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La Tolérance: essai d'anthologie; 1988

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La tolérance

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Portrait d 'Erasme censuré par l'Inquisition espagnole. Biblioteca Nacional, Madrid. {Photo : Snark International.)

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La tolérance essai d'anthologie

Textes choisis et présentés par ZAGHLOUL M O R S Y

UNESCO

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Les opinions exprimées à travers ces textes sont celles

de leurs auteurs et ne sauraient engager l'UNESCO

Publié par l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture, 7, place de Fontenoy, 75352 Paris 07 SP

Ire édition 1975 par les Editions Arabes 2e édition 1988 Réimpression 1993

Impression : Imprimerie Floch, Mayenne

© UNESCO, 1974,1988,1993

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Sommaire

REPÈRES 1

L ' H O M M E DE L'AMBIVALENCE 5

L a postulation spirituelle 5

L e postulat de la violence 9

P R O P H È T E S D É S A R M É S : VARIATIONS SUR U N MESSAGE 15

Une transcendance créatrice 16

Les hommes : semblables, égaux 21

Quatre commandements 23

Le devoir d'amour 23

L'amour et la justice 26

L'impératif de justice 29

Prêcher, non violenter 31

L a mort et les fins dernières 33

L E MESSAGE RÊVÉ 41

Cité charnelle, cité de Dieu, utopies 42

Disputations rationnelles : le salut de la

« conscience errante » 49

Disputations confessionnelles : la prière

d ' A b r a h a m 54

VICAIRES ARMÉS : LE MESSAGE À L'ÉPREUVE DU RÉEL 69

U n e machine infernale : l'intolérance 71

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SOMMAIRE

Asie : la voix indienne 71 Gages et représentations 75 Interlude 83 Doléances 93 Le point de fait : « Dieu ou Mammon ? » 101 Sous les yeux d'Occident... 102 Sous l'œil des Barbares 111 Fin ou commencement ? 124 U n drame suspendu 132

L A VÉRITÉ EN QUESTION 137

La trahison du message 138 L'alternative 145 Le fond du problème 151 Vérité et violence 151 Conscience et droit 169 L'homme et le citoyen 176 Asie : la voie chinoise 186

L A TOLÉRANCE : C O N C E P T FIGÉ O U NOTION D Y N A M I Q U E ? 195

Edits, décrets, ouvertures... 197 Les ruses de la tolérance formelle 205 Minorités à part entière ou citoyens sans droits? 218 U n accord ambigu 238 Concessions spirituelles 238 La pierre de touche de la censure 248 Le refus du ghetto 266 L a fin de la tolérance classique 268 Clausule d'attente 275

D E L A TOLÉRANCE À L A CONNAISSANCE 277

Le mystique et le désir de salut universel 280 Le politique et le combat pour le bonheur ici

d'abord 285 H o m m e ancien, monde nouveau 291 Si l 'homme ne déchoit... 294

Bibliographie 295

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Repères

Les thèmes et les termes du problème sont tous là, explicites ou en germe

en ces cinq textes, mais apparemment sans lien : d'une part, une

harmonie universelle postulée et source d'unité— symbolisée ici par la

Sagesse inventant la musique, la valeur absolue de toute vie dans

l'essentielle responsabilité réciproque de chaque homme et de la

communauté humaine, la supériorité enfin de l'amour sur la violence ;

en face, et du fait paradoxal de l'homme même, le scandale de la

différence supposée maléfique des convictions, des « objets » de culte,

de la couleur de la peau... Entre les deux, une même puissance

multiforme : l'or, ou, si l'on veut, sa prétention au pouvoir, à tous les

pouvoirs.

Le présent ouvrage est le lieu de la nouaison et d'un essai de

restitution de cette tragédie optimiste.

1

M a i s q u a n d elle (Athena) eut sauvé de cet exploit périlleux le héros qui lui était cher, la Déesse fabriqua la flûte, l'instrument riche en sons d e toute espèce, pour imiter avec lui la plainte sonore qu'Euryale proferait de ses lèvres fébriles ; elle l'inventa, et, l'ayant inventé, en fit cadeau aux mortels, en donnant son n o m au n o m e à plusieurs têtes, à cet air glorieux qui évoque les luttes pour lesquelles s 'émeuvent

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2

LA T O L É R A N C E

les peuples et que laisse s'écouler l'airain léger, adapté à ces fidèles témoins des choreutes, les roseaux poussés près de la ville des Grâces, dans l'enceinte de la n y m p h e de Céphise. Si les h o m m e s obtiennent quelque félicité, ce n'est jamais sans labeur. L a divinité peut y mettre le comble aujourd'hui ; — mais le destin demeure inévitable; un jour peut venir, qui, trompant notre espérance, à l'inverse de notre attente, nous donnera ceci — et nous fera attendre encore le reste !

Pindare, 521-441 av. J . - C , Grèce, Olympiques, 12e

2

Voilà pourquoi nous avons prescrit aux fils d'Israël : « Celui qui a tué un h o m m e

qui lui-même n 'a pas tué, ou qui n'a pas commis de violence sur la terre, est considéré c o m m e s'il avait tué tous les h o m m e s ;

et celui qui sauve un seul h o m m e

est considéré c o m m e s'il avait sauvé tous les h o m m e s . » Le Coran, Sourate v, La table servie

3

O n se demande parfois, surtout en présence du péché : Faut-il recourir à la force ou à l'humble amour? N'employez jamais que cet amour , vous pourrez ainsi soumettre le m o n d e entier.

L'humanité pleine d 'amour est une force redoutable, à nulle autre pareille.

Dostoïevski, Russie, Les frères Karamazov, 1880

4

(...) Car il y a ce mal

ci-gît au comble de m o i - m ê m e couché dans une grande mare la sourde sans ressac quand le jour vorace m e surprit m o n odeur

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3

REPÈRES

de ce sang du mien tu diras que toujours au seuil il tenta de son galop amer que plus juste devant Dieu que leurs bouches exactes m o n mensonge (...)

Aimé Césaire, Martinique, Ferrements, 1960

5

L'or est une chose merveilleuse ! Qui le possède est maître de tout ce qu'il désire. A u moyen de l'or on peut m ê m e ouvrir aux âmes les portes du Paradis.

Christophe Colomb, Gênes, Lettre de la Jamaïque, 1503

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L'homme de l'ambivalence

D'emblée, un paradoxe sinon une aporie : un homme sans visage — de la race, de la culture, de la religion, du temps, du lieu que l'on

voudra — élève un hymne de grâce à un créateur (dieu ou principe

transcendant) dans et à travers la création et les créatures ; de cette

prière plurielle et une se dégagent quelques valeurs universelles

fondamentales souvent en une confondues : la nécessité de la paix, de

la justice, de l'amour; or, cet homme même, dans le même temps,

dévoilant son visage, pense abolir la raison par le poison, l'amour juste

par la croix, la liberté par le fer et le feu.

La justice, la liberté et l'amour vrais seront donc l'enjeu de cette

contradiction dramatique.

L a postulation spirituelle

6

La confession négative

(papyrus Nu)

La défunt s'adressant à Osiris :

Voici que j'apporte dans m o n c œ u r la Vérité et la Justice, Car j 'en ai arraché tout le M a l .

Je n'ai pas causé de souffrance aux h o m m e s .

Je n'ai pas usé de violence contre m a parenté.

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LA T O L É R A N C E

Je n'ai pas substitué l'Injustice à la Justice.

(...) Je n'ai pas commis de crimes.

Je n'ai pas fait travailler pour mo i avec excès. (...)

Je n'ai pas maltraité m e s serviteurs.

Je n'ai pas blasphémé les dieux.

Je n'ai pas privé l'indigent de sa subsistance. Je n'ai pas commis d'actes exécrés des dieux. Je n'ai pas permis q u ' u n serviteur fût maltraité par son

maître. Je n'ai pas fait souffrir autrui. (...)

Je n'ai pas fait pleurer les h o m m e s , m e s semblables.

Je n'ai pas tué ni ordonné de meurtre. Le Livre des Morts, Egypte ancienne

7

Allez ensemble, parlez d 'une seule voix, puissent vos esprits avoir les m ê m e s pensées, c o m m e les dieux d'autrefois partageaient leur portion sacrificielle en pleine concorde ! Q u e la concorde marque leurs délibérations, leurs décisions, leurs esprits, leurs pensées ! J'assure votre délibération harmonieuse par m o n incantation; j'offre pour vous une oblation c o m m u n e . Q u e vos intentions s'accordent et que vos coeurs s'accordent ! Q u e vos esprits s'accordent afin qu'il y ait entre vous une harmonie parfaite !

Rigveda, x, Traduit du sanscrit

8

Q u e la paix règne dans le m o n d e , que la calebasse s'accorde avec le pot. Q u e leurs bêtes s'accordent et que toute mauvaise parole soit chassée dans la brousse, dans la forêt vierge.

Prière de Guinée

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L ' H O M M E D E L ' A M B I V A L E N C E

9 V œ u x des ancêtres Quiche

O h toi, Tzacol, Bitol, Créateur, Façonneur,

Regarde-nous, écoute-nous! (...)

Q u e l'aube arrive, que le jour vienne!

Donne-nous beaucoup de bonnes routes,

Des routes bien unies,

Q u e les peuples vivent en paix,

Qu'ils jouissent d'une longue paix,

Donne-leur la prospérité,

Donne-nous une bonne vie et une utile existence !

Popol Vuh, (Livre sacré des Quiche), Guatemala

10

A u n o m de Dieu :

celui qui fait miséricorde,

le Miséricordieux.

Louange à Dieu,

Seigneur des Mondes :

celui qui fait miséricorde,

le Miséricordieux,

le Roi du Jour du Jugement.

C'est toi que nous adorons,

c'est toi

dont nous implorons le secours.

Dirige-nous dans le droit chemin :

le chemin de ceux que tu as comblés de bienfaits ;

non pas le chemin de ceux qui encourent ta colère, ni celui

des égarés.

Le Coran, Sourate i, La Fâtiha

11

Soyons en paix avec notre propre peuple

et avec les peuples qui nous sont étrangers,

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LA T O L É R A N C E

Asvins, crée entre nous et les étrangers une unité de cœur.

Atharvaveda, (Hymnes du Veda), 1200-1000 av. J.-C.

12 Le Chœur

Il est bien des merveilles en ce m o n d e , il n'en est pas de plus

grande que l ' h o m m e . Il est l'être qui sait traverser la mer grise, à l'heure où

soufflent le vent du sud et ses orages, et qui va son chemin au milieu des abîmes

que lui ouvrent les flots soulevés. Il est l'être qui tourmente la déesse auguste entre toutes, la Terre. (...)

Les oiseaux étourdis, il les enserre et il les prend, tout c o m m e le gibier des champs et les poissons peuplant les mers, dans les mailles de ses filets,

l 'homme à l'esprit ingénieux. Par ses engins il se rend maître de l'animal sauvage qui va courant les monts, et, le m o m e n t venu, il mettra sous le joug et le cheval à l'épaisse crinière et l'infatigable taureau des montagnes.

Parole, pensée vite c o m m e le vent, aspirations d 'où naissent les cités, tout cela, il se l'est enseigné à lui-même, aussi bien qu'il a su, en se faisant un gîte,

se dérober aux traits du gel ou de la pluie, cruels à ceux qui n'ont d'autre toit que le ciel.

Bien armé contre tout, il ne se voit désarmé contre rien de ce que peut lui offrir l'avenir. Contre la mort seule, il n'aura jamais de charme permettant de lui échapper, bien qu'il ait déjà su contre les maladies les plus opiniâtres imaginer plus d 'un remède.

Mais, ainsi maître d 'un savoir dont les ingénieuses ressources dépassent toute espérance, il peut prendre ensuite la route du mal tout c o m m e du bien.

Qu'il fasse donc dans ce savoir une part aux lois de sa ville et à la justice des dieux, à laquelle il a juré foi !

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L ' H O M M E DE L 'AMBIVALENCE

Il montera alors très haut dans sa cité, tandis qu'il s'exclut de cette cité le jour où il laisse le crime le contaminer par bravade.

A h ! qu'il n'ait plus de part alors à m o n foyer ni parmi mes amis, si c'est là c o m m e il se comporte !

Sophocle, Grèce antique, Antigone, 441 av. J.-C.

L e postulat de la violence

13 La plainte de Mélétos

S O C R A T E : (...) Maintenant, c'est à cet honnête h o m m e de Mélétos, à cet ami dévoué de la cité c o m m e il se qualifie lui-m ê m e et à mes récents accusateurs que je vais essayer de répondre. O r , puisqu'ils sont distincts des précédents, prenons à son tour le texte de leur plainte. Le voici à peu près : « Socrate, dit-elle, est coupable de corrompre des jeunes gens, de ne pas croire aux dieux auxquels croit la cité et de leur substituer des divinités nouvelles. » Telle est la plainte. Examinons-la point par point.

(La défense de Socrate)

S O C R A T E : (...) Explique-nous, Mélétos, de quelle façon tu prétends que je corromps les jeunes gens. O u plutôt, ne résulte-t-il pas du texte m ê m e de ta plainte que c'est en leur enseignant de ne pas croire aux dieux auxquels croit la cité, mais à d'autres, à des dieux nouveaux? C'est bien ainsi, selon toi, queje les corromps?

— En effet, je l'affirme énergiquement.

— E n ce cas, Mélétos, au n o m de ces dieux m ê m e s dont il est question, explique-nous plus clairement encore ta pensée, à ces juges et à moi . Il y a une chose que je ne comprends pas bien : admets-tu que j'enseigne l'existence de certains dieux — en ce cas, croyant m o i - m ê m e à des dieux, je ne suis en aucune façon un athée, et à cet égard je suis hors de cause — mais prétends-tu seulement que mes dieux

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LA T O L É R A N C E

ne sont pas ceux de la cité, que ce sont d'autres dieux, et est-ce de cela que tu m e fais grief? ou bien, soutiens-tu queje ne crois à aucun dieu et que j'enseigne à n'y pas croire?

— Oui, voilà ce que je soutiens : c'est que tu ne crois à aucun dieu.

— Merveilleuse assurance, Mélétos ! Mais enfin, que veux-tu dire ? que je ne reconnais pas m ê m e la lune et le soleil pour des dieux, c o m m e tout le monde ?

— Non , juges, il ne les reconnaît pas pour tels, il affirme que le soleil est une pierre et que la lune est une terre...

— Enfin, par Zeus, c'est là ta pensée, je ne crois à aucun dieu?

— À aucun, par Zeus, à aucun, absolument.

— Quelle défiance, Mélétos. T u en viens, ce m e semble, à ne plus te croire toi-même. M a pensée, Athéniens, est qu'il se moque de nous impudemment . Car il est clair pour moi qu'il se contredit à plaisir dans sa plainte qui, en s o m m e , revient à ceci : « Socrate est coupable de ne pas croire aux dieux, bien que d'ailleurs il croie aux dieux. » (...)

Il ne m e paraît pas qu'il soit juste de prier des juges, d'arracher par des prières un acquittement qui doit être obtenu par l'exposé des faits et la persuasion. N o n , le juge ne siège pas pour faire de la justice une faveur mais pour décider ce qui est juste. Il a juré non de favoriser capricieusement tel ou tel, mais déjuger selon les lois. E n conséquence, nous ne devons pas plus vous accoutumer au parjure que vous ne devez vous y accoutumer vous-mêmes ; nous offenserions les dieux, les uns et les autres.

Ainsi, n'exigez pas, Athéniens, que je m e comporte envers vous d'une manière qui ne m e semble ni honorable ni juste, ni agréable aux dieux, surtout, par Zeus, lorsque je suis accusé d'impiété par Mélétos, ici présent. Car, évidemment, si je vous persuadais à force de prières, si je faisais silence à votre serment, je vous enseignerais à croire qu'il n'y a pas de dieux ; m e défendre ainsi, ce serait m'accuser clairement moi -même de ne pas croire en eux. Mais il s'en faut que cela soit. J'y crois, Athéniens, c o m m e n'y croit aucun de mes accusateurs, c'est pourquoi je m ' e n remets à vous et à la

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L ' H O M M E DE L 'AMBIVALENCE

divinité du soin de décider ce qui vaudra le mieux pour moi

c o m m e pour vous. (...)

Maintenant, nous allons sortir d'ici, moi jugé par vous

digne de mort, eux [mes accusateurs] jugés par la vérité,

coupables d'imposture et d'injustice. E h bien, je m ' e n tiens

à m o n estimation, c o m m e eux à la leur (...)

Quant à l'avenir, je désire vous faire une prédiction, à

vous qui m 'avez condamné (...) Je vous annonce donc, à

vous qui m'avez fait mourir que vous aurez à subir, dès que

j'aurai cessé de vivre, un châtiment bien plus dur, par Zeus,

que celui que vous m'avez infligé. E n m e condamnant, vous

avez cru vous délivrer de l'enquête exercée sur votre vie ; or,

c'est le contraire qui s'ensuivra, je vous le garantis. Oui , vous

aurez affaire à d'autres enquêteurs, plus nombreux, que je

réprimais, sans que vous vous en soyez doutés. Enquêteurs

d'autant plus importuns qu'ils sont plus jeunes. Et ils vous

irriteront davantage. Car, si vous vous figurez qu'en tuant les

gens, vous empêcherez qu'il ne se trouve quelqu'un pour

vous reprocher de vivre mal, vous vous trompez. Cette

manière de se débarrasser des censeurs, entendez-le bien,

n'est ni très efficace ni honorable. U n e seule est honorable et

d'ailleurs très facile : elle consiste, non pas à fermer la bouche

aux autres, mais à se rendre vraiment h o m m e de bien. Voilà

ce que j'avais à prédire à ceux de vous qui m 'ont condamné.

(...) Mais voici l'heure de nous en aller, moi pour mourir,

vous pour vivre. D e m o n sort ou du vôtre, lequel est le

meilleur? Personne ne le sait, si ce n'est la divinité.

Platon, 429-347 av. J . - C , Grèce antique, Apologie de Socrate

14

Jésus devant Pilate

(...) Alors Pilate rentra dans le prétoire. Il appela Jésus et lui

dit : « T u es le roi des Juifs ? » Jésus répondit : « Dis-tu cela

de toi-même ou d'autres te l'ont-ils dit de moi? » Pilate

répondit : « Est-ce queje suis Juif, moi? Ceux de ta nation

et les grands prêtres t'ont remis entre mes mains. Qu'as-tu

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LA T O L É R A N C E

fait? » Jésus répondit : « M o n royaume n'est pas de ce monde. Si m o n royaume était de ce m o n d e , mes gens auraient combattu pour que je ne fusse pas livré aux Juifs. Mais m o n royaume n'est pas ici. » — « Donc , tu es roi ? » lui dit Pilate. — « T u le dis, je suis roi », répondit Jésus, « et je ne suis né, je ne suis venu dans le m o n d e que pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute m a voix. »

Pilate lui dit : « Qu'est-ce que la vérité ? »

Le crucifiement Ils prirent donc Jésus qui, portant lui-même sa croix, sortit de la ville pour aller au lieu dit du Crâne, en hébreu Golgotha, où ils le crucifièrent et avec lui deux autres : un de chaque Côté, au milieu, Jésus.

Nouveau Testament, La Passion selon saint Jean, xvm, xix

15

Cortés fit dresser une estrade du mieux qu'il put avec des étoffes, des nattes, des sièges et préparer un repas avec les vivres dont il disposait pour lui-même. Sandoval et Holguin arrivèrent avec leur prisonnier (Cuauhtemoc, dernier empe­reur aztèque). Cortés lui témoigna grand respect, lui donna allègrement l'accolade et lui montra grande amitié ainsi qu'à ses capitaines. Cuauhtemoc dit à Cortés : « Seigneur Malin-che, j'ai fait l'impossible pour défendre m a ville et mes sujets. Je ne peux rien de plus. M e voici prisonnier devant toi. Prends ce poignard à m a ceinture et tue-moi ! » Et il pleurait des larmes abondantes. Tous les seigneurs de sa suite sanglotaient aussi. Par dona Marina et Aguilar, Cortés répondit tendrement qu'il avait la plus grande considération pour lui parce qu'il avait vaillamment tenu et défendu sa ville, ce pourquoi il méritait d'être estimé et non blâmé. Cortés aurait préféré que, se voyant vaincus, les Mexicains en vinssent de leur propre gré à accepter la paix. Il y aurait eu moins de morts, moins de ruines. Mais c'était du passé, c'était sans remède. Il les priait donc, lui, le roi et ses

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L ' H O M M E DE L 'AMBIVALENCE

capitaines, de calmer leurs inquiétudes. Il commanderait

dans Mexico et dans le pays c o m m e par le passé. Cuauhte­

m o c et ses capitaines le remercièrent.

(...)

Cuauhtemoc, grand cacique de Mexico, et d'autres nota­

bles avaient discuté et arrêté un plan selon lequel nous

devions être tués afin qu'ils s'en retournent à Mexico.

Revenus dans leur ville, ils réuniraient toutes leurs forces

pour attaquer de nouveau les Espagnols qui s'y trouvaient.

D e u x caciques mexicains n o m m é s Tapia et Juan Velasquez

découvrirent ce plan à Cortès (...) Dès que Cortés eut appris

la chose, il fit enquêter, non seulement auprès de ces deux

caciques, mais auprès d'autres qui faisaient partie du

complot (...) Cuauhtemoc reconnut que tout ceci était vrai,

mais que l'idée ne venait pas de lui, qu'il ne savait pas si tous

les caciques étaient d'accord ; il ignorait m ê m e , dit-il, si ce

n'était encore q u ' u n projet que l'on avait seulement agité. Le

cacique de Tacuba reconnut que Cuauhtemoc et lui avaient

dit que mieux valait mourir une bonne fois qu'agoniser

chaque jour. Sans plus de preuve, Cortès ordonna que l'on

pende Cuauhtemoc et le seigneur de Tacuba son cousin. Les

frères franciscains furent les encourager et les recommander

à Dieu. A u m o m e n t d'être pendu, Cuauhtemoc dit : « O h ,

Capitaine Malinche, depuis longtemps je savais que tes

paroles sont menteuses et que tu finirais par m e mettre à

mort ! Pourquoi ne m e suis-je pas tué à ton entrée dans m a

ville? Et pourquoi m'exécuter sans jugement? Dieu te

demandera des comptes! » (...)

L a mort de Cuauthemoc et celle de son cousin m e

rendirent très triste. Je les savais tous deux grands seigneurs

(...) Ces morts étaient injustes. Et tel était bien notre avis à

nous qui avions vécu cette aventure.

Bernai Diaz del Castillo, 1495-1582,

L'histoire véridique de la conquête de la Nouvelle Espagne

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Prophètes désarmés : variations sur un message

A u départ, pourtant, tout semble clair dans l'esprit des hommes : un médiateur, Bodhisatta, solitaire et sans armes, se retire de son peuple pour mieux lui parler en retour. Et ce qu'il dit sont choses simples : cet homme de toutes races et cultures, de toutes langues et héritages enseigne un Initiateur transcendant, dispensateur de lumière et de vie, appelant à l'amour, à la justice vraie, à l'unité par le dialogue entre des hommes certes périssables, mais en ce monde égaux et semblables, en dépit de différences d'accident, non de nature. Pour tous, l'essentiel n'est que de « s'entendre », ici, entre hommes de cœur et de raison. A u bout du chemin de vie, l'homme n'est justiciable que du bien ou et du mal par lui-même accomplis. Quant aux différences, le « créateur » les prend en charge et pitié dans le reniement de tous ceux qui, en son nom, cherchaient gloire à ses yeux en les réduisant par contrainte.

Le « créateur », assumant ainsi l'humain de toute l'humanité, nul homme ou groupe ne saurait sans démesure l'accaparer, encore moins s'y substituer.

Si le concept de « l'Autre » n'est à ce stade que le fait de l'ignorance, « l'Autre » concret reste à questionner, avec patience et constance, nullement à mettre à la question : tel est le message de ces médiateurs désarmés et sans biens.

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16

LA T O L É R A N C E

16

Il était une fois un roi de Kasi n o m m é Kalabu qui régnait à Bénarès. E n ce temps-là, naissait le Bodhisatta sous la forme d ' u n jeune enfant n o m m é K o u n d a k a - K o u m a r a , dans une riche famille de brahmanes qui possédait quatre vingts crores de trésors (chaque crore vaut 10 millions de roupies). Devenu grand, le Bodhisatta s'instruisit à Takkasilâ dans toutes les sciences et il se fixa ensuite dans la maison de ses parents.

À la mort de ces derniers, devant la multitude des trésors dont il héritait, K o u n d a k a - K o u m a r a se dit : « M e s parents qui ont amassé toutes ces richesses ont disparu sans les emporter avec eux. C'est à moi qu'elles appartiennent maintenant et c'est à m o n tour de partir... » Là-dessus, il distribua ses richesses à quelques personnes connues pour leurs vertus charitables, puis il se rendit dans les montagnes de l'Himalaya où il vécut en ascète, se nourrissant de fruits sauvages [à suivre : 116, 201, 288].

Khantivadi-Jataka

U n e transcendance créatrice

17

Dieu est jour et nuit, hiver et été, guerre et paix, abondance et famine. Il se transforme c o m m e le feu mêlé d'aromates. Chacun le n o m m e à son gré.

Heraclite d'Ephèse, Grèce antique, env. 540-480 av. J . -C.

18

La première stance traite du Bouddha transcendant, dont la manifesta­

tion sur terre est le Bouddha-Roi de Java. La deuxième indique que les

membres des communautés non bouddhistes donnent des noms différents

au même Bouddha transcendant.

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17

PROPHÈTES DÉSARMÉS

Amen. Gloire à toi, Seigneur. L e serviteur (le prêtre) chante sans cesse les louanges d u Seigneur,

Q u i est caché au point d'anéantissement de la concentra­tion mentale, Q u i est l'essence de la matière et de l'esprit, Civa-Bouddha. (...)

Pour ceux qui vénèrent Vichnou, Il est « Celui qui imprègne tout l'Univers, l ' A m e de tout ce qui existe, Celui qui ne peut être qualifié ».

Pour les philosophes d u Y o g a , Il est Içvara ; pour les philosophes d u Sangkhya, Il est Kapila. Il est Kubera matérialisé, qui est le Dieu de la richesse, et Wrhaspati qui est le Dieu d u savoir ; Il est K â m a à l'égard d u Kâmasûtra (doctrine des relations sexuelles).

Il est Y a m a lorsqu'il s'agit d'éliminer les obstacles. L e fruit

de Son action, c'est le bonheur et la prospérité de l'humanité.

Nâgarakrtâgama, panégyrique composé au royaume de Madjapahit, Java, 1365

19

T u es Dieu et tout être est T o n servant, T o n domaine ; et T o n honneur n'est point diminué par les servants d'autres que Toi, car tous ont le désir d'arriver jusqu'à Toi ; mais ils sont c o m m e des aveugles ; ils dirigent leur route vers la face du Roi et, hors de la route, ils égarent leurs pas. (...) Mais Tes servants sont c o m m e ceux qui ont les yeux ouverts, et qui marchent dans la voie droite, ne déviant ni de gauche ni de droite, avant que d'être arrivés dans la cour de la maison d u Roi.

Ibn Gabirol, Andalousie, La couronne de royauté, env. 1050

20

Il est Dieu ! Il n 'y a de Dieu que lui.

Il est celui qui connaît ce qui est caché et ce qui est apparent.

Il est celui qui fait miséricorde, le Miséricordieux.

Page 23: La Tolérance: essai d'anthologie; 1988

18

LA T O L É R A N C E

Il est Dieu ! Il n'y a de Dieu que lui ! (...)

Gloire à Dieu ! Il est très éloigné de ce qu'ils lui associent !

Il est Dieu ! Le Créateur, celui qui donne un commencement à toute chose,

celui qui façonne. Les N o m s les plus beaux lui appartiennent.

C e qui est dans les cieux et sur la terre célèbre ses louanges. Il est le Tout-Puissant, le Sage.

Le Coran, Sourate LIX, Le rassemblement

21

Entre toutes les créatures privées de raison il chérissait plus affectueusement le soleil et la lune, et il disait : « A u matin, quand le soleil se lève, tout h o m m e devrait louer Dieu qui l'a créé pour notre utilité ; puisque par lui nos yeux sont illuminés de jour ; et le soir, quand vient la nuit, tout h o m m e devrait le louer pour notre frère le feu, puisque par lui nos yeux sont illuminés de nuit : car nous sommes tous aveugles, et le Seigneur par ces deux frères nôtres illumine nos yeux ; et ainsi spécialement pour eux et pour les autres créatures dont nous usons quotidiennement nous devons louer le Créateur. »

Saint François d'Assise, 1182-1226

22

O Viracocha, Seigneur de l'Univers, Q u e tu sois mâle,

Q u e tu sois femme, Seigneur de la reproduction, O ù que tu puisses être, Seigneur de divination,

Page 24: La Tolérance: essai d'anthologie; 1988

19

PROPHÈTES DÉSARMÉS

O ù es-tu ?

T u peux être en haut, T u peux être en bas,

O u peut-être alentour, Avec ton splendide trône et ton sceptre !

D E H , écoute-moi !

D u haut du ciel, O ù peut-être tu es, D e la mer là-bas

O ù peut-être tu es, Créateur du m o n d e , Faiseur de tous les h o m m e s , Seigneur de tous les seigneurs, M e s yeux m'abandonnent

Par désir de te voir,

Par seul désir de te connaître. Puissé-je t'admirer,

Puissé-je te connaître, (...) Puissé-je te comprendre !

Tourne donc ton regard sur moi , Puisque tu m e connais.

Grand hymne à Viracocha (dieu de la pluie chez les Incas), Pérou

23

T o n Seigneur t'accordera bientôt ses dons

et tu seras satisfait.

N e t'a-t-il pas trouvé orphelin

et il t'a procuré un refuge.

Il t'a trouvé errant et il t'a guidé.

II.t'a trouvé pauvre et il t'a enrichi.

Quant à l'orphelin

ne le brime pas.

Page 25: La Tolérance: essai d'anthologie; 1988

20

LA TOLÉRANCE

Quant au mendiant

ne le repousse pas.

Quant aux bienfaits de ton Seigneur

raconte-les. Le Coran, Sourate xcm, La clarté du jour

24

Il garde [Yahvé] ajamáis la vérité, il rend justice aux opprimés, il donne aux affamés du pain. Yahvé délie les enchaînés, Yahvé rend les aveugles voyants, Yahvé redresse les courbés, Yahvé protège l'étranger. Il soutient l'orphelin et la veuve.

Bible hébraïque, Psaume 146

25

L a sainteté suprême est faite d'amour, de bonté et de tolérance. L a haine, la vengeance et la dureté découlent de l'oubli de la parole de Dieu et du ternissement de l'éclat de sa sainteté.

Rabbi Yizhak, Ha-Cohen Kook, Mussar Ha-Kodesh, 1938

26

Si Dieu voulait juger sans pitié la race humaine, il la condamnerait. Car nul h o m m e ne peut par lui-même fournir toute sa course sans tomber, soit volontairement, soit involontairement ; aussi, pour sauver la race, tout en permet­tant des chutes particulières, il mêle la miséricorde à la justice, m ê m e vis-à-vis des indignes ; et ce n'est pas après avoir jugé qu'il a pitié, c'est après avoir eu pitié qu'il a jugé ; car la pitié vient chez lui avant la justice.

Philon d'Alexandrie, 13? av. J.-C.-54? apr. J . -C , Que Dieu est immuable

Page 26: La Tolérance: essai d'anthologie; 1988

21

PROPHÈTES DÉSARMÉS

27

O m o n â m e , ô toi lumière qui descends N e t'éloigne pas, ô ne t'éloigne pas !

O m o n amour, ô toi, vision éclatante, ne t'éloigne pas,

O ne t'éloigne pas ! (...) Vraie Parsie et vraie brahmane,

Chrétienne et cependant musulmane,

Toi en qui je crois c o m m e en la Justice N e t'éloigne pas, ô ne t'éloigne pas. D a n s toutes les mosquées, les pagodes, les églises,

Je trouve le m ê m e sanctuaire ; T o n visage y est m a seule joie ;

N e t'éloigne pas, ô ne t'éloigne pas ! Jalâl al-DTn, al-Rûml, 1207-1273, Perse

28

Khmvoum, ô K h m v o u m , tu es le Maître O Créateur, le Maître de tout, Maître de la forêt, Maître des choses, Maître des hommes, ô Khmvoum, Et nous, les petits, nous sommes les sujets. Maître des hommes, ô Khmvoum, Commande, ô Maître de la vie et de la mort Et nous obéirons.

Prière pygmée

Les hommes : semblables, égaux

29

L e Maître dit : « Les h o m m e s sont tous semblables par leur nature ; ils diffèrent par les habitudes qu'ils contractent. »

Confucius, 551 ?-479? av. J . - C , Chine, Entretiens

Page 27: La Tolérance: essai d'anthologie; 1988

22

LA T O L É R A N C E

30

Pourquoi Dieu n'a-t-il formé qu'un seul h o m m e , lors de la création? C'est dans l'intérêt de la concorde, pour qu'aucun h o m m e ne puisse dire à un autre : je suis de plus noble race que toi.

Talmud Sanhédrin, iv

31

C e u x qui sont de bonne famille, nous les respectons et les honorons; ceux qui sont de chétive maison, nous ne les respectons ni ne les honorons ; en quoi nous nous comportons c o m m e des Barbares les uns vis-à-vis des autres. L e fait est que, par nature, nous s o m m e s tous et en tout de naissance identique, Grecs et Barbares ; et il est permis de constater que les choses qui sont nécessaires de nécessité naturelle sont c o m m u n e s à tous les h o m m e s (...) A u c u n de nous n ' a été distingué à l'origine c o m m e Barbare ou c o m m e Grec : tous nous respirons l'air par la bouche et par les narines.

Antiphon ve s. av. J . -C. Grèce antique

32

Pour nous, toutes les cités sont une, tous les peuples sont frères ; le bien et le ma l ne nous viennent pas d'autrui.

Purananuru IIe s. av. J.-C.-iie s. apr. J . -C. Époque sangam Traduit du tamil

33

Les h o m m e s ne formaient qu 'une seule c o m m u n a u t é , puis ils

se sont opposés les uns aux autres. Si une parole de ton Seigneur n'était pas intervenue auparavant une décision concernant leurs différends

aurait été prise. Le Coran Sourate x Jonas

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23

PROPHÈTES DÉSARMÉS

34

Tous les h o m m e s sont égaux entre eux c o m m e les dents du

peigne du tisserand ; pas de différence entre le blanc et le

noir, entre l'Arabe et le non-Arabe si ce n'est leur degré de

crainte de Dieu.

Hadîth (Dits du Prophète Muhammad)

Quatre commandements

Le devoir d'amour

35

Antigone : Hadès n'en veut pas moins voir appliquer ces rites. Créon : Le bon ne se met pas sur le rang du méchant. Antigone : Qui sait, si sous la terre la vraie piété est là. Créon : L'ennemi, m ê m e mort, n'est jamais un ami. Antigone : Je suis de ceux qui aiment, non de ceux qui haïssent.

Sophocle, Grèce antique, Antigone, 441 av. J.-C.

36

— Maître, quel est le plus grand commandement de la loi ? Jésus lui répondit : « T u aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton â m e et de toute ta pensée. »

C'est le premier et le plus grand commandement . Et voici le second qui lui est semblable : « T u aimeras ton

prochain c o m m e toi-même. »

D e ces deux commandements dépendent toute la loi et les prophètes.

Nouveau Testament, saint Matthieu, xxii

37

Le Maître dit : « Le sage aime tous les h o m m e s et n'a de

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LA T O L É R A N C E

partialité pour personne. L ' h o m m e vulgaire est partial et n'aime pas tous les h o m m e s . »

Confucius, 551 ?-479? av. J . -C , Chine, Entretiens

38

M o n cœur peut désormais prendre toute forme, U n e prairie pour gazelles, un cloître pour moines, U n sanctuaire pour des idoles, une Ka c aba pour les pèlerins,

Les Tables de la Torah et le livre du Coran. Je pratique une religion d ' A m o u r : vers quelque point Q u e se dirige la caravane de l 'Amour L à sont m a religion et m a foi.

MuhyT al-Dïn b. cArabi, 1165-1240, Andalousie, Turjuman al-Aswâq

39

J'aime toutes les choses. Je ne peux m'empêcher d'aimer chaque créature, chaque personne. D e tout m o n être j'aspire à la gloire et à la perfection de toute l'humanité. M o n amour pour le peuple d'Israël est plus intense et plus profond mais en moi l'amour de toute la création est plus intense et il m'envahit tout entier. Je n'ai, en vérité, nul besoin de m e contraindre à aimer, car m o n amour émane directement des profondeurs sacrées de l'Etre divin.

Rabbi Yizhak, Ha-Cohen Kook, Arpheley Tohar, 1914

40

Q u a n d je parlerais les langues des h o m m e s et des anges, si je n'ai pas la charité, je ne suis plus qu'airain qui sonne ou cymbale qui retentit.

Quand j'aurais le don de prophétie et queje connaîtrais tous les mystères et toute la science, quand j'aurais la plénitude de la foi, une foi à transporter les montagnes, si je n'ai pas la charité, je ne suis plus rien. Q u a n d je distribuerais tous mes biens en aumônes, quand je livrerais m o n corps aux

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PROPHÈTES DÉSARMÉS

flammes, si je n'ai pas la charité, cela ne m e sert de rien. L a charité est longanime ; la charité est serviable ; elle

n'est pas envieuse ; la charité ne fanfaronne pas, ne se rengorge pas ; elle ne fait rien d'inconvenant, ne cherche pas son intérêt, ne s'irrite pas, ne tient pas compte du mal ; elle ne se réjouit pas de l'injustice, mais elle met sa joie dans la vérité. Elle excuse tout, espère tout, supporte tout. Nouveau Testament, Première épître de Paul aux Corinthiens, x m

41

L a charité est la loi suprême, et qui peut séparer l'amour de la charité ? '

Shakespeare, 1564-1616, Angleterre, Peines d'amour perdu, acte iv, scène III

42

Pensez avec amour et sympathie à tous les êtres, quels qu'ils soient, qui nourrissent u n désir profond d u pays de la Béatitude et qui prononcent le n o m de B o u d d h a ; pensez à eux c o m m e s'ils étaient vos parents ou vos enfants, quoiqu'ils puissent vivre en n'importe quel lieu, et m ê m e en dehors des systèmes cosmiques.

Aidez ceux qui ont besoin d'aide matérielle en ce m o n d e .

Efforcez-vous de raviver la foi chez tous ceux en qui vous apercevez un germe de foi.

Et considérez tous ces actes c o m m e des services rendus à Amita Bouddha .

(...) Q u a n d nous invoquons Bouddha , que nous l'appe­lons par son n o m avec la ferme croyance que nous renaîtrons dans son paradis, nous pouvons être sûrs d'être recueillis un jour par lui. Pour cela, il n'est pas d'autre mystère que de prononcer son n o m avec foi.

Sa lumière pénètre les mondes dans toutes les direc­tions.

Sa grâce n'abandonne pas celui qui l'invoque. Honen, xne siècle, Japon

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26

LA T O L É R A N C E

43

L a punition d 'un mal est un mal identique, mais celui qui pardonne et qui s'amende trouvera sa récompense auprès de Dieu.

— Dieu n'aime pas les injustes. Le Coran, Sourate XLII, La délibération

L'amour et la justice

44

L ' h o m m e a été créé, être unique pourvu d'une â m e sur la terre, ce qui nous enseigne que celui qui est cause de la mort d'un seul être ici bas peut être tenu pour avoir tué tous les h o m m e s , tandis que celui qui sauve un seul être humain sur la terre peut être considéré c o m m e s'il avait sauvé toute l'humanité.

Maïmonide, 1135-1204, Hilkhot Sanhédrin

45

Koung Tzeun demanda s'il existait un précepte qui renfer­mât tous les autres et qu'on dût observer toute la vie. Le Maître répondit : « N'est-ce pas le précepte d'aimer tous les hommes c o m m e soi-même? N e faites pas à autrui ce que vous ne voulez pas qu'on vous fasse à vous-même. »

Confucius, 551 ?-479? av. J . -C , Chine, Entretiens

46

U n autre païen vint devant Schammai et lui dit : « Je m e ferai juif; mais il faut que tu m'enseignes toute la Loi, pendant queje m e tiendrai sur un seul pied. » Schammai le renvoya en le frappant de la règle qu'il tenait en sa main.

L'idolâtre s'adressa ensuite à Hillel, avec le m ê m e souhait ; et le maître lui dit : « C e que tu n'aimes pas qu'on

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PROPHÈTES DÉSARMÉS

te fasse, ne le fais pas à autrui. C'est toute la Loi, le reste n'est que commentaire : va et apprends-le. »

Maïmonide, 1135-1204, Schabbath

47

Ainsi tout ce que vous désirez que les autres fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux : voilà la Loi et les Prophètes.

Nouveau Testament, saint Matthieu, vu

48

N'est croyant que celui qui veut pour son frère ce qu'il veut pour lui-même.

Hadîth (Dits du Prophète M u h a m m a d )

49

C'est lui qui fait droit à l'orphelin et à la veuve et il aime l'étranger auquel il donne pain et vêtement.

Aimez l'étranger car au pays d'Egypte vous fûtes des étrangers.

Bible hébraïque, Deutéronome, 10

50

O Dieu, accepte ce sacrifice, car l ' homme blanc est venu à m o n foyer. Q u a n d l ' homme blanc tombe malade, fais que ni lui ni sa femme ne deviennent très malades. L ' h o m m e blanc est venu chez nous de sa patrie, de l'autre côté de l'eau ; c'est un h o m m e bon et il traite bien les gens qui travaillent pour lui. Si l ' h o m m e blanc et sa femme tombent malades, qu'ils ne deviennent pas très malades, car moi et l ' h o m m e blanc nous nous sommes unis pour te faire un sacrifice. (...) O ù qu'il aille, ne le laisse pas tomber malade, car il est bon et aussi extraordinairement riche, et je suis aussi bon et

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LA T O L É R A N C E

riche; et moi et l ' homme blanc nous vivons dans d'aussi bons rapports que si nous étions fils d'une m ê m e mère. (...) Fais queje ne tombe pas très malade, car je lui ai appris à te prier c o m m e s'il était un vrai Mkikuyu.

Prière d'un chef du Kenya

51

D e plus, m e s frères, alors m ê m e que des voleurs de grand chemin vous découperaient en pièces, m e m b r e par m e m b r e , avec une scie à double poignée, si l'esprit de l'un quelconque d'entre vous en tirait offense, celui-ci ne serait pas un de mes disciples. Mais c'est ainsi que vous devez apprendre à vous conduire. (...)

Notre cœur restera ferme, aucune méchante parole ne quittera nos lèvres et nous resterons attentifs au bonheur d'autrui, dépourvus de rancune et le cœur aimant. (...) C'est ainsi mes frères que vous devez vous conduire.

Majjhima Nikaya, xie s. av. J.-C. traduit du pâli

52

Voilà ceux qui recevront une double rétribution, parce qu'ils ont été constants,

parce qu'ils ont répondu au mal par le bien,

parce qu'ils ont donné en aumônes

une partie des biens que nous leur avions accordés. Le Coran, Sourate xxvm, Le récit

53

Le Prophète dit à c O q b a b. A m i r : « O c O q b a , je t'indique le meilleur comportement des gens de ce m o n d e et de l'éternité : rejoins qui s'est séparé de toi, donne à qui t'a privé, pardonne à qui t'a fait du tort. »

Hadîth (Dits du Prophète M u h a m m a d )

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PROPHÈTES DÉSARMÉS

54

Un homme se présenta devant 'Omar b. cAbdel cAzîz et se plaignant à lui de ce qu 'un h o m m e l'avait lésé, le calomnia. • O m a r lui dit alors : « Il vaut mieux pour toi avoir rencontré Dieu et l'injustice telle qu'elle s'est présentée plutôt que de l'avoir subie en en tirant vengeance. »

Ghazâlî, 1058-1111, Perse, Revivification des sciences de la religion

55

A u jour du Jugement , l'Eternel, béni soit Son Saint N o m , appellera toutes les nations à rendre compte de chaque violation du c o m m a n d e m e n t : « T u aimeras ton prochain c o m m e toi-même » dont elles se seront rendues coupables dans leurs rapports entre elles.

Judah le Pieux, xn" siècle

L'impératif de justice

56

A b r a h a m se tenait encore devant Yahvé . Il s'approcha et dit : « Vas-tu vraiment supprimer le juste avec le pécheur ? Peut-être y a-t-il cinquante justes dans la ville. Vas-tu vraiment les supprimer et ne pardonneras-tu pas à la cité pour les cinquante justes qui sont dans son sein ? Loin de toi de faire cette chose-là ! de faire mourir le juste avec le pécheur, en sorte que le juste soit traité c o m m e le pécheur. Loin de toi ! Est-ce que le juge de toute la terre ne rendra pas justice ?

Bible hébraïque, Genèse, 18

57

Mais toi, Perses, écoute la Justice. N e laisse pas en toi grandir la démesure. L a démesure est chose mauvaise pour

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30

LA T O L É R A N C E

les pauvres gens : les grands eux-mêmes ont peine à la porter, et son poids les écrase, le jour où ils se heurtent au désastre. Bien préférable est la route qui, passant de l'autre côté, mène aux œuvres de Justice (...)

Pour toi, Perses, mets-toi ces avis en l'esprit ; écoute donc la Justice, oublie la violence ajamáis. Telle est la loi que le Cronide a prescrite aux h o m m e s : que les poissons, les fauves, les oiseaux ailés se dévorent, puisqu'il n'est point parmi eux de Justice : mais aux h o m m e s , Zeus a fait don de la Justice, qui est de beaucoup le premier des biens. A celui qui sciemment prononce selon la Justice, Zeus au vaste regard donne la prospérité; mais celui qui, de propos délibéré, appuie d'un serment des déclarations mensongères et, par là, blessant la Justice, commet le crime inexpiable, verra la postérité qu'il laisse décroître dans l'avenir, tandis que la postérité de l ' h o m m e fidèle à son serment dans l'avenir grandira.

Hésiode, v m e s. av. J . -C , Grèce antique, Les travaux et les jours

58

Ainsi parle Yahvé Sabaot. Il disait : « Rendez une justice vraie et pratiquez bonté et compassion chacun envers son frère.

N'opprimez point la veuve et l'orphelin, l'étranger et le pauvre, et ne méditez pas en votre cœur du mal l'un envers l'autre. »

Bible hébraïque, Zacharie, 7

59

Faire tort à un étranger, c'est c o m m e si l'on faisait tort à Dieu m ê m e .

Talmud, Chagigah, 5a

60

CA1I ben Abï Tâlib, qu'il soit béni de Dieu, écrivit à Mälik,

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31

PROPHÈTES DÉSARMÉS

connu sous le n o m d'al-Achtar a l -Nakhml : « J'attire ton attention sur la nécessité d'être clément envers les sujets, de les aimer et d'être bienveillant à leur égard. N e sois pas envers eux c o m m e le lion féroce, le carnassier qui s'empare de leur nourriture. Les sujets sont de deux sortes, ils sont soit tes frères en religion, soit tes semblables, susceptibles de commettre des fautes et exposés aux m a u x . Ils peuvent agir avec préméditation ou par erreur. Pardonne-leur et sois clément, toi qui aspires au pardon et à la clémence de Dieu. »

Calife cAIî b. Abi Tâlib, vnc siècle

Prêcher, non violenter

61

Quelqu 'un dit : « Q u e faut-il penser de celui qui rend le bien pour le mal ? » Le Maître répondit : « Q u e rendrez-vous pour le bien ? Il suffit de répondre à l'injustice par la justice et de rendre le bien pour le bien. »

Confucius, 551 ?-479? av. J . - C , Chine, Entretiens

62

Dieu établira peut-être de l'amitié entre vous et ceux d'entre eux

que vous considérez c o m m e des ennemis. Dieu est tout-puissant,

il est celui qui pardonne, il est miséricordieux. (...)

Dieu aime ceux qui sont équitables. Le Coran, Sourate L X , L'épreuve

63

Pas de contrainte en religion ! Le Coran, Sourate il, La vache

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32

LA T O L É R A N C E

64 Faut-il contraindre les Infidèles à la foi ?

Parmi les Infidèles, certains (...), c o m m e les Gentils et les Juifs, n'ont jamais adhéré à la foi. Ceux-là ne doivent en aucune manière être contraints à croire : (...) croire en effet relève de la volonté. Les Fidèles peuvent cependant les contraindre, s'ils en ont le pouvoir, à ne pas empêcher la foi soit par des blasphèmes, soit par de mauvais conseils, soit par des persécutions ouvertes. C'est pour cela que les Fidèles d u Christ déclarent souvent la guerre aux Infidèles : non pour les contraindre à croire (car, m ê m e s'ils en étaient vain­queurs et les faisaient captifs, ils laisseraient à leur liberté la volonté de croire), mais seulement pour les contraindre à ne pas empêcher la foi.

Saint Thomas d'Aquin, x m e siècle, S o m m e théologique

65

Des fleurs de toute espèce croissent et voisinent sur la terre. Il n 'y a pas entre elles de disputes à propos des couleurs, de l'arôme et du goût. Elles laissent la terre et le soleil, la pluie et le vent, le chaud et le froid opérer sur elles, à leur guise. Et chacune d'elles croît selon son essence et les qualités qui lui sont propres. Ainsi en est-il des enfants de Dieu. Il y a entre eux diversité de dons et de connaissances, mais tout vient d'un seul Esprit. Les uns près des autres ils se réjouissent des grands miracles de Dieu et remercient le Très-Haut dans sa sagesse. Pourquoi se querelleraient-ils autour de Celui dans lequel ils vivent, de la nature duquel ils sont eux-mêmes?

Jacob Boehme, 1575-1624, Allemagne, D e regeneratione

66

J'ai réfléchi sur les dénominations confessionnelles, faisant effort pour les comprendre, et je les considère c o m m e un principe unique à ramifications nombreuses. N e demande

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33

PROPHÈTES DÉSARMÉS

donc pas à un h o m m e d'adopter telle dénomination confes­sionnelle, car cela l'écarterait du Principe fondamental, et c'est le Principe lui-même qui doit venir le chercher, Lui en qui s'élucident toutes les grandeurs et toutes les significa­tions, et l ' h o m m e alors comprendra.

al-Hosayn b. Mansour, al-HalIâj, 858-922, Perse, Diwân

L a mort et les fins dernières

67

Pour parler avec intelligence, il faut se prévaloir de ce qui est universel, c o m m e la Cité s'appuie sur la Loi, et avec plus d'énergie encore. Car toutes les lois humaines s'alimentent de l'unique loi du divin, à son gré souveraine, force suffisante et partout victorieuse.

Heraclite d'Éphèse, Grèce antique, env. 540-480 av. J.-C.

68

Le Dieu suprême (Kesava) est content de celui qui est attentif aux enseignements de toutes les religions, qui adore tous les dieux, qui est dépourvu de malice et qui sait résister à la colère.

Vishnudharmottara-Purana, 350-500 av. J . - C , Texte sanscrit

69

Si un païen s'occupe de la Loi sacrée, il en a autant de mérite qu 'un grand Prêtre descendant d'Aaron.

Talmud, Aboda-Zara

70

Si ton Seigneur l'avait voulu

les habitants de la terre auraient cru. Est-ce à toi de contraindre les h o m m e s à être croyants,

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34

LA T O L É R A N C E

alors qu'il n'appartient à personne de croire sans la permis­sion de Dieu ?

Le Coran, Sourate x, Jonas

71 La faute d'Abraham

O n raconte que pendant une semaine entière aucun hôte ne s'était présenté dans la demeure de Khalîl [l'ami de Dieu, surnom donné par les Musulmans à Abraham] . Attendant avec impatience la venue d 'un indigent, le bienheureux Prophète négligeait de prendre son repas. Il sortit, un jour, pour regarder au loin : ses yeux aperçurent au fond du wâdï,

un voyageur isolé c o m m e le saule au milieu de la plaine : la neige des ans avait blanchi sa tête. Abraham courut joyeux à sa rencontre et lui offrit l'hospitalité.

— Étranger, lui dit-il, toi qui m ' e s plus cher que la lumière du jour, consens à partager avec moi le pain et le sel.

Le voyageur accepta et entra dans la demeure d 'un hôte dont il connaissait la générosité. Les serviteurs du Prophète s'empressèrent autour de l'humble vieillard ; on dressa la table et tous y prirent place ; mais au m o m e n t de réciter le bismilläh, seul il resta silencieux, A b r a h a m lui dit :

— Étranger, toi qui as vécu de longs jours, je ne trouve pas en toi les sentiments de piété qui décorent la vieillesse.

Avant de prendre ton repas quotidien, ne devrais-tu pas invoquer Celui qui le dispense ?

Le vieillard répondit :

— Je ne saurais adopter un rite que les prêtres adora­teurs du feu ne m'ont point enseigné.

L'auguste Prophète comprit que son hôte professait l'odieuse croyance des Mages ; il le chassa c o m m e un mécréant dont la présence souillait la pureté de sa demeure.

Mais Serosch, l'ange du Très-Haut, lui apparut et d'une voix pleine de menaces :

— Khalîl, lui dit-il, pendant un siècle j'ai donné à cet h o m m e la vie et la subsistance, et une heure te suffit à toi

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35

PROPHÈTES DÉSARMÉS

pour le maudire ! Parce qu'il se prosterne devant le feu, as-tu le droit de lui refuser le secours de ton bras ?

SacadT, 1184?-1290?, Perse, Le verger

72

Le salut est atteint non par l'adhésion à des dogmes métaphysiques, mais seulement par l'amour de Dieu, amour qui s'accomplit dans l'action. Cette vérité est cardinale dans le Judaïsme.

Hasdai Crescas, 1340-1410, Barcelone, Or Adonai

73

Les polythéistes diront : « Si Dieu l'avait voulu, nous n'aurions rien adoré en dehors de lui, — nous et nos pères — nous n'aurions rien interdit en dehors de ses prescriptions. » Ceux qui ont vécu avant eux agissaient ainsi. Qu'incombe-t-il aux Prophètes,

sinon de transmettre le message prophétique en toute clarté ? Le Coran, Sourate xvi, Les abeilles

74

Voyant les foules, il gravit la montagne. Il s'assit et ses disciples vinrent auprès de lui. Et prenant la parole il les enseignait en disant :

Heureux les pauvres en esprit,

Car le R o y a u m e des Cieux est à eux.

Heureux les doux, Car ils recevront la terre en héritage.

Heureux les affligés, Car ils seront consolés.

Heureux les affamés et assoiffés de justice,

Car ils seront rassasiés.

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36

LA TOLÉRANCE

Heureux les miséricordieux, Car ils obtiendront miséricorde. Heureux les cœurs purs, Car ils verront Dieu. Heureux les artisans de paix, Car ils seront appelés fils de Dieu. Heureux les persécutés pour la justice Car le R o y a u m e des Cieux est à eux.

Nouveau Testament, saint Matthieu, v, Les Béatitudes

75

L e Maître dit : « M a doctrine se réduit à une seule chose qui embrasse tout. » Tseng tseu répondit : « Certainement. » Lorsque le Maître se fut retiré, ses disciples demandèrent ce qu'il avait voulu dire. Tseng tseu répondit : « Toute la sagesse de notre Maître consiste à se perfectionner soi-même et à aimer les autres c o m m e soi-même. »

Confucius, 551 ?-479 ? av. J . -C , Chine, Entretiens

76

Ceux qui nouvelle one ne reçurent D u baptême, les égorger C o m m e bétail, est-ce pécher? Oui , c'est grand péché, je l'assure : D e Dieu ils sont la créature, Parlant septante et deux parlers.

Wolfram von Eschenbach, x m e siècle, Willehalm, vieil allemand

77

Q u a n d le Diable auroit establi son empire par tout où le vray Dieu n'est pas adoré, cela ne nous empescheroit pas de supposer qu'il peut y avoir des h o m m e s dans ce grand Continent que nous marquent les Cartes vers le Sud, qui vivent règlement et vertueusement dans la loy de Nature. Imaginons nous en un qui dans cette rectitude morale, se

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PROPHÈTES DÉSARMÉS

porte par la seule lumière de sa raison, c o m m e l'ont fait autrefois ces Philosophes de Grèce, & m e s m e de Scythie, à reconnoistre un seul Autheur de toutes choses. Je veus croire que les genous en terre, & les bras croises vers le Ciel, il use de cette prière dans une extrême repentance de ce qu'il peut avoir fait de mal :

« M o n Dieu qui connoissez le plus secret de m o n â m e , j'implore votre miséricorde, & vous supplie de m e conduire à la fin pour laquelle vous m'avez créé. Si j'avais assez de lumière pour m ' y porter de m o y - m e s m e , il n'y a rien queje ne vollusse faire pour y arriver, & pour m e rendre agréable à vostre divine Majesté, queje reveré avec la plus profonde humilité que je puis. Excusez m o n ignorance, & m e faites connoistre vos sainctes volontez, afin queje les suyve de toute la force que vous m'avez donnée, désirant plustot mourir, que de faire jamais aucune action qui vous puisse desplaire ».

S'il arrive qu'immédiatement après cet acte de contrition, capable d'effacer toute sorte d'Idolâtrie et de crimes, ce pauvre Gentil vienne à mourir soit par quelque cause interne de maladie subite, ou par un accident inopiné du dehors, c o m m e de la cheute d'un arbre, ou d'une maison voisine, le jugerons-nous d a m n é ? Et pourrons-nous bien penser que Dieu n'ait pas eu agréable une saincte repentance?

F. de la Mothe, Le Vayer, 1588-1672, France, De la vertu des païens

78

Vous ne rencontrerez pas un Trismegiste, un N u m a Pompi-lius, un Platon, un Socrate pour le salut de qui vous ne trouviez quelque Père ou quelque auteur ancien et vénéré, un défenseur (...) et d'une certaine manière ils agissent selon cette règle que tant de Pères ont suivie Faciente quod in se est.

Q u ' à l ' h o m m e qui fait tout ce qu'il peut, selon sa nature, Dieu ne refuse jamais la grâce et alors, disent-ils, pourquoi ces h o m m e s qui agissent ainsi ne seraient-ils pas sauvés ? Je sais que Dieu peut être aussi miséricordieux que ces Pères sensibles nous le représentent ; je serai aussi charitable qu'ils

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38

LA T O L É R A N C E

le sont. Et par conséquent, m ' e n tenant humblement à cette manifestation de son Fils qu'il m ' a accordée, je laisse à Dieu ses voies impénétrables d'action sur les autres, sans m'enquérir plus avant...

John Donne, 1573-1631, Angleterre, Sermons

79

Nous lisons dans Isaïe : « Ouvrez les portes, pour que la nation juste et fidèle entre » ; le prophète ne dit pas : pour que les prêtres, les lévites ou les Israélites entrent, mais il ordonne d'ouvrir les portes à la nation juste et fidèle, fût-elle m ê m e païenne. — Ailleurs, nous lisons : « C'est ici la porte de l'Éternel, les justes y entreront » (Psaume CVI I I , 20) ; on ne dit pas : les prêtres, les lévites ou les Israélites y entreront, mais ¡es justes, sans distinction de culte. Le Psalmiste dit encore : « Justes, entonnez un cantique en l'honneur de l'Éternel » (Psaume X X I I I , 1) ; il n'invite pas exclusivement les Israelites à chanter la gloire de l'Éternel, mais il s'adresse aux justes de toutes les religions. — « Éternel, sois favorable aux bons », lisons-nous enfin dans le Psaume ( C X X V , 4) ; le poète inspiré n'implore pas seulement la bonté divine pour les prêtres et les israélites, mais pour les h o m m e s vertueux de toutes les nations. — D ' o ù il suit qu 'un païen vertueux a autant de mérite qu 'un Grand Prêtre, descendant d'Aaron.

Talmud, Sifra Shemoth, xni

80 Devant les Dieux du Monde Inférieur

« O vous, divinités, qui siégez dans la vaste salle de Vérité-Justice, Je vous salue ;

Votre cœur ignore le mensonge et l'iniquité, Vous vivez de vérité et la justice est votre nourriture (...) Laissez-moi pénétrer jusque chez vous; Car je n'ai commis ni fraude, ni péché d'aucune sorte. Je n'ai pas porté de faux témoignage (...)

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PROPHÈTES DÉSARMÉS

Car je m e suis nourri de vérité et de justice.

M a façon d'agir était celle qui est prescrite par les bonnes

m œ u r s Et qui est approuvée par les Dieux. E n vérité, j'ai contenté les Dieux en faisant ce qu'ils aiment.

Je donnais du pain à l'affamé et de l'eau à celui qui avait soif,

Des vêtements à l ' h o m m e nu, un bateau au naufragé ; A u x Dieux je faisais des offrandes, des libations aux Esprits sanctifiés.

Le Livre des Morts, Egypte ancienne

81

(...) Beaucoup de peuples d'autrefois auront la grâce (...)

Je peux dire m ê m e que la plupart des Chrétiens d'Orient de

notre temps recevront la miséricorde, si Dieu le veut.

Ghazâiï, 1058-1111, Perse, Faysal al-Tafriqa

82

Ceux qui croient, ceux qui pratiquent le judaïsme, ceux qui sont Chrétiens ou Çabéens, ceux qui croient en Dieu et au dernier Jour,

ceux qui font le bien :

voilà ceux qui trouveront leur récompense auprès de leur Seigneur. Ils n'éprouveront plus alors aucune crainte,

ils ne seront pas affligés.

Le Coran, Sourate il, La vache

83

Heureux êtes-vous si l'on vous insulte, si l'on vous persécute et si l'on vous calomnie de toutes manières à cause de moi. Soyez dans la joie et l'allégresse, car votre récompense sera grande dans les cieux ; c'est bien ainsi qu'on a persécuté les prophètes, vos devanciers.

Nouveau Testament, saint Matthieu, v

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Le message rêvé

A u texte clair initial firent place — différons pour un temps les ravages de la bête en l'homme — gloses et interpellations. Le message s'étant figé en formes et conduites d'être particulières, les religions sentent l'intégrité de leur conscience menacée par leur contiguïté même. D e là, sans doute, devant les horreurs et l'échec de la violence, cet effort pathétique de l'homme médiéval qui, par un rêve désespérément rationnel, a cru pouvoir exorciser un mal réel mais aux signes mal reconnus. L'homme, y reconnaît-on, est assurément le même; mais qu'est-ce que cette différence que notre dialogue ne réduit pas? Avant — et après — tant de «jugements de Dieu », que peut faire encore notre raison humaine? Nous sommes d'accord sur une vision de l'homme et dû monde ; soit, mais s'il en est bien ainsi, qui donc doit rejoindre les rangs de « l'Autre » ? Des forces sont là, mais plus encore, des âmes à récupérer. Face à un réel décevant et pour mieux s'assurer la victoire, on fait en toute bonne foi surenchère de douceur, de concessions, d'utopies.

Nous parlons même message, qui requiert — contre la pratique du réel — l'édification par le seul fait de l'intelligence d'une cité terrestre où l'homme ne soit qu'échange entre gens et peuples de bon vouloir et largeur d'esprit. Là tout n'est qu'amour, entente et liberté.

Entre mystiques, à la table du rêve, tout est harmonie de raison, de la naissance au-delà de la tombe.

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LA T O L É R A N C E

84 Conversation avec le chancelier von Müller

Si l'on jette u n coup d'œil sur les actions des h o m m e s depuis des milliers d'années, on reconnaît quelques formules géné­rales qui ont de tout temps exercé une action merveilleuse sur des nations entières c o m m e sur des individus. Et ces formules qui réapparaissent sans cesse, toujours les m ê m e s , sous mille variantes diverses, sont le d o n mystérieux q u ' u n e puissance supérieure nous a octroyé en nous donnant la vie. C h a c u n , sans doute, traduit à son usage ces formules dans la langue qui lui est propre, il les adapte à la situation individuelle où il se trouve enserré et il y ajoute ainsi souvent tant d'alliage i m p u r q u ' o n ne reconnaît pour ainsi dire plus leur signification primitive. M a i s celle-ci finit tout de m ê m e par surgir à nouveau, tantôt dans un peuple, tantôt dans u n autre, et le savant attentif se c o m p o s e à l'aide de ces formules c o m m e une sorte à'Alphabet de l'Esprit du Monde.

Goethe, Allemagne, 1818

Cité charnelle, cité de Dieu, utopies

Dans le sillage des mystiques, oublions un moment les ravages de

l'ignorance; laissons à part un nouveau jugement de Dieu, toujours

possible entre peuples, et illustrons le message du rêve éveillé.

D'abord le cadre. Tout est insulaire : l'île de Hayy ben YaqdKàn,

le territoire d'Utopie, la forêt des trois Sages, l'abbaye de Thélème et

jusqu'à « l'île en révolte » de l'homme de couleur. L'être le plus

« sauvage » découvre, par l'exercice de sa seule raison, à la fois l'Etre

suprême, la diversité humaine, la démocratie et la nécessaire institu­

tionnalisation et pratique de la tolérance. Bref, il « invente » le

message jadis révélé et, dans cette île suspendue, les valeurs originelles

s'en trouvent civilisées à l'extrême limite.

Une éducation aristocratique s'incarnant en des personnes choisies

les conduit à des mariages d'élection, en libre communion avec l'Autre,

qui se fait en retour médiateur de sa propre divinité. Par une ascension

naturelle, de la cité charnelle à la cité de Dieu, de tous temps et en tout

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LE MESSAGE RÊVÉ

lieu, tous les hommes vertueux s'en trouvent nécessairement sauvés

tandis que l'humanité enfin réconciliée forge des socs de ses épées : rêve

insulaire où les hommes de toutes croyances et couleurs se partageraient

les richesses de la terre et où nul bonheur n'est possible si tous les dieux

particuliers n'y présidaient.

De la naissance au-delà de la mort, c'est bien l'épure du message

originel recomposé par le songe.

85

L e roi, ayant assimilé les plus hautes vérités de toutes les religions, a dit aux adeptes des diverses religions : « Allez, maintenant, et accomplissez vos différents rites et devoirs selon vos religions respectives. »

Uddyotanasïïri Kuvalayamâlâ, 779 apr. J . - C , Traduit du pracrit

86

Les religions sont c o m m e des routes différentes convergeant vers u n m ê m e point. Qu ' impor t e que nous empruntions des itinéraires différents, pourvu q u e nous arrivions a u m ê m e but.

M a h a t m a Gandhi, 1869-1948, Inde, Lettres à l'Ashram

87

Açal avait entendu parler de l'île dans laquelle o n a rapporté que H a y y ben Y a q d h â n était né. Il en connaissait la fertilité, les ressources, le climat tempéré et (pensait) q u ' e n s'y retirant il arriverait à la réalisation de ses v œ u x . Il résolut de s'y transporter et d ' y passer, loin des h o m m e s le reste de sa vie (...) O r , Açal , autrefois, à cause de son goût pour l'interprétation, avait appris la plupart des langues, et il y était expert. Il adressa donc la parole à H a y y ben Y a q d h â n , et lui d e m a n d a des renseignements sur lui dans toutes les langues qu'il connaissait, s'efforçant de se faire comprendre , mais en vain : H a y y ben Y a q d h â n , dans tout cela, admirait ce qu'il entendait, sans en saisir la portée et sans y voir autre

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LA T O L É R A N C E

chose que la bienveillance et l'affabilité. E n sorte que chacun d'eux considérait l'autre avec étonnement (...) Açal commença donc à lui enseigner le langage. D'abord, il lui montrait les objets m ê m e s eh prononçant leurs noms , il les lui répétait et l'invitait à les prononcer lui-même. Celui-ci les prononçait à son tour en les montrant. Il arriva de la sorte à lui enseigner tous les noms et petit à petit, il parvint, en un temps très court, à le mettre en état de parler. Açal se mit alors à lui demander des renseignements sur lui, sur l'endroit d'où il était venu dans cette île. Hayy ben Yaqdhân lui apprit qu'il ignorait quelle pouvait être son origine, qu'il ne se connaissait ni père ni mère, sauf la gazelle qui l'avait élevé. Il le renseigna sur tout ce qui le concernait et sur les connaissances qu'il avait progressivement acquises, jusqu'au moment où il était parvenu au degré de l'union (avec Dieu)... Hayy ben Yaqdhân, de son côté, se mit à l'interroger sur lui, sur sa condition ; et Açal lui parla de son île, des h o m m e s qui s'y trouvaient, de leur .manière de vivre avant d'avoir reçu leur religion, et depuis qu'ils l'avaient reçue. Il lui exposa toutes les traditions de la Loi religieuse relatives au m o n d e divin, au paradis, au feu (de l'enfer), à la résurrection, au rassemblement du genre humain rappelé à la vie, aux comptes (qu'il faudra rendre), à la balance et au pont. Hayy ben Yaqdhân comprit tout cela et n'y vit rien qui fût en opposition avec ce qu'il avait contemplé dans sa station

sublime. Il reconnut que l'auteur et propagateur de ces descriptions était vrai dans ses descriptions, sincère dans ses paroles, envoyé de son Seigneur ; il eut foi en lui, il crut à sa véracité, il rendit témoignage de sa mission.

