
Ces classifications ne sont pas des classifications hiérarchiques (comme en médecine, en botanique, en chimie
avec des structures arborescentes) et elles n’offrent en bout de chaîne aucune dénomination possible : aucun
lexique n’est disponible pour dire face à une situation singulière : c’est un « … » en terme de handicap, comme
on peut le faire en médecine et dire « c’est une hémiplégie ». Cette « classification » propose de décrire des
situations de handicap selon des sous-composantes du fonctionnement humain dans son environnement et non de
classer des catégories ou des personnes.
67
Rossignol C : Classification internationale des altérations du corps, invalidités et handicaps : « modèles » et
enjeux du processus de révision. Handicaps et Inadaptations – Les cahiers du CTNERHI, N° 79-80, 1998. (p 49-
65)
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Figure 25 : L’arbre de Porphyre
Le quotidien des situations professionnelles en rééducation est dans une approche conjointe de la maladie et du
handicap. Dans cette représentation le handicap est adossé à une maladie. Quantifier un handicap sans dire la
maladie porteuse n’a pas de sens. Nous savons en pratique les difficultés à faire reconnaître un handicap dans
toutes les instances sociales lorsqu’il n’est pas adossé à une maladie bien identifiée, à des lésions reconnues.
MA
LA
D I
E (
inte
ns
ité
)
HANDICAP (étendue)
Les valeurs en MPR
s ’obtiennent par la
mise en tension : et de
la maladie et du
handicap
LE HANDICAP ET LA MALADIE
Figure 26 : Le handicap est adossé à la maladie
La maladie offre ici le paradigme avec les 12000 entrées de la Classification Internationale des Maladies (CIM)
et le handicap le syntagme avec sa gradation du plus petit au plus grand. Dans cette approche, le handicap et la
maladie sont soit symétriques (réversibles) soit asymétriques (irréversibles). Le premier cas correspond par
exemple à une fracture qui génère un handicap qui rétrocédera à la consolidation de l’os, dans le second cas une
amputation d’un membre par exemple, le handicap reste présent même après la cicatrisation de tous les tissus.
2. La rhétorique et le champ argumentatif
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La rhétorique68
se définit comme un « art de persuader par le discours », avec pour objectifs en MPR :
l’argumentation en termes de justifications, la résolution des hétérogénéités, la cohésion des groupes
professionnels et la mise en mots de cette expérience.
La rhétorique n’est guère utilisée dans sa capacité à rendre compte des situations cliniques, à décrire le champ de
la rééducation, à rapporter des scènes de la vie, comme le propose l’hypotypose. Nous avons souligné la
difficulté de mise en mots de cette expérience et l’on note que c’est l’un des rôles de la rhétorique de nous
proposer à voir à partir d’un récit des images en mouvement. L’hypotypose69
« peint les choses d’une manière si
vive et si énergique, qu’elle les met en quelque sorte sous les yeux, et fait d’un récit ou d’une description, une
image, un tableau, ou même une scène vivante70
». La rhétorique propose quatre possibilités : (1) la
prosopographie est la description de l’allure extérieure d’un personnage, (2) l’éthopée est une peinture morale,
(3) la topographie dépeint les lieux, comme les paysages ou les intérieurs, (4) le parallèle consiste à dresser un
portrait comparé et simultané de deux personnages71
. L’hypotypose dans sa représentation habituelle fait voir le
spectacle72
. Cette approche montre que cet art de peindre dans la langue un spectacle vivant est difficile et elle
n’est jamais enseignée comme telle pour aider les professionnels à communiquer leur expérience sur le terrain.
Rhétorique, éthique et sémiotique tournent autour de la question du sens en MPR et chacun apporte sa
contribution. La rhétorique, nous en soulevons l’hypothèse, occupe la place laissée libre par la description
sémiotique encore naissante. Avec sa fonction unifiante, elle propose une justification d’existence à la
rééducation. Elle participe avec l’hypotypose au débat sur la capacité du langage à rendre compte d’un corps en
mouvement.
L’éthique offre une analyse des contenus de sens et se présente comme du sens émergent dont on ignorerait les
supports formels et la construction matérielle. La rhétorique serait du côté du plan d’expression, de la généralité,
de la présentation vers l’extérieur de la rééducation ; l’éthique serait du côté du plan du contenu, de la singularité
des situations, de la justification des démarches soignantes pour le groupe professionnel.
La rhétorique en rééducation est basée sur 4 termes qui nous le suggérons forment un système : la globalité, la
pluridisciplinarité, la plasticité, l’efficacité. Les deux axes qui portent les valeurs de ce système sont représentés
par l’axe des acteurs (sujets et professionnels) et l’axe des dispersions et des cohésions avec la méréologie et la
déontologie.
(A) L’axiologie ou le paradigme des valeurs est constituée de quatre termes principaux : la globalité, la
pluridisciplinarité, la plasticité et l’efficacité.
