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LA TRANSFORMATION DE L'APPAREIL DE FORMATION PROFESSIONNELLE DU TRAVAIL SOCIAL : LES ENJEUX DU PARTENARIAT EFTS/UNIVERSITÉS ? Manuel Boucher De Boeck Supérieur | Pensée plurielle 2012/2 - n° 30-31 pages 235 à 242 ISSN 1376-0963 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-pensee-plurielle-2012-2-page-235.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Boucher Manuel, « La transformation de l'appareil de formation professionnelle du travail social : les enjeux du partenariat EFTS/universités ? », Pensée plurielle, 2012/2 n° 30-31, p. 235-242. DOI : 10.3917/pp.030.0235 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur. © De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Queen's University - - 130.15.241.167 - 18/04/2013 16h10. © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Queen's University - - 130.15.241.167 - 18/04/2013 16h10. © De Boeck Supérieur

La transformation de l'appareil de formation professionnelle du travail social : les enjeux du partenariat EFTS/universités ?

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LA TRANSFORMATION DE L'APPAREIL DE FORMATIONPROFESSIONNELLE DU TRAVAIL SOCIAL : LES ENJEUX DUPARTENARIAT EFTS/UNIVERSITÉS ? Manuel Boucher De Boeck Supérieur | Pensée plurielle 2012/2 - n° 30-31pages 235 à 242

ISSN 1376-0963

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-pensee-plurielle-2012-2-page-235.htm

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Boucher Manuel, « La transformation de l'appareil de formation professionnelle du travail social : les enjeux du

partenariat EFTS/universités ? »,

Pensée plurielle, 2012/2 n° 30-31, p. 235-242. DOI : 10.3917/pp.030.0235

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Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur.

© De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites desconditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votreétablissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière quece soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur enFrance. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

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La transformation de l’appareil de formation professionnelle

du travail social : les enjeux du partenariat

EFTS/universités ?

Manuel BOUCHER 1

Résumé : Ce texte vise à répondre à une question centrale : en quoi et à quelles conditions le rapprochement université/organisme de formation pro-fessionnelle et de recherche constitue-t-il une voie de progrès pour la quali-fication des professionnels du travail social ? 2

Mots clés : travail social, formation supérieure, université, recherche.

En France, la création récente de l’union nationale des associations de formation et de recherche en intervention sociale (UNAFORIS) – réseau natio-nal unique des établissements de formation aux professions du travail social 3 – témoigne de la réactivité de l’appareil de formation du travail social amené à s’adapter, en permanence, aux transformations de son champ. Les causes de ce changement sont multifactorielles (structurelles, culturelles, économi-ques) et s’inscrivent sur fond de crise et de stratégies multiples d’adaptation de l’« État social » dans un environnement européen à dominante libérale. En effet, comme l’a montré Robert Castel (2009), en France, à un mode de

1 Manuel Boucher est sociologue, directeur scientifique (HDR) du Laboratoire d’étude et de re-cherche sociales (LERS) et directeur adjoint de l’Institut du Développement Social (IDS-IRTS) de Haute- Normandie, route de Duclair, BP118, 76 380 Canteleu. Il est également Président de l’association des chercheurs des organismes de la formation et de l’intervention sociale (ACOFIS). E-mail : [email protected] Un glossaire est joint en fin d’article.3 Voir les statuts de l’UNAFORIS approuvés par l’AG du 23 juin 2011 sur le site : http://www.unaforis.eu.