Ibn Tufayl, xne siècle, Maghreb ; Hayy ben Yaqdhân

88

Les Utopiens mettent au nombre de leurs institutions les plus anciennes celle qui prescrit de ne faire tort à personne pour sa religion. Utopus, à l'époque de la fondation de l'empire, avait appris qu'avant son arrivée, les indigènes étaient en guerre continuelle au sujet de la religion. Il avait

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45

LE MESSAGE R Ê V É

aussi remarqué que cette situation du pays lui en avait puissamment facilité la conquête, parce que les sectes dissidentes, au lieu de se réunir en masse, combattaient isolées et à part. Dès qu'il fut victorieux et maître, il se hâta de décréter la liberté de religion. Cependant il ne proscrivit pas le prosélytisme qui propage la foi au m o y e n du raisonnement, avec douceur et modestie, qui ne cherche pas à détruire par la force brutale la religion contraire s'il ne réussit pas à persuader, qui, enfin, n'emploie ni la violence ni l'injure. Mais l'intolérance et le fanatisme furent punis'de l'exil ou de l'esclavage.

Thomas More, Angleterre, Utopia, 1516

89

C'est folie que chacun pour son cas Fasse valoir son opinion personnelle. Si Islam veut dire : soumis à Dieu, Nous vivons et mourons tous en Islam.

Goethe, Allemagne, Le livre des maximes, 1819

90

Laissez-moi vous dire alors que mes compagnons et moi ne faisons pas de différence entre un h o m m e et un autre.

Nous ne demandons pas à quelle race ou à quelle religion un h o m m e appartient. Il nous suffit qu'il s'agisse d'un h o m m e .

Theodor Herzl, 1860-1904, Hongrie, Old-New Land

91

Utopus, en décrétant la liberté religieuse, n'avait pas seulement en vue le maintien de la paix que brouillaient naguère des combats continuels et des haines implacables, il pensait encore que l'intérêt de la religion elle-même commandait une pareille mesure. Jamais il n'osa rien statuer témérairement en matière de foi, incertain si Dieu n'inspirait

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LA T O L É R A N C E

pas lui-même aux h o m m e s des croyances diverses afin d'éprouver pour ainsi dire cette grande multitude de cultes variés.

Quant à l'emploi de la violence et des menaces pour contraindre un autre à croire c o m m e soi, cela lui parut tyrannique et absurde. Il prévoyait que si toutes les religions étaient fausses, à l'exception d'une seule, le temps viendrait où, à l'aide de la douceur et de la raison, la vérité se dégagerait elle-même, lumineuse et triomphante de la nuit de l'erreur.

A u contraire, lorsque la controverse se fait en tumulte et les armes à la main, c o m m e les plus méchants h o m m e s sont les plus entêtés, il arrive que la meilleure et la plus sainte religion finit par être enterrée sous une foule de superstitions vaines, ainsi qu'une belle maison sous les ronces et les broussailles. Voilà pourquoi Utopus laissa à chacun liberté entière de conscience et de foi. (...) Quoique les Utopiens ne professent pas la m ê m e religion, cependant, tous les cultes de ce pays dans leur multiple variété, convergent pas des routes diverses à un m ê m e but qui est l'adoration de la nature divine. C'est pourquoi l'on ne voit et l'on n'entend rien dans les temples qui ne convienne à toutes les croyances en c o m m u n .

Thomas More, Angleterre, Utopia, 1516

92

C o m m e je pense qu'on ne saurait sans témérité assurer que Dieu ait fait la grâce à Socrate de le recevoir dans son Paradis, je crois que la témérité est encore plus grande de le condamner aux peines éternelles de l'Enfer, vu la bonne opinion qu'ont eue de lui tant de saints Pères et tant de profonds théologiens. Car puisque nous avons montré que selon leur doctrine les païens vertueux ont pu se sauver par une grâce extraordinaire du ciel, à qui pouvons-nous présumer qu'elle ait été plutôt accordée qu'à celui que toute l'antiquité a n o m m é le sage Socrate? (...)

Nous serions donc, à m o n avis, bien injustes et bien

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LE MESSAGE R Ê V É

téméraires tout ensemble, si nous n'honorions pas sa mémoire [celle de Confucius] avec celle des plus grands philosophes que nous avons déjà n o m m é s et si nous désespérions de son salut, ne l'ayant pas fait de celui de Socrate, ni de Pythagore qui, vraisemblablement, n'étaient pas plus vertueux que lui. Car puisqu'il n'a pas moins reconnu qu'eux l'unité d'une première cause, toute puissante et toute bonne, il ne se peut faire qu'il ne lui ait aussi consacré toutes ses affections. Et pour ce qui touche la charité envers le prochain, qui fait le second m e m b r e de la Loi, les mémoires du Père Ricius nous assurent qu'il n 'y a rien de plus exprès dans toute la morale chinoise qui vient de ce Philosophe, que le précepte de ne faire jamais à autrui ce que nous ne voudrions pas qui nous fût fait. C'est ce qui m'oblige à penser, sans rien déterminer pourtant, que Dieu peut avoir usé de miséricorde en son endroit, lui confiant cette grâce spéciale qu'il ne refuse jamais à ceux qui contribuent par son moyen tout ce qui est de leur possible pour l'obtenir.

F. de La Mothe, Le Vayer, 1588-1672, France, De la vertu des païens

93

Il y avait un officier, h o m m e de bien, appelé Montrésor, qui était très malade. Son curé, croyant qu'il allait mourir, lui conseilla de faire la paix avec Dieu, afin d'être reçu en Paradis. —Je n'ai pas beaucoup d'inquiétude à ce sujet, dit Montrésor, car j'ai eu, la nuit dernière, une vision qui m ' a tout à fait tranquillisé. — Quelle vision avez-vous eue, dit le bon prêtre. —J'étais, dit-il, à la porte du Paradis, avec une foule de gens qui voulaient entrer. Et saint Pierre demandait à chacun de quelle religion il était. L ' u n répondait : je suis catholique romain. — H é bien, disait saint Pierre, entrez, et placez-vous là, parmi les Catholiques. U n autre dit qu'il était de l'église anglicane. — H é bien, dit saint Pierre, entrez et placez-vous là, parmi les Anglicans. U n autre dit qu'il était quaker. — Entrez, dit saint Pierre, et prenez place parmi les

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LA T O L É R A N C E

Quakers. Enfin, il m e demanda de quelle religion j'étais. — Jacques Montrésor n'en a point. — C'est d o m m a g e , dit le Saint, je ne sais où vous placer, mais entrez toujours, vous vous mettrez où vous pourrez.

Benjamin Franklin, 1706-1790, États-Unis d'Amérique

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Il adviendra dans l'avenir que le M o n t du Temple de Yahvé

sera établi au sommet des montagnes et s'élèvera plus haut que les collines.

Toutes les nations y afflueront, des peuples nombreux s'y rendront et diront :

« Venez, montons à la montagne de Yahvé,

allons au Temple du Dieu de Jacob, pour qu'il nous enseigne ses voies

et que nous suivions ses sentiers. Car de Sion viendra la Loi

et de Jérusalem l'oracle de Yahvé. » Il exercera son autorité sur les nations

et sera l'arbitre de peuples nombreux,

qui de leurs épées forgeront des socs et de leurs lances des faucilles.

Les nations ne lèveront plus l'épée l'une contre l'autre et l'on ne s'exercera plus à la guerre.

Bible hébraïque, Isaie, 19

95

L'île en révolte

Je rêve

d'un m o n d e où l ' h o m m e ne méprisera plus l ' h o m m e , où l'amour régnera sur la terre,

où la paix ornera ses chemins. Je rêve d 'un m o n d e où tous

se laisseront conduire par les sentiers chéris de la liberté,

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49

LE MESSAGE RÊVÉ

où l'envie ne rongera plus les cœurs, où la cupidité n'assombrira plus nos jours. Je rêve d'un monde où Blancs et Noirs quelle que soit votre race se partageront les bienfaits de la terre, où tout h o m m e sera libre, où la misère honteuse penchera la tête, et la joie, c o m m e une perle précieuse, comblera les v œ u x de l'humanité. Voilà le monde dont je rêve.

Langston Hughes, 1902-1967, États-Unis d'Amérique

Disputations rationnelles : le salut de la « conscience errante »

Soit donc cette île idéale où, par une démarche naturelle, l'homme originel redécouvre, par sa seule raison, le message initial, l'intériorise et s'y soumet librement, dans la pleine reconnaissance de la diversité humaine. Qu'en est-il de l'homme non « élu », qui n'a pas eu la grâce de chercher ou de rencontrer telle voie ?

Justement. Mais entrons plus avant dans le rêve des monothéismes. A l'avant-scène apparaissent « trois hommes, venus de trois directions ». Deux d'entre eux, forts chacun de sa vérité mais de guerre las, s'en remettent à un « philosophe » pour trancher, au terme de leur débat, auquel d'entre eux reviendra la charge de l'âme du troisième, un pdien.

Sous l'égide de « D a m e Intelligence » s'engage alors une étrange disputation rationnelle d'où très vite le Gentil, récusant la règle du jeu, sort sauvé, mettant du coup à nu le « vrai » conflit, celui des deux vérités des maîtres où la sienne s'affirme juge plutôt que partie puisque, pour le convaincre, lui, et le gagner, il leur appartient d'abord de réduire leurs propres divergences et d'entendre elles-mêmes raison, sans détour, limites ni menace. Un temps viendra où la retraite ne sera pas si aisée.

96

Je dormais quand m'apparurent trois h o m m e s , venant de trois directions. Je leur demandai aussitôt dans m o n rêve

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LA T O L É R A N C E

quelle était leur profession et quel était le motif de leur visite. « Nous appartenons, répondirent-ils, à des religions différen­tes. A vrai dire, nous honorons tous les trois un Dieu unique, mais nous n'avons ni la m ê m e foi, ni la m ê m e façon pratique de servir ce Dieu. L ' u n de nous est un Païen. Les deux autres possèdent des Livres sacrés, l'un est Juif, l'autre Chrétien. N o u s avons longtemps confronté nos religions et disputé à leur propos et voici que maintenant nous te prenons enfin c o m m e arbitre.

Le philosophe : C'est m o n travail m ê m e qui est à la source de tout le débat ; le but suprême de la philosophie n'est-il pas, en effet, de chercher rationnellement la vérité, de dépasser les opinions humaines et de leur substituer en toutes choses les règles de la raison ?

Pierre Abélard, 1079-1142, France, Dialogue entre un Philosophe, un Juif et un Chrétien

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Si grand tort que païens vous firent A vous sied leur laisser le fruit D e ce que Dieu m ê m e eut merci Vers ceux-là qui son corps occirent. Si Dieu vous rend vainqueurs là-bas Ayez pitié en vos combats.

Wolfram von Eschenbach, x m e siècle, Willehalm, vieil allemand

98

N o u s appelons ces peuples des sauvages parce que leurs m œ u r s diffèrent des nôtres que nous croyons la perfection de la politesse. Si nous examinons avec impartialité les m œ u r s des différentes nations, peut-être trouverions-nous que, quelque grossier qu'il soit, il n'y a pas de peuple qui n'ait quelques principes de politesse, et qu'il n'en est aucun de si poli qu'il ne conserve quelques restes de barbarie (...)

Il est vrai que la politesse qu'affectent les sauvages dans

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51

LE MESSAGE RÊVÉ

la conversation est portée à l'excès ; car elle ne leur permet pas de mentir ni m ê m e de contredire ce qu'on énonce en leur présence. Par ce moyen, ils évitent les disputes, mais aussi on peut difficilement connaître leur façon de penser et l'impres­sion qu'on fait sur eux. Les missionnaires qui ont essayé de les convertir au christianisme se plaignent tous de cette extrême déférence c o m m e d 'un des plus grands obstacles au succès de leur mission. Les sauvages se laissent patiemment expliquer les vérités du christianisme et y donnent leurs signes ordinaires d'approbation. Vous croiriez qu'ils sont convaincus ; point du tout, c'est pure civilité.

U n missionnaire suédois ayant assemblé les chefs indiens des bords de la Susquehannah, leur fit un sermon dans lequel il développa les principaux faits historiques sur lesquels est fondée notre religion, tels que la chute de nos premiers parents quand ils mangèrent une p o m m e , la venue du Christ pour réparer le mal, ses miracles, ses souffrances, etc. Q u a n d il eut achevé, un orateur indien se leva pour le remercier :

« C e que vous venez de nous faire entendre, dit-il, est très bon. Certes, c'est fort mal de manger des p o m m e s ; il vaut beaucoup mieux en faire du cidre. Nous vous sommes infiniment obligés d'avoir la bonté de venir si loin de votre pays pour nous apprendre ce que vos mères vous ont appris. E n revanche, je vous vous conter quelque chose de ce que nous tenons des nôtres :

« A u commencement du monde , nos pères ne se nourris­saient que de la chair des animaux et quand leur chasse n'était pas heureuse, ils mouraient de faim. Deux de nos jeunes chasseurs, ayant tué un daim, allumèrent du feu dans les bois pour en faire griller une partie. A u m o m e n t où ils étaient prêts à satisfaire leur appétit, ils virent une jeune et belle femme descendre des nues et s'asseoir sur ce sommet que vous voyez là-bas, au milieu des montagnes bleues. Alors les deux chasseurs se dirent l'un à l'autre : C'est un esprit qui peut-être a senti l'odeur de notre gibier grillé et désire en manger ; il faut lui en offrir. Ils lui présentèrent en effet la langue du daim. La jeune f emme trouva ce mets de son goût, et leur dit : « Votre honnêteté sera récompensée. Revenez ici

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LA TOLÉRANCE

après treize lunes, et vous y trouverez quelque chose qui vous sera très utile pour vous nourrir, vous et vos enfants jusqu'à la dernière génération. » Ils firent ce qu'elle leur disait, et à leur grand étonnement, ils trouvèrent des plantes qu'ils ne connaissaient point, mais qui, depuis cette époque, ont été constamment cultivés parmi nous et nous sont d 'un grand avantage. L à où la main droite de la jeune f e m m e avait touché la terre, ils trouvèrent le maïs, l'endroit où avait touché sa main gauche portait des haricots, et celui où elle s'était assise, du tabac. » Le bon missionnaire qu'ennuyait ce conte ridicule, dit à celui qui le faisait :

« Je vous ai annoncé des vérités sacrées, mais vous ne m'entretenez que de fables, de fictions, de mensonges. » L'Indien, choqué, lui répondit :

« M o n frère, il semble que vos parents ont eu envers vous le tort de négliger votre éducation. Ils ne vous ont pas appris les premières règles de la politesse. Vous avez vu que nous, qui connaissons et pratiquons ces règles, nous avons cru toutes vos histoires. Pourquoi refusez-vous de croire les nôtres ? »

Benjamin Franklin, 1706-1790, États-Unis d'Amérique

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Dès que nous perdons la base morale, nous cessons d'être religieux. L a religion ne saurait renverser et supplanter la moralité. Par exemple un h o m m e ne peut pas vivre dans le mensonge, la cruauté, la luxure et prétendre en m ê m e temps avoir Dieu en soi.

Mahatma Gandhi, 1869-1948, Inde, Lettres à l'Ashram

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C o m m e n t peut-on donc s'imaginer qu 'un pauvre Américain qui n'avoit jamais ouy parler de la vraye religion il y a deux cents ans, ne peust deslors en nulle façon esviter les peines éternelles, encore qu'il vescust moralement bien et qu'il ressemblast aus bons payens dont nous avons parlé qui, se

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LE MESSAGE R Ê V É

laissant guider par la lumière naturelle de nostre raison, adoraient un seul Dieu créateur de toutes choses et vivoient sans Idolatrie. Car si la nature ne m a n q u e jamais aus choses nécessaires selon les principes de la Physique, croyrons-nous dans la Theologie que l'Autheur de la nature puisse desnier absolument à un Gentil le moyen de se sauver, qui fait pour cela tout ce qui est en luy, et qui l'aymant de tout son cœur sans le connoistre, ne fait rien à personne que ce qu'il trouve bon qu'on luy face ?

F. de La Mothe, Le Vayer, 1588-1672, France, De la vertu des païens

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Le Tartan : Avec tous ces rites qui diffèrent (...) selon les lieux et les temps, comment réaliser l'union, cela je ne le saisis pas. Et, si on n'y parvient pas, la persécution pourtant ne cessera. Car la diversité engendre la division, l'inimitié, la haine et la guerre.

Paul : Il faut montrer que le salut de l'âme ne vient pas des œuvres, mais de la foi. Car A b r a h a m , père de tous les croyants, c'est-à-dire, indistinctement des Chrétiens, des Arabes et des Juifs, a cru en Dieu et sa foi l'a justifié. C'est l'âme du Juste qui héritera la vie éternelle. Cela admis, on ne sera pas troublé par les variétés rituelles, car elles furent instituées et reçues c o m m e des signes sensibles de la vérité de la foi. O r , les signes peuvent changer, non l'objet qu'ils représentent.

Le Tartare : Il est juste que les commandements de Dieu soient observés. Mais les Juifs disent qu'ils les ont reçus par Moïse, les Arabes par M a h o m e t , les Chrétiens par Jésus et sans doute d'autres nations vénèrent aussi leurs prophètes et affirment qu'elles ont reçu de la main de ceux-ci les préceptes divins. C o m m e n t donc arriver à un accord? Paul : Les commandements divins sont très brefs et parfaite­ment connus de tous et c o m m u n s à toutes les nations; disons m ê m e que la Lumière qui nous les révèle est innée à l'âme rationnelle. Car Dieu parle en nous, nous enjoignant de

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LA TOLÉRANCE

l'aimer, Lui, de qui nous avons reçu l'être et de ne point faire à autrui ce que nous ne voudrions pas qu'on nous fît. L 'amour est l'achèvement de la loi divine et toute loi se ramène à celle-là.

Nicolas de Cusa, Allemagne, La paix dans la foi, 1454

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Nos rabbins nous ont enseigné : « A u Gentil c o m m e au Juif, à l 'homme c o m m e à la femme, à l'esclave c o m m e à la servante, l'Esprit de Dieu accordera selon ses agissements. »

Midrash, Tanah Debey, env. ixe s.

Disputations confessionnelles : la prière d ' A b r a h a m

Le rêve insulaire se poursuit néanmoins et les trois Sages, ayant « perdu » le Gentil d'Amérique ou d'Asie mais toujours devisant, se sont maintenant engagés dans une forêt symbolique pour chercher ¡'eminente raison de leurs propres variations autour de l'unité afin de mettre en effet d'abord un terme à leurs propres dissensions doxologiques.

Or, l'interpellé cette fois-ci n'est plus le théologien-philosophe de la séquence précédente, mais Dieu lui-même, supplié d'expliquer cette diversité dont, étant l'auteur, il est seul à pouvoir rendre raison. A partir de U n , invoque-t-on, l'humanité reconnaissante s'est multipliée ; mais elle l'a fait dans une diversité douloureuse, sous « la domination des rois » et à l'appel des prophètes qui n'ont pourtant fait que transmettre le message transcendant. Pourquoi donc nos divergences ? Sinon des médiateurs, sont-elles, à cette intensité, le fait de la nature des hommes ou du pouvoir des rois qu'elles aient conduit à un tel aveuglement et à tant de violence ? Seraient-elles aussi d'enracinement dans l'habitude et de force de tradition?

Ici, une profusion de métaphores et d'analogies obscurcit quelque peu ce débat onirique. La raison cherche des raisons mais les réponses visent l'imaginaire : l'arbre n'a qu'un seul tronc, mais des branches et des feuilles multiples ; « la couleur de l'eau est celle de son récipient » :

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LE MESSAGE RÊVÉ

toutes les religions se valent puisqu'elles participent d'une croyance

centrale, totalisatrice. A telle enseigne, aucune en conséquence, en

principe ni en droit n'est fondée à récuser l'autre ni à se contester

puisque toutes réfirent à une même vérité première qui les intègre et tout

à la fois les déborde.

Le rêve alors s'amplifie à l'enracinement des croyances, s'y diffuse

puis se dilue dans l'oubli du problème. Ne reste, comme un pari de la

douceur contre le mystère, que le parti résigné de l'humain mais d'une

raison obstinée à comprendre. Dieu est caché et inaccessible ; quelques-

uns sont appelés à une quête continuelle, la plupart ne veulent et

n'entendent que vivre sans trop chercher à le connaître. Le mystique doit

se retirer du monde avec sa vérité et nul des trois Sages ne saurait

reconnaître l'anneau authentique. Aussi bien, que la quête et le dialogue

des Sages se poursuivent et que chacun suive sa voie, celle de l'humaine

nature et de sa conscience car, à ce niveau d'interrogation, « nul ne

saurait formuler une loi qui permettrait de distinguer le vrai du faux ».

Quelques points de convergence cependant : l'unité de l'âme

transcende la diversité des corps ; si la religion unique est au-delà d'un

langage humain nécessairement imparfait, le désaccord est sur la

forme, non sur la nature ; il tient aux rites, non à la reconnaissance du

Dieu unique. Continuons donc à chercher l'unification et, considérant

« nos propres erreurs », « si nous sommes seuls à avoir raison,

conformons-nous en dernière instance à l'opinion de la multitude et

agissons comme elle ». Dans un tel contexte et selon un tel

raisonnement, la multitude renvoie au statu q u o .

Au sortir de la forêt et au bout de « l'aventure », plus qu'à un

concordat utopique, c'est sur la nécessité de poursuivre pacifiquement le

dialogue œcuménique, à Jérusalem, que se séparent les trois Sages.

Des points de convergence donc mais plus encore le vœu final que,

dans l'intervalle, trêve ajamáis à la violence et prière, celle-là même

d'Abraham, apôtre de l'œcuménisme, tout de pardon et de tolérance.

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U n h o m m e brûlé du zèle divin, se mit à implorer (...) le Créateur universel de bien vouloir modérer les persécutions qui (...) sévissent aujourd'hui sous les prétextes des diversités

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LA TOLÉRANCE

religieuses. Il advint qu'après plusieurs jours, peut-être à la suite d'une longue méditation, une vision se manifesta à cet h o m m e zélé d'où il tira la conviction que, grâce à l'accord d 'un petit nombre de sages et de savants choisis parmi les dirigeants des diverses religions qui se partagent la surface du globe, on pourrait arriver facilement à un concordat universel et à une perpétuelle paix religieuse en toute convenance et en toute vérité.

Cet h o m m e fut ravi jusqu'à un certain niveau d'intellec-tion qui lui permit d'assister parmi les morts à l'examen de cette question par une élite humaine sous la présidence du Tout-Puissant...

Nicolas de Cusa, Allemagne, La paix dans la foi, 1454

104

Les h o m m e s formaient une seule communauté . Dieu a envoyé les prophètes pour leur apporter la bonne nouvelle et pour les avertir.

Il fit ainsi descendre le Livre avec la Vérité pour juger entre les h o m m e s

et trancher leurs différends, mais seuls, et par jalousie entre eux, ceux qui avaient reçu le Livre

furent en désaccord à son sujet

alors que des preuves irréfutables leur étaient parvenues.

Le Coran, Sourate n, La vache

105

L'attachement de chacun à sa propre secte rend les h o m m e s présomptueux et si arrogants que quiconque leur paraît s'éloigner de leur foi leur paraît pour autant étranger à la miséricorde divine, et que vouant tous les autres à la damnation, ils se promettent seuls à la béatitude.

Pierre Abélard, 1079-1142, France, Dialogue entre un Philosophe, un Juif et un Chrétien

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LE MESSAGE RÊVÉ

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(...) Plein de compassion pour les humains et désireux de leur apporter le salut, il [Hayy ben Yaqdhiän] conçut le dessein d'aller à eux, de leur exposer la vérité d'une manière claire et évidente. (...) Açal, de son côté, souhaitait que par son entremise, Dieu dirigeât quelques humains de sa connaissance, disposés à se laisser guider et plus proches du salut que les autres. Il l'encouragea donc dans son dessein (...)

(...) Dieu leur envoya un bon vent qui porta le navire en très peu de temps vers l'île où ils désiraient aller. Ils y débarquèrent tous les deux et entrèrent dans la ville.

H a y y ben Y a q d h â n entreprit de les instruire (l'élite de la ville) et de leur révéler les secrets de la sagesse. Mais à peine s'était-il élevé au-dessus du sens ésotérique, à peine avait-il c o m m e n c é à exprimer des vérités contraires aux préjugés dont ils étaient imbus, qu'ils se rembrunirent : leurs âmes répugnaient aux doctrines qu'il apportait et ils s'irritaient en leurs cœurs contre lui, bien qu'ils lui fissent bon visage par courtoisie vis-à-vis d ' u n étranger et par égard pour leur ami Açal. H a y y ben Y a q d h â n ne cessa d'en bien user avec eux nuit et jour et de leur découvrir la vérité dans l'intimité et en public. Il n'aboutissait qu 'à les rebuter et à les effaroucher davantage. Pourtant ils étaient amis d u bien et désireux du vrai ; mais par suite de leur infirmité naturelle, ils ne poursuivaient par le vrai par la voie requise, ne le perce­vaient pas d u côté qu'il fallait et au lieu de l'examiner du biais voulu, ils cherchaient à le connaître à la façon de tous les h o m m e s . Il désespéra de les corriger et renonça à tout espoir de trouver accès dans leurs cœurs.

(...) Lorsqu'il vit que les voiles du châtiment les entou­raient, que les ténèbres de la séparation les enveloppaient, que tous, à peu d'exceptions près, ne saisissaient de leur religion que ce qui regarde ce m o n d e (...) « que le commerce et les transactions les empêchaient de se souvenir du Dieu Très-Haut » (Coran, X X I V , 37), il comprit avec une entière certitude que les entretenir de la vérité pure était chose

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LA T O L É R A N C E

vaine; qu'arriver à leur imposer dans leur conduite un niveau plus relevé était chose irréalisable ; que pour le plus grand nombre, tout le profit qu'ils pouvaient tirer de la Loi religieuse concernait leur existence présente et consistait à jouir d'une vie facile sans être lésés par autrui dans la possession des choses qu'ils considéraient c o m m e leur appar­tenant en propre (...)

(...) Il se rendit donc auprès de Salamân [Roi de l'île] et de ses compagnons, leur présenta ses excuses pour les discours qu'il leur avait tenus et les pria de les lui pardonner. (...) Ils leur dirent adieu tous les deux, les quittèrent et attendirent patiemment l'occasion de retourner dans leur île.

Ibn Tufayl, xn" siècle, Maghreb, Hayy ben Yaqdhân

107

Viens donc à leur secours, Toi qui seul le peux. Car c'est Toi seul qu'ils vénèrent à travers tous les objets apparents de leur culte et c'est à cause de Toi, par conséquent, que naît la guerre religieuse. (...)

(...) C'est donc Toi qu'à travers la diversité des rites ils semblent tous chercher diversement et à travers la diversité des noms divins, c'est Toi qu'ils n o m m e n t . (...) Et s'il advient qu'il soit impossible de faire disparaître cette différence des rites et que cette différence m ê m e paraisse souhaitable pour augmenter la dévotion, chaque religion s'attachant avec plus de vigilance à ses cérémonies c o m m e si elles devaient plaire davantage à ta Majesté, — que d u moins c o m m e T u es unique, il y ait une seule religion, un seul culte de Latrie. (...)

Nicolas de Cusa, Allemagne, La paix dans la foi, 1454

108 1" journée, 3e nouvelle

Poussé par la nécessité, Saladin, tout occupé à trouver un m o y e n d'obtenir ce service [un prêt] d u Juif, résolut de lui faire une violence qui eût quelque apparence de raison.

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LE MESSAGE RÊVÉ

L'ayant fait appeler, et l'ayant reçu familièrement, il le fit asseoir près de lui, puis.il lui dit : « Brave h o m m e , j'ai entendu dire par plusieurs que tu es fort sage et fort instruit dans les choses de Dieu. Pour ce, je voudrais volontiers savoir de toi laquelle des trois religions tu tiens pour la vraie, la juive, la sarrasine ou la chrétienne. » Le juif qui était en effet un h o m m e très sage (...) dit :

« M o n Seigneur, la question que vous m e faites est belle, et pour vous dire ce que j'en pense, il m e faut vous conter une petite nouvelle que vous comprendrez. Si je ne fais erreur, je m e rappelle avoir entendu dire souvent qu'il fut autrefois un h o m m e grand et riche, lequel, parmi les autres joyaux qu'il possédait dans son trésor, avait un anneau très beau et très précieux. Voulant, à cause de sa valeur et de sa beauté, lui faire honneur et le transmettre perpétuellement à ses descendants, il ordonna que celui de ses fils sur qui cet anneau serait trouvé c o m m e le lui ayant remis lui-même, fût reconnu pour son héritier et fût honoré et respecté par tous les autres c o m m e le chef de la famille. Celui à qui l'anneau fut laissé, transmit cet ordre à ses descendants et fit c o m m e avait fait son prédécesseur. E n peu de temps, cet anneau passa de main en main à de nombreux maîtres et parvint ainsi à un h o m m e qui avait trois fils beaux et vertueux et très obéissants à leur père ; pour quoi, il les aimait également tous les trois. Les jeunes gens connaissaient la tradition de l'anneau, et c o m m e chacun d'eux désirait être le plus honoré parmi ses frères, ils priaient, chacun pour soi et du mieux qu'ils savaient, le père qui était déjà vieux, pour avoir l'anneau quand il mourrait. L e brave h o m m e qui les aimait tous les trois également, ne savait lui-même choisir à qui il laisserait l'anneau. L'ayant promis à chacun d'eux en particulier, il songea à les satisfaire tous les trois. Il en fit faire secrètement par un habile ouvrier deux autres si semblables au premier que lui-même qui les avait fait faire pouvait à peine distinguer le vrai. Q u a n d il vint à mourir, il en donna secrètement un à chacun de ses enfants qui, après la mort de leur père, voulant chacun occuper sa succession et sa dignité et se les déniant l'un à l'autre, produisirent leur

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LA T O L É R A N C E

anneau aux yeux de tous, en témoignage de leur prétention. Les anneaux furent trouvés tellement pareils que l'on ne savait reconnaître le vrai, et que la question de savoir lequel d'entre eux était le véritable héritier du père resta pendante et l'est encore. Et j'en dis de m ê m e , m o n Seigneur, des trois religions données aux trois peuples par Dieu le Père, et sur lesquelles vous m e questionnez. Chacun d'eux croit être son héritier et avoir sa vraie loi et ses vrais commandements ; mais la question de savoir qui les a est encore pendante, c o m m e celle des anneaux. »

Boccace, 1313-1375, Italie, Le Décaméron

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Abstenons-nous de tout courroux et gardons-nous de jeter des regards irrités. Et n'ayons nul ressentiment si les autres ne pensent pas c o m m e nous. Car tous les h o m m e s ont un cœur, et chaque cœur a ses penchants. C e qui est bien pour nous est mal pour autrui. Nous ne sommes pas nécessaire­ment des sages et les autres ne sont pas nécessairement des sots. Nous ne sommes tous que des h o m m e s ordinaires. C o m m e n t quelqu'un pourrait-il poser des principes pour distinguer le bien du mal ? Car nous sommes tous à la fois sages et sots, tel un anneau qui n'a pas de fin.

Constitution du prince impérial Shôtoku, 604, Japon

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S'il est loisible à un chacun de suivre quelle religion il voudra, vu qu'il y a une grande diversité d'esprits et de jugements, de là s'ensuivra une grande dissimilitude d'opi­nions et de sentences, et n'y aura celui qui n'ait en quoi contredire et répugner à soi-même. Et vu qu'il n'y a personne à qui on ne contredise, plusieurs tomberont en doute de ce qu'ils doivent croire et suivre. Celui qui est doute et scrupule de conscience est aiguillonné d 'un désir et appétit de chercher la vérité. Et quand beaucoup de gens s'adonneront à la chercher, ce sera bien merveille s'ils ne la trouvent enfin.

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LE MESSAGE RÊVÉ

Et quand elle sera trouvée et que les opinions seront confrontées par une gracieuse et aimable conférence, alors la vérité viendra au-dessus, le mensonge vaincu et défait. D e là s'ensuit que le règne de Satan ne peut consister où un chacun a franchise et liberté de mettre en avant son opinion touchant le fait de la religion.

Jacobus Acontius, Italie, Satanae stratagemata, 1565

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L ' A m e est une, mais les corps qu'Elle anime sont nombreux. Nous ne pouvons pas réduire le nombre des corps, et pourtant nous reconnaissons l'unité de l 'Ame . D e m ê m e qu'un arbre n'a qu 'un tronc, mais beaucoup de branches et de feuilles, de m ê m e il n'existe qu'une seule religion vraie et parfaite, mais elle devient multiple en passant par l'intermé­diaire de l ' h o m m e . La Religion unique est au-delà du domaine du langage. Des h o m m e s imparfaits ne peuvent l'exprimer que dans le langage dont ils disposent, et leurs paroles sont interprétées par d'autres h o m m e s également imparfaits. Quelle est l'interprétation qu'on doit accepter c o m m e la vraie ? Chacun a raison de son propre point de vue, mais il n'est pas impossible que tout le m onde ait tort. D ' o ù la nécessité de la tolérance, qui n'est pas de l'indifférence pour sa propre foi, mais un amour plus pur et plus intelligent pour cette foi. L a tolérance nous donne un pouvoir de péné­tration spirituelle qui est aussi éloigné du fanatisme que le pôle nord du pôle sud. La véritable connaissance de la religion fait tomber les barrières entre une foi et l'autre. E n cultivant en nous-mêmes la tolérance pour d'autres concep­tions, nous acquerrons de la nôtre une compréhension plus vraie. Il est clair que la tolérance n'affecte pas la distinction entre le bien et le mal, entre ce qui est juste et ce qui est faux. Et je n'ai voulu parler ici que des principales conceptions religieuses du m o n d e . Toutes reposent sur des bases communes . Toutes ont produit de grands saints.

Mahatma Gandhi, 1869-1948, Inde, Lettres à l'Ashram

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LA T O L É R A N C E

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E n louant ce qu'il croit, le croyant loue sa propre â m e et c'est à cause de cela qu'il condamne une autre croyance que la sienne ; s'il était équitable il ne le ferait pas ; seulement, celui qui est fixé sur telle adoration particulière ignore nécessaire­ment la vérité intrinsèque d'autres croyances, par là m ê m e que sa croyance en Dieu implique une négation d'autres formes de croyance. S'il connaissait le sens de la parole de Junayd : « la couleur de l'eau c'est la couleur de son récipient », il admettrait la validité de toute croyance et il reconnaîtrait Dieu en toute forme et en tout objet de foi.

Muhyï al-Dïn b. 'Arabï, 1165-1240, Andalousie, La sagesse des prophètes

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J'ai pratiqué toutes les religions : Hindouisme, Islam, Christianisme, et j'ai suivi aussi les voies des différentes sectes de l'hindouisme (...) Et j'ai trouvé que c'est le m ê m e Dieu vers qui toutes se dirigent, par des voies différentes (...) Il vous faut pratiquer une fois pour toutes les croyances et passer par ces voies diverses (...) Je vois que tous les h o m m e s se querellent au n o m de la religion : hindous, mahométans, brahmanes, vaishnavites, etc. Et ils ne réfléchissent pas que Celui qui est appelé Krishna est appelé aussi Çiva, qu'il a n o m Energie Primitive, Jésus ou Allah ! U n seul R a m a qui possède mille n o m s (...) L a substance est U n e , mais elle porte des n o m s différents. Et chacun cherche la m ê m e substance; et seuls varient le climat, le tempérament et le n o m (...) Q u e chacun suive son chemin ! S'il désire sincère­ment, ardemment, connaître Dieu, qu'il soit en paix ! Il le réalisera.

Ramakrishna, 1836-1886, Inde

114

O n découvrit que les divergences [entre les Sages des

Nations] avaient plutôt porté sur les rites que sur les cultes

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LE MESSAGE R Ê V É

du Dieu unique que dès l'origine tous ont toujours présup­posé et vénéré à travers toutes les formes de cultes. C'est bien ce qui apparut de la confrontation de tous les textes sacrés.

(...) O n conclut donc dans le ciel, région rationnelle, un concordat religieux de la façon qu'on a dite, et le Roi des rois prescrivit que les Sages retournassent chez eux pour ensei­gner à leurs nations respectives l'unité du vrai culte, avec l'aide et l'assistance des esprits administrateurs. Munis de pleins pouvoirs, il leur fut ordonné de se rassembler ensuite à Jérusalem, centre religieux c o m m u n , pour recevoir au n o m de tous la foi unique et pour fonder sur elle la paix perpétuelle, afin que dans cette paix, le Créateur de toutes choses fût loué dans tous les siècles. A m e n !

Nicolas de Cusa, Allemagne, La paix dans la foi, 1454

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Plus qu'aucun autre avocat des causes désespérées, Abraham est un intercesseur. Car les autres Saints guérisseurs des désespoirs cautérisent des plaies passagères, tandis qu'Abra­h a m continue à être invoqué c o m m e leur père par douze millions de (...) Juifs (...) et par quatre cents millions de Musulmans. (...) Les Juifs n'ont plus qu'une espérance, mais elle est abrahamique, les Musulmans n'ont plus qu'une foi, mais c'est celle d 'Abraham dans la Justice de Dieu (au-delà de toutes les apparences humaines). Et ces deux protesta­tions séculaires surplombent, immobiles c o m m e des volcans en activité, le déroulement des joies et des soucis passagers des Incirconcis, dans le jour crépusculaire des idoles. Sauf qu'en y cherchant bien, disséminées partout, on retrouve les cendres encore chaudes d'une éruption effrayante, encore abrahamique, celle de la Cité maudite qui s'était exclue de Dieu par amour de soi, qui a concentré toute foi et tout espoir dans un pacte d ' h o m m e à h o m m e c o m m e les forçats ; un pacte, tout de m ê m e , qui les a liés jadis avec Abraham, et qui, par deux fois, l'a forcé à prier pour eux, les plus délaissés des créatures de Dieu ; un pacte de loyauté de bagnards qui a été pour Abraham le surprenant point de départ de sa

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LA TOLÉRANCE

vocation œcuménique. (...) Parmi les trois prières solennel­les, avant la prière pour Ismaël l'Arabe et les Musulmans, avant la prière pour Isaac et les Douze tribus issues de son fils Jacob, la première qu'il nous faut reprendre, c'est la prière sur Sodome (...)

La première prière d 'Abraham est celle qu'il fit pour Sodome, à la Philoxénie de M a m b r é , qui est une théophanie. « Cet h o m m e de tous les commencements » et de tous les achèvements y est saisi entre les deux paroles substantielles de son union à Dieu : « Lékh-lékha » (« sors » : d 'Ur) et « Hinayini » (me voici) pour aller au Moria. (...) Sa parfaite hospitalité envers ses trois mystérieux visiteurs (« tres vidit et U n u m adoravit »), venus le combler par la promesse d'Isaac, les induit à le tenter : Abraham, pourvu d'une postérité, va-t-il continuer à veiller sur les Sodoméens, alliés de son neveu Lot, qu'il a sauvés déjà une fois, les armes à la main; ou, puisqu'il va apprendre qu'ils ont mal tourné, se désintéressera-t-il du pacte de fidélité ?(...) Abraham ne peut plus amener 318 combattants pour les sauver, c'est parmi eux qu'il s'efforce de découvrir, dans la prescience divine qui l'interroge, leurs sauveurs, qu'il se forge une prière de plus en plus pure, capable de susciter dans Sodome cinquante, ou quarante-cinq, ou quarante, ou trente, ou vingt, ou seule­ment dix justes, pour qu'elle soit sauvée. Dieu accepte, mais il n'y en avait que trois, (...) et quatre des cinq cités de Sodome sont brûlées. Mais de m ê m e que l'exigence du sacrifice d 'Abraham demeura en suspens, après le sauvetage d'Isaac, jusqu'au sacrifice du Calvaire, de m ê m e la promesse des Dix demeure, et il faut la rappeler à Dieu, au n o m d 'Abraham. (...) Sodome est la cité qui s'aime elle-même, qui se refuse à la visitation des Anges, des Hôtes, des Etrangers ou qui veut en abuser (...) N ' y eut-il, dans la Cité maudite, que dix justes, et elle serait sauvée. Cette prière d 'Abraham plane toujours au-dessus des sociétés de perdi­tion, pour y susciter ces dix justes, afin de les sauver malgré elles. Et il faut croire qu'elle les y trouve, de temps en temps, pour que le feu du Ciel, c o m m e pour C a p h a m a ü m , les épargne. (...)

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LE MESSAGE RÊVÉ

À sa seconde prière, à Berséba, « puits du serment » où Dieu lui impose l'expatriement, 1' « hégire » de son premier-né Ismaël, Abraham consent à son exil au désert pourvu que sa descendance y survive, douée par Dieu dans le monde d'une certaine pérennité privilégiée, marquant cette race, ismaélienne, arabe, d'une vocation, l'épée, « le fer à la puissance acérée » (Coran, 57, 25) qui suspend sa menace, une fois l'Islam formé, sur tous les idolâtres. (...) Revendica­tion militante de la pure transcendance, résurgence mysté­rieuse du culte patriarcal antérieur au Décalogue mosaïque et aux Béatitudes. (...) Pour l'Islam, toute paix en ce monde est bâtarde, qui n'est pas fondée sur la reconnaissance du Dieu d 'Abraham.

(...) Parce que l'Islam, venu après Moïse et Jésus, avec le Prophète M u h a m m a d , annonciateur négatif du Jugement de mort qui atteindra tout le créé, — constitue une réponse mystérieuse de la grâce à la prière d 'Abraham pour Ismaël et les Arabes : « Je t'ai aussi exaucé! » (pour Ismaël). L'Islam arabe n'est pas une revendication désespérée d'exclus qui sera rejetée jusqu'à la fin, et son infiltration mystérieuse en Terre Sainte le laisse entendre. L'Islam a m ê m e une mission positive : en reprochant à Israël de se croire privilégié, au point d'attendre un Messie né dans sa race, de David, selon une paternité charnelle. Il affirme qu'il y est déjà né, méconnu, d'une maternité virginale prédesti­née, que c'est Jésus, fils de Marie, et qu'il reviendra à la fin des temps, en signe du Jugement. Il reproche aussi aux Chrétiens de ne pas reconnaître tous les signes de la Table Sainte, et de ne pas avoir encore réalisé cette Règle de perfection monastique, rahbâniya, qui, seule, forme en eux la seconde naissance de Jésus, anticipe en eux, par cette venue de l'Esprit de Dieu, la Résurrection des morts dont Jésus est le signe. Cette double revendication de l'Islam à rencontre des Juifs et des Chrétiens qui abusent de leurs privilèges c o m m e s'ils leur appartenaient en propre, cette sommation incisive c o m m e l'épée de la transcendance divine, (...) est un signe eschatologique qui doit faire reprendre avec infiniment de respect la seconde prière d 'Abraham, celle de Berséba.

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LA TOLÉRANCE

À sa troisième prière, A b r a h a m est au Moria , tradition­nellement identifié avec le lieu du futur T e m p l e de Sa lomon . C'est le lieu de l'offrande d'Isaac. A b r a h a m pousse à bout, à tout prix, la fidélité qu'il a jurée à Dieu lors d u pacte de la circoncision (...) M a i s son adhésion à Dieu le dépasse, puisque l'avenir généalogique qu'il avait sacrifié lui est rendu ; il lui reste à persuader ses descendants d'achever le sacrifice interrompu. M a i s ni Isaac, qui ne s'est laissé lier que pris d 'une terreur sacrée, ni Sara, qui, laissée dans l'ignorance d u « génocide » accepté par A b r a h a m , ne dut pas lui trouver d'excuse, et encore moins les descendants d'Isaac par Jacob et les X I I tribus, ne seront persuadés (il faudra l'abandon totalement innocent d 'une Vierge M è r e sans époux huma in , pour accepter d'offrir son fils à la mort) . Il reste que, par son sacrifice, A b r a h a m a rendu sa race sacerdotale, a voué les Israélites à devenir prêtres (...)

A b r a h a m a prié en dernière analyse pour que le pacte

social qui fonde les cités soit pur, pour que les combattants aboutissent

à une paix fraternelle, pour que le sacerdoce soit saint, et ces trois prières, à M a m b r é , à Berséba, au Mor ia , n 'en font q u ' u n e , et la troisième est le sceau des deux autres. U n e Fille d ' A b r a h a m est venue : la Cité maudite avait refusé l'hospita­lité aux Anges Etrangers, E L L E a accueilli l'Esprit-Saint, l ' A m o u r , à qui l'on ne d e m a n d e ni « pourquoi », ni « c o m m e n t » ; la race d'Ismaël a opté de faire la guerre au n o m d'une transcendance inaccessible dans Sa paix, E L L E a reçu le salut de cette Paix. (...) E L L E a, du premier coup, accepté d'être soupçonnée, fiancée, calomniée par son voisi­nage, (...) par sa race qu 'ELLE aimait infiniment, puis-q u ' E L L E a exposé, pour la sauver, le v œ u secret d ' u n c œ u r immaculé, ce qui est davantage que, pour A b r a h a m , d'avoir offert Isaac. Car E L L E a ainsi offert pour Israël la racine m ê m e de la justification de Dieu vis-à-vis de sa seule créature parfaite, en un sacrifice spirituel inimaginé des Anges .

E L L E est aussi la vraie Terre Sainte, étant cette « argile » vierge, prédestinée, sublimiori modo redempta où sont conçus, avec leur Chef, tous les élus. C'est donc E L L E qui, c o m m e une ligne de faîte, et n o n pas de partage, (...) attire les pèlerins

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LE MESSAGE RÊVÉ

qui cherchent justice sur les hauts lieux de Palestine, Juifs, Chrétiens, Musulmans, sans qu'ils s'en doutent, m ê m e ces derniers (...)

C'est là qu'il faut aller entendre (...) l'appel de notre Père c o m m u n , appelant tous les cœurs qui ont faim et soif de la Justice au pèlerinage, à la Ville Sainte.

Louis Massignon, France, Les trois prières d'Abraham, 1949

115 bis

L'Enfer de Dieu n'a nullement besoin de la splendeur du feu. Le Jugement

universel sonnera aux trompettes et la terre exposera ses entrailles et les nations surgiront de la poudre

pour vénérer la Bouche irrémédiable :

mais les yeux ne verront ni les neuf cercles de la montagne inverse, ni les pâles prairies aux asphodèles éternels

où l'ombre de l'archer poursuit sans trêve l'ombre de la biche éternellement ; ni la louve de feu qui, aux ultimes

étages des enfers des Musulmans, précède A d a m avec le châtiment ; ni les métaux violents, ni m ê m e encore

les ténèbres visibles de Milton. Enfin, nul labyrinthe détestable au triple acier, à l'ardente douleur,

n'accablera les damnés de stupeur.

Il n'y a pas non plus, au fond des âges, quelque jardin gardé. Dieu n'a besoin, pour réjouir les mérites des siens, ni d'orbes de lumière, ni de suites de trônes, de puissants, de chérubins, ni du miroir trompeur de la musique ; ni de la rose, avec ses profondeurs, ni d'un seul tigre à funeste splendeur,

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LA T O L É R A N C E

ni davantage de la jaune chute au désert du soleil au crépuscule ; ni d'eau antique à natale saveur. Point de jardin à sa miséricorde ; à la mémoire, à l'espoir, de lueur.

J'eus la vision, dans le cristal d 'un songe, du Ciel et de l'Enfer, tels qu'ils seront : du Jugement quand sonneront les Trompes dernières et que l'astre millénaire sera caché, que soudain cesseront, ô Temps , tes pyramides éphémères : couleurs et traits du passé traceront dans les ténèbres un Visage distinct, immobile, fidèle, inaltérable (celui peut-être de l 'Amour, le tien...), et la contemplation de ce visage proche, éternel, intact, ineffaçable, cela sera l'Enfer, pour les Maudits, mais, aux yeux des Elus : le Paradis.

Jorge Luis Borges, Argentine, 1942

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Vicaires armés : le message

à l'épreuve du réel

Ici se dissipe le rêve éveillé et recommence le sommeil lourd de la raison. L'intolérance précède son contraire; ni l'une ni l'autre n'est

univoque. Mais pour comprendre le combat de celle-ci, il faut bien voir et entendre, concrètement, la démesure et le délire de celle-là. La séquence s'ouvre, comme dans la première partie, en protestations spirituelles pour vite gagner son paroxysme dans le feu et le sang de l'homme comme des peuples, indistinctement.

C'est donc ici la séquence de la violence nue et de la déraison souveraine.

•k * *

Quatre textes préliminaires nous remettent en mémoire ce que nous savions depuis ceux qui ouvrent le présent ouvrage : le Boddhisata, méprisant le fouet, répète au roi son message de patience ; il n'est qu'un langage possible entre hommes, celui de l'universel ; l'intolérance sous son masque décline sa nature : elle est tout à la fois religieuse et civile. Anonyme, l'argent est là partout, délétère et puissant.

116

... Pendant ce t e m p s , la favorite d u roi, par u n m o u v e m e n t de son corps, le réveilla. Et celui-ci, se réveillant et n e voyant plus toutes ses f e m m e s , lui d e m a n d a : « O ù sont d o n c passées ces misérables ? » « Sire, répondit la favorite, elles sont allées écouter la leçon d ' u n certain ascète. » F o u de rage, le roi

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LA TOLÉRANCE

saisit son épée et s'en fut à leur recherche, en disant : « Je donnerai m o i - m ê m e une leçon à ce faux ascète. » Alors, celle des femmes qu'il avait le plus en faveur, voyant arriver le roi en grande colère, s'empara de l'épée qu'il avait à la main et tenta de l'apaiser. Le roi s'approcha ensuite du Boddhisatta et lui demanda : « Quelle doctrine prêches-tu, Moine ? » « La doctrine de la patience, Votre Majesté », répondit ce dernier. « Qu'est-ce que la patience ? », dit le roi. « Elle consiste à ne pas s'irriter quand on vous trompe, vous frappe ou vous injurie. » Le roi dit alors : «Je mettrai à l'épreuve les vertus de ta patience » et il fit appeler son bourreau. Et ce dernier, avant de venir remplir son office, s'arma d'une hache et d'une verge d'épines, et revêtu d'une robe safran et d'une ceinture rouge, il salua le roi et lui dit : « Q u e dois-je faire pour vous servir, Sire ? » « Saisis-toi de ce vil fourbe d'ascète et traîne-le hors d'ici, jette-le par terre et avec ta verge d'épines, frappe-le sur toutes ses faces et donne-lui 3000 coups. » C e que fit le bourreau. Et la peau du Boddhisatta se fendit jusqu'à la chair et son sang ruissela. Le roi, s'adressant à lui, renouvela sa question : « Quelle doctrine prêches-tu, Moine ? » « L a doctrine de la patience, Votre Majesté », répondit ce dernier. « Vous croyez que m a patience n'a pas plus d'épaisseur que m a peau alors qu'elle réside dans la profondeur de m o n cœur, où vous ne pouvez pas l'atteindre, Sire. » [A suivre : 201, 288.]

Khantivadi-Jataka

117

Il faut suivre ce qui est c o m m u n , c'est-à-dire universel. Car le Verbe universel est c o m m u n à tous. O r , bien que ce Verbe soit c o m m u n à tous, la plupart vivent c o m m e s'ils possé­daient en propre une pensée particulière.

Heraclite d'Ephèse, Grèce antique, env. 540-480 av. J.-C.

118

Le mot intolérance s'entend c o m m u n é m e n t de cette passion féroce qui porte à haïr et à persécuter ceux qui sont dans

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VICAIRES A R M É S

l'erreur. M a i s pour ne pas confondre des choses fort diverses, il faut distinguer deux sortes d'intolérance, l'ecclésiastique et la civile. h'intolérance ecclésiastique consiste à regarder c o m m e fausse toute autre religion que celle que l'on professe, et à le démontrer sur les toits, sans être arrêté par aucune terreur, par aucun respect h u m a i n , au hasard m ê m e de perdre la vie (...) U intolérance civile consiste à rompre tout c o m m e r c e et à poursuivre, par toutes sortes de m o y e n s violents, ceux qui ont une façon de penser sur Dieu et sur son culte autre que la nôtre.

Denis Diderot, France, Article « Intolérance » dans l'Encyclopédie, 1765

119

Jamais n'a grandi chez les h o m m e s pire institution que l'argent. C'est l'argent qui détruit les États ; c'est lui qui chasse les citoyens de leur maison ; c'est lui dont les leçons vont séduisant les cœurs honnêtes, leur font embrasser l'infamie. Il leur enseigne tous les crimes, il leur apprend l'impiété qui ose tout. Mais celui qui se vend et en arrive là, u n beau jour aussi aboutit au châtiment.

Sophocle, Grèce antique, Antigone, 441 av. J . - C .

U n e machine infernale : l'intolérance

Asie : la voix indienne

Deux textes directs, reflets d'une sagesse sans exclusive, celle de l'Inde, ramassent le conflit historique de toute différence et sa prompte résolution. Une conduite exemplaire et comme détachée qui, ailleurs, demandera des siècles... Autant il est vrai qu'or va de pair avec violence, autant il n'est que poussière quand le refus de toute violence est érigé en valeur absolue et universelle. Ceci, loin de la Méditerranée

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LA T O L É R A N C E

et de sa mouvance, en un espace et en un temps participant d'un autre champ de signification humaine. La voix indienne psalmodiera, inlassablement, ce que l'homme voulait oublier.

120

Tous ces moines bhikshu' Par amour de l'argent Prêchent une doctrine hérétique ; Ils ont, eux -mêmes , composé cette Sutra2

Pour abuser les peuples de ce m o n d e ; Afin d'accéder à la r e n o m m é e Ils ont composé ces versets...

Sans cesse dans les assemblées D a n s le but de nous détruire A u x rois et à leurs ministres A u x Brahmanes et aux h o m m e s du peuple A u x autres groupes de bhikshu Ils parlent de nous, nous calomnient Et disent : « C e sont des h o m m e s aux idées fausses Qui prêchent des doctrines hérétiques. »

Mais par respect pour le Bouddha N o u s supporterons ces méfaits, Bien qu'ils nous interpellent avec dérision Et disent : « H é , vous tous, Bouddhas ! » U n tel dédain et une telle arrogance N o u s endurerons avec patience. Dans ce temps corrompu du néfaste kalpa3

Chargé de peurs et de menaces Les démons prendront possession d'eux Et ils nous maudiront, nous tromperont et nous insulteront.

1. Adeptes du bouddhisme dit du Petit Véhicule.

2. Maximes et versets.

3. 10 milliards d'années.

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VICAIRES ARMÉS

Mais en respectueux adorateurs du Bouddha

Nous revêtirons l'armure de la longue souffrance, Et nous prêcherons cette Sutra : Nous endurerons tous les m a u x Nous n'aimerons pas notre corps dans cette vie

Mais nous attacherons uniquement à suivre la Voie

Suprême. Saddharma Pundarika, Sutra, Texte pâli

121

Huit ans après son sacre, le roi ami des dieux au regard amical a conquis le Kalinga. Cent cinquante mille personnes ont été déportées, cent mille y ont été tuées ; plusieurs fois ce nombre ont péri. Ensuite, maintenant que le Kalinga est pris, ardents sont l'exercice de la Loi, l'amour de la Loi, l'enseignement de la Loi chez l'ami des dieux. Le regret tient l'ami des dieux depuis qu'il a conquis le Kalinga. E n effet, la conquête d 'un pays indépendant, c'est le meurtre, la mort ou la captivité pour les gens ; pensée que ressent fortement l'ami des dieux, qui lui pèse.

Ceci pèse encore davantage à l'ami des dieux : les habitants, brahamanes, samanes ou ceux d'autres communautés, les bourgeois qui pratiquent l'obéissance aux supérieurs, l'obéissance aux père et mère, l'obéissance aux maîtres, la courtoisie parfaite à l'égard des amis, familiers, compagnons et parents, à l'égard des esclaves et des domestiques, et la fermeté dans la foi, tous sont alors victimes de la violence, du meurtre ou de la séparation d'avec ceux qui leur sont chers. M ê m e les chanceux qui ont conservé leurs affections, s'il arrive malheur à leurs amis, familiers, camarades ou parents, cela aussi est un coup violent pour eux. Cette participation de tous les h o m m e s est une pensée qui pèse à l'ami des dieux. (...)

Et m ê m e si on lui fait tort, l'ami des dieux pense qu'il faut patienter autant qu'il est possible de patienter (...)

Car l'ami des dieux veut qu'il y ait chez tous les

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LA T O L É R A N C E

êtres sécurité, maîtrise des sens, équanimité et douceur.

O r la victoire que l'ami des dieux considère c o m m e la première c'est la victoire de la Loi (...)

Le bénéfice qui s'en obtient est une victoire universelle. O r toujours la conquête donne une sensation de joie. Cette joie a été obtenue par la victoire de la Loi. Mais c'est peu encore que cette joie. C'est seulement ce qui vaut pour l'autre m o n d e que l'ami des dieux estime un grand bénéfice.

Ce texte de la Loi a été gravé pour que les fils et petits-fils que je pourrai avoir ne songent pas à de nouvelles victoires. Et que dans leur propre victoire, ils préfèrent la patience et l'application légère de la force, et qu'ils ne considèrent c o m m e victoire que la victoire de la Loi, qui vaut pour ce monde-ci et pour l'autre ; et que toute leur joie soit la joie de la Loi : car elle vaut pour ce monde-ci et pour l'autre.

L e roi, ami des dieux, au regard amical, honore toutes les sectes, les samanes et laïques, tant par des libéralités que par des honneurs variés. Mais ni aux libéralités, ni aux honneurs l'ami des dieux n'attache autant de prix qu'au progrès dans l'essentiel de toutes les sectes. Le progrès de l'essentiel est de diverses sortes, mais le fond, c'est la retenue du langage, de façon qu'on s'abstienne d'honorer sa propre secte ou de dénigrer les autres sectes hors de propos ; et dans telle ou telle occasion, que ce soit allègrement. Il faut m ê m e rendre honneur aux autres sectes à chaque occasion. E n faisant ainsi, on grandit sa propre secte en m ê m e temps qu'on sert l'autre. E n faisant autrement, on nuit à sa propre secte en m ê m e temps qu'on dessert l'autre.

(...) C'est la réunion qui est bonne, de façon qu'on écoute la Loi les uns des autres et qu'on y obéisse.

C'est là, en effet, ce que veut l'ami des dieux, pour que toutes les sectes soient instruites et enseignent à bien agir. Partout les dévots doivent dire : l'ami des dieux n'attache ni aux libéralités ni aux honneurs autant de prix qu'au progrès dans l'essentiel de toutes les sectes.

Edits d'Ashoka Rocher, x m et XIIe s. av. J . - C , Traduit du pracrit

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VICAIRES A R M É S

Gages et représentations

Avant les monothéismes, et pour autant que des textes en ont gardé

mémoire, les conquérants se présentaient en tant que tels, non en

porteurs de bonne parole. En terre barbare, ils n'entendent pas tant

assimiler qu'étendre et tenir un empire économique dans l'indifférence

aux croyances. Ainsi, « Jules César, empereur, dictateur pour la

seconde fois et souverain pontife », distribue, par un mouvement de

tolérance politique guère coûteuse, prébendes et privilèges à une famille

autochtone en terre envahie... Ce qui compte pour Rome, c'est Rome

souveraine de l'Empire, de ses richesses et de ses hommes. Aux yeux de

Rome, la même tolérance est consentie à toutes sectes, Juifs, Chrétiens

et autres sous sa domination, pour autant qu'aucune, pour des motifs

de croyance, ne met l'Empire en danger. La liberté de conscience est

tolérée non pour elle-même mais pour la gestion bien entendue de

l'Empire. Quand germeront les « dissensions intestines et l'émeute »

ce sera le moment fugitif des représentations, des hésitations, des

gages.

Dès lors que la relation de domination économique et politique

n'est, par postulat, pas en cause, les concessions sont faites, sur le mode

de la récompense des « bons et loyaux services », de la sollicitude

calculée du maître. Dans une telle relation, on ne peut exterminer pour

raisons spirituelles ceux-là mêmes qu'on exploite.

Certes, dans cette éclaircie, bien des plaintes nues s'élèvent : celle

des Juifs tenus en opprobre mais protestant de tout temps de leur bonne

foi et de l'observance de leur Loi et d'elle seule; celle de la secte

chrétienne naissante et celles de toutes les autres, oubliées par l'his­

toire.

Le Christianisme triomphant saura prendre revanche de ses siècles

de souffrance, selon l'esprit exact du mot de Diderot. L'âge du

fanatisme moderne commence.

Le fanatisme, fait de mépris et de haine, prend invariablement

source dans l'assurance de détenir seul la vérité.

122

Jules César, empereur, dictateur pour la seconde fois et

souverain pontife : « Nous avons, après en avoir pris conseil,

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LA TOLÉRANCE

ordonné ce qui suit : c o m m e Hyrcan, fils d'Alexandre, Juif de nation, nous a de tout temps donné des preuves de son affection, tant dans la paix que dans la guerre, ainsi que plusieurs généraux d'armée nous en ont rendu témoignage, nous voulons que lui et ses descendants soient à perpétuité princes et grands sacrificateurs des Juifs, pour exercer ces charges selon les lois et les coutumes de leur pays ; c o m m e aussi qu'ils soient nos alliés et du nombre de nos amis ; qu'ils jouissent de toutes les lois et privilèges qui appartiennent à la grande sacrificature et que, s'il arrive quelque différend touchant à la discipline qui se doit observer parmi ceux de leur nation, il en soit le juge; et qu'il ne soit point obligé de donner des quartiers d'hiver aux gens de guerre ni de payer aucun tribut (...) Nous voulons aussi qu 'on lui envoie des ambassadeurs pour contracter amitié et alliance, et que l'on mette dans le Capitale et dans les temples de Tyr, de Sidon et d'Ascalon, des tables de cuivre où toutes ces choses soient gravées en caractères romains et grecs, et que cet acte soit signifié aux magistrats de toutes les villes, afin que tout le m o n d e sache que nous tenons les Juifs pour nos amis, et voulons qu 'on reçoive bien leurs ambassadeurs ; et le présent acte sera envoyé partout » ( X I V , 17).

Flavius Josephe, 37-100 apr. J . - C , Jérusalem, Histoire ancienne des Juifs

123

Il est de droit humain et de droit naturel — humant juris et

naturalis potestatis est — que chacun puisse adorer ce qu'il veut ; la religion d 'un individu ne nuit, ni ne sert à autrui. Il n'est pas dans la nature de la religion de forcer la religion ; celle-ci doit être adoptée spontanément, non par la force, puisque les sacrifices ne sont demandés que de bon gré. C'est pourquoi, si vous nous forcez à sacrifier, vous ne donnerez rien en fait à vos dieux ; ceux-ci n'ont pas besoin de sacrifices offerts à contrecœur.

Tertullien, apologiste chrétien, ne siècle, Carthage, A d scapulam

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VICAIRES A R M É S

124

Il n'y a d'autre parti à prendre en politique, avec une secte nouvelle, que de faire mourir sans pitié les chefs et les adhérents, h o m m e s , femmes, enfants, sans en excepter un seul, ou de les tolérer quand la secte est nombreuse. Le premier parti est d 'un monstre, le second est d 'un sage.

Voltaire, France, Commentaire sur le Livre des délits et des peines, 1766

125

Nous , Constantin et Licinius, augustes, nous étant rassem­blés à Milan pour traiter des affaires qui concernent l'intérêt et la sécurité de l'Empire, nous avons pensé que parmi les sujets qui devaient nous occuper, rien ne serait plus utile à nos peuples que de régler d'abord la façon d'honorer la divinité. Nous avons résolu d'accorder aux Chrétiens et à tous les autres la liberté de pratiquer la religion qu'ils préfèrent afin que la divinité qui préside dans le ciel soit propice et favorable aussi bien à nous qu'à ceux qui vivent sous notre domination. Il nous a paru que c'était un système très bon et très raisonnable de ne refuser à aucun de nos sujets, qu'il soit Chrétien ou qu'il appartienne à un autre culte, le droit de suivre la religion qui lui convient le mieux. D e cette manière, la divinité suprême, que chacun de nous honorera désormais librement, pourra nous accorder sa faveur et sa bienveillance accoutumées. Il convient donc que Votre Excellence1 sache que nous supprimons les restrictions contenues dans l'édit précédent que nous avons envoyé au sujet des Chrétiens [édit de 312] et qu ' à partir de ce m o m e n t nous leur permettons d'observer leur religion, sans qu'ils puissent être inquiétés ni molestés d'aucune manière. Nous avons tenu à vous le faire connaître de la façon la plus précise, pour que vous n'ignoriez pas que nous laissons aux

1. Le rescrit s'adresse aux gouverneurs des provinces.

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LA T O L É R A N C E

Chrétiens la liberté la plus complète, la plus absolue, de pratiquer leur culte ; et puisque nous l'accordons aux Chrétiens, Votre Excellence comprendra que les autres doivent posséder le m ê m e droit. Il est digne du siècle où nous vivons, il convient à la tranquillité dont jouit l'Empire, que la liberté soit complète pour tous nos sujets d'avoir le dieu qu'ils ont choisi, et qu'aucun culte ne soit privé des honneurs qui lui sont dus.

Édit de Milan, 313

126

T u as mis en tête de tes soins et de ton amour à l'égard des h o m m e s , l'organisation des choses de la religion. (...) Si tu ne peux point faire par ton édit, ô Empereur, que soit bénévole pour toi celui qui n'y est pas enclin, combien moins pourras-tu rendre pieux et religieux ceux qui craignent les décrets humains, de brève et fugace nécessité, et dont la terreur est changeante parce que, souvent, le hasard des temps la leur arrache et la leur ôte entièrement ? D ' o ù il suit que nous sommes follement entraînés à vénérer, non la divinité, mais la pourpre royale, et en changeant de religion nous sommes plus instables que la mer. Autrefois, Théra-mène était seul, mais aujourd'hui tous ont le pied passé dans deux chaussures ; hier, on évitait d'être parmi les dix, mais aujourd'hui, nous nous rangeons parmi les cinquante; et tous ces m ê m e s h o m m e s respectent d'une m ê m e manière les autels, les simulacres, les victimes, les rites. Mais ce que tu n'as pas voulu, ô divin Empereur, et tandis qu'en toutes autres choses tu es et tu seras seigneur, à perpétuité, dans les choses qui concernent le culte divin, tu as concédé la liberté à chacun. T u suis en cela Dieu lui-même, qui a fait tous les h o m m e s enclins à la religion, mais a permis à la libre volonté de chacun le m o d e et la raison de son culte pour la divinité. O r quiconque use de force et de violence supprime la faculté accordée par Dieu. D e là vient que les lois de Chéops et de Cambyse durèrent à peine autant que la courte vie de leurs auteurs ; mais la sanction de Dieu est immuable et éternelle

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VICAIRES ARMÉS

c o m m e la tienne, par laquelle il est librement permis à l'esprit de chacun de suivre la religion qu'il croit la meilleure. U n e telle loi ne peut jamais, ni par la privation de nourriture, ni par la force des tourments, être enfreinte. Assurément, si la chose te plaît, tu contraindras le corps et le tueras, mais l'âme, portant en elle-même, avec cette loi, la pensée libre, s'envolera saine et sauve, bien qu'aucun mot ne soit arraché à la langue.

(...) Cette loi qui est tienne, j'estime qu'elle n'est pas de moindre importance que le pacte conclu avec les Parthes. Par celui-ci, nous obtenons de ne pas faire la guerre avec les Barbares ; par celle-là, il nous est donné de vivre sans dissension intestine et sans émeute. (...)

Permets que la balance soit juste et égale pour tous; ne la laisse pas pencher de tel côté ou de tel autre.

(...) Aie pour certain que dans une semblable variété se complaît l'auteur et directeur de l'Univers. Il aime que les Syriens fassent usage de certains rites et les Égyptiens d'autres encore. Et ces m ê m e s Syriens ne sont pas tenus aux m ê m e s lois, mais la raison de leurs institutions comporte deux parties. Et puisque nul ne sent au fond de son cœur la m ê m e chose que son voisin, que celui-ci approuve ceci et cet autre cela, pourquoi essayerions-nous de faire violemment ce qui ne peut se faire en aucune façon ?

Thémistios, Grèce antique, Discours consulaire à l'Empereur Jovien, 364 apr. J . -C.

127

U n e chose a une valeur réelle : vivre sa vie dans la vérité et la justice avec la tolérance m ê m e à l'égard du faux et de l'injuste.

Marc Aurèle, empereur de 161 à 180 apr. J . - C , Rome, Pensées

128

Avis aux princes souverains D u Très-Saint Empire Romain : Accroissez l'honneur des Chrétiens (...)

