53
La sémiotique : fondements, outils et conseils d’utilisation Christine Petr 2007 Résumé : Face à l’intérêt croissant porté à la sémiotique par les professionnels et chercheurs en marketing, il s’agit ici de rappeler les fondements de cette approche méthodologique et de préciser ses outils et modalités d’utilisation. Mots clefs : Sémiotique, signe, marketing, schéma narratif, carré sémiotique, structures tensives, analyse du discours, comportement, communication Title : Semiotics and marketing: from theories to analytical tools Abstract : As more and more marketing executives and researchers are appealed by semiotics, this article describes the bases of this methodological approach and how to use its most current tools. Key words : Semiotics, sign, marketing, narrative scheme, semiotic square, tensive structures, discurse analysis, behavior, advertising

La sémiotique : fondements, outils et conseils d’utilisationpetr.tnit.fr/PETR%20SemioP%E9dago2007.pdf · 2007-12-09 · Greimas dans le cadre du Groupe de Recherches Sémiolinguistiques

  • Upload
    others

  • View
    2

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: La sémiotique : fondements, outils et conseils d’utilisationpetr.tnit.fr/PETR%20SemioP%E9dago2007.pdf · 2007-12-09 · Greimas dans le cadre du Groupe de Recherches Sémiolinguistiques

La sémiotique :

fondements, outils et conseils d’utilisation

Christine Petr

2007

Résumé : Face à l’intérêt croissant porté à la sémiotique par les professionnels et chercheurs en marketing, il s’agit ici de rappeler les fondements de cette approche méthodologique et de préciser ses outils et modalités d’utilisation. Mots clefs : Sémiotique, signe, marketing, schéma narratif, carré sémiotique, structures tensives, analyse du discours, comportement, communication Title : Semiotics and marketing: from theories to analytical tools Abstract : As more and more marketing executives and researchers are appealed by semiotics, this article describes the bases of this methodological approach and how to use its most current tools. Key words : Semiotics, sign, marketing, narrative scheme, semiotic square, tensive structures, discurse analysis, behavior, advertising

Page 2: La sémiotique : fondements, outils et conseils d’utilisationpetr.tnit.fr/PETR%20SemioP%E9dago2007.pdf · 2007-12-09 · Greimas dans le cadre du Groupe de Recherches Sémiolinguistiques

Introduction............................................................................................................................................................. 3 I. Les fondements de la sémiotique......................................................................................................................... 6 1. Le domaine d’investigation et le projet scientifique ....................................................................................... 6 2. Les postulats théoriques de l’émergence du sens ............................................................................................ 8 3. le parcours génératif de la signification ........................................................................................................ 10 4. Les perspectives sur l’analyse du sens .......................................................................................................... 13 4.1. L’opposition binaire ............................................................................................................................... 14 4.2. L’appréhension ternaire.......................................................................................................................... 15 4.3. La représentation tensive........................................................................................................................ 16

II- L’utilisation de la sémiotique........................................................................................................................... 20 1. Le matériau d’étude................................................................................................................................... 21 1.1. Le principe méthodologique : « Hors du texte, point de salut ». ............................................................ 21 1.2. Les contraintes relatives au corpus........................................................................................................... 2

2. La condensation du sens : du discours aux structures profondes .................................................................... 3 2.1. Le modèle du carré sémiotique ................................................................................................................ 3 2.1. L’utilisation du carré sémiotique.............................................................................................................. 7

3. La dilatation du sens : vers les structures de surface....................................................................................... 9 31. L’analyse narrative : l’analyse de l’histoire .............................................................................................. 9 32. L’analyse discursive : l’analyse du « discours en acte » ......................................................................... 14

Conclusion ............................................................................................................................................................ 18 Bibliographie......................................................................................................................................................... 23

Page 3: La sémiotique : fondements, outils et conseils d’utilisationpetr.tnit.fr/PETR%20SemioP%E9dago2007.pdf · 2007-12-09 · Greimas dans le cadre du Groupe de Recherches Sémiolinguistiques

La sémiotique : fondements, outils et conseils d’utilisation

INTRODUCTION

Insignes, symboles, signalétique, signaux, emblèmes, blasons, adages, aphorismes, étendards,

signatures, marques, … notre monde est perfusé de signes (Pinson, 1988)i. Ces signes, que

l’on parle des panneaux de signalisation routière, mais aussi des logos et typographies

spécifiques de marques, et de toutes formes de signalétique informationnelle et directionnelle

que l’on peut trouver dans les espaces publics et commerciaux, ces unités minimales de sens

que l’on appelle des signes sont constamment utilisées comme des outils de communication.

Un signe est un élément porteur d’un sens qui dépasse l’objet et la signification immédiate.

Ainsi, dans l’immédiateté de la représentation du « tigre », de l’ « écureuil » ou du « renard »,

il n’y a que l’animal. Mais au-delà de cet objet vivant évoqué, dénoté, par le biais d’un signe

textuel, graphique ou sonore, d’autres significations sont appelées. Ainsi, le tigre connote la

puissance. « Mettez un tigre dans votre moteur » nous disait une grande marque de carburant.

« Et le tigre est en toi » nous dit aujourd’hui Tony, le personnage de « Kellogg’s Frosties ».

De son côté, l’écureuil de la Caisse d’Epargne symbolise l’épargne et la prévoyance. Enfin, le

renard du guide touristique « le Petit Futé » fait penser à la ruse et au côté malin. Ces

pictogrammes et logotypes publicitaires animaliers permettent le transfert des dimensions

symboliques associées à ces animaux vers les produits et les consommateurs de ces produits

(voir Annexe 1). Les icônes et symboles sont donc utilisés en fonction de leur capacité à

exprimer ou illustrer certaines caractéristiques. L’usage du sens immanent des signes et des

symboles est une pratique courante des entreprises dans le cadre de leurs actions de

communication. Pour citer un autre exemple, du domaine non marchand cette fois, prenons le

Page 4: La sémiotique : fondements, outils et conseils d’utilisationpetr.tnit.fr/PETR%20SemioP%E9dago2007.pdf · 2007-12-09 · Greimas dans le cadre du Groupe de Recherches Sémiolinguistiques

cas de l’emblème de WWF. Cette espèce animale dont la menace d’extinction fut très

médiatisée dans les années 1970, est aujourd’hui portée en étendard par l’association. Au-delà

du doux herbivore menacé, l’effigie du panda permet aujourd’hui à l’association de

communiquer plus généralement sur la sauvegarde de l’environnement, tout en rappelant un

succès passé qui légitime les actions actuelles. Par suite, lorsque l’association appose ce sceau

symbolique sur des emballages de produits de consommation courante, elle labellise des

produits en leur transférant ses valeurs et principes de lutte pro environnementale.

Mais l’utilisation des symboles à des fins d’expression et de positionnement n’est pas du

registre exclusivement professionnel. Du côté des consommateurs, l’usage de signes pour

communiquer sur soi et vis-à-vis des autres est une réalité qui s’est toujours inscrite dans la

vie sociale de l’être humain. Ainsi, les archéologues et ethnologues des civilisations passées et

actuelles n’ont de cesse de démontrer que les hommes utilisent des attributs concrets, souvent

vestimentaires mais aussi mobiliers et comportementaux, pour exprimer leur statut et leurs

valeurs. Par exemple, pour démontrer à ses pairs, à ses collègues, à sa famille, que l’on

possède certaines caractéristiques, le consommateur peut choisir certains produits ou marques

plutôt que d’autres. Il peut aussi préférer certaines consommations plutôt que d’autres, ou

choisir de consommer selon des modalités différentes. Dans cette logique, par la sélection et

le choix de certains signes matériels et immatériels plutôt que d’autres, le consommateur

exprime des valeurs plutôt que d’autres. Au-delà des objets, l’individu consomme et

s’approprie des attributs symboliques pour communiquer, aux autres et à lui-même, les

valeurs sous-jacentes dont ces objets sont la trace observable.

Selon les principes de la consommation symboliqueii, dans notre monde social et commercial

perfusé de signes, c’est constamment que les consommateurs reçoivent, perçoivent et utilisent

des signes. Le consommateur a ainsi appris à exceller dans le « bricolage du sens » (Marion,

2003). Face la multiplicité des objets et des comportements et consommation codés

Page 5: La sémiotique : fondements, outils et conseils d’utilisationpetr.tnit.fr/PETR%20SemioP%E9dago2007.pdf · 2007-12-09 · Greimas dans le cadre du Groupe de Recherches Sémiolinguistiques

symboliquement, il choisit d’adopter, de s’approprier certains signes, et parallèlement

s’affranchit ou en rejette d’autres. Par ce processus de sélection, le consommateur donne alors

à voir le système de valeurs auquel il adhère habituellement, épisodiquement ou

situationnellement. Symptomatique de l’accélération du changement des codes de

consommation, les consommateurs ne sont pas seulement des utilisateurs des signes

disponibles, ils sont aussi capables de manipuler des signes existants pour créer de nouveaux

univers de sens et inventer de nouveaux signes. Du bricoleur de sens qui combine

intelligemment des signes pour exprimer un certain nombre de valeurs, le consommateur

devient un artisan de la transformation des systèmes de valeurs actuels et de la création de

nouveaux codes et signaux symboliques (Storey, 1999). Ces signes et ces systèmes

axiologiques ainsi créés par le corps des consommateurs, par manipulation et détournement,

deviennent de nouveaux codes symboliques qui, à leur tour, peuvent être appropriés et utilisés

par les consommateurs et les responsables marketing.

Le projet scientifique de la méthodologie sémiotique, tel que défini par Algidras Julien

Greimas dans le cadre du Groupe de Recherches Sémiolinguistiques de Paris, est l’étude des

éléments signifiants que sont les signes textuels afin de procéder d’une part, à l’analyse

topologique du sens et d’autre part, à l’établissement d’une théorie sur les processus de

construction et de réception du sens. A ce titre, elle est un paradigme de recherche séduisant

et pertinent pour l’analyse du sens dans le monde commercial (Mick, 1986 ; Mick et al.,

2004).

C’est à Jean-Marie Floch que l’on doit son introduction dans le marketing (Heltzel et

Heilbrunn, 2003). En effet, dans un ouvrage initiateur et vulgarisateur (1990), il démontre que

la sémiotique peut être utile au marketing. Inspirée de la linguistique, de l’anthropologie et de

la logique formelle, à une période où la méthode se voyait régulièrement critiquée pour son

opacité, son vocabulaire abscons, la trop grande simplicité de ses modèles analytiques (Helbo

Page 6: La sémiotique : fondements, outils et conseils d’utilisationpetr.tnit.fr/PETR%20SemioP%E9dago2007.pdf · 2007-12-09 · Greimas dans le cadre du Groupe de Recherches Sémiolinguistiques

en 1983 parle de « boite de pandore de joujoux méthodologiques »), et la place trop

importante laissée à l’interprétation (subjective, et donc perçue comme fantaisiste), Floch a su

prouver les apports de la sémiotique structuraleiii.

Aujourd’hui, ce sont les sciences de la cognition qui ont pris la relève du structuralisme.

Parallèlement, les structures sont désormais décrites comme dynamiques. Les oppositions,

auparavant discrètes, sont définies comme des points relatifs sur des différentiels tensifs et

graduels. Par conséquent, le projet scientifique de la sémiotique se précise avec l’idée qu’il

s’agit de l’étude des ensembles signifiants « en construction et en devenir ». Ce changement

qui « ne modifie pas en profondeur les hypothèses et les méthodes qui au-delà des modes

intellectuelles, définissent en profondeur l’esprit des sciences du langage » (Fontanille,

2003:10), permet cependant un élargissement des perspectives. Répondant aux besoins

nouveaux des professionnels et chercheurs en marketing, il est désormais possible de

s’intéresser aux processus, aux opérations et aux actes, et plus seulement aux oppositions

positionnelles qui en résulte.

Dans ce contexte, la première partie de cet article rappele les fondements de cette méthode

d’investigation du sens en exposant les diverses approches analytiques des phénomènes

signifiants. Sans être un rappel de l’histoire et des moments théoriques de la sémiotiqueiv, il

s’agit d’évoquer les ancrages conceptuels qui orientent les modes d’investigation du sens. La

seconde partie présente les outils de la sémiotique et leurs modes d’utilisation.

I. LES FONDEMENTS DE LA SÉMIOTIQUE

1. Le domaine d’investigation et le projet scientifique

Les deux fondateurs de la sémiotique que furent le linguiste suisse Ferdinand de Saussure

(1857-1913) et le philosophe américain Charles Sanders Pierce (1839-1914) se distinguaient

sur la définition et la délimitation des unités du signe, et sur le projet scientifique assigné

initialement à la méthode. Saussure envisageait une relation dyadique entre le signifiant (le

Page 7: La sémiotique : fondements, outils et conseils d’utilisationpetr.tnit.fr/PETR%20SemioP%E9dago2007.pdf · 2007-12-09 · Greimas dans le cadre du Groupe de Recherches Sémiolinguistiques

signe lui-même, le representamen) et le signifié (ce que cela signifie pour le récepteur du

signe, l’interprétant). Selon lui, pour analyser comment et en quoi les signes sont utilisés dans

la vie sociale des individus, le référent (l’objet) n’avait pas nécessité d’exister (comme c’est le

cas pour les termes « dragon », « fée », « lutin », « fantôme », « martien »…). De son côté,

Peirce considérait une relation dissymétrique entre ces trois éléments, auxquels il ajoutait le

fondement (le point de vue)v, et s’attachait à définir une typologie des signes selon les

rapports entretenus avec le référent (signe icône, signe index, signe symbole) et à repérer les

processus cognitifs de reconnaissance et de génération de sens (déduction, induction,

abduction). Issue de cette école piercienne, Morris (1946) définissait alors la sémiotique

sémantique (relation signe - objet), la sémiotique syntactique (relation signe - signe) et la

sémiotique pragmatique (relation signe – interprétant). L’ « interprétant » chez Pierce, soit le

« signifié » chez Saussure, correspond à l’individu avec ses institutions sociales, sa culture et

son expérience. Ainsi, la sémiotique dépasse la linguistique dans la mesure où elle s’intéresse

à la parole plus qu’à la langue. La langue est le résultat des lois abstraites et des conventions

du langage (ou tout code) qui préexistent, alors que la parole est la manipulation du système

du langage à travers les déclarations et élocutions individuelles de tous les jours. C'est donc à

travers la parole comme expression des choix à propos des possibilités offertes par la langue

que le sens fait surface en tant que manifestation individuelle. Ainsi, à la différence de la

sémiologie des analyses barthesiennesvi, en sémiotique, les relations et les interactions entre

les mots sont prioritaires sur les mots individuels. Par analogie, il faut imaginer un échiquier

où bouger une pièce revient à changer toutes les relations entre les différentes pièces de

l'échiquier. Pour étudier la formation et la transformation du sens, ce sont donc les systèmes

de relations qui sont analysées.

