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UNIVERSITE PAUL CEZANE -AIX MARSEILLE III INSTITUT D’ETUDES POLITIQUES MÉMOIRE LA STRATEGIE DE LA TENSION ITALIENNE. LA STRATEGIE DE L’ATTENTION FRANCAISE ? Par M. Guillaume Origoni Mémoire réalisé sous la direction de M. Pierre Langeron. Aix en Provence. Année 2011.

La Stratégie de la tension italienne. La Stratégie de la tension française ?

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L'italie occupera au lendemain du second conflit mondial une place particulière au sein du bloc occidental. Ce particularisme plongera la péninsule dans une spirale de violence politique de matrice "noire" puis "rouge". De la stratégie de la tension aux années de plomb, la violence politique subie par les italiens est-elle uniquement endogène ?

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UNIVERSITE PAUL CEZANE -AIX MARSEILLE IIIINSTITUT D’ETUDES POLITIQUES

MÉMOIRE

LA STRATEGIE DE LA TENSION ITALIENNE.LA STRATEGIE DE L’ATTENTION FRANCAISE ?

Par M. Guillaume OrigoniMémoire réalisé sous la direction de M. Pierre Langeron.

Aix en Provence. Année 2011.

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« Il faut tourner la page, nous dit-on ! Mais avant de la tourner, il faut la lire ».

Predrag Matvejevic.

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SOMMAIRE.

1. La stratégie de la tension : déstabiliser pour stabiliser

……………………………………….. 2

1.1 Un ordre mondial dicté par les vainqueurs de la seconde guerre mondiale…………………. 2 1.2 1947 : Une année charnière dans l’application de la politique du containment en Italie. 4 1.3 Milan 12 décembre 1969 : L’Attentat de Piazza Fontana, premier acte de la stratégie de la

tension……………………………………………………………………………………………………………………………. 6 1.4 Le Congrès de l’institut Pollio : l’action politique du « club » anti-communiste italien et son

soutien par les structures américaines…………………………………………………………………………….. 8 1.5 La stratégie de la tension : l’application d’une doctrine française par l’Otan sur le territoire

Italien……………………………………………………………………………………………………………………………….. 10 1.6 Yves Guerin Serac et l’Aginter Press : un français dans une officine de l’internationale Noire……………………………………………………………………………………………………………………………………….. 14

2. De la stratégie de la tension aux années de plomb : émergence et instrumentalisation hypothétique du terrorisme d’extrême gauche

………………………………………………….……… 17

2.1 1974 – 1978 : De Brescia à Rome. L’émergence des années de plomb…………………………….. 17 2.2 Naissance des Brigades Rouges : par qui, pour répondre à quoi ? ……………………………………. 20 2.3 Les Brigades Rouges et la figure ambigüe de Mario Moretti………………………………………….. 23

2.4 L’école de langue Hyperion : une chambre de compensation des services secrets internationaux

à Paris ?.............................................................................................................................. 25

2.5 Le rôle de la France : une façade humaniste au service d’intérêts nationaux ?................ 27

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“ Un attentat n’a d’intérêt que pour ceux qui peuvent guider l’utilisation qui en sera faite après. Comprenez par après : une fois que les anonymes frappés par cette violence se tournent vers l’Etat et ses services de sécurité pour demander protection ! Or, qui peut organiser la maîtrise de tels événements par le biais de ses institutions ? L’Etat et seulement l’Etat, car il est le seul en mesure de guider les enquêtes où il le désire en utilisant habilement ses services de sécurité. Je ne dis pas que les attentats et les actions violentes sont le fait de l’Etat, mais il est seul à pouvoir en tirer un bienfait politique”. Cet extrait d’interview, tiré du documentaire “Gladio” réalisé par Allan Francovich pour la BBC en 1992, relate partiellement l’analyse de Vincenzo Vinciguerra sur la stratégie de la tension. Les violences auxquelles cet activiste d’extrême droite fait référence sont celles qui ont émaillé l’Italie entre 1947 et 1990. Il serait vraisemblablement difficile d’expliquer ce déferlement en isolant ces actes les uns des autres. Ils répondent à une logique qui leur est propre, à une stratégie mise en place dans le cadre des accords passés entre Est et Ouest au sortir du second conflit mondial. Cette stratégie dite “ de la tension ” a pour but de maintenir un équilibre politique duquel les Partis Communistes Occidentaux sont de fait exclus. Cet équilibre repose cependant sur un déséquilibre social et politique pérenne alimenté par la violence. L’ombre des réseaux OTAN plane sur les victimes de la stratégie de la tension : les 17 morts et 80 blessés de l’attentat de Piazza Fontana à Milan le 12 décembre 1969 ou encore les 80 corps retrouvés sous les décombres de la gare de Bologne le 2 août 1980.La liste est longue. Très longue. Trop longue. L’histoire officielle relate les conflits ouverts, ceux qui ont un front, des armées et une stratégie lisible. Les guerres de l’ombre ont la particularité de ne pas être racontées. Il est donc nécessaire d’opérer une recherche à contre-courant pour établir une parcelle de vérité : ce n’est pas l’Histoire qui vient à vous, mais véritablement vous qui allez à sa rencontre. Si la stratégie de la tension italienne était un roman, les critiques fuseraient sur les invraisemblances, les incohérences et l’imagination débordante de l’auteur. On y croise effectivement tous les ingrédients d’un “ thriller ” : CIA, francs-maçons, agents doubles, mafia, réseaux secrets, mais aussi, François Mitterrand, Aldo Moro, Lucky Luciano et l’Abbé Pierre…. Il n’en demeure pas moins que les victimes sont réelles et, pour la plupart d’entre elles, innocentes. A quel dessein stratégique devaient répondre les morts de la stratégie de la tension ? Des premiers attentats en Sicile dès 1947, aux révélations des “ stay behind ” européens par Giulio Andreotti en 1990, l’Italie traversera trois décennies de son Histoire avec le spectre d’un Parti Communiste puissant et une Démocratie Chrétienne ayant peut être soufflé sur le feu de la stratégie de la tension en utilisant les courants extraparlementaires violents pour asseoir son hégémonie et répondre à la logique géostratégique américaine. Lorsque les attentats aveugles cesseront, la violence politique verra sa continuité dans les “ années de plomb ” portée par les campagnes terroristes des Brigades Rouges.

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Au travers des épisodes les plus significatifs de son Histoire, l’approche proposée dans ce mémoire est volontairement “ journalistique ”. Elle prend la forme d’une enquête mêlant références bibliographiques, universitaires, mais aussi le résultat des recherches que j’ai moi-même menées avec des moyens réduits et mes propres sources. La seconde partie de ce travail tente d’établir les liens hypothétiques qui relient la France aux violences exercées en Italie pendant la stratégie de la tension et son extension dans les années de plomb. Car ce lien existe ou tout du moins existait. Mais pour l’instant, ceux qui savent ne parlent pas et ceux qui parlent ne savent pas.

1.

La stratégie de la tension : déstabiliser pour stabiliser.

1.1. Un ordre mondial dicté par les vainqueurs de la seconde guerre mondiale.

La diplomatie de guerre menée par Churchill, Roosevelt et Staline verra sa concrétisation par les accords de Yalta en Février 1945. Les vainqueurs du second conflit mondial divisèrent le monde en zones d’influences. Ces accords semblèrent satisfaisants, mais la faiblesse, de Yalta a été de croire que l’on pouvait résoudre “ sur le papier ” les dissensions idéologiques entre Est et Ouest. La conférence de Postdam en Juillet 1945 mettra fin à l’idée que la grande alliance sera gage de paix. Les crises diplomatiques qui succèdent à la victoire des alliés, conduiront à l’apparition d’un ordre mondial bipolaire : les pays adhérents au Traité d’Organisation de l’Atlantique Nord (OTAN) font face au glacis de protection que l’URSS a mis en place et regroupé au sein du Pacte de Varsovie. Churchill dans son discours de Fulton décrira avec force le nouveau dessein de l’Europe : "De Stettin sur la Baltique à Trieste sur l'Adriatique, un rideau de fer s'est abattu à travers le continent". Dés lors, la politique du containment issue de la doctrine Truman s’opposera à la doctrine Jdanov du bloc soviétique. Il semble important de noter, que l’une des deux extrémités du rideau de fer est localisée par Churchill en Italie, plus précisément à Trieste, ville frontière avec l’ex Yougoslavie Titiste. Le danger représenté par cette menace n’a toutefois pas vu son émergence à partir de 1947. Dès 1943, l’opération Husky, nom de code donné au débarquement et à la campagne de Sicile menée par les troupes alliées, fut préparée méthodiquement par l’Etat Major Américain et par l’Office Strategic Services (OSS), ancêtre de la CIA, dont James Jesus Angleton était l’officier pour Italie.

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Stratégiquement, cette manœuvre a eu pour but de prendre pied en méditerranée obligeant ainsi les forces de l’Axe à affecter des ressources dans cette zone au détriment du front de l’Est. Conscients de leur méconnaissance du terrain, les Etats Unis d’Amérique, firent des réseaux mafieux de l’île un soutien logistique et une source de renseignements. Le marché conclu entre le gouvernement des USA et Lucky Luciano restera dans l’histoire avec l’image d’un pacte faustien. Les maquis italiens étaient, pour la plupart d’entre eux, composés de partisans communistes mais également de partisans “ blancs ” (partigiani bianchi) issus du catholicisme social dont le courant politique donnera naissance à la démocratie chrétienne d’Alcide de Gasperi dès 1945. Pour James Jesus Angleton, la collaboration avec la Mafia sicilienne permit d’établir un échange de services qui se prolongera après la guerre. Le Desk italien de l’OSS prendra le surnom, y compris au sein même du service, de “ circolo della mafia ”, le cercle de la mafia. Peter Tompkins ou Joseph Russo, agents d’Angleton, déclareront que les amitiés criminelles de Salvatore Lucania, véritable nom de Lucky Luciano, les avaient mis en contact avec les membres de la Mafia pour en faire ainsi des partenaires. Michele Pantaleone1 décrira un épisode éloquent de cette collusion : un officier américain designera Don Calogero Vizzini aux habitants du village sicilien de Villalba avec les mots suivants “ Questo essere vostro capo ! ”, littéralement “ Celui-ci être votre chef ”. Don Calogero Vizzini, qui fut considéré comme le chef de Cosa Nostra2

Dès que le débarquement sicilien sera effectif, les hommes d’Angleton ouvriront les cellules des chefs mafieux. les postes clés de l’administration et du pouvoir politique de l’île leur seront confiés.

en Sicile jusqu’à sa mort en 1954, sera “ élu ” maire de cette façon.

Afin d’asseoir son hégémonie en Italie, les USA, par le biais de l’OSS, exfiltreront également vers les camps d’entrainement américains certains officiers de la Decima flotiglia Mas (X MAS), dont le commandant en chef de cette troupe d’élite de l’armée mussolinienne : Junio Valerio Borghese, surnommé le “ Prince Noir ”. Emprisonné lors du renversement du Duce, il sera sorti de prison, revêtu d’un uniforme de la navy américaine et transporté en Jeep à l’abri et sous protection de l’armée des Etats Unis. Borghese et ses hommes seront formés dès la fin de la guerre dans les camps d’entrainement américains. Formés pour quoi et entrainés par qui ? Quels sont les points de convergences existant entre les réseaux de Cosa Nostra et l’unité d’élite fasciste ?

1 Ecrivain, journaliste et homme politique italien. Né à Villalba en 1911 et mort en 2002. Il participera activement aux mouvements protestataires paysans en Sicile. La majeure partie de son travail d’écrivain et de journaliste fera de Michele Pantaleone un spécialiste reconnu de la Mafia. 2 Il est courant de confondre les termes de mafia et Cosa Nostra. La Cosa Nostra désigne la mafia sicilienne qu’il convient de distinguer de la Camora napolitaine, de l’Ndrangheta calabraise et de la Sacra Corona Unita des Pouilles. Etant chronologiquement la première à s’être institutionnalisée, la Cosa Nostra est génériquement appelée mafia, alors que ce mot désigne plus un système qu’une organisation.

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Stratégiquement, nous pouvons voir se dessiner sur le territoire italien une mise en place opérationnelle de la politique du containment. Le rôle des communistes dans la résistance au fascisme, leur confère un prestige et une légitimité dans la plupart des pays d’Europe. En Italie, ce prestige prend dès 1945 la forme d’une organisation et d’une structuration politique. Les coopératives agricoles se forment, la remise en cause des propriétés latifundiaires s’incarne au travers des syndicats paysans. Les premières élections locales post conflit, laisseront entrevoir en Sicile le poids prédominant du Parti Communiste Italien et des gauches révolutionnaires en général. Les postes administratifs étant tenus par les dignitaires mafieux, les élections peuvent être orientées en fonction des intérêts anti- communistes locaux, nationaux et internationaux. Les USA mais également la Démocratie Chrétienne (DC) naissante, craignent la contagion. La façade démocratique alors assurée par les élections locales dirigées par les hommes de Cosa Nostra, la lutte clandestine anti-communiste sera prise en charge dès 1947 par les officiers de la X MAS de Junio Valerio Borghese, puis, plus tard par ses émules.

1.2. 1947 : Une année charnière dans l’application de la politique du containment en Italie. L’expérience de la deuxième guerre mondiale conduira l’OSS au constat suivant : l’avancée des armées Hitlériennes a été certes fulgurante, mais les actions de résistances ont souvent perturbé le déroulement des opérations de la Werhmart ou de la SS. L’idée corollaire à ce constat est de préparer des réseaux similaires à ceux qui ont lutté contre les armées du Reich en cas d’invasion par les troupes des pays du Pacte de Varsovie. Si les armées régulières échouent, ces réseaux organisés auront pour but de saboter l’avancée ennemie. Ces réseaux baptisés “ stay behind ” auront, grâce à cette organisation préalable, la possibilité d’opérer derrière les lignes ennemies en totale autonomie et dans la clandestinité. Le secret le plus absolu sur ces armées secrètes en Europe dont le commandement central sera assuré par l’OTAN, sera gardé jusqu’à la communication publique de Giulio Andreotti3

Le résultat escompté par la mise sur pied d’une telle organisation est la lutte contre l’ennemi extérieur : les pays communistes. L’Italie occupe une place géostratégique particulière et la référence à Trieste faites par Churchill, illustre la double inquiétude

(annexe 1) en 1990 qui laissera les gouvernements européens dans une stupéfaction totale.

3 Giulio Andreotti, aujourd’hui sénateur à vie, fut l’homme politique le plus influent et plus important de la vie politique italienne entre 1970 et 1990. Démocrate Chrétien convaincu, il fut très proche d’Alcide de Gasperi. Les scandales de 1992 et 1993 l’éloigneront des cercles du pouvoir. Il fut condamné pour association mafieuse en 1993 mais, aucune peine ne pourra lui être infligée grâce à la prescription. Le rôle qu’il joua dans l’Italie de la stratégie de la tension et dans la gestion du rapt d’ “ Aldo Moro ” fait de lui un des personnages les plus énigmatique de l’histoire politique italienne. Il fut : 7 fois président du conseil, membre de l’assemblée constituante de 1948, 8 fois ministre de la défense, 5 fois ministre des affaires étrangères, et il eut encore 12 fois la charge d’autres ministères.