DOI: 10.3917/pp.030-31.0235

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développement de l’État social correspond historiquement un mode de déve-loppement du travail social. Dans cette perspective, de la période de l’après-guerre jusqu’au milieu des années 1970, le travail social a donc fonctionné comme « un auxiliaire d’intégration de l’État social ». Cependant, les difficul-tés que connaît le travail social aujourd’hui sont aussi intimement liées à la transformation de l’État social, au point que certains auteurs n’hésitent pas à affirmer que, dorénavant, les intervenants sociaux s’inscrivent dans un proces-sus de marchandisation ou de « chalandisation » (Chauvière, 2010), voire de « social de compétition » (Donzelot, 2008). Autrement dit, ces professionnels du lien social sont de plus en plus enjoints de mettre en œuvre des « politiques d’activation » des « cas sociaux », tout en disposant de moins en moins de moyens pour soutenir efficacement leurs « usagers ». Dans ce cadre, certains intervenants sociaux peuvent alors être conduits à personnaliser les causes des problèmes rencontrés par leurs usagers, à se replier sur des missions de contrôle social et de moralisation des conduites. Dans la pratique, ils ris-quent, en effet, de renforcer la norme d’« internalité » qui conduit les popula-tions accompagnées par les intervenants sociaux, comme le note François Dubet (2001), à intérioriser l’idée qu’ils seraient les premiers responsables de leurs difficultés, indépendamment des causes structurelles qui produisent leur condition sociale, bousculant ainsi profondément les valeurs émancipatrices défendues par beaucoup d’acteurs du champ social, alors que celles-ci consti-tuent historiquement le fil rouge de leur professionnalité.

Former à « l’action sociale globale » 1. 4 : le choix stratégique des instituts régionaux

du travail social (IRTS)

Dans ce contexte, néanmoins, notre propos n’a pas ici pour objectif de faire l’analyse des transformations de l’État social mais d’attirer l’attention sur la pertinence d’un « modèle stratégique », celui des IRTS, qui représente une réponse aux besoins de formation professionnelle organisée dans une struc-ture dont les missions de formation, de recherche et d’animation des milieux professionnels sont, d’une part, coordonnées entre elles et, d’autre part, s’ins-crivent dans une relation étroite avec les acteurs du champ social, à la fois bénéficiaires et contributeurs de la production de cet espace.

On peut rappeler que, depuis les années 1970, seulement deux tentatives notables de nature politique (mais éphémères) de clarifier la feuille de route de l’action sociale avec, d’une part, la politique d’action sociale globale impul-sée par René Lenoir (secrétaire d’État à l’action sociale sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing) lui-même inspiré par Bernard Lory et, d’autre part,

4 C’est Bernard Lory qui a été le Directeur général de la population et de l’action sociale de 1960 à 1966 au ministère du Travail et de la Population et a présidé la Commission de l’action sociale pré-paratoire au VIe plan en 1969-1970 qui a développé cette formule d’« action sociale globale » : « Le maintien d’actions spécialisées doit s’accompagner d’une disparition des cloisons qui, jusqu’à présent, les isolent les unes des autres et, notamment, leur liaison doit être favorisée par une action à vocation globale et générale dont le meilleur exemple actuel est constitué par les centres sociaux » (Lory, 1975).

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les circulaires de Nicole Questiaux (ministre en charge de l’Action sociale sous le premier septennat de François Mitterrand) qui, après les années 1981 et l’entrée dans la rigueur d’un point de vue socio-économique, n’ont pas résisté au changement de la politique gouvernementale 5. Pourtant, ces orientations fondamentales n’ont rien perdu de leur intérêt et au cours des trente dernières années, ont jalonné les réflexions ou les travaux des acteurs tant de l’adminis-tration que du monde associatif toujours à la recherche de repères pertinents pour répondre aux nouvelles questions sociales, politiques et culturelles.

Pour illustrer cette dynamique à l’échelle régionale, c’est sur ces bases que l’Institut régional de formation des travailleurs sociaux (IRFTS) de Haute-Normandie a été créé en 1975 à l’initiative de l’État, relayé sur le terrain par le Conseil Général et l’appui du service régional de l’action sanitaire et sociale (qui deviendra ensuite la direction régionale des affaires sanitaires et sociales – DRASS). Après une hésitation sur le statut juridique de ce nouvel établissement, madame Simone Veil (ministre des Affaires sociales) a finale-ment choisi de lui octroyer un statut associatif conventionné avec l’État. C’est d’ailleurs René Lenoir qui a nommé le premier directeur général de l’IRFTS de Haute-Normandie. En effet, après avoir été portée par les autorités politiques auxquelles nous pouvons attribuer dans l’ordre d’agrément, les IRFTS de Poi-tiers, de Bordeaux, de Rouen puis de Rennes, la politique de développement des instituts régionaux n’est devenue ensuite qu’un processus de labellisation par l’État des instituts pluri-filières qui en faisaient la demande.

