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Samuel Buton - 2006 1 Samuel Buton La territorialisation de l’économie Du système alimentaire à la réinvention du territoire La Rochelle Mai 2006 Mise en ligne en février 2007

La territorialisation de l'économiesamuel.buton.free.fr/La_territorialisation_de_l_economie.pdf · 2 Le décret du 27 mars 2000 relatif à la composition du Gouvernement nomme M

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  • Samuel Buton - 2006 1

    Samuel Buton

    La territorialisation de

    l’économie

    Du système alimentaire à la réinvention du territoire

    La Rochelle

    Mai 2006

    Mise en ligne en février 2007

  • Samuel Buton - 2006 2

    Tentative revendiquée d’une autre conception du territoire et de ses logiques de production, la

    présente réflexion, cloîtrée dans l’académisme universitaire puisque synthèse des mémoires de

    recherches de Maîtrise et de DEA effectués à l’Université de La Rochelle en 2005 et 2006 sous

    l’aimable et libre direction de Louis Marrou, si modeste et inachevée soit elle et n’ayant d’autre

    prétention que de proposer de la matière à débat, s’adresse prioritairement à celles et ceux qui, en

    cours de formation (ou de déformation), s’intéressent de près ou de loin à la relation

    économie/territoire.

  • Samuel Buton - 2006 3

    Table des matières

    INTRODUCTION 8

    Première partie : Cadre de la réflexion 12

    I La territorialisation de l’économie comme objet géographique 13

    A L’économie : Elément omniprésent dans le fonctionnement de la société 14

    - Une société à économie de marché 14

    - L’insertion dans « l’économie monde » 15

    - « La consommation comme organisation totale de la quotidienneté » (J.Beaudrillard) 16

    B Le territoire à la fois support et produit ? 17

    - L’investissement de l’espace physique 17

    - Le produit territoire 18

    - Un territoire façonné et aménagé 19

    C Une géographie sociale et économique 20

    - Territorialisation des phénomènes 20

    - Entre géographie économique et économie spatiale 21

    - Un objet d’étude pluridisciplinaire 22

    II La question du système de pratiques alimentaires 24 A Du consommateur au producteur, état des lieux 25

    - L’homogénéisation des comportements de consommation 25

    - « La dictature du rendement » (J.Soppelsa) 28

    B Quelles implications territoriales, environnementales et sanitaire ? 29

    - La grande distribution au cœur des enjeux 29

    - Des préoccupations environnementales et sanitaires 30

    - Les consommateurs face au risque alimentaire 33

    C L’émergence de nouvelles expériences 35

    - La consommation engagée 35

    - Les paniers : Une autre relation producteur/consommateur 36

  • Samuel Buton - 2006 4

    III Les pistes d’analyse empruntées 39 A L’économie sociale et solidaire : Economie à base territoriale ? 40

    - De quelle économie sociale et solidaire parlons-nous ? 40

    - Rappels historiques 41

    - Flux, pôles et absence d’intermédiaires 42

    - Réseaux territoriaux 43

    - Entre économie et territoire : L’habitant 44

    B Le concept de projet territorial local 46

    - Un repli sur soi ? 46

    - Mise en valeur et patrimoine 46

    - Les acteurs du projet 48

    C De nouvelles articulations pour un nouveau territoire ? 50

    - Un territoire pour l’économie ou une économie pour le territoire ? 50

    - La démocratie participative et l’individu « architecte-habitant » 51

    - Le jeu des échelles 53

    - Une qualité territoriale ? 54

    Seconde partie : Ouvertures 56

    I Les espaces de l’action publique pour une territorialisation de l’économie 57

    A Un cadre d’action entre espace économique, espace social et espace politique 58

    - Analyser les caractères des espaces en jeu 58

    - Identifier les liens entre espaces à travers les discours 61

    B Mobiliser l’espace politique public pour produire du territoire collectif 64

    - Les formes classiques d’espaces politiques publics 64

    - Réinventer des schémas espace/politique… 67

    - …dans la perspective d’un territoire collectif 69

    C De l’échelle du projet territorial local à l’échelle de l’action publique 73

    - Un système territorial hyper complexe ? 73

    - Le jeu des échelles entre le projet et l’action 75

  • Samuel Buton - 2006 5

    II La territorialisation de l’économie dans un projet de société 78 A Le développement durable : la perspective d’un territoire nouveau ? 79

    - D’une double communication idéologique et stratégique… 79

    - …aux outils et méthodes d’action 81

    - Entre « trompe l’œil » et idéologie du « contentement » ? 83

    B La territorialisation des pratiques dans un projet fondé sur la décroissance 87

    - Les principaux contours de l’idée contemporaine de décroissance 87

    - Entre micro et macro projet : quels intérêts pour une territorialisation des pratiques ? 89

    - Décroissance et espace, ou l’éclosion de nouvelles formes territoriales 92

    CONCLUSION 97

  • Samuel Buton - 2006 6

    Avant propos

    Une mise au point préalable concernant la posture et le statut de l’auteur me semble

    opportune.

    Afin de prévenir l’éventuel sentiment de « duperie » qui pourrait animer certains, non contents d’en

    être informés postérieurement, il faut rappeler que l’auteur des lignes suivantes, s’il s’engage

    effectivement dans une démarche de réflexion revendiquant une certaine rigueur scientifique, est

    aussi un être humain, un habitant. Saisissante révélation si elle en est, j’exerce donc, y trouvant

    même parfois de l’intérêt, diverses activités en dehors de mes occupations universitaires.

    Pour ceux qui pourraient donc interpréter, assurément à tort, l’« information non dite » comme un

    manquement à l’honnêteté scientifique et afin d’éviter toute équivoque, il convient d’informer dès à

    présent le lecteur de ma participation à une Association pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne

    (AMAP) à La Rochelle.

    Nonobstant, cette situation n’hypothèque aucunement de fait toute « scientificité » des

    raisonnements entrepris, mais au contraire, son annonce supprime l’éventuelle ambiguïté que sa

    dissimulation laisserait planer chez quelques uns.

  • Samuel Buton - 2006 7

    « Etudier la vie quotidienne serait une

    entreprise parfaitement ridicule, et d’abord

    condamnée à ne rien saisir de son objet, si l’on

    ne se proposait pas explicitement d’étudier cette

    vie quotidienne afin de la transformer. »

    Guy Debord

    Revue Internationale Situationniste, août 1961

  • Samuel Buton - 2006 8

    INTRODUCTION

    Pendant très longtemps la survie de l’Homme a été conditionnée par ce dont il disposait au

    sein de son environnement proche. Petit à petit il a su acquérir des techniques afin de mettre en

    valeur des milieux dont il ne pouvait jusque là tirer profit. Ces techniques qui se sont développées et

    ont évolué au fil du temps, pendant qu’elles participaient à une croissance importante de la

    population humaine en la « libérant » des contraintes naturelles, ont progressivement amené les

    activités humaines à de plus en plus « s’affranchir » du territoire sur lequel elles s’inscrivaient

    (notamment par les techniques agricoles, l’essor des transports, etc). L’organisation économique

    telle qu’elle prend place dans notre société contemporaine, en France comme dans de nombreux

    autres pays, illustre ce constat d’une dégradation, voire d’une disparition de certains liens entre

    l’économie et le territoire. A une époque où le phénomène de mondialisation économique (sous une

    forme globalisante) cristallise beaucoup d’attentions tant chez les chercheurs que dans les médias et

    la population, cette relation entre activités économiques et territoire semble des plus intéressantes à

    étudier. Le plus souvent abordée sous l’angle économique, c’est ici en partant du territoire comme

    élément clé que nous tenterons de construire un raisonnement géographique, mais qui se voudra

    aussi forcément pluridisciplinaire.

    En se situant à l’intersection de la société (donc aussi de l’économie) et de l’espace physique, le

    territoire constitue un objet aujourd’hui cher aux géographes, définit par R. Brunet comme « un

    espace approprié, avec sentiment ou conscience de son appropriation » (Les mots de la géographie,

    1993). Ce territoire prend forme grâce à l’enchevêtrement de différentes composantes matérielles et

    immatérielles que sont l’espace physique, les pratiques économiques, sociales, politiques, les

    systèmes de symboles et de représentations d’une population, l’histoire, etc…

    La définition générale de l’économie en tant qu’« ensemble des activités d’une collectivité humaine

    relative à la production, à la distribution et à la consommation des richesses » (Larousse, 2004) peut

    quant à elle servir de base de travail, mais nécessite certains apports. Etymologiquement,

    l’économie correspond à la loi, la règle (nomos) du milieu (oïkos). Depuis le XVIII siècle, face aux

    transformations qu’ont connu nos sociétés, les avis n’ont cessé et ne cessent de diverger quant au

    caractère que devrait revêtir cette ou plutôt ces « lois » ou « règles ». Mais si ces règles

    économiques donneront vraisemblablement, en tant que construction humaine, toujours lieu à des

    discutions, controverses et contestations, on constate néanmoins aujourd’hui que certaines d’entre

    elles tendent à s’imposer et à se généraliser (si bien qu’elles sont même parfois présentées comme

    « naturelles »), déterminant ou renforçant un type de fonctionnement sociétal particulier. Le

    phénomène de désagrégation des liens entre activités économiques et territoire marque ainsi un

    aspect de ce fonctionnement fortement généralisé.

    Ce constat somme toute banal ouvre alors de nombreuses pistes intéressantes pour envisager la

    relation économie/territoire et particulièrement celle qui vise à entrevoir la situation inverse de celle

  • Samuel Buton - 2006 9

    qui a cours actuellement, c'est-à-dire une territorialisation de l’économie dans un contexte de

    déterritorialisation très marqué.