Aujourd’hui, pour dépasser ces divergences sur les dimensions de signe, il est préférable de

définir la sémiotique par son domaine d'investigation et son projet scientifique. Son domaine

Page 8: La sémiotique : fondements, outils et conseils d’utilisationpetr.tnit.fr/PETR%20SemioP%E9dago2007.pdf · 2007-12-09 · Greimas dans le cadre du Groupe de Recherches Sémiolinguistiques

d’investigation est le sens. La science des signes vise ainsi à organiser et à rendre intelligible

la matière informe qu’est le sens contenu dans les langages (tous les langages) et les pratiques

sociales signifiantesvii. Son projet scientifique est de découvrir le système de relations qui

permet aux signes de signifier. Le projet sémiotique n'est donc pas l'étude du système des

signes mais l'étude de la structure des systèmes de relations entre signes car ces relations sont

premières et les signes ne sont qu’intersections de relations (Floch, 1989). Ainsi, d’une

branche de la linguistique tel que le concevait Saussure (1990[1916]), ou d’une taxonomie

logique des signesviii et de leurs relations tel que le définissait Pierce (1978), la sémiotique est

aujourd’hui reconnue par tous comme la science qui étudie la structure de tous les signes et de

tous les systèmes de signes (Jakobson, 1966) et dont le projet d’établir une théorie générale

de la production et de l’interprétation des signes (Ceriani, 2003).

2. Les postulats théoriques de l’émergence du sens

Quatre postulats structurent le cadre conceptuel de la sémiotique (voir tableau 1).

Tableau 1 - Les postulats de la sémiotique et les conséquences méthodologiques

Postulats Précisions Conséquences méthodologiques

Intelligibilité des signes Les événements sont intelligibles et clairement explicables.

Il est possible de décrire les conditions de production et de saisie du sens.

Immanence des signes

Les signes sont des unités de surface qui expriment une signification sous-jacente.

Les signes ne sont que le point de départ des recherches sur le système de relations sous-jacent.

Variabilité des signes mais permanence des significations

Les signes sont des manifestations qui varient en dimensions et en matière, mais qui restent relativement interchangeables dans leur signification.

Il faut “ dépasser les signes et regarder ce qui se passe sous les signes ” (Arrive et Coquet, 1987) pour identifier les significations sous-jacentes. Il faut rechercher “ l’invariance dans la variation ”.

Hiérarchisation des niveaux de signification

Le processus de génération du sens est hiérarchisé depuis la naissance d’une signification (niveau profond) jusqu’aux signes manifestes (niveau perceptuel).

Il est possible de retrouver l’invariant du sens à chacun des niveaux de signification que l’on distingue en fonction de leur position sur le “ parcours génératif de la signification ”.

Source : Petr, 2001.

Le premier postulat est que le monde du sens est intelligible. La sémiotique cherchant à

décrire les conditions de production et de saisie du sens, elle part du principe que les

Page 9: La sémiotique : fondements, outils et conseils d’utilisationpetr.tnit.fr/PETR%20SemioP%E9dago2007.pdf · 2007-12-09 · Greimas dans le cadre du Groupe de Recherches Sémiolinguistiques

événements sont intelligibles et clairement explicables, à l'inverse de certaines considérations

esthétiques.

Le second postulat est que le monde du sens est caractérisé par le principe d'immanence des

signes. Les signes ne sont que des unités de surface à partir desquelles il s'agit de découvrir le

jeu des significations sous-jacentes car il convient de « dépasser ces signes et de regarder ce

qui se passe sous les signes » (propos de Greimas cité par Arrivé et Coquet, 1987). Cette

conception du signe n’est pas nouvelle car Hippocrate, Platon ou Aristote identifiaient déjà

des symboles manifestés (signes) comme convoyeurs de messages sur les états mentaux et

physiques des individus.

Le troisième postulat aborde l’idée d’invariant. Parlant d'invariance dans la variation, il faut

comprendre que les signes varient en dimensions et en matière. Pour exprimer un même sens,

les signes disponibles pour l’énonciateur sont nombreux et relativement interchangeables. Par

exemple, pour exprimer l’idée du salut interpersonnel, on peut se serrer la main, s’embrasser,

se saluer de la tête, ou faire un signe de la main, autant de modalités diverses pour une même

signification. Ce sont le cadre culturel (société indoeuropéennes, sociétés asiatiques, etc) et la

situation (relations intimes, familiales, professionnelles, contexte d’achat, de prescription, de

consommation, âge des deux parties, différentiel d’âge, etc) qui déterminent les codes de

conduite à privilégier. Au sein de ces codes et coutumes qui sont la variation, la signification

du salut est la constance : c’est l’invariant dans la variation. Repérer ces invariants sous-

jacents est particulièrement important pour le marketing interculturel, qu’il s’agisse de

programmes internationaux ou inter-tribus affectuelles.

Le quatrième et dernier postulat est qu’il existe différents niveaux dans les invariants de

communication et de pratique sociale. Ceci permet d’introduire les notions de paradigme et de

syntagme. Les choix paradigmatiques sont soumis aux lois ou conventions de la combinaison

des signes telles que la grammaire. Toutefois, l’intentionnalité de transmettre une signification

Page 10: La sémiotique : fondements, outils et conseils d’utilisationpetr.tnit.fr/PETR%20SemioP%E9dago2007.pdf · 2007-12-09 · Greimas dans le cadre du Groupe de Recherches Sémiolinguistiques

plutôt qu’une autre est repérable via l’analyse du message formé (le syntagme). Ce qui est

obtenu et récolté par l’analyste (le discours du consommateur, le texte publicitaire, le

comportement qui est observé) est le résultat des choix paradigmatiques (choix d’une unité de

sens au sein du paradigme) et syntagmatiques (combinaison des unités de sens issues de

divers paradigmes) de l’énonciateur (le consommateur, l’entreprise communicante, l’individu

observé). Au sein d’un paradigme, tous les signes permettent d’exprimer une même idée ou

un même concept. Toutefois, par le jeu des combinaisons et des associations avec d’autres

signes, chaque signe prend des connotations légèrement différentes. Ainsi, le coq représente le

symbole de la France mais il exprime aussi, selon la mise en contexte et la présence d’autres

éléments signifiants, la fierté, la vanité ou le chauvinisme. Dès lors, les choix paradigmatiques

faits par l’énonciateur quand il sélectionne certains signes plutôt que d’autres, sont des choix

de significations. A travers les différences qui existent entre les signes choisis et ceux non

choisis et à travers la combinaison des signes choisis, il y a construction du sens. A titre

d’illustration, prenons l’exemple d’un publicitaire qui souhaite arguer sur les bienfaits

buccodentaires de son dentifrice. Il peut soit se positionner sur des paradigmes de beauté et de

forme, en présentant des visuels de sourires dont l’éclat, la blancheur ou l’émail servent de

signes démonstratifs, soit choisir un discours médical et scientifique en faisant apparaître un

visuel de laboratoire de recherche et le témoignage d’un scientifique en blouse blanche. Au-

delà de la variation, l’invariant du message reste la démonstration des qualités sanitaires du

produit.

3. le parcours génératif de la signification

Pour aider au repérage et à l’interprétation des invariants des communications langagières et

sociales des individus, les sémioticiens recommandent de distinguer et de hiérarchiser les

différents niveaux d’invariant. Pour ce faire, l’analyste peut s’appuyer sur le modèle du

parcours génératif de la signification diffusé par l’Ecole de Paris. Ce modèle (voir figure 1)

Page 11: La sémiotique : fondements, outils et conseils d’utilisationpetr.tnit.fr/PETR%20SemioP%E9dago2007.pdf · 2007-12-09 · Greimas dans le cadre du Groupe de Recherches Sémiolinguistiques

représente les différents stades de construction du sens depuis l’intention d’exprimer une

signification jusqu’à son émergence au niveau du manifesté tel un texte, un comportement,

une action, une communication, etc. Il suggère l'enrichissement du sens selon une procédure

dynamique tout en détaillant les phases d’élaboration du sens. Aussi, en le parcourant dans le

sens ascendant, un publicitaire peut construire un message qui exprime les sens et valeurs

qu’il souhaite associer à un produit ou à une marque. En suivant le sens descendant, un

chercheur ou un professionnel peut déconstruire un message, que ce soit un comportement du

consommateur ou une opération commerciale d’un concurrent, pour en chercher la

signification profonde. Le chemin ascendant permet de proposer du « visible » quand le

chemin descendant permet d’analyser « l’invisible » (Ceriani, 2003). Pour employer une

métaphore pédagogique, les sémioticiens décrivent le chemin ascendant comme la dilatation

du sens et le chemin descendant comme la condensation du sens.

Page 12: La sémiotique : fondements, outils et conseils d’utilisationpetr.tnit.fr/PETR%20SemioP%E9dago2007.pdf · 2007-12-09 · Greimas dans le cadre du Groupe de Recherches Sémiolinguistiques

Figure 1 - Schéma du parcours génératif de la signification

Vers la manifestation

(la "surface des signes")

Structures discursives

(structure narrative)

Structures sémio-narratives

(structures élémentaires de la signification)

niveau superficiel

niveau profond (le carré sémiotique)

Acteurs, Temps, Espaces

Actions, Rôles (le programme narratif)

Parcours Opérations

Syntaxe

Univers figuratif

Systèmes de valeurs

Positions interdéfinies Relations

Sémantique

Source : FLOCH, 1990.

En suivant le sens de la flèche dans la figure 1, on voit comment la signification est élaborée

par l'enrichissement du sens au cours du passage par divers niveaux de constitution du sens.

Selon un processus d’articulation et de complexité croissantes, il y a passage par les structures

sémio-narratives puis par les structures discursives. La distinction se comprend par rapport à

l'énonciation qui est la prise en charge par l’énonciateur des virtualités que lui offre le langage

ou le système de signification qu'il utilise. En amont de l’énonciation, il y a les structures

sémio-narratives ; en aval, les structures discursives. Rebondissant sur les concepts de

paradigme et de syntagme, relevons que les structures sémio-narratives correspondent à

l'ensemble des virtualités dont dispose l’énonciateur, c'est-à-dire le stock des valeurs et des

programmes d'action dans lequel il lui est possible de puiser pour raconter une histoire ou un

propos ; et les structures discursives, à la sélection et à l'agencement de ces virtualités dans un

Page 13: La sémiotique : fondements, outils et conseils d’utilisationpetr.tnit.fr/PETR%20SemioP%E9dago2007.pdf · 2007-12-09 · Greimas dans le cadre du Groupe de Recherches Sémiolinguistiques

univers de référence (une sorte de décor), une forme de gestion des temps, des espaces et une

distribution des rôles.

Pour analyser un phénomène, le préalable consiste donc à distinguer les éléments qui relèvent

de ces différents niveaux constitutifs du sens comme cela est illustré dans la figure 2 à propos

de l’expérience de fréquentation d’un magasin.

Figure 2 – Des composantes du comportement de fréquentation aux aspirations vis à vis

de la visite du magasin

Structures de surface : Les éléments de la manifestation du comportement de fréquentation en magasin. Les éléments observables tels que le parcours, les hésitations, les arrêts, les temps de réflexion, les aller - retours, les changements de direction, l'allure et le rythme donnés aux déplacements, les discussions, l’autonomie par rapport au caddie, les postures et mimiques, les préhensions, la recherche et la lecture des prix... Structures discursives : Les séquences temporelles, spatiales et actorielles du magasinage. La prise de contact et la rupture avec l’espace de vente (découpage temporel entre l'arrivée et le départ), la relation avec les accompagnants, l'aspect ludique et hédoniste du parcours de fréquentation (pauses à l’espace livre, écoute CD, manipulations divertissante des produits...) versus du sérieux dans l'activité de marchandisage (manipulation test des produits, parcours optimisé…) le rapport aux autres clients, l'attitude vis-à-vis du personnel... Structures sémio-narratives : Les aspirations vis-à-vis de l'activité en magasin. Sélection et hiérarchisation des attentes à l'égard de l'offre, par linéaire et globalement. Logique de choix et de valorisation d'une certaine philosophie de ce que doit être l’activité d’approvisionnement en magasin. Système relatif aux diverses conceptions de la visite d’un magasin.

Page 14: La sémiotique : fondements, outils et conseils d’utilisationpetr.tnit.fr/PETR%20SemioP%E9dago2007.pdf · 2007-12-09 · Greimas dans le cadre du Groupe de Recherches Sémiolinguistiques

4. Les perspectives sur l’analyse du sens

Le sens est une « matière » (purport chez Hjelmslev, 1968) dont la nature est physique,

psychologique, sociale ou culturelle, et qui est traversée de tensions et de directions.

L’objectif de l’analyste est donc de passer du sensible, ce qui est perçu et reçu, à l’intelligible,

ce qui est exprimé et compris. Pour ce faire, il existe trois manières pour appréhender les

structures constitutives du sens. Chacune de ces approches permet d’envisager des modes et

des outils d’investigation du sens différents et souvent complémentaires.

