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La Tribune du Palais Mardi 26 mars 2013 QUELLES SOLUTIONS POUR LUTTER CONTRE LA RÉCIDIVE ? PAGES 6 À 9 MÉDIAS « Paroles de juges », les coulisses de la justice sur le blog d’un magistrat. PRISONS Midi-Pyrénées, un modèle en matière de salubrité ? ACTUALITÉS Affaire Merah : la justice en attente des Renseignements. Page 3 Page 15 Page 12

La Tribune du Palais - ejt.fr · laisser guider par elle, là est la grandeur de la politique selon Hollande. Gwladys BONNASSIE ... D’autant plus que la loi prévoit déjà tout

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La Tribune du PalaisMardi 26 mars 2013

QUELLES SOLUTIONS POUR LUTTER CONTRE LA RéCIDIVE ? Pages 6 à 9

MéDIAS« Paroles de juges », les coulisses de la justice sur le blog d’un magistrat.

PRISONSMidi-Pyrénées, un modèle en matière de salubrité ?

ACTUALITéSaffaire Merah : la justice en attente des Renseignements.

Page 3 Page 15 Page 12

BrigadierThierry Mandrou

«D’un côté, la

présence de

l’avocat lors

du premier interrogatoire per-

met de vérifier que les policiers

n’exercent pas de pression sur le

gardé à vue. Il ne peut plus dire

que le policier lui a mal parlé.

L’avocat est une caution. De

l’autre, le délai de deux heures

pendant lequel on attend l’avo-

cat nous fait perdre du temps.

Cela augmente le risque de passer à côté de quelque chose ou de ne pas

avoir le temps de faire des actes procéduraux. Au final, il faut qu’on anticipe

encore plus le déroulement de la garde à vue. Mais au bout de deux ans, on

s’est adaptés.

Pour certaines affaires, la durée de la garde à vue mériterait d’être allongée.

Plus l’affaire est importante, plus les actes de procédure sont nombreux. Il

faudrait peut-être caractériser la garde à vue en fonction de l’infraction.

Au début, la réforme a créé des tensions entre nous et les avocats. Mais plus

on les côtoie, et plus on les connaît. Chacun connaît son rôle et le respecte.

Les avocats n’outrepassent pas leurs fonctions. Aujourd’hui, on s’est habi-

tués. Quand la réforme a été mise en place, les avocats râlaient parce qu’ils

n’avaient pas accès au dossier. Aujourd’hui, ils ont compris une chose : la

garde à vue n’est pas le procès. S’ils avaient connaissance de l’intégralité

du dossier, il faudrait allonger la garde à vue car ils pourraient préparer la

défense dès la garde à vue.

Pour la personne écrouée, la réforme a également changé beaucoup de choses.

Bon, la personne habituée des lieux se fiche qu’il y ait un avocat ou non. Elle

connaît les rouages. Mais pour la personne qui est mise en garde à vue pour

la première fois, la présence d’un avocat peut être rassurante. »

Mardi 26 mars 2013

LA TRIBUNE DU PALAIS

Garde à vue : bilan mitigéÉditoUn budget en hausse

de 4,3 % en 2013

La justice va mal. Magistrats en colère, avocats et policiers en grève, procédures à rallonges, fermetures de tribunaux après cinq ans de sarkozysme... Le bilan est lourd. Le changement tant promis par François Hollande est attendu par l’institution judiciaire. La nouvelle politique pénale consiste à rétablir le respect de l’ordre social. Un criminel doit purger sa peine. Mais le rôle de l’institution judiciaire est de prévenir la récidive en privilégiant la réinsertion.Ainsi, la prison n’est plus une fin en soi, mais devient un temps utile pour se réintégrer dans la société. Le citoyen est considéré par l’institution judiciaire et non plus exclu. Bien qu’il n’existe pas de solution miracle. Une logique humaine de la justice, en somme. Toutefois, cette politique a un coût, et pas des moindres.Guider l’opinion et non pas se laisser guider par elle, là est la grandeur de la politique selon Hollande.

Gwladys BONNASSIE

Aggravations de peines : la solution qui dérange

2 I Actualités

À la mi-avril, la réforme de la garde à vue aura deux ans. Une réforme qui change beaucoup de choses pour les policiers et les avocats. Libre propos sur cette réforme. I Marine Mugnier et Elouën Martin

« C ’est une rupture de l’égalité devant

la loi ! » Frédéric Douchez, le bâ-

tonnier toulousain s’oppose violemment au

ministre de l’Intérieur. L’aggravation des

peines encourues en cas d’agression sur les

forces de l’ordre lui paraît inconstitution-

nelle. Selon lui, la proposition de Manuel

Valls fait un distinguo entre les citoyens.

Inadmissible.

D’autant plus que la loi prévoit déjà tout un

arsenal répressif en cas d’atteinte à « une

personne dépositaire de l’autorité publique ».

Par exemple, le meurtre est puni au maxi-

mum de trente ans. Le meurtrier d’un agent

encourt lui jusqu’à la perpétuité.

« Comment fait-on pour aggraver les peines ?

Manuel Valls tient le même discours que Ma-

rine Le Pen quand elle dit qu’il faut rétablir la

peine de mort pour les assassinats d’enfant »,

s’indigne Frédéric Douchez.

Du côté des fonctionnaires de police, c’est

le contraire. Le secrétaire régional d’Unité

SGP Police - FO, Didier Martinez, félicite

le ministre. « C’était demandé, donc nous

sommes satisfaits. » Car, du côté des forces

de l’ordre, c’est le ras-le-bol. Le sentiment

d’impunité des délinquants complique leur

travail. Pour preuve, les violences sur agents

ont augmenté. Chaque année, 10 policiers

sont tués en exercice et 10 000 sont blessés.

« Aujourd’hui, une personne peut foncer sur

les policiers pour éviter le contrôle. Ce n’était

pas comme ça avant », estime Didier Mar-

tinez. L’annonce du ministre de l’Intérieur

fait surtout espérer aux fonctionnaires une

reconnaissance de leur travail. Les agents

sont lassés de voir toujours les mêmes délin-

quants au commissariat. « Ce qu’on demande,

c’est l’application ferme de la loi », explique

le syndicaliste. Les agents espèrent que le

durcissement des peines aura un effet dis-

suasif sur les délinquants.

Pour les avocats, rien n’est moins sûr. L’aug-

mentation de la violence aux personnes n’a

rien à voir avec une quelconque impunité.

Pour Me Douchez, « si les délinquants sont plus

violents aujourd’hui, c’est parce que la société

est plus violente ».

Le ministre de l’Intérieur Manuel Valls souhaite proposer à la garde des Sceaux l’aggravation des peines encourues en cas d’agression sur les forces de l’ordre. Si l’annonce est bien accueillie par la police, les avocats n’y voient que de la démagogie. I Maxime Van Oudendycke

Thierry Mandrou travaille à Toulouse depuis 2003.

Reporter la fin de la trêve hivernale du 15 mars

au 1er avril est-ce une bonne chose ?

Ce report est liée à la conjoncture économique. De

plus, des conditions climatiques sont désastreuses.

C’est donc parfaitement compréhensible, mais cela

ne va pas changer le fond du problème.

Les expulsions sont-elles nombreuses à

Toulouse ?

Les gens pensent que l’on expulse vraiment, mais

beaucoup de procédures ne sont pas menées jus-

qu’à leur terme. Sur cent dossiers, dix iront peut

être au bout de la procédure d’expulsion «vérita-

ble» avec l’intervention de la force publique et le

locataire encore présent dans les murs.

En moyenne, à combien revient une expulsion

pour le propriétaire ?

Cela peut aller jusqu’à 4 000 € de procédure et de

débours (déménagement) payés par le locataire,

mais qui, en cas de carence, seront répercutés sur

le propriétaire. Sans compter les loyers perdus.

Combien de temps peut durer une procédure

d’expulsion du début (signalement par le bailleur)

à la fin (remise des clefs au propriétaire) ?

En moyenne, un appartement se récupère au bout

d’une année. Cependant, cela peut aller jusqu’à

trois ou quatre ans. Souvent, au moment de l’ex-

pulsion, les locataires sont déjà partis, laissant

quelques meubles dans les lieux ainsi que des

locaux dégradés. Ce qui retarde encore plus la

récupération. De part la longueur de la procédure,

le locataire choisit le moment de son départ sans

en avertir le bailleur...

Que pensez-vous de la mauvaise réputation de la

profession d’huissier, notamment lorsqu’il s’agit

d’expulsions ?

Nous n’expulsons pas à tour de bras. Aujourd’hui,

l’huissier se voit attribuer un rôle de “médiateur”.

Avant le recours à la force, le problème peut être

résolu à l’amiable. Si, malgré tout, le locataire reste

sur les lieux, le préfet organise son relogement.

Dans ce cas, nous sommes tenus d’informer le

locataire sur les possibilités d’hébergement. On

contacte les services sociaux. Tout dépend de

l’implication de l’huissier dans la procédure.

La trêve hivernale reconduite La trêve hivernale est rallongée jusqu’au 1er avril. Réaction de Me Christine Valès, huissier de justice à Toulouse. I Arnaud Bouju

Me Christine Valès est également membre de la chambre

régionale des huissiers de justice.

La garde à vue est un dispositif judicaire de maintien d’une personne soupçonnée d’avoir commis ou tenté de commettre une infraction. Celle-ci

doit être susceptible d’être sanctionnée d’une peine d’emprisonnement. La garde à vue sert avant tout à questionner l’individu pour faire avancer

l’enquête judiciaire. Elle empêche aussi, dans certains cas, qu’il organise la disparition de preuves, établisse une stratégie avec de possibles

complices ou encore fasse pression sur le témoin.

En 2010, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France : selon le droit européen, les personnes gardées à vue doivent

bénéficier d’un avocat dès le début de la procédure. Depuis le 14 avril 2011, une loi a été votée pour rendre la présence d’un avocat obligatoire

et remettre la France dans la légalité.

Me Pierre Le Bonjour

«Le conseil de

l’avocat est im-

portant, ne se-

rait-ce que pour que le gardé à

vue comprenne quelles sont les

logiques policière et judiciaire.

Sa présence permet aussi

d’avoir une sorte de filtre, de

calmer. Les excès classiques

de la garde à vue ressemblaient

à cela : « Si tu balances pas la

vérité, tu vas en prison. » L’en-

quêteur ne peut plus dire cela

avec un avocat à côté. Mais le

comportement des enquêteurs

est généralement correct.

Pour l’avocat, c’est une autre chose. Quand on est appelé en audition, on

est mobilisé, alors que cela n’était pas prévu, sur des durées qui peuvent

être longues.

Et lorsque l’avocat n’est pas commis d’office, la garantie de paiement

reste très aléatoire : la personne est en garde à vue, donc elle ne va pas

vous faire un chèque.

De plus, dans le cadre des auditions, l’avocat a un rôle de spectateur et

non pas d’acteur. L’enquêteur pose les questions qu’il veut comme il veut

et c’est seulement à la fin qu’il demande à l’avocat s’il a des questions ou

des observations.

C’est pour cette raison que certains avocats disent qu’ils n’ont rien à faire

en garde à vue. Je les vois d’une façon assez négative.

On ne sert pas de façon active, mais il faut accepter ce rôle passif. Je peux

comprendre que certains trouvent désagréable ce côté casque bleu à deux

balles, mais c’est important de faire en sorte que le policier soit obligé de

s’adresser correctement au gardé à vue. »

Me Pierre Le Bonjour, avocat pénaliste à Tou-

louse depuis 1994.

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mardi 26 mars 2013

LA TRIBUNE DU PALAIS

Actualités I 3

La DCRI au banc des accusésUn boulevard de questions sur le fonctionnement des services de Renseignements français s’est ouvert suite à l’affaire Merah. Les pouvoirs législatif et judiciaire s’en sont saisis. Un an après les faits, où en est-on dans cette enquête sur l’enquête ?I Tiphaine Le Liboux

Dès juin 2012, une mission d’information

d’évaluation des services de renseigne-

ment est mise en place. Elle se déroule à

huis clos et est dirigée par Jean-Jacques Urvoas,

député PS. En janvier 2013, sous la pression d’une

partie des familles de victimes, une commission

d’enquête parlementaire est créée à l’initiative

des députées EELV.

Dotée de pouvoirs supérieurs à ceux de la mis-

sion d’information, elle est présidée par Jérôme

Cavard, député Vert du Gard. Chaque jeudi, elle

auditionne publiquement ceux qui ont eu maille à

partir avec l’affaire ou des spécialistes du rensei-

gnement. Objectif : examiner « le fonctionnement 

des services de renseignements dans le suivi et la 

surveillance des mouvements radicaux armés ». Et

ce, dans trois affaires sensibles : Merah, Tarnac,

Karachi. C’est bien ce qui pose problème à Me

Béatrice Dubreuil.

« Cette commission d’enquête ne suffit pas car elle 

ne porte pas spécifiquement sur l’affaire Merah »,

explique l’avocate de la famille d’Abel Chennouf,

l’un des deux parachutistes abattus à Montauban.