    Vaste sujet s’il en est, le thème de la territorialisation de l’économie sera plus précisément abordé à

    travers la pratique de la consommation alimentaire en France, elle-même restreinte aux produits

    pouvant à priori relever d’une économie locale, qu’il convient de distinguer des produits

    industrialisés et standardisés qui ne peuvent être produits localement. Ces choix seront explicités

    dans le développement.

    En 1993, la DATAR évoquait, en se référant au document introductif au débat national pour

    l’aménagement du territoire1, « l’économie-territoire » comme un « nouveau modèle de

    développement à inventer ». Force est de constater douze ans plus tard, que les actions du pouvoir

    politique sont restées très timides dans ce domaine (bien que l’année 2000 ait vu la création d’un

    secrétariat d’Etat à l’économie solidaire2). Les logiques nationales d’action publique dans le

    domaine économique demeurent majoritairement éloignées de ces considérations

    « territorialisantes » ; en témoigne l’actualité récente : les positions adoptées par les pouvoirs

    publics concernant la poursuite de la baisse des prix dans la Grande Distribution, entamée par la loi

    du 2 Août 2005 modifiant la loi Galland Ŕ visant une « modernisation des relations commerciales »

    pour « encourager la concurrence »3 Ŕ, ou bien la cinquième génération des contrats Etat-régions

    nouvellement nommés "contrats de projets Etat-Régions" Ŕ « concentrés sur des investissements

    d’envergure nationale » et sur quelques « pôles de compétitivités »4 Ŕ, renforcent un climat politico

    économique qui contribue à maintenir les pratiques de territorialisation dans une relative

    marginalité et qui limite incontestablement certaines perspectives que la parution, le 13 février

    2006, du décret réinstallant une Délégation interministérielle à l’Innovation, à l'Economie sociale et

    à l’Expérimentation sociale, attendu par nombre d’acteurs de l’économie sociale et solidaire,

    pourrait laisser présager.

    Mais dans ce contexte sociétal toujours enclin à agrandir l’intervalle entre ces deux entités,

    « économie et territoire », plusieurs formes d’initiatives citoyennes mettant en pratique cette idée

    d’« économie territoire » voient malgré tout le jour ces dernières années ; parmi elles, celle des

    Associations pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne (AMAP) retiendra notre attention.

    Il faut également noter qu’assez paradoxalement, de nouvelles dynamiques de réflexions et

    d’actions émergent actuellement ça et là à l’échelle de certaines politiques locales. Marque d’une

    évolution dans les préoccupations affichées par certaines collectivités locales et dans les moyens qui

    leur sont attribués, plusieurs programmes sur la thématique des pratiques économiques

    territorialisées Ŕ intégrant parfois un volet sur les AMAP Ŕ sont initiés ou en partie financés par

    certains Conseils Régionaux et permettent à certaines études de voir le jour5.

    1 « Débat national pour l’aménagement du territoire, document introductif » la DATAR, la Documentation Française,

    Paris, 1993, 124p. 2 Le décret du 27 mars 2000 relatif à la composition du Gouvernement nomme M. Guy Hascoët, député Vert du Nord,

    secrétaire d'Etat à l'économie solidaire. 3 Extrait du communiqué de presse du premier ministre du 6 mars 2006 in www.gouv.fr

    4 Extrait du compte rendu de la conférence de presse de Renaud Dutreil du 7 septembre 2005 in www.gouv.fr

    5 ISARA Lyon, dir P.Mundler « Fonctionnement et reproductibilité des AMAP en région Rhône-Alpes », février 2006.

  • Samuel Buton - 2006 10

    Quelle approche du territoire implique une éventuelle territorialisation de l’économie ? Doit-on

    pour le cas redéfinir le territoire ? Dans quelle mesure ce phénomène peut-il, à l’heure où la

    globalisation économique constitue, pour reprendre les propos d’O. Dollfus, « une donnée

    essentielle de la structuration des espaces »6, engendrer lui aussi des processus de structuration et de

    construction des territoires ? Comment la réinscription de l’économie sur une réalité territoriale à

    travers la dimension sociale, solidaire et collective peut engendrer de nouvelles interactions et

    articulations entre les composantes du territoire et contribuer à transformer celui-ci ?

    Autant de questions, auxquelles nous allons tenter d’apporter quelques éléments de réponse, qui

    guideront la première partie des propos suivants. L’objectif principal de cette première approche

    étant de définir des outils de réflexion pour nous constituer un propre bagage d’analyse. Pour

    entamer cette démarche de travail à la lisière du théorique et du pratique, qui utilisera

    principalement une méthode hypothético-déductive (il s’agit surtout de se construire une grille

    d’analyse pour la confronter à la réalité et éventuellement la faire évoluer) nous proposons dans un

    premier temps de balayer les grandes lignes des concepts et termes qui forment notre sujet afin de

    déterminer le cadre général de réflexion. Le chapitre qui suit centre le propos sur la consommation

    alimentaire et s’attarde sur les points auxquels elle renvoie inévitablement (production agricole,

    type de commerce, mobilité…). Enfin la conclusion de cette première étape sera l’occasion de tester

    des pistes au travers desquelles la territorialisation de l’économie pourrait être considérée.

    Le second bloc de la réflexion, voulu comme un élargissement, prend forme à partir des éléments

    développés dans la première partie. Il s’articule autour des interrogations suivantes : une réflexion

    sur la nature des espaces Ŕ « économiques », « sociaux », « politiques », etc…Ŕ ne peut-elle pas être

    pertinente pour envisager de nouveaux fondements de la construction territoriale ? Quel rôle

    l’espace public peut-il être amené à jouer dans une perspective de production de territoire collectif ?

    A l’heure du développement durable, quel projet de société semble approprié pour envisager une

    véritable territorialisation de l’économie ? Autrement dit, quel espace, quel territoire et quelle

    idéologie pertinents pour un projet territoriale local et pour une action publique visant une

    territorialisation de l’économie ?

    Dans cette perspective, il s’agit tout d’abord de proposer une manière d’aborder spatialement l’idée

    du projet territorial local et de l’action publique à travers une réflexion sur les espaces et leur nature,

    leur fonction, leur interprétation. Enfin le dernier chapitre donne l’occasion de mettre l’ensemble

    des idées développées antérieurement à l’épreuve de logiques globales d’un projet de société.

    Une question relative à la démarche de recherche pourrait nous être posée : s’interroge t-on sur les

    conditions d’une potentielle territorialisation de l’économie ou bien sur les effets d’une

    territorialisation effective ? Sans aucun doute, le balancement entre ces deux vues s’opère à maintes

    reprises et l’exemple des AMAP constitue dans ce sens l’interface privilégiée, permettant de

    s’interroger à la fois, dans leur acception large, sur les logiques générales auxquelles ces initiatives

    peuvent renvoyer Ŕ donc sur leurs effets potentiels Ŕ et aussi sur la manière dont celles-ci ainsi que

    leurs logiques peuvent être impulsées et appliquées sur les différents territoires Ŕ donc sur leurs

    conditions d’application ou de reproductibilité Ŕ.

    En filigrane derrière la liste non exhaustive de propositions de réflexion, d’une part, le souhait de

    s’engager dans une sorte de prospective ou plutôt de tâtonnement scientifique à partir de

    6 « Mondes nouveaux », de la Géographie Universelle, 1990.

  • Samuel Buton - 2006 11

    thématiques jugées capitales dans le fonctionnement d’une société, et d’autre part, l’ambition

    d’élargir la gamme des éléments, critères, conceptions, ou outils cognitifs mobilisés par les acteurs

    du territoire et sur lesquels repose généralement la majorité des projets sociétaux.

    La réflexion qui suit, si modeste et inachevée soit elle, vise en premier lieu à présenter aux apprentis

    géographes un possible cadre de réflexion pour appréhender la relation entre territoire et économie à

    l’aune de considérations nouvelles. Elle ambitionne cependant naïvement de pouvoir aussi

    participer à la réflexion d’une palette plus large d’acteurs qui arpentent, façonnent, décryptent et

    vivent les territoires, de l’étudiant à l’élu, en passant par le technicien, l’habitant, et tout porteur de

    projet collectif sur les territoires.

    Nous ne prétendons pas énoncer des vérités indépassables, mais s’appuyant à la fois sur des constats

    et sur des hypothèses que certains qualifieraient allègrement d’utopiques, entendons plutôt, pour

    reprendre la jolie formule d’Alberto Magnaghi, participer à « l’interprétation d’un avenir ouvert »

    (Le projet local, 2001).

  • Samuel Buton - 2006 12

    Première partie

    CADRE DE LA REFLEXION

  • Samuel Buton - 2006 13

    Chapitre premier

    LA TERRITORIALISATION DE

    L’ECONOMIE COMME OBJET

    GEOGRAPHIQUE

  • Samuel Buton - 2006 14

    Cette première partie a pour objet de définir et de bien comprendre les éléments clés qui

    sous-tendent le raisonnement. Elle permet de décrire le contexte général au sein duquel le sujet

    prend forme.

    A L’économie : élément omniprésent dans le fonctionnement de

    la société

    - Une société à économie de marché

    Dans toute société humaine mettant en œuvre des activités de production de biens ou de

    services, quelle que soit l’échelle de ces activités, on trouve des comportements humains que l’on

    qualifie d’économiques. La répartition d’un bien, même issu de cueillette donc non produit par

    l’Homme, au sein d’une population, relève, à partir du moment où celui-ci n’est pas en abondance,

    de l’économie. L’économie étant selon l’économiste B. Maris « la question de la répartition » (Anti-

    manuel d’économie, 2003), c’est à dire celle du partage. Partage indubitablement lié à la notion de

    rareté, à travers laquelle il prend tout son sens. G. Lazuech et F. Rimbert évoquent ainsi pour

    caractériser l’économie, la « gestion de la rareté » (Initiation à l’économie, 2005).