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des alliés, puisque l’influence du Parti Communiste Italien (PCI) porte déjà les ferments d’une demande de changements radicaux notamment en Sicile. Doit-on alors considérer que dès la création des “ stay behind ” la lutte contre l’ennemi intérieur est également une préoccupation de l’OSS et deviendra également celle de la Central Intelligence Agency (CIA) ? Une réponse pourrait être apportée par l’analyse d’un événement particulier : “ la strage di Portella della Ginestra ” le 1er Mai 1947. Cet attentat marque vraisemblablement le passage entre politique du containment et stratégie de la tension : lors du traditionnel rassemblement des partis et syndicats de gauche qui fêtèrent cette année là leur victoire locale sur la Démocratie Chrétienne, 11 d’entre eux, dont 3 enfants, ne se relèveront pas. Ce village en province de Palerme marque le début d’une série d’attentats qui ne cesseront qu’à la moitié des années 1980. La violence politique n’est plus le fait de groupes antagonistes, elle est un des outils servant de variable d’ajustement pour contrer l’avancée de la gauche italienne. L’enquête conclura que le bandit Salvatore Giuliano et ses hommes de main furent les coupables de ce massacre. J’ai interviewé pour le présent mémoire Federico Lacche, journaliste italien impliqué dans la lutte contre la Mafia. Il a rencontré en 2008 certaines des personnes présentes à Portella della Ginestra ce 1er Mai 1947, et a enquêté sur l’hypothétique téléguidage américain de l’opération : “ Si l’implication de Salvatore Giuliano, pour qui la gauche représentait un obstacle a ses volontés indépendantistes, laisse peu de place au doute, certains faits permettent d’étayer l’hypothèse que Portella della Ginestra fut un test quant à l’efficience des services américains. Cette attaque portée au PCI et à ses militants est l’embryon de ce que sera le Gladio (le stay behind italien). La participation des hommes de la X MAS de Borghese est probable. Elle est corroborée par des témoignages et par les rapports balistiques qui font état d’utilisation de lance- grenades de facture américaine, des armes données aux hommes du Prince noir par l’OSS ”. Les organisations de gauche sont prises en tenaille par deux réseaux, dont la collaboration ne cessera de s’accentuer jusqu’au point culminant du “ Golpe Borghese ” (le Coup d’Etat tenté par Borghese le 7 décembre 1970), la Mafia et les organisations d’extrême droite. Suivant le schéma classique d’un Etat qui se libère d’une dictature, l’Italie est avide de changements voire de bouleversements sociaux. Le vent de liberté qui souffle en Europe dès les années 1950 prend une ampleur significative dans une Italie pour qui l’enjeu est double : accession à la démocratie et développement économique. Ce contexte reste cependant très influencé par une vision sociétale née dans les maquis pendant le second conflit mondial comparable aux idées du Conseil National de la Résistance français. Mais l’Italie n’est pas assise à la table des vainqueurs et verra donc sa souveraineté limitée par les USA qui choisiront de favoriser la Démocratie Chrétienne comme socle politique de la péninsule. La partie d’échec entre Est et Ouest qui commence en Europe dès 1947 consacrera l’Italie à la place du fou, libre de circuler sur la diagonale déterminée par le roi. Le danger de voir en Europe un parti

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communiste fort, organisé, porteur de projets politiques et soutenu par Moscou (ce qu’il ne cessera d’être y compris pendant et après la présidence d’Enrico Berlinguer) est un risque que la coalition des pays qui formeront l’OTAN en 1949, ne peuvent pas prendre. Ce qui se joue dès 1947 en Italie, ne la concerne pas uniquement puisqu’elle se trouve à la confluence de problématiques géopolitiques et géostratégiques qui menacent ce que Giovanni Pellegrino4

La Stratégie de la tension est donc la technique d’ingérence clandestine qui devait permettre aux USA , par l’intermédiaire de la DC, la stabilisation sociale de l’Italie par la manipulation de ces groupes extraparlementaires. La stimulation et l’encouragement aux désordres doivent isoler les partis extrêmes afin que l’axe politique du pays se stabilise au centre conduit par la DC. Déstabiliser pour stabiliser. Cette stratégie participera à faire de l’Italie le laboratoire de l’Europe.

nomme “ La stella polare di Yalta ”, l’étoile polaire de Yalta. L’assurance de cet équilibre passe par l’assise d’un parti qui sera en mesure de garantir une stabilité politique : la Democrazia Cristiana (DC), la Démocratie Chrétienne, elle-même traversée par des courants antagonistes qui conduiront à la mort d’Aldo Moro. Le désordre des premières élections législatives qui verra la DC sortir en tête des urnes ne parviendra pas à masquer la menace réelle de voir le PCI entrer au gouvernement et la constitution des groupes extra parlementaires actifs et violents, tant à l’extrême droite qu’à l’extrême gauche. Ces groupes sont issus pour la plupart des partis institutionnels jouant un rôle important dans la scène politique : PCI pour la gauche, Movimento Sociale Italiano (MSI) pour l’extrême droite d’inspiration Mussolienne.

1.3 Milan 12 décembre 1969 : L’Attentat de Piazza Fontana, premier acte de la stratégie

de la tension. Le Vendredi 12 décembre 1969 à 16 h37 une bombe explose à l’intérieur de “ La Banca Nazionale dell’Agricoltura ”de Milan, l’équivalent du Crédit Agricole français : 17 morts 88 blessés. Suivront 3 autres explosions à Rome à 16 h55, 17 h20 et 17 h30 faisant 17 blessés. Un cinquième engin explosif défectueux sera retrouvé devant la Scala de Milan. Le pays est sous le choc : 2 villes, 5 bombes, 4 explosions, 17 morts et 105 blessés en 53 minutes. Cet épisode de l’histoire signe pour les Italiens “ la fin de l’innocence ”. Désormais ils savent qu’ils sont entrés dans, ce qui sera défini plus tard comme une “ guerre civile de basse intensité ”. Les mouvements de contestation ayant pris racine depuis 1947 se sont amplifiés, tout au long des années 60, sur stimulation du PCI et du MSI. Les conflits sociaux aboutissent fréquemment à des grèves massives qui paralysent l’appareil productif dans une Italie en plein essor économique et luttant pour son indépendance énergétique (indépendance, que, Enrico Mattei dirigeant de

4 Giovanni Pellegrino : homme politique italien, sénateur de 1990 à 2001, avocat et président du tribunal administratif. Il fut également président de la “ Commisionne Stragi ”, les enquêtes parlementaires sur la stratégie

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l’ENI, paiera de sa vie). Entre 1966 et 1968 les mouvements de grève s’accentuent, la tension monte et des bombes explosent, notamment dans les trains, elles ne font pas de morts et ne sont pas revendiquées. En 1967, le coup d’Etat des colonels en Grèce est vu par les néo-fascistes italiens “ comme un exemple lumineux ” pour mettre fin au glissement à gauche des partis du centre. C’est dans ce contexte social d’instabilité chronique qu’intervient l’attentat de Piazza Fontana. Le soir même, le premier ministre, Mario Rumor, démocrate chrétien de l’aile droite du parti, déclare son indignation au journal télévisé et trois jours plus tard, lors des funérailles, la rumeur désigne les exécutants de l’attentat comme issus des mouvances anarchistes de la gauche milanaise et romaine. Influencée par l’exemple d’Athènes, la crainte du recours aux lois d’exception traverse la société italienne. Le Préfet de Milan déclarera le lendemain de l’attentat, n’avoir aucune piste. Le juge d’instruction Gerardo d’Ambrosio conteste cette version et affirme que 3 heures après les faits, la police propose d’orienter les enquêtes sur deux militants néo-fascistes, membres du groupe vénitien de “ Ordine Nuovo ”, Ordre Nouveau, d’inspiration néo-nazie et fraction du MSI : Franco Freda et Giovanni Ventura. Usant de pressions et de manipulations, le ministère de l’intérieur dirigera l’enquête sur la piste de l’anarchiste du “ groupe du 22 mars ” : Pietro Valpreda. Ce dernier sera arrêté le 16 décembre et accusé d’avoir perpétré l’attentat de la Banca Nazionale dell’Agricoltura. Un focus particulier doit être fait sur cette partie de l’enquête car il est révélateur des techniques de manipulations mise en place dans cette stratégie de la tension. La question qui se pose à ce stade de l’analyse est double : le renseignement sur les militants néo-fascistes Freda et Ventura est-il fiable ? Si c’est le cas pourquoi cette piste est-elle écartée au profit de l’anarchiste Pietro Valpreda ? Une partie de la réponse vient peut être d’un autre militant d’extrême droite d’Ordine Nuovo, Vincenzo Vinciguerra, qui purge aujourd’hui encore, une peine à perpétuité pour un attentat commis en 1972 à Peteano dans le Frioul, qui coûta la vie à 3 carabiniers. Vinciguerra est une personnalité intéressante à plusieurs titres. Proche de Junio Valerio Borghese, c’est à lui que l’Europe doit la révélation du Gladio et des réseaux stay behind, il fut également lieutenant de Pino Rauti créateur et idéologue d’Ordine Nuovo et de Stefano delle Chiaie à la tête de l’organisation “ Avanguardia Nazionale ”. Ces deux mouvements deviendront les bras armés des services secrets italiens. Vincenzo Vinciguerra explique de la façon suivante la fiabilité du renseignement sur Freda et Ventura : “ J’affirme, que pour comprendre la vérité sur l’attentat du 12 décembre et sur ceux qui ont suivi, il faut immédiatement s’intéresser aux activités périphériques de la police et des carabiniers, parce que si l’on attend, les pistes sont brouillées. Ces organismes périphériques, faute d’ordres, se fondent sur les informations qu’ils possèdent et se dirigent dans la bonne direction. Quelques heures ou quelques jours plus tard, arrivent

de la tension et les années de plomb. Cette fonction fait de Giovanni Pellegrino un des experts , si ce n’est l’expert, le plus reconnu de cette période historique

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les “ pistes ” proposées par les organes centraux : ministère de l’intérieur, Etats Majors, commandement des carabiniers et services de sécurité ”. Gerardo d’Ambrosio, le juge, et Vincenzo Vinciguerra, l’activiste néo-fasciste, ont une analyse concordante : toute piste s’écartant de la mouvance anarchiste est délaissée au profit de la ligne imposée par les services centraux sur les organes périphériques. L’exploitation politique de Piazza Fontana ne peut être réalisable qu’avec des coupables issus de la gauche extra-parlementaire. L’instruction du dossier s’enrichira plusieurs années après les faits, de deux notes émanant du SID (Servizio Informazione Difesa), le service de renseignement militaire depuis 1966. La date de publication de ces notes corrobore l’hypothèse de Vinciguerra et l’analyse de D’Ambrosio : la première est diffusée le 16 décembre 1969, le jour de l’arrestation de l’anarchiste Valpreda, la seconde le lendemain. Dans le court délai qui les sépare, elles font état de deux renseignements se contredisant l’un l’autre. La note datée du 16 décembre mentionne 3 noms comme étant possiblement ceux des organisateurs du massacre advenu 4 jours plus tôt : Yves Guerin Serac et Robert Leroy, tous deux de nationalité française ainsi que Stefano delle Chiaie. Le lendemain, un autre document classifié (note n° 38765 du bureau “ D ” du SID) relie l’attentat au groupe anarchiste du 22 Mars. L’instruction du dossier de l’attentat du 12 décembre 1969 aura duré plus de 40 ans. Cet épisode tragique de l’histoire contemporaine italienne mériterait à lui seul un mémoire complet. Aucun des procès n’a permis les condamnations devant la loi, des exécutants matériels, des logisticiens ou des idéologues du massacre de Piazza Fontana. Giovanni Ventura et Franco Freda en sont vraisemblablement les organisateurs, un troisième homme, Delfo Zorzi, déposa la bombe et Guido Giannettini assura la liaison entre les hommes d’Ordine Nuovo et le service “R” di SID ayant également la charge de “ Gladio ”. C’est en tous cas la version des juges instruisant le dossier depuis plus de 20 ans. Les activistes néo-fascistes italiens attendirent en vain que, le soir du 12 décembre le président du conseil, Mariano Rumor, décrète l’Etat d’urgence. Il ne le fera pas, et jusqu’en 1974 les attentats de matrice “ noire ” se multiplieront pour pousser la population à demander une solution autoritaire au désordre dont la responsabilité doit être attribuée aux partis de gauche. Piazza Fontana servira de modèle aux attentats successifs. Cette dynamique de la violence politique prend racine en tant que projet opérationnel en 1965 lors du congrès sur “ la guerre non orthodoxe ” organisé par l’institut Pollio à l’hôtel Parco dei Principi à Rome.

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1.4 Le Congrès de l’institut Pollio : L’action politique du “ club ” anti-communiste italien et son soutien par les structures américaines.

Marc Wyatt chef du bureau de la CIA à Rome à partir de 1964, affirma en 1997, devant

la caméra de Fréderic Laurent pour le documentaire “ l’Orchestre noir ”5

Victor Marchetti, adjoint du numéro 2 de la CIA en 1966, explique dans ce même documentaire qu’il faut comprendre “ que dans ce type d’affaire il y a deux perspectives, le point de vue de la CIA et l’autre, celui du pays concerné. La CIA commençait à se rendre compte que ces opérations clandestines ne servaient à rien ( il faut comprendre “ ne servaient à rien en tant que réseaux de résistance à une hypothétique invasion), sinon à maintenir en place un réseau qui renforçait la cohésion des vrais anticommunistes, en les motivant fortement. C’était presque un club, une organisation fraternelle ”.

que plusieurs rapports firent état de l’inutilité du Gladio, “ mais que la bureaucratie étant ce qu’elle est, les choses restèrent en l’état ”.