4.1. L’opposition binaire

Selon Seung (1982), tous les langages sont gouvernés par la structure binaire qu’il qualifie

d’universelle dans la mesure où elle correspondrait à la structure fondamentale de l’esprit

humain. Selon Saussure ([1916] 1990), « Il n'y a de sens que dans et par la différence ». Dès

lors, la représentation binaire des structures signifiantes s’appuie sur le principe de

l’opposition privative. Il y a présence ou absence d’un trait, et c’est par cette différence que le

sens peut apparaître. A titre d’exemple, on ne peut exprimer l’idée d’un comportement

moralement adéquat que parce que les notions contraires du « bien » et du « mal » existent. Si

le monde n’était peuplé que d’êtres aux comportements louables, la notion de bien n’aurait

pas de sens. Pour composer des catégories sémantiques signifiantes (le « terme complexe »),

il faut donc des systèmes d’oppositions entre termes. Ces oppositions sont schématisées

comme les deux extrémités d’un axe sachant que les caractéristiques du terme positionné à

l’une extrémité de l’axe sémantique présupposent un terme explicitant leurs contraires sur

l’autre extrémité. Ainsi, le bien ne peut exister que si le mal existe, et le bien est le contraire

du mal, et inversement.

D’un point de vue pratique, l’apport des structures binaires est double. D’une part, elles

imposent de chercher des oppositions dans le corpus, que ce soit un récit, un comportement ou

tout autre structure textuelle. Sur la base des oppositions binaires observées et identifiées, le

Page 15: La sémiotique : fondements, outils et conseils d’utilisationpetr.tnit.fr/PETR%20SemioP%E9dago2007.pdf · 2007-12-09 · Greimas dans le cadre du Groupe de Recherches Sémiolinguistiques

chercheur peut alors découvrir comment le sens est produit et construit dans le cas du

phénomène étudié. D’autre part, les structures binaires sont à la base du carré sémiotique qui

est un modèle logique et sémantique que l’on construit à partir de l’opposition privative

principale découverte. A ce stade, la difficulté majeure est d’identifier des éléments qui

répondent bien au principe d’isotopie. L’isotopie de signification est validée si les termes

renvoient l’un comme l’autre à un même vocable ou à une même utilisation grammaticale

(forme active, adjectifs, adverbes…).

4.2. L’appréhension ternaire

L’approche ternaire des structures signifiantes s’inscrit dans la lignée des travaux de Peirce

lorsqu’il définissait les différents niveaux d’appréhension du sens de la priméité, la secondéité

et la terceité (firstness, secondness et thirdness). Le premier niveau correspond à l’ensemble

des possibles sensibles et perceptifs d’un langage. Le second niveau comprend les modalités

factuelles qui permettent d’ancrer l’action et de transformer des états perceptuels et sensibles.

Enfin, le troisième niveau comprend toutes les lois, règles et usages qui programment

l’existence du sens et ses transformations. Au-delà des nombreuses interprétations

complémentaires ou concurrentes qui ont été données à ces trois niveaux peirciens, deux

principes doivent être relevés pour l’utilisateur de la méthode sémiotique.

En premier lieu, il est important de s’attacher au repérage et à l’analyse des modalités de

présence du sens dans le discours. Au sein du texte qui est écrit, l’actualisé et le réalisé,

quelles sont les significations qui sont virtualisées et potentialisées, et quelles sont celles qui

seront effectivement reçues et interprétées par le récepteur du message (l’énonciataire) ?

En second lieu, chacun de ces niveaux possède des propriétés spécifiques d’élaboration du

sens. Ces propriétés modales permettent de décrire comment la signification peut être

construite et articulée pour devenir présente et sensible. Du point de vue de l’énonciateur

(l’émetteur du message), ce regard porté aux modes d’existence du sens dans le langage

Page 16: La sémiotique : fondements, outils et conseils d’utilisationpetr.tnit.fr/PETR%20SemioP%E9dago2007.pdf · 2007-12-09 · Greimas dans le cadre du Groupe de Recherches Sémiolinguistiques

favorise l’élaboration de textes capables de rendre compte du message voulu compte tenu

d’un énonciataire idéal (ou récepteur idéal). Dans cette perspective analytique, il s’agit donc

de faire appel aux diverses propriétés modales telles les modalités aléthiques (le possible), les

modalités factuelles (vouloir, savoir, pouvoir faire) et les modalités déontiques (le devoir, la

loi, la règle…) comme le propose le modèle du schéma narratif.

4.3. La représentation tensive

Lorsqu’on décrit au néophyte un axe sémantique avec à l’une des extrémités la présence d’un

trait « A » qui est totalement absent sur l’autre extrémité de l’axe, et que pour le trait « B »

son contraire, la situation est symétrique, il imagine quelque chose qui ressemble au schéma

de la figure 3.

Figure 3 – L’opposition selon la sémantique continue

« A » = Absent

Score « A » = 0

TRAIT « B » « B » = Présent Score « B » = 100

Axe sémantique

« A » = Présent

Score « A » = 100

TRAIT « A »

« B » = Absent Score « B » = 0

Bien que cette représentation continue et polarisée de l’axe sémantique soit facilement

envisagée de manière intuitive et qu’elle soit cohérente avec les démarches de repérage et de

formation des systèmes de valeursix, son introduction dans l’appareillage du sémioticien est

plus récente. Son fondement part du principe que « pour identifier une figure du monde

naturel, ou même une notion ou un sentiment, nous percevons […]sa présence [domaine du

sensible], c'est-à-dire quelque chose qui, d’une part, occupe une certaine position, et une

certaine étendue, et qui d’autre part, nous affecte avec une certaine intensité ; quelque chose

Page 17: La sémiotique : fondements, outils et conseils d’utilisationpetr.tnit.fr/PETR%20SemioP%E9dago2007.pdf · 2007-12-09 · Greimas dans le cadre du Groupe de Recherches Sémiolinguistiques

qui, en somme, oriente notre attention, qui lui résiste ou qui s’offre à elle » (Fontanille,

2003:38).

Cette conception des structures soumises à des tensions donne lieu à la prise en compte de

deux opérations clefs : la visée et la saisie. La première opération, la visée, s’attache à

l’intensité et à la direction de la tension qui existe entre l’individu et le monde qu’il perçoit

(domaine du sensible). En fonction de la visée (intensive et affective) qui est intentionnelle de

la part de l’énonciataire, le même objet tel un texte, une publicité, un comportement, ne sera

pas interprété de la même manière (domaine de l’intelligible). La seconde opération, la saisie,

s’intéresse donc aux limites et propriétés de ce qui est visé. Ainsi, la saisie (extensive et

cognitive) embrasse, en tant qu’investissement sémantique, une figure de sens plus ou moins

étendue. Si l’on prend l’exemple de l’analyse des publicités Levi’s (Semprini, 1992), lorsque

le consommateur voit dans une scène publicitaire le torse d’un homme, il peut saisir le champ

sémantique de la nudité mais aussi celui de la jeunesse. En fonction de la prise de position de

l’énonciataire, ces champs sémantiques appelleront différemment les systèmes de valeurs de

l’anti-conformisme, de la liberté d’être, et de la virilité masculine qui sont exprimés dans la

publicité. En terme de conclusion, on peut dire que la présence sensible du sens se traduit par

une intensité et une étendue particulières qui sont organisées lors de la prise de position de

l’énonciataire. L’intensité correspond à la tension entre l’énonciataire et le monde, ce qui est

visé, et l’étendue correspond à l’ampleur du champ conceptuel qui est saisi pour résoudre

cette tension.

Une des conséquences de cette perspective tensive est de faire passer la représentation de

l’opposition privative comme un axe entre « présent versus absent », à une double opposition

entre « diffus versus concentré » et « vague versus précis ». Fontanille (2003) propose alors

de représenter les éléments de la signification comme un nuage de points entre deux axes

d’intensité et d’étendue. Par le repérage des manières avec lesquelles la visée et la saisie sont

Page 18: La sémiotique : fondements, outils et conseils d’utilisationpetr.tnit.fr/PETR%20SemioP%E9dago2007.pdf · 2007-12-09 · Greimas dans le cadre du Groupe de Recherches Sémiolinguistiques

corrélées, positivement ou négativement, fortement ou faiblement, on peut placer les 4

principaux styles de catégorisation en fonction de leurs gradients dans le monde du

perceptible et du sensible (voir figure 4).

Figure 4 – Les 4 principaux styles de catégorisation

« File »

« Série »

Axe de l’intensité

VISEE

« Agrégat »

« Famille »

Axe de l’étendue

SAISIE

Ces styles de catégorisation sont la « file » (réunion derrière un chef de file, le meilleur

exemplaire), la « série » (réunion par un ou plusieurs traits communs), la « famille » (réunion

par un « air de famille ») ou l’ « agrégat » (réunion autour d’un terme de base). Toujours

spécifiques au discours ou à la culture étudiée, ces styles de catégorisation doivent être connus

à la fois pour construire un message adapté à la culture de la cible visée et au média utiliséx, et

pour comprendre le point de vue des actants d’un phénomène. Dans ce dernier cas, ces styles

de catégorisation représentent une forme de « grammaire » permettant de « traduire » plus vite

le sens que les consommateurs attribuent à une pratique de consommation ou à un texte

commercial.

D’un point de vue pratique, les structures tensives permettent de réaffirmer le rôle essentiel de

la position de l’individu récepteur du message et sur son rôle dans l’énonciation. Si

l’énonciateur, son concepteur, analyse et prévoit les actes élémentaires de la visée et la saisie

qui seront opérés par l’énonciataire pour construire l’espace intelligible, il reste toujours une

part d’imprévisible. En raison de son contexte personnel, du macro contexte de la réception, le

Les dimensions du sensible et de l’intelligible

Le domaine de l’expression

Page 19: La sémiotique : fondements, outils et conseils d’utilisationpetr.tnit.fr/PETR%20SemioP%E9dago2007.pdf · 2007-12-09 · Greimas dans le cadre du Groupe de Recherches Sémiolinguistiques

lecteur a toujours une saisie imparfaite de ce qui est visé par l’énonciateur, qui lui a construit

un message sur la base d’une réception dans des conditions idéales (Ceriani, 2003). Par le

rappel du rôle du contexte de l’énonciation du message, il s’agit là d’affirmer la nécessité

d’une analyse contextualisée des messages et des phénomènes. Ainsi, grâce à la mention d’un

scénario de lecture (« vous êtes un dimanche après midi, à la maison et… »), ou par la

création d’environnements s’approchant le plus du contexte réel de la future réception du

message (magasin test pour un nouveau packaging, univers virtuels pour les évaluations d’une

publicité 4X3…), les dimensions sensibles de l’intensité et de l’étendue seront les plus

proches de la réalité et, par suite, les constructions de la signification faites par les répondants

d’un pré-test pourront plus aisément être envisagées comme ce qui sera effectivement traité et

compris par les consommateurs.

En terme de conclusion, le tableau 2 récapitule, selon les manières d’aborder les phénomènes

signifiants, les principes et conséquences sur l’analyse du sens.

Tableau 2 – Les fondamentaux de l’analyse du sens

Mode d’appréhension de l’analyse du sens

Fondamentaux

Conséquences pour l’analyste

Les structures binaires

Les catégories sémantiques sont construites par des système d’oppositions.

� Rechercher les oppositions � Vérifier l’isotopie sémantique � Valider le principe de contrariété privative

L’analyse ternaire Il existe différents niveaux

d’appréhension de la signification.

� Distinguer dans le texte ce qui est virtuel, actuel (actualisé) et potentiel.

� Identifier l’instance de l’énonciation: quelle est la prise de position du sujet récepteur (réelle /idéale) en fonction du contexte et du macrocontexte ?

L’approche tensive

La catégorie sémantique est polarisée. Le niveau de présence et la saisie de la signification est soumise aux évènements du discours.

� Dé-discrétiser l’opposition privative en deux axes continus

� Relever les évènements du discours pour évaluer leurs impacts sur la présence et la saisie du sens

� Repérer les variations dans la perception sensible

� Définir l’intensité et l’étendu des univers de sens abordés

Page 20: La sémiotique : fondements, outils et conseils d’utilisationpetr.tnit.fr/PETR%20SemioP%E9dago2007.pdf · 2007-12-09 · Greimas dans le cadre du Groupe de Recherches Sémiolinguistiques

Après ce rappel des fondamentaux de la sémiotique, la seconde partie présente les principaux

outils et la démarche à suivre pour les mettre en œuvre.

II- L’UTILISATION DE LA SÉMIOTIQUE

La sémiotique étant une méthode, un « faire » disait Greimas, elle a développé des outils et

concepts opératoires pour atteindre ses objectifs. Quand le chercheur en marketing devient

utilisateur de la méthode, son propos n’est pas de participer à l’établissement d’une théorie

générale de la production et de l’interprétation des signes, mais d’utiliser ces outils et

concepts au service de ses propres objectifs. Pour ce faire, deux modes d’approche sont

disponibles. Le premier vise la compréhension du sens de certaines pratiques et

comportements à partir des « textes » récoltés sur ces pratiques et comportements. Il s’agit de

partir du manifesté pour comprendre le sens sous-jacent, ce qui reprend l’idée de la

condensation du sens. Le second mode d’approche s’attache à repérer, via l’utilisation de

schémas narratifs et discursifs canoniques, les modalités d’expression du sens. Connaissant

les programmes d’action sous-jacents qui préexistent à tout texte, il s’agit de voir de quelle

manière ils se manifestent dans le cadre précis du « texte » analysé (publicité, récit de

consommation, discours d’un chef d’entreprise, d’une personnalité politique, …). Comme le

chercheur part d’une structure connue du sens pour identifier comment les significations sont

déclinées et exprimées dans un récit, il est question de la dilatation du sens.

Dans un cas comme dans l’autre, le « texte » reste le matériau de base de l’analyste. Cette

tradition trouve son explication dans l’origine linguistique des premières réflexions

sémiotiques. Toutefois, dans le cadre de l’extension de ces champs d’application, il faut

désormais considérer qu’un texte peut être autre chose qu’un texte littéraire. Après avoir

précisé ce que l’on entend par « texte » dans le cadre d’une analyse sémiotique et la manière

de l’obtenir, les outils sémiotiques de condensation et de dilatation du sens sont présentés.