Le 1er février, elle a déposé plainte contre la DCRI

et son patron de l’époque Bernard Squarcini pour

« non-empêchement de la commission d’un crime

et mise en danger délibérée de la vie d’autrui». Me

Dubreuil s’appuie sur le rapport de l’Inspection

générale de la Police nationale (IGPN), rendu à

l’automne dernier. Celui-ci a pointé des « failles 

et des dysfonctionnements des services de rensei-

gnements dans la surveillance de Merah ». « L’af-

faire Merah est tellement exceptionnelle qu’on doit 

déterminer ce qui s’est vraiment passé », explique

l’avocate.

Et pour cela, « il faut saisir toutes les voies possibles du 

droit ». Mais les plaintes déposées par Me Dubreuil

Cour des comptes : l’indignation policièreLes agents de police se sentent injustement pointés du doigt par le rapport de la Cour des comptes publié le 18 mars I Maxime Van Oudendycke

ont été renvoyées au procureur de la République de

Paris, François Molins, et l’enquête préliminaire a

été confiée, le 18 février, à l’IGPN. On se souvient

qu’en octobre, lors de la publication du rapport

de l’IGPN, Jean-Jacques Urvoas avait critiqué le

fait que se soit une structure policière qui enquête

sur ses pairs. « Cela ne constitue pas une garantie 

d’indépendance et de détachement nécessaire à la 

mise en lumière d’éventuels dysfonctionnements »,

avait-il expliqué. Les erreurs des services de l’état,

deuxième drame de l’affaire Merah, seront-elles

établies un jour ? Rien n’est moins sûr.

L’enquête judiciaire

Nathalie Le Proux, Christophe Tessier et Laurence Le Vert. Trois juges d’instruction sont char-

gés de l’enquête qui porte sur les complicités dont aurait pu bénéficier Mohamed Merah. Les

enquêteurs seraient toujours à la recherche d’un troisième homme et aucune complicité n’a

pour l’instant été établie.

Un mis en examenDepuis le 25 mars 2012, Abdelkader Merah, le frère aîné de Mohamed est mis en examen pour

complicité d’assassinats, association de malfaiteurs en vue de la préparation d’actes de terro-

risme, vol en réunion d’un scooter et complicité d’assassinats avec circonstances aggravantes

François Hollande a promis de « faire toute la lumière » sur les « failles » des services de renseignement français.

CR Lubas Burel

« Nous sommes stupéfaits par ce rapport qui fait l’impasse sur la réalité quotidienne vécue par les policiers 

de terrain. »

La déclaration d’Henri Martini, le secrétaire général du syndicat Unité SGP Police – FO, traduit à elle

seule le malaise et l’incompréhension des policiers. « La profession se sent agressée », confirme Didier

Martinez, le secrétaire régional du syndicat.

Pour la police, le cumul d’heures supplémentaires dénoncé par le rapport est nécessaire pour assurer

leur mission de sécurité. D’autant plus que ces heures ne sont pas payées. « Bien souvent, ces heures 

sont finalement prises en fin de carrière, les agents partant à la retraite quelques mois plus tôt que prévu »,

explique le syndicat.

Et pas question d’accepter la pause salariale préconisée par la Cour des comptes. Les agents prévien-

nent à l’avance : si les recommandations du rapport sont appliquées, ils ne se laisseront pas faire.

Bilan positif pour les plaintes en ligne

Avant d’être élargies à l’ensemble de la France le 4 mars, les pré-plaintes en ligne étaient testées depuis décembre 2011 en Haute-Garonne. I Lucie Paimblanc

66 995. Déjà plus un record, mais un problème

récurrent. Les prisons françaises restent très lar-

gement surpeuplées en mars 2013. Les établisse-

ments pénitentiaires prévus pour accueillir 56 920

personnes sont débordés. Le taux d’occupation

moyen dépasse les 118 % sur tout le territoire.

Une moyenne qui cache mal des disparités entre

établissements. Aux centres de détention qui ne

dépassent pas leur capacité, s’opposent les mai-

sons d’arrêt dont certaines sont surpeuplés à plus

de 200 %. La cause : le nombre de prévenus en

attente de jugement que les maisons d’arrêt ne

peuvent pas refuser. Plus de 16 799 personnes,

presque 25 % des détenus, ne sont pas fixées sur

leur sort. Au milieu des condamnés à de courtes

peines, ils espèrent un procès rapide, le résultat

d’un appel ou un pourvoi en Cassation. Autant de

possibilités qui rallongent leur incarcération dans

les maisons d’arrêt.

La légère baisse constatée début 2013 n’était

qu’une passade après le record absolu atteint en

décembre 2012 avec 67 674 détenus. Plus qu’un

chiffre, c’est tout une politique judiciaire qui est en

cause. Malgré les appels de la chancellerie pour

faire des aménagements de peine une « priorité

de politique pénale », les prisons ont continué de

se remplir. Une nouvelle hausse de 0,4 % est à

déplorer pour ce mois de mars 2013. Les solutions

se font attendre. Mais la situation pourrait évoluer.

Après cinq mois de travail, douze recommandations

ont été remises à Christiane Taubira pour faire

évoluer le système judiciaire français. Un document

qui doit servir de base de travail à l’élaboration

d’un projet de loi attendu pour juin.

Des prisons surpeuplées

L’expérimentation de la pré-plainte en ligne, un dispositif qui s’adresse aux victimes d’atteinte aux

biens par un inconnu aurait fait ses preuves en Haute-Garonne. Selon le commissariat de Toulouse,

« plus de 1 880 pré-plaintes ont été enregistrées en 2012 alors qu’on s’attendait à en recevoir 400 ». Le

lieutenant Carole Lamy confirme la tendance : « Depuis début janvier, nous en recevons environ 350 

par mois. Mais 30 % ne sont pas prises en compte car elles ne répondent pas aux critères. Les plaignants 

apprécient la rapidité du dispositif. Nous espérons que cela va inciter plus de victimes à déposer plainte. » Le

28 février, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) estimait que la perception

du dispositif « par les différents intervenants s’est avérée très positive » dans les quatre départements

tests (Yvelines, Charente-Maritime, Haute-Garonne et Bas-Rhin).

Le 20 mars 2013, une dizaine de pères et de mères en

colère s’était donné rendez-vous devant le palais de justice

de Toulouse. Une action qui vise à dénoncer la possible

fermeture pour raison budgétaire du point de rencontre

familial d’Empalot. Un coup dur pour ces pères et mères

qui ont souffert d’un divorce difficile. Ce site concernerait

près de 70 familles. Les deux autres points de rencontre

toulousains Saint-Cyprien et Basso Cambo étant saturés,

Pour l’instant, il n’y a pas de solution pour leur permettre

de voir leurs enfants dans ces lieux d’accueils. Philippe

Daoud, l’un des protagonistes présents, entend bien faire

changer les choses. Il doit rencontrer Claude Touchefeu en

charge des affaires familiales de Toulouse.

I Jean-Mathieu Albertini

CR LOic Argili

LA TRIBUNE DU PALAIS

La justice française à la peine

«Il manque du papier. Il manque des photoco-

pieuses. Il manque de l’argent ». Le constat

est amer pour le bâtonnier de Toulouse,

Frédéric Douchez. Si l’emblème de la justice est

une balance, cela pourrait aussi être l’escargot.

AZF, crash du vol Rio-Paris, procès Tiberi... Les

exemples sont nombreux pour illustrer les lon-

gueurs procédurales françaises. Les tribunaux

sont surchargés. Les bureaux des magistrats, eux,

débordent. « Si le nombre de magistrats ne croît pas,

le nombre d’affaires qu’ils ont à instruire explose ».

L’enveloppe allouée au ministère de la Justice a

augmenté de 19 % en cinq ans. Une progression

dont on pourrait se féliciter si on ne la confrontait

pas à nos homologues européens. « Les autres

pays de l’Union européenne observent cette même

augmentation d’environ 15 %, mais chaque année »,

déplore Christophe Régnard, président de l’Union

syndicale des magistrats. En un an, le budget de la

justice en France n’a augmenté que de 4 %.

Coup de poing sur la tableEt ce n’est pas d’un très bon œil que l’Europe ob-

serve les lenteurs de la justice française. La Cour

européenne des droits de l’homme (CEDH) ne s’est

La justice française est à la traîne. Épinglées pour la longueur des procédures, les juridictions civiles accusent le plus de retard. En cause, un manque de moyens et des lourdeurs administratives. I Robin Panfili et Thomas Liabot

d’ailleurs pas gardée de la condamner pour non-

respect des « délais raisonnables de jugement » . En

2012, la Commission européenne pour l’efficacité

de la justice en tirait les conclusions. Là où les

pays européens comptent en moyenne 20 juges

pour 100 000 habitants, la France en dénombre

seulement neuf. Même constat concernant les

parquets français : trois procureurs contre dix en

moyenne dans les États membres.

L’une des particularités françaises que pointe Fré-

déric Douchez est la répartition du budget alloué

au ministère de la Justice. « Le budget augmente,

certes, mais il est majoritairement destiné à l’admi-

nistration pénitentiaire plutôt qu’à l’administration

judiciaire, souligne le bâtonnier. On préfère couler du

béton et construire des prisons. » Pour tenter d’expli-

quer la lenteur des procédures et des instructions,

certains magistrats parlent d’une « judiciarisation

de la société ». « On a confié de plus en plus de

contentieux à la justice, sans réformer le périmètre

d’intervention des juges », constate Christophe

Régnard (USM). Aujourd’hui, les magistrats sont

confrontés à des centaines de dossiers.

Magistrats en sous-effectifComment rendre justice dans les temps sans ris-

quer de bâcler des affaires ? « Si on nous demande de

tout juger, nous ne pouvons pas remplir notre mission,

déplore Françoise Martres, présidente du Syndicat

de la magistrature. On aimerait n’avoir à juger que

les délits et pouvoir prendre plus de temps pour le

faire. » Surchargés de dossiers, les magistrats

s’estiment en sous-effectif. Depuis dix ans, ils sont

3 000 de moins à exercer alors qu’on dénombre

50 000 avocats supplémentaires par exemple.

Au cœur du problème, une hausse importante

du nombre d’affaires relevant de la justice civile

et notamment du tribunal des prud’hommes.

« Les conflits sociaux se multiplient en temps de crise

économique », constate M. Douchez. Pointées du

doigt par la plupart des magistrats, les affaires

familiales représentent aussi une part grandissante

des contentieux que règle la justice française. « Sur

20 000 affaires traitées à Toulouse, la moitié sont des

contentieux familiaux. » Selon Christophe Régnard,

« une réflexion sur le rôle du juge est nécessaire afin

de redéterminer son périmètre d’intervention ». Ainsi,

les magistrats ne géreraient plus que les dossiers

les plus importants, déléguant certaines de leurs

prérogatives « à des notaires ou des fonctionnaires

de justice » pour les petits contentieux.

Complexification des procéduresAutre facteur de ralentissement, la complexification

des procédures, « surtout depuis l’affaire Outreau »,

qui oblige les magistrats à respecter une marche

à suivre de plus en plus exigeante et forcément

chronophage. « Les garde-fous se sont multipliés

sans que l’on multiplie ceux qui sont chargés de les

faire appliquer », déplore Nathalie Dupont-Ricard,

avocate à Toulouse. Il faut ajouter à cela une ré-

forme de la carte judiciaire très mal accueillie par

une partie des magistrats, à l’image de Christophe

Régnard : « Cette réforme a dégradé la situation.

Pendant longtemps, les tribunaux de proximité ont été

épargnés par ce ralentissement généralisé de la justice

française, mais ce n’est plus le cas avec la nouvelle

carte judiciaire qui en a supprimé une partie. »

Baisses records aux prud’hommes

4 I Actualités Mardi 26 mars 2013

Le conseil des prud’hommes de Toulouse a connu une baisse record du nombre de nouvelles saisines en 2012. L’instauration du droit de timbre dont doivent s‘acquitter les plaignants est-elle la seule explication ? I Mélody Locard

«On constate 638 nouvelles demandes en moins

par rapport à l’année dernière. Cette baisse

nous interroge », s’exclame Marie-José Couzi, vice-

présidente des prud’hommes de Toulouse. « Le

climat économique actuel est difficile, le nombre de

licenciements explose. Cela va normalement de pair

avec une augmentation des litiges », explique-t-elle.

C’est d’abord l’obligation de payer 35 euros de

timbre fiscal « pour aider les plus démunis à bénéficier

des services d’un auxiliaire de justice » qui est pointée

du doigt. Pour Mme Couzi, « le montant paraît infime

mais cela bouscule l’ordre établi. D’autant que si une

partie fait appel, elle doit payer le même montant de

droit de timbre. On perd le principe d’égalité devant

la justice ».

