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LA SICILE, CARREFOUR de CIVILISATIONS entre GRANDE-GRÈCE
et MONDE ROMAIN
Éric MORVILLEZ, MEYNES, 14 mai 2016
Éric MORVILLEZ , docteur en archéologie et histoire de l’art de l’université Paris IV – Sorbonne, est maître de conférences en histoire
ancienne à l’Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse et membre du laboratoire CNRS ANHIMA1 - UMR 8210. Il est aussi
président de l’association française d’étude des mosaïques anciennes.
C’est l’historien grec Polybe (2ème siècle av.) qui, le premier, utilise le terme de « Grande-Grèce » pour
désigner le sud de la péninsule italienne, à laquelle la Sicile se trouve associée. Riche de ses terres
céréalières, elle a été l’objet de convoitises entre le monde grec – qui y fonda une colonie des plus
brillantes – et le monde carthaginois. Devenue l’enjeu de la 1ère guerre punique entre Rome et Carthage,
elle favorise dans son creuset un subtil métissage qui transmet l’hellénisme à l’Italie et dont témoignent
de grandioses constructions (temples de Ségeste, Sélinonte et Agrigente) et des villes opulentes, comme
Syracuse ou Palerme. Le monde romain y enracine naturellement sa première province, dont la
prospérité jamais démentie jusqu’à la fin de l’Antiquité est notamment illustrée par les exceptionnelles
mosaïques de la villa de Piazza Armerina au Casale.
Le terme de Grande-Grèce mérite quelques précisions. La Sicile n’a pas toujours
fait partie de cette entité dans laquelle elle n’entre qu’à la fin de la 1ère guerre
punique. L’île comporte des caractéristiques remarquables : carrefour de
migrations entre la Méditerranée occidentale et orientale, elle se situe sur une
route maritime « obligée » (détroit de Messine). C’est aussi une riche terre
céréalière.
Des sources nombreuses, certaines illustres, d’autres moins (Thucydide, Polybe,
Diodore de Sicile, Polybe, Antiochos de Syracuse, etc.) retracent des épisodes
importants de l’histoire de la Sicile mais des pans entiers nous manquent. Il est
alors nécessaire de faire appel aux fouilles et à l’archéologie scientifique.
1 Centre d’ANthropologie et d’Histoire des Mondes Anciens
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Le premier des archéologues de la Sicile est Paoli Orsi
(1859-1935), « inventeur » de la Sicile
pré et protohistorique, qui a retracé sa
chronologie complexe au travers de
recherches de terrain qui font remonter
les premières traces de peuplement au
4ème millénaire (avec notamment les
grottes de l’Addaura sur le site du
Monte Pellegrino2 datées de la fin du
paléolithique supérieur).
Très tôt, les fouilles, recoupant les sources écrites antiques, permettent de
confirmer que la Sicile constitue un véritable « melting pot » accueillant des
peuples d’origines très variées (Afrique, Italie, Balkans, Asie Mineure).
Des racines mythologiques
Dans l’Odyssée, Ulysse rencontre les Lestrygons, des
géants féroces et cannibales qui jettent des rochers sur
les navires.
Selon la géographie d’Homère telle que décryptée
notamment par Thucydide, il est vraisemblable que
leur pays est situé en Sicile, tout comme celui de
Polyphème et des Cyclopes3.
C’est dans les îles éoliennes (ou Lipari) que se
situe le palais d’Éole
(peut-être sur l’île de
Stromboli ?) et qu’Ulysse
et ses compagnons
essuient leurs plus
grosses tempêtes.
C’est aussi dans le détroit
de Messine que résident
Charybde4 et Scylla, ces 2 monstres marins féminins qui
engloutissent les navigateurs.
2 Contemporaines de celles d’Altamira 3 D’autres hypothèses font état de la baie de Naples… 4 Elle engloutit et vomit la mer 3 fois par jour…
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L’image qui hante le décor sicilien et figure sur son
drapeau, la gorgone à trois jambes ou Trinacria5,
représente les trois pointes de l'île, pointe ouest de
Trapani-Marsala, pointe nord-est de Messine et
pointe sud-est de Syracuse. Elle figure déjà sur une
monnaie d’Agathocle (317-294) représentant sur
l’avers Athéna et sur le revers Pégase et le triskélès.