    Cette « gestion » se traduit dans les comportements individuels par certains actes ; notamment celui

    de l’échange des biens ou services entre les individus. L’organisation d’échanges de bien entre

    individus et plus largement la répartition de ces biens est une activité indispensable pour une

    société, du simple fait qu’un individu ne puisse auto-produire tout ce dont il a besoin. L’échange,

    qui va résulter de la confrontation entre une offre et une demande, se réalise par l’intermédiaire du

    marché qui concrétise cette confrontation et lui impose des règles. Mais que faut-il entendre par

    marché ? D. Clerc, dans son dictionnaire des questions économiques et sociales, distingue trois

    niveaux de définition du marché :

    - Tout d’abord l’endroit physique où se confrontent l’offre et la demande.

    - Par extension, « le terme de marché est venu à désigner l’offre et la demande sans

    considération de lieu ».

    - Enfin, de manière plus générale encore et plus abstraite, le marché désigne aussi « un

    mode de fixation des prix par confrontation d’une offre et d’une demande séparées ».

    Quel que soit le niveau de définition que l’on retienne, ce sont les règles, c’est à dire les modes

    d’échange qui prévalent Ŕ autrefois basé sur le troc, aujourd’hui de plus en plus fondé sur la

    monnaie Ŕ qui déterminent le type de marché et donc les comportements économiques des

    individus.

    L’économie, en tant qu’« ensemble d’activités », était donc présente au sein des groupes humains

    bien avant qu’on ne cherche à la nommer. Depuis de nombreux siècles les individus et les peuples

    sont confrontés à l’échange économique, même si sa forme a varié au fil du temps.

    Mais si l’économie n’est pas une donnée nouvelle, son caractère ainsi que sa place dans

    l’organisation de la société, ont fondamentalement évolué. D’abord par la généralisation du

    caractère marchand des échanges et donc de l’organisation économique générale ; ensuite par

  • Samuel Buton - 2006 15

    l’influence de cette « organisation économique marchande » sur l’ensemble de l’organisation des

    autres sphères de la société.

    En effet, l’organisation et le fonctionnement de nos sociétés dites « industrielles » ou encore

    « occidentales » tendent aujourd’hui de plus en plus à être rythmés par cette sphère économique. La

    répartition des ressources ou des richesses se base en grande partie sur la confrontation entre l’offre

    et la demande, c’est à dire sur la situation du marché. Ceci caractérise les sociétés dites à économie

    de marché, expression souvent utilisée comme le souligne D. Clerc, « pour désigner l’économie

    capitaliste » (dictionnaire des questions économiques et sociales, 1997).

    - L’insertion dans l’« économie monde »

    Au même titre que les activités et échanges économiques, qu’elle a d’ailleurs contribué à

    favoriser, la mondialisation en tant que mise en relation de différents ensembles géographiques,

    n’est pas un phénomène nouveau propre à l’époque contemporaine.

    Pour beaucoup, elle s’amorce véritablement avec les grandes découvertes de la fin du XVe siècle

    qui vont impulser une intensification des échanges internationaux, même si le terme

    d’internationalisation semble plus approprié que celui de mondialisation pour caractériser les

    phénomènes de cette époque.

    Le commerce devient petit à petit un élément clé de ces échanges. Jusqu’au XIXe siècle, ces

    derniers ne concernent encore qu’un nombre limité de pays et de denrées, mais le processus, bien

    qu’à ses débuts, va entraîner la diffusion géographique de la logique marchande et de certaines

    formes de production et de consommation ; c’est à dire, selon les propos de L.Carroué se rapportant

    aux travaux de F. Braudel, une « extension progressive du système capitaliste dans l’espace

    géographique mondial » (Géographie de la mondialisation, 2002). Les conquêtes coloniales ainsi

    que la révolution industrielle vont, à leur tour, renforcer les interrelations économiques entre les

    territoires qui se fonderont sur les mêmes références idéologiques.

    L’objectif n’est pas de retracer ici l’histoire de la mondialisation, travaux déjà abondamment

    effectués. Il s’agit plutôt de montrer que la dimension économique du phénomène de mondialisation

    (que certains traduisent par globalisation ; terme souvent utilisé pour désigner un système global de

    mondialisation des marchés sous la forme libérale) ne peut être occulté lorsque l’on s’interroge sur

    l’organisation d’une société (qui plus est sur certains de ses aspects économiques). Ce contexte est

    déterminant pour notre réflexion qui va suivre ; car aborder le domaine de l’économie (à partir de

    n’importe quel angle que se soit, ici géographique) sans prendre en compte cette dimension

    d’économie mondialisée, nous mènerai en effet à des analyses incomplètes voir faussées. D’autant

    plus que la France, exemple à partir duquel nous travaillons, fait partie des territoires fortement

    intégrés dans ce « système économique mondial ».

    Mais quels sont aujourd’hui les traits principaux de cette « économie monde » ? Pour F.Braudel,

    l’« économie monde » correspond à « l’économie d’une portion de notre planète dans la mesure où

    elle forme un tout économique : il s’agit alors d’un archipel global d’îlots économiques

    nationaux… » (La dynamique du capitalisme, 1985). P. Hugon la définit comme « un ensemble de

    processus d’intégration des systèmes productifs, commerciaux, financiers et d’information au

    niveau mondial » (Economie politique internationale et mondialisation, 1997). Toujours selon lui,

    l’organisation mondiale de la production constitue un des faits dominants de la mondialisation

  • Samuel Buton - 2006 16

    actuelle. Bien qu’il ne s’agisse pas pour nous de décrire le fonctionnement de cette mondialisation

    économique, notons néanmoins certains des éléments les plus représentatifs de ce phénomène :

    l’augmentation des flux d’informations, de capitaux, les mouvements de facteurs de production,

    d’investissement, et surtout un des aspects déterminant pour notre étude, une croissance des

    échanges de marchandises. Tous ces mouvements s’inscrivant dans un contexte d’ouverture

    croissante des économies nationales de manière à favoriser les échanges par le jeu de la

    concurrence, suivant la stratégie de libéralisation des échanges prônée par l’Organisation Mondiale

    du Commerce ; mais aussi dans un contexte où l’entreprise (notamment transnationale) devient un

    acteur stratégique et incontournable dans l’organisation du système. Ainsi selon l’économiste

    P.Glémain, les firmes multinationales représenteraient aujourd’hui plus des deux tiers des échanges

    mondiaux (Analyse économique et historique des sociétés contemporaines, 2002).

    - « La consommation comme organisation totale de la quotidienneté »

    (J. Beaudrillard)

    Nous venons rapidement de voir que l’économie à l’échelle planétaire interfère fortement

    avec l’organisation de notre société ; que cette société ne peut aujourd’hui être appréhendée comme

    une entité close et hermétique. A une échelle territoriale différente, la sphère économique se

    retrouve également à travers des activités telles que la production et la consommation des individus.

    Certains économistes classiques tels Smith, Ricardo… se sont intéressés à ces comportements des

    individus face à l’achat Ŕ c’est à dire face à l’acte de consommation Ŕ, à partir desquels furent

    élaborés des théories (de plus en plus controversées) qui sont visiblement devenues au fil du temps

    des principes « incontournables » de la réflexion économique. Il s’agit notamment du principe de

    rationalité des comportements individuels à travers lequel s’est construit le fameux modèle de

    « l’homo oeconomicus ». L’économiste R. Lucas déclarait dans les années 1980 : « Si je doit

    abandonner l’hypothèse de rationalité, j’abandonne l’économie »7.

    On s’aperçoit que ces raisonnements élaborés à partir du concept de rationalité font finalement

    appel à une autre définition de l’économie que nous n’avons pas évoquée jusqu’à maintenant. Il

    s’agit de l’économie en tant qu’« art de réduire ses dépenses dans la gestion de ses biens »

    (Larousse, 2004). En effet la recherche de « maximisation » de ses intérêts individuels (sous-

    entendue derrière le terme « rationnel ») n’est-elle pas, d’une certaine manière, une gestion des ses

    ressources dont l’objectif est de les économiser ?

    Mais si elle s’est ensuite largement appuyée sur ce principe de rationalité, la majorité des

    économistes s’est surtout tournée vers l’analyse des activités de production (auxquelles ce principe

    est aussi appliqué), laissant le plus souvent le domaine de la consommation aux sociologues. La

    consommation relève en effet autant de données économiques que de considérations sociologiques.

    Mais qu’entend t-on par consommation ?

    Le Larousse 2004 la désigne dans son sens le plus large comme « l’action de faire usage de quelque

    chose ». Ladite « action » sera dans notre cas uniquement entendue comme celle de l’Homme.

    L’expression « faire usage » peut, quant à elle, être synonyme d’utilisation, d’emploi ; et à toute

    utilisation est associée une raison ou un objectif. On rejoint ainsi le sens du terme de départ

    7 Citée par B.Maris dans l’« Antimanuel d’économie », 2003.

  • Samuel Buton - 2006 17

    « action », qui de la même manière sous-entend l’idée d’une motivation chez l’individu ; que cette

    motivation soit issue d’un libre choix ou bien engendrée par une contrainte.

    C’est cette « motivation », c’est à dire ces phénomènes internes ou externes à l’individu et qui vont

    influencer son acte, que les sociologues vont prioritairement s’attacher à analyser.

    D’autres définitions de la consommation associent directement celle-ci à l’acte d’achat : « Désigne

    tout achat de biens ou de services… » (Dictionnaire des questions économiques et sociales, D.