Ainsi, sans être abandonnée par l’État, dans les régions, la politique de développement des IRFTS n’était plus une priorité nationale mais restait ins-crite dans le champ des possibles. Devant l’inscription effective des premiers IRFTS sur les axes de développement social, le ministère a alors fait paraître un arrêté et une circulaire donnant de nouvelles missions aux IRFTS et fon-dant le statut d’un établissement de formation et de recherche, chargé éga-lement de l’animation des milieux professionnels. Dans ce cadre, les instituts régionaux de formation en travail social, en 1986, deviennent officiellement (ce qui avait été anticipé) des instituts régionaux de formation et de recherche nommés instituts régionaux du travail social.

Or une grave erreur stratégique a été commise lors de la fondation des pre-miers IRFTS. En effet, la culture planificatrice de l’époque a laissé peu de place à la concertation avec l’ensemble des acteurs du champ social. Par consé-quent, les écoles « mono-filières », très liées à leur corporation professionnelle,

5 Voir l’entretien de Nicole Questiaux faisant le point, à partir de son expérience de conseiller d’État et de ministre de la Solidarité nationale (1981-1982), sur la situation contemporaine des politi-ques sociales et du travail social : « Et la conduite de l’économie mondiale tend à vouloir effacer l’exception française et nous mettre dans un circuit dit “de concurrence et d’ajustement”, qui nous fasse renoncer au rôle de l’État dans l’élaboration des politiques publiques et un abandon des planifications successives qui scandaient la progression du développement social, au profit d’ini-tiatives privées et des responsabilités individuelles. L’assurance privée voudrait ainsi se substituer progressivement aux solidarités organisées et volontaires. Il n’y a plus de solidarité réelle, chacun se débrouille avec ses moyens, selon le contexte dans lequel il s’inscrit. C’est l’idée libérale et l’on peut comprendre qu’elle débouche sur des risques et que nous puissions, dans une République comme la nôtre garantie par sa Constitution, ne pas admettre cette position et défendre le rôle de l’État dans la production d’une organisation sociale, sans que cela puisse apparaître comme archaïque » (Questiaux, 2005, p. 26-29).

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ont opposé une forte résistance du dedans et du dehors des instituts. Effecti-vement, craignant de voir leur spécificité disparaître, le projet d’« action sociale globale » initié par Bernard Lory n’a pas suffisamment été développé. À cela, dans les régions, s’est ajoutée la crainte de perte d’autonomie des directions d’écoles. Ces inquiétudes relayées au sein de l’administration du ministère des affaires sociales par des conseillers techniques, par ailleurs, issus de ces corporations, ont contribué à freiner le processus des réformes des diplômes d’État qui auraient dû accompagner plus volontairement ce mouvement de décloisonnement qui pourtant n’impliquait pas la perte d’identité profession-nelle puisque les diplômes d’État, en particulier, des assistants sociaux et des éducateurs spécialisés, restaient distincts.

Dans ce contexte historique, en Haute-Normandie comme ailleurs en France, les coopérations entre les EFTS et les universités se sont générale-ment constituées en creux, en fonction des opportunités locales et, souvent, en fonction des relations interpersonnelles entre des acteurs de la formation en travail social et des universitaires. Néanmoins, c’est le cadre légal de création, en 1978, du diplôme supérieur du travail social (DSTS), puis du diplôme d’État d’ingénierie social (DEIS), créé en 2006, qui a imposé aux établissements de formation en travail social (EFTS) de développer des relations avec les univer-sités, avec le risque, à travers ces injonctions réglementaires, de favoriser des rapports asymétriques entre les EFTS et les universités. En effet, ce cadre peut induire une sorte d’« injonction à la collaboration » et ainsi favoriser un « rapport d’aliénation » au sens où le sociologue et philosophe Hartmunt Rosa le définit. Autrement dit, il s’agit d’un rapport de pouvoir et de domination qui s’exprime « à chaque fois que nous faisons “volontairement” ce que nous ne voulons pas vraiment faire » (Rosa, 2012, p. 113).