Dédale, à la suite de son évasion du labyrinthe de
Crète et la mort de son fils Icare, cherche refuge
auprès du 1er roi mythique de Sicile, Cocalos6,
qui lui fait concevoir et édifier une forteresse,
Camicos7, capitale du royaume, située dans la
région d'Agrigente. Minos, qui vient réclamer
Dédale auprès de ce souverain spécialiste des
plantes, est assassiné par Cocalos dans un bain toxique.
Un autre personnage mythique a
visité la Sicile : au sud de
l’Espagne, Héraclès8 vole les
bœufs de Géryon, le bandit aux 3
têtes, 6 mains et 3 corps. Parti
d'Erythie, près de Gibraltar, il
commence par élever deux
colonnes de part et d'autre du
détroit, l'une en Europe, l'autre en
Afrique. Longeant ensuite la côte
sud de l’Espagne, celle de la
Gaule cisalpine, puis l’ouest de l’Italie, il passe ensuite par le Forum Boarium à
Rome, par Herculanum puis Naples. À la poursuite d’un de ses bœufs, il traverse
à la nage le détroit de Messine et parcourt le nord de l’île. Il y rencontre Éryx, roi
des Élymes, fils d'Aphrodite et de Boutès, qui le défie au combat. L'enjeu est d'un
côté le troupeau du héros, de l'autre le royaume d'Éryx. Celui-ci est finalement
vaincu et inhumé dans le temple dédié à sa mère Aphrodite, mais Héraclès laisse
le royaume aux indigènes en stipulant qu'un de ses descendants pourrait venir en
prendre possession.
Des peuplements divers et pluriethniques
5 Ou triskélès, mais rien à voir avec le symbole celtique… 6 Son nom signifie littéralement « qui fabrique des onguents aromatiques ». Roi des Sicanes, il aurait succédé aux Cyclopes. 7 Peut-être la citadelle de Sant'Angelo Muxaro, dans la province d'Agrigente 8 C’est son 10ème travail…
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Les Sicanes et les Sicules ont précédé les Élymes,
peuple aux origines troyennes. Avec des aires
culturelles et cultuelles différentes, ils se partagent
le terrain plus ou moins pacifiquement, avant
l’assimilation progressive par les Sicules.
Les Phocéens, fondateurs de Marseille,
s’installent ensuite au nord-est.
De leur côté, les cités élymes à l’ouest deviennent de plus en plus importantes et
les Romains offrent l’immunitas à la ville de Ségeste, au nom de leur commune
origine troyenne.
Les Phéniciens9, grands commerçants, créent
également des établissements sur tout le pourtour
de la Sicile pour faciliter leurs entreprises
commerciales10.
Au cothon11 de Motyé, île proche de Marsala, on
a découvert une urne funéraire caractéristique
(scène de banquet, avec le signe de Tanit et le
caducée d’Hermès).
À noter que ces implantations successives sont de nature essentiellement
commerciale. La Sicile constitue notamment un pont avec la Libye (partie du
domaine carthaginois).
Ces installations diverses s’accompagnent d’assimilations culturelles et
cultuelles : à Éryx, le temple dédié à Vénus Érycine l’est aussi à Astarté (chez les
Phéniciens) et à Atargatis, les 3 entités constituant une sorte de super divinité.
Même phénomène à Selinonte avec Melkart = Hercule = Héraclès.
Aux 8ème et 7ème s., l’installation des Grecs n’efface pas les peuplements
précédents et se déroule sans difficultés majeures, malgré la présence d’une
poche de résistance autour de l’Etna, près du lac Nafftia (ou Palici).