Tableau 9 : La rhétorique en rééducation (Le champ argumentatif)
EQUIPE (destinateur) SUJET (destinataire)
Méréologie Pluridisciplinarité
actant collectif (savoir faire)
Globalité « soi »
(vouloir faire)
Déontologie Efficacité
actant individuel (devoir faire)
Plasticité « moi »
(pouvoir faire)
68
Reboul O : La rhétorique. Paris, Puf, 1984. 69
Parret H : Sutures sémiotiques (chapitre 3 : Au nom de l’hypotypose). Limoges, Editions Lambert-Lucas,
2006. 70
Fontanier P : Les figures du discours. Paris, Flammarion, 1968. 71
Robrieux JJ : Rhétorique et argumentation. Paris, Nathan, 2000. 72
Molinié G : Dictionnaire de rhétorique. Paris, Librairie Générale Française (Le Livre de Poche), 1992.
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Les quatre points d’ancrage du discours rhétorique sont constitués par quatre termes suffixés en « ité » : la
pluridisciplinarité, la globalité, l’efficacité et la plasticité. Doit-on affecter cette rhétorique de reproches éthiques
ou lui attribuer une utilité, celle de combler le vide sémiologique ? Ces composantes de la rhétorique forment un
système.
(1) La pluridisciplinarité73
renvoie à la notion d’un « savoir faire » porté par un groupe professionnel.
Les divers professionnels dans cette modélisation ont une compétence liée à leur rencontre et à leur
association dans une même analyse des situations cliniques, dans une même action thérapeutique. La
pluridisciplinarité est déclinée selon diverses propositions qui vont de la dispersion vers la cohésion, de
l’absence d’unité vers la construction d’une discipline. On propose ainsi dans cette évolution : la
multidisciplinarité, l’interdisciplinarité puis la transdisciplinarité qui vont dans le sens de cette
homogénéisation des divers intervenants. La construction identitaire des professionnels est liée dans
cette proposition à la formation de départ de chaque acteur (infirmier, médecin, kinésithérapeute, …) et
non à la discipline d’exercice (MPR). Cet apport pluridisciplinaire est porteur dans l’argumentaire de la
compétence professionnelle. De fait, elle est une version convenable, politiquement correcte de
l’incompétence individuelle.
Figure 27 : La pluridisciplinarité en rééducation74
(2) La globalité qui réfère aux diverses modalités du tout et aux rapports qu’entretiennent le tout et ses
parties, est le support du vouloir faire.
En rééducation, il convient de s’interroger sur les formes de totalités75
. La globalité est un propos très
souvent mis en avant en rééducation, dans l’objectif d’opposer une approche segmentaire du sujet (une
segmentation en organe, en une médecine d’organe …) à une approche dite globale qui porterait des
valeurs essentielles. On présuppose, sans démonstration, que l’une serait mieux que l’autre, que l’une
serait « inhumaine » et l’autre plus « humaine ». Elle prendrait en compte le sujet comme une entité
avec toutes ses composantes. Outre le fait « mythifiant » de la notion globalité, elle est trop souvent
utilisée pour remplir un manque théorique : « Certaines disciplines humanistes ont en effet tellement
abusé du terme de totalité, considéré comme concept explicatif de valeur universelle, que son caractère
mythifiant est devenu évident76
».
73
Wirotius JM : La pluridisciplinarité en réadaptation, un concept gigogne. Journal de Réadaptation Médicale
2003 ; 23 : 49-53. 74
King JC, Nelson TR, Heye ML, Turturro TC, Titus MND : Prescriptions, referrals, ordrer writing, and the
rehabilitation team function. In Rehabilitation Medicine, Principles and Practice, Third Edition, JA DeLisa, M
Gans. Philadelphia, Lippincott-Raven Publishers, 1998. (p 270) 75
Fontanille J : Sémiotique et littérature. Paris, Puf, 1999. (p 19). 76
Greimas AJ : Sémantique structurale. Paris, Puf, 1986. (p 28).
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La question du tout77
est un questionnement essentiel avec une distinction entre (1) Le « tout » (totus,
unus) comme entier indivisible est aussi l’intégral78
une grandeur discrète distincte de tout ce qu’elle
n’est pas, une grandeur entière saisie dans son indivisibilité.
(2) Le tout (omnis), l’universel représente tous les hommes, une somme d’éléments, une construction
numérique qui énonce un ensemble ordonné.
(a) Fragmenter la maladie pour reconstruire et dire le handicap
La rééducation propose de fragmenter la maladie qui est une, qui est une totalité pour reconstruire une
globalité autour de la fonction. Le un est indiscible79
et peut être fractionné de deux manières
complémentaires. La scission de l’un en deux (la schizie) et « La scission de l’un en plusieurs (la
fragmentation) qui est la source des univers sémiotiques énonçables ».
La maladie est unifiante et elle est constitutive de l’identité de la personne. Elle permet la formation des
associations de personnes handicapées qui sont toutes organisées, non par rapport au handicap, mais par
rapport à la maladie, à la cause du handicap facteur d’unité.
Cette fragmentation de la maladie est la mission première des unités de rééducation. L’OMS a offert des
modèles de cette fragmentation, avec l’énoncé des classifications internationales des handicaps, et en a
légitimé l’importance.
(b) Globaliser les fonctions pour exprimer un vouloir faire
La globalité en rééducation est la reconstruction d’un sujet, par le réassemblage de ses constituants, de
ses fonctions après que l’on ait fragmenté l’entité maladie. L’identification qui permet la
reconnaissance d’une totalité (partitive) présuppose l’inventaire des parties multiples qui la composent,
alors que l’apparition de parties constitutives mais différentes est déjà une étape de
l’homogénéisation80
».