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80

LA T O L É R A N C E

Et si païens sont déconfits, Justice par vous soit garantie. Écoutez ce que vous en dit U n e humble femme sans esprit : Epargnez ce que Dieu a créé. Le premier h o m m e était païen, Q u e Dieu a formé de sa main. Eue, Henoch, sachez-le bien, Sont connus encor pour païens. Païen aussi était Noé, Qui fut dans l'Arche préservé. Oui Job était païen vraiment, Q u e Dieu n'a point exclu pourtant. A ces trois rois ayez égard, Dont l'un d'eux avait n o m Gaspar, L 'un Melchior et l'un Balthazar : Quand les faudrait païens nommer , A l'enfer ne sont destinés. Dieu lui-même, en sa propre main, Quand sa mère lui donnait le sein, A reçu d'eux premiers hommages. Adonc ne faut tous les païens Les croire à l'enfer destinés. Nous le savons pour vérité : Chacune mère, depuis le temps D ' E v e , qui enfante un enfant, C e qu'elle enfante est chair païenne, Qui parfois aura le baptême. Chacune femme, quand bien m ê m e Elle est baptisée, en son sein Toujours porte un enfant païen : Aussi est-il grand besoin Pour son enfant du baptême. Les Juifs ont moyen singulier Qui est de la chair entailler. Païens nous fûmes tous jadis. C'est douleur à tout juste esprit Q u ' u n fils puisse être destiné

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VICAIRES ARMÉS

Par son père à être d a m n é : Il faut bien qu'il ait pitié d'eux, Lui, toujours miséricordieux.

Wolfram von Eschenbach, x m c siècle, Willehalm, vieil allemand

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Le Juif : Certes, on ne connaît aucun peuple, on ne peut m ê m e en imaginer aucun qui ait jamais supporté pour Dieu les épreuves que nous ne cessons d'endurer, pour lui. (...) Chacun nous croit dignes de tant de mépris et de haine que toutes les injustices dont nous sommes victimes apparaissent aux yeux de nos persécuteurs c o m m e autant d'actes de justice et d ' h o m m a g e s rendus à Dieu. (...) Les Païens gardent la mémoire des oppressions qu'ils subirent autrefois quand nous possédions leurs terres et de la façon dont ensuite nous les avons ruinés et accablés par des persécutions de chaque jour : aussi le sort qu'ils nous imposent, si dur soit-il, leur paraît une juste vengeance. Quant aux Chrétiens, qui prétendent que nous avons tué leur Dieu, leur persécution semble encore mieux se justifier. T u vois chez quels ennemis nous s o m m e s contraints de poursuivre notre vie d'exil, de quels protecteurs nous devons espérer l'appui ! Exposés continuement aux coups des pires inimitiés, on nous force à adopter la foi des infidèles.

Pierre Abélard, 1079-1142, France, Dialogue entre un philosophe, un juif et un chrétien

130

Les sages et les prophètes d'Israël désirent ardemment la venue du Messie, non pas afin de dominer le m o n d e entier, ni d'opprimer les Gentils, non pas afin que les peuples du m o n d e les admirent, afin de manger, de boire et de se réjouir, mais afin d'être libres de se consacrer à la Torah et à sa sagesse sans être écrasés par une autorité abusive et tyrannique.

Maïmonide, Andalousie, 1135-1204, Hilkhot Melakhim

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82

LA TOLÉRANCE

131

Proposition 10 : Ceux qui ont crucifié le Christ sans le connaître n'ont point péché et rien de ce qui se fait par ignorance ne doit être imputé à sa faute.

[Dans sa Profession de Foi, Abélard se rétractera] : « . . . E n crucifiant le Christ, j'assure que ceux qui l'ont crucifié ont commis un péché très grave ».

Pierre Abélard, 1079-1142, France, Proposition condamnée au Concile de Sens

132 [Le Parsi de Rousseau parle ainsi à ses juges]

(...) Dieu seul sait la vérité. Si malgré tout cela nous nous trompons dans notre culte, il est toujours peu croyable que nous soyons condamnés à l'enfer, nous qui ne faisons que du bien sur la terre, et que vous soyez les élus de Dieu, vous qui n'y faites que du mal. Q u a n d nous serions dans l'erreur, vous devriez la respecter pour votre avantage. Notre piété vous engraisse et la vôtre vous consume ; nous réparons le mal que vous fait une religion destructive. Croyez-moi, laissez-nous un culte qui vous est utile : craignez qu 'un jour nous n'adoptions le vôtre ; c'est le plus grand mal qui vous puisse arriver.

J.-J. Rousseau, Genève, Lettre à Christophe de Beaumont, archevêque de Paris, 1762

133

Je suis Juif... un Juif n'a-t-il pas des yeux? U n Juif n'a-t-il pas des mains, des organes, des proportions, des sens, des émotions, des passions ? N'est-il pas nourri des m ê m e s nourritures, blessé par les m ê m e s armes, sujet aux m ê m e s maladies, guéri par les m ê m e s moyens, réchauffe et refroidi par un m ê m e été, un m ê m e hiver, c o m m e un Chrétien ? Si vous nous piquez, ne saignons-nous pas ? Si vous nous chatouillez, ne rions-nous pas ? Si vous nous empoisonnez, ne

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VICAIRES A R M É S

mourons-nous pas ? Si vous nous faites tort, ne nous vengerons-nous pas ? Si nous vous ressemblons dans le reste, nous vous ressemblerons aussi en cela.

Shakespeare, Angleterre, Le marchand de Venise, acte m , scène I, 1597

134

L a tolérance n'est jamais que le système du persécuté, système qu'il abandonne aussitôt qu'il devient assez fort pour être persécuteur.

Denis Diderot, 1713-1784, France, Mémoire pour Catherine II

Interlude

L'Islam se veut, par essence comme par pratique, tolérant envers le différent, l'étranger, et tout particulièrement envers les monothéismes qui l'ont précédé : justice, respect des croyances mais aussi des biens dans une relation néo-césarienne, c'est-à-dire purement civile.

En feraient foi textes sacrés, messages, traités, édits, témoignages de protégés de toutes religions, d'historiens, anciens et modernes... tous illustrant l'essentielle parole du fondateur et de ses vicaires donnée aux « non-croyants ». Mais comme sous Rome, il y eut conquêtes et violences. Un critère cependant, aux yeux de l'Islam, semble devoir départager les deux pensées impériales; c'est que pour lui, toute conversion forcée est non seulement nulle, mais injuste.

Si, sur le plan politique, c'est là une variante d'importance de la relation césarienne à l'âge des monothéismes triomphants (un empire, un impôt, un contrat de coexistence), la relation intra-communautaire ne va pas sans rigueur pour les poètes, leurs « rêveries » et, d'une manière générale, pour la pensée libre. Il est vrai, Platon, déjà, dans la R é p u b l i q u e réprouvait les poètes et Socrate devait périr sous le Régime des Trente à Athènes... Le pouvoir contestataire de parole, surtout écrite et partagée, n'en est qu'au début de son long combat pour la liberté d'exercice, c'est-à-dire d'action médiatisée.

Si après tant d'autodafés on brûle encore des livres, d'autres, plus nombreux, sont écrits, circulent, en dépit des censeurs, » un pour la

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LA TOLÉRANCE

théologie, un pour la médecine, un pour les lois, un pour les

arts ».

135

Si un polythéiste cherche asile auprès de toi, accueille-le pour lui permettre d'entendre la Parole de Dieu, fais-le ensuite parvenir dans un lieu sûr,

car ce sont des gens qui ne savent pas.

Le Coran, Sourate ix, L'immunité

136

Message aux Emigrés, aux habitants de Médine [appelés les

Auxiliaires du Prophète] et aux Juifs.

C e message est de M u h a m m a d , le Prophète (envoyé de Dieu), aux croyants, aux M u s u l m a n s de Qoraych, aux habitants de Yathrib et à ceux qui l'ont rejoint et avec lesquels il a combattu.

Ils sont une nation unique parmi les gens.

Ceux qui, parmi les Juifs, nous ont suivi ont la victoire et l'égalité. Ils ne seront ni opprimés, ni combattus.

Les Juifs vivront avec les Croyants tant qu'ils demeure­ront des combattants.

Les Juifs de la tribu de c A w f font partie de la nation des Croyants. Les Juifs suivront leur religion et les M u s u l m a n s suivront la leur.

Les Juifs des tribus d'al-Najyâr, d'al-Harth, de Sacïda, de banï-Jachm, de banï" al-Aws (...) seront traités c o m m e les Juifs de la tribu de c A w f .

Ils conseillent et seront conseillés et seront traités généreusement, sans iniquité.

L ' h o m m e ne peut être inique à l'égard de son allié et la victoire est à l'opprimé.

Le prochain doit être considéré c o m m e soi-même. Il ne faut lui faire aucun tort.

Ceux qui quittent Médine et ceux qui y demeurent

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85

VICAIRES A R M É S

doivent être assurés de la sécurité, sauf celui qui commet une

injustice ou un crime.

M u h a m m a d , Prophète de l'Islam, 570-632

137

Selon al-Husayn qui le tient de Yahyâ ibn A d a m : J'ai copié cette déclaration d u Prophète à la population de Najrân d 'un écrit qui dit la tenir d'al-Hasan ibn Sâlih.

E n voici les termes : « A u n o m d'Allah, le clément et le miséricordieux,

C e qu'on va lire, c'est ce que le messager d'Allah, M u h a m m a d , écrivit à la population de Najrân quand il pouvait disposer de tous ses fruits, de son or, de son argent et de tous ses biens domestiques, de ses esclaves, mais qu'il lui laissa bénévolement contre la livraison de la valeur d 'un auqiyat; mille vêtements à être livrés lors du mois de Rajab, tous les ans, et les mille autres lors de la fête du Safar. Pour les vêtements dont la valeur dépasserait un auqiyat ou qui coûteraient moins cher, la différence de prix (en plus ou en moins) serait prise en considération. D e plus, les coûts des transports (chevaux, chameaux) ou d'effets divers fournis à la place des vêtements de cérémonie seraient également pris en considération. L a population de Najrân aura la charge d'assurer le logement et la nourriture des messagers pendant un mois, ou moins, mais jamais pendant plus d'un mois. Elle aura aussi l'obligation de leur donner en prêt trente cottes de mailles, trente juments et trente chameaux, pour l'éventua­lité d'une guerre de rébellion du Y é m e n . Les chevaux et les chameaux prêtés aux messagers sont garantis par <;es derniers et seront retournés à leurs propriétaires.

La population de Najrân et ses alliés1 ont droit à la protection d'Allah et de M u h a m m a d son Prophète, messager d'Allah, qui veille à la sécurité de leur personne, de leur religion, de leurs terres et de leurs biens, des absents et des

1. Les Juifs.

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LA TOLÉRANCE

présents, des chameaux, des messagers et des images1. L a situation qui était la leur précédemment ne sera pas changée, ni aucun de leurs offices religieux ou des objets de leur religion ne sera touché. Nulle tentative ne sera faite de détourner un évêque de son office d'évêque, un moine de son office de moine ou le sacristain d'une église de son service à l'église et cela quelle que soit l'importance d u service assuré.

Ils ne seront tenus responsables d 'aucune erreur ou d'aucun sang versé avant la conquête de leur territoire par l'Islam. L a population de Najrân ne sera pas astreinte au service militaire ni contrainte à payer un tribut. Nulle armée ne piétinera ses terres.

Si quelque requête reçue paraît juste, le cas sera examiné avec équité, sans donner à la population de Najrân l'avan­tage sur la partie adverse ni à la partie adverse l'avantage sur la population de Najrân. Mais de la protection de ceux qui ont perçu jusqu'ici des intérêts usuraires, je ne suis pas responsable. Nul parmi eux, cependant, ne sera tenu responsable des fautes des autres.

Et en guise de garantie de ce qui est inscrit dans ce document, la population de Najrân bénéficiera de la protec­tion d'Allah et de M u h a m m a d son Prophète, aussi long­temps qu'elle respectera ses engagements en s'acquittant de son dû, étant entendu qu'il ne lui sera rien d e m a n d é qui soit injuste. Il ne lui sera pas d e m a n d é plus que ses dus.

Fait avec pour témoins âbû Sufyân ben H a r b , Ghaitân ben [ A m r , Mâlik ben c A u f de banû Nasr, al-Akra* ben Hâbis al-HanzalI et al-Mughlrah. Ecrit par 'Abdallah ben abï Bakr.

Traité de paix entre Mahomet et les Chrétiens de Najrân, Cité par BaladhûrT, IXe siècle

138

Les Arabes à qui Dieu avait donné en ce temps-là l'empire

1. Les croix et les tableaux se trouvant dans les églises.

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VICAIRES ARMÉS

du m o n d e , les voilà parmi nous, c o m m e vous le savez bien ; cependant ils ne s'attaquent pas à la foi chrétienne ; bien au contraire, ils protègent notre religion, rendent h o m m a g e à nos prêtres et à nos saints et accordent des subsides aux églises et aux monastères.

Ishô eYabh III, patriarche nestorien, vne s., Lettre au Primat de Perse

139

D'al-Husayn ben al-Aswad qui le tient d'al-Hasan : « Le Prophète écrivit au peuple du Y é m e n : Celui qui répète notre prière, tourne son visage vers la qiblah, c o m m e nous le faisons, qui m a n g e les animaux que nous abattons, celui-là est M u s u l m a n et il jouit de la protection d'Allah et de son Prophè­te. Mais celui qui refuse d'agir ainsi devra payer un impôt.

M u h a m m a d , Prophète de l'Islam cité par Baladhûrï, dans Futïih al-Buldàn, ixe siècle

140

J'ai écrit cet édit en forme d'ordre pour m o n peuple, et pour tous ceux qui se trouvent dans la Chrétienté, à l'Est et à l'Ouest, près ou loin, jeunes et vieux, connus et inconnus. Celui qui ne se conforme pas à l'édit et ne suit pas mes ordres agit contre la volonté de Dieu et mérite d'être maudit quel qu'il soit, sultan ou simplement Musulman. Quand un prêtre ou un ermite se retire sur une montagne ou dans une grotte, ou se tient dans la plaine, le désert, la ville, le village ou l'église, je m e tiens derrière lui en personne avec m o n armée et m e s sujets et je le défends contre tout ennemi. Je m'abstiendrai de leur faire aucun tort. Il est défendu de chasser un évêque de son évêché, un prêtre de son église, un ermite de son ermitage. A u c u n objet ne doit être détourné d'une église en faveur de la construction d'une mosquée ou des demeures des M u s u l m a n s . Q u a n d une Chrétienne a des relations avec un M u s u l m a n , celui-ci doit la bien traiter et lui permettre de prier dans son église, sans mettre d'obstacle

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LA T O L É R A N C E

entre elle et sa religion. Si quelqu'un agit contrairement, il sera considéré c o m m e ennemi de Dieu et de son Prophète. Les Musulmans doivent se conformer à ces ordres jusqu'à la fin du m o n d e .

M u h a m m a d , Prophète de l'Islam, Edit du 2 Muharram, an II de l'Hégire (623)

141

L e Prophète à ceux des Musulmans qui violent le statut des Dhimmis1 : Je m'élèverai contre quiconque rompt un accord de Dhimmi ou impose à son prochain une charge qui dépasse ses forces. A u jour du jugement dernier, je m e ferai moi-m ê m e l'accusateur de quiconque [parmi les Musulmans] aura fait tort à un Dhimmi ou l'aura taxé au-delà de son dû .

M u h a m m a d , Prophète de l'Islam, cité par Baladhûrl dans Futûh al-Buldân, ixe siècle

142

E n vérité : dernièrement, au temps de notre Empereur, lors du Concile de Bâle, un chevalier chrétien était en débat avec le connétable des Turcs, et le chevalier disait au connétable : « Seigneur, qui êtes un h o m m e sage, il faut vous faire baptiser et devenir chrétien. Notre doctrine est pure et en tous points si bien déduite que nul n'y peut découvrir aucune chose qui soit mauvaise. » Le connétable répondit : «J'entends bien que cela est vrai, ce que tu dis en alléguant l'Ecriture. Q u e Christ vous ait rédimés par sa mort et libérés pour la vie éternelle, je le sais par vos Ecritures. Mais je vois bien aussi que vous n'avez d'elle nul désir et ne vivez point selon lui. Vous lui êtes renégats : l'un prend à l'autre son honneur et son bien; l'un désigne l'autre c o m m e étant sa propriété. C e n'est point là ce qu'a voulu votre Dieu et Seigneur. A présent vous allez traverser la mer , marcher sur

1. Adeptes des autres religions révélées vivant en territoire sous domination musulmane.

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VICAIRES A R M É S

nous et nous combattre, et vous penserez faire ainsi un pieux voyage. Si vous pouvez nous assommer, vous penserez acquérir la vie éternelle. Ainsi vous vous trompez vous-m ê m e s . Si vous demeuriez chez vous, et combattiez les faux Chrétiens, et les rameniez dans la droite voie, voilà qui serait un pieux voyage ! » Voyez ce qu'il nous faut entendre de la bouche d 'un infidèle! Et il ajouta encore : « Si vous vous convertissiez et observiez votre loi, du coup vous nous gagneriez à coup sûr ; le m o n d e entier viendrait à vous, et il n'y aurait plus qu'un pasteur et un bercail. »

Réforme de l'empereur Sigismond, Allemagne, 1439

143

Il est certain qu'en ces premiers temps que notre religion commença de gagner autorité avec les lois, le zèle en arma plusieurs contre toute sorte de livres païens, de quoi les gens de lettres souffrent une merveilleuse perte. J'estime que ce désordre a plus porté de nuisance aux lettres que tous les feux des barbares.

Montaigne, France, Essais, 1588

144 [Le poète imitateur sera renvoyé de notre Etat]

Il semble donc que, si un h o m m e habile à prendre toutes les formes et à tout imiter se présentait dans notre État pour se produire en public et jouer ses poèmes, nous lui rendrions h o m m a g e c o m m e à un être sacré, merveilleux, ravissant; mais nous lui dirions qu'il n'y a pas d ' h o m m e c o m m e lui dans notre Etat et qu'il ne peut y en avoir, et nous l'enverrions dans un autre Etat, après avoir répandu des parfums sur sa tête et l'avoir couronné de bandelettes.

Platon, 429-347 av. J . - C , Grèce antique, La république

145

Quant aux poètes : ils sont suivis par ceux qui s'égarent.

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90

LA TOLÉRANCE

N e les vois-tu pas ?

Ils divaguent dans chaque vallée ; ils disent ce qu'ils ne font pas à l'exception de ceux qui croient,

qui accomplissent des œuvres bonnes,

qui invoquent souvent le n o m de Dieu

et qui se défendent lorsqu'ils sont attaqués injustement.

Le Coran, Sourate xxvi, Les poètes

146

[En 1486, Berchthold, archevêque de Mayence, rendit une ordon­

nance :] J'ai en grande estime l'imprimerie, affirmait-il en substance, « qui a eu son berceau dans l'illustre cité de Mayence. Aussi convient-il de veiller avec un soin jaloux sur son honneur et, afin d'empêcher qu 'un art aussi merveilleux ne soit compromis par suite de l'abus que l'on en pourrait faire, j'ordonne qu'aucune traduction d'un livre écrit en latin, en grec ou en toute autre langue et traitant d'une matière quelconque ne soit donnée à l'imprimerie avant

d'avoir été examinée par un des docteurs ou professeurs de l'université de Mayence désignés par moi : un pour la théologie ; un pour la médecine ; un pour les lois ; un pour les arts. Aucun exemplaire imprimé ne pourra être publié qu'autant qu'il aura été revêtu de l'autorisation desdits docteurs ou professeurs. »

Berchtold, archevêque de Mayence, Allemagne, Ordonnance de 1486

147

Considérant combien il était profitable et honorable que des livres d'autres pays fussent importés dans leurs royaumes pour y servir à instruire les h o m m e s , les Rois de glorieuse mémoire ont voulu et ordonné que la vente des livres ne fût frappée d'aucune taxe; et parce que, depuis peu, des marchands tant natifs de nos royaumes qu'étrangers y

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VICAIRES A R M É S

importent chaque jour d'excellents livres, ce qui semble profiter à tous et donner du lustre à nos royaumes, nous mandons et ordonnons en conséquence qu'outre ladite franchise, aucun droit de douane, aucune dîme, aucun péage, ni aucun autre droit ne soit dorénavant exigé ni perçu — que ce soit par nos officiers des douanes, par les percepteurs de dîme ou de péage ou par tout autre préposé des cités, bourgs et villages de notre couronne royale, ainsi que des seigneuries, ordres et villes libres — sur les livres importés dans nos royaumes par voie de mer ou de terre ; nous mandons et ordonnons que lesdits livres soient exempts et francs de tous les droits de douane, taxes et dîmes susmentionnés et que nul ne les exige ni ne les perçoive sous peine d'encourir en pareil cas les sanctions auxquelles s'exposent ceux qui exigent et perçoivent des impôts qu'il est interdit de lever ; et nous enjoignons à nos contrôleurs financiers de transcrire la présente loi sur nos livres, ainsi que sur les cahiers qui fixent les conditions auxquelles sont affermés lesdits droits de douane, dîmes et taxes.

Cortes [Parlement] de Tolède, 1480

148

A u n o m de Dieu clément et miséricordieux, Voici ce que le serviteur de Dieu, c U m a r , C o m m a n d e u r des croyants, offre pour la sécurité de la population d'Ilya [Jérusalem] : il se porte garant de la sécurité de leur vie, de leurs biens, de leurs églises et de leurs croix. Cette sécurité s'étend aux malades, aux innocents et à tous les membres de la communauté. Leurs églises ne seront pas habitées, détruites, ni amputées de tel ou tel de leurs bâtiments ou d'une quelconque parcelle du terrain où elles sont situées. Nulle atteinte ne doit être portée à leur croix ou à leurs biens. Ils ne seront pas inquiétés du fait de leur religion et aucun mal ne sera fait aux membres de la communauté. Aucun Juif ne viendra loger avec eux à Ilya. Les habitants d'Ilya, c o m m e ceux des autres villes, paieront le tribut. Ils devront en chasser les R o u m et les brigands. A u x R o u m , la sécurité

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LA TOLÉRANCE

est assurée, pour leur vie et pour leurs biens ainsi qu'à ceux qui restent et qui paient le tribut. Ceux qui désirent suivre les R o u m et emporter leurs biens et leurs croix, la sécurité leur est assurée jusqu'à ce qu'ils soient hors d'atteinte. Ceux qui y ont des morts et qui désirent demeurer doivent payer le tribut, mais ceux qui désirent suivre les R o u m ou revenir rejoindre leurs familles, sont dispensés de l'impôt jusqu'à la récolte. Ceux qui paient le tribut, aux termes de cet engagement pris selon l'enseignement de Dieu, ont droit à la protection du Prophète, des Califes et des croyants. Les témoins de cet engagement sont Khâlid ben al-Waiïd, c A m r o u ben al-cAss, c A b d al-Rahmân ben c A w f et M o ' a w y a ben Abï-Soufïâne.

U n engagement similaire fut pris par le m ê m e calife c U m a r vis-à-vis de la population de Lydda et de toute la Palestine.

c Umar ben al-Khattâb, 581-644, deuxième calife de l'Islam, Engagement après la prise de Jérusalem

149

[Recommandations du Calife cUmar ben al-Khattâb

(581-644) à son successeur :]

Je te recommande les Chrétiens et les Juifs (qui sont sous ta protection) ; combats pour eux et ne les taxe pas au-delà de leur capacité. Je te recommande enfin de ne per­mettre ni à toi ni à quiconque d'opprimer ces non-Musul­mans.

Cité par al-Djâhiz, 780 ?-869, Al-Bayân wal-Tabyîh

150

Les peuples à l'ombre desquels nous, peuple d'Israël, sommes exilés et parmi lesquels nous sommes dispersés, croient, en vérité, à la création ex nihilo, à l'Exode, aux lois fondamentales de la religion et tous leurs efforts, toute leur pensée vont vers le Créateur du ciel et de la terre ainsi que l'ont écrit nos Prophètes (...) Cela étant, c o m m e il ne nous

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93

VICAIRES ARMÉS

est pas interdit de les sauver, nous avons, au contraire, l'obligation de prier (...) pour la prospérité et le succès de leur r o y a u m e et d e ses ministres pour tous les territoires sur lesquels s'exerce leur suzeraineté. Et en vérité, c o m m e l'a dit M a ï m o n i d e , d 'accord avec R a b b i Joshua , les croyants des nations gentilles ont, eux aussi, leur part dans le m o n d e à venir.

Rabbi Moses Rivkes, Russie, Be'er Ha-Golah, 1661-1667

Doléances

Dans cette éclaircie et après de tels gages, il y a place pour la

persuasion qui a renoncé à l'exercice formel de la disputation

rationnelle. Mais si le ton en effet est à « l'humble remontrance », en

arrière-fond c'est déjà le début du procès de la force. La force — son exercice même le montre — ne convainc pas, elle fait des martyrs.

Plus encore, elle défigure le message dont elle pense se faire l'ins­

trument. Conquête solitaire, la vérité se communique ; elle ne se dicte

pas.

Or, très souvent, ce que l'on tient pour vérité n'est que préjugé

d'ignorance, toujours prompt à dégénérer en passion. C'est du moins

le sens des doléances des vaincus qui, en d'autres temps, avaient montré

moins de rigueur. Dans le camp des vainqueurs, si quelque philosophe

se laisse fléchir, d'autres penseurs se raidissent et le théologien se fait

sourd. Pour saint Augustin par exemple, « les souffrances » « des

adversaires de la vérité » « sont sans mérite ». Les « adversaires de la

vérité », ce sont les autres : vaincus de tous horizons, minoritaires,

esprits quelque peu libres. Hors de nous, tout ce qui n'est pas païen est

hérétique, l'un et l'autre justiciables, un jour ou l'autre, d'une force

multiforme.

De ces esprits réputés forts, un exemple pathétique, Sœur Juana

Inés de la Cruz : « il ne convient pas à la sainte ignorance d'étudier

ainsi ; elle va se perdre, s'évanouir, en montant si haut par l'effet même

de sa pénétration et de sa finesse ».

De cet interdit, Figaro dira plus tard tout haut les vraies

déterminations.

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LA T O L É R A N C E

151

Très humble remontrance aux inquisiteurs d'Espagne

et de Portugal

U n e juive de dix-huit ans, brûlée à Lisbonne au dernier auto-da-fé, donna occasion à ce petit ouvrage ; et je crois que c'est le plus inutile qui ait jamais été écrit. Q u a n d il s'agit de prouver des choses si claires, on est sûr de ne pas convaincre.

L'auteur déclare que, quoi qu'il soit Juif, il respecte la religion chrétienne, et qu'il l'aime assez pour ôter aux princes qui ne seront pas chrétiens un prétexte plausible pour la persécuter.

« Vous vous plaignez, dit-il aux inquisiteurs, de ce que l'empereur du Japon fait brûler à petit feu tous les Chrétiens qui sont dans ses Etats ; mais il vous répondra : Nous vous traitons, vous qui ne croyez pas c o m m e nous, c o m m e vous traitez vous-mêmes ceux qui ne croient pas c o m m e vous, vous ne pouvez vous plaindre que de votre faiblesse, qui vous empêche de nous exterminer, et qui fait que nous vous exterminions.

« Mais il faut avouer que vous êtes bien plus cruels que cet empereur. Vous nous faites mourir, nous qui ne croyons que ce que vous croyez, parce que nous ne croyons pas tout ce que vous croyez. Nous suivons une religion que vous savez vous-mêmes avoir été autrefois chérie de Dieu : nous pensons que Dieu l'aime encore, et vous pensez qu'il ne l'aime plus ; et parce que vous jugez ainsi, vous faites passer par le fer et par le feu ceux qui sont dans cette erreur si pardonnable, de croire que Dieu aime encore ce qu'il a aimé.

« Si vous êtes cruels à notre égard, vous l'êtes bien plus à l'égard de nos enfants ; vous les faites brûler, parce qu'ils suivent les inspirations que leur ont donnés ceux que la loi naturelle et les lois de tous les peuples leur apprennent à respecter c o m m e des dieux. (...)

« Q u a n d vous voulez nous faire venir à vous, nous vous objectons une source dont vous vous faites gloire de descen­dre. Vous nous répondez que votre religion est nouvelle, mais qu'elle est divine ; et vous le prouvez parce qu'elle s'est

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VICAIRES A R M É S

accrue par la persécution des païens et par le sang de vos martyrs ; mais aujourd'hui vous prenez le rôle des Dioclé-tiens, et vous nous faites prendre le vôtre.

« Nous vous conjurons, non par le Dieu puissant que nous servons, vous et nous, mais par le Christ que vous nous dites avoir pris la condition humaine pour vous proposer des exemples que vous puissiez suivre; nous vous conjurons d'agir avec nous c o m m e il agirait lui-même s'il était encore sur la terre. Vous voulez que nous soyons Chrétiens et vous ne voulez pas l'être.

« Mais si vous ne voulez pas être Chrétiens, soyez au moins des h o m m e s : traitez-nous c o m m e vous feriez si, n'ayant que ces faibles lueurs de justice que la nature nous donne, vous n'aviez point une religion pour vous conduire, et une révélation pour vous éclairer.

« Si le Ciel vous a assez aimés pour vous faire voir la vérité, il vous a fait une grande grâce; mais est-ce aux enfants qui ont eu l'héritage de leur père, de haïr ceux qui ne l'ont pas eu ?

« Q u e si vous avez cette vérité, ne nous la cachez pas par la manière dont vous nous la proposez. Le caractère de la vérité, c'est son triomphe sur les cœurs et les esprits, et non pas cette impuissance que vous avouez lorsque vous voulez la faire recevoir par des supplices.

« Si vous êtes raisonnables, vous ne devez pas nous faire mourir parce que nous ne voulons pas vous tromper. Si votre Christ est le fils de Dieu, nous espérons qu'il nous récompen­sera de n'avoir pas voulu profaner ses mystères ; et nous croyons que le Dieu que nous servons, vous et nous, ne nous punira pas de ce que nous avons souffert la mort pour une religion qu'il nous a autrefois donnée, parce que nous croyons qu'il nous l'a encore donnée. »

Montesquieu, France, De l'esprit des lois, 1748

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O n trouve trop souvent des h o m m e s de fer qui paraphrasent et profanent le terme de miséricorde ; ils ont la générosité de

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LA TOLÉRANCE

chérir les humains à deux mille ans ou deux mille lieux de distance ; leurs cœurs s'épanouissent en faveur des Ilotes et des Nègres, tandis que le malheureux qu'ils rencontrent obtient à peine d'eux un regard de pitié. Et voilà à votre porte les rejetons de ce peuple antique, des frères désolés à la vue desquels on ne peut se défendre d'un déchirement de cœur, qui, depuis quinze siècles, n'ont pas vu luire le bonheur sur leur tête ; ils n'ont trouvé auprès d'eux que des outrages et des tourments, dans leur â m e que des douleurs, dans leurs yeux que des larmes (...) Tant qu'ils sont esclaves de vos préjugés et victimes de votre haine, ne vantez pas votre sensibilité.

Henri Grégoire, France, Essai sur la régénération physique, morale et politique des Juifs, 1789

153

[En 1610, les derniers Espagnols musulmans sont expulsés d'Espagne. L'un d'eux, « Abdelkrim ben Aly Perez », parle ainsi :]

N o s ancêtres victorieux ont-ils jamais tenté d'extirper le Christianisme d'Espagne quand ils avaient le pouvoir de le faire? N'ont-ils pas autorisé vos aïeux à pratiquer en toute liberté leurs rites alors m ê m e qu'ils portaient leurs chaînes ? N'est-ce pas l'injonction absolue de notre Prophète que toute nation conquise par le fer musu lman soit autorisée, contre le paiement d'un tribut annuel raisonnable, à poursuivre les pratiques de sa confession quelle qu'elle soit ou d'embrasser toute autre croyance librement choisie ? S'il y a eu des cas de conversions forcées, ils sont si peu nombreux qu'ils méritent à peine d'être mentionnés et ils sont le fait d ' h o m m e s qui ne craignaient ni Dieu ni le Prophète et qui, agissant ainsi, ont trahi les saintes ordonnances de l'Islam que quiconque digne du n o m de M u s u l m a n ne saurait violer sans se rendre coupable de sacrilège. Quel exemple avez-vous dans votre histoire d'un Chrétien, d'un Gentil ou d'un Juif molesté en raison de ses croyances et ceci sur toute l'étendue des territoires sous domination musulmane depuis l'apparition du Grand Prophète sur la terre jusqu'à cette heure?

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VICAIRES ARMÉS

Vous ne pourriez jamais trouver parmi nous u n tribunal officiel, assoiffé de sang, appelé à juger des problèmes de la foi, qui par quelque aspect soit proche de votre exécrable tribunal de l'Inquisition. Nos bras, il est vrai, sont toujours ouverts pour accueillir tous ceux disposés à embrasser notre religion; mais notre saint Livre [le Coran] nous interdit d'exercer une tyrannie sur les consciences. Nos prosélytes reçoivent tous les encouragements imaginables et une fois profession faite par eux de l'unité de Dieu et de la mission de son Prophète, ils deviennent des nôtres sans nulle réserve ; ils prennent pour f emme nos filles et sont employés à des postes de confiance, d'honneur et bien rétribués. N o u s nous bornons à les obliger à adopter nos coutumes, à présenter, extérieurement, l'apparence de véritables croyants et ne nous permettons jamais de nous ingérer dans leurs consciences pourvu qu'ils ne profanent pas ouvertement notre religion ou n'en médisent; s'ils font cela, en vérité, nous les punissons c o m m e ils le méritent ; car ils se sont convertis librement sans y être contraints.

Mahomet Rabadán, Cité par J. Morgan, en 1723-1725

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Ceux qui nient l'existence d'une puissance divine ne doivent être tolérés en aucune façon. L a parole, le contrat, le serment d'un athée ne peuvent former quelque chose de stable et de sacré, et cependant ils forment les liens de toute société humaine; au point que la croyance en Dieu elle-même supprimée, tout se dissout. D'ailleurs, nul ne peut revendi­quer au n o m de la religion le privilège de la tolérance s'il élimine complètement toute religion en professant l'athéisme.

John Locke, Angleterre, Lettre sur la tolérance, 1690

155

N e te laisse pas émouvoir par les supplices et les châtiments infligés aux malfaiteurs, aux sacrilèges, aux ennemis de la

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LA TOLÉRANCE

paix, aux adversaires de la vérité. C e n'est pas en effet pour la vérité que meurent ces sectaires ; ils meurent plutôt pour empêcher qu 'on annonce la vérité, qu'on prêche la vérité, qu'on s'attache à la vérité; pour empêcher qu 'on aime l'unité, qu 'on embrasse la charité et qu'on parvienne à posséder l'éternité. Q u e leur cause est affreuse ! Aussi leurs souffrances sont-elles sans mérite.

Saint Augustin, 354-430, Carthage, Sermons

156

Mais tout ceci ne s'applique qu'à celui qui continue à se réclamer du n o m d'Israël. Car quiconque continue à se récla­mer du n o m d'Israël en ne respectant plus ses obligations, profane la religion [juive] et encourt une punition sévère car il devient un hérétique, tel un h o m m e sans religion.

Mais celui qui a abandonné complètement le judaïsme et est devenu un adepte d'une autre religion est considéré par nous c o m m e un adepte de cette religion à tous les égards, sauf en ce qui concerne les lois du mariage. Ainsi l'ont ordonné mes maîtres, eux aussi.

Rabbi Me'iri (nom provençal, Don Vidal Solomon), 1249-1306, Beit Ha-Behira

157

(...) Lire, et lire encore, étudier, étudier encore, sans autre maître que les livres eux-mêmes. O n sait combien il est dur d'étudier dans ces caractères sans â m e , sans le secours de la voix vivante et de l'explication d'un maître : eh bien, je supportais avec plaisir toute cette peine, pour l'amour des lettres. (...) Cependant, je tâchais de l'élever autant queje le pouvais et de le diriger à son service [Dieu], car la fin où j'aspirais était l'étude de la théologie; il m e semblait que c'était chose bien indigne de ne pas savoir, étant catholique, tout ce que, dans cette vie, on peut saisir des divins mystères par les moyens naturels ; et que, vivant au couvent et non dans le siècle, l'état ecclésiastique m e faisait un devoir de m'adonner aux lettres (...)

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VICAIRES A R M É S

(...) O n peut imaginer (...) combien mes pauvres études ont dû naviguer contre le courant, ou plutôt c o m m e elles ont fait naufrage (...) Jusqu'ici, il ne s'agissait que de contretemps que le hasard fait naître, et qui ne le sont qu'indirectement, mais il y en eut de positifs, qui, directe­ment, ont tendu à empêcher et à interdire-mes exercices. Qui ne croirait, m e voyant si généralement applaudie, que j'ai navigué vent en poupe sur une mer d'huile, portée par les acclamations générales ? Dieu sait pourtant qu'il n'en a guère été ainsi. Car entre les fleurs de ces m ê m e s acclamations, se sont élevées, c o m m e autant de serpents, tant de rivalités et de persécutions, que je ne saurai les compter; ceux qui m'ont fait le plus mal, ceux qui m 'on t le plus touchée, ne sont pas cependant ceux qui m 'on t pour­suivie de leur haine déclarée et de leur malveillance, mais bien plutôt ceux qui, tout en m'a imant et désirant m o n bien (...) m ' o n t mortifiée et tourmentée plus que les autres, avec leur : « il ne convient pas à la sainte ignorance d'étudier ainsi; elle va se perdre, s'évanouir, en montant si haut par l'effet m ê m e de sa pénétration et de sa finesse ».

(...) L a seule chose que j'ai désirée, c'est d'étudier pour être moins ignorante (...) O ù donc est m a faute? (...) Si m a faute est dans la Lettre athénagorique, celle-ci a-t-elle fait autre chose que rapporter simplement m o n sentiment avec toute la révérence queje dois à notre Sainte Mère l'Eglise? Mais si Elle-même, avec Sa Très Sainte autorité, ne m e l'interdit pas, pourquoi faut-il que d'autres m e l'interdisent? (...) Si j'avais cru qu'elle dût être publiée, je ne l'aurais pas laissée dans un état si négligé. Si c o m m e le prétend le Censeur, elle est hérétique, pourquoi ne la dénonce-t-il pas ? D e la sorte, il serait vengé (...) Si elle est barbare (et il a raison de le penser), qu'il rie donc, fût-ce d 'un rire forcé; je ne lui demande pas de m'applaudir; j'étais libre d'être d 'un autre sentiment que Vierra, n'importe qui le sera aussi bien de s'écarter de m o n opinion.

Sœur Juana Inès de la Cruz, 1651-1695, Mexique, Lettre autobiographique

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LA TOLÉRANCE

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Q u e je voudrais bien tenir un de ces Puissants de quatre jours, si légers sur le mal qu'ils ordonnent, quand une bonne disgrâce a cuvé son orgueil ! je lui dirais (...) que les sottises imprimées n'ont d'importance qu'aux lieux où l'on en gêne le cours ; que sans la liberté de blâmer, il n'est point d'éloge flatteur ; et qu'il n'y a que les petits h o m m e s qui redoutent les petits écrits. Las de nourrir un obscur pensionnaire, on m e met un jour dans la rue; et c o m m e il faut dîner, quoiqu'on ne soit plus en prison, je taille encore m a plume, et demande à chacun de quoi il est question : on m e dit que, pendant m a retraite économique, il s'est établi dans Madrid un système de liberté sur la vente des productions, qui s'étend m ê m e à celle de la presse ; et que, pourvu que je ne parle en mes écrits ni de l'autorité, ni du culte, ni de la politique, ni de la morale, ni des gens en place, ni des corps en crédit, ni de l'Opéra, ni des autres spectacles, ni de personne qui tienne à quelque chose, je puis tout imprimer librement, sous l'inspection de deux ou trois Censeurs. Pour profiter de cette douce liberté, j'annonce un écrit périodique, et croyant n'aller sur les brisées d'aucun autre, je le n o m m e Journal inutile. Pou-ou ! je vois s'élever contre moi mille pauvres diables à la feuille ; on m e supprime ; et m e voilà derechef sans emploi !

Beaumarchais, France, Le mariage de Figaro, acte v, scène III, 1784

159

U n h o m m e né français et chrétien est fort embarrassé pour écrire, les grands sujets lui étant interdits.

La Bruyère, France, Les caractères, 1688-1696

160

L'hérétique est celui qui préparera le feu N o n celui qui sera brûlé.

Shakespeare, Angleterre, Le conte d'hiver, acte m , scène II, 1611

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VICAIRES A R M É S

161

O n n'efface pas la vérité (ni d'ailleurs le mensonge) . Les murs ont la parole, Sorbonne, Paris, mai 1968

162

C e s défenseurs si ardents de la vérité, ces adversaires de l'erreur, ceux qui souffrent le plus impat iemment le schisme, tous ceux-là n'expriment presque jamais le zèle dont ils sont excités et enflammés pour leur Dieu, sauf lorsqu'ils ont avec eux un magistrat civil qui leur accorde ses faveurs. Dès qu'ils ont obtenu l'appui d u magistrat et qu'ils sont devenus les plus forts, aussitôt la paix et la charité chrétienne doivent être violées.

John Locke, Angleterre, Lettre sur la tolérance, 1690

Le point de fait : « Dieu ou Mammon ? »

Il faut lever l'ambiguïté. En quelques lignes froides, coupantes, Machiavel pose l'alternative et éclaire du coup un certain mode d'être historique. Toute entreprise humaine, pour réussir, n'a le choix qu'entre deux voies : la prière ou la force. La prière conduit à l'échec, souvent la force mène au succès.

Après des balbutiements millénaires, ce texte dissipe toute incertitude. Tout est affaire humaine et les affaires humaines visent le pouvoir temporel. En une telle matière, les arguments matériels sont seuls déterminants. Mais alors, que cherche-t-on par la fora, Dieu ou bien le pouvoir? Ce point éclaira, les forces peuvent jouer, se mesurer sans masque.

Le texte qu'on va lire sonne avant terme la fin de tout humanisme dévot.

163

Si l'on veut bien entendre ce point, il faut considérer si ceux qui cherchent choses nouvelles peuvent quelque chose d'eux-

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LA T O L É R A N C E

m ê m e s o u s'ils dépendent d'autrui; c'est-à-dire si, pour m e n e r à bien leur entreprise, ils comptent sur les prières o u sur la force. D a n s le premier cas, ils finissent toujours m a l et n e viennent à bout d e rien ; mais q u a n d ils n e dépendent q u e d ' eux et peuvent user d e la force, alors ce n'est q u ' à d e rares fois qu'ils échouent. D e là vient q u e tous les prophètes bien armés furent vainqueurs et les désarmés déconfits.

Nicolas Machiavel, Italie, Le Prince, 1513

Sous les yeux d'Occident...

Dès lors, tout s'éclaire : le drame que vit l'humanité est un conflit de

pouvoirs temporels, tout entier inscrit entre la bonne et la fausse

conscience.

Au cœur de cette séquence, il se produit comme une cristallisation

des intérêts et des valeurs. C'est un certain Occident chrétien, dès lors

divisé, qui est ici à la fois sujet et objet de son histoire.

Une seule question devant ce déchaînement de violence, de

paralogismos, de sophismes, de mépris : qui est barbare, l'humaniste

authentique qui proteste au nom de l'humain et de l'universel, qu'il soit

blanc ou plus souvent de couleur, ou le forcené dit civilisé pour qui,

après chaque conquête, un Dieu particulier — provisoirement le plus

fort — reconnaîtra les siens ?

C'est id le tableau vivant de ce qui fut exécuté, espéré, pensé pour

l'entreprise coloniale — autrement dite croisade ou bonne parole — avec en sourdine le non multiple des vaincus. La raison vraie — et

l'humain — sont évidemment absents ou de trop. L'accord ne va jamais

sans malentendu ni duplicité quand il implique l'extermination du

faible. Ici et là, on essaie d'intercéder, de réfléchir, de comprendre : les

écrasés sans raison, et quelques prélats, philosophes, fidèles encore à la

pureté du message ou au simple devoir d'humanité ; tous sont balayés

par le souffle de la violence où l'Occident conquérant détruit l'Autre

autant qu 'il se détruit lui-même.

« Est-ce ainsi, dira-t-on, qu'en a disposé le Christ? » Les dieux

se taisent toutes les fois que les hommes sont pris de la fièvre du pouvoir

et de la soif de l'or. Les m e a culpa, si pieux soient-ils, légalisent

toujours le fait accompli.

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VICAIRES A R M É S

164

Notre monde vient d'en trouver un autre (et qui nous répond si c'est le dernier de ses frères, puisque les démons, les sibylles et nous, avons ignoré celui-ci jusqu'à cette heure) non moins grand, plein et m e m b r u que lui...

Montaigne, France, Essais, 1588

165

N e mettez aucun zèle, n'avancez aucun argument pour convaincre les peuples de changer leurs rites, leurs coutumes et leurs moeurs, à moins qu'ils ne soient évi­d e m m e n t contraires à la religion et à la morale. Il est absurde de transporter chez les Chinois la France, l'Espa­gne, l'Italie ou quelque autre pays d'Europe. N'introduisez pas chez eux nos pays, mais la foi (...) Il est pour ainsi dire inscrit dans la nature des h o m m e s d'aimer, de mettre au-dessus de tout au m o n d e les traditions de leur pays et ce pays lui-même. Aussi n'y a-t-il pas de plus puissante cause d'éloignement et de haine que d'apporter des changements aux coutumes propres à une nation (...) Q u e sera-ce si, les ayant abrogées, vous cherchez à mettre à la place les m œ u r s de votre pays, introduites du dehors? N e mettez doncjamais en parallèle les usages de ces peuples avec ceux de l'Europe. Bien au contraire, empressez-vous de vous y habituer.

Instruction à l'usage des vicaires apostoliques en partance pour les royaumes chinois du Tonkin et du Cambodge, 1659

166

À tous les fidèles Chrétiens qui liront les présentes, nous adressons notre salut et notre bénédiction aposto­lique.

Il est connu que, lorsqu'elle a assigné aux prédicateurs la tâche de prêcher la foi, la Vérité m ê m e , qui ne peut se tromper ni tromper, a dit : Allez et enseignez toutes les nations.

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LA T O L É R A N C E

Elle a dit toutes sans aucune distinction, car toutes sont aptes à recevoir l'enseignement de la foi. Voyant cela, l'ennemi envieux du genre humain, qui s'oppose toujours aux actions des h o m m e s pour les faire échouer, a imaginé un moyen jusqu'ici inconnu d'empêcher que la parole de Dieu ne fût prêchée aux nations pour leur salut : il a poussé certains de ses suppôts, m u s par le désir d'assouvir leur cupidité, à opprimer c o m m e des bêtes brutes assujetties à leur pouvoir les Indiens occidentaux et méridionaux ainsi que d'autres peuples dont l'existence est parvenue récem­ment à notre connaissance, sous prétexte qu'ils ignoraient la foi catholique. E n conséquence, nous qui exerçons sur la terre, bien que nous n'en soyons pas digne, les fonctions de vicaire de Notre-Seigneur et qui n'épargnons aucun effort pour amener à son bercail celles des brebis de son trou­peau, confiées à notre garde, qui se trouvent hors de ce bercail, constatant que ces m ê m e s Indiens, en leur qualité d ' h o m m e s véritables, non seulement sont aptes à accéder à la foi chrétienne, mais encore, ainsi qu'il a été porté à notre connaissance, se précipitent vers cette foi, et voulant leur apporter les remèdes appropriés — en vertu de notre autorité apostolique, nonobstant nos lettres précédentes et toutes dispositions contraires, décrétons et proclamons ce qui suit :

Lesdits Indiens et tous les autres peuples dont l'existence parviendra ultérieurement à la connaissance des Chrétiens, m ê m e s'ils sont hors de la foi, ne sont pas, et ne doivent pas être privés de leur liberté et de la possession de leurs biens ; au contraire, ils peuvent librement et licitement user et jouir de telle liberté et possession et ne doivent pas être réduits en servitude; tout ce qui pourrait s'écarter de ce principe sera considéré c o m m e nul et non avenu, et il conviendra d'inciter ces Indiens ainsi que les autres peuples à embrasser ladite foi chrétienne en leur prêchant la parole de Dieu et en leur donnant l'exemple d'une vie vertueuse.

Fait à R o m e , l'an M D X X X V I I , le IV e jour avant les nones de juin, l'an IIIe de notre pontificat.

Bulle du pape Paul III, 1537

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VICAIRES ARMÉS

167

Harangue des ambassadeurs de Pizarra à Vinca

Fernand Pizarro, voyant le peuple apaisé, ordonna à Fer­nand de Soto de parler, afin qu 'on ne perdît plus de temps. Il lui dit de s'acquitter promptement de son ambassade, car il valait mieux retourner dormir avec les leurs, et ne pas se fier à des infidèles qui, quelques cadeaux qu'ils leur fissent, avaient peut-être dessein justement de les mettre en confiance pour les prendre au dépourvu. Fernand de Soto se leva alors et, après avoir salué à l'espagnole, c'est-à-dire en se découvrant avec une grande révérence, se rassit pour prononcer ce qui suit :

« Inca Sérénissime ! Sachez qu'il y a au m o n d e deux princes puissants sur tous les autres. L ' u n est le souverain Pontife qui tient la place de Dieu ; celui-ci administre et gouverne tous ceux qui observent la loi divine et il enseigne sa parole divine. L'autre est l'Empereur des Romains, Charles Quint, Roi d'Espagne. Ces deux monarques, voyant l'aveuglement des naturels de ces pays-ci, par lequel, méprisant le vrai Dieu, créateur du ciel et de la terre, ils adorent ses créatures et le m ê m e D é m o n qui les égare, ont envoyé notre gouverneur et capitaine général don Francisco Pizarro et ses compagnons, outre plusieurs prêtres, ministres de Dieu, qui doivent enseigner à Votre Altesse et à tous vos vassaux cette divine vérité et sa loi sainte, chose pour laquelle ils sont venus dans ce pays. Ayant éprouvé durant la route la libéralité de votre main royale, ils sont entrés hier à Cassamarca et nous envoient aujourd'hui à Votre Altesse pour que nous jetions les premières bases de la concorde, alliance et paix perpétuelle qui doit exister entre nous, et pour que, en nous recevant sous Sa sauvegarde, elle permette que nous Lui fassions entendre la Loi divine et que tous les Siens l'apprennent et la reçoivent, car aussi bien à Votre Altesse qu 'à tous ceux-ci, elle procurera le plus grand honneur, avantage et profit. »

Garcilaso de la Vega (dit l'Inca), 1539P-1617, Pérou

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LA T O L É R A N C E

168

Et maintenant, allons-nous

Détruire

Nos anciens modes de vie ? Ceux des Chichimèques,

Des Toltèques, Des Acolhuas,

Des Tépanèques ? Nous savons Qui dispense la vie ;

Qui perpétue l'espèce ; Qui permet la procréation ;

Qui rend possible la croissance ; Nous connaissons la forme des invocations,

Nous savons comment il faut prier. Ecoutez-nous, ô Seigneurs, N e faites rien

À notre peuple Qui appelle sur lui la malédiction,

Qui puisse provoquer sa perte (...) Avec calme et bonté Considérez, ô Seigneurs,

C e qui vaut le mieux.

Nous ne pouvons vivre tranquilles, Et pourtant nous ne sommes certes pas croyants ; C e que vous prêchez n'est pas pour nous la vérité,

M ê m e si ceci vous offense. Vous êtes Ô Seigneurs, ceux qui dirigent,

Ceux qui soutiennent, ceux qui se donnent A u monde entier.

N'est-ce donc pas assez que nous ayons déjà tout perdu, Q u e notre m o d e de vie nous ait été enlevé,

Qu'il ait été détruit? Si nous restions en ce lieu,

Nous pourrions être faits prisonniers.

Faites de nous

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VICAIRES A R M É S

C e qu'il vous plaira.

C'est tout ce que nous répondons, Tout ce que nous répliquons À votre choix,

À vos paroles,

A vous qui êtes nos maîtres ! Réponses des sages Aztèques aux douze missionnaires,

1524, Mexique

169

(...) Dès le début de la découverte des Indes, un grand aveuglement s'est emparé de l'entendement des membres du Conseil Royal en cette matière. Car quoi de plus absurde que de considérer c o m m e coupables de refuser la foi des gens qui jusqu'alors s'étaient imaginés être seuls au monde , qui ne savaient en aucune manière ce qu'était la foi, ce que pouvaient être les Chrétiens (sinon des h o m m e s mauvais, cruels, qui les volaient et qui les tuaient), alors qu'aucun d'entre eux ne connaissait notre langage pas plus que nous ne connaissions le leur ? Et que veulent dire ces membres du Conseil quand ils prétendent que ces Indiens avaient été requis à maintes reprises de devenir Chrétiens et d'entrer dans la communion des fidèles ? M ê m e s'ils connaissaient un peu notre langue, était-ce leur dire une chose toute simple, c o m m e par exemple deux et deux font quatre? Et m ê m e s'ils étaient capables de comprendre le sens de ces sommations, est-ce qu'ils étaient obligés d'y accéder aussitôt sans raison­nement, sans réflexion ni délibération? Et se trouvaient-ils passibles de punition par le simple fait de ne pas adhérer sur-le-champ à la foi chrétienne ?

Est-ce ainsi que l'on doit proposer la foi à des gens qui n'en ont jamais entendu parler? Et si m ê m e on les requiert un milliard de fois et qu'ils se refusent à la recevoir, a-t-on le droit de leur infliger des punitions? Est-ce ainsi qu'en a disposé le Christ, lui qui est le dispensateur de la foi ? Est-ce qu'aucune nation au monde peut être obligée d'accorder crédit à ceux qui l'envahissent, les armes à la main, tuant

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LA TOLÉRANCE

ceux qui vivaient jusqu'alors en sécurité et dont ils n'avaient jamais reçu nulle offense, c o m m e l'ont fait dès l'abord les Espagnols? (...) Etait-ce donc un crime pour ces gens de chercher à se défendre contre les Espagnols dont ils rece­vaient tant de m a u x , alors que m ê m e des bêtes brutes ont le droit de défendre leur vie ? N'est-il donc pas manifestement faux de prétendre qu'ils se défendaient uniquement pour ne pas recevoir l'enseignement des choses de la foi, alors qu'ils ne savaient m ê m e pas de quoi il était question ?

Bartolomé de Las Casas, 1474-1566, Espagne

170

Réponse de Vinca Atahualpa aux ambassadeurs de Pizarra

(...) Je dis ceci, h o m m e de Dieu, parce que je ne laisse pas de comprendre que vos paroles signifient autre chose que votre héraut m ' a dit, l'objet m ê m e de l'ambassade le requiert, et alors qu'il s'agit de paix, d'amitié, de fraternité perpétuelle et d'étroite alliance ainsi que m e l'exprimèrent les autres messagers qui sont venus m e trouver, tout ce que m ' a dit cet indien rend un son tout contraire ; car, selon lui, tu nous menaces de guerre, de mort par le feu et le fer et il déclare que tu vas chasser, détruire les Incas et leur race, et que, de gré ou de force, je dois renoncer à m o n trône pour m e faire vassal et tributaire d 'un autre. D e deux choses l'une, ou votre prince et vous tous êtes des tyrans qui allez semant la destruction par le monde , usurpant les trônes, tuant et volant ceux qui ne vous ont point fait injure et ne vous doivent rien, ou vous êtes ministre du Dieu que nous appelons, nous, Pacha C a m a c , qui vous a choisis pour nous châtier et nous détruire. S'il en est ainsi, mes vassaux et moi nous nous offrons à la mort et à tout ce que vous pourrez désirer de nous ; non que nous ayons peur de vos armes et de vos menaces, mais pour accomplir ce que m o n père Huaina C a m a c nous a enjoint à l'heure de sa mort : de servir et honorer une race barbue c o m m e vous l'êtes qui devait venir après son trépas ; il avait entendu dire, des années aupara-

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VICAIRES ARMÉS

vant, qu'ils erraient sur les bords de son Empire. Il nous dit

que ce devait être des h o m m e s de meilleure loi et meilleures

coutumes, plus sages, plus valeureux que nous. C'est

pourquoi, en accomplissement du décret et testament de

m o n père, nous vous avons appelés « viracoches » pour

signifier que vous êtes messagers du grand Dieu Viracoche,

dont la volonté et la juste indignation, les armes et la

puissance sont irrésistibles. Mais ce Dieu connaît aussi la

pitié et la miséricorde. Pour autant, vous devez agir en

messagers et ministres divins, et ne point permettre que

continuent meurtres, pillages et cruautés c o m m e il s'en est

produit dans Tumpiz et ailleurs.

Outre cela, votre héraut m ' a dit que vous m e proposiez

à connaître cinq Etres remarquables. Le premier est le Dieu

trois et un, qui fut quatre, que vous appelez créateur de

l'univers ; il se trouve que c'est le m ê m e que nous appelons,

nous, Pacha C a m a c et Viracoche. Le second est celui que

vous dites père de tous les autres h o m m e s , en qui tous ceux-

ci ont entassé leurs péchés. Le troisième, vous l'appelez Jésus

Christ, qui, seul entre tous, n'a pas rejeté ses péchés sur ce

premier h o m m e , mais qu'on a tué. Le quatrième, vous

l'appelez le pape. Le cinquième est Charles que, sans faire

entrer les autres en ligne de compte, vous appelez tout

puissant, monarque de l'univers et supérieur à tous. Eh bien,

si ce Charles est prince et seigneur du m o n d e entier, quel

besoin avait-il que le pape lui accordât une nouvelle

concession et donation, pour m e faire la guerre et usurper

m o n trône? Et s'il en avait besoin, c'est donc que le pape est

plus grand seigneur qu'il ne l'est lui-même et vraiment le

plus puissant, et le prince de l'univers. Je m'étonne aussi que

vous m e disiez que je suis obligé de payer tribut à Charles,

et non aux autres, car vous ne m e donnez aucune raison pour

ce tribut, et je ne m e trouve point obligé à y souscrire en

aucune façon. Parce que, si par droit il m e fallait payer tribut

et servir, il m e semble que tribut et service seraient dus à ce

Dieu dont tu dis qu'il nous créa tous et à ce premier h o m m e

qui fut père de tous les h o m m e s , et à ce Jésus Christ qui n'a

jamais commis de péché; finalement, au pape, qui peut

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110

LA T O L É R A N C E

donner et concéder à d'autres m o n trône et m a personne. Mais si tu dis queje ne dois rien à tous ceux-là, encore moins dois-je à Charles, qui n'a jamais été Seigneur de ces régions, et ne les vit jamais. Et si, outre cette concession, il a quelque droit sur moi, il serait juste et raisonnable que vous m e l'exposiez avant de m e menacer de guerre, feu, sang et mort, pour que je puisse obéir à la volonté du pape, car je ne suis pas si court d'entendement queje ne sache obéir à qui peut commander par raison, justice et droit.

Outre cela, je désire savoir, de cet excellent être Jésus Christ, qui n'a jamais accumulé ses péchés, et dont tu dis qu'il est mort, s'il est mort de maladie, ou par la main de ses ennemis ; s'il fut placé parmi les dieux avant sa mort ou après. Je désire savoir aussi si vous tenez pour des dieux ces cinq dont vous m'avez parlé car vous les honorez grande­ment; s'il en est ainsi, vous avez plus de dieux que nous; nous n'adorons que le Pacha C a m a c , Dieu suprême, et le Soleil, son subordonné, et la Lune, sa sœur et son épouse. Pour tout cela, je m e réjouirais extrêmement que vous m e donniez à entendre ces choses par un meilleur interprète, afin que j'en prenne connaissance et que j'obéisse à votre volonté.

Garcilaso de la Vega (dit l'Inca), 1539?-1617, Pérou

171

Je conclus de tout ceci que la conscience d'un Païen l'oblige à honorer ses faux dieux ; à peine, s'il en médit, s'il vole leurs temples, etc., de tomber dans le blasphème et dans le sacrilège; non moins qu 'un Chrétien, qui médit de Dieu et vole les Eglises.

Pierre Bayle, 1647-1706, France

172

Cette nation porte sur le visage une malédiction temporelle, et est héritière de C h a m (...) N e vous étonnez donc plus,

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Ill

VICAIRES A R M É S

pauvres Nègres, si vous êtes nés à la servitude, et si votre ligne sera esclave jusqu'au jour du Jugement; c'est pour punir l'ingratitude de votre père, c'est pour apprendre la piété à toutes les Nations.

Maurile de Saint-Michel, France, Voyage des Iles, Camercanes, 1653

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H o m m e s , arrêtez-vous et écoutez mes recommandations. Apprenez-les de moi. N e trompez pas, n'allez pas au-delà de votre pouvoir, ne trahissez pas, ne torturez pas, ne tuez pas les enfants, les vieillards ni les femmes, n'étêtez pas les palmiers et ne les brûlez pas, n'arrachez pas d'arbres fruitiers, n'égorgez moutons, vaches ou chameaux que pour votre nourriture. Vous rencontrerez des gens voués à la foi dans les couvents, laissez-les accomplir ce à quoi ils se consacrent.

Calife Abu Bakr, 570P-634? Recommandations aux armées de 'Asâma

Sous l'œil des Barbares

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O n rougit de rappeler pour quels motifs honteux ou frivoles les princes chrétiens font prendre les armes aux peuples. L ' u n a prouvé ou simulé quelque droit suranné, c o m m e s'il importait beaucoup que tel ou tel prince gouvernât l'État, pourvu que les intérêts publics fussent bien administrés. U n autre prend pour prétexte un point omis dans un traité de cent chapitres. Celui-ci a un ressentiment contre celui-là au sujet d'une fiancée refusée ou enlevée ou de quelque raillerie un peu trop libre ; et, le comble de l'infamie, c'est qu'il y a des princes qui, sentant leur autorité faiblir par suite d'une paix trop longue et de l'union de leurs sujets, s'entendent en

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LA T O L É R A N C E

secret, de façon diabolique, avec les autres princes qui, lorsque le prétexte est trouvé, provoquent la guerre, afin de tout diviser par la discorde de ceux qui vivaient étroitement unis et de dépouiller le malheureux peuple, grâce à cette autorité sans frein que donne la guerre.

Erasme de Rotterdam, Querela pads undique gentium ejectae profligataeque, 1515

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Hourrah ! A u n o m d u peuple nous nous entr'exterminerons jusqu'au dernier.

Karel Capek, 1890-1938, Écrivain tchèque

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Apprenez donc, villes libres, apprenez par notre d o m m a g e , à vous gouverner dorénavant d'autre façon, et ne vous laissez plus enchevêtrer, c o m m e nous avons fait, par les charmes et enchantements des prêcheurs, corrompus de l'argent et de l'espérance que leur donnent les princes, qui n'aspirent qu'à vous engager et rendre si faibles et si souples qu'ils puissent jouir de vous et de vos biens et de votre liberté, à leur plaisir ! Car ce qu'ils vous font entendre de la religion n'est qu'un masque dont ils amusent les simples c o m m e les renards amusent les pies de leurs longues queues, pour les attraper et manger à leur aise. E n vîtes-vous jamais d'autres, de ceux qui ont aspiré à la domination tyrannique sur le peuple, qui n'aient toujours pris quelque titre spécieux de bien public ou de religion? Et toutefois, quand il a été question de faire quelque accord, toujours leur intérêt particulier a marché devant et ont laissé le bien du peuple en arrière, c o m m e chose qui ne les touchait point; ou bien, s'ils ont été victorieux, leur fin a toujours été de subjuguer et mâtiner le peuple, duquel ils étaient aidés à parvenir au-dessus de leurs désirs.

Satire Ménipée (pamphlet politique dirigé contre la Ligue), 1594, France

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VICAIRES A R M É S

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Pendant que les orfèvres de M o n t e z u m a défaisaient les bijoux et les mettaient en tas — il y avait trois tas — un bon tiers de l'or disparut, pris en cachette et dissimulé tantôt par Cortés, tantôt par ses capitaines ou on ne savait qui. Après bien des discussions, on avait pesé ce qui restait, qui fut évalué à six cent mille pesos, disques et bijoux non compris. Et je vais dire c o m m e n t tout fut réparti. D'abord, on préleva le quint royal. Ensuite Cortés d e m a n d a qu'on prélève une autre quinte pour lui ainsi qu'il avait été dit quand nous l'avions n o m m é capitaine général. Après cela, il dit que l'on devait enlever du tas une certaine part en compensation des frais qu'il avait eus à C u b a , pour la flotte. Puis une autre part pour les dépenses que Diego Velasquez avait faites pour l'achat des navires échoués. Et encore après la part des procureurs partis en Castille. Et en plus, pour les soixante-dix h o m m e s demeurés à la Villa Rica. Et pour le cheval qui leur était mort, et pour la jument de Juan Sedeña, tué à Tlascala. Et pour le Père de la Merci et pour le clerc Juan Diaz et pour les capitaines et pour ceux qui avaient des chevaux, et méritaient double part. Et pour les escopettiers et les arbalétriers et autres parasites. Tant et si bien qu'il resta très peu à partager. Si peu que de nombreux soldats n'acceptèrent pas de recevoir ce qui leur revenait. C e qui fait que Cortès garda tout.

Bernai Diaz del Castillo, 1495-1582, L'histoire véridique de la conquête de la Nouvelle Espagne

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C'est un très grand scandale et un tort grave porté à notre sainte religion que de voir, dans ces nouvelles chrétientés des évêques, des religieux, des clercs qui s'enrichissent alors que les nouveaux convertis vivent dans une pauvreté extrême, incroyable, et qu'un grand nombre d'entre eux meurent chaque jour misérablement du fait de l'oppression, de la faim, du froid, d'un travail excessif. Pour ce motif, je supplie

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LA T O L É R A N C E

humblement Votre Béatitude de déclarer que les ministres de Dieu sont obligés, par la loi naturelle et divine, de restituer tout l'or, l'argent, les pierres précieuses qui sont venues en leur possession, car ils les ont pris à des h o m m e s qui souffraient une extrême nécessité et continuent à vivre misérablement — h o m m e s envers lesquels ils sont contraints, par la loi divine et naturelle, à se dépouiller, s'il le faut, de leurs biens propres.

Bartolomé de Las Casas, 1474-1566, Lettre à S.S. Pie V

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Des deux les plus puissants monarques de ce monde-là, et, à l'aventure, de cettui-ci, rois de tant de rois, les derniers qu'ils en chassèrent, celui du Pérou, ayant été pris en une bataille et mis à une rançon si excessive qu'elle surpasse toute créance, et celle-là, fidèlement payée, et avoir donné par sa conversation signe d 'un courage franc, libéral et constant, et d 'un entendement net et bien composé, il prit envie aux vainqueurs, après en avoir tiré un million trois cent vingt-cinq mille cinq cents pesants d'or, outre l'argent et autres choses qui ne montèrent pas moins, si que leurs chevaux n'allaient plus ferrés que d'or massif, de voir encore, au prix de quelque déloyauté que ce fût, quel pouvait être le reste des trésors de ce roi et jouir librement de ce qu'il avait réservé. O n lui aposta une fausse accusation et preuve, qu'il desseignait de faire soulever ses provinces pour se remettre en liberté. Sur quoi, par beau jugement de ceux m ê m e s qui lui avaient dressé cette trahison, on le condamna à être pendu et étranglé publiquement, lui ayant fait racheter le tourment d'être brûlé tout vif par le baptême qu 'on lui donna au supplice m ê m e . Accident horrible et inouï, qu'il souffrit pourtant sans se démentir ni de contenance, ni de parole, d'une forme et gravité vraiment royale. Et puis, pour endormir les peuples étonnés et transis de chose si étrange, on contrefit un grand deuil de sa mort, et lui ordonna-t-on des somptueuses funérailles.

Montaigne, France, Essais, 1598

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VICAIRES A R M É S

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Guerre civile : Contentez-vous de tirer sur eux ! Le côté des canons est le côté légal.

Karel Capek, 1890-1938, Écrivain tchèque

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Les Nègres d'Angola sont ordinairement plus estimés que ceux des autres pays. J'avoue que la condition des esclaves est extrêmement rude, et qu'il est infiniment sensible à ces pauvres gens de se voir vendus, souvent par leurs pères, et par leurs seigneurs à des étrangers qui les transportent où bon leur semble, et qui les laissent en des pays où on s'en sert c o m m e de bêtes de charge : mais toutes ces disgrâces leur sont occasion d 'un bonheur inestimable, puisque dans leur esclavage ils jouissent de la liberté des enfants de Dieu. U n jeune Nègre nous disait une fois à ce propos dans l'Ile de la Martinique, « qu'il préférait sa captivité à la liberté qu'il aurait eue en son pays, parce que s'il fût demeuré libre, il serait esclave de Satan, au lieu qu'étant esclave des Français il avait été fait enfant de Dieu ». Ils ne sont pas tous si spirituels ni si clairvoyants.

Pierre Pelleprat, France, Relation des missions des Pères de la Compagnie de Jésus, 1655

182 De l'esclavage des nègres

Si j'avais à soutenir le droit que nous avons à rendre les nègres esclaves, voici ce que je dirais :

Les peuples d 'Europe ayant exterminé ceux de l'Améri­que, ils ont dû mettre en esclavage ceux de l'Afrique, pour s'en servir à défricher tant de terres.

