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OOKCHUNG Universiti McGill La thematique de l'exil et de l'immigration dans l'reuvre de Gabrielle Roy QueI homme etait-il done pour avoir eette faim des endroits perdus ... La Montagne secrete L idee de cet article derive de la lecture de la nouvelle 'ntituIee «Ou iras-tu Sam Lee Wong?»l. Nous etions loin de nous douter, au depart, que ce personnage plut6t tenu allait nous entrainer sur des pistes aussi lointaines. C' est que Sam Lee W ong est plus qu'un simple immigrant, il est le paradigme meme de l'exile et du deracine, ala quete d'une identite a reconquerir. A travers ses multiples avatars 2 , il incarne la solitude et la difficulte d' etre en terre etrangere. En ecrivant cette nouvelle, Gabrielle Roy a su rendre de admirable les interrogations propres a la condition de I'exile, lui pretant, par la technique du discours indirect libre, comme I'a bien montre Estelle Dansereau 3 , sa propre voix, ses propres pensees, ses interrogations personnelles. Comment surmonter le silence de l' etranger, le mutisme ethnique, sinon par l'identification ?Que celle-ci fasse partie des regles du jeu de la creation litteraire, comme le veut la theorie du plurilinguisme bakhtinien\ n'empeche pas que la verite puisse etre sacrifiee au profit de la caricature ou d'une projection arbitraire (la theorie de Bakhtine suppose Litteratures nO 13 1995

La thematique de l'exil et de l'immigration dans l'reuvre

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OOKCHUNG Universiti McGill

La thematique de lexil et de limmigration dans lreuvre de

Gabrielle Roy

QueI homme etait-il done pour avoir eette faim des endroits perdus

La Montagne secrete

L idee de cet article derive de la lecture de la nouvelle ntituIee laquoOu iras-tu Sam Lee Wongraquol Nous etions

loin de nous douter au depart que ce personnage plut6t tenu allait nous entrainer sur des pistes aussi lointaines Cest que Sam Lee W ong est plus quun simple immigrant il est le paradigme meme de lexile et du deracine ala quete dune identite areconquerir A travers ses multiples avatars2

il incarne la solitude et la difficulte d etre en terre etrangere En ecrivant cette nouvelle Gabrielle Roy a su rendre de

fa~on admirable les interrogations propres a la condition de Iexile lui pretant par la technique du discours indirect libre comme Ia bien montre Estelle Dansereau3

sa propre voix ses propres pensees ses interrogations personnelles Comment surmonter le silence de letranger le mutisme ethnique sinon par lidentification Que celle-ci fasse partie des regles du jeu de la creation litteraire comme le veut la theorie du plurilinguisme bakhtinien nempeche pas que la verite puisse etre sacrifiee au profit de la caricature ou dune projection arbitraire (la theorie de Bakhtine suppose

Litteratures nO 13 1995

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dailleurs un discours de base alors que le silence de letranshyger est pure alterite) Gabrielle Roy abolit cette distance ethnique par le recours ades universaux tels que la solitude le rapport de letre au monde5 le caractere intransitif de lexil (depouille de ses contingences geographiques6

) le sentiment dalienation et de depossession de soi etc Paralshylelement les particularites ethniques - pays dorigine et darrivee des immigrants leurs coutumes leur folklore leurs idiosyncrasies etc - font lobjet dun discours separe base sur une observation documentaire et sociologique Ainsi deux types decriture motivent la description de lexile dans Ireuvre de Gabrielle Roy discours litteraire et discours sociologique Dans le discours litteraire

La tache entreprise nest pas la reconstruction dune histoire connue mais plutOt la creation dune voix hushymaine au milieu dun laquosauvage silenceraquo Par linstance narrative la narratrice conrere a Martha limmortalite elle confere a la muette le don de sa parole a elle Bien que la narratrice se revele explicitement larchitecte de la conscience et des pensees de Martha eUe passe des le deuxieme chapitre aune narration vraisemblablement heterodiegetique et cherche a s effacer derriere un disshycours laquoneutreraquo Ce faisant elle se permet par linsertion dune forme de discours indirect libre de representer linterrogation interieure de la vieille a travers des pashyroles et une conscience qui lui appartiennent 7

Ce discours de linteriorite par lequel lidentification avec la figure de letranger est devenue pOSSible tend presque toujours vers la singularisation du personnage Ainsi avons-nous la situation paradoxale de letranger panni les etrangers qui vient demotiver la notion meme dethnicite au profit dune problematique de la solitude

La thematique de lexil et de limmigration I43 dans 1(EUvre de Gabrielle Roy

11 sensuit que ces deux personnages [Sam Lee Wong et Martha] ne font pas partie de la communaute linguistishyque et culturelle bien que celle-ci soit elle-meme composhysee dimmigrants Bien quelle [Gabrielle Roy] ait toujours aspire aun multiculturalisme hannonieux ses espoirs sont souvent mines par la hantise de la solitude elle voit les immigrants ceux de la premiere generation installes en etrangers et designes par des mots comme laquoisolesraquo laquodepaysesraquo laquoexilesraquo8

Ce processus de singularisation contraste avec la vision harmonisante et fratemisante de Gabrielle Roy dans ses reportages sur les immigrants le discours de linteriorite tend comme le signale Dansereau vers la laquovalorisation de la solituderaquo par opposition a linsistance sur la solidarite implicite dans les reportages

Sil est dans la nature meme de la litterature detre problematique cette definition peut nous aider a distinguer dans les ecrits de Gabrielle Roy sa sensibilite proprement litteraire de sa sensibilite ideologique Celle-ci tend a resorshyber la figuration MoilAutre (ltltun peuple content detre chez-nous que dis-je chez lui raquo9) alors que la premiere se fonde sur cette dialectique meme pour mettre en valeur luniversalite de letre lO

bull Neut ete de ce sourire fige sur le visage de Sam Lee Wong son visage aurait pu etre celui de nimporte qui ou tout simplement laquole visage de la solituderaquo laquoLe sentiment que lon a de sa propre solitude c est ce qui nous fait pressentir la solitude des autresraquo 11 c est ce qui autorise le transfert de la subjectivite au-dela des barrieres ethniques

Dans lecriture de type reportage une telle pratique nest pas admissible puisquelle depouillerait Ietranger de sa specificite L ecriture-reportage est pure exteriorite dans la mesure ou elle doit tenir compte des idiosyncrasies du fait

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ethnique et se confronter atoute une semiotique culture lIe Et cest ici que GabrielIe Roy ardent defenseur de la cause des immigrants se heurte aune distance irreductible disshytance qui nen est pas necessairement une de langue (dans des recits comme laquoVincentoraquo laquoLalouetteraquo laquoDemeshytrioffraquo12 la communication non verbale - que ce soit par les gestes le chant ou lecriture - retablit le sens entre destinateur et destinataire) mais plutot de mentalite

Deja dans laquoDe turbulents chercheurs de paixraquo Gabrielle Roy confie le melange dlaquoeffroiraquo de laquocuriositeraquo et dlaquoadshymirationraquo que provoquait sur son imagination denfant le recit des frasques des Doukhobors que lui faisait son pere II ressort nettement de ce passage que le point de vue de la narratrice se situe non pas du cote des Doukhobors mais de celui de la communaute daccueil pour qui le comporshytement de ces etrangers est incomprehensible et discorshydant laquo[Mon pere] evoquait alors la silhouette imposante de ces Doukhobors qui bien que pacifistes se livraient a des actes quil serait difficile de qualifier autrement que de provocateursraquo13 Dans laquoLa valIee Houdouraquo dabord publie quelques annees apres les reportages sur les laquoPeuples du Canadaraquo et insere de falton significative dans le recueil Un jardin au bout du monde Gabrielle Roy fera un traitement litteraire de ces mysterieux Doukhobors en adoptant cette fois leur point de vue laquoLa vallee Houdouraquo renvoie a la prediction du prophete doukhobor Verigin (qui fait lobjet ici dune description plutot idealisee contrastant avec le portrait beaucoup plus objectif et critique que lon retrouve dans laquoDe turbulents chercheurs de paixraquo ce qui denote non pas un revirement dopinion de la part de lauteurmais un parti pris de la laquovision avecraquo) selon laquelle la laquoterre promiseraquo attendrait son peuple Le mysticisme des Doukhobors y est depouille de sa specificite religieuse pour

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faire place aun langage universel lexil le depaysement la nostalgie de Iancien pays (les Montagnes Humides sont-elles si differentes des collines quont laissees derriere elles la mere et la grand-mere de Gabrielle Roy) la communion de Ihomme avec la terre Gabrielle Roy laquochercheuse dhorizonraquo14 comme elle sest pIu ase definir elle-meme sapproprie en quelque sorte cette quete et la spiritualise a sa fa~on Les faits et gestes des Doukhobors sont pour ainsi dire laquonaturalisesraquo a travers un langage a la fois universel et propre aGabrielle Roy 11 va de soi qUune pareille assomption ne peut jamais etre quapproximative et qu elle doit renoncer a ses pretentions sociologiques Meme lorsque Iopacite separant Ietranger de llaquohomme dici) semble surmontee par la con fiance ou le truchement dun interprete il ne faut parfois quun incident - comme dans laquoLe puits de Dunrearaquo de Rue Deschambault - pour que lillusion soit rompue et revele le profond ecart de pensee qui les separe

QUi saura jamais ce que parmi ses Petits-Ruthenes papa ressentait daise de certitude Isoles loin de tout autre village ne parlant pas encore la langue de leurs voisins ils devaient s en remettre a papa totalement et la confiance etait entiere [ ] Suivi de son interprete il etait donc chez ses gens laquo Car rai oublie de vous le dire ajoutait Agnes papa navait eu le temps dapprendre quune vingtaine de mots peut-etre de leur dialecte eux nen connaissaient pas beaucoup plus de langlais Malgre cela comme ils se sont compris Comme ils se fiaient alinterprete qui disait laquoMonsieur lEnvoye du Gouvemement vous fait savoir que telles ou telles mesures doivent etre prises raquo Ou encore laquoBoris Masaliuk demande respectueusement siraquo [ ] Mais combien il fut etonne par ces femmes quil avait cm si dociles Dabord elles ne voulurent pas quitter les tranchees quelles

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creusaient cote acote avec les hommes [ ] Cest ace moment que les Petits-Ruthenes firent mine de ne plus comprendre papa Jan comme les autres Oh les hommes cupides et fous Dans leur pays ils navaient rien possede ou si peu [ ] Maintenant quils possedaient de tout [ ] ils ne voulaient absolument rien perdre 15

Le probleme nest donc pas dans la barriere linguistique mais dans la difference de mentalites Dans le cas present les Ruthenes decident volontairement de rompre la comshymunication cas de figure qui correspond au refus de la parole tel que decrit par Estelle Dansereau Cest ce meme genre de malentendu qui provoquera le depart de Sam Lee W ong lorsque celui-ci interpretera la ceremonie en son honneur comme une exhortation a partir laquoUltimement son incomprehension non de la langue mais du systeme cu1turel suscite la mesentente qui precipite son departraquo16 Dansereau oublie cependant de specifier que cette mesenshytente est a double sens Outre son interet pittoresque le personnage de Smouillya incame lalienation entre lalloshycuteur et lallocutaire voire leur neutralisation le fait que Smouillya soit mis volontairement acontre-emploi dans le role de linterprete vient abolir le statut meme du langage dans la communication et fait valoir symboliquement cet laquoautreraquo du langage que constitue la semiotique culturelle par laquelle la parole se trouve dans un contexte dincomshypatibilite semantique mutee ou encore brouillee

Face alopacite de letranger il existe donc une distance irreductible que meme la personnalite intuitive et empashythique dune Gabrielle Roy ne saurait franchir Reste lobservation Car meme si lidentification avec letranger nest pas possible a priori lobservation de ses mreurs et coutumes demeure le moyen le plus sur de parvenir aun rapprochement Autant le discours de linteriorite tend vers

La thematique de lexi et de limmigration 147 dans I aUvre de Gabrielle Roy

la singularisation du personnage autant lobservation ethnographique tend vers le collectif Car cest a linterieur de la communaute que lon est ameme de mieux juger des interactions qui trahissent les valeurs ethniques Tel est le projet qui sous-tend la serie de reportages intitulee laquoPeuples du Canadaraquol7 A partir de cette vue densemble une configuration hierarchique peut setablir de la communaute a la famille puis a lindividu de la condition de lhomme immigrant a celle de la femme immigrante (role de la mere education de la jeune fille) et a lenfant immigrant (dichotomie entre lenfant immigrant et lenfant de limmigrant ne dans le pays dadoption) Le concept de communaute nous interesse dans la mesure OU il entre en relation avec celui de lexil cest un fait avere que linseshycurite et linstabilite sociales renforcent la cohesion dun groupe social aplus forte raison lorsque la transplantation en pays etranger confronte ce groupe a la menace dune perte didentite Le groupe assure un encadrement de la culture maternelle qui sans lui risque de se desagregerlH mais en revanche le groupe risque de freiner le processus dintegration sil est trop replie sur lui-meme Dans le cas des trois communautes mystiques decrites dans laquoPeuples du Canadaraquo (les Hutterites les Doukhobors les Mennoshynites) la volonte dinsularite defie toute integration Et tel est bien le paradoxe de ces communautes venues setablir alautre bout du monde pour y entretenir lillusion de leurs anciens pays Meme si ce style de vie autarcique sautorise des vastes proportions du pays pour differer le contact avec les valeurs de la communaute daccueil une telle ideologie de la fermeture ne perpetue-t-elle pas linadaptation et lalienation auxquelles tot ou tard seront confrontees ces communau tes

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Du reste il me vint alors a lesprit que cette paix dici qui mavait tellement fait envie pendant un moment etait peut-etre plus menacee que fortifiee par lisolement Quen serait-il delle lorsque les freres hutterites tot ou tard entreraient en contact brutal avec notre epoque Leur isolement netait-il pas au fond la faiblesse de ces etres exceptionnels 19

Le misoneisme cultureJ20 et le refus de louverture chez ces communautes ethniques ne sont-ils pas aussi prejudishyciables a leur epanouissement que lintolerance de la comshymunaute daccueil envers limmigrant

Cest en visitant ces communautes a titre de joumaliste mais aussi de simple citoyenne de lhumanite21 que Gabrielle Roy mesure la specificite de leurs cultures La description qu elle en fait est presque toujours genereuse voire idyllique On sait que lohjectif premier des reporshytages dans le cadre du Bulletin des agriculteurs etait de rapporter les exploits ou les echecs agricoles de ces comshymunautes ethniques a cet egard la cohesion sociale conshytribue a la productivite et aux laquosuccess storiesraquo en matiere economique Cest le cas des Hutterites

Aussi la richesse collective des Huttterites en betail et batiments pIu tot quen especes est-elle considerable Chaque colonie est equipee pour lelevage de huit cents arniIle porcs denviron douze cents oies et de soixante a soixante-dix vaches par annee Plusieurs hameaux sadonnent en plus a lapiculture et cultivent fruits et legumes Tant et si bien quen raison de leur stricte econornie de leur ertroite solidarite et de leur remarquashyble industrie les Hutterites parviennent aun degre de merite agricole presque unique au Canada22

Nous voici chiffres a lappui en plein dans lecriture documentaire comme on serait en droit de sy attendre de nimporte quel chroniqueur dun journal agricole Mais par

La thematique de lexil et de limmigration 149 dam l(pounduvre de Gabrielle Roy

le biais de la productivite Gabrielle Roy parvient a nous interesser de facon metonymique aux valeurs sociales qui motivent une telle prosperite Ces valeurs sont presque toujours de lordre laquoherolqueraquo pour reprendre lexpresshysion quutilise Estelle Dansereau dans le contexte paradigshymatique de limmigrant face a la communaute23

bull Ce disc ours herolque Vlent dynamiser le simple documentaire en laffectant dun coefficient de laquolitterariteraquo qui est la signature de lecrivain avenir qu est Gabrielle Roy mais aussi un reflet de sa vision herolque de letre en exil V oici comment Gabrielle Roy raconte lerrance picaresque des Hutterites chasses par les persecutions la marche inexoshyrable des Doukhobors vers la terre promise la soif dhorishyzon des Mennonites

Cetait au printemps de 1528 Les Hutterites secte danabaptistes nommee dapres le precheur itinerant Jakob Hutter se voyaient chasses de la principaute de Nikolsburg all ils avaient trouve refuge apres leur expulshysion du TyroL I1s erraient certaines nuits en quete dun abri Vers Paube ils arriverent sur lemplacement dun village abandonne trempes affaiblis par lexil ronges de doute Et la raconte lancien chroniqueur Pun des Hutterites etendit son manteau sur le sol et enjoignit ses compagnons dy deposer leurs menus biens afin que leur recommencement rut marque du signe de labsolue chashyrite Le manteau se couvrit de tout lor alliances petits bijoux montres chaines et piecettes que possedaient les expatries24

Mais si ces immigrants par leurs vertus pionnieres (abshynegation solidarite ardeur au travail probite etc) ont valeur d exemplarite ils ne sont pas exempts de defauts et malgre le respect evident que lui inspirent leurs cultures Gabrielle Roy se perm et au passage de denoncer certaines valeurs incompatibles avec les siennes Cest le cas pour la

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condition de la femme immigrante doublement exilee (exilee de son pays et exilee de son etre) toujours absorbee dans ses corvees eternellement courbee sous son laquomoushychoir de peineraquo De meme que lenfant immigrant accentue le desarroi et la vulnerabilite propres a la condition de limmigrant la condition de la femme immigrante traduit de falton plus dramatique encore lalienation de lexil car a la perte de lidentite culturelle quimplique le deracinement sajoute celle de lidentite individuelle

11 en resulte alors une desertification du sens qui menace letre a la source meme comme dans la nouvelle laquo Un jardin au bout du monderaquo Au milieu de cet isolement physique et psychique Martha lUkrainienne cultive avec devotion son jardin de fleurs au grand courroux de son mari pour qui une telle coquetterie semble depourvue de sens dans un lieu aussi desole Il est significatif quelle et Step an soient en brouille car ceUe passion pour les fleurs exprime chez Martha une affirmation de son individualite qui equivaushydrait a une insoumission dans un contexte moins symbolishyquement charge25

bull En recreant la beaute autour delle Martha refuse de se laisser annihiler par cette desertificashytion du sens et ces manifestations florales sont autant dactes de foi dans un paysage de doute et de deshumanishysationlaquo [E]lle reussit a communiquer sa passion pour la vie a travers son jardin son mutisme de circonstance loblige a inventer un langage non verbal raquo26

Gabrielle Roy sinteresse a la figure de Ietranger dans la mesure Oll en lui a travers lui se po sent les interrogations les plus intimes de letre humain c est-a-dire dans la mesure Oll l etranger cesse de letre Oll nous le devenons a sa place27

bull

Doll cette vision stereoscopique chez Gabrielle Roy detranshygete et de familiarite de lointain et de proximite cet laquohorishyzonraquo qui devient le vecteur de notre propre devenir

La thematique de [exil et de limmigration 151 dans l(pounduvre de Gabrielle Roy

La narratrice dlaquo Un jardin au bout du monderaquo relate ainsi sa premiere vision de la maison de Martha

Ainsi un jour que rnarnenait sur ceUe route une etrange curiosite rnais plutot une tristesse de lesprit ce gout qui assez souvent rn a prise de decouvrir et de partager la plus totale solitude - jai vu devant rnoi sous le del enorrne contre le vent hostile et parmi les herbes hautes ce petit jardin qui debordait de fleurs

En ce temps-la souvent je me disais a quoi bon ceci a quoi bon cela [ ] Cest a quoi je pensais ce jour ou la lumiere baissant sur cette route qui me semblait ne conduire nulle part je vis au plus creux de la desolation et de la secheresse surgir ces fleurs eclatantes28

Meme si cela nest pas dit explicitement cette scene perlocutoire repond symboliquement aux propres doutes de la narratrice a sa prop re labilite interieure Vne fois lidentification etablie le discours indirect libre peut suivre son cours et la narratrice seffacer derriere Martha 11 est probable que Gabrielle Roy se soit inspiree du moins en partie de la Masha des laquo Turbulents chercheurs de paix raquo29

pour creer le personnage de Martha Meme dans ses reporshytages sur les peuples du Canada la focalisation sur un personnage (par exemple la jeune Barbara dans laquoLes Hutteritesraquo Masha chez les Doukhobors Martha dans laquoLes Mennonitesraquo Rebecca dans laquoLavenue Palestineraquo) ouvre la voie sinon a une identification du moins a une communication intersubjective qui transcende la specificite culturelle du groupe

Nous avons vu que dans lreuvre de Gabrielle Roy la problematique de lexil est abordee selon deux discours axiologiques differents Celui de la sensibilite litteraire dabord qui tend vers la valorisation de la solitude et la singularisation du personnage et ou Iexil est traite de fa~on

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intransitive cest-a-dire depouille de ses modalites geograshyphiques (demotivant alors la notion dethnicite qui devient purement symbolique et pragmatique) Dautre part le discours ethnographique tient compte de la specificite des communautes culturelles et immigrantes lanalyse porte alors surtout sur les interactions du groupe dans son foncshytionnement interne ou dans ses rapports avec la commushynaute daccueil (quant a la portee ideologique de ceUe analyse elle tend toujours vers une vision fraternisante) Entre ces deux disc ours le litteraire et le sociologique existe-t-il une jonction intrinseque ou sagit-il dun assemshyblage oblige de deux thematiques (lexil et limmigration) en realite sans grande relation lune a lautre En tout etat de cause la figure de lexile ethnique ou non nous intershypelle par son universalite Car derriere chaque exile dershyriere chaque Sam Lee W ong il y a avant tout un etre dans son rapport au monde

NOTES

1 Dans Gabrielle Roy Un jardin au bout du montle Montreal Editions du Boreal laquoBoreal Compactraquo 1993 p47-99

2 Le prototype du restaurateur ou du cafetier chinois celui que lon sumomme laquoCharlieraquo apparait dans au moins quatre autres textes de Gabrielle Roy laquoPetite Ukraineraquo et laquoTerre des hommesraquo (repris en volume dans Fragiles lumieres de to terre) La Petite Poule dEau La Detresse et lEnchantement

3 Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique ou lenjeu de la parole dans Un jardin au bout du monde de Gabrielle Royraquo dans Andre Fauchon ed Langue et communication actes du ge colloque du Centre ditudes franco-canadiennes de lGuest Saint-Boniface CEFCO 1990 pp89-102

4 Voir Mikhail M Bakhtine Esthitique et tMorie du roman Paris Gallimard 1978

La thematique de lexil et de limmigration 153 dans llEUvre de Gabrielle Roy

5 Spatialite et temporalite sont deux themes intimement lies dans lreuvre de Gabrielle Roy Par exemple le mot laquohorizonraquo particushylierement significatif dans ce contexte-ci puisque le premier village ou descend Sam Lee Wong sappelle Horizon est souvent jumele au concept dlaquoavenirraquo voir laquoLa maison gardeeraquo dans Ces enfants de ma vie laquoMon heritage du Manitobaraquo dans Fragiles lumieres de la terre La Detresse et lEnchantemen~ ce qui laisse supposer dans la pen see de Roy un laquohorizon de letreraquo OU lalterite se fond dans le meme Bien que dans laquoTerre des hommesraquo le concept dlaquo interdependance humaineraquo revete un caractere ideologique il sinscrit egalement dans une perspective philosophique comme en temoigne lextrait du livre L~venir de lhommede Teilhard de Chardin

6 Lattestent ladverbe et la forme interrogative du titre de la nouvelle laquoHorizonraquo c est ailleurs et partout Il est significatif que nombre des recits de Gabrielle Roy ont pour cadre un nQ mans land situe aux confins de la civilisation au laquobout du monderaquo (expression qui revient presque autant que celle dhorizon) dans un decor extraorshydinairement depouille et plat presque abstrait

7 Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique raquo p94

8 lhid p92

9 Gabrielle Roy laquoPeuples du Canadaraquo dans Fragiles lumiires de to terre Montreal Stanke laquoQuebec 1010raquo 1982 p53

10 laquoEtrangement letranger nous habite il est la face cachee de notre identite lespace qui ruine notre demeure le temps OU sabiment lentente et la sympathie De le reconnaitre en nous no us no us epargnons de le detester en lui-meme Symptome qui rend preciseshyment le laquonousraquo problematique peut-etre impossible letranger commence lorsque surgit la conscience de ma difference et sacheve lorsque nous nous reconnaissons tous etrangers rebel1es aux liens et aux communautesraquo Uulia Kristeva Etrangers anous-memes Paris Fayard 1988 p 9)

11 Gabrielle Roy laquoTerre des hommesraquo dans Fragiles lumieres de la terre p204

12 Gabrielle Roy Ces enfants de ma vie Montreal Editions du Boreal laquoBoreal Compactraquo 1993

13 Fragiles lumieres de la terre p 33 Cest nous qui soulignons

14 Fragiles lumieres de la terre p145

15 Gabrielle Roy Rue Deschambaul~ Montreal Editions clu Bon~al laquoBoreal Compactraquo 1993 p128-136 (passim)

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16 Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique raquo p92

17 Fragiles lumieres de la terre p 17-100 laquoLes pecheurs de la Gaspesieraquo est le seul cas qui ne repond pas au critere de lethnidte ce texte ne faisait pas partie de la serie originale de reportages intitulee laquo Peuples du Canadaraquo a la place se trouvait un article sur les Quebecois immigres dans rOuest