La globalité propose d’analyser un vouloir faire lié à l’action résultante de l’état de sujet saisi dans son
indivisibilité et dans son caractère unique. Le vouloir serait ici « un préalable virtuel » conditionnant le
faire et l’être. La globalité est le lieu du « vouloir faire » d’un sujet pris dans sa globalité et porteur de
ce désir de faire. C’est bien ainsi que la rééducation fonctionne : elle s’appuie pour l’essentiel sur le
vouloir faire des sujets.
77
Brondal V : Omnis et totus : analyse et étymologie. Besançon, Actes Sémiotiques, CNRS, 1986. 78
Coquet JC : La quête du sens. Paris, Puf, 1997. (p 45-48). 79
Fontanille J : Sémiotique du visible. Paris, Puf, 1995. (p 10). 80
Fontanille J : La quantité et ses modalités qualitatives. Nouveaux Actes Sémiotiques, Limoges, Pulim, 1992.
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Figure 28 : La « totalité » proposée par l’American Academy of
Physical Medicine and Rehabilitation dans un insert du quotidien
« USA Today » en 2001
(3) L’efficacité trouve sa place dans le devoir faire.
L’efficacité est l’un des thèmes de débat de la rééducation. La rééducation est-elle efficace mais surtout
peut-elle objectiver pour les décideurs cette efficacité : « l’efficacité, considérée non pas comme une
réussite mais plutôt comme une démarche qui permet d’obtenir des résultats en tenant compte de
l’ensemble des préconditions explicitées, bénéficie certainement de la dominance à notre époque du
faire sur l’être. Elle est présente de manière plus explicite dans l’exigence prédictive de la grammaire
générative où elle sanctionne la démarche globale de la pratique scientifique81
».
L’action de soins suppose, et c’est bien le moins que l’on puisse en attendre, que ceux-ci soient
efficaces. La notion d’efficacité, essentielle pour la rhétorique en rééducation est sans cesse débattue car
elle est ressentie comme incertaine. En effet l’efficacité relève du « faire » du professionnel et non du
faire-faire. On peut évaluer l’efficacité de la rééducation dans ses schémas médicaux (par exemple,
comment est gérer l’hypercoagulabilité des patients avec un risque de thrombose), mais rien de
comparable n’est démontrable dans les schémas rééducatifs. En effet, si celui qui fait est le sujet soigné,
alors la notion d’efficacité perd de sa pertinence.
L’efficacité répond en miroir à la question du recrutement de « bons patients », à un cercle vertueux :
donner envie de faire progresser quelqu’un qui a des aptitudes à progresser. Ceci semble comparable au
système scolaire où c’est le recrutement des étudiants qui définit la qualité du lieu d’éducation, et non la
qualité des enseignants. Ils seront de toutes les façons et par contagion considérés comme de bons
professeurs. On observe les limites des croyances « d’efficacité » dans le champ de la rééducation
comme dans celui de l’éducation.
Par quoi remplacer la thématique de l’efficacité, c’est la une grande question posée à la rééducation :
« Lorsqu’un médecin prescrit un traitement à un malade et que par hance le malade guérit, on dit que la
prescription a été efficace, humble manière de rendre hommage à la science et de professer sa foi dans
le principe de causalité. Car pour voir là une démonstration d’efficacité, il faut évidemment considérer
la guérison comme l’effet nécessaire, prévu et explicable, d’un enchaînement de transformations
81
Greimas AJ : Du sens II : Paris, Le seuil, 1983. (p 16-17).
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causées par la médication ». Ici les professionnels de la rééducation redeviennent comme le propose
Landowki82
de « simples médiateurs entre le malade et son corps ».
(4) La plasticité répond à l’interrogation du pouvoir faire ?
La notion de plasticité renvoie à la possibilité d’agir sur les fonctions altérées dans les situations de
handicap sans intervenir sur des modifications directes du corps mais seulement par les
« manipulations » externes proposées dans les programmes de rééducation. Même si la rééducation dans
sa composante médicale (MPR) utilise les diverses composantes thérapeutiques de la médecine comme
les médications, les actes invasifs, … elle est surtout représentée dans l’image commune par la
médiation de l’apprentissage. La notion de plasticité répond à la dissolution du concept d’apprentissage
avec un renvoi vers le biologique et aux capacités d’adaptation.
(B) – L’idéologie ou le syntagme des valeurs est représenté par les 3R syncrétisme des mots Rééducation,
Réadaptation et Réinsertion qui construisent les marques temporelles de la MPR.
Les « 3R » sont utilisés comme une image médiatrice, comme un logo, celui de la rééducation en France.
L’évolution constatée de la présentation des 3R mérite notre regard. La Figure 29 illustre cette présence
récurrente qui va évoluer pour un même support professionnel, le bulletin de liaison des médecins spécialistes :
au début une écriture paradigmatique, les mots sont situés les uns sous les autres, puis une version imagée du
« R » avec une présentation syntagmatique des trois R, vers la seule image 3R sans explication et sans
retranscription de la signification du sigle. Dans les documents plus récents, cette même présentation existe avec
un sigle sans déploiement lexical des 3R. Cette évolution du paradigmatique vers le syntagmatique peut
rejoindre l’évolution en rééducation des schémas médicaux qui prédominaient vers les schémas rééducatifs plus
actuels.