Les doubles certifications DEIS/Master : 2. un partenariat par défaut ?

Le développement des coopérations EFTS/universités dans le cadre des doubles certifications DEIS/Master illustre bien ces formes de partenariat « par défaut ». En effet, dans la pratique, pour occuper ou légitimer des fonctions d’en-cadrement (d’équipe/projet), la détention d’un master universitaire n’est pas incontournable. Dès lors, il semble que le développement des doubles cursus soit d’abord lié à des nécessités réglementaires et à des partenariats locaux parfois préexistants à la création du DEIS, notamment dans le cadre du DSTS. Ainsi, si les écoles du travail social avaient la possibilité de préparer des étudiants pour obtenir le DEIS en leur attribuant automatiquement le niveau Master via les ECTS 6 (european credits transfer system), elles n’auraient probablement pas besoin de se lier aussi souvent, (surtout lorsque cela n’apparaît pas pertinent), aux universités pour construire des « passerelles ». En revanche, dans la pers-pective d’offrir un cursus professionnalisant à leurs étudiants, les universités ont aujourd’hui stratégiquement besoin d’investir le champ social, comme d’autres champs professionnels d’ailleurs. Dans cette perspective, le développement de « passerelles » avec le DEIS est un moyen opportun pour que des étudiants des

6 Le système européen de transfert et d’accumulation de crédits est un système visant à faciliter la lecture et la comparaison des programmes d’études dans les pays de l’Union européenne.

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universités, risquant de se retrouver en difficulté d’insertion malgré la déten-tion de titres de niveau I, puissent néanmoins intégrer les milieux professionnels du travail social. Or cette insertion a des chances de se faire directement par l’intégration dans un poste ayant une mission d’encadrement alors même qu’il peut s’agir de personnes qui n’auront pas acquis une culture professionnelle suffisante à partir d’une expérience éprouvée de travail social. Toute proportion gardée, il s’agit là d’une rupture avec le modèle de promotion par la socialisation professionnelle avec ses hiérarchies et ses règles spécifiques, modèle tradi-tionnellement revendiqué par les acteurs de l’appareil de formation du travail social. En définitive, s’il apparaît pertinent de construire des partenariats entre le monde universitaire et celui de la formation supérieure en travail social, ne serait-ce que dans une optique d’amélioration de la qualité des formations pro-posées par les uns et les autres, il apparaît alors nécessaire de penser les voies permettant de dépasser les partenariats « par défaut » lorsqu’ils existent.

Comment construire un cadre partenarial équitable ?3.

Tout d’abord, du côté de l’université, le cadre universitaire présente des avantages indéniables que peut produire le processus de Bologne et son schéma « L M D », d’abord conçu pour favoriser la circulation des étudiants et des diplômés dans l’espace européen. Ce cadre, complété par le système de crédits (ECTS), constitue sans doute, s’il était effectivement pris en compte dans toutes ses dimensions, un outil de développement de formation tout au long de la vie. Pour autant, le cadre universitaire est également porteur de ris-ques non négligeables. En effet, la recherche de lisibilité pourrait aussi se payer par une normalisation excessive des contenus académiques dans les cursus de formation au détriment de l’expérience et de la mise en pratique difficile à évaluer et à valoriser.

Pour sa part, du côté de l’appareil de formation en travail social, celui-ci produit un autre cadre qui assure la production d’une grande partie des diplô-mes d’État du travail social (niveaux V à I). En effet, l’appareil de formation en travail social offre un cadre national stable et des garanties de professionnali-sation grâce à la pédagogie de l’alternance qui favorise la cohérence entre des savoirs théoriques pluridisciplinaires et des savoirs praxéologiques. Il s’agit là de coproduire et transmettre des compétences, à la fois académiques et des savoirs émergeant de l’action grâce à l’alliance entre les sites qualifiants et les centres de formation. En effet, ce cadre autorise un processus d’apprentissage par « l’alternance intégrative ». Toutefois, même si des passerelles d’une for-mation à l’autre donnent quelques souplesses et si la valorisation des acquis de l’expérience (VAE) permet, au prix de grands efforts, de sauter par-dessus les cloisons des qualifications, la réglementation des formations se présente en « tuyaux d’orgue », autrement dit, elle cloisonne les professions et entrave les parcours ouverts pourtant rendus indispensables aux métiers du travail social. En outre, les formations en travail social, même les plus anciennes dites « canoniques », souffrent d’une faible lisibilité de ses programmes. Sous cet aspect, l’adhésion au processus de Bologne des formations supérieures en travail social débouchant sur un diplôme d’État, corrigerait une grande par-tie des rigidités qui ont été maintenues par le législateur malgré l’opportunité

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qu’offraient les IRTS, comme nous l’avons déjà souligné, pour garantir le décloisonnement que leur mission leur assignait.