Le “ Club ” que Victor Marchetti évoque est celui qui tiendra congrès à Rome, sous l’impulsion de l’Institut Pollio, en 1965. Participeront à cette assemblée, activistes d’extrême droite, cadres militaires, industriels, chefs de groupes de la droite extraparlementaire dont : Stefano Delle Chiaie, Pino Rauti et Guido Gianettini. Ce dernier définit ainsi les objectifs de la conférence : “ Elle avait pour but de souligner la pénétration des partis de gauche dans le domaine de l’information, de la presse et dans bien d’autres domaines de la vie italienne. Outre l’Italie, nous avons évoqué la guerre révolutionnaire ou la “ guerre non orthodoxe ” comme disent les militaires. On a donc fait toutes sortes de rapports fondés sur les techniques utilisées, les “ modes d’emploi ”, de la guerre révolutionnaire communiste en Occident ”. Les enquêtes parlementaires menées par Giovanni Pellegrino mettront à jour les conclusions de la conférence de l’Hôtel Parco dei Principi : “ Les élites militaires théorisent la guerre révolutionnaire communiste comme une 3° guerre mondiale déjà engagée. Il fallait donc une guerre contre révolutionnaire pour stopper son avancée par tous moyens. Attentats compris ”. L’Algérie et l’Indochine sont au cœur des préoccupations des participants au congrès, il sera aussi fait état de l’Amérique du Sud et de l’Afrique. L’intervention de Gianettini est argumentée par la nécessité de la mise en place d’une contre offensive envers les partis communistes où qu’ils soient, il conclura son intervention par “ Il est moins cinq ”, en français dans le texte. Pino Rauti fondateur d’Ordre Nouveau, émanation du MSI qu’il jugeait trop modéré, considère pour sa part que “ le communisme ayant changé de tactique […], il convient de faire front avec des méthodes nouvelles pour le combattre ”. Un livre sera publié à l’issu du congrès dont les auteurs sont P.Rauti et G. Gianettini, “ Le mani rosse sulle forze armate ”, La main rouge sur les forces armées. Il s’agit d’un ouvrage de subversion néo-fasciste inspiré des manuels de contre

5 Documentaire réalisé par JP Meurice d’après l’enquête de Fabrizio Clavi et Frederic Laurent. Diffusion française par la chaine ARTE en 1997.

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insurrection français diffusé par l’OAS dont certains membres sont réfugiés à Rome (Georges Bidault notamment). “ En 1962- 1963 une partie des services secrets italiens avaient soutenu l’OAS prenant la relève des américains ” affirme l’agent du SID, Gianettini, expliquant ainsi l’influence française dans la théorisation de la guerre non orthodoxe se mettant en place en Italie. Les travaux découlant de ce congrès ne restèrent pas uniquement théoriques puisqu’il fut décidé de la création d’une nouvelle structure stay-behind différente de Gladio dirigé par le Général d’artillerie, Colonel au moment des faits, Amos Spiazzi. Ce nouveau réseau verra le jour, des dires même du Général Spiazzi vers la fin des années 1960, “ lorsque les contestations sociales se firent plus vives en Italie et en Europe (1967- 1968), ordre nous est parvenu de créer une organisation, non plus de type OTAN, mais nationale, ne dépendant plus de l’OTAN, mais de l’Etat Major, qui prévoyait en cas de victoire ou d’invasion du territoire, un réseau de guérilla et de contre guérilla. C’est moi qui fut jugé compétent pour la diriger. Cette organisation comprenait, des guerriers purs et durs, des messagers, des informateurs, des taupes et des estafettes ”. Soulignons ici le “ caractère national ” de cette organisation totalement indépendante des services américains selon le Général d’artillerie, qui laisse filtrer une information importante puisqu’il admet de fait que le Gladio est une structure OTAN, ce qui aujourd’hui n’est toujours pas reconnu par le département d’Etat américain. L’interview de son bras droit d’alors, Roberto Cavallaro, par Fabrizio Calvi en 1997, donnera un éclairage différent de l’indépendance du réseau d’Amos Spiazzi vis-à-vis des USA et des structures OTAN : Roberto Cavallaro (RC) : Spiazzi opérait, mais cela il vous l’expliquera mieux que moi, à l’intérieur d’un “ critère ” de sécurité, il était officier au bureau “I”, donc officier de renseignement, dépendant du SIOS (Service de sécurité des armées) et, selon moi, vraisemblablement, il était officier dans une structure de sécurité extérieure au SIOS, Fabrizio Calvi (FC): C'est-à-dire ? RC: ça, c’est à lui de vous le dire. FC: Une structure italienne ou étrangère ? RC : Je l’ignore. Comme le dit Brecht, que les autres parlent de leurs propres hontes et je parlerai des miennes. FC : Vous songez à l’OTAN ? RC : Je ne sais pas, mais de toute façon, lui, était officier dans un service opérationnel encadré par l’OTAN. FC : Lui nous a dit qu’il n’avait aucun lien avec l’OTAN ? RC : En tant qu’officier supérieur de l’armée italienne, c’est très difficile à soutenir ! Le Juge Salvini mettra à jour cette structure baptisée “ Nuclei di Difesa Dello Stato ”, Noyaux de Défense de l’Etat, dont il évalue l’activité jusqu’en 1973. Structure infiltrée par le groupe vénitien d’Ordre Nouveau, indépendante de Gladio, capable de passer à l’action pour soutenir un coup de force contre la gauche. La publicité de cette

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structure au sein des cadres de l’armée italienne sera assurée par Franco Freda et Giovanni Ventura impliqués dans l’attentat de Piazza Fontana…. Marc Wyatt restera, pour sa part, vague quant au souvenir des Noyaux de Défense de l’Etat, mais admettra que, peut-être, il en avait entendu parler au sein du groupe de conseil militaire à Rome, laissant ainsi comprendre que derrière les noyaux il n’y a pas la CIA mais les militaires américains.

1.5 La stratégie de la tension : l’application d’une doctrine française par l’Otan sur le

territoire italien.

La guerre non orthodoxe définie comme telle par les participants du congrès de l’institut Pollio est la technique de subversion, qui deviendra par la suite une doctrine, contribuant à la mise en place de la stratégie de la tension. L’existence de la planification de cette stratégie par le gouvernement américain est fortement probable, bien que régulièrement démentie par son département d’Etat. Un document atteste et rend compte des manœuvres à mettre en place dans les pays appartenant à l’OTAN dont les gouvernements “ ne prendraient pas pleinement la mesure du danger communiste à l’intérieur de leurs frontières ”. Ce document est un Field Manual, un manuel de terrain, que toutes les armées du monde publient à l’attention de leurs soldats ou agents. Les Field Manuals existent pour tous types d’opérations : sabotage, munitions, explosifs, infiltrations…. Celui qui est destiné à la guerre non orthodoxe ou non conventionnelle est rédigé par le Général Westmoreland et porte le numéro 30-31b (Annexe 2). Sa date de création et de diffusion est difficile à authentifier, les premières copies circulent en Europe vraisemblablement à la fin des années 1960, celles qui seront retrouvés parmi les documents de Licio Gelli, vénérable maître de la Loge maçonnique “ Propaganda Due ” (Loge P2) sont datées du 18 mars 1970. La Loge P2 est l’un des plus importants scandales de la vie politique italienne, dont il serait trop long de décrire l’histoire et l’activité. Gardons simplement à l’esprit que l’enquête parlementaire “ première génération ” de 1995 confiée à la Ministre Tina Anselmi, mettra à jour le caractère complotiste, subversif et atlantiste de la P2. Il est vraisemblable que le Field Manual 30-31b a été transmis voire instruit avant le 18 mars 1970 aux membres des stay behind italiens et européens ainsi qu’aux activistes des organisations d’extrême droite. Danièle Ganser, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Bâle, relèvera au cours des recherches pour la rédaction de son livre paru en 2005 “ Les armées secrètes de l’OTAN ”6, l’émergence du Field Manual 30-31b dans plusieurs pays au cours des années 1990 dont : l’Italie, la Gréce, La Turquie, L’Allemagne7. Les enquêtes du Sénat Belge sur les réseaux de renseignements clandestins en feront également état dans la publication de leur rapport final8

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6 Titre original “ The NATO’s secret Armies : Operation Gladio and Terrorism in Western Europe”. Daniele Ganser.Editions Franck Cass.2005. Editions Demi-Lune pour la France. 7 Pages : 315-321-322-389 “ Les armées secrètes de l’OTAN ”. 8 Pages 80 et 81 du “ L’enquête parlementaire sur l’existence en Belgique d’un réseau de renseignement clandestin international ”. Senat Belge. 1990 – 1991. Session d’Octobre 1991.

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L’application de la note du Général Westmoreland comme l’un des modes d’emploi de la mise en application de la stratégie de la tension doit être appréhendée à la lumière des résultats croissants du PCI depuis les élections pour l’assemblée constituante de 1948 et ce, jusqu’au peak de 34 % des suffrages exprimés en 1976. Le Parti Communiste Italien atteindra alors au plus fort de son adhésion populaire 227 sièges à la chambre mais ne participera jamais au gouvernement. Aldo Moro tentera la mise en place d’un “ compromis historique ” par la création d’un gouvernement de “ solidarité nationale ” incluant la Démocratie Chrétienne, le Parti Socialiste de Bettino Craxi et le PCI d’Enrico Berlinguer qui avait pris ses distances avec Moscou. Il sera enlevé, séquestré pendant 54 jours et exécuté par les Brigades Rouges. Sa tentative de stabilisation du pays par le compromis historique ne verra jamais le jour. L’authenticité du Field Manual 30-31b est contestée par les services américains pour qui il n’est manifestement qu’un faux élaboré par le KGB. Il est bien évidemment difficile d’avoir une information définitive à ce sujet, mais il est par ailleurs incontestable que les versions divergent fortement sur ce point parmi les acteurs du renseignement américain9

De fait, il importe peu que la note Westmoreland soit authentique pour démontrer l’hostilité du gouvernement américain à voir un pays dont il a limité la souveraineté, bâtir sa propre politique intérieure. Cela fut vrai en Amérique du Sud avec l’élaboration du programme “ Condor ”, mais également en plein cœur de l’Europe avec la mise en place des réseaux stay behind ainsi que l’élaboration de la stratégie de la tension comme

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application du containment. Ce dessein politique tente d’exacerber l’opinion publique contre les gauches en les rendant responsables du désordre intérieur afin de faire des sociaux démocrates la frange la plus extrême à gauche du paysage politique italien. La technique de manipulation est appelée “ False Flag ”, et consiste à conduire la population à faire naturellement le raisonnement suivant :

Pour “ détacher ” les opinions favorables à la gauche, et notamment au PCI, l’opération “ demagnetize ” utilisera la violence politique par, entre autres, le biais des attentats sous fausses bannières. Toutefois, si les techniques de déstabilisations sont le fruit de l’armée et des services spéciaux américains, la doctrine, la théorie, semble être de matrice française. La référence faite dans la note Westmoreland à la guerre contre-insurrectionnelle des “ français en Indochine et en Algérie ” est corroborée dans les faits par plusieurs points. Tout d’abord par le résultat des interrogatoires de Vincenzo Vinciguerra du juge vénitien Felice Carson à qui nous devons l’enquête sur l’attentat de Peteano en 1972 qui conduira à la mise en lumière de l’existence du Gladio et des Stay behind Européens. Interviewé, par Frederic Laurent en 1997 et par Alan Francovich en 1992 pour la BBC, il résumera en quelques mots les techniques opératoires et psychologiques de la stratégie de la tension : “ La caractéristique de l’attentat ? Il frappe dans la masse ! C’est ce que disent les manuels des services secrets français. Le carnage terroriste frappe la foule. Il frappe l’individu désarmé pour susciter la terreur (…) Il fallait attaquer les civils, les femmes, les enfants ; les personnes étrangères à ce jeu politique et ce, pour une raison simple : obliger l’opinion publique à se retourner vers l’Etat de la république italienne, vers son régime, afin d’exiger de lui une sécurité accrue. Le rôle politique de la droite en Italie s’est fondé sur cela. Elle s’est mise au service de certains appareils d’Etat qui ont alimenté cette stratégie, précisément appelée “ stratégie de la tension ” car elle devait conduire les gens à accepter à n’importe quel moment, entre 1960 et le milieu des années 1980, la possibilité du recours à l’Etat d’urgence. La population aurait été plus encline à l’abandon de tout ou partie de sa liberté en échange de la sécurité qui lui permettrait de marcher dans les rues, de prendre trains et avions ou de rentrer dans une banque sans avoir la crainte d’y mourir. C’est précisément cette logique politique à laquelle les bombes font écran. Si les attentats restent impunis c’est parce que l’Etat ne peut pas se condamner lui-même. ”

9 Page 320 “ Les armées secrètes de l’OTAN ”.

Si : Grèves = Gauche Et : Gauche = Désordres Et si : Désordres = Violences Alors : Violences = Gauche Résultat : Attentats = Gauche

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La référence aux manuels des services secrets français, à “ l’école française ” de la guerre non orthodoxe menée par certains officiers français dont une partie d’entre eux formeront l’OAS est omniprésente dans la théorisation et l’application de la stratégie de la tension. Cette question du rôle de la France dans des opérations de déstabilisations, d’infiltration de groupements politiques de gauche, de propagation de la terreur, reste à ce jour encore ouverte. Ces interrogations conduiront en 2003 à la demande d’ouverture d’une enquête parlementaire (annexe 3) sous l’impulsion d’un groupe de députés conduits par Noël Mamère. Cette demande sera rejetée par le député marseillais Roland Blum, auprès de qui j’ai fait de nombreuses requêtes pour l’obtention d’entretiens, qui sont toutes restées sans réponse. La demande d’ouverture d’enquête porte sur “ L’existence d’une école française des escadrons de la mort en Amérique Latine entre 1973 et 1984 ”. Dans ce rapport le refus est motivé par le manque d’éléments probants visant à l’établissement d’une telle suspicion. Il est tout de même intéressant de relever ce qui est dit dans le paragraphe 3 de la page 10 : “ Certes, il n’est pas inenvisageable que des personnes de nationalité française aient pu participer à des activités de répressions, mais si cela a été le cas, ce fut à titre individuel (…) D’ailleurs, les ressortissants français concernés étaient des anciens de l’OAS… ”. Parmi ces anciens de l’OAS, figure Yves Guérin Serac, dont nous avons déjà croisé le nom dans la note du SID daté du 16 décembre 1969 sur les suspects de l’attentat de Piazza Fontana. Ancien officier de l’armée française en Indochine et en Algérie. Sa trace sera perdue pendant de nombreuses années, mais les services spéciaux occidentaux et russes le localiseront à Lisbonne où le régime de Salazar favorisera la mise sur pieds de son agence de presse : “ L’aginter Press ”.

1.6 Yves Guerin Serac et l’Aginter Press : un français dans une officine de l’internationale noire.

Jusqu’à la parution du Livre de Paolo Cuchiarelli10

Qui était Yves Guerin Serac ?

“ Il segreto di Piazza Fontana ” en 2009, il n’existait qu’une photo “ publique ” de Yves Guérin Sérac (allias, Yves Guillou, Ralf, Oto…) prise par les services de renseignements portugais dans un restaurant de Lisbonne. Le secret le plus absolu sur cet homme de l’OAS a été maintenu jusqu’à son exfiltration d’Espagne en 1997. Il ne sera jamais retrouvé. Son rôle dans la stratégie de la tension en Europe et surtout en Italie est pourtant majeur.