L’approche du « temps » est une entreprise périlleuse et chacun comprend vite cette difficulté à théoriser ce
paramètre situationnel. A la fois le temps s’impose et à la fois il est insaisissable ou au moins se dérobe sans
cesse, d’autant que pour en parler nous devons utiliser la langue qui impose ses propres contraintes : « Il est
commun de recevoir le temps comme une énigme inépuisable, toujours recommencée. Toutefois, à défaut de
nous donner le ridicule de prétendre l’avoir éclaircie, nous pouvons nous proposer de circonscrire le mystère83
».
C’est dans cette approche prudente que nous proposons une analyse de la temporalité en MPR en se référant aux
3R.
La temporalité en MPR se décline sur quatre registres essentiels : l’aspect, la chronologie, le tempo et le rythme.
L’aspect énonce un procès qui débute, dure puis se termine, la chronologie analyse l’avant, le pendant et l’après,
c’est le déroulement temporel de l’action, et le tempo rend compte de la vitesse, qui peut-être vive ou lente. La
rythmicité répond au caractère cyclique (faire par exemple 3 séances de rééducation par semaine sans fin) ou
linéaire (un parcours rééducatif) d’un fonctionnement.
1/ L’aspect et la chronologie
Les « 3R » si souvent évoqués et toujours représentés aujourd’hui en MPR (Rééducation, Réadaptation,
Réinsertion) introduisent en rééducation la temporalité sous des formes diverses. Il s’agit d’une trilogie, à
l’évidence d’une succession de phases dans les actions de soins et d’accompagnement. Cette approche perdure
au fil de l’histoire de la MPR et s’impose comme un repère pour les professionnels avec une transformation du
syntagme nominal en logo. Les 3R font partie de la rhétorique commune en MPR, toujours revendiquée. La
« temporalité » a été dans les représentations du handicap dissociée de la spatialité, c'est-à-dire oubliée. La
situation de handicap est le plus souvent représentée par un sujet confronté à un espace inamical, défavorable :
un fauteuil roulant devant un escalier. L’emblème est l’accessibilité (le fauteuil roulant) devenu de fait le logo du
handicap. Bien sur, il est plus facile pour l’observateur d’imager l’espace que le temps surtout dans un domaine
le handicap où la modalité visuelle est si importante. Mais ce détachement est aussi à notre sens à mettre en
82
Landowski E : Passions sans nom. Paris, Puf, 2004. (p 94) 83
Zilberberg C : Eléments de grammaire tensive. Limoges, Presses Universitaires de Limoges, 2006.
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relation avec l’absence de la valeur temps dans le champ de la santé et même sa contre-valeur. En médecine le
temps est au dénominateur de toutes les actions et son agrandissement jugé toujours défavorable. Le temps est
une valeur inconnue, ignorée, dysphorique, voire très négative en médecine mais elle est la valeur centrale et
résolument positive en MPR. Les « 3R » de la rééducation témoignent de cette dimension temporelle en
introduisant la chronologie comme un paramètre central, comme la colonne vertébrale de la rééducation. Les
trois termes se succèdent dans le temps tout en manifestant dans la construction du lexique nombre de reprises,
d’isotopies de l’un à l’autre au niveau des préfixes et des suffixes.
L’aspect est marqué de façon première : le début, l’entrée dans le procès est la rééducation, puis il y a la phase de
réadaptation, puis la réinsertion vient conclure la séquence. Il est difficile de ne pas superposer ce programme à
la séquence canonique : inchoatif, duratif, terminatif. Cette marque aspectuelle va se retrouver dans la
sémantique avec l’usage de verbes perfectifs et imperfectifs.
Du fait de la prééminence aspectuelle, on peut avoir comme hypothèse complémentaire que le « re » initial de
rééducation n’a pas comme seule valeur la répétition, mais aussi une dimension aspectuelle d’immédiateté. C'est-
à-dire d’une action qu’il convient d’entreprendre aussitôt. Lorsque l’on dit « reviens » à un enfant, on signifie
que cela doit se faire immédiatement, car il ne s’agit pas de venir deux fois.
Ces valeurs couvrent surtout le thème de l’accompagnement et des schémas rééducatifs, plus que des schémas
médicaux de la rééducation.
Figure 29 : La présentation du thème des « 3 R » sur les pages 1 de couverture
d’un bulletin de liaison des médecins de la spécialité de MPR
Les verbes correspondants (rééduquer, réadapter, réinsérer) vont de l’imperfectif vers le perfectif. Rééduquer et
réadapter sont imperfectifs et réinsérer est perfectif. Le mouvement de la rééducation va de l’imperfectif vers le
perfectif avec une clôture en fin de programme.
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Figure 30 : La présentation actuelle du sigle « 3R » dans la Lettre de MPR
(au dessus le bandeau du site internet de l’ANMSR84
,
et en bas à droite l’affiche annonce de la réunion annuelle à venir, 2008)
La temporalité dans sa version chronologique est la succession dans le temps d’un présent la rééducation et d’un
futur : la réadaptation puis la réinsertion. La dimension aspectuelle l’emporte sur la chronologie : le temps initial
est consacré à la rééducation, puis un temps secondaire à la réadaptation et ensuite à la réinsertion. Cette
succession propose une continuité temporelle linéaire et irréversible pour le déploiement du corps dans l’espace
et dans le temps. Sur le plan du temps la maladie est un événement et le handicap est un état85
.