Page 21: La sémiotique : fondements, outils et conseils d’utilisationpetr.tnit.fr/PETR%20SemioP%E9dago2007.pdf · 2007-12-09 · Greimas dans le cadre du Groupe de Recherches Sémiolinguistiques

1. Le matériau d’étude

1.1. Le principe méthodologique : « Hors du texte, point de salut ». L’analyse sémiotique consiste à analyser les structures de sens d’un texte en repérant les

récurrences narratives, les similitudes des programmes d'action, l'identité des valeurs et en

cherchant en quoi celles-ci sont niées par d'autres programmes d'action. Dès lors, « Hors du

texte, point de salut » (Greimas, 1966), il faut disposer d’un texte. Le texte étant ce qui sera

appréhendé à propos des faits et phénomènes à analyser.

Si tel un comportement, le phénomène n’est pas immédiatement exprimé par un texte, il faut

donc le transcrire en une structure narrative. C'est ainsi que FLoch dans son étude sur les

comportements de fréquentation d’un hypermarché (1989) ou dans celle sur le métro parisien

(1990), a obtenu des discours (des micro-récits) sur les trajets et comportements effectués à

partir d’une observation détaillée et d’une notation rigoureuse des différentes phases du

parcours au sein du lieu étudié.

Ainsi, un comportement mais aussi un film, un échange téléphonique, une publicité, etc,

peuvent être considérés comme des objets d’analyse sémiotique dès lors qu’ils peuvent être

abordés comme un « texte », c'est-à-dire qu’ils remplissent trois conditions : ils doivent

posséder une entrée et une clôture ; ils peuvent être l'objet d'une segmentation en différents

moments spatiaux, temporels ou actoriels (prenant en compte l'apparition ou la disparition des

autres acteurs en jeu) ; et ils sont caractérisés par une orientation puisque l’on peut y repérer

une suite finalisée entre le début et la fin.

Lorsque Floch présente son étude sur les comportements des voyageurs du métropolitain

parisien (1990), il détaille comme suit. Premièrement, ces comportements possèdent une

entrée et une clôture. A l’instar d’un récit, le début et la fin de l’expérience étudiée sont

clairement marqués et repérables. Ces entrées et clôtures de l’histoire peuvent être formalisées

par des entrées et sorties physiques comme les portes d’entrée d’un magasin ou d’une galerie

Page 22: La sémiotique : fondements, outils et conseils d’utilisationpetr.tnit.fr/PETR%20SemioP%E9dago2007.pdf · 2007-12-09 · Greimas dans le cadre du Groupe de Recherches Sémiolinguistiques

marchande, mais elles peuvent aussi être plus floues comme dans le cas d’une étude de la

totalité de l’expérience de magasinage. Comme il est coûteux de s’astreindre à observer le

comportement de l’individu depuis son départ de son domicile jusqu’à son retour, les

chercheurs préfèrent en général se centrer sur un lieu de shopping ou un magasin précis

(Lombart, 2001 ; Bonnin, 1999). Deuxièmement, ces pratiques soumises à retranscription

peuvent faire l'objet d'un fractionnement. Il peut être question de divisions spatiales et

temporelles mais aussi actorielles, c'est-à-dire des divisions qui prennent en compte

l'apparition ou la disparition des autres acteurs en jeu. Cette logique du découpage reprend

l’idée que la narration peut être étudiée à travers le scénario et les différentes scènes qui le

construisent. Troisièmement, ces comportements sociaux sont caractérisés par une orientation.

En accord avec le fait que la narration est toujours construite autour d’une intention de son

auteur, il s’agit de considérer que les comportements sont l'expression d'une certaine logique

de l’acteur, logique qu’il convient de découvrir et de comprendre.

A titre d’exemple, le tableau 3 montre comment on passe de la collecte des données

comportementales à leur traduction en un texte dans le cas de la fréquentation d’un centre

ville commercial.

Page 23: La sémiotique : fondements, outils et conseils d’utilisationpetr.tnit.fr/PETR%20SemioP%E9dago2007.pdf · 2007-12-09 · Greimas dans le cadre du Groupe de Recherches Sémiolinguistiques

Tableau 3 – Obtenir un « texte » : un exemple avec les comportements de fréquentation d’un centre ville

Etapes Exemple

1) Préparation et collecte des données

Un corpus de comportements de fréquentation dans un centre-ville commercial

Choix des modes de collecte

Trois modes de collecte : a) Enregistrements vidéo avec retranscriptions manuelles immédiates b) Dessins schématiques du parcours réalisé dans le lieu (notation papier crayon avec minutage) c) Interviews (en cours, à la fin ou après) : questions ouvertes + demande d’un dessin du parcours effectué � Nature du corpus :

� Créés par l’enquêteur = comportements, récits, dessins du parcours … � Obtenus du sujet = discours, réponses à des questions ouvertes, dessins du parcours

Définition des points d’entrée et de clôture du phénomène

Précision sur la cible : Les non habitants du centre ville �Délimitation infra communale de la zone étudiée et des points d’accès :

� accès piétonnier (rues limitrophes) � accès par les transports en commun et privés (bouches de métro, arrêts de bus, parkings)

2) Traduction du phénomène en texte

et

Données contextuelles

� Retranscription ex-post : Rédaction d’un texte représentant le récit du parcours à partir des éléments a) et b) récoltés � Données « objectives » complémentaires : - Repérage des limites et caractéristiques d’usage des zones : % d’espace couvert, qualification des espaces selon leur taux d’occupation temporelle, en nombre de sujets,… - Questionnements auprès des répondants : Caractéristiques sociodémographiques et description du contexte de la pratique (motivation de venue, accompagnants, sexe, âge…) - Notation des caractéristiques macro-contextuelles : jour de la semaine, météorologie, animation culturelle ou commerciale…

Page 24: La sémiotique : fondements, outils et conseils d’utilisationpetr.tnit.fr/PETR%20SemioP%E9dago2007.pdf · 2007-12-09 · Greimas dans le cadre du Groupe de Recherches Sémiolinguistiques

Il arrive que la mention à cette phase de retranscription ne soit pas décrite ou explicite. Cet

oubli est regrettable car il peut donner à croire que cette étape n’est pas nécessaire. Elle est au

contraire fondamentale puisqu’elle permet de formaliser selon une même procédure

l’ensemble des expériences et pratiques observées.

Cette retranscription implique une réécriture du phénomène par l’observateur qui font rentrer

en jeu des éléments subjectifs liés à son individualité. Cette subjectivité est une donnée depuis

longtemps acceptée en méthodologie qualitative où l’on considère qu’il est moins dangereux

de l’intégrer comme une des variables de l’équation plutôt que de la nier (Tissier-Desbordes,

1998). Dès lors, la notation du parcours par l’observateur étant une construction sur le trajet

que l’on ne peut éviter, deux types de précautions doivent être prises. La première est de

connaître les spécificités de l’observateur et de comprendre de quelle manière son

individualité peut influencer sa perception du phénomène à observer. Cette exigence de

compréhension des caractéristiques des observateurs, valable même dans la situation idéale de

triangulation des observateurs, se traduit par l’obligation de répondre à un questionnaire

descriptif des caractéristiques sociodémographiques, voire de personnalité, et de rédiger un

texte exposant ses points de vue, impressions et certitudes sur le phénomène11. Un entretien

de débriefing post-collecte est aussi utile pour repérer les prises de positions conscientes ou

inconscientes. Enfin, dans le cas d’observations étalées dans le temps, il est conseillé de faire

tenir un carnet de bord aux observateurs afin qu’ils puissent y exposer, sur le principe d’un

journal intime, leurs avis et humeurs sur le sujet d’étude et sur eux-mêmes. De cette manière,

à défaut de les éviter, les possibles biais de perception et de retranscription par les

observateurs sont identifiés et compris. Une seconde précaution tient dans les règles de

retranscription qui sont données. La transcription d'un phénomène non textuel en un micro-

Page 25: La sémiotique : fondements, outils et conseils d’utilisationpetr.tnit.fr/PETR%20SemioP%E9dago2007.pdf · 2007-12-09 · Greimas dans le cadre du Groupe de Recherches Sémiolinguistiques

2

récit doit en effet être réalisée de manière à s’assurer de la validité du corpus tel que cela est

détaillé dans le point suivant.

En conclusion, le sémioticien travaille toujours à partir d'un texte, qu'il s'agisse directement du

sujet de la recherche ou qu'il s'agisse d’une transcription narrative (élément intermédiaire)

d'une manifestation signifiante observée (le sujet de la recherche). Que la nature textuelle soit

première ou seconde, les exigences relatives au corpus restent identiques.

1.2. Les contraintes relatives au corpus

Selon Roland Barthes (1985:80-81), un corpus est valide sous conditions d’être homogène et

représentatif. De son côté, Baudrillard (1968) insiste sur la nécessité de prendre en compte le

contexte quitte à le traiter, lui aussi, de manière textuelle. Ces trois contraintes et les moyens

d’y répondre sont détaillés comme suit.

Répondre à l’exigence d’homogénéité passe en particulier par la définition d’une forme

narrative commune à l’ensemble des unités du corpus. Cela peut consister à choisir des

discours publicitaires qui utilisent le même média (publicités télévisées en un seul épisode ou,

au contraire, publicités télévisées avec teasing) mais cela passe aussi, dans le cadre d’une

retranscription d’un phénomène, par le respect de règles de retranscription. Ces règles doivent

permettre en particulier de retranscrire le phénomène sous une même forme narrative (récits

ou micro-récits identiques) pour répondre à l’exigence d’homogénéité du corpus. En

complément de l’homogénéité narrative, l'homogénéité temporelle doit aussi être observée

pour éviter les effets historiques.

Pour obéir au principe de représentativité, le chercheur doit s’obliger à choisir des

énonciateurs (consommateurs, narrateurs, journalistes, publicitaires, experts, etc) différents en

fonction de critères pertinents et adaptés à sa recherche. Pour ce faire, il peut varier les lieux

de sélection des acteurs qui seront sollicités pour raconter leur histoire. Il peut aussi varier les

lieux et moments d’observation dans le cas de comportements sociaux à retranscrire. Il peut

Page 26: La sémiotique : fondements, outils et conseils d’utilisationpetr.tnit.fr/PETR%20SemioP%E9dago2007.pdf · 2007-12-09 · Greimas dans le cadre du Groupe de Recherches Sémiolinguistiques

3

enfin varier les sources de ces récits et narrations qui seront à étudier par exemple en

choisissant des articles issus de revues et magazines différents, etc. Ceci répond aux conseils

de multi angulation des perspectives adoptées dans le cadre des explorations qualitatives.

Enfin, pour justifier la prise en compte du contexte du phénomène, il faut garder en mémoire

le fait suivant. Le récit raconté par le consommateur quand il parle d’un produit, d’une

marque, d’une entreprise ou d’une expérience de consommation est à l’interface entre sa

culture, dimension contextuelle et générale, et ses croyances, désirs et espérances, dimension

individuelle. Aussi, ce récit est un révélateur des pensées de l’individu dans le contexte précis

du moment et du lieu où elle est racontée. C’est en partie grâce et par le contexte que la

narration prend tout son sens. Il faut donc l’intégrer dans l’analyse, ce qui peut exiger de le

verbaliser à son tour. Souvenons-nous qu’un texte n’est pas seulement une manifestation

langagière, mais une manifestation langagière dans un certain contexte (Marti, 2003). Ainsi,

et tel que cela a été présenté pour la fréquentation d’un centre ville (tableau 3), il est essentiel

de conserver des informations sur les caractéristiques contextuelles. Ces données de contexte

et de macro contexte peuvent en effet offrir des perspectives de compréhension et

d’explication du phénomène.

2. La condensation du sens : du discours aux structures profondes

2.1. Le modèle du carré sémiotique

Le carré sémiotique est un modèle sur les conditions minimales de production et de saisie de

la signification, constitué d'éléments statiques (les positions différentielles), et d'éléments

dynamiques (les parcours réalisables selon certaines règles). Il permet d’organiser la

cohérence d'un univers conceptuel en permettant la prévision des parcours et positions

possibles du sens selon les trois relations logico-sémantiques et les deux opérations qu’il

résume.

Page 27: La sémiotique : fondements, outils et conseils d’utilisationpetr.tnit.fr/PETR%20SemioP%E9dago2007.pdf · 2007-12-09 · Greimas dans le cadre du Groupe de Recherches Sémiolinguistiques

4

Ces relations et opérations, exposées dans la figure 4, sont comme suit : 1- la relation

horizontale, celle de la contrariété, correspond à l'axe sémantique ; 2- la relation oblique, celle

de la contradiction, est établie par l'opération de négation. ; 3- la relation verticale, celle

d'implication (ou de complémentarité), est obtenue à partir de l'opération d'assertion.

Figure 5- Les relations et opérations du carré sémiotique

Légende : Structure du carré sémiotique :

Relations : o Contrariété o Contradiction o Implication

« Trait B » « Trait A »

Pas « Trait A » Pas « Trait B »

Opérations :

o Négation

o Assertion

« Trait B » « Trait A »

Pas « Trait A » Pas « Trait B »

Le carré sémiotique est donc un modèle simple et économique qui permet de rendre compte

de l’interprétation du chercheur de manière cohérente, exhaustive et simple (Marion, 2003).

Revers de la médaille, le fait qu’il comprenne en tout et pour tout, deux opérations et trois

relations explique les critiques dont il a pu faire l'objet, sa structure étant parfois jugée trop

élémentaire, voire simplificatrice ou réductrice. Pour contrebalancer cette impression, il

convient de rappeler deux de ses qualités majeures.