Les textes évoquent la sténochôria (de sténochoréo : « être à l’étroit »)
aujourd’hui traduite par « manque de terres » comme cause principale de la
colonisation grecque12 en Sicile. Une augmentation de la population, des
9 C’est en 814 av. que Didon, venue de Tyr, fonde Carthage. 10 Selon Thucydide : « Des Phéniciens également habitaient la Sicile : sur tout pourtour, ils s’étaient ménagé, avec diverses
hauteurs dominant la mer, les petites îles côtières, pour leur commerce avec les Sikèles ; mais, lorsque les Grecs, à leur tour, se
mirent à arriver en nombre, ils abandonnèrent la majeure partie de leurs positions et se contentèrent d’exploiter, en s’y
concentrant, Motyé, Soloeis, et Panorme au voisinage des Elymes, à la fois parce qu’ils se reposaient sur leur alliance avec ces
Elymes, et parce que c’est là que la traversée est la plus courte de Carthage en Sicile ». 11 Port fortifié 12 Terme à prendre dans son acception antique…
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épisodes climatiques défavorables, des famines entraînant aussi des troubles
sociaux (la stasis) expliquent aussi cette volonté d’expansion13.
Ces entreprenants et courageux commerçants-navigateurs, « condamnés à
réussir » dans leurs entreprises de fondation de colonie, partent de leurs villes
sans espoir de retour. Certaines cités se « spécialisent » dans la fondation de
colonies (Corinthe, Chalcis, Mégarie, etc.) mais paradoxalement, les 2 grandes
cités grecques antagonistes, Athènes et Sparte, n’y contribuent pas. Les
fondateurs recherchent des territoires riches, d’abord en Italie du sud puis en
Sicile, île qui attire par ses ressources en blé et en minerais. Souvent, ils
commencent par s’installer sur un îlot, avant de partir pour la « grande terre ».
C’est le cas pour l’'île d'Ortygie, en face de Syracuse. On peut y trouver encore
un temple d’Apollon, le plus ancien de tous les temples doriques périptères de
Sicile — et presque aussi de manière absolue —, qui ne peut être comparé qu'au
temple d'Apollon à Corinthe. Il doit remonter au premier quart du 6ème s. av.
13 Platon, dans le Phédon, qualifie les Grecs « de grenouilles autour d’une mare ».
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Parallèlement, les Grecs s’opposent aux Étrusques, eux aussi grands
commerçants et pirates, pour le contrôle des mers et des échanges.
Deux vagues de colonisation grecque se succèdent :
*Au milieu du 8ème s., les créations de cités sont essentiellement concentrées sur
le rivage oriental de l’île. La 1ère est sans doute
Naxos (de Sicile), créée par les Chalcidiens suite
à un échouage et placée sous la protection
d’Apollon Archegetos14. En 733, c’est la création
de Zancle (Messine) et de Syracuse, qui
deviendra un temps la plus grande ville du monde antique, tant en superficie
qu’en population (elle comptera jusqu’à 300 000 habitants)15. Megara Hyblea,
toute proche et créée en 728-727, ne parviendra jamais à survivre du fait de cette
« concurrence ».
Les villes sont bâties selon un plan
hippodaméen et chaque colon,
comme à Sélinonte, dispose d’un lot
de taille équivalente.
14 Celui qui aide… 15 Selon Cicéron, c’est «la plus grande des villes grecques et la plus belle de toutes ».
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*Une 2ème vague va intervenir à la fin du 7ème s. jusqu’en 580, avec la création
d’Heloros et d’Akrai. En 627, Sélinonte est créée par Megara Hyblea et
Agrigente par Géla en 580.
Une société brillante
Il serait erroné de croire que la Sicile n’est qu’une simple copie de la Grèce. Bien
au contraire, elle montre le chemin. Pour Cicéron, c’est en Sicile qu’est née la
rhétorique, et pas en Grèce.
C’est là aussi que l’hellénisation romaine trouve sa source16. À l’instar de l’Asie
Mineure, les temples y sont immenses, comme en témoigne à Sélinonte, le
temple G (110m sur 55), détruit.17
La vallée des temples à
Agrigente comporte près
d’une vingtaine de temples
ou sanctuaires, dont un
monumental Olympéion
soutenu par des Atlantes
de près de 8m de hauteur.
16 Et de là que proviennent nos platanes !!! 17 Et à ne surtout pas reconstruire !
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Le temple de la Concorde y a été récemment
habillé d’une toile restituant ses couleurs
d’origine.