Ces trois termes rééducation, réadaptation, réinsertion sont proposés dans un ordre contraint, avec une syntaxe
figée. Toute autre séquence serait considérée comme curieuse, étrange. Cela témoigne du fait que dans cette
présentation, la rééducation est le moment initial inclus d’un procès plus complexe. La dimension temporelle est
notée dans les trois R (R1, R2, R3) qui se succèdent dans le temps, dans une continuité chronologique des 3
situations.
2/ La durée
Les rapports au temps sont complexes à analyser : pour la médecine une intervention est longue lorsqu’elle dure
plusieurs heures (on dira ici que long est plus de 2 heures), alors qu’en MPR « long » est une durée
d’intervention de plus de 3 mois. La correspondance des temps est de 1 à 1000 (si « long » en médecine c’est
deux heures et de 1 à 2000 si « long » en médecine c’est 1 heure). On obtient des chiffres qui ne veulent plus rien
dire tant ces gradeurs sont distinctes. Chaque moment dans une unité de MPR est de la rééducation qu’on le
veuille ou non puisque le corps continue à se déployer dans l’espace temps et dans un milieu soignant.
Le suffixe « tion » de « Rééducation, Réadaptation, Réinsertion » témoigne d’une action entrain de se faire et
décrit le résultat de cette action. La durée est portée par la dynamique de reconstruction de l’identité d’un sujet
qui impose une temporalité, puis la construction nouvelle vient clôturer à la séquence.
3/ Le tempo et la rythmicité
La maladie est dans le tempo de la vitesse, le handicap dans celui de la lenteur. La rééducation est non seulement
un soin qui dure dans le temps mais aussi qui réfère à la lenteur du temps du corps. Les modifications corporelles
84
ANMSR : Association Nationale des Médecins Spécialistes en Rééducation. 85
Zilberberg C : Eléments de grammaire tensive. Limoges, Presses Universitaires de Limoges, 2006. (p 108).
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dans ce champ des soins supposent des semaines, des mois plutôt que des minutes et des heures. On descend
avec un ascenseur rapide avec la maladie ou l’accident, qui organisent dans la célérité des démarcations, mais on
remonte avec difficulté les escaliers de la rééducation. Le handicap avec son versant progressif, laborieux
organise une segmentation de l’action et du temps.
La rythmicité correspond à la façon dont se distribuent dans le calendrier les soins en rééducation. Cette
programmation est aisément observable dans les pratiques ordinaires. Bon nombre de soins dans cette discipline
sont réalisés sans fin, sans limite temporelle pendant des mois voire des années au rythme de 1, 2 ou 3 fois par
semaine dans « un système qui se répète constamment et de façon synchronisée avec les processus cycliques de
la nature. La vie humaine n’est pas considérée comme un segment linéaire qui va de la naissance à la mort, mais
comme un cycle qui se répète à l’infinie86
». Cette approche témoignerait de processus archaïques, dans un
mouvement de régression et de dépendance. Il est souvent couplé à l’usage des schémas médicaux de la
rééducation : dans cette perspective, la guérison attendue (le retour à l’état corporel antérieur) n’étant jamais
obtenue, la poursuite indéfinie des soins se trouve justifiée. L’angoisse de l’arrêt des prises en charge et la lourde
signification du mot « fin » en rééducation fait qu’on ne s’autorise pas à conclure la séquence. La préférence des
soins rééducatifs va vers une temporalité linéaire avec un début et une fin seuls garant d’un possible contenu.
3. L’évaluation en MPR
L’évaluation est porteuse de valeurs, elle en est souvent un concentrateur. On fait entrer dans l’évaluation ce qui
est pertinent pour un domaine, ce que l’on souhaite mettre en relief. Elle se veut aussi gérer des mesures pour
assurer des comparaisons entre sujets, d’un sujet à l’autre témoigner des changements et de leur ampleur.
L’évocation de la sémiologie en MPR fait glisser celui qui découvre cette thématique vers la question de
l’évaluation qui comporte aussi une composante de discrimination, d’identification.
Le rapport à l’évaluation est utile à considérer car de façon implicite la référence aux « signes » en rééducation
renvoie de façon quasi réflexe à la question de la mesure et de l’évaluation. Les échelles proposées en MPR ont-
elles un lien avec la sémiologie ? Même si le projet est différent on perçoit confusément que les valeurs en jeu
ont sans doute des intersections importantes.
(1) L’évaluation en rééducation comporte plusieurs registres :
1 – Le suivi des lésions causales du handicap. En effet ces lésions responsables du handicap peuvent être stables,
ou au contraire régresser ou progresser. Elles peuvent être symétriques (le handicap est réversible à l’arrêt du
processus morbide) ou non symétriques et alors le handicap est irréversible.
2 – La prise en compte des lésions secondes comme conséquences des premières. Là se situe le grand apport de
la rééducation dans son versant médical. Eviter toutes les conséquences surajoutées, limiter les conséquences
lésionnelles à l’inévitable. La rééducation est une pratique médicale récente qui a transformé le devenir des
personnes handicapées. C’est par exemple éviter des escarres après une paralysie des membres inférieurs,
l’insuffisance rénale dans les dysfonctions vésico-sphinctériennes.