En premier lieu, l’utilisation du carré sémiotique oblige à une très grande rigueur. En effet, en

le maniant, il faut faire l'effort de suivre le principe d'isotopie et de s’assurer de la cohérence

systémique. Cela signifie que les éléments étudiés doivent présenter une homogénéité de

Page 28: La sémiotique : fondements, outils et conseils d’utilisationpetr.tnit.fr/PETR%20SemioP%E9dago2007.pdf · 2007-12-09 · Greimas dans le cadre du Groupe de Recherches Sémiolinguistiques

5

niveau créée par l'itération d'une même unité de sens tout au long du texte, ce qui n’est pas

toujours aisé. De même, il faut vérifier la cohérence interne du système. Ce test de la

cohérence interne du carré sémiotique est aussi un travail formel de lexicalisation logique qui

s’avère très utile pour établir des définitions performantes sur les concepts constitutifs d’un

phénomène (Darpy, 2000).

En second lieu, la construction du carré sémiotique suggère et favorise l’établissement de

typologies. L’idée est qu’il y a présupposition réciproque entre sujet et objet. Ainsi, le

chercheur considère que ce qui est manifesté aux quatre positions maîtresses du carré

présuppose quatre types d’acteurs sociaux et/ou de comportements sociaux. Quand cette

possibilité est utilisée en marketing, le carré sémiotique est « un moyen et non une fin »

(Marion, 2003). Toutefois, deux limites ou précautions doivent être soulignées. Premièrement,

la typologie obtenue reste « virtuelle » dans le sens où un même consommateur a de fortes

chances de ne pas investir seulement un type de valeur au cours de ses expériences de

consommation. Comme le rappelait Floch (1989) dans le cas de la visite d’un hypermarché,

on retrouve ici la distinction entre acteurs et actants: « chaque consommateur fréquentant

l'hypermarché est un acteur, un "personnage", conjuguant au moins un rôle thématique (mère

de famille, épouse, femme "active" si l'on prend l'exemple de la consommatrice), et au moins

un rôle actantiel ([...] sujet d'un programme d'action logistique, et/ou sujet d'un programme

ludique, utopique... ». Les types identifiés ne correspondent donc pas nécessairement à des

segments de consommateurs mais à des logiques de consommation qui sont différemment

appropriées par les consommateurs. Deuxièmement, le nombre prédéfini et limité d’une

typologie composée, toujours et seulement, de quatre types peut poser un problème. Dans ce

cas, le chercheur en marketing va s’appuyer sur le carré sémiotique mais aussi s’en affranchir.

Il utilise les 4 positions du carré sémiotique pour situer certains des types de la typologie, et

place les autres, si le nombre de types préalablement observés dépasse quatre, aux

Page 29: La sémiotique : fondements, outils et conseils d’utilisationpetr.tnit.fr/PETR%20SemioP%E9dago2007.pdf · 2007-12-09 · Greimas dans le cadre du Groupe de Recherches Sémiolinguistiques

6

emplacements qui leur correspond le mieux. Ainsi, dans le cas d’une typologie des

consommateurs vis-à-vis du packaging, Dano (1998) place deux types sur l’une des positions

axiologiques du carré quand, à propos des logiques de consommations dans les espaces

culturels, Petr (1997, 1998) opère un « dépliage » du carré sémiotique sur la base d’une

interprétation attitudinale unidimensionnelle du phénomène.

Page 30: La sémiotique : fondements, outils et conseils d’utilisationpetr.tnit.fr/PETR%20SemioP%E9dago2007.pdf · 2007-12-09 · Greimas dans le cadre du Groupe de Recherches Sémiolinguistiques

7

2.1. L’utilisation du carré sémiotique

La figure 6 résume la démarche d’utilisation du carré sémiotique. Dans un premier temps

(phases A et B), il s’agit des étapes de la démarche d’identification du sens depuis les données

collectées jusqu’à la construction du carré sémiotique. Dans un second temps (phases C et D),

ce schéma souligne la nécessité du retour aux données initiales.

Page 31: La sémiotique : fondements, outils et conseils d’utilisationpetr.tnit.fr/PETR%20SemioP%E9dago2007.pdf · 2007-12-09 · Greimas dans le cadre du Groupe de Recherches Sémiolinguistiques

8

Le retour au corpus est doublement justifié. Premièrement, il est fondamental de vérifier

la validité12 des interprétations proposées en les soumettant à l’épreuve des données. Le

principe est de proposer une interprétation du phénomène et de la confronter aux données du

corpus13. L’interprétation axiologique dont les isotopies ont été au préalable vérifiées en se

référant à des dictionnaires linguistiques et dont les quatre positions axiologiques répondent

bien aux exigences de la construction logico-sémantique et systémique du modèle (phase B,

étapes 5 et 6), est donc soumise à une vérification par un retour aux données initiales. En

particulier, le chercheur doit retrouver au sein de chacun des modes d’expression sensibles du

phénomène (identifiés et classés en typologie à l’étape 3), des éléments qui caractérisent et

expriment effectivement les valeurs (positions axiologiques) auxquels chaque mode se réfère.

Cette tâche, difficile pour le chercheur dans la mesure où il s’agit de potentiellement rejeter

l’interprétation qu’il a faite du phénomène, passe en particulier par la présentation des

résultats à ses pairs (workshops intra ou inter universités et laboratoires) et par la récolte de

leur remarques. L’absence d’investissement dans la recherche et le recul dont ils peuvent faire

preuve, leur permettent de relever les défauts de cohérence logique de l’interprétation. Source

de déstabilisation, ces échanges sur une « interprétation en devenir » permettent cependant

son amélioration. Cette démarche est nécessaire jusqu’à ce que l’on puisse dire que

l’interprétation systémique fonctionne correctement, ou de manière humoristique, que « le

carré tourne ».

Deuxièmement, le retour aux données sensibles est pertinent pour celui qui situe l’analyse

sémiotique comme l’une des étapes intermédiaires d’un programme de recherche. Elle va lui

permettre de construire des hypothèses et d’identifier des axes de recherche complémentaires.

Quand elle vise ainsi à rendre intelligible des phénomènes complexes, les résultats

d’interprétation sémiotique ont pour mission d’aider le chercheur à aller plus avant dans

l’analyse du phénomène qui l’intéresse. Dans ce contexte, ils peuvent l’aider à identifier un

Page 32: La sémiotique : fondements, outils et conseils d’utilisationpetr.tnit.fr/PETR%20SemioP%E9dago2007.pdf · 2007-12-09 · Greimas dans le cadre du Groupe de Recherches Sémiolinguistiques

9

critère de segmentation d’ordre phénoménologique. Qu’il soit question des discours sur la

relation et la perception d’une marque, sur les relations avec un des attributs exogènes du

produit, ou sur l’observation de comportements de fréquentation, l’interprétation de

l’opposition sémantique structurante permet souvent de faire émerger la variable retraçant les

variances du phénomène. Mesurée par des indices comportementaux ou textuels (en fonction

des données collectées), ou par une échelle de mesure psychométrique, construite et testée a

posteriori, cette variable constitue alors un critère pertinent pour segmenter les individus. Par

suite, quand le chercheur connaît l’appartenance principale des individus aux segments, toutes

les analyses complémentaires (descriptives, explicatives, prédictives ; qualitatives ou

quantitatives) permettant d’affiner la connaissance et la compréhension du phénomène et

favorisant l’application ultérieure de stratégies de marketing différencié, sont possibles.

Enfin, une application de la condensation du sens qui n’exige pas d’aller jusqu’au bout de

l’interprétation logico-sémantique par le carré sémiotique, est d’orthogonaliser les oppositions

sémantiques les plus saillantes sur un plan (mapping) pour ensuite y positionner, non pas les

consommateurs, mais les entreprises ou les marques. Ceci permet d’améliorer le

positionnement des marques et de définir des positionnements qui apparaissent inexploités

(Fritz, 1994, cité par Pasquier, 1999). On retrouve ici un exemple de la sémiotique générative,

celle qui vise à agir sur les phénomènes de consommation, à la différence de la sémiotique

compréhensive dont la mission s’arrête à l’établissement d’une intelligibilité des

significations associées aux phénomènes étudiés.

3. La dilatation du sens : vers les structures de surface

31. L’analyse narrative : l’analyse de l’histoire

L’analyse de la structure narrative du récit consiste à rechercher dans un récit (publicité,

discours écrit ou oral de consommateur, documents diffusés par l’entreprise,…) les logiques

qui y sont à l’œuvre ainsi que les principes de leurs transformations.

Page 33: La sémiotique : fondements, outils et conseils d’utilisationpetr.tnit.fr/PETR%20SemioP%E9dago2007.pdf · 2007-12-09 · Greimas dans le cadre du Groupe de Recherches Sémiolinguistiques

10

La réalisation d'une analyse narrative est subordonnée à l'acceptation de quatre principes. Le

premier est qu’il existe une forme canonique valable pour la notation de tous les énoncés

narratifs, ce que l’on appelle le schéma narratif (P1). Ce schéma propose donc une structure

qui reprend la façon dont le récit est organisé en une suite ordonnée d'épisodes formels

interdéfinis. L'identification de ces épisodes et de la logique de leur succession s’effectue par

une lecture à rebours du texte. Dans le cadre du schéma de la quête, qui a été diffusé grâce

aux travaux de Greimas, ce schéma est une réécriture des conclusions de Propp (1970) à

propos de la structure des contes populaires russes. Ce chercheur avait relevé d’une part,

l’existence de 31 fonctions14 attribuables aux éléments d’une narration, que ce soit des choses,

des animaux ou des êtres humains, et d’autre part le fait qu’elles soient enchaînées de manière

très stéréotypée sur le modèle suivant : contrat, compétence, performance, sanction (voir

figure 7).

Figure 7- Le schéma narratif de la quête

Contrat

Dans le cadre d'un système de valeurs, proposition par le

Destinateur et acceptation par le Sujet d'un

programme à exécuter

Compétence Acquisition de l'aptitude à réaliser un programme, ou "épreuve qualifiante"

Cette aptitude se décompose en 4 modalités :

1) devoir (les "obligations")

2) vouloir (le "désir ou volonté)

3) savoir (l'expérience par exemple)

4) pouvoir (les moyens acquis ou offerts)

Performance Réalisation du

programme, ou "épreuve décisive"

Sanction

Comparaison du programme réalisé avec le contrat à

remplir :

- "épreuve glorifiante" (côté Sujet)

et

- "reconnaissance" (côté Destinateur/Judicateur)

Source : FLOCH, 1990.

Page 34: La sémiotique : fondements, outils et conseils d’utilisationpetr.tnit.fr/PETR%20SemioP%E9dago2007.pdf · 2007-12-09 · Greimas dans le cadre du Groupe de Recherches Sémiolinguistiques

11

Le second principe est qu’il existe des projections paradigmatiques au sein du récit (P2). Ces

projections correspondent à des couplages à distance de certaines fonctions entre elles. Par

exemple, on peut repérer des couples comme « départ -versus- retour», « création d’un

manque -versus- annihilation du manque », etc. Ces projections recouvrent le déroulement du

récit pour permettre le développement de l’intrigue15. En l’absence de contiguïté textuelle,

c’est donc une fois la totalité de la lecture effectuée, une fois l’intégralité du récit raconté ou

visionnée, que le repérage de ces fonctions organisatrices du discours est possible.

Le troisième principe est qu’il existe une intentionnalité du discours narratif (P3). Cette

intentionnalité s’observe par une relecture centrée sur la logique de l'agencement du récit.

C'est ainsi que, dans le schéma narratif de la quête (Figure 7), la récurrence et la progression

des épreuves que le héros réalise, ce héros pouvant être une marque (Heilbrunn, 1998),

trouvent leur signification lorsque le sujet se rend compétent avec l'épreuve qualifiante, puis

lorsqu’il s'accomplit grâce à l'épreuve décisive, et enfin, lorsqu’il obtient la reconnaissance de

ce qu'il a fait lors de l'épreuve glorifiante.

Enfin, le quatrième principe est que le parcours du sujet n'a un sens qu'en fonction du

parcours, possible ou réel, d'un anti-sujet (P4). Tel que le présente le tableau 4, dans le

schéma de la quête, cet autre sujet est l’anti-héros, les épisodes précédents sont l'engagement

du héros et l’acquisition de ses performances, et l’épisode suivant est la sanction. Dans le

schéma de l’épreuve, cet autre sujet est l’opposant (ou sujet B) et les épisodes sont,

précédemment, la confrontation des sujets et de leurs programmes d’action et la mise en

évidence d’une nécessaire confrontation pour l’obtention d’un objet désiré (le choix final du

consommateur dans le cadre d’une publicité comparative, sa préférence dans le cadre d’une

concurrence) ; et subséquemment, l’appropriation de l’objet désiré pour le vainqueur et la

dépossession pour le vaincu.