« Pour ceux qui gagnent un Smic, ce n’est pas rien »,

ajuste Joséphine Soumah, représentante CGT à

la Fédération du service public. La ministre de

la Justice, Christiane Taubira, s’est engagée à

supprimer cette taxe – qui représente 7 millions

d’euros – à l’horizon 2014. D’ici là, la chancellerie

« envisage la possibilité de ne la faire payer qu’en fin

de procédure, à la charge de la partie perdante »,

indiquaient fin janvier les représentants de la cam-

pagne « Prud’hommes gratuits ».

Explosion des ruptures conventionnellesMais, pour Me Jean-Marc Denjean, avocat des

Molex à Toulouse, « ce sont surtout les retombées de

la rupture conventionnelle qui se font de plus en plus

ressentir ». Autre réforme instaurée sous Nicolas

Sarkozy le 1er août 2008, elle permet de mettre fin

au contrat de travail « d’un commun accord ».

« Dans l’idée, c’est mieux pour tout le monde : le

licencié peut toucher ses indemnités chômage tout

de suite et l’employeur n’a rien à payer à Pôle Emploi,

se rassure l’avocat. Sauf qu’aujourd’hui certains

licenciements économiques collectifs et autres plans

sociaux économiques ont été contournés par des pa-

trons, qui leur ont préféré la rupture conventionnelle.

Fait répréhensible. »

Martine*, proche de la cinquantaine, a travaillé

vingt ans dans une clinique près de Toulouse. « La

direction a agrandi son service d’urgence. À l’arrivée

de nouveau personnel, le harcèlement moral a com-

mencé. » Après deux tentatives de suicide et une

dépression, elle est licenciée pour inaptitude totale

au travail dans l’entreprise. En 2005, elle saisit les

prud’hommes pour contester. S’en suit un combat

de longue haleine. « Le premier jugement m’a donné

raison, mais la clinique a renvoyé trois fois le jugement

en appel. Ce n’est que sept ans après que la clinique

a été condamnée et l’affaire classée, se souvient

Martine. On est bien loin de notre délai moyen de

deux ans », reconnaît Marie-José Couzi.

« Guerre de droit, guerre de nerf »Nadège, elle, n’a pas été aussi courageuse. « L’avo-

cate m’a prévenue que si je n’étais pas des plus moti-

vées, ils mettraient en cause ma crédibilité, explique

la jeune parisienne. « Plus qu’une guerre de droit,

c’est une guerre de nerfs. Je ne me sentais pas de la

mener. J’étais enceinte ». Joséphine Soumah, la

syndicaliste, résume : « Il faut oser défendre ses

droits sans craindre de ne pas retrouver de boulot. »

L’incertitude semble aussi atteindre les défen-

seurs des droits. « Le renouvellement des conseillers

prud’homaux aurait dû se faire à la fin de l’année. Mais

comme les élections n’auront pas lieu, leur mandat

est prorogé pour deux ans supplémentaires, jusqu’en

décembre 2015 », s’inquiète Me Denjean.

* Le prénom a été modifié

L’affaire du flash-ball part en Cassation

Le non-lieu a été prononcé dans le dossier Joan Celsis. Mais la victime et ses avocats ne comp-tent pas en rester là. I Matthieu Stricot

« J’épuiserai tous les recours jusqu’à la Cour européen-

ne des droits de l’homme », assure Joan Celsis. Le

jeune homme vient de se faire débouter en appel.

« Les juges de la cour d’appel de Toulouse ont affirmé

ne pas avoir assez d’éléments pour déterminer qui

était le tireur », ajoute-t-il. Le 19 mars 2009, Joan

Celsis participait à une manifestation étudiante

en ville, quand il a reçu une balle de flash-ball au

niveau de son œil droit.

Depuis, il ne voit plus de cet œil. Pour Joan Celsis,

l’instruction n’aurait pas été menée de manière ef-

ficace : « Les policiers ont menti lors de leur interroga-

toire par l’Inspection générale de la Police nationale.

Ils avaient affirmé qu’ils n’étaient que trois au moment

des faits. Or j’ai pu prouver qu’ils étaient quatre. Les

policiers sont revenus sur leur déclaration mais n’ont

pas été réentendus par l’IGPN », déplore-t-il.

Pas de reconstitutionAutre point noir : il n’y a pas eu de reconstitution

des faits : « Nous avions la position des tireurs sur les

photos, et je savais où je me trouvais. » Son avocat,

Julien Brel, mettra en avant ces deux manquements

devant la Cour de cassation, chargée d’examiner le

bon déroulement de la procédure judiciaire.

Si le non-lieu est confirmé, direction la CEDH :

« Elle vérifie que l’État s’est donné les moyens de

retrouver la vérité. Nous verrons si nous sommes mieux

écoutés là-bas », déclare l’avocat. Parallèlement,

Joan Celsis prévoit de « lancer une procédure au

tribunal administratif, car cette affaire met en cause

des officiers de l’État ».

Les magistrats regrettent un manque manifeste de moyens dans l’exercice de leur fonction.

CR

DR

Mardi 26 mars 2013

LA TRIBUNE DU PALAIS

International I 5

Procédures d’extradition en 2013

Cré

dit :

Rém

i Khe

lif

Régie par la loi du 10 mars 1927 et par

de nombreux traités internationaux,

l’extradition est la remise par un État

(l’État requis) d’un individu qui se trouve sur

son territoire à un autre État (l’État requérant)

qui recherche cet individu afin de le juger pour

une infraction qu’il aurait commise, ou lui faire

purger une condamnation que ses tribunaux

ont déjà prononcée à son encontre.

Le dernier exemple en date concerne Djor-

dje Prelic, ce supporter du Partizan Belgrade

condamné à quinze ans de prison en Serbie

pour le meurtre du Toulousain Brice Taton en

2009. Prelic avait pris la fuite suite à cette

condamnation, mais le 28 février il a été re-

trouvé en Espagne. Une procédure d’extradi-

tion a été faite pour que Prelic purge sa peine.

Une demande d’extradition doit obligatoire-

ment répondre à trois critères. Il faut que l’in-

fraction ait été réalisée soit sur le territoire de

l’État requérant par un ressortissant de cet

État ou alors par un étranger; soit hors de son

territoire par un ressortissant de cet État ; soit

en dehors de son territoire par une personne

qui est totalement étrangère à cet État. Mais

chaque extradition varie en fonction de la lé-

gislation du pays.

Dès le départ, le mineur isolé étranger (MIE)

est suspecté de ne pas être un enfant. La

raison ? Parmi eux, une poignée mentent sur

leur âge. Ils sont en fait majeurs. « Et au nom de

cette fraude, se révolte l’avocat toulousain Jean-

Baptiste De Boyer Montegut, on affranchit les

droits de ces mineurs ! »

La majorité de ces MIE arrivent ici en possession

d’un document civil. Mais, même avec cela,

« leur minorité est presque quasi systématiquement

remise en cause, déplore Pierre Grenier, délégué

de l’association Cimade Sud-ouest. Pourtant,

d’après l’article 47 du code civil, tout acte d’état

civil étranger est valable en France jusqu’à

démontrer le contraire. Donc, théoriquement, l’État

devrait les prendre en charge mais c’est rarement

le cas ».

Pour déterminer son âge, une expertise

osseuse est demandée. Sans consentement,

ni explication, l’examen est pratiqué sur le

présumé enfant. Le résultat est ensuite analysé

à partir d’une table de référence. « Ce tableau

est obsolète, souligne Me De Boyer Montegut, il

a été établi dans la première moitié du XXe siècle. »

Le défenseur des droits ainsi que des magistrats

contestent cet acte, comme l’explique Odile

Barral, juge des enfants de 1999 à 2005 et

actuel juge d’instance au tribunal d’Albi : « Cet

examen a une marge d’erreur d’au moins 18 mois.

Il est inutile surtout sur des jeunes qui disent avoir

17 ans. »

Les MIE, une charge financière ?Depuis la loi de 2007, les départements gèrent la

protection de l’enfance. Ils ont donc l’obligation

d’accueillir les MIE au sein d’un foyer social.

Cependant, certains refusent. Car « ils n’ont pas

d’argent, explique Pierre Grenier. Mais, ce n’est

pas aux MIE de payer ce manque de moyen. Ce sont

avant tout des enfants ! ».

Toutefois, la justice peut imposer leur prise en

charge. « Je l’ai fait, confie le juge Barral. Cela

engendre de gros conflits entre le juge et le président

du Conseil général. Et parfois, le département fait

ensuite appel. » L’enfant devient otage de cette

situation. « À Bordeaux, vous avez 20 MIE dans

la rue, car tout le monde refuse de les protéger ! »

s’insurge Pierre Grenier. Le gouvernement

travaille sur ce sujet. « Cela va certainement

déboucher sur une circulaire, dit Odile Barral.

Pour l’instant, on ne sait pas si cela va aller dans le

bon sens ou non. »

Le procès opposant l’association française

Les Amis du peuple de Méditerranée à Israël

n’a pas fait grand bruit. C’est dans une petite

salle d’audience du TGI de Paris que l’État d’Is-

raël a comparu mercredi pour actes de piraterie

dans les eaux internationales, sur le « Dignité-

Karama », seul navire français sur les neuf ba-

teaux de la Flottille internationale pour Gaza.

Intercepté par un commando israélien le 19

juillet 2011, à quarante kilomètres de Gaza,

le bateau est arraisonné jusqu’au port d’As-

hdod. Les seize militants à bord sont soumis à

des interrogatoires et placés dans des camps de

rétention, parfois plus de vingt-quatre heures,

avant d’être rapatriés dans leur pays d’origine.

Ils décident de porter plainte le 7 juin 2012,

un an après que la plainte déposée par l’Asso-

ciation France Palestine Solidarité a été classée

sans suite.

Me Roland Weyl, l’avocat de l’association, de-

mande à Israël « de rendre le navire et d’indem-

niser l’association pour le préjudice que cela lui a

causé ».

De leur côté, Me Eskenazi et Me Bernard Grelon

défendent qu’Israël « protège ses intérêts ». Ils

s’opposent aux articles du code civil français, de

la Charte des Nations unies et de la Convention

de la mer qui prévoient la liberté de navigation

de tous les États en haute mer, et font valoir « un

principe de droit coutumier » appelé l’immunité

de juridiction. D’après ce principe, l’affaire de-

vraient être jugée par des tribunaux israéliens.

La décision du tribunal ne sera pas rendue avant

le 15 mai. Pourtant le procureur de la Républi-

que a soutenu le principe d’immunité d’Israël,

affirmant qu’il entrait dans les compétences du

pays de défendre ses intérêts. Mais pour Roland

Weyl « si un État peut faire n’importe quoi, n’impor-

te où, dès lors qu’il défend ses intérêts, cela signifie

qu’il n’y a plus de droit international ».

L’État d’Israël comparaissait la semaine dernière devant le tribunal de grande instance de Paris pour actes de piraterie contre l’opération huma-nitaire menée à bord de la Flottille pour Gaza, en juillet 2011. Le délibéré est attendu le 15 mai. I Audrey Destouches

Mineurs isolés étrangers : une protection en permanence contestéeChaque année, des centaines de mineurs isolés étrangers (MIE) arri-vent chez nous. Une fois en France, ces jeunes devraient être pris en charge, mais l’accès à cette protection est un véritable parcours du combattant. I Pauline Maisterra

Le navire français transportait 16 militants français, canadiens, suédois et grecs ainsi qu’une

journaliste du quotidien israélien de gauche Haaretz et une équipe de la chaîne de télévision

qatarie Al-Jazira. Les neuf autres bateaux qui composaient la flottille, avec à leur bord 300

militants venus de 22 pays pour rompre le blocus imposé par Israël, n’ont pas été autorisés

à quitter la Grèce. Athènes a justifié cette interdiction par la « sécurité des militants », après

l’assaut de la marine israélienne sur une précédente flottille pour Gaza, qui avait provoqué la

mort de neuf Turcs, le 31 mai 2010.

Flottilles : Paris assigne Israël en justice

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LA TRIBUNE DU PALAIS

6 I Dossier Mardi 26 mars 2013

Quel est le but de la conférence de consensus sur

la prévention de la récidive ?

Ce qui est un peu nouveau dans ce processus, c’est

d’essayer d’associer le plus de monde possible

dans un souci de légitimité et de pédagogie. Au

lieu d’activer des clivages classiques, à savoir être

plus ou moins répressif, on a essayé de se poser

la question : « Qu’est-ce qui ne marche pas dans

le domaine de la prévention de la récidive ? », on

s’est posé la question de l’efficacité dans l’in-

térêt de la société. Au-delà du rapport, c’est le

processus qui est important. Il a pour objectif

de rassembler toutes les données existantes sur

la récidive. On recherche toutes les informations

objectives, scientifiques et validées qui permettent

d’éclairer le débat. Le deuxième objectif est de

construire un socle de connaissances commun

suffisamment large pour construire un consensus

sur lequel peut s’appuyer une politique publique.

On part de l’idée qu’aucune politique ne peut être

pérenne si elle ne s’appuie pas sur un consensus

suffisamment large.