    Clerc, 2002). Ce point demande que l’on s’y attarde un peu. Si tout achat relève en effet de la

    consommation, ceci ne signifie pas pour autant que toute consommation passe par l’achat. La

    personne qui va prélever des légumes ou des fruits directement dans son champs afin de les utiliser

    pour se nourrir ne concède aucune contre- partie à quiconque (donc pas d’acte d’achat) ; cette action

    ne relève t-elle pas de la consommation ? Par contre toute consommation passe par une possession à

    un moment donné mais cela ne signifie en rien qu’elle résulte d’un achat.

    Il se trouve que la consommation à laquelle nous nous référons ici correspond à celle qui découle de

    l’acte d’achat (généralement monétaire), puisque action aujourd’hui la plus courante et la plus

    répandue sur la planète ; mais cette facette de la consommation ne doit pas pour autant être prise

    pour le tout.

    On pourrait ensuite distinguer différents adjectifs qui sont habituellement associés au terme de

    consommation : finale, intermédiaire, primaire, superflue… Mais ce ne sont pas pour l’instant les

    caractères de la consommation qui nous intéressent, mais simplement le fait de montrer que celle-ci

    constitue un acte qui marque l’imprégnation et l’omniprésence du domaine de l’économie dans nos

    vies quotidiennes. Consommer constitue, en effet, un acte quotidien à partir duquel s’organise une

    partie de notre existence (certains diraient même la totalité de notre existence). J. Beaudrillard

    évoque ainsi « la consommation comme organisation totale de la quotidienneté » (La société de

    consommation, 1979) Cette situation constitue un point déterminant pour le raisonnement qui va

    suivre (relation avec la notion d’«habiter »).

    En découle ce que l’on nomme aujourd’hui « la société de consommation », modèle Ŕ ou

    phénomène ? Ŕ qui résulte d’une part du caractère répété et quotidien de l’acte d’achat comme nous

    venons de l’évoquer, mais surtout comme le souligne J.Beaudrillard de l’amoncellement et de la

    profusion des produits, qui représentent « le trait descriptif le plus frappant » de cette société. Ce

    contexte d’abondance, qui influence bien évidemment les comportements de consommation, est

    aussi un élément dont on ne pourra faire abstraction pour mener notre réflexion.

    B Le territoire à la fois support et produit ?

    - L’investissement de l’espace physique

    Après l’économie, un deuxième élément fondamental du raisonnement doit être évoqué : La

    dimension spatiale que revêtent les comportements et activités de l’Homme.

    L’espace, objet d’analyse primordial pour le géographe, s’il constitue en effet l’élément sur lequel

    s’inscrivent les activités humaines, demande néanmoins que l’on s’y intéresse un peu plus en détail

    afin de bien comprendre de quoi l’on parle.

  • Samuel Buton - 2006 18

    Dans sa définition la plus générale et la plus concrète, G. Di Méo explique que « l’espace de la

    géographie s’identifie à la surface de la Terre, plane ou courbe selon les représentations » et qu’il

    « se confond avec la biosphère » (Géographie sociale et territoire, 2001), avant d’ajouter que

    « l’espace constitue enfin le système de toutes les places possibles que peuvent occuper les choses

    ou de simples points ». Le terme « système » appliqué à ce cas, désigne donc si l’on s’en réfère à la

    définition de R.Brunet, un ensemble organisé de places et d’interactions entre ces places. Les

    interactions entre ces places peuvent être aussi bien physiques qu’émaner de représentations.

    Le terme de « chose » utilisé par Di Méo dans sa définition mérite également que l’on s’y attarde.

    Ces « choses » occupent l’espace, elles ne font à priori donc pas partie de l’espace lui-même, mais

    viennent plutôt s’y apposer. Ceci nous renvoie alors à un sens que l’on confère souvent à l’espace :

    La distance entre les « choses », l’espace en tant qu’interstice, qu’intervalle entre ces « choses ». La

    manière dont sont ordonnés ces espacements et ces choses constitue un objet d’étude central de la

    géographie, entendons l’organisation de l’espace.

    L’occupation de cet espace physique par les Hommes lui confère un certain nombre de caractères :

    On parle ainsi d’espace perçu, vécu, représenté, socialisé, aménagé et surtout produit ;

    caractéristiques qui n’existent que par la présence de l’Homme. Même lorsque l’on évoque l’espace

    comme « naturel », c’est bien toujours par rapport à l’Homme (en l’occurrence à sa non-action sur

    celui-ci).

    Nous reviendrons plus loin sur le sens attribué à ces différents types d’espaces ; particulièrement

    concernant l’espace socialisé, représenté et surtout vécu et habité. Les sociétés humaines

    investissent donc ce que l’on peut nommer l’espace physique. C’est ensuite selon ses différentes

    modalités d’investissement (type d’activités mises en place, organisation sociale, représentations

    des individus, traits culturels de la population…) que cet espace physique devient une construction,

    c’est à dire un produit. Ce produit constitue t-il ce que l’on défini comme le territoire ?

    - Le produit territoire

    Le concept de territoire en science sociale, issu du transfert du concept éthologique (à partir

    de l’étude scientifique des comportements des animaux) fut approprié par la géographie et constitue

    aujourd’hui un de ses objets favoris. Il est défini par G. Di Méo comme le produit d’« une

    appropriation à la fois économique, idéologique et politique Ŕ donc sociale Ŕ de l’espace par les

    groupes qui se donnent une représentation particulière d’eux même, de leur histoire, de leur

    singularité » (Géographie sociale et territoires, 2001).

    Nous avons là la donnée indispensable qu’il nous manquait jusqu’à maintenant pour transformer ce

    que nous dénommions un produit en territoire : « l’appropriation » ; car plus qu’un simple

    investissement de l’espace par les groupes humains, c’est d’une « appropriation » de l’espace

    produit dont il s’agit pour pouvoir parler de territoire : « Le territoire est à l’espace ce que la

    conscience de classe est à la classe : quelque chose que l’on intègre comme partie de soi, et que l’on

    est donc prêt à défendre » (R. Brunet, 1993). Il sera intéressant de mettre en parallèle, et ce à

    l’échelle de l’individu, cette idée du « territoire comme partie de soi » avec celle du

    « territoire comme production » ; nous y reviendrons plus tard.

    La question du temps ne doit pas être exclue de la réflexion sur le territoire. Le présent, c’est à dire

    ce que vit l’Homme au quotidien constitue une approche du territoire répandue. Cela ne doit pas

    occulter la dimension historique que revêt le territoire à travers les faits qui ont marqué l’espace

  • Samuel Buton - 2006 19

    physique et les populations qui s’y trouvaient. Mais bien plus que les évènements historiques en eux

    même, ce sont leur manière de se répercuter au fil du temps, leurs interprétations ainsi que la

    production idéologique qui en découle qui vont influer sur la réalité présente d’un territoire.

    Parmi les types de modalités d’investissement de l’espace que nous avons cité plus haut, se trouvent

    évidemment les activités économiques mises en place par les sociétés ; elles constituent un élément

    déterminant quant à la forme de l’espace produit (donc du territoire). C’est cette relation entre

    certaines activités économiques Ŕ la consommation notamment Ŕ et la manière dont elles façonnent

    le territoire sur lequel elles s’inscrivent qui vont nous intéresser particulièrement. La question des

    échelles spatiales ne pourra être occultée : échelles des activités économiques, échelles

    d’organisation politique du territoire…

    Ces activités économiques sont intimement liées au territoire dans le sens où leur mise en place et

    leur organisation touchent les différents domaines influant sur la production de l’espace :

    d’abord parce qu’elles induisent des constructions matérielles tels des bâtiments, des routes… donc

    des aménagements physiques de l’espace support,

    ensuite parce qu’elles font appel à des représentations, à des éléments symboliques chez les

    individus ;

    parce qu’elles déterminent des logiques d’organisation et de fonctionnement au sein de la

    population (mobilités, relations sociales…) ;

    parce qu’elles conditionnent l’existence ou l’intensité de certaines relations ou flux avec des

    espaces géographiquement éloignés ;

    enfin parce qu’elles sont régies par des règles, des lois appliquées ou consenties par un régime

    politique.

    Le territoire est donc le résultat d’un enchevêtrement de plusieurs dimensions à la fois réalités

    physiques et immatérielles qui sont déterminées par les groupes humains.

    - Un territoire façonné et aménagé

    Tout territoire est façonné par les pratiques qui y prennent place. C’est ainsi, selon la

    définition classique du terme « façonner », un élément « travaillé en vue de lui donner une forme »

    (Larousse, 2004). Si le concept de territoire n’implique pas d’échelle spatiale très précise, ni de type

    de juridiction précise, le « travail » de l’« élément territoire » s’effectue bien à une, ou plusieurs,

    échelles données et en suivant certaines logiques.

    Les pratiques qui prennent place sur le territoire sont quant à elles entendues comme des actions aux

    objectifs divers, effectuées par les individus qui occupent l’espace. Ces actions peuvent alors être

    classées en deux grandes catégories en fonction de leur échelle spatiale : D’une part celles qui

    émanent des logiques générales de fonctionnement de la société, c’est à dire du pouvoir politique ;

    on touche ici à la dimension politique du territoire. D’autre part celles liées au comportement des

    individus eux même ; il s’agit là du sens comportemental du territoire qui se rapproche alors de

    l’espace vécu.