Né en 1926, catholique intégriste, Serac combattra en Corée, conflit dans lequel il obtiendra la bronze star américaine et la médaille de l’ONU. En 1953 il se trouve sur le théâtre d’opération indochinois avec les bérets verts. A 27 ans il est déjà décoré de la légion d’honneur et la croix de guerre. La suite de sa carrière se fera en Algérie où il est incorporé à un bataillon parachutiste. Il déserte en 1962 et rejoint l’OAS. En juin de la même année, suite à l’accession de l’indépendance algérienne il fuit en Espagne, puis au Portugal où il “ offre ” ses services afin de lutter au côté du régime de Salazar contre

10 Paolo Cucchiarelli. “ Il segreto di Piazza Fontana ”. Editions S.P.A. Milan.2009

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l’extension du communisme à l’échelle internationale. L’organisation qu’il met en place utilise experts et techniques de la guerre non orthodoxe et de la lutte contre-insurrectionnelle. C’est Yves Guerin Serac qui entraine la Légion portugaise, principal soutien au régime du dictateur et il devient l’instructeur de l’unité antiguérilla de son armée. Le contact avec Pino Rauti et Guido Giannettini se fera rapidement. Avec le concours d’ex éléments de l’OAS il crée, sous couverture d’une agence de presse, son officine de renseignements : l’Aginter Press. Cette agence est en mesure de fournir plusieurs types de services : elle défend en premier lieu les intérêts coloniaux portugais, elle est également un service de renseignement international possédant sa propre division politico-militaire par le biais de la structure “ Ordre et Tradition ”. On lui prête des amitiés au sein du Vatican. La société mise sur pied par l’officier français est une structure “ détachable ” si nécessaire, à qui il est demandé la conceptualisation et la réalisation d’opérations “orphelines ”, en d’autres termes : les opérations sans commanditaires. Serac et ses hommes mettent à profit l’expertise acquise contre le communisme sur les champs de bataille dans le monde civil : cette guerre doit désormais être portée dans la foule. Dans l’Aginter Press les communications sont codées et le matériel sensible est crypté. Le projet final est celui de mettre en forme une armée clandestine contre le communisme pour “ mobiliser toutes les ressources contre les forces du mal afin de restaurer l’ordre moral, assurer la primauté de l’esprit sur la matière et promouvoir les valeurs traditionnelles de la civilisation ”. Il serait partiellement erroné de confondre l’Aginter avec un simple réseau de mercenaires. L’idéologie est le moteur principal qui meut Yves Guérin Serac. Le travail d’enquête du juge Salvini révélera les méthodes de l’Aginter Press: “ Disons que, si l’Aginter Press servait de coordinateur européen, dans chaque pays agissent des groupes locaux auxquels l’Aginter press est reliée. En Italie c’est Avanguardia Nazionale et Ordine Nuovo qui exécutaient la stratégie mise en place ”. La stratégie dont fait état le juge italien est celle théorisé et exécutée par l’armée française en Algérie. Un fascicule intitulé “ Notre action politique ” sera retrouvé par l’armée portugaise dans les locaux de l’Aginter lors de la révolution des œillets : “ La première phase de notre activité politique consiste à créer le chaos dans toutes les structures du régime. Deux formes de terrorisme peuvent provoquer cette situation: le terrorisme aveugle (commettre des attentats au hasard qui font de nombreuses victimes) et le terrorisme sélectif (éliminer des personnes précises). La destruction de l’Etat démocratique doit s’opérer autant que possible sous le couvert d’activités communistes... Ensuite, nous devons intervenir au sein de l’armée, du pouvoir judiciaire et de l’Eglise, pour travailler l’opinion publique, proposer une solution et faire apparaître clairement l’impuissance de l’appareil légal existant. Cela suppose donc une phase d’infiltration, de récolte des informations et de pression sur les organes vitaux de l’Etat par le biais de nos cadres. La pression psychologique sur nos amis et nos ennemis doit être telle qu’un courant de sympathie se forme à l’égard de notre organe politique et que l’opinion publique soit polarisée de manière à ce que l’on nous présente comme le seul instrument capable de

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sauver la nation. Il est évident que nous devons disposer de moyens financiers considérables pour pouvoir exercer de telles activités. ” 11

L’infiltration de l’adversaire politique, par l’intermédiaire d’agents de l’Aginter, sera mise à jour par les enquêtes de Guido Salvini confirmant ainsi la présence de Robert Leroy - ex Waffen SS, bras de droit de Serac et rouage des réseaux Ghelen qui permirent l’exfiltration des dignitaires nazis vers les Amériques – dès 1964-65 en Italie où il avait infiltré les groupes extra-parlementaires maoïstes. Cette même stratégie fera de Mario Merlino, militant d’Avanguardia Nazionale , l’infiltré principal dans le groupe anarchiste du 22 Mars dont Pietro Valpreda, initialement accusé de l’attentat de Piazza Fontana , était fondateur. La participation de Mario Merlino au congrès de l’Hôtel Parco dei Principi en 1965 est aussi fortement suspectée.

Le logiciel Database rendant possible la mise en relation des réseaux sociaux existants entre individus ou structures, livre d’étonnants résultats sur les différents acteurs ayant eu entre eux des contacts avérés ou hautement probables. La reproduction de la toile reliant l’Aginter Press à d’autres acteurs internationaux est reproduite ci-dessous. La présence de services ou agents français de premier plan rend plausible l’utilisation de l’Aginter Press comme structure “ détachable ” au service des intérêts nationaux hexagonaux. On y trouve également l’intersection des services parallèles italiens, du Gladio et de certains officiers de l’armée ou de la Navy américaine.

11 Traduction des documents retrouvés dans les locaux de l’Aginter Press par l’armée portugaise lors de la révolution de 1974.

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La structure de Guérin Sérac quittera sa base logistique en Avril 1974 suite à la chute du Général Salazar chassé du pouvoir par la révolution des œillets. Elle continuera toutefois son activité mercenariale comme en atteste les dépositions lors des enquêtes pénales des années 199012

L’année 1974 marquera un tournant, un changement de cap dans la statégie de la tension. L’Italie rentre dans ses “ années de plomb ”. Les suspicions, puis les révélations sur les activités occultes des services secrets déviés et leur rôle dans les attentats de matrice noire conduiront Giulio Andreotti, alors ministre de l’intérieur, à réformer les services de sécurité italiens. La chute ou le crépuscule des dictatures militaires en Europe, la mort de l’idéologue Julius Evola

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, les réformes gouvernementales engagées par le Gouvernement Démocrate chrétien de Mariano Rumor, asséchent le bassin dans lequel les néo-fascistes italiens nageaient avec aisance.

2.

De la stratégie de la tension aux années de plomb : émergence et instrumentalisation hypothétique du terrorisme d’extrême gauche.

2.1 1974 – 1978 : De Brescia à Rome. L’émergence des années de plomb.

La liste des attentats sur sol italien entre 1966 et 1974 est éloquente quand à l’activité politique de la nébuleuse néo-fasciste . A Piazza Fontana succédera l’opération “ Terreur sur les trains ”. Il convient d’y ajouter les morts entre factions politiques rivales ou encore les victimes d’affrontements lors de cortèges ou de manifestations. Cette spirale ne sera jamais cassée et verra son intensité croître à chaque boulversement social majeur : la loi sur le divorce, celle sur l’avortement, les luttes syndicales des grandes entreprises comme celle de Fiat Mirafiori, les grèves générales…. L’instabilité est chronique et la peur du coup d’Etat est dans tous les esprits depuis les révélations des tentatives de Putsch en 1964 ( “ Piano Solo ” du Général De Lorenzo, chef d’Etat Major et premier commandant du Gladio), en 1970 ( “ Golpe Borghese ” ) et 1971 (“ La Rosa dei Venti ”). Une manifestation visant à protester contre les violences fascistes et l’implication du MSI dans celles-ci est organisée à Brescia ( Nord de l’Italie, environ 100 km de Milan), le 28 mai 1974. Une bombe dissimulée dans une poubelle explose au milieu de la foule : 8 morts et plus de 30 blessés.

12 Interrogatoire du 23.9.1992, fascicule 29 par la commission d’enquête pénale sur le “ groupe de Madrid ”. Les informations sont données par Vincenzo Vinciguerra et Stefano delle Chiaie. 13 Julius Evola (1898-1974) : artiste, écrivain, il s’intéressa à l’occultisme et à l’œuvre de René Guenon. Refusant la modernité, il écrira et défendra après 1945 un mysticisme fasciste qui le porta au refus de la décadence des sociétés occidentales. Il prônera le retour à l’honneur des sociétés antiques, à l’exaltation de la virilité notamment par le culte voué aux montagnes et à l’alpinisme. “ Chevaucher le tigre ” est l’œuvre où il développe l’importance du corps et de l’érotisme comme ciment de la pensée fasciste.

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L’attentat dit de “ Piazza della Loggia ”, est un message politique envoyé aux institutions dirigées par la DC. Les néo-facsistes italiens refusent d’être “ lachés ” par le pouvoir qui jusqu’ici, les avaient utilisés par l’intermédiaire de ses structures couvertes. La droite extra-parlementaire est marginalisée. En premier lieu par le MSI qui aspire , tout du moins dans son courant majoritaire, à jouer un rôle déterminant dans le régime parlementaire. Le Mouvement de Giorgio Almirante acquiert une représentation qui peut lui permettre d’arbitrer la distribution des majorités, mais il doit impérativement rendre sa façade légale respectable et responsable. Le MSI prendra donc officiellement ses distances avec Ordine Nuovo ou Avanguarda Nazionale. Les orientations nouvelles que Giulio Andreotti donne aux services de sécurité, excluent tout rapprochement, toute coalition, avec l’extrême droite violente. Ce cadre de référence est nécessaire à la compréhension des motivations de l’attentat de Brescia. Les néo-fascsistes italiens acceptent mal l’abandon d’une stratégie politique dans laquelle ils avaient un rôle majeur ; rôle qui pourrait leur assurer une légitimité dans un Etat Autoritaire dont ils seraient les bâtisseurs. L’anti-communisme viscéral de ces groupes les conduit à voir dans ce changement de cap, une reddition face à l’ennemi de toujours. Ils le feront savoir, par la bombe du 28 mai 1974. Dans “ Les écrits corsaires ”14

“ Je connais.

, Pier Paolo Pasolini (dont la mort s’ajoute à la liste des “ cadavres exquis ” de cette période trouble), rassemble plusieurs de ses articles publiés dans les grands quotidients nationaux ayant une influence réelle sur l’opinion publique de l’époque. Il analyse tout au long de ses publications le cadre politique mouvant de son pays, ses changements culturels et les inclut souvent dans une géopolitique globale. Dans sa chronique du 14 Novembre 1974 intitulée “ io so ”, littéralement “ Moi je sais ”, ou encore “ Je connais ”, il analysera ainsi la période 1969-1974 :

Je connais le nom des responsables de ce que nous appelons “ Putsch ” (qui est en réalité une série de putsch, qui s’est imposée comme système de protection du pouvoir).

Je connais les noms des responsables de l’attentat de Milan du 12 décembre 1969. Je connais les noms des responsables des attentats de Brescia et de Bologne advenus lors des premiers mois de 1974. Je connais les noms qui composent le sommet de la pyramide et qui ont manœuvré, plus précisément, les fascistes de la premiére génération concepteurs des putsch, mais aussi les néo-fascistes matériellement responsables des premiers attentats et enfin, des “ inconnus ” matériellement responsables des attentats plus récents. Je connais les noms de ceux qui ont géré les deux différentes, voire opposées, phases de la stratégie de la tension : une premiére phase anti-communiste (Milan 1969), et une seconde phase anti-facsiste Brescia et Bologne 1974 … Je sais… mais je n’ai pas les preuves, ni même les indices. Je le sais, car je suis un intellectuel, et mon métier est d’analyser les faits, de remettre dans une mosaïque complète des évenements apparemment disparates, d’établir le

14 Titre original : “ Scritti corsari ”. Editions Garzanti. Milan 1975.

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cadre politique qu’ils favorisent… ”. Dans la seconde partie de l’article, il nommera précisément certains cadres de la DC. L’année 1974 marque une modification du paysage politique interne à l’Italie, mais englobée, influencée, dans l’évolution du cadre géopolitique international. C’est l’ensemble de ces changements qui conduiront à la fin de la “ saison des attentats ”. Isolés les uns des autres, ces faits, n’auraient pas pu constituer une inertie suffisante à la fin du soutien apporté depuis 1947 aux structures néo-fascistes comme outils de la stratégie de la tension :

1. La réforme des services spéciaux par G.Andreotti qui exige désormais un “ changement de registre ”. Jusqu’ici, personne ne leur avait expliqué qu’ils devaient défendre la constitution. L’évidence d’une telle mission pour un pays comme la France ou la Grande Bretagne, n’était pas ancrée dans l’ADN des services italiens dont de nombreux fonctionnaires avaient été auparavant des hommes de l’administration de la République Sociale Mussolinienne.

2. Le cadre idéologique et logistique de l’extrême droite extraparlementaire se réduit. Stefano Delle Chiaie, expliquera devant la commission de Giovanni Pellegrino 15

3. L’affaiblissement des Républicains américains : le contexte politique des USA dans lequel émerge et mûrit, le scandale du Watergate qui aboutit à la démission de Nixon, change la politique européenne de l’éxécutif américain.Les régimes fascistes sont en crise au Portugal, en Espagne et en Gréce. Il est probable que la décision de démanteler les structures sur lesquelles se sont appuyées la stratégie de la tension, fut déterminée par son échec partiel quant à l’émergence d’un état autoritaire suite à un coup d’Etat, mais également et prioritairement, suite au nouveau climat international. L’appui américain aux régimes de Salazar et à celui des Colonels Grecs avait entamé son déclin depuis 1970, expliquant ,peut-être, le peu de résistance que ces deux états para-fascsistes opposèrent à leurs révolutions internes. Dans le cas de la Gréce, Kissinger précipita le processus en soutenant la Turquie et ses bases américaines, dans le conflit chipriote.

, “ l’année funeste de 1974 ” par la mort de Julius Evola , que Giorgio Almirante définissait comme “ notre Marcuse ” et du Commandant Borghese dans les géoles espagnoles. Il admettra dans ces mêmes sténos avoir hebergé Yves Guerin Serac chez lui lors du démantellement de l’Aginter Press.

Mais 1974 voit, également, le premier assassinat politique revendiqué par le groupuscule d’inspiration marxiste-lennisite : les Brigades Rouges (BR) officieusement constituées en 1970 sous l’impulsion de Renato Curcio et Alberto Franceschini et qui ont pour projet politique l’instauration d’une dictature du prolétariat par la lutte armée. La montée en puissance de cette organisation, dont le modèle structurel est influencé par celui du FLN, atteindra son apogée en 1978 lors de l’enlévement et l’éxecution d’Aldo Moro.

15 Sténos 25 et 26 a de la commission d’enquête parlementaire de 1999-2000 sur le terrorisme sous la présidence de Giovanni Pellegrino.