Concrètement, comment s’est déroulée cette

conférence de consensus ?

La ministre de la Justice a lancé le processus et

elle a désigné un comité d’organisation composé

de magistrats, de chercheurs français et étrangers,

d’élus locaux, de policiers, de fonctionnaires de

l’administration pénitentiaire et de représentants

du monde associatif.

La mission de ce comité d’organisation était de faire

une synthèse bibliographique de tout ce qui exis-

tait sur le sujet. On a tra-

vaillé en quatre mois alors

qu’habituellement c’est

plutôt en un an. Dans la

phase préparatoire, nous

avons aussi entendu 70

organisations profession-

nelles syndicales et asso-

ciatives qui sont concer-

nées. Ensuite le comité

a organisé une audition

publique de deux jours.

Les experts entendus

n’étaient pas seulement

des scientifiques, mais

aussi des professionnels du champ et des gens

concernés, comme des victimes et des détenus.

On a demandé à toutes ces personnes de produire

une contribution écrite et on leur a demandé de

faire une intervention assez courte de dix à quinze

minutes. Le jury avait ensuite dix minutes pour

leur poser des questions. Le comité a désigné

ce jury, composé de spécialistes du champ et de

non-spécialistes. Il s’est ensuite enfermé pendant

deux jours pour produire le rapport final.

Que préconise le rapport ?

Plus les délits sont graves, moins il y a de récidive.

Il y a beaucoup de présupposés dans ce domaine,

par exemple, l’idée assez largement répandue que

plus on est répressif, plus on prévient la récidive.

Cette idée n’est pas confirmée par les connais-

sances scientifiques dont nous disposons. Malgré

cette avalanche de lois qui se sont succédé à un

rythme un peu infernal, on n’a

pas forcément été très efficaces

dans le domaine de la prévention

de la récidive. On a parlé de la

question des sorties sèches, on a

fait le constat que 80 % des gens

qui sortent de prison en sortent

sans aménagement, sans suivi,

sans accompagnement et cela

favorise forcément la récidive. On

a aussi mis le doigt sur des dis-

positions qui sont assez contra-

dictoires avec l’objectif qu’on se

fixe. La loi est plus sévère pour

les récidivistes, elle limite leurs

possibilités d’avoir des aména-

gements de peine. Plus les gens sont fragiles au

regard de la récidive, moins ils bénéficient des

dispositifs qui sont au contraire très protecteurs.

S’il y a un point sur lequel les données scientifiques

sont extrêmement so-

lides, c’est la libéra-

tion conditionnelle.

Moins le temps qu’ils

passent en prison est

long par rapport à la

peine prononcée,

moins ils récidivent.

C’est une idée sou-

vent difficile à faire

comprendre mais les

données françaises

et étrangères sont

totalement concor-

dantes. Cela revient

à dire qu’il faut absolument favoriser la libéra-

tion conditionnelle quelle que soit la durée de la

peine. Finalement, on a mis sur la table un certain

nombre de choses que beaucoup de spécialistes

connaissent, mais dont ils ne tirent pas forcément

les conséquences.

Comment pensez-vous que la peine de probation

et la dépénalisation de certains délits seront

accueillies par l’opinion publique ?

Les mesures en milieu ouvert sont souvent consi-

dérées en France comme une faveur pour les

condamnés. L’opinion publique est beaucoup plus

indécise que ce que l’on croit. Elle est bien souvent

interrogée juste après un événement médiatique

particulièrement important, donc à chaud, ce qui

n’a pas grand sens.

Dans l’imaginaire collectif, la prison existe comme

une solution qui paraît évidente et, en même temps,

dans les sondages, une grande majorité d’indivi-

dus reste sceptiques à l’égard de l’efficacité de

la prison. C’est très contradictoire. Il y a déjà un

certain nombre de peines en milieu ouvert telles

que le travail d’intérêt général et le sursis avec mise

à l’épreuve. On ne part pas de rien. Le problème

c’est comment rendre ces sanctions suffisam-

ment crédibles ? Comment démontrer que c’est

efficace ? On a un certain nombre de données

qui nous démontrent que c’est efficace, en tout

cas, que ça l’est plus que les courtes peines de

prison. L’enjeu, ce sont les courtes peines, parce

que 80% des gens qui rentrent en prison vont y

rester moins d’un an.

Le mot dépénalisation fait toujours un peu peur

dans notre pays. Je donne un seul exemple, qui

est un exemple ancien, celui des chèques sans

provision. Les chèques sans provision, c’était un

délit, on avait des audiences entières de chèques

sans provision. Comme le nombre augmentait,

on a aggravé les sanctions. Finalement, il y a eu

un certain nombre de rapports et, en 1991, on a

dépénalisé le chèque sans provision. Aujourd’hui,

la sanction vient de la Banque de France et son

contrôle est extrêmement efficace. La personne

est sanctionnée sans passer par le pénal. Il peut y

avoir des sanctions très efficaces qui ne sont pas

des sanctions pénales. Une justice engorgée ne peut

pas tout traiter. Est-ce qu’il ne faut pas mieux que

la justice se concentre sur les délits qui nécessitent

véritablement une sanction pénale individualisée

et qui prévienne la récidive ?

Vous êtes-vous intéressés au problème que pose

la délinquance des mineurs ?

Ce n’est pas là qu’il y a un problème, il y a des

problèmes partout ! Quand on prévient la réci-

dive, on prévient la délinquance. La conférence

de consensus ne concerne pas les mineurs. On

s’est intéressé un peu aux mineurs dans le cadre

de la transition « mineur-majeur ». Mais ce n’était

pas dans notre lettre de mission de s’intéresser

aux mineurs. On ne prétend pas du tout avoir fait

le tour de l’ensemble des problèmes. C’est une

contribution, une manière de poser les problèmes

de façon apaisée, en essayant d’éclairer le débat

à partir de données indiscutables.

« Prévenir la récidive, c’est prévenir la délinquance »Fraîchement nommée au Conseil constitutionnel, Nicole Maestracci a présidé le comité de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive. Une première en France. I Audrey Destouches

La récidive : et en Europe ?En Allemagne, la récidive est prise en compte par le juge, mais n’est

pas un concept juridique. Le juge tient compte des antécédents.

Il peut également ordonner des mesures de sûreté (maintien en

détention après l’exécution de la peine d’emprisonnement par

exemple) pour les infractions les plus graves.

En Italie et en Espagne, des règles détaillées pour l’ensemble des

situations de récidive ont été prévues. Par exemple, un condamné

italien qui commet une nouvelle fois la même infraction peut voir

la peine s’alourdir d’un tiers.

Au Royaume-Uni, le juge peut se voir contraint d’appliquer une peine

plancher prévue par le législateur dans certains cas de récidive.

Le gouvernement récidive !

Un décalage. Alors que les trois quarts des Français

sont favorables aux peines plancher et jugent les

aménagements et alternatives à l’enfermement

trop importants, selon une récente étude CSA

pour l’Institut de la justice, les conclusions de la

conférence de consensus sur la prévention de la

récidive pointent les limites du tout carcéral.

Quitte à prendre ce qui marche à l’étranger, comme

les programmes de probation canadiens, et déjà

en partie chez nous, libérations conditionnelles

et autres préparations à la sortie réduisant gran-

dement les risques de rechute.

D’un point de vue financier comme logistique,

l’administration y gagne : moins de détenus à 85

euros par jour en maison d’arrêt – 196 en longue

peine – et moins de contacts dans des prisons

qui dégueulent.

Aux victimes qui craignent qu’un meurtrier ou un

voleur ne recommence, il est possible d’arguer que

les condamnés aux longues peines sont ceux qui

récidivent le moins. Bien sûr, il n’est pas certain

qu’une formation obligatoire dissuade le mineur

délinquant d’arracher à nouveau le sac à main de

la grand-mère qui marche à côté, et la situation ca-

nadienne est autrement plus sereine qu’en France.

Nous pouvons aussi légitimement nous demander

si c’est à l’État de prendre en charge ce qui devrait

être du ressort de la responsabilité individuelle ou

parentale. Mais puisque Nicolas Sarkozy s’est,

comme ses prédécesseurs, cassé les dents sur la

récidive, avec sept lois votées en cinq ans, autant

prendre le risque du changement de cap. Dire à

l’opinion publique qu’elle peut avoir tort, c’est

aussi une forme de courage politique.

Amaury BARADON

La moitié environ des personnes condamnées

à des peines de un à deux ans ferme sont

des délinquants sexuels et des récidivistes

selon la chancellerie. Les condamnés à des peines

de un à deux ans de prison ferme représentent un

enjeu symbolique fort, car ils constituent le noyau

dur de la délinquance.

Le taux de « récidive légale » est passé de 3,9 % en

2006 à 6 % en 2010 pour les crimes, et de

7 % à 11,1 % pour les délits.

D’autres points sont sans doute encore plus cli-

vants. Ainsi, l’automatisation de la liberté condi-

tionnelle s’est attirée les foudres d’une partie des

professionnels de la justice. Là encore, les études

semblent accablantes : 63 % des personnes ayant

fait l’objet d’une sortie sèche font l’objet d’une

recondamnation, contre 39 % pour ceux ayant

bénéficié d’une mesure de liberté conditionnelle

(les condamnés en liberté conditionnelle avaient

néanmoins déjà été sélectionnés par l’autorité

judiciaire).

Selon le comité d’organisation de la conférence

de consensus, les petites peines seraient majori-

tairement touchées par la récidive. En revanche, le

taux de récidive de personnes condamnées à des

peines criminelles ne dépasserait pas 0,6 %.

Toujours plus derécidivistes

32 000€annuels par détenu

Le comité d’organisation de la conférence de

consensus a calculé qu’un détenu coûte en moyenne

à la société 32 000 euros par an.

Avec de fortes disparités : le coût de journée dans

une maison d’arrêt s’établissait en 2011 à 85,44

euros, dans un centre de détention à 98,08 euros,

dans un centre pénitentiaire à 96,01 euros et dans

une maison centrale, à 196,14 euros.

Peines plancher, rétention de sureté… Les lois antirécidive se sont multipliées ces dernières an-nées. Pourtant, les cas de récidi-ves ne cessent d’augmenter. C’est ce que révèle le dernier rapport de la chancellerie. I Gwladys Bonnassie

Humeur

Nicole Maestracci a été nommé au Conseil constitutionnel le 14 mars.

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Mardi 26 mars 2013 Dossier I 7

Hors les mursIncarcérer quand c’est nécessaire. Aménager les peines chaque fois que c’est possible et développer les peines non privatives de liberté… Et si l’on inventait une nouvelle sanction, destinée à devenir la peine de référence en lieu et place de l’incarcération ? La proposition, évoquée lors de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive, a été débattue et porte déjà son nom : la peine de probation ou « contrainte pénale communautaire ». Une sanction où le condamné serait contraint à un suivi individualisé, des évaluations, des contrôles réguliers… en dehors des murs de la prison. I Robin Panfili

« Plus la liberté est préparée, plus elle a de chances d’être solide »

> Une peine individualiséeSous le contrôle du service pénitentiaire de probation

et d’insertion (SPIP), un plan d’exécution à suivre et

des objectifs seront fixés par le juge d’application des

peines, au cas par cas, en tenant compte des profils et

des personnalités des condamnés. Une « individuali-

sation de la peine » qui prévoit aussi des vecteurs de

réparation du préjudice, à l’image des travaux d’intérêt

général, mais aussi des mesures susceptibles d’aider le

condamné à modifier le comportement à l’origine du

délit (injonction thérapeutique, stages de sensibilisation

à la sécurité routière ou de citoyenneté…). Pour assurer

un contrôle régulier, la peine pourrait aussi être assortie

d’une mesure de surveillance électronique. Pour les

syndicats d’officiers de police, la probation « n’est 

pas une sanction adaptée à la situation actuelle et à 

la violence actuelle. On est dans le déni du réel, dans 

le dogmatisme », a déploré Patrice Ribeiro, secrétaire

général de Synergie (2e syndicat d’officiers).

> Vers une justice réparatriceLa peine de probation introduit une nouvelle modalité

dans la sanction : le dialogue entre l’auteur d’une in-

fraction et sa victime. Une directive européenne du 25

octobre 2012 faisait référence à cette médiation, vouée

à resocialiser le délinquant et l’inciter à reconnaître ses

actes. La notion de justice réparatrice pourrait donc

constituer l’une des pierres angulaires de cette nouvelle

sanction en vue de rétablir la paix sociale entre les

délinquants et leurs victimes.

> Jugement en cas de non-respect des rè-gles de probationNulle souplesse ne sera accordée au condamné en cas

de manquement aux règles de probation fixées par le

juge d’application des peines. Par mesure de fermeté,

s’il constate que la peine n’est pas conformément ef-

fectuée au regard des dispositions fixées initialement,le

juge pourra soit renforcer le contrôle, soit conduire à

l’incarcération pour une durée équivalente à celle prévue

par le code pénal pour la répression du délit initial.