    Mais quelle que soit l’origine des actions, le territoire est finalement « travaillé » en fonction des

    choix fais par les acteurs, suivant leurs objectifs et intérêts qui peuvent être de tout ordre : favoriser

    une activité économique, rendre un lieu accessible, protéger l’environnement, conserver un cadre de

    vie agréable… Ainsi, le territoire va se voir aménagé pour atteindre les objectifs que se fixent les

    Hommes. Mais ces objectifs et intérêts s’entrecroisent lorsqu’on les applique sur un territoire et

  • Samuel Buton - 2006 20

    peuvent souvent être antinomiques. On touche ici à un élément important lorsque l’on aborde

    l’aménagement du territoire, à savoir les questions du rôle, de la compétence, du pouvoir

    d’influence et évidemment de décision des acteurs dudit territoire. Car le territoire ne cesse pas

    d’être aménagé, même en présence d’intérêts contradictoires ; simplement des choix plutôt que

    d’autres sont fais, soit en faisant abstraction de certains intérêts, soit en tentant d’en concilier

    plusieurs. Mais c’est bien un choix humain qui va faire que l’on a en face de nous tel ou tel type

    d’aménagement.

    En tant que résultat des actions de l’Homme le territoire ne doit donc en aucun cas être perçu

    comme une réalité fixe et figée mais bien comme une entité en mouvement et en perpétuelles

    mutations. Si l’espace physique correspond au support des activités et représentations humaines, le

    territoire doit bien s’envisager comme une production. En quelque sorte l’espace modelé donne le

    territoire. De la même manière, il n’existe pas une seule manière de modeler l’espace (même si

    certaines logiques qui s’imposent aujourd’hui de façon récurrente pourraient laisser penser le

    contraire). A partir de là, de nombreux scénarios peuvent être envisagés quant au devenir des

    territoires.

    Nous pourrions poursuivre la réflexion sur le territoire, concept vaste et extrêmement riche,

    de même au sujet de l’économie sur laquelle il y aurait de multiples analyses à mener, mais ce n’est

    pas l’objet de cette partie. L’objectif est d’aborder les principaux éléments de bases qu’il convient

    de bien avoir à l’esprit. Nous pensons, d’abord concernant l’économie puis le territoire, avoir

    traité et expliqué ce qui constitue la base très générale à partir de laquelle le raisonnement peut

    s’effectuer.

    C Une géographie sociale et économique

    Dans quelle branche de la géographie nous inscrivons nous lorsque l’on ce propose d’étudier

    la « territorialisation » de l’économie, et ce à partir du domaine de la consommation ? D’une façon

    très simple, en partant des termes de notre sujet, essayons de comprendre à quels champs de

    réflexion ils font appel et de dresser le cadre idéologique dans lequel ils s’inscrivent généralement.

    - « Territorialisation » des phénomènes

    Q’entend t-on sous le terme de « territorialisation » ? Directement lié au concept de territoire

    et ainsi à la géographie sociale qui s’y intéresse, celui-ci peut aussi renvoyer à l’idée de

    territorialité. Claude Raffestin a défini le concept de territorialité comme « la multidimensionnalité

    du vécu territorial par les membres d’une collectivité, par les sociétés en général »8.

    Territorialisation et territorialité sont-ils synonymes ? Le concept de territorialité est associé à celui

    de lieu et d’espace vécu. Il résulte notamment de travaux qui furent menés à partir de l’individu face

    8 Cité par J.Hussy dans « Le défi de la territorialité » Cahier Géographique n°4 ; publié sur le site de l’université de

    Genève : www.unige.ch/ses/geo

  • Samuel Buton - 2006 21

    à son espace quotidien, de ce que A.Frémont nommait l’« Homme-habitant » (La région, espace

    vécu, 1976).

    La territorialisation telle que nous l’entendons dans notre sujet est une relation entre des activités de

    consommation et de production et un territoire. Elle englobe ainsi l’idée de territorialité Ŕ en tant

    que « vécu territorial » des individus Ŕ puisque ces activités de consommation et de production sont

    effectuées par des groupes humains et relèvent aussi de leur vécu quotidien (même si de nombreux

    autres paramètres interviennent). Dans notre cas précis, la territorialisation de l’économie pourrait

    être associée à l’idée de « localisation de l’économie », ou plutôt de « relocalisation », bien que le

    sens de ce terme soit restrictif par rapport à celui de territorialisation. C’est avec Marshall dans les

    années 1890, qu’ont été développés les travaux s’intéressant à l’importance de la localisation des

    phénomènes économiques. L’idée était de proposer une lecture différente du marché par la

    localisation des activités et ressources productives, à savoir les entreprises, à travers le concept de

    « district industriel ». Nous préférerons donc parler de territorialisation (pour tout ce que le terme de

    territoire sous-entend), signifiant pour nous une inscription des activités économiques sur la réalité

    d’un territoire.

    Le champ de la géographie sociale Ŕ qui étudie le territoire Ŕ sera ainsi omniprésent dans notre

    étude. Les recherches de G.Di.Méo, qui conçoit le territoire comme un outil fondamental de la

    démarche de géographie sociale, seront incontournables et essentielles pour nous. Cette conception

    du territoire, que certains disent « sociologique », rompt avec le sens uniquement « économique »

    donné au territoire par de nombreux auteurs dans la lignée de R.Sack qui le définissait comme « une

    portion de l’espace délimitée pour exercer un pouvoir »9.

    - Entre géographie économique et économie spatiale

    Le thème d’étude requiert également une forte dimension économique associée à la

    dimension géographique. Le domaine de la consommation constitue en quelque sorte la « porte

    d’entrée » au champ de la géographie économique dont l’objectif très général est de déterminer des

    logiques et organisations spatiales pour des activités économiques. Les spécialités de cette

    discipline sont généralement l’agriculture, l’industrie, les services, les transports, voire le tourisme.

    La géographie économique lorsqu’elle intègre la dimension territoriale dans son raisonnement, le

    fait le plus souvent par des recherches sur les atouts ou inconvénients des territoires (en terme de

    capital humain, de ressources naturelles, de situation…) par rapport à un contexte économique

    établi. L’analyse porte généralement sur le poids des territoires et sur leurs potentialités Ŕ présentes

    ou futures Ŕ au sein d’une organisation économique définie. On parle ainsi souvent de pôle de

    compétitivité, de stratégie du territoire, d’avantages comparatifs… La réflexion sur la manière dont

    se construit le territoire Ŕ même par le biais de l’organisation économique qui prévaut Ŕ est le plus

    souvent restée dans le champ de la géographie sociale.

    Aujourd’hui on a l’habitude de diviser la géographie économique en deux grandes branches dont les

    objectifs et l’esprit sont quelque peu divergents : D’une part une qui se rapproche du travail de

    Krugman, qui se définit lui-même comme un « croisé du libre marché » ; d’autre part celle qui se

    forge autour de réflexions plus proches de la géographie sociale (en intégrant plus les dimensions

    9 Repris sur le site www.encyclopedie.snyke.com/articles/territoire.

    http://www.encyclopedie.snyke.com/articles/territoire

  • Samuel Buton - 2006 22

    humaine et culturelle), et qui part de l’idée selon laquelle « c’est le capitalisme qui plonge ses

    racines dans la culture humaine et non l’inverse » (G. Benko, 2004).

    Nous nous rapprochons clairement de cette dernière démarche, considérant qu’aucune forme

    d’organisation de la société et donc de construction territoriale n’est prédéfinie à l’avance et que

    c’est l’Homme par ses choix et ses comportements, qui va déterminer le caractère du territoire sur

    lequel il vit. Cela n’indique pas pour autant que l’on ne puisse évoquer dans certains cas l’autre voie

    de la géographie économique.

    Certains principes concernant les caractéristiques de l’espace, en géographie économique,

    constituent une base de travail largement reprise dans cette discipline. I.Géneau de Lamarlière et J.F

    Staszack (Précis de géographie économique, 2003) évoquent à ce sujet, trois caractères de l’espace

    géographique :

    - Le milieu physique, élément immatériel.

    - L’hétérogénéité de l’espace : L’espace est décomposé en lieux qui ont chacun des

    caractéristiques différentes. Chaque individu (notamment ici pour nous l’individu

    producteur et consommateur) se trouve en un lieu donné à un moment donné qui marque

    une situation spécifique.

    - L’opacité de l’espace : C’est à dire le rôle joué par la distance. Ce rôle dépend de

    certains éléments qui interfèrent sur la communication et l’échange (transports,

    télécommunications, barrières douanières, juridiques, politiques…).

    Nous souhaiterions aborder le domaine de la consommation, en intégrant à la fois les éléments

    éminemment économique qu’il sous-tend et la réflexion géographique et sociale qu’elle implique.

    Ainsi, si à la fois la géographie économique et l’économie spatiale ont été évoquées, c’est pour

    montrer une différence qui tient aux fins de chaque discipline et à la manière dont elles abordent le

    sujet. Si dans les deux cas il s’agit de croiser l’économie et l’espace, pour la géographie

    économique l’objectif sera bien de comprendre des phénomènes spatiaux par l’intermédiaire

    d’éléments économiques alors que pour l’économie spatiale, l’objectif sera d’analyser des faits

    économiques en utilisant l’espace. Nous ne pourrons nous contenter d’une seule de ces deux

    approches ; ainsi dans notre raisonnement l’économie et l’espace deviendront tour à tour outil et fin.

    - Un objet d’étude pluridisciplinaire

    En terme d’actions sur l’espace, B.Mérenne-Schoumaker (Analyser les territoires Ŕ 2002)

    distingue, en reprenant les travaux de R.Brunet, cinq actes fondamentaux effectués par les

    Hommes :

    - L’appropriation, comme nous l’avons vu

    - L’exploitation,

    - Le fait d’habiter,

    - L’échange et la communication,

    - La gestion, qui permet de coordonner l’ensemble des autres actions.

    La relation entre la consommation et le territoire à partir de laquelle nous allons raisonner recoupe

    finalement l’ensemble de ces actes qui eux mêmes font appel à des notions et concepts qui, au delà

    de la géographie, touchent à des disciplines diverses.