Son bon état de conservation est lié à son
utilisation ultérieure en tant que basilique
chrétienne à 3 nefs (comme à Syracuse).
L’orphisme joue un grand rôle culturel en
Sicile. Le mythe d'Orphée, dont l'épisode
le plus célèbre est la descente aux Enfers
du héros à la recherche de son épouse
Eurydice, donne naissance à une théologie
initiatique, dans laquelle l'humain rejoint le
divin.
Pythagore, l’« Einstein antique », a été
notablement influencé par cette doctrine.
Le régime des tyrans
Le terme de tyran désigne dans l'Antiquité grecque un
individu disposant d’un pouvoir absolu, après s'en être
emparé de façon illégitime. La tyrannie est un système
autocratique, dont le chef qui dispose d’une cour et
d’une police secrète. Le demos y est systématiquement
muselé et l’opposition inexistante.
Le 1er tyran de Sicile est Phalaris d’Acragas18 (ou
d’Agrigente), contemporain de Périclès. Il est connu
pour avoir fait fabriquer un taureau d’airain, outil de
torture, utilisé d’abord pour y faire griller son
concepteur, le sculpteur Perillos.
Gélon de Syracuse (540-478) est d’abord tyran de Gela19, puis de Syracuse en
484 av. C’est l’un des souverains les plus puissants de son temps. Se présentant 18 572-556 19 Hiéron, son frère, y prend sa succession.
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d’abord comme un conciliateur, il transforme Syracuse en une ville prospère,
dotée d'une marine et d'une armée aguerries, en la repeuplant avec de la
population venue de Gela et en y incorporant une partie des habitants de Megara
Hyblaea vaincus. Il octroie la citoyenneté à ses mercenaires. Il s'allie avec
Théron d'Agrigente en épousant sa fille, alors que ce dernier choisit une de ses
nièces pour épouse. Les 2 alliés à la politique expansionniste s’emparent de la
ville d'Himère (480 av.), position carthaginoise. En riposte, les Carthaginois
débarquent à Palerme, de l’autre côté de l’île, mais leur flotte sera entièrement
détruite20 par les 2 tyrans qui exigent le paiement d’importants tributs. Ils
contrôlent alors la majeure partie de la Sicile grecque, excepté Sélinonte et
Messine.
À sa mort, Gélon est remplacé par son frère Hiéron 1er en 478 jusqu’en 467 av.
Il poursuit la même politique expansionniste, s'assure le contrôle du détroit de
Messine et expulse les habitants de Catane et de Naxos (de Sicile) en 476 av. Les
Grecs de Cumes, menacés par les Étrusques, lui demandent son aide : le désastre
naval subi en 474 av. par les Étrusques marque la fin définitive de leur
hégémonie pour contrôler le commerce de la région. Le règne d’Hiéron
correspond aussi à une période d'apogée pour Syracuse, qui accueille de
nombreux artistes, dont Pindare. Invité lui aussi à la cour, Eschyle y fait
représenter sa pièce Les Perses en 470 av.
C’est le frère cadet de Hiéron, Thrasybule de Syracuse, un intrigant incapable,
qui lui succède en 466 av. pour 11 mois. Suite à une série de révoltes, il est
contraint de négocier son exil. C’est la fin du règne des Déinoménides.
Dans les années 471 à 461, les tyrannies disparaissent à Agrigente, Gela, Himère,
Syracuse et Messine, et sont remplacées par des régimes démocratiques. Ces
changements politiques inaugurent une ère d'instabilité pour la Sicile. En lien
avec l'affaiblissement de Syracuse, les autres cités tentent de reprendre leur
autonomie. En 427, la cité de Lentini prend la tête d'une fronde de petites cités.
Athènes, son alliée, effectue une première expédition en Sicile. Ces alliances
antagonistes aboutissent bientôt à une des guerres les plus sanglantes de
l'Antiquité (entre 416 et 413 av.). En 415, les Athéniens rassemblent une flotte de
20 trières, mais c’est un fiasco total qui se solde par la perte des vaisseaux et la
capture de nombreux prisonniers. La paix est signée en 424 lors du congrès de
Gela à l’initiative d’Hermocratès. Malgré le succès de l'alliance, une nouvelle
stasis secoue la cité deux ans plus tard et les Syracusains en profitent pour
20 Le jour même de la victoire des Grecs sur les Perses à Salamine.
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s'emparer à nouveau de Lentini et raser la ville, sans intervention d’Athènes, très
occupée à intervenir sur d’autres fronts21.