> Clarifier les décisions de justiceEn se substituant aux nombreuses sanctions prévues

dans l’arsenal législatif français, la probation pourrait

représenter au moins la moitié des condamnations pro-

noncées pour les délits. La prison serait alors « réservée »

aux crimes et aux délits avec récidive. Aujourd’hui, la

seule peine probatoire en France est le sursis avec mise

à l’épreuve. Le projet de loi entend distinguer deux

grands types de sanctions : l’emprisonnement et la

probation. Mais pour l’Union syndicale des Magistrats

(majoritaire), il ne présente « rien de neuf » sinon des 

« lieux communs ».

> Une volonté européenneSi la peine de probation a fait son chemin dans certains

pays européens, la France est à la traîne. Notamment

aux yeux des instances européennes qui ont souligné

le potentiel d’intégration de ce type de sanction. En

2006, une première recommandation du Conseil de

l’Europe demandait aux pays membres de ne placer

en détention les délinquants qu’en dernier recours et

de leur infliger une peine dans la société, et non pas

en prison. En 2010, l’adoption d’une recommandation

du Conseil de l’Europe a accéléré le mouvement. Les

Etats étaient alors incités à proposer aux condamnés

« une série d’activités et d’interventions qui impliquent 

suivi, conseil et assistance dans le but de [les] réintégrer 

socialement dans la société et contribuer à la sécurité 

collective ».

> La probation avant l’heure

Sur le papier tout est prêt. Et c’est

à l’initiative de l’association « Les

Prisons du Coeur » - fondée par

l’ancien détenu Pierre Botton -

que un centre de probation flam-

bant neuf pourrait sortir de terre.

Ne reste plus que les dernières

autorisations et l’ultime feu vert

du gouvernement. Le centre sera

réservé aux condamnés dont les

peines n’excèdent pas cinq an-

nées.

Il fonctionnera comme « un 

centre de semi-liberté inversé », 

explique Edith Bizot des Prisons

du Coeur. Les pensionnaires

dormiront chez eux, « pour 

préserver les relations familiales 

et un lien social », mais seraient

contraints pendant la journée

de suivre un emploi du temps

fixé par le juge d’application des

peines.

Au total, le centre pourrait ac-

cueillir une centaine de per-

sonnes. Sur place, environ de

deux-cents encadrants seront mobilisés : formateurs,

personnel médical et agents d’insertion et de probation.

« Un ratio de deux encadrants par personne accueil-

lie », se félicite t-elle. De nombreuses entreprises se

sont portées volontaires pour intégrer la structure. De

l’électronique au bâtiment, elles s’engagent à offrir de

vrais contrats de travail, à la différence des établissement

pénitentiaires français.

« Nous avons eu de très bons retours de la Chancel-

lerie », assure t-elle. D’autant que le projet s’inscrit

pleinement dans les débats de la récente conférence de

consensus mandatée par le gouvernement pour fixer des

orientations alternatives au « tout carcéral ».

Désormais, si le lieu d’implantation du centre reste

incertain, les plans de construction, eux, sont prêts.

(CR

Flic

kr)

Procureur de la République adjoint à Perpi-gnan, Philippe Laflaquière a exercé la fonc-tion de juge d’application des peines pendant dix-sept ans - dont dix consacrés aux longues peines du centre de détention de Muret. Liberté conditionnelle automatique, fin des peines plancher, probation : il revient sur les principales mesures proposés par la confé-rence de consensus. I Amaury Baradon

La création d’une peine de probation« Je ne connais pas bien cette nouvelle peine, mais je m’interroge sur 

son utilité alors que nous avons déjà le sursis avec mise à l’épreuve. 

Il existe déjà des mesures de médiation, d’injonction de soin, les 

travaux d’intérêt général... Le parquet a le pouvoir de ne pas saisir 

la juridiction et il y a déjà des alternatives à la poursuite. Les outils 

que nous avons sont suffisants, je ne vois pas ce que cela apporte 

de créer de nouvelles peines.

Si la probation se substitue au sursis simple, pourquoi pas, car celui-

ci est souvent vécu par les jeunes comme une non-condamnation. 

Mais je ne sais pas si c’est une bonne chose de vouloir à tout prix 

importer des procédures de pays étrangers, nous l’avons déjà fait 

avec les travaux d’intérêt général, mais il faut être très prudent 

lorsque cela arrive.

Et pour le doublement en trois ans des aménagements de peines, 

c’est pour l’instant une déclaration de bonne intention, il faut que 

l’ensemble puisse suivre. »

La fin des peines plancher et de la rétention de sûreté« La fin des peines plancher, c’est une très bonne chose. Il faut sup-

primer l’ensemble des dispositions obligatoires et automatiques et 

faire confiance aux juges, ne pas limiter leur capacité d’appréciation. 

Une peine doit être individuelle, les pleines plancher étaient contraires 

à ce principe et n’avaient qu’un but répressif. Les peines maximales 

qui existent sont déjà importantes, il est nécessaire de laisser aux 

juges une marge suffisante.

Quant à la rétention de sûreté, il s’agissait d’une poursuite de l’in-

carcération et donc d’une atteinte très grave à la liberté, c’était une 

nouvelle peine qui ne disait pas son nom. 

Il vaut mieux faciliter la libération conditionnelle. L’appréciation de 

la dangerosité est toujours délicate, elle peut déboucher sur des 

risques de décisions non justifiées. »

La dépénalisation de certains délits (par exemple, rou-tiers)« On ne peut pas tout dépénaliser, il en va de la sécurité physique des 

personnes. Même pour les délits routiers, on ne peut pas dépénaliser 

les plus graves, induisant un comportement dangereux comme une 

conduite en état d’ivresse ou des blessures involontaires. 

Même s’il faut éviter l’engorgement des juridictions, la justice pénale, 

ce n’est pas que de la gestion, elle a aussi un rôle de protection. »

La liberté conditionnelle automatique« Je suis pour un développement important de la liberté condition-

nelle, tout mon livre est un plaidoyer en sa faveur. Mais, encore une 

fois, il faut être prudent et elle ne doit pas être automatique, il doit y 

avoir une possibilité pour le juge de la refuser si tous les critères ne 

sont pas réunis.Mais la liberté conditionnelle est un excellent outil 

contre la récidive. Même si cela reste un ordre de grandeur, ceux qui 

passent par là sont deux fois moins enclins à recommencer qu’en fin 

de peine sèche. Il y a à la fois un encadrement et une assistance des 

condamnés libérés, des mesures de contrôle et d’aide, une pression 

et un accompagnement. Aujourd’hui, alors qu’il y a bien moins de 

récidive pour les longues peines, l’accès à la liberté conditionnelle 

est difficile, il faut passer par un très long parcours de procédure 

qui fait que beaucoup y renoncent, même quand ils ne sont pas loin 

de finir leur peine. »

Favoriser la présence du travail et du social en prison« Renforcer les liens familiaux, encourager le travail : Il y a effecti-

vement beaucoup à faire en prison en préparation de la sortie. Plus 

la liberté est préparée, plus elle a de chances d’être solide. Pour 

les courtes peines, la préparation de la sortie est beaucoup plus 

difficile car on travaille dans l’urgence. Mais des aménagements 

restent possibles. Globalement, cette conférence de consensus 

touche des points intéressants. Maintenant, il faut que le Parlement 

suive, notamment en ce qui concerne l’abrogation des textes les 

plus nuisibles. »

LA TRIBUNE DU PALAIS

200720052004

LA TRIBUNE DU PALAIS

8 I Dossier Mardi 26 mars 2013

Instauration d’un fichier de criminels sexuels

Appelée Perben II, cette loi est relative à la lutte contre les formes nouvelles de délinquance et de criminalité. Elle comporte diverses notions, telles que le «plaider coupable», le « stage de citoyen-neté » et la création d’un fichier judiciaire auto-

matisé des auteurs d’infractions sexuelles.

Loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales

Visant à améliorer l’efficacité de la prévention de la récidive, cette loi définit les objectifs de réinsertion

et de prévention de la peine et en augmentant la durée des emprisonnements. Elle introduit aussi le placement sous surveillance électronique mobile.

Mise en placedes peines plancher

Cette loi intaure des peines minimales en cas de récidive, dites « peines plancher ». Elle propose entre autre, d’exclure l’excuse de minorité pour

les récidivistes de plus de 16 ans et l’injonction de soins pour les auteurs d’agressions sexuelles.

Le Canada, un modèle de justice?Ni l’inflation législative, ni les mesures sécuritaires voulues par le précédent Président ne sont parvenues à enrayer la récidive. En panne d’idées, la chancellerie pourrait bien adopter ce qui a marché à l’étranger, et plus par-ticulièrement au Canada. C’est en tout cas de ce système que s’inspirent fortement les mesures phare de la conférence de consensus. Amaury BARADON

Pour une fois, le modèle n’est pas scandinave,

mais canadien. L’idée de justice répara-

trice, par exemple, une médiation établie

entre les victimes et les délinquants, s’inspire

directement de ce qui se fait outre-Atlantique. Si

elle ne remplacent pas une incarcération, il n’en

va pas de même des programmes de probation,

sanctions qui s’ajoutent ou se substituent à une

peine de prison. Ainsi, au Canada, les prévenus

peuvent recevoir une probation simple ou accom-

pagnée d’une d’incarcération de moins de deux

ans. Dans tous les cas, la période de probation

maximale est de trois ans, durant laquelle l’in-

dividu est supervisé par un agent de probation.

Pour Franca Cortoni, professeure agrégée à l’École

de criminologie de l’université de Montréal, « les

recherches démontrent clairement qu’il est inutile

d’incarcérer toutes les personnes qui ont commis une

infraction criminelle si le but est de gérer leur risque

de récidive. La probation est donc imposée lorsque

le délit est moins sérieux et que l’individu pose un

risque faible de récidive, risque qui est établi suite à

une évaluation complète de l’individu ».

Des outils de mesure de la récidiveDes instruments précis d’évaluation du risque de ré-

cidive, également évoqués lors de notre conférence

de consensus, sont utilisés au Canada depuis près

de trente ans. Contrairement à ce que l’on pourrait

croire, il ne s’agit pas que d’algorithmes mathémati-

ques. « Le mythe qui existait dans les premières années,

et qui persiste dans d’autres pays, était que l’évaluation

du risque relevait simplement d’une cote numérique.

Or ceci est faux », reprend Franca Cortoni. Pour

évaluer le risque et déterminer les interven-

tions qui aideraient à le réduire (éducation et

formation, interventions thérapeutiques, sur-

veillance...), de nombreux éléments sont ainsi

examinés : historique familial, sexuel, croyances,

distorsions cognitives, compétences sociales,

addictions, antécédents psychologiques, psychiatri-

ques et criminels, expressivité émotionnelle et maîtri-

se de soi... Des outils qui ont prouvé leur efficacité non

seulement au Canada mais aussi partout où ils sont

utilisés, pour la chercheuse en criminologie

comparée : « Toutes les recherches scientifiques

démontrent la supériorité de ces outils validés sur

les évaluations non structurées basées sur des modèles

traditionnels de psychopathologie, le ressenti ou

des facteurs considérés comme indicatifs de non-

récidive tels le remords ou la responsabilisation ».

Reste à savoir s’il sera possible d’adapter ces

conceptions nouvelles au modèle judiciaire

français.

Des aides sociales pour une réinsertion réussieLe rapport rendu en amont de la conférence de consensus l’as-sure : les droits sociaux sont un élément essentiel à la réinsertion d’un prisonnier. Pour réussir son retour dans la société, le détenu doit connaître ses droits. Une situation rare que les experts proposent de changer par la présence d’assistants de service social au sein des centres de détention. Lucie PAIMBLANC

La réinsertion et la récidive des anciens détenus

sont deux inquiétudes majeures des politi-

ques publiques. La neuvième recommandation

du jury de la conférence de consensus invoque «

la présence effective d’assistants de service social en

détention » afin que les détenus aient accès à leurs

droits sociaux dès leur sortie de prison. Les droits

sociaux seraient donc un facteur majeur d’une

réinsertion réussie.En effet, la récidive est fonction

de divers facteurs personnels, familiaux, économi-

ques, sociaux, géographiques, psychologiques,

psychiatriques, sanitaires, l’impact des addictions.

Jacques Ferry, président de l’antenne locale de

l’association des visiteurs de prison (ANVP), évo-

que son expérience. « Lors de mes visites en prison,

je suis amené à rencontrer beaucoup de détenus qui

viennent d’une catégorie sociale défavorisée. Certains

ont eu une enfance dure à vivre. Ils ont été battus, cer-

tains d’entre eux sont devenus accro à l’héroïne... ».

Travail et logement : deux critères fondamentaux de

l’insertion sociale. Pour aider les détenus à réinté-

grer la vie active, le jury du consensus préconise

« l’instauration de permanences régulières des services

publics dans les établissements pénitentiaires ». Le

problème complexe de la réinsertion doit donc être

abordé dès la détention. Claude Canac, de l’ANVP,

explique qu’à Seysses, tandis que les détenus

purgent de courtes peines (au maximum deux

ans), seulement 15 CPIP (conseillers pénitentiaires

d’insertion et de probation) s’occupent d’eux.