3 – Les évaluations événementielles : ce sont les traditionnels bilans dont sont friands les professionnels de la
rééducation (et les autres aussi). Elles sont très utiles pour marquer une situation à un moment donné de
l’histoire, car nous savons combien il est difficile de percevoir des changements dans l’évolution des patients au
quotidien. Le sens des pratiques étant lié à la perception des changements il est naturel de vouloir garder des
traces et d’objectiver les différents états le long d’un parcours de soins. Ces indicateurs sont divers parfois très
généraux comme l’index de Barthel ou la Mesure d’Indépendance Fonctionnelle parfois beaucoup plus ciblés.
C’est le cas des approches fonctionnelles de la marche, de la miction, de la déglutition, du langage et de la
communication.
86
Lotman Y : La sémiosphère. Limoges, Pulim, 1999. (p 56).
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4 – Enfin, et sans doute le plus important est le contexte clinique du quotidien où l’évaluation est dans l’action.
On pourrait utiliser le concept d’énaction87
qui représente une action guidée par la perception, une relation
interactive. L’énaction organise le lien entre l’action et les savoirs, entre l’action et l’interprétation. L’idée est de
faire prédominer le concept d’action sur celui de représentation. Ceci complète l’approche cognitiviste qui
propose un dispositif de résolution de problèmes, un moteur logique. Le projet est de réintroduire le contexte et
le sens commun, constitutif de notre histoire physique et sociale, non pas comme des artéfacts résiduels pouvant
être progressivement éliminés grâce à des règles plus sophistiquées, mais comme essentiels, comme la base
même de la cognition créatrice.
Chaque action en rééducation est une réponse adaptée à moment ressenti des capacités d’un sujet. Si nous
prenons l’exemple du repas, la gestuelle d’aide, d’ajustement, d’incitation, sera liée à la prise d’informations : au
début du repas la réponse pourra être un processus éducatif et ensuite en fonction de la fatigue, ce peuvent être
des gestes de compensation. Et demain sera une autre journée avec cet ajustement permanent entre une prise
d’information et une réponse des professionnels. On pourrait aussi parler d’éval-rééducation, un mot couplant
cette notion d’évaluation – rééducation. L’éval-rééducation est l’idée que l’action des professionnels en
rééducation comporte toujours une entrée d’évaluation avec une réponse en termes d’action – ici de faire-faire.
Le soignant et le soigné se déterminent l’un, l’autre dans l’interaction. La perception et la motricité sont
indissociables sous le primat de l’action qui les stimule.
5 – Le dispositif évaluatif est complété par des bilans plus généraux que l’état d’un sujet peut justifier. On
retrouve ici des bilans biologiques, radiographiques, … sans spécificité.
Les exigences actuelles tant sur le plan social que médical nous incitent dans les divers champs professionnels de
santé à mesurer, à évaluer, à compter. Les bonnes pratiques médicales vers lesquelles chacun doit tendre,
répondent assez bien à ces schémas d’évaluation.
(2) Dans le champ du handicap, la mesure se révèle difficile :
- le handicap, comme tout ce qui est pertinent en rééducation, est gradué et non dichotomique (de type présent
ou absent).
- le handicap a besoin d’un contexte pour se réaliser dans un procès de signification déployé dans le temps et
dans l’espace.
- Les composantes du handicap sont multiples et instables avec au moins des facteurs intrinsèques liés au
sujet et des facteurs extrinsèques liés à l’environnement.
- Les classifications du handicap (de l’Organisation Mondiale de la Santé) décrites en parallèle à la
Classification Internationale des Maladies n’offrent en bout de chaîne pour les professionnels de santé
dédiés au handicap, ni classification, ni dénomination disponibles.
- Le handicap n’a pas la même définition dans le champ social et dans le champ médical : (1) dans le champ
social, il est un marqueur individuel qui permet des décisions d’aide, d’accompagnement, de placement, et il
s’oppose à l’âge88
(personne âgée vs personne handicapée) et à la maladie (malade vs handicapé) ; (2) dans
le registre sanitaire, le handicap est adossé à l’âge (corrélation de l’âge et du handicap) et à la maladie dont
il est une composante. Le handicap dans sa définition sociale suppose sa reconnaissance par des instances
officielles et dans sa définition médicale, il est une quantité de difficultés fonctionnelles analysées de façon
logique, syntaxique et situationnelle.
Dans ces conditions, dénombrer les handicaps est une tâche très difficile. Tout au mieux dans le contexte actuel
peut-on mesurer le handicap en hiérarchisant la quantité de difficultés fonctionnelles à laquelle les sujets sont
confrontés. L’analyse se réalise par l’exploration des diverses fonctions qui sont indicées sur les possibilités
d’autonomie du sujet. Deux échelles génériques sont communes en rééducation : l’échelle de Barthel et la
Mesure d’Indépendance Fonctionnelle89
.
87
Varela FJ : Invitation aux sciences cognitives. Paris, Editions du Seuil, 1989, 1996. 88
Wirotius JM : La vieillesse et le handicap dans les textes réglementaires et de discours médical. In I Darrault-
Harris, J Fontanille : Les âges de la vie. Paris, Puf, 2008. (p 129-145). 89
Wade DT : Measurement in neurological rehabilitation. Oxford, Oxford University Press, 1994.