18 Une telle desagregation peut avoir des effets dramatiques au sein meme du noyau familial comme dans la relation entre le couple Martha-Stepan et leurs enfants dans la nouvelle laquo Un jardin au bout du monderaquo

19 Fragiles lumieres de la terre p30

20 Lexil geographique pur soppose id a lexil culturel ou existentiel qui chez Gabrielle Roy est un processus transformationneL

21 laquoJe ne donnais plus tres cher acette minute pour le projet qui mavait seduite la veille arriver seuIe en passante a une ferme sudete nimporte Iaquelle et demander Ihospitalite Car je professais alors que pour bien connaitre les gens il fallait etre aleur merdraquo (Fragiles lumieres de la terre p67)

22 Ibid p25-26

23 laquoNous avons trouve que Ies strategies discursives marquant Iexclushysion de limmigrant de la communaute entrent en opposition au desir dappartenance sociale et psychique et que la Iutte interieure est dordre herolqueraquo (Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique raquo p90)

24 Fragiles lumieres de la terre p24

25 Mais que dire de cette autre Martha moins fortunee qui incarne laquola gran de misere des femmes mennonitesraquo et qui sur son lit de mort ne souhaite rien tant que de pouvoir aller traire les vaches pour apaiser sa conscience (Voir laquoLes Mennonitesraquo dans Fragiles lushymitres de la terre)

26 Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique raquo p 91

27 On sait combien lenvironnement social de Saint-Boniface a prepare Gabrielle Roy a lexperience de la difference laquoIl ny avait plus detrangers dans la vie ou alors cest que nous letions tousraquo (Fragiles lumieres de la terre p 156)

28 Unjardin au bout du monde p118-119

29 Fragiles lumiires de la terre p42-43

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dailleurs un discours de base alors que le silence de letranshyger est pure alterite) Gabrielle Roy abolit cette distance ethnique par le recours ades universaux tels que la solitude le rapport de letre au monde5 le caractere intransitif de lexil (depouille de ses contingences geographiques6

) le sentiment dalienation et de depossession de soi etc Paralshylelement les particularites ethniques - pays dorigine et darrivee des immigrants leurs coutumes leur folklore leurs idiosyncrasies etc - font lobjet dun discours separe base sur une observation documentaire et sociologique Ainsi deux types decriture motivent la description de lexile dans Ireuvre de Gabrielle Roy discours litteraire et discours sociologique Dans le discours litteraire

La tache entreprise nest pas la reconstruction dune histoire connue mais plutOt la creation dune voix hushymaine au milieu dun laquosauvage silenceraquo Par linstance narrative la narratrice conrere a Martha limmortalite elle confere a la muette le don de sa parole a elle Bien que la narratrice se revele explicitement larchitecte de la conscience et des pensees de Martha eUe passe des le deuxieme chapitre aune narration vraisemblablement heterodiegetique et cherche a s effacer derriere un disshycours laquoneutreraquo Ce faisant elle se permet par linsertion dune forme de discours indirect libre de representer linterrogation interieure de la vieille a travers des pashyroles et une conscience qui lui appartiennent 7

Ce discours de linteriorite par lequel lidentification avec la figure de letranger est devenue pOSSible tend presque toujours vers la singularisation du personnage Ainsi avons-nous la situation paradoxale de letranger panni les etrangers qui vient demotiver la notion meme dethnicite au profit dune problematique de la solitude

La thematique de lexil et de limmigration I43 dans 1(EUvre de Gabrielle Roy

11 sensuit que ces deux personnages [Sam Lee Wong et Martha] ne font pas partie de la communaute linguistishyque et culturelle bien que celle-ci soit elle-meme composhysee dimmigrants Bien quelle [Gabrielle Roy] ait toujours aspire aun multiculturalisme hannonieux ses espoirs sont souvent mines par la hantise de la solitude elle voit les immigrants ceux de la premiere generation installes en etrangers et designes par des mots comme laquoisolesraquo laquodepaysesraquo laquoexilesraquo8

Ce processus de singularisation contraste avec la vision harmonisante et fratemisante de Gabrielle Roy dans ses reportages sur les immigrants le discours de linteriorite tend comme le signale Dansereau vers la laquovalorisation de la solituderaquo par opposition a linsistance sur la solidarite implicite dans les reportages

Sil est dans la nature meme de la litterature detre problematique cette definition peut nous aider a distinguer dans les ecrits de Gabrielle Roy sa sensibilite proprement litteraire de sa sensibilite ideologique Celle-ci tend a resorshyber la figuration MoilAutre (ltltun peuple content detre chez-nous que dis-je chez lui raquo9) alors que la premiere se fonde sur cette dialectique meme pour mettre en valeur luniversalite de letre lO

bull Neut ete de ce sourire fige sur le visage de Sam Lee Wong son visage aurait pu etre celui de nimporte qui ou tout simplement laquole visage de la solituderaquo laquoLe sentiment que lon a de sa propre solitude c est ce qui nous fait pressentir la solitude des autresraquo 11 c est ce qui autorise le transfert de la subjectivite au-dela des barrieres ethniques

Dans lecriture de type reportage une telle pratique nest pas admissible puisquelle depouillerait Ietranger de sa specificite L ecriture-reportage est pure exteriorite dans la mesure ou elle doit tenir compte des idiosyncrasies du fait

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ethnique et se confronter atoute une semiotique culture lIe Et cest ici que GabrielIe Roy ardent defenseur de la cause des immigrants se heurte aune distance irreductible disshytance qui nen est pas necessairement une de langue (dans des recits comme laquoVincentoraquo laquoLalouetteraquo laquoDemeshytrioffraquo12 la communication non verbale - que ce soit par les gestes le chant ou lecriture - retablit le sens entre destinateur et destinataire) mais plutot de mentalite

Deja dans laquoDe turbulents chercheurs de paixraquo Gabrielle Roy confie le melange dlaquoeffroiraquo de laquocuriositeraquo et dlaquoadshymirationraquo que provoquait sur son imagination denfant le recit des frasques des Doukhobors que lui faisait son pere II ressort nettement de ce passage que le point de vue de la narratrice se situe non pas du cote des Doukhobors mais de celui de la communaute daccueil pour qui le comporshytement de ces etrangers est incomprehensible et discorshydant laquo[Mon pere] evoquait alors la silhouette imposante de ces Doukhobors qui bien que pacifistes se livraient a des actes quil serait difficile de qualifier autrement que de provocateursraquo13 Dans laquoLa valIee Houdouraquo dabord publie quelques annees apres les reportages sur les laquoPeuples du Canadaraquo et insere de falton significative dans le recueil Un jardin au bout du monde Gabrielle Roy fera un traitement litteraire de ces mysterieux Doukhobors en adoptant cette fois leur point de vue laquoLa vallee Houdouraquo renvoie a la prediction du prophete doukhobor Verigin (qui fait lobjet ici dune description plutot idealisee contrastant avec le portrait beaucoup plus objectif et critique que lon retrouve dans laquoDe turbulents chercheurs de paixraquo ce qui denote non pas un revirement dopinion de la part de lauteurmais un parti pris de la laquovision avecraquo) selon laquelle la laquoterre promiseraquo attendrait son peuple Le mysticisme des Doukhobors y est depouille de sa specificite religieuse pour

La thematique de lexil et de limmigration 145 dans l(Euvre de Gabrielle Roy

faire place aun langage universel lexil le depaysement la nostalgie de Iancien pays (les Montagnes Humides sont-elles si differentes des collines quont laissees derriere elles la mere et la grand-mere de Gabrielle Roy) la communion de Ihomme avec la terre Gabrielle Roy laquochercheuse dhorizonraquo14 comme elle sest pIu ase definir elle-meme sapproprie en quelque sorte cette quete et la spiritualise a sa fa~on Les faits et gestes des Doukhobors sont pour ainsi dire laquonaturalisesraquo a travers un langage a la fois universel et propre aGabrielle Roy 11 va de soi qUune pareille assomption ne peut jamais etre quapproximative et qu elle doit renoncer a ses pretentions sociologiques Meme lorsque Iopacite separant Ietranger de llaquohomme dici) semble surmontee par la con fiance ou le truchement dun interprete il ne faut parfois quun incident - comme dans laquoLe puits de Dunrearaquo de Rue Deschambault - pour que lillusion soit rompue et revele le profond ecart de pensee qui les separe

QUi saura jamais ce que parmi ses Petits-Ruthenes papa ressentait daise de certitude Isoles loin de tout autre village ne parlant pas encore la langue de leurs voisins ils devaient s en remettre a papa totalement et la confiance etait entiere [ ] Suivi de son interprete il etait donc chez ses gens laquo Car rai oublie de vous le dire ajoutait Agnes papa navait eu le temps dapprendre quune vingtaine de mots peut-etre de leur dialecte eux nen connaissaient pas beaucoup plus de langlais Malgre cela comme ils se sont compris Comme ils se fiaient alinterprete qui disait laquoMonsieur lEnvoye du Gouvemement vous fait savoir que telles ou telles mesures doivent etre prises raquo Ou encore laquoBoris Masaliuk demande respectueusement siraquo [ ] Mais combien il fut etonne par ces femmes quil avait cm si dociles Dabord elles ne voulurent pas quitter les tranchees quelles

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creusaient cote acote avec les hommes [ ] Cest ace moment que les Petits-Ruthenes firent mine de ne plus comprendre papa Jan comme les autres Oh les hommes cupides et fous Dans leur pays ils navaient rien possede ou si peu [ ] Maintenant quils possedaient de tout [ ] ils ne voulaient absolument rien perdre 15

Le probleme nest donc pas dans la barriere linguistique mais dans la difference de mentalites Dans le cas present les Ruthenes decident volontairement de rompre la comshymunication cas de figure qui correspond au refus de la parole tel que decrit par Estelle Dansereau Cest ce meme genre de malentendu qui provoquera le depart de Sam Lee W ong lorsque celui-ci interpretera la ceremonie en son honneur comme une exhortation a partir laquoUltimement son incomprehension non de la langue mais du systeme cu1turel suscite la mesentente qui precipite son departraquo16 Dansereau oublie cependant de specifier que cette mesenshytente est a double sens Outre son interet pittoresque le personnage de Smouillya incame lalienation entre lalloshycuteur et lallocutaire voire leur neutralisation le fait que Smouillya soit mis volontairement acontre-emploi dans le role de linterprete vient abolir le statut meme du langage dans la communication et fait valoir symboliquement cet laquoautreraquo du langage que constitue la semiotique culturelle par laquelle la parole se trouve dans un contexte dincomshypatibilite semantique mutee ou encore brouillee

Face alopacite de letranger il existe donc une distance irreductible que meme la personnalite intuitive et empashythique dune Gabrielle Roy ne saurait franchir Reste lobservation Car meme si lidentification avec letranger nest pas possible a priori lobservation de ses mreurs et coutumes demeure le moyen le plus sur de parvenir aun rapprochement Autant le discours de linteriorite tend vers

La thematique de lexi et de limmigration 147 dans I aUvre de Gabrielle Roy

la singularisation du personnage autant lobservation ethnographique tend vers le collectif Car cest a linterieur de la communaute que lon est ameme de mieux juger des interactions qui trahissent les valeurs ethniques Tel est le projet qui sous-tend la serie de reportages intitulee laquoPeuples du Canadaraquol7 A partir de cette vue densemble une configuration hierarchique peut setablir de la communaute a la famille puis a lindividu de la condition de lhomme immigrant a celle de la femme immigrante (role de la mere education de la jeune fille) et a lenfant immigrant (dichotomie entre lenfant immigrant et lenfant de limmigrant ne dans le pays dadoption) Le concept de communaute nous interesse dans la mesure OU il entre en relation avec celui de lexil cest un fait avere que linseshycurite et linstabilite sociales renforcent la cohesion dun groupe social aplus forte raison lorsque la transplantation en pays etranger confronte ce groupe a la menace dune perte didentite Le groupe assure un encadrement de la culture maternelle qui sans lui risque de se desagregerlH mais en revanche le groupe risque de freiner le processus dintegration sil est trop replie sur lui-meme Dans le cas des trois communautes mystiques decrites dans laquoPeuples du Canadaraquo (les Hutterites les Doukhobors les Mennoshynites) la volonte dinsularite defie toute integration Et tel est bien le paradoxe de ces communautes venues setablir alautre bout du monde pour y entretenir lillusion de leurs anciens pays Meme si ce style de vie autarcique sautorise des vastes proportions du pays pour differer le contact avec les valeurs de la communaute daccueil une telle ideologie de la fermeture ne perpetue-t-elle pas linadaptation et lalienation auxquelles tot ou tard seront confrontees ces communau tes

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Du reste il me vint alors a lesprit que cette paix dici qui mavait tellement fait envie pendant un moment etait peut-etre plus menacee que fortifiee par lisolement Quen serait-il delle lorsque les freres hutterites tot ou tard entreraient en contact brutal avec notre epoque Leur isolement netait-il pas au fond la faiblesse de ces etres exceptionnels 19

Le misoneisme cultureJ20 et le refus de louverture chez ces communautes ethniques ne sont-ils pas aussi prejudishyciables a leur epanouissement que lintolerance de la comshymunaute daccueil envers limmigrant

Cest en visitant ces communautes a titre de joumaliste mais aussi de simple citoyenne de lhumanite21 que Gabrielle Roy mesure la specificite de leurs cultures La description qu elle en fait est presque toujours genereuse voire idyllique On sait que lohjectif premier des reporshytages dans le cadre du Bulletin des agriculteurs etait de rapporter les exploits ou les echecs agricoles de ces comshymunautes ethniques a cet egard la cohesion sociale conshytribue a la productivite et aux laquosuccess storiesraquo en matiere economique Cest le cas des Hutterites

Aussi la richesse collective des Huttterites en betail et batiments pIu tot quen especes est-elle considerable Chaque colonie est equipee pour lelevage de huit cents arniIle porcs denviron douze cents oies et de soixante a soixante-dix vaches par annee Plusieurs hameaux sadonnent en plus a lapiculture et cultivent fruits et legumes Tant et si bien quen raison de leur stricte econornie de leur ertroite solidarite et de leur remarquashyble industrie les Hutterites parviennent aun degre de merite agricole presque unique au Canada22

Nous voici chiffres a lappui en plein dans lecriture documentaire comme on serait en droit de sy attendre de nimporte quel chroniqueur dun journal agricole Mais par

La thematique de lexil et de limmigration 149 dam l(pounduvre de Gabrielle Roy

le biais de la productivite Gabrielle Roy parvient a nous interesser de facon metonymique aux valeurs sociales qui motivent une telle prosperite Ces valeurs sont presque toujours de lordre laquoherolqueraquo pour reprendre lexpresshysion quutilise Estelle Dansereau dans le contexte paradigshymatique de limmigrant face a la communaute23

bull Ce disc ours herolque Vlent dynamiser le simple documentaire en laffectant dun coefficient de laquolitterariteraquo qui est la signature de lecrivain avenir qu est Gabrielle Roy mais aussi un reflet de sa vision herolque de letre en exil V oici comment Gabrielle Roy raconte lerrance picaresque des Hutterites chasses par les persecutions la marche inexoshyrable des Doukhobors vers la terre promise la soif dhorishyzon des Mennonites

Cetait au printemps de 1528 Les Hutterites secte danabaptistes nommee dapres le precheur itinerant Jakob Hutter se voyaient chasses de la principaute de Nikolsburg all ils avaient trouve refuge apres leur expulshysion du TyroL I1s erraient certaines nuits en quete dun abri Vers Paube ils arriverent sur lemplacement dun village abandonne trempes affaiblis par lexil ronges de doute Et la raconte lancien chroniqueur Pun des Hutterites etendit son manteau sur le sol et enjoignit ses compagnons dy deposer leurs menus biens afin que leur recommencement rut marque du signe de labsolue chashyrite Le manteau se couvrit de tout lor alliances petits bijoux montres chaines et piecettes que possedaient les expatries24

Mais si ces immigrants par leurs vertus pionnieres (abshynegation solidarite ardeur au travail probite etc) ont valeur d exemplarite ils ne sont pas exempts de defauts et malgre le respect evident que lui inspirent leurs cultures Gabrielle Roy se perm et au passage de denoncer certaines valeurs incompatibles avec les siennes Cest le cas pour la

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condition de la femme immigrante doublement exilee (exilee de son pays et exilee de son etre) toujours absorbee dans ses corvees eternellement courbee sous son laquomoushychoir de peineraquo De meme que lenfant immigrant accentue le desarroi et la vulnerabilite propres a la condition de limmigrant la condition de la femme immigrante traduit de falton plus dramatique encore lalienation de lexil car a la perte de lidentite culturelle quimplique le deracinement sajoute celle de lidentite individuelle

11 en resulte alors une desertification du sens qui menace letre a la source meme comme dans la nouvelle laquo Un jardin au bout du monderaquo Au milieu de cet isolement physique et psychique Martha lUkrainienne cultive avec devotion son jardin de fleurs au grand courroux de son mari pour qui une telle coquetterie semble depourvue de sens dans un lieu aussi desole Il est significatif quelle et Step an soient en brouille car ceUe passion pour les fleurs exprime chez Martha une affirmation de son individualite qui equivaushydrait a une insoumission dans un contexte moins symbolishyquement charge25

bull En recreant la beaute autour delle Martha refuse de se laisser annihiler par cette desertificashytion du sens et ces manifestations florales sont autant dactes de foi dans un paysage de doute et de deshumanishysationlaquo [E]lle reussit a communiquer sa passion pour la vie a travers son jardin son mutisme de circonstance loblige a inventer un langage non verbal raquo26

Gabrielle Roy sinteresse a la figure de Ietranger dans la mesure Oll en lui a travers lui se po sent les interrogations les plus intimes de letre humain c est-a-dire dans la mesure Oll l etranger cesse de letre Oll nous le devenons a sa place27

bull

Doll cette vision stereoscopique chez Gabrielle Roy detranshygete et de familiarite de lointain et de proximite cet laquohorishyzonraquo qui devient le vecteur de notre propre devenir

La thematique de [exil et de limmigration 151 dans l(pounduvre de Gabrielle Roy

La narratrice dlaquo Un jardin au bout du monderaquo relate ainsi sa premiere vision de la maison de Martha

Ainsi un jour que rnarnenait sur ceUe route une etrange curiosite rnais plutot une tristesse de lesprit ce gout qui assez souvent rn a prise de decouvrir et de partager la plus totale solitude - jai vu devant rnoi sous le del enorrne contre le vent hostile et parmi les herbes hautes ce petit jardin qui debordait de fleurs

En ce temps-la souvent je me disais a quoi bon ceci a quoi bon cela [ ] Cest a quoi je pensais ce jour ou la lumiere baissant sur cette route qui me semblait ne conduire nulle part je vis au plus creux de la desolation et de la secheresse surgir ces fleurs eclatantes28

Meme si cela nest pas dit explicitement cette scene perlocutoire repond symboliquement aux propres doutes de la narratrice a sa prop re labilite interieure Vne fois lidentification etablie le discours indirect libre peut suivre son cours et la narratrice seffacer derriere Martha 11 est probable que Gabrielle Roy se soit inspiree du moins en partie de la Masha des laquo Turbulents chercheurs de paix raquo29

pour creer le personnage de Martha Meme dans ses reporshytages sur les peuples du Canada la focalisation sur un personnage (par exemple la jeune Barbara dans laquoLes Hutteritesraquo Masha chez les Doukhobors Martha dans laquoLes Mennonitesraquo Rebecca dans laquoLavenue Palestineraquo) ouvre la voie sinon a une identification du moins a une communication intersubjective qui transcende la specificite culturelle du groupe

Nous avons vu que dans lreuvre de Gabrielle Roy la problematique de lexil est abordee selon deux discours axiologiques differents Celui de la sensibilite litteraire dabord qui tend vers la valorisation de la solitude et la singularisation du personnage et ou Iexil est traite de fa~on

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intransitive cest-a-dire depouille de ses modalites geograshyphiques (demotivant alors la notion dethnicite qui devient purement symbolique et pragmatique) Dautre part le discours ethnographique tient compte de la specificite des communautes culturelles et immigrantes lanalyse porte alors surtout sur les interactions du groupe dans son foncshytionnement interne ou dans ses rapports avec la commushynaute daccueil (quant a la portee ideologique de ceUe analyse elle tend toujours vers une vision fraternisante) Entre ces deux disc ours le litteraire et le sociologique existe-t-il une jonction intrinseque ou sagit-il dun assemshyblage oblige de deux thematiques (lexil et limmigration) en realite sans grande relation lune a lautre En tout etat de cause la figure de lexile ethnique ou non nous intershypelle par son universalite Car derriere chaque exile dershyriere chaque Sam Lee W ong il y a avant tout un etre dans son rapport au monde

NOTES

1 Dans Gabrielle Roy Un jardin au bout du montle Montreal Editions du Boreal laquoBoreal Compactraquo 1993 p47-99

2 Le prototype du restaurateur ou du cafetier chinois celui que lon sumomme laquoCharlieraquo apparait dans au moins quatre autres textes de Gabrielle Roy laquoPetite Ukraineraquo et laquoTerre des hommesraquo (repris en volume dans Fragiles lumieres de to terre) La Petite Poule dEau La Detresse et lEnchantement

3 Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique ou lenjeu de la parole dans Un jardin au bout du monde de Gabrielle Royraquo dans Andre Fauchon ed Langue et communication actes du ge colloque du Centre ditudes franco-canadiennes de lGuest Saint-Boniface CEFCO 1990 pp89-102

4 Voir Mikhail M Bakhtine Esthitique et tMorie du roman Paris Gallimard 1978

La thematique de lexil et de limmigration 153 dans llEUvre de Gabrielle Roy

5 Spatialite et temporalite sont deux themes intimement lies dans lreuvre de Gabrielle Roy Par exemple le mot laquohorizonraquo particushylierement significatif dans ce contexte-ci puisque le premier village ou descend Sam Lee Wong sappelle Horizon est souvent jumele au concept dlaquoavenirraquo voir laquoLa maison gardeeraquo dans Ces enfants de ma vie laquoMon heritage du Manitobaraquo dans Fragiles lumieres de la terre La Detresse et lEnchantemen~ ce qui laisse supposer dans la pen see de Roy un laquohorizon de letreraquo OU lalterite se fond dans le meme Bien que dans laquoTerre des hommesraquo le concept dlaquo interdependance humaineraquo revete un caractere ideologique il sinscrit egalement dans une perspective philosophique comme en temoigne lextrait du livre L~venir de lhommede Teilhard de Chardin

6 Lattestent ladverbe et la forme interrogative du titre de la nouvelle laquoHorizonraquo c est ailleurs et partout Il est significatif que nombre des recits de Gabrielle Roy ont pour cadre un nQ mans land situe aux confins de la civilisation au laquobout du monderaquo (expression qui revient presque autant que celle dhorizon) dans un decor extraorshydinairement depouille et plat presque abstrait

7 Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique raquo p94

8 lhid p92

9 Gabrielle Roy laquoPeuples du Canadaraquo dans Fragiles lumiires de to terre Montreal Stanke laquoQuebec 1010raquo 1982 p53

10 laquoEtrangement letranger nous habite il est la face cachee de notre identite lespace qui ruine notre demeure le temps OU sabiment lentente et la sympathie De le reconnaitre en nous no us no us epargnons de le detester en lui-meme Symptome qui rend preciseshyment le laquonousraquo problematique peut-etre impossible letranger commence lorsque surgit la conscience de ma difference et sacheve lorsque nous nous reconnaissons tous etrangers rebel1es aux liens et aux communautesraquo Uulia Kristeva Etrangers anous-memes Paris Fayard 1988 p 9)

11 Gabrielle Roy laquoTerre des hommesraquo dans Fragiles lumieres de la terre p204

12 Gabrielle Roy Ces enfants de ma vie Montreal Editions du Boreal laquoBoreal Compactraquo 1993

13 Fragiles lumieres de la terre p 33 Cest nous qui soulignons

14 Fragiles lumieres de la terre p145

15 Gabrielle Roy Rue Deschambaul~ Montreal Editions clu Bon~al laquoBoreal Compactraquo 1993 p128-136 (passim)

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16 Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique raquo p92

17 Fragiles lumieres de la terre p 17-100 laquoLes pecheurs de la Gaspesieraquo est le seul cas qui ne repond pas au critere de lethnidte ce texte ne faisait pas partie de la serie originale de reportages intitulee laquo Peuples du Canadaraquo a la place se trouvait un article sur les Quebecois immigres dans rOuest

18 Une telle desagregation peut avoir des effets dramatiques au sein meme du noyau familial comme dans la relation entre le couple Martha-Stepan et leurs enfants dans la nouvelle laquo Un jardin au bout du monderaquo

19 Fragiles lumieres de la terre p30

20 Lexil geographique pur soppose id a lexil culturel ou existentiel qui chez Gabrielle Roy est un processus transformationneL

21 laquoJe ne donnais plus tres cher acette minute pour le projet qui mavait seduite la veille arriver seuIe en passante a une ferme sudete nimporte Iaquelle et demander Ihospitalite Car je professais alors que pour bien connaitre les gens il fallait etre aleur merdraquo (Fragiles lumieres de la terre p67)

22 Ibid p25-26

23 laquoNous avons trouve que Ies strategies discursives marquant Iexclushysion de limmigrant de la communaute entrent en opposition au desir dappartenance sociale et psychique et que la Iutte interieure est dordre herolqueraquo (Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique raquo p90)

24 Fragiles lumieres de la terre p24

25 Mais que dire de cette autre Martha moins fortunee qui incarne laquola gran de misere des femmes mennonitesraquo et qui sur son lit de mort ne souhaite rien tant que de pouvoir aller traire les vaches pour apaiser sa conscience (Voir laquoLes Mennonitesraquo dans Fragiles lushymitres de la terre)