Des procédures compliquées« Les procédures administratives sont compliquées,

commence Claude Canac, certains détenus ne savent

pas écrire et ne savent pas à qui s’adresser. Ils sortent

de prison sans papier. La solution serait de recruter

plus de conseillers ».Les aides sociales à l’emploi et

au logement sont nombreuses mais elles nécessi-

tent du temps pour les obtenir ; d’où la nécessité

de commencer les démarches avant la sortie de

prison. En décembre 2012, l’association de politi-

que criminelle appliquée et de réinsertion sociale

pointait dans un rapport le caractère essentiel d’un

logement stable pour éloigner les anciens détenus

de la récidive. « Un accompagnement social et un

hébergement stable contribuaient à éloigner l’individu

de la commission de nouveaux délits ». Sur le plan de

l’emploi, le rapport de consensus estime que les

anciens détenus devraient pouvoir travailler dans

le secteur public. Situation impossible à l’heure

actuelle puisque ce secteur ne recrute personne qui

possède un casier judiciaire. Ancien fonctionnaire

en charge de la gestion du personnel, Claude Canac

prêche l’accueil de détenus en permission au sein

des structures administratives, « au même titre qu’il

existe des quotas pour les personnes handicapées ».

Le chemin semble encore long...

La politique de répression fait marche arrièreGrande offensive. Prochaine cible, l’abrogation de la peine plancher et de la rétention de sureté. Un soulagement pour les magistrats et une partie des forces de police. Nathan POAOUTETA

Le temps de la répression et le traitement quasi

industriel des détenus est peut être fini. Peine

plancher et rétention de sureté, des mesures adop-

tés sous le mandat de Nicolas Sarkozy.

La première était un symbole de la campagne

UMP de lutte contre la récidive, adoptée dès l’in-

tronisation de Nicolas Sarkozy en juillet 2007. La

deuxième, plus contextuelle, répondait au viol du

petit Enis par Francis Evrard : la loi Dati adoptée

en février 2008. Leur abrogation promise par

le gouvernement rassure la magistrature. Odile

Barral, représentante régionale du Syndicat de la

magistrature, y voit un retour attendu à l’individua-

lisation des peines. D’où une surchauffe du pénal.

Sans parler de la non-conformité avec les normes

européennes. Christophe Crépin, de l’Unsa-Police,

partage cet avis. Il décrit un cycle infernal créé

par ce type de mesure : « Les habitués de la multi-

récidive finissent à force par utiliser les failles de la

procédure pénale, et ça ne s’arrête plus », avoue-t-il.

Les résultats attendus ne sont pas là, la réci-

dive ne baisse pas. De plus, le personnel man-

que pour appliquer ces dispositions pénales.

Les peines planchers et la rétention de sureté

n’étaient pas une bonne chose pour la simple

raison que le législateur ne peut pas tout prévoir.

La réalité aura toujours plus d’imagination que

le législateur.

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Récidive : 6 lois en 8 ans

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Mardi 26 mars 2013

LA TRIBUNE DU PALAIS

Dossier I 9

Difficile d’évaluer la dangerosité d’un condamné en passe d’être remis en semi-liberté. C’est pourtant c’est la

mission confiée aux experts-psychiatres, souvent à la suite d’un unique rendez-vous, avec une personne qu’ils voient parfois pour la première fois. « Si un expert peut conclure qu’il est peu probable que le sujet récidive, le diagnostic est très délicat et il y a toujours un doute. Parfois, la dangerosité est certaine mais nous ne sommes pas Madame Soleil » tempère Daniel Ajzenberg, expert-psychia-tre auprès des tribunaux toulousains. La prise de conscience du mal fait à autrui ou encore l’intégration dans le tissu social sont à prendre en compte. Mais pour le docteur Ajzenberg, au-delà de la personnalité du sujet et de la gravité de son acte, il convient de ne pas oublier que chaque délit a une histoire : « Ce qui importe, ce n’est pas tant l’acte en lui-même que sa psychogénèse. Tout passage à l’acte marque une rupture avec le social et mérite donc un suivi approprié et in-dividualisé. Même pour un petit vol, il y aura sûrement une récidive tant qu’on ne se sera pas attaqué à la cause profonde, à la façon dont la transgression est née et s’est construite. Pour cela, il faut que le sujet soit d’accord, qu’il accepte de coopérer. »En somme, l’enfermement seul ne guérit

pas. Et un psy non plus, si on ne va le voir que pour la signature.

Améliorer le suiviLes médecins ne peuvent pas tout : la récidi-ve se produit dans des moments de ruptures qui n’incluent pas uniquement une rupture

psychologique, mais aussi sociale. D’ailleurs, le poids et le rôle des psychiatres est souvent mal compris lorsque politiques et médias évoquent le problème de la récidive. À cha-que fait divers marquant est votée unE loi qui fait appel aux psychiatres. Pour Brigitte Bec, psychologue-clinicienne au centre de

détention de Muret, « les soignants en milieu pénitentiaire, contrairement aux experts, n’ont pas comme objectif premier de prévenir cette récidive mais de s’attaquer à une pathologie. Même si cette conférence de consensus sem-ble avoir remis les choses à plat et qu’on peut imaginer qu’une personne qui va mieux sera moins encline à récidiver ».Dans tous les cas, difficile d’assurer un suivi suffisant lorsqu’il y a deux psychiatres pour 200 personnes en milieu carcéral. Si les dé-tenus sont relativement bien pris en charge à Toulouse, des services dédiés n’existent pas partout. En maison d’arrêt, les détenus rentrent et sortent, ils ne sont pas toujours en mesure de voir le psy. Et le problème reste toujours celui de la fin de peine sèche, où tout s’arrête brutalement. « Il faut aujourd’hui mettre l’accent sur le relais, qu’un patient puisse continuer à être suivi correctement à l’extérieur, poursuit Brigitte Bec. Les centres médico-psychologiques sont déjà saturés donc c’est très compliqué. Même pour les peines en milieu ouvert, les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation doivent gérer de 80 à 100 dossiers et ne peuvent pas s’occuper de tout le monde comme il faudrait. » Si la peine de probation est retenue, il faudra qu’elle s’accompagne d’une amélioration du suivi hors les murs.

« Ça me dit quelque chose, attendez que je vérifie ! », « Ah oui ! C’était

où ? Quand ? » Des phrases récurrentes au sujet du colloque organisé dans le but de proposer une refonte de la matrice pénale, notamment sur la récidive. Du côté des op-posants, les rangs sont maigres. L’Institut pour la justice, une association de victimes, justifie les mesures adoptées lors du mandat Sarkozy par une institutionnalisation de la souffrance. À savoir, une politique judiciaire favorisant l’indemnisation des victimes à outrance et un renforcement du droit pénal jugé « irrationnel ».

« L’illégalité est un métier »Mais la plupart de ceux qui, dans l’imagi-naire collectif, auraient pu être opposés aux conclusions du rapport s’en trouvent en fait soulagés. Christophe Crépin, représentant du syndicat Unsa Police, y trouve une note positive et concède que le « tout-incarcéra-tion » est une voie sans issue.De fait : « Il y a des habitués, des personnes

pour qui l’illégalité est un métier. » Le fonc-tionnement actuel de la justice produit un phénomène cyclique : délit, tribunal, prison, libération, délit, tribunal, prison... et ainsi de suite. Le rapport, s’il est voté par le Parle-ment, prévoit une sortie de cycle. Christophe Crépin se satisfait également du soutien de son ministre. Manuel Valls légitime l’action des forces de police et les policiers le lui rendent bien en soutenant les mesures du gouvernement. Les magistrats sont plutôt favorables aux conclusions du rapport. Ils dénoncent depuis longtemps l’instauration officieuse d’un barême qui systématise les peines, et conduit à des situations invrai-semblables. Françoise Passuello directrice du Savim à Toulouse, une association d’aide aux victimes, partage ce soulagement. Elle s’appuie sur la délinquance de « survie » qui reste occasionnelle. La répression aveugle est inutile pour la combattre. C’est le pas-sage en prison et le contact avec les autres détenus qui entraînent souvent la récidive. Par ailleurs, Françoise Passuello, assiste

régulièrement à des procès où les victimes sont elles-mêmes surprises par la gravité des sanctions. Autre exemple, les jurés po-pulaires. La mesure, testée a Toulouse, de-vait s’accompagner de condamnations plus sévères. Or la clémence a davantage guidé le juge citoyen que la vindicte populaire. La directrice du Savim conclut : « Les victimes ne souhaitent pas devenir des bourreaux. »

Qui dit application,dit aussi moyens appropriésOpposants et soutiens du rapport restent toutefois sceptiques sur les modalités de sa mise en œuvre. Constituer un jury pluriel et lui demander de rédiger un rapport de quarante pages, c’est une chose. Réfléchir aux moyens disponibles pour faire appliquer ses conclusions en est une autre. Les poli-ciers doutent, par exemple, de la capacité du gouvernement à débloquer rapidement un budget pour appliquer ces mesures. Ce ne serait pas la première fois qu’un rapport est enterré au lieu d’être entériné.

201120102008Création

de la rétention de sûretéCette mesure permet de retenir dans

des centres fermés des condamnés jugés particulièrement dangereux et qui ont été

condamnés à une peine supérieure à 15 ans. Elle ne sera applicable qu’en 2023.

Possibilité de castration chimique

Ce texte introduit la possibilité de «cas-tration chimique» d’un délinquant sexuel

récidiviste s’il en fait la demande. Elle renforce également le fichier national de

ces condamnés. Cette loi reste encore très peu appliquée à ce jour.

Mise en placedu bracelet électronique

Il s’agit de l’extension du port du brace-let électronique aux récidivistes ayant été

condamnés à une peine supérieure ou égale à cinq ans. On compte ainsi une série de

mesures visant à permettre l’adaptation des forces de l’ordre.

Surveiller et guérirLes psychiatres peuvent-ils prévenir la récidive d’un condamné ? Souvent pointés du doigt lorsqu’il y a rechute, la conférence de consensus s’est posé la question des soins dans et hors les murs, en essayant de définir ce que pouvaient les médecins, et ce qu’ils ne pouvait pas. I A. Baradon

La Maison du docteur Edwardes avec John Emery, Ingrid Bergman

Consensuel et rassembleurProbation et réinsertion. Deux mots qui résument la pensée du jury chargé de rédiger le rapport de la conférence de consensus sur la récidive. Cependant, beaucoup pointent un flou, celui qui entoure les moyens alloués en cas d’application de ces conclusions. I Nathan Poaouteta

« C’est le passage en prison et le contact avec les autres

détenus qui entraînent souvent la récidive. »

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Constitution : révision a minima

Christiane Taubira relance la guerre des juges

10 I Institutions Mardi 26 mars 2013

De l’inDépenDance Du parquet

La révision de la composition du Conseil supé-

rieur de la magistrature est une promesse de

campagne présidentielle. Le conseil est un arbi-

tre entre les pouvoirs politique et judiciaire lors

de conflits d’intérêts.

La réforme compte redonner la majorité aux ma-

gistrats au sein du conseil, et ne plus donner la

faculté de nomination au pouvoir exécutif mais à

des personnalités extérieures et indépendantes.

Un changement positif mais insuffisant pour la

magistrature. Pour Odile Barral, représentante

régionale du Syndicat de la magistrature, aligner

les statuts des magistrats du siège et ceux du

parquet permettrait une harmonisation et une

plus grande indépendance.

Composé actuellement de magistrats et de per-

sonnalités extérieures nommées par le pouvoir

exécutif, son indépendance est remise en ques-

tion par la Cour européenne des droits de l’hom-

me dans une décision rendue en 2008. Elle dé-

nie le statut d’autorité judiciaire aux magistrats

du parquet, leur indépendance au sens de la

Convention européenne des droits de l’homme

étant remise en cause.

Une décision confirmée et suivie par les juridic-

tions internes dans un arrêt de la cour de Cassa-

tion de 2010. De facto, la moitié de la magistra-

ture se retrouve en porte-à-faux avec les normes

européennes, et cela depuis cinq ans.

Du cumul Des manDats

Le projet de loi concerne les mandats des mi-

nistres et du chef de l’État. La révision devrait

entériner la règle tacite selon laquelle les minis-

tres ne peuvent exercer des fonctions exécutives

locales. C’est trop peu pour certains députés

socialistes, qui avaient réclamé, dans une tri-

bune publiée dans Le Monde du 27 février, que le

non-cumul des mandats locaux et nationaux soit

aussi la règle pour les parlementaires.

Autre disposition de ce projet de loi : la fin de

la nomination de droit et à vie des anciens

présidents de la République au Conseil consti-

tutionnel. Le gouvernement considère que « le

caractère juridictionnel s’est renforcé depuis trente

ans » dans cette institution et que « cette règle

est devenue inadéquate ».