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4. L’éthique
L’éthique est en interaction avec le domaine de la sémiotique développée dans le champ de la rééducation. Elle
occupe cet espace laissé libre, par des champs sémiotiques encore en friche : l’éthique en MPR serait une friche
sémiotique.
L’approche du sens dans le champ professionnel de la réadaptation (c’est-à-dire, ici, des soins des personnes
handicapées de tous âges accueillies en milieu sanitaire) se construit selon divers discours professionnels :
(a) L’un utilise les connaissances de la sémiotique pour approcher une description de l’univers des
significations en MPR et propose une écriture dans la langue. C’est la démarche qui est la notre.
(b) L’autre, c’est la position nord-américaine90
renvoie cette bascule du « tout ou rien » des schémas
médicaux vers le « plus ou moins » des schémas rééducatifs dans le champ de l’« éthique clinique91
».
C’est ainsi qu’est nommé en MPR le champ des décisions non dichotomiques mais qu’il faut pourtant
prendre. Si dans le champ de la MPR tout se situe dans la gradation, alors le débat des choix est
toujours ouvert, rien ne peut se jouer dans une dichotomie reconnue à un moment comme stable et
relevant d’un ordre logique, qui transcende les points de vue individuels.
L’éthique clinique en MPR serait alors une présémiotique, une mise en attente d’une description sémiotique à
venir. L’éthique serait sollicitée lorsque du sens apparaît aux divers acteurs comme saisie sur un plan émotionnel
mais sans que les supports de ces significations ne soient identifiés et directement manipulables. Elle occuperait
tous les interstices laissés libres par la sémiotique manquante. Une sorte de mastic qui permet de conserver en un
tout des parties disjointes. Cet état présémiotique fait sentinelle et va s’insinuer dans tous les interstices laissés
libres par la sémiotique, par une représentation plus formalisée du sens. Elle se montre expansible occupant tous
les interstices laissés libres par la sémiotique. Le bouquet éthique vient comme un feu d’artifice éclairer mais de
façon momentanée un ensemble signifiant encore dans l’ombre. Ses développements se font sur les zones
laissées en friches par la sémiotique. L’éthique paraît être ce matériau fluide qui occupe la place de ce qui n’est
pas sémiotisé de façon explicite, de ce qui n’entre pas dans une sémiotique qui par essence produit toujours un
résidu lié au principe de pertinence, à la sélection à-priori de ce qui fait sens. Inversement, les sujets nouveaux à
sémiotiser seraient détectables grâce à la luciole que serait alors l’éthique.
Une autre question entre éthique et sémiotique est la question de l’écriture de cette sémiologie et de son partage
dans les diverses filières qui ont à prendre en compte la question du handicap : peut-on utiliser son transcodage
dans la langue, sa mise en mots et/ou proposer de mettre en place une lecture d’images. Et alors si cette
disposition est acceptable comment gérer l’usage de l’image personnelle (photo, film du sujet) dans un cadre
professionnel d’échanges. Peut-on montrer des photos, des films certes explicites sur le discours du corps mais
dont on perçoit le caractère transgressif de leur diffusion. Certes, l’usage de l’image médiatrice est déjà proposé
lorsqu’elle est interne au corps (radiographie et imagerie médicale) et le partage du dossier est accepté mais
l’image de soi dans sa visée identitaire et expressive a d’autres implications. Sa persistance au-delà de l’instant
fait question tout comme son effet de dédoublement et de perte de contrôle d’une part de soi.
90
Wirotius JM : L’éthique clinique en réadaptation, apport de la réflexion nord-américaine. Journal de
Réadaptation Médicale 2003 ; 23 : 128-135. 91
Sliwa J, McPeack L, Gittler M et al. : Clinical ethics in rehabilitation. American Journal of Rehabilitation
Medicine 2002 ; 81 : 708-717.
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Figure 31 : Le photogramme
Le handicap est un discours, un discours du corps, mais il n’est qu’un discours fugace qui s’évanouit aussitôt la
fin de l’interaction. En effet un sujet qui dort offre peu d’information sur son handicap sauf si à l’évidence les
lignes de son corps et sa silhouette sont modifiées. De la même façon, un corps mort ne peut plus s’analyser en
termes de handicap. Lorsque le handicap n’est pas apparent pour les tiers, on dit qu’il est invisible. Ce qui tend à
insister sur le fait qu’il fait partie du handicap d’être visible. Or cet invisibilité du handicap est la règle et non
l’exception. Cela engage également dans la définition une part visuelle décisive dans cette perception.
L’idée du « photogramme » est de représenter une situation photographiée dans la perspective de faire émerger
le mouvement que l’on anticipe à la vue de l’image. En rééducation, on perçoit l’intérêt et l’importance de
l’image, on sait l’importance de la vidéo dans le suivi des patients. La photo lorsqu’elle est « en mouvement »
pourrait-elle jouer un rôle dans la sémiologie en MPR, comme outil de médiation entre les structures de soins.