Le sucre serait trop cher, si l'on ne faisait travailler la plante qui le produit par des esclaves.

Ceux dont il s'agit sont noirs depuis les pieds jusqu'à la tête ; ils ont le nez si écrasé qu'il est presque impossible de les plaindre.

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LA TOLÉRANCE

O n ne peut se mettre dans l'idée que Dieu, qui est un être très sage, ait mis une â m e , surtout une â m e bonne, dans un corps tout noir.

Il est si naturel de penser que c'est la couleur qui constitue l'essence de l'humanité, que les peuples d'Asie qui font des eunuques, privent toujours les noirs du rapport qu'ils ont avec nous d 'une façon plus marquée.

O n peut juger de la couleur de la peau par celle des cheveux, qui, chez les Egyptiens, les meilleurs philosophes du m o n d e , étaient d'une si grande conséquence, qu'ils faisaient mourir tous les h o m m e s roux qui leur tombaient entre les mains.

U n e preuve que les nègres n'ont pas le sens c o m m u n , c'est qu'ils font plus de cas d 'un collier de verre que de l'or, qui, chez des nations policées, est d 'une si grande conséquence.

Il est impossible que nous supposions que ces gens-là soient des h o m m e s ; parce que, si nous les supposions des h o m m e s , on commencerait à croire que nous ne sommes pas nous-mêmes Chrétiens.

D e petits esprits exagèrent trop l'injustice que l'on fait aux Africains. Car, si elle était telle qu'ils le disent, ne serait-il pas venu dans la tête des princes d'Europe, qui font entre eux tant de conventions inutiles, d'en faire une générale en faveur de la miséricorde et de la pitié ?

Montesquieu, France, De l'esprit des lois, 1748

183

Tous deux, les partis combattants, lisent la m ê m e Bible et prient le m ê m e Dieu et chacun d'eux invoque son aide contre l'autre. Il peut paraître étrange qu 'un h o m m e demande l'assistance d 'un Dieu juste afin de se procurer du pain grâce à la sueur du front d 'un autre h o m m e , mais ne jugeons pas de peur d'être jugés.

La prière des deux partis ne pouvait être exaucée, à la fois, et la prière d'aucun eux ne fut entièrement exaucée. Le Très-Haut avait son dessein. Malheur au m o n d e à cause de

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VICAIRES ARMÉS

ses fautes, car il peut être nécessaire que les scandales arrivent, mais malheur à celui qui s'en rend coupable (...)

N o u s autres, espérons fermement que ce terrible fléau de la guerre cessera bientôt ; implorons-le avec ferveur : toute­fois, si Dieu voulait qu'il continuât à sévir jusqu'à ce que fussent consumées toutes les richesses accumulées par les esclaves en deux cent cinquante ans de fatigues sans récompenses et jusqu'à ce que chaque goutte de sang versée sous le fouet fût compensée par une autre répandue par l'épée, selon ce qui a été écrit il y a trois mille ans, on devrait encore dire que les jugements de Dieu sont entièrement vrais et justes.

Abraham Lincoln, 1809-1865, président des Etats-Unis d'Amérique, Discours

184 Octavio remedio

Le huitième remède queje propose, c'est que Votre Majesté ordonne par une Loi et Constitution inviolable que tous les Indiens des Indes soient incorporés à la Couronne royale et ne puissent jamais être aliénés ni « donnés en c o m m a n d e ».

Quel est l'insensé qui (...) a pu imaginer une invention aussi hypocrite, aussi condamnable et néfaste, dissimuler sous de beaux semblants cette tyrannie impérieuse et cruelle qu'est la convoitise de l'or et, afin de satisfaire ceux qui en sont possédés, leur donner le droit d'enseigner la foi (eux qui ne la connaissent pas pour leur propre compte !) ; leur livrer à cet effet des innocents dont ils suceront avec le sang, toutes les richesses ? N'est-ce pas, c o m m e si l'on confiait le soin des brebis à des loups affamés ?

(...) Vraiment, on leur a vendu la foi à un prix exorbitant, alors qu'il fallait la leur donner puisque le Christ nous a m a n d é de donner gratuitement ce que nous avons reçu gratuitement.

Et il est stupéfiant que ceux qui reçoivent ainsi « en c o m ­m a n d e » ces Indiens soient assez aveuglés pour ne pas voir qu'en m ê m e temps leur est imposée la terrible obligation d'en-

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LA T O L É R A N C E

seigner à ces Indiens la doctrine chrétienne, ce dont ils sont bien incapables, car leur seul souci, c'est de devenir riches (...) C e procédé est donc tout à fait hypocrite, et Dieu qui voit tout ne peut être trompé et sait qu'il n'aboutit pas à autre chose qu'à donner en esclavage des Indiens aux Chrétiens.

(...) Qui pourrait approuver que l'on condamne ainsi à mort un m o n d e entier sans qu'il y ait faute de sa part, sans qu'il puisse faire entendre sa voix ni se défendre ?

(...) C e serait agir contre le précepte exprès du Christ, au grand préjudice de la foi, et amener la totale destruction de la majeure partie d u genre humain.

Bartolomé de Las Casas, 1474-1566, Espagne

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U n e autre fois, ils mirent brûler pour un coup, en m ê m e feu, quatre cent soixante h o m m e s tout vifs, les quatre cents du c o m m u n peuple, les soixante des principaux seigneurs d'une province, prisonniers de guerre simplement. Nous tenons d 'eux-mêmes ces narrations car ils ne les avouent pas seulement, ils s'en vantent et les prêchent. Serait-ce pour témoignage de leur justice? ou zèle envers la religion? Certes, ce sont voies trop diverses et ennemies d'une si sainte fin. S'ils se fussent proposé d'étendre notre foi, ils eussent considéré que ce n'est pas en possession de terres qu'elle s'amplifie, mais en possession d ' h o m m e s , et se fussent trop contentés des meurtres que la nécessité de la guerre apporte, sans y mêler indifféremment une boucherie, c o m m e sur des bêtes sauvages, universelle, autant que le fer et le feu y ont pu atteindre, n'en ayant conservé par leur dessein qu'autant qu'ils en ont voulu faire de misérables esclaves pour l'ouvrage et service de leurs minières.

Montaigne, France, Essais, 1588

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Conformément aux dispositions relatives à la liberté des Indiens : nous voulons et ordonnons qu'aucun « adelan-

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VICAIRES ARMÉS

tado », gouverneur, capitaine ou alcade, ni aucune autre personne, quels que soient son état, son rang, son office ou sa qualité en temps de paix c o m m e en temps de guerre, m ê m e si cette guerre est juste et qu'elle ait été ordonnée par Nous ou par quelqu'un à qui Nous avons conféré ce pouvoir, n'ose mettre en captivité des Indiens originaires de nos Indes, îles et terre ferme de la mer Océane, découvertes ou à découvrir, ou les réduire en esclavage — m ê m e s'ils sont natifs d'îles ou de terres auxquelles Nous, ou quelqu'un à qui Nous avons conféré ou conférons ce pouvoir, avons déclaré qu'il est permis de faire justement la guerre — ou les tuer, les faire prisonniers ou les mettre en captivité, sauf dans les cas ou dans les pays où cela serait permis et prévu par les lois figurant dans le présent Titre, car Nous révoquons et suspendons toutes les autorisations et déclarations antérieu­res qui ne seraient pas reproduites dans les présentes lois, et toutes celles qui pourraient être données ou faites par d'autres que Nous et sans mention expresse de la présente loi, pour tout ce qui touche à la mise en captivité et en esclavage des Indiens dans une guerre, m ê m e si cette guerre est juste et qu'ils l'aient provoquée ou la provoquent, et au rachat de ceux que d'autres Indiens auraient faits prison­niers au cours des guerres qu'ils se livrent entre eux. Nous décidons également qu'en temps de guerre c o m m e en temps de paix, nul ne pourra prendre, capturer, faire travailler, vendre ou échanger un Indien à titre d'esclave, ni le considérer c o m m e tel sous prétexte qu'il l'a fait captif lors d'une guerre juste, ou qu'il l'a acheté, racheté ou acquis par troc ou par échange, ou sous tout autre prétexte ou pour toute autre raison, m ê m e si cet Indien fait partie de ceux que les indigènes eux-mêmes ont considéré, considèrent ou pourraient considérer chez eux c o m m e esclaves ; au cas où l'on découvrirait qu'une personne a mis un Indien en captivité ou en esclavage, cette personne serait condamnée à la confiscation de tous ses biens, qui seraient adjugés à notre Trésor, et l'Indien serait ensuite rendu et restitué à ses propres terres et à son pays, et à la pleine jouissance de sa liberté naturelle, aux frais de la personne qui l'aurait ainsi

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LA T O L É R A N C E

mis en captivité ou en esclavage. Et nous ordonnons à nos juges de faire preuve d'une diligence particulière dans leurs enquêtes et de châtier les coupables avec la plus grande rigueur, conformément à la présente loi, sous peine d'être dépouillés de leurs charges et de devoir verser cent mille maravedís à notre Trésor s'ils contrevenaient à la loi ou négligeaient de la faire appliquer.

Décrets de l'empereur Charles Quint, promulgués entre 1526 et 1548, Espagne

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[Un capitaine catholique fait son examen de conscience :]

Voilà, mes compagnons qui lirez m a vie, la fin des guerres où je m e suis trouvé depuis cinquante-cinq ans que j'ai c o m m a n d é pour le service de nos rois (...) C e m'est un merveilleux contentement quand j'y pense, et lorsqu'il m e souvient c o m m e je suis parvenu, de degré en degré, ayant échappé tant de dangers pour jouir de si peu de repos qu'il m e reste en ce m o n d e en m a maison, afin d'avoir loisir de demander pardon à Dieu des offenses que j'ai commises. O que si sa miséricorde n'est grande, qu'il y a de danger pour ceux qui portent les armes, et m ê m e m e n t qui commandent , car la nécessité de la guerre nous force en dépit de nous-m ê m e s à faire mille m a u x et faire non plus d'état de la vie des h o m m e s que d 'un poulet ; et puis les plaintes du peuple qu'il faut manger en dépit qu'on en ait ; les veuves et orphelins, que nous faisons tous les jours, nous donnent toutes les malédictions dont ils se peuvent aviser; et à force de prier Dieu et implorer l'aide des saints, quelqu'une nous en demeure sur la tête ; mais certes les rois en pâtiront encore plus que nous, car ils nous le font faire (...) et il n 'y a mal duquel ils ne soient cause, car puisqu'ils veulent faire la guerre, il faut payer pour le moins ceux qui s'en vont mourir pour eux, afin qu'ils ne puissent faire tant de m a u x qu'ils font. (...)

M o i donc bien heureux, qui ai le loisir de songer aux péchés que j'ai commis , ou plutôt que la guerre m ' a fait

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VICAIRES A R M É S

commettre, car de m o n naturel je n'étais pas adonné à faire le mal, et surtout ai toujours été ennemi du vice, de l'ordure et vilenie, ennemi capital de la trahison et déloyauté. Je sais bien que la colère m ' a fait faire et dire beaucoup de choses dont j'en dis mea culpa ; mais il n'est pas temps de les réparer (...) J'avais la main aussi prompte que la parole. J'eus voulu, si j'eusse pu, ne porter jamais de fer au côté, mais m o n naturel était tout autre. Aussi portai-je en m a devise : Deo

duce, ferro comité (Avec Dieu pour guide et m o n épée pour compagne). U n e chose puis-je dire avec la vérité : que jamais lieutenant de roi n'eut plus de pitié de la ruine du peuple que moi, quelque part que je m e sois trouvé. Mais il est impossible de faire ces charges sans faire mal, si ce n'est que le roi ait ses coffres pleins d'or pour payer les armes ; encore y aura-t-il prou à faire. Je ne sais si après moi on fera mieux, mais je ne le pense pas.

Biaise de Monluc, 1502-1577, France, Les commentaires

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O ciel ! ô M e r ! ô Dieu, père c o m m u n

Des Juifs et des Chrétiens, des Turcs et d'un chacun :

Qui nourris aussi bien par ta bonté publique Ceux du pôle Antartiq', que ceux du pôle Artique :

Qui donnes et raison, et vie et mouvement,

Sans respect de personne, à tous également : Et fais du ciel là-haut sur les têtes humaines

Tomber , c o m m e il te plaît les bienfaits et les peines ; Ô Seigneur tout puissant qui as toujours été Vers toutes nations plein de toute bonté,

D e quoi te sert là-haut le trait de ton tonnerre,

Si d 'un éclat de fer tu n'en brûles la terre ?

Es-tu dedans un trône assis sans rien faire? Il ne faut point douter que tu ne saches bien Cela que contre toi brassent tes créatures,

Et toutefois, Seigneur, tu le vois et l'endures !

Certes, si je n'avais une certaine foi

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LA T O L É R A N C E

Q u e Dieu par son esprit de grâce a mise en moi, Voyant la Chrétienté n'être plus que risée,

J'aurais honte d'avoir la tête baptisée,

Je m e repentirais d'avoir été Chrétien,

Et, c o m m e les premiers, je deviendrais Païen. Ronsard, France, Remontrance au peuple de France, 1562-1563

189 Article « Guerre »

L e merveilleux de cette entreprise infernale, c'est que chaque chef des meurtriers fait bénir ses drapeaux et invoque Dieu solennellement avant d'aller exterminer son prochain. Si un chef n'a eu que le bonheur de faire égorger deux ou trois mille h o m m e s , il n'en remercie point Dieu ; mais lorsqu'il y en a eu environ dix mille d'exterminés par le feu et par le fer, et que, pour comble de grâce, quelque ville a été détruite de fond en comble, alors on chante à quatre parties une chanson assez longue, composée dans une langue inconnue à tous ceux qui ont combattu, et de plus, toute farcie de barbaris­mes. L a m ê m e chanson sert pour les mariages et pour les naissances, ainsi que pour les meurtres; ce qui n'est pas pardonnable, surtout dans la nation la plus renommée pour les chansons nouvelles.

Voltaire, France, Dictionnaire philosophique, 1764

190

Par la seule folie des temps, par la seule folie des prêtres, est entrée en nous la tristesse, est entré en nous le « Christia­nisme ». Oui , les « Très Chrétiens » sont venus avec le vrai Dieu; alors commença pour nous le temps de la misère, le temps de 1' « aumône », source de nos haines secrètes, le temps des combats avec des armes à feu, le temps des rixes, le temps des spoliations, le temps de l'esclavage pour dettes, le temps de la mort pour dettes, le temps des luttes perpétuelles, le temps de la souffrance (...)

Il leur était mesuré, le temps où ils pouvaient contempler

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la grille des étoiles ; là veillaient sur eux les dieux, qui les regardaient de leur prison d'étoiles. Alors tout était bon, et ils furent abattus.

Il y avait en eux de la sagesse. Ils ne connaissaient pas le péché. Ils n'avaient pas de sainte dévotion. Ils vivaient en bonne santé. Ils ne connaissaient pas la maladie, ils ne souffraient pas des m e m b r e s , ils ne connaissaient pas les fièvres, ils ne connaissaient pas la variole, ils ne connais­saient pas les fluxions, ils ne connaissaient pas la douleur des entrailles, ils ne connaissaient pas la consomption. Alors, ils se portaient bien.

Il n'en fut pas de m ê m e quand les Blancs arrivèrent. Ils leur apprirent la peur et vinrent flétrir leurs fleurs. Pour que vive leur fleur, ils saccagèrent et piétinèrent la fleur des autres (...)

Ils n'avaient ni grande connaissance, ni langue sacrée, ni Savoir divin, ces représentants des dieux qui arrivèrent ici. Châtrer le soleil ! voilà ce qu'ont fait les étrangers ! Et ici, perdus dans ce peuple, sont restés les fils de leurs fils, qui ont subi son a m e r t u m e (...)

Esclaves sont les paroles, esclaves les arbres, esclaves les pierres, esclaves les h o m m e s , quand ils viennent !

Chilam Balam de Chumayel (Livre sacré des Mayas), xvie s., Amérique centrale

191 (Los Conquistadores)

Ils viennent dans les îles (1493)

Les carnassiers désolèrent les îles. Guanahani fut la première en cette histoire des martyrs. Les fils d'argile ont vu briser leur sourire et rouer de coups leur frêle stature de daims, en mourant sans y rien comprendre. Ils furent attachés, blessés, ils furent brûlés, embrasés,

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ils furent m o r d u s , enterrés. Q u a n d le temps fit son tour de valse en dansant entre les palmiers, le salon vert s'était vidé. Il n 'y restait plus que les os dressés en forme de croix, pour la grande gloire de Dieu, pour la grande gloire des h o m m e s . (...)

Pablo Neruda, Chili, Canto general, 1950

Fin ou commencement ?

L'intolérance, dont la logique tient pour acquis le postulat de la vérité exclusive avec la force confondue, doit aller — et va — à son terme qui ne peut être que la mise à mort de l'Autre, contestataire et/ou protestant. Le procès n'est que forme, la sentence est première. C'était le cas pour Socrate, pour Jésus, pour Cuauhtemoc, ce l'est de nouveau pour Michel Servet, al-Hallâj, Galilée.

L' « ordre » se compose d'une pensée, d'une foi et d'une science officielles, intimement solidaires et complémentaires : contester l'une c'est mettre en question toutes les autres. La réponse c'est l'exil, la prison ou le bûcher, souvent l'un puis les autres, sans autre alternative possible. Ce que l'on escompte, c'est le silence, la mort spirituelle.

Une même illusion derrière ces violences : on croit qu'en bâillonnant, qu'en tuant les hommes, les idées qu'ils incarnent se taisent ou meurent avec eux. Ce que l'on tient pour une fin n'est toujours que le vrai commencement.

192 Contre Michel Servet de Villeneuve au Royaume d'Aragon

en Espagne

Lequel premièrement est été atteint d'avoir, il y a environ vingt-trois à vingt-quatre ans, fait imprimer u n livre à A g n o u (Haguenau) en Allemagne, contre la sainte et invidue Trinité, contenant plusieurs et grand blasphèmes contre icelle, grandement scandaleux es Eglises d 'Allemagne :

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lequel livre il a spontanément confessé d'avoir fait imprimer, nonobstant les remontrances et corrections à lui faites de ses faux opinions par les savants docteurs évangéliques d'Allemagne.

Item, et lequel livre a été par les docteurs de ces églises d'Allemagne réprouvé c o m m e pleines d'hérésies et le dit Servet, rendu fugitif d'Allemagne à cause de ce livre.

Item, et nonobstant cela le dit Servet a persévéré en ses fautes, infectant plusieurs.

Item, et non content de cela pour mieux divulguer et épancher son venin et hérésie, depuis peu de temps il fait imprimer un autre livre en cachette à Vienne, rempli d'hérésies horribles et exécrables blasphèmes contre la sainte Trinité, contre le Fils de Dieu, contre le baptême des petits enfants et autres plusieurs saints passages et fondements de la religion chrétienne.

Item et a spontanément confessé qu'en ce livre il appelle ceux qui croient en la Trinité trinitaires et athéistes.

Item et qu'il appelle la Trinité un diable et monstre à trois têtes.

Item et contre le vrai fondement de la religion chrétienne et blasphémant détestablement contre le fils de Dieu, a dit Jésus-Christ n'être fils de Dieu, de toute éternité, ainsi tant seulement depuis son incarnation.

Item et outre le dessus livre, assaillant par lettres m ê m e notre foi et mettant peine icelle infecter de son poison, a volontairement confessé et reconnu d'avoir écrit une lettre à un des ministres de cette cité, dans laquelle entre autres plusieurs horribles et énormes blasphèmes contre notre Sainte Religion Evangélique, il dit notre Evangile est sans foi et sans Dieu et que pour un Dieu nous avons un Cerbère à trois têtes.

Item et a davantage volontairement confessé que au-dessus du dit lieu de Vienne, à cause de ce méchant et abominable livre et opinions, il fut fait prisonnier, lesquelles prisons perfidemment il rompit et échappa.

Item et nonobstant tout cela, étant ici en prison de cette cité détenu, ne laisse de persister malicieusement en ses dites

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méchantes et détestables erreurs, les tâchant soutenir avec injures et calomnies contre tous vrai Chrétien et fidèle de la pure immaculée Religion chrétienne, les appelant trinitaires, athéistes et sorciers, nonobstant les remontrances à lui desja dès longtemps en Allemagne, commen t est dit, fait, et au mépris des reprehensions, emprisonnements et corrections à lui tant ailleurs que ici faites. C o m m e n t plus amplement et au long est contenu en son procès.

[Sentence de mort :]

(...) A cez causes et aultres justes a ce Nous mouvantes, désirans de purger l'église de Dieu de tel infectement et retrancher d'ycelle tel m e m b r e pourry; ayans heu bonne participation de conseil avec nos citoyens et ayans invoqué le n o m de Dieu, pour faire droit jugement (...) ayans Dieu et sez saínetes escriptures devant noz yeux, disans au n o m du Père, du Filz et du Sainct Esprit, par iceste nostre diffinitive sentence, laquelle donnons ycy par escript, « T o y Michel Servet condamnons a debvoir estre lié et mené au lieu de Champel , et la debvoir estre a ung pilotis attaché et bruslé tout vifz avec ton livre tant escript de ta main, que imprimé, jusques a ce que ton corps soit reduict en cendre : et ainsi finiras tez jous pour donner exemple aux aultres qui tels cas vouldroient commectre ».

[Farel, Ministre évangélique, accompagna Servet au supplice :]

Sur le chemin du bûcher, quand quelques frères le pressaient de confesser volontairement sa faute et de répudier ses erreurs, il répondit qu'il souffrait injustement et priait Dieu de pardonner à ses accusateurs. Je lui dis alors : « Est-ce que tu essayes de te justifier après avoir péché aussi affreuse­ment? Si tu continues, je ne fais pas un pas de plus avec toi et t'abandonne aujugement de Dieu. M o n intention était de t'accompagner et de demander à tout le m o n d e de prier pour toi, dans l'espoir que tu ailles édifier le peuple. Je ne voulais pas te quitter avant que tu n'eusses rendu le dernier

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VICAIRES ARMÉS

soupir ! » Alors, il cessa de prononcer des paroles de ce genre. Il d e m a n d a le pardon de ses erreurs, de ses ignorances et de ses péchés, mais ne fit jamais de vraie confession. Il pria souvent avec nous quand nous l'exhortions, et d e m a n d a plusieurs fois à ceux qui se tenaient là et regardaient qu'ils priassent pour lui. Mais nous ne réussîmes pas à lui faire reconnaître ouvertement ses erreurs, et confesser que le Christ est le Fils éternel de Dieu.

[Suivant R . H . Bainton, citant une source anonyme :]

Servet fut conduit à un bûcher de bois encore vert. U n e couronne de paille et de feuilles saupoudrées de soufre fut placée sur sa tête, son corps lié au poteau avec une chaîne de fer. Son livre était attaché à son bras. U n e corde solide enroulée cinq ou six fois autour de son cou, et il d e m a n d a qu'on ne la tordît pas davantage. Q u a n d le bourreau porta la flamme devant son visage, il poussa un tel hurlement que tout le peuple en fut frappé d'horreur. C o m m e le feu était lent, quelqu'un jeta du bois sur le bûcher. D a n s un gémissement effrayant, il cria : « O Jésus, fils du Dieu éternel, aie pitié de moi ! » A u bout d'une demi-heure, il mourut.

Verdict contre Michel Servet, 1553

193 [Récit d'Ibn Zanji, greffier adjoint, témoin oculaire :]

Lorsqu'on donna à al-Hallâj lecture de la sentence, il s'écria : « M o n dos est protégé, m o n sang ne peut être versé sans péché ! V o u s n'avez pas le droit d'user contre m o i d'exégèse qui vous y autorise ! M a profession de foi c'est l'Islam, et m o n m a d h a b , c'est la Sonnah (...) Il y a des livres de moi traitant de la Sonnah, qui se trouvent chez les libraires ! Dieu ! que Dieu protège m o n sang ! » — Et il ne cessait de répéter cette phrase, tandis que l'on rédigeait les pièces et que l'on parachevait ce qui était nécessaire. Puis la séance fut levée et al-Hallâj ramené au cachot dont on l'avait sorti. (...)

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LA T O L É R A N C E

[Récit de son fis Hamd :]

Et lorsque vint la nuit où il devait être, dès l'aube, extrait de son cachot, il se mit debout, dit la prière rituelle en faisant deux prosternations. Puis sa prière finie, il ne cessa de se répéter : « Tromperie, tromperie... »jusqu'à ce que la plus grande partie de la nuit fût passée. Alors, après s'être tu longtemps, il s'écria : « Vérité, Vérité ! » Et il se remit debout, ceignit son voile de tête et s'enveloppa de son manteau, étendit ses mains, la face dans la direction de la Ka'bah , puis, entrant en extase, il s'entretint avec Dieu. (...)

Puis il récita : « Je T e crie : deuil ! pour les âmes dont le témoin [al-

Hallâj lui-même] disparaît — dans l'au-delà du «jusqu'à » ; voici venir le Témoin de l'Eternel !

« Je T e crie : deuil ! pour les cœurs sevrés depuis si longtemps — des nuées de la révélation divine, où s'amasse en océans la sagesse !

«Je T e crie : deuil ! pour la langue de la Vérité ; depuis longtemps — elle a péri, et sa mémoire s'est anéantie dans l'imagination des h o m m e s !

«Je T e crie : deuil! pour l'Éloquence (inspirée, qui m ' a été commise) devant qui cèdent toutes les paroles des orateurs, leur dialectique et leur pénétration.

« Je T e crie : deuil ! pour les avertissements donnés par les intelligences ! D'eux tous, rien ne reste plus à visiter que des ruines [dans les livres].

«Je T e crie : deuil ! oui, par T a vérité [ô m o n Dieu] pour les vertus du peuple de ceux-là dont les montures ont été dressées à obéir.

« Car tous sont déjà passés, le désert est vide ; nulle trace d'eux, ni puits foré, ni repère posé. — Ils sont passés c o m m e c A d , disparus c o m m e les habitants d'Iram !

« Et à leur suite, la foule qu'ils ont laissée divague à tâtons — plus aveugle que les bêtes, plus aveugle qu'un troupeau. »

Puis il se tut. Alors son serviteur Ibrahim ben Fâtik lui dit :

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VICAIRES A R M É S

« Lègue-moi quelque chose, une dernière parole ô m o n maître ! »

Et il lui répondit : « T o n moi ! Si tu ne l'asservis pas, il t'asservira ! »

Q u a n d le matin fut venu, on le fit sortir de la prison ; et je le vis, en pleine extase de jubilation, qui dansait sous ses chaînes et récitait : « Celui qui m e convie, pour ne pas paraître m e léser, M ' a fait boire à la coupe qu'il a bue L u i - m ê m e ; Il m e traite en cela c o m m e l'hôte traite un convive. Et quand les coupes ont passé de mains en mains, Il a fait apporter le cuir du supplice et le glaive. » Ainsi advient à qui boit le Vin — avec le Lion, en plein Eté.

Le procès d'al-Hallâj (martyr mystique de l'Islam, exécuté à Bagdad le 26 mars 922), Cité par L . Massignon

194

Le jour suivant, le mercredi 22 juin 1633 au matin, Galilée fut conduit dans la grande salle du couvent dominicain de Santa Maria sopra Minerva, situé dans le centre de R o m e , où avait lieu habituellement ce genre de cérémonies. Revêtu de la chemise blanche de la pénitence, il s'agenouilla devant ses juges assemblés pendant qu'on lui faisait lecture de la sentence :

« (...) N o u s disons, prononçons, sentencions et déclarons que toi, Galilée pour tes raisons déduites au procès et que tu as confessées ci-dessus, tu t'es rendu envers ce Saint-Office véhémentement suspect d'hérésie ayant tenu cette fausse doctrine et contraire à l'Écriture Sainte et Divine, que le Soleil soit le centre du m o n d e et qu'il ne se meut pas de l'Orient à l'Occident, et que la Terre se meuve et ne soit pas le centre du M o n d e , et que l'on puisse soutenir et défendre c o m m e étant probable une opinion après qu'elle a été déclarée par définition contrariant la Sainte Écriture ; et conséquemment tu as encouru toutes les censures et peines imposées et promulguées par les Sacrés Canons et les autres constitutions générales et particulières, contre de tels délinquants.

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LA TOLÉRANCE

« D e celles-ci N o u s s o m m e s contents de te délier, à condition que dès maintenant, avec un cœur sincère et une foi non feinte, tu abjures, maudisses et détestes devant nous les susdites erreurs et hérésies, et toute autre erreur et hérésie contraire à l'Église Apostolique et Catholique, de la manière et sous la forme prescrite par N o u s .

« Et toutefois afin que ta grande faute, pernicieuse erreur et transgression que tu as faite ne demeure tout à fait impunie, afin que tu sois à l'avenir plus retenu et serves d'exemple aux autres pour qu'ils s'abstiennent de semblables délits, N o u s ordonnons que, par un édit public le livre des Dialogues de Galileo Galilei soit prohibé.

« N o u s te condamnons à la prison formelle de ce Saint-Office, à Notre arbitre, et pour pénitence salutaire t'enjoi­gnons de dire trois ans durant une fois la semaine les sept Psaumes de la pénitence, N o u s réservant la faculté de modérer, changer ou lever, en tout ou en partie, les susdites peines et pénitences. »

(...) Après la lecture de la sentence, on présenta à Galilée la

formule d'abjuration.

(...)

[Formule d'abjuration :]

« M o i , Galileo Galilei, fils de feu Vincenzo Galilei de Florence, âgé de soixante-dix ans, comparaissant en per­sonne devant ce Tribunal, et agenouillé devant vous, Très E m i n e m s et Révérends Cardinaux, Grands Inquisiteurs dans toute la Chrétienté contre la perversité hérétique, les yeux sur les Très Saints Évangiles que je touche de m e s propres mains.

«Je jure que j'ai toujours cru, queje crois à présent, et que, avec la grâce de Dieu, je continuerai à l'avenir de croire tout ce que la Sainte Église catholique, apostolique et romaine, tient pour vrai, prêche et enseigne. « M a i s parce que — après que le Saint-Office m'ait notifié l'ordre de ne plus croire à l'opinion fausse que le Soleil est le centre du

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VICAIRES A R M É S

m o n d e et immobile et que la Terre n'est pas le centre du monde et qu'elle se meut, et de ne pas maintenir, défendre ni enseigner, soit oralement, soit par écrit, cette fausse doctrine; après avoir été notifié que la dite doctrine était contraire à la Sainte Ecriture ; parce que j'ai écrit et fait imprimer un livre dans lequel j'expose cette doctrine condamnée, en présentant en sa faveur une argumentation très convaincante, sans apporter aucune solution définitive ; j'ai été, de ce fait, soupçonné véhémentement d'hérésie, c'est-à-dire d'avoir maintenu et cru que le Soleil est au centre du monde et immobile, et que la Terre n'est pas au centre et se meut.

« Pour ce, voulant effacer dans l'esprit de Vos Eminences et de tout Chrétien fidèle ce soupçon véhément, à juste titre conçu contre moi, j'abjure et je maudis d'un cœur sincère et avec une foi non simulée les erreurs et les hérésies susdites, et en général toute autre erreur, hérésie, et entreprise contraire à la Sainte Eglise; je jure à l'avenir de ne plus rien dire ni affirmer de voix, et par écrit, qui permette d'avoir de moi de semblables soupçons, et s'il devait m'arriver de rencontrer un hérétique ou présumé tel, je le dénoncerais à ce Saint-Office, à l'inquisiteur ou à l'ordinaire de m o n lieu de résidence. »

Le procès de Galilée, Rome, 1633, Documents recueillis par Giorgio de Santularia

195

Je te le répète, [dit le Grand Inquisiteur au Prisonnier, Je Christ] demain, sur un signe de moi, tu verras ce troupeau docile apporter des charbons ardents au bûcher où tu monteras, pour être venu entraver notre œuvre. Car si quelqu'un a mérité plus que tous le bûcher, c'est toi. Demain, je te brûlerai. Dixit (...)

— C o m m e n t finit ton poème, reprit-il [Aliocha], les yeux baissés. Est-ce là tout?

— N o n , voilà comment je voulais le terminer. « L'Inqui­siteur se tait, il attend un m o m e n t la réponse du Prisonnier.

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LA T O L É R A N C E

Son silence lui pèse. L e captif l'a écouté tout le temps en le fixant de son pénétrant et calme regard, visiblement décidé à ne pas lui répondre. L e vieillard tressaille, ses lèvres remuent ; il va à la porte, l'ouvre et dit : « Va- t ' en et ne reviens plus... plus jamais! » Et il le laisse aller dans les ténèbres de la ville. L e Prisonnier s'en va. »

— Et le vieillard ? — L e baiser lui brûle le c œ u r , mais il persiste dans son

idée.

Dostoïevski, Russie, Les frères Karamazov, 1880

Un drame suspendu

En sorte que la prière finale qui suit n'est que l'aveu d'impuissance de

la raison piégée entre des termes impossibles, ceux qu 'impose l'idéologie

armée.

Mais une étrange hypothèse — intervertissant les protagonistes et

leurs thèses — met à nu l'absurdité de l'intolérance, de la vérité

exclusive fondée sur la force souveraine et active, laissant entrevoir un

renversement de la problématique. Ce renversement, c'est l'ouverture

même de l'Histoire, s'arrachant à sa propre violence pour faire droit

à « la grande phrase humaine en voie toujours de création ».

196

O mon dieu, toi qui est le Haut Seigneur du ciel, au fond du firmament,

Penche-toi doucement sur ce monde flétri

O ù les combats déments jettent bas toute paix, où sabres se

heurtant Font écho au Grand Mars. Toute vie dépérit.

O Père bénis-nous, car notre peuple aspire au calme consolant, Le sang des braves coule et la mort nous meurtrit.

Janus Pannonius, évêque de Pécs, Hongrie, 1434-1472

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VICAIRES ARMÉS

197

M o n oreille est affligée.

M o n âme est malade des récits des injustices et des méfaits qui chaque jour

emplissent le monde . Pas un éclair de tendresse

dans le cœur durci de l 'homme. Le lien naturel de fraternité humaine, tel un alliage sous la flamme s'est défait. L ' h o m m e reproche à son prochain

la couleur différente de sa peau et, ayant autorité de faire prévaloir l'injustice d'une cause si estimable, l'assigne une fois pour toutes c o m m e sa proie légitime. Des pays séparés par un étroit chenal

se haïssent mutuellement. U n e chaîne de collines

suffit à transformer en ennemis des peuples qui, tels des gouttes d'eau jumelles, n'en auraient fait qu'un. Ainsi l 'homme devient l'ennemi de son frère et veut le

détruire,

Et, déshonneur suprême, souillure immonde de l'humaine

nature. Pire que tout cela et combien déplorable, Il l'enchaîne, l'astreint au travail et extorque sa sueur

avec des verges telles que la Charité, le cœur saignant, pleure quand elle les voit infliger à un animal.

William Cowper, 1731-1800, Grande-Bretagne, La tâche

198

C e n'est donc plus aux h o m m e s queje m'adresse ; c'est à toi, Dieu de tous les êtres, de tous les mondes et de tous les temps : s'il est permis à de faibles créatures perdues dans l'immensité et imperceptibles au reste de l'univers d'oser te demander quelque chose, à toi qui as tout donné, à toi dont les décrets sont immuables c o m m e éternels, daigne regarder en pitié les erreurs attachées à notre nature ; que ces erreurs ne fassent point nos calamités. T u ne nous as point donné un cœur pour nous haïr, et des mains pour nous égorger; fais que nous nous aidions mutuellement à supporter le fardeau

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LA T O L É R A N C E

d'une vie pénible et passagère; que les petites differences entre les vêtements qui couvrent nos débiles corps, entre tous nos langages insuffisants, entre tous nos usages ridicules, entre toutes nos lois imparfaites, entre toutes nos opinions insensées, entre toutes nos conditions si disproportionnées à nos yeux et si égales devant toi; que toutes ces petites nuances qui distinguent les atomes appelés hommes, ne soient pas des signaux de haine et de persécution; que ceux qui allument des cierges en plein midi pour te célébrer suppor­tent ceux qui se contentent de la lumière de ton soleil; que ceux qui couvrent leur robe d'une toile blanche pour dire qu'il faut t'aimer ne détestent pas ceux qui disent la m ê m e chose sous un manteau de laine noire ; qu'il soit égal de t'adorer dans un jargon formé d'une ancienne langue, ou dans un jargon plus nouveau ; que ceux dont l'habit est teint en rouge ou en violet, qui dominent sur une petite parcelle d 'un petit tas de la boue de ce m o n d e , et qui possèdent quelques fragments arrondis d 'un certain métal, jouissent sans orgueil de ce qu'ils appellent grandeur et richesse, et que les autres les voient sans envie; car tu sais qu'il n'y a dans ces vanités ni de quoi envier, ni de quoi s'enorgueillir.

Puissent tous les h o m m e s se souvenir qu'ils sont frères ! qu'ils aient en horreur la tyrannie exercée sur les âmes , c o m m e ils ont en exécration le brigandage qui ravit par la force le fruit du travail et de l'industrie paisible ! Si les fléaux de la guerre sont inévitables, ne nous haïssons pas, ne nous déchirons pas les uns les autres dans le sein de la paix, et employons l'instant de notre existence à bénir également en mille langages divers, depuis Siam jusqu'à la Californie, ta bonté qui nous a donné cest instant.

Voltaire, France, Traité sur la tolérance, 1763

199

Des h o m m e s qui ne consultent que leur bon sens, et qui n'ont pas suivi les discussions relatives aux colonies, douteront peut-être qu'on ait pu ravaler les Nègres au rang de brutes, et mettre en problème leur capacité intellectuelle et morale.

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VICAIRES A R M É S

Cependant cette doctrine, aussi absurde qu'abominable, est insinuée ou professée dans une foule d'écrits. (...) Français, Anglais, Hollandais, que seriez-vous si vous aviez été placés dans les m ê m e s circonstances? (...) Si jamais les Nègres, brisant leurs fers, venaient (ce qu'à Dieu ne plaise), sur les côtes européennes, arracher des Blancs des deux sexes à leurs familles, les enchaîner, les conduire en Afrique, les marquer d 'un fer rouge ; si ces Blancs, volés, vendus, achetés par le crime, placés sous la surveillance de géreurs impitoyables, étaient sans relâche forcés à coups de fouet, au travail, sous un climat funeste à leur santé, où ils n'auraient d'autre consolation à la fin de chaque jour que d'avoir fait un pas de plus vers le tombeau, d'autre perspective que de souffrir et de mourir dans les angoisses du désespoir; si, voués à la misère, à l'ignominie, ils étaient exclus de tous les avantages de la société ; s'ils étaient déclarés incapables de toute action juridique, et si leur témoignage n'était pas m ê m e admis contre la classe noire ; si, c o m m e les esclaves de Batavia, ces Blancs, esclaves à leur tour, n'avaient pas la permission de porter des chaussures ; si, repoussés m ê m e des trottoirs, ils étaient réduits à se confondre avec les animaux au milieu des rues ; si l'on s'abonnait pour les fouetter en masse, et pour enduire de poivre et de sel leurs dos ensanglantés, afin de prévenir la gangrène ; si en les tuant on en était quitte pour une s o m m e modique (...); si l'on mettait à prix la tête de ceux qui se seraient par la fuite, soustraits à l'esclavage ; si contre les fuyards on dirigeait des meutes de chiens formés tout exprès au carnage ; si, blasphémant la divinité, les Noirs prétendaient, par l'organe de leurs Marabouts, faire interve­nir le ciel pour prêcher aux Blancs l'obéissance passive et la résignation ; si des pamphlétaires cupides et gagés discrédi­taient la liberté en disant qu'elle n'est qu'une abstraction (...) ; s'ils imprimaient que l'on exerce contre les Blancs révoltés,

rebelles, de justes représailles, et que d'ailleurs les esclaves blancs sont heureux, plus heureux que les paysans au sein de l'Afrique ; en un mot, si tous les prestiges de la ruse et de la calomnie, toute l'énergie de la force, toutes les fureurs de l'avarice, toutes les inventions de la férocité étaient dirigées

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LA TOLÉRANCE

contre vous par une coalition d'êtres à figure humaine, aux yeux desquels la justice n'est rien, parce que l'argent est tout; quels cris d'horreur retentiraient dans nos contrées! Pour l'exprimer, on demanderait à notre langue de nouvelles épithètes ; une foule d'écrivains s'épuiseraient en doléances éloquentes, pourvu toutefois que n'ayant rien à craindre, il y eut pour eux quelque chose à gagner.

Européens, prenez l'inverse de cette hypothèse, et voyez ce que vous êtes.

Henri Grégoire, France, De la littérature des Nègres, 1808

200

« N e crains pas », dit l'Histoire, levant un jour son masque de violence — et de sa main levée elle fait ce geste conciliant de la Divinité asiatique au plus fort de sa danse destructrice. « N e crains pas, ni ne doute — car le doute est stérile et la crainte servile. Écoute plutôt ce battement rythmique que m a main haute imprime, novatrice, à la grande phrase humaine en voie toujours de création. Il n'est pas vrai que la vie puisse se renier elle-même. Il n'est rien de vivant qui de néant procède, ni de néant s'éprenne. Mais rien non plus ne garde forme ni mesure, sous l'incessant afflux de l'Etre. L a tragédie n'est pas dans la métamorphose elle-même. Le vrai drame du siècle est dans l'écart qu'on laisse croître entre l ' homme temporel et l ' h o m m e intemporel. L ' h o m m e éclairé sur un versant va-t-il s'obscurcir sur l'autre ? Et sa matura­tion forcée, dans une communauté sans communion, ne sera-t-elle que fausse maturité?... »

Saint-John Perse, France, 1961

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L a vérité en question

Pendant que le Roi, pris au vertige de sa logique, continue de mettre

à la question l'inflexible Bodhisatta — et, à travers lui, l'humanité

forte de la certitude du cœur — , des hommes, de plus en plus nombreux,

mettent en question la « vérité » des violents.

Après l'âge de l'ordalie, du jugement de Dieu, de la disputation

onirique et de la raison sentimentale, voici le temps de la raison

raisonnante, de la raison dans l'histoire : qu'est-ce enfin que cette vérité

tant invoquée, quelle en est la part d'universalité et quelle légitimité

reconnaître à un ordre fondé sur les valeurs du plus fort ?

201

... A nouveau, le bourreau demande : « Quel est votre désir, Sire? » Le roi répondit : « Tranchez les deux mains de ce faux ascète. » L e bourreau prit sa hache et plaçant sa victime à l'intérieur du cercle fatal, il lui trancha les deux mains. Alors le roi dit : « Coupez-lui les pieds » et les pieds subirent le m ê m e sort. L e sang ruisselait des extrémités des mains et des pieds du Bodhisatta, tel un liquide s'échappant d 'un pot ébréché. D e nouveau, le roi lui demanda quelle était sa doctrine : « Celle de la patience, Votre Majesté », répondit le moine. « V o u s imaginez, Sire, que m a patience est logée aux extrémités de mes mains et de mes pieds. Elle est ailleurs, profondément enfouie en moi. » Le roi dit :

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138

LA TOLÉRANCE

« Tranchez son nez et ses oreilles. » L e bourreau s'exécuta. L e corps entier d u m o i n e baignait dans une m a r e de sang. U n e fois de plus, le roi lui d e m a n d a quelle était sa doctrine. Et l'ascète répondit : « V o u s imaginez, Sire, q u e m a patience est logée dans le bout de m o n nez et dans les lobes de m e s oreilles : m a patience se trouve dans le tréfonds de m o n cœur . » L e roi dit alors : « M e u r s donc , faux m o i n e , et tu exalteras alors ta patience. » Disant ces mots , il piétina de tout son poids le corps d u Bothisatta, à l'endroit d u cœur , et il s'en alla. [A suivre : 288]

Khantivadi-Jataka

202

L a liberté n'est pas u n bien que nous possédions. Elle est u n bien que l'on nous a empêchés d'acquérir à l'aide des lois, des règlements, des préjugés, ignorance, etc.

Les murs ont la parole, Sorbonne, Paris, Mai 1968

La trahison du message

Soit. Des messagers sont venus pacifiquement prescrire la charité, la fraternité, la piété, la justice, le droit. Héritiers, qu'avez-vous fait de ces valeurs? D'un côté, voici les commandements, de l'autre, votre pratique : « le droit manifeste est bafoué » ; l'apôtre, à l'avance, a réprouvé votre justice ; votre fraternité n'est que contrainte, persécution et violence ; la piété se trouve réduite en gestes et la charité n'est plus que haine et envie.

Regardez-vous, arrachez-vous un instant à votre bonne conscience, vous ne pouvez vous reconnaître. Fondée sur des valeurs aussi totalement perverties, votre loi, ne gardant plus le moindre reflet du message initial, est devenue rien moins qu'un esclavage.

Une société fondée sur de telles contre-valeurs n'est qu'une jungle et il faut être ou aveugle ou de mauvaise foi pour soutenir le contraire, tant la violence, très précisément la déraison, n'est en aucune manière justifiable. D'où il suit que l'intolérance est ou absurde, ou intéressée.

C'est sur ce point de fait que va dès lors se cristalliser le débat,

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LA VÉRITÉ EN QUESTION

celui de la raison, de la laïcisation des valeurs religieuses et, s'il se

peut, de leur universalisation. Ici commence, en Occident, une nouvelle

aventure de la conscience et l'apprentissage de la liberté. Enseigner aux

hommes « à raisonner sur la religion, c'est ôter le poignard à

l'intolérance, c'est rendre à l'humanité tous ses droits ». Pour cela, une

seule démarche : « remonter à des principes généraux et communs à tous

les hommes ».

203

C e n'est pas en m e disant : « Seigneur, Seigneur », q u ' o n entrera dans le R o y a u m e des Cieux, mais c'est en faisant la volonté de m o n Père qui est dans les cieux. Beaucoup m e diront en ce jour-là : « Seigneur, Seigneur, n'est-ce pas en ton N o m que nous avons prophétisé? en ton N o m que nous avons chassé les d é m o n s ? en ton N o m que nous avons fait bien des miracles ? » Alors je leur dirai en face : « Jamais je ne vous ai connus ; écartez-vous de m o i , vous qui commettez l'iniquité ».

Nouveau Testament, saint Matthieu, vu

204

C e u x qui sont respectueux de la vérité

sont satisfaits, et bons envers les autres. Ils ne se complaisent pas dans le ma l , mais font le bien. C'est ainsi qu'ils vivent la loi morale d e Dieu.

Le Guru Nanak, 1469-1538, Traduit du punjabi

205

L a piété ne consiste pas à tourner votre face

vers l'Orient ou vers l'Occident. L ' h o m m e b o n est celui qui croit en Dieu, au dernier jour, aux anges,

au Livre et aux prophètes ;

Celui qui, pour l 'amour de Dieu, donne de son bien

à ses proches, aux orphelins, aux pauvres,

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140

LA T O L É R A N C E

au voyageur, aux mendiants

et pour le rachat des captifs. Celui qui s'acquitte de la prière ;

celui qui fait l'aumône. Ceux qui remplissent leurs engagements.

Ceux qui sont patients dans l'adversité, le malheur

et au m o m e n t du danger : voilà ceux qui sont justes !

Voilà ceux qui craignent Dieu ! Le Coran, Sourate n, La vache

206

La Religion, c'est la justice pour tous. Q u e serait une religion où le droit manifeste [serait bafoué ?]

L ' h o m m e incapable d'entraîner son â m e vers le Bien,

Entraîne après lui tous les soldats du m o n d e ! Loue le Seigneur, prie, fais soixante-dix fois,

Et non sept seulement, le tour de la Ka caba, T u n'en es pas plus religieux pour cela !

Il ignore la religion, celui qui, devant ses désirs, N'est pas capable de se maîtriser. Le Bien n'est pas le jeûne où l'on se consume, C e n'est pas la prière, ni la bure sur le corps, Mais c'est chasser le M a l et arracher de son cœur

Et la haine et l'envie.

Tant que bêtes sauvages et troupeaux craindront [d'être

déchirés], Le lion ne pourra passer pour un ascète. Adore Dieu, non sa créature. La loi asservit quand la raison libère !

Abu al-'AIâ' al-Ma'arn, 979-1058, Syrie

207

Le Christ n'a excommunié aucune nation, aucun pays,

aucune maison, aucun h o m m e : il n'a autorisé aucun de ses

ministres à dire à un h o m m e : « Toi tu n'es pas racheté de

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LA VÉRITÉ EN QUESTION

tes péchés » ; il n'a permis à aucune conscience blessée ou affligée de se dire à elle-même : « Je ne suis pas rachetée ».

John Donne, 1573-1631, Angleterre, Sermons

208

Voilà, cher frère, ce que les Chrétiens foibles et persécutés disoient aux idolâtres qui les traînoient aux pieds de leurs autels :

« Il est impie d'exposer la religion aux imputations odieuses de tyrannie, de dureté, d'injustice, d'insociabilité, m ê m e dans le dessein d'y ramener ceux qui s'en seroient malheureusement écartés. L'esprit ne peut acquiescer qu'à ce qui lui paraît vrai ; le cœur ne peut aimer que ce qui lui semble bon. La contrainte fera de l ' homme un hypocrite s'il est faible, un martyr s'il est courageux. Faible ou courageux, il sentira l'injustice de la persécution et s'en indignera.

L'instruction, la persuasion et la prière, voilà les seuls moyens d'étendre la religion.

Tout moyen qui excite la haine, l'indignation et le mépris est impie.

Tout moyen qui réveille les passions et qui tient à des vues intéressées, est impie.

Tout moyen qui relâche les liens naturels et éloigne les pères des enfants, les frères et les sœurs des sœurs, est impie.

Tout moyen qui tendroit à soulever les h o m m e s , à armer les nations et à tremper la terre de sang, est impie.

Il est impie de vouloir imposer des lois à la conscience, règle universelle des actions. Il faut l'éclairer et non la contraindre.

Les h o m m e s qui se trompent de bonne foi sont à plaindre, jamais à punir.

Il ne faut tourmenter ni les h o m m e s de bonne foi, ni les h o m m e s de mauvaise foi ; mais en abandonner le jugement à Dieu. (...)

Cessez d'être violent, ou cessez de reprocher la violence aux Païens et aux Musulmans.

Lorsque vous haïssez votre frère, et que vous prêchez la

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LA TOLÉRANCE

haine à votre sœur, est-ce l'esprit de Dieu qui vous inspire ? Le Christ a dit : Mon royaume n'est pas de ce monde; et vous,

son disciple, vous voulez tyranniser ce m o n d e . Il a dit : Je suis doux et humble de cœur. Etes-vous d o u x et

humble de cœur ? Il a dit : Heureux les débonnaires, les pacifiques et les

miséricordieux! E n conscience, méritez-vous cette bénédic­tion? Etes-vous débonnaire, pacifique et miséricordieux?

Il a dit : Je suis l'agneau qui a été mené à la boucherie sans se plaindre. Et vous êtes tout prêt à prendre le couteau du boucher et à égorger celui pour qui le sang de l'agneau a été versé. Il a dit : Si l'on vous persécute, fuyez. Et vous chassez ceux qui vous laissent dire, et qui ne demandent pas mieux que de paître doucement à côté de vous.

Il a dit : Vous voudriez que je fisse tomber le feu du ciel sur vos ennemis. V o u s ne savez pas quel esprit vous anime ».

Denis Diderot, France, Lettre à l'abbé Diderot, 1760

209

Celui qui veut manier l'épée du ciel doit être aussi sain que sévère ; trouver en soi un modèle et demeurer en grâce q u a n d la vertu vient à faillir ailleurs, pesant ses péchés à la m ê m e balance que les péchés des autres. Honte à celui qui met cruellement à mort pour des fautes auxquelles il est lui-même enclin.

Shakespeare, Angleterre, Mesure pour mesure, acte m , scène II, 1605

210 Témoignages contre l'intolérance

C'est une impiété d'ôter, en matière de religion, la liberté aux h o m m e s , d'empêcher qu'ils ne fassent choix d'une divinité : aucun h o m m e , aucun dieu, ne voudrait d'un service forcé (Tertullien, Apologétique, ch. X X I V ) .

La religion forcée n'est plus une religion : il faut persuader et non contraindre, la religion ne se c o m m a n d e point (Lactance, Divinarum institutionum, Livre III).

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LA VÉRITÉ EN QUESTION

C'est une exécrable hérésie de vouloir attirer par la force, par les coups, par les emprisonnements, ceux qu'on n'a pu convaincre par la raison (Saint Athanase, Livre I) (...)

Accordez à tous les h o m m e s la tolérance civile (Fénelon, archevêque de Cambrai , au D u c de Bourgogne).

( • • • )

O n pourrait faire un livre énorme, tout composé de pareils passages. Nos histoires, nos discours, nos sermons, nos ouvrages de morale, nos catéchismes, respirent tous, enseignent tous aujourd'hui ce devoir sacré de l'indulgence. Par quelle inconséquence démentirions-nous dans la prati­que une théorie que nous annonçons tous les jours ? Q u a n d nos actions démentent notre morale, c'est que nous croyons qu'il y a quelque avantage pour nous à faire le contraire de ce que nous enseignons ; mais certainement, il n'y a aucun avantage à persécuter ceux qui ne sont pas de notre avis, et à nous en faire haïr. Il y a donc, encore une fois, de l'absurdité dans l'intolérance.

Voltaire, France, Traité sur la tolérance, 1763

211

E n vérité, ce à quoi nous reconnaissons la religion chré­tienne, c'est moins qu'elle cherche la vérité mais qu'elle enseigne la charité, la paix, la douceur, l'humanité, la bienveillance, la patience. C'est par ces vertus qu'elle veut que ceux qui la confessent puissent vaincre leurs ennemis et non pas être vaincus par eux. Tout en défendant la vérité des choses divines, elle n'exige point que ceux qui la proclament et la protègent rompent les liens les rattachant à la communauté en tant q u ' h o m m e s et citoyens, mais plutôt qu'ils renforcent ces liens, qu'ils affermissent la charité à l'égard de tous les h o m m e s et respectent les droits de la paix.

Aussi serait-ce vergogneux pour la religion chrétienne si, pour la proclamer et la défendre, on avait recours à la violence, au meurtre, au châtiment.

Johannes Crellius, Pologne, De la tolérance dans la religion ou de la liberté de conscience, 1637

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LA TOLÉRANCE

212

L a charité n'est point meurtrière. L 'amour du prochain ne porte point à le massacrer. Ainsi le zèle du salut des h o m m e s n'est point la cause des persécutions ; c'est l'amour propre et l'orgueil qui en est la cause. Moins un culte est raisonnable, plus on cherche à l'établir par la force. Celui qui professe une doctrine insensée ne peut souffrir qu'on ose la voir telle qu'elle est : la raison devient alors le plus grand des crimes ; à quelque prix que ce soit, il faut l'ôter aux autres, parce qu'on a honte d'en manquer à leurs yeux. Ainsi l'intolérance et l'inconséquence ont la m ê m e source. Il faut sans cesse intimider, effrayer les h o m m e s . Si vous les livrez un m o m e n t à leur raison, vous êtes perdus.

D e cela seul, il suit que c'est un grand bien à faire aux peuples, dans ce délire, que de leur apprendre à raisonner sur la Religion, car c'est les rapprocher des devoirs de l 'homme, c'est ôter le poignard à l'intolérance, c'est rendre à l'humanité tous ses droits. (...) Il faut remonter à des principes généraux et c o m m u n s à tous les h o m m e s .

J.-J. Rousseau, Genève, Lettre à Christophe de Beaumont, 1762

213

Car ne l'oublions pas : bien que le Christianisme soit en un sens la plus tolérante des religions — dans la mesure où, c o m m e la plupart des religions, il abhorre le recours à la force physique, en un autre sens, il est de toutes les religions, la plus intolérante, dans la mesure où tout véritable Chrétien ne connaît pas de limite dans sa volonté de forcer (la conversion des) autres, par sa propre souffrance, en souffrant leur cruauté et leur persécution.

Soren Kierkegaard, 1813-1855, Danemark

214

Pourquoi m e tuez-vous ? — E h quoi ? ne demeurez-vous pas de l'autre côté de l'eau ? M o n ami, si vous demeuriez de ce

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LA VÉRITÉ EN QUESTION

côté, je serais u n assassin, et cela serait injuste d e v o u s tuer d e la sorte, m a i s puisque vous d e m e u r e z d e l'autre côté, je suis u n brave, et cela est juste.

(...) Plaisante justice q u ' u n e rivière borne ! Vérité en-deçà des

Pyrénées, erreur au-delà. Pascal, 1623-1662, France, Pensées

L'alternative

Le message étant si clairement perverti, entre un Dieu par tous perçu et la force érigée en argument, face à l'Autre enfin circonscrit dans sa différence, la raison d'aucuns oscille entre le vertige et toutes les tentations de l'indifférence.

Dans l'alternative ainsi définie, des propositions plus hardies se détachent : « détruire les dogmes qui divisent les hommes et rétablir la vérité qui les réunit » sous la conduite de philosophes, mais rois ; une paix séparée des consciences dans une commune confiance en une nature déifiée. C'est à la fois le déclin de l'humanisme classique et l'émergence de son succédané, le libéralisme où le « laisser-faire » doit, par la seule poursuite de l'intérêt individuel, évacuer le conflit moral à la condition cependant que l'ordre social, l'ordre établi, ne soit pas mis en cause.

Mais est-ce vraiment l'ouverture ? L'essentiel n'est-il pas ailleurs ? Tous ces glissements ne sont que « fausses sorties » en ce qu'ils

opposent, par un effort de raison spéculative et biaisée, des solutions formelles et partielles à des revendications globales et concrètes. Aux unes et aux autres ne manque que le projet social, le ciment qui les intègre et les rassemble toutes puisque, pour vivre, toute société cléricale doit opérer une double mutation : à l'intérieur vis-à-vis des particularismes qui la constituent, à l'extérieur dans l'acceptation conviviale de ce qui n'est pas elle. Bref, se redéfinir et par là redéfinir la liberté de tous.

215

Que dois-je donc faire, ô croyants? Je ne me connais pas moi-même : je ne suis ni Chrétien, ni Juif, ni Mazdéen, ni

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LA TOLÉRANCE

Musulman, ni d'Orient, ni d'Occident, ni de la mer , ni de la terre, ni des cieux en rotation, ni des mines de la nature (...) M a place est de n'en point avoir, m o n signe est de n'en point montrer. N e possédant â m e ni corps, j'appartiens à l'Esprit suprême. Bannissant la dualité, je n'ai plus vu qu 'un univers. Lui ! Je le cherche et le connais, je le perçois et je l'appelle. Lui! C'est l'alpha, c'est l'oméga. Lui! L'évident et l'invisi­ble. Je ne sais nul autre que Lui, criant : « O Lui, ô Lui qui est. » Le vin de l'amour m e rend ivre et j'oublie ce bas-monde et l'autre. L'extase et le ravissement, c'est là tout ce queje désire.

Jalâl al-Dih al-Rümí, Perse. 1207-1273

216

Dis:

« O vous, les incrédules ! Je n'adore pas ce que vous adorez ; Vous n'adorez pas ce que j'adore.

M o i , je n'adore pas ce que vous adorez ; vous, vous n'adorez pas ce que j'adore. A vous votre religion ; à moi, m a Religion. »

Le Coran, Sourate cix, Les incrédules

217

Q u e l'un soit libre d'adorer Dieu et l'autre Jupiter ; que l'un puisse lever ses mains suppliantes vers le ciel et l'autre vers l'autel de la Bonne Foi ; qu'il soit permis à l'un de compter les nuages en priant (si vous croyez qu'il le fait), et à l'autre les panneaux des lambris, que l'un puisse vouer à son Dieu sa propre â m e , l'autre la vie d 'un bouc ! Prenez garde, en effet, que ce ne soit déjà un crime d'irréligion que d'ôter aux h o m m e s la liberté de la religion et de leur interdire le choix de la divinité, c'est-à-dire, de ne pas permettre d'honorer qui je veux honorer, pour m e forcer d'honorer qui je ne veux pas

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LA VÉRITÉ EN QUESTION

adorer ! Il n'est personne qui veuille des hommages forcés, pas même un homme.

Tertullien, apologiste chrétien, 11e siècle, Carthage, Apologétique

218

N e d e m a n d e pas par quelle porte T u es entré dans la cité de Dieu, Mais demeure dans le lieu tranquille O ù tu as finalement pris place.

Goethe, Allemagne, Livre des sentences, 1819

219

Je considère qu'il est de m o n devoir de bien comprendre les autres. S'ils agissent selon la volonté de Dieu, m'immiscer dans leurs actions serait en soi reprehensible ; dans le cas contraire, ils sont victimes de leur ignorance et méritent m a pitié.

Akbar le Grand, 1542-1605, empereur moghol de l'Inde

220

Les h o m m e s ont banni la Divinité d'entre eux; ils l'ont reléguée dans un sanctuaire ; les murs d'un temple bornent sa vue ; elle n'existe point au-delà. Insensés que vous êtes : détruisez ces enceintes qui rétrécissent vos idées ; élargissez Dieu, voyez-le partout où il est, ne dites pas qu'il n'est point.

Denis Diderot, France, Pensées philosophiques, 1746

221

Le seul m o y e n de rendre la paix aux h o m m e s est donc de détruire tous les dogmes qui les divisent, et de rétablir la vérité qui les réunit ; c'est donc là en effet la paix perpétuelle. Cette paix n'est point une chimère ; elle subsiste chez tous les honnêtes gens, depuis la Chine jusqu'au Québec.

Voltaire, France, D e la paix perpétuelle, 1765

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LA TOLÉRANCE

222

Les h o m m e s se sont trouvés rapprochés par des visions affectives d u m o n d e (Gesinnungen), séparés par des options intellectuelles (Meinungen) (...) Les amitiés de jeunesse se fondent sur les premières, des dissensions de l'âge m û r les dernières sont responsables. Se serait-on aperçu de cela plus tôt, au m o m e n t où on développait ses modes de pensée, et se serait-on façonné une attitude libérale envers les autres, m ê m e envers ceux qui contredisaient ces m o d e s personnels de pensée, on serait alors devenu plus conciliant et l'on aurait travaillé à rapprocher de nouveau, au niveau des visions affectives d u m o n d e , ce que les options intellectuelles avaient séparé (...) Les choses célestes et terrestres embras­sent un si vaste empire que les organes de tous les êtres réunis peuvent à peine l'étreindre.

Goethe, Allemagne, Lettre à Jacobi, 1813

223

Tandis que les cultes humains continueront de se déshonorer dans l'esprit des h o m m e s par leurs extravagances et leurs crimes, la religion naturelle se couronnera d ' u n nouvel éclat, et peut-être fixera-t-elle enfin les regards de tous les h o m m e s , et les ramènera-t-elle à ses pieds ; c'est alors qu'ils ne formeront qu 'une société (...) qu'ils n'écouteront plus que la voix de la nature et qu'ils recommenceront enfin d'être simples et vertueux. O mortels ! C o m m e n t avez-vous fait pour vous rendre aussi malheureux que vous l'êtes ? Q u e je vous plains et queje vous aime !

Denis Diderot, France, D e la suffisance de la religion naturelle, 1747

224

Morale de l'athée

N e nous enquérons point des motifs qui peuvent déter­miner un h o m m e à embrasser un système; examinons ce

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LA VÉRITÉ EN QUESTION

système, assurons-nous s'il est vrai, et si nous le trouvons fondé sur la vérité, nous ne pourrons jamais l'estimer dan­gereux. C'est toujours le mensonge qui nuit aux h o m m e s ; si l'erreur est visiblement la source unique de leurs m a u x , la raison en est le vrai remède. N e nous informons pas davantage de la conduite de l ' h o m m e qui nous présente un système; ses idées, c o m m e on l'a dit déjà, peuvent être très saines, quand m ê m e ses actions seraient très dignes de blâme.

Paul Henri d'Holbach, France, Le système de la nature, 1770

225

J'ignore si cet Être juste ne punira point un jour toute tyrannie exercée en son n o m ; je suis bien sûr au moins qu'il ne la partagera pas et ne refusera pas le bonheur éternel à nul incrédule vertueux et de bonne foi. Puis-je sans offenser sa bonté, et m ê m e sa justice, douter q u ' u n cœur droit ne rachète une erreur involontaire, et que des moeurs irrépro­chables ne vaillent bien à ses yeux mille cultes bizarres prescrits par les h o m m e s et rejetés par la raison ? Je dirai plus : si je pouvais acheter les œuvres aux dépens de m a foi, et compenser à force de vertu m o n incrédulité supposée, je ne balancerais pas un instant, et j'aimerais mieux pouvoir dire à Dieu : « J'ai fait sans songer à toi le bien qui t'est agréable, et m o n c œ u r suivait ta volonté sans la connaître » que de lui dire, c o m m e il faudra que je fasse un jour ; « Hélas ! Je t'aimais et n'ai cessé de t'offenser ; je t'ai connu et n'ai rien fait pour te plaire. »

J.-J. Rousseau, Genève, Lettre à Voltaire, 1756

226 De la tolérance universelle

Il ne faut pas un grand art, une éloquence bien recherchée pour prouver que des Chrétiens doivent se tolérer les uns les

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LA T O L É R A N C E

autres. Je vais plus loin : je vous dis qu'il faut regarder tous les h o m m e s c o m m e nos frères. Quoi ! m o n frère le Turc ? m o n frère le Chinois ? le Juif? le Siamois ? Oui, sans doute ; ne sommes-nous pas tous enfants du m ê m e Père, et créatures du m ê m e Dieu ?

Mais ces peuples nous méprisent ; mais ils nous traitent d'idolâtres ! H é bien f je leur dirai qu'ils ont grand tort. (...)

Je parlerais maintenant aux Chrétiens, et j'oserais dire

( • • • ) . :

O sectateurs d ' un dieu clément ! si vous aviez un cœur cruel ; si, en adorant celui dont toute la loi consistait en ces paroles : « Aimez Dieu et votre prochain », vous aviez surchargé cette loi pure et sainte de sophismes et de disputes incompréhensibles; si vous aviez allumé la discorde, tantôt pour un mot nouveau, tantôt pour une seule lettre de l'alphabet; si vous aviez attaché des peines éternelles à l'omission de quelques paroles, de quelques cérémonies que d'autres peuples ne pouvaient connaître; je vous dirais, en répandant des larmes sur le genre humain : « Transportez-vous avec moi au jour où tous les h o m m e s seront jugés, et où Dieu rendra à chacun selon ses œuvres.

Je vois tous les morts des siècles passés et du nôtre comparaître en sa présence. Etes-vous bien sûrs que notre Créateur et notre Père dira au sage et vertueux Confucius, au législateur Solon, à Pythagore, à Zaleucus, à Socrate, à Platon, aux divins Antonins, au bon Trajan, à Titus, les délices du genre humain, à Epictète, à tant d'autres h o m m e s , les modèles des h o m m e s : « Allez, monstres ; allez subir des châtiments infinis en intensité et en durée; que votre supplice soit éternel c o m m e moi ! Et vous, mes bien-aimés, Jean Châtel, Ravaillac, Damiens, Cartouche, etc., qui êtes morts avec les formules prescrites, partagez à jamais à m a droite m o n empire et m a félicité. »

Vous reculez d'horreur à ces paroles, et après qu'elles m e sont échappées, je n'ai plus rien à vous dire.

Voltaire, France, Traité sur la tolérance, 1763

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LA VÉRITÉ EN QUESTION

Le fond du problème

Vérité et violence

Finissons-en auparavant avec cette « vérité » qui prétend prendre appui sur le message initial pour persécuter ceux qu'elle veut « hérétiques » : on ne trouve nulle trace de telle licence qui ne repose, le plus souvent, que sur une sollicitation sinon un détournement. E n d'autres temps, on n'excommuniait le contestataire qu'après l'avoir entendu, non sur tel glossateur, mais sur l'esprit littéral du message. Maintenant la force fabrique ses coupables et tout lui devient prétexte à anathème, hérésie, procès, bûcher et autres « procès ». Une vérité qui se défend ainsi n'en est pas une.

Selon cette logique, le premier hérétique n'est-ce point le fondateur même de la Religion, de toute religion, de toute idéologie nouvelle? D ' o ù il suivrait qu'une « hérésie » qui réussit n'est que « vérité » provisoire et donc par une autre hérésie révocable, à ceci près que ces hérétiques-là préfirent mourir de mort violente plutôt que d'adjurer ou de se laisser « racheter ».

Ainsi, sous peine de tomber dans l'absurdité qui est l'essence même de la force mise au service de l'idéologie, il n'est qu'une voie : la liberté religieuse, dès lors qu'au-delà des individus, c'est la nation, « le repos public » et l'esprit vrai de la religion qui s'en trouvent autrement menacés. A u sein d'une même communauté, il ne peut y avoir de prééminence d'un culte sur l'autre, de dogmes sur d'autres, de « conscience » reine : toute conscience est par elle-même souveraine et inaliénable. A chacun donc la vérité de sa conscience mais non de ses intérêts ; contre la force de conviction, la force nue ne peut rien, la force n'étant que la raison du perdant. C'est là et là seulement qu'il faut chercher le chemin d'une paix autrement impossible.