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Une des motivations du passage à la lutte armée , fut l’opposition à la stratégie de la tension qui conduira au glissement “ de la force de la raison aux raisons de la force ”. Le 17 juin 1974 les BR éxécutérent deux militants du MSI à Padoue en revandiquant un militantisme anti-fasciste permanent. La stratégie de la tension finissante ouvre la voie aux années de plomb. Des attentats aveugles, la stratégie passe aux attentats ciblés. La foule n’est plus un objectif, seuls le sont les “ ennemis du prolétariat ”. L’histoire des Brigades Rouges appelle une question fondamentale à laquelle il est encore difficile de répondre aujourd’hui : ont-elles été utilisées comme instrument d’extension de la stratégie de la tension ? Les journalistes, magistrats, historiens et parlementaires qui travaillent encore sur le sujet aujourd’hui sont divisés, mais tous s’accordent sur un point : pour comprendre cette période il convient d’élargir la clé de lecture unique de la guerre froide. Si l’antagonisme Est-Ouest est nécessaire au décodage du terrorisme rouge italien, européen, voire moyen-oriental (n’oublions pas la RAF, l’IRA, les controversées CCC belges, ou le FPLP), la variable Nord – Sud et la politique des états méditerranéens pour l’hégémonie sur le “ mare nostrum ” le sont tout autant. La France jouera un rôle non négligeable dans cet échiquier qui lui a peut être permis de ne pas voir sur son territoire la déferlante terroriste des fractions pour la plupart issues des PC européens.

2.2 Naissance des Brigades Rouges : par qui, pour répondre à quoi ? L’origine des Brigades Rouges est à la confluence de trois trajectoires politiques différentes qui convergeront pour devenir un des groupes terroristes européens les plus puissants de la deuxième partie du XX° siècle. Le “ Parti armé ” tel qu’il fut défini par les BR elles -mêmes est “ l’enfant caché ” de la résistance et des partisans communistes. Les fondateurs et chefs historiques des BR première génération, bien qu’ayant des origines et des représentations politiques différentes, s’uniront en 1970 pour former la “ Gauche Prolétarienne ”, qui précédera le groupuscule dont la signature sera la célèbre étoile à cinq branches. Alberto Franceschini, natif et résidant à Reggio Emilia en Emilie Romagne, région traditionnellement communiste dont le chef lieu est Bologne, verra dans la proposition de Renato Curcio de rejoindre le Collectif Politique Métropolitain (CPM) milanais une aubaine pour la constitution d’une avant-garde prolétaire devant conduire à la révolution.

1. Le groupe de l’appartement fondé à Regio Emilia par Alberto Franceschini. Les villes d’Emilie Romagne ont toutes été marquées par une très forte présence des maquis rouges. La culture communiste, anarchiste et libertaire anime une partie de la jeunesse des années qui suivent le deuxième conflit mondial. La plupart de ces jeunes militeront ensuite au PCI dans lequel ils fondent d’importants espoirs révolutionnaires nés dans les maquis. Les récits

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de guerre des grands- pères, pères, mères, oncles ou frères, forgent en eux la certitude que le monde pour lequel se sont battues leurs familles est à construire et que le PCI en sera l’instrument. Le jeune Alberto Franceshini est de ceux-là. Les représentants de cette mouvance se retrouvent régulièrement dans un appartement pour discuter, élaborer les projets sociaux qui structureront la société de demain telle qu’ils la désirent. Le groupe de l’appartement est né. Progressivement, ils contestent l’hégémonie du PCI et sa rigidité qui correspond peu au bouillonnement culturel qui est le leur. C’est un conflit générationnel qui éclatera de façon flagrante en 1964 lorsque le premier secrétaire, Enrico Berlinguer, place l’action du PCI dans le cadre constitutionnel italien lors du discours de Bologne. L’alternative révolutionnaire n’est plus un projet politique. Le PCI est officiellement réformiste. Dés lors, les conflits entre “ jeunes ” et “ vieux ” s’accroîtront proportionnellement à l’institutionnalisation de la gauche italienne. Le groupe de l’appartement subit localement ce désaccord national. Certains militants du PCI en sont exclus dont A.Franceschini. Les coopératives agricoles deviennent pendant les années 1960 les “ COOP ”, c'est-à-dire des entreprises de grande distribution, “ des structures de pouvoir ” selon la rhétorique du groupe de l’appartement. Le schisme entre PCI et gauche extraparlementaire vient du sentiment très présent que la “ résistance a été trahie ”. Les communistes des maquis n’ont de cesse de rappeler que le combat qui a été le leur, n’était pas uniquement tourné vers l’occupant ou la république de Salò. Il était également un projet politique. Le terreau culturel dans lequel s’est développé le groupe de l’appartement mêle violence politique et rancœur. Il est aussi intrinsèquement porteur d’esprit de vengeance envers les violences fascistes de la guerre qui rendent le MSI totalement illégitime à leurs yeux (un des grands- pères de Franceschini fut exécuté par la X.MAS). Cette “ ambiance ” donnera l’appellation de triangle de la mort à la région délimitée par les villes de Modène, Reggio Emilia et Bologne. En effet, jusqu’aux années 1950, les exécutions arbitraires de fascistes ayant collaboré pendant la guerre continueront. Ces assassinats sont soutenus et portés, non pas par le PC, mais par ses franges les plus extrêmes qui agissent de façon autonome, car, partisans rouges et partisans blancs n’ont pas été désarmés. Corrardo Corghi secrétaire pour la DC pour la région Emilie Romagne et membre de son conseil national durant la période 1945-1970 résume ainsi la situation : “Après la guerre, les partisans ne désarmeront pas, ni les communistes, ni les démocrates chrétiens. Personne ne pouvait prévoir comment les choses allaient évoluer. Nous ne savions même pas les frontières qui seraient les nôtres ”. L’événement qui marquera les esprits et ouvrira la voie à une alternative au PCI est la manifestation qui se tiendra sur la place de Reggio Emilia, en 1960. Afin

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de protester contre l’accord local DC-MSI, la section locale du Parti Communiste, mobilise ses militants. La répression fait 6 morts tués par les balles de la police. Le désir de venger ces morts et la crainte de voir le pays s’installer dans un reflux qui le conduirait vers un régime néo-fasciste radicalise les plus jeunes et construit chez eux une représentation du paysage politique à laquelle le PCI ne donne pas de réponse. Le groupe de l’appartement jugera cet “ immobilisme ” coupable et évoluera avec son propre système de valeurs. Moins de 10 ans plus tard Renato Curcio propose à Franceschini et à une partie de son groupe d’intégrer le CPM milanais. La jonction est faite.

2. Le Collectif Politique Métropolitain de Renato Curcio et Mara Cagol : L’université de Trente fut le berceau du CPM. Renato Curcio et sa compagne Margherita Cagol (tuée lors d’un assaut des carabiniers en 1975) y firent leurs études en sciences sociales. Influencés par les mouvements étudiants français, ils organisent au sein de l’institution une contestation permanente mettant en cause le “ savoir bourgeois ” et demandent la restitution de ce savoir aux masses. Contrairement aux membres du groupe émilien, ils sont issus de la middle class et abordent, dans un premier temps, la politique, d’un point de vue intellectuel et théorique. La radicalisation du groupe conduit par R.Curcio, entraîne dans son sillage d’autres membres qui fonderont après les années mouvementées de Trente, le CPM dont la branche active est “ Gauche Prolétarienne ”: Corrado Simioni, Giovanni Mulinaris, Franco Troiano et Innocente Salvoni. Nous reviendrons en détail sur ces individus. Lors d’une réunion tenue en Août 1970 à Pecorile (Emilie Romagne) le groupe, les membres et les sympathisants de “ Gauche Prolétarienne ” décident du passage à la lutte armée et se baptisent “ Brigades Rouges ” sous l’impulsion de Curcio, Cagol et Simioni. L’ambition est d’occuper une place politique majeure dans cette Italie en proie aux luttes sociales par l’intermédiaire de ce que les BR appellent le “ Parti armé ”. La constitution de cette avant-garde devrait conduire les BR à occuper des fonctions étatiques une fois la révolution accomplie. La structure est organisée en 3 niveaux représentés par, le CPM qui est le “ Think Thank ”, le lieu de rencontre et d’échanges avec la société civile, la “ Gauche Prolétarienne ”, le bras politique légal, et les BR, militaires et clandestines. Les deux premiers niveaux disparaitront progressivement pour laisser place aux BR, elles- mêmes organisées en Colonne dans chaque ville importante avec un exécutif et une branche stratégique faisant office d’organe central. Entre le groupe de l’appartement et le CPM, une troisième composante contribuera à l’éclosion des BR. Celle-ci est issue du monde syndical après sa rupture avec la “ Confederazione Generale Italiana del Lavoro ” (CGIL), organe du PCI.

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3. L’influence des syndicats et de Mario Moretti.

Les premières actions revendiquées par les BR entre 1970 et 1972 seront déployées en direction des usines et entreprises où les syndicats sont les plus virulents. A ce stade de leur existence les BR tentent de stimuler le monde ouvrier sur la nécessité de l’esprit révolutionnaire : distribution de tracts appelant à la vengeance, sabotages…notamment dans les usines Pirelli ou Sit-Siemens. Un courant syndical actif et lié à l’extrême gauche autonomiste est proche des BR. Certains syndicalistes sont issus du CPM. C’est le cas de Mario Moretti, technicien pour Sit-Siemens qui contribuera à l’enracinement des BR dans les usines. Jusqu’en 1979 les soutiens et les sympathisants de l’organisation dans le monde syndical et les usines seront réels.

Formées par 3 courants distincts, l’héritage partisan de Franceschini, la contestation étudiante de Curcio et Cagol et le courant syndical de Moretti, le corps constitué par le CPM accouchera des BR qui tueront plus de 86 personnes et en blesseront 200 entre 1974 et 1988. Le nombre le plus important de victimes se situera dans les rangs des forces de l’ordre, ce qui fera dire à Pasolini : “ Je suis du côté des carabiniers et des policiers, car eux sont véritablement des prolétaires. Les mains qui les tuent, elles, n’ont jamais travaillé dans une usine ”.

2.3 Les Brigades Rouges et la figure ambiguë de Mario Moretti.

Pour comprendre le phénomène que les BR ont représenté, il est nécessaire de retracer rapidement leur parcours. La spirale de violence croissante à laquelle cette organisation a succombé, atteindra son point paroxystique en 1978 avec l’assassinat d’Aldo Moro. Le “ saut qualitatif ” effectué par les BR, de l’incendie des camions Pirelli à l’exécution du président de la Démocratie Chrétienne se fera sous l’impulsion d’un homme : Mario Moretti. Les premiers dirigeants des BR sont Renato Curcio et Alberto Francheschini. Dés 1970 ils prennent les rênes de la structure. Respectivement idéologue et chef militaire, ils participent néanmoins tous deux à de nombreuses opérations. Entre 1970 et 1974 les BR ne tuent personne. Elles mettent en place la “ propagande armée ” qui vise à stimuler l’esprit de “ guérilla urbaine ” parmi les ouvriers et les employés pour “ transcender la vision d’une société structurée par les partis ”. Des rapts de très courte durée (quelques heures) ou des intimidations sont faites aux cadres et dirigeants des sociétés dans lesquelles des restructurations sont en cours, où le climat social est dégradé. “ N’oublions pas ! ” expliquera Franceschini “ que nous n’avions aucune confiance dans les partis institutionnels qui étaient, pour nous, compromis dans la stratégie de la tension. En 1970 nous savions déjà que Piazza Fontana n’était pas le fruit d’une action anarchiste ”. Les syndicats sont stimulés par le tandem Franceschini/ Moretti et les étudiants par le couple Curcio/Cagol.

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Progressivement, les pratiques se durcissent, et il est alors question “ d’abattre l’Etat Bourgeois ”. Les incendies volontaires et les sabotages se multiplient et plus particulièrement en direction de l’entreprise Sit-Siemens. En 1972, les premiers enlèvements et procès prolétaires font partie de la stratégie des BR. Les unes des quotidiens publient les photos des séquestrés arme sur la tempe sur fond d’étoile à 5 branches. 1974 marque le début des assassinats et des enlèvements de représentants de l’Etat. Les BR sont structurées, tous les activistes sont passés dans la clandestinité. Les juges deviennent des cibles car le “ front carcéral ” renforce son activité. Le commandement stratégique des BR fait sienne la priorité de libération des prisonniers. Sur indication d’un repenti, Renato Curcio et Alberto Franceschini sont arrêtés cette même année. Moretti sera averti et échappera à l’arrestation. Les structures d’Etat sont contraintes de s’adapter à la radicalisation et à l’expertise croissante des BR. Carte blanche sera donnée au Général Dalla Chiesa pour constituer un pool contre les BR. Ce pool obtiendra des résultats probants en regroupant le travail inter-armes (police, carabiniers, brigade financière), celui des magistrats et des services de renseignements, sous son commandement. En 1976 les BR sont pratiquement décapitées. Les stratégies et l’organisation interne sont repensées et repositionnées par Mario Moretti qui en devient le chef incontesté. Ainsi, le front des usines est absorbé par “ le front de la guerre contre révolutionnaire ”. Tous les compartiments et activités des BR sont remodelés afin d’aboutir à une concentration de moyens pour “ l’attaque au cœur de l’Etat ”. La direction “ externe ” assurée par Moretti, Franceschini et Curcio devient responsable du front carcéral et resteront pour les brigadistes les “ guides ” de l’organisation. C’est une refondation importante des BR qu’il est courant de nommer “ BR de la 2nde génération ”. Le recrutement de jeunes activistes contribuera à l’émergence de ces nouvelles BR privées d’idéologues. Ce manque de maillage intellectuel à l’intérieur des colonnes sera compensé par un accroissement des actions dont la violence et l’audace iront crescendo sous l’impulsion de Moretti. Entre mai 1976, date de l’ouverture du procès des BR 1ère génération, et mai 1978, assassinats, enlèvements, hold up, seront en constante augmentation. Le ciblage opéré par Moretti s’élargit et le nombre des exécutions et “ jambisations ” s’accroît fortement : magistrat, avocats, journalistes, professeurs d’université, industriels et membres des services de sécurité. Le choix d’une radicalisation effrénée est porté par le nouveau chef militaire des Brigades Rouges. La légitimation de cette stratégie sera remise en cause plusieurs fois par Curcio et Franceschini. L’attaque au cœur de l’Etat prendra tout son sens le 16 Mars 1978 à Rome, lorsqu’un commando conduit par Mario Moretti enlèvera Aldo Moro, après l’exécution de ses 5 hommes d’escorte. Conduit dans sa “ prison du peuple ”, il sera interrogé par le chef des Brigades Rouges, pendant 54 jours. Son corps sera retrouvé le 9 mai 1978 dans le coffre d’une voiture sur indications des BR. Le matin de son rapt, Aldo Moro devait présenter au parlement son projet politique devant mettre fin à l’instabilité chronique de la péninsule depuis 1947, par le “ compromis historique ”. Lorsque Moretti fut interrogé sur cette coïncidence

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calendaire par le journaliste de la RAI (chaine de télévision publique italienne), Sergio Zavoli, il déclara : “ Seul le hasard est en responsable ”. Cette réponse est emblématique de ce que fut Mario Moretti au sein de l’organisation terroriste italienne, une personnalité et un militant politique aux contours insaisissables. Plusieurs de ses anciens compagnons le baptisèrent la “ sfinge ”, le sphinx, mettant en avant sa capacité à échapper aux forces de l’ordre et l’habileté déployée pour ne pas répondre aux questions. Le député communiste Sergio Flamigni a publié de nombreux livres sur les années de plomb italiennes, dont “ Mario Moretti : la sfinge delle Brigate Rosse ”16

Une partie de cette histoire récente reste à écrire et, elle est à mon sens capitale, car cette analyse nous renseigne, peut être, sur la participation active de la France dans la stratégie de la tension italienne.