En 415, Ségeste est attaquée par Sélinonte. Cette dernière cité étant soutenue par
Syracuse, Ségeste envoie des émissaires en Attique : les ambassadeurs expliquent
aux Athéniens que si on laisse les Doriens de Syracuse soumettre les cités de
Sicile, ils en viendront fatalement à s'allier avec leurs cousins les Doriens du
Péloponnèse pour s'opposer à la puissance athénienne.
Face à une opinion divisée, les partisans de l'intervention, menés par Alcibiade
(450-404), neveu de Périclès, l’emportent. Il fait miroiter aux Athéniens les
richesses de l'Occident. L'Assemblée vote finalement le départ de 134 navires,
dont plus de 90 trières, 5100 hoplites (Athéniens et alliés), 180 archers crétois,
700 frondeurs et 30 cavaliers22. Il devient clair alors que l'entreprise envisagée
n'est pas une expédition punitive parmi d'autres, mais bien une opération visant à
conquérir Syracuse.
Nommé à la tête de l’expédition avec 2 autres généraux, Alcibiade est rattrapé
par l’affaire de la mutilation des Hermès23 dont il est accusé. Il préfère s’enfuir.
En 413, Athènes est définitivement vaincue et son armée en déroute est
massacrée. Les généraux sont exécutés et 7000 prisonniers sont enfermés dans
les Latomies, des carrières proches de Syracuse où on les parque, presque sans
eau ni nourriture, exposés au soleil, sans possibilité d'enterrer les cadavres. On
les y laisse 70 jours, au terme desquels les survivants sont vendus comme
esclaves24.
La fin du 5ème siècle est marquée par la reprise de la guerre contre les
Carthaginois. Denys l'Ancien (431-367) s'empare du pouvoir à Syracuse et
renforce son influence en menant à nouveau une politique expansionniste contre
les cités grecques. Il bannit le terme de « tyran » et souhaite asseoir son
gouvernement sur un consensus populaire qui s'apparente à du clientélisme. C'est
sous son règne que la cité atteint l'apogée de sa splendeur et de sa domination sur
la Sicile, avec ses 300 000 habitants.
Au début du 4ème s., Lentini est prise par les troupes syracusaines. Les habitants
sont déportés à Syracuse où ils reçoivent la citoyenneté. Dès lors, Lentini
disparaît des sources antiques.
21 Ce n’est qu’en 421 qu’Athènes conclut un traité de paix avec la ligue du Péloponnèse, mettant ainsi fin à dix ans d'une guerre
difficile contre Sparte et ses alliés. Elle finit aussi tout juste de se remettre de l'épidémie de « peste» qui l'a frappée à partir de 430
et a causé la mort de dizaines de milliers d'Athéniens, au premier rang desquels Périclès. 22 « avec mission de secourir Ségeste contre Sélinonte, puis, s'ils voyaient la guerre tourner à leur avantage, de rétablir les
Léontins et, plus généralement, de rétablir les affaires de Sicile au mieux de ce qu'ils jugeraient de l'intérêt d'Athènes. »
(Thucydide, VI, 8, 2) 23 Tous les hermès, statues du dieu Hermès qui marquent les limites des propriétés publiques et privées, avaient été mutilés et la
population s'était émue du sacrilège. La justice avait appelé à la dénonciation des coupables, appelés hermocopides. 24 On raconte que des Syracusains, émus d’entendre certains prisonniers déclamer des vers d’Euripide, leur avaient accordé la vie
sauve.
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Le règne de Denys l’Ancien est très long et il constitue, selon Plutarque, un
modèle pour les monarques hellénistiques (Philippe de Macédoine, Alexandre le
Grand). Il fait bâtir le quartier de Néapolis, une enceinte autour de Syracuse et
construit le château d’Euryale sur le plateau des Épipoles. Il encourage la
production d'armes et en renforce son armée. Il recrute également des ingénieurs
pour bâtir des citernes et des casemates.