Plus encore, c'est l'intolérance qui est la cause des désordres, non la tolérance. D'autres exemples de sociétés montrent à l'évidence que la diversité de sectes, de religions, dans une même société, loin de nuire à la paix et à l'union nationales, en ont été au contraire de puissants éléments d'unification et d'épanouissement. Le pluralisme en matière de foi est le plus sûr moyen de mettre en échec la relation de domination. Encore faudrait-il que le Prince fût au-dessus des partis et veillât à ce

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LA T O L É R A N C E

que plusieurs religions « s'entresupportent mutuellement » comme font « les diverses espèces d'artisans ».

Au-delà de la foi, c'est à un appel à une démocratie non confessionnelle qu'on invite ici, profondément individualiste, certes, mais où l'on cesse de s'entretuer ou même de disputer sur la vraie religion des religions. Pour cela il est donc nécessaire de passer » des vérités révélées aux vérités de raison ». Parce qu'au-dessus des opi­nions des citoyens, c'est l'Etat, la paix de l'Etat qui sont en jeu, qui sont l'enjeu. C'est alors le Souverain qui est l'interpellé, non telle ou telle secte de la nation. Il n'est pour s'en convaincre que de consulter les archives connues de l'Histoire... mais le livre est un tel brûlot...

En réalité, le problème n'est pas de pluralité d'opinions, même religieuses, mais d'organisation de l'Etat. Se battre, mourir pour la liberté de conscience devient ainsi un combat d'arrière-garde tant le réel est en retard sur une Histoire constamment en avance. Le problème restera longtemps noyé dans des questions historiquement marginales : par bien des côtés, en effet, l'attachement à telle ou telle conviction, transcendance, est affaire d'opinion, en tout cas de non-rationalité. Ici-bas cependant, les hommes pressentent qu'ils sont faits pour coexister, créer ensemble. L'apôtre étant ainsi rationnellement mis hors de cause, entre la « loi » du plus fort, des « vérités » exclusives et le compromis, il n'est de choix possible que du compromis, aussi longtemps en tout cas que l'on veut se maintenir sur le plan du seul sentiment. Sur celui, réel, de la coexistence, il y a encore à dire et à redire. La force n'est plus recevable comme preuve de vérité puisque théoriquement elle est provisoire, donc réversible ; les relations humaines ne peuvent être régies que par des lois humaines, sans plus de charité ni de paralogismos, mais d'homme(s) à homme(s), frères de nature et pour telles raisons, essentiellement de ce monde commun, opposés.

Au terme de cette séquence, une victoire cependant : nul ne peut plus, sans être criminel, même au nom de sa « vérité » — seul ou collectivement — spolier, dominer, tyranniser, tuer sans devoir être justiciable de lois et d'un droit qui sont le consensus d'intérêts laïcisés. Donc, d'hommes entre eux.

Mais au fait, rétrospectivement, s'agissait-il bien de faire partager la « vérité » ou d'imposer par toutes nuances d'autorité la raison suprême de ses propres intérêts ?

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153

LA VÉRITÉ EN QUESTION

227

Il ne faut pas, quand il est question d'une chose de si grande importance que de faire mourir un h o m m e , aller ainsi tordre et exposer la loy à nostre fantaisie (...) puisque Dieu n 'a c o m m a n d é ni aux Vieux ni au Nouveau Testament de faire mourir les hérétiques et que nous ne debvons oster ni ajouter à sa loy et c o m m a n d e m e n s , et que pour ceste cause il punira non seulement ceux qui auront faict ce qu'il n 'a pas c o m m a n d é , qu 'on ne les doibt point faire mourir et que, au pis aller, le magistrat aura toujours juste excuse de ne les avoir faict mourir, disant : « Seigneur, tu ne nous avois point c o m m a n d é . » Et au contraire s'il les faict mourir, au mieux allez, il pourra toujours estre reprins à bon droict de Dieu, disant : « Je ne le vous avoy point c o m m a n d é . » Et de ce faict, si les Princes estoient sages, quand les théologiens les incitent à mettre à mort les hérétiques, ils leur diroient : « Monstrés-nous une loy divine qui expressément le c o m m a n d e », et alors tous les théologiens du m o n d e ne sçauroient que dire. Q u a n d Dieu enseigne l'office d 'un roy, il c o m m a n d e qu'il ait le double de la loy en un livre, et qu'il le retienne et lise tous les jours de sa vie, sans s'en détourner n'a droict n ' a gauche.

Sébastien Castellion, Conseil à la France désolée, 1562

228

Remarquez , Bassanio,

Q u e le diable à ses fins peut citer l'Ecriture. L ' â m e mauvaise employant le saint témoignage

Est c o m m e un scélérat le sourire à la joue, U n e p o m m e jolie pourrie au cœur. . . O h , quels jolis dehors se donne le mensonge ! »

(...) E n religion, Est-il maudite erreur qu 'un front sévère

N e bénisse et n'autorise d ' u n texte,

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154

LA T O L É R A N C E

Cachant l'énormité sous le bel ornement? Shakespeare, Angleterre, Le marchand de Venise, acte i, scène III

et acte in, scène II, 1597

229

A u Très Révérend Père dans le Christ, Albert, Cardinal archevêque, salutations d'Érasme de Rotterdam, Théo­logien.

Autrefois, l'hérétique était entendu attentivement. S'il donnait satisfaction, on l'absolvait, s'il s'entêtait après avoir été convaincu d'hérésie, la peine suprême était pour lui l'exclusion de la c o m m u n i o n ecclésiastique. Maintenant, le crime d'hérésie a changé de caractère ; pour n'importe quelle raison futile, on a tout de suite à la bouche : « C'est une hérésie ! c'est une hérésie ! » Autrefois, on regardait c o m m e hérétique celui qui s'écartait de l'Évangile, des articles de foi ou de ce qui avait une autorité analogue. Maintenant, si quelqu'un s'écarte tant soit peu de saint T h o m a s , c'est un hérétique, ou m ê m e si quelqu'un marque son désaccord avec la fausse théorie de quelque sophiste de l'École de fraîche invention, c'est un hérétique. Tout ce qui ne plaît pas, tout ce qu'on ne comprend pas, c'est une hérésie. Savoir le grec, c'est une hérésie. Parler un langage châtié, c'est une hérésie (...) J'avoue que c'est une grave accusation que celle de vicier la foi, mais il ne faut pas cependant faire de tout une question de foi.

Érasme de Rotterdam, Lettre à Albert de Brandenbourg, 1519

230 Le « coupable en soi »

« T u es J . K . », dit l'abbé — « O u i », dit K . en songeant avec quelle franchise il prononçait autrefois son n o m . Depuis quelque temps, au contraire, ce lui était un vrai supplice ; et maintenant, tout le m o n d e savait ce n o m . Qu'il était beau de n'être connu qu'une fois qu'on s'était présenté ! « T u es

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LA VÉRITÉ EN QUESTION

accusé », dit l'abbé d'une voix extrêmement basse. « Oui », dit K . , « on m ' a prévenu. » — « Alors, tu es bien celui que je cherche », dit l'abbé. «Je suis l'aumônier de la prison. » — « A h , bien », dit K . — «Je t'ai fait venir ici », dit l'abbé, « pour te parler. » — «Je ne le savais pas », dit K . «J'étais venu pour montrer la cathédrale à u n Italien. » — « Laisse là l'accessoire », dit l'abbé. « Q u e tiens-tu dans ta main ? Est-ce un livre de prières ! » — « N o n , c'est un album des curiosités de la ville. » — « Lâche-le », dit l'abbé. K . le jeta si violemment qu'il se déchira en claquant et roula sur le sol.

« Sais-tu que ton procès va mal ? », demanda l'abbé. — « C'est bien ce qu'il m e semble », dit K . «Je m e suis donné beaucoup de mal, mais jusqu'ici, sans résultat; à vrai dire, m a requête n'est pas encore terminée. » — « C o m m e n t penses-tu que cela finira? », demanda l'abbé. « Autrefois, je pensais que m o n procès finirait bien, mais maintenant j'en doute parfois. Je ne sais pas comment il finira. Le sais-tu, toi ?» — « N o n », dit l'abbé, « mais je crains qu'il ne finisse mal. T o n procès ne sortira pas peut-être du ressort d 'un petit tribunal. Pour le moment , on considère du moins ta faute c o m m e prouvée. » — « Mais je ne suis pas coupable », dit K . , « c'est une erreur ». « D'ailleurs, comment un h o m m e peut-il être coupable? Nous sommes tous des h o m m e s ici, l'un c o m m e l'autre. » — « C'est juste », répondit l'abbé, « mais c'est ainsi que parlent les coupables. »

Franz Kafka, 1883-1924, Tchécoslovaquie, Le procès"

231

Le Roi [Philippe II d'Espagne] fait erreur s'il croit que le peuple de ce pays va tolérer indéfiniment les édits sanglants contre les hérétiques. Bien que je sois tout dévoué à la religion catholique romaine, je ne peux approuver que les monarques s'arrogent un droit de contrôle sur la conscience de leurs sujets et les privent de leur liberté religieuse.

Guillaume de Nassau dit le Taciturne, Hollande, Discours prononcé au Conseil d'Etat, 1564

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LA TOLÉRANCE

232

Si pour défendre leurs opinions ils n'ont recours ni à l'arme ni à la force, considérant cela indigne, et ne cherchant pas à les imposer par des attraits matériels, il est certain que jamais la vérité ne sera écrasée par la force ni renversée par la ruse. Car c'est ainsi qu'elle est de par sa nature m ê m e : c o m m e les ailes d 'un aigle, elle ramasse toutes les autres plumes légères des opinions et ne nous quittera jamais, à moins que notre esclavage et notre corruption ne parvien­nent à la dégoûter. Et si, dans une sage atmosphère de libre expression d'opinions contradictoires et d'efforts assidus à éveiller en soi un amour véritable, il ne faut craindre ni l'un ni l'autre, pourquoi donc défendons-nous à ce point nos opinions contre leurs idées ?

Samuel Przypkowski, Pologne, Dissertation sur la paix et l'entente dans l'Église, 1628

233

Frédéric : Je m e suis souvent étonné, parmi une si grande diversité de sectes, et telle qu'Epiphane et Tertullien en ont compté jusqu'à cent vingt et Thémistius plus de trois cents, comment la paix et l'union aient pu se conserver parmi les peuples, puisque de notre temps deux diverses créances parmi les Chrétiens ont causé tant et tant de si rudes guerres civiles et tant de désolation de villes.

Curtius : Il n 'y a rien de plus dangereux que de voir dans une République le peuple partagé en deux factions seulement, soit qu'il soit question des lois ou des préséances, ou pour le fait de la religion ; mais s'il y a plusieurs factions il n'y a point de guerre civile à craindre, parce que les unes sont c o m m e des voix qui semblent intercéder envers les autres pour mettre la paix et l'harmonie parmi les citoyens. Torralbe : Cette raison est très à propos recherchée dans les accords de la musique, la raison naturelle étant trop relevée, à savoir par qui naturellement une chose seulement est contraire à une autre et que plusieurs choses différentes ne peuvent pas être contraires à une, naturellement.

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LA VÉRITÉ EN QUESTION

Octave : J'estime que c'est par cette raison que les Turcs et les Persans reçoivent parmi eux toutes sortes de religions et vous voyez cependant une merveilleuse concorde tant parmi le peuple que parmi les passagers, bien que différents de religion.

Frédéric : Pour moi, j'estime qu'il n'y a rien qui fut plus à souhaiter dans un grand royaume ou dans une grande ville que cela put se faire que tous eussent une m ê m e religion. Et Aratus n'a rien fait de plus remarquable que d'avoir accoutumé les Achéens qui composaient plus de trois cents villes à vivre sous m ê m e s lois, m ê m e religion, m ê m e s cérémonies, m ê m e s poids et m ê m e s mesures, en sorte qu'on n'y pouvait plus rien désirer sinon que toutes ces villes fussent enfermées entre m ê m e s murailles, et c'est, à m o n avis, le fondement solide de l'amitié que Cicerón a mis à suivre un m ê m e sentiment, tant pour les choses divines que pour les humaines.

Octave : Croyez-vous, Frédéric, que les Achéens aient pu se conserver dans une seule religion, eux qui contaient trente mille divinités, puisque jamais les sacrifices de Bacchus n'ont pu avoir de conformité avec ceux d'Eleusis ? Coroni : Certainement, nous devons plutôt souhaiter et demander à Dieu qu'espérer qu'il y ait parmi le m o n d e qu'une religion et qu'une m ê m e créance, pourvu que ce soit ( m ê m e si c'était) la vraie !

Salomon : N e disons point que c'est la religion, quand nous ne dirons point (tant que nous n'aurons pas trouvé) que c'est la vraie.

Sénoni : Puisque les chefs de religion et les pontifes en chacune ont eu tant de débats, les uns contre les autres, qu'il n'est pas possible de dire quelle est la vraie, n'est-il pas mieux de recevoir dans les grands états, c o m m e nous voyons dans ceux des Turcs et des Perses, toutes sortes de religions que d'en exclure quelqu'une ? Car si nous cherchons pour­quoi les Grecs, les Latins et les Barbares n'ont point eu autrefois de différents pour le fait de la religion, nous n'en trouverons point à m o n avis d'autre raison sinon que tous

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LA TOLÉRANCE

étaient également éclairés et avaient un m ê m e sentiment de toutes les religions.

Jean Bodin, France, Colloquium heptaplomeres, 1593

234

Il y a des siècles de cela, en Orient, vivait un h o m m e qui possédait un anneau d'une valeur inestimable, don d'une main chère. La pierre en était une opale, où se jouaient mille belles couleurs, et elle avait le secret pouvoir de rendre agréable à Dieu et aux h o m m e s quiconque la portait animé de cette conviction. Quoi d'étonnant si l'Oriental la gardait constamment au doigt, et prit la décision de la conserver éternellement à sa famille? Voici ce qu'il fit. Il légua l'anneau au plus aimé de ses fils, et il statua que celui-ci, à son tour, léguerait l'anneau à celui de ses fils qui lui serait le plus cher, et que perpétuellement le plus cher, sans considé­ration de naissance, par la seule vertu de l'anneau, devien­drait le chef, le premier de sa maison. Ainsi donc, de père en fils, cet anneau vint finalement aux mains d 'un père de trois fils qui tous trois lui obéissaient également, qu'il ne pouvait par conséquent s'empêcher d'aimer tous trois d'un m ê m e amour. A certains moments seulement, tantôt celui-ci, tantôt celui-là, tantôt le troisième (...) lorsque chacun se trouvait seul avec lui et que les deux autres ne partageaient pas les épanchements de son cœur (...) lui semblait plus digne de l'anneau qu'il eut alors la pieuse faiblesse de promettre à chacun d'eux. Les choses allèrent ainsi, tant qu'elles allè­rent... Mais la mort était proche, et le bon père tombe dans l'embarras. Il a peine à contrister ainsi deux de ses fils, qui se fient à sa parole... Q u e faire ?... Il envoie secrètement chez un artisan, auquel il c o m m a n d e deux autres anneaux sur le modèle du sien, avec l'ordre de ne ménager ni peine ni argent pour les faire de tous points semblables à celui-ci. L'artiste y réussit. Lorsqu'il apporte les anneaux au père, ce dernier est incapable de distinguer le sien, l'anneau modèle. Joyeux et allègre, il convoque ses fils, chacun à part, donne à chacun sa bénédiction, ... et son anneau... et meurt.

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LA VÉRITÉ EN QUESTION

A peine le père mort, chacun arrive avec son anneau et chacun veut être le chef de la maison. O n enquête, on se querelle, on s'accuse. Peine perdue ; impossible de prouver quel était le vrai anneau... Les fils se citèrent en justice et chacun jura au juge qu'il tenait directement l'anneau de la main du père... à combien bon droit, d'ailleurs !... après avoir obtenu de lui, depuis longtemps déjà, la promesse de jouir un jour du privilège de l'anneau... combien non moins vrai!

L e père, affirmait chacun, ne pouvait pas lui avoir menti ; et, avant de laisser planer ce soupçon sur lui, ce si bon père, il préférerait nécessairement accuser de dol ses frères, si enclin fût-il, par ailleurs, à ne leur prêter que les meilleures intentions. Il saurait bien, ajoutait-il, découvrir les traîtres, et se venger.

L e juge dit : « Si vous ne m e faites pas, sans tarder, venir céans votre père, je vous renvoie dos à dos. Pensez-vous que je sois là pour résoudre des énigmes ? O u bien attendez-vous que le vrai anneau se mette à parler?... Mais, halte! J'entends dire que le vrai anneau possède la vertu magique d'attirer l'amour, de rendre agréable à Dieu et aux h o m m e s . Voilà qui décidera ! Car les faux anneaux, eux, en seront quand m ê m e incapables!... E h bien : lequel donc deux d'entre vous aiment-ils le plus ?... Allons, dites-le ! Vous vous taisez? Les anneaux n'ont d'effet que pour le passé? Il ne rayonnent pas au-dehors ? C e que chacun aime le mieux, c'est simplement soi-même?... O h , alors vous êtes tous les trois des trompeurs trompés ! Vos anneaux sont tous les trois faux. Il faut admettre que le véritable anneau s'est perdu. Pour cacher, pour compenser la perte, le père en a fait faire trois pour un. Et en conséquence, continua le juge, si vous ne voulez pas suivre le conseil que je vous donne en place de verdict... allez-vous en !... Mais m o n conseil, lui, est le suivant : prenez la situation absolument c o m m e elle est. Si chacun de vous tient de son père son anneau, alors que chacun, en toute certitude, considère son anneau c o m m e le vrai... Peut-être votre père n'a-t-il pas voulu tolérer plus longtemps dans sa maison la tyrannie d 'un seul anneau? Et il est sûr qu'il vous a tous trois également aimés, puisqu'il

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LA T O L É R A N C E

s'est refusé à en opprimer deux pour ne favoriser qu 'un seul... Allons! Q u e chacun, de son zèle, imite son amour incorruptible et franc de tout préjugé ! Q u e chacun de vous s'efforce à l'envi de manifester dans son anneau le pouvoir de la pierre.. Qu'il seconde ce pouvoir par sa douceur, sa tolérance cordiale, ses bienfaits, sa soumission profonde à Dieu ! Et quand ensuite les vertus des pierres se manifeste­ront chez les enfants de vos enfants, alors, je vous convoque, dans mille fois mille ans, derechef devant ce tribunal. Alors, un plus sage que moi siégera ici et prononcera. »

Lessing, Allemagne, Nathan le Sage, 1779

235

Plus d'un h o m m e vit qui n'est que fardeau pour la Terre ; mais un bon Livre est le sang vital d 'un esprit supérieur, précieux trésor e m b a u m é et gardé à dessein, en vue d'une vie qui dépasse la vie.

Il est vrai qu'aucun âge ne peut ressusciter une vie, ce qui n'est peut-être point une grande perte ; de m ê m e , le cours des âges retrouve rarement une vérité repoussée, puis perdue : mais à cette carence correspond la ruine de Nations entières. Soyons donc circonspects, réfléchissons à la persécution déchaînée par nous contre les œuvres vivantes des h o m m e s de la cité, à cette destruction d'une vie humaine, mûrie, puis conservée et accumulée dans les Livres ; car nous voyons bien qu'on peut ainsi se rendre coupable d'une sorte d'homicide, parfois m ê m e de martyre — et si cela s'étend à l'impression tout entière, autant dire de massacre : crime qui ne se limite pas à l'anéantissement d'une vie végétative, mais atteint la quintessence spirituelle, le souffle de vie de la raison m ê m e : c'est être meurtrier d'immortalité, non simple meurtrier.

John Milton, Angleterre, Areopagitica, 1644

236

Il n'y a pas, dit-on, de plus dangereuse peste dans un état

que la multiplicité des religions, parce que cela met en

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LA VÉRITÉ EN QUESTION

dissension les voisins avec les voisins, les pères avec les enfants, les maris avec les femmes, le prince avec ses sujets. Je réponds que bien loin que cela fasse contre moi, c'est une très forte preuve pour la tolérance, car si la multiplicité en religion nuit à un Etat, c'est uniquement parce que l'un ne veut pas tolérer l'autre, mais l'engloutir par la voie des persécutions. Hinc prima mali labes, c'est là l'origine du mal. Si chacun avait la tolérance que je soutiens, il y aurait la m ê m e concorde dans un Etat divisé en dix religions, que dans une ville où les diverses espèces d'artisans s'entresup-portent mutuellement. Tout ce qu'il pourrait y avoir, ce serait une honnête émulation à qui plus se signalerait en piété, en bonnes m œ u r s , en science. Chacune se piquerait de prouver qu'elle est la plus amie de Dieu en témoignant un plus fort attachement à la pratique des bonnes œuvres ; elles se piqueraient m ê m e de plus d'affection pour la patrie si le souverain les protégeait toutes, et les tenait en équilibre par son équité. O r il est manifeste qu'une si belle émulation serait cause d'une infinité de biens, et par conséquent la tolérance est la chose du m o n d e la plus propre à ramener le siècle d'or et à faire un concert et une harmonie de plusieurs voix et instruments de différents tons et notes, aussi agréable pour le moins que l'uniformité d'une seule voix. Qu'est-ce donc qui empêche ce beau concert formé de voix et de tons si différents l'un de l'autre? C'est que l'une des deux religions veut exercer une tyrannie cruelle sur les esprits et forcer les autres à lui sacrifier leur conscience. C'est que les rois fomentent cette injuste partialité, et livrent le bras séculier aux désirs furieux et tumultueux d'une population de moines et de clercs. E n un mot, tout le désordre ne vient pas de la tolérance, mais de la non-tolérance.

C'est ce que je réponds au lieu c o m m u n qui a été si rebattu par les ignorants, que le changement de religion entraîne avec lui le changement de gouvernement et qu'ainsi il faut soigneusement empêcher que l'on n'innove. Je ne rechercherai pas si cela est arrivé aussi souvent qu'ils le disent. Je m e contente, sans trop m'informer du fait, de dire, en le supposant tel qu'ils nous le donnent, qu'il vient

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LA TOLÉRANCE

uniquement de la non-tolérance. C a r si la nouvelle secte était imbue des principes que je soutiens, elle ne ferait point de violence à ceux qui voudraient retenir la vieille doctrine ; elle se contenterait de leur proposer ses raisons, et de les en instruire charitablement. Si la vieille religion pareillement était imbue des m ê m e s maximes , elle ne violenterait pas la nouvelle, se contentant de la combattre par des raisons douces et charitables. Ainsi le souverain maintiendrait toujours son autorité saine et sauve, chaque particulier cultiverait en paix son c h a m p et sa vigne, prierait Dieu à sa manière et laisserait les autres le prier et le servir à la leur, de sorte que l'on verrait l'accomplissement de cette prédic­tion du prophète dans la concorde de tant de sentiments diamétralement opposés : Le loup habitera avec l'agneau, et le léopard gîtera avec le chevreau, le veau et le lionceau et autre bétail qu'on engraisse seront ensemble et un petit enfant les conduira (Isaïe, XI-6) . Il est clair à tout h o m m e qui y songe que tous les désordres qui accompagnent les innovations de religion viennent de ce que l'on s'oppose aux novateurs avec le fer et le feu, et qu'on leur refuse la liberté de conscience, ou bien de ce que la nouvelle secte remplie d 'un zèle inconsidéré veut détruire par la force la religion qu'elle trouve déjà établie. C'est donc la tolérance qui épargnerait au m o n d e tout ce mal , c'est l'esprit persécutant qui le lui apporte.

Pierre Bayle, France, Commentaire philosophique, 1686

237

Supposez cependant q u ' u n prince veuille contraindre ses sujets à acquérir des richesses ou à fortifier leur corps, sera-t-il prescrit par une loi que seuls les médecins de R o m e devront être consultés et que chacun sera tenu de vivre selon leurs ordonnances ? Est-ce qu'aucun médicament ni aucune nourriture ne devraient être pris, à moins qu'ils n'aient été préparés au Vatican ou qu'ils ne soient sortis d'une officine genevoise? O u bien, afin que tous les sujets vivent chez eux dans l'abondance et dans les délices, tous seront-ils tenus par la loi de faire d u commerce où de la musique ? Et chacun

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LA VÉRITÉ EN QUESTION

devra-t-il devenir hôtelier ou charpentier, sous prétexte que certains ont réussi dans ces métiers à subvenir aisément aux besoins de leur famille, ou à accroître leur richesse? Mais, m e direz-vous, il y a mille moyens de s'enrichir ; il y a un seul chemin qui conduise au salut. Cela est très bien dit, en particulier pour ceux qui voudraient contraindre les uns à prendre ce chemin-ci, les autres ce chemin-là ; car, s'il y avait plusieurs chemins, on ne saurait plus trouver de prétextes à la contrainte.

John Locke, Angleterre, Lettre sur la tolérance, 1690

238

Chaque petite secte ou religion porte en elle, sans doute, un grain de vérité qui la rend apte à servir le grand dessein de la fertilisation du monde — mais aussi longtemps que les sages de chaque secte ou religion se prendront pour les enfants chéris d u divin Père qui les gratifie d'une faveur qu'il refuse au reste de l'humanité, la plénitude de l'idée de Dieu ne sera atteinte par aucune d'elles.

Lessing, Allemagne, 1729-1781, L'éducation du genre humain

239

Pour que la fidélité donc et non la complaisance soit jugée digne d'estime, pour que le pouvoir du souverain ne souffre aucune diminution, n'ait aucune concession à faire aux séditieux, il faut nécessairement accorder aux h o m m e s la liberté du jugement et les gouverner de telle sorte que, professant ouvertement des opinions diverses et opposées, ils vivent cependant dans la concorde. Et nous ne pouvons douter que cette règle de gouvernement ne soit la meilleure, puisqu'elle s'accorde le mieux avec la nature humaine.

Spinoza, Hollande, Traité théologico-politique, 1670

240

C o m m e il est (donc) impossible au plus grand nombre des h o m m e s — sinon à tous — d'admettre qu'il puisse exister

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LA T O L É R A N C E

des opinions diverses sans preuve certaine et indubitable de la vérité de chacune d'elles, il serait à m o n avis bon que tous les h o m m e s s'appliquent à préserver la paix et des relations mutuelles d'humanité et d'amitié malgré la diversité des opinions. N o u s ferions bien d'avoir commisération de notre ignorance à tous et de nous efforcer de l'éliminer par tous les moyens gentils et honnêtes de l'information, de ne pas traiter d'office les autres de méchants, d'obstinés et pervers s'ils ne veulent pas renoncer à leurs propres opinions pour adopter les nôtres.

John Locke, Angleterre, Pensées sur l'éducation, 1693

241

Nous croyons qu'il est préférable qu'il n'y ait pas de disposition exigeant l'uniformité en matière de religion, si ce n'est celle d'une parfaite liberté de pensée (...) Si ceux qui en disputent n'arrivent pas à s'entendre sur une opinion, ils auront tous du moins la possibilité de s'imprégner du principe divin de la charité universelle envers ceux qui ne pensent pas c o m m e eux.

Joseph Priestley, 1733-1804, Grande-Bretagne, Pamphlets sur les Dissidents

242

U n h o m m e ne convertit pas u n autre h o m m e : c'est Dieu qui nous convertit tous. Il endurcit qui il lui plaît, il fait miséricorde à qui il fait miséricorde.

Paul Pellisson, France, Réflexions sur les difïërends de la religion avec les preuves de la tradition ecclésiastique, 1686

243

Q u e chacun s'arrange c o m m e il peut avec son péché ; il y a, au ciel, Dieu qui ne néglige pas de punir le mal , ni de récompenser le bien, et il ne convient pas que les h o m m e s honnêtes soient les bourreaux des autres h o m m e s .

Cervantes, Espagne, Don Quichotte, 1615

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LA VÉRITÉ EN QUESTION

244

Quelque bien que vous vouliez à un autre, quoi que vous fassiez pour son salut, vous ne pouvez le forcer à être sauvé ; à la fin, il doit être laissé à lui-même et à sa propre conscience.

John Locke, Angleterre, Lettre sur la tolérance, 1690

245 De la folie

Le Seigneur P'ang de Ts'in avait un fils qui était fort intelligent dès sa tendre enfance. Devenu adulte, il contracta une folie : entendait-il une chanson ? Il croyait ouïr une plainte. Voyait-il u n blanc ? Il le prenait pour du noir. Pour lui, le parfum avait une odeur nauséabonde ; une saveur douce lui était amère ; ce qu'il faisait de mal, il le tenait pour juste. Ciel et Terre, points cardinaux, eau et feu, froid et chaud, tout dans son jugement se trouvait inversé.

Le Seigneur Y a n g dit au père [du jeune malade] : « L ' h o m m e supérieur de Lou connaît beaucoup de métho­des. Peut-être arriverait-il à bout (de ce mal). Pourquoi ne pas le solliciter (à ce sujet) ? » Sur quoi, le père se rendit à Lou.

C o m m e il passait par Tch'en, il rencontra Lao T a n et lui conta l'état de son fils. Ce dernier dit : « C o m m e n t sais-tu que ton fils a l'esprit troublé? Tout le m o n d e aujourd'hui se leurre dans les problèmes du juste et de l'injuste, du bien et du mal. Beaucoup souffrent de m a u x semblables, aussi on ne s'en aperçoit guère. Il y a plus : quand l'esprit d'un seul h o m m e est égaré, toute la famille n'est pas pour cela troublée. Q u a n d une famille a l'esprit égaré, ou une communauté, le pays entier n'en est pas pour autant troublé. Q u a n d un pays a l'esprit égaré, le m o n d e entier n'en est pas pour autant troublé. Q u a n d le m o n d e entier est égaré, qui pourrait encore le troubler ? Maintenant, supposons que tous les h o m m e s dans le monde sentent c o m m e ton fils ; alors, le fou, c'est toi. Q u i peut établir (l'être) inconditionnel de ce

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LA TOLÉRANCE

qui est triste, gai, bruyant (ou musical), coloré, odorant, qui a du goût, qui est raisonnable et déraisonnable ?

D'ailleurs, il n'est pas encore sûr que ce queje te dis ne soit pas insensé. Q u e dire alors de l ' h o m m e supérieur de Lou, le premier des insensés ? C o m m e n t pourrait-il guérir la folie d'autrui ? T u ferais mieux d'épargner les frais de voyage et de retourner sans tarder chez toi. »

Lie-Tseu, école taoïste, ive-me s. av. J . - C , Chine, Le vrai classique du vide parfait

246

[Bayle imagine une entrevue entre un ministre païen et des Chrétiens

des premiers temps :]

Monseigneur, pardonnez-nous, s'il vous plaît, si nous vous disons que notre sainte doctrine vous a été déguisée par nos ennemis. C e n'est que par accident et avec le plus grand déplaisir du m o n d e que nous en viendrions à la violence. Nous tâcherions d'abord, par nos instructions, de persuader nos vérités. N o u s nous servirions des voies les plus douces et les plus caressantes; mais si nous avions le malheur de rencontrer des esprits malicieux et obstinés qui se raidissent contre les lumières de la vérité que nous ferions briller, alors, malgré nous mais par une charitable mordacité, nous leur ferions faire par force ce qu'ils n'avaient pas fait volontaire­ment, et nous aurions m ê m e la charité de n'exiger pas d'eux qu'ils avouassent qu'ils signent par force : ce serait un m o n u m e n t de honte pour eux, et pour leurs enfants, et pour nous aussi. N o u s les obligerions de signer qu'ils font tout cela volontairement. A u reste, Monseigneur, il ne s'ensuit pas de ce que nous avons le droit de contraindre, que vous l'ayez aussi. N o u s parlons pour la vérité : et à cause de cela, il nous est permis de faire violence aux gens. M a i s les fausses Religions ne possèdent pas ce privilège : ce qu'elles font est une cruauté barbare, ce que nous faisons est une action toute divine et toute remplie de zèle et de charité.

Pierre Bayle, 1647-1706, France

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LA VÉRITÉ EN QUESTION

247 [Hémon à Créon :]

V a , ne laisse pas régner seule en ton â m e l'idée que la vérité, c'est ce que tu dis, et rien d'autre. Les gens qui s'imaginent être seuls raisonnables et posséder des idées ou des mots inconnus à tout autre, ces gens-là, ouvre-les : tu ne trouveras en eux que le vide. Pour un h o m m e , pour un sage m ê m e , sans cesse s'instruire n 'a rien de honteux. Et pas davantage cesser de s'obstiner.

Sophocle, Grèce antique, Antigone, 441 av. J.-C.

248

Des trois formes d'action ou de vaillance qu'englobe la vertu de force : attaquer, se défendre et tolérer — c'est le fait de tolérer qui, de l'avis des meilleurs juges, appartient le plus en propre à cette vertu, parce qu'il s'agit purement d'un acte de l'esprit; or, c'est en cela que consiste l'essence de toutes les vertus, et non dans le corps, ni dans ses qualités (...) Tolérer est une force (...) Faute de pouvoir obtenir ce que nous désirons, ayons recours à la tolérance (...) Vivons et laissons vivre.

Antonio Lopez de Vega, Portugal, Paradojas racionales, 1655

249

Est-ce une nécessité aux législateurs d'être sévères? C'est une question débattue, ancienne, et très contestable, puisque de puissantes nations ont fleuri sous des lois très douces ; mais on n'a jamais mis en doute que la tolérance ne fût un devoir pour les particuliers. C'est elle qui rend la vertu aimable, qui ramène les âmes obstinées, qui apaise les ressentiments et les colères, qui, dans les villes et dans les familles, maintient l'union et la paix, et fait le plus grand charme de la vie civile. Se pardonnerait-on les uns aux autres, je ne dis pas des m œ u r s différentes, mais m ê m e des maximes opposées si on ne savait tolérer ce qui nous blesse ?

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LA T O L É R A N C E

Et qui peut être assez impudent pour croire qu'il n'a pas besoin de l'indulgence qu'il refuse aux autres ?

Vauvenargues, France, Réflexions et maximes, 1746

250

Il est dans l'ordre de la bonté, dit l'Empereur, de vouloir que l 'homme s'éclaire et que la vérité triomphe. Elle triomphera, dit Bélisaire, mais vos armes ne sont pas les siennes. N e voyez-vous pas qu'en donnant à la vérité le droit du glaive, vous le donnez à l'erreur? que pour l'exercer, il suffira d'avoir l'autorité en main? et que la persécution changera d'étendards et de victimes au gré de l'opinion du plus fort ? Ainsi Anasthase a persécuté ceux que Justinien protège, et les enfants de ceux qu'on égorgeait alors, égorgent à leur tour la postérité de leurs persécuteurs. Voilà deux Princes qui ont cru plaire à Dieu en faisant massacrer les h o m m e s ; hé bien ? lequel des deux est sûr que le sang qu'il a fait couler est agréable à l'Eternel ? Dans les espaces immenses de l'erreur, la vérité n'est qu'un point. Qui l'a saisi ce point unique? Chacun prétend que c'est lui ; mais sur quelle preuve ? Et l'évidence m ê m e le met-elle en droit d'exiger, le fer à la main, qu'un autre en soit persuadé ? La persuasion vient du ciel ou des h o m m e s . Si elle vient du ciel, elle a par elle-même un ascendant victorieux ; si elle vient des h o m m e s , elle n'a que les droits de la raison sur la raison. C h a q u e h o m m e répond de son â m e . C'est donc à lui, et à lui seul, à se décider sur un choix, d'où dépend ajamáis sa perte ou son salut. V o u s voulez m'obliger à penser c o m m e vous ? Et si vous vous trompez, voyez ce qui m ' e n coûte. V o u s - m ê m e , dont l'erreur pouvait être innocente, serez-vous innocent de m'avoir égaré ? Hélas ! à quoi pense un mortel de donner pour loi sa croyance ? Mille autres, d'aussi bonne foi, ont été séduits et trompés. Mais quand il serait infaillible, est-ce un devoir pour moi de le supposer tel ? S'il croit, parce que Dieu l'éclairé, qu'il lui demande de m'éclairer. Mais s'il croit sur la foi des h o m m e s , quel garant pour lui et pour moi ? Le seul point sur lequel tous les partis s'accordent, c'est qu'aucun

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169

LA VÉRITÉ EN QUESTION

d 'eux ne c o m p r e n d rien à ce qu'ils osent décider; et vous voulez m e faire u n crime d e douter de ce qu'ils décident ! Laissez descendre la foi d u ciel, elle fera des prosélytes ; mais avec des edits, o n ne fera jamais q u e des rebelles o u des fripons. Les braves gens seront martyrs, les lâches seront hypocrites, les fanatiques d e tous les partis seront des tigres déchaînés.

J.-F. Marmontel, France, Bélisaire, 1765

Conscience et droit

Il faut aller plus avant dans la critique. La « raison » par la force

ayant montré sa vanité, c'est au tour de la raison de prouver sa force

en « des matures où la démonstration n'a point lieu ».

Il faut, en toute forme de gouvernement qui prétend à la totalité,

séparer le temporel du spirituel avant d'en faire autant du religieux et

du culturel. Personne n'est en droit de forcer qui que ce soit d'aller au

Paradis s'il sert bien l'Etat. Transposez cet axiome au niveau de la

coexistence civile, vous aurez d'un coup la liberté de conscience et

d'égalité au moins formelle des droits civils.

Dans une telle analyse, c'est l'Etat l'accusé et non plus

l'« hérétique » : tout Gouvernement sera tenu pour « violent » qui

« prétend dominer sur les âmes » en prescrivant « à chacun ce qu 'il doit

admettre comme vrai ou rejeter comme faux ». La conscience ne peut

qu'y résister, sauf « les avides, les flatteurs et les autres pour qui le

salut suprême consiste à contempler des écus dans une cassette et à avoir

le ventre trop rempli ». De telle sorte que des lois qui y prétendent sont

moins faites « pour contenir les méchants que pour irriter les plus

honnêtes, et qu'elles ne peuvent être maintenues en conséquence sans

grand danger pour l'Etat ». Désobéir, dans ce cas, à de telles lois est

un devoir et, si l'intolérance se manifeste encore, on ne doit lui

« répondre que par l'intolérance ». Autrement, il faut tenir le pouvoir

civil loin de la religion, reconnaître à tous et à chacun la liberté de

conscience et exiger, toutes différences acceptées, les mêmes devoirs et

obligations de tous, en rendant à chacun même droit selon la même

justice. La prospérité et la paix civile sont, paradoxalement, à ce

prix.

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170

LA TOLÉRANCE

251

J'avoue que les histoires sont remplies de guerres de religion. Mais, qu'on y prenne bien garde : ce n'est point la multiplicité des religions qui a produit ces guerres, c'est l'esprit d'intolérance qui animait celle qui se croyait la dominante; c'est cet esprit de prosélytisme (...) c'est, enfin, cet esprit de vertige, dont les progrès ne peuvent être regardés que c o m m e une éclipse entière de la raison humaine.

Car enfin, quand il n'y aurait pas de l'inhumanité à affliger la conscience des autres ; quand il n'en résulterait aucun des mauvais effets qui en germent à milliers : il faudrait être fou pour s'en aviser. Celui qui veut m e faire changer de religion ne le fait sans doute que parce qu'il ne changerait pas la sienne, quand on voudrait l'y forcer : il trouve donc étrange que je ne fasse pas une chose qu'il ne ferait pas lui-même, peut-être pour l'empire du M o n d e . D e Paris, le 26 de la lune de G e m m a d i I, 1715.

Montesquieu, France, Lettres persannes, 1721

252

Mais je suis indigné c o m m e vous que la foi de chacun ne soit pas dans la plus parfaite liberté, et que l ' homme ose contrôler l'intérieur des consciences où il ne saurait pénétrer, c o m m e s'il dépendait de nous de croire ou de ne pas croire dans des matières où la démonstration n 'a point lieu, et qu'on pût jamais asservir la raison à l'autorité. Les rois de ce monde ont-ils donc quelque inspection dans l'autre, et sont-ils en droit de tourmenter leurs sujets ici-bas pour les forcer d'aller en Paradis ? N o n , tout gouvernement humain se borne par sa nature aux devoirs civils, quoi qu'en ait pu dire le sophiste Hobbes ; quand un h o m m e sert bien l'État, il ne doit compte à personne de la manière dont il sert Dieu.

J.-J. Rousseau, Genève, Lettre à Voltaire, 1756

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171

LA VÉRITÉ EN QUESTION

253

S'il était aussi facile de commander aux âmes qu'aux langues, il n 'y aurait aucun souverain qui ne régnât en sécurité et il n'y aurait pas de gouvernement violent, car chacun vivrait selon la complexion des détenteurs du pouvoir et ne jugerait que d'après leurs décrets du vrai ou du faux, du bien ou du mal, du juste ou de l'inique. Mais (...) cela ne peut être. Il ne peut se faire que l'âme d 'un h o m m e appartienne entièrement à un autre, ni être contraint d'abandonner son droit naturel ou sa faculté de faire de sa raison un libre usage et de juger de toutes choses. C e gouvernement par suite est tenu pour violent, qui prétend dominer sur les âmes, et une majesté souveraine paraît agir injustement contre ses sujets et usurper leur droit quand elle veut prescrire à chacun ce qu'il doit admettre c o m m e vrai ou rejeter c o m m e faux, et aussi quelles opinions doivent émouvoir son â m e de dévotion envers Dieu ; car ces choses sont du droit propre de chacun, un droit dont personne, le voulût-il, ne peut se dessaisir.

Spinoza, Hollande, Traité théologico-politique, 1670

254

Mais ce qui est capital et qui tranche la discussion, m ê m e si l'opinion d u magistrat est la plus importante et m ê m e si la voie qu'il m'ordonne de suivre est la vraie voie évangélique, si je n'en suis pas persuadé du fond du cœur, elle ne constituera pas pour moi la voie de m o n salut. A u c u n chemin sur lequel j'avance contre m a conscience ne m e conduira jamais au séjour des bienheureux. Je puis m'enrichir dans un métier queje déteste, je puis guérir grâce à des médicaments dans lesquels je n'ai pas confiance mais je ne puis être sauvé par une religion en qui je n'ai pas confiance, par un culte que je déteste.

L'incrédule a beau affecter un extérieur honnête, il est besoin, pour plaire à Dieu, de foi et de sincérité intérieure. (...) Quoi que l'on puisse révoquer en doute en fait de

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LA T O L É R A N C E

religion, une chose du moins est certaine, c'est qu'aucune religion queje ne crois pas être la vraie ne peut être pour moi ni vraie, ni utile.

John Locke, Angleterre, Lettre sur la tolérance, 1690

255

Les h o m m e s sont ainsi faits qu'ils ne supportent rien plus malaisément que de voir les opinions qu'ils croient vraies tenues pour criminelles, et imputé à méfait ce qui émeut leurs âmes à la piété envers Dieu et les h o m m e s ; par où il arrive qu'ils en viennent à détester les lois, à tout oser contre les magistrats, à juger non pas honteux mais très beau d'émouvoir des séditions pour une telle cause et de tenter quelle entreprise violente que ce soit. Puis donc que telle est la nature humaine, il est évident que les lois concernant les opinions menacent non les criminels, mais les h o m m e s de caractère indépendant, qu'elles sont faites moins pour contenir les méchants que pour irriter les plus honnêtes, et qu'elles ne peuvent être maintenues en conséquence sans grand danger pour l'Etat.

Spinoza, Hollande, Traité théologico-politique, 1670

256

Lorsque le zèle, mal compris, des choses divines, poussait certains sénateurs à conseiller au roi Stéphane que, à l'exemple d'autres peuples où le sang coulait à flots, entre frères, pour des divergences d'opinions religieuses, il adopte des moyens rigoureux pour amener tous à une seule et m ê m e opinion, il répondit : « C o m m e roi, je règne sur le peuple, mais pas sur les esprits. »

Felix Bentkowski, Pologne, Histoire de la littérature polonaise, 1814

257

Si donc personne ne peut renoncer à la liberté de juger et

d'opiner c o m m e il veut, et si chacun est maître de ses propres

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LA VÉRITÉ EN QUESTION

pensées par un droit supérieur de Nature, on ne pourra jamais tenter dans un Etat, sans que la tentative ait le plus malheureux succès, de faire que les h o m m e s d'opinions diverses et opposées, ne disent cependant rien que d'après la prescription du souverain; m ê m e les plus habiles, en effet, pour ne rien dire de la foule, ne savent se taire. C'est un défaut c o m m u n aux h o m m e s que de confier aux autres leurs desseins, m ê m e quand le silence est requis ; ce gouvernement donc sera le plus violent qui dénie à l'individu la liberté de dire et d'enseigner ce qu'il pense ; au contraire, un gouverne­ment est modéré quand cette liberté est accordée à l'individu.

Spinoza, Hollande, Traité théologico-politique, 1670

258

Tout jugement d'une personne privée à l'endroit d'une loi édictée en matière politique pour le bien public, ne dispense pas des obligations que cette loi impose. Mais si la loi porte en vérité sur des choses qui ne s'inscrivent pas dans les limites de l'autorité du magistrat (par exemple, l'obligation pour le peuple ou pour toute fraction du peuple d'embrasser une religion qui lui est étrangère et de se joindre au culte et aux cérémonies d'une autre église), les h o m m e s ne sont pas dans ces cas contraints à obéir à cette loi contre leur conscience. Car la société politique n'a été instituée que pour assurer à chaque h o m m e la jouissance des choses de ce m o n d e . Le soin de l'âme de chaque h o m m e et celui des choses du ciel — qui ne font pas partie du bien c o m m u n ni peuvent y être assujettis — appatient entièrement à chaque homme.

John Locke, Angleterre, Lettre sur la tolérance, 1690

259

Je conclus légitimement de tous ces principes que la première et la plus indispensable de toutes nos obligations, est celle de ne point agir contre l'inspiration de la conscience; et que

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174

LA TOLÉRANCE

toute action, qui est faite contre les lumières de la conscience, est essentiellement mauvaise; de sorte que, c o m m e la loi d'aimer Dieu ne souffre jamais de dispense, à cause que la haine de Dieu est un acte mauvais essentiellement, ainsi la loi de ne pas choquer les lumières de la conscience est telle que Dieu ne peut jamais nous en dispenser : vu que ce serait réellement nous permettre de le mépriser ou de le haïr ; acte criminel intrisece et par sa nature. Donc , il y a une loi éternelle et immuable, qui oblige l ' h o m m e , à peine du plus grand péché mortel qu'il puisse commettre, de ne rien faire au mépris et malgré le dictamen de sa conscience.

Pierre Bayle, France, Commentaire philosophique, 1686

260

L'intolérance, en plaçant la force du côté de la foi, a placé le courage du côté du doute : la fureur des croyants a exalté la vanité des incrédules et l ' h o m m e est arrivé de la sorte à se faire un mérite d 'un système qu'il eut naturellement dû considérer c o m m e un malheur. L a persécution provoque la résistance. L'autorité, menaçant une opinion quelle qu'elle soit, excite à la manifestation de cette opinion tous les esprits qui ont quelque valeur. Il y a dans l ' h o m m e un principe de révolte contre toute contrainte intellectuelle. C e principe peut aller jusqu'à la fureur ; il peut être la cause de beaucoup de crimes, mais il tient à tout ce qu'il y a de noble au fond de notre â m e .

Benjamin Constant, Suisse-France, Principes de politique, 1818

261

À travers un long processus de sécularisation (...) le fanatisme de l'incroyance reste encore sous l'influence de ses origines bibliques. Dans notre civilisation occidentale, on a pu retrouver bien souvent dans des idéologies profanes ce caractère d'absolutisme, cette haine de toute opinion diffé­rente, cette conviction agressive, cette inquisition de la pensée d'autrui, qui leur viennent toujours de la prétention

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LA VÉRITÉ EN QUESTION

qu'elles élèvent à représenter, elles seules, la Vérité. Il ne reste, dès lors, à la foi philosophique qu'à admettre l'évi­dence, si pénible qu'elle soit : devant celui qui rompt le dialogue, qui n 'admet plus la raison qu'à certaines conditions, la meilleure volonté se trouve impuissante à maintenir la communication.

Ici, je ne comprends pas qu 'on puisse rester neutre. Je le comprendrais si l'on pouvait considérer l'intolérance c o m m e un phénomène en fait inoffensif, une étrange anomalie. (...)

A l'intolérance — à elle seule — on ne peut répondre que par l'intolérance ; c'est pourquoi nous devons nous opposer à l'exclusivisme dès que nous voyons quelqu'un chercher à répandre sa foi non pas en l'offrant au jugement d'autrui, mais en cherchant à l'imposer par des lois, par une contrainte.

Karl Jaspers, Allemagne, La foi philosophique, 1954

262

U n e religion qui a pour devise : hors de m e s dogmes, point de salut, devient aisément violente et féroce par le moindre contact avec la puissance matérielle. Le glaive du pouvoir civil s'enivre, selon l'expression des prophètes ; ce glaive devient aveugle et furieux dans ses mains. Aucune loi ne peut en régler l'usage ; cet usage devient abus du premier coup parce qu'il est abus dans son principe, et l'unique m o y e n d'empêcher que la religion ne se blesse et ne blesse l'humanité avec cette dangereuse épée, c'est de ne pas la laisser un seul m o m e n t entre ses mains.

Alexandre Vinet, Suisse, Essai sur la manifestation des convictions religieuses, 1842

263

Uzbeck à Mixta a Ispahan

S'il faut raisonner sans prévention, je ne sais, Mirza, s'il n'est pas bon que dans un État il y ait plusieurs religions.

O n remarque que ceux qui vivent dans des religions

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LA TOLÉRANCE

tolérées se rendent ordinairement plus utiles à leur patrie que ceux qui vivent dans la religion dominante ; parce que, éloignés des honneurs, ne pouvant se distinguer que par leur opulence et leurs richesses, ils sont portés à en acquérir par leur travail et à embrasser les emplois de la société les plus pénibles.

D'ailleurs, c o m m e toutes les religions contiennent des préceptes utiles à la société, il est b o n qu'elles soient observées avec zèle. O r q u ' y a-t-il de plus capable d'animer ce zèle que leur multiplicité?

C e sont des rivales qui ne se pardonnent rien. L a jalousie descend jusqu'aux particuliers : chacun se tient sur ses gardes et craint de faire des choses qui déshonoreraient son parti et l'exposeraient aux mépris et aux censures impardon­nables d u parti contraire.

Aussi a-t-on toujours remarqué q u ' u n e secte nouvelle introduite dans un État était le m o y e n le plus sûr pour corriger tous les abus de l'ancienne.

O n a beau dire qu'il n'est pas de l'intérêt d u Prince de souffrir plusieurs religions dans son Etat : q u a n d toutes les sectes d u m o n d e viendraient s'y rassembler, cela ne lui porterait aucun préjudice, parce qu'il n'y en a aucune qui ne prescrive l'obéissance et ne prêche la soumission.

Montesquieu, France, Lettres persanes, 1721

L'homme et le citoyen

Cette différence reconnue et acceptée, il faut maintenant lui faire droit. Il ne suffit plus en effet de se résoudre à la non-violence pour régler des conflits réels, de mettre entre parenthèses ce qui sépare pour que l'Etat juste voie le jour ; il faut reconnaître à l'autre non seulement les mêmes obligations mais aussi les mêmes droits qu'à soi-même, puisque désormais s'il y a des sentiments religieux il n'est qu'une religion civile. Autrement la tolérance n'est qu'un leurre si elle reconnaît l'homme abstrait mais non le citoyen vivant.

Ce qui est valable au sein d'une société cléricale divisée est également vrai à l'échelle de toutes les communautés humaines et pour

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177

LA VÉRITÉ EN QUESTION

toutes les différences humaines. Si l'on reconnaît des droits pleins et égaux à l'hérétique d'hier, il faudra bien les reconnaître aux idolâtres, aux païens... Ce qu'on appelle les vices de l'Autre ne désigne en réalité que la défense d'intérêts usurpés dont on répugne au partage.

L'intolérance civile et l'intolérance religieuse sont inséparables, et c'est pourquoi il faut mettre un terme à l'une et à l'autre par un « contrat social », sans plus s'attarder à « la longue et ennuyeuse dispute sur toute la controverse qui divise les religions ».

Sur ce moment décisif du combat de la tolérance, quatre textes capitaux, l'Equitis Poloni de Szlichtyng, le Voltaire du Diction­naire philosophique, Locke et sa Lettre sur la tolérance, le Rousseau enfin du Contrat social. A l'exemple de tant d'autres, laissons-les germer sans oublier que si Athènes a les suffrages de tous les historiens, d'autres peuples existent, tenant un autre langage dans la phrase de l'Histoire.

264

Par conséquent, si nous voulons que l'inhumanité face place à l'humanité, nous devons rechercher inlassablement les m o y e n s d'atteindre ce but. Ces m o y e n s sont au n o m b r e de trois : Premièrement, les h o m m e s doivent cesser de trop se fier à leurs sens et, tenant compte de la c o m m u n e fragilité humaine , reconnaître qu'il est indigne d 'eux de s'accabler mutuellement de haine pour des raisons futiles ; ils devront, de façon générale, se pardonner les querelles, torts et griefs passés. N o u s appellerons cela effacer le passé. Deuxièmement, personne ne doit imposer ses principes (philosophiques, théologiques o u politiques) à qui que ce soit; au contraire, chacun doit permettre à tous les autres de faire valoir leurs opinions et de jouir en paix de ce qui leur appartient. N o u s appellerons cela la tolérance mutuelle. Troisièmement, tous les h o m m e s devront essayer, d ' u n c o m m u n effort, de trouver ce qu'il y a de mieux à faire et, pour y parvenir, de conjuguer leurs réflexions, leurs aspirations et leurs actions. C'est ce que nous appellerons la conciliation.

Jean A m o s Comenius, écrivain tchèque, 1592-1670, D e rerum humanarum emendatione consultatio catholica

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178

LA TOLÉRANCE

265

C'est un signe très certain de bassesse d'esprit que de parler mal et avec partialité de son adversaire ou des ennemis de son prince ou des adeptes d'une secte particulière ou des étrangers qu'ils soient Juifs, Maures, Gentils, Chrétiens, car (...) il y a partout d u bien et du mal. Il suffit d'écouter les propos qu 'un h o m m e tient sur les pays où il a voyagé, car, s'il condamne entièrement les pays étrangers et loue entière­ment le sien, cet h o m m e est partial ou inattentif ou mal considéré ou sot ou insensé ; un tel état d'esprit ne permet pas de faire preuve de discernement ni de se conduire avec sagesse en quoi que ce soit (...) Tous les h o m m e s de bien, qu'ils soient Juifs, Maures, Gentils, Chrétiens ou de toute autre secte, sont d'une m ê m e terre, d'une m ê m e maison et d'un m ê m e sang.

Furio Ceriol, Espagne, Consejo y consejeros del principe, 1556

266

Je ne suis pas de ceux qui sont fanatisés par leur pays ou encore par une nation particulière ; mais je vais pour le service du genre humain tout entier; car je considère le Ciel c o m m e la Patrie et tous les h o m m e s de bonne volonté c o m m e les concitoyens en ce Ciel; et j'aime mieux accomplir beaucoup de bien parmi les Russes que peu parmi les Allemands et autres Européens (...) Car m o n inclination et m o n goût vont au bien général.

Leibniz, Allemagne, Lettre à Pierre Ier, 16 janvier 1716

267

Être hérétique n'est point un délit politique mais ecclé­siastique et, partant, sujet aux peines de l'Eglise et non pas aux punitions civiles. Car Église et Etat sont bien dis­tincts l'un de l'autre et ne sauraient être confondus sans engendrer des perturbations en toutes choses ; les fléaux atroces, les guerres, les tristes exemples d'églises et d'États

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179

LA VÉRITÉ EN QUESTION

renversés simultanément en sont un témoignage. L'Eglise ne reçoit en son sein que ceux qui se conforment aux préceptes de piété prescrits par le Christ; ceux-là seuls qui ne s'écarteront point du modèle seront défendus et protégés ; l'État admet et assiste les h o m m e s de tous genres et religions : m ê m e les idolâtres, m ê m e les païens, m ê m e les hérétiques, m ê m e les apostats ; aussi les États deviennent-ils florissants par la multitude de la population et l'entente entre les citoyens, pour lesquels « il n'est point de différence entre un Troyen et un Rutule ». Pourvu que tous vivent dans la paix et la fidélité à l'Etat lequel, au milieu de tant d'inégalités, accorde son aide d'une manière égale à tous.

Jonas Szlichtyng, Pologne, Equitis Poloni, Apologia pro veritate accusata, 1654

268 Article « Tolérance »

L a discorde est le grand mal du genre humain, et la tolérance

en est le seul remède. Il n 'y a personne qui ne convienne de cette vérité, soit

qu'il médite de sang-froid dans son cabinet, soit qu'il examine paisiblement la vérité avec ses amis. Pourquoi donc les m ê m e s h o m m e s qui admettent en particulier l'indul­gence, la bienfaisance, la justice, s'élèvent-ils en public avec tant de fureur contre ces vertus? Pourquoi? C'est que leur intérêt est leur dieu, c'est qu'ils sacrifient tout à ce monstre qu'ils adorent.

Voltaire, France, Dictionnaire philosophique, 1764

269

Qu'est-ce que la philosophie pourrait dire de la religion ou d'elle-même, qui fût pire et plus frivole que ce que vos hurlements journalistiques lui ont imputé depuis longtemps ? Elle n 'a qu 'à répéter ce que vous avez prêché qu'elle était, au cours de mille et mille controverses, capucins non-philosophes que vous êtes, et elle aura dit le pire.

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180

LA T O L É R A N C E

Mais la philosophie parle des sujets religieux et philoso­phiques autrement que vous n 'en avez parlé. V o u s parlez sans avoir étudié, elle parle après avoir étudié ; vous vous adressez à la passion, elle s'adresse à l'intelligence ; vous injuriez, elle enseigne ; vous promettez le ciel et la terre, elle ne promet rien que la vérité ; vous exigez qu 'on ait foi en votre foi, elle n'exige pas q u ' o n croie à ses résultats ; elle exige l 'examen par le doute; vous épouvantez, elle apaise.

Karl Marx , editorial de la « Kölnische Zeitung », 1842

270

Supprimez l'injuste distribution des droits, changez les lois, supprimez la peine de la torture, et tout reviendra en sécurité et en sûreté ; ceux qui ont une religion différente de celle d u magistrat estimeront d'autant plus qu'ils doivent contribuer à la paix dans l'Etat q u ' o n découvrira que leur condition est meilleure que partout ailleurs : toutes les églises particulières en désaccord entre elles seront c o m m e les gardiens de la paix publique, elles surveilleront avec sévérité leurs m œ u r s réciproques, afin qu 'aucune révolte ne soit déclenchée, ou que quelque forme d u gouvernement ne soit changée ; leurs m e m b r e s peuvent espérer mieux qu'ils ne possèdent déjà, c'est-à-dire u n sort égal à celui des autres citoyens sous une autorité souveraine juste et modérée. Q u e si l'église à laquelle appartient le souverain est le plus ferme soutien d u gouvernement civil, et cela pour la seule raison (...) q u e le magistrat lui est propice et les lois favorables, combien plus sûr encore serait l'Etat, combien plus nombreux seront ses gardiens, lorsque tous les bons citoyens, à quelque église qu'ils appartiennent jouiront de la m ê m e bienveillance d u souverain, de la m ê m e équité des lois, sans qu'il soit fait aucune distinction de religion. L a sévérité des lois ne serait plus à craindre que pour les criminels et pour ceux qui s'attaquent à la paix civile.

(...) C'est pourquoi la paix, l'équité et l'amitié doivent être

toujours cultivées sans privilège et dans un esprit d'égalité,

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181

LA VÉRITÉ EN QUESTION

entre les diverses églises, tout c o m m e entre de simples particuliers.

Pour rendre la chose plus claire par un exemple, supposons qu'il y ait à Constantinople deux églises, celle des Remontrants et celle des Anti-Remontrants. Dira-t-on que l'une des deux a le droit de punir les membres de l'église dissidente (dissidente, parce qu'elle difiere, en fait, de dogmes ou de rites), de les dépouiller de leur liberté ou de leurs biens, ce que nous voyons faire ailleurs, ou de les punir de l'exil ou de la peine capitale? (...) Si l'une de ces églises a vraiment le pouvoir de persécuter l'autre, je demanderai alors : laquelle des deux, et de quel droit ? O n répondra sans aucun doute : l'orthodoxe, qui agira contre celle qui se trompe, c'est-à-dire contre l'hérétique. C'est user de grands mots spécieux pour ne rien dire. N'importe quelle église est orthodoxe pour elle-même, dans l'erreur ou dans l'hérésie pour les autres ; chacune croit que ce qu'elle croit est vrai et condamne c o m m e une erreur ce qui en diffère. C'est pourquoi lorsqu'il s'agit de la vérité des dogmes ou de la rectitude d u culte, la dispute est égale de part et d'autre et aucune sentence ne peut être rendue par aucun juge, ni à Constantinople, ni dans la terre entière. L a décision sur une telle question appartient uniquement au juge suprême de tous les h o m m e s , et à lui seul il appartient de châtier ceux qui sont dans l'erreur.

John Locke, Angleterre, Lettre sur la tolérance, 1690

271

L a vraie tolérance est souvent pénible : permettre à des idées qui nous paraissent pernicieuses de s'exprimer et de se répandre ; voir son adversaire poursuivre son chemin sans rencontrer d'obstacle, cela est difficile et décourageant. L'indifférence n'est que de la fausse tolérance et elle est caractéristique des époques qui n'ont ni une philosophie bien claire de la vie ni des bases solides à leur tradition morale.

Sir Richard Winn Livingstone, Royaume-Uni, Tolerance in theory and practice, 1954

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182

LA TOLÉRANCE

272

L a liberté de conscience est un droit naturel ; et celui qui veut l'avoir doit l'accorder à son prochain.

Oliver Cromwell, Angleterre, Discours au Parlement, 1654

273 Discours prononcé lors de la seconde lecture d'une loi sur l'amélioration

de la condition légale des dissidents protestants.

Je défendrai à tout instant les droits de la conscience, en tant que telle, et non dans ses aspects particuliers contre les principes généraux. L ' u n peut avoir raison, l'autre se tromper;' mais si j'ai plus de force que m o n frère, je l'emploierai pour l'aider et non pour l'opprimer dans sa faiblesse; si j'ai plus de lumière, elle m e servira pour le guider et non pour l'éblouir.

E d m u n d Burke, Grande-Bretagne, 1773

274

O u i , il est vrai que nous voulons que la manifestation des convictions religieuses soit protégée, mais protégée c o m m e le droit de tous, et par conséquent sans distinction de croyan­ces. N o u s ne voulons pas qu 'une croyance particulière soit protégée, ni, en général, ceux qui croient quelque chose à l'exclusion de ceux qui ne croient rien. N o u s ne voulons pas qu 'on protège, par la raison m ê m e que nous ne voulons pas qu 'on persécute. C a r du droit de protéger découle irrésisti­blement le droit de persécuter. O n essaie de limiter ce droit ; on veut l'arrêter tout court au point où la protection finit ; on lui interdit de passer plus avant : mais la limite est arbitraire, et il est impossible de concevoir, en bonne logique, c o m m e n t on pourrait dénier à la société le droit de persécuter, après lui avoir reconnu celui de protéger.

Alexandre Vinet, Suisse, Essai sur la manifestation des convictions religieuses, 1842

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183

LA VÉRITÉ EN ßUESTION

275

L a libre communication des idées est essentielle à la vie sociale. L ' h o m m e qui ment ou qui trompe, trahit la société ; celui qui lui refuse ses talents et les vérités qui lui sont nécessaires, est u n m e m b r e inutile ; celui qui met obstacle à la communication des idées est un ennemi piiblic, un violateur impie de l'ordre social, un tyran qui s'oppose au bonheur des humains. (...)

La tolérance universelle, la liberté d'écrire et de penser sont les remèdes infaillibles qu 'un souverain éclairé peut apporter aux préjugés de ses peuples (...) Il n'y a que la liberté de penser, de parler et d'écrire qui puisse éclairer les nations, les guérir de leurs préjugés, faire disparaître leurs abus, réformer leurs moeurs, perfectionner leurs gouverne­ments, assurer les empires, faire fleurir les sciences, porter les h o m m e s à la vertu.

Paul Henri d'Holbach, 1723-1789, France, Essai sur les préjugés

276

Mais (...) revenons au droit et fixons les principes sur ce point important. Le droit que le pacte social donne au Souverain sur les sujets ne passe point, c o m m e je l'ai dit, les bornes de l'utilité publique. Les sujets ne doivent donc compte au Souverain de leurs opinions qu'autant que ces opinions importent à la communauté . O r , il importe bien à l'État que chaque Citoyen ait une Religion qui lui fasse aimer ses devoirs ; mais les dogmes de cette Religion n'intéressent ni l'Etat ni ses membres qu'autant que ces dogmes se rapportent à la morale et aux devoirs que celui qui la professe est tenu de remplir envers autrui. Chacun peut avoir au surplus telles opinions qu'il lui plaît sans qu'il appartienne au Souverain d'en connaître : car c o m m e il n'a point de compétence dans l'autre m o n d e , quel que soit le sort des sujets dans la vie à venir ce n'est pas son affaire, pourvu qu'ils soient bons citoyens dans celle-ci. (...)

Les dogmes de la Religion civile doivent être simples, en

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184

LA TOLÉRANCE

petit nombre, énoncés avec précision sans explications ni commentaires. L'existence de la Divinité puissante, intelli­gente, bienfaisante, prévoyante et pourvoyante, la vie à venir, le bonheur des justes, le châtiment des méchants, la sainteté du Contrat social et des Lois : voilà les dogmes positifs. Quant aux dogmes négatifs, je les borne à un seul, c'est l'intolérance : elle rentre dans les cultes que nous avons exclus.

Ceux qui distinguent l'intolérance civile et l'intolérance théologique se trompent, à m o n avis. Ces deux intolérances sont inséparables. Il est impossible de vivre en paix avec des gens qu'on croit damnés ; les aimer serait haïr Dieu qui les punit; il faut absolument qu 'on les ramène ou qu 'on les tourmente. Partout où l'intolérance théologique est admise, il est impossible qu'elle n'ait pas quelque effet civil; et sitôt qu'elle en a, le Souverain n'est plus Souverain, m ê m e au temporel : dès lors les Prêtres sont les vrais maîtres, les Rois ne sont que leurs officiers.

Maintenant qu'il n'y a plus et qu'il ne peut plus y avoir de Religion nationale exclusive, on doit tolérer toutes celles qui tolèrent les autres, autant que leurs dogmes n'ont rien de contraire aux devoirs du Citoyen. Mais quiconque ose dire, hors de l'Eglise, point de salut, doit être chassé de l'État; à moins que l'Etat ne soit l'Église et que le Prince ne soit le Pontife.

J.-J. Rousseau, Genève, D u contrat social, 1762

277

(...) Il apparaît maintenant que ce titre — calife du Prophète de Dieu — entouré de toutes les considérations que nous avons dites, c o m m e de celles que nous avons tues, a constitué l'une des causes de l'erreur dans laquelle est tombé le c o m m u n des Musulmans , en imaginant que le califat était une fonction religieuse, et que celui qui était investi du pouvoir sur les Musulmans occupait parmi eux la place qui était celle du Prophète de Dieu (...)

Tout cela a provoqué l'extinction des facultés de recher­che et de la spéculation intellectuelle chez les Musu lmans ,

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185

LA VÉRITÉ EN QUESTION

qui furent atteints de paralysie en matière de philosophie politique et en tout ce qui touchait au califat et aux califes.

E n réalité, la religion islamique est innocente de cet abus de la notion de califat, telle que l'entendent les Musu lmans , avec son aura d'ambition, de crainte, de splendeur et de force. Le califat ne ressortit aucunement aux projets divins, pas plus d'ailleurs que la justice et les autres fonctions de gouvernement et postes de l'État. Il s'agit là de projets politiques spécifiques, dont la religion n'a pas à connaître, qu'elle n 'a pas reconnus, niés, prescrits ni prohibés, nous laissant recourir aux jugements de la raison, aux expériences des nations et aux règles de la politique.

'Alf'Abd al-Râzeq, Egypte, L'Islam et les principes de gouvernement, 1925

278

Nous s o m m e s entrés dans cette longue et très difficile question des droits de la conscience, pour ôter aux persécu­teurs le retranchement où ils se retirent quand on leur demande s'ils trouveroient bon que les autres les persécutas­sent. Ils répondent que ce seroit fort mal fait, puisqu'ils enseignent la vérité ; mais qu 'à cause de cela m ê m e , il leur doit être permis de contraindre et de vexer les Hérétiques. Il a fallu chercher les fondemens les plus profonds de la fausseté de cette réponse (...) L a conclusion que nous en tirons est que, s'il étoit vrai que Dieu eut c o m m a n d é aux Sectateurs de la vérité de persécuter les Sectateurs du mensonge, ceux-ci, apprenant cet ordre, non seulement seroient obligés de persécuter les Sectateurs de la vérité, mais m ê m e feroient fort mal de ne les persécuter pas, et seroient disculpés devant Dieu pourvu que l'ignorance où ils seroient ne fût pas affectée et malicieuse.