L’exemple de la Figure 31 est celle d’un sujet présentant une hémiplégie gauche. On note la position du bras
gauche en flexion soutenu par une écharpe, le soignant qui aide au déplacement du bassin, la position du membre
inférieur gauche le genou fléchi et la hanche en flexion et rotation externe. L’acte en cours est un lever que l’on
devine difficile avec une importante participation de l’équipe car le contrôle moteur du tronc et des membres est
annoncé laborieux à la lecture orientée de l’image. Cette image apporte à un professionnel un niveau
d’information meilleure qu’une description linguistique mais bien sur inférieure à une vidéo.
5. La qualité de vie
La qualité de vie est une façon pour la médecine dans sa version clinique usuelle de prendre en compte ce qui est
au-delà de ce qui fait sens pour la sémiologie médicale.
Le signe en médecine a un statut très valorisé en particulier dans l’enseignement professionnel. La sémiologie en
médecine est perçue comme un tout de signification : elle est l’accès au sens des situations cliniques. La qualité
de vie vient occuper la place complémentaire au niveau des significations. C’est le témoin que le point de vue
premier est accepté comme incomplet avec cette ouverture représentée par la notion de qualité de vie.
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Figure 32 : Site internet de l’American Academy of
Physical Medicine and Rehabilitation
Physiatrists : Physicians adding Quality to Live (des « médecins qui
ajoutent de la qualité à la vie”
La qualité de vie est une façon d’envisager une sémiotique résiduelle. C’est qui a du sens pour le sujet, pour son
entourage mais qui n’entre pas dans la pertinence diagnostique. Elle vient au secours des pratiques médicales
pour récupérer ce qui a du sens, en particulier pour les sujets soignés, mais n’en avait pas forcément pour la
démarche médicale. D’où l’aspect un peu fourre-tout des indicateurs construits. Par définition, la MPR dont la
sémiologie est pour l’essentiel hors du champ médical classique est dans la qualité de vie. Ce que traduisent for
bien nos collègues des USA et en faisant un de leur slogan.
6. L’écologie
La dimension écologique a été l’une des façons d’ouvrir une fenêtre sur le champ de la MPR à partir des
concepts médicaux. La notion « écologique » va émerger dans les années 80 et trouver un écho surtout dans le
champ de la neuropsychologie. Le handicap bénéficie alors de beaucoup d’intérêt et de médiatisation : l’année
1981 est proclamée « Année Internationale pour les Personnes Handicapées » par Les Nations Unies.
La notion d’écologie va permettre d’étendre l‘évaluation des fonctions dites supérieures (langage, mémoire, …)
dans les contextes de vie ordinaire. La neuropsychologie clinique était par essence et par histoire dans les
schémas médicaux classiques avec des repères anatomo-cliniques et une perspective logique et décontextualisée.
Elle a été confrontée à l’émergence des théories du handicap qui insistaient avec force sur la « situation » comme
porteur de l’essentiel du sens. La dimension écologique devenait alors une expansion des schémas médicaux vers
le handicap. Et représentait une ouverture, une passerelle vers les schémas rééducatifs. La neuropsychologie a
proposé cet éclairage écologique pour basculer des évaluations d’ordre logique à des évaluations en contexte.
Le handicap et la rééducation sont eux entièrement immergés dans un univers contextualisé, situationnel. La
notion d’« écologie » n’a pas dans les schémas rééducatifs ce même intérêt car elle se superpose à la
« situation ». Pour la MPR la dimension situationnelle est définitoire et la référence écologique est redondante.
La notion « écologique » apparaît en MPR comme peu utile, tautologique et sans pertinence. Elle témoigne d’un
positionnement incertain de son utilisateur dans le champ rééducatif. Elle est un marqueur qui indique que celui
qui l’utilise observe la rééducation à partir des schémas médicaux sans être entré de plain pied dans la
sémiosphère rééducative.
6. CONCLUSIONS
La sémiologie en Médecine Physique et de Réadaptation est en cours de description et notre travail veut
contribuer à cette approche clinique nouvelle. La mise en mot du quotidien de nos pratiques est tout à la fois un
projet banal, mais il est aussi ambitieux tant cette référence au quotidien semble inaccessible. Nous redécouvrons
souvent de l’extérieur notre propre univers, quand d’autres que nous éclairent des zones de la rééducation. La
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recherche sémiotique dans le champ du handicap et de la rééducation propose une première écriture de la
signification de pratiques professionnelles en MPR dont les contenus sont encore peu théorisés. Cette mise en
mot de la sémiologie en rééducation est complexe à formuler car si l’univers des signes s’impose à nous, il ne
nous livre pas facilement sa structure. Ces propositions concernent la mise en mot d’un champ signifiant gradué,
sans signes élémentaires disponibles et dont la catégorisation est instable, car liée par définition à la situation, au
contexte, à l’espace-temps. Les difficultés de description et de mise en mots de cette sémiologie expliquent ce
manque actuel, avec l’effet de leurre sémiologique lié à l’intrication des sémiosphères médicales et rééducatives.
Les acteurs de soins ressentent cette absence de description comme un malaise plutôt que comme un manque.
Les perspectives associées à cette écriture du signe sont nombreuses pour les soins des personnes handicapées et
pour les pratiques professionnelles dédiées. Elles contribuent à la construction identitaire et scientifique de cette
sémiosphère et à ses développements à venir.