Page 35: La sémiotique : fondements, outils et conseils d’utilisationpetr.tnit.fr/PETR%20SemioP%E9dago2007.pdf · 2007-12-09 · Greimas dans le cadre du Groupe de Recherches Sémiolinguistiques

12

Tableau 4 – les schémas narratifs canoniques et leurs principales alternatives

Les schémas Les épisodes Descriptif

1) Le schéma de

l’épreuve

1) Confrontation 2) Domination 3) Appropriation / dépossession

Schéma général : la rencontre entre deux programmes narratifs concurrents : deux sujets se disputent un même objet (antagonisme) 1) la mise en présence des actants et de leurs programmes 2) la comparaison des forces, l’opposition et la prise de position dominante de l’un des sujets 3) l’acquisition de l’objet de désir par l’un et la dépossession pour l’autre (un vainqueur et un vaincu)

1b) Les schémas

alternatifs de

l’épreuve

a) Le schéma de

collusion

b) Le schéma de

dissension

c) Le schéma de

négociation

Toujours deux sujets qui s’affrontent mais dans une relation à l’identité

a) les deux sujets acceptent de se réunir (échange de traits d’identité et

de bons procédés)

b) l’un des sujets revendique une position, des traits d’identité et des

programmes différents de l’autre (cohabitation)

c) les sujets rapprochent leurs positions et identifient des traits

d’identité et des programmes communs (création d’une

intersubjectivité)

2) Le schéma de

la quête

1) Contrat (Manipulation) 2) Compétence 3) Performance 4) Sanction (Conséquence)

Schéma général : Mise en relation de 4 types d’actants : le Destinateur et le Destinataire, le Sujet (souvent le Destinataire) et l’Objet. L’apport de ce schéma par rapport à celui de l’épreuve est d’offrir un niveau axiologique dans le récit : le Destinataire accepte les valeurs (définition et actualisation des valeurs du Destinateur) pour donner un sens à son parcours en tant que sujet. Le modèle culturel sous-jacent est celui du manque. Détails via les épisodes : 1) Acceptation d’un programme à réaliser 2) Acquisition des compétences nécessaires 3) Réalisation du programme 4) Evaluation de la réalisation

2b) Les schémas

alternatifs de la

quête

a) Les schémas de

la satiété

b) Les schémas du

pharmakon

a) la répétition et l’accumulation des objets leur font perdre leur valeur,

leur présence devient oppressante, il y a désir de fuite et recomposition

(récit de plénitude), désir d’apprendre à canaliser la présence

envahissante des objets (récit de tri/mérite), désir d’inventer de

nouveaux systèmes de valeurs en vue de quêtes inédites (récit

d’inanité/quête du risque, récit de vacuité/quête de la dégradation)

b) le médicament est aussi un poison : le sujet doit donc par des

parcours de résistance, de contention ou de mérite, parvenir à préserver

la présence bénéfique de l’objet et empêcher la présence maléfique

Source : Adapté de Fontanille (2003)

Ainsi, c'est au moment de l'étude du noyau central du récit (la performance du héros dans le

schéma canonique de la quête ; la domination dans le schéma canonique de l’épreuve), que les

épisodes précédents du récit se comprennent par comparaison avec le parcours, intégré au

récit ou seulement supposé, d'un autre sujet. N'oublions pas que le sens n'émerge que grâce à

l'échange et à la comparaison entre les signes choisis et ceux non choisis (ceux choisis

respectivement par les deux sujets : héros et anti-héros pour la quête, sujet A et sujet B pour

l’épreuve). Aussi, idéalement, il faut dédoubler le récit en fonction du sujet et de l'anti-sujet.

Page 36: La sémiotique : fondements, outils et conseils d’utilisationpetr.tnit.fr/PETR%20SemioP%E9dago2007.pdf · 2007-12-09 · Greimas dans le cadre du Groupe de Recherches Sémiolinguistiques

13

De cette façon, on croise les deux parcours et les deux logiques de valorisation pour identifier

l'encadrement axiologique général.

En complément de ces deux schémas canoniques qui permettent d’analyser la majorité des

discours, il existe des schémas alternatifs. Rapidement décrits dans le tableau 4, ils ouvrent

des perspectives analytiques pour les discours publicitaires originaux tels ceux du marketing

social sur la lutte sanitaire contre les addictions comportementales (tabac, alcool, drogues

illégales) et contre les déviances comportementales (maltraitance, incivisme, etc). De plus, ces

schémas alternatifs peuvent aider à comprendre des discours de consommateurs qui

positionnent certains de leurs actes et de leurs opinions en dehors du modèle culturel

dominant du « manque à combler » (Fontanille, 2003). Dans ce modèle culturel des années 60

et 70, qui a été le cadre de développement des schémas canoniques présentés, le sujet narratif

sait, ou découvre au fil du récit, l’existence d’un objet de valeur dont le manque déclenche la

quête ou oblige à l’épreuve. Depuis, le modèle culturel dominant a perdu de son impérialisme

et des discours alternatifs foisonnent. Alter mondialisme, retour aux valeurs de lien, négation

ou déni du matérialisme, autant de modes d’expression d’une évolution ou d’une

transformation du cadre culturel dans lesquels les individus s’inscrivent. Dès lors, le

chercheur en comportement du consommateur a intérêt à connaître ces schémas alternatifs

que les sémioticiens ont repérés et analysés au sein d’autres sources de littérature. Ce sont des

outils de lecture, des grilles analytiques, des phénomènes de consommation particulièrement

intéressants. Le chercheur peut alors évaluer le potentiel de chacun des schémas narratifs dans

la compréhension du phénomène qu’il étudie, sélectionner le plus performant en terme d’outil

compréhensif. Il peut aussi s’attacher à identifier quelles sont les variables individuelles ou

contextuelles qui donnent lieu à des points d’inflexion ou des ruptures dans l’usage par le

consommateur de tel ou tel schéma narratif.

Page 37: La sémiotique : fondements, outils et conseils d’utilisationpetr.tnit.fr/PETR%20SemioP%E9dago2007.pdf · 2007-12-09 · Greimas dans le cadre du Groupe de Recherches Sémiolinguistiques

14

En terme de synthèse, rappelons que l’analyse du schéma narratif consiste à repérer les

logiques d’un récit et les principes de transformations. Ceci est d’autant plus aisé que la

position de l’instance de discours coïncide avec la phase terminale dans la mesure où la fin du

discours neutralise tous les possibles par la réalisation d’une signification unique. L’analyste

peut alors chercher les transformations qui ont été accomplies sur la base de faits relativement

objectivables. En revanche, lorsque l’on prend l’option d’une analyse du « discours en acte »,

des schémas analytiques complémentaires doivent être appelés.

32. L’analyse discursive : l’analyse du « discours en acte »

Avec l’analyse du discours en acte, l’idée d’un processus continu de prise de position est

envisagée. Il n’est plus seulement question du résultat : le bon a tué le méchant, la princesse a

trouvé son prince, la consommatrice est satisfaite de la crème X qui lui fait la peau douce ou

récompensée par le sourire de ses enfants quand elle leur a offert les friandises Y. Désormais,

les évènements qui rythment l’histoire sont eux aussi importants et pris en compte.

Cette approche s’intéresse aux modalités de l’énonciation. Dès lors, les évènements qui

rythment un texte sont importants pour leurs effets sur le sujet récepteur et sur l’orientation

subséquente qu’ils impriment à ce sujet dans la suite de sa prise de position et donc, dans

l’étendue et la visée qu’il consacre à la suite du message. L’intérêt de ce type d’approche est

de permettre aux outils sémiotiques d’analyser des processus pour lesquels auparavant ils

n’étaient pas préparés. Ainsi, les figures humoristiques ou angoissantes introduites dans des

messages publicitaires étaient difficilement traitées alors que, dans le cadre français, l’usage

de l’humour dans la publicité est ancien et courant, et que l’usage de la peur augmente pour la

défense des causes sociales (Gallopel, 2002).

Dans ce contexte de l’analyse des évènements du discours et de leurs effets sur l’énonciataire,

l’étude du discours propose l’analyse de trois niveaux différents16 : celui de l’action, celui de

la passion et celui de la cognition.

Page 38: La sémiotique : fondements, outils et conseils d’utilisationpetr.tnit.fr/PETR%20SemioP%E9dago2007.pdf · 2007-12-09 · Greimas dans le cadre du Groupe de Recherches Sémiolinguistiques

15

Le niveau d’analyse de l’action va consister à repérer les différents programmes d’action en

remontant les parcours de transformation à partir des résultats obtenus et attendus. Ceci n’est

pas distinct de la démarche analytique narrative, si ce n’est que l’introduction de la

perspective tensive suggère de centrer la recherche des transformations sur l’actant (agent,

bénéficiaire, objet) en observant en priorité la nature de la relation qu’il entretient avec la

force transformatrice (En est-il le siège, le vecteur ou l’objet ? Est-il favorisant, opposant ou

acceptant ?). Il s’agit ainsi de repérer où est située la force de transformation ainsi que ses

opposants et ses favorisants. Sachant que la victoire a d’autant plus de valeur que la résistance

est considérée comme forte, certains discours publicitaires insistent au début de leur histoire,

sur la position plutôt défavorable ou dubitative de l’actant vis-à-vis du produit.

Le niveau d’analyse de la passion s’attache à ce qui est éprouvé par l’énonciataire, au ressenti,

aux effets de discours qui contribuent à créer une expérience sensible, et va dès lors

s’intéresser à la rhétorique et à la stylistique. Parmi les schémas élémentaires intéressants à

repérer à ce niveau d’analyse, il y a les différents schémas de tensions et la présence possible

du schéma passionnel canonique. Les schémas élémentaires de tensions sont l’amplification,

l’ascendance, l’atténuation, et la décadence (voir tableau 5).

Page 39: La sémiotique : fondements, outils et conseils d’utilisationpetr.tnit.fr/PETR%20SemioP%E9dago2007.pdf · 2007-12-09 · Greimas dans le cadre du Groupe de Recherches Sémiolinguistiques

16

Tableau 5- Les schémas élémentaires de tension

Dénomination

et effets tensifs

Relations entre la visée (le

sensible) et la saisie

(l’intelligible)

Exemples

Le schéma descendant ou

schéma de la décadence : L’abaissement de l’intensité conjugué au déploiement de l’étendue procure une détente cognitive

Intensité (visée)

Etendue (saisie)

� Partir d’un choc émotionnel, d’un accent d’intensité pour ensuite proposer une explicitation.

Dans une affiche, l’accroche est le concentré d’intensité, qui est développé ensuite par le reste de texte et de visuel Modèle des comédies

Le schéma de

l’ascendance : L’augmentation de l’intensité conjuguée à la réduction de l’étendue procure une tension affective

Intensité (visée)

Etendue (saisie)

� Conduire progressivement à une tension finale qui doit s’exprimer avec éclat

� Principe de la « chute » dont l’inattendu va imposer une relecture cognitive de l’ensemble du parcours (remise en cause) et qui réactive l’émotion

Proposer une montée progressive de la peur, créer du suspense, …

Le schéma de

l’amplification : L’augmentation de l’intensité conjuguée au déploiement de l’étendue procure une tension affective et cognitive

Intensité (visée)

Etendue (saisie)

� Faire augmenter de concert l’information et l’émotion : l’accroissement de l’information ne provoque pas d’abaissement de l’intensité

Principe de « l’emphase » Modèle des tragédies

Le schéma de

l’atténuation : L’abaissement de l’intensité conjuguée à la réduction de l’étendue procure une détente générale

Intensité (visée)

Etendue (saisie)

� Aller vers des positions neutres : rendre l’intensité la plus faible possible et proposer des informations les plus génériques possibles

Peu d’usages en communication commerciale Utile dans le cadre de la gestion de conflits et réclamations clients

Source : adapté de Fontanille (2003 :111-112)

Ces schémas élémentaires se combinent pour donner lieu à des séquences discursives plus

élaborées qui servent l’intention de signification de l’énonciateur. Ainsi, les auteurs de

tragédies classiques utilisaient une séquence en trois phases : l’ascendance, l’atténuation puis

l’amplification. De nombreuses autres séquences discursives étant possibles, charge à celui

qui analyse le message commercial d’identifier celle utilisée. Dans une perspective de

sémiotique générative, le concepteur du message doit choisir et construire la séquence qui

convient le mieux au triptyque intention de signification - cible - média. Pour l’aider dans

Page 40: La sémiotique : fondements, outils et conseils d’utilisationpetr.tnit.fr/PETR%20SemioP%E9dago2007.pdf · 2007-12-09 · Greimas dans le cadre du Groupe de Recherches Sémiolinguistiques

17

cette tâche créatrice, il peut se référer au schéma canonique passionnel que nous propose

Fontanille (2003). Ce schéma comprend 5 actes : l’éveil, la disposition, le pivot passionnel,

l’émotion et la moralisation. L’éveil est le moment où l’actant est touché ; la disposition

correspond à la phase où l’actant prouve sa capacité à rentrer dans le schéma passionnel (de

l’imagination pour un jaloux par exemple) ; le pivot passionnel est le moment de la

transformation (le jaloux suit-il ses certitudes et va-t-il exprimer sa jalousie à l’être aimé ou

choisit-il d’accepter un possible abandon ?) ; l’émotion est la conséquence observable du

pivot passionnel (expression dans son corps et dans ses actes : dépression, relâchement,

pleurs…) ; enfin la moralisation est le moment où l’actant fait le bilan de la passion qu’il a

éprouvé et l’évalue d’un point de vue axiologique. Cette dernière étape correspond en

définitive à la manifestation observable des valeurs qui sous-tendaient la passion mise en

récit. Dans le cadre d’une communication commerciale, c’est à ce moment là que les valeurs

de l’entreprise apparaissent clairement aux regards des consommateurs énonciataires. Dans un

contexte où les entreprises et les marques s’attachent de plus en plus à communiquer sur leurs

valeurs afin de se distinguer, l’usage de ce modèle canonique passionnel est tout à fait

approprié.

Pour finir, on notera que pour favoriser un éprouvé au sein d’un message publicitaire, on peut

aussi choisir de créer un malaise chez l’énonciataire en introduisant une déviance, ou en

insistant sur une incomplétude, par rapport au schéma passionnel ou narratif attendu. Sur le

principe, il faut proposer un message dont la structure narrative est a priori connue. Il peut

s’agir, par exemple, du schéma de la quête, mais pourtant, au lieu d’arriver à une sanction

positive pour le héros, on peut imaginer soit une sanction négative, soit un arrêt pur et simple

de l’histoire. Le fait de ne pas répondre aux attentes narratives en créant une rupture dans le

schéma attendu est alors une piste pour engendrer cette émotion négative que le responsable

d’une cause sociale essaie de créer et de faire transférer sur l’acte délictueux. Face à des

Page 41: La sémiotique : fondements, outils et conseils d’utilisationpetr.tnit.fr/PETR%20SemioP%E9dago2007.pdf · 2007-12-09 · Greimas dans le cadre du Groupe de Recherches Sémiolinguistiques

18

espaces publicitaires hyperconcurrentiels et surchargés, de plus en plus de responsables de

communication s’engagent dans cette voie et pas seulement dans le domaine social. La

recherche des ruptures, transgressions et déviances narratives devient une piste

supplémentaire pour attirer l’attention des consommateurs bien que leurs effets sur la prise de

position du consommateur énonciataire ne soient pas toujours envisagés et puissent être

inverses de ceux espérés.