Il fait aussi venir des intellectuels à la cour. Platon y arrive en 388 (à 40 ans),
pensant contribuer à créer une cité qui serait gouvernée selon ses principes
philosophiques mais il n’y parvient pas. Une 2ème tentative, 30 ans après, n’aura
pas plus de succès et se soldera même pour le philosophe par une assignation à
résidence d’un an.
Le nom de Denys l’Ancien est aussi associé à l’épisode légendaire de l’épée de
Damoclès. Le tyran, paranoïaque, s’entourait de
courtisans pour le rassurer. Parmi eux, l’orfèvre
Damoclès, ne cessait de flatter son maître sur la
chance qu’il avait d’être le tyran de Syracuse.
Agacé, celui-ci lui proposa de prendre sa place le
temps d’une journée.
Au milieu du festin offert en son honneur,
Damoclès s’aperçut qu’une épée était suspendue au-
dessus de lui, retenue seulement par un crin de
cheval (ou tenue par le tyran lui-même). Il montrait
ainsi que son rôle de tyran se caractérisait à la fois
par un sentiment de puissance et le risque d'une
« mort » pouvant frapper à tout moment.
Denys le Jeune, son fils, lui succède en 367. Il mène une vie dissolue et devient
très impopulaire auprès des habitants de la ville, qui le forcent rapidement à
s'enfermer dans la citadelle puis à fuir vers Corinthe où il meurt en 342.
Il est remplacé par Timoléon, puis Agathocle (361-289), à l’issue d’un coup
d’état en 316. Cet imitateur d’Alexandre le Grand meurt en 289 sans avoir jamais
réussi à écraser Carthage, malgré des expéditions militaires en Afrique du nord.
Il déshérite ses fils, indignes selon lui de lui succéder.
En 212, Syracuse est prise par les Romains après un siège de 12 mois et en dépit
des ingénieuses défenses conçues par Archimède (pince géante, miroirs
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paraboliques). Au cours du pillage qui suit la prise de la ville, un soldat romain
tue Archimède (287-212), sans le reconnaître25.
À cette occasion, les Romains récupèrent le plus important butin de l’histoire
antique après celui de Carthage.
Les guerres puniques
La première guerre punique (264 à
241 av.) est la « 1ère guerre mondiale »
de l’Antiquité et aussi la plus longue.
Ce conflit naval et terrestre entre Rome
et Carthage trouve son origine dans les
luttes d’influence en Sicile.
La guerre débute lorsque les Grecs
passent sous domination macédonienne,
laissant Rome et Carthage face à face26.
Suite à la prise de Messine par Carthage
et à l’appel des légionnaires
mamertins27, Rome décide d’intervenir pour honorer ses engagements et assurer
la protection de son territoire.
Les Romains défendent d’abord Messine, puis
attaquent les Carthaginois à l'ouest de l'île, mais
échouent. Après plusieurs victoires navales de Rome,
Régulus est vaincu en Afrique. Une nouvelle défaite
des Romains en 249 n’est pas mise à profit par
Carthage qui est finalement vaincue en 241 aux îles
Égates.
Le traité de paix qui s’ensuit exige un lourd tribut de
la part des vaincus.
C’est à cette occasion que les Romains prennent possession de leur 1ère province
(la Sicile), amputée de Syracuse qui reste simplement "alliée".
25 Selon Plutarque, un soldat romain croisa Archimède alors que celui-ci traçait des figures géométriques sur le sol, non conscient
de la prise de la ville par l’ennemi. Troublé dans sa concentration par le soldat, Archimède lui aurait lancé « Ne dérange pas mes
cercles ! » Le soldat vexé de ne pas voir obtempérer le vieillard de 75 ans, l’aurait alors tué d’un coup d’épée. En hommage à son
génie, le général vainqueur Marcellus lui fit de grandes funérailles et fit dresser un tombeau décoré de sculptures représentant les
travaux du disparu. 26 Les Étrusques ayant été éliminés depuis longtemps ! 27 Les Mamertins étaient des mercenaires de Campanie qui occupaient Messine, leur base de guerre en Sicile. Menacés par les
Carthaginois, ils firent appel aux Romains en 264 av. J.-C., déclenchant du même coup la première guerre punique.