. Cet ouvrage est une enquête minutieuse, détaillée et référencée, sur le parcours politique qui conduisit Moretti à devenir le chef des brigades rouges. L’intérêt du travail de Flamigni réside dans la mise en lumière qu’il opère quant à la proximité de Moretti avec les services spéciaux italiens et ses liens étroits et durables avec Corrado Simioni. Le Général Dalla Chiesa dira à propos du chef militaire des BR “ Les Brigades Rouges sont une chose. Les Brigades Rouges avec Mario Moretti en sont une autre ”. Ces faits sont importants et ne relèvent pas du storytelling. Ils peuvent permettre une mise en relation d’éléments qui inscrivent les Brigades Rouges dans une mosaïque géopolitique voire géostratégique des équilibres définis à Yalta.

2.4 L’école de langue Hyperion : une chambre de compensation des services secrets internationaux à Paris ?

Il existe une constante dans l’histoire des Brigades Rouges; celle-ci réside dans le fait que le groupe terroriste a toujours trouvé les ressources nécessaires à sa renaissance alors qu’il parraissait décapité. Ce fut le cas en 1974 après l’arrestation des chefs historiques, en 1975,après la mort de M.Cagol ou plus tard lorsque les brigatistes de premier plan tel Valerio Morucci, membre du commando “ Moro ”, seront traduit en justice. Les infiltrations dont elles furent l’objet, n’ont jamais véritablement permis de mettre un arrêt définitif aux violences avant 1987 (les dernières victimes des “ Nuove Brigate Rosse ” datent de 2002, mais il est difficile d’établir un lien voire une continuité entre les BR historiques et les “ Nouvelles Brigades Rouges ”). L’installation dans la durée des BR, malgré d’importants moyens de lutte, fit naître deux interrogations majeures dans la société italienne. La première porte sur le retour de la politique italienne vers ses vieux démons, en d’autres termes : les BR ont-elles servi d’outils afin de maintenir un niveau de tension élevé dans la société italienne au moment même où le compromis historique s’y faisait plus prégnant ? La deuxième interrogation découle de la première : a-t-il existé une régie internationale jouant un rôle de super-structure pour les BR ?

16 “ La sfinge delle brigate rosse. Deliti, segreti e bugie del capo terrorista Mario Moretti ”. Sergio Falmigni. Edizioni Kaos. Milan. 2004.

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A ces questions, les enquêtes judiciaires et parlementaires, n’ont pu répondre (cependant, certaines sont encore en cours ) mais, les révélations dans les journaux italiens de repentis ou de chefs de partis, ont mis à jour les possibles relations internationales des BR. En Avril 1980, Bettino Craxi, secrétaire général du Parti Socialiste Italien et président du conseil de 1983 à 1987, fit référence “ à ces personnes qui avaient commencé à faire de la politique avec nous, puis qui ont disparu et qui, peut être sont à Paris et travaillent pour le parti armé ”. Les personnes auxquelles B. Craxi fait référence sont en permier lieu Corrado Simioni, mais aussi, Giovanni Mulinaris, Franco Troiano, Innocente Salvoni et Francoise Tusher. Corrado Simioni fut la personne qui introduisit Mario Moretti au sein du CPM, puis des BR. Peu de temps après la réunion de Pecorile qui signa l’acte de naissance du parti armé, Corrado Simioni fit part à Franceschini et à Curcio d’une double nécessité : asseoir l’hégémonie des BR sur tous les groupuscules armés d’extrême gauche par l’infiltration de ceux-ci ou par la technique des attentats sous fausse bannière, et l’élévation immédiate de l’intensité du conflit entre les BR et l’Etat. Ces priorités ne furent point partagées par le sommet de l’organisation. Simioni continua jusqu’à 1971 sa tentative d’hégémonisation des luttes armées en Italie par l’intermédiaire de sa propre structure : le Superclan. Entre 1971 et 1974, aucune enquête ne révélera ce que firent C.Simioni et son groupe. Ils quittèrent ensuite l’Italie pour se transférer à Paris “ où de façon soudaine, ils se découvrent tous une passion pour le théâtre et les langues étrangères. En 1976 ils fondèrent une école de langues baptisée Agora puis Hyperion. Officiellement la fondatrice en est Giulia Archer, concubine de C.Simioni. En réalité les instigateurs de cette création sont : Simioni, Mulinaris, Salvoni et Tuscher ”17

A la fin de l’année 1978 le juge Pietro Calogero demande à la préfecture de Rome la mise en contact avec la police française pour l’ouverture d’une enquête sur l’école de langues. En avril 1979 le journal “ Corriere delle sera ” publie un article (annexe 4) dans lequel les intentions du juge Calogero sont révélées. La France suspend alors sa collaboration.

. Le but affiché de la structure est la diffusion de la culture au travers de l’étude des langues vivantes.

Les faits permettant de relier Hyperion aux BR faisant de la structure parisienne sa régie occulte ne sont pas formellement établis. Ils aboutirent à un non lieu dans les procès de Rome et Venise en 1989 et 1990 ( voir en annexe 5 mes échanges d’e.mail à ce sujet avec Francoise Tusher dont j’ai retrouvé la trace). Cependant, des personalités ayant collaboré de près à cette enquête émettront de sérieux doutes sur le fait que C.Simioni et les membres d’Hyperion furent de paisibles professeurs. Nicolo Bozzo, un des principaux collaborateurs du Général Dalla Chiesa, déposa sous serment les faits suivants : “ En 1978-1979, le Général me demanda d’enquêter sur une structure secrète paramilitaire, ayant pour fonction la défense du territoire en cas d’invasion. Celle-ci, toujours selon Dalla Chiesa, avait progressivement dépassé le cadre de sa fonction première, en projetant des actions illégales ayant pour but la stabilisation du cadre

17 “ Il Golpe di via Fani ”. Giuseppe de Lutiis. Editions Sperling & Kupfer. 2008.

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intérieur. Cette structure, dont les origines remonteraient à la résistance, infiltrait les organisations “ gauchistes ” mais également celles de tendances opposées ”.18

Les éléments rapportés par N.Bozzo, s’ils sont mis en “ convergences parrallèles ” avec les déclarations de Franceschini pour la commission d’enquête parlementaire du 17 Mars 1999, constituent un ensemble de faits sur lesquels il semblerait utile d’investiguer :

“ Voici le modèle que je vous propose ayant moi-même réfléchi énormément sur le sujet : essayez de conceptualiser une organisation dont le rayonnement est européen, composée de plusieurs sujets qui ont pour mission d’orienter les organisations de lutte armée existantes au sein de plusieurs pays. Cette organisation a, avec les diverses structures, comme les BR ,la Fraction Armée Rouge (RAF), l’Armée Révolutionaire Irlandaise (IRA), les mêmes rapports que nos camarades avaient avec les Collectifs. Plus précisément, ceux qui faisaient partie de cette super-organisation (Franceschini fait référence ici a Moretti), ne se sentaient pas des “ infiltrés ” dans les Brigades Rouges, ou dans de similaires structures, parce qu’ils avaient la ferme conviction de sa portée révolutionnaire ; il est clair que cette portée est bien plus élevée si elle agit sur le territoire européen (…). J’ai acquis la certitude que l’un de ces centres, si ce n’est le centre principal de cette vaste opération fut l’école Hyperion. Bizarement, dans toutes les enquêtes judiciaires il est possible d’explorer toutes les hypothèses sauf celle-ci… ”19

Aucune explication ne fut mise à jour durant les procès quant à l’ouverture des succursales romaines d’Hyperion au cours de l’automne 1977 ni sur leur fermeture qui interviendront en Juin 1978 soit un mois après l’éxécution d’Aldo Moro.

.

Les analyses, qui à ce jour restent des hypothèses, d’officiers de haut rang des carabiniers (N.Bozzo), de juges (R.Priore, P.Calogero), du chef historique des BR (Franceschini), des chargés d’enquêtes parlementaires (G.pellegrino,De Lucca…), d’historiens (G. De Lutiis) et, in fine, des journalistes d’investigation (G.Fassanella, Paolo Cuchiarelli…), incorporent Hyperion dans le cadre de la préservation des accords de Yalta. Cette école est considérée par les sus-cités comme une chambre de compensation entre services secrets. Les lignes tracées par Yalta ne devaient être modifiées par aucun des Etats qu’ils fussent membres de l’Otan ou du Pacte de Varsovie. Quel rôle la France et ses services spéciaux ont-ils joué au sein d’Hyperion et quels intérêts protégeaient-ils ?

2.5 Le rôle de la France : une facade humaniste au service d’intérêts nationaux ?

Dés les années 1960, la France a toujours constitué un refuge pour les fugutifs italiens. Guido Giannettini, lors de sa mise en accusation pour l’Attentat de Piazza Fontana, trouva dans l’hexagone le pays hôte qui lui permit de se soustraire temporairement à la

18 “ Segreto di Stato ” page 132. Giovanni Fassanella e Claudio Sestrieri con Giovanni Pellegrino. Giulio Enaudi Editore s.p.a . Torino .2000. 19 Sténos 50a et 50b de la commission d’enquête parlementaire du 17 Mars 1999 sur “ L’affaire Moro ” sous la présidence de Giovanni Pellegrino.

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justice. Vincenzo Vinciguerra ou Stefano Delle Chiaie passeront également par Paris avant de se fixer en Espagne, puis en Amérique du Sud. Le gouvernement et les intellectuels italiens désignent la France comme responsable de cette situation. En effet, notre pays a abrité depuis la fin des années 70 plus de 300 ressortissants italiens condamnés pour terrorisme d’extrême gauche par leurs propres tribunaux. Cette bienveillance française s’officialisera par ce qu’il est convenu d’appeler la doctrine Mitterrand qui permit à Cesare Battisti et à tant d’autres d’abandonner la clandestinité pour vivre libre sous protection des gouvernements successifs français jusqu’en 2001, afin de donner une seconde chance à “ ceux qui avaient fait le choix du retour à la vie ”. La position de la France dans cet échiquier international ne peut être neutre. L’accueil des terroristes italiens en France présente pour le pays l’avantage d’avoir à demeure une variable d’ajustement dans la guerre souterraine qui oppose les services spéciaux de l’Est, de l’Ouest, mais aussi de la Méditerranée. Il est difficile de conceptualiser qu’Hyperion ait pu prospérer sans l’appui des services français. Le chaînon manquant entre le groupe de Simioni et les services français s’incarne dans la personne de Jean-Louis Baudet, également opérant au sein de l’école, qui lors de son arrestation en France en possession d’armes et de documents des BR, demandera aux policiers qu’ils téléphonent à l’Elysée pour faire valider, par M. François de Grossouvre, (considéré officieusement comme étant à la tête du stay behind français) 20la réalité de son identité et de sa mission.21

Une autre personnalité française de première importance a eu une influence importante autour des activités d’Hyperion : l’Abbé Pierre.

Francoise Tuscher est la nièce de l’Abbé Pierre, mariée à Innocente Salvoni au moment des faits. Après l’homicide d’Aldo Moro, les mandats de capture internationaux lancés par l’Italie inclurent parmi les recherchés le portrait de M.Salvoni. L’abbé Pierre se rendit alors en Italie au siège de la DC pour défendre son neveu par alliance et les animateurs d’Hyperion dans leur ensemble. Il sera entendu car, suite à son intervention, Salvoni, ne figurera plus dans la liste en question. Qui a protégé pendant plus de vingt ans les individus de l’école du Quai des Tournelles ? Et Pourquoi ? Qui tirait intérêt de l’existence d’une école de langues comme paravent au trafic d’armes destiné aux BR ? Ces protections françaises s’inscrivent -elles dans le cadre intermédiaire que la France a voulu mettre en place entre Washington et Moscou ? Giovanni Codini qui fit aussi partie du groupe de l’Hyperion entrouvrit une porte au juge Mastelloni lors de l’instruction qui mena aux procès de 1989 et 1990 : “ Hyperion comptait des amitiés dans le milieu politique français comme celle du Ministre gaulliste Chaban-Delmas via l’Abbé Pierre ”.

20 “ Les Armées secrètes de l’OTAN ” pages 134-5. 21 “ L’expansion fanatique et ses crimes ” pages 61-2 Roger Senart – Noêl Hauterive. Editions de l’Harmatan.1987. “ Il Golpe di via Fani ”. Giuseppe de Lutiis.

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Durant les années Mitterrand, le Président de la République a-t-il également cherché à tirer profit de cette situation particulière, de cette concentration de forces, au service de l’Etat français ? Ces pistes auraient pu rester de pures hypothèses si la magistrature ne les avait pas corroborées avec celles de certains Brigadistes. La théorie du troisième “ joueur ” entre USA et URSS, entre capitalisme et communisme, qui tenterait de se faire une place entre les deux géants pour proposer une troisième voie à l’initiative de la France, en direction des autres pays socialistes ou socio-démocrates du nord et du centre de l’Europe. Une entité occupant un espace nouveau et poursuivant sa propre politique et ses propres intérêts. Le rapprochement entre DC et PCI par le compromis historique aurait laissé peu de place au PSI et aurait pu constituer un exemple de gouvernement en Europe dans lequel les socio-démocrates ne seraient plus qu’un courant secondaire. L’ex- ministre de l’intérieur V.Rognoni dans sa déclaration pour la commission parlementaire sur l’affaire “ Aldo Moro ” fera mention de divergences au sein du gouvernement français au sujet d’Hyperion : “ Le niveau qui était alors le mien, imposait des rencontres régulières avec les ministres de l’intérieur au cours de réunions européennes, parfois elles étaient simplement bilatérales avec les ministres français. Je n’ai eu de cesse, jusqu'à en devenir ennuyeux et répétitif, de demander des clarifications sur Hyperion. La France s’est toujours éclipsée à l’évocation de ce problème, en ce sens que les enquêtes administratives faites sur le sujet ne donnaient rien. La position française sur les mandats de recherche internationaux émis à l’attention de Simioni et consorts était ambiguë. Gaston Defferre qui assurait vouloir répondre favorablement à nos demandes, s’opposait au cabinet du ministère de la justice. La situation se bloquait sans cesse et elle est encore bloquée à ce jour ”.

Le cadre politique de la stratégie de la tension fut consubstantiel de celui imposé par la guerre froide. De l’opération Husky jusqu’à l’exécution d’Aldo Moro, les dynamiques politiques mises en place en Italie ont, de fait, placé celle-ci dans une situation particulière : celle d’un Etat à la souveraineté limitée dans le monde libre. Le nombre des victimes de la stratégie de la tension puis des années de plomb entre 1947 et 1985-87 est estimé à environ 300 morts et plus de 700 blessés. Avant les attaques de Madrid, le 11 Mars 2004, qui firent 200 morts, c’est l’attentat de la gare de Bologne le 2 août 1980, qui détenait le triste record du nombre de victimes décédées en Occident suite à un acte de terrorisme : 80 morts et 200 blessés. C’est d’ailleurs le seul attentat majeur en Italie qui aboutit, à l’issue des procès des coupables avérés, à des condamnations à perpétuité.