26 Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique raquo p 91

27 On sait combien lenvironnement social de Saint-Boniface a prepare Gabrielle Roy a lexperience de la difference laquoIl ny avait plus detrangers dans la vie ou alors cest que nous letions tousraquo (Fragiles lumieres de la terre p 156)

28 Unjardin au bout du monde p118-119

29 Fragiles lumiires de la terre p42-43

La thematique de lexil et de limmigration I43 dans 1(EUvre de Gabrielle Roy

11 sensuit que ces deux personnages [Sam Lee Wong et Martha] ne font pas partie de la communaute linguistishyque et culturelle bien que celle-ci soit elle-meme composhysee dimmigrants Bien quelle [Gabrielle Roy] ait toujours aspire aun multiculturalisme hannonieux ses espoirs sont souvent mines par la hantise de la solitude elle voit les immigrants ceux de la premiere generation installes en etrangers et designes par des mots comme laquoisolesraquo laquodepaysesraquo laquoexilesraquo8

Ce processus de singularisation contraste avec la vision harmonisante et fratemisante de Gabrielle Roy dans ses reportages sur les immigrants le discours de linteriorite tend comme le signale Dansereau vers la laquovalorisation de la solituderaquo par opposition a linsistance sur la solidarite implicite dans les reportages

Sil est dans la nature meme de la litterature detre problematique cette definition peut nous aider a distinguer dans les ecrits de Gabrielle Roy sa sensibilite proprement litteraire de sa sensibilite ideologique Celle-ci tend a resorshyber la figuration MoilAutre (ltltun peuple content detre chez-nous que dis-je chez lui raquo9) alors que la premiere se fonde sur cette dialectique meme pour mettre en valeur luniversalite de letre lO

bull Neut ete de ce sourire fige sur le visage de Sam Lee Wong son visage aurait pu etre celui de nimporte qui ou tout simplement laquole visage de la solituderaquo laquoLe sentiment que lon a de sa propre solitude c est ce qui nous fait pressentir la solitude des autresraquo 11 c est ce qui autorise le transfert de la subjectivite au-dela des barrieres ethniques

Dans lecriture de type reportage une telle pratique nest pas admissible puisquelle depouillerait Ietranger de sa specificite L ecriture-reportage est pure exteriorite dans la mesure ou elle doit tenir compte des idiosyncrasies du fait

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ethnique et se confronter atoute une semiotique culture lIe Et cest ici que GabrielIe Roy ardent defenseur de la cause des immigrants se heurte aune distance irreductible disshytance qui nen est pas necessairement une de langue (dans des recits comme laquoVincentoraquo laquoLalouetteraquo laquoDemeshytrioffraquo12 la communication non verbale - que ce soit par les gestes le chant ou lecriture - retablit le sens entre destinateur et destinataire) mais plutot de mentalite

Deja dans laquoDe turbulents chercheurs de paixraquo Gabrielle Roy confie le melange dlaquoeffroiraquo de laquocuriositeraquo et dlaquoadshymirationraquo que provoquait sur son imagination denfant le recit des frasques des Doukhobors que lui faisait son pere II ressort nettement de ce passage que le point de vue de la narratrice se situe non pas du cote des Doukhobors mais de celui de la communaute daccueil pour qui le comporshytement de ces etrangers est incomprehensible et discorshydant laquo[Mon pere] evoquait alors la silhouette imposante de ces Doukhobors qui bien que pacifistes se livraient a des actes quil serait difficile de qualifier autrement que de provocateursraquo13 Dans laquoLa valIee Houdouraquo dabord publie quelques annees apres les reportages sur les laquoPeuples du Canadaraquo et insere de falton significative dans le recueil Un jardin au bout du monde Gabrielle Roy fera un traitement litteraire de ces mysterieux Doukhobors en adoptant cette fois leur point de vue laquoLa vallee Houdouraquo renvoie a la prediction du prophete doukhobor Verigin (qui fait lobjet ici dune description plutot idealisee contrastant avec le portrait beaucoup plus objectif et critique que lon retrouve dans laquoDe turbulents chercheurs de paixraquo ce qui denote non pas un revirement dopinion de la part de lauteurmais un parti pris de la laquovision avecraquo) selon laquelle la laquoterre promiseraquo attendrait son peuple Le mysticisme des Doukhobors y est depouille de sa specificite religieuse pour

La thematique de lexil et de limmigration 145 dans l(Euvre de Gabrielle Roy

faire place aun langage universel lexil le depaysement la nostalgie de Iancien pays (les Montagnes Humides sont-elles si differentes des collines quont laissees derriere elles la mere et la grand-mere de Gabrielle Roy) la communion de Ihomme avec la terre Gabrielle Roy laquochercheuse dhorizonraquo14 comme elle sest pIu ase definir elle-meme sapproprie en quelque sorte cette quete et la spiritualise a sa fa~on Les faits et gestes des Doukhobors sont pour ainsi dire laquonaturalisesraquo a travers un langage a la fois universel et propre aGabrielle Roy 11 va de soi qUune pareille assomption ne peut jamais etre quapproximative et qu elle doit renoncer a ses pretentions sociologiques Meme lorsque Iopacite separant Ietranger de llaquohomme dici) semble surmontee par la con fiance ou le truchement dun interprete il ne faut parfois quun incident - comme dans laquoLe puits de Dunrearaquo de Rue Deschambault - pour que lillusion soit rompue et revele le profond ecart de pensee qui les separe

QUi saura jamais ce que parmi ses Petits-Ruthenes papa ressentait daise de certitude Isoles loin de tout autre village ne parlant pas encore la langue de leurs voisins ils devaient s en remettre a papa totalement et la confiance etait entiere [ ] Suivi de son interprete il etait donc chez ses gens laquo Car rai oublie de vous le dire ajoutait Agnes papa navait eu le temps dapprendre quune vingtaine de mots peut-etre de leur dialecte eux nen connaissaient pas beaucoup plus de langlais Malgre cela comme ils se sont compris Comme ils se fiaient alinterprete qui disait laquoMonsieur lEnvoye du Gouvemement vous fait savoir que telles ou telles mesures doivent etre prises raquo Ou encore laquoBoris Masaliuk demande respectueusement siraquo [ ] Mais combien il fut etonne par ces femmes quil avait cm si dociles Dabord elles ne voulurent pas quitter les tranchees quelles

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creusaient cote acote avec les hommes [ ] Cest ace moment que les Petits-Ruthenes firent mine de ne plus comprendre papa Jan comme les autres Oh les hommes cupides et fous Dans leur pays ils navaient rien possede ou si peu [ ] Maintenant quils possedaient de tout [ ] ils ne voulaient absolument rien perdre 15

Le probleme nest donc pas dans la barriere linguistique mais dans la difference de mentalites Dans le cas present les Ruthenes decident volontairement de rompre la comshymunication cas de figure qui correspond au refus de la parole tel que decrit par Estelle Dansereau Cest ce meme genre de malentendu qui provoquera le depart de Sam Lee W ong lorsque celui-ci interpretera la ceremonie en son honneur comme une exhortation a partir laquoUltimement son incomprehension non de la langue mais du systeme cu1turel suscite la mesentente qui precipite son departraquo16 Dansereau oublie cependant de specifier que cette mesenshytente est a double sens Outre son interet pittoresque le personnage de Smouillya incame lalienation entre lalloshycuteur et lallocutaire voire leur neutralisation le fait que Smouillya soit mis volontairement acontre-emploi dans le role de linterprete vient abolir le statut meme du langage dans la communication et fait valoir symboliquement cet laquoautreraquo du langage que constitue la semiotique culturelle par laquelle la parole se trouve dans un contexte dincomshypatibilite semantique mutee ou encore brouillee

Face alopacite de letranger il existe donc une distance irreductible que meme la personnalite intuitive et empashythique dune Gabrielle Roy ne saurait franchir Reste lobservation Car meme si lidentification avec letranger nest pas possible a priori lobservation de ses mreurs et coutumes demeure le moyen le plus sur de parvenir aun rapprochement Autant le discours de linteriorite tend vers

La thematique de lexi et de limmigration 147 dans I aUvre de Gabrielle Roy

la singularisation du personnage autant lobservation ethnographique tend vers le collectif Car cest a linterieur de la communaute que lon est ameme de mieux juger des interactions qui trahissent les valeurs ethniques Tel est le projet qui sous-tend la serie de reportages intitulee laquoPeuples du Canadaraquol7 A partir de cette vue densemble une configuration hierarchique peut setablir de la communaute a la famille puis a lindividu de la condition de lhomme immigrant a celle de la femme immigrante (role de la mere education de la jeune fille) et a lenfant immigrant (dichotomie entre lenfant immigrant et lenfant de limmigrant ne dans le pays dadoption) Le concept de communaute nous interesse dans la mesure OU il entre en relation avec celui de lexil cest un fait avere que linseshycurite et linstabilite sociales renforcent la cohesion dun groupe social aplus forte raison lorsque la transplantation en pays etranger confronte ce groupe a la menace dune perte didentite Le groupe assure un encadrement de la culture maternelle qui sans lui risque de se desagregerlH mais en revanche le groupe risque de freiner le processus dintegration sil est trop replie sur lui-meme Dans le cas des trois communautes mystiques decrites dans laquoPeuples du Canadaraquo (les Hutterites les Doukhobors les Mennoshynites) la volonte dinsularite defie toute integration Et tel est bien le paradoxe de ces communautes venues setablir alautre bout du monde pour y entretenir lillusion de leurs anciens pays Meme si ce style de vie autarcique sautorise des vastes proportions du pays pour differer le contact avec les valeurs de la communaute daccueil une telle ideologie de la fermeture ne perpetue-t-elle pas linadaptation et lalienation auxquelles tot ou tard seront confrontees ces communau tes

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Du reste il me vint alors a lesprit que cette paix dici qui mavait tellement fait envie pendant un moment etait peut-etre plus menacee que fortifiee par lisolement Quen serait-il delle lorsque les freres hutterites tot ou tard entreraient en contact brutal avec notre epoque Leur isolement netait-il pas au fond la faiblesse de ces etres exceptionnels 19

Le misoneisme cultureJ20 et le refus de louverture chez ces communautes ethniques ne sont-ils pas aussi prejudishyciables a leur epanouissement que lintolerance de la comshymunaute daccueil envers limmigrant

Cest en visitant ces communautes a titre de joumaliste mais aussi de simple citoyenne de lhumanite21 que Gabrielle Roy mesure la specificite de leurs cultures La description qu elle en fait est presque toujours genereuse voire idyllique On sait que lohjectif premier des reporshytages dans le cadre du Bulletin des agriculteurs etait de rapporter les exploits ou les echecs agricoles de ces comshymunautes ethniques a cet egard la cohesion sociale conshytribue a la productivite et aux laquosuccess storiesraquo en matiere economique Cest le cas des Hutterites

Aussi la richesse collective des Huttterites en betail et batiments pIu tot quen especes est-elle considerable Chaque colonie est equipee pour lelevage de huit cents arniIle porcs denviron douze cents oies et de soixante a soixante-dix vaches par annee Plusieurs hameaux sadonnent en plus a lapiculture et cultivent fruits et legumes Tant et si bien quen raison de leur stricte econornie de leur ertroite solidarite et de leur remarquashyble industrie les Hutterites parviennent aun degre de merite agricole presque unique au Canada22

Nous voici chiffres a lappui en plein dans lecriture documentaire comme on serait en droit de sy attendre de nimporte quel chroniqueur dun journal agricole Mais par

La thematique de lexil et de limmigration 149 dam l(pounduvre de Gabrielle Roy

le biais de la productivite Gabrielle Roy parvient a nous interesser de facon metonymique aux valeurs sociales qui motivent une telle prosperite Ces valeurs sont presque toujours de lordre laquoherolqueraquo pour reprendre lexpresshysion quutilise Estelle Dansereau dans le contexte paradigshymatique de limmigrant face a la communaute23

bull Ce disc ours herolque Vlent dynamiser le simple documentaire en laffectant dun coefficient de laquolitterariteraquo qui est la signature de lecrivain avenir qu est Gabrielle Roy mais aussi un reflet de sa vision herolque de letre en exil V oici comment Gabrielle Roy raconte lerrance picaresque des Hutterites chasses par les persecutions la marche inexoshyrable des Doukhobors vers la terre promise la soif dhorishyzon des Mennonites

Cetait au printemps de 1528 Les Hutterites secte danabaptistes nommee dapres le precheur itinerant Jakob Hutter se voyaient chasses de la principaute de Nikolsburg all ils avaient trouve refuge apres leur expulshysion du TyroL I1s erraient certaines nuits en quete dun abri Vers Paube ils arriverent sur lemplacement dun village abandonne trempes affaiblis par lexil ronges de doute Et la raconte lancien chroniqueur Pun des Hutterites etendit son manteau sur le sol et enjoignit ses compagnons dy deposer leurs menus biens afin que leur recommencement rut marque du signe de labsolue chashyrite Le manteau se couvrit de tout lor alliances petits bijoux montres chaines et piecettes que possedaient les expatries24

Mais si ces immigrants par leurs vertus pionnieres (abshynegation solidarite ardeur au travail probite etc) ont valeur d exemplarite ils ne sont pas exempts de defauts et malgre le respect evident que lui inspirent leurs cultures Gabrielle Roy se perm et au passage de denoncer certaines valeurs incompatibles avec les siennes Cest le cas pour la

50 lOOK CHUNG

condition de la femme immigrante doublement exilee (exilee de son pays et exilee de son etre) toujours absorbee dans ses corvees eternellement courbee sous son laquomoushychoir de peineraquo De meme que lenfant immigrant accentue le desarroi et la vulnerabilite propres a la condition de limmigrant la condition de la femme immigrante traduit de falton plus dramatique encore lalienation de lexil car a la perte de lidentite culturelle quimplique le deracinement sajoute celle de lidentite individuelle

11 en resulte alors une desertification du sens qui menace letre a la source meme comme dans la nouvelle laquo Un jardin au bout du monderaquo Au milieu de cet isolement physique et psychique Martha lUkrainienne cultive avec devotion son jardin de fleurs au grand courroux de son mari pour qui une telle coquetterie semble depourvue de sens dans un lieu aussi desole Il est significatif quelle et Step an soient en brouille car ceUe passion pour les fleurs exprime chez Martha une affirmation de son individualite qui equivaushydrait a une insoumission dans un contexte moins symbolishyquement charge25

bull En recreant la beaute autour delle Martha refuse de se laisser annihiler par cette desertificashytion du sens et ces manifestations florales sont autant dactes de foi dans un paysage de doute et de deshumanishysationlaquo [E]lle reussit a communiquer sa passion pour la vie a travers son jardin son mutisme de circonstance loblige a inventer un langage non verbal raquo26

Gabrielle Roy sinteresse a la figure de Ietranger dans la mesure Oll en lui a travers lui se po sent les interrogations les plus intimes de letre humain c est-a-dire dans la mesure Oll l etranger cesse de letre Oll nous le devenons a sa place27

bull

Doll cette vision stereoscopique chez Gabrielle Roy detranshygete et de familiarite de lointain et de proximite cet laquohorishyzonraquo qui devient le vecteur de notre propre devenir

La thematique de [exil et de limmigration 151 dans l(pounduvre de Gabrielle Roy

La narratrice dlaquo Un jardin au bout du monderaquo relate ainsi sa premiere vision de la maison de Martha

Ainsi un jour que rnarnenait sur ceUe route une etrange curiosite rnais plutot une tristesse de lesprit ce gout qui assez souvent rn a prise de decouvrir et de partager la plus totale solitude - jai vu devant rnoi sous le del enorrne contre le vent hostile et parmi les herbes hautes ce petit jardin qui debordait de fleurs

En ce temps-la souvent je me disais a quoi bon ceci a quoi bon cela [ ] Cest a quoi je pensais ce jour ou la lumiere baissant sur cette route qui me semblait ne conduire nulle part je vis au plus creux de la desolation et de la secheresse surgir ces fleurs eclatantes28

Meme si cela nest pas dit explicitement cette scene perlocutoire repond symboliquement aux propres doutes de la narratrice a sa prop re labilite interieure Vne fois lidentification etablie le discours indirect libre peut suivre son cours et la narratrice seffacer derriere Martha 11 est probable que Gabrielle Roy se soit inspiree du moins en partie de la Masha des laquo Turbulents chercheurs de paix raquo29

pour creer le personnage de Martha Meme dans ses reporshytages sur les peuples du Canada la focalisation sur un personnage (par exemple la jeune Barbara dans laquoLes Hutteritesraquo Masha chez les Doukhobors Martha dans laquoLes Mennonitesraquo Rebecca dans laquoLavenue Palestineraquo) ouvre la voie sinon a une identification du moins a une communication intersubjective qui transcende la specificite culturelle du groupe

Nous avons vu que dans lreuvre de Gabrielle Roy la problematique de lexil est abordee selon deux discours axiologiques differents Celui de la sensibilite litteraire dabord qui tend vers la valorisation de la solitude et la singularisation du personnage et ou Iexil est traite de fa~on

52 lOOK CHlJNG

intransitive cest-a-dire depouille de ses modalites geograshyphiques (demotivant alors la notion dethnicite qui devient purement symbolique et pragmatique) Dautre part le discours ethnographique tient compte de la specificite des communautes culturelles et immigrantes lanalyse porte alors surtout sur les interactions du groupe dans son foncshytionnement interne ou dans ses rapports avec la commushynaute daccueil (quant a la portee ideologique de ceUe analyse elle tend toujours vers une vision fraternisante) Entre ces deux disc ours le litteraire et le sociologique existe-t-il une jonction intrinseque ou sagit-il dun assemshyblage oblige de deux thematiques (lexil et limmigration) en realite sans grande relation lune a lautre En tout etat de cause la figure de lexile ethnique ou non nous intershypelle par son universalite Car derriere chaque exile dershyriere chaque Sam Lee W ong il y a avant tout un etre dans son rapport au monde

NOTES

1 Dans Gabrielle Roy Un jardin au bout du montle Montreal Editions du Boreal laquoBoreal Compactraquo 1993 p47-99

2 Le prototype du restaurateur ou du cafetier chinois celui que lon sumomme laquoCharlieraquo apparait dans au moins quatre autres textes de Gabrielle Roy laquoPetite Ukraineraquo et laquoTerre des hommesraquo (repris en volume dans Fragiles lumieres de to terre) La Petite Poule dEau La Detresse et lEnchantement

3 Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique ou lenjeu de la parole dans Un jardin au bout du monde de Gabrielle Royraquo dans Andre Fauchon ed Langue et communication actes du ge colloque du Centre ditudes franco-canadiennes de lGuest Saint-Boniface CEFCO 1990 pp89-102

4 Voir Mikhail M Bakhtine Esthitique et tMorie du roman Paris Gallimard 1978

La thematique de lexil et de limmigration 153 dans llEUvre de Gabrielle Roy

5 Spatialite et temporalite sont deux themes intimement lies dans lreuvre de Gabrielle Roy Par exemple le mot laquohorizonraquo particushylierement significatif dans ce contexte-ci puisque le premier village ou descend Sam Lee Wong sappelle Horizon est souvent jumele au concept dlaquoavenirraquo voir laquoLa maison gardeeraquo dans Ces enfants de ma vie laquoMon heritage du Manitobaraquo dans Fragiles lumieres de la terre La Detresse et lEnchantemen~ ce qui laisse supposer dans la pen see de Roy un laquohorizon de letreraquo OU lalterite se fond dans le meme Bien que dans laquoTerre des hommesraquo le concept dlaquo interdependance humaineraquo revete un caractere ideologique il sinscrit egalement dans une perspective philosophique comme en temoigne lextrait du livre L~venir de lhommede Teilhard de Chardin

6 Lattestent ladverbe et la forme interrogative du titre de la nouvelle laquoHorizonraquo c est ailleurs et partout Il est significatif que nombre des recits de Gabrielle Roy ont pour cadre un nQ mans land situe aux confins de la civilisation au laquobout du monderaquo (expression qui revient presque autant que celle dhorizon) dans un decor extraorshydinairement depouille et plat presque abstrait

7 Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique raquo p94

8 lhid p92

9 Gabrielle Roy laquoPeuples du Canadaraquo dans Fragiles lumiires de to terre Montreal Stanke laquoQuebec 1010raquo 1982 p53

10 laquoEtrangement letranger nous habite il est la face cachee de notre identite lespace qui ruine notre demeure le temps OU sabiment lentente et la sympathie De le reconnaitre en nous no us no us epargnons de le detester en lui-meme Symptome qui rend preciseshyment le laquonousraquo problematique peut-etre impossible letranger commence lorsque surgit la conscience de ma difference et sacheve lorsque nous nous reconnaissons tous etrangers rebel1es aux liens et aux communautesraquo Uulia Kristeva Etrangers anous-memes Paris Fayard 1988 p 9)

11 Gabrielle Roy laquoTerre des hommesraquo dans Fragiles lumieres de la terre p204

12 Gabrielle Roy Ces enfants de ma vie Montreal Editions du Boreal laquoBoreal Compactraquo 1993

13 Fragiles lumieres de la terre p 33 Cest nous qui soulignons

14 Fragiles lumieres de la terre p145

15 Gabrielle Roy Rue Deschambaul~ Montreal Editions clu Bon~al laquoBoreal Compactraquo 1993 p128-136 (passim)

54 lOOK CHUNG

16 Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique raquo p92

17 Fragiles lumieres de la terre p 17-100 laquoLes pecheurs de la Gaspesieraquo est le seul cas qui ne repond pas au critere de lethnidte ce texte ne faisait pas partie de la serie originale de reportages intitulee laquo Peuples du Canadaraquo a la place se trouvait un article sur les Quebecois immigres dans rOuest

18 Une telle desagregation peut avoir des effets dramatiques au sein meme du noyau familial comme dans la relation entre le couple Martha-Stepan et leurs enfants dans la nouvelle laquo Un jardin au bout du monderaquo

19 Fragiles lumieres de la terre p30

20 Lexil geographique pur soppose id a lexil culturel ou existentiel qui chez Gabrielle Roy est un processus transformationneL

21 laquoJe ne donnais plus tres cher acette minute pour le projet qui mavait seduite la veille arriver seuIe en passante a une ferme sudete nimporte Iaquelle et demander Ihospitalite Car je professais alors que pour bien connaitre les gens il fallait etre aleur merdraquo (Fragiles lumieres de la terre p67)

22 Ibid p25-26

23 laquoNous avons trouve que Ies strategies discursives marquant Iexclushysion de limmigrant de la communaute entrent en opposition au desir dappartenance sociale et psychique et que la Iutte interieure est dordre herolqueraquo (Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique raquo p90)

24 Fragiles lumieres de la terre p24

25 Mais que dire de cette autre Martha moins fortunee qui incarne laquola gran de misere des femmes mennonitesraquo et qui sur son lit de mort ne souhaite rien tant que de pouvoir aller traire les vaches pour apaiser sa conscience (Voir laquoLes Mennonitesraquo dans Fragiles lushymitres de la terre)

26 Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique raquo p 91

27 On sait combien lenvironnement social de Saint-Boniface a prepare Gabrielle Roy a lexperience de la difference laquoIl ny avait plus detrangers dans la vie ou alors cest que nous letions tousraquo (Fragiles lumieres de la terre p 156)

28 Unjardin au bout du monde p118-119

29 Fragiles lumiires de la terre p42-43

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ethnique et se confronter atoute une semiotique culture lIe Et cest ici que GabrielIe Roy ardent defenseur de la cause des immigrants se heurte aune distance irreductible disshytance qui nen est pas necessairement une de langue (dans des recits comme laquoVincentoraquo laquoLalouetteraquo laquoDemeshytrioffraquo12 la communication non verbale - que ce soit par les gestes le chant ou lecriture - retablit le sens entre destinateur et destinataire) mais plutot de mentalite

Deja dans laquoDe turbulents chercheurs de paixraquo Gabrielle Roy confie le melange dlaquoeffroiraquo de laquocuriositeraquo et dlaquoadshymirationraquo que provoquait sur son imagination denfant le recit des frasques des Doukhobors que lui faisait son pere II ressort nettement de ce passage que le point de vue de la narratrice se situe non pas du cote des Doukhobors mais de celui de la communaute daccueil pour qui le comporshytement de ces etrangers est incomprehensible et discorshydant laquo[Mon pere] evoquait alors la silhouette imposante de ces Doukhobors qui bien que pacifistes se livraient a des actes quil serait difficile de qualifier autrement que de provocateursraquo13 Dans laquoLa valIee Houdouraquo dabord publie quelques annees apres les reportages sur les laquoPeuples du Canadaraquo et insere de falton significative dans le recueil Un jardin au bout du monde Gabrielle Roy fera un traitement litteraire de ces mysterieux Doukhobors en adoptant cette fois leur point de vue laquoLa vallee Houdouraquo renvoie a la prediction du prophete doukhobor Verigin (qui fait lobjet ici dune description plutot idealisee contrastant avec le portrait beaucoup plus objectif et critique que lon retrouve dans laquoDe turbulents chercheurs de paixraquo ce qui denote non pas un revirement dopinion de la part de lauteurmais un parti pris de la laquovision avecraquo) selon laquelle la laquoterre promiseraquo attendrait son peuple Le mysticisme des Doukhobors y est depouille de sa specificite religieuse pour