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En fait, la paix qui vient d'être signée entre Rome et Carthage ne constituera
qu'une longue trêve de 23 ans où les deux empires passeront leur temps à
restaurer leurs forces et leurs finances et à consolider leurs positions.
La deuxième guerre punique (218-201 av.) prend comme prétexte le siège de
Sagonte par les Carthaginois, qui selon le traité de 241 av. ne pouvaient occuper
que les territoires situés au sud de l’Èbre. Le général carthaginois Hannibal Barca
traverse les Alpes avec des éléphants de guerre, mais renonce à assiéger Rome. Il
est finalement défait à la bataille de Zama.
Malgré leur victoire finale, cette guerre marque profondément les Romains, qui
en viennent à envisager la destruction totale de Carthage. Caton l'Ancien brandit
au Sénat une figue fraîche provenant de Carthage, pour démontrer sa proximité
menaçante, en martelant « Delenda Carthago est ».
La troisième guerre punique (149-146) se résume à une courte campagne
destinée à amener les troupes romaines à pied d’œuvre pour le siège de Carthage.
S’est-il agi finalement d’un génocide ? Une chose est certaine : la destruction de
la ville a été totale.
À partir de cette époque, la vie de la Sicile devient très (trop ?) calme. Jouant le
rôle de grenier à blé, elle a besoin d’esclaves nombreux (même si le système des
latifundia n’y est pas dominant). Ceux-ci se regroupent par langue et religion. Le
monde grec continue à y être très présent et les Romains sont en minorité.
La première guerre servile
Il s’agit d’une révolte d'esclaves qui se déroule en
Sicile de 140 ou 139 à 132 av. Ce soulèvement
est mené par l'esclave Eunos (ou Eunos, Eunous),
littéralement « le bon esprit », originaire
d’Apamée en Syrie. Il prend naissance dans la
ville d'Enna (ou Henna) au centre de l’île et a
pour origine le comportement de 2 mauvais
maîtres, Damophile et son épouse Megallis. La
prise d'Henna par 400 esclaves s'accompagne de
massacres, de viols et de pillages. Damophile et
Mégallis sont exhibés dans un théâtre puis tués,
tandis que leur fille, qui avait auparavant fait
preuve de bonté envers les esclaves, est graciée et
conduite sous escorte à Catane. Eunos est
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proclamé roi sous le nom d’Antiochos28. Il mobilisera jusqu’à 20 000 esclaves
pour son armée. Les hommes libres ayant échappé aux massacres et aptes au
travail sont réduits en esclavage et employés à fabriquer des armes.
Pendant 7 ans, les esclaves tiennent conseil, donnent des spectacles, singent leurs
maîtres et administrent un royaume.
L'existence de ce royaume servile en Sicile gêne l'approvisionnement de Rome
en blé et provoque de nombreuses révoltes dans le monde méditerranéen : à
Délos, à Athènes et dans les mines de l'Attique où des milliers d'esclaves se
révoltent, en Campanie, dans le Latium et à Rome.
Rome, d’abord peu mobilisée, envoie plusieurs consuls sans beaucoup d’effet.
Elle connaît au même moment (133) une grave crise qui se termine par la mort
du tribun Tiberius Gracchus. Finalement, en 132, le consul Publius Rupilius met
le siège devant Tauromenium, puis Henna. Les assiégés sont acculés à la famine
et les 8000 rescapés sont crucifiés29.
La Sicile sous l’Empire
À Agrigente,
les monuments
grecs sont
complétés par
de nouveaux
édifices
romains, tout comme à Syracuse où le théâtre se voit complété par un
amphithéâtre.
La table de
Peutinger, ancêtre
des cartes
routières, fait
figurer la Sicile au
centre de la
Méditerranée.