Toutefois, cette mesure ne sera pas rétroactive.

Valéry Giscard d’Estaing, Jacques Chirac et

Nicolas Sarkozy pourront donc continuer à

siéger aux côtés des neufs sages.

De la Démocratie sociale

C’est sûrement le projet de loi le plus à gauche.

Le gouvernement veut inscrire dans la Consti-

tution le « dialogue social ». Il faudra, avant

chaque réforme du travail, de l’emploi ou de la

formation professionnelle, engager un dialogue

avec les partenaires sociaux.

Ce projet de loi fait écho à la conférence sociale

de juillet dernier et fait suite à l’accord national

interprofessionnel du 11 janvier 2013.

Il va permettre au gouvernement d’appuyer la

mise en place de la flexisécurité à la française.

Pour Najat Vallaud-Belkacem, ministre des

Droits des femmes et porte-parole du gouverne-

ment, il faut « installer, dans notre pays, un chan-

gement fondamental dans la reconnaissance de ce

que peut apporter le dialogue social ».

De la responsabilité

juriDictionnelle De l’exécutif

Même en matière de justice, François Hollande

se veut « normal ». Ce projet de loi constitution-

nelle prévoit la fin de l’immunité présidentielle

en matière civile. Le président conserve son

immunité pénale, mais pourra être attaqué en

matière civile.

Du côté du gouvernement, le projet de loi prévoit

la suppression de la Cour de justice de la Ré-

publique. Depuis 1993, cette juridiction pénale

traite des infractions commises par les ministres

en poste. Le gouvernement a fait savoir que cette

juridiction, « qui constitue un privilège, n’a plus de

raison d’être ».

Entre les jeux d’alliance et les difficultés économiques actuelles, le gouvernement semble avoir opté pour une révision de la Constitution a minima. Tour d’horizon des réformes attendues. Au total, quatre lois devraient être votées par le Parlement réuni en congrès cet été. I Nathan Poaouteta et Elouën Martin

La Constitution : kézaco ?Pour Bertrand Mathieu, président de la société française de droit constitutionnel, la Consti-

tution est « au sein d’un État démocratique, la règle qu’un peuple se donne à lui-même ». Le but :

organiser l’État. La Constitution contient deux types de normes. Celles qui permettent d’organi-

ser les institutions du pays, et celles qui garantissent les droits des citoyens.

La Constitution se situe au sommet de la pyramide des normes. Au-dessous, on trouve les

traités internationaux, les lois françaises puis les règlements et actes administratifs. Une norme

doit être conforme aux normes supérieures. C’est pour cela que la France peut être sanction-

née par les cours de justice européennes, comme dernièrement sur l’importation de tabac. Le

Conseil constitutionnel veille au respect de la Constitution. Il a par exemple retoqué l’imposition

des hauts revenus à 75 %.

L’initiative de la révision de la Constitution appartient soit aux parlementaires, soit au Président

de la République sur proposition du Premier ministre. Premier moyen : le référendum, comme

en 2000 pour le quinquennat. Autre moyen : faire voter la révision par le Parlement (députés et

sénateurs) en congrès.

La révision de la Constitution : un jeu politique

Pour parler de politique, on emploie souvent le terme d’« échiquier ». Un terme parlant quand il s’agit de réviser la Constitution. Les alliances entre partis sont indispensables.

Une trentaine de voix ! C’est ce qui manque

à la gauche française pour obtenir la

majorité des 3/5e du Parlement. Soit

555 parlementaires sur 925 au total. Les

socialistes, communistes, écologistes et

radicaux comptent 519 parlementaires.

Pour obtenir les voix nécessaires, la majorité

doit s’allier avec les autres mouvements.

L’UDI (Union des démocrates indépendants),

avec 62 membres, est particulièrement

convoitée.

En février, le Premier ministre Jean-Marc

Ayrault a consulté les chefs de partis. L’UMP

« ne votera aucune disposition, quelle qu’elle

soit », a-t-il annoncé.

François Hollande a quant à lui demandé

au gouvernement de trouver des alliés et

soutiens parmi les parlementaires pour

constituer la majorité des 3/5e.

Changements de fondUn jeu d’échecs politique qui réduit les

ambitions de l’exécutif. Pour Alain Vidalies,

ministre des relations avec le Parlement, « il

ne sert à rien de présenter des textes dont on

sait par avance qu’ils n’arriveront pas à réunir

cette majorité ».

Exit, donc, le droit de votes des étrangers,

la réforme du statut pénal du chef de l’État

et la suppression du mot « race » de l’article

premier de la Constitution.

Au final, la grande gagnante de ce jeu

politique semble être l’UDI. Elle a, pour la

première fois, l’occasion de peser sur la

politique nationale.

« Je préfère garder l’anonymat pour ne

pas m’attirer les foudres des commer-

çants avec lesquels je travaille tous

les jours. » Le magistrat du parquet interrogé est

prudent au moment d’aborder une question très

sensible, celle de l’échevinage. Ce principe, ré-

clamé avec force à l’automne 2012 par le Syndi-

cat de la magistrature, consiste à introduire des

magistrats professionnels au sein des tribunaux

de commerce.

Une requête à laquelle Christiane Taubira, la mi-

nistre de la Justice, a répondu le 5 mars dernier

en installant à la chancellerie les cinq groupes

de travail chargés de plancher sur la réforme

des tribunaux de commerce : « Nous ne devons

pas nous interdire de réfléchir et d’explorer toutes

les solutions ».

Risques de connivence

Les juges consulaires, qui siègent dans les tribu-

naux de commerce, sont des bénévoles nommés

par leurs pairs. C’est-à-dire des commerçants

et chefs d’entreprise, actifs ou retraités, qui ju-

gent les litiges d’autres commerçants et chefs

d’entreprise. « Les problèmes des entrepreneurs

doivent être jugés par des personnes qui viennent

elles-mêmes du monde de l’entreprise. Pas par des

magistrats du siège qui, parfois, ne savent même

pas lire un bilan », affirme Jacques Picard, ancien

chef d’entreprise dans l’automobile qui préside

le tribunal de commerce de Toulouse.

Une situation que dénoncent justement les ma-

gistrats professionnels. Ces derniers estiment

qu’être eux-mêmes intégrés au tissu économi-

que local fait peser un soupçon légitime sur les

juges consulaires : « C’est comme si nous, magis-

trats, jugions d’autres magistrats. Ils peuvent être

conduits à statuer sur la situation de leurs propres

concurrents », argue le magistrat du parquet.

Une « faiblesse » que les juges consulaires di-

sent compenser par une éthique irréprocha-

ble : « Quand un juge consulaire s’aperçoit qu’il

connaît une des parties en présence, il se dessaisit

immédiatement de l’affaire », indique Pascal Pi-

card.

Dans les faits, les magistrats professionnels sont

déjà présents dans les tribunaux de commerce

en la personne du procureur, chargé du réquisi-

toire. Le jugement final est toutefois rendu par

trois juges consulaires ; « Nous n’avons, de fait,

aucun pouvoir de décision », déplore le magistrat

du parquet. « Le procureur a l’arme suprême, celle

de faire appel. Dans ce cas, ce sont bien les ma-

gistrats professionnels qui auront le dernier mot »,

répond Jacques Picard. Le président se dit fa-

vorable à une réforme sur les petits tribunaux,

où les risques de connivence sont plus impor-

tants. Il prévient toutefois que si la loi proposée

à l’automne prochain prévoyait un échevinage

pur et dur, « nous démissionnerions ».

Les tentatives de 1985 et 2000 ont échoué

Le projet d’introduire des magistrats profession-

nels dans les tribunaux de commerce est porté

par la gauche depuis trente ans. Les tentatives

de 1985 et 2000 ont avorté face à la fronde des

juges consulaires. Et, malgré son soutien à l’ini-

tiative de Christiane Taubira, le magistrat du par-

quet est sceptique quant à sa réussite : « Cette

réforme aurait dû être portée dans les six premiers

mois du mandat présidentiel. Aujourd’hui, face à

la défiance croissante de l’opinion à son égard, le

gouvernement aura beaucoup de mal à faire plier

les juges consulaires. »

La garde des Sceaux veut réformer les tribunaux de commerce et n’exclut pas d’y introduire des juges professionnels. Une volonté récurrente des gouvernements de gauche qui s’est toujours heurtée à la fronde des commerçants. I Gabriel Haurillon

Les magistrats professionnels dénoncent le « soupçon légitime » qui pèse sur l’impartialité des tribunaux de

commerce.

Le Parlement devrait se réunir cet été à Versailles.

LA TRIBUNE DU PALAIS

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Vendredi 16 mars 2012

LA TRIBUNE DU PALAIS

Institutions I 11

Les avocats appellent à l’aideLa crise économique n’épargne personne, pas même la justice. Depuis plusieurs mois, ce sont les jeunes avocats qui en font les frais, la faute à un retard de paiement de l’aide juridictionnelle. Thomas Liabot

Une grève du barreau, voilà la menace

brandie par certains avocats français.

En cause, les retards de paiement liés à

l’aide juridictionnelle, cette prise en charge par

l’État des honoraires et frais de justice pour les

revenus les plus modestes. A Toulouse, comme

partout en France, il faut compter sur un délais

de trois à quatre mois avant que l’État verse ce

dédommagement aux « robes noires ». Une si-

tuation qui met en difficulté les jeunes avocats

principalement, qui travaillent en majorité avec

des populations aidées, et les justiciables les plus

modestes qui bénéficient de l’aide. « Une bonne

partie de ma clientèle a droit à l’AJ car j’exerce en

zone franche, en périphérie de la ville, explique Aimé

Diaka, avocat au Mirail à Toulouse. Le retard de

paiement de l’aide est considérable ici. »

P l u s i e u r s c o n s e i l s d e l ’ o rd re tirent la sonnette d’alarme Si, pour l’instant, les avocats toulousains patien-

tent, leurs confrères palois et limougeauds notam-

ment ont pris les devants. Le bâtonnier du barreau

de Limoges, Me Philippe Pastaud, explique que

l’État doit verser près de 450 000 euros d’arriérés

de factures au conseil de l’ordre de Haute-Vienne.

Situation similaire à Pau où une vingtaine de

cabinets se sont retrouvés en « grande difficulté »,

selon le journal Sud-Ouest.

Il a fallu attendre que le bâtonnier, Me Frédéric

Bellegarde, adresse un courrier au président de

la cour d’appel pour que l’État verse finalement

sa dotation au début du mois de mars. Beaucoup

d’autres villes n’ont pas eu la chance d’assister à

un tel dénouement.

Selon Philippe Pastaud, c’est l’État qui est en

difficulté, confronté à une réduction des dépenses

imposée par la crise : « Le problème ne vient pas

du ministère de la Justice mais de Bercy. » Face à la

multiplication des retards de paiement, les avo-

cats pensent déjà à une refondation du système

de l’aide juridictionnelle. En 2011, l’Etat a mis en

place une taxe permettant de rentabiliser un tant

soit peu l’AJ. Elle s’élève à 35 euros en première

instance et à 150 euros en appel.

Or la garde des Sceaux, Christiane Taubira, a

promis en novembre d’abroger cette taxe que

la gauche a toujours contestée, estimant qu’elle

dissuaderait les plus modestes d’aller devant la

justice. Il va donc falloir trouver une solution.

Selon Aimé Diaka, « il faut reformer l’aide juridic-

tionnelle en accélérant le traitement des dossiers

et, pour cela, augmenter par exemple le nombre de

greffiers ». Une idée qui se trouverait confrontée une

fois de plus au manque de moyens que déplorent

l’ensemble des acteurs judiciaires français. « Les

retards de paiement sont très problématiques en ce

qui concerne notre gestion comptable. Cela entraine

des problèmes de fonctionnement, on amortit avec

la masse des dossiers. »

Voilà qui ne devrait pas améliorer une autre

insuffisance de la justice française, la lenteur

procédurale.

L’aide juridictionnelle en France

Des tribunaux pas si bon enfantLes tribunaux correctionnels pour mineurs avaient été vivement critiqués lors de leur création. Depuis, pas de bilan, mais l’instance est appelée à disparaître. Elsa Mourgues

«On n’est pas sérieux quand on a 17ans »,

dit le poète. Le gouvernement pré-

cédent l’avait bien compris et a fait

le choix de la rupture en matière de justice pour

mineur. Un choix justifié, alors, par la lutte contre

la délinquance juvénile. La loi Mercier du 10 août

2011 avait pour objectifs d’accélérer le jugement

des mineurs récidivistes de plus de 16 ans, en les

présentant devant un tribunal correctionnel.

Des magistrats plutôt que des professionnels de la jeunesse Plus de rapidité, plus de sévérité, plus de solennité,

la recette s’applique depuis le 1er janvier 2012

dans les 154 tribunaux correctionnels pour

mineurs, installés dans les TGI. Mais l’ingrédient

perturbateur est la composition des jurés.