La thematique de lexil et de limmigration 145 dans l(Euvre de Gabrielle Roy

faire place aun langage universel lexil le depaysement la nostalgie de Iancien pays (les Montagnes Humides sont-elles si differentes des collines quont laissees derriere elles la mere et la grand-mere de Gabrielle Roy) la communion de Ihomme avec la terre Gabrielle Roy laquochercheuse dhorizonraquo14 comme elle sest pIu ase definir elle-meme sapproprie en quelque sorte cette quete et la spiritualise a sa fa~on Les faits et gestes des Doukhobors sont pour ainsi dire laquonaturalisesraquo a travers un langage a la fois universel et propre aGabrielle Roy 11 va de soi qUune pareille assomption ne peut jamais etre quapproximative et qu elle doit renoncer a ses pretentions sociologiques Meme lorsque Iopacite separant Ietranger de llaquohomme dici) semble surmontee par la con fiance ou le truchement dun interprete il ne faut parfois quun incident - comme dans laquoLe puits de Dunrearaquo de Rue Deschambault - pour que lillusion soit rompue et revele le profond ecart de pensee qui les separe

QUi saura jamais ce que parmi ses Petits-Ruthenes papa ressentait daise de certitude Isoles loin de tout autre village ne parlant pas encore la langue de leurs voisins ils devaient s en remettre a papa totalement et la confiance etait entiere [ ] Suivi de son interprete il etait donc chez ses gens laquo Car rai oublie de vous le dire ajoutait Agnes papa navait eu le temps dapprendre quune vingtaine de mots peut-etre de leur dialecte eux nen connaissaient pas beaucoup plus de langlais Malgre cela comme ils se sont compris Comme ils se fiaient alinterprete qui disait laquoMonsieur lEnvoye du Gouvemement vous fait savoir que telles ou telles mesures doivent etre prises raquo Ou encore laquoBoris Masaliuk demande respectueusement siraquo [ ] Mais combien il fut etonne par ces femmes quil avait cm si dociles Dabord elles ne voulurent pas quitter les tranchees quelles

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creusaient cote acote avec les hommes [ ] Cest ace moment que les Petits-Ruthenes firent mine de ne plus comprendre papa Jan comme les autres Oh les hommes cupides et fous Dans leur pays ils navaient rien possede ou si peu [ ] Maintenant quils possedaient de tout [ ] ils ne voulaient absolument rien perdre 15

Le probleme nest donc pas dans la barriere linguistique mais dans la difference de mentalites Dans le cas present les Ruthenes decident volontairement de rompre la comshymunication cas de figure qui correspond au refus de la parole tel que decrit par Estelle Dansereau Cest ce meme genre de malentendu qui provoquera le depart de Sam Lee W ong lorsque celui-ci interpretera la ceremonie en son honneur comme une exhortation a partir laquoUltimement son incomprehension non de la langue mais du systeme cu1turel suscite la mesentente qui precipite son departraquo16 Dansereau oublie cependant de specifier que cette mesenshytente est a double sens Outre son interet pittoresque le personnage de Smouillya incame lalienation entre lalloshycuteur et lallocutaire voire leur neutralisation le fait que Smouillya soit mis volontairement acontre-emploi dans le role de linterprete vient abolir le statut meme du langage dans la communication et fait valoir symboliquement cet laquoautreraquo du langage que constitue la semiotique culturelle par laquelle la parole se trouve dans un contexte dincomshypatibilite semantique mutee ou encore brouillee

Face alopacite de letranger il existe donc une distance irreductible que meme la personnalite intuitive et empashythique dune Gabrielle Roy ne saurait franchir Reste lobservation Car meme si lidentification avec letranger nest pas possible a priori lobservation de ses mreurs et coutumes demeure le moyen le plus sur de parvenir aun rapprochement Autant le discours de linteriorite tend vers

La thematique de lexi et de limmigration 147 dans I aUvre de Gabrielle Roy

la singularisation du personnage autant lobservation ethnographique tend vers le collectif Car cest a linterieur de la communaute que lon est ameme de mieux juger des interactions qui trahissent les valeurs ethniques Tel est le projet qui sous-tend la serie de reportages intitulee laquoPeuples du Canadaraquol7 A partir de cette vue densemble une configuration hierarchique peut setablir de la communaute a la famille puis a lindividu de la condition de lhomme immigrant a celle de la femme immigrante (role de la mere education de la jeune fille) et a lenfant immigrant (dichotomie entre lenfant immigrant et lenfant de limmigrant ne dans le pays dadoption) Le concept de communaute nous interesse dans la mesure OU il entre en relation avec celui de lexil cest un fait avere que linseshycurite et linstabilite sociales renforcent la cohesion dun groupe social aplus forte raison lorsque la transplantation en pays etranger confronte ce groupe a la menace dune perte didentite Le groupe assure un encadrement de la culture maternelle qui sans lui risque de se desagregerlH mais en revanche le groupe risque de freiner le processus dintegration sil est trop replie sur lui-meme Dans le cas des trois communautes mystiques decrites dans laquoPeuples du Canadaraquo (les Hutterites les Doukhobors les Mennoshynites) la volonte dinsularite defie toute integration Et tel est bien le paradoxe de ces communautes venues setablir alautre bout du monde pour y entretenir lillusion de leurs anciens pays Meme si ce style de vie autarcique sautorise des vastes proportions du pays pour differer le contact avec les valeurs de la communaute daccueil une telle ideologie de la fermeture ne perpetue-t-elle pas linadaptation et lalienation auxquelles tot ou tard seront confrontees ces communau tes

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Du reste il me vint alors a lesprit que cette paix dici qui mavait tellement fait envie pendant un moment etait peut-etre plus menacee que fortifiee par lisolement Quen serait-il delle lorsque les freres hutterites tot ou tard entreraient en contact brutal avec notre epoque Leur isolement netait-il pas au fond la faiblesse de ces etres exceptionnels 19

Le misoneisme cultureJ20 et le refus de louverture chez ces communautes ethniques ne sont-ils pas aussi prejudishyciables a leur epanouissement que lintolerance de la comshymunaute daccueil envers limmigrant

Cest en visitant ces communautes a titre de joumaliste mais aussi de simple citoyenne de lhumanite21 que Gabrielle Roy mesure la specificite de leurs cultures La description qu elle en fait est presque toujours genereuse voire idyllique On sait que lohjectif premier des reporshytages dans le cadre du Bulletin des agriculteurs etait de rapporter les exploits ou les echecs agricoles de ces comshymunautes ethniques a cet egard la cohesion sociale conshytribue a la productivite et aux laquosuccess storiesraquo en matiere economique Cest le cas des Hutterites

Aussi la richesse collective des Huttterites en betail et batiments pIu tot quen especes est-elle considerable Chaque colonie est equipee pour lelevage de huit cents arniIle porcs denviron douze cents oies et de soixante a soixante-dix vaches par annee Plusieurs hameaux sadonnent en plus a lapiculture et cultivent fruits et legumes Tant et si bien quen raison de leur stricte econornie de leur ertroite solidarite et de leur remarquashyble industrie les Hutterites parviennent aun degre de merite agricole presque unique au Canada22

Nous voici chiffres a lappui en plein dans lecriture documentaire comme on serait en droit de sy attendre de nimporte quel chroniqueur dun journal agricole Mais par

La thematique de lexil et de limmigration 149 dam l(pounduvre de Gabrielle Roy

le biais de la productivite Gabrielle Roy parvient a nous interesser de facon metonymique aux valeurs sociales qui motivent une telle prosperite Ces valeurs sont presque toujours de lordre laquoherolqueraquo pour reprendre lexpresshysion quutilise Estelle Dansereau dans le contexte paradigshymatique de limmigrant face a la communaute23

bull Ce disc ours herolque Vlent dynamiser le simple documentaire en laffectant dun coefficient de laquolitterariteraquo qui est la signature de lecrivain avenir qu est Gabrielle Roy mais aussi un reflet de sa vision herolque de letre en exil V oici comment Gabrielle Roy raconte lerrance picaresque des Hutterites chasses par les persecutions la marche inexoshyrable des Doukhobors vers la terre promise la soif dhorishyzon des Mennonites

Cetait au printemps de 1528 Les Hutterites secte danabaptistes nommee dapres le precheur itinerant Jakob Hutter se voyaient chasses de la principaute de Nikolsburg all ils avaient trouve refuge apres leur expulshysion du TyroL I1s erraient certaines nuits en quete dun abri Vers Paube ils arriverent sur lemplacement dun village abandonne trempes affaiblis par lexil ronges de doute Et la raconte lancien chroniqueur Pun des Hutterites etendit son manteau sur le sol et enjoignit ses compagnons dy deposer leurs menus biens afin que leur recommencement rut marque du signe de labsolue chashyrite Le manteau se couvrit de tout lor alliances petits bijoux montres chaines et piecettes que possedaient les expatries24

Mais si ces immigrants par leurs vertus pionnieres (abshynegation solidarite ardeur au travail probite etc) ont valeur d exemplarite ils ne sont pas exempts de defauts et malgre le respect evident que lui inspirent leurs cultures Gabrielle Roy se perm et au passage de denoncer certaines valeurs incompatibles avec les siennes Cest le cas pour la

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condition de la femme immigrante doublement exilee (exilee de son pays et exilee de son etre) toujours absorbee dans ses corvees eternellement courbee sous son laquomoushychoir de peineraquo De meme que lenfant immigrant accentue le desarroi et la vulnerabilite propres a la condition de limmigrant la condition de la femme immigrante traduit de falton plus dramatique encore lalienation de lexil car a la perte de lidentite culturelle quimplique le deracinement sajoute celle de lidentite individuelle

11 en resulte alors une desertification du sens qui menace letre a la source meme comme dans la nouvelle laquo Un jardin au bout du monderaquo Au milieu de cet isolement physique et psychique Martha lUkrainienne cultive avec devotion son jardin de fleurs au grand courroux de son mari pour qui une telle coquetterie semble depourvue de sens dans un lieu aussi desole Il est significatif quelle et Step an soient en brouille car ceUe passion pour les fleurs exprime chez Martha une affirmation de son individualite qui equivaushydrait a une insoumission dans un contexte moins symbolishyquement charge25

bull En recreant la beaute autour delle Martha refuse de se laisser annihiler par cette desertificashytion du sens et ces manifestations florales sont autant dactes de foi dans un paysage de doute et de deshumanishysationlaquo [E]lle reussit a communiquer sa passion pour la vie a travers son jardin son mutisme de circonstance loblige a inventer un langage non verbal raquo26

Gabrielle Roy sinteresse a la figure de Ietranger dans la mesure Oll en lui a travers lui se po sent les interrogations les plus intimes de letre humain c est-a-dire dans la mesure Oll l etranger cesse de letre Oll nous le devenons a sa place27

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Doll cette vision stereoscopique chez Gabrielle Roy detranshygete et de familiarite de lointain et de proximite cet laquohorishyzonraquo qui devient le vecteur de notre propre devenir

La thematique de [exil et de limmigration 151 dans l(pounduvre de Gabrielle Roy

La narratrice dlaquo Un jardin au bout du monderaquo relate ainsi sa premiere vision de la maison de Martha

Ainsi un jour que rnarnenait sur ceUe route une etrange curiosite rnais plutot une tristesse de lesprit ce gout qui assez souvent rn a prise de decouvrir et de partager la plus totale solitude - jai vu devant rnoi sous le del enorrne contre le vent hostile et parmi les herbes hautes ce petit jardin qui debordait de fleurs

En ce temps-la souvent je me disais a quoi bon ceci a quoi bon cela [ ] Cest a quoi je pensais ce jour ou la lumiere baissant sur cette route qui me semblait ne conduire nulle part je vis au plus creux de la desolation et de la secheresse surgir ces fleurs eclatantes28

Meme si cela nest pas dit explicitement cette scene perlocutoire repond symboliquement aux propres doutes de la narratrice a sa prop re labilite interieure Vne fois lidentification etablie le discours indirect libre peut suivre son cours et la narratrice seffacer derriere Martha 11 est probable que Gabrielle Roy se soit inspiree du moins en partie de la Masha des laquo Turbulents chercheurs de paix raquo29

pour creer le personnage de Martha Meme dans ses reporshytages sur les peuples du Canada la focalisation sur un personnage (par exemple la jeune Barbara dans laquoLes Hutteritesraquo Masha chez les Doukhobors Martha dans laquoLes Mennonitesraquo Rebecca dans laquoLavenue Palestineraquo) ouvre la voie sinon a une identification du moins a une communication intersubjective qui transcende la specificite culturelle du groupe

Nous avons vu que dans lreuvre de Gabrielle Roy la problematique de lexil est abordee selon deux discours axiologiques differents Celui de la sensibilite litteraire dabord qui tend vers la valorisation de la solitude et la singularisation du personnage et ou Iexil est traite de fa~on

52 lOOK CHlJNG

intransitive cest-a-dire depouille de ses modalites geograshyphiques (demotivant alors la notion dethnicite qui devient purement symbolique et pragmatique) Dautre part le discours ethnographique tient compte de la specificite des communautes culturelles et immigrantes lanalyse porte alors surtout sur les interactions du groupe dans son foncshytionnement interne ou dans ses rapports avec la commushynaute daccueil (quant a la portee ideologique de ceUe analyse elle tend toujours vers une vision fraternisante) Entre ces deux disc ours le litteraire et le sociologique existe-t-il une jonction intrinseque ou sagit-il dun assemshyblage oblige de deux thematiques (lexil et limmigration) en realite sans grande relation lune a lautre En tout etat de cause la figure de lexile ethnique ou non nous intershypelle par son universalite Car derriere chaque exile dershyriere chaque Sam Lee W ong il y a avant tout un etre dans son rapport au monde

NOTES

1 Dans Gabrielle Roy Un jardin au bout du montle Montreal Editions du Boreal laquoBoreal Compactraquo 1993 p47-99

2 Le prototype du restaurateur ou du cafetier chinois celui que lon sumomme laquoCharlieraquo apparait dans au moins quatre autres textes de Gabrielle Roy laquoPetite Ukraineraquo et laquoTerre des hommesraquo (repris en volume dans Fragiles lumieres de to terre) La Petite Poule dEau La Detresse et lEnchantement

3 Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique ou lenjeu de la parole dans Un jardin au bout du monde de Gabrielle Royraquo dans Andre Fauchon ed Langue et communication actes du ge colloque du Centre ditudes franco-canadiennes de lGuest Saint-Boniface CEFCO 1990 pp89-102

4 Voir Mikhail M Bakhtine Esthitique et tMorie du roman Paris Gallimard 1978

La thematique de lexil et de limmigration 153 dans llEUvre de Gabrielle Roy

5 Spatialite et temporalite sont deux themes intimement lies dans lreuvre de Gabrielle Roy Par exemple le mot laquohorizonraquo particushylierement significatif dans ce contexte-ci puisque le premier village ou descend Sam Lee Wong sappelle Horizon est souvent jumele au concept dlaquoavenirraquo voir laquoLa maison gardeeraquo dans Ces enfants de ma vie laquoMon heritage du Manitobaraquo dans Fragiles lumieres de la terre La Detresse et lEnchantemen~ ce qui laisse supposer dans la pen see de Roy un laquohorizon de letreraquo OU lalterite se fond dans le meme Bien que dans laquoTerre des hommesraquo le concept dlaquo interdependance humaineraquo revete un caractere ideologique il sinscrit egalement dans une perspective philosophique comme en temoigne lextrait du livre L~venir de lhommede Teilhard de Chardin

6 Lattestent ladverbe et la forme interrogative du titre de la nouvelle laquoHorizonraquo c est ailleurs et partout Il est significatif que nombre des recits de Gabrielle Roy ont pour cadre un nQ mans land situe aux confins de la civilisation au laquobout du monderaquo (expression qui revient presque autant que celle dhorizon) dans un decor extraorshydinairement depouille et plat presque abstrait

7 Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique raquo p94

8 lhid p92

9 Gabrielle Roy laquoPeuples du Canadaraquo dans Fragiles lumiires de to terre Montreal Stanke laquoQuebec 1010raquo 1982 p53

10 laquoEtrangement letranger nous habite il est la face cachee de notre identite lespace qui ruine notre demeure le temps OU sabiment lentente et la sympathie De le reconnaitre en nous no us no us epargnons de le detester en lui-meme Symptome qui rend preciseshyment le laquonousraquo problematique peut-etre impossible letranger commence lorsque surgit la conscience de ma difference et sacheve lorsque nous nous reconnaissons tous etrangers rebel1es aux liens et aux communautesraquo Uulia Kristeva Etrangers anous-memes Paris Fayard 1988 p 9)

11 Gabrielle Roy laquoTerre des hommesraquo dans Fragiles lumieres de la terre p204

12 Gabrielle Roy Ces enfants de ma vie Montreal Editions du Boreal laquoBoreal Compactraquo 1993

13 Fragiles lumieres de la terre p 33 Cest nous qui soulignons

14 Fragiles lumieres de la terre p145

15 Gabrielle Roy Rue Deschambaul~ Montreal Editions clu Bon~al laquoBoreal Compactraquo 1993 p128-136 (passim)

54 lOOK CHUNG

16 Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique raquo p92

17 Fragiles lumieres de la terre p 17-100 laquoLes pecheurs de la Gaspesieraquo est le seul cas qui ne repond pas au critere de lethnidte ce texte ne faisait pas partie de la serie originale de reportages intitulee laquo Peuples du Canadaraquo a la place se trouvait un article sur les Quebecois immigres dans rOuest

18 Une telle desagregation peut avoir des effets dramatiques au sein meme du noyau familial comme dans la relation entre le couple Martha-Stepan et leurs enfants dans la nouvelle laquo Un jardin au bout du monderaquo

19 Fragiles lumieres de la terre p30

20 Lexil geographique pur soppose id a lexil culturel ou existentiel qui chez Gabrielle Roy est un processus transformationneL

21 laquoJe ne donnais plus tres cher acette minute pour le projet qui mavait seduite la veille arriver seuIe en passante a une ferme sudete nimporte Iaquelle et demander Ihospitalite Car je professais alors que pour bien connaitre les gens il fallait etre aleur merdraquo (Fragiles lumieres de la terre p67)

22 Ibid p25-26

23 laquoNous avons trouve que Ies strategies discursives marquant Iexclushysion de limmigrant de la communaute entrent en opposition au desir dappartenance sociale et psychique et que la Iutte interieure est dordre herolqueraquo (Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique raquo p90)

24 Fragiles lumieres de la terre p24

25 Mais que dire de cette autre Martha moins fortunee qui incarne laquola gran de misere des femmes mennonitesraquo et qui sur son lit de mort ne souhaite rien tant que de pouvoir aller traire les vaches pour apaiser sa conscience (Voir laquoLes Mennonitesraquo dans Fragiles lushymitres de la terre)

26 Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique raquo p 91

27 On sait combien lenvironnement social de Saint-Boniface a prepare Gabrielle Roy a lexperience de la difference laquoIl ny avait plus detrangers dans la vie ou alors cest que nous letions tousraquo (Fragiles lumieres de la terre p 156)

28 Unjardin au bout du monde p118-119

29 Fragiles lumiires de la terre p42-43

La thematique de lexil et de limmigration 145 dans l(Euvre de Gabrielle Roy

faire place aun langage universel lexil le depaysement la nostalgie de Iancien pays (les Montagnes Humides sont-elles si differentes des collines quont laissees derriere elles la mere et la grand-mere de Gabrielle Roy) la communion de Ihomme avec la terre Gabrielle Roy laquochercheuse dhorizonraquo14 comme elle sest pIu ase definir elle-meme sapproprie en quelque sorte cette quete et la spiritualise a sa fa~on Les faits et gestes des Doukhobors sont pour ainsi dire laquonaturalisesraquo a travers un langage a la fois universel et propre aGabrielle Roy 11 va de soi qUune pareille assomption ne peut jamais etre quapproximative et qu elle doit renoncer a ses pretentions sociologiques Meme lorsque Iopacite separant Ietranger de llaquohomme dici) semble surmontee par la con fiance ou le truchement dun interprete il ne faut parfois quun incident - comme dans laquoLe puits de Dunrearaquo de Rue Deschambault - pour que lillusion soit rompue et revele le profond ecart de pensee qui les separe

QUi saura jamais ce que parmi ses Petits-Ruthenes papa ressentait daise de certitude Isoles loin de tout autre village ne parlant pas encore la langue de leurs voisins ils devaient s en remettre a papa totalement et la confiance etait entiere [ ] Suivi de son interprete il etait donc chez ses gens laquo Car rai oublie de vous le dire ajoutait Agnes papa navait eu le temps dapprendre quune vingtaine de mots peut-etre de leur dialecte eux nen connaissaient pas beaucoup plus de langlais Malgre cela comme ils se sont compris Comme ils se fiaient alinterprete qui disait laquoMonsieur lEnvoye du Gouvemement vous fait savoir que telles ou telles mesures doivent etre prises raquo Ou encore laquoBoris Masaliuk demande respectueusement siraquo [ ] Mais combien il fut etonne par ces femmes quil avait cm si dociles Dabord elles ne voulurent pas quitter les tranchees quelles

46 lOOK CHUNG

creusaient cote acote avec les hommes [ ] Cest ace moment que les Petits-Ruthenes firent mine de ne plus comprendre papa Jan comme les autres Oh les hommes cupides et fous Dans leur pays ils navaient rien possede ou si peu [ ] Maintenant quils possedaient de tout [ ] ils ne voulaient absolument rien perdre 15

Le probleme nest donc pas dans la barriere linguistique mais dans la difference de mentalites Dans le cas present les Ruthenes decident volontairement de rompre la comshymunication cas de figure qui correspond au refus de la parole tel que decrit par Estelle Dansereau Cest ce meme genre de malentendu qui provoquera le depart de Sam Lee W ong lorsque celui-ci interpretera la ceremonie en son honneur comme une exhortation a partir laquoUltimement son incomprehension non de la langue mais du systeme cu1turel suscite la mesentente qui precipite son departraquo16 Dansereau oublie cependant de specifier que cette mesenshytente est a double sens Outre son interet pittoresque le personnage de Smouillya incame lalienation entre lalloshycuteur et lallocutaire voire leur neutralisation le fait que Smouillya soit mis volontairement acontre-emploi dans le role de linterprete vient abolir le statut meme du langage dans la communication et fait valoir symboliquement cet laquoautreraquo du langage que constitue la semiotique culturelle par laquelle la parole se trouve dans un contexte dincomshypatibilite semantique mutee ou encore brouillee

Face alopacite de letranger il existe donc une distance irreductible que meme la personnalite intuitive et empashythique dune Gabrielle Roy ne saurait franchir Reste lobservation Car meme si lidentification avec letranger nest pas possible a priori lobservation de ses mreurs et coutumes demeure le moyen le plus sur de parvenir aun rapprochement Autant le discours de linteriorite tend vers

La thematique de lexi et de limmigration 147 dans I aUvre de Gabrielle Roy

la singularisation du personnage autant lobservation ethnographique tend vers le collectif Car cest a linterieur de la communaute que lon est ameme de mieux juger des interactions qui trahissent les valeurs ethniques Tel est le projet qui sous-tend la serie de reportages intitulee laquoPeuples du Canadaraquol7 A partir de cette vue densemble une configuration hierarchique peut setablir de la communaute a la famille puis a lindividu de la condition de lhomme immigrant a celle de la femme immigrante (role de la mere education de la jeune fille) et a lenfant immigrant (dichotomie entre lenfant immigrant et lenfant de limmigrant ne dans le pays dadoption) Le concept de communaute nous interesse dans la mesure OU il entre en relation avec celui de lexil cest un fait avere que linseshycurite et linstabilite sociales renforcent la cohesion dun groupe social aplus forte raison lorsque la transplantation en pays etranger confronte ce groupe a la menace dune perte didentite Le groupe assure un encadrement de la culture maternelle qui sans lui risque de se desagregerlH mais en revanche le groupe risque de freiner le processus dintegration sil est trop replie sur lui-meme Dans le cas des trois communautes mystiques decrites dans laquoPeuples du Canadaraquo (les Hutterites les Doukhobors les Mennoshynites) la volonte dinsularite defie toute integration Et tel est bien le paradoxe de ces communautes venues setablir alautre bout du monde pour y entretenir lillusion de leurs anciens pays Meme si ce style de vie autarcique sautorise des vastes proportions du pays pour differer le contact avec les valeurs de la communaute daccueil une telle ideologie de la fermeture ne perpetue-t-elle pas linadaptation et lalienation auxquelles tot ou tard seront confrontees ces communau tes

48 lOOK CHUNG

Du reste il me vint alors a lesprit que cette paix dici qui mavait tellement fait envie pendant un moment etait peut-etre plus menacee que fortifiee par lisolement Quen serait-il delle lorsque les freres hutterites tot ou tard entreraient en contact brutal avec notre epoque Leur isolement netait-il pas au fond la faiblesse de ces etres exceptionnels 19

Le misoneisme cultureJ20 et le refus de louverture chez ces communautes ethniques ne sont-ils pas aussi prejudishyciables a leur epanouissement que lintolerance de la comshymunaute daccueil envers limmigrant

Cest en visitant ces communautes a titre de joumaliste mais aussi de simple citoyenne de lhumanite21 que Gabrielle Roy mesure la specificite de leurs cultures La description qu elle en fait est presque toujours genereuse voire idyllique On sait que lohjectif premier des reporshytages dans le cadre du Bulletin des agriculteurs etait de rapporter les exploits ou les echecs agricoles de ces comshymunautes ethniques a cet egard la cohesion sociale conshytribue a la productivite et aux laquosuccess storiesraquo en matiere economique Cest le cas des Hutterites