    L’appropriation d’un espace, le fait d’habiter Ŕ et donc de consommer Ŕ, tout comme le fait

    d’échanger et de communiquer sont des actions qui méritent d’être abordées d’un point de vue

  • Samuel Buton - 2006 23

    sociologique. Comprendre les logiques individuelles ou collectives qui contribuent à modeler le

    territoire, notamment à travers les comportements économiques, sera d’une grande utilité.

    Les sociologues ont effectué des travaux sur la consommation des individus auxquels ont devra

    s’intéresser. Nous avons déjà cité plus haut J. Beaudrillard ; nous nous réfèrerons aussi à des

    auteurs tels que R. Rochefort, ou P. Bourdieu concernant la question de la socialisation des

    individus.

    Il s’agira de montrer des rapports d’interdépendance entre des phénomènes économiques et sociaux.

    A partir du moment où l’on tente de mettre en relation le territoire avec l’économie, on ne pourra

    omettre la question des circuits économiques, c’est à dire celle des relations (flux) entre des pôles

    de production et de consommation. Ces idées de pôles de consommation et production ainsi que de

    flux (de marchandises, d’informations et d’individus) se retrouvent derrière les actes de

    l’« habiter », de l’exploitation et de l’échange, mentionnés par B. Mérenne-Schoumaker.

    Enfin l’action de gestion qui coordonne l’ensemble des autres actes, fera pour nous référence au

    cadre politique général qui prévaut sur le territoire. Entendons par là les choix d’organisation de la

    société, les logiques qui déterminent ces choix et le jeu des acteurs face à la prise de décision.

    Au delà de la géographie, qui détermine notre axe de réflexion de base, nous seront donc amenés à

    nous référer tantôt à l’économie, tantôt à la sociologie, mais aussi à aborder un domaine tel que la

    science politique. Le concept de « projet local » abordé dans la dernière partie ne saurait s’envisager

    sans cette dimension politique ; et face à l’objet d’étude qu’est la territorialisation de l’économie,

    l’approche sectorielle doit impérativement être abandonnée au profit d’une approche transversale.

  • Samuel Buton - 2006 24

    Second chapitre

    LA QUESTION DU SYSTEME DE

    PRATIQUES ALIMENTAIRES

  • Samuel Buton - 2006 25

    Après avoir dresser un large tableau des éléments clés qui sous-tendent la réflexion sur la

    territorialisation de l’économie, il s’agit maintenant d’entrer dans le vif du sujet.

    Le domaine de la consommation, que nous avons fait le choix de restreindre au coté alimentaire,

    nous semble constituer un élément d’étude très intéressant. Cela tient à plusieurs raisons : d’abord

    parce que la consommation n’est pas une action anodine sur la construction de l’espace et joue un

    rôle majeur dans les organisations territoriales. Ensuite par le fait que ce domaine ait connu une

    évolution radicale en quelques décennies. Enfin parce qu’il renvoie à des questions qui, d’une

    manière beaucoup plus large, ont trait à l’organisation et à la transformation de la société

    (relation avec l’agriculture, l’aménagement du territoire, le cadre de vie, la structure politique…).

    Nos constats s’appuient sur plusieurs études qui ont été faites ces dernières années par des

    structures comme l’INSEE ou le CREDOC – nous nous efforçons d’utiliser les plus récentes qui

    soient –, dans le but d’avoir une vue d’ensemble de la situation actuelle en France. L’enquête et le

    sondage constituent les outils principaux pour la récolte de ces données. Ce qui nous intéresse pour

    le moment est le caractère général du phénomène de consommation alimentaire en France, ceci

    n’implique pas que l’on créait nos propres données ; démarche qui pourrait néanmoins être

    entreprise plus tard pour poursuivre la réflexion sur un territoire concret.

    A Du consommateur au producteur, état des lieux

    - L’homogénéisation des comportements de consommation

    L’avènement de la société de consommation (J.Beaudrillard, 1979) dont un des caractères

    est l’émergence un peu partout dans le paysage des grands centres commerciaux où règne

    l’abondance des produits, a engendré de nombreux bouleversements chez les consommateurs. Si il

    y a environ 30 ans, les commerces de proximité tiraient encore leur épingle du jeu dans l’économie

    locale, aujourd’hui l’action de se rendre dans une grande surface pour s’approvisionner en produits

    alimentaires s’est généralisée et est devenue des plus banales. La croissance exceptionnelle de

    l’offre Ŕ favorisée par une concurrence de plus en plus présente sur l’ensemble des marchés Ŕ s’est

    accompagnée de changements profonds dans le domaine de la demande. La majorité des

    consommateurs se sont ainsi, petit à petit, détournés des formes traditionnelles de commerce. Les

    mutations qui se sont opérées sur l’organisation du commerce et dans les comportements tiennent à

    divers paramètres tels que les évolutions des modes de production, l’évolution des modes vie, des

    valeurs culturelles et sociales10

    , des revenus, et pour reprendre les travaux de B. Mérenne-

    Schoumaker (géographie des services et des commerces Ŕ 2003) les évolutions démographiques,

    résidentielles et bien sur de mobilité.

    Si ce qui nous intéresse principalement est la question du «comment » les individus consomment

    aujourd’hui sur le territoire français, nous reviendrons néanmoins tour à tour sur certains des

    paramètres qui viennent d’être cités puisqu’ils font référence à la question du «pourquoi » ce type

    de consommation.

    10

    Dans les années 1960-1970, particulièrement dans le monde rural, les médias ont fortement véhiculés l’idée selon

    laquelle l’approvisionnement en grande surface était le signe d’une modernité, se démarquant de comportements

    présentés comme « ringards ».

  • Samuel Buton - 2006 26

    Quel constat pouvons-nous faire sur la manière dont les individus consomment sur le territoire

    français ?

    - La forme de commerce :

    Selon F.d’Hauteville (Agriculture et alimentation en quête de nouvelles légitimités, 1998), en 1960

    le petit commerce indépendant assurait 81% de l’alimentation des français, en 1995 cette part

    n’était plus que de 25% et elle continue de diminuer depuis. Les grandes surfaces ont ainsi vu se

    répercuter massivement sur elles l’acte d’achat concernant les produits alimentaires. Les grandes

    surfaces alimentaires qui ont couvert l’ensemble de l’hexagone depuis l’apparition du premier

    hypermarché en 1963, atteignent aujourd’hui un nombre supérieur à 9000. Leur densité sur le

    territoire, leur facilité d’accès, etc, contribuent à ce que près de neuf ménages sur dix utilisent

    régulièrement cette forme de commerce pour effectuer leurs courses (source INSEE 1998).

    « Régulièrement » étant entendu comme au minimum une fois par mois.

    Cette réalité relève également de paramètres qui tiennent directement à la forme de l’offre :

    L’abondance des produits permettant des choix multiples pour les consommateurs est un élément

    déterminant du succès des grandes surfaces alimentaires à l’heure où consommer requiert dans les

    pays « riches » une fonction de plaisir qui va bien au delà de la seule satisfaction des besoins. Les

    prix faibles proposés Ŕ au sujet desquels les campagnes publicitaires contribuent à forger certaines

    représentations dans la « conscience collective » Ŕ constituent un autre point relatif à l’offre qui

    influence les consommateurs dans leur choix de recourir à la grande distribution. Enfin véritable

    composante de l’offre, le marketing et la publicité jouent un rôle non négligeable sur l’attrait de la

    grande distribution. La publicité contribue en effet à diffuser largement un système de valeurs

    rattaché tant aux produits qu’à cette forme de commerce elle même.

    Indépendamment de l’offre, les transformations des modes de vie qui ont fait naître de nouveaux

    comportements alimentaires (augmentation du travail féminin, nouveaux équipements, nouveaux

    moyens de transport…) sont aussi un trait fondamental de l’essor des grandes surfaces, aujourd’hui

    mode d’approvisionnement privilégié pour la majeure partie des consommateurs qui apprécient la

    commodité des achats en un lieu unique ; même si l’INSEE estimait en 1998 à 15% les ménages

    français se passant (volontairement ou par contrainte) de ce type de commerce.

    - Le type de produits achetés :

    L’évolution des modes de vie a parallèlement engendré l’apparition de nouveaux produits et de

    nouvelles demandes. Il ne s’agit pas ici de nous demander qui d’entre l’offre ou la demande a le

    plus contribué à influencer l’autre. Notons simplement que l’augmentation du travail féminin,

    l’équipement des ménages en appareils tels les micro-ondes et les congélateurs, les contraintes de

    temps toujours croissantes dans notre société, etc, ont engendré une consommation qui privilégie les

    produits tout prêts, les plats préparés, les surgelés. Les conserves et préparations à base de viandes

    ont ainsi connu une augmentation de 25 points en volume entre 1990 et 2001 (Source INSEE 2001).

    Les produits faciles à consommer en tous lieux (pizzas, sodas…) connaissent également un succès

    important.

    Les aliments fortement générateurs de plaisir Ŕ comme les pâtisseries, viennoiseries, etc Ŕ

    connaissent un attrait grandissant dans une société où la recherche du plaisir devient une valeur

    fondamentale.

  • Samuel Buton - 2006 27

    Concernant les produits laitiers, on constate une consommation de yaourts et de desserts lactés

    relativement dynamique depuis plusieurs années avec une augmentation de 3,2% entre 1999 et

    2001. Les innovations conjuguées à la publicité jouent dans ce domaine un rôle très important.

    La consommation de viande (rouge principalement) connaît quant à elle une baisse très importante

    depuis plusieurs années.