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La question posée par cette période de l’histoire italienne et européenne n’est pas inédite, toute les sociétés démocratiques sont confrontées à la raison d’Etat : peut-on ou doit-on recourir à des méthodes anti-démocratiques pour préserver la démocratie ? La question reste ouverte et traine dans son sillage “ ce passé qui ne passe pas ”. Les meurtres et les assassinats politiques peuvent parfois se comprendre et se justifier. C’est précisément pour éviter d’avoir à prendre ce type de décisions que nous choisissons d’être représentés. Il convient donc, à mon sens, d’être cohérent avec le “ luxe ” que nous apportent nos institutions en termes de liberté et de sécurité. Cela a un prix : celui de la vigilance constante. Il est, en revanche, plus difficile d’accepter le recours à la violence des services spéciaux lorsque ceux-ci se servent des citoyens comme variable d’ajustement dans une guerre souterraine alors qu’ils ont promis de les protéger. L’avènement de l’instantanéité par l’intermédiaire des médias électroniques et des réseaux sociaux brouille les repères mémoriels et seuls comptent les événements liés à la soudaineté. Notre rapport à l’Histoire en est parfois affecté. Un sondage réalisé en 2008 en Italie posa la question suivante aux jeunes italiens entre 15 et 25 ans : “ Qui a perpétré l’attentat de Piazza Fontana ? ”. Plus de la moitié d’entre eux répondirent “ Les Brigades Rouges !”. Cet exemple illustre deux réalités, la première est révélatrice de l’amalgame qui est train de se construire au sein des jeunes générations sur cette période de leur Histoire, la seconde indique les difficultés que les sociétés ont à se construire tant que l’Histoire officieuse n’accède pas à l’institutionnalisation qui la rendrait officielle. Ainsi, ce qui restera dans l’Histoire de l’assassinat d’Aldo Moro, est son enlèvement et son exécution par les Brigades Rouges. Cela est vrai, mais incomplet. L’incomplétude historique est précisément ce qui caractérise l’Histoire de l’Italie post seconde guerre mondiale. J’ai donc décidé de continuer mon travail sur le sujet en empruntant les “ chemins de traverse ”, ce que je fais encore aujourd’hui et continuerai à faire.

“ Si nous nous intéressons encore à cette période, c’est parce qu’il y eut des morts ”. Posté par Giovanni Fassanella sur Facebook le 25 Avril 2011.

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Rapport Andreotti sur l’Opération Gladio

Les réseaux clandestins au niveau international

Après la Seconde Guerre mondiale, la peur de l’expansionnisme soviétique et l’infériorité des forces de l’OTAN par rapport au Kominform conduisirent les nations d’Europe de l’Ouest à envisager de nouvelles formes de défense non conventionnelles, créant sur leur territoire un réseau occulte de résistance destiné à oeuvrer en cas d’occupation ennemie, à travers le recueil d’informations, le sabotage, la propagande et la guérilla.

Des réseaux de résistance furent organisés par la Grande-Bretagne, en France, en Hollande, en Belgique et vraisemblablement au Danemark et en Norvège. La France s’occupa des territoires allemands et autrichiens soumis à son contrôle et du territoire national jusqu’aux Pyrénées, tandis que la Yougoslavie centra sa préparation militaire essentiellement sur ce type d’opérations spéciales. Quant à notre pays, le Service Information des Forces Armées (SIFAR) étudia depuis 1951 la réalisation d’une organisation " clandestine " de résistance soit pour uniformiser dans un seul cadre opérationnel de défense les structures militaires italiennes avec celles des alliés, soit pour développer de telles initiatives de façon autonome portées en avant par un pays étranger en Italie septentrionale (les services italiens étaient chargés d’accueillir les organisations US homologues qui développeraient dans l’Italie du Nord des groupes clandestins. Notes du général Musco 8.12.51).

Stay-Behind et la participation italienne aux organes collégiaux de coordination du secteur

Alors que la structure italienne avançait dans sa mise en place, un accord fut signé entre les services américains et le SIFAR, relatif à l’organisation et aux activités du " réseau clandestin post-occupation ", accord communément appelé Stay-Behind par lequel furent confirmées toutes les obligations précédemment intervenues entre l’Italie et les USA. Ainsi, les bases furent jetées pour réaliser l’opération indiquée en code sous le nom de " Gladio ". Une fois constitué l’organisme clandestin de résistance, l’Italie fut appelée à participer, à la demande française, aux travaux du CCP (Comité Clandestin de Planification) opérant dans le cadre du SHAPE (Supreme Headquarters Allied Powers Europe). Un tel organe était chargé d’étudier la conduite de l’activité informativo-collective en cas de guerre, avec une référence particulière aux territoires susceptibles d’occupation ennemie. Dans le comité étaient déjà représentés les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne et d’autres pays de l’OTAN. En 1964, notre service Informations fut invité à rejoindre le CCA (Comité Clandestin Allié), organisme chargé d’étudier et de résoudre les problèmes de coopération entre les différents pays, pour le fonctionnement

Annexe 1. Copie du Rapport Andreotti sur les réseaux atlantistes “ stay behind en Europe ”.

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des réseaux d’évasion et de fuite. La Grande-Bretagne, la France, les Etats-Unis, la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg et l’Allemagne de l’Ouest appartenaient déjà à ce comité.

L’opération Gladio

Sur la base des accords signés tour à tour avec les organisations parallèles des autres nations, le SIFAR inaugura l’organisation clandestine à travers la constitution d’une structure :

Contrôlée par la structure officielle d’information. Formée d’agents opérant sur le territoire qui, au vu de l’âge, du

sexe et de l’occupation, détenaient de bonnes possibilités d’échapper à d’éventuels déportations et internements.

De gestion facile, même de la part d’une structure de commandement extérieure au territoire occupé.

Couverte par un secret maximal et pour cette raison subdivisée dans un ordonnancement cellulaire pour réduire au minimum les dommages de dysfonctionnement.

Le réseau clandestin s’articulait ainsi : Service informations. Service sabotage. Service propagande et résistance générale. Service radio-communication. Service chiffres. Service réception et transfert de personnes.

Les secteurs devaient opérer indépendamment les uns des autres, dont, en théorie, ils devaient ignorer l’existence, raccordés et coordonnés à une base extérieure de repli, individualisée par le SMD en Sardaigne.

Selon le plan de travail fait par le SIFAR, l’organisation de la structure de résistance comportait :

La formation du personnel directeur à travers un cours d’instruction auprès de la Training Division de l’ " Intelligence Service " britannique.

Le recrutement des chefs de réseau et des agents, avec le concours du service Informations.

La planification géographique et opérationnelle des différents services en Italie septentrionale, à raccorder aux bureaux opérations des trois forces armées et au service info USA.

Le choix du matériel avec l’intelligence US.

Après une longue phase de gestation en 1956, fut constituée dans le cadre du bureau " R " du SIFAR, une section entraînement dénommée SAD (Etudes spéciales et entraînement du personnel), à travers laquelle le SIFAR, pour la première fois dans son histoire, met en oeuvre le commandement des " forces spéciales " et de l’appareil d’organisation didactique et logistique nécessaire à leur fonctionnement.

La section, dont le responsable avait un rôle de coordinateur général de l’opération " Gladio ", s’articulait en quatre groupes : l’un de soutien général, un autre de secrétariat permanent et d’activation des branches opérationnelles, un troisième de transmissions, le dernier de support aérien, logistique et opérationnel. Autre structure à la disposition de la section : le CES (Centre d’Entraînement Sapeurs).

Les lignes directrices qui uniformisent l’activité de la nouvelle section sont :

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La constitution de l’appareil directeur central et la planification générale.

La constitution et le renforcement de la base d’entraînement, des instructeurs et des équipements didactiques.

La constitution du centre transmissions (pour les liaisons à grande distance, activité de propagande radio, transmission de brouillage).

La planification des éléments fondamentaux de l’organisation (sécurité, personnel, entraînement, organisation et documentation).

La dispense de cours d’entraînement à l’étranger (auprès de l’école du service US).

Activation des branches opérationnelles (40 noyaux parmi lesquels :) 6 informations 6 propagande 10 sabotage 6 évasion et fuite 12 guérilla 5 unités de guérilla prêtes à l’emploi dans les régions stratégiques appelées : Etoile alpine, Etoile marine, Rhododendron, Azalée et Genêt.

L’entraînement et la qualification des éléments des noyaux et des unités prêtes à l’emploi.

La reconnaissance terrestre et aérienne des zones stratégiques.

Le recueil de la documentation (cartographique, monographique et photographique).

Les activités expérimentales dans le cadre du CES (aériennes, marines, parachutistes, sous-marines et terrains difficiles).

Les dépôts d’armes

En 1959 l’intelligence US envoya auprès du CES les matériels opératoires destinés à équiper les noyaux et les unités opérationnelles, à dissimuler en temps de paix dans des caches appropriées enterrées dans les différentes zones d’opération.

Les matériels en question furent enveloppés dans des emballages spéciaux afin d’en assurer la parfaite conservation et, à partir de 1963, la pose des containers commença. On comptait dans ce matériel des armes portables, munitions, explosifs, bombes, poignards, couteaux, mortiers de 60 mm et canons de 57 mm, fusils de précision, transmetteurs (émetteurs radio), viseurs et différents accessoires.

A la suite de la découverte fortuite d’un container par des carabiniers aux environs de Aurisina, afin d’obtenir de meilleures conditions de sécurité, on commença à partir de 1972, à récupérer tout le matériel et à le stocker dans des postes de carabiniers proches du lieu où il avait été enfoui. Les explosifs furent concentrés près du CES et du dépôt de munitions de Camponela (Nuoro). L’opération de récupération menée en 1973 permit de récupérer 127 des 139 containers.

Parmi les containers manquants : 2 (armes légères) furent emportés par des inconnus, sans

doute à l’époque où on les avait enterrés (31.10.64). 8 (armes légères, matériels) furent abandonnés sur les lieux

mêmes car leur récupération impliquait des démolitions inopportunes.

2 (un avec des armes légères, un avec des explosifs) irrécupérables parce que englobés par une extension de superficie d’un cimetière.

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Directives sur la guerre non orthodoxe (GNO)

Dès les années 80, la réduction des exigences inhérentes aux précédentes dépositions post-Seconde Guerre mondiale et les modifications radicales survenues au Service d’Information et de Sécurité Italien ont conduit à revoir les modalités de réalisation de la guerre non orthodoxe, fût-ce dans le respect par notre pays des accords internationaux.

Dans un tel contexte, la réduction des directives du SHAPE, en particulier sur la guerre non orthodoxe, de janvier 1969, et les accords conclus au siège du Comité de Coordination Alliée ont entraîné la formation au SISMI de cadres qualifiés et gradés pour instruire du personnel externe, en cas d’invasion, sur des opérations militaires clandestines telles que :

Informations et propagande. Évasion et infiltration. Guérilla. Sabotage.

Toute la conduite des opérations est confiée à du personnel du SISMI qui active une base nationale déjà prête sur notre territoire. En temps de paix, cette base assume également des fonctions d’entraînement pour la lutte clandestine et les dépôts de matériel sous le nom conventionnel de Centre d’entraînement sapeurs et paras.

Pour les opérations clandestines, il fut prévu au départ l’enrôlement d’un millier d’éléments environ parmi lesquels une centaine déjà recrutés et entraînés pour les activités d’information, de propagande, d’évasion et d’infiltration. L’entraînement et la participation à des actions de sabotage et de guérilla sont réservés à des membres du service particulièrement sélectionnés. En cas de conflit, on prévoit le recrutement, au sein des cadres du service, d’un nombre indéfini de partisans (soldats).

L’activité principale en temps de paix consiste essentiellement à rechercher et éventuellement à recruter des personnes aptes à assurer des fonctions de commandement et des éléments maîtrisant des notions spéciales.

L’entraînement du personnel recruté. Des exercices en commun avec les services alliés. L’acquisition et la conservation à long terme du matériel. Le contrôle du personnel déjà recruté à des fins de sécurité. L’échange d’expérience avec les services reliés entre eux.

Le recrutement du personnel " civil " en quatre phases : individualisation, sélection, entraînement et contrôle.

La loi 80.177 prévoit : L’interdiction de recruter des sujets tels que membres du

Parlement, conseillers régionaux, provinciaux ou municipaux, magistrats, ministres du culte ou journalistes.

La possession de qualités garantissant " une fidélité scrupuleuse aux valeurs de la Constitution républicaine antifasciste ".

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Bien sûr pas de charge pénale, ni de politique activiste, ni de participation à des mouvements extrémistes quels qu’ils soient.Des contrôles réguliers vérifient la permanence des exigences précitées, dont le manquement implique - dans certains cas, cela s’est produit - l’exclusion de l’organisation.

Conclusion

On peut affirmer aujourd’hui que l’opération : Est prévue par des directives de l’OTAN et insérée dans la

planification. Est réalisée et perfectionnée à des fins de sécurité absolue,

surtout en ce qui concerne le contrôle sur l’emploi du matériel, dont le personnel ne pourra entrer en possession que sur l’initiative des autorités centrales et par le recours à des modalités particulières qui ne tolèrent aucune initiative autonome au niveau intermédiaire.

Est destinée à contrarier d’éventuelles occupations étrangères du territoire national susceptibles de mettre en péril les institutions démocratiques ou la libre expression des droits constitutionnels.A la lumière des événements récents et significatifs qui ont bouleversé l’Europe de l’Est, le gouvernement s’impose de revoir toutes les dispositions en matière de guerre non orthodoxe et de promouvoir toute initiative propre à vérifier, tant sur le plan politique que sur celui de la technique militaire, l’actuelle utilité et la validité des systèmes de protection du territoire national.

Giulio Andreotti, président du Conseil italie

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Annexe 2. Extrait de copie de la note Westmoreland “ Field Manual 30-31B ”.