Il est donc difficile de dissocier le processus de formation en alternance débouchant sur des diplômes d’État de l’établissement de formation qui conduit le processus d’apprentissage. En effet, les IRTS, et demain les hautes éco-les professionnelles d’action sociale et de santé (HEPASS) 7, se sont structu-rés autour de trois compétences : la formation, la recherche et l’animation des milieux professionnels qui les rendent aptes à gérer une offre de formation de niveau V à niveau I. Néanmoins, il nous semble que nous avons toujours à gagner à chercher les complémentarités et à produire de l’enrichissement mutuel. À cet égard, les relations entre l’université et les organismes de formation en tra-vail social comportent une grande variété d’exemples, souvent à l’initiative des centres de formation, mais ces collaborations ne peuvent être fructueuses que dans le respect des missions respectives des institutions partenaires.

Dans la pratique, l’entrée dans le processus de Bologne des centres de formation en travail social les rapproche des universités puisqu’ils sont invités à s’inscrire dans le même cadre. C’est donc bien sous cet angle que l’effort d’en-trée dans le droit commun de l’appareil de formation doit être examiné. Toute-fois, si le mot d’ordre actuel semble être la professionnalisation des parcours de formation du cadre universitaire, il serait alors paradoxal que l’indicateur de rapprochement des organismes de formation avec l’université soit l’abandon progressif de la référence aux diplômes d’État. En fait, poursuivre le rapproche-ment universitaire nécessite d’octroyer à l’appareil de formation en travail social les moyens de réellement se structurer à l’instar des écoles d’ingénieurs ou des hautes écoles spécialisées suisses ou allemandes disposant de la capacité de délivrer ses diplômes, tout en conservant les diplômes professionnels d’État.

Dans ce contexte, il s’agirait alors, d’une part, de définir un cahier des char-ges tant pour la gouvernance que pour les qualifications des équipes de forma-teurs, d’enseignants et de chercheurs, ainsi que pour les activités de recherche, que nous souhaitons intégrées aux organismes de formation en travail social (comme c’est le cas, depuis 1983, pour le laboratoire d’étude et de recherche sociales (LERS) que je dirige aujourd’hui au sein de l’IDS-IRTS de Haute-Normandie) et d’autre part, de poser un cadre commun d’évaluation entre les universités et les centres de formation en travail social. Ainsi, pour gagner en har-monisation, dans un cadre commun, français et européen, il paraît important de corriger les défauts d’une réglementation sur les formations en travail social en retard sur les nouvelles exigences de l’exercice professionnel, sans pour autant perdre l’efficacité de leurs acquis dans le processus de professionnalisation.

C’est sur les bases d’une identité et de missions réaffirmées de l’appareil de formation recomposé autour du projet des HEPASS porté par le réseau unique

7 Dans ses statuts, l’UNAFORIS indique que cette association a, notamment, pour objet, à partir de plates-formes régionales, de constituer de hautes écoles professionnelles (HEPASS) qui se carac-tériseraient au minimum par « une offre sur l’ensemble des formations régies par le Code de l’action sociale et des familles, par les différentes voies d’accès à la certification ; une couverture minimale de l’ensemble d’un territoire régional ; une inscription dans l’espace européen et le respect du pro-cessus de Bologne ; une activité de recherche, d’expertise et d’animation du territoire ; une présence et des échanges internationaux ; une forme juridique garantissant la gouvernance et la dirigeance du regroupement ; un système d’assurance qualité externe ; une délégation de certification ».