Le dernier niveau d’analyse est celui de la cognition, celui qui s’attache à comprendre

comment l’actant du récit découvre et valorise les objets cognitifs, et comment l’énonciataire

les traite. Ces objets cognitifs appartiennent soit au domaine des savoirs, soit au domaine des

croyances. La différence entre le savoir et le croire étant l’existence ou non d’assomptions. Si

l’objet cognitif est comparé à d’autres savoirs pour en évaluer l’apport de connaissance, c’est

un savoir. S’il est intégré dans l’univers de croyance de l’actant, il y a assomption directe. S’il

est intégré à des univers de croyances assumés par d’autres actants sur la base de la confiance

qu’il leur accorde, il y a assomption indirecte. En cas d’assomption, directe ou indirecte,

l’actant s’inscrit dans le croire et non le savoir. Le pouvoir de crédibilité de l’actant

« croyant », qui peut être aussi bien un fanatique qu’un crédule, est nettement moins bon que

celui du « savant ». En terme de communication commerciale, il faut donc être vigilant sur les

actes de cognition des actants qui sont représentés. Idéalement, il est préférable de valoriser le

« savant » et de limiter le « croyant » (se référer à un scientifique en blouse blanche, croire ses

voisins…) même si, dans la culture publicitaire française, l’école de la démonstration

« savante » des qualités du produit semble moins utilisée que celle de l’esthétique

émotionnelle du message.

CONCLUSION

En préambule de cette conclusion, il convient de rappeler que cet article n’a jamais eu pour

ambition d’être une revue de littérature sur les travaux marketing qui utilisent les outils et la

Page 42: La sémiotique : fondements, outils et conseils d’utilisationpetr.tnit.fr/PETR%20SemioP%E9dago2007.pdf · 2007-12-09 · Greimas dans le cadre du Groupe de Recherches Sémiolinguistiques

19

méthode sémiotique. D’autres s’y sont déjà essayés et ont fort bien réussi. Reproduire

aujourd’hui cette entreprise aurait donc été inutile. En revanche, pour le lecteur qui souhaite

se pencher sur cette revue de littérature, nous lui conseillons vivement le travail collectif de

Mick et al. (2004). Outre la synthèse de plus de 600 travaux, cet article détaille les

problématiques et propose des voies de recherche futures quand il est question d’utiliser la

sémiotique pour analyser le sens dans le monde commercial. Ici, seuls quelques travaux ont

été cités pour répondre à des besoins illustratifs. Ils ont été choisis parce qu’ils permettaient

de pointer les possibilités de la méthode dans le cadre original de l’analyse des

comportements, ou parce qu’ils abordaient les modalités d’utilisation, dans la suite d’un

programme de recherche, des typologies et résultats compréhensifs que la sémiotique permet

d’obtenir, ou enfin, parce qu’ils donnaient à voir de quelles manières on peut utiliser avec

rigueur la méthode tout en s’affranchissant d’une utilisation trop rigoriste de ses outils17.

La sémiotique est utilisée de plus en plus régulièrement et facilement par les chercheurs et

praticiens du marketing. Elle ne se limite plus aux seuls travaux en communication, son

domaine initial de prédilection. Elle concerne désormais tous les domaines de la recherche

marketing. Mick et al. (2004) ont en effet montré que l’usage de la sémiotique concerne à la

fois des travaux relatifs au produit (design et fonctions), des travaux centrés sur les éléments

concourant au « tout commercial » du produit (packaging, noms de marques, logos, noms

d’enseignes, publicité), des travaux relatifs aux lieux, physiques et virtuels, d’achat et de

consommation (galeries commerciales, hypermarchés, magasins de détail, sites Internet,

restaurants, parcs d’attraction) et des travaux qui s’attachent à comprendre les expériences de

consommation, de possession et d’utilisation des produits (produits de loisirs tels les films, les

émissions télévisées, les jeux vidéo, mais aussi l’habillement et la mode, l’alimentation, et des

produits aussi divers que les véhicules, les jouets, les cosmétiques, les fournitures

domestiques, les timbres de collection, et même les animaux de compagnies).

Page 43: La sémiotique : fondements, outils et conseils d’utilisationpetr.tnit.fr/PETR%20SemioP%E9dago2007.pdf · 2007-12-09 · Greimas dans le cadre du Groupe de Recherches Sémiolinguistiques

20

Grâce aux évolutions constantes de ses outils et de ses perspectives théoriques, telles le

passage des positions à des points relatifs sur des différentiels tensifs et graduels et

l’acceptation du caractère dynamique des phénomènes, les champs d’applications de la

sémiotique ne sont étendus et répondent toujours mieux aux besoins des marketers. Ainsi, en

vertu du pluralisme épistémologique (Feyerabend, 1979), allant plus loin que Marion (2003)

qui déclare que « le carré sémiotique, utilisé comme un moyen et non une fin, est un

instrument heuristique qui mérite largement de faire partie de l’arsenal méthodologique », il

nous semble que c’est l’ensemble de la méthode et de ses outils qui mérite de faire partie de la

boite à outils du chercheur en marketing.

Pour autant, il ne s’agit pas d’être des fanatiques de la méthode. A l’instar de toute démarche

méthodologique, si la sémiotique présente des qualités, elle a aussi des déficiences. En

rappelant ici les unes comme les autres, il s’agit de permettre au lecteur d’envisager le choix

de la sémiotique, ou son renoncement, sur la base d’une évaluation raisonnée.

Selon Hirschman (1988), les qualités générales de la sémiotique sont au nombre de cinq.

Particulièrement valable dans le cadre de l'étude des consommations symboliques, elle offre

premièrement un niveau sociologique d'analyse dans la mesure où les signes et symboles

requièrent un accord et un consensus sur leur sens pour qu’ils puissent être utilisés dans la vie

sociale. Deuxièmement, elle dirige l’attention du chercheur à la fois sur la production et sur la

consommation de symboles rebondissant ainsi sur le paradigme du consommateur producteur

de sens. Troisièmement, elle suggère de s’intéresser à la rhétorique des signes et à ce qui

contrôle leurs sens au cours du temps, introduisant par là même l’idée du macro contexte et de

sa variabilité. Quatrièmement, elle encourage un degré de rétrospective et d'ouverture d'esprit

à propos des théories et méthodes dominantes auxquels nous sommes habitués. Dès lors, elle

permet d'identifier les éventuelles ornières conceptuelles et prône l’usage de modes multiples

de recherche. Enfin, cinquièmement, comme nous sommes à la fois chercheurs et

Page 44: La sémiotique : fondements, outils et conseils d’utilisationpetr.tnit.fr/PETR%20SemioP%E9dago2007.pdf · 2007-12-09 · Greimas dans le cadre du Groupe de Recherches Sémiolinguistiques

21

consommateurs des signes de notre temps, la sémiotique peut faire de nous de meilleurs

communicateurs avec nos sujets et à propos de nos résultats.

D’un point de vue pragmatique, nous pouvons ajouter le fait que la sémiotique offre des outils

particulièrement adaptés aux besoins du marketer dans sa compréhension du consommateur et

des marchés. Les divers outils qui ont été présentés dans cet article sont des aides à la lecture

fort utiles pour rendre intelligibles les phénomènes sociaux et de consommation complexes

qui sont régulièrement interpellés par le marketing. Ces outils peuvent être utilisés comme des

instruments de connaissance et de compréhension des comportements et pensées des

consommateurs, mais aussi comme des instruments d’analyse des faits de la concurrence.

Ainsi, Ceriani (2003) montre à travers des exemples que la sémiotique peut être utile pour

l’entreprise qui souhaite évaluer et corriger ses actions marketing envisagées alors comme des

effets de sens dont l’image coordonnée doit être cohérente. Selon cette auteur, la sémiotique

permet aussi de lire le projet marketing des concurrents à partir des indices du mix qui sont

manifestés.

Mais, nous l’avons vu, la sémiotique peut aussi remplir une mission plus proche du quotidien

du manager lorsque son modèle logico-sémantique ainsi que les schémas canoniques que les

sémioticiens ont découverts, sont utilisés comme des outils d’aides à l’action marketing. On

parle alors de sémiotique générative. Au niveau stratégique, elle permet entre autres d’évaluer

et de guider des positionnements. Au niveau opérationnel, elle intéresse surtout la

communication et la publicité en participant à la création de messages dont les structures

narratives, discursives et tensives, vont effectivement produire les significations voulues.

En ce qui concerne les déficiences de la méthode sémiotique pour le marketing, Pasquier

(1999) les liste comme suit. Il estime en premier lieu qu’il se pose des problèmes liés aux

différentes orientations épistémologiques du marketing, plutôt positiviste, et de la sémiotique,

plutôt constructiviste. En second lieu, les déficiences de la sémiotique viennent de la méthode

Page 45: La sémiotique : fondements, outils et conseils d’utilisationpetr.tnit.fr/PETR%20SemioP%E9dago2007.pdf · 2007-12-09 · Greimas dans le cadre du Groupe de Recherches Sémiolinguistiques

22

elle-même et de ses dérives : ésotérisme et jargonnage à vocation protectionniste,

réductionnisme excessif de la période structurale, oubli du potentiel explicatif du contexte et

macro contexte.

De notre point de vue, les défauts majeurs de la sémiotique font écho à ceux évoqués à

l’instant sans les recouvrir tout à fait. Ainsi, concernant les différences de point de vue

épistémologiques, il nous semble que la difficulté principale tient surtout à leur mise en

relation. Mick et al. (2004) ont relevé que les travaux en sémiotique sont aussi bien qualitatifs

que quantitatifs. Dès lors, le problème n’est pas forcément dans le cadre épistémologique mais

certainement dans le cadre méthodologique. C’est la mise en œuvre, l’utilisation et

l’opérationnalisation des résultats des interprétations sémiotiques qualitatives, dans d’autres

cadres méthodologiques qui est difficile. Difficile mais non impossible (Petr, 2001). Sachant

que les orientations épistémologiques sont incommensurables, quatre conseils de base seraient

à donner au chercheur pragmatique : 1) d’utiliser, pour chacun des développements

méthodologiques, les critères d’évaluation adéquat ; 2) d’accepter de plus les démarches de

validations croisées entre méthodes tels que l’ont fait Chandon et Dano (1997) ou Pasquier

(1999) ; 3) d’admettre que les résultats obtenus ne sont que « virtuels », à la fois tant qu’ils ne

seront pas revérifiés par d’autres études et parce que le chercheur saisit des logiques de

consommation et de discours, des investissements de sens possibles, et non pas

immédiatement des segments de consommateurs ; 4) et enfin, de fournir aux lecteurs de ses

travaux les moyens de les reproduire par un relevé précis de son raisonnement et de sa

démarche.

Concernant les déviances de la méthode sémiotique elle-même, il nous semble que c’est

plutôt son utilisation mécaniste qui est dangereuse. A ce sujet, il semble important d’aborder

les espoirs, quelque peu revus à la baisse, d’universalité des schémas analytique produits par

les sémioticiens. Par exemple, si l’application des schémas canoniques est une aide précieuse

Page 46: La sémiotique : fondements, outils et conseils d’utilisationpetr.tnit.fr/PETR%20SemioP%E9dago2007.pdf · 2007-12-09 · Greimas dans le cadre du Groupe de Recherches Sémiolinguistiques

23

pour lire un phénomène, il faut aussi prendre le temps d’évaluer la pertinence des dits

schémas dans le contexte culturel du phénomène qui est à étudier. Ainsi, le schéma de la

quête, établi dans un certain contexte culturel dominant (société indo-européenne, années

1960-70, dominance masculine18), n’est plus forcément le seul valide pour étudier les

phénomènes de la société actuelle et plurielle, ni forcément celui qui convient pour lire les

discours de toutes les sociétés. Par cette remarque, il n’est pas question de tomber dans le

relativisme absolu. Les outils de la sémiotique, comme le carré sémiotique ou l’analyse des

niveaux d’appréhension, transcendent les variances interculturelles. En revanche, n’oublions

pas que les objets sur lesquels travaillent les sémioticiens sont des « objets culturels

construits » (Hetzel et Marion, 1993). N’oublions pas non plus qu’une modélisation gagne en

universalité si elle perd en précision, et inversement.

BIBLIOGRAPHIE

Arrivé M., Coquet J-Cl. (1987), La sémiotique en jeu, à partir et autour de l'oeuvre d'A.J.

Greimas, , Paris – Amsterdam, Hadès-Benjamins.

Barthes R. (1985), L'aventure sémiologique, Paris, Seuil.

Baudrillard J. (1968), Le système des objets, Paris, Gallimard.

Bonnin G. (1999), L’acte de magasinage : description et interprétation des pratiques spatiales

des individus en rayon, Actes du 15ième Congrès International de l’Association Française de

Marketing, Strasbourg, 117-136.

Bonnin G. (1999), L’acte de magasinage : description et interprétation des pratiques spatiales

des individus en rayon, Actes du 15ième Congrès International de l’Association Française de

Marketing, Strasbourg, 117-136.

Ceriani G. (2003), Marketing moving : l’approche sémiotique, Paris, L’Harmattan.

Page 47: La sémiotique : fondements, outils et conseils d’utilisationpetr.tnit.fr/PETR%20SemioP%E9dago2007.pdf · 2007-12-09 · Greimas dans le cadre du Groupe de Recherches Sémiolinguistiques

24

Chandon J.-L. et Dano F. (1997), Analyses typologiques confirmatoires. Evaluation d'une

partition hypothétique issue d'une étude sémiotique, Recherche et Applications en Marketing,

12, 2, 1-22.

Dano F. (1998), Contribution de la sémiotique à la conception des conditionnements :

application à deux catégories de produits, Recherche et Applications en Marketing, 13, 2, 9-

30.

Darpy, D. (2000), Importance de la procrastination dans le processus d’achat : Approche

sémiotique et mesure, Actes du 16ième Congrès International de l’Association Française de

Marketing, éds. J.-C. Chébat et F. Colbert, Montréal.

De Certeau M. (1990), L’invention du quotidien. Arts de faire (I), Paris, Gallimard.

Feyrerabend P. (1979), Contre la méthode, Paris, Seuil.

Floch, J. (1989). La contribution d'une sémiotique structurale à la conception d'un

hypermarché. Recherche et Applications en Marketing, 4, 2, 37-59.