Aussi la richesse collective des Huttterites en betail et batiments pIu tot quen especes est-elle considerable Chaque colonie est equipee pour lelevage de huit cents arniIle porcs denviron douze cents oies et de soixante a soixante-dix vaches par annee Plusieurs hameaux sadonnent en plus a lapiculture et cultivent fruits et legumes Tant et si bien quen raison de leur stricte econornie de leur ertroite solidarite et de leur remarquashyble industrie les Hutterites parviennent aun degre de merite agricole presque unique au Canada22

Nous voici chiffres a lappui en plein dans lecriture documentaire comme on serait en droit de sy attendre de nimporte quel chroniqueur dun journal agricole Mais par

La thematique de lexil et de limmigration 149 dam l(pounduvre de Gabrielle Roy

le biais de la productivite Gabrielle Roy parvient a nous interesser de facon metonymique aux valeurs sociales qui motivent une telle prosperite Ces valeurs sont presque toujours de lordre laquoherolqueraquo pour reprendre lexpresshysion quutilise Estelle Dansereau dans le contexte paradigshymatique de limmigrant face a la communaute23

bull Ce disc ours herolque Vlent dynamiser le simple documentaire en laffectant dun coefficient de laquolitterariteraquo qui est la signature de lecrivain avenir qu est Gabrielle Roy mais aussi un reflet de sa vision herolque de letre en exil V oici comment Gabrielle Roy raconte lerrance picaresque des Hutterites chasses par les persecutions la marche inexoshyrable des Doukhobors vers la terre promise la soif dhorishyzon des Mennonites

Cetait au printemps de 1528 Les Hutterites secte danabaptistes nommee dapres le precheur itinerant Jakob Hutter se voyaient chasses de la principaute de Nikolsburg all ils avaient trouve refuge apres leur expulshysion du TyroL I1s erraient certaines nuits en quete dun abri Vers Paube ils arriverent sur lemplacement dun village abandonne trempes affaiblis par lexil ronges de doute Et la raconte lancien chroniqueur Pun des Hutterites etendit son manteau sur le sol et enjoignit ses compagnons dy deposer leurs menus biens afin que leur recommencement rut marque du signe de labsolue chashyrite Le manteau se couvrit de tout lor alliances petits bijoux montres chaines et piecettes que possedaient les expatries24

Mais si ces immigrants par leurs vertus pionnieres (abshynegation solidarite ardeur au travail probite etc) ont valeur d exemplarite ils ne sont pas exempts de defauts et malgre le respect evident que lui inspirent leurs cultures Gabrielle Roy se perm et au passage de denoncer certaines valeurs incompatibles avec les siennes Cest le cas pour la

50 lOOK CHUNG

condition de la femme immigrante doublement exilee (exilee de son pays et exilee de son etre) toujours absorbee dans ses corvees eternellement courbee sous son laquomoushychoir de peineraquo De meme que lenfant immigrant accentue le desarroi et la vulnerabilite propres a la condition de limmigrant la condition de la femme immigrante traduit de falton plus dramatique encore lalienation de lexil car a la perte de lidentite culturelle quimplique le deracinement sajoute celle de lidentite individuelle

11 en resulte alors une desertification du sens qui menace letre a la source meme comme dans la nouvelle laquo Un jardin au bout du monderaquo Au milieu de cet isolement physique et psychique Martha lUkrainienne cultive avec devotion son jardin de fleurs au grand courroux de son mari pour qui une telle coquetterie semble depourvue de sens dans un lieu aussi desole Il est significatif quelle et Step an soient en brouille car ceUe passion pour les fleurs exprime chez Martha une affirmation de son individualite qui equivaushydrait a une insoumission dans un contexte moins symbolishyquement charge25

bull En recreant la beaute autour delle Martha refuse de se laisser annihiler par cette desertificashytion du sens et ces manifestations florales sont autant dactes de foi dans un paysage de doute et de deshumanishysationlaquo [E]lle reussit a communiquer sa passion pour la vie a travers son jardin son mutisme de circonstance loblige a inventer un langage non verbal raquo26

Gabrielle Roy sinteresse a la figure de Ietranger dans la mesure Oll en lui a travers lui se po sent les interrogations les plus intimes de letre humain c est-a-dire dans la mesure Oll l etranger cesse de letre Oll nous le devenons a sa place27

bull

Doll cette vision stereoscopique chez Gabrielle Roy detranshygete et de familiarite de lointain et de proximite cet laquohorishyzonraquo qui devient le vecteur de notre propre devenir

La thematique de [exil et de limmigration 151 dans l(pounduvre de Gabrielle Roy

La narratrice dlaquo Un jardin au bout du monderaquo relate ainsi sa premiere vision de la maison de Martha

Ainsi un jour que rnarnenait sur ceUe route une etrange curiosite rnais plutot une tristesse de lesprit ce gout qui assez souvent rn a prise de decouvrir et de partager la plus totale solitude - jai vu devant rnoi sous le del enorrne contre le vent hostile et parmi les herbes hautes ce petit jardin qui debordait de fleurs

En ce temps-la souvent je me disais a quoi bon ceci a quoi bon cela [ ] Cest a quoi je pensais ce jour ou la lumiere baissant sur cette route qui me semblait ne conduire nulle part je vis au plus creux de la desolation et de la secheresse surgir ces fleurs eclatantes28

Meme si cela nest pas dit explicitement cette scene perlocutoire repond symboliquement aux propres doutes de la narratrice a sa prop re labilite interieure Vne fois lidentification etablie le discours indirect libre peut suivre son cours et la narratrice seffacer derriere Martha 11 est probable que Gabrielle Roy se soit inspiree du moins en partie de la Masha des laquo Turbulents chercheurs de paix raquo29

pour creer le personnage de Martha Meme dans ses reporshytages sur les peuples du Canada la focalisation sur un personnage (par exemple la jeune Barbara dans laquoLes Hutteritesraquo Masha chez les Doukhobors Martha dans laquoLes Mennonitesraquo Rebecca dans laquoLavenue Palestineraquo) ouvre la voie sinon a une identification du moins a une communication intersubjective qui transcende la specificite culturelle du groupe

Nous avons vu que dans lreuvre de Gabrielle Roy la problematique de lexil est abordee selon deux discours axiologiques differents Celui de la sensibilite litteraire dabord qui tend vers la valorisation de la solitude et la singularisation du personnage et ou Iexil est traite de fa~on

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intransitive cest-a-dire depouille de ses modalites geograshyphiques (demotivant alors la notion dethnicite qui devient purement symbolique et pragmatique) Dautre part le discours ethnographique tient compte de la specificite des communautes culturelles et immigrantes lanalyse porte alors surtout sur les interactions du groupe dans son foncshytionnement interne ou dans ses rapports avec la commushynaute daccueil (quant a la portee ideologique de ceUe analyse elle tend toujours vers une vision fraternisante) Entre ces deux disc ours le litteraire et le sociologique existe-t-il une jonction intrinseque ou sagit-il dun assemshyblage oblige de deux thematiques (lexil et limmigration) en realite sans grande relation lune a lautre En tout etat de cause la figure de lexile ethnique ou non nous intershypelle par son universalite Car derriere chaque exile dershyriere chaque Sam Lee W ong il y a avant tout un etre dans son rapport au monde

NOTES

1 Dans Gabrielle Roy Un jardin au bout du montle Montreal Editions du Boreal laquoBoreal Compactraquo 1993 p47-99

2 Le prototype du restaurateur ou du cafetier chinois celui que lon sumomme laquoCharlieraquo apparait dans au moins quatre autres textes de Gabrielle Roy laquoPetite Ukraineraquo et laquoTerre des hommesraquo (repris en volume dans Fragiles lumieres de to terre) La Petite Poule dEau La Detresse et lEnchantement

3 Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique ou lenjeu de la parole dans Un jardin au bout du monde de Gabrielle Royraquo dans Andre Fauchon ed Langue et communication actes du ge colloque du Centre ditudes franco-canadiennes de lGuest Saint-Boniface CEFCO 1990 pp89-102

4 Voir Mikhail M Bakhtine Esthitique et tMorie du roman Paris Gallimard 1978

La thematique de lexil et de limmigration 153 dans llEUvre de Gabrielle Roy

5 Spatialite et temporalite sont deux themes intimement lies dans lreuvre de Gabrielle Roy Par exemple le mot laquohorizonraquo particushylierement significatif dans ce contexte-ci puisque le premier village ou descend Sam Lee Wong sappelle Horizon est souvent jumele au concept dlaquoavenirraquo voir laquoLa maison gardeeraquo dans Ces enfants de ma vie laquoMon heritage du Manitobaraquo dans Fragiles lumieres de la terre La Detresse et lEnchantemen~ ce qui laisse supposer dans la pen see de Roy un laquohorizon de letreraquo OU lalterite se fond dans le meme Bien que dans laquoTerre des hommesraquo le concept dlaquo interdependance humaineraquo revete un caractere ideologique il sinscrit egalement dans une perspective philosophique comme en temoigne lextrait du livre L~venir de lhommede Teilhard de Chardin

6 Lattestent ladverbe et la forme interrogative du titre de la nouvelle laquoHorizonraquo c est ailleurs et partout Il est significatif que nombre des recits de Gabrielle Roy ont pour cadre un nQ mans land situe aux confins de la civilisation au laquobout du monderaquo (expression qui revient presque autant que celle dhorizon) dans un decor extraorshydinairement depouille et plat presque abstrait

7 Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique raquo p94

8 lhid p92

9 Gabrielle Roy laquoPeuples du Canadaraquo dans Fragiles lumiires de to terre Montreal Stanke laquoQuebec 1010raquo 1982 p53

10 laquoEtrangement letranger nous habite il est la face cachee de notre identite lespace qui ruine notre demeure le temps OU sabiment lentente et la sympathie De le reconnaitre en nous no us no us epargnons de le detester en lui-meme Symptome qui rend preciseshyment le laquonousraquo problematique peut-etre impossible letranger commence lorsque surgit la conscience de ma difference et sacheve lorsque nous nous reconnaissons tous etrangers rebel1es aux liens et aux communautesraquo Uulia Kristeva Etrangers anous-memes Paris Fayard 1988 p 9)

11 Gabrielle Roy laquoTerre des hommesraquo dans Fragiles lumieres de la terre p204

12 Gabrielle Roy Ces enfants de ma vie Montreal Editions du Boreal laquoBoreal Compactraquo 1993

13 Fragiles lumieres de la terre p 33 Cest nous qui soulignons

14 Fragiles lumieres de la terre p145

15 Gabrielle Roy Rue Deschambaul~ Montreal Editions clu Bon~al laquoBoreal Compactraquo 1993 p128-136 (passim)

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16 Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique raquo p92

17 Fragiles lumieres de la terre p 17-100 laquoLes pecheurs de la Gaspesieraquo est le seul cas qui ne repond pas au critere de lethnidte ce texte ne faisait pas partie de la serie originale de reportages intitulee laquo Peuples du Canadaraquo a la place se trouvait un article sur les Quebecois immigres dans rOuest

18 Une telle desagregation peut avoir des effets dramatiques au sein meme du noyau familial comme dans la relation entre le couple Martha-Stepan et leurs enfants dans la nouvelle laquo Un jardin au bout du monderaquo

19 Fragiles lumieres de la terre p30

20 Lexil geographique pur soppose id a lexil culturel ou existentiel qui chez Gabrielle Roy est un processus transformationneL

21 laquoJe ne donnais plus tres cher acette minute pour le projet qui mavait seduite la veille arriver seuIe en passante a une ferme sudete nimporte Iaquelle et demander Ihospitalite Car je professais alors que pour bien connaitre les gens il fallait etre aleur merdraquo (Fragiles lumieres de la terre p67)

22 Ibid p25-26

23 laquoNous avons trouve que Ies strategies discursives marquant Iexclushysion de limmigrant de la communaute entrent en opposition au desir dappartenance sociale et psychique et que la Iutte interieure est dordre herolqueraquo (Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique raquo p90)

24 Fragiles lumieres de la terre p24

25 Mais que dire de cette autre Martha moins fortunee qui incarne laquola gran de misere des femmes mennonitesraquo et qui sur son lit de mort ne souhaite rien tant que de pouvoir aller traire les vaches pour apaiser sa conscience (Voir laquoLes Mennonitesraquo dans Fragiles lushymitres de la terre)

26 Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique raquo p 91

27 On sait combien lenvironnement social de Saint-Boniface a prepare Gabrielle Roy a lexperience de la difference laquoIl ny avait plus detrangers dans la vie ou alors cest que nous letions tousraquo (Fragiles lumieres de la terre p 156)

28 Unjardin au bout du monde p118-119

29 Fragiles lumiires de la terre p42-43

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creusaient cote acote avec les hommes [ ] Cest ace moment que les Petits-Ruthenes firent mine de ne plus comprendre papa Jan comme les autres Oh les hommes cupides et fous Dans leur pays ils navaient rien possede ou si peu [ ] Maintenant quils possedaient de tout [ ] ils ne voulaient absolument rien perdre 15

Le probleme nest donc pas dans la barriere linguistique mais dans la difference de mentalites Dans le cas present les Ruthenes decident volontairement de rompre la comshymunication cas de figure qui correspond au refus de la parole tel que decrit par Estelle Dansereau Cest ce meme genre de malentendu qui provoquera le depart de Sam Lee W ong lorsque celui-ci interpretera la ceremonie en son honneur comme une exhortation a partir laquoUltimement son incomprehension non de la langue mais du systeme cu1turel suscite la mesentente qui precipite son departraquo16 Dansereau oublie cependant de specifier que cette mesenshytente est a double sens Outre son interet pittoresque le personnage de Smouillya incame lalienation entre lalloshycuteur et lallocutaire voire leur neutralisation le fait que Smouillya soit mis volontairement acontre-emploi dans le role de linterprete vient abolir le statut meme du langage dans la communication et fait valoir symboliquement cet laquoautreraquo du langage que constitue la semiotique culturelle par laquelle la parole se trouve dans un contexte dincomshypatibilite semantique mutee ou encore brouillee

Face alopacite de letranger il existe donc une distance irreductible que meme la personnalite intuitive et empashythique dune Gabrielle Roy ne saurait franchir Reste lobservation Car meme si lidentification avec letranger nest pas possible a priori lobservation de ses mreurs et coutumes demeure le moyen le plus sur de parvenir aun rapprochement Autant le discours de linteriorite tend vers

La thematique de lexi et de limmigration 147 dans I aUvre de Gabrielle Roy

la singularisation du personnage autant lobservation ethnographique tend vers le collectif Car cest a linterieur de la communaute que lon est ameme de mieux juger des interactions qui trahissent les valeurs ethniques Tel est le projet qui sous-tend la serie de reportages intitulee laquoPeuples du Canadaraquol7 A partir de cette vue densemble une configuration hierarchique peut setablir de la communaute a la famille puis a lindividu de la condition de lhomme immigrant a celle de la femme immigrante (role de la mere education de la jeune fille) et a lenfant immigrant (dichotomie entre lenfant immigrant et lenfant de limmigrant ne dans le pays dadoption) Le concept de communaute nous interesse dans la mesure OU il entre en relation avec celui de lexil cest un fait avere que linseshycurite et linstabilite sociales renforcent la cohesion dun groupe social aplus forte raison lorsque la transplantation en pays etranger confronte ce groupe a la menace dune perte didentite Le groupe assure un encadrement de la culture maternelle qui sans lui risque de se desagregerlH mais en revanche le groupe risque de freiner le processus dintegration sil est trop replie sur lui-meme Dans le cas des trois communautes mystiques decrites dans laquoPeuples du Canadaraquo (les Hutterites les Doukhobors les Mennoshynites) la volonte dinsularite defie toute integration Et tel est bien le paradoxe de ces communautes venues setablir alautre bout du monde pour y entretenir lillusion de leurs anciens pays Meme si ce style de vie autarcique sautorise des vastes proportions du pays pour differer le contact avec les valeurs de la communaute daccueil une telle ideologie de la fermeture ne perpetue-t-elle pas linadaptation et lalienation auxquelles tot ou tard seront confrontees ces communau tes

48 lOOK CHUNG

Du reste il me vint alors a lesprit que cette paix dici qui mavait tellement fait envie pendant un moment etait peut-etre plus menacee que fortifiee par lisolement Quen serait-il delle lorsque les freres hutterites tot ou tard entreraient en contact brutal avec notre epoque Leur isolement netait-il pas au fond la faiblesse de ces etres exceptionnels 19

Le misoneisme cultureJ20 et le refus de louverture chez ces communautes ethniques ne sont-ils pas aussi prejudishyciables a leur epanouissement que lintolerance de la comshymunaute daccueil envers limmigrant

Cest en visitant ces communautes a titre de joumaliste mais aussi de simple citoyenne de lhumanite21 que Gabrielle Roy mesure la specificite de leurs cultures La description qu elle en fait est presque toujours genereuse voire idyllique On sait que lohjectif premier des reporshytages dans le cadre du Bulletin des agriculteurs etait de rapporter les exploits ou les echecs agricoles de ces comshymunautes ethniques a cet egard la cohesion sociale conshytribue a la productivite et aux laquosuccess storiesraquo en matiere economique Cest le cas des Hutterites

Aussi la richesse collective des Huttterites en betail et batiments pIu tot quen especes est-elle considerable Chaque colonie est equipee pour lelevage de huit cents arniIle porcs denviron douze cents oies et de soixante a soixante-dix vaches par annee Plusieurs hameaux sadonnent en plus a lapiculture et cultivent fruits et legumes Tant et si bien quen raison de leur stricte econornie de leur ertroite solidarite et de leur remarquashyble industrie les Hutterites parviennent aun degre de merite agricole presque unique au Canada22

Nous voici chiffres a lappui en plein dans lecriture documentaire comme on serait en droit de sy attendre de nimporte quel chroniqueur dun journal agricole Mais par

La thematique de lexil et de limmigration 149 dam l(pounduvre de Gabrielle Roy

le biais de la productivite Gabrielle Roy parvient a nous interesser de facon metonymique aux valeurs sociales qui motivent une telle prosperite Ces valeurs sont presque toujours de lordre laquoherolqueraquo pour reprendre lexpresshysion quutilise Estelle Dansereau dans le contexte paradigshymatique de limmigrant face a la communaute23

bull Ce disc ours herolque Vlent dynamiser le simple documentaire en laffectant dun coefficient de laquolitterariteraquo qui est la signature de lecrivain avenir qu est Gabrielle Roy mais aussi un reflet de sa vision herolque de letre en exil V oici comment Gabrielle Roy raconte lerrance picaresque des Hutterites chasses par les persecutions la marche inexoshyrable des Doukhobors vers la terre promise la soif dhorishyzon des Mennonites

Cetait au printemps de 1528 Les Hutterites secte danabaptistes nommee dapres le precheur itinerant Jakob Hutter se voyaient chasses de la principaute de Nikolsburg all ils avaient trouve refuge apres leur expulshysion du TyroL I1s erraient certaines nuits en quete dun abri Vers Paube ils arriverent sur lemplacement dun village abandonne trempes affaiblis par lexil ronges de doute Et la raconte lancien chroniqueur Pun des Hutterites etendit son manteau sur le sol et enjoignit ses compagnons dy deposer leurs menus biens afin que leur recommencement rut marque du signe de labsolue chashyrite Le manteau se couvrit de tout lor alliances petits bijoux montres chaines et piecettes que possedaient les expatries24

Mais si ces immigrants par leurs vertus pionnieres (abshynegation solidarite ardeur au travail probite etc) ont valeur d exemplarite ils ne sont pas exempts de defauts et malgre le respect evident que lui inspirent leurs cultures Gabrielle Roy se perm et au passage de denoncer certaines valeurs incompatibles avec les siennes Cest le cas pour la

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condition de la femme immigrante doublement exilee (exilee de son pays et exilee de son etre) toujours absorbee dans ses corvees eternellement courbee sous son laquomoushychoir de peineraquo De meme que lenfant immigrant accentue le desarroi et la vulnerabilite propres a la condition de limmigrant la condition de la femme immigrante traduit de falton plus dramatique encore lalienation de lexil car a la perte de lidentite culturelle quimplique le deracinement sajoute celle de lidentite individuelle

11 en resulte alors une desertification du sens qui menace letre a la source meme comme dans la nouvelle laquo Un jardin au bout du monderaquo Au milieu de cet isolement physique et psychique Martha lUkrainienne cultive avec devotion son jardin de fleurs au grand courroux de son mari pour qui une telle coquetterie semble depourvue de sens dans un lieu aussi desole Il est significatif quelle et Step an soient en brouille car ceUe passion pour les fleurs exprime chez Martha une affirmation de son individualite qui equivaushydrait a une insoumission dans un contexte moins symbolishyquement charge25

bull En recreant la beaute autour delle Martha refuse de se laisser annihiler par cette desertificashytion du sens et ces manifestations florales sont autant dactes de foi dans un paysage de doute et de deshumanishysationlaquo [E]lle reussit a communiquer sa passion pour la vie a travers son jardin son mutisme de circonstance loblige a inventer un langage non verbal raquo26

Gabrielle Roy sinteresse a la figure de Ietranger dans la mesure Oll en lui a travers lui se po sent les interrogations les plus intimes de letre humain c est-a-dire dans la mesure Oll l etranger cesse de letre Oll nous le devenons a sa place27

bull

Doll cette vision stereoscopique chez Gabrielle Roy detranshygete et de familiarite de lointain et de proximite cet laquohorishyzonraquo qui devient le vecteur de notre propre devenir

La thematique de [exil et de limmigration 151 dans l(pounduvre de Gabrielle Roy

La narratrice dlaquo Un jardin au bout du monderaquo relate ainsi sa premiere vision de la maison de Martha

Ainsi un jour que rnarnenait sur ceUe route une etrange curiosite rnais plutot une tristesse de lesprit ce gout qui assez souvent rn a prise de decouvrir et de partager la plus totale solitude - jai vu devant rnoi sous le del enorrne contre le vent hostile et parmi les herbes hautes ce petit jardin qui debordait de fleurs

En ce temps-la souvent je me disais a quoi bon ceci a quoi bon cela [ ] Cest a quoi je pensais ce jour ou la lumiere baissant sur cette route qui me semblait ne conduire nulle part je vis au plus creux de la desolation et de la secheresse surgir ces fleurs eclatantes28

Meme si cela nest pas dit explicitement cette scene perlocutoire repond symboliquement aux propres doutes de la narratrice a sa prop re labilite interieure Vne fois lidentification etablie le discours indirect libre peut suivre son cours et la narratrice seffacer derriere Martha 11 est probable que Gabrielle Roy se soit inspiree du moins en partie de la Masha des laquo Turbulents chercheurs de paix raquo29

pour creer le personnage de Martha Meme dans ses reporshytages sur les peuples du Canada la focalisation sur un personnage (par exemple la jeune Barbara dans laquoLes Hutteritesraquo Masha chez les Doukhobors Martha dans laquoLes Mennonitesraquo Rebecca dans laquoLavenue Palestineraquo) ouvre la voie sinon a une identification du moins a une communication intersubjective qui transcende la specificite culturelle du groupe

Nous avons vu que dans lreuvre de Gabrielle Roy la problematique de lexil est abordee selon deux discours axiologiques differents Celui de la sensibilite litteraire dabord qui tend vers la valorisation de la solitude et la singularisation du personnage et ou Iexil est traite de fa~on

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intransitive cest-a-dire depouille de ses modalites geograshyphiques (demotivant alors la notion dethnicite qui devient purement symbolique et pragmatique) Dautre part le discours ethnographique tient compte de la specificite des communautes culturelles et immigrantes lanalyse porte alors surtout sur les interactions du groupe dans son foncshytionnement interne ou dans ses rapports avec la commushynaute daccueil (quant a la portee ideologique de ceUe analyse elle tend toujours vers une vision fraternisante) Entre ces deux disc ours le litteraire et le sociologique existe-t-il une jonction intrinseque ou sagit-il dun assemshyblage oblige de deux thematiques (lexil et limmigration) en realite sans grande relation lune a lautre En tout etat de cause la figure de lexile ethnique ou non nous intershypelle par son universalite Car derriere chaque exile dershyriere chaque Sam Lee W ong il y a avant tout un etre dans son rapport au monde

NOTES

1 Dans Gabrielle Roy Un jardin au bout du montle Montreal Editions du Boreal laquoBoreal Compactraquo 1993 p47-99

2 Le prototype du restaurateur ou du cafetier chinois celui que lon sumomme laquoCharlieraquo apparait dans au moins quatre autres textes de Gabrielle Roy laquoPetite Ukraineraquo et laquoTerre des hommesraquo (repris en volume dans Fragiles lumieres de to terre) La Petite Poule dEau La Detresse et lEnchantement

3 Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique ou lenjeu de la parole dans Un jardin au bout du monde de Gabrielle Royraquo dans Andre Fauchon ed Langue et communication actes du ge colloque du Centre ditudes franco-canadiennes de lGuest Saint-Boniface CEFCO 1990 pp89-102

4 Voir Mikhail M Bakhtine Esthitique et tMorie du roman Paris Gallimard 1978

La thematique de lexil et de limmigration 153 dans llEUvre de Gabrielle Roy

5 Spatialite et temporalite sont deux themes intimement lies dans lreuvre de Gabrielle Roy Par exemple le mot laquohorizonraquo particushylierement significatif dans ce contexte-ci puisque le premier village ou descend Sam Lee Wong sappelle Horizon est souvent jumele au concept dlaquoavenirraquo voir laquoLa maison gardeeraquo dans Ces enfants de ma vie laquoMon heritage du Manitobaraquo dans Fragiles lumieres de la terre La Detresse et lEnchantemen~ ce qui laisse supposer dans la pen see de Roy un laquohorizon de letreraquo OU lalterite se fond dans le meme Bien que dans laquoTerre des hommesraquo le concept dlaquo interdependance humaineraquo revete un caractere ideologique il sinscrit egalement dans une perspective philosophique comme en temoigne lextrait du livre L~venir de lhommede Teilhard de Chardin