Cela montre manifestement que la doctrine des persécu­teurs (...) ouvre la porte à mille combustions furieuses, dans lesquelles le parti de la vérité soufTriroit le plus ; et cela, sans pouvoir se plaindre légitimement.

Pierre Bayle, 1647-1706, France

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186

LA TOLÉRANCE

Asie : la voie chinoise

En guise de conclusion, mais aussi de dépassement de cette séquence de la raison combattante, voici ce groupe elliptique de textes à travers lesquels l'universel authentique investit tous les particularismes. Une de leurs moindres qualités n'est pas d'accuser les deux lignes de force majeures que tente de dégager ce livre : d'une part la prétention insoutenable à tirer argument d'une vision de l'homme dont l'universa­lité n'est pas partout évidente pour chercher à l'imposer aux autres, au besoin par la force ; la nécessité d'autre part du dialogue avec tous ceux dont on se sent différent (autres civilisations, autres croyances, minorités...) selon un langage laie et univoque, à la recherche d'une compréhension mutuelle et d'une coexistence excluant tout prosélytisme.

Au sein d'une communauté nationale comme entre communautés étrangères, l'essentiel est de comprendre ces différences et de les accepter comme telles, sans plus en faire des obstacles déterminants à une politique de coexistence solidaire.

Indifférent en apparence à l'exigence politique de coexistence et aux confits de croyances, l'hymne indien continue quant à lui de chanter un Dieu multiple et un sur lequel le temps n'a pas de prise. L'ordre parfait, l'ordre musical, réapparaît, encore une fois, comme postula­tion ultime de l'humain.

279

Jamais les inimitiés ne sont apaisées par l'inimitié, mais elles sont apaisées par la non-inimitié. Ceci est la loi éternelle.

Dhammapada (axiomes bouddhiques), Traduit du pâli

280 Disputes sur les cérémonies chinoises

[Maigrot,] évêque français d e la C h i n e , déclara n o n seule­m e n t les rites observés p o u r les morts superstitieux et idolâtres, ma i s il déclara les lettrés athées : c'était le sentiment d e tous les rigoristes d e France . C e s m ê m e s h o m m e s qui se sont tant récriés contre Bayle , qui l'ont tant b lâmé d'avoir dit q u ' u n e société d'athées pouvait subsister,

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187

LA VÉRITÉ EN QUESTION

qui ont tant écrit qu 'un tel établissement est impossible, soutenaient froidement que cet établissement florissait à la Chine dans le plus sage des gouvernements. Les Jésuites eurent alors à combattre les missionnaires, leurs confrères, plus que les mandarins et le peuple. Ils représentèrent à R o m e qu'il paraissait assez incompatible que les Chinois fussent à la fois athées et idolâtres. O n reprochait aux lettrés de n'admettre que la matière : en ce cas, il était difficile qu'ils invoquassent les âmes de leurs pères et celle de Confutzée. U n de ces reproches semble détruire l'autre, à moins qu 'on ne prétende qu 'à la Chine on admet le contradictoire, c o m m e il arrive souvent parmi nous ; mais il fallait être bien au fait de leur langue et de leurs m œ u r s pour démêler ce contradic­toire. Le procès de l'empire de la Chine dura longtemps en cour de R o m e ; cependant on attaqua les Jésuites de tous côtés.

U n de leurs savants missionnaires, le P . Lecomte, avait écrit dans ses Mémoires de la Chine que « ce peuple a conservé pendant deux mille ans la connaissance du vrai Dieu ; qu'il a sacrifié au Créateur dans le plus ancien temple de l'univers ; que la Chine a pratiqué les plus pures leçons de la morale tandis que l'Europe était dans l'erreur et dans la corruption ».

(...)

L 'Empereur Kang-hi reçut d'abord le patriarche de Tournon avec beaucoup de bonté. Mais on peut juger quelle fut sa surprise quand les interprètes de ce légat lui apprirent que les Chrétiens qui prêchaient leur religion dans son empire ne s'accordaient point entre eux, et que ce légat venait pour terminer une querelle dont la cour de Pékin n'avait jamais entendu parler. Le légat lui fit entendre que tous les missionnaires, excepté les Jésuites, condamnaient les anciens usages de l'empire, et qu 'on soupçonnait m ê m e Sa Majesté chinoise et les lettrés d'être des athées qui n 'admet­taient que le ciel matériel. Il ajouta qu'il y avait u n savant évêque de C o n o n qui expliquerait tout cela si Sa Majesté daignait l'entendre. L a surprise du monarque redoubla en apprenant qu'il y avait des évêques dans son empire. Mais

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188

LA TOLÉRANCE

celle du lecteur ne doit pas être moindre en voyant que ce prince indulgent poussa la bonté jusqu'à permettre à l'évêque de Conon de venir lui parler contre la religion, contre les usages de son pays, et contre lui-même. L'évêque de Conon fut admis à son audience. Il savait très peu de chinois. L'Empereur lui demanda d'abord l'explication de quatre caractères peints en or au-dessus de son trône. Maigrot n'en put lire que deux ; mais il soutint que les mots king-tien que l'Empereur avait écrits lui-même sur des tablettes, ne signifiaient pas adorez le Seigneur du Ciel.

L'Empereur eut la patience de lui expliquer par interprètes que c'était précisément le sens de ces mots. Il daigna entrer dans un long examen. Il justifia les honneurs qu 'on rendait aux morts. L'évêque fut inflexible. O n peut croire que les Jésuites avaient plus de crédit à la cour que lui. L'Empereur, qui par les lois pouvait le faire punir de mort, se contenta de le bannir. Il ordonna que tous les Européens qui voudraient rester dans le sein de l'empire viendraient désormais prendre de lui des lettres patentes et subir un examen.

Pour le légat de Tournon, il eut ordre de sortir de la capitale. Dès qu'il fut à Nankin, il y donna un mandement qui condamnait absolument les rites de la Chine à l'égard des morts, et qui défendait qu 'on se servît du m o t dont s'était servi l'Empereur pour signifier le Dieu du ciel.

Voltaire, France, Le siècle de Louis X I V , 1751

281 [L'Empereur Yong-tcheng aux missionnaires jésuites :]

Vous dites que votre loi est une loi de vérité, je le crois ; si je pensais qu'elle fût fausse, qui m'empêcherait de détruire vos églises et vous en chasser? Les lois fausses sont celles qui sous prétexte de porter à la vertu, soufflent l'esprit de révolte (...) Mais que diriez-vous si j'envoyais une troupe de bonzes et de lamas dans votre pays pour y prêcher leur loi? C o m m e n t les recevriez-vous ? Vous voulez que tous les Chinois se fassent Chrétiens ; votre loi le demande , je le sais bien; mais en ce cas-là, que deviendraient les sujets de vos

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LA VÉRITÉ EN QUESTION

rois? Les Chrétiens que vous faites ne reconnaissent que vous ; dans un temps de trouble, ils n'écouteraient point d'autre voix que la vôtre. Je sais bien qu'actuellement, il n 'y a rien à craindre, mais quand les vaisseaux viendront par mille, en grand n o m b r e , alors il pourrait y avoir d u désastre.

Yong-tcheng, 1677-1736, Chine, troisième Empereur de la dynastie mandchoue Ts'ing

282

[La Bulle E x ilia die du pape Clément XI, ordonnant aux Chrétiens

de ne plus rendre à Confucius ni aux ancêtres les honneurs

traditionnels, parvient à l'Empereur K'ang-hi qui annote :]

Ayant lu cette bulle, je m e permets de demander c o m m e n t ces missionnaires incultes sont capables de traiter de la haute pensée chinoise? (...) Je reconnais maintenant que la bulle du pape n'apporte rien de nouveau et que la religion chrétienne n'est pas meilleure que l'idolâtrie et que les religions inférieures des bouddhistes et taoïstes. C'est un non-sens absolu, inouï. Dorénavant, j'interdis aux mission­naires de propager leur religion en Chine, afin d'éviter des troubles.

K'ang-hi, 1662-1722, Chine, deuxième Empereur de la dynastie mandchoue Ts'ing

283 [L'Empereur K'ieng-long, par un édit du 10 novembre 1785, libère

tous les missionnaires européens qu'il avait fait emprisonner pour s'être

introduits clandestinement en Chine :]

O n les a c o n d a m n é s seulement à une prison perpétuelle, parce qu 'on a reconnu que ces criminels n'avaient point eu d'autres intentions que de prêcher la religion, et qu'ils n'étaient coupables d'autre crime (...) Quoique, suivant les lois, ils eussent mérité les peines des criminels, cependant, moi , Empereur , ayant compassion de leur ignorance, j'ai voulu les réprimer par la prison.

Maintenant, voyant tous ces criminels, q u ' o n a reconnu

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190

LA T O L É R A N C E

être étrangers et ignorant nos lois, assujettis à l'arrêt d'une prison perpétuelle, je m e sens touché de compassion. C'est pourquoi, accordant une nouvelle grâce à Jean de Sassari et aux autres criminels, ses confrères au n o m b r e de douze, j'ordonne qu'ils soient mis en liberté. Si quelques-uns d'eux veulent rester à Pékin, je permets qu'on les conduise incessamment dans les églises, et qu'ils y exercent tranquille­ment leurs fonctions. S'ils veulent retourner en Europe, il faut le notifier au tribunal qui désignera un mandarin pour les conduire à Canton. Je veux bien accorder cette grâce qui est au-dessus des lois, pour manifester m a clémence envers les étrangers des pays éloignés.

Edit de l'Empereur K'ien-long, Chine, 1785

284

Des Européens, attirés par le désir de profiter des sages institutions de nos souverains, ont entrepris une traversée de plusieurs fois dix mille stades pour venir ici. Ils ont corrigé et perfectionné les règles du calcul du temps. E n temps de guerre ils ont fabriqué des canons et d'autres armes. Députés auprès des Russes, ils ont montré un dévouement sincère et sont parvenus à faire un traité de paix.

Leurs travaux et leurs ouvriers sont très nombreux. Dans les provinces où ils résident, ils ne font aucun mal , ne causent aucun trouble nulle part. Ils ne séduisent pas la multitude par de fausses doctrines, ne suscitent d'affaires sous aucun prétexte. D a n s les pagodes des lamas et des autres bonzes de Bouddha, des prêtres taoïstes, il est permis de brûler des parfums et de faire d'autres cérémonies. Les Européens n'étant coupables d'aucune infraction aux lois, il ne semble pas juste d'interdire leur religion.

Il convient de laisser subsister, c o m m e autrefois, toutes les églises des Chrétiens, de laisser libres, c o m m e d'ordi­naire, toutes les personnes qui vont y porter des parfums ou d'autres offrandes ; il ne faut pas les en empêcher. Q u a n d le décret aura paru, il sera bon de l'envoyer à tous les gouverneurs de province.

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LA VÉRITÉ EN QUESTION

Approuvé par K'ang-hi,' le V e jour de la IIe Lune de la X X X F année de K'ang-hi.

Edit de l'Empereur K'ang-hi, Chine, 1692

285

Les grands ministres de la maison royale de Ts'in dirent tous au roi de Ts'in : « Les h o m m e s (des pays) des seigneurs féodaux qui viennent servir Ts'in1, la plupart ne fait qu'espionner à Ts'in au profit de leurs maîtres. Nous prions que d'un seul coup on expulse tous les étrangers. » Li Sseu, d'après la délibération, devait lui aussi être parmi les expulsés. Alors Sseu présenta au roi un mémoire disant : «J'ai entendu que les fonctionnaires opinaient pour l'expul­sion des étrangers. Je considère que ce serait une faute. (...)

Actuellement Votre Majesté fait venir le jade du m o n t K o u e n , elle possède les trésors de Souei et de H o , elle porte des perles brillantes c o m m e la lune, elle ceint l'épée T'aingo, elle monte des chevaux Sien-li, elle plante des bannières (ornées d'images) de phénix verdâtres, elle pose des tam­bours en peau de crocodile surnaturel. Parmi tous ces trésors, Ts'in n'en produit pas un seul. Pourquoi alors Votre Majesté les aime-t-elle? (...)

« Actuellement, dans le choix des personnes, il n'en est pas ainsi. O n ne d e m a n d e pas si ces h o m m e s conviennent ou non, on ne discute pas s'ils ont raison ou tort, ceux qui ne sont pas de Ts'in sont chassés, ceux qui sont étrangers sont exilés. S'il en est ainsi, alors ce que vous estimez, ce sont les couleurs, la musique, les perles et le jade, et ce que vous mésestimez, c'est le peuple. C e n'est pas là une doctrine par laquelle on a à ses pieds l'intérieur des mers et par laquelle on gouverne les seigneurs féodaux.

(...)

1. A cette époque et en général pendant tout le temps de la féodalité, très souvent les hommes de talent quittaient leur pays pour servir un prince étranger et parfois m ê m e plusieurs.

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LA T O L É R A N C E

« O r maintenant on repousse le peuple pour grossir les pays ennemis, on renvoie les hôtes étrangers pour servir les seigneurs féodaux, on fait que les lettrés de tout l'empire reculent et n'osent pas se diriger à l'ouest, qu'ils arrêtent leurs pas sans entrer à Ts'in. C'est ce qu 'on appelle four­nir d'armes les brigands et donner des provisions aux voleurs.

« O r , parmi les choses, il y en a beaucoup qui sans provenir de Ts'in peuvent être considérées c o m m e précieu­ses, et les lettrés qui sans provenir de Ts'in veulent lui être fidèles sont nombreux. Si actuellement on exile les étrangers pour grossir les pays ennemis, si on diminue le peuple pour augmenter les adversaires, alors à l'intérieur on se sera dépeuplé soi-même et à l'extérieur on aura implanté un ressentiment chez les seigneurs féodaux. (...) »

Le roi Ts'in supprima alors le décret d'expulsion contre les étrangers et rendit à Li Sseu ses charges.

Lie-Tseu, Chine, Mémoire au roi Che-houang blâmant l'expulsion des étrangers, 273 av. J.-C.

K'i-yin et ses collègues Nous ayant, ci-devant, adressé une pétition dans laquelle ils demandaient que ceux qui profes­sent la religion chrétienne dans un but vertueux fussent exempts de culpabilité, qu'ils puissent construire des lieux d'adoration, s'y rassembler, vénérer la croix et les images, réciter des prières et faire des prédications, sans éprouver en tout cela le moindre obstacle, Nous avons donné notre adhésion impériale à ces divers points pour toute l'étendue de l'Empire.

La religion du Seigneur du Ciel, en effet, ayant pour objet essentiel d'engager les h o m m e s à la vertu, n'a absolument rien de c o m m u n avec les sectes illicites, quelles qu'elles soient. Aussi avons-nous accordé, dans le temps, qu'elle fût exempte de toute prohibition, et devons-Nous également faire en sa faveur toutes les concessions que l'on sollicite maintenant. Savoir :

Q u e toutes les églises chrétiennes, qui ont été construites sous le règne de K'ang-hi, dans les différentes provinces de

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193

LA VÉRITÉ EN QUESTION

l'Empire, et qui existent encore, leur destination primitive étant prouvée, soient rendues aux Chrétiens des localités respectives où elles se trouvent, à l'exception cependant de celles qui auraient été converties en pagodes et en maisons particulières.

Et s'il arrive, dans les différentes provinces, qu'après la réception de cet édit, les autorités locales exercent des poursuites contre ceux qui professent vraiment la religion chrétienne sans commettre aucun crime, on devra infliger à ces autorités le châtiment que méritera leur coupable conduite.

Mais ceux qui se couvriront du masque de la religion pour faire le mal, ceux qui convoqueront les habitants des districts éloignés pour former des assemblées subversives, c o m m e aussi les malfaiteurs membres d'autres religions qui, empruntant faussement le n o m de Chrétiens, s'en serviront dans le but de désordre, tous ces gens-là, coupables d'actions perverses et, par cela m ê m e , infracteurs des lois, devront être rangés parmi les criminels et punis suivant les lois de l'Empire.

Il faut ajouter aussi qu'il n'est en aucune façon permis aux étrangers de pénétrer dans l'intérieur du pays pour y prêcher la religion, car les réserves faites à cet égard doivent demeurer clairement établies.

Portez ceci à la connaissance de qui de droit.

Respectez ceci. X X V e Jour de la Première Lune de la X X V I e année de

Tao-kouang. Edit sacré de l'Empereur Tao-kouang, 20 février 1846, Chine

287

Je voudrais vous parler encore un peu de la tolérance. Peut-être m e comprendrez-vous mieux si je vous raconte quel­ques-unes des expériences que j'ai eues. A Phoenix1,

1. Communauté fondée par Gandhi en Afrique du Sud en 1904.

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LA T O L E R A N C E

nous faisions nos prières quotidiennes c o m m e à Sabarmati1, et des musulmans c o m m e des Chrétiens y venaient avec les Hindous. Feu Sheth Rustomji2 et ses enfants y venaient aussi. Rustomji Sheth aimait beaucoup le cantique gujarati Mane vhalun, « cher, deux fois cher m'est le n o m de Räma ». Si m a mémoire ne m e trompe pas, un jour que Maganlal ou Kashi dirigeait ce cantique, que nous chantions tous, Rustomji Sheth s'écria joyeusement : « Mettez le n o m d ' O r m u z d 3 au lieu de celui de R a m a ! » Il fut aussitôt accédé à son désir. A partir de ce jour, quand le Sheth était présent, et parfois m ê m e quand il n'était pas là, on remplaçait le n o m de R â m a par celui d ' O r m u z d (...)

Joseph Royeppen4 venait souvent à Phoenix. C'était un Chrétien et son cantique favori était Vaishnava jana (celui qui secourt son prochain dans l'affliction est un vaishnava, un serviteur du seigneur). Il aimait beaucoup la musique et un jour qu'il chantait ce cantique, il y remplaça le mot vaishnava

par chrétien. Les autres acceptèrent aussitôt cette nouvelle version et je vis que le coeur de Joseph en était rempli de joie.

Mahatma Gandhi, 1869-1948, Inde, Lettres à l'Ashram

1. Le village où se trouvait le Satyâgrahâshram, auquel ces lettres sont adressées. Il est près d'Ahmedabad. 2. Commerçant parsi qui habitait l'Afrique du Sud et y devint un fervent admirateur de Gandhi. Il prit une part active au mouvement satyhgraha en Afrique du Sud. 3. Ormuzd est le nom que les parsis donnent au principe divin. 4. Chrétien de Madras qui se trouvait en Afrique du Sud avec Gandhi.

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La tolérance : concept figé

ou notion dynamique ?

Le mythe hindou se boucle, comme une phrase de l'histoire humaine qui en appelle d'autres. La victoire solitaire du Bodhisatta, pas son martyre et sa mort même, est scellée à la faveur de l'intervention d'un d e u s ex m a c h i n a , force justiciare à la fois transcendante et immanente.

Qu'en retenir au seuil de cette dernière séquence? Une certitude conquise dans la lutte et la souffrance : le triomphe de la conscience des hommes est d'autant plus écrasant que l'on aura cherché à en contester le primat et la détermination. A la limite, c'est au plus fort de l'agression subie qu'elle relève, mesure et gagne le défi de la violence et de l'oppression.

Nous sommes id au point de retournement dialectique de la relation intolérance-tolérance qui est la visée de ce livre. Nous avons vu s'opposer puis s'affronter force et conscience, force et raison pure : la force désormais va devoir se médiatiser et la raison se faire force dialectique vers l'édification originale — dans le concret et non plus dans le rêve — d'un monde d'hommes — mais de tous les hommes — juste, et où le concept même de tolérance n'est plus qu'un anachronisme.

Dans ce moment de bascule où tant de fausses contradictions naguère tenues pour majeures sont réduites, deux textes nous guident, volontiers provocants sous la plume d'écrivains d'autres temps et dont la consonance avec les phantasmes de cette fin de siècle est sans doute davantage qu'une étonnante coincidence : la boutade de Nestroy qui ironise sur la légitimité de la relation Puntila-Matti (maître-domestique ; majorité-minorité; colonisateur-colonisé ; riche-

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196

LA TOLÉRANCE

pauvre...) et le réquisitoire d'un Shakespeare mettant en procès — contre Christophe Colomb qui s'en émerveillait — l'or (le profit,

l'accumulation, l'exploitation) comme valeur érigée en transcendance

par les hommes.

288

... Q u a n d il fut parti, le Commandant-en-chef essuya le sang

des blessures du Bodhisatta, banda les moignons de ses pieds

et de ses mains, pansa ses oreilles et son nez et après l'avoir installé avec précaution sur une banquette, il lui fit révérence et lui dit : « M o n très éminent Seigneur, celui-là seul qui

mérite votre courroux pour avoir ainsi péché contre vous, c'est le roi et nulle autre personne. » Ayant prononcé ces

mots, il déclama ensuite cette première strophe : « Dirige ta colère, â m e héroïque, contre celui

qui a tranché ton nez et tes oreilles et amputé tes pieds et tes mains.

Mais épargne, je te prie, ce pays. » Le Bodhisatta prit à son tour la parole et il psalmodia la

deuxième strophe : « Q u e vive longtemps le roi dont la main cruelle

A ainsi mutilé m o n corps. Les âmes pures c o m m e la mienne N e gardent pas rancune de tels agissements. »

Et juste c o m m e le roi quittait le jardin et disparaissait des yeux du Bodhisatta, la terre dont l'épaisseur était de deux cent quarante lieues se déchira en deux telle un vêtement fait d'un tissu solide et fort, et une flamme jaillissant de l'Avici enveloppa le roi c o m m e l'aurait fait une tunique écarlate. Le roi fut ainsi happé au fond de la terre juste devant le portail du jardin et transporté dans le vaste enfer d'Avici. Et le Bodhisatta rendit l'âme le m ê m e jour.

Khantivadi-Jataka

289 Mon ami,

Il est vraiment tout à fait injuste que seuls les maîtres soient

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CONCEPT FIGÉ OU NOTION D Y N A M I Q U E

tenus de donner des références sur les domestiques ; si nous avions tous des droits égaux, les domestiques auraient, eux aussi, à juger leurs maîtres. Sans doute beaucoup de gens seraient très embarrassés s'ils étaient requis de rendre publics les jugements portés sur eux par leurs serviteurs.

Johann Nestroy, 1801-1862, Autriche

290

Qu'est ceci? D e l'or? D e l'or jaune, étincelant, précieux?

N o n , dieux, je ne suis pas un faiseur de fausses prières ! Des racines, ô cieux purs ! Autant de ceci rendra Blanc, le noir ' beau, le laid ; vrai, le faux ;

Noble, le vil ; jeune, le vieux ; vaillant, le lâche. H a , dieux! Pourquoi ceci? Qu'est-ce, ô vous dieux?

H é , ceci déhalera de vos côtés prêtres et serviteurs Et arrachera l'oreiller de sous les têtes encore valides.

Cet esclave jaune Nouera et défera les religions ; bénira le maudit ; Sanctifiera la lèpre blanche ; mettra en place les voleurs

(...) Et leur donnera titre, approbation, génuflexion,

A u banc m ê m e des sénateurs. Voilà de quoi remarier la veuve fourbue ; et elle, Qu i ferait lever la gorge aux gangreneux de l'hôpital,

Ceci l ' e m b a u m e et l'épice D ' u n avril nouveau. Viens, poussière d a m n é e , Putain c o m m u n e à tout le genre humain,

Toi, qui sèmes la rage dans la racaille des nations, Je te ferai Agir selon ta vraie nature.

Shakespeare, Angleterre, La vie de Timon d'Athènes, acte iv, scène III, 1607

Edits, décrets, ouvertures...

Mais prenons avant tout acte de ce que le plus fort a d'abord fait mine

d'octroyer mais qu'en réalité des millions d'hommes ont arraché, par

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198

LA TOLÉRANCE

leurs morts, à l'humiliation et à l'oppression, à la pointe de la volonté : la liberté de conscience d'abord et, dans un premier temps, l'égalité formelle des droits.

Par les présents Edits, Chartes, Décrets et autres Déclarations, une certaine pratique de la force fléchit en renonçant explicitement à la prétention de posséder, de dicter et d'imposer une vérité trop souvent d'intérêts. Désormais, essentiellement dans les relations intra­communautaires, l'on étend à la minorité religieuse ennemie « la tolérance civile » ; très précisément, on l'admet « à la bourgeoisie de toutes les villes » pour le plus grand « avantage du commerce en particulier », cela va sans dire.

Ailleurs, en Europe, on fait de même, ici et là, pour des minorités ethniques. Ce ne sont là que concessions, octroyées comme telles, et à ce titre révocables.

Celles-ci, initiatrices, ont longtemps paru de plus longue portée historique. A tout le moins, signes d'ouverture et matrices de revendications futures, dès lors que l'accent semble s'être irréversible­ment déplacé du spirituel au temporel.

291

Henri, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre, à tous présents et à venir, salut. (...)

Maintenant qu'il plaît à Dieu c o m m e n c e r à nous faire jouir de quelque repos, nous avons estimé ne le pouvoir mieux employer q u ' à vaquer à ce qui peut concerner la gloire de Son Saint N o m et service, et à pourvoir qu'il puisse être adoré et prié par tous nos sujets, et s'il ne lui a plu permettre q u e ce soit pour encore en u n e m ê m e forme de religion, que ce soit au moins d 'une m ê m e intention et avec une telle règle, qu'il n'y ait point pour cela de trouble ou de tumulte entre eux, et que nous et ce r o y a u m e puissions toujours mériter et conserver le titre glorieux de Très Chrétien qui a été par tant de mérites et dès si longtemps acquis ; et par m ê m e m o y e n ôter la cause d u m a l et trouble qui peut advenir sur le fait de religion, qui est toujours le plus glissant et pénétrant de tous les autres. Pour cette occasion, ayant reconnu cette affaire de très grande importance et digne de très bonne considération,

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199

C O N C E P T FIGÉ OU NOTION D Y N A M I Q U E

après avoir repris les cahiers de plaintes de nos sujets catholiques, ayant aussi permis à nosdits sujets de ladite Religion prétendue Réformée de s'assembler par députés pour dresser les leurs et mettre ensemble toutes leurs dites remontrances, et sur ce fait conféré avec eux par diverses fois et revu les édits précédents, nous avons jugé nécessaire de donner maintenant sur le tout à tous nosdits sujets une loi générale, claire, nette et absolue, par laquelle ils soient réglés sur tous les différends qui sont ci-devant survenus entre eux, et y pourront encore survenir ci-après, et dont les uns et les autres aient sujet de se contenter, selon que la qualité du temps le peut porter. N'étant pour notre regard entré en cette délibération que pour le seul zèle que nous avons du service de Dieu, et qu'il se puisse dorénavant faire et rendre par tous nosdits sujets, et établir entre eux une bonne et perdurable paix. Sur quoi nous implorons et attendons de Sa divine bonté la m ê m e protection et faveur qu'il a toujours visible­ment départie à ce royaume depuis sa naissance, et pendant tout ce long âge qu'il a atteint, et qu'Elle fasse la grâce à nosdits sujets de bien comprendre qu'en l'observation de cette notre ordonnance consiste (après ce qui est de leur devoir envers Dieu et envers tous) le principal fondement de leur union, concorde, tranquillité et repos, et du rétablisse­ment de tout cet Etat en sa première splendeur, opulence et force. C o m m e de notre part nous promettons de le faire exactement observer, sans souffrir qu'il y soit aucunement contrevenu.

Pour ces causes, ayant avec l'avis des princes de notre sang, autres princes et officiers de la couronne et autres grands et notables personnages de notre conseil d'État étant présents près de nous, bien et diligemment pesé et considéré tout cet affaire, avons par cet édit perpétuel et irrévocable dit, déclaré et ordonné, disons, déclarons et ordonnons.

I. Premièrement, que la mémoire de toutes choses passées d'une part et d'autre depuis le commencement du mois de mars 1585 jusque à notre avènement à la couronne, et durant les autres troubles précédents et à l'occasion d'iceux,

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200

LA T O L É R A N C E

demeurera éteinte et assoupie, c o m m e chose non advenue. Et ne sera possible ni permis à nos procureurs généraux, ni autres personnages quelconques, publiques ni privées, en quelque temps ni pour quelque occasion que ce soit en faire mention, procès ou poursuite en aucunes cours ou juridic­tions que ce soit.

II. Défendons à tous nos sujets, de quelque état ou qualité qu'ils soient, d'en renouveler la mémoire , s'attaquer, ressen­tir, injurier ni provoquer l'un l'autre par reproche de ce qui s'est passé, pour quelque cause et prétexte que ce soit, en disputer, contester, quereller ni s'outrager, ou s'offenser de fait ou de parole; mais se contenir et vivre paisiblement ensemble c o m m e frères, amis et concitoyens, sous peine aux contrevenants d'être punis c o m m e infracteurs de paix et perturbateurs de repos public.

III. Ordonnons que la Religion Catholique, Apostolique et Romaine sera remise et rétablie en tous les lieux et endroits de cetuy notre royaume et pays de notre obéissance, où l'exercice d'icelle a été intermis, pour y être paisiblement et librement exercée, sans aucun trouble ou empêchement . . . (...)

V I . Et pour ne laisser aucune occasion de troubles et différents entre nos sujets, avons permis et permettons à ceux de ladite Religion prétendue Réformée vivre et demeurer par toutes les villes et lieux de cetuy notre royaume et pays de notre obéissance, sans être enquis, vexés, molestés, ni astreints à faire chose pour le fait de la religion contre leur conscience, ni pour raison d'icelle être recherchés es maisons et lieux où ils voudront habiter, en se comportant au reste selon qu'il est contenu en notre présent édit. (...)

X V I I I . Défendons aussi à tous nos sujets, de quelque qualité et condition qu'ils soient, d'enlever par force ou induction, contre le gré de leurs parents, les enfants de ladite Religion, pour les faire baptiser ou confirmer en l'Eglise Catholique, Apostolique et Romaine ; c o m m e aussi m ê m e s défenses sont faites à ceux de ladite Religion prétendue

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201

CONCEPT FIGÉ OU NOTION D Y N A M I Q U E

Réformée, le tout à peine d'être punis exemplairement.

(...)

X X I I . Ordonnons qu'il ne sera fait différence ni distinction,

pour le regard de ladite Religion, à recevoir les écoliers pour

être instruits es Universités, collèges et écoles, et les malades

es hôpitaux, maladreries et aumônes publiques.

(...)

X X V I I . Afin de réunir d'autant mieux les volontés de nos

sujets, c o m m e est notre intention, et ôter toutes plaintes à

l'avenir, déclarons tous ceux qui font ou qui feront profession

de ladite Religion prétendue Réformée capables de tenir et

exercer tous états, dignités, offices et charges publiques

quelconques, royales, seigneuriales, ou des villes de notre dit

royaume, pays, terres et seigneuries de notre obéissance,

nonobstant tous serments à ce contraires, et d'être indifle-

remment admis et reçus en iceux, et se contenteront nos

Cours de parlements et autres juges d'informer et enquérir

sur la vie, m œ u r s , religion et honnête conversation de ceux

qui sont ou qui seront pourvus d'offices, tant d'une religion

que d'autre, sans prendre d'eux autre serment que de bien

et fidèlement servir le roi en l'exercice de leurs charges et

garder les ordonnances, c o m m e il a été observé de tous

temps.

(...)

L X X I V . Ceux de ladite Religion ne pourront ci-après être

surchargés et foulés d'aucunes charges ordinaires ou extraor­

dinaires plus que les catholiques, et selon la proportion de

leurs biens et facultés.

(...)

Donné à Nantes au mois d'avril, l'an de grâce mille cinq

cent quatre vingt dix huit, et de notre règne le neuvième.

HENRI

Édit de Nantes, 1598, France

292

Il est naturel, dans les cités et les grandes villes qui sont

Page 206: La Tolérance: essai d'anthologie; 1988

202

LA TOLÉRANCE

résidences princières et capitales, où se trouve un grand rassemblement de peuple, et non seulement d'autochtones mais aussi des étrangers, et qui sont acceptés et protégés tous, que toutes les nationalités, et par conséquent les étrangers, selon leur rite, aient diflérentes maisons pour faire leur prière à Dieu, tout c o m m e ici dans la ville de Bucarest où en dehors des catholiques, des Arméniens et des Juifs qui sont tributaires du tout puissant Empire et qui ont des églises pour leur prière, ont trouvé ici leur domicile. Quelques-uns de rite saxon, qui adressant requête à M a Grandeur pour leur donner permission d'élever une église dans la ville de Bucarest (...) donc, selon leur requête, tout étrangers qu'ils sont, je ne les ai pas méconnus, ni n'ai laissé qu'ils soient complètement ignorés par inadvertance et pour qu'ils sachent qu'ils ne sont pas persécutés, mais bien qu'ils ont l'usage de leur croyance et leur donnant conseil de tout repos, que quelques nombreux seraient-ils à venir ici pour y habiter, M a Grandeur s'est apitoyée sur leur sort et leur a permis de se faire bâtir une église sur le lieu qu'ils se sont acheté.

(suivent la signature du Prince et le témoignage des boyards)

Charte dite des Saxons octroyée par Alexandre Ypsilanti, prince de Valachie, 1777

293

Quoique l'Empereur soit dans la ferme intention de protéger et de soutenir invariablement notre sainte religion catholi­que, S . M . a jugé néanmoins qu'il était de sa charité d'étendre à l'égard des personnes comprises sous la dénomi­nation de Protestants, les effets de la tolérance civile qui, sans examiner la croyance, ne considère dans l ' h o m m e que la qualité de citoyen, et d'ajouter de nouvelles facilités à cette tolérance dans tous les royaumes, provinces et terres de son obéissance.

( • • • )

Les Protestants seront admis désormais à la bourgeoisie

de toutes les villes, ainsi qu'aux corps de métiers ; et enfin

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203

C O N C E P T FIGÉ OU NOTION D Y N A M I Q U E

aux grades académiques des arts, du droit et de la médecine dans l'université de Louvain, sur le m ê m e pied que les autres sujets de S . M . à l'effet de quoi les magistrats, ainsi que les différentes facultés de l'université, sont autorisés à accorder, pour chaque cas, les dispenses requises.

(...) Finalement, l'Empereur se réserve d'admettre par voye

de dispense, à la possession d'emplois civils, ceux de ses sujets Protestants en qui on aura reconnu une conduite chrétienne et morale, ainsi que la capacité, l'aptitude et les qualités requises pour en remplir les fonctions.

Lettres patentes sur la tolérance de Joseph II d'Autriche, 1781

294

A moins que son ton ne soit outrageant, la critique ne doit pas être proscrite, qu'elle s'adresse au Souverain ou au plus humble sujet, et cela sans considérer si l'auteur se n o m m e ou ne se n o m m e pas ; mais elle ne doit surtout pas être interdite si l'auteur répond par son n o m de la vérité de ses assertions. Celui qui aime la vérité ne peut que se réjouir de la critique. Si elle est fausse, elle s'écroule d'elle-même; si elle est juste, nous ne pouvons qu'en faire notre profit.

Décret sur la presse de Joseph II d'Autriche

295

J'ose espérer que les plus éclairés et les plus pieux parmi les Rabbins et les Anciens de m a nation voudront bien se dépouiller de ce dangereux privilège, renoncer à tous les abus de la discipline synagogale et religieuse, et montrer à l'égard de leurs co-religionnaires le m ê m e amour et la m ê m e tolérance qu'ils ont si souvent réclamés pour e u x - m ê m e s de l'État. A h , m e s frères, jusqu'ici, vous n'avez que trop senti peser sur vos épaules le joug de l'intolérance : peut-être vous semblait-il trouver une certaine compensation dans le pou­voir qui vous était laissé d'imposer v o u s - m ê m e à vos subordonnés un joug pesant. L a vengeance cherche sa

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204

LA TOLÉRANCE

pâture, et quand elle ne la trouve pas ailleurs, elle dévore sa propre chair. Peut-être aussi vous laissiez-vous séduire par le mauvais exemple. Tous les peuples de la terre avaient cru jusqu'ici, dans leur folle illusion, qu 'on ne conserve la religion que par la force, qu'on ne répand que par la persécution les leçons de béatitude, qu'on ne propage que par la haine la vraie idée de Dieu, qui est l'idée d 'amour. Remerciez le Dieu de vos pères, qui est la clémence et l'amour m ê m e s , de ce que cette folie semble aujourd'hui condamnée à disparaître. Les nations commencent à se supporter et à s'entendre; elles nous montrent déjà des ménagements, des sympathies qui, avec l'aide de Celui qui mène les cœurs humains, pourront croître jusqu'à deve­nir un amour véritablement fraternel. O m e s frères, suivez l'exemple de l'amour, c o m m e vous suiviez l'exemple de la haine. Imitez dans le bien les nations que vous imitiez dans le mal. Vous souhaitez qu'on vous supporte, qu'on vous ménage, qu'on vous tolère : supportez-vous, ménagez-vous, tolérez-vous les uns les autres. Aimez, aimez : vous serez aimés.

Moses Mendelssohn, 1729-1786, Allemagne

296

Être humain, c'est avoir conscience de la solidarité spirituelle de tous les h o m m e s et de leur destinée c o m m u n e , c'est l'exigence en nous d'aimer l ' h o m m e dans sa totalité, de reconnaître, de respecter la qualité humaine de nos sembla­bles, au travail et dans le cadre de leur vie sociale, de les aider qu'ils soient isolés ou en groupes. La dimension humaine, l'intégrité et la dignité de l'individu ne ressortent pleinement cependant que lorsqu'il est vu dans la perspec­tive de rapports sociaux diversifiés dont un grand nombre sont d'ordre économique et politique.

Ernst Karl Winter, Autriche, Article dans « Wiener politische Blätter », 1934

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205

CONCEPT FIGÉ OU NOTION D Y N A M I Q U E

Les ruses de la tolérance formelle

La violence nue suspendue, quel va être le nouveau langage de la force

et quel visage présentera l'intolérance convertie — de force en quelque

sorte — à la tolérance ?

Les Edits, Décrets et Déclarations cités plus haut laissaient

clairement entrevoir, non sans réticences, la nécessité d'un Etat

égalitariste où, tout en étant enfin soi-même, le minoritaire soit avant

tout tenu de se soumettre à un système juridique fait sans lui et régissant

des intérêts parmi lesquels les siens, pourtant formellement reconnus,

ne peuvent concrètement être que marginaux. En Europe, il ne faudra

pas moins qu 'une révolution pour substituer au droit féodal un code

civil et à la P a x ecclesiae la paix bourgeoise.

Dans cette séquence pénultième de tout un âge historique, et par un

jeu serré de propositions, contre-propositions, réserves et nuances, c'est

à cette mutation imminente que les protagonistes se préparent en

discutant du nouvel ordre à instituer, statut inclus de la tolérance

religieuse et de ses relations concrètes ou théoriques — avec l'autorité

dans son sens classique. O n discute ainsi sur « les libertés », sur les

droits généraux dont, cela va sans dire, celui de propriété. « Vaincue

sur le principe, l'intolérance discute sur l'application. »

O n pensait octroyer une réforme, c'est une révolution qui eut lieu,

installant enfin l'homme dans l'homme et donnant naissance à une

nouvelle problématique, où la donnée « liberté de conscience » ou « liberté

de religion » n'est plus déterminante ni même seulement pertinente.

Contre l'exclusivisme de fait et les abus des gloses, on s'en remet

à — ou l'on affirme — un certain type de société en guise de rechange,

société de « paix » dont le but proclamé sera la défense de l'individu contre ce qu'un consensus d'intérêts variés tenait pour « injuste »,

« anarchique » ou « violent ».

Désormais, le concept d'Etat est inséparable de l'Idée de Droit

formel, même si les parties en conflit ne jouissent pas des mêmes droits

concrets. Formes dont en retour l'Histoire se doit d'éclairer les contenus

réels et d'investir d'un sens universel.

2 9 7

L'autorité fait d u m a l , m ê m e lorsqu'elle veut soumettre à sa

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206

LA TOLÉRANCE

juridiction les principes de la tolérance; car elle impose à la tolérance des formes positives et fixes, qui sont contraires à sa nature. L a tolérance n'est autre chose que la liberté de tous les cultes présents et futurs. L'empereur Joseph II voulut établir la tolérance, et libéral dans ses vues, il commença par faire dresser un vaste catalogue de toutes les opinions religieuses, professées par ses sujets. Je ne sais combien furent enregistrées, pour être admises au bénéfice de sa protection. Qu'arriva-t-il ? U n culte qu'on avait oublié vint à se montrer tout à coup, et Joseph II, prince tolérant, lui dit qu'il était venu trop tard. Les déistes de B o h ê m e furent persécutés, vu leur date, et le monarque philosophe se mit à la fois en hostilité contre le Brabant qui réclamait la domination exclusive du catholicisme, et contre les malheu­reux Bohémiens qui demandaient la liberté de leur opinion.

Benjamin Constant, Suisse-France, D e la religion considérée dans sa source, ses formes et son développement, 1826

298

O n vous parle sans cesse d'un culte dominant. — Dominant ! Messieurs, je n'entends pas ce mot, et j'ai besoin qu'on m e le définisse. Est-ce u n culte oppresseur que l'on veut dire? Mais vous avez banni ce mot, et des h o m m e s qui ont assuré le droit de liberté ne revendiquent pas celui d'oppression. Est-ce le culte du prince que l'on veut dire ? Mais le prince n'a pas le droit de dominer les consciences ni de régler les opinions. Est-ce le culte du plus grand nombre ?

Mais le culte est une opinion ; tel ou tel culte est le résultat de telle ou telle opinion. O r les opinions ne se forment pas par le résultat des suffrages ; votre pensée est à vous, elle est indépendante, vous ne pouvez pas l'engager.

Enfin, une opinion qui serait celle du plus grand n o m b r e n'a pas le droit de dominer. C'est un mot tyrannique qui doit être banni de notre législation. Car si vous l'y mettez dans un cas, vous pouvez l'y mettre dans tous : vous avez donc u n culte dominant, une philosophie dominante, des systèmes dominants.

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207

CONCEPT FIGÉ OU NOTION D Y N A M I Q U E

Rien ne doit dominer que la justice : il n'y a de dominant que le droit de chacun : tout le reste y est soumis. O r c'est un droit évident et déjà consacré par vous, de faire tout ce qui ne peut nuire à autrui.

Mirabeau, France, Discours à l'Assemblée, séance du 23 août 1789

299

N o s droits civiques sont indépendants de nos opinions religieuses autant que de nos opinions sur la physique et la géométrie. Dénier à un citoyen la confiance publique en l'incriminant d'une incapacité à remplir un poste bien rétribué et de confiance sous le prétexte qu'il ne professe pas telle ou telle croyance religieuse — ou qu'il n'y renonce pas — c'est le priver injustement des privilèges et avantages auxquels il a un droit naturel, à l'instar de ses autres concitoyens.

Thomas Jefferson, président des Etats-Unis d'Amérique, The Virginia statute of religious freedom, 1786

300

Liberté de religion, liberté de presse, liberté de la personne sous la protection de Yhabeas corpus, justice rendue par des jurés choisis avec impartialité. Ces principes ont guidé la brillante constellation qui nous a précédés et nos propres pas dans ce temps de révolution et de réformes (...) Ils doivent constituer le credo de notre foi politique, la matière m ê m e de notre instruction civique, la pierre de touche qui nous permettra de mettre à l'épreuve les services de ceux en qui nous avons confiance. Et si nous nous en écartons dans des m o m e n t s d'erreur ou d'incertitude, hâtons-nous de revenir sur nos pas et de rejoindre la seule route qui m è n e à la paix, à la liberté et à la sécurité.

Thomas Jefferson, président des États-Unis d'Amérique, Premier discours inaugural, 4 mars 1801

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208

LA T O L É R A N C E

301

Jusqu'où le devoir de tolérance va-t-il ?

1. Nulle église n'est tenue par le devoir de tolérance de garder en son sein ceux qui enfreignent obstinément ses lois.

2. N o u s n'avons pas le droit de mettre en cause qui q u e ce soit dans le travail qu'il occupe sous le prétexte qu'il appartient à une église différente.

Thomas Jefferson, 1743-1826, président des États-Unis d'Amérique, Notes on religion

302 Des vertus sociales ; de la justice

D . Qu'est-ce que la société? R. C'est toute réunion d ' h o m m e s vivant ensemble sous les clauses d ' u n contrat exprès ou tacite, qui a pour but leur c o m m u n e conservation.

D . Les vertus sociales sont-elles nombreuses ? R. Ou i : l'on en peut compter autant qu'il y a d'espèces d'actions utiles à la société ; mais toutes se réduisent à u n seul principe.

D . Quel est ce principe fondamental? R. C'est la justice, qui seule comprend toutes les vertus de la société.

D . Pourquoi dites-vous que la justice est la vertu fondamen­tale et presque unique de la société ?

R. Parce qu'elle seule embrasse la pratique de toutes les actions qui lui sont utiles, et que toutes les autres vertus, sous les n o m s de charité et d'humanité, de probité, d ' a m o u r de la patrie, de sincérité, de générosité, de simplicité de m œ u r s et modestie, ne sont q u e des formes variées et des applications diverses de cet axiome : Ne fais à autrui que ce que tu veux qu'il

te fasse, qui est la définition de la justice. D . C o m m e n t la loi naturelle prescrit-elle la justice ? R. Par trois attributs physiques, inhérents à l'organisation de l 'homme. D. Quels sont ces attributs ?

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209

CONCEPT FIGÉ OU NOTION D Y N A M I Q U E

R. C e sont l'égalité, la liberté, la propriété.

D. C o m m e n t l'égalité est-elle un attribut physique de l'homme ? R. Parce que tous les hommes ayant également des yeux, des

mains, une bouche, des oreilles, et le besoin de s'en servir

pour vivre, ils ont par ce fait m ê m e un droit égal à la vie, à l'usage des éléments qui l'entretiennent ; ils sont tous égaux

devant Dieu. Constantin Volney, France, La loi naturelle, 1793

303

L'intolérance civile est aussi dangereuse, plus absurde et surtout plus injuste que l'intolérance religieuse. Elle est aussi dangereuse puisqu'elle a les m ê m e s résultats sous un autre prétexte ; elle est plus absurde, puisqu'elle n'est pas motivée sur la conviction ; elle est plus injuste, puisque le mal qu'elle cause n'est pas pour elle un devoir mais un calcul.

L'intolérance civile emprunte mille formes et se réfugie de poste en poste pour se dérober au raisonnement. Vaincue sur le principe, elle dispute sur l'application. O n a vu des h o m m e s persécutés depuis près de trente siècles, dire au gouvernement qui les relevait de leur longue proscription, que s'il était nécessaire qu'il y eut dans u n Etat plusieurs religions positives, il ne l'était pas moins d'empêcher que les sectes tolérées ne produisissent en se subdivisant, de nouvel­les sectes. Mais chaque secte tolérée n'est-elle pas elle-même une subdivision d'une secte ancienne ? À quel titre conteste­rait-elle aux générations futures les droits qu'elle a réclamés contre les générations passées ?

L ' o n a prétendu qu'aucune des Églises reconnues ne pouvait changer ses dogmes sans le consentement de l'auto­rité. Mais si par hasard ces dogmes venaient à être rejetés par la majorité de la communauté religieuse, l'autorité pourrait-elle l'astreindre à les professer? O r , en fait d'opi­nion, les droits de la majorité et ceux de la minorité sont les mêmes.

O n conçoit l'intolérance lorsqu'elle impose à tous une

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210

LA TOLÉRANCE

seule profession de foi; elle est au moins conséquente. Elle peut croire qu'elle retient les h o m m e s dans le sanctuaire de la vérité ; mais lorsque deux opinions sont permises, c o m m e l'une des deux est nécessairement fausse, autoriser le gouvernement à forcer les individus de l'une et de l'autre à rester attachés à l'opinion de leur secte ou les sectes à ne jamais changer d'opinion, c'est l'autoriser formellement à prêter son assistance à l'erreur (...)

L a liberté complète et entière de tous les cultes est aussi favorable à la religion que conforme à la justice.

Si la religion avait toujours été parfaitement libre, elle n'aurait, je le pense, jamais été q u ' u n objet de respect et d'amour. L'on ne concevrait guère le fanatisme bizarre qui rendrait la religion en elle-même u n objet de haine ou de malveillance.

Benjamin Constant, Suisse-France, Principes de politique, 1818

304

Je ne viens pas prêcher la tolérance. L a liberté la plus illimitée de religion est à m e s yeux u n droit si sacré que le m o t de tolérance qui voudrait l'exprimer, m e paraît en quelque sorte tyrannique lui-même, puisque l'existence de l'autorité qui a le pouvoir de tolérer attente à la liberté de penser par cela m ê m e qu'elle tolère, et qu'ainsi elle pourrait ne pas tolérer.

Mirabeau, France, Discours à l'Assemblée, séance du 22 août 1789

305 Les principes de la condition civile

Ainsi la condition civile, considérée simplement c o m m e condition juridique, est fondée sur les principes a priori que voici :

1. La liberté de chaque m e m b r e de la société, c o m m e homme.

2. L'égalité de celui-ci avec tout autre, c o m m e sujet.

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211

CONCEPT FIGÉ OU NOTION D Y N A M I Q U E

3. L'indépendance de tout m e m b r e d'une c o m m u n a u t é c o m m e citoyen.

Ces principes sont moins des lois que donne l'État déjà institué que des lois selon lesquelles seule l'institution d'un État est possible, conformément aux purs principes ration­nels du droit humain externe en général.

Kant, Allemagne, Über den Gemeinspruch : das mag in der Theorie richtig sein, taugt aber nicht für die Praxis, 1793

306

Naturellement, l'État sans religion ne veut pas dire que les citoyens soient sans religion. Cela signifie seulement que l'État, gardien de la liberté de conscience, n'entretient aucun culte et n'accorde de situation privilégiée à aucun clergé.

Enrique José Varona, 1849-1933, Cuba

307

Pour que l'État en tant que réalité morale de l'Esprit, consciente de soi, arrive à l'existence, il doit nécessairement se différencier de la forme de l'autorité et de la croyance. O r , cette différenciation ne se produit que si le domaine religieux en vient à une séparation intérieure. Alors seulement l'État atteint l'universalité de la pensée, qui est son principe formel et le réalise au-dessus des Églises particulières. Pour recon­naître cela, on doit savoir non pas seulement ce qu'est l'universalité en soi, mais aussi ce qu'est son existence. Bien loin que le schisme des Églises soit ou ait été pour l'État un malheur, ce n'est au contraire que par lui qu'il a pu devenir ce qui était son destin : la raison et la moralité consciente d'elles-mêmes. Et c'est aussi le plus grand bonheur qui peut arriver à l'Église et à la pensée pour leur liberté et pour leur rationalité propres.

Hegel, Allemagne, Principes de la philosophie du droit, 1821

Page 216: La Tolérance: essai d'anthologie; 1988

212

LA TOLÉRANCE

308

Presque au m o m e n t où Copernic fit sa grande découverte du véritable système solaire, on découvrit la loi de gravitation de l'Etat. O n trouva son centre de gravité en lui-même, et les différents gouvernements européens firent le premier essai d'une application, nécessairement superficielle, de cette découverte au système de l'équilibre politique. D e m ê m e , Machiavel et Campanella d'abord, Spinoza, Hobbes et H u g o Grotius ensuite, enfin Rousseau, Fichte et Hegel commencèrent à regarder l'État avec des yeux humains et à en déduire les lois naturelles de la raison et de l'expérience et non celles de la théologie, tout c o m m e Copernic ne se formalisa pas de ce que Josué avait arrêté le soleil à Gédéon et la lune dans la vallée d'Ajalon. L a philosophie moderne n'a fait que poursuivre la tâche commencée par Heraclite et Aristote. Vous ne vous attaquerez donc pas à la philosophie moderne mais à la philosophie toujours nouvelle de la raison (...)

Mais si jadis les philosophes qui enseignaient le droit public ont construit leur concept de l'État en partant de l'instinct de l'ambition ou de l'instinct social, si, parfois, ils l'ont m ê m e déduit de la raison, mais de la raison de la société, en revanche, la conception philosophique moderne, plus profonde et plus riche que l'ancienne, l'a déduit de l'idée d'universalité. Elle considère l'État c o m m e le grand orga­nisme où les libertés juridique, morale et politique doivent trouver leur réalisation et où le citoyen individuel, en obéissant aux lois de l'État, ne fait qu'obéir aux lois naturelles de sa propre raison, de la raison humaine.

Karl Marx, editorial de la « Kölnische Zeitung », 1842

309 Préambule

Les représentants du Peuple Français, constitués en Assem­blée Nationale, considérant que l'ignorance, l'oubli ou le mépris des Droits de l ' H o m m e sont les seules causes des

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213

C O N C E P T FIGÉ OU NOTION D Y N A M I Q U E

malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d'exposer dans une déclaration solennelle les droits naturels, inaliénables et sacrés de l 'homme, afin que cette Déclaration, constamment présente à tous les m e m b r e s du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs ; afin que les actes du Pouvoir législatif et ceux du Pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés; afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tour­nent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous.

E n conséquence, l'Assemblée Nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l'Etre suprême, les Droits suivants de l ' H o m m e et du Citoyen :

Article premier

Les h o m m e s naissent et demeurent libres et égaux en droits ; les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité c o m m u n e .

H

Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l ' h o m m e ; ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression.

m

Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation; nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en é m a n e expressément.

Séance du jeudi 20 août 1789

IV

La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ; ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque h o m m e n'a de bornes que celles qui assurent aux autres m e m b r e s de

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214

LA T O L É R A N C E

la société la jouissance de ces m ê m e s droits ; ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi.

v

L a loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas.

VI

L a loi est l'expression de la volonté générale ; tous les citoyens ont droit de concourir personnellement ou par leurs représentants à sa formation; elle doit être la m ê m e pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes les dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autres distinctions que celles de leurs vertus et de leurs talents.

Séance du vendredi 21 août

VII

Nul h o m m e ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la loi et selon les formes qu'elle a prescrites. C e u x qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires, doivent être punis, mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la loi doit obéir à l'instant ; il se rend coupable par la résistance.

VIII

L a loi ne doit établir que des peines strictement et évidem­ment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit et légale­ment appliquée.

IX

Tout h o m m e étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter,

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215

C O N C E P T FIGÉ OU NOTION DYNAMIQUE

toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi.

Séance du samedi 22 août

x

Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, m ê m e religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi.

Séance du dimanche 23 août

XI

La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l ' h o m m e . Tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la loi.

XII

La garantie des droits de l ' h o m m e et du citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l'avantage de tous, et non pour l'utilité particulière de ceux à qui elle est confiée.

XIII

Pour l'entretien de la force publique, pour les dépenses d'administration, une contribution c o m m u n e est indispensa­ble ; elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés.

Séance du lundi 24 août

xiv

Les citoyens ont le droit de constater par eux-mêmes ou par leurs représentants la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée.

xv

La Société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration.

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216

LA T O L É R A N C E

XVI

Toute Société dans laquelle la garantie des droits n'est pas

assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point

de constitution.

XVII

La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut

en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique,

légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la

condition d'une juste et préalable indemnité.

Séance du mercredi 26 août Déclaration des droits de l'homme et du citoyen décrétée par

l'Assemblée Nationale dans les séances du matin des 20, 21, 22, 23, 24 et 26 août 1789. Signée par le Roi,

le 5 octobre 1789, France.

310

Nous devons partir de l'idée que nous s o m m e s tous égaux,

qu'il n 'y a nulle part de groupes ou d'individus de valeur

supérieure face à d'autres qui seraient des sous-hommes. Par

conséquent, ni m a religion, ni la couleur de m a peau, ni mes

richesses, ni m a culture, ni m o n système politique, social ou

économique ne m'autorisent à forcer les autres à m e

ressembler. Par ailleurs, le chemin de l'unification des esprits

et des cœurs ne peut être le renoncement à soi-même :

chacun doit, devant l'autre, être profondément soi-même,

vivre conformément à ce qu'il a déjà découvert.

Dominique Pire, Belgique, Vivre ou mourir ensemble, 1969

311

Nous devons encore utiliser chaque parcelle de notre énergie

à sortir notre pays du marécage de l'injustice raciale. Mais

il n'est pas besoin pour cela de renoncer à notre privilège

d'aimer qui est aussi notre devoir.

(...) Bien sûr, d'aucuns diront qu'une telle attitude

manque un peu de sens pratique ; que dans la vie, il faut se

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217

CONCEPT FIGÉ OU NOTION D Y N A M I Q U E

battre, œil pour œil, dent pour dent, si l'on veut survivre (...) A cela, je répondrai seulement que l'humanité obéit depuis longtemps à ce soi-disant sens pratique et qu'il l'a menée inexorablement jusqu'à la confusion et m ê m e jusqu'au chaos. Le courant de notre temps charrie les débris de ceux qui, seuls ou en groupe, se sont abandonnés à la haine ou à la violence.

Martin Luther King, 1929-1968, États-Unis d'Amérique, O ù allons-nous ?

312

Sans haine aucune contre quiconque mais avec de la bienveillance pour tous, nous appuyant fermement sur le droit que Dieu nous a donné de comprendre ce qui est juste, efforçons-nous de poursuivre la tâche qui nous est impartie, de panser les plaies de la nation, de prendre soin de ceux qui ont subi les rigueurs du combat, des veuves et des orphelins, de faire tout ce qui peut hâter la venue d'une paix juste et durable chez nous et parmi les autres nations.

Abraham Lincoln, président des Etats-Unis d'Amérique, Second discours inaugural, 4 mars 1865

313

(...) Les ouvriers d'Europe ont la ferme conviction que si la guerre d'Indépendance américaine a inauguré l'ère de la domination de la bourgeoisie, la guerre américaine contre l'esclavage inaugurera celle de la domination de la classe ouvrière. Ils voient le présage de cette époque à venir dans le fait que c'est A b r a h a m Lincoln, fils vaillant et énergique de la classe ouvrière, qui a la mission de conduire son pays à travers des combats sans précédent pour la libération d'une race et la transformation du régime social.

Ecrit par Marx entre le 22 et le 29 novembre 1864

Publié dans le n° 169 du journal « The Beetive Newspaper » le

7 janvier 1865

Karl Marx, 1818-1883, Lettre à Abraham Lincoln

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218

LA T O L É R A N C E

314

Et songeons qu'ayant libéré notre pays de l'intolérance religieuse sous l'empire de laquelle l'humanité a si longtemps saigné et souffert, nous n'avons guère progressé si nous laissons subsister une intolérance politique également despo­tique et inique, et source de persécutions aussi cruelles et sanglantes.

Thomas Jefferson, président des Etats-Unis d'Amérique, Premier discours inaugural, 4 mars 1801

315

Il faut q u e chacun ait pleine liberté non seulement d'embras­ser la religion qu'il veut, mais aussi de propager n'importe quelle religion et de changer de religion. Il ne doit être permis à aucun fonctionnaire de s'enquérir de la religion d e qui que ce soit ; celle-ci étant affaire de conscience, nul ne doit s'y immiscer. Il ne doit y avoir ni religion « dominante » ni Eglise « dominante ». Toutes les croyances religieuses et toutes les Eglises doivent être égales devant la loi. Les ministres des différents cultes peuvent être entretenus par les fidèles, mais l'Etat ne doit soutenir, avec les fonds publics, aucun culte, ni payer les serviteurs des différentes confessions, qu'il s'agisse d'orthodoxes, de vieux-croyants, de sectaires ou autres. Voilà pourquoi luttent les social-démocrates.

V . I. Lénine, Aux paysans pauvres, 1903

Minorités à part entière ou citoyens sans droits ?

Les hommes naissent donc libres et égaux, l'esclavage est aboli, la liberté religieuse proclamée, celle de penser, d'écrire, de communiquer promulguée. Il s'agit maintenant de vivre ces « libertés » concrètement comme une libération en théorie certes, mais surtout en pratique, une liberté privée des moyens de s'exercer n'étant autrement qu'un leurre.

Or, dit-on, l'esclave maintenant libéré doit aider « à faire pousser

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219

CONCEPT FIGÉ OU NOTION D Y N A M I Q U E

les épices » ou connaîtra les rigueurs de l'homme aux valeurs dominantes, c'est-à-dire en fait détenteur de richesses. Les métropoles lointaines peuvent légiférer à leur guise, le colon, lui, entend rester roi : le conquistador au nom de la foi se convertit en négrier ou en planteur en marge des lois.

Mais alors,y aurait-il deux acceptions, deux pratiques de la même loi ? La liberté serait-elle universelle sauf en terre de couleur ? Plus encore, quel est le fondement d'une liberté qui fait obligation d'enrichir une minorité par le travail du plus grand nombre ? Suffit-il de se reconnaître comme une nation multiconfessionnelle, voire multiraciale, faite ¿'individus doués de raison pour réaliser l'égalité vraie dans la justice vraie? Ces interrogations autour des minorités « nationales » actualisent le même vieux problème, celui de la démocratie réelle.

Il faut donc, à nouveau, se rendre à l'évidence : l'intolérance, hier à dominante religieuse, aujourd'hui à dominante raciale, n'est encore que le reflet d'intérêts économiques et politiques, le concept de « race » n'étant qu'une « médiocre démocratisation marchande de l'idée de noblesse ».

Au-delà des remontrances, des plaidoyers, des « appels à la raison » du néo-esclavage camouflé, la raison militante se doit d'être interpellation et, s'il le faut, contestation de l'Etat, fidèle en cela à sa nature de rigueur et d'universalité.

Intransigeante, certes, mais dans une relation non plus de contiguïté apparemment neutre, mais réellement dialectique : il n'est pour cela que de libérer le concept de démocratie lui-même, une démocratie qui, par essence, ne saurait reconnaître « l'inégalité institutionnalisée » : « le droit des minorités ne peut rester éternellement celui des vaincus ».

316

Q u a s h e e , s'il ne nous aide pas à faire pousser les épices, se retrouvera à n o u v e a u esclave (...) et contraint à travailler sous la m e n a c e d u fouet — toutes autres m é t h o d e s ne réussissant pas. V o u s n'êtes plus des esclaves maintenant ; je ne désire pas n o n plus v o u s voir à n o u v e a u esclaves, si cela peut être évité. M a i s il est sûr q u e vous devez être les serviteurs de ceux qui sont nés plus sages q u e vous, qui sont nés vos maîtres et dont , m e s b o n s a m i s Noirs vous d é p e n d e z ,

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220

LA T O L É R A N C E

vous serviteurs des Blancs, lesquels, nul mortel ne peut en douter, sont nés plus sages que vous.

Thomas Carlyle, Royaume-Uni, 1853

317

Réflexions sur l'esclavage des nègres

M e s amis, Quoique je ne sois pas de la m ê m e couleur que vous, je

vous ai toujours regardés c o m m e m e s frères. L a nature vous a formés pour avoir le m ê m e esprit, la m ê m e raison, les m ê m e s vertus que les Blancs. Je ne parle ici que de ceux d'Europe ; pour les Blancs des colonies, je ne vous fais pas l'injure de les comparer avec vous; je sais combien de fois votre fidélité, votre probité, votre courage ont fait rougir vos maîtres. Si on allait chercher un h o m m e dans les Iles de l'Amérique, ce ne serait point parmi les gens de chair blanche qu 'on le trouverait.

Votre suffrage ne procure point de places dans les Colonies, votre protection ne fait point obtenir de pensions ; vous n'avez pas de quoi soudoyer des avocats ; il n'est donc pas étonnant que vos maîtres trouvent plus de gens qui se déshonorent en défendant leur cause, que vous n'en avez trouvé qui se soient honorés en défendant la vôtre. Il y a m ê m e des pays où ceux qui voudraient écrire en votre faveur n'en auraient point la liberté. Tous ceux qui se sont enrichis dans les Iles aux dépens de vos travaux et de vos souffrances ont, à leur retour, le droit de vous insulter dans des libelles calomnieux; mais il n'est point permis de leur répondre. Telle est l'idée que vos maîtres ont de la bonté de leur droit; telle est la conscience qu'ils ont de leur humanité à votre égard. Mais cette injustice n'a été pour m o i qu 'une raison de plus pour prendre, dans u n pays libre, la défense de la liberté des h o m m e s . Je sais que vous ne connaîtrez jamais cet ouvrage et que la douceur d'être béni par vous m e sera refusée. Mais j'aurai satisfait m o n c œ u r déchiré par le spectacle de vos m a u x , soulevé par l'insolence absurde des sophismes de vos tyrans. Je n'emploierai point l'éloquence

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221

CONCEPT FIGÉ OU NOTION D Y N A M I Q U E

mais la raison ; je parlerai non des intérêts du commerce, mais des lois de la justice. Vos tyrans m e reprochent de ne dire que des choses c o m m u n e s , et de n'avoir que des idées chimériques; en effet, rien n'est plus c o m m u n que les maximes de l'humanité et de la justice ; rien n'est plus chimérique que de proposer aux h o m m e s d'y conformer leur conduite.

Condorcet, 1743-1794, France, Épître dédicatoire aux nègres esclaves

318

O n reçoit des autres autant qu'on leur donne et c'est en fonction de l'attitude d'un chacun à l'égard de ses semblables qu'il est influencé par eux. Le méprisant ne voit que du méprisable. Celui qui n'attend rien ne reçoit rien non plus. Q u a n d on prend les attitudes, la manière de parler, les conventions des relations humaines pour l 'homme lui-même, celui-ci vous demeure fermé, inaccessible. Rien n'est plus superficiel et en m ê m e temps plus inhumain que la haine humaine (encore que par m o m e n t le mépris des h o m m e s paraisse presque inéluctable). Rien n'est plus vil, plus abject, que d'exiger des h o m m e s qu'ils se conforment à votre propre idéal douteux, de les jauger, de les mesurer à son aune, tout en oubliant ses propres insuffisances, ses propres défauts. L a raison dans l ' h o m m e , elle est patiente et s'accuse elle-même lorsqu'elle veut désespérer.

Karl Jaspers, République fédérale d'Allemagne, La bombe atomique et l'avenir de l'homme, 1958

319

Le racisme est une aliénation complète qui ne préconise pas seulement la séparation des corps mais aussi celle des intelligences et des âmes . Il est inévitable qu'il finisse par commettre un homicide physique ou spirituel envers le groupe exclu.

Martin Luther King, 1929-1968, États-Unis d'Amérique, O ù allons-nous ?

Page 226: La Tolérance: essai d'anthologie; 1988

222

LA T O L É R A N C E

320

Plus une minorité est réduite, plus l'harmonisation risque d'être remplacée par le rouleau compresseur. Et plus profondément cette minorité est différente de la majorité, plus elle court le risque de ne pas être respectée. Telle est souvent la réalité, la féroce réalité entre groupes et individus.

Dominique Pire, Belgique, Vivre ou mourir ensemble, 1969

321

Q u e nous considérions la révolte c o m m e un devoir, cela surprendra beaucoup de gens — et scandalisera peut-être certains. Les jeunes doivent être indociles, durs, forts et tenaces (...) C o m m e n t d'ailleurs le grand travail qui consiste à forger la personnalité s'accomplira-t-il sans lutte, sans arbitraire, sans révolte? (...) Je crois que les esprits conserva­teurs sont nécessaires, mais à condition qu'il existe u n contrepoids d'esprits révoltés et d'avant-garde. (...)

Esprit destructeur et esprit constructif, esprit de progrès et esprit conservateur : l'un et l'autre sont nécessaires pour que le m o n d e progresse. Et, outre les raisons directement politiques, il y a cette obscure, mais inviolable, raison de l'âge, qui impose l'indocilité à l'organisme en voie de formation et la modération à celui qui est parvenu à la maturité. Aussi le jeune conservateur est-il toujours à cause de cela, un être anachronique, tout c o m m e l'est, du point de vue biologique, le vieux révolté.. Avec cette différence que l'anachronisme est un défaut chez les jeunes, et, presque toujours, une vertu chez les vieux.

Gregorio Marañon, Espagne, Ensayos liberales, 1946

322

Tous demeureront par ailleurs pénétrés de ce principe sacré : la volonté de la majorité, bien qu'elle soit appelée à l'emporter en toutes circonstances, doit, pour être légitime, être raisonnable ; la minorité possède des droits égaux,

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223

CONCEPT FIGÉ O U NOTION D Y N A M I Q U E

également protégés par la loi, et les violer serait faire œuvre d'oppresseur.

Thomas Jefferson, président des Etats-Unis d'Amérique, Premier discours inaugural, 4 mars 1801

323

La Société des Nations et les minorités

Le problème des minorités intéresse la Société des Nations tout entière sans distinction. L a sollicitude à l'égard des minorités est générale et tout aussi sincère d ' u n côté que de l'autre. Si cette sollicitude est pour les uns d'ordre sentimen­tal, elle est pour les Etats à minorités d'ordre politique.