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des centres de formation que pourra ainsi se développer, sur une base volon-taire et contractuelle, la collaboration avec les universités en sciences humai-nes. En effet, les nombreuses occasions d’ouverture à l’université se justifient sur plusieurs axes : ne pas isoler les formateurs en favorisant des échanges entre enseignants-chercheurs et formateurs sur les savoirs académiques. Les enseignants-chercheurs constituent des personnes ressources indispensables à la constitution des équipes d’intervenants ; ouvrir les formations en travail social aux étudiants en sciences sociales afin de multiplier les profils des can-didats aux qualifications professionnelles par le moyen des diplômes d’État ; à l’inverse, favoriser l’accès de parcours universitaires pour les étudiants en travail des EFTS afin de préparer un champ élargi des possibles quant à leur choix de carrière ; coproduire des recherches avec les laboratoires de recher-che existants ou à créer mais aussi coproduire des formations doctorales.

** *

En conclusion, il nous semble que le projet actuel des HEPASS est profon-dément enraciné dans l’histoire du travail social et de son appareil de formation. La mise en œuvre de ce projet ambitieux apparaît donc fondamentale pour garantir les qualifications professionnelles des travailleurs sociaux d’aujourd’hui et de demain. En effet, le contexte historique de notre siècle naissant permet d’espérer un nouvel élan de transformation de l’appareil de formation du travail social. Les idées faisant leur chemin (même lentement), de nouvelles opportu-nités permettront, si les autorités de l’État et des régions en prennent la mesure, de construire une stratégie de formation professionnelle et de promotion collec-tive du champ social. Nous pensons, en effet, que les HEPASS constituent le nouvel horizon pour la production d’une formation et de recherches exigeantes. En fait, l’appareil de formation du travail social s’inscrivant dans la perspective des HEPASS dispose d’une position stratégique irremplaçable : il se situe en interface avec l’espace hexagonal et européen, dans une relation étroite avec les collectivités territoriales, en proximité avec les branches professionnelles et leurs instances. Cet appareil de formation est par ailleurs marqué par une lon-gue expérience d’alliances multiples donnant ainsi des garanties aux milieux professionnels de comprendre leurs enjeux et de les accompagner. En défi-nitive, la possibilité d’un rapprochement et d’une coopération équilibrée entre l’appareil de formation et de recherche du champ social et l’appareil de forma-tion et de recherche universitaire actuel passe nécessairement par la recon-naissance d’un statut d’enseignement supérieur à part entière des EFTS.

Manuel BOUCHERDirecteur scientifique (HDR) du Laboratoire d’étude et de recherche sociales (LERS), président de l’association des chercheurs des organismes de la formation et de l’intervention sociale (ACOFIS) et directeur adjoint de l’Institut du Développement Social (IDS-IRTS) de Haute-Normandie, route de Duclair, BP118, 76380 Canteleu. E-mail : [email protected].

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Glossaire

DEIS : Diplôme d’État d’ingénierie sociale

DRASS : Direction régionale des affaires sanitaires et sociales

DSTS : Diplôme supérieur du travail social

ECTS : European credits transfer system

EFTS : Établissement de formation en travail social

HEPASS : Hautes écoles professionnelles d’action sociale et de santé

IDS : Institut du développement social

IRFTS : Institut régional de formation des travailleurs sociaux

IRTS : Institut régional du travail social

LERS : Laboratoire d’étude et de recherche sociales

UNAFORIS : Union nationale des associations de formation et de recher-che en intervention sociale

VAE : Valorisation des acquis de l’expérience

Bibliographie

Castel, R., 2009, Le retour de l’incertitude, Paris, Seuil.

Chauvière, M., 2010, Trop de gestion tue le social. Essai sur une discrète chalandisation, Paris, La Découverte.

Donzelot, J., 2008, « Le social de compétition », in Esprit, n° 348, p. 51-77.

Dubet, F., 2001, Le déclin de l’institution, Paris, Seuil.

Lory, B., 1975, La politique d’action sociale, Paris, Privat.

Questiaux N., 2005, Entretien, in VST-Vie sociale et traitements, n° 87, 3, p. 26-29.

Rosa, H., 2012, Aliénation et accélération, Paris, La Découverte.

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