6 Lattestent ladverbe et la forme interrogative du titre de la nouvelle laquoHorizonraquo c est ailleurs et partout Il est significatif que nombre des recits de Gabrielle Roy ont pour cadre un nQ mans land situe aux confins de la civilisation au laquobout du monderaquo (expression qui revient presque autant que celle dhorizon) dans un decor extraorshydinairement depouille et plat presque abstrait

7 Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique raquo p94

8 lhid p92

9 Gabrielle Roy laquoPeuples du Canadaraquo dans Fragiles lumiires de to terre Montreal Stanke laquoQuebec 1010raquo 1982 p53

10 laquoEtrangement letranger nous habite il est la face cachee de notre identite lespace qui ruine notre demeure le temps OU sabiment lentente et la sympathie De le reconnaitre en nous no us no us epargnons de le detester en lui-meme Symptome qui rend preciseshyment le laquonousraquo problematique peut-etre impossible letranger commence lorsque surgit la conscience de ma difference et sacheve lorsque nous nous reconnaissons tous etrangers rebel1es aux liens et aux communautesraquo Uulia Kristeva Etrangers anous-memes Paris Fayard 1988 p 9)

11 Gabrielle Roy laquoTerre des hommesraquo dans Fragiles lumieres de la terre p204

12 Gabrielle Roy Ces enfants de ma vie Montreal Editions du Boreal laquoBoreal Compactraquo 1993

13 Fragiles lumieres de la terre p 33 Cest nous qui soulignons

14 Fragiles lumieres de la terre p145

15 Gabrielle Roy Rue Deschambaul~ Montreal Editions clu Bon~al laquoBoreal Compactraquo 1993 p128-136 (passim)

54 lOOK CHUNG

16 Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique raquo p92

17 Fragiles lumieres de la terre p 17-100 laquoLes pecheurs de la Gaspesieraquo est le seul cas qui ne repond pas au critere de lethnidte ce texte ne faisait pas partie de la serie originale de reportages intitulee laquo Peuples du Canadaraquo a la place se trouvait un article sur les Quebecois immigres dans rOuest

18 Une telle desagregation peut avoir des effets dramatiques au sein meme du noyau familial comme dans la relation entre le couple Martha-Stepan et leurs enfants dans la nouvelle laquo Un jardin au bout du monderaquo

19 Fragiles lumieres de la terre p30

20 Lexil geographique pur soppose id a lexil culturel ou existentiel qui chez Gabrielle Roy est un processus transformationneL

21 laquoJe ne donnais plus tres cher acette minute pour le projet qui mavait seduite la veille arriver seuIe en passante a une ferme sudete nimporte Iaquelle et demander Ihospitalite Car je professais alors que pour bien connaitre les gens il fallait etre aleur merdraquo (Fragiles lumieres de la terre p67)

22 Ibid p25-26

23 laquoNous avons trouve que Ies strategies discursives marquant Iexclushysion de limmigrant de la communaute entrent en opposition au desir dappartenance sociale et psychique et que la Iutte interieure est dordre herolqueraquo (Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique raquo p90)

24 Fragiles lumieres de la terre p24

25 Mais que dire de cette autre Martha moins fortunee qui incarne laquola gran de misere des femmes mennonitesraquo et qui sur son lit de mort ne souhaite rien tant que de pouvoir aller traire les vaches pour apaiser sa conscience (Voir laquoLes Mennonitesraquo dans Fragiles lushymitres de la terre)

26 Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique raquo p 91

27 On sait combien lenvironnement social de Saint-Boniface a prepare Gabrielle Roy a lexperience de la difference laquoIl ny avait plus detrangers dans la vie ou alors cest que nous letions tousraquo (Fragiles lumieres de la terre p 156)

28 Unjardin au bout du monde p118-119

29 Fragiles lumiires de la terre p42-43

La thematique de lexi et de limmigration 147 dans I aUvre de Gabrielle Roy

la singularisation du personnage autant lobservation ethnographique tend vers le collectif Car cest a linterieur de la communaute que lon est ameme de mieux juger des interactions qui trahissent les valeurs ethniques Tel est le projet qui sous-tend la serie de reportages intitulee laquoPeuples du Canadaraquol7 A partir de cette vue densemble une configuration hierarchique peut setablir de la communaute a la famille puis a lindividu de la condition de lhomme immigrant a celle de la femme immigrante (role de la mere education de la jeune fille) et a lenfant immigrant (dichotomie entre lenfant immigrant et lenfant de limmigrant ne dans le pays dadoption) Le concept de communaute nous interesse dans la mesure OU il entre en relation avec celui de lexil cest un fait avere que linseshycurite et linstabilite sociales renforcent la cohesion dun groupe social aplus forte raison lorsque la transplantation en pays etranger confronte ce groupe a la menace dune perte didentite Le groupe assure un encadrement de la culture maternelle qui sans lui risque de se desagregerlH mais en revanche le groupe risque de freiner le processus dintegration sil est trop replie sur lui-meme Dans le cas des trois communautes mystiques decrites dans laquoPeuples du Canadaraquo (les Hutterites les Doukhobors les Mennoshynites) la volonte dinsularite defie toute integration Et tel est bien le paradoxe de ces communautes venues setablir alautre bout du monde pour y entretenir lillusion de leurs anciens pays Meme si ce style de vie autarcique sautorise des vastes proportions du pays pour differer le contact avec les valeurs de la communaute daccueil une telle ideologie de la fermeture ne perpetue-t-elle pas linadaptation et lalienation auxquelles tot ou tard seront confrontees ces communau tes

48 lOOK CHUNG

Du reste il me vint alors a lesprit que cette paix dici qui mavait tellement fait envie pendant un moment etait peut-etre plus menacee que fortifiee par lisolement Quen serait-il delle lorsque les freres hutterites tot ou tard entreraient en contact brutal avec notre epoque Leur isolement netait-il pas au fond la faiblesse de ces etres exceptionnels 19

Le misoneisme cultureJ20 et le refus de louverture chez ces communautes ethniques ne sont-ils pas aussi prejudishyciables a leur epanouissement que lintolerance de la comshymunaute daccueil envers limmigrant

Cest en visitant ces communautes a titre de joumaliste mais aussi de simple citoyenne de lhumanite21 que Gabrielle Roy mesure la specificite de leurs cultures La description qu elle en fait est presque toujours genereuse voire idyllique On sait que lohjectif premier des reporshytages dans le cadre du Bulletin des agriculteurs etait de rapporter les exploits ou les echecs agricoles de ces comshymunautes ethniques a cet egard la cohesion sociale conshytribue a la productivite et aux laquosuccess storiesraquo en matiere economique Cest le cas des Hutterites

Aussi la richesse collective des Huttterites en betail et batiments pIu tot quen especes est-elle considerable Chaque colonie est equipee pour lelevage de huit cents arniIle porcs denviron douze cents oies et de soixante a soixante-dix vaches par annee Plusieurs hameaux sadonnent en plus a lapiculture et cultivent fruits et legumes Tant et si bien quen raison de leur stricte econornie de leur ertroite solidarite et de leur remarquashyble industrie les Hutterites parviennent aun degre de merite agricole presque unique au Canada22

Nous voici chiffres a lappui en plein dans lecriture documentaire comme on serait en droit de sy attendre de nimporte quel chroniqueur dun journal agricole Mais par

La thematique de lexil et de limmigration 149 dam l(pounduvre de Gabrielle Roy

le biais de la productivite Gabrielle Roy parvient a nous interesser de facon metonymique aux valeurs sociales qui motivent une telle prosperite Ces valeurs sont presque toujours de lordre laquoherolqueraquo pour reprendre lexpresshysion quutilise Estelle Dansereau dans le contexte paradigshymatique de limmigrant face a la communaute23

bull Ce disc ours herolque Vlent dynamiser le simple documentaire en laffectant dun coefficient de laquolitterariteraquo qui est la signature de lecrivain avenir qu est Gabrielle Roy mais aussi un reflet de sa vision herolque de letre en exil V oici comment Gabrielle Roy raconte lerrance picaresque des Hutterites chasses par les persecutions la marche inexoshyrable des Doukhobors vers la terre promise la soif dhorishyzon des Mennonites

Cetait au printemps de 1528 Les Hutterites secte danabaptistes nommee dapres le precheur itinerant Jakob Hutter se voyaient chasses de la principaute de Nikolsburg all ils avaient trouve refuge apres leur expulshysion du TyroL I1s erraient certaines nuits en quete dun abri Vers Paube ils arriverent sur lemplacement dun village abandonne trempes affaiblis par lexil ronges de doute Et la raconte lancien chroniqueur Pun des Hutterites etendit son manteau sur le sol et enjoignit ses compagnons dy deposer leurs menus biens afin que leur recommencement rut marque du signe de labsolue chashyrite Le manteau se couvrit de tout lor alliances petits bijoux montres chaines et piecettes que possedaient les expatries24

Mais si ces immigrants par leurs vertus pionnieres (abshynegation solidarite ardeur au travail probite etc) ont valeur d exemplarite ils ne sont pas exempts de defauts et malgre le respect evident que lui inspirent leurs cultures Gabrielle Roy se perm et au passage de denoncer certaines valeurs incompatibles avec les siennes Cest le cas pour la

50 lOOK CHUNG

condition de la femme immigrante doublement exilee (exilee de son pays et exilee de son etre) toujours absorbee dans ses corvees eternellement courbee sous son laquomoushychoir de peineraquo De meme que lenfant immigrant accentue le desarroi et la vulnerabilite propres a la condition de limmigrant la condition de la femme immigrante traduit de falton plus dramatique encore lalienation de lexil car a la perte de lidentite culturelle quimplique le deracinement sajoute celle de lidentite individuelle

11 en resulte alors une desertification du sens qui menace letre a la source meme comme dans la nouvelle laquo Un jardin au bout du monderaquo Au milieu de cet isolement physique et psychique Martha lUkrainienne cultive avec devotion son jardin de fleurs au grand courroux de son mari pour qui une telle coquetterie semble depourvue de sens dans un lieu aussi desole Il est significatif quelle et Step an soient en brouille car ceUe passion pour les fleurs exprime chez Martha une affirmation de son individualite qui equivaushydrait a une insoumission dans un contexte moins symbolishyquement charge25

bull En recreant la beaute autour delle Martha refuse de se laisser annihiler par cette desertificashytion du sens et ces manifestations florales sont autant dactes de foi dans un paysage de doute et de deshumanishysationlaquo [E]lle reussit a communiquer sa passion pour la vie a travers son jardin son mutisme de circonstance loblige a inventer un langage non verbal raquo26

Gabrielle Roy sinteresse a la figure de Ietranger dans la mesure Oll en lui a travers lui se po sent les interrogations les plus intimes de letre humain c est-a-dire dans la mesure Oll l etranger cesse de letre Oll nous le devenons a sa place27

bull

Doll cette vision stereoscopique chez Gabrielle Roy detranshygete et de familiarite de lointain et de proximite cet laquohorishyzonraquo qui devient le vecteur de notre propre devenir

La thematique de [exil et de limmigration 151 dans l(pounduvre de Gabrielle Roy

La narratrice dlaquo Un jardin au bout du monderaquo relate ainsi sa premiere vision de la maison de Martha

Ainsi un jour que rnarnenait sur ceUe route une etrange curiosite rnais plutot une tristesse de lesprit ce gout qui assez souvent rn a prise de decouvrir et de partager la plus totale solitude - jai vu devant rnoi sous le del enorrne contre le vent hostile et parmi les herbes hautes ce petit jardin qui debordait de fleurs

En ce temps-la souvent je me disais a quoi bon ceci a quoi bon cela [ ] Cest a quoi je pensais ce jour ou la lumiere baissant sur cette route qui me semblait ne conduire nulle part je vis au plus creux de la desolation et de la secheresse surgir ces fleurs eclatantes28

Meme si cela nest pas dit explicitement cette scene perlocutoire repond symboliquement aux propres doutes de la narratrice a sa prop re labilite interieure Vne fois lidentification etablie le discours indirect libre peut suivre son cours et la narratrice seffacer derriere Martha 11 est probable que Gabrielle Roy se soit inspiree du moins en partie de la Masha des laquo Turbulents chercheurs de paix raquo29

pour creer le personnage de Martha Meme dans ses reporshytages sur les peuples du Canada la focalisation sur un personnage (par exemple la jeune Barbara dans laquoLes Hutteritesraquo Masha chez les Doukhobors Martha dans laquoLes Mennonitesraquo Rebecca dans laquoLavenue Palestineraquo) ouvre la voie sinon a une identification du moins a une communication intersubjective qui transcende la specificite culturelle du groupe

Nous avons vu que dans lreuvre de Gabrielle Roy la problematique de lexil est abordee selon deux discours axiologiques differents Celui de la sensibilite litteraire dabord qui tend vers la valorisation de la solitude et la singularisation du personnage et ou Iexil est traite de fa~on

52 lOOK CHlJNG

intransitive cest-a-dire depouille de ses modalites geograshyphiques (demotivant alors la notion dethnicite qui devient purement symbolique et pragmatique) Dautre part le discours ethnographique tient compte de la specificite des communautes culturelles et immigrantes lanalyse porte alors surtout sur les interactions du groupe dans son foncshytionnement interne ou dans ses rapports avec la commushynaute daccueil (quant a la portee ideologique de ceUe analyse elle tend toujours vers une vision fraternisante) Entre ces deux disc ours le litteraire et le sociologique existe-t-il une jonction intrinseque ou sagit-il dun assemshyblage oblige de deux thematiques (lexil et limmigration) en realite sans grande relation lune a lautre En tout etat de cause la figure de lexile ethnique ou non nous intershypelle par son universalite Car derriere chaque exile dershyriere chaque Sam Lee W ong il y a avant tout un etre dans son rapport au monde

NOTES

1 Dans Gabrielle Roy Un jardin au bout du montle Montreal Editions du Boreal laquoBoreal Compactraquo 1993 p47-99

2 Le prototype du restaurateur ou du cafetier chinois celui que lon sumomme laquoCharlieraquo apparait dans au moins quatre autres textes de Gabrielle Roy laquoPetite Ukraineraquo et laquoTerre des hommesraquo (repris en volume dans Fragiles lumieres de to terre) La Petite Poule dEau La Detresse et lEnchantement

3 Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique ou lenjeu de la parole dans Un jardin au bout du monde de Gabrielle Royraquo dans Andre Fauchon ed Langue et communication actes du ge colloque du Centre ditudes franco-canadiennes de lGuest Saint-Boniface CEFCO 1990 pp89-102

4 Voir Mikhail M Bakhtine Esthitique et tMorie du roman Paris Gallimard 1978

La thematique de lexil et de limmigration 153 dans llEUvre de Gabrielle Roy

5 Spatialite et temporalite sont deux themes intimement lies dans lreuvre de Gabrielle Roy Par exemple le mot laquohorizonraquo particushylierement significatif dans ce contexte-ci puisque le premier village ou descend Sam Lee Wong sappelle Horizon est souvent jumele au concept dlaquoavenirraquo voir laquoLa maison gardeeraquo dans Ces enfants de ma vie laquoMon heritage du Manitobaraquo dans Fragiles lumieres de la terre La Detresse et lEnchantemen~ ce qui laisse supposer dans la pen see de Roy un laquohorizon de letreraquo OU lalterite se fond dans le meme Bien que dans laquoTerre des hommesraquo le concept dlaquo interdependance humaineraquo revete un caractere ideologique il sinscrit egalement dans une perspective philosophique comme en temoigne lextrait du livre L~venir de lhommede Teilhard de Chardin

6 Lattestent ladverbe et la forme interrogative du titre de la nouvelle laquoHorizonraquo c est ailleurs et partout Il est significatif que nombre des recits de Gabrielle Roy ont pour cadre un nQ mans land situe aux confins de la civilisation au laquobout du monderaquo (expression qui revient presque autant que celle dhorizon) dans un decor extraorshydinairement depouille et plat presque abstrait

7 Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique raquo p94

8 lhid p92

9 Gabrielle Roy laquoPeuples du Canadaraquo dans Fragiles lumiires de to terre Montreal Stanke laquoQuebec 1010raquo 1982 p53

10 laquoEtrangement letranger nous habite il est la face cachee de notre identite lespace qui ruine notre demeure le temps OU sabiment lentente et la sympathie De le reconnaitre en nous no us no us epargnons de le detester en lui-meme Symptome qui rend preciseshyment le laquonousraquo problematique peut-etre impossible letranger commence lorsque surgit la conscience de ma difference et sacheve lorsque nous nous reconnaissons tous etrangers rebel1es aux liens et aux communautesraquo Uulia Kristeva Etrangers anous-memes Paris Fayard 1988 p 9)

11 Gabrielle Roy laquoTerre des hommesraquo dans Fragiles lumieres de la terre p204

12 Gabrielle Roy Ces enfants de ma vie Montreal Editions du Boreal laquoBoreal Compactraquo 1993

13 Fragiles lumieres de la terre p 33 Cest nous qui soulignons

14 Fragiles lumieres de la terre p145

15 Gabrielle Roy Rue Deschambaul~ Montreal Editions clu Bon~al laquoBoreal Compactraquo 1993 p128-136 (passim)

54 lOOK CHUNG

16 Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique raquo p92

17 Fragiles lumieres de la terre p 17-100 laquoLes pecheurs de la Gaspesieraquo est le seul cas qui ne repond pas au critere de lethnidte ce texte ne faisait pas partie de la serie originale de reportages intitulee laquo Peuples du Canadaraquo a la place se trouvait un article sur les Quebecois immigres dans rOuest

18 Une telle desagregation peut avoir des effets dramatiques au sein meme du noyau familial comme dans la relation entre le couple Martha-Stepan et leurs enfants dans la nouvelle laquo Un jardin au bout du monderaquo

19 Fragiles lumieres de la terre p30

20 Lexil geographique pur soppose id a lexil culturel ou existentiel qui chez Gabrielle Roy est un processus transformationneL

21 laquoJe ne donnais plus tres cher acette minute pour le projet qui mavait seduite la veille arriver seuIe en passante a une ferme sudete nimporte Iaquelle et demander Ihospitalite Car je professais alors que pour bien connaitre les gens il fallait etre aleur merdraquo (Fragiles lumieres de la terre p67)

22 Ibid p25-26

23 laquoNous avons trouve que Ies strategies discursives marquant Iexclushysion de limmigrant de la communaute entrent en opposition au desir dappartenance sociale et psychique et que la Iutte interieure est dordre herolqueraquo (Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique raquo p90)

24 Fragiles lumieres de la terre p24

25 Mais que dire de cette autre Martha moins fortunee qui incarne laquola gran de misere des femmes mennonitesraquo et qui sur son lit de mort ne souhaite rien tant que de pouvoir aller traire les vaches pour apaiser sa conscience (Voir laquoLes Mennonitesraquo dans Fragiles lushymitres de la terre)

26 Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique raquo p 91

27 On sait combien lenvironnement social de Saint-Boniface a prepare Gabrielle Roy a lexperience de la difference laquoIl ny avait plus detrangers dans la vie ou alors cest que nous letions tousraquo (Fragiles lumieres de la terre p 156)

28 Unjardin au bout du monde p118-119

29 Fragiles lumiires de la terre p42-43

48 lOOK CHUNG

Du reste il me vint alors a lesprit que cette paix dici qui mavait tellement fait envie pendant un moment etait peut-etre plus menacee que fortifiee par lisolement Quen serait-il delle lorsque les freres hutterites tot ou tard entreraient en contact brutal avec notre epoque Leur isolement netait-il pas au fond la faiblesse de ces etres exceptionnels 19

Le misoneisme cultureJ20 et le refus de louverture chez ces communautes ethniques ne sont-ils pas aussi prejudishyciables a leur epanouissement que lintolerance de la comshymunaute daccueil envers limmigrant

Cest en visitant ces communautes a titre de joumaliste mais aussi de simple citoyenne de lhumanite21 que Gabrielle Roy mesure la specificite de leurs cultures La description qu elle en fait est presque toujours genereuse voire idyllique On sait que lohjectif premier des reporshytages dans le cadre du Bulletin des agriculteurs etait de rapporter les exploits ou les echecs agricoles de ces comshymunautes ethniques a cet egard la cohesion sociale conshytribue a la productivite et aux laquosuccess storiesraquo en matiere economique Cest le cas des Hutterites

Aussi la richesse collective des Huttterites en betail et batiments pIu tot quen especes est-elle considerable Chaque colonie est equipee pour lelevage de huit cents arniIle porcs denviron douze cents oies et de soixante a soixante-dix vaches par annee Plusieurs hameaux sadonnent en plus a lapiculture et cultivent fruits et legumes Tant et si bien quen raison de leur stricte econornie de leur ertroite solidarite et de leur remarquashyble industrie les Hutterites parviennent aun degre de merite agricole presque unique au Canada22

Nous voici chiffres a lappui en plein dans lecriture documentaire comme on serait en droit de sy attendre de nimporte quel chroniqueur dun journal agricole Mais par

La thematique de lexil et de limmigration 149 dam l(pounduvre de Gabrielle Roy

le biais de la productivite Gabrielle Roy parvient a nous interesser de facon metonymique aux valeurs sociales qui motivent une telle prosperite Ces valeurs sont presque toujours de lordre laquoherolqueraquo pour reprendre lexpresshysion quutilise Estelle Dansereau dans le contexte paradigshymatique de limmigrant face a la communaute23

bull Ce disc ours herolque Vlent dynamiser le simple documentaire en laffectant dun coefficient de laquolitterariteraquo qui est la signature de lecrivain avenir qu est Gabrielle Roy mais aussi un reflet de sa vision herolque de letre en exil V oici comment Gabrielle Roy raconte lerrance picaresque des Hutterites chasses par les persecutions la marche inexoshyrable des Doukhobors vers la terre promise la soif dhorishyzon des Mennonites

Cetait au printemps de 1528 Les Hutterites secte danabaptistes nommee dapres le precheur itinerant Jakob Hutter se voyaient chasses de la principaute de Nikolsburg all ils avaient trouve refuge apres leur expulshysion du TyroL I1s erraient certaines nuits en quete dun abri Vers Paube ils arriverent sur lemplacement dun village abandonne trempes affaiblis par lexil ronges de doute Et la raconte lancien chroniqueur Pun des Hutterites etendit son manteau sur le sol et enjoignit ses compagnons dy deposer leurs menus biens afin que leur recommencement rut marque du signe de labsolue chashyrite Le manteau se couvrit de tout lor alliances petits bijoux montres chaines et piecettes que possedaient les expatries24

Mais si ces immigrants par leurs vertus pionnieres (abshynegation solidarite ardeur au travail probite etc) ont valeur d exemplarite ils ne sont pas exempts de defauts et malgre le respect evident que lui inspirent leurs cultures Gabrielle Roy se perm et au passage de denoncer certaines valeurs incompatibles avec les siennes Cest le cas pour la

50 lOOK CHUNG

condition de la femme immigrante doublement exilee (exilee de son pays et exilee de son etre) toujours absorbee dans ses corvees eternellement courbee sous son laquomoushychoir de peineraquo De meme que lenfant immigrant accentue le desarroi et la vulnerabilite propres a la condition de limmigrant la condition de la femme immigrante traduit de falton plus dramatique encore lalienation de lexil car a la perte de lidentite culturelle quimplique le deracinement sajoute celle de lidentite individuelle

11 en resulte alors une desertification du sens qui menace letre a la source meme comme dans la nouvelle laquo Un jardin au bout du monderaquo Au milieu de cet isolement physique et psychique Martha lUkrainienne cultive avec devotion son jardin de fleurs au grand courroux de son mari pour qui une telle coquetterie semble depourvue de sens dans un lieu aussi desole Il est significatif quelle et Step an soient en brouille car ceUe passion pour les fleurs exprime chez Martha une affirmation de son individualite qui equivaushydrait a une insoumission dans un contexte moins symbolishyquement charge25

bull En recreant la beaute autour delle Martha refuse de se laisser annihiler par cette desertificashytion du sens et ces manifestations florales sont autant dactes de foi dans un paysage de doute et de deshumanishysationlaquo [E]lle reussit a communiquer sa passion pour la vie a travers son jardin son mutisme de circonstance loblige a inventer un langage non verbal raquo26

Gabrielle Roy sinteresse a la figure de Ietranger dans la mesure Oll en lui a travers lui se po sent les interrogations les plus intimes de letre humain c est-a-dire dans la mesure Oll l etranger cesse de letre Oll nous le devenons a sa place27

bull

Doll cette vision stereoscopique chez Gabrielle Roy detranshygete et de familiarite de lointain et de proximite cet laquohorishyzonraquo qui devient le vecteur de notre propre devenir

La thematique de [exil et de limmigration 151 dans l(pounduvre de Gabrielle Roy

La narratrice dlaquo Un jardin au bout du monderaquo relate ainsi sa premiere vision de la maison de Martha

Ainsi un jour que rnarnenait sur ceUe route une etrange curiosite rnais plutot une tristesse de lesprit ce gout qui assez souvent rn a prise de decouvrir et de partager la plus totale solitude - jai vu devant rnoi sous le del enorrne contre le vent hostile et parmi les herbes hautes ce petit jardin qui debordait de fleurs