    Enfin, les fruits et les légumes représentent une catégorie qui va nous intéresser tout

    particulièrement du fait qu’ils constituent une grande partie des produits à partir desquels vont

    pouvoir s’envisager une territorialisation de l’économie. Les sources d’informations de l’INSEE

    montrent une assez grande stabilité de la consommation de fruits et légumes dans les années 1990

    avec une consommation moyenne pour les adultes de 145 g/jour de fruits et de 140 g/jour de

    légumes (Enquête sur les consommations alimentaires, INSEE, 2000). Les disparités sont

    néanmoins très importantes selon l’âge des individus : Les apports de fruits varieraient de un à trois

    entre les 15-24 ans et les plus de 65 ans. On observe un écart de 40% pour la consommation de

    légumes entre ces deux tranches d’âges. Cette relation entre consommation et générations pourrait

    laisser craindre une forte baisse de consommation de fruits et légumes par renouvellement des

    générations. Notons que selon une étude de l’INSEE de 1996, environ 60% des ventes de fruits et

    légumes sont effectuées dans les grandes surfaces.

    - L’alimentation dans le budget des ménages :

    Nous n’allons pas nous étendre sur cette question. Il suffit de constater que la part consacrée à

    l’alimentation occupe une place importante dans leur budget, soit environ 14,6%, et qu’en volume

    cette somme augmente depuis plusieurs années. Selon l’INSEE, un ménage doit pour se nourrir,

    débourser en moyenne 26% à 30% de plus qu’en 1990 (Le Parisien 18 avril 2005).

    Mais si le volume des dépenses alimentaires augmente, la part de l’alimentation dans l’ensemble du

    budget des ménages se voit réservée une place de moins en moins importante. Toujours selon

    l’INSEE, la part qui lui est consacrée a diminué de 1,7 points entre 1990 et 2004. L’argent destiné

    au logement et au transport était en 2004 supérieur à celui destinée à l’alimentation.

    - La mobilité et le temps consacré :

    Comme en témoigne la part du budget des ménages consacrée à ce domaine, les transports

    (notamment routiers) sont devenus omniprésents dans la vie des individus. La fréquentation des

    centres commerciaux constitue une source majeure de mobilité des ménages, même si celle-ci tend

    aujourd’hui à diminuer. La consommation en grandes surfaces est, pour la majorité d’entre eux,

    nécessairement liée à l’utilisation de l’automobile. Plus de 20% des déplacements en semaine

    seraient liés aux achats (Desse, 2001) sachant qu’en moyenne, un français effectue 23 kilomètres

    par jours tous motifs confondus (J.P, Orfeuil, 2001). Un parcours de 400 mètres du lieu de résidence

    au commerce, semble être le grand maximum pour les déplacements à pieds11

    . D’autre part les

    déplacements individuels dominent pour aller faire ses courses, multipliant le nombre de véhicules

    en activité. Concernant le temps consacré, signalons que celui-ci est en légère baisse au fil des

    années ; l’augmentation des vitesses de transport et de déplacements et l’explosion du temps

    consacré aux loisirs n’y sont pas étrangers. La densité de la trame des grandes surfaces sur le

    territoire joue aussi un rôle important, puisque 89% de la population française se situe à moins de

    30 minutes d’un hypermarché (Pucci, 2002).

    11

    Extrait de « La transition urbaine, ou le passage de la ville pédestre à la ville motorisée », M.Wiel, 1999.

  • Samuel Buton - 2006 28

    Les grands traits que nous venons de tirer sur la manière dont les individus consomment

    pour se nourrir sur le territoire français, notamment le recours quasi général à la grande

    distribution, ne peuvent être séparés de la question de la production. Ainsi les grands aspects de

    notre consommation alimentaire sont intimement liés à un type de production agricole.

    - « La dictature du rendement » (J, Soppelsa. 1997)

    En deux générations les paysages agricoles ont connu d’importantes mutations et se sont

    fortement uniformisés. Les « paysans », devenus « agriculteurs », puis « exploitants agricoles » sont

    aujourd’hui entrés de plain pieds dans de vastes circuits économiques et par la même occasion, leur

    agriculture dans l’économie de marché.

    La situation de surproduction de l’agriculture française dans les années 1970 Ŕ comme d’une grande

    partie des agricultures européennes Ŕ va évoluer et basculer petit à petit vers ce que certains

    nomment aujourd’hui le productivisme. Ce système de production agricole s’est généralisé en

    suivant la logique de l’efficacité maximum, en étant impulsé par les pouvoirs politiques qui

    évoquaient la vocation agro exportatrice de la France, comme en témoigne la célèbre formule de

    V.G.d’Estaing « l’agriculture est le pétrole vert de la France » (faisant suite à la crise pétrolière de

    1973).

    La plus grande partie de l’agriculture française va alors suivre cette logique de recherche du

    rendement maximum engendrant une production de masse qui va devoir trouver de nouveaux

    marchés et qui est de plus en plus liée aux grandes filières industrielles et agroalimentaires. Notons

    qu’entre 1975 et 1995 les rendements des plaines céréalières françaises ont plus que doublé.

    Cette orientation dans la manière de produire n’est pas sans conséquences :

    - Dans un contexte d’ouverture aux marchés internationaux, l’agriculture française se doit

    d’être compétitive. Les propos de Christian de Brie12

    illustrent les impacts de cette situation : « pour

    rester compétitif, l’agriculteur doit cultiver des sols nivelés, remembrés, déboisés ». Les paysages

    s’uniformisent sur le modèle d’immenses champs ouverts nivelés où les haies, bosquets ou arbres

    isolés disparaissent petit à petit pour mieux adapter les parcelles à l’utilisation d’engins de plus en

    plus importants.

    - Parallèlement on constate une spécialisation dans certaines variétés comme par exemple le

    maïs, plante très gourmande en eau. L’irrigation agricole Ŕ notamment induite par l’introduction de

    variétés en dehors de leur milieu d’origine et qui ne sont pas adaptées aux conditions climatiques Ŕ

    est aujourd’hui de plus en plus importante et mobilise des quantités extrêmement importantes d’eau.

    L.Carroué estime qu’au sein de l’Europe méditerranéenne l’agriculture utilise de 50 à 80% des

    ressources en eau locales disponibles (Géographie de la mondialisation, 2002).

    - Le phénomène de concentration est caractéristique de cette agriculture dite productiviste,

    tant au niveau de la production céréalière que de l’élevage. Cette concentration des exploitations

    s’est traduit par la disparition de 70% d’entre elles en un demi siècle, passant de 2 300 000 en 1950

    à 660 000 en l’an 2000 (Bio, Raisonnée, OGM, quelle agriculture dans notre assiette, Aubert,

    2003) alors que leur taille moyenne n’a cessé d’augmenter, passant de 18 hectares en 1970 à 34

    12

    « Manière de voir » ; article « Soulager la planète » mars-avril 2000, p 45

  • Samuel Buton - 2006 29

    hectares en 1990 (J, Soppelsa, 1997). Durant cette même période la population active agricole est

    passée de 30% à 3,4% de la population active totale.

    - L’augmentation des rendements passe enfin, au delà d’une forte intensification des

    systèmes de production, par une utilisation massive et généralisée d’intrants pour les cultures et

    d’additifs ou antibiotiques pour les cheptels. Par exemple l’utilisation d’engrais chimiques en

    France est passée de 135 kg par hectare en 1960 à 305 kg en 1995 (J.Soppelsa, 1997). Autre

    catégorie d’intrants agricoles, les pesticides Ŕ utilisées en tant qu’herbicides, insecticides,

    défoliants…Ŕ ont fait et font encore beaucoup parler d’eux concernant leurs effets sur la santé

    humaine. En 2002, l’agriculture et la viticulture française en auraient consommé plus de 100 000

    tonnes (D.Belpomme, 2004). Nous reviendrons sur tous ces faits un peu plus loin.

    Les évolutions sociétales générales ont entraîné une mutation de la demande adressée à l’agriculture

    pour les produits alimentaires, mais aussi pour les fonctions qu’elle remplie, les méthodes utilisées,

    les paysages créés. Ce système agricole productiviste est largement influencé par le secteur de la

    grande distribution. Mais la dimension politique ne doit pas non plus être négligée. Le système

    d’aides mis en place par les pouvoirs publics contribue aussi à favoriser ce type d’agriculture. Ainsi

    dans les années 1990, les régions agricoles qui engrangent les plus hauts revenus moyens

    disponibles par exploitation (Nord-Pas-de-Calais, Picardie, Champagne-Ardennes, Lorraine,

    Bourgogne, Haute-Normandie, Ile-de-France, et Centre) auraient touché selon C.Jacquiau, 42% des

    aides directes nationales alors qu’elles ne représentent que 25% des exploitations (Les coulisses de

    la grande distribution, 2000). La question des choix politiques fera l’objet d’une réflexion dans la

    suite de nos travaux.

    B Quelles implications territoriales, environnementales, et sanitaires ?

    - La grande distribution au cœur des enjeux

    Comme nous venons de le constater, la grande distribution constitue un des acteurs de

    premier ordre au sein du système économique actuel tant à l’échelle du territoire national qu’à

    l’échelle locale. Les grandes surfaces qui ont fleuri sur le territoire français depuis quelques

    dizaines d’années présentent, par leur rôle d’intermédiaire entre production et consommation qui en

    fait un élément clé des circuits économiques, un pouvoir d’organisation de l’espace qui semble

    extrêmement important.