( • • • ) .

U n Etat qui ne s'efforcerait pas d'assurer le m a x i m u m de bien-être à ses minorités, u n État qui ne réaliserait pas que c'est dans la loyauté de tous ses citoyens à son égard et non pas dans l'annihilation de l'individualité culturelle et reli­gieuse de certains de ses sujets que réside son intérêt primordial, un Etat qui ne se rendrait pas compte que c'est à lui d'être le meilleur champion des intérêts bien compris de ses minorités ne violerait pas seulement la loi d'humanité qui doit guider toute c o m m u n a u t é civilisée : il violerait la loi de la conservation de sa propre existence.

(...)

Les obligations des États à l'égard des minorités doivent être universelles sous forme de droit ou sous forme de morale. Le droit positif perpétuellement régional est une conception inadmissible. L e droit des minorités ne peut rester éternelle­ment le droit des vaincus et des nouveaux venus.

Nicolas Titulesco, 1882-1941, Roumanie

324

Lettre à la Conférence Nationale des Chrétiens et des Juifs de

Washington, D.C.

Il nous appartient à tous d'encourager l'esprit de tolérance non seulement au sein du gouvernement mais aussi entre les

Page 228: La Tolérance: essai d'anthologie; 1988

224

LA TOLÉRANCE

divers groupes de la communauté nationale. L a tolérance ne signifie pas que l'on soit peu attaché à ses propres croyances. Elle condamne la répression et la persécution de ceux qui en ont d'autres.

John F. Kennedy, président des États-Unis d'Amérique,

10 octobre 1960

325

L a liberté est une libération, un processus spécifiquement historique à travers la théorie et la pratique et, c o m m e tel, contient sa part de vérité et de mensonge, à tort et à raison et à la fois.

L'incertitude qui prédomine dans ce travail de distinc­tion n'entame pas l'objectivité historique, mais elle nécessite la liberté de pensée et d'expression c o m m e conditions préalables à la découverte du chemin de la liberté, elle nécessite la tolérance. Toutefois, cette tolérance ne peut être impartiale et sans discernement, en paroles c o m m e en action. A l'égard du contenu de l'expression, elle ne peut protéger des paroles mensongères et des actions mauvaises qui se révèlent contredire et contrecarrer les possibilités de libération. Cette tolérance sans discernement trouve sa justification dans des débats inoffensifs, dans la conver­sation, dans les discussions académiques ; elle est indispen­sable à l'entreprise scientifique et à la religion privée. Mais la société n'a pas le droit de renoncer à exercer sa faculté de discernement quand la pacification de l'existence, la liberté et le bonheur eux-mêmes sont en jeu ; désormais, certaines choses ne peuvent être dites, certaines idées ne peu­vent être exprimées, certaines politiques ne peuvent être proposées, certaines conduites ne peuvent être permises sans faire de la tolérence un instrument qui perpétue la servi­tude.

Herbert Marcuse, États-Unis d'Amérique, Critique de la tolérance pure

Page 229: La Tolérance: essai d'anthologie; 1988

225

C O N C E P T FIGE OU NOTION D Y N A M I Q U E

326 Plaidoyer pour John Brown

(...) L e seul gouvernement queje reconnaisse — peu importe

le petit n o m b r e de ceux qui sont à sa tête, ou la faiblesse de son armée — c'est le pouvoir qui établit la justice dans un pays, jamais celui qui instaure l'injustice. Q u e penser d 'un gouvernement qui a pour ennemi tous les h o m m e s justes et courageux d u pays dressés entre lui et ceux qu'il opprime? U n gouvernement qui se targue d'être chrétien et qui crucifie tous les jours un million de Christs ?

Henry David Thoreau, Etats-Unis d'Amérique, Civil disobedience, 1849

Profession de foi du

député d'une nation libre

I

L a liberté est un droit que tout h o m m e tient de la nature, et dont la société ne peut librement priver à perpétuité aucun individu, s'il n'est convaincu d ' u n crime contre lequel cette peine ait été prononcée.

II

Toute atteinte portée à un des droits naturels des h o m m e s est un crime, que l'intérêt pécuniaire de ceux qui l'ont commis ne peut excuser.

327

Profession de foi d'un plan­teur

I

L a liberté n'est pas un droit que les h o m m e s tiennent de la nature ; et la société peut librement réduire des h o m m e s à l'esclavage, pourvu qu'il en revienne du profit à quelques-uns de ses membres .

II

L'intérêt pécuniaire, s'il est un peu considérable, peut légitimer toutes les atteintes portées aux droits des h o m m e s , les traitements barbares et m ê m e le meurtre.

Page 230: La Tolérance: essai d'anthologie; 1988

226

LA T O L E R A N C E

III

L a propriété doit être sacrée, et la société n'a pas le droit de s'emparer arbitrairement de celle d'aucun individu.

IV

U n h o m m e ne peut être la propriété d 'un autre h o m m e et, par conséquent, le despo­tisme asiatique est contraire à la raison et à la justice.

V

Tous les citoyens doivent être également soumis aux lois et protégés par elles.

VI

Tout homme est obligé de conformer sa conduite à la justice, m ê m e contre son intérêt, et il serait infâme de vendre la liberté des autres h o m ­mes pour une s o m m e d'argent.

III

L a société a le droit de forcer une classe d ' h o m ­m e s à travailler pour le profit d'une autre classe.

IV

U n homme peut être la propriété d'un autre homme et, par conséquent, le despo­tisme asiatique n'est contraire ni à la raison, ni à la justice.

L a loi peut tolérer dans une classe de citoyens les violences et les crimes qu'elle punit avec sévé­rité dans une autre.

VI

O n n'est obligé d'être juste qu'autant que la justice est d'accord avec notre intérêt, et il est très permis de sacrifier la liberté des autres h o m ­m e s à sa fortune.

Il suffit de comparer les deux professions de foi pour se prononcer sur l'admission des députés des colonies.

Condorcet, 1743-1794, France, Sur l'admission des députés des planteurs de Saint-Domingue à l'Assemblée Nationale

Page 231: La Tolérance: essai d'anthologie; 1988

227

C O N C E P T FIGÉ OU NOTION DYNAMIQUE

328

L'Histoire de la Tunisie, depuis 1 300 ans, est une des rares histoires qui n'ait jamais enregistré de luttes religieuses. La Tunisie était cependant le pays où se coudoyaient le plus de religions. A u sein d'une m ê m e religion, des schismes et des rites différents vivaient, côte à côte, en pleine harmonie. Les luttes intestines enregistrées n'ont été que des luttes dynasti­ques et de prise de pouvoir.

Les Juifs, réfugiés aux confins du sud tunisien, à cause des persécutions des dominations anté-islamiques, reprirent confiance dans l'esprit de tolérance apporté par les Arabes et remontèrent dans les régions fertiles du Nord. Ils reçurent une organisation autonome pour tout ce qui concernait leur statut personnel et, au point de vue politique et social, les libertés, les droits et les obligations des Tunisiens musul­mans . Ils eurent accès aux fonctions publiques de leur compé­tence. C'est ainsi que les fonctions financières, les postes de chef de protocole, d'interprète, de médecin, de secrétaire intime du prince, leur furent le plus souvent confiés.

Cette situation éminemment favorable au développement de la société non-musulmane provoqua l'émigration à Tunis de nombreuses communautés juives persécutées par le fanatisme européen : contingents considérables chassés d'Espagne, du Portugal, d'Italie, etc.

E n 1697, R o m d a m Bey édifia à Tunis une église avec les deniers de l'Etat et la main-d'œuvre tunisienne, afin de permettre aux Chrétiens venus d'Europe, facteurs intéres­sants de la prospérité économique, d'exercer leur culte en toute commodité. (...)

Des missionnaires du pape furent autorisés à résider sur le territoire tunisien et des églises édifiées un peu partout dans les villes.

Des écoles chrétiennes congréganistes furent créées à Tunis, à Sousse, à Sfax, à Bizerte, à Béjà, à la Goulette. E n 1880, on pouvait compter vingt établissements d'enseigne­ment congréganiste dont un secondaire, trois écoles israélites et un collège tunisien enseignant les langues européennes.

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228

LA T O L É R A N C E

Conformément au droit des gens, le Pacte fondamental de 1857 et la Constitution de 1861 reconnurent aux étrangers les m ê m e s garanties et les m ê m e s droits civils qu'aux Tunisiens.

cAbd al-cAziz al-Thacâlibî, Tunisie, La Tunisie martyre, ses revendications, 1920

329

U n e société et un système de gouvernement démocratiques, alors qu'ils constituent l'un des idéaux les plus élevés de l ' h o m m e , sont des plus difficiles à atteindre. Dans une démocratie, il est beaucoup trop facile pour la majorité d'oublier les droits de la minorité et pour u n gouvernement lointain et puissant d'ignorer les revendications de cette dernière. Il est beaucoup trop facile également, quand des incidents surgissent, de les réprimer au n o m de la loi et de l'ordre. N'oublions pas qu 'une démocratie est jugée par l'histoire sur la manière dont la majorité aura traité la minorité.

(...) C'est pourquoi je pense que nous ne devrions jamais

réagir à des demandes de pratiques conformes à la justice en mettant en avant des exemples d'injustice. Si un droit est contesté ou refusé dans une province, cela ne constitue pas une raison valable pour refuser ce m ê m e droit dans une autre. D e tels arguments sont pourtant mis en avant, et cela conduit à un cercle vicieux à l'intérieur duquel nul progrès n'est possible pour les libertés humaines.

Pierre Elliott Trudeau, né en 1921, Canada, Discours, 1968

330

Le principe fondamental de la démocratie c'est la tolérance. Nous ne pouvons permettre aucune perquisition qu'elle soit ou non mandatée légalement, ni adopter u n critère de religion pour l'octroi des postes.

Calvin Coolidge, président des États-Unis d'Amérique, Deuxième discours inaugural, 4- mars 1925

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229

CONCEPT FIGÉ OU NOTION D Y N A M I Q U E

331

L'emploi du mot « race » est toujours symptomatique de l'attitude sociale d'un individu. Et le succès des conceptions anthropologiques populaires sert dans une société de ther­momètre politique. Il est rare qu'un peuple en crise de réaction ne fasse pas appel à cette notion pour justifier ses tendances. Et si vous voulez, jamais une société où circule la notion de race n'est une société démocratique.

(...) Si la famille est médiocre, au moins que la souche soit noble. Autrefois, le conflit des orgueils se produisait au sein de la société, à partir des différences de castes, de blasons, d'arbres généalogiques. Depuis que les aristocrates sont déchus, la bourgeoisie a inventé la race, médiocre démocratisation marchande de l'idée de noblesse (...) Et, tout c o m m e autrefois les mésalliances entachaient la pureté d u n o m , aujourd'hui, la race doit nous préserver de tout contact impur.

Mihai Ralea, Roumanie, Article dans « Stânga », 1933

332

U n e démocratie n'est viable que si ceux qui jouissent des libertés civiques reconnaissent aux autres la possibilité de jouir des m ê m e s droits. Il leur faut accepter le droit des autres à penser différemment qu'eux et à pratiquer d'autres choix que les leurs. D a n s les sociétés traditionnelles, tous les membres partageaient les m ê m e s croyances religieuses, pratiquaient les m ê m e s rites et avaient les m ê m e s concep­tions de l'univers. L a solidarité tant vantée des sociétés traditionnelles avaient c o m m e fondement le conformisme. Mais il est d é m o d é d'espérer que, dans les circonstances actuelles, la solidarité naîtra du conformisme. Dans les États modernes, les citoyens sont catholiques, protestants, musul­m a n s ou animistes. D e plus, ils peuvent avoir des opinions différentes non seulement en ce qui concerne la religion, mais tout aussi bien en science ou en philosophie, en politique ou sur toutes autres idéologies ou questions. Bien entendu, ils

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230

LA TOLÉRANCE

peuvent tous néanmoins s'accorder sur la validité de l'idéal démocratique et le servir avec loyauté. L à où des possibilités de communication et d'accès à des idéologies différentes sont ouvertes aux citoyens, des opinions et des croyances diverses trouvent l'occasion de s'exprimer. Par conséquent, la tolérance

est indispensable au succès de la démocratie. O n peut m ê m e dire qu'elle constitue une de ses caractéristiques les plus importantes.

( • • • )

D'autres raisons existent également qui font que la tolérance est essentielle à la démocratie. Les sociétés d é m o ­cratiques reconnaissent que tous les h o m m e s peuvent se tromper. Nul n'est omniscient, nul n'a le monopole de la vérité, nul n'incarne ou n'exprime la volonté de tout un peuple. Les h o m m e s au pouvoir peuvent jouir de la faveur populaire à un m o m e n t déterminé de l'histoire, mais cela ne signifie pas qu'ils ne puissent se tromper soit à la suite d 'un malentendu, soit en raison d'un m a n q u e d'information, d'une fausse appréciation de la réalité, soit encore qu'ils cèdent à la corruption ou par indifférence aux effets de leurs actes sur les autres. Selon la phrase souvent citée de Lord Acton « le pouvoir tend à corrompre et le pouvoir absolu tend à corrompre absolument ». U n e société démocratique prévoit des méthodes et des institutions propres à préserver la liberté, telles que journaux, associations volontaires, partis politiques, ainsi qu 'un Parlement qui peut à tout m o m e n t critiquer ceux qui gouvernent et où peuvent s'exprimer les vues de ceux qui sont gouvernés. Tout cela exige pour bien fonctionner de la tolérance.

Kofi A . Busia, Ghana, Africa in search of democracy, 1967

333

L a tolérance universelle n'est possible que si aucun ennemi — réel ou supposé — n'exige, dans l'intérêt national, l'éducation et l'entraînement des gens à la violence militaire et la destruction. Tant que ces conditions ne seront pas réalisées, la tolérance sera en quelque sorte « hypothéquée » :

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231

CONCEPT FtGÉ OU NOTION D Y N A M I Q U E

car elle se trouve déterminée et définie par l'inégalité institutionnalisée (tout à fait compatible avec l'égalité consti­tutionnelle), c'est-à-dire, par une structure de classe de la société. Dans une telle société, la tolérance est limitée de fait par deux choses : premièrement, la violence légale et la répression (police, force armée, toutes sortes de gardes) et, deuxièmement, la position privilégiée tenue par les intérêts dominants et leurs « connections ».

Ces limites implicites de la tolérance sont plus importan­tes que les limites formelles, judiciaires, définies par les tribunaux, la coutume et le gouvernement telles que, par exemple, « danger immédiat et évident », menace pour la sécurité nationale, hérésie. A l'intérieur d'une telle structure sociale, la tolérance peut être proclamée et pratiquée en toute sécurité. Elle est de deux sortes :

1. la tolérance passive à l'égard d'attitudes ou d'idées « établies » et profondément ancrées, quand m ê m e elles ont de toute évidence un effet nuisible sur l ' h o m m e et la nature ;

2. la tolérance active, officiellement accordée à la droite et à la gauche, aux partisans de l'agression c o m m e aux partisans de la paix, au parti de la haine c o m m e à celui de l'humanité. J'appelle cette tolérance, libre de toute prise de position, une tolérance « abstraite » ou « pure », d'autant plus qu'elle empêche tout attachement à u n parti ; par là, en fait, elle sauvegarde la machinerie de discrimination déjà en place.

Herbert Marcuse, Etats-Unis d'Amérique, Critique de la tolérance pure

334 Défense de publier

C e serait ennuyeux si le Christ Revenait, et qu'il fût tout noir. Il y a tant d'églises

O ù il ne pourrait prier A u x Etats-Unis

O ù l'accès des Noirs,

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LA T O L É R A N C E

Si saints soient-ils, Est interdit. O ù l'on célèbre N o n pas la religion Mais la race. Essayez donc de le dire Et vous serez peut-être Crucifié.

Längsten Hughes, 1902-1967, États-Unis d'Amérique

335 Discours prononcé à ¡'American University, Washington,

D.C.

L a paix du m o n d e c o m m e la paix de la communauté n'exige pas que chaque h o m m e aime son prochain — elle exige seulement que les h o m m e s vivent ensemble dans une tolérance mutuelle et qu'ils acceptent de soumettre leurs difïèrends à un règlement juste et pacifique.

John F. Kennedy, président des États-Unis d'Amérique, 10 juin 1963

336

Il ne suffit pas de dire : « Nous aimons les Noirs, nous avons beaucoup d'amis Noirs. » Il faut exiger qu'il leur soit fait justice. L ' a m o u r qui ne s'acquitte pas de sa dette de justice ne mérite pas son n o m (...) A u meilleur sens du terme, aimer c'est faire appliquer la justice.

Martin Luther King, 1929-1968, États-Unis d'Amérique, O ù allons-nous ?

337

Je dois faire connaître clairement m a position. Elle est simple : je ne suis partisan d'aucune forme de racisme. Je ne crois en aucune forme de racisme. Je ne crois en aucune forme de discrimination ou de ségrégation. Je crois en

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233

CONCEPT FIGÉ O U NOTION D Y N A M I Q U E

l'Islam. Je suis musulman et je pense qu'il n'y a rien de mal à cela, qu'il n'y a rien de mauvais dans la religion islamique. Elle nous enseigne seulement à croire en Allah, notre Dieu. Ceux d'entre vous qui sont Chrétiens croient sans doute au m ê m e Dieu car je pense que vous croyez au Dieu créateur de l'univers. C'est en ce Dieu que nous croyons, en le Créateur de l'univers — la seule difference tient à ce que vous l'appelez Dieu tandis que nous l'appelons Allah. Les Juifs l'appellent Jéhovah. Si vous compreniez l'hébreu, vous l'appelleriez, sans doute, Jéhovah, vous aussi. Si vous compreniez l'arabe, vous l'appelleriez sans doute Allah. Mais puisque l ' homme blanc, votre ami, vous a, du temps de l'esclavage, dépouillés de votre langue, la seule langue que vous sachiez parler est la sienne. Vous connaissez la langue de votre ami si bien que lorsqu'il vous passe la corde au cou, vous invoquez Dieu tandis qu'il invoque Dieu. Et vous vous demandez pourquoi celui que vous invoquez ne vous répond jamais.

Malcolm X , 1925-1965, Etats-Unis d'Amérique, Malcolm speaks

338

L a distinction de Robespierre entre la terreur révolution­naire et la terreur despotique, ainsi que la glorification morale de la première, constitue une des aberrations unani­mement condamnées, bien que la terreur blanche se révélât plus meurtrière que l'autre. U n e appréciation comparative s'attachant au nombre des victimes équivaut à une approche quantitative, qui ne fait que révéler les atrocités commises par l ' homme au cours de l'Histoire quand il érige la violence en nécessité ! Mais si l'on considère le rôle historique de la violence, alors il existe vraiment une différence entre la violence révolutionnaire ou réactionnaire, entre la violence pratiquée par les opprimés ou par les oppresseurs. A u regard de l'éthique toutes les deux sont inhumaines et mauvaises. Mais depuis quand l'Histoire obéit-elle aux règles morales ? Et si l'on choisit pour appliquer des critères moraux à l'Histoire le m o m e n t m ê m e où les opprimés se révoltent

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LA T O L É R A N C E

contre leurs bourreaux, les dépossédés contre les possédants, on sert la cause de la violence réelle en affaiblissant les protestations qu'elle soulève.

Herbert Marcuse, Etats-Unis d'Amérique, Critique de la tolérance pure

339

Cette nation a été créée par des h o m m e s de plusieurs nations et de diverses origines. Elle a été créée sur le principe que tous les h o m m e s naissent égaux et que les droits de tous les h o m m e s sont lésés quand les droits d 'un seul h o m m e sont menacés. Il devrait être possible pour tout Américain de jouir du privilège d'être Américain, sans considération de sa race ou de sa couleur. E n bref, chaque Américain doit avoir le droit d'être traité c o m m e il souhaite être traité, c o m m e on souhaite que ses propres enfants soient traités. Mais ceci n'est pas le cas. Le bébé noir né en Amérique aujourd'hui, quel que soit le secteur de la nation dans lequel il est né, a environ moitié moins de chances de faire toutes ses classes qu'un bébé blanc né au m ê m e endroit le m ê m e jour ; il a trois fois moins de chances d'accéder au niveau professionnel, deux fois autant de chances de se trouver sans emploi (...) son espérance de vie est sept fois plus brève et sa perspective de la dépasser de moitié moins grande.

Il ne s'agit pas d 'un problème particulier à une fraction quelconque de la nation. Les h o m m e s de bonne volonté et de coeur devraient être capables de s'unir en dehors de tout parti et de toute politique (...) Il s'agit d 'un problème d'ordre moral, aussi vieux que les Ecritures et aussi clair que la Constitution américaine. Si un Américain, parce que sa peau est foncée, ne peut pas accéder à une vie libre et heureuse telle que nous nous la souhaitons tous, lequel d'entre nous verrait-il de bon cœur la couleur de sa peau changée et prendrait-il sa place? Lequel d'entre nous s'accommoderait-il de conseils de patience et de ces atermoiements ? U n siècle s'est écoulé depuis que le Président Lincoln a libéré les esclaves et cependant, leurs descendants, leurs petits-fils ne

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CONCEPT FIGÉ OU NOTION D Y N A M I Q U E

sont pas encore entièrement libres. Ils ne sont pas encore libérés des chaînes de l'injustice. Ils ne sont pas encore libérés de l'oppression sociale et économique et cette nation, en dépit de ses affirmations et de ses espérances, ne sera pas pleinement libre tant que tous ces citoyens ne le seront pas.

Nous prêchons la liberté au monde entier, nous le faisons sincèrement et nous sommes jaloux de nos libertés ici, chez nous. Mais devons-nous dire au monde — et, ce qui est plus important, à nous-mêmes — que notre pays est la terre des h o m m e s libres sauf pour les Noirs, que nous n'avons ni classes ni système de castes, pas de ghettos, pas de race supérieure sauf en ce qui concerne les Noirs ? L e temps est maintenant venu pour cette nation de remplir ses engage­ments. (...) Nous nous trouvons face à une crise morale en tant que pays et en tant que peuple. Il ne suffit pas d'en imputer la responsabilité aux autres, de dire « ceci est un problème qui concerne une fraction seulement d u pays » et de le déplorer. C'est un fait que de grands changements sont proches, et que notre tâche et notre devoir consistent à faire en sorte que cette révolution, que ces changements, se fassent dans la paix et de façon constructive pour nous tous.

John F. Kennedy, président des États-Unis d'Amérique, Address to the American people

(discours prononcé à la Maison Blanche), 11 juin 1963

340

N o n seulement les Blancs du Sud ne m'avaient pas connu, mais fait plus important encore, la façon dont j'avais vécu dans le Sud ne m'avait pas permis de m e connaître moi-m ê m e . Étouffée, comprimée par les conditions d'existence dans le Sud, m a vie n'avait pas été ce qu'elle aurait dû être. Je m'étais conformé à ce que m o n entourage, m a famille, conformément aux lois édictées par les Blancs qui les dominaient, avaient exigé de moi, j'avais été le personnage que les Blancs m'avaient assigné. Je n'avais jamais pu être réellement m o i - m ê m e , et j'appris peu à peu que le Sud ne pouvait reconnaître qu'une partie de l ' homme, ne pouvait

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LA T O L É R A N C E

admettre qu 'un fragment de sa personnalité, et qu'il rejetait le reste, le plus profond et le meilleur du cœur et de l'esprit — par ignorance aveugle et par haine.

Je quittais le Sud pour m e lancer dans l'inconnu à la rencontre de situations nouvelles qui m'arracheraient peut-être d'autres réactions. Et si je pouvais trouver une vie différente, alors, peut-être, pourrais-je lentement et graduel­lement, apprendre qui j'étais et ce que je pourrais devenir. Je quittais le Sud non pour oublier le Sud, mais afin de pouvoir un jour le comprendre, savoir ce que ses rigueurs m'avaient fait, à moi et à tous ses enfants. Je fuyais pour que fonde cette insensibilité consécutive à des années de vie défensive et pour pouvoir sentir (beaucoup plus tard et loin de là) les cicatrices douloureuses laissées par m a vie dans le Sud.

Et cependant, au plus profond de m o i - m ê m e , je savais queje ne pourrais jamais quitter, réellement le Sud, car mes sentiments avaient déjà été façonnés par le Sud, car tout Noir queje fusse, la culture du Sud s'était peu à peu infiltrée dans m a personnalité et dans m a conscience. Aussi, en partant, j'emportais une parcelle du Sud pour la transplanter dans un sol étranger, afin de voir si elle pouvait croître différemment, si elle pouvait boire une eau fraîche et nouvelle, se courber au souffle de vents étrangers, réagir à la chaleur de soleils nouveaux, et peut-être fleurir... Et si ce miracle s'accomplis­sait, je saurais alors qu'il y a encore de l'espoir dans cette fondrière de désespoir et de violence qu'est le Sud, je saurais que la lumière peut naître m ê m e des ténèbres les plus noires. Je saurais que le Sud lui aussi pourrait vaincre sa peur, sa haine, sa lâcheté, son héritage de crimes et de sang, son fardeau d'angoisse et de cruauté forcenée.

L'œil aux aguets, portant des cicatrices visibles et invisi­bles, je pris le chemin du Nord, imbu de la notion brumeuse que la vie pouvait être vécue avec dignité, qu'il né fallait pas violer la personnalité d'autrui, que les h o m m e s devraient pouvoir affronter d'autres h o m m e s sans crainte ni honte et qu'avec de la chance — dans leur existence terrestre — ils pourraient peut-être trouver une sorte de compensation aux

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CONCEPT FIGÉ OU NOTION D Y N A M I Q U E

luttes et aux souffrances qu'ils endurent ici-bas sous les étoiles. Richard Wright, États-Unis d'Amérique, Black boy, 1945

341

Sommes-nous des emigrants? J'ai toujours trouvé faux ce n o m qu'on nous donnait : Emigrants. Il veut dire que nous avons émigré. Mais nous n'avons pas émigré, volontairement. Nous n'avons pas choisi un autre pays. Nous n'avons pas non plus émigré dans un pays pour y rester, si possible pour toujours. N o n , nous avons fui. Des expulsés, des bannis voilà ce que nous sommes . C e n'est pas un foyer, mais un exil que doit être le pays qui nous a reçus. Nous sommes là, impatients, au plus près de la frontière, attendant l'heure du retour, observant le moindre changement de l'autre côté de la frontière, interrogeant fébrilement tout nouveau venu, N'oubliant rien, ne cédant rien, ne pardonnant rien de ce qui s'est passé, ne pardonnant rien. A h ! Le silence de l'heure ne nous trompe pas ! Nous entendons jusqu'ici les cris qui montent de leurs camps. Nous sommes presque nous-mêmes c o m m e les rumeurs de leurs méfaits, qui franchissent les frontières. Chacun d'entre nous marchant à travers la foule dans ses souliers troués, témoigne de la honte qui couvre aujourd'hui notre pays. Mais pas un seul d'entre nous ne restera ici. Le dernier mot n'est pas encore dit.

Bertolt Brecht, 1898-1956, République démocratique allemande

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238

LA T O L É R A N C E

U n accord ambigu

Concessions spirituelles

Des contradictions majeures sont apparemment dépassées, d'autres

émergent de cette résolution même, d'autres, implicites, ne sont pas

encore actualisées.

Nous sommes ici à un moment de synthèse partielle de ce livre, celui

où, sous la pression historique, une certaine représentation de l'homme

et du monde lentement se défait pour se recomposer, dans son

mouvement même, selon un nouvel ordre des valeurs.

Une structure s'abolit, celle de la prééminence, mondaine et

spirituelle, de tel ou tel groupe socio-économico-culturel. Tout

impérialisme spirituel rentré, il faut vivre ensemble sur cette terre et

élaborer les lois de coexistence que le réel immédiat requiert. Entre une

violence inefficiente et une impossible indifférence, il n'est de choix que

d'un dialogue franc et pacifique que l'on appellera, faute de mieux,

« tolérance » et qui, à tout le moins, exclut en principe toute hiérarchie

entre « vérités » particulières. Du coup, l'ancienne valeur de

prosélytisme s'en trouve mise en distance, indéfiniment différée : entre

hommes de croyances opposées ou différentes, la foi elle-même se fait

délibérément « relative », dans l'exigence d'une plus haute dignité de

soi-même, de l'Autre, de tous les Autres.

La différence entre le rêve médiéval et la paix tactique de l'âge de

la séparation des Eglises et des Etats, c'est que, par les effets de la

conscience politique, le monde n'est plus au m o d u s vivendi ni aux

chasses gardées, mais qu 'il est entré en une contiguïté malaisée, en quête

d'unité concrète. L'âge théologique est clos et l'Etat relatif succède aux

dieux absolus.

342

C e queje vous propose c o m m e idéal de paix ne consiste pas d u tout p o u r chacun à être neutre, à ne pas prendre parti, à ne pas choisir, à ne pas avoir d e convictions o u à ne pas les montrer. C e c h e m i n n'est pas n o n plus ce q u ' o n appelle le syncrétisme, suivant lequel o n croit résoudre les différences

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239

CONCEPT FIGÉ OU NOTION DYNAMIQUE

en mélangeant tous les credos. Je pense, au contraire, à une paix se réalisant dans nos différences et j'appelle son chemin le Dialogue Fraternel. Celui-ci se situe exactement entre la suppression de celui qui diffère de moi et une soumission totale à lui.

Dominique Pire, Belgique, Vivre ou mourir ensemble, 1969

343

Je n'aime pas le mot tolérance, mais je n'en trouve pas de meilleur. L a tolérance peut impliquer la supposition, toute gratuite d'ailleurs, que la foi d 'un autre est inférieure à la nôtre, tandis que Yahimsa nous enseigne à conserver, pour la foi religieuse d'autrui, le m ê m e respect que nous accordons à la nôtre — dont nous reconnaissons ainsi l'imperfection. Cette admission sera facile pour celui qui cherche la Vérité, pour celui qui obéit à la loi de l 'Amour. Si nous étions parvenus à la pleine vision de la Vérité, nous ne serions plus des chercheurs, nous serions devenus un avec Dieu, car la Vérité est Dieu. Mais puisque nous n'en sommes encore qu'à chercher, nous poursuivons notre recherche et nous s o m m e s conscients de notre imperfection. O r , si nous s o m m e s nous-m ê m e s imparfaits, la religion telle que nous la concevons doit être imparfaite aussi. Nous n'avons pas réalisé la religion dans sa perfection, de m ê m e que nous n'avons pas réalisé Dieu. Puisque la religion telle que nous la concevons est imparfaite, elle est toujours susceptible d'évolution et de ré­interprétation. Le progrès vers la Vérité, vers Dieu, n'est possible qu'en raison de cette évolution. Et si toutes les conceptions religieuses que se représentent les h o m m e s sont imparfaites, il ne peut être question de supériorité ou d'infériorité de l'une par rapport à l'autre. Toutes les Fois constituent des révélations de la Vérité, mais toutes sont imparfaites et faillibles. Le respect que nous éprouvons pour d'autres Fois ne doit pas nous empêcher d'en voir les défauts. Nous devons aussi être intensément conscients des défauts de notre propre foi, et pourtant ne pas l'abandonner pour cette raison, mais essayer de triompher de ces défauts. Si nous

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240

LA TOLÉRANCE

considérons sans partialité toutes les religions, non seule­ment nous n'hésiterions pas à mêler à la nôtre tous les caractères désirables des autres, mais encore nous estime­rions que c'est pour nous un devoir.

Mahatma Ghandi, 1869-1948, Inde, Lettres à l'Ashram

344

C'est justice de distinguer toujours entre l'erreur et ceux qui la commettent, m ê m e s'il s'agit d ' h o m m e s dont les idées fausses ou l'insuffisance des notions concernent la religion ou la morale. L ' h o m m e égaré dans l'erreur reste toujours un être h u m a i n et conserve sa dignité de personne à laquelle il faut toujours avoir égard. Jamais non plus l'être humain ne perd le pouvoir de se libérer de l'erreur et de s'ouvrir un chemin vers la vérité. Et pour l'y aider, le secours providen­tiel de Dieu ne lui m a n q u e jamais. Il est donc possible que tel h o m m e , aujourd'hui privé des clartés de la foi ou fourvoyé dans l'erreur, se trouve demain, grâce à la lumière divine, capable d'adhérer à la vérité. Si en vue de réalisations temporelles les croyants entrent en relation avec des h o m m e s que des conceptions erronées empêchent de croire ou d'avoir une foi complète, ces contacts peuvent être l'occasion ou le stimulant d'un m o u v e m e n t qui m è n e ces h o m m e s à la vérité.

Jean XXIII , pape, Encyclique « Pacem in terris », 1963

345

— Frère en Dieu, venu au seuil de notre zaouïa, cellule d ' A m o u r et de Charité, ne querelle pas l'adepte de Moïse ni celui de Jésus car Dieu a témoigné en faveur de leurs prophéties. — Et les autres ? — Laisse-les entrer et m ê m e salue-les fraternellement pour honorer en eux ce qu'ils ont hérité d ' A d a m . (...) Il y a en chaque descendant d ' A d a m une parcelle de l'esprit de Dieu. C o m m e n t oserions-nous mépri­ser un vase renfermant un tel contenu ?

(...) L'arc-en-ciel doit sa beauté aux tons variés de ses

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241

C O N C E P T FIGÉ OU NOTION D Y N A M I Q U E

couleurs. D e m ê m e , nous regardons les voix des croyants divers qui s'élèvent de tous les points de la terre, c o m m e une symphonie de louanges à l'adresse d'un Dieu qui ne saurait être que l'Unique.

(...) — Est-il licite de causer de leur religion avec les

étrangers ? — Pourquoi pas ? Il faut causer avec eux si tu peux rester

poli et courtois. T u gagnerais énormément à connaître les diverses formes de la religion (...) Il ne faut pas croire que sa propre religion soit seule à détenir la vraie foi (...) L a religion, celle que veut Jésus et que M a h o m e t ne déteste pas, c'est celle qui c o m m e un air pur et libre, est en contact permanent avec le soleil de Vérité et de Justice dans l 'Amour du Bien et de la Charité pour tous.

(...) U n h o m m e , quelle que soit sa race, dès que l'adoration

illumine son â m e , celle-ci prend l'éclat du « diamant » mystique. Ni sa couleur, ni sa naissance, n'entrent en jeu.

Salif Tall Tierno-Bokar, 1884-1948, Mali, Sénégal, Cité par T h . Monod

346

Le fait d'accepter la doctrine de l'égalité des religions ne fait pas disparaître la distinction entre religion et irréligion. Nous n'avons pas l'intention d'encourager la tolérance envers l'irréligion. O n pourrait soutenir il est vrai, que, dans certaines conditions, il n'est plus possible de rester impartial, car il incombe alors à chacun de décider pour soi ce qui est religion et ce qui est irréligion. Si nous obéissons à la loi de l'Amour, nous ne ressentirons aucune haine pour notre frère irréligieux. N o u s l'aimerons au contraire et, par conséquent, ou bien nous l'amènerons à voir son erreur, ou bien il nous fera comprendre la nôtre, ou bien chacun tolérera l'opinion différente de l'autre. Si l'autre n'observe pas la loi de l'Amour, il peut se montrer violent envers nous, mais si nous avons pour lui un a m o u r véritable, notre a m o u r finira par

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242

LA T O L É R A N C E

triompher de son animosité. Tous les obstacles qui sont sur notre route se dissiperont pourvu que nous observions la règle d'or, que nous n'ayons pas d'impatience envers ceux que nous pourrons croire dans l'erreur, et que nous soyons prêts, en cas de besoin, à souffrir personnellement.

Mahatma Gandhi, 1869-1948, Inde, Lettres à l'Ashram

347

Toute religion vient de Dieu, il n'y a qu'une seule religion, la m ê m e pour les h o m m e s qui nous ont précédés et pour ceux qui viendront après nous ; elle ne difiere que par ses formes extérieures et ses apparences ; son esprit et la vérité procla­mée par la bouche de tous les prophètes de tous les temps ne change pas. Cette vérité dit aux h o m m e s de croire en Dieu, de l'adorer en toute sincérité et sans arrière-pensée, de s'exhorter mutuellement à faire le bien et à éviter le mal, autant que cela est en leur pouvoir.

al-Cheikh M u h a m m a d cAbduh, Egypte, Al-Islâm wa-al-Nasrâniya (Islam et christianisme), 1901

348

L a meilleure attitude actuelle pour la défense de la vérité sainte, plus désarmée que jamais, est de ne pas nous en servir c o m m e d'une matraque mais bien d'accepter avec douceur d'être matraqué pour Elle, d'être frappé par Elle, telle que se la figurent contre nous nos frères, dans leur exaspération insensée. Car nous ne voulons pas qu'ils deviennent pires, mais qu'ils vivent avec nous dans la paix qui reviendra bien un jour. Et, en attendant, nous voulons mourir anathèmes pour ces frères qui sont perdus ou croient l'être.

Louis Massignon, France, Lettre aux amis de Gandhi, 1961

349

Toute religion a son origine dans une révélation. Aucune

religion ne détient la vérité absolue, aucune n'est un morceau

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243

CONCEPT FIGÉ OU NOTION DYNAMIQUE

de ciel transplanté sur la terre. Chaque religion représente une vérité de l ' homme . Cela signifie qu'elle exprime la relation avec l'Absolu d'une communauté humaine donnée. Chaque religion est une demeure pour l'âme humaine assoiffée de Dieu, une demeure pourvue de fenêtres et sans porte; je n'ai qu 'à ouvrir une fenêtre pour que la lumière de Dieu y pénètre. Mais si je perce un trou dans le m u r et m ' e n évade, non seulement alors je reste sans logis mais une lumière glacée m'entoure qui n'est pas la lumière du Dieu vivant. Chaque religion est une terre d'exil où l ' h o m m e est jeté et dans laquelle il est plus que partout ailleurs séparé des autres communautés humaines par la forme de sa relation avec Dieu. Et nous ne serons libérés de ces exils et n'aurons accès au m o n d e de Dieu, c o m m u n à tous, qu'après la rédemption du m o n d e . Mais les religions qui savent qu'elles sont toutes associées dans une attente c o m m u n e peuvent communiquer entre elles, d'un lieu d'exil à un autre, de demeure à demeure, à travers les fenêtres ouvertes. Plus encore : elles peuvent joindre leurs efforts pour essayer de trouver ce qui peut être fait par l ' homme pour rapprocher le temps de la rédemption. U n e action c o m m u n e de toutes les religions est concevable bien que chacune d'elles ne puisse agir qu'à l'intérieur de sa propre demeure. Mais ceci ne deviendra possible que dans la mesure où chaque religion récupère son origine, c'est-à-dire la révélation qui est à son origine et où elle procède à la critique de tout ce qui l'en a éloignée dans le processus historique de son développement. Les religions historiques ont tendance à devenir des fins en soi, à se substituer pour ainsi dire à Dieu, de sorte qu'il n'est rien, en vérité, de plus apte à obscurcir la face de Dieu qu'une religion. Les religions doivent être attentives à la volonté de Dieu. Chacune doit accepter le fait qu'elle n'est qu'une des formes sous lesquelles l'élaboration humaine du message de Dieu s'est exprimée, qu'elle n'a pas le monopole du divin; chacune doit renoncer à la prétention d'être la demeure unique de Dieu sur la terre et accepter d'être la demeure d ' h o m m e s animés par une m ê m e image de Dieu, une maison ouverte vers l'extérieur. Chacune doit abandon-

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LA TOLÉRANCE

ner son attitude exclusive — sans vrai fondement — et adopter u n comportement plus proche de la vérité. Quelque chose de plus est encore requis : les religions doivent joindre leurs efforts pour déchiffrer la volonté de Dieu, elles doivent s'efforcer, dans la perspective de la révélation, de dépasser les problèmes courants que les contradictions entre la volonté de Dieu et la réalité d u m o n d e posent pour elle. Elles seront alors unies non seulement dans une attente c o m m u n e de la rédemption, mais aussi dans les tâches quotidiennes d 'un m o n d e non encore sauvé.

Martin Buber, 1878-1965, Israël

350

L e fait que le socialisme et la religion soient deux choses différentes n'implique pas pour autant que le socialisme soit anti-religieux. D a n s une société socialiste, les m e m b r e s de la c o m m u n a u t é devraient être libres de croire en Dieu et de pratiquer quelque religion qu'ils désirent. U n e telle société devrait s'efforcer de ne pas édicter des décisions de nature à offenser les sentiments religieux de l'un quelconque de ses m e m b r e s , quelque faible que soit le groupe auquel il appartient.

(...) Cette nécessité de la tolérance religieuse résulte de la

nature m ê m e d u socialisme. Ca r les croyances religieuses d 'un h o m m e ont beaucoup d'importance dans sa vie person­nelle et le but du socialisme c'est de servir l ' h o m m e . L e socialisme ne veut pas seulement servir une entité abstraite d é n o m m é e « le peuple ». Il s'efforce de faire bénéficier des bienfaits de la société le plus grand n o m b r e possible des individus qui la composent. C'est donc le caractère essentiel­lement privé des croyances religieuses qui fait que le socialisme doit laisser toute latitude d'expression aux options religieuses — dans la mesure du possible — ce qui implique la nécessité pour le socialisme d'être laïc.

Julius K . Nyerere, né en 1922, République-Unie de Tanzanie, Freedom and unity, 1964

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245

C O N C E P T FIGÉ OU NOTION DYNAMIQUE

351

Mais c'est par sa conscience que l ' h o m m e perçoit et reconnaît les injonctions de la foi divine ; c'est elle qu'il est tenu de suivre fidèlement en toutes ses activités, pour parvenir à sa fin qui est Dieu. Il ne doit donc pas être contraint d'agir contre sa conscience. Mais il ne doit pas être empêché non plus d'agir selon sa conscience, surtout en matière religieuse. D e par son caractère m ê m e , en effet, l'exercice de la religion consiste avant tout en des actes intérieurs volontaires et libres par lesquels l ' h o m m e s'ordonne directement à Dieu : de tels actes ne peuvent être ni imposés ni interdits par aucun pouvoir purement h u m a i n . Mais la nature sociale de l ' h o m m e requiert elle-même qu'il exprime extérieurement ces actes internes de religion, qu'en matière religieuse il ait des échanges avec d'autres, qu'il professe sa religion sous une forme communautaire.

C'est donc faire injure à la personne humaine et à l'ordre m ê m e établi par Dieu pour les êtres humains que de refuser à l ' h o m m e le libre exercice de la religion sur le plan de la société, dès lors q u e l'ordre public juste est sauvegardé.

E n outre, par nature, les actes religieux par'lesquels, en privé ou en public, l ' h o m m e s'ordonne à Dieu en vertu d'une décision personnelle, transcendent l'ordre terrestre et tempo­rel des choses. L e pouvoir civil, dont la fin propre est de pourvoir au bien c o m m u n temporel, doit donc, certes, reconnaître et favoriser la vie religieuse des citoyens, mais il faut dire qu'il dépasse ses limites s'il arroge le droit de diriger ou d'empêcher les actes religieux.

Concile du Vatican, H, Déclaration « Dignitatis humanae » sur la liberté religieuse, 1965

352

Tant que nous ne respecterons pas l'honneur des croyants non-chrétiens, dont nous entreprenons, c o m m e disent les missiologues, la « conversion », mécaniquement, nous trahirons Dieu, et nous ne trouverons pas la vérité pour n o u s - m ê m e s .

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246

LA TOLÉRANCE

La « conversion » n'est pas un certificat de transit que nous collons sur la conscience des autres, c'est un approfon­dissement de ce qu'il y a de meilleur dans leur loyauté religieuse actuelle que notre catalyse peut déterminer en eux, au cours du travail c o m m u n ; pourvu que notre masque de substitués nous fasse devenir réellement « leurs » par la compassion, le transfert des souffrances et, ajoutons hardi­ment, des espérances. Mais nous devons formara servi acceptus,

leur faire trouver en eux la libération, concevant en eux ce visage du Christ aux outrages, rédempteur, qui nous a attirés à les aimer, à quitter, s'il le faut, les nôtres pour eux. C'est pourquoi (...) le repas d'hospitalité partagé entre compa­gnons de travail, dans l'honneur, est la préfigure de l'exten­sion à toute l'humanité de la dernière Cène, où certain hors-la-loi, condamné à notre place, nous a tendu le pain et le vin de l'Hospitalité divine.

Louis Massignon, France, Parole donnée, 1962

353

Le Concile du Vatican déclare que la personne humaine a droit à la liberté religieuse. Cette liberté consiste en ce que tous les h o m m e s doivent être soustraits à toute contrainte de la part tant des individus que des groupes sociaux et de quelque pouvoir humain que ce soit, de telle sorte qu'en matière religieuse nul ne soit forcé d'agir contre sa conscience ni empêché d'agir, dans de justes limites, selon sa conscience, en privé c o m m e en public, seul ou associé à d'autres. Il déclare, en outre, que le droit à la liberté religieuse a son fondement dans la dignité m ê m e de la personne humaine telle que l'ont fait connaître la parole de Dieu et la raison elle-même. C e droit de la personne humaine à la liberté religieuse dans l'ordre juridique de la société doit être reconnu de telle manière qu'il constitue un droit civil.

En vertu de leur dignité, tous les h o m m e s , parce qu'ils sont des personnes, c'est-à-dire doués de raison et de volonté libre, et, par suite, pourvus d'une responsabilité personnelle, sont pressés, par leur nature m ê m e , et tenus, par obligation

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CONCEPT FIGÉ OU NOTION D Y N A M I Q U E

morale, à chercher la vérité, celle tout d'abord qui concerne la religion. Ils sont tenus aussi à adhérer à la vérité dès qu'ils la connaissent et à régler toute leur vie selon les exigences de cette vérité. O r , à cette obligation, les h o m m e s ne peuvent satisfaire, d 'une manière conforme à leur propre nature, que s'ils jouissent, outre de la liberté psychologique, de l ' i m m u ­nité à l'égard de toute contrainte extérieure. C e n'est donc pas sur une disposition subjective de la personne, mais sur sa nature m ê m e , qu'est fondé le droit à la liberté religieuse. C'est pourquoi le droit à cette immunité persiste en ceux-là m ê m e s qui ne satisfont pas à l'obligation de chercher la vérité et d 'y adhérer ; son exercice ne peut être entravé, dès lors que demeure sauf u n ordre public juste.

Concile du Vatican, il, Déclaration « Dignitatis humanae » sur la liberté religieuse, 1965

354

[Allocution prononcée à la pose de la première pierre de l'Université

de la Paix :]

C'est là que se trouve la vraie fécondité d ' u n effort. L e dialogue entre les h o m m e s , nous voulons (...) le pousser aussi loin que possible, jusqu'au respect intégral d ' u n autre c o m m e tel, dans tout ce qui le constitue autre. C'est pourquoi le m o t « tolérance » nous paraît insuffisant. O n ne tolère pas son frère. O n l'estime, on l'apprécie, puis on l'aime. N o u s voulons estimer et aimer ceux qui sont autres, en respectant totalement ce qui les fait autres.

(...) Notre a m i , le regretté E m m a n u e l Mounier, écrivait : « ... Je crois que le devoir de l ' h o m m e spirituel est de lutter contre toutes les sociétés closes, surtout et principalement contre celles qui tendent à se former autour d 'un prétexte religieux. L a mission des spirituels dans les temps modernes m e semble être une totale présence, extra muros, dans un m o n d e en édification ou en persécution. Je ne veux pas plus d u ghetto confessionnel catholique que d u ghetto confession­nel juif. A u surplus, là où vous pensez à un ramassement de l ' h o m m e dans les frontières spirituelles on lira : acceptation

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LA T O L É R A N C E

des délimitations racistes. Et là, la m o i n d r e concession est mortelle ».

Dominique Pire, Belgique, Vivre ou mourir ensemble, 1969

355 [Extrait des Quatorze Points du président Wilson :]

U n principe évident d o m i n e tout le p r o g r a m m e q u e j'ai esquissé. C'est le principe qui assure la justice à tous les peuples et à toutes les nationalités, qui proc lame leur droit à vivre sur pied d'égalité, dans la liberté et la sécurité, à côté des autres nations, qu'ils soient forts o u faibles. Si ce principe n'en devient pas le fondement , l'édifice de la justice interna­tionale s'effondrera de toute part.

T h o m a s W o o d r o w Wilson, président des États-Unis d'Amérique, Discours au Congrès, 8 janvier 1918

La pierre de touche de la censure

Le fondement de cette hypothèse de civilisation post-théologique, c'est que la liberté de toute société n 'est rien d'autre que la somme des libertés des individus qui la composent. Ce nouveau visage, soumettons-le pour finir à la contre-épreuve de deux expressions signifiantes parmi d'autres, la communication et la communion universelles; en termes clairs, la censure et le racisme.

Tout au long du présent ouvrage, des voix, ici et là, ont dit la fortune diverse de la parole ou de l'écrit perturbateurs, du poème au manifeste du penseur. La section qui suit tente de synthétiser le conflit de la bonne et de la mauvaise consciences, du pouvoir et de ses contestataires. L'on y constatera essentiellement que ce qui, pour l'intolérance religieuse, était génériquement hérésie est tout aussi inadmissible sous sa nouvelle dénomination d' « immoralité » et que si, à l'âge théologique, on devait détruire l'hérétique, à l'âge libéral, au nom de lois, de drconstances ou de la libre concurrence, on peut réduire tout contestataire au silence.

be ce succédané de l'intolérance à dominante religieuse, le conflit de la raison d'État et de l'exigence de tout communiquer librement est

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CONCEPT FIGÉ OU NOTION D Y N A M I Q U E

à peine exceptionnel en ce que, de tout temps, mais avec des déplacements d'accent, le fond en est d'essence politique. En d'autres temps, l'on s'en tenait au postulat : hors de ma vérité point de salut ; maintenant toute pensée qui entend user de son droit de se communiquer doit préalablement se soumettre au crible d'une double censure, celle de l'ordre établi et la sienne propre : « gris sur gris », disait Marx, « la seule couleur de la liberté que la loi m'autorise à employer ».

Or, la vérité s'étant laïcisée et cherchant à s'universaliser, de telles prémisses sont absurdes, ne serait-ce qu'en raison de ce qu' « on ne croit rien de ce qu'affirme une autorité qui ne permet pas qu'on lui réponde ». Encore faut-il que la liberté de critique ne soit pas un moyen, mais une fin. Plus grave encore : tout partisan de la censure institutionnelle se trouve fatalement un jour ou l'autre pris au piège de cette brusque évidence : « Vous étiez parti des abus de la liberté, [vous voilà] sous les pieds d'un despote. »

* -k *

A u départ, et si l'on en croit le pouvoir moderne, « l'imprimerie est un arsenal qu'il importe de ne pas mettre à la portée de tout le monde... il s'agit d'un état qui intéresse la politique ». D ' o ù le recours à la censure, sournoise ou officielle. Pour exprimer son opinion, Germaine de Staël en vain « s'interdit toute réflexion sur l'état politique » tandis que Lukács se verra contraint de truffer ses travaux philosophiques de citations de Staline et de n'exprimer son « opinion dissidente » qu'avec « toutes les précautions » que permettait encore la faible « marge de respiration ».A la limite et en régime autoritaire, une idée n'est plus que « le trait d'union entre deux citations » des maîtres de l'heure.

La censure, l'autodafé modernes n'empruntent pas d'autres argu­ments que ceux de l'Inquisition médiévale, celle-ci au nom d'un Dieu exclusif, ceux-là sous le couvert de « ¡'omniscience du pouvoir absolu ». Entre les deux, la répression n 'a changé ni de nature ni de moyens, elle s'est fait seulement itinérante, comme l'ombre portée de toute nouvelle liberté. Naguère, la liberté de conscience était exclue, maintenant, c'est la liberté de jugement, d'expression que l'on entend contrôler. E n réaction, la nature de la riposte ne saurait changer : si la répression de la conscience est vaine et absurde, celle de l'expression — de même nature — ne l'est pas moins. Et le cycle recommence de la lutte contre le sommeil et l'embrigadement de la raison avec tout ce que ce couple emporte de violences, d'abus, d'exils et d'humiliations d'hommes par

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LA T O L É R A N C E

d'autres hommes. Nous revoilà — bûcher presque exclu — en nouvelle

barbarie. A Sœur Juana Inés de la Cruz répond M m e de Staël ; à

Socrate, HaUâj, Servet répondent Lukács, D . H . Lawrence, Joyce ; et-

à Galilée, Einstein ou Oppenheimer.

D'un point de vue libéral, « pour recueillir les biens inestimables

qu'assure la liberté de la presse, il faut savoir se soumettre aux maux

inévitables qu'elle fait naître. Vouloir obtenir les uns en échappant aux

autres, c'est se livrer à l'une de ces illusions dont se bercent d'ordinaire

les nations malades... (qui) cherchent les moyens de faire coexister à

la fois, sur le même sol, des opinions ennemies et des principes

contraires ». D'un point de vue révolutionnaire, Lénine dira : « nous

ne croyons pas aux absolus, nous nous rions de la démocratie pure... Pour le moment, la bourgeoisie du monde entier est plus forte

que nous, et de plusieurs fois. Lui donner au surplus une arme comme

la liberté d'organisation politique (= la liberté de la presse, car la

presse est le centre et la base de l'organisation politique), c'est faciliter

la tâche à l'ennemi, aider l'ennemi de classe. Nous ne voulons pas nous

suicider, aussi, ne le ferons-nous pas ».

Deux positions contradictoires qui font que « de nos jours, l'idée

de la liberté intellectuelle est attaquée de deux côtés. D'un côté se

trouvent ses ennemis théoriques, les apologistes du totalitarisme ; et de

l'autre, ses ennemis immédiats et pratiques, le monopole et la

bureaucratie ».

Dans les éclaircies de la lutte, seuls les murs se font parfois

entendre et l'allusion.

Si toute libre réflexion est prétexte à sécurité nationale, si les

penseurs, les artistes et les créateurs ont le droit de libre expression mais

non les moyens concrets d'en préserver l'exercice, si un régime

quelconque ne donne de choix aux créateurs qu'entre la persécution

et l'orthodoxie et si l'on ménage une place au censeur politique ou

moral entre l'artiste et la loi, l'accord si péniblement conclu au terme

de siècles de lutte de la liberté contre la force est bien un accord

ambigu.

356

L' imprimerie est u n arsenal qu'il importe de ne pas mettre

à la portée d e tout le m o n d e . L ' impr imer ie n'est pas u n

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CONCEPT FIGÉ O U NOTION D Y N A M I Q U E

commerce : il ne doit pas suffire d'une simple patente pour s'y livrer ; il s'agit d 'un état qui intéresse la politique ; dès lors la politique doit en être le juge.

Napoléon Ier, France, décembre 1809

357 Préface

E n 1810 je donnai le manuscrit de cet ouvrage sur l'Alle­magne au libraire qui avait imprimé Corinne. C o m m e j'y manifestois les m ê m e s opinions et que j'y gardois le m ê m e silence sur le gouvernement actuel des Français que dans mes écrits précédents, je m e flattai qu'il m e seroit permis de le publier : toutefois, peu de jours après l'envoi de m o n manuscrit, il parut un décret sur la liberté de la presse d'une nature très singulière ; il y étoit dit « Q u ' a u c u n ouvrage ne pourroit être imprimé sans avoir été examiné par des censeurs. » — Soit. — O n étoit accoutumé en France sous l'ancien régime à se soumettre à la censure; l'esprit public marchoit alors dans le sens de la liberté, et rendoit une telle gêne peu redoutable; mais un petit article à la.fin du nouveau règlement disoit que, « Lorsque les censeurs auroient examiné un ouvrage et permis sa publication, les libraires seroient en effet autorisés à l'imprimer, mais que le ministre de la police auroit alors le droit de le supprimer tout entier s'il le jugeoit convenable », ce qui veut dire que telles ou telles formes seroient adoptées jusqu'à ce qu'on jugeât à propos de ne plus les suivre : une loi n'étoit pas nécessaire pour décréter l'absence des lois, il valoit mieux s'en tenir au simple fait du pouvoir absolu. (...)

A u m o m e n t où l'on anéantissoit m o n livre à Paris, je reçus à la campagne l'ordre de livrer la copie sur laquelle on l'avoit imprimé, et de quitter la France dans les vingt-quatre heures. Je ne connois guère que les conscrits à qui vingt-quatre heures suffisent pour se mettre en voyage; j'écrivis donc au ministre de la police qu'il m e falloit huit jours pour faire venir de l'argent et m a voiture. Voici la lettre qu'il m e répondit.

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LA T O L É R A N C E

« Police générale

Cabinet du Ministre.

Paris, 3 octobre 1810. J'ai reçu, M a d a m e , la lettre que vous m ' a v e z fait l'honneur de m'écrire. Monsieur votre fils a d û vous apprendre que je ne voyais pas d'inconvénients à ce que vous retardassiez votre départ de sept à huit jours : je désire qu'ils suffisent aux arrangements qui vous restent à prendre, parce que je ne puis vous en accorder davantage.

« Il ne faut point rechercher la cause de l'ordre que je vous ai signifié dans le silence que vous avez gardé à l'égard de l'Empereur dans votre dernier ouvrage, ce serait une erreur, il ne pouvait pas y trouver de place qui fût digne de lui; mais votre exil est une conséquence naturelle de la marche que vous suivez constamment depuis plusieurs annçes. Il m ' a paru que l'air de ce pays-ci ne vous convenait point, et nous n 'en s o m m e s pas encore réduits à chercher des modèles dans les peuples que vous admirez.

« Votre dernier ouvrage n'est point français ; c'est moi qui en ai arrêté l'impression. Je regrette la perte qu'il va faire éprouver au libraire, mais il ne m'est pas possible de le laisser paraître.

(...) Votre très-humble et très-obéissant serviteur

LE D U C DE ROVIGO.

« P.S. J'ai des raisons, M a d a m e , pour vous indiquer les ports de Lorient, La Rochelle, Bordeaux et Rochefort, c o m m e étant les seuls ports dans lesquels vous pouvez vous embar­quer ; je vous invite à m e faire connaître celui que vous aurez choisi. »

Germaine de Staël, France, De l'Allemagne, 1810

358 Ministère de la Police

L e Ministre de la Police générale ordonne au sieur Pâques, Inspecteur général de son ministère, de faire lever les scellés apposés en exécution de notre ordre du 24 du mois dernier,

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CONCEPT FIGÉ O U NOTION D Y N A M I Q U E

chez le sieur Marne , imprimeur, sur les formes et presses qui ont servi à imprimer l'ouvrage de la f e m m e Staël, ayant pour titre : « D e l'Allemagne » ; de faire briser les formes, transporter toutes les feuilles de cet ouvrage sur lesquelles les scellés ont été mis et de se faire remettre, pour être déposés au Ministère, tous les volumes de cet ouvrage qui existe­raient entre les mains d u sieur Marne, ou dont il aurait déjà disposé.

Lettre du Ministre de la Police concernant l'ouvrage « D e l'Allemagne » de M m e de Staël, France

359 Pour une presse libre

N'est-ce pas le premier devoir de celui qui cherche la vérité

de foncer tout droit sur elle, sans regarder à droite ou à

gauche ? N'est-ce pas oublier la vérité que la dire dans la forme

prescrite ? L a vérité est aussi peu modeste que la lumière ; et envers qui devrait-elle l'être ? Envers elle-même ? Verum index

sui et falsi. D o n c contre le faux?

Si la modestie est le caractère de la recherche, elle est plutôt la marque de la peur de la vérité que de la peur de la contre-vérité. Elle agit c o m m e un frein, à chaque pas queje fais. Elle c o m m a n d e au chercheur de trembler devant le résultat, elle est un préservatif contre la vérité.

E n outre : la vérité est universelle, elle ne m'appartient pas, elle appartient à tous, elle m e possède, je ne la possède pas. M a propriété, c'est la forme, elle est m o n individualité spirituelle. Le style c'est l'homme (en français dans le texte).

E h quoi ! L a loi m e permet d'écrire, mais elle exige que j'écrive un autre style que le mien ! Je peux montrer le visage de m o n esprit, mais je dois d'abord lui imposer les plis prescrits ! Quel h o m m e d'honneur ne rougirait pas de cette exigence et ne préférerait pas cacher sa figure sous la toge ? L a toge peut au moins dissimuler une tête de Jupiter. Les plis prescrits, ce n'est rien d'autre que : bonne mine a mauvais jeu (en

français dans le texte).

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254

LA T O L É R A N C E

Vous admirez l'exaltante diversité, l'inépuisable richesse de la nature. V o u s n'exigez pas que la rose ait le parfum de la violette, et vous voudriez que ce qu'il y a de plus riche, l'esprit, n'existe que d'une seule manière ? J'ai de l'humour, mais la loi m e c o m m a n d e d'écrire avec gravité. Je suis hardi, mais la loi ordonne que m o n style soit modeste. Gris sur gris — la seule couleur de la liberté que la loi m'autorise à employer. Chaque goutte de rosée, quand le soleil s'y mire, brille d 'un n o m b e infini de couleurs, mais le soleil de l'esprit, quels que soient les individus et les choses dans lesquels il se reflète, ne doit produire qu'une seule couleur, la couleur officielle ! L'essence de l'esprit, c'est toujours la vérité elle-m ê m e , et que faites-vous de cette essence ? L a modestie. Seul le gueux est modeste, dit Goethe, et c'est ce que vous voulez faire de l'esprit ? (...) L a modestie générale de l'esprit c'est la raison — cette libéralité universelle qui, en chaque nature, respecte son caractère essentiel.

Karl Marx, Remarques sur la réglementation de la censure prussienne, 1842

360

Lorsqu'on s'occupe de la question de la censure, tout dépend de l'emploi correct du mot immoralité, et d'une prudente discrimination entre les pouvoirs d 'un magistrat ou d 'un juge pour appliquer un code, et ceux d 'un censeur, qui agit selon son bon plaisir. (...)

Le censeur n'est jamais intentionnellement le protecteur de l'immoralité. Il vise toujours à la protection de la moralité. O r , la moralité est d'une extrême valeur pour la Société. Ele impose une conduite conventionnelle à la grande masse des gens qui sont incapables d 'un jugement éthique original et qui seraient complètement perdus s'ils n'étaient pas dans l'intérieur des limites imaginées par les législateurs, les philosophes et les poètes pour les guider. Mais la moralité ne dépend pas de la censure pour sa protection. Elle est déjà puissamment fortifiée par la magistrature et tout le corps de la loi. Le blasphème, l'indécence, la diffamation, la trahison,

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CONCEPT FIGÉ O U NOTION D Y N A M I Q U E

la sédition, l'obscénité, la profanation et tous les a'utres m a u x qu'une censure est censée empêcher, sont punissables par le magistrat civil, avec toute la sévérité de violents préjugés. L a moralité a non seulement pour la protéger tous les moyens que peuvent imaginer en pleine action, les législateurs, mais aussi ce poids formidable qu'est l'opinion publique renforcée par l'ostracisme social qui est plus puissant que tous les statuts.

(...) C'est l'immoralité et non la moralité qui a besoin de protection, et c'est la moralité et non l'immoralité qui a besoin de restriction. E n effet, la moralité, avec tout le poids de l'inertie et de la superstition, pèse sur le dos du pionnier, et toute la malveillance de la vulgarité et des préjugés qui le menacent est responsable pour de nombreuses persécutions et de nombreux martyres.

George Bernard Shaw, 1856-1950, écrivain irlandais, Le vrai Blanco Posnet

361

Les gouvernements ne savent pas le mal qu'ils se font en se réservant le privilège exclusif de parler et d'écrire sur leurs propres actes : on ne croit rien de ce qu'affirme une autorité qui ne permet pas qu'on lui réponde ; on croit tout ce qui s'affirme contre une autorité qui ne tolère point d 'examen.

Benjamin Constant, 1767-1830, Suisse-France, D e la liberté des brochures, des pamphlets et des journaux

362

L a liberté est l'essence de l ' h o m m e , à un point tel que m ê m e ses adversaires la réalisent, bien qu'ils en combattent la réalité ; ils veulent s'approprier c o m m e de la parure la plus précieuse ce qu'ils ont rejeté c o m m e parure de la nature humaine.

Nul ne combat la liberté ; il combat tout au plus la liberté des autres. Toute espèce de liberté a donc toujours existé,

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256

LA TOLÉRANCE

seulement tantôt c o m m e privilège particulier, tantôt c o m m e droit général.

(...) Il ne s'agit pas de savoir si la liberté de la presse doit exister, puisqu'elle existe toujours. Il s'agit de savoir si la liberté de la presse est le privilège de quelques individus ou le privilège de l'esprit humain. Il s'agit de savoir si ce qui est un tort pour les uns peut être un droit pour les autres (...)

La vraie censure immanente à la liberté de la presse, c'est la critique ; elle est le tribunal que la liberté de la presse se donne elle-même.

La censure reconnaît elle-même qu'elle n'est pas un but en soi, qu'elle n 'a rien de bon en soi, qu'elle est, par conséquent, fondée sur le principe : la fin justifie les moyens. Mais un but qui a besoin de moyens injustes, n'est pas un but juste (...)

(...) La première liberté de la presse, c'est de ne pas être un

métier. L'écrivain qui la rabaisse jusqu'à en faire un m o y e n matériel mérite d'être puni de cette servitude intérieure par la servitude extérieure ; autrement dit la censure, ou plutôt : sa punition, c'est précisément l'existence de la cen­sure.

Karl Marx, Débats sur la liberté de la presse, « Rheinische Zeitung », 1842

363

Si quelqu'un m e montrait, entre l'indépendance complète et l'asservissement entier de la pensée, une position intermé­diaire où je pusse espérer m e tenir, je m ' y établirais peut-être, mais qui découvrira cette position intermédiaire ? Vous partez de la licence de la presse, et vous marchez vers l'ordre : que faites-vous ? Vous soumettez d'abord les écrivains auxjurés ; mais les jurés acquittent, et ce qui n'était que l'opinion d 'un h o m m e isolé devient l'opinion du pays. Vous avez donc fait trop et trop peu ; il faut encore marcher. Vous livrez les auteurs à des magistrats permanents : mais les juges sont obligés d'entendre avant que de condamner ; ce qu'on eût craint d'avouer dans le livre, on le proclame

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C O N C E P T FIGÉ O U NOTION D Y N A M I Q U E

impunément dans le plaidoyer ; ce qu'on eût dit obscurément dans un écrit se trouve ainsi répété dans mille autres. L'expression est la forme extérieure, et, si je puis m'exprimer ainsi, le corps de la pensée, mais elle n'est pas la pensée elle-m ê m e . V o s tribunaux arrêtent le corps, mais l'âme leur échappe et glisse subtilement entre leurs mains. Vous avez donc fait trop et trop peu ; il faut continuer à marcher. Vous abandonnez enfin les écrivains à des censeurs ; fort bien ! nous approchons. Mais la tribune politique n'est-elle pas libre ? V o u s n'avez donc encore rien fait ; je m e trompe, vous avez accru le mal. Prendriez-vous, par hasard, la pensée pour une de ces puissances matérielles qui s'accroissent par le nombre de leurs agents ? Compterez-vous les écrivains c o m m e les soldats d'une armée? A u rebours de toutes les puissances matérielles, le pouvoir de la pensée s'augmente souvent par le petit nombre m ê m e de ceux qui l'expriment. La parole d 'un h o m m e puissant, qui pénètre seule au milieu des passions d'une assemblée muette, a plus de pouvoir que les cris confus de mille orateurs ; et pour peu qu'on puisse parler librement dans un seul lieu public, c'est c o m m e si on parlait publiquement dans chaque village. Il vous faut donc détruire la liberté de parler c o m m e celle d'écrire ; cette fois, vous voici dans le port : chacun se tait. Mais où êtes-vous arrivé? Vous étiez parti des abus de la liberté, et je vous retrouve sous les pieds d 'un despote.

Alexis de Tocqueville, France, D e la démocratie en Amérique, 1835

364

Je m e voyais contraint de rendre possible la publication de mes travaux en les truffant de citations de Staline, et d'exprimer m o n opinion dissidente avec toutes les précau­tions nécessaires autant que m e le permettait la « marge de respiration » qui nous était laissée de temps en temps à cette époque. (...)

Je m e souviens bien, par exemple, du cas d 'un philosophe qui fut réprimandé parce qu'il traitait des déterminations de

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258

LA T O L É R A N C E

la dialectique d'après les « Cahiers philosophiques » de Lénine. O n lui fit remarquer que Staline avait énuméré dans le quatrième chapitre de son « Histoire du Parti » moins de distinctions sur la dialectique et en avait ainsi fixé définitive­ment le nombre et la nature. Donc , il fallait simplement, pour chaque problème traité, trouver la citation appropriée de Staline (...)

— Qu'est-ce qu'une idée? demanda un camarade allemand.

— U n e idée c'est le trait d'union entre deux cita­tions.