En ce temps-la souvent je me disais a quoi bon ceci a quoi bon cela [ ] Cest a quoi je pensais ce jour ou la lumiere baissant sur cette route qui me semblait ne conduire nulle part je vis au plus creux de la desolation et de la secheresse surgir ces fleurs eclatantes28

Meme si cela nest pas dit explicitement cette scene perlocutoire repond symboliquement aux propres doutes de la narratrice a sa prop re labilite interieure Vne fois lidentification etablie le discours indirect libre peut suivre son cours et la narratrice seffacer derriere Martha 11 est probable que Gabrielle Roy se soit inspiree du moins en partie de la Masha des laquo Turbulents chercheurs de paix raquo29

pour creer le personnage de Martha Meme dans ses reporshytages sur les peuples du Canada la focalisation sur un personnage (par exemple la jeune Barbara dans laquoLes Hutteritesraquo Masha chez les Doukhobors Martha dans laquoLes Mennonitesraquo Rebecca dans laquoLavenue Palestineraquo) ouvre la voie sinon a une identification du moins a une communication intersubjective qui transcende la specificite culturelle du groupe

Nous avons vu que dans lreuvre de Gabrielle Roy la problematique de lexil est abordee selon deux discours axiologiques differents Celui de la sensibilite litteraire dabord qui tend vers la valorisation de la solitude et la singularisation du personnage et ou Iexil est traite de fa~on

52 lOOK CHlJNG

intransitive cest-a-dire depouille de ses modalites geograshyphiques (demotivant alors la notion dethnicite qui devient purement symbolique et pragmatique) Dautre part le discours ethnographique tient compte de la specificite des communautes culturelles et immigrantes lanalyse porte alors surtout sur les interactions du groupe dans son foncshytionnement interne ou dans ses rapports avec la commushynaute daccueil (quant a la portee ideologique de ceUe analyse elle tend toujours vers une vision fraternisante) Entre ces deux disc ours le litteraire et le sociologique existe-t-il une jonction intrinseque ou sagit-il dun assemshyblage oblige de deux thematiques (lexil et limmigration) en realite sans grande relation lune a lautre En tout etat de cause la figure de lexile ethnique ou non nous intershypelle par son universalite Car derriere chaque exile dershyriere chaque Sam Lee W ong il y a avant tout un etre dans son rapport au monde

NOTES

1 Dans Gabrielle Roy Un jardin au bout du montle Montreal Editions du Boreal laquoBoreal Compactraquo 1993 p47-99

2 Le prototype du restaurateur ou du cafetier chinois celui que lon sumomme laquoCharlieraquo apparait dans au moins quatre autres textes de Gabrielle Roy laquoPetite Ukraineraquo et laquoTerre des hommesraquo (repris en volume dans Fragiles lumieres de to terre) La Petite Poule dEau La Detresse et lEnchantement

3 Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique ou lenjeu de la parole dans Un jardin au bout du monde de Gabrielle Royraquo dans Andre Fauchon ed Langue et communication actes du ge colloque du Centre ditudes franco-canadiennes de lGuest Saint-Boniface CEFCO 1990 pp89-102

4 Voir Mikhail M Bakhtine Esthitique et tMorie du roman Paris Gallimard 1978

La thematique de lexil et de limmigration 153 dans llEUvre de Gabrielle Roy

5 Spatialite et temporalite sont deux themes intimement lies dans lreuvre de Gabrielle Roy Par exemple le mot laquohorizonraquo particushylierement significatif dans ce contexte-ci puisque le premier village ou descend Sam Lee Wong sappelle Horizon est souvent jumele au concept dlaquoavenirraquo voir laquoLa maison gardeeraquo dans Ces enfants de ma vie laquoMon heritage du Manitobaraquo dans Fragiles lumieres de la terre La Detresse et lEnchantemen~ ce qui laisse supposer dans la pen see de Roy un laquohorizon de letreraquo OU lalterite se fond dans le meme Bien que dans laquoTerre des hommesraquo le concept dlaquo interdependance humaineraquo revete un caractere ideologique il sinscrit egalement dans une perspective philosophique comme en temoigne lextrait du livre L~venir de lhommede Teilhard de Chardin

6 Lattestent ladverbe et la forme interrogative du titre de la nouvelle laquoHorizonraquo c est ailleurs et partout Il est significatif que nombre des recits de Gabrielle Roy ont pour cadre un nQ mans land situe aux confins de la civilisation au laquobout du monderaquo (expression qui revient presque autant que celle dhorizon) dans un decor extraorshydinairement depouille et plat presque abstrait

7 Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique raquo p94

8 lhid p92

9 Gabrielle Roy laquoPeuples du Canadaraquo dans Fragiles lumiires de to terre Montreal Stanke laquoQuebec 1010raquo 1982 p53

10 laquoEtrangement letranger nous habite il est la face cachee de notre identite lespace qui ruine notre demeure le temps OU sabiment lentente et la sympathie De le reconnaitre en nous no us no us epargnons de le detester en lui-meme Symptome qui rend preciseshyment le laquonousraquo problematique peut-etre impossible letranger commence lorsque surgit la conscience de ma difference et sacheve lorsque nous nous reconnaissons tous etrangers rebel1es aux liens et aux communautesraquo Uulia Kristeva Etrangers anous-memes Paris Fayard 1988 p 9)

11 Gabrielle Roy laquoTerre des hommesraquo dans Fragiles lumieres de la terre p204

12 Gabrielle Roy Ces enfants de ma vie Montreal Editions du Boreal laquoBoreal Compactraquo 1993

13 Fragiles lumieres de la terre p 33 Cest nous qui soulignons

14 Fragiles lumieres de la terre p145

15 Gabrielle Roy Rue Deschambaul~ Montreal Editions clu Bon~al laquoBoreal Compactraquo 1993 p128-136 (passim)

54 lOOK CHUNG

16 Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique raquo p92

17 Fragiles lumieres de la terre p 17-100 laquoLes pecheurs de la Gaspesieraquo est le seul cas qui ne repond pas au critere de lethnidte ce texte ne faisait pas partie de la serie originale de reportages intitulee laquo Peuples du Canadaraquo a la place se trouvait un article sur les Quebecois immigres dans rOuest

18 Une telle desagregation peut avoir des effets dramatiques au sein meme du noyau familial comme dans la relation entre le couple Martha-Stepan et leurs enfants dans la nouvelle laquo Un jardin au bout du monderaquo

19 Fragiles lumieres de la terre p30

20 Lexil geographique pur soppose id a lexil culturel ou existentiel qui chez Gabrielle Roy est un processus transformationneL

21 laquoJe ne donnais plus tres cher acette minute pour le projet qui mavait seduite la veille arriver seuIe en passante a une ferme sudete nimporte Iaquelle et demander Ihospitalite Car je professais alors que pour bien connaitre les gens il fallait etre aleur merdraquo (Fragiles lumieres de la terre p67)

22 Ibid p25-26

23 laquoNous avons trouve que Ies strategies discursives marquant Iexclushysion de limmigrant de la communaute entrent en opposition au desir dappartenance sociale et psychique et que la Iutte interieure est dordre herolqueraquo (Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique raquo p90)

24 Fragiles lumieres de la terre p24

25 Mais que dire de cette autre Martha moins fortunee qui incarne laquola gran de misere des femmes mennonitesraquo et qui sur son lit de mort ne souhaite rien tant que de pouvoir aller traire les vaches pour apaiser sa conscience (Voir laquoLes Mennonitesraquo dans Fragiles lushymitres de la terre)

26 Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique raquo p 91

27 On sait combien lenvironnement social de Saint-Boniface a prepare Gabrielle Roy a lexperience de la difference laquoIl ny avait plus detrangers dans la vie ou alors cest que nous letions tousraquo (Fragiles lumieres de la terre p 156)

28 Unjardin au bout du monde p118-119

29 Fragiles lumiires de la terre p42-43

La thematique de lexil et de limmigration 149 dam l(pounduvre de Gabrielle Roy

le biais de la productivite Gabrielle Roy parvient a nous interesser de facon metonymique aux valeurs sociales qui motivent une telle prosperite Ces valeurs sont presque toujours de lordre laquoherolqueraquo pour reprendre lexpresshysion quutilise Estelle Dansereau dans le contexte paradigshymatique de limmigrant face a la communaute23

bull Ce disc ours herolque Vlent dynamiser le simple documentaire en laffectant dun coefficient de laquolitterariteraquo qui est la signature de lecrivain avenir qu est Gabrielle Roy mais aussi un reflet de sa vision herolque de letre en exil V oici comment Gabrielle Roy raconte lerrance picaresque des Hutterites chasses par les persecutions la marche inexoshyrable des Doukhobors vers la terre promise la soif dhorishyzon des Mennonites

Cetait au printemps de 1528 Les Hutterites secte danabaptistes nommee dapres le precheur itinerant Jakob Hutter se voyaient chasses de la principaute de Nikolsburg all ils avaient trouve refuge apres leur expulshysion du TyroL I1s erraient certaines nuits en quete dun abri Vers Paube ils arriverent sur lemplacement dun village abandonne trempes affaiblis par lexil ronges de doute Et la raconte lancien chroniqueur Pun des Hutterites etendit son manteau sur le sol et enjoignit ses compagnons dy deposer leurs menus biens afin que leur recommencement rut marque du signe de labsolue chashyrite Le manteau se couvrit de tout lor alliances petits bijoux montres chaines et piecettes que possedaient les expatries24

Mais si ces immigrants par leurs vertus pionnieres (abshynegation solidarite ardeur au travail probite etc) ont valeur d exemplarite ils ne sont pas exempts de defauts et malgre le respect evident que lui inspirent leurs cultures Gabrielle Roy se perm et au passage de denoncer certaines valeurs incompatibles avec les siennes Cest le cas pour la

50 lOOK CHUNG

condition de la femme immigrante doublement exilee (exilee de son pays et exilee de son etre) toujours absorbee dans ses corvees eternellement courbee sous son laquomoushychoir de peineraquo De meme que lenfant immigrant accentue le desarroi et la vulnerabilite propres a la condition de limmigrant la condition de la femme immigrante traduit de falton plus dramatique encore lalienation de lexil car a la perte de lidentite culturelle quimplique le deracinement sajoute celle de lidentite individuelle

11 en resulte alors une desertification du sens qui menace letre a la source meme comme dans la nouvelle laquo Un jardin au bout du monderaquo Au milieu de cet isolement physique et psychique Martha lUkrainienne cultive avec devotion son jardin de fleurs au grand courroux de son mari pour qui une telle coquetterie semble depourvue de sens dans un lieu aussi desole Il est significatif quelle et Step an soient en brouille car ceUe passion pour les fleurs exprime chez Martha une affirmation de son individualite qui equivaushydrait a une insoumission dans un contexte moins symbolishyquement charge25

bull En recreant la beaute autour delle Martha refuse de se laisser annihiler par cette desertificashytion du sens et ces manifestations florales sont autant dactes de foi dans un paysage de doute et de deshumanishysationlaquo [E]lle reussit a communiquer sa passion pour la vie a travers son jardin son mutisme de circonstance loblige a inventer un langage non verbal raquo26

Gabrielle Roy sinteresse a la figure de Ietranger dans la mesure Oll en lui a travers lui se po sent les interrogations les plus intimes de letre humain c est-a-dire dans la mesure Oll l etranger cesse de letre Oll nous le devenons a sa place27

bull

Doll cette vision stereoscopique chez Gabrielle Roy detranshygete et de familiarite de lointain et de proximite cet laquohorishyzonraquo qui devient le vecteur de notre propre devenir

La thematique de [exil et de limmigration 151 dans l(pounduvre de Gabrielle Roy

La narratrice dlaquo Un jardin au bout du monderaquo relate ainsi sa premiere vision de la maison de Martha

Ainsi un jour que rnarnenait sur ceUe route une etrange curiosite rnais plutot une tristesse de lesprit ce gout qui assez souvent rn a prise de decouvrir et de partager la plus totale solitude - jai vu devant rnoi sous le del enorrne contre le vent hostile et parmi les herbes hautes ce petit jardin qui debordait de fleurs

En ce temps-la souvent je me disais a quoi bon ceci a quoi bon cela [ ] Cest a quoi je pensais ce jour ou la lumiere baissant sur cette route qui me semblait ne conduire nulle part je vis au plus creux de la desolation et de la secheresse surgir ces fleurs eclatantes28

Meme si cela nest pas dit explicitement cette scene perlocutoire repond symboliquement aux propres doutes de la narratrice a sa prop re labilite interieure Vne fois lidentification etablie le discours indirect libre peut suivre son cours et la narratrice seffacer derriere Martha 11 est probable que Gabrielle Roy se soit inspiree du moins en partie de la Masha des laquo Turbulents chercheurs de paix raquo29

pour creer le personnage de Martha Meme dans ses reporshytages sur les peuples du Canada la focalisation sur un personnage (par exemple la jeune Barbara dans laquoLes Hutteritesraquo Masha chez les Doukhobors Martha dans laquoLes Mennonitesraquo Rebecca dans laquoLavenue Palestineraquo) ouvre la voie sinon a une identification du moins a une communication intersubjective qui transcende la specificite culturelle du groupe

Nous avons vu que dans lreuvre de Gabrielle Roy la problematique de lexil est abordee selon deux discours axiologiques differents Celui de la sensibilite litteraire dabord qui tend vers la valorisation de la solitude et la singularisation du personnage et ou Iexil est traite de fa~on

52 lOOK CHlJNG

intransitive cest-a-dire depouille de ses modalites geograshyphiques (demotivant alors la notion dethnicite qui devient purement symbolique et pragmatique) Dautre part le discours ethnographique tient compte de la specificite des communautes culturelles et immigrantes lanalyse porte alors surtout sur les interactions du groupe dans son foncshytionnement interne ou dans ses rapports avec la commushynaute daccueil (quant a la portee ideologique de ceUe analyse elle tend toujours vers une vision fraternisante) Entre ces deux disc ours le litteraire et le sociologique existe-t-il une jonction intrinseque ou sagit-il dun assemshyblage oblige de deux thematiques (lexil et limmigration) en realite sans grande relation lune a lautre En tout etat de cause la figure de lexile ethnique ou non nous intershypelle par son universalite Car derriere chaque exile dershyriere chaque Sam Lee W ong il y a avant tout un etre dans son rapport au monde

NOTES

1 Dans Gabrielle Roy Un jardin au bout du montle Montreal Editions du Boreal laquoBoreal Compactraquo 1993 p47-99

2 Le prototype du restaurateur ou du cafetier chinois celui que lon sumomme laquoCharlieraquo apparait dans au moins quatre autres textes de Gabrielle Roy laquoPetite Ukraineraquo et laquoTerre des hommesraquo (repris en volume dans Fragiles lumieres de to terre) La Petite Poule dEau La Detresse et lEnchantement

3 Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique ou lenjeu de la parole dans Un jardin au bout du monde de Gabrielle Royraquo dans Andre Fauchon ed Langue et communication actes du ge colloque du Centre ditudes franco-canadiennes de lGuest Saint-Boniface CEFCO 1990 pp89-102

4 Voir Mikhail M Bakhtine Esthitique et tMorie du roman Paris Gallimard 1978

La thematique de lexil et de limmigration 153 dans llEUvre de Gabrielle Roy

5 Spatialite et temporalite sont deux themes intimement lies dans lreuvre de Gabrielle Roy Par exemple le mot laquohorizonraquo particushylierement significatif dans ce contexte-ci puisque le premier village ou descend Sam Lee Wong sappelle Horizon est souvent jumele au concept dlaquoavenirraquo voir laquoLa maison gardeeraquo dans Ces enfants de ma vie laquoMon heritage du Manitobaraquo dans Fragiles lumieres de la terre La Detresse et lEnchantemen~ ce qui laisse supposer dans la pen see de Roy un laquohorizon de letreraquo OU lalterite se fond dans le meme Bien que dans laquoTerre des hommesraquo le concept dlaquo interdependance humaineraquo revete un caractere ideologique il sinscrit egalement dans une perspective philosophique comme en temoigne lextrait du livre L~venir de lhommede Teilhard de Chardin

6 Lattestent ladverbe et la forme interrogative du titre de la nouvelle laquoHorizonraquo c est ailleurs et partout Il est significatif que nombre des recits de Gabrielle Roy ont pour cadre un nQ mans land situe aux confins de la civilisation au laquobout du monderaquo (expression qui revient presque autant que celle dhorizon) dans un decor extraorshydinairement depouille et plat presque abstrait

7 Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique raquo p94

8 lhid p92

9 Gabrielle Roy laquoPeuples du Canadaraquo dans Fragiles lumiires de to terre Montreal Stanke laquoQuebec 1010raquo 1982 p53

10 laquoEtrangement letranger nous habite il est la face cachee de notre identite lespace qui ruine notre demeure le temps OU sabiment lentente et la sympathie De le reconnaitre en nous no us no us epargnons de le detester en lui-meme Symptome qui rend preciseshyment le laquonousraquo problematique peut-etre impossible letranger commence lorsque surgit la conscience de ma difference et sacheve lorsque nous nous reconnaissons tous etrangers rebel1es aux liens et aux communautesraquo Uulia Kristeva Etrangers anous-memes Paris Fayard 1988 p 9)

11 Gabrielle Roy laquoTerre des hommesraquo dans Fragiles lumieres de la terre p204

12 Gabrielle Roy Ces enfants de ma vie Montreal Editions du Boreal laquoBoreal Compactraquo 1993

13 Fragiles lumieres de la terre p 33 Cest nous qui soulignons

14 Fragiles lumieres de la terre p145

15 Gabrielle Roy Rue Deschambaul~ Montreal Editions clu Bon~al laquoBoreal Compactraquo 1993 p128-136 (passim)

54 lOOK CHUNG

16 Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique raquo p92

17 Fragiles lumieres de la terre p 17-100 laquoLes pecheurs de la Gaspesieraquo est le seul cas qui ne repond pas au critere de lethnidte ce texte ne faisait pas partie de la serie originale de reportages intitulee laquo Peuples du Canadaraquo a la place se trouvait un article sur les Quebecois immigres dans rOuest

18 Une telle desagregation peut avoir des effets dramatiques au sein meme du noyau familial comme dans la relation entre le couple Martha-Stepan et leurs enfants dans la nouvelle laquo Un jardin au bout du monderaquo

19 Fragiles lumieres de la terre p30

20 Lexil geographique pur soppose id a lexil culturel ou existentiel qui chez Gabrielle Roy est un processus transformationneL

21 laquoJe ne donnais plus tres cher acette minute pour le projet qui mavait seduite la veille arriver seuIe en passante a une ferme sudete nimporte Iaquelle et demander Ihospitalite Car je professais alors que pour bien connaitre les gens il fallait etre aleur merdraquo (Fragiles lumieres de la terre p67)

22 Ibid p25-26

23 laquoNous avons trouve que Ies strategies discursives marquant Iexclushysion de limmigrant de la communaute entrent en opposition au desir dappartenance sociale et psychique et que la Iutte interieure est dordre herolqueraquo (Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique raquo p90)

24 Fragiles lumieres de la terre p24

25 Mais que dire de cette autre Martha moins fortunee qui incarne laquola gran de misere des femmes mennonitesraquo et qui sur son lit de mort ne souhaite rien tant que de pouvoir aller traire les vaches pour apaiser sa conscience (Voir laquoLes Mennonitesraquo dans Fragiles lushymitres de la terre)

26 Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique raquo p 91

27 On sait combien lenvironnement social de Saint-Boniface a prepare Gabrielle Roy a lexperience de la difference laquoIl ny avait plus detrangers dans la vie ou alors cest que nous letions tousraquo (Fragiles lumieres de la terre p 156)

28 Unjardin au bout du monde p118-119

29 Fragiles lumiires de la terre p42-43

50 lOOK CHUNG

condition de la femme immigrante doublement exilee (exilee de son pays et exilee de son etre) toujours absorbee dans ses corvees eternellement courbee sous son laquomoushychoir de peineraquo De meme que lenfant immigrant accentue le desarroi et la vulnerabilite propres a la condition de limmigrant la condition de la femme immigrante traduit de falton plus dramatique encore lalienation de lexil car a la perte de lidentite culturelle quimplique le deracinement sajoute celle de lidentite individuelle

11 en resulte alors une desertification du sens qui menace letre a la source meme comme dans la nouvelle laquo Un jardin au bout du monderaquo Au milieu de cet isolement physique et psychique Martha lUkrainienne cultive avec devotion son jardin de fleurs au grand courroux de son mari pour qui une telle coquetterie semble depourvue de sens dans un lieu aussi desole Il est significatif quelle et Step an soient en brouille car ceUe passion pour les fleurs exprime chez Martha une affirmation de son individualite qui equivaushydrait a une insoumission dans un contexte moins symbolishyquement charge25

bull En recreant la beaute autour delle Martha refuse de se laisser annihiler par cette desertificashytion du sens et ces manifestations florales sont autant dactes de foi dans un paysage de doute et de deshumanishysationlaquo [E]lle reussit a communiquer sa passion pour la vie a travers son jardin son mutisme de circonstance loblige a inventer un langage non verbal raquo26

Gabrielle Roy sinteresse a la figure de Ietranger dans la mesure Oll en lui a travers lui se po sent les interrogations les plus intimes de letre humain c est-a-dire dans la mesure Oll l etranger cesse de letre Oll nous le devenons a sa place27

bull

Doll cette vision stereoscopique chez Gabrielle Roy detranshygete et de familiarite de lointain et de proximite cet laquohorishyzonraquo qui devient le vecteur de notre propre devenir

La thematique de [exil et de limmigration 151 dans l(pounduvre de Gabrielle Roy

La narratrice dlaquo Un jardin au bout du monderaquo relate ainsi sa premiere vision de la maison de Martha

Ainsi un jour que rnarnenait sur ceUe route une etrange curiosite rnais plutot une tristesse de lesprit ce gout qui assez souvent rn a prise de decouvrir et de partager la plus totale solitude - jai vu devant rnoi sous le del enorrne contre le vent hostile et parmi les herbes hautes ce petit jardin qui debordait de fleurs

En ce temps-la souvent je me disais a quoi bon ceci a quoi bon cela [ ] Cest a quoi je pensais ce jour ou la lumiere baissant sur cette route qui me semblait ne conduire nulle part je vis au plus creux de la desolation et de la secheresse surgir ces fleurs eclatantes28

Meme si cela nest pas dit explicitement cette scene perlocutoire repond symboliquement aux propres doutes de la narratrice a sa prop re labilite interieure Vne fois lidentification etablie le discours indirect libre peut suivre son cours et la narratrice seffacer derriere Martha 11 est probable que Gabrielle Roy se soit inspiree du moins en partie de la Masha des laquo Turbulents chercheurs de paix raquo29

pour creer le personnage de Martha Meme dans ses reporshytages sur les peuples du Canada la focalisation sur un personnage (par exemple la jeune Barbara dans laquoLes Hutteritesraquo Masha chez les Doukhobors Martha dans laquoLes Mennonitesraquo Rebecca dans laquoLavenue Palestineraquo) ouvre la voie sinon a une identification du moins a une communication intersubjective qui transcende la specificite culturelle du groupe

Nous avons vu que dans lreuvre de Gabrielle Roy la problematique de lexil est abordee selon deux discours axiologiques differents Celui de la sensibilite litteraire dabord qui tend vers la valorisation de la solitude et la singularisation du personnage et ou Iexil est traite de fa~on

52 lOOK CHlJNG

intransitive cest-a-dire depouille de ses modalites geograshyphiques (demotivant alors la notion dethnicite qui devient purement symbolique et pragmatique) Dautre part le discours ethnographique tient compte de la specificite des communautes culturelles et immigrantes lanalyse porte alors surtout sur les interactions du groupe dans son foncshytionnement interne ou dans ses rapports avec la commushynaute daccueil (quant a la portee ideologique de ceUe analyse elle tend toujours vers une vision fraternisante) Entre ces deux disc ours le litteraire et le sociologique existe-t-il une jonction intrinseque ou sagit-il dun assemshyblage oblige de deux thematiques (lexil et limmigration) en realite sans grande relation lune a lautre En tout etat de cause la figure de lexile ethnique ou non nous intershypelle par son universalite Car derriere chaque exile dershyriere chaque Sam Lee W ong il y a avant tout un etre dans son rapport au monde

NOTES

1 Dans Gabrielle Roy Un jardin au bout du montle Montreal Editions du Boreal laquoBoreal Compactraquo 1993 p47-99

2 Le prototype du restaurateur ou du cafetier chinois celui que lon sumomme laquoCharlieraquo apparait dans au moins quatre autres textes de Gabrielle Roy laquoPetite Ukraineraquo et laquoTerre des hommesraquo (repris en volume dans Fragiles lumieres de to terre) La Petite Poule dEau La Detresse et lEnchantement

3 Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique ou lenjeu de la parole dans Un jardin au bout du monde de Gabrielle Royraquo dans Andre Fauchon ed Langue et communication actes du ge colloque du Centre ditudes franco-canadiennes de lGuest Saint-Boniface CEFCO 1990 pp89-102

4 Voir Mikhail M Bakhtine Esthitique et tMorie du roman Paris Gallimard 1978

La thematique de lexil et de limmigration 153 dans llEUvre de Gabrielle Roy

5 Spatialite et temporalite sont deux themes intimement lies dans lreuvre de Gabrielle Roy Par exemple le mot laquohorizonraquo particushylierement significatif dans ce contexte-ci puisque le premier village ou descend Sam Lee Wong sappelle Horizon est souvent jumele au concept dlaquoavenirraquo voir laquoLa maison gardeeraquo dans Ces enfants de ma vie laquoMon heritage du Manitobaraquo dans Fragiles lumieres de la terre La Detresse et lEnchantemen~ ce qui laisse supposer dans la pen see de Roy un laquohorizon de letreraquo OU lalterite se fond dans le meme Bien que dans laquoTerre des hommesraquo le concept dlaquo interdependance humaineraquo revete un caractere ideologique il sinscrit egalement dans une perspective philosophique comme en temoigne lextrait du livre L~venir de lhommede Teilhard de Chardin