Floch, J. (1990). Sémiotique, marketing et communication. Sous les signes, les stratégies,

Paris, PUF.

Fontanille J. (2003), Sémiotique du discours, 2nde édition intégralement refondue [1998],

Limoges, PULIM.

Gallopel K. (2002), Peur et persuasion, une étude empirique dans un contexte français de lutte

contre le tabac, Actes du 18ième Congrès International de l’Association Française de

Marketing, éd. C. Benavent, Lille, 351-374

Greimas A. (1966), Sémantique structurale, Larousse, Paris.

Heilbrunn B. (1998), My brand the Hero ? : a semiotic analysis of the Consumer-Brand

Relationship, European Perspectives on Consumer Behaviour, éds. M Lambkin et al., Hemel

Hempstead, Prentice Hall.

Helbo A. (1983), Sémiologie des messages sociaux, Presse de l’Université, Lyon.

Page 48: La sémiotique : fondements, outils et conseils d’utilisationpetr.tnit.fr/PETR%20SemioP%E9dago2007.pdf · 2007-12-09 · Greimas dans le cadre du Groupe de Recherches Sémiolinguistiques

25

Hetzel P. (2002), Planète conso : marketing expérientiel et nouveaux univers de

consommation, Paris, D’organisation,.

Hetzel P. et Heilbrunn B. (2003), La pensée bricoleuse ou le bonheur des signes, ce que le

marketing doit à Jean-Marie Floch, Décisions Marketing, 29, 19-23.

Hetzel P. et Marion G. (1993), Les contributions françaises de la sémiotique au marketing et à

la publicité, Gestion 2000, 9, 3, 117-154.

Hirschman E. C. (1986), Humanistic inquiry in marketing research, Journal of Marketing

Research, 23, 2, 237-249.

Hirschman E.C. (1988), The ideology of consumption : A structural syntactical analysis of

"Dallas" and "Dynasty", Journal of Consumer Research, vol. 15, p. 344-359.

Hirschman E.C., M.B. Holbrook (1992), Postmodern consumer research: the study of

consumption as text, Newbury Park, Sage Publications.

Hjelmslev L. (1968), Prolégomènes à une théorie du langage, Paris, Minuit.

Holt D.B. (1995), How consumers consume : a typology of consumption practices, Journal of

Consumer Research, 22, 3, 1-16.

Holt D.B (1997), Poststructuralist lifestyle analysis : conceptualizing the social patterning of

consumption in postmodernity, Journal of Consumer Research, 23, 1, 326-350.

Kehret-Ward T. (1987), Combining products in use : How the syntax of product use affects

product design and promotion, New Directions In The Study Of Signs For Sale : Marketing

And Semiotics, Berlin, Mouton De Gruyter, 219-238.

Levi-Strauss C. (1978), The Origins of Table Manners : Introduction to a Science of

Mythology, New York. Marper et Row,

Levy S. (1959), Symbols for sale, Harvard Business Review, 37, 3, 117-124.

Levy S.J. (1981), Interpreting consumer mythology : a structural approach to consumer

behavior, Journal of Marketing, 45, 49-61.

Page 49: La sémiotique : fondements, outils et conseils d’utilisationpetr.tnit.fr/PETR%20SemioP%E9dago2007.pdf · 2007-12-09 · Greimas dans le cadre du Groupe de Recherches Sémiolinguistiques

26

Lombart C. (2001), Fréquentation de magasins et de non achat : le cas du butinage, Actes du

17ième Congrès International de l’Association Française de Marketing, éd. J. Brée,

Deauville.

Mac Cracken G. (1986), Culture and Consumption : a theoretical account of the structure and

movement of the cultural meaning of consumer goods, Journal of Consumer Research, 3, 71-

83.

Marion G. (2003), Apparence et identité : une approche sémiotique du discours des

adolescentes à propos de leur expérience de la mode, Recherche et Applications en Marketing,

18,2, 1-29.

Marion G., Hetzel P. (1993), Les contributions françaises de la sémiotique au marketing et à

la publicité, Gestion 2000, 3, juin, 117-154.

Marti C. (2003), Des histoires… à la gestion des connaissances, Cahier de Recherche du

CREGO, n°14, sept-dec, Université de Montpellier 2, 1-10

McCracken G. (2005), Culture and consumption II : market, meanings and brand

management, Bloomington and Indianapolis, Indiana University Press.

Mick D.G., Burroughs J.E., Hetzel P, et Brannen M.Y. (2004), Pursuing the meaning of

meaning in the commercial world : An international review of marketing and consumer

research founded on semiotics, Semiotica, 152-1, 4, 1-74.

Mick D. G (1986), Consumer research and semiotics : Exploring the morphology of signs,

symbols and signifiance, Journal Of Consumer Research, 13, 196-213.

Morris C. (1946), Sign, Language and Behavior, New-York, Prentice-Hall.

Pasquier M. (1999), Marketing et sémiotique : une approche interdisciplinaire, Fribourg,

Suisse, Editions Universitaires.

Page 50: La sémiotique : fondements, outils et conseils d’utilisationpetr.tnit.fr/PETR%20SemioP%E9dago2007.pdf · 2007-12-09 · Greimas dans le cadre du Groupe de Recherches Sémiolinguistiques

27

Petr C. (1997), Le marketing du patrimoine : à contexte particulier, méthodologie particulière,

Revue Public & Musées, Double Numéro Spécial "Marketing & Musées", Jan-Juin et Juillet-

Décembre, 67-102.

Petr C. (1998), Le phénomène de fréquentation touristique du patrimoine en vue de sa

gestion: le cas des sites mégalithiques du Morbihan, Thèse de Doctorat en Sciences de

Gestion, CREM, Université de Rennes 1.

Petr C. (2001), Concilier qualitatif et quantitatif : Détails et analyse critique du passage entre

exploration sémiotique et enquêtes par questionnaire, Actes du 17ième Congrès de l’Association

Française de Marketing, éd. J. Brée, Deauville.

Pierce C.S. (1978), Ecrits sur le signe, rassemblés, traduits et commentés par G. Deledalle,

Paris , Seuil.

Pinson C. (1988), Introduction to the Double Special Issue on Semiotics and Marketing

Communication Research, International Journal of Research in Marketing, 4, 3, 167-172.

Propp V. (1970), Morphologie du conte, Paris, Seuil.

Jakobson R. (1966), Essais de linguistique générale, Paris, Minuit.

Belk R. W., Bahn K.D. et Mayer R.N. (1982), Developmental recognition of consumption

symbolism, Journal of Consumer Research, 9, 9-17.

Saussure F, De, ([1916] 1990), Cours de linguistique générale, Paris, payot.

Semprini A. (1992), Le marketing de la marque, Paris, Liaison.

Seung T.K. (1982), Structuralism and hermeneutical understanding, New-York, University

Press.

Solomon M.R. (1983), The role of products as social stimuli : A symbolic interactionism

perspective, Journal of Consumer Research, 10, 319-329

Stern B. (1993), Feminist literary criticism and the deconstruction of ads : a postmodern view

of advertising and consumer responses, Journal of Consumer Research, 19, 1, 556-566.

Page 51: La sémiotique : fondements, outils et conseils d’utilisationpetr.tnit.fr/PETR%20SemioP%E9dago2007.pdf · 2007-12-09 · Greimas dans le cadre du Groupe de Recherches Sémiolinguistiques

28

Storey J. (1999), Cultural consumption and everyday life, Cultural Studies in Practice, éds. J.

Storey and G. Turner, Arnold publisher, Oxford University Press, New-York.

Thompson C. J. (1997), Interpreting consumers: A hermeneutical framework for deriving

marketing insights from the texts... , Journal of Marketing Research, 34, 4 , 438-456.

Tissier-Desbordes E. (1998), Les études qualitatives dans un monde postmoderne, Revue

Française de Marketing, 168-169, 3-4, 39-49.

Valette-Florence P. (1998), Apport des analyses hiérarchiques multiniveaux et des modèles de

mélange aux techniques de modélisation selon les équations structurelles : vers une troisième

génération d’analyse multivariée, Actes du 14ième Congrès International de l’Association

Française du Marketing, Bordeaux, .

Veron E. (1985), L’analyse du contrat de lecture : une nouvelle méthode pour l’analyse des

positionnements des supports de presse, Les cahiers de l’IREP, Les médias : Expériences,

recherches actuelles, applications, Paris, 203-229.

Wallendorf M. et R. W. Belk (1989), Assessing Trustworthiness in Naturalistic Consumer

Research, Interpretive Consumer Research, éd. E. C. Hirschman, Association of Consumer

Research, Provo, Utha, 69-84.

Page 52: La sémiotique : fondements, outils et conseils d’utilisationpetr.tnit.fr/PETR%20SemioP%E9dago2007.pdf · 2007-12-09 · Greimas dans le cadre du Groupe de Recherches Sémiolinguistiques

29

Annexe 1- Exemples d’icônes et logotypes publicitaires animaliers

L’animal

Visuel publicitaire de la marque Descriptif � Connotations

Tigre

(Kellogg’s)

Personnage - Format : image de dessin animé � Puissance

� Force Expression courante : « Mettre un tigre dans… » � Effet catalyseur d’énergie

Ecureuil

Logotype & Personnage - Format : image 3 Dimensions

� Epargne

� Prévoyance

Renard

Logotype

� Astuce

� Ruse

� Débrouillardise

Page 53: La sémiotique : fondements, outils et conseils d’utilisationpetr.tnit.fr/PETR%20SemioP%E9dago2007.pdf · 2007-12-09 · Greimas dans le cadre du Groupe de Recherches Sémiolinguistiques

30

i « Les chercheurs en comportement du consommateur ont depuis longtemps reconnu la nature symbolique de la consommation et l'importance de l'étude des sens implicites et explicites attribués par le consommateur aux divers signes linguistiques et non-linguistiques disponibles sur la place du marché. Une fois que l'on sait que le monde du consommateur est perfusé de signes et que tout acte de communication présuppose l'existence d'un système de la signification, la sémiotique apparaît comme un paradigme de recherche naturel et évident pour l'étude des communications mercatiques. » (traduction libre, Pinson, 1988). ii Belk, Bahn et Mayer, 1982 ; De Certeau, 1990 ; Hetzel, 2002 ; Hirschman, 1988 ; Hirschman et Holbrook, 1992 ; Holt, 1995, 1997 ; Kehret-Ward, 1987 ; Lévi-Strauss, 1978 ; Levy, 1959, 1981 ; MacCracken, 1986, 2005 ; Marion, 2003 ; Solomon, 1983 ; Thompson, 1997, etc. Cette liste n’est qu’indicative. Nombreux sont les auteurs qui s’inscrivent dans cette perspective de la « consommation symbolique » ou « productive » (De Certeau, 1990) dans la mesure où, via la consommation, il y a à la fois consommation et production de sens. iii Le mouvement structuraliste commun à l’ensemble des sciences du langage a apporté à la sémiotique des outils méthodologiques formalisés dont le plus emblématique est le carré sémiotique. iv Le lecteur intéressé pourra se référer à Hetzel et Marion (1993). v Un signe est « quelque chose (representamen) qui tient lieu pour quelqu’un (interprétant) de quelque chose (objet) sous quelque rapport et à quelque titre (fondement) ». vi En 1957, Roland Barthes analyse le sens de récits commerciaux et de faits et d’objets de consommation selon une approche sémiologique. A travers 52 textes, il présente des interprétations brillantes mais dont la subjectivité et l’ancrage parfois idéologique, prêtent le flanc à la critique. Aussi, aujourd'hui, le terme sémiologie reste utilisé quand il est question d’analyses centrées sur l’interprétation des connotations de termes individuels et des figures de rhétoriques sans prendre en compte la notion de texte. A l’inverse, possédant outre une consonance anglo-saxonne qui favorise la diffusion internationale, le terme sémiotique possède et suggère une attention aux rapports de sens et à la dynamique de production du sens du texte pris dans sa totalité organique (Ceriani, 2003). vii La sémiotique n’a donc pas d’objet d’étude propre, elle emprunte celui des autres disciplines ce qui explique la constante expansion des champs d’application (Pasquier, 1999). viii « Dans une lettre à Lady Welby, Pierce se félicité de pouvoir réduire ( !) les 59 049 classes de signes arithmétiquement calculables à 66 classes réellement pertinentes » (Fontanille, 2003 :26). ix Les valeurs vues comme des positions relatives, des différences de positions au sein du système axiologique. x A propos des contrats de lecture spécifique aux médias utilisés, se reporter à Veron, 1985. 11 Surtout s’il s’agit du chercheur porteur du projet d’étude. 12 Les puristes diront avec raison qu’il est préférable de parler des critères alternatifs de crédibilité, de transférabilité, de confiance et de confirmabilité (Hirschman, 1986) et d’intégrité (Wallendorf et Belk, 1989). 13 Sans oublier, dans l’idéal, un retour auprès des sujets qui ont participé à l’étude. 14 Une fonction est « l’action d’un personnage définie du point de vue de sa signification dans le déroulement de l’intrigue » (Propp, 1970 : 31). 15 La pensée narrative implique des règles de connectivité et d’enchaînement des évènements (Ricoeur, 1981). Cet ordre des événements, l’intrigue, différencie la narration des autres données. Pour autant, la continuité du récit narratif n’est pas nécessairement le même que l’ordre d’apparition des évènements car « le narré apparaît comme une abstraction renvoyant non pas au réel mais à une représentation qui en constitue une reconstruction » (Fayol, 1985). 16 Programme de recherche du CERES : Centre de Recherche Sémiotique, FRE CNRS 2208, Université de Limoges 17 Pasquier (1999: 215) rappelle que Greimas ou Courtès, deux éminents chercheurs en sémiotique, étaient les premiers à considérer que « les modèles sémiotiques doivent être adaptés au matériel étudié et qu’une application mécanique de ceux-ci dessert plus la sémiotique qu’elle ne la sert ». 18 Voir en particulier les suggestions de Stern (1993) pour une introduction plus systématique de schémas de lecture empreint de féminité.