György Lukács, 1885-1971, Hongrie

365

Je dois une fois de plus mettre en évidence que la censure n'est pas la bonne méthode. Quelles que soient ses préten­tions morales et religieuses, elle se traduit toujours dans la pratique par la mise en évidence de la nécessité d 'un responsable ayant les qualités d 'un dieu et par l'attribution d'un salaire de chef de gare de second ordre, plus une prime pour chaque pièce lue, à quelque mortel faillible qui représentera l'Omniscience (...) Toute personne assez folle ou assez misérable pour accepter un tel poste ne tardera pas à découvrir que, sauf pour les cas les plus évidents, il est impossible de formuler un jugement. Elle établira donc une liste courante de mots à ne pas utiliser et de sujets à ne pas mentionner (en général, la religion et le sexe) et, bien que ramenant ainsi son travail à la portée d 'un simple employé de bureau, elle le réduira du m ê m e coup à l'absurde. J'ai trouvé dans l'exemplaire de m o n scénario tombé entre les mains de l'Action catholique, que le mot « paradis » et l'allusion à un « halo » sont barrés c o m m e faisant partie de la rubrique « religion ». Le mot « damné » est barré, apparemment, parce que jugé profane. Le mot Dieu est barré, saint Denis est éliminé, des phrases entières contenant les mots « religion », « archevêque », « péché mortel », « saint », « infernal », « office sacré » et autres semblables,

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259

CONCEPT FIGÉ OU NOTION D Y N A M I Q U E

sont barrés sans tenir compte d u sens, parce qu'ils figurent sur la liste. M ê m e le mot « bébé » est interdit, probablement c o m m e peu distingué. Ces absurdités ne représentent pas la sagesse de l'Eglise catholique, mais le désespoir d 'un petit employé qui tente de réduire cette sagesse à la dimension d'une routine bureaucratique.

George Bernard Shaw, écrivain irlandais, Lettre au « N e w York Times », 1936

366

Bref, nul n'est légalement à la merci du caprice du magistrat, ou de ses préjugés, de son ignorance, de sa superstition, de sa timidité, de son ambition ou de sa conviction personnelle. Mais le gagne-pain, la réputation, l'inspiration et la mission de l'auteur dramatique sont à la merci personnelle du censeur. L ' u n et l'autre ne sont pas, c o m m e le criminel et le juge, en présence d'une loi qui les lie également tous deux et n'a été faite ni par l'un, ni par l'autre, mais par la sagesse collective, réfléchie de la communauté . (...) Et lorsqu'on se souvient d'une part que, en l'occurrence, l'esclave est l ' homme dont la profession est celle d'Eschyle et d'Euripide, de Shakespeare et de Goethe, de Tolstoï et d'Ibsen, et d'autre part que le maître est le détenteur d'une charge de parti, qui, par la nature de ses obligations, exclut pratique­ment la possibilité de son acceptation par un h o m m e d'Etat sérieux ou par un grand avocat, on constatera que les auteurs dramatiques sont justifiés dans leurs reproches aux artisans du dit Acte. (...) Dans un cas aussi extrême d'irréflexion, il n'est pas surprenant qu'ils ne se soient pas inquiétés non plus d'étudier la différence qu'il y a entre un censeur et un magistrat. Et on s'apercevra que presque tous ceux qui défendent aujourd'hui la censure avec désintéressement supposent qu'il n'y a pas de différence constitutionnelle entre le censeur et n'importe quel fonctionnaire dont le devoir est de réprimer le crime et le désordre.

George Bernard Shaw, 1856-1950, écrivain irlandais, Le vrai Blanco Posnet

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260

LA T O L É R A N C E

367 Méthodes d'inquisition modernes

Le problème devant lequel se trouvent les intellectuels de ce pays est très sérieux. Les politiciens réactionnaires ont réussi à éveiller dans le public, sous le prétexte d 'un danger extérieur, la méfiance à l'égard de tous les efforts intellec­tuels. Forts de ce succès, ils sont maintenant en train de supprimer la liberté de l'enseignement et de chasser de leur poste ceux qui ne s'y plient pas, c'est-à-dire de les faire mourir de faim.

Q u e doit faire la minorité intellectuelle contre ce mal ? Je ne vois, à parler franc, que la voie révolutionnaire du refus de collaborer dans le sens de Gandhi. Tout intellectuel qui est cité devant un comité devrait refuser de répondre, c'est-à-dire être prêt à se laisser emprisonner et ruiner économique­ment, bref à sacrifier ses intérêts personnels aux intérêts culturels de son pays.

Mais ce refus ne devrait pas être basé sur le subterfuge connu de l'auto-incrimination possible, mais sur le fait qu'il est indigne d 'un citoyen dont la réputation est sans tache de se soumettre à une telle inquisition, qui est une infraction à la Constitution. S'il se trouve assez de personnes disposées à marcher sur ce chemin pénible, elles seront assurées du succès. Sinon, alors les intellectuels de ce pays ne méritent pas mieux que l'esclavage qui leur est réservé.

Albert Einstein, 1879-1955, États-Unis d'Amérique, Comment je vois le monde

368

L'Amérique est peut-être en ce m o m e n t le pays du m o n d e qui renferme dans son sein le moins de germes de révolution. E n Amérique, cependant, la presse a les m ê m e s goûts destructeurs qu'en France, et la m ê m e violence sans les m ê m e s causes de colère. E n Amérique, c o m m e en France, elle est cette puissance extraordinaire, si étrangement mélan­gée de biens et de m a u x , que sans elle la liberté ne saurait vivre, et qu'avec elle l'ordre peut à peine se maintenir.

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C O N C E P T FIGÉ OU NOTION D Y N A M I g U E

C e qu'il faut dire, c'est que la presse a beaucoup moins de pouvoir aux États-Unis que parmi nous. Rien pourtant n'est plus rare dans ce pays que de voir une poursuite judiciaire dirigée contre elle. L a raison en est simple : les Américains, en admettant parmi eux le d o g m e de la souveraineté du peuple, en ont fait l'application sincère. Ils n'ont point eu l'idée de fonder, avec des éléments qui changent tous les jours, des constitutions dont la durée fût éternelle. Attaquer les lois existantes n'est donc pas criminel, pourvu qu'on ne veuille point s'y soustraire par la violence. (...)

E n matière de presse, il n 'y a donc réellement pas de milieu entre la servitude et la licence. Pour recueillir les biens inestimables qu'assure la liberté de la presse, il faut savoir se soumettre aux m a u x inévitables qu'elle fait naître. Vouloir obtenir les uns en échappant aux autres, c'est se livrer à l'une de ces illusions dont se bercent d'ordinaire les nations malades, alors que, fatiguées de lutter et épuisées d'efforts, elles cherchent les moyens de faire coexister à la fois, sur le m ê m e sol, des opinions ennemies et des principes contraires.

Alexis de Tocqueville, France, De la démocratie en Amérique, 1835

369

À notre époque, tout conspire à transformer l'écrivain, et chaque artiste créateur, en petit fonctionnaire qui traite des thèmes qu'il reçoit d'en-haut et qui ne dit jamais ce qu'il pense être toute la vérité. Mais lorsqu'il essaie de lutter contre ce destin qu 'on lui impose, il ne reçoit pas de secours de ceux qui devraient être ses alliés : c'est-à-dire qu'il n'existe pas de puissante opinion publique pour lui assurer qu'il a raison de protester.

George Orwell, Royaume-Uni, O ù meurt la littérature? 1946

370

[Bertolt Brecht, interviewé par C. Bourdet et E. Sello :]

(...) D u point de vue m ê m e de la société, un écrivain ou

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LA TOLÉRANCE

dramaturge qui n'a pas d'opinions personnelles, n 'a aucune valeur. Pour qu'il soit utile, il faut qu'il apporte du nou­veau. L ' h o m m e de théâtre n 'a pas à chercher ses leçons au­près de l'État. L'Etat, au contraire, peut apprendre du dramaturge ; il y a toujours des problèmes, en effet, que la société ne parvient pas à résoudre : c'est dans ce domaine-là que travaille l'écrivain ; son imagination peut aider à accomplir ces tâches ; il peut aussi en découvrir de nouvelles. E n tout cas, il ne doit être ni un miroir, ni un porte-voix. Il peut, naturellement, se faire le porte-voix d 'une opinion officielle. Mais seulement s'il l'approuve et si cela lui paraît utile.

Sello : Mais est-ce que, connaissant ces points de vue, le gouvernement de l'Allemagne de l'Est vous laisse une liberté complète ?

Brecht : Totale. E n contrepartie d'une aide matérielle considérable, je ne suis soumis à aucun contrôle. Bourdet : L e gouvernement n'intervient pas du tout pour vous demander par exemple de modifier vos pièces ? Brecht : Si, mais c o m m e tout le m o n d e . (...)

Brecht : N o u s discutons constamment nos pièces avec les spectateurs. Si vous saviez toutes les critiques et toutes les suggestions de modifications que nous recevons, par exem­ple, des milieux ouvriers ! Q u a n d c'est juste, on en tient compte. Avec le gouvernement, c'est pareil. Ainsi, j'ai discuté trois heures et demie avec plusieurs ministres, y compris le Président d u Conseil, au sujet de l'opéra de Dessau, « Lucullus ». Il y avait neuf points en cause ; sur sept points j'avais raison et j'ai maintenu m o n point de vue; sur deux, ils avaient raison, et j'ai modifié. Bourdet : C'étaient des points politiques? Brecht : Pas du tout.

Sello : E n s o m m e , ils s'étaient transformés en critiques dramatiques ?

Brecht, riant : C'est un peu ça. E h bien, on m ' a vivement reproché de leur avoir cédé sur ces deux points, alors qu'ils avaient tout à fait raison, et alors que je fais des modifica-

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CONCEPT FIGÉ OU NOTION D Y N A M I Q U E

tions très fréquentes et bien plus importantes sous l'influence du public.

Bertolt Brecht, 1898-1956, République démocratique allemande

371

Camarade Miasnikov,

(...) M a tâche est autre : je dois apprécier vos lettres en tant que documents littéraires et politiques.

C e sont des documents intéressants !

J'estime que l'article intitulé : « Questions névralgiques » révèle de façon particulièrement évidente votre erreur fonda­mentale. Et je crois devoir tout faire pour chercher à vous convaincre (...).

... « Liberté de la presse depuis les monarchistes jusqu'aux anarchistes. » Fort bien ! Mais veuillez m e pardonner, tous les marxistes et tous les ouvriers qui ont réfléchi à nos quatre années d'expérience révolutionnaire diront : examinons de quelle liberté de presse il s'agit ? Pour quoi ? Pour quelle classe ?

Nous ne croyons pas aux « absolus ». Nous nous rions de la « démocratie pure ».

Le mot d'ordre de « liberté », de « liberté de la presse » a pris une portée universelle à la fin du moyen âge jusqu'au xixc siècle. Pourquoi ? Parce qu'il émanait de la bourgeoisie progressiste, en lutte contre les prêtres, les rois, les féodaux et les seigneurs terriens. (...)

La liberté de la presse accroîtra la force de la bourgeoisie mondiale. C'est un fait. L a « liberté de la presse » ne servira pas à épurer le Parti communiste de Russie de ses faiblesses, erreurs, calamités, maladies (il y a un tas de maladies, c'est incontestable), car la bourgeoisie mondiale ne le veut pas ; la liberté de la presse deviendra une arme entre les mains de cette bourgeoisie mondiale. Elle n'est pas morte. Elle vit toujours. Elle est là tout près et nous guette.

Lettre de Lénine à Miasnikov, 1921

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LA TOLÉRANCE

372

[A une réunion pour la liberté d'opinion :]

Nous nous s o m m e s réunis ici aujourd'hui pour défendre la liberté d'opinion garantie par la Constitution des Etats-Unis, et aussi pour la défense de la liberté de l'enseignement. Par le m ê m e témoignage, nous voulons attirer l'attention des travailleurs intellectuels sur le grand danger qui menace actuellement ces libertés. (...)

Il est à peine nécessaire d'insister sur le point que la liberté de l'enseignement et de l'opinion, dans le livre ou dans la presse, est le fondement du développement sain et naturel de n'importe quel peuple. Les leçons de l'histoire — spécialement les tout derniers chapitres — ne sont que trop claires sur ce point. C'est une obligation pour chacun de se dresser de toute son énergie pour la préservation et l'accrois­sement de ces libertés et d'exercer toute son influence possible pour mettre l'opinion publique en garde de ce danger.

Albert Einstein, 1879-1955, Etats-Unis d'Amérique

373

[Discours aux écrivains et aux artistes,

le 8 mars 1963]

Nous donnons notre adhésion aux positions de classe en art, et nous nous opposons énergiquement à la coexistence pacifique des idéologies socialiste et bourgeoise. L'art relève du domaine de l'idéologie. Ceux qui croient que le réalisme socialiste et les tendances formalistes, abstractionnistes, peuvent vivre paisiblement dans l'art soviétique, ceux-là glissent inévitablement sur les positions de la coexistence pacifique en matière d'idéologie, positions qui nous sont étrangères.

Nikita S. Khrouchtchev, 1894-1971, U R S S , Cité dans « Le Monde », Paris, 1971

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CONCEPT FIGÉ OU NOTION D Y N A M I Q U E

374

Interdit d'interdire. L a liberté commence par une interdic­tion : celle de nuire à la liberté d'autrui.

Les murs ont la parole, Sorbonne, Paris, Mai 1968

375 M'ame Anastasie

Censure (Anastasie), illustre engin liberticide français, née à Paris sous le règne de Louis XIII. Elle est fille naturelle de Séraphine Inquisition et compte de nos jours dans sa nombreuse famille quelques autres personnages également très connus : Ernest C o m m u n i q u é , Zoé Bonvouloir, le vicomte Butor de Saint-Arbitraire et Agathe Estampille, ses cousine, tante et beaux-frères (...)

Le pape Alexandre V I , qui avait été un de ses premiers pères, avait laissé un petit manuscrit intitulé : « Guide du parfait censeur » à l'aide duquel Anastasie avait pu faire son éducation. Voici quelques extraits de cet intéressant travail.

Io La censure est l'art de découvrir dans les œuvres littéraires ou dramatiques les intentions malveillantes ;

2° L'idéal est d'y découvrir les intentions, m ê m e quand l'écrivain ne les a pas eues ;

3° U n censeur capable doit, à première vue, dé­terrer dans le mot ophicléide une injure à la morale publi­que ;

4° La devise du censeur est « coupons, coupons, il en restera toujours trop » ;

5° Le censeur doit être persuadé que chaque mot d 'un ouvrage contient une allusion perfide. Q u a n d il parviendra à découvrir l'allusion il coupera la phrase. Q u a n d il ne la découvrira pas, il la coupera aussi, attendu que les allusions les mieux dissimulées sont les plus dangereuses.

Louis André Gill, dans « L'Eclipsé », 1874, France

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LA T O L É R A N C E

376

Défense de ne pas afficher.

Les murs ont la parole, Sorbonne, Paris, Mai 1968

Le refus du ghetto

Accord ambigu surtout qui s'est fait dans le mépris des majorités

colonisées ou des minorités raciales que, réglant des conflits entre seuls

Blancs, l'on excluait de « l'héritage de la terre ».

Selon le code, écrit ou non, des nations qui se disaient civilisées, il

ne pouvait en aller autrement : les « soutiers de l'Occident » se devaient

d'être sans voix. Or, plus légitimement peut-être que d'autres, ces

hommes se font entendre : « la soumission, faite de colère et

d'amertume », infailliblement, éclate en révolte, rendant caduques les

paix séparées et illusoire telle liberté qui pense faire bon ménage avec

le racisme.

377

Lorsque nos pieds touchèrent enfin le sable, je rampai jusqu'à la plage, et, tout heureux, je restai longtemps à m e reposer à plat. Enfin, je m e retournai sur le dos pour regarder les étoiles, elles brillaient si fort et si loin (...)

Tout en les contemplant je m e recueillis pour chercher le sens de cette vie, à la mesure de l'existence que j'avais m e n é e en Afrique d u Sud , pendant presque vingt et un ans. D è s m a naissance, chaque jour, l'un après l'autre avait été d o m i n é par ces trois mots , souvent invisibles mais omniprésents : Réservé aux Européens.

D u fait de ces trois mots j'étais né dans la crasse et la misère des taudis, j 'y avais passé m o n enfance et presque toute m a jeunesse ; d u fait de ces trois mots , bien des générations avaient vécu, l'une après l'autre, dans cette m ê m e crasse, dans cette m ê m e misère des taudis. L e rachitisme avait m a r q u é m o n corps et je n'étais q u ' u n parmi des millions. J'avais d û gagner de l'argent bien avant de

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CONCEPT FIGÉ OU NOTION D Y N A M I Q U E

pouvoir fréquenter une école, et tant d'autres enfants, noirs ou métis, n'y avaient m ê m e jamais été. L'instruction gratuite et obligatoire était « réservée aux Européens », tout ce qu'il y avait de bon et de beau sur terre était « réservé aux Européens ». Le m o n d e d'aujourd'hui .leur appartenait tout entier.

Dans nos contacts avec eux, les Blancs m'avaient clairement laissé entendre qu'ils étaient des seigneurs tout-puissants, que l'univers et ses richesses étaient leur fief, à eux tout seuls. La plupart d'entre eux ne m'avaient parlé que le langage de la force physique, le langage de la brutalité ; c o m m e ils étaient les plus forts, j'avais dû m e soumettre (...) Mais la soumission du plus faible prend, quelquefois, une forme subtile : un h o m m e peut se soumettre aujourd'hui pour mieux résister demain. C'est dans cet état d'esprit que je m'étais soumis aux Blancs. Et parce queje n'ai jamais été libre de montrer mes sentiments réels, ni de m'exprimer sincèrement, m a soumission avait été faite de colère et d'amertume.

Il y avait, en Afrique du Sud, presque dix millions d'autres individus soumis, eux aussi, dans la colère et l'amertume. U n jour, les Blancs devront compter avec ces gens-là ! U n jour, leurs fils et leurs filles se trouveront face à face avec la fureur de ce peuple qu'on a si longtemps opprimé et provoqué. Deux millions de Blancs ne régneront pas toujours en seigneurs tout-puissants sur dix millions de gens de couleur. Et ils auront peut-être à subir cette m ê m e épreuve de force qu'ils nous ont imposée dans leurs rapports avec nous.

Pour moi, personnellement, la vie en Afrique du Sud avait pris fin (...) Devant la réalité, m ê m e les bonnes intentions de mes amis parmi les Blancs m e devenaient suspectes : il m e fallait donc choisir entre quitter l'Afrique du Sud ou m e perdre pour toujours. Je n'avais besoin ni d'amis ni de bonnes intentions, mais d'être m o i - m ê m e et de remplir m a condition d ' h o m m e , et c'était un besoin désespéré

( • • • )

L a vie contenait peut-être un sens qui dépassait la race

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LA T O L É R A N C E

et la couleur? Si cela était, ce n'est pas en Afrique d u S u d

queje le découvrirais jamais. Peter Abrahams, né en 1919, en Afrique du Sud, Tell freedom

(Je ne suis pas un h o m m e libre)

378 L e Rebelle

Est-ce qu'ils croient m'avoir c o m m e la laie et le marcassin ? m'extirper c o m m e une racine sans suite ? vaincu,

Afrique, Amérique, Europe, j'ai de la frénésie cachée sous les feuilles

à m a suffisance ; je tiens à l'abri des cœurs à l'abri des furies la clé des perturbations et tout à détruire

le soufre m o n frère, le soufre m o n sang répandra dans les cités les plus orgueilleuses ses effluves parfumés les charismes de sa grâce inutile de m e contredire je n'entends rien

rien que les catastrophes qui montent à la relève des villes. Aimé Césaire, Martinique, Les armes miraculeuses, 1946

L a fin de la tolérance classique

Que peut désormais désigner la « tolérance » telle que modelée

jusqu'ici? Un concept singulièrement limité dans un réel en constant

élargissement et renouvellement. Les usages mêmes du mot dénoncent un

faux équilibre, un souci de statu quo plus qu'ils n'invitent à

l'assentiment solidaire de l'homme à l'homme. Ce qu'il désigne au

fond, c'est une quarantaine tantôt malaisée, plus souvent résignée.

Tandis que le monde s'élargit sous l'impulsion des courants de la

civilisation industrielle et des moyens modernes de communication, que

toutes frontières deviennent dérisoires, le racisme, même déguisé en

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CONCEPT FIGÉ OU NOTION D Y N A M I Q U E

« pittoresque », n'est pas déraciné de l'esprit ni du cœur des hommes : « voir son voisin, en effet, ce n'est pas encore le connaître », tant il est vrai que « nous ne nous connaissons encore que par des actes de commerce, de guerre, de politique temporelle ou spirituelle, toutes relations auxquelles sont essentielles la notion d'adversaire et le mépris de l'adversaire ».

Autre contradiction, autre illusion : on veut assimiler les autres cultures à « des valeurs auxquelles on attribue une perfection indiscutable » mais, dans le même temps, on ne croit pas ces mêmes cultures « capables d'atteindre le but qu 'on leur propose »ou impose. Ainsi formulée, la relation renvoie très exactement au revers de la tolérance classique.

Devant ce jeu dérisoire des « anomalies » et en détournant le propos de Diderot, on pourrait dire : Insensés que vous êtes ; abolissez ces prétentions qui rétrécissent votre champ de perception, élargissez l'homme, « voyez-le partout où il est et ne dites pas qu'il n'est point », reconnaissez-le comme « présence vivante et charnelle », porteur de particularités créatrices mais en même temps d'universalité, qu'il croie en un Dieu particulier ou au changement consubstantiel à l'homme.

« Il faut donc écouter le blé qui lève (...), éveiller toutes les vocations à vivre ensemble que l'histoire tient en réserve. » Il faut certes à cela « une dynamique confrontation, un flot mouvant du Je au T o i », mais il y faut surtout la prise de conscience de l'évidence que « le contexte politique de la tolérance s'est modifié (...) D'activé, la tolérance est devenue passive ; laissez faire les autorités en place : c'est donc le peuple qui tolère le gouvernement qui, à son tour, tolère l'opposition dans les limites fixées par les autorités. »

Bref, la tolérance s'est sclérosée : parcellaire et spécifique, elle s'est figée en concept ; libérale, elle s'est trop souvent compromise au service d'intérêts économiques minoritaires au déni de principe de toute égalité vraie ; révolutionnaire, elle demeure encore sous bénéfice d'inventaire de l'Histoire.

En une phrase lapidaire, un écrivain croyant de ce siècle, Paul Claudel, assurait : « la tolérance? il y a des maisons pour cela ! ». L'on pourrait sans risque ajouter : une certaine tolérance? il y a des cimetières pour cela, les dictionnaires, ou, peut-être, les anthologies.

Il en va autrement sur le plan de la longue et douloureuse

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LA T O L É R A N C E

modulation historique où une nouvelle mutation s'impose, celle du

concept clos en vision à l'infini et à chaque instant totalisatrice.

379

De la liberté spirituelle à notre époque

M a vie durant je n'ai pas p u souffrir ce m o t de « tolérance », tolérer les autres, les supporter m ê m e , c'est d'abord de l'outrecuidance et puis ce terme a une nuance de faiblesse, il a quelque chose de m o u .

Theodor Heuss, République fédérale d'Allemagne, Discours, 1959

380

Le racisme est une des manifestations les plus troublantes de la vaste révolution qui se produit dans le m o n d e . A u m o m e n t où notre civilisation industrielle pénètre sur tous les points de la terre, arrachant les h o m m e s de toutes couleurs à leurs plus anciennes traditions, une doctrine à caractère faussement scientifique est invoquée pour refuser à ces m ê m e s h o m m e s , privés de leur héritage culturel, une participation entière aux avantages de la civilisation qui leur est imposée. Il existe donc au sein de notre civilisation, une contradiction fatale : d'une part, elle souhaite ou elle exige l'assimilation des autres cultures à des valeurs auxquelles elle attribue une perfection indiscutable et d'autre part, elle ne se résout pas à admettre que les deux tiers de l'humanité soient capables d'atteindre le but qu'elle leur propose.

Alfred Métraux, États-Unis d'Amérique, Article dans « Le Courrier de l'Unesco », 1950

381

Mais tout mène les populations du globe à un état de dépendance réciproque si étroit et de communications si rapides qu'elles ne pourront plus, dans quelque temps, se méconnaître assez pour que leurs relations se restreignent à

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CONCEPT FIGÉ O U NOTION D Y N A M I Q U E

de simples manœuvres intéressées. Il y aura place pour autre chose que les actes d'exploitation, de pénétration, de coerci­tion et de concurrence.

Paul Valéry, France, Regards sur le monde actuel, 1931

382 Colonialisme et néo-colonialisme

À l'origine du pittoresque il y a la guerre et le refus de comprendre l'ennemi : de fait, nos lumières sur l'Asie nous sont venues d'abord de missionnaires irrités et de soldats. Plus tard sont arrivés les voyageurs — commerçants et touristes — qui sont des militaires refroidis : le pillage se n o m m e « shopping » et les viols se pratiquent onéreusement dans des boutiques spécialisées. Mais l'attitude de principe n'a pas changé : on tue moins souvent les indigènes-mais on les méprise en bloc, ce qui est la forme civilisée du massacre ; on goûte l'aristocratique plaisir de compter les séparations. «Je m e coupe les cheveux, il natte les siens ; je m e sers d'une fourchette, il use de bâtonnets ; j'écris avec une plume d'oie, il trace les caractères avec un pinceau ; j'ai les idées droites, et les siennes sont courbes : avez-vous remarqué qu'il a horreur du m o u v e m e n t rectiligne, il n'est heureux que si tout va de travers. » Ç a s'appelle le jeu des anomalies : si vous en trouvez une de plus, si vous découvrez une nouvelle raison de ne pas comprendre, on vous donnera, dans votre pays, un prix de sensibilité. Ceux qui recomposent ainsi leur sembla­ble c o m m e une mosaïque de différences irréductibles, il ne faut pas s'étonner s'ils se demandent ensuite c o m m e n t on peut être chinois.

Enfant, j'étais victime d u pittoresque : on avait tout fait pour rendre les Chinois intimidants. (...)

Puis vint Michaux qui, le premier, montra le Chinois sans â m e ni carapace, la Chine sans lotus ni Loti.

U n quart de siècle plus tard, l'album de Cartier-Bresson achève la démystification.

Il y a des photographes qui poussent à la guerre parce qu'ils font de la littérature. Ils cherchent un Chinois qui ait

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LA T O L É R A N C E

l'air plus chinois que les autres ; ils finissent par le trouver. Ils lui font prendre une attitude typiquement chinoise et l'entourent de chinoiseries. Qu'ont-ils fixé sur la pellicule? U n Chinois ? N o n pas : l'Idée chinoise.

Les photos de Cartier-Bresson ne bavardent jamais. Elles ne sont pas des idées : elles nous en donnent. Sans le faire exprès. Ses Chinois déconcertent : la plupart d'entre eux n'ont jamais l'air assez chinois. H o m m e d'esprit, le touriste se demande comment ils font pour se reconnaître entre eux. Moi , après avoir feuilleté l'album, je m e demande plutôt comment nous ferions pour les confondre, pour les ranger tous sous une m ê m e rubrique. L'Idée chinoise s'éloigne et pâlit : ce n'est plus qu'une appellation c o m m o d e . Restent des h o m m e s qui se ressemblent en tant q u ' h o m m e s . Des présen­ces vivantes et charnelles qui n'ont pas encore reçu leurs appellations contrôlées.

Jean-Paul Sartre, France, Situations V , 1964

383

Dans un monde où les distances entre pays sont presque nulles, de tels problèmes ne sauraient être ignorés. « Toute vie est rencontre » a dit un philosophe contemporain. Malgré les barrières idéologiques érigées par l ' homme de ce temps avec une détermination perverse, nous vivons effectivement une période de « rencontre ». La télévision, la photographie et les satellites de communication constituent peut-être les symboles actuels de ce fait. Mais voir son voisin — et tout le monde est voisin maintenant — ce n'est pas le connaître. Tout c o m m e le cerveau interprète les messages du nerf optique, nous devons, nous aussi, nous équiper pour inter­préter les messages provenant des autres peuples.

O n a dit du racisme qu'il est un état d'esprit pathologi­que, une forme d'irrationalisme, une sorte d'épidémie. Ces termes sous-entendent qu'il existe un état de santé auquel on peut accéder et qui peut être maintenu dans un m o n d e où coexistent des nations diverses. Il nous appartient d'user de toutes les ressources dont nous disposons et des techniques

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273

CONCEPT FIGÉ OU NOTION D Y N A M I Q U E

que nous dominons pour enrichir notre vie à la faveur d'un effort sincère et lucide de compréhension et d'appréciation de l'autre tendant à la réalisation de la rencontre entre les peuples.

Disons encore que les horreurs des camps de concentra­tion nazis devraient nous convaincre de l'urgence pour nous tous d'acquérir des habitudes de compréhension et de tolérance.

Robert Gardiner, États-Unis d'Amérique, A world of peoples, B . B . C . , Londres, 1966

384

Il convient de considérer l'ensemble de l'humanité c o m m e un seul organisme, et un peuple c o m m e un de ses membres. U n e douleur qui affecte le bout d 'un doigt fait souffrir l'organisme tout entier. Si tel point du m o n d e est en proie à un mal, gardons-nous de dire : « Q u e m'importe? » Il importe que nous nous intéressions à ce mal tout c o m m e nous le ferions s'il se manifestait parmi nous. Si lointain que puisse être le théâtre d 'un incident, nous ne devons jamais oublier ce principe.

Kemal Atatürk, 1881-1938, Turquie

385

L a nécessité de préserver la diversité des cultures dans un m o n d e menacé par la monotonie et l'uniformité n'a certes pas échappé aux institutions internationales. Elles compren­nent aussi qu'il ne suffira pas, pour atteindre ce but, de choyer des traditions locales et d'accorder un répit aux temps révolus. C'est le fait de la diversité qui doit être sauvé, non le contenu historique que chaque époque lui a donné et qu'aucune ne saurait perpétuer au-delà d'elle-même. Il faut donc écouter le blé qui lève, encourager les potentialités secrètes, éveiller toutes les vocations à vivre ensemble que l'histoire tient en réserve; il faut aussi être prêt à envisager sans surprise, sans répugnance et sans révolte ce que toutes

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274

LA TOLÉRANCE

ces nouvelles formes sociales d'expression ne pourront manquer d'offrir d'inusité. La tolérance n'est pas une position contemplative, dispensant les indulgences à ce qui fut et à ce qui est. C'est une attitude dynamique, qui consiste à prévoir, à comprendre et à promouvoir ce qui veut être. L a diversité des cultures humaines est derrière nous, autour de nous, et devant nous. L a seule exigence que nous puissions faire valoir à son endroit (créatrice pour chaque individu de devoirs correspondants) est qu'elle se réalise sous des formes dont chacune soit une contribution à la plus grande générosité des autres.

Claude Lévi-Strauss, France, Race et histoire, 1952

386 Je et Tu

L a véritable communauté , celle en devenir (nous ne connais­sons qu'elle, jusqu'ici), c'est quand une pluralité de person­nes ont cessé d'être les uns-auprès-des-autres ; et si elles se dirigent toutes ensemble vers un m ê m e but, elles n'en éprouvent pas moins, partout, un mouvement de mutuelle rencontre, une dynamique confrontation, un flot mouvant du Je au Tu. La communauté est là où se fait la communauté . L a collectivité se fonde sur un dépérissement organisé des qualités qui constituent la personne ; la communauté sur leur intensification et sur leur confirmation dans la mutualité. Le zèle que notre temps voue à la collectivité est une fuite de la personne devant l'épreuve de la communauté et le sacre de la communauté, une fuite devant la dialogique vitale au cœur du m o n d e , qui exige l'engagement de soi-même.

Martin Buber, 1878-1965, Israël, La vie en dialogue

387

L a tolérance a toujours été nécessaire au bonheur et à la

prospérité de la race humaine. Aujourd'hui, elle est néces­

saire à sa survivance. Sir Richard Winn Livingstone, Royaume-Uni,

Tolerance in theory and practice, 1954

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275

CONCEPT FIGÉ O U NOTION D Y N A M I g U E

388

Le contexte politique de la tolérance s'est modifié : constitu-tionnellement, le bénéfice de la tolérance a plus ou moins cessé d'être accordé à l'opposition ; en revanche la tolérance a été rendue obligatoire envers la politique établie. D'activé, la tolérance est devenue passive ; laissez faire les autorités en place ! C'est donc le peuple qui tolère le gouvernement qui, à son tour, tolère l'opposition dans les limites fixées par les autorités.

L a tolérance envers ce qui est radicalement mauvais se trouve être une bonne chose puisqu'elle assure la cohésion de la société entière sur le chemin de la richesse et de la surabondance. O n tolère la « crétinisation » systématique à la fois des enfants et des adultes par la publicité et la propagande, une manière agressive de conduire qui sert de défoulement aux désirs de destruction, le recrutement et l'entraînement de troupes spéciales, sans compter la tolé­rance bienveillante et impuissante de toutes sortes de fraudes commerciales, le gaspillage et le vieillissement p rogrammé des produits de consommation : tout cela ne constitue ni entorses, ni déviations au système, mais son essence m ê m e , qui est de cultiver la tolérance c o m m e un m o y e n de perpétuer la lutte pour la vie et de supprimer toute liberté de choix.

Herbert Marcuse, Etats-Unis d'Amérique, Critique de la tolérance pure

Clausule d'attente

Dans l'action et l'intervalle, c'est au poète d'être à la fois « la

mauvaise conscience de son temps » et de susciter, sans plus de rêve ni

d'utopie, une époque « neuve et joyeuse » où, « à simple vue, l'homme

connaisse l'homme ».

389

A u poète indivis d'attester parmi nous la double vocation de

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276

LA TOLÉRANCE

l 'homme. Et c'est hausser devant l'esprit un miroir plus sensible à ses chances spirituelles. C'est évoquer dans le siècle m ê m e une condition humaine plus digne de l ' h o m m e originel. C'est associer enfin plus hardiment l'âme collective à la circulation de l'énergie spirituelle dans le m o n d e (...) Face à l'énergie nucléaire, la lampe d'argile du poète suffira-t-elle à son propos ? — Oui, si d'argile se souvient l ' h o m m e .

Et c'est assez, pour le poète, d'être la mauvaise conscience de son temps.

Saint-John Perse, France, Amers, 1957

390 Mdiakovski commence

A h , que soit une neuve

époque joyeuse

d'un blé humain

gorgé, — sans chardons, sans orties, désherbée,

défrichée,

bêchée. Qu'il ne soit en elle conditions

ni places

pour les valets tout miel, les trompeurs, les cagots, ni le mot qui flagorne,

ni la fuite poltronne. Q u ' à simple vue

l 'homme connaisse l ' homme. Nicolas Asseev, U R S S , 1940

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D e la tolérance à la connaissance

« Salaud! Macaque ! Sauvage ! Sorcier!... » D'autres initiateurs, de

Socrate à nos jours ont dû essuyer de telles insultes, en ces termes et non

sous la forme civilisée gui parfois seule nous parvient. C'est que l'âge

du Bodkisatta est révolu et que l'Histoire désormais prend le relais du

mythe. Un Lumumba, symbole ici politique, meurt ou renaît au

moment où, comme dans la tragédie grecque, le peuple procède aux

funérailles du demi-dieu asiatique. Désormais, tout est pris en charge

— temporel et spirituel — par le politique, et l'Histoire, par

moments, se met à ressembler à ce « cauchemar » dont un personnage

de /'Ulysse de Joyce « essaie de s'éveiller » et où s'affrontent

« l'invention du passé et les inventeurs du futur ».

391 Lumière. Dans un camp d'entraînement au Katanga. Un mercenaire ;

devant lui un mannequin représentant un nègre sur lequel tout à l'heure

il fera des cartons. En attendant, il nettoie son arme en chantonnant.

L E M E R C E N A I R E , chantant :

A u nord, au sud, au désert, sous les tropiques,

brousse ou jungle ou marais des deltas, pluie, fièvre ou moustiques,

peau que le soleil tanna, nouveau chevalier

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278

LA T O L É R A N C E

sens ton c œ u r se gonfler, c'est pour le droit et la liberté ! / / se met en position de tir devant le mannequin. Salaud ! M a c a q u e ! Sauvage ! Sorcier ! Ingrat ! Violeur de religieuses ! P a n et p a n et p a n ! / / tire.

O h ! O h ! cette race satanique a la vie dure ! Regardez-le avec ses gros yeux blancs et sa grosse gueule rouge ! Pan et pan et pan ! Attrape ça ! / / tire. J 'en ai vu ! Mor t s , ils continuaient à avancer sur vous ! Il fallait les re-tuer dix fois ! O n dit que leurs sorciers leur promettent de changer nos balles en eau ! P a n et p a n et p a n ! / / tire, le mannequin dégringole. J e doute q u e celle-là ait été changée en eau ! / / rit.

Mais m o i , je suis en eau ! O u f ! Il fait chaud ! C h a u d et soif! foutu pays ! / / s'essuie le front et se verse une rasade, il chantonne. Y en a qui font la mauvaise tête A leurs parents Qui font des dettes, qui font la bête, Inutilement, Qui, un beau soir, de leur maîtresse Ont plein le dos,

Ils fichent le c a m p , pleins de tristesse Pour le Congo ! Le noir s'est installé. Quand la lumière revient, le mercenaire blanc tient encore en main son revolver fumant, mais, par terre, le mannequin est remplacé par deux cadavres, Okito et M'Plo. Entrent M'siri et un mercenaire, poussant Lumumba. Brusquement, M'siri se précipite sur Lumumba, qu'il frappe au visage. (...) M ' S I R I : T u as vu c o m m e ils ont craché les balles tes copains ? A nous deux maintenant ! Le mercenaire tente d'interveir. M ' S I R I lui arrachant sa baionnette...

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279

DE LA TOLÉRANCE À LA CONNAISSANCE

N o n ! J'ai un compte personnel à régler avec ce monsieur !

S'adressant à Lumumba :

A nous deux ! Alors, c'est vrai ce que l'on raconte que tu te

crois invulnérable !

/ / lui appuie l'arme sur la poitrine.

T u répondras quand on te parle !

L U M U M B A : C'est bien M'siri ! J'attendais cette confronta­

tion ! Elle était nécessaire ! N o u s s o m m e s deux forces ! les

deux forces ! T u es l'invention du passé et je suis un

inventeur du futur !

M ' S I R I : Il paraît qu 'au Kasaï, vous avez de puissants

sortilèges. Pelu de zunzi ou autre chose, c'est le m o m e n t de

les mettre à l'épreuve !

L U M U M B A : M'siri, c'est une idée invulnérable que j'incarne,

en effet ! Invincible c o m m e l'espérance d 'un peuple, c o m m e

le feu de brousse en brousse, c o m m e le pollen de vent en

vent, c o m m e la racine dans l'aveugle terreau.

M ' S I R I : Et ça, et ça ! tu ne le sens pas ? inexorable ! T u ne le

sens pas à travers le terreau de ta couenne, s'enfoncer vers

ton cœur !

L U M U M B A : Méfie-toi, il y a dans m a poitrine un dur noyau,

le silex contre quoi s'ébréchera ta lame ! C'est l'honneur de

l'Afrique !

M ' S I R I , ricanant :

L'Afrique ! Elle se fout de toi, l'Afrique ! Elle ne peut rien

pour toi, l'Afrique ! M e sens-tu h o m m e à boire ton sang et à

manger ton cœur !

L U M U M B A : J'ai toute la nuit entendu pleurer, rire, gémir et

gronder... c'était l'hyène!

M ' S I R I : Il crâne ! Mais tu ne crois pas si bien dire ! T u ne la

vois pas la mort qui te plante les yeux dans les yeux ! T u vis

ta mort, et tu ne la sens pas !

L U M U M B A : Je meurs m a vie et cela m e suffit.

M ' S I R I : Tiens !

/ / enfonce la lame.

Alors, prophète, qu'est-ce que tu vois ?

L U M U M B A :

Je serai du c h a m p , je serai du pacage,

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280

LA T O L É R A N C E

Je serai avec le pêcheur W a g e n i a , Je serai avec le bouvier d u K i v u ,

Je serai sur le m o n t , je serai dans le ravin. M ' S I R I : Finissons-en.

/ / appuie.

L U M U M B A : O h ! cette rosée sur l'Afrique ! Je regarde, je vois, camarades, l'arbre flamboyant, des p y g m é e s , de la hache, s'affairent autour d u tronc précaire, mais la tête qui grandit,

cite au ciel qui chavire le rudiment d ' é c u m e d ' u n e aurore. M ' S I R I : Salaud !

Lumumba tombe.

Au mercenaire :

Chien, achève-le. Coup de feu, le mercenaire donne le coup de grâce à Lumumba.

A i m é Césaire, Martinique, U n e saison au Congo, acte m , scènes V et V I , 1967

Le mystique et le désir de salut universel

Si dans l'histoire humaine l'issue de certains combats peut sembler

incertaine, il est en revanche des victoires définitives : celle de la liberté

religieuse en est. Dépassant empêchements majeurs et haines, naguère

encore tenues pour inexpiables, les chefs spirituels de toutes transcen­

dances, toute prétention mondaine dépouillée, sont en quête d'un

nouveau langage ou peut-être tentent de réinventer, en l'universalisant,

le message initial.

Paul VI, à la tribune des Nations Unies, rappelle que « le sang

de millions d'hommes, que des souffrances inouïes et innombrables, que

d'inutiles massacres et d'épouvantables ruines sanctionnent le pacte qui

vous unit en un serment qui doit changer l'histoire future du monde :

jamais plus la guerre, jamais plus la guerre ! C'est la paix, la paix,

qui doit guider le destin des peuples et de toute l'humanité!... Nous

devons nous habituer à penser d'une manière nouvelle l'homme, d'une

manière nouvelle aussi la vie en commun des hommes, d'une manière

nouvelle enfin les chemins de l'histoire et les destins du monde... ». Est-

ce là autre chose que d'appeler, comme faisait Goethe, à « une piété

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281

DE LA TOLÉRANCE À LA CONNAISSANCE

universelle; donner à nos sentiments de probité et d'humanité une

extension plus large et... ne pas les rapporter seulement à nos proches,

mais au genre humain tout entier? ».' '•Abduh, Gandhi, Buber,

d'horizons si différents, ne tiennent pas d'autre langage — celui du

« front unique » — en notre siècle d'errance et d'acier.

Un ordre plus haut, le « passionné du milieu divin », ébloui par

l'évidence « que la seule éternité humaine capable d'embrasser

dignement le Divin est celle de tous les bras humains ouverts ensemble »

ne saurait, sans trahir le Dieu vivant, prétendre exclure tel ou tel

homme du salut éternel.

392

Et ici Notre message atteint son s o m m e t . Négativement

d'abord : c'est la parole que vous attendez de N o u s et que

N o u s ne pouvons prononcer sans être conscient de sa gravité

et de sa solennité ; jamais plus les uns contre les autres, jamais,

plus jamais ! N'est-ce pas surtout dans ce but qu'est née

l'Organisation des Nations Unies : contre la guerre et pour

la paix ? Écoutez les paroles lucides d ' u n grand disparu, John

Kennedy , qui proclamait, il y a quatre ans : « L 'humani té

devra mettre fin à la guerre, ou c'est la guerre qui mettra fin

à l'humanité. » Il n'est pas besoin de longs discours pour

proclamer la finalité suprême de votre Institution. Il suffit de

rappeler que le sang de millions d ' h o m m e s , que des

souffrances inouïes et innombrables, que d'inutiles massa­

cres et d'épouvantables ruines sanctionnent le pacte qui vous

unit, en u n serment qui doit changer l'histoire future du

m o n d e : jamais plus la guerre, jamais plus la guerre ! C'est

la paix, la paix, qui doit guider le destin des peuples et de

toute l'humanité !

(...)

Parler d 'humanité, de générosité, c'est faire écho à un

autre principe constitutif des Nations Unies, son s o m m e t

positif: ce n'est pas seulement pour conjurer les conflits entre

les Etats que l'on œuvre ici; c'est pour rendre les Etats

capables de travailler les uns pour les autres. V o u s ne vous

contentez pas de faciliter la coexistence entre les nations;

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282

LA T O L É R A N C E

vous faites u n bien plus grand pas en avant, digne de Notre éloge et de Notre appui ; vous organisez la collaboration fraternelle des Peuples. Ici s'instaure u n système de solida­rité, qui fait que de hautes finalités, dans l'ordre de la civilisation, reçoivent l'appui unan ime et ordonné de toute la famille des Peuples, pour le bien de tous et de chacun. C'est ce qu'il y a de plus beau dans l'Organisation des Nations Unies, c'est son visage le plus h u m a i n , le plus authentique; c'est l'idéal dont rêve l'humanité dans son pèlerinage à travers le temps ; c'est le plus grand espoir d u m o n d e . N o u s oserons dire : c'est le reflet d u dessein de Dieu — dessein transcendant et plein d ' a m o u r — pour le progrès de la société huma ine sur la terre.

(...) U n m o t encore, Messieurs, un dernier m o t : cet édifice

que vous construisez ne repose pas sur des bases purement matérielles et terrestres, car ce serait alors u n édifice construit sur le sable ; il repose avant tout sur nos conscien­ces. O u i , le m o m e n t est venu de la « conversion », de la transformation personnelle, d u renouvellement intérieur. Nous devons nous habituer à penser d 'une manière nouvelle l ' h o m m e ; d 'une manière nouvelle aussi la vie en c o m m u n des h o m m e s , d 'une manière nouvelle enfin les chemins de l'histoire et les destins d u m o n d e , selon la parole de saint Paul : « revêtir l ' h o m m e nouveau créé selon Dieu dans la justice et la sainteté de la vérité » (Ephésiens, 4 , 23). Voici arrivée l'heure où s'impose une halte, u n m o m e n t de recueillement, de réflexion, quasi de prière : repenser à notre c o m m u n e origine, à notre histoire, à notre destin c o m m u n .

Paul V I , pape, Message de paix à l'Assemblée générale des

Nations Unies, 1965

393 La doctrine du Satyàgraha

M o n sentiment est que les nations ne peuvent être réellement une et que leurs activités ne sauraient conduire au bien c o m m u n de l'humanité entière, à moins de reconnaître

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283

DE LA TOLÉRANCE À LA CONNAISSANCE

expressément la loi familière (d'amour) dans les choses

nationales et internationales, en d'autres termes, dans l'ordre

politique. Les nations ne peuvent être civilisées que dans la

mesure où elles obéissent à cette loi.

Mahatma Gandhi, 1869-1948, Inde

394

Pour moi la Bible, l'Evangile et le Coran sont trois livres

concordants, trois prédications entièrement unies entre elles ;

les gens religieux les étudient tous les trois et les vénèrent

également; ainsi se complète l'enseignement divin, et sa

vraie religion brille à travers toutes les religions.

Les trois grandes religions étant ainsi animées d 'un

m ê m e esprit, l'hostilité entre leurs adeptes ne saurait durer

longtemps. Je prévois le jour prochain où luira parmi les

h o m m e s la connaissance parfaite et où se dissiperont les

ténèbres de l'ignorance ; alors les deux grandes religions, le

Christianisme et l'Islam s'apprécieront mutuellement et se

tendront la main.

al-Cheikh M u h a m m a d cAbduh, Egypte, Al-Islâm wa-1-Nasrâniya (Islam et christianisme), 1901

395

Le passionné du Milieu divin ne peut supporter autour de soi

l'obscurité, la tiédeur, le vide, dans ce qui devrait être tout

plein et vibrant de Dieu. A l'idée des innombrables esprits,

liés à lui dans l'unité d 'un m ê m e M o n d e , et autour de qui

n'est pas encore suffisamment allumé le feu de la Présence

divine, il se sent c o m m e transi. Il avait pu croire quelque

temps que, pour toucher Dieu à la mesure de ses désirs, il lui

suffisait d'étendre sa seule main, sa main à lui. Il s'aperçoit

maintenant que la seule étreinte humaine capable d'embras­

ser dignement le Divin est celle de tous les bras humains

ouverts ensemble pour appeler et accueillir le Feu. Le seul

sujet définitivement capable de la Transfiguration mystique

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284

LA T O L É R A N C E

est le groupe entier des h o m m e s ne formant plus qu 'un corps

et qu'une â m e dans la charité. Pierre Teilhard de Chardin, 1881-1955, France,

Le milieu divin, essai de vie intérieure

396

C o m m e en Occident le m o t Dieu, dans son sens usuel, désigne une Personne, des h o m m e s dont l'attention, la foi et l'amour portent exclusivement sur l'aspect impersonnel de Dieu, peuvent se croire et se dire athées, bien que l'amour surnaturel habite dans leur â m e . Ceux-là sont sûrement sauvés.

Ils se reconnaissent à leur attitude à l'égard des choses d'ici-bas. Tous ceux qui possèdent à l'état pur l'amour du prochain et l'acceptation de l'ordre du m o n d e , y compris le malheur, tous ceux-là, m ê m e s'ils vivent et meurent en apparence athées, sont sûrement sauvés.

Ceux qui possèdent parfaitement ces deux vertus, m ê m e s'ils vivent et meurent athées, sont des saints.

Simone Weil, 1909-1943, France, Lettre à un religieux

397

Pour ceux qui aiment d ' amour vrai Dieu-la-Vérité, les habitants d u m o n d e entier sont c o m m e de vrais frères.

M o n péché? Le voici : J'ai dit que les soixante-douze peuples différents constituent, tous, une seule vérité.

Celui qui sent [le parfum] de l'amour n ' a plus besoin ni de religion, ni de nation. Celui qui compte son être pour un rien, peut-il distinguer entre les religions et les sectes ?

J'ai trouvé celui queje cherchais manifeste dans l'âme de l ' h o m m e . Il ne cesse d'aspirer à se libérer, à s'évader du corps dans lequel il est enfermé.

C'est lui qui a noué le talisman ; lui qui parle en toutes les langues ; lui que ni ciel, ni terre ne peuvent contenir, et il est venu se loger dans l 'âme de l ' h o m m e .

C'est lui qui fait construire des maisons de charité pour

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285

DE LA T O L É R A N C E À LA CONNAISSANCE

les pauvres, des villas et des palais ; lui qui, u n m a s q u e noir sur le visage, s'affaire devant le fourneau d ' u n bain public.

Y u n u s , tes paroles ont u n sens profond pour ceux qui savent les déchiffrer ; elles dureront après toi : viendront des temps où on les dira encore.

Yunus Emre, poète populaire x m e siècle, Turquie

398

J'accepte toutes les religions qui ont existé dans le. passé et m e joins à toutes pour adorer Dieu. J'adore Dieu ensemble avec chacune d'elles, quelles que soient les formes de cette adoration. Je m e rendrais à la m o s q u é e des M a h o m e t a n s ; je pénétrerais dans l'Église d u Christ, et je m'agenouillerais devant le Crucifix ; j'entrerais dans u n temple consacré à B o u d d h a et chercherais refuge auprès d u B o u d d h a et d e sa loi. Je m e rendrais dans la forêt et m e joindrais aux Hindous qui y méditent, s'efforçant de percevoir la Lumière qui éclaire le c œ u r de chacun de nous. N o n seulement je ferais toutes ces choses, mais m o n c œ u r restera ouvert à ce qui adviendra dans l'avenir (...) N o u s assumons tout ce qui a existé dans le passé, jouissons de la lumière d u présent et ouvrons toutes les fenêtres de notre c œ u r pour accueillir ce que l'avenir nous apportera. N o u s rendons h o m m a g e à tous les prophètes d u passé, aux grands h o m m e s de ce temps et à tous ceux qui surgiront à l'avenir.

Le Swami Vivekananda, 1863-1902, Inde

Le politique et le combat pour le bonheur ici d'abord

Dans le même temps, pour le passionné du milieu humain, le message

hypostasié a inversé ses sources qui ne peuvent être qu'en deçà : il parle

histoire non théologie, relations humaines concrètes non ontologie.

« L'extinction des haines de race », préalable à toute égalité et à

toute justice, n'est pas accomplie. Or, force est de voir « que ce

sentiment est partagé... par les peuples qui, dans les compétitions des

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286

LA T O L É R A N C E

quatre derniers siècles entre puissances occidentales, se sont taillés la part du lion — au moins pour le moment — dans l'héritage de la Terre ». Nulle issue aussi longtemps que l'on n'aura pas d'abord reconnu à tout particularisme « une nature humaine universelle », que la pensée ne se sera pas imposé comme impératif catégorique de s'interroger sur « ce qui est vrai pour tous les hommes, non sur ce qui est vrai pour quelques individus ». Ces vérités-là, de toute évidence, sont désormais d'essence politique. Politiques la misère et les inégalités sociales ; politiques le racisme, le colonialisme et leurs succédanés : comment la révolte ou les révolutions qui cherchent à mettre fin aux unes et aux autres ne le seraient-elles pas? La liberté, l'égalité, la justice, bref, le bonheur « ici maintenant et d'abord » n'est ni un destin, ni un don, ni un rêve ; il se conquiert par tous dominés sur tous dominants : invariablement, l'histoire accomplie ou se faisant, se compose un visage des traits de ceux-là non de ceux-ci. Quant à la tolérance — cet essai de tragédie optimiste a tenté de le montrer — elle est, comme tout le reste, contradictoire parce qu'appauvrie et détournée, mais en définitive ouverte parce que mouvante et libératrice au gré du conflit créateur entre « la structure économique et politique d'une part, et la théorie et la pratique d'autre part ».

Modifier, si peu que ce soit — et la modification est inéluctable — cette contradiction sera le rôle de la nouvelle tolérance qui devra chercher toujours plus d'égalité, de justice, par un effort inédit de reconnaisance et de solidarité réelle où le dieu Or devra être, comme les anciennes idoles, détruit. Alors seulement la fraternité humaine n'aura plus à se couvrir du masque de tolérance.

399

L'extinction des haines de race entre Musulmans est un des accomplissements moraux les plus considérables de l'Islam ; dans le m o n d e contemporain, le besoin de la propagation de cette vertu musulmane se fait sentir de façon criante ; et bien que l'histoire semble montrer que, dans l'ensemble, le préjugé de race ait été l'exception plutôt que la règle, dans les constants échanges de l'espèce humaine, une des fatalités de la situation présente est que ce sentiment est partagé — et fortement — par les peuples qui, dans les compétitions des

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DE LA TOLÉRANCE À LA CONNAISSANCE

quatre derniers siècles entre puissances occidentales, se sont

taillé la part du lion — au moins pour le m o m e n t — dans

l'héritage de la Terre.

Arnold J. Toynbee, 1889-1975, Royaume-Uni, La civilisation à l'épreuve

400

N ' y a-t-il pas une nature humaine universelle, c o m m e il y a une

nature universelle des plantes et des astres ? L a philosophie

s'interroge sur ce qui est vrai, non sur ce qui est valable ; elle

s'interroge sur ce qui est vrai pour tous les h o m m e s , non sur

ce qui est vrai pour quelques individus ; ses vérités métaphy­

siques ne connaissent pas les frontières de la géographie

politique; ses vérités politiques savent trop bien où les

« frontières » commencent pour confondre l'horizon illusoire

d'une conception particulière du m o n d e et du peuple avec le

véritable horizon de l'esprit humain.

Karl Marx, editorial de la « Kölnische Zeitung », 1842

401

Le communisme de « l'Observateur rhénan »

(...) O n lit encore :

Nous demandons aussi dans le « Pater Noster » : « N e

nous induis pas en tentation. » Et ce que nous demandons

pour nous, nous devons l'appliquer nous-mêmes à notre

prochain. O r , il est sûr que nos conditions sociales sont une

tentation pour l ' h o m m e et que l'excès de misère incite au

crime.

Karl Marx, Article paru dans la Gazette allemande de Bruxelles, 1847

402

C'est avec une amère ironie qu'on observera que le dévelop­

pement du racisme s'est effectué parallèlement à celui de

l'idéal démocratique, quand il a fallu recourir au prestige

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288

LA T O L É R A N C E

nouvellement acquis de la science pour rassurer les conscien­ces chaque fois que, de façon trop criante, on violait ou refusait de reconnaître les droits d'une portion de l'humanité (...)

Il n 'y a pas de races de maîtres en face de races d'esclaves : l'esclavage n'est pas né avec l ' h o m m e , il n 'a fait son apparition que dans des sociétés assez développées au point de vue technique pour pouvoir entretenir des esclaves et en tirer avantage pour la production (...)

Le préjugé racial n 'a rien d'héréditaire non plus que de spontané; il est un « préjugé », c'est-à-dire un jugement de valeur non fondé objectivement, et d'origine culturelle : loin d'être donné dans les choses ou inhérent à la nature humaine, il fait partie de ces mythes qui procèdent d 'une propagande intéressée bien plus que d 'une tradition i m m é ­moriale. Puisqu'il est lié essentiellement à des antagonismes reposant sur la structure économique des sociétés modernes, c'est dans la mesure où les peuples transformeront cette structure qu 'on le verra disparaître, c o m m e d'autres préju­gés qui ne sont pas des causes d'injustice sociale mais plutôt des symptômes. Ainsi, grâce à la coopération de tous les groupes humains, quels qu'ils soient, sur u n plan d'égalité, s'ouvriront pour la Civilisation des perspectives insoup­çonnées.

Michel Leiris, France, Cinq études d'ethnologie, 1969

403

O lumière amicale ô fraîche source de la lumière

ceux qui n'ont inventé ni la poudre ni la boussole ceux qui n'ont jamais su dompter la vapeur ni l'électricité ceux qui n'ont exploré ni les mers ni le ciel

mais ceux sans qui la terre ne serait pas la terre gibbosité d'autant plus bienfaisante que la terre déserte davantage la terre

silo où se préserve et mûrit ce que la terre a de plus terre m a négritude n'est pas une pierre, sa surdite ruée

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289

DE LA TOLÉRANCE À LA CONNAISSANCE

contre la clameur du jour

m a négritude n'est pas une taie d'eau morte sur l'œil

mort de la terre

m a négritude n'est ni une tour ni une cathédrale

elle plonge dans la chair rouge du sol

elle plonge dans la chair ardente du ciel

elle troue l'accablement opaque de sa droite patience

( • • • ) _

et voici au bout de ce petit matin m a prière virile

queje n'entende ni les rires ni les cris, les yeux fixés sur cette

ville que prophétise, belle

( • • • )

Faites-moi rebelle à toute vanité, mais docile à son génie

[« cet unique peuple »]

c o m m e le poing à l'allongée du bras !

Faites-moi commissaire de son sang

faites-moi dépositaire de son ressentiment

faites de moi un h o m m e de terminaison

faites de moi un h o m m e d'initiation

faites de moi un h o m m e de recueillement

mais faites aussi de moi un h o m m e d'ensemencement.

( • • • )

Mais les faisant, m o n coeur, préservez-moi de toute haine

ne faites point de moi cet h o m m e de haine pour qui je n'ai

que haine

car pour m e cantonner en cette unique race

vous savez pourtant m o n amour tyrannique

vous savez que ce n'est point par haine des autres races

que je m'exige bêcheur de cette unique race

que ce que je veux

c'est pour la faim universelle

pour la soif universelle

la sommer libre enfin

de produire de son intimité close

la succulence des fruits. Aimé Césaire, Martinique,

Cahier d'un retour au pays natal, 1947

Page 294: La Tolérance: essai d'anthologie; 1988

290

LA T O L É R A N C E

404

L ' h o m m e n'est ni le bon sauvage de Rousseau, ni le pervers de l'église et de L a Rochefoucauld. Il est violent quand on l'opprime, il est doux quand il est libre.

Les murs ont la parole, Sorbonne, Paris, Mai 1968

405

Je crois à l'existence d 'un « droit naturel » de résistance pour les minorités opprimées, écrasées, selon lequel elles pour­raient recourir à des moyens extra-légaux, dès que les moyens légaux ont révélé leur inefficacité. L a loi et l'ordre demeurent toujours et partout la loi et l'ordre faits pour protéger la hiérarchie établie; c'est donc une absurdité que d'invoquer l'autorité absolue des lois et de l'ordre, contre ceux qui en souffrent et les combattent, non pour obtenir des avantages personnels ou pour assouvir une vengeance per­sonnelle, mais bien parce qu'ils veulent vivre en h o m m e s . Il n'existe aucun autre juge de leur conduite que les autorités constituées, la police et leur propre conscience. Q u a n d ils recourent à la violence, ne pensons pas qu'ils déclenchent une série nouvelle de violences, mais bien qu'ils essayent de briser celle qui existe. Ils seront punis et ils le savent. Puisqu'ils veulent prendre ce risque, personne, et surtout pas les éducateurs et les intellectuels, n'a le droit de leur prêcher la non-violence.

Herbert Marcuse, États-Unis d'Amérique, Critique de la tolérance pure

406 Le socialisme

(...) O h , le travail de l'Histoire n'est pas fini, C'est un rocher poussé vers en haut par nos bras. Q u e nous cédions, et il accable notre poitrine, Q u e nous nous reposions, et il broie notre tête.

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291

DE LA TOLÉRANCE À LA CONNAISSANCE

O h , le travail de l'Histoire n'est pas fini, C e globe n'est pas t rempé encore au feu d e l'Esprit.

C K . Norwid, Pologne, 1861

Homme ancien, monde nouveau

Nouvelle utopie ou bien l'approche d'un saut qualitatif basculant dans un nouvel âge de l'humain ? « Signes annonciateurs de quelque chose d'autre qui est en marche » : « la frivolité et l'ennui qui envahissent ce qui subsiste encore, le pressentiment vague d'un inconnu ». Plus concrètement, la faillite, le procès planétaire et la condamnation encore à venir de la violence structurelle de l'âge qui n'en finit pas de mourir. Peut-être alors seulement, l'homme rendu à l'homme ne sera plus en retard, aux yeux de l'Histoire sur son propre destin, au regard de Dieu sur son propre salut.

« Beaux enfants, vous sortez de nous, nos douleurs vous auront faits. Ce siècle est une femme, il accouche... » Pour eux « chante déjà plus hautaine aventure », « parmi les ruines saintes et l'émiettement des vieilles termitières ».

407

D u reste, il n'est pas difficile de voir que notre temps est u n temps de gestation et de transition à une nouvelle période ; l'esprit a r o m p u avec le m o n d e de son être-là et de la représentation qui a duré jusqu'à maintenant; il est sur le point d'enfouir ce m o n d e dans le passé, et il est dans le travail de sa propre transformation. E n vérité, l'esprit ne se trouve jamais dans u n état de repos, mais il est toujours emporté dans u n m o u v e m e n t indéfiniment progressif; seule­m e n t , il en est ici c o m m e dans le cas de l'enfant; après une longue et silencieuse nutrition, la première respiration dans u n saut qualitatif, interrompt brusquement la continuité de la croissance seulement quantitative, et c'est alors que l'enfant est né ; ainsi l'esprit qui se forme mûrit lentement et silencieusement jusqu'à ce que sa nouvelle figure désintègre fragment par fragment l'édifice de son m o n d e précédent;

Page 296: La Tolérance: essai d'anthologie; 1988

292

LA T O L É R A N C E

l'ébranlement de ce monde est seulement indiqué par des symptômes sporadiques ; la frivolité et l'ennui qui envahis­sent ce qui subsiste encore, le pressentiment vague d 'un inconnu sont les signes annonciateurs de quelque chose d'autre qui est en marche. Cet émiettement continu qui n'altérait pas la physionomie du tout est brusquement interrompu par le lever du soleil qui, dans un éclair, dessine en une fois la forme du nouveau monde .

Hegel, Allemagne, Phénoménologie de l'esprit, 1807

408

Siècles, voici m o n siècle, solitaire et difforme, l'accusé. M o n client s'éventre de ses propres mains ; ce que vous prenez pour une lymphe blanche, c'est du sang : pas de globules rouges, l'accusé meurt de faim. Mais je vous dirai le secret de cette perforation multiple : le siècle eût été bon si l ' homme n'eût été guetté par son ennemi cruel, immémorial, par l'espèce carnassière qui avait juré sa perte, par la bête sans poils et maligne, par l 'homme. U n et un font un, voilà notre mystère. La bête se cachait, nous surprenions son regard, tout à coup, dans les yeux intimes de nos prochains ; alors nous frappions : légitime défense préventive. J'ai surpris la bête, j'ai frappé, un h o m m e est tombé, dans ses yeux mourants j'ai vu la bête, toujours vivante, moi. U n et un font un : quel malentendu ! D e qui, de quoi, ce goût ranee et fade dans m a gorge ? D e l ' homme ? D e la bête ? D e m o i - m ê m e ? C'est ce goût du siècle. Siècles heureux, vous ignorez nos haines, comment comprendriez-vous l'atroce pouvoir de nos mortelles amours. L 'amour , la haine, un et un... Acquittez-nous ! M o n client fut le premier à connaître la honte : il sait qu'il est nu. Beaux enfants, vous sortez de nous, nos douleurs vous auront faits. C e siècle est une femme, il accouche, condamnerez-vous votre mère ! H é ? Répondez donc ! (Un

temps.) Le trentième ne répond plus. Peut-être n'y aura-t-il plus de siècles après le nôtre. Peut-être qu'une bombe aura soufflé les lumières. Tout sera mort : les yeux, les juges, le

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293

DE LA TOLÉRANCE À LA CONNAISSANCE

temps. Nuit. O tribunal de la nuit, toi qui fus, qui seras, qui

es, j'ai été ! J'ai été !

Jean-Paul Sartre, France, Les séquestrés d'Altona, acte v, scène III, 1960

409

« ... Grand âge, nous voici — et nos pas d ' h o m m e s vers

l'issue. C'est assez d'engranger, il est temps d'éventer et

d'honorer notre aire.

« D e m a i n , les grands orages maraudeurs, et l'éclair au

travail [...] L e caducée d u ciel descend marquer la terre de

son chiffre. L'alliance est fondée.

« A h ! qu 'une élite aussi se lève, de très grands arbres sur

la terre, c o m m e tribu de grandes âmes et qui nous tiennent

en leur conseil [...] Et la sévérité du soir descende, avec

l'aveu de sa douceur, sur les chemins de pierre brûlante

éclairés de lavande [...]

« Frémissement alors, à la plus haute tige engluée

d ' ambre , de la plus haute feuille mi-déliée sur son onglet

d'ivoire.

« Et nos actes s'éloignent dans leurs vergers d'éclairs

« A d'autres d'édifier, parmi les schistes et les laves. A

d'autres de lever les marbres à la ville.

« Pour nous chante déjà plus hautaine aventure. Route

frayée de main nouvelle, et feux postés de cime en cime.

« L'offrande, ô nuit, où la porter ? et la louange, la fier ?

[...] N o u s élevons à bout de bras, sur le plat de nos mains,

c o m m e couvée d'ailes naissantes, ce cœur entenebré de

l ' h o m m e où fut l'avide, et fut l'ardent, et tant d ' a m o u r

irrévélé [...]

« Ecoute, ô nuit, dans les préaux déserts et sous les arches

solitaires, parmi les ruines saintes et l'émiettement des

vieilles termitières, le grand pas souverain de l 'âme sans

tanière,

« C o m m e aux dalles de bronze où rôderait un fauve.

Page 298: La Tolérance: essai d'anthologie; 1988

294

LA T O L É R A N C E

« Grand âge, nous voici. Prenez mesure du cœur d ' h o m m e . »

Saint-John Perse, France, Chronique, 1960

Si l'homme ne déchoit...

Commencé sous le signe de l'invention musicale, ce « livre de bonne foi » s'achève et s'ouvre à nouveau en postulation d'harmonie.

Au-delà des concepts couplés colère-amour, ennemi-ami, déchéance-devoir, différent-semblable, trahison-pardon dont nous avons tenté d'illustrer ici, sans les civiliser, les réalités vivantes, c'est cette mélodie encore inconnue mais que chacun perçoit confusément qu'il appartient aux hommes enfin dignes de l'humain de formuler et qui sans doute modulera, sur les ruines d'un monde qui fut, la forme d'un monde nouveau, meilleur, juste.

410

Sarastro

Dans ces salles sacrées

la colère est inconnue et l'Amour ramènera vers le devoir l 'homme qui était tombé. Alors la main dans celle d'un ami il ira, joyeux, vers un monde meilleur.

Dans ces murs sacrés, où l 'homme aime son prochain, nul traître ne se cache, car nous pardonnons à nos ennemis. Celui qui n'entend pas cet enseignement ne mérite pas d'être un h o m m e .

(Ils sortent) Wolfgang A m a d e u s Mozart, Autriche, L a flûte enchantée, livret d ' E m m a n u e l Shikaneder, d'après un conte oriental,

acte m , tableau V I I , scène XIII , 1791

Page 299: La Tolérance: essai d'anthologie; 1988

Bibliographie

Le Secrétariat de ¡'Unesco s'est efforcé d'obtenir une autorisation explicite de

reproduire ceux des extraits du présent recueil qui ne sont pas entrés dans le

domaine public et, grâce à l'obligeance de tous, il l'a obtenue dans la quasi-

totalité des cas. On voudra bien l'excuser d'omissions éventuelles et de ce qu'il

n'a pas cru devoir renoncer à certains extraits d'ouvrages dont il n'est pas

parvenu à atteindre l'éditeur ou l'auteur.

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