6 Lattestent ladverbe et la forme interrogative du titre de la nouvelle laquoHorizonraquo c est ailleurs et partout Il est significatif que nombre des recits de Gabrielle Roy ont pour cadre un nQ mans land situe aux confins de la civilisation au laquobout du monderaquo (expression qui revient presque autant que celle dhorizon) dans un decor extraorshydinairement depouille et plat presque abstrait

7 Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique raquo p94

8 lhid p92

9 Gabrielle Roy laquoPeuples du Canadaraquo dans Fragiles lumiires de to terre Montreal Stanke laquoQuebec 1010raquo 1982 p53

10 laquoEtrangement letranger nous habite il est la face cachee de notre identite lespace qui ruine notre demeure le temps OU sabiment lentente et la sympathie De le reconnaitre en nous no us no us epargnons de le detester en lui-meme Symptome qui rend preciseshyment le laquonousraquo problematique peut-etre impossible letranger commence lorsque surgit la conscience de ma difference et sacheve lorsque nous nous reconnaissons tous etrangers rebel1es aux liens et aux communautesraquo Uulia Kristeva Etrangers anous-memes Paris Fayard 1988 p 9)

11 Gabrielle Roy laquoTerre des hommesraquo dans Fragiles lumieres de la terre p204

12 Gabrielle Roy Ces enfants de ma vie Montreal Editions du Boreal laquoBoreal Compactraquo 1993

13 Fragiles lumieres de la terre p 33 Cest nous qui soulignons

14 Fragiles lumieres de la terre p145

15 Gabrielle Roy Rue Deschambaul~ Montreal Editions clu Bon~al laquoBoreal Compactraquo 1993 p128-136 (passim)

54 lOOK CHUNG

16 Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique raquo p92

17 Fragiles lumieres de la terre p 17-100 laquoLes pecheurs de la Gaspesieraquo est le seul cas qui ne repond pas au critere de lethnidte ce texte ne faisait pas partie de la serie originale de reportages intitulee laquo Peuples du Canadaraquo a la place se trouvait un article sur les Quebecois immigres dans rOuest

18 Une telle desagregation peut avoir des effets dramatiques au sein meme du noyau familial comme dans la relation entre le couple Martha-Stepan et leurs enfants dans la nouvelle laquo Un jardin au bout du monderaquo

19 Fragiles lumieres de la terre p30

20 Lexil geographique pur soppose id a lexil culturel ou existentiel qui chez Gabrielle Roy est un processus transformationneL

21 laquoJe ne donnais plus tres cher acette minute pour le projet qui mavait seduite la veille arriver seuIe en passante a une ferme sudete nimporte Iaquelle et demander Ihospitalite Car je professais alors que pour bien connaitre les gens il fallait etre aleur merdraquo (Fragiles lumieres de la terre p67)

22 Ibid p25-26

23 laquoNous avons trouve que Ies strategies discursives marquant Iexclushysion de limmigrant de la communaute entrent en opposition au desir dappartenance sociale et psychique et que la Iutte interieure est dordre herolqueraquo (Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique raquo p90)

24 Fragiles lumieres de la terre p24

25 Mais que dire de cette autre Martha moins fortunee qui incarne laquola gran de misere des femmes mennonitesraquo et qui sur son lit de mort ne souhaite rien tant que de pouvoir aller traire les vaches pour apaiser sa conscience (Voir laquoLes Mennonitesraquo dans Fragiles lushymitres de la terre)

26 Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique raquo p 91

27 On sait combien lenvironnement social de Saint-Boniface a prepare Gabrielle Roy a lexperience de la difference laquoIl ny avait plus detrangers dans la vie ou alors cest que nous letions tousraquo (Fragiles lumieres de la terre p 156)

28 Unjardin au bout du monde p118-119

29 Fragiles lumiires de la terre p42-43

La thematique de [exil et de limmigration 151 dans l(pounduvre de Gabrielle Roy

La narratrice dlaquo Un jardin au bout du monderaquo relate ainsi sa premiere vision de la maison de Martha

Ainsi un jour que rnarnenait sur ceUe route une etrange curiosite rnais plutot une tristesse de lesprit ce gout qui assez souvent rn a prise de decouvrir et de partager la plus totale solitude - jai vu devant rnoi sous le del enorrne contre le vent hostile et parmi les herbes hautes ce petit jardin qui debordait de fleurs

En ce temps-la souvent je me disais a quoi bon ceci a quoi bon cela [ ] Cest a quoi je pensais ce jour ou la lumiere baissant sur cette route qui me semblait ne conduire nulle part je vis au plus creux de la desolation et de la secheresse surgir ces fleurs eclatantes28

Meme si cela nest pas dit explicitement cette scene perlocutoire repond symboliquement aux propres doutes de la narratrice a sa prop re labilite interieure Vne fois lidentification etablie le discours indirect libre peut suivre son cours et la narratrice seffacer derriere Martha 11 est probable que Gabrielle Roy se soit inspiree du moins en partie de la Masha des laquo Turbulents chercheurs de paix raquo29

pour creer le personnage de Martha Meme dans ses reporshytages sur les peuples du Canada la focalisation sur un personnage (par exemple la jeune Barbara dans laquoLes Hutteritesraquo Masha chez les Doukhobors Martha dans laquoLes Mennonitesraquo Rebecca dans laquoLavenue Palestineraquo) ouvre la voie sinon a une identification du moins a une communication intersubjective qui transcende la specificite culturelle du groupe

Nous avons vu que dans lreuvre de Gabrielle Roy la problematique de lexil est abordee selon deux discours axiologiques differents Celui de la sensibilite litteraire dabord qui tend vers la valorisation de la solitude et la singularisation du personnage et ou Iexil est traite de fa~on

52 lOOK CHlJNG

intransitive cest-a-dire depouille de ses modalites geograshyphiques (demotivant alors la notion dethnicite qui devient purement symbolique et pragmatique) Dautre part le discours ethnographique tient compte de la specificite des communautes culturelles et immigrantes lanalyse porte alors surtout sur les interactions du groupe dans son foncshytionnement interne ou dans ses rapports avec la commushynaute daccueil (quant a la portee ideologique de ceUe analyse elle tend toujours vers une vision fraternisante) Entre ces deux disc ours le litteraire et le sociologique existe-t-il une jonction intrinseque ou sagit-il dun assemshyblage oblige de deux thematiques (lexil et limmigration) en realite sans grande relation lune a lautre En tout etat de cause la figure de lexile ethnique ou non nous intershypelle par son universalite Car derriere chaque exile dershyriere chaque Sam Lee W ong il y a avant tout un etre dans son rapport au monde

NOTES

1 Dans Gabrielle Roy Un jardin au bout du montle Montreal Editions du Boreal laquoBoreal Compactraquo 1993 p47-99

2 Le prototype du restaurateur ou du cafetier chinois celui que lon sumomme laquoCharlieraquo apparait dans au moins quatre autres textes de Gabrielle Roy laquoPetite Ukraineraquo et laquoTerre des hommesraquo (repris en volume dans Fragiles lumieres de to terre) La Petite Poule dEau La Detresse et lEnchantement

3 Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique ou lenjeu de la parole dans Un jardin au bout du monde de Gabrielle Royraquo dans Andre Fauchon ed Langue et communication actes du ge colloque du Centre ditudes franco-canadiennes de lGuest Saint-Boniface CEFCO 1990 pp89-102

4 Voir Mikhail M Bakhtine Esthitique et tMorie du roman Paris Gallimard 1978

La thematique de lexil et de limmigration 153 dans llEUvre de Gabrielle Roy

5 Spatialite et temporalite sont deux themes intimement lies dans lreuvre de Gabrielle Roy Par exemple le mot laquohorizonraquo particushylierement significatif dans ce contexte-ci puisque le premier village ou descend Sam Lee Wong sappelle Horizon est souvent jumele au concept dlaquoavenirraquo voir laquoLa maison gardeeraquo dans Ces enfants de ma vie laquoMon heritage du Manitobaraquo dans Fragiles lumieres de la terre La Detresse et lEnchantemen~ ce qui laisse supposer dans la pen see de Roy un laquohorizon de letreraquo OU lalterite se fond dans le meme Bien que dans laquoTerre des hommesraquo le concept dlaquo interdependance humaineraquo revete un caractere ideologique il sinscrit egalement dans une perspective philosophique comme en temoigne lextrait du livre L~venir de lhommede Teilhard de Chardin

6 Lattestent ladverbe et la forme interrogative du titre de la nouvelle laquoHorizonraquo c est ailleurs et partout Il est significatif que nombre des recits de Gabrielle Roy ont pour cadre un nQ mans land situe aux confins de la civilisation au laquobout du monderaquo (expression qui revient presque autant que celle dhorizon) dans un decor extraorshydinairement depouille et plat presque abstrait

7 Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique raquo p94

8 lhid p92

9 Gabrielle Roy laquoPeuples du Canadaraquo dans Fragiles lumiires de to terre Montreal Stanke laquoQuebec 1010raquo 1982 p53

10 laquoEtrangement letranger nous habite il est la face cachee de notre identite lespace qui ruine notre demeure le temps OU sabiment lentente et la sympathie De le reconnaitre en nous no us no us epargnons de le detester en lui-meme Symptome qui rend preciseshyment le laquonousraquo problematique peut-etre impossible letranger commence lorsque surgit la conscience de ma difference et sacheve lorsque nous nous reconnaissons tous etrangers rebel1es aux liens et aux communautesraquo Uulia Kristeva Etrangers anous-memes Paris Fayard 1988 p 9)

11 Gabrielle Roy laquoTerre des hommesraquo dans Fragiles lumieres de la terre p204

12 Gabrielle Roy Ces enfants de ma vie Montreal Editions du Boreal laquoBoreal Compactraquo 1993

13 Fragiles lumieres de la terre p 33 Cest nous qui soulignons

14 Fragiles lumieres de la terre p145

15 Gabrielle Roy Rue Deschambaul~ Montreal Editions clu Bon~al laquoBoreal Compactraquo 1993 p128-136 (passim)

54 lOOK CHUNG

16 Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique raquo p92

17 Fragiles lumieres de la terre p 17-100 laquoLes pecheurs de la Gaspesieraquo est le seul cas qui ne repond pas au critere de lethnidte ce texte ne faisait pas partie de la serie originale de reportages intitulee laquo Peuples du Canadaraquo a la place se trouvait un article sur les Quebecois immigres dans rOuest

18 Une telle desagregation peut avoir des effets dramatiques au sein meme du noyau familial comme dans la relation entre le couple Martha-Stepan et leurs enfants dans la nouvelle laquo Un jardin au bout du monderaquo

19 Fragiles lumieres de la terre p30

20 Lexil geographique pur soppose id a lexil culturel ou existentiel qui chez Gabrielle Roy est un processus transformationneL

21 laquoJe ne donnais plus tres cher acette minute pour le projet qui mavait seduite la veille arriver seuIe en passante a une ferme sudete nimporte Iaquelle et demander Ihospitalite Car je professais alors que pour bien connaitre les gens il fallait etre aleur merdraquo (Fragiles lumieres de la terre p67)

22 Ibid p25-26

23 laquoNous avons trouve que Ies strategies discursives marquant Iexclushysion de limmigrant de la communaute entrent en opposition au desir dappartenance sociale et psychique et que la Iutte interieure est dordre herolqueraquo (Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique raquo p90)

24 Fragiles lumieres de la terre p24

25 Mais que dire de cette autre Martha moins fortunee qui incarne laquola gran de misere des femmes mennonitesraquo et qui sur son lit de mort ne souhaite rien tant que de pouvoir aller traire les vaches pour apaiser sa conscience (Voir laquoLes Mennonitesraquo dans Fragiles lushymitres de la terre)

26 Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique raquo p 91

27 On sait combien lenvironnement social de Saint-Boniface a prepare Gabrielle Roy a lexperience de la difference laquoIl ny avait plus detrangers dans la vie ou alors cest que nous letions tousraquo (Fragiles lumieres de la terre p 156)

28 Unjardin au bout du monde p118-119

29 Fragiles lumiires de la terre p42-43

52 lOOK CHlJNG

intransitive cest-a-dire depouille de ses modalites geograshyphiques (demotivant alors la notion dethnicite qui devient purement symbolique et pragmatique) Dautre part le discours ethnographique tient compte de la specificite des communautes culturelles et immigrantes lanalyse porte alors surtout sur les interactions du groupe dans son foncshytionnement interne ou dans ses rapports avec la commushynaute daccueil (quant a la portee ideologique de ceUe analyse elle tend toujours vers une vision fraternisante) Entre ces deux disc ours le litteraire et le sociologique existe-t-il une jonction intrinseque ou sagit-il dun assemshyblage oblige de deux thematiques (lexil et limmigration) en realite sans grande relation lune a lautre En tout etat de cause la figure de lexile ethnique ou non nous intershypelle par son universalite Car derriere chaque exile dershyriere chaque Sam Lee W ong il y a avant tout un etre dans son rapport au monde

NOTES

1 Dans Gabrielle Roy Un jardin au bout du montle Montreal Editions du Boreal laquoBoreal Compactraquo 1993 p47-99

2 Le prototype du restaurateur ou du cafetier chinois celui que lon sumomme laquoCharlieraquo apparait dans au moins quatre autres textes de Gabrielle Roy laquoPetite Ukraineraquo et laquoTerre des hommesraquo (repris en volume dans Fragiles lumieres de to terre) La Petite Poule dEau La Detresse et lEnchantement

3 Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique ou lenjeu de la parole dans Un jardin au bout du monde de Gabrielle Royraquo dans Andre Fauchon ed Langue et communication actes du ge colloque du Centre ditudes franco-canadiennes de lGuest Saint-Boniface CEFCO 1990 pp89-102

4 Voir Mikhail M Bakhtine Esthitique et tMorie du roman Paris Gallimard 1978

La thematique de lexil et de limmigration 153 dans llEUvre de Gabrielle Roy

5 Spatialite et temporalite sont deux themes intimement lies dans lreuvre de Gabrielle Roy Par exemple le mot laquohorizonraquo particushylierement significatif dans ce contexte-ci puisque le premier village ou descend Sam Lee Wong sappelle Horizon est souvent jumele au concept dlaquoavenirraquo voir laquoLa maison gardeeraquo dans Ces enfants de ma vie laquoMon heritage du Manitobaraquo dans Fragiles lumieres de la terre La Detresse et lEnchantemen~ ce qui laisse supposer dans la pen see de Roy un laquohorizon de letreraquo OU lalterite se fond dans le meme Bien que dans laquoTerre des hommesraquo le concept dlaquo interdependance humaineraquo revete un caractere ideologique il sinscrit egalement dans une perspective philosophique comme en temoigne lextrait du livre L~venir de lhommede Teilhard de Chardin

6 Lattestent ladverbe et la forme interrogative du titre de la nouvelle laquoHorizonraquo c est ailleurs et partout Il est significatif que nombre des recits de Gabrielle Roy ont pour cadre un nQ mans land situe aux confins de la civilisation au laquobout du monderaquo (expression qui revient presque autant que celle dhorizon) dans un decor extraorshydinairement depouille et plat presque abstrait

7 Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique raquo p94

8 lhid p92

9 Gabrielle Roy laquoPeuples du Canadaraquo dans Fragiles lumiires de to terre Montreal Stanke laquoQuebec 1010raquo 1982 p53

10 laquoEtrangement letranger nous habite il est la face cachee de notre identite lespace qui ruine notre demeure le temps OU sabiment lentente et la sympathie De le reconnaitre en nous no us no us epargnons de le detester en lui-meme Symptome qui rend preciseshyment le laquonousraquo problematique peut-etre impossible letranger commence lorsque surgit la conscience de ma difference et sacheve lorsque nous nous reconnaissons tous etrangers rebel1es aux liens et aux communautesraquo Uulia Kristeva Etrangers anous-memes Paris Fayard 1988 p 9)

11 Gabrielle Roy laquoTerre des hommesraquo dans Fragiles lumieres de la terre p204

12 Gabrielle Roy Ces enfants de ma vie Montreal Editions du Boreal laquoBoreal Compactraquo 1993

13 Fragiles lumieres de la terre p 33 Cest nous qui soulignons

14 Fragiles lumieres de la terre p145

15 Gabrielle Roy Rue Deschambaul~ Montreal Editions clu Bon~al laquoBoreal Compactraquo 1993 p128-136 (passim)

54 lOOK CHUNG

16 Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique raquo p92

17 Fragiles lumieres de la terre p 17-100 laquoLes pecheurs de la Gaspesieraquo est le seul cas qui ne repond pas au critere de lethnidte ce texte ne faisait pas partie de la serie originale de reportages intitulee laquo Peuples du Canadaraquo a la place se trouvait un article sur les Quebecois immigres dans rOuest

18 Une telle desagregation peut avoir des effets dramatiques au sein meme du noyau familial comme dans la relation entre le couple Martha-Stepan et leurs enfants dans la nouvelle laquo Un jardin au bout du monderaquo

19 Fragiles lumieres de la terre p30

20 Lexil geographique pur soppose id a lexil culturel ou existentiel qui chez Gabrielle Roy est un processus transformationneL

21 laquoJe ne donnais plus tres cher acette minute pour le projet qui mavait seduite la veille arriver seuIe en passante a une ferme sudete nimporte Iaquelle et demander Ihospitalite Car je professais alors que pour bien connaitre les gens il fallait etre aleur merdraquo (Fragiles lumieres de la terre p67)

22 Ibid p25-26

23 laquoNous avons trouve que Ies strategies discursives marquant Iexclushysion de limmigrant de la communaute entrent en opposition au desir dappartenance sociale et psychique et que la Iutte interieure est dordre herolqueraquo (Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique raquo p90)

24 Fragiles lumieres de la terre p24

25 Mais que dire de cette autre Martha moins fortunee qui incarne laquola gran de misere des femmes mennonitesraquo et qui sur son lit de mort ne souhaite rien tant que de pouvoir aller traire les vaches pour apaiser sa conscience (Voir laquoLes Mennonitesraquo dans Fragiles lushymitres de la terre)

26 Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique raquo p 91

27 On sait combien lenvironnement social de Saint-Boniface a prepare Gabrielle Roy a lexperience de la difference laquoIl ny avait plus detrangers dans la vie ou alors cest que nous letions tousraquo (Fragiles lumieres de la terre p 156)

28 Unjardin au bout du monde p118-119

29 Fragiles lumiires de la terre p42-43

La thematique de lexil et de limmigration 153 dans llEUvre de Gabrielle Roy

5 Spatialite et temporalite sont deux themes intimement lies dans lreuvre de Gabrielle Roy Par exemple le mot laquohorizonraquo particushylierement significatif dans ce contexte-ci puisque le premier village ou descend Sam Lee Wong sappelle Horizon est souvent jumele au concept dlaquoavenirraquo voir laquoLa maison gardeeraquo dans Ces enfants de ma vie laquoMon heritage du Manitobaraquo dans Fragiles lumieres de la terre La Detresse et lEnchantemen~ ce qui laisse supposer dans la pen see de Roy un laquohorizon de letreraquo OU lalterite se fond dans le meme Bien que dans laquoTerre des hommesraquo le concept dlaquo interdependance humaineraquo revete un caractere ideologique il sinscrit egalement dans une perspective philosophique comme en temoigne lextrait du livre L~venir de lhommede Teilhard de Chardin

6 Lattestent ladverbe et la forme interrogative du titre de la nouvelle laquoHorizonraquo c est ailleurs et partout Il est significatif que nombre des recits de Gabrielle Roy ont pour cadre un nQ mans land situe aux confins de la civilisation au laquobout du monderaquo (expression qui revient presque autant que celle dhorizon) dans un decor extraorshydinairement depouille et plat presque abstrait

7 Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique raquo p94

8 lhid p92

9 Gabrielle Roy laquoPeuples du Canadaraquo dans Fragiles lumiires de to terre Montreal Stanke laquoQuebec 1010raquo 1982 p53

10 laquoEtrangement letranger nous habite il est la face cachee de notre identite lespace qui ruine notre demeure le temps OU sabiment lentente et la sympathie De le reconnaitre en nous no us no us epargnons de le detester en lui-meme Symptome qui rend preciseshyment le laquonousraquo problematique peut-etre impossible letranger commence lorsque surgit la conscience de ma difference et sacheve lorsque nous nous reconnaissons tous etrangers rebel1es aux liens et aux communautesraquo Uulia Kristeva Etrangers anous-memes Paris Fayard 1988 p 9)

11 Gabrielle Roy laquoTerre des hommesraquo dans Fragiles lumieres de la terre p204

12 Gabrielle Roy Ces enfants de ma vie Montreal Editions du Boreal laquoBoreal Compactraquo 1993

13 Fragiles lumieres de la terre p 33 Cest nous qui soulignons

14 Fragiles lumieres de la terre p145

15 Gabrielle Roy Rue Deschambaul~ Montreal Editions clu Bon~al laquoBoreal Compactraquo 1993 p128-136 (passim)

54 lOOK CHUNG

16 Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique raquo p92

17 Fragiles lumieres de la terre p 17-100 laquoLes pecheurs de la Gaspesieraquo est le seul cas qui ne repond pas au critere de lethnidte ce texte ne faisait pas partie de la serie originale de reportages intitulee laquo Peuples du Canadaraquo a la place se trouvait un article sur les Quebecois immigres dans rOuest

18 Une telle desagregation peut avoir des effets dramatiques au sein meme du noyau familial comme dans la relation entre le couple Martha-Stepan et leurs enfants dans la nouvelle laquo Un jardin au bout du monderaquo

19 Fragiles lumieres de la terre p30

20 Lexil geographique pur soppose id a lexil culturel ou existentiel qui chez Gabrielle Roy est un processus transformationneL

21 laquoJe ne donnais plus tres cher acette minute pour le projet qui mavait seduite la veille arriver seuIe en passante a une ferme sudete nimporte Iaquelle et demander Ihospitalite Car je professais alors que pour bien connaitre les gens il fallait etre aleur merdraquo (Fragiles lumieres de la terre p67)

22 Ibid p25-26

23 laquoNous avons trouve que Ies strategies discursives marquant Iexclushysion de limmigrant de la communaute entrent en opposition au desir dappartenance sociale et psychique et que la Iutte interieure est dordre herolqueraquo (Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique raquo p90)

24 Fragiles lumieres de la terre p24

25 Mais que dire de cette autre Martha moins fortunee qui incarne laquola gran de misere des femmes mennonitesraquo et qui sur son lit de mort ne souhaite rien tant que de pouvoir aller traire les vaches pour apaiser sa conscience (Voir laquoLes Mennonitesraquo dans Fragiles lushymitres de la terre)

26 Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique raquo p 91

27 On sait combien lenvironnement social de Saint-Boniface a prepare Gabrielle Roy a lexperience de la difference laquoIl ny avait plus detrangers dans la vie ou alors cest que nous letions tousraquo (Fragiles lumieres de la terre p 156)

28 Unjardin au bout du monde p118-119

29 Fragiles lumiires de la terre p42-43

54 lOOK CHUNG

16 Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique raquo p92

17 Fragiles lumieres de la terre p 17-100 laquoLes pecheurs de la Gaspesieraquo est le seul cas qui ne repond pas au critere de lethnidte ce texte ne faisait pas partie de la serie originale de reportages intitulee laquo Peuples du Canadaraquo a la place se trouvait un article sur les Quebecois immigres dans rOuest

18 Une telle desagregation peut avoir des effets dramatiques au sein meme du noyau familial comme dans la relation entre le couple Martha-Stepan et leurs enfants dans la nouvelle laquo Un jardin au bout du monderaquo

19 Fragiles lumieres de la terre p30

20 Lexil geographique pur soppose id a lexil culturel ou existentiel qui chez Gabrielle Roy est un processus transformationneL

21 laquoJe ne donnais plus tres cher acette minute pour le projet qui mavait seduite la veille arriver seuIe en passante a une ferme sudete nimporte Iaquelle et demander Ihospitalite Car je professais alors que pour bien connaitre les gens il fallait etre aleur merdraquo (Fragiles lumieres de la terre p67)

22 Ibid p25-26

23 laquoNous avons trouve que Ies strategies discursives marquant Iexclushysion de limmigrant de la communaute entrent en opposition au desir dappartenance sociale et psychique et que la Iutte interieure est dordre herolqueraquo (Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique raquo p90)

24 Fragiles lumieres de la terre p24

25 Mais que dire de cette autre Martha moins fortunee qui incarne laquola gran de misere des femmes mennonitesraquo et qui sur son lit de mort ne souhaite rien tant que de pouvoir aller traire les vaches pour apaiser sa conscience (Voir laquoLes Mennonitesraquo dans Fragiles lushymitres de la terre)

26 Estelle Dansereau laquoLe mutisme ethnique raquo p 91

27 On sait combien lenvironnement social de Saint-Boniface a prepare Gabrielle Roy a lexperience de la difference laquoIl ny avait plus detrangers dans la vie ou alors cest que nous letions tousraquo (Fragiles lumieres de la terre p 156)

28 Unjardin au bout du monde p118-119

29 Fragiles lumiires de la terre p42-43