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INTRODUCTION I - SUR LA RECEVABILITÉ DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION II - SUR L'OPPORTUNITÉ DE LA CRÉATION D'UNE COMMISSION D'ENQUÊTE EXAMEN EN COMMISSION

…Certes, il n'est pas inenvisageable que des personnes de nationalité française aient pu participer à des activités de répression, mais si cela a été le cas, ce fut à titre individuel : de tels comportements ne relevant alors pas d'une commission d'enquête, mais de la justice. D'ailleurs, les ressortissants français concernés étaient des anciens de l'OAS, qui faisaient généralement l'objet d'une condamnation en France. Ainsi, toute affirmation selon laquelle, ils auraient pu être liés à un gouvernement français qui les pourchassait, l'amnistie des anciens de l'OAS ayant été voté en 1982 par la gauche, relève de la pure affabulation. Votre Rapporteur estime donc que les allégations portées sur le rôle de la France en Amérique latine dans les années 1970 sont sans fondement sérieux. Elles reposent en effet largement sur des raccourcis discutables liés à la prétendue invention par l'armée française du concept de “ guerre subversive ”. Dans, ces conditions, il ne semble pas opportun de créer une commission d'enquête sur le rôle que la France aurait joué dans la répression menée parles dictatures latino-américaines entre 1973 et 1984, qu'elle a toujours condamnées… Rejet d'une commission d'enquête sur le soutien de la France à la dictature Argentine Au bénéfice des observations qui viennent d'être formulées, votre Rapporteur conclut donc au rejet de la proposition de résolution n°1060. EXAMEN EN COMMISSION …La Commission a examiné la présente proposition de résolution au cours de sa réunion du 16 décembre 2003. Après l'exposé du Rapporteur, M. Noël Mamère a fait part de son désaccord sur les arguments plutôt sélectifs avancés par le Rapporteur. En effet, l'exposé des motifs de la présente proposition de résolution ne comporte pas simplement des allusions à des anciens de l'OAS mais cite dans le film de Marie Monique Robin les déclarations du général Aussaresse. Celui-ci était attaché militaire de l'ambassade de France au Brésil de 1973 à 1975 et dit clairement, dans ce film, le rôle qu'il a joué dans la formation des escadrons de la mort. Par ailleurs, Pierre Messmer confirme dans ce film qu'il y a bien eu une coopération militaire entre la France et des pays d'Amérique latine, avec formation axée sur l'enseignement de la guerre contre la Révolution, assurée par des anciens d'Algérie. Dans ces conditions, M. Noël Mamère a estimé que la demande de création d'une commission d'enquête restait fondée et que les arguments avancés par le Rapporteur n'étaient ni valables, ni justifiés. Leur seul objectif est d'éviter de faire la lumière et de travestir la vérité. Dans le cas où le vote de la Commission des Affaires étrangères concluerait au rejet de la présente proposition de résolution, il a demandé que soit créée une mission d'information sur ce sujet…

Annexe 3. Extrait de la décision de non recevebalilité d’ouverture de l’enquête parlementaire

demandée par Noël Mamére sur le rôle de la France dans l’instruction par des ressortisants français des Escadrons de la mort sud-américain.

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DALL''ARCHIVIO DEL CORRIERE In teleselezione dalla Francia gli ordini ai terroristi italiani? Due giudici vanno a Parigi per controllare la pista delle riunioni dei “cervelli” Br

Questo pezzo è uscito sul Corriere della Sera giovedì 26 aprile 1979. Oggi è raccolto nel libro “7 aprile Cronache e retroscena dal Corriere della Sera” di Antonio Ferrari, edizione Cleup, pubblicato il mese scorso. Alle 15 di oggi si terrà una videochat con il giornalista del Corriere sugli anni del terrorismo dal titolo “Trame nere, trame rosse. I complotti, il potere”. dal nostro inviato speciale PADOVA – È stata un’altra giornata frenetica. Il giudice Pietro Calogero, nonostante la festa della Liberazione, ha rinunciato perfino al pranzo per poter seguire una serie di confronti testimoniali al terzo piano del palazzo della questura dove si trovano gli uffici della Digos. Un testimone era già comparso, l’altra notte, nella caserma del carabinieri, e il magistrato aveva raccolto la sua deposizione-lampo, preoccupandosi, immediatamente, di verificare ogni parola, ogni virgola del racconto. La rigida procedura del “riscontro immediato” è la filosofia di questo magistrato che da mesi non si concede un giorno di riposo. Che cosa sta bollendo nel pentolone eversivo che sarebbe stato scoperchiato dall’inchiesta padovana? Quanto è accaduto nelle ultime ore fa pensare che neppure l’autore più abile e smaliziato di un copione cinematografico avrebbe potuto scrivere una storia tanto drammatica e avvincente. Una storia dove tutto ancora si deve giocare, dove i personaggi si inseguono, le carte si scoprono e si ricoprono, dove vige una regola (o, se si vuole, un metodo) che pochissimi conoscono e che tutti gli altri non riescono esattamente a decifrare. Là, nel cuore di Parigi, in un quartiere elegante, si sarebbe riunita la direzione strategica delle Brigate Rosse. Da quel quartiere sarebbero partite le “direttive di carattere operativo ” per numerose operazioni terroristiche. È una scuola, un istituto linguistico, si chiama “Hypérion” vicino al Louvre, arredamento di lusso. Ed a parlare sarebbe stato proprio un telefono di questo istituto.

Messo sotto controllo, su richiesta del giudice Calogero, il telefono avrebbe raccontato di “voci italiane chiare e forti” (cioè non in codice), di collegamenti internazionali, di parole d’ordine. Tutti elementi che sarebbero risultati insignificanti se non si fosse seguita una strada precisa. Una strada che – abbiamo soltanto una timida conferma – individuerebbe in

Parigi la capitale europea, ma soltanto europea, dell’eversione. Torniamo all’istituto. Lo frequentano italiani e stranieri. Chi sono gli insegnanti? Affiorano tre nomi, tre nomi di italiani, Vanni Mulinaris, udinese, 33 anni, direttore della scuola linguistica; Duccio Berio, 31 anni, milanese, figlio di un medico; Corrado Simioni, 36 anni, nato a Dolo (Venezia). Tre nomi collegabili alla Brigate Rosse? Oppure, semplicemente, tre tranquilli insegnanti di uno degli istituti più chic della capitale francese? Le ipotesi sono tante. Ciascuna può essere validissima, valida, incerta, traballante, falsa. Le certezze, forse, si trovano nelle carte processuali, oppure sono nascoste nelle pieghe delle indagini tuttora in corso. E allora, come abbiamo fatto nei giorni scorsi, ci aggrappiamo ai pochi dati storici che abbiamo raccolto. Sarà un caso, ma Mulinaris, Berio e Simioni sono vecchi amici di Renato Curcio. Una amicizia che, per i primi due, nasce nella facoltà di Sociologia di Trento, per il terzo nel “collettivo politico metropolitano ”, un’organizzazione, formatasi a Milano verso la fine degli anni Sessanta, che può considerarsi genitrice delle Brigate Rosse. Cominciamo da Mulinaris e Berio. A Trento li ricordano molto bene. Mulinaris e Berio fondatori del movimento di Sociologia. Berio coinvolto (e poi prosciolto) nell’istruttoria su Radio GAP. Mulinaris protagonista di alcune inchieste, condannato a quattro mesi per

Il corpo di Aldo Moro rinvenuto in una Renault in via Caetani a Roma. Era il 9 maggio 1978 (Ansa).

Annexe 4. Copie de l’aricle du “ Corriere della Sera ” du 26 avril 1979 relatant le déplacement

imminent du Juge Pietro Calogero à Paris pour enquêter sur Hyperion.

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vilipendio: Mulinaris che, improvvisamente, sembra nel marzo ’72, se ne va da casa, abbandona la fidanzata, abbandona la madre, abbandona, nella disperazione, il padre. Il padre, Bepi, contitolare di un piccolo pastificio a Udine, lo cerca dappertutto. Vuole sapere dove sia andato. Dice di essere disposto a vendere la sua quota del pastificio, purché il figlio ritorni. Ma il giovane è all’estero. Di lui, soprattutto, parlerà – nel suo famoso memoriale – il sedicente brigatista Marco Pisetta, personaggio noto a chi conosce la storia delle BR. Nella seconda metà del ’69 il gruppo trentino è a Milano. E qui c’è l’incontro con Corrado Simioni, che un tempo lavorava come grafico in una grande casa editrice. Simioni, nel ’69, fa parte del “collettivo politico metropolitano”, un gruppo che teorizza lo scontro aperto con partiti e istituzioni. Ma come deve svilupparsi questo scontro? A Chiavari, tra il primo e il quattro novembre del ’69, si apre un convegno. Presenti personaggi emergenti del “collettivo politico metropolitano ” e numerosi giovani cattolici del dissenso. Settanta persone in tutto; tra queste, Renato Curcio, Margherita Cagol, Giorgio 67 Semeria, Corrado Simioni e, sembra, Vanni Mulinaris. Il convegno si svolge nella sala Marchesani, adiacente all’albergo “Stella Maris”, entrambi di proprietà della Curia. E i risultati del convegno segnano una svolta; alcuni tra i partecipanti si dichiarano per la “lotta armata ”, che ha, come immediata conseguenza, la clandestinità. Curcio è il capo, altri lo seguono. È il primo passo: la nascita storica delle Brigate Rosse. Arriva il ’70 e ormai la frattura tra chi teorizza la clandestinità, e chi è contrario sta diventando insanabile. L’ultimo atto comune è il numero uno- due della rivista “Sinistra proletaria ”: copertina rossa, in mezzo un grande cerchio nero, dentro al cerchio quattordici mitra disegnati. La redazione politica è composta fra gli altri, da Curcio, Mulinaris e Simioni. È l’ultimo passo insieme. Poi le strade si separano. I nomi di Mulinaris e Simioni sono ricomparsi l’altro ieri, seguendo la pista dell’istituto “Hypérion” di Parigi. Antonio Ferrari (Corriere della Sera, 26 aprile 1979)

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----- Original Message ----- > From: "guillaume.origoni" > To: > Sent: Thursday, November 18, 2010 7:17 PM > Subject: Prise de contact > Madame Tüsher, > Je me présente: Guillaume Origoni.41 ans.Je vis en famille à Marseille. > Le présent e.mail n' a pas de rapport avec "la mesure". > Je suis actuellement en formation continue à SC. PO à Aix en Provence et je > prépare un mémoire que je souhaiterais ensuite continuer peut être jusqu'à une thèse. > Celui-ci traite sur "l'exception française de la stratégie de la tension". > J'imagine que vous voyez déjà où je veux en venir et j’espère ne pas vous > importuner inutilement ou désagréablement. > Ma motivation n'est pas le fruit d'une curiosité anecdotique. Elle n'a rien non plus de "malveillante" et elle n'est, bien entendu, téléguidée par personne. > J'étudie cette période de notre histoire ( je dis notre car j'ai moi même un > pied en Italie et un autre en France ) depuis plus de 5 ans et je suis assez frappé de voir > le faible impact de cette période en France, vraisemblablement due à ce que je nomme > dans mon mémoire "l'exception française". > Pour être précis, je pense que vous pourriez m'aider à ce sujet. > Accepteriez vous ? > Je suis évidement prêt, à vous démontrer par tous les moyens que vous > jugerez bons ma bonne foie et le réel intérêt que je porte à mes recherches. > > Bien Cordialement. > Guillaume Origoni. Message du 20/11/10 18:52 > De : "lamesure" > A : "guillaume.origoni" > Copie à : > Objet : Re: Prise de contact > > > Bonsoir, > > J'ai bien pris connaissance de votre message. > > Malheureusement les accusations portées contre notre école Hypérion nous ont > "pourri" la vie pendant des années (d'avril 78... à des relents sur Internet > encore dernièrement, plus de 30 ans après !) ; la vie de toute l'équipe de > notre école, mais encore plus particulièrement celle de Vanni Mulinaris, qui > a été détenu pendant 3 ans (à partir de 82). > > TOUT CELA POUR ARRIVER A DEUX NON LIEUX, EN DECEMBRE 89 AU TRIBUNAL DE ROME > ET LE 21 DECEMBRE 90 A CELUI DE VENISE, et même à un dédommagement de l'Etat > italien en 93 à Vanni Mulinaris pour avoir été emprisonné indûment ! > > Vous comprendrez que ni Vanni Mulinaris, ni moi-même n'ayons aucune envie de > nous replonger dans cette panade. > > Je vous conseille de vous fier plus aux conclusions des procès qu'aux > délires des articles de presse ou à ce qui traîne sur internet. > > Cordialement, > Françoise Tüscher >

Annexe 5. Echange d’e.mail avec Mme Françoise Tuscher

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Bibliographie :

• Intrigo Internazionale. Giovanni Fassanella – Rosario Priore. Editions Chiarelettere.Milan. Mai 2010.

• Il sol dell’avvenire. Giovanni Fassanella – Gianfranco Panone. Editions Chiarelettere.Milan. Mars 2009.

• Il Golpe di via Fani . Giuseppe de Lutiis. Editions Sperling & Kupfer. 2008.

• Segreto di Stato. Giovanni Fassanella e Claudio Sestrieri con Giovanni Pellegrino. Giulio Enaudi Editore s.p.a . Torino .2000.

• La sfinge delle brigate rosse. Deliti, segreti e bugie del capo terrorista Mario Moretti ”. Sergio Falmigni. Edizioni Kaos. Milan. 2004.

• Scritti corsari . Pier Paolo Pasolini. Editions Garzanti. Milan 1975.

• Il segreto di Piazza Fontana . Paolo Cucchiarelli. Editions S.P.A. Milan.2009.

• L’expansion fanatique et ses crimes. Roger Senart – Noêl Hauterive. Editions de l’Harmatan.1987.

• The NATO’s secret Armies : Operation Gladio and Terrorism in Western Europe. Daniele Ganser. Editions Franck Cass.2005.

• Mon sang retombera sur vous : lettres retrouvées d’un otage sacrifié mars-mai1978. Aldo Moro. Editions Taillandier. 2005. Paris.

• L’affaire Gladio. Les réseaux secrets américains au cœur du terrorisme en Europe. Jean-

François Brozzu-Gentile. Editions Albin Michel.1994.Paris.

• Piombo Rosso. La storia completa della lotta armata in Ialia dal 1970 a oggi. Giorgio Galli. Editions Baldini, Gastoldi. 2004. Milan.

• B…comme barbouzes. Patrice Chairoff.Editions Alain Moreau. 1975.Paris

• Gladio. Sous la direcion de Jan Willems.Editions EPO.1991.Anvers.

• Les rapports d’enquête parlementaires de la commission “ attentats ” de 1999 et 2000. Présidence de Giovanni Pellegrino.

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• Les rapports d’enquête parlementaires de la commission “ P2 ” de 1995. Présidence de Tina Anselmi.

• Le Rapport d’enquête sénatorial de Belgique sur les tueries de Brabant Wallon de 1991.

Filmographie-Documentaires :

• L’Orchestre Noir (doc). Réalisation JP.Meurice sur les enquêtes de Fabrizio Calvi et Frederic Laurent. Diffusion ARTE. 1997.

• Gladio. Part I. Part II. Part III (doc). Réalisation Alan Francovitch. BBC 1992.

• Blu Notte (doc). Carlo Luccarelli. Série documentaire diffusée sur RAI 3 depuis 1998.

• Il DIVO (f). Réalisation de Paolo Sorentino. 2009.

• Cadavres exquis (f). Enquête sur un citoyen au dessus de tous soupçons (f). L’affaire Mattei (f). Réalisation Francesco Rosi.

• Mort à Rome (doc). Editions l’Harmattan.

• Il sol dell’ avvenire (doc). Giovanni Fassanella – Gianfranco Panone. Editions Chiarelettere.Milan. Mars 2009.