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a n n a l e s d e s m i n e s o c t o b r e 2 0 0 5 11
La Terre est une pla-nte dynamique. Sa surface en perptuel mouvement nous expose des
catastrophes de plus en plus
meurtrires en raison de lac-
croissement exponentiel de
la population. Douze grandes
plaques et quelques-unes plus
petites ne cessent de glisser
les unes contre les autres,
des vitesses variant de 1 15
mtres par sicle. Cest sur
les frontires de ces plaques
que se concentre lessentiel
de la sismicit et du volca-
nisme mondial. Dans le sicle
qui vient de scouler, trem-
blements de terre, ruptions
de type explosif et tsunamis
associs ont fait des millions
de victimes.
Parmi toutes ces catastrophes,
les sismes tectoniques, dus
la rupture des failles, lem-
portent en puissance et en
soudainet. Chacun se sou-
vient de celui du 26 dcembre
2004 Banda Atjeh-: un glis-
sement de 10 20 mtres sur
linterface sparant la plaque
indienne de lAsie, de 50-km
de profondeur jusquau fond
marin, relchant des tensions
accumules de puis des sicles
et dclenchant lun des tsu-
namis les plus dvastateurs
de lhistoire. Une rupture se
propageant de Sumatra jus-
quau nord des les Andaman
1 200-km en prs de 9
mi nutes-! , et correspondant
une magnitude de 9.3. Sans
doute plus de 400-000 victi-
mes, si les disparus pouvaient
tre compts. Nul navait anti-
cip ce sisme, ni linstant
de son dclenchement ceci
chappe encore au savoir-faire
technique et conceptuel des
gophysiciens et gologues ,
ni sa taille. Nul nimaginait,
ce moment, en cet endroit, la
possibilit dun tel cataclysme.
La tectonique, source des plus grands cataclysmes telluriques actuels
Les grands cataclysmes ont fait, dans le sicle coul, des millions de victimes. Ces phnomnes nous avons, aujourdhui, la capacit de les voir venir, donc le temps et les moyens dagir. Seuls, ou presque, en ltat actuel des connaissances, les grands sismes restent imprvisibles. Pourquoi? Ce que nous savons, ce que nous pouvons faire et comment aller plus loin pour se rapprocher de la prdiction court terme.
par Paul Tapponnier,Physicien, Laboratoire de tectonique, Institut de physique du globe de Paris
Do, pour partie, lampleur
des destructions.
Nous sommes aujourdhui
capables de -voir venir- la
plupart des grandes catastro-
phes naturelles.
Les volcans actifs de la pla-
nte, par exemple, sont tous
recenss. Leur comportement
ruptif, peu prs dchiffr.
Leurs flancs peuvent tre truf-
fs dinstruments trs sensi-
bles (sismomtres, godim-
tres, etc.), et leur plomberie
interne ainsi ausculte au jour
le jour. Les variations chimi-
ques de leur haleine, analy-
ses presque en temps rel.
La monte du magma, qui pr-
cde lruption, ne se fait en
gnral pas sans signes que
lon puisse interprter avant
quil ne soit trop tard (voir
article de Claude-Jaupart dans
ce numro).
Dans une atmosphre trans-
parente, constamment scrute
par les satellites, on voit aussi
natre temps les grandes
temptes tropicales, dont on
peut suivre le trajet dheure en
heure, et valuer lvolution et
limpact potentiel.
Pour ces phnomnes, nous
avons dsormais le temps et
les moyens dagir du moins
en principe. Mais, dans ltat
actuel des connaissances, les
grands sismes restent impr-
visibles. Pourquoi-? Comment
progresser-?
Tout mcanicien des roches sait
pourtant que la rupture brutale
dun chantillon de granite ou
de grs dans un essai triaxial,
en laboratoire, est prcde
de signes prcurseurs mesu-
rables. Dforma tion volumi-
que et fracturation -audible-
sacclrent. On sait mesurer
la charge limite dune roche o
dune surface de faille, tem-
prature et pression donnes.
Pour un petit cylindre de gra-
nite grain fin, temprature
ambiante et sous une pression
de confinement de 50-MPa,
par exemple, la contrainte
axiale limite avant rupture est
peu prs dix fois plus grande
(-500 MPa). Cette rsistance varie peu avec la temprature
et augmente linairement avec
la pression, cest--dire avec
la profondeur dans la partie
suprieure de la crote, l o
se dclenchent la plupart des
sismes. Les fluides prison-
niers de la roche, leau prin-
cipalement, diminuent cette
r sistance-: ils jouent un rle
affaiblissant que lon sait trs
bien quantifier. Ces lois sap-
pliquent presque toutes les
roches et, fait avantageux,
dpendent peu de leur min-
ralogie prcise.