28 Roi de la dynastie séleucide, descendant d’Alexandre et fondateur d’Antioche… tout un programme !!! 29 En 73-71 av., la révolte de Spartacus ne fera « que » 6000 crucifiés…
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Quelques sites remarquables…
À la villa romaine du Tellaro, située près de Noto, au sud-est de la Sicile, les
mosaïques datent du 4ème s. (antiquité tardive).
On y trouve des mosaïques géométriques, des représentations de fauves et des
scènes de chasse ou de banquet.
À Piazza Armerina, la villa
romaine du Casale a été
construite à partir de la fin du 3ème
s. Elle compte une trentaine de
pièces décorées de 3500 m2 de
mosaïques. Elle est restée occupée
jusqu'en 1160, date à laquelle elle a
été ravagée par un incendie et a
disparu sous un glissement de
terrain. La palestre associée aux
thermes adopte la forme du circus
maximus.
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Les thèmes des mosaïques sont
variés, depuis les jeux athlétiques
féminins aux courses de char en
passant par les jeux d’enfants.
Une originalité : un cyclope à 3 yeux dans la mosaïque d’Ulysse et Poliphème !
Quid de l’expédition de Pyrrhus en Sicile ?
Pyrrhus Ier (318-272 av.) est le roi des Molosses en Épire. Devenu roi de
Macédoine et de Thessalie, c’est le plus grand adversaire de Rome à son époque.
Il vient au secours de la Sicile, mais arrive en plein conflit entre les Romains et
les Siciliens. Grand chef de guerre, il arrive avec de nouvelles techniques de
combat. En fait, en bon condottiere, il espère y obtenir un Empire (celui de son
père lui a échappé et ses 4 mariages ne lui ont pas permis d’obtenir gain de
cause). Il gagne des batailles, mais y perd toute son armée (d’où l’expression de
« victoire à la Pyrrhus »).
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Pourquoi cette terre riche, bien située au carrefour des civilisations, est-elle
devenue une des régions les plus pauvres d’Italie ?
Un des premiers problèmes est celui de la mafia, cette pieuvre qui empoisonne la
Sicile et le sud de l’Italie. Le climat a aussi vraisemblablement changé depuis
l’antiquité et est devenu plus sec. Les centres politiques de décision se sont
déplacés vers l’Europe du Nord et le seul passé glorieux de la Méditerranée ne
compense pas tout.
La Sicile vit maintenant essentiellement du tourisme, même si on peut déplorer
d’importantes défigurations.
Que sait-on des inventions d’Archimède pour lutter contre les Romains ?
Lors de l'attaque de Syracuse, la légende veut qu'Archimède ait mis au point une
pince géante (la « main de fer ») pour écraser les bateaux et des miroirs géants
pour concentrer les rayons du soleil sur les voiles des navires romains et ainsi les
enflammer. Les sources écrites décrivent des effets, mais ne fournissent pas de
descriptif technique. Les fouilles et l’archéologie scientifique permettront peut-
être de trancher.
Il a construit pour Hiéron un bateau immense, « La Syracusaine », de 30m de
haut, qui a rendu nécessaire l’utilisation de 60 fois le bois d’un navire normal. La
cabine du capitaine comportait 15 lits. La salle à manger marquetée retraçait
l’intégralité de l’Iliade et de l’Odyssée…
Quelques rappels :
✓ Les archéovisites autour du pont du Gard
• le 21 mai " Les bois de Remoulins", visite sur la journée, avec pique nique
tiré du sac au cours de la balade. Visite menée par Gérard EXTIER.
• le 11 juin " de Saint-Bonnet à Sernhac" visite sur une 1/2 journée menée par
Ambroise PUJEBET.
• le 25 juin " Le Pont du Gard dans son environnement " visite sur la journée,
avec pique nique tiré du sac. Visite menée par Gérard EXTIER et Ambroise
PUJEBET.
✓ Les conférences du 2ème semestre
• La romanisation de la région par Catherine Wolf (date et lieu à préciser)
• Le vêtement romain et celte le 22/10
✓ Les conférences envisagées en 2017
18/18
• Dionysos
• La bataille d’Orange par Catherine Wolf
• La celtique méditerranéenne par Dominique Garcia