    La grande distribution rassemble plusieurs dimensions spatiales qui s’imbriquent : elle intègre des

    logiques économiques globales quant à son approvisionnement (relation avec les marchés

    mondiaux), des logiques nationales (voir internationales) pour sa localisation ou ses stratégies

    commerciales, tout ceci interférant avec les logiques locales Ŕ dont elle tient aussi compte pour sa

    localisation Ŕ exprimées par l’aménagement de l’espace et les comportements quotidiens (type de

    consommation, mobilité…) qu’elle induit. Le contexte de libéralisation des marchés et de

    concurrence entre les produits, ainsi que de nouvelles demandes des consommateurs (produits

    exotiques…) ont aussi contribué à cette diversification géographique des produits.

    La relation entre les produits présents dans les rayons et la réalité territoriale locale est ainsi

    aujourd’hui relativement faible et tend à se distendre de plus en plus. Pourtant, il est intéressant de

  • Samuel Buton - 2006 30

    constater qu’à l’interface du territoire et de la stratégie marketing, un concept vient aujourd’hui

    tenter de renouer le lien entre le produit et le territoire : celui de terroir. Alors que les produits

    agricoles résultent d’un type de production qui, comme nous avons pu le voir, s’uniformise de plus

    en plus, l’appellation « produit de terroir » se retrouve sur un grand nombre de produits. Il ne s’agit

    pas de s’interroger en détail sur ce que revêt ce terme de terroir, mais simplement de signaler qu’il

    constitue assez paradoxalement, une manière de se rattacher à un territoire au sein de logiques

    commerciales qui s’en détachent de plus en plus.

    Enfin, deux points importants concernant les relations entre les producteurs et la grande distribution

    demandent à être évoqués :

    D’abord le bouleversement du lien entre la production et le commerce ou plutôt des valeurs qui

    entourent ce lien. Ainsi la production destinée à approvisionner les grandes surfaces alimentaires

    n’est plus sous-tendue par la valeur de l’usage, mais comme l’explique P. Moati (L’avenir de la

    grande distribution, 2001), sur ce qui fonde la logique libérale, c'est-à-dire la valeur de l’échange.

    Ce point ne doit pas être considéré comme un détail puisqu’il détermine en effet la logique de la

    relation entre producteurs et distributeurs. C’est en suivant cette logique que la grande distribution

    va imposer certains critères aux producteurs, notamment celui d’utiliser, non plus la qualité, mais le

    prix comme élément principal qui va guider la production.

    Le deuxième point réside dans la capacité de la grande distribution à imposer ses volontés à la

    production, notamment par la négociation draconienne de l’achat de ses produits. Par exemple selon

    C. Jacquiau pour l’année 1998 en France, la tomate était en moyenne acheté 1,75 franc le kilo au

    producteur alors qu’elle était revendue en moyenne à 8,45 francs le kilo sur les étals des

    supermarchés (Les coulisses de la grande distribution, 2000). Face à cette réalité les producteurs

    diminuent au maximum leurs coûts de production, situation qui n’est pas sans conséquences sur la

    qualité des produits (et sur la vie des producteurs).

    - Des préoccupations environnementales et sanitaires

    La démocratisation de l’automobile depuis les années 1960 et son « accessibilité » à une très

    grande partie de la population est un élément déterminant quant à l’évolution tant de la

    consommation alimentaire que des logiques de production et de distribution. Le développement de

    la grande distribution, son fonctionnement et ses logiques de localisation sont intimement liés au

    développement de l’automobile. L’expression « no parking, no business » utilisée dans les années

    1960 démontre bien le rôle que l’automobile est amenée à jouer dans les logiques commerciales de

    la grande distribution. Les grandes surfaces sont ainsi indissociables des immenses parkings qui les

    bordent et dans certains cas des aménagements routiers qu’elles induisent pour y accéder. Les

    surfaces commerciales des supermarchés et hypermarchés représentées en France en 2000

    l’équivalent de 250 millions de mètres carrés (E, Thil, 2000). L’espace total utilisé tant pendant les

    mouvements que pour le stationnement des automobiles est considérable.

    D’autre part, au-delà des déplacements de personnes, le transport routier est également de plus en

    plus marqué par le transport de marchandises qui sous-tend ces nouveaux modes de production et

    de distribution. L’approvisionnement constitue un point déterminant dans le rapport que cette forme

    de commerce entretient (ou pas) avec le territoire. Le nombre et la diversité des produits qui

  • Samuel Buton - 2006 31

    investissent les étals indépendamment des saisons et des conditions locales (selon Secodip13

    l’offre

    globale de produits alimentaires dépassait en 1997 les 118 000 références), ont conduit à une

    multiplication de leur origine géographique. Les flux par la route sont aujourd’hui colossaux entre

    le lieu de production et celui de consommation Ŕ c’est à dire le lieu de distribution Ŕ, que contribue

    à engendrer et à encourager le contexte de libéralisation. Même si les quantités transportées

    diminuent avec la distance14

    , ce cadre concurrentiel concoure, pour imaginer un exemple parlant, à

    faire se croiser sur les routes des tomates produites en Hollande allant alimenter les étals espagnoles

    et des tomates espagnoles rejoignant les hypermarchés hollandais. Ce type de commerce contribue

    donc par les mobilités qu’il provoque, à produire une forme particulière de territoire et influe sur

    l’environnement15

    .

    Enfin, le type d’agriculture que nous évoquions plus haut est aujourd’hui devenu commun sur le

    territoire français. A défaut de faire un recensement exhaustif de ses impacts et de les détailler de

    manière précise, ce qui n’est pas l’objet de ces travaux, il semble néanmoins nécessaire d’avoir

    connaissance de certains faits qui ne peuvent être dissociés de ce modèle agricole. Il devient en effet

    aujourd’hui assez difficile de nier la relation entre ce type de pratiques agricoles et l’apparition de

    nombreux risques, qu’ils soient médiatisés ou non.

    L’agriculture est aujourd’hui en France une des activités humaines les plus polluantes avec le

    secteur des transports. A partir des études de l’Institut Français de l’Environnement, C, Aubert et B,

    Leclerc (Bio, Raisonnée, OGM. Quelle agriculture dans notre assiette ?, 2003) estiment que

    l’agriculture contribue, par rapport à l’ensemble des secteurs économiques en France, à 25% des

    pollutions en terme de potentiel de réchauffement global, à environ 48% en terme d’équivalent

    acide, et à environ 63% en terme d’eutrophisation.

    Intéressons-nous tout d’abord au sol. Sa fertilité conditionne la quantité et la qualité des

    productions, et surtout leur devenir. Sans décrypter les processus qui en sont à l’origine, nous

    pouvons constater que la qualité de ces sols s’amenuise avec l’utilisation massive d’engrais et de

    produits de traitement, avec la spécialisation des cultures, avec l’intense mécanisation, pouvant aller

    jusqu’à son érosion comme cela s’est produit dans les grandes plaines céréalières nord-américaines.

    La pollution, principalement par l’action des différents intrants Ŕ certains épandages de boue de

    stations d’épuration peuvent aussi entraîner la contamination du sol par les métaux lourds Ŕ,

    constitue une autre cause importante de la dégradation des sols (ainsi que des eaux de surfaces et

    souterraines). Certains demanderaient de façon ironique et provocante, si ces dégradations du sol

    sont réellement préoccupantes pour un agriculture qui produit de plus en plus hors-sol.

    Mais ce sont les pesticides et les engrais nitratés, dont nous avons plus haut que l’usage a fortement

    augmenté, qui vont principalement retenir notre attention car leurs effets sur la santé humaine font

    aujourd’hui l’objet de nombreux débats, notamment depuis les récentes déclarations et prise de

    position du cancérologue Dominique Belpomme (président de l’Association Française pour la

    Recherche Thérapeutique Anti-Cancéreuse) sur la relation entre la dégradation de l’environnement

    13

    Société d'Etudes de la Consommation, de la Distribution et de la Publicité. 14

    Environ 4823 millions de tonnes de marchandises parcourant moins de 50 kilomètres contre 67 millions de tonnes

    parcourant plus de 1000 kilomètres au début des années 1990, selon C, Gérondeau (cité par E, Merenne, Géographie

    des transport, 1995) 15

    Voir E, Merenne « Géographie des transports », 1995, p 176

  • Samuel Buton - 2006 32

    et le constat d’une extrême croissance du nombre de cancers (multiplié par deux depuis la seconde

    guerre mondiale - 150 045 morts en l’an 2000 en France).

    Selon lui les apports importants de nitrates (outre le fait qu’ils favorisent l’eutrophisation),

    constituent une pollution cancérigène. Les plantes concentrent ces substances et lorsque nous les

    consommons, nous consommons les nitrates. Ce ne sont pas les nitrates en tant que tels qui sont

    cancérigènes, mais leur produit de transformation dans notre organisme, les nitrites. L’ingestion par

    l'eau est également possible.

    Toujours selon D.Belpomme, les pesticides sont l’autre catégorie d’intrants agricoles hautement

    cancérigènes. Ils sont très faiblement biodégradables et persistent donc dans l’environnement

    pendant de nombreuses années comme le démontre l’exemple du dichloro-diphényl-trichloroéthane

    (DDT) dont on trouve toujours des traces dans l’environnement alors qu’il est interdit depuis 1972.

    L’accumulation de ces substances dans la chaîne alimentaire est préoccupante. Le 18em plan de

    surveillance des résidus de pesticides dans les aliments d’origine végétale dans l’Union

    Européenne16

    a montré qu’en 2002, un aliment sur deux analysés (fruits et légumes) contenait au

    moins un résidu de pesticides. La contamination de l’Homme se fait principalement par ingestion

    lorsqu’il consomme des fruits, légumes, du lait, et même de la viande (lié au broutage d’herbe

    traitée par les animaux qui concentrent les pesticides dans leur propre graisse). B. Hervieu (Manière

    de voir, « Soulager la planète », 2000) estime qu’en