Comment se peut-il donc que
nous ne sachions pas encore
transfrer ces acquis expri-
mentaux et thoriques aux
conditions naturelles pour
voir venir- les sismes, au
moins les plus grands et meur-
triers dentre eux-?
Une premire difficult, parmi
dautres, est qu linverse dun
volcan, objet clairement visi-
ble et circonscrit, une faille
active (capable dengendrer
des sismes) est une structure
subtile, pour lessentiel cache
en profondeur. Chacun dentre
nous peut reconnatre un vol-
can actif. Bien rares sont ceux
qui reconnaissent une faille
active lorsquils la traversent.
Les signes sont tnus-: tout
au plus quelques irrgularits
dans le sol ou le relief. On est
donc bien loin de connatre
toutes les failles sismognes
de la plante. Et encore moins
leur comportement.
Deuxime difficult, les failles
qui produisent les grands
sismes sont de trs grands
objets-: plusieurs dizaines
plusieurs centaines de kilom-
tres de long. Or le sisme se
dclenche en un -point--: une
petite rgion, dite focale, do
la rupture se propage ensuite
rapidement tout le plan de
faille. Comment identifier cette
zone de nuclation avant le
dclenchement-? O mettre
des instruments, et en quel nom-
bre-? Beaucoup, partout, sur
des centaines de kilomtres de
longueur-? Une telle stratgie
est hors datteinte dans la plu-
part des rgions sismiques du
monde.
Une troisime difficult, fon-
damentale, est quun sisme
est une instabilit mcanique.
Les processus de prparation
r e s p o n s a b i l i t & e n v i r o n n e m e n t
ne se manifestent que par des
variations trs faibles des gran-
deurs physiques mesurables,
de surcrot en profondeur. Les
consquences en surface de
ces variations sont encore plus
faibles. Il reste trs difficile
de mesurer en temps rel des
variations de deuxime ordre
(acclrations) des dforma-
tions et des contraintes tecto-
niques. Cest lobstacle prin-
cipal entre terrain et labora-
toire.
Ceci tant, des progrs dci-
sifs, et rapides, sont en cours.
Ils rsultent de sauts quantita-
tifs dans les techniques dob-
servation de la Terre. Science
trs jeune (-30 ans), la sismo-tectonique (tude des failles
actives) se situe au point de
rencontre de trois disciplines
(gologie, sismologie, et go-
dsie) et de leurs approches.
La gologie permet de remon-
ter le temps et de comprendre
comment les failles ont rel-
ch leurs tensions au cours
des sicles passs-: quels sis-
mes elles ont produits, et avec
quelle frquence (palosismo-
logie). Lapproche gologique
permet aussi de dterminer les
vitesses long terme (millnai-
res) des failles, dont dpen-
dent crucialement les temps
de retour des sismes, en
mesurant lvolution des reliefs
quelles crent ou dplacent
(gomorphologie). Godsie
spatiale et sismologie, dont
la finesse de perception a t
dcuple par les progrs ins-
trumentaux rcents, permet-
tent de dtecter des variations
des mouvements superficiels
et profonds inaccessibles il y
a seulement dix ans. Certaines
autres techniques gophysi-
ques (mesures des variations
des champs lectrique ou
magntique) ou gochimiques
(mesures des variations des
taux dexhalaison de certains
gaz) ont aussi leur mot dire.
Illustrons ces progrs par quel-
ques exem ples.
La premire urgence est de
dchiffrer le comportement
sismique pass dune faille
reconnue active. Comme pour
un volcan, il faut avant tout
savoir quoi sattendre. Il est
vital, par exemple, de savoir
que lhistoire des ruptions du
Vsuve est faite dalternances
de phases ruptives conduit
ouvert, continues mais dam-
pleur modre, qui durent
des dcennies ou des sicles,
spares par des priodes de
cal me complet conduit ferm,
qui peuvent aussi durer des si-
cles, mais dont la fin est mar-
que par les ruptions les plus
catastrophiques, dautant plus
catastrophiques que le repos a
t long (Pompei en 79-ap. J.-
C., 1631, entre autres).
Sur les failles aussi, les sismes
se reproduisent intervalles
plus ou moins rguliers, et
une rgle comparable sappli-
que-: plus lattente est longue,