Auparavant, le juge pour enfants était accompagné

de deux professionnels de la jeunesse. Depuis la

réforme, ils ont cédé leur place à deux magistrats.

« Ils sont habilités et ont les compétences, bien sûr,

mais c’est nier la spécificité des mineurs », affirme

Me Karim Benamghar.

Cette spécificité existe depuis l’ordonnance de

1945. Ce texte fondateur donne la priorité aux

mesures éducatives, plutôt que répressives, pour

les mineurs délinquants.

D’où la présence de professionnels de la jeunesse.

« Le dialogue est différent, ils sont plus à l’écoute,

plus en prise aux discussions sur le parcours de vie

du mineur », soutient l’avocat toulousain. Autre

reproche, cette justice dérogatoire concerne

peu d’affaires. Pour passer devant un tribunal

correctionnel pour mineurs, plutôt que devant

un tribunal pour enfant, les conditions sont

strictes.

Le mineur doit avoir plus de 16 ans, être récidiviste

et encourir une peine égale ou supérieure à trois

ans. Comme 85 à 90 % d’entre eux ne récidivent

pas, à Toulouse, les audiences ont lieu tous les

deux mois et traitent peu d’affaires, d’après un

juge pour enfants.

Des juridictions vouées à disparaître « Mais, là où je suis critique, ajoute l’avocat, c’est sur

le fait que les textes n’ont pas changé. On a les mêmes

outils, il n’y a pas de réelle innovation. » Et il n’y en

aura pas. Ces juridictions vont disparaître. C’est ce

qu’a annoncé la ministre de la Justice, Christiane-

Taubira, peu après son entrée en fonction.

Me Karim Benamghar ne se réjouit pas pour autant,

« c’est une politique pénale qu’on ne peut pas criti-

quer, aucun bilan n’a été fait sur ces tribunaux. On ne

peut pas savoir si c’est une bonne chose ou pas dans

ces conditions. Pour avoir le temps de la réflexion, une

petite pause législative ne serait pas mal. »

Au TGI de Toulouse, le tribunal correctionnel pour mineurs tient une audience tous les deux mois.

« Le problème ne vient pas du ministère de la Justice mais de Bercy »

CR Elsa Mourgues

LA TRIBUNE DU PALAIS

Sud-Ouest : prisons modèles ?

Les prisons de la région font partie des bons

élèves. Loin des Beaumettes ou pire, des

prisons d’outre-mer, la région doit tout de

même faire face à une insalubrité relative, etsur-

tout, à la surpopulation.

Des prisons sales, mais pas insalubres« Les rats on en trouve partout, affirme Gérard Co-

mont, délégué syndical CGT-pénitentiaire, mais

cela n’a rien à voir avec avant, ni avec ce qu’on peut

trouver ailleurs. » A la prison Saint-Michel (31),

«c’était presque nos potes », rigole Pierre Montreuil,

syndicaliste de la SPS (Syndicat pénitentiaire des

surveillants).

Si l’insalubrité recule, les mesures sont loin de faire

l’unanimité. « L’administration a fait des progrès dans

le traitement des infections, assure Gérard Comont

mais tout est traité dans l’urgence, ils attendent les

problèmes pour les régler. »

Fin 2012, un nouveau cas de légionellose a été

diagnostiqué à Villeneuve-les-Maguelone (34).

Cette prison et celle de Nîmes (30) sont pointées

du doigt. « C’est sûr que ce ne sont pas les prisons

que l’on choisirait pour prouver que nos prisons sont

propres », euphémise Pierre Montreuil.

Mais l’État fait des efforts. Des prisons ont été

construites, d’autres rénovées, et celles trop in-

salubres ont été fermées. « On est dans le haut du

tableau pour le moment mais on en reparlera dans dix

ou quinze ans », prévient M. Comont, qui dénonce

Y a-t-il un problème de sous-effectif dans les

services pénitentiaires d’insertion et probation

(Spip) ?

Oui, totalement. Rendez-vous compte, il y a

68 000 personnes détenues en France et trois fois

plus qui ont des peines en extérieur. Les agents

des spip devraient traiter 60 à 70 « dossiers ».

Actuellement, en Midi-Pyrénées, c’est plutôt une

centaine par agent. Voire près du double par en-

droits. Et encore, on appelle cela «dossiers». En

fait, pour chaque justiciable, plusieurs mesures

peuvent être prises. Chacune de ces mesures, c’est

du travail en plus. Donc la charge de travail est

immense. On est en sous-effectif chronique et on

ne peut pas gérer comme il le faudrait la masse de

dossiers des justiciables. Imaginez qu’en plus du

personnel soit en arrêt maladie, en congé parental

ou autre. C’est catastrophique.

Vos conditions de travail ont-elles évoluées ?

Cela a toujours été plus ou moins comme ça. Mais,

depuis dix ans, c’est le «tout-répressif» qui domine.

Plus de feuilles de lois, c’est plus de répression.

Mais il n’y a pas plus de moyens pour que les

gens soient soigné ou éduqué. On ne peut pas

arrêter la délinquance comme ça. Quelqu’un qui

a un problème d’alcoolisme, il lui faut une place

Entretien avec M. Justal, secrétaire régional adjoint de l’UGSP-CGT, l’Union générale des syndicats pénitentiaires de la CGT. I Elsa Mourgues

la politique des partenariats public-privé systéma-

tiquement privilégiés. « A Béziers, à peine ouvert, ils

ont dû rénover le 3e étage. Dans quinze ans, c’est l’État

qui rachètera plein pot des prisons pourries.»

Avec un paradoxe supplémentaire : les fermetu-

res ne sont pas toujours bien acceptées. Par les

détenus comme par les surveillants. Pour les

détenus, c’est parfois plus coûteux d’être seul en

cellule. Ne serait-ce que pour la télévision ou les

cantines. Mais c’est surtout le fragile équilibre

des anciennes prisons à taille humaine qui est

regretté. « C’était bruyant, sale et surpeuplé, mais

on y trouvait une sorte d’osmose. On avait très peu

de sorties à l’hôpital. Maintenant, on ne fait plus que

ça, se désole Pierre Montreuil. Les centres sont

devenus des usines à incarcérer. Plus on met de gens,

plus il y a de problèmes. » Les deux nouveaux éta-

blissements pénitentiaires, Seysses et Béziers,

ont apporté l’espoir d’un changement. «Les dou-

ches dans les cellules, ça nous fait gagner un temps

précieux et cela évite beaucoup de conflits», assure

le délegué CGT.

Mais ce n’était qu’un sursis. L’extension de Mon-

tauban (82) n’a fait qu’absorber les détenus venus

de Cahors (46). Et ces ouvertures n’ont permis à

Perpignan de souffler qu’un temps.

Déjà les signaux reviennent au rouge. Plus on

construit de prisons, plus on y met de gens. « Dans

les années 1990, on nous a déjà fait le coup. Avec

13 000 places, la surpopulation carcérale devait

cesser. » C’est le système judiciaire français qui

est sur le banc des accusés. Conséquence : les

tensions s’accentuent. Contre les surveillants,

mais aussi entre détenus. Un climat électrique

dû aussi à une nouvelle génération de prisonniers

viscéralement opposés aux institutions.

L’évolution de la population carcéraleEntre les prisonniers du Languedoc et ceux de

Midi-Pyrénées, la différence est nette. « Ici, ils

crient un peu mais ça reste gérable, dans les prisons

du Languedoc, c’est autre chose. On le voit clairement

pendant les transferts », explique Gérard Comont. De

manière générale, les détenus sont moins respec-

tueux : l’insalubrité vient aussi de leur comporte-

ment. Dans les maisons d’arrêt où la population est

plus jeune, condamnée à des courtes peines ou en

attente de jugement, ils dégradent beaucoup plus.

Même dans les centres de détention, la

situation a évolué. « Les longues peines respectent

en général plus leur ”domicile”, car ils sont là pour

longtemps et ils ont demandé à être transféré », ex-

plique Pierre Montreuil.

Mais une mentalité nouvelle émerge chez les lon-

gues peines, qui crachent sur les institutions, et

du coup sur les locaux. «Les mecs tuent pour rien

mais ne font pas partie du grand banditisme, et quand

ils se retrouvent avec des vieux, ça se passe mal, se

désole Gérard Comont. Les conditions de détention

ne vont pas en s’améliorant. »

dans un centre. Sinon, on ne peut pas l’aider. Et

des places, il en manque. Alors, on nous donne

de plus en plus de personnes à gérer, de moins

en moins de personnel et il faudrait aller de plus

en plus vite. On n’a plus le temps de connaître la

personne, sa famille. On travaille sans arrêt sous

pression.

Sous pression ?

Oui. Déjà, la détresse en ressource humaine est

énorme. Et vous avez des demandes de rapports

de tous les côtés. Tout le monde veut se couvrir

et, nous, on est en bas de l’échelle. On nous fixe

des objectifs inatteignables. Notre hiérarchie a

des primes financières en fonction d’objectifs

définis au niveau national ou régional. Du coup, il

y a en permanence une pression de la hiérarchie

sur les agents.

Comment peut-on rendre le travail des Spip plus

efficace ?

On réclame un organigramme des Spip, pour pou-

voir recruter selon les besoins de chaque service.

Et il faut changer de politique globale. On ne peut

pas bâtir une société juste sur du répressif. La

justice doit être un espoir. Un espoir d’égalité et

d’impartialité. Ce n’est pas le cas aujourd’hui.

SPIP : Travailleurs sous pression constante

12 I Prisons Mardi 26 mars 2013

La maison d’arrêt de Seysses ouvre rarement ses portes. Lorsqu’ils y pénètrent, les visiteurs découvrent un lieu dont chaque recoin dessine les traits d’un autre monde : l’univers carcéral.I Pierre Géraudie

à Seysses, une vie à l’arrêt

à trois dans une cellule

Des rats par milliers, gros comme des caniches, des murs en lambeaux, et des prisonniers entassés. Les Beaumettes à Mar-seille symbolise à elle seule la déliquescence des prisons fran-çaises. Mais dans les 18 prisons gérées par l’administra-tion pénitentiaire depuis Tou-louse, la situation n’est pas aussi dramatique. I Jean-Mathieu Albertini

C’est court, quinze mètres, pour un parc

de promenade. A peine plus long qu’une

rame d’autobus. Guère plus étroit qu’une

largeur d’autoroute.

Pour l e s dé tenus de Seysses , c ’ es t

pour tant le bout d’un monde : le leur.

Celui qu’il convient d’appeler « univers carcéral »,

comme pour mieux signifier qu’il est en marge

de l’« autre » société. Celle qui ne cesse jamais

de grouiller de l’autre côté des murs de l’établis-

sement, celle d’où viennent et où retourneront la

plupart des détenus. Car, ici, ces derniers ne s’éter-

nisent guère. En attente de

jugement ou soumis à des

peines courtes, leur séjour ne dépasse jamais

les trois ans. Une période largement suffisante

pour s’acclimater, ou pas, à un monde carcéral

peu propice à l’évasion, au sens propre autant

que figuré.

Au cœur de la maison d’arrêt et de ses quatre

bâtiments, deux pour les hommes, un pour les fem-

mes et un pour les mineurs, grillages et barreaux

sont partout. En l’air. Sur les murs. Aux fenêtres.

Aucun des détenus n’y échappe. Et certains en

jouent : un bout de fil de fortune (du plastique

froissé) tendu entre deux barreaux de cellules, et

voici qu’un sac peut transiter entre deux fenêtres.

Un esprit de débrouillardise dont ne cessent de

s’étonner les gardiens, témoins quotidiens d’une

vie carcérale loin d’être de tout repos. Ici et là, les

murs résonnent des coups portés par les détenus

sur les parois, se faisant l’écho d’une violence qui

n’est jamais loin, gangrénant parfois l’intérieur

des cellules. Qui ne sont pas grandes, pourtant.

Dix mètres carrés à peine, dont la moitié pour se

mouvoir : lits, tables, et étagères prennent de la

place, en prison plus qu’ailleurs.

Surtout lorsque l’on partage sa cellule à deux, voire

à trois. Car Seysses est à l’image de la plupart des

prisons françaises : surpeuplée (800 pension-

naires pour 596 places), et il arrive parfois qu’un

prévenu pour petite délin-

quance partage la cellule

d’un multi-récidiviste, une cohabitation souvent

houleuse. Mais là où les détenus sont en surnom-

bre, les gardiens sont en sous-effectif.

Difficile dès lors d’assurer une sécurité permanente

dans cet environnement impitoyable. Pour ne l’avoir

que trop vécu, un surveillant de l’établissement

s’est donné la mort en octobre dernier, du haut

d’un des miradors.

De là, il apercevait pourtant l’une des images les

moins pénibles de la maison d’arrêt : les détenus

tournant en rond dans leur cour de promenade,

multipliant les tours comme pour mieux s’imaginer

repartir loin, là-bas. Derrière les frontières d’un

univers carcéral qui constitue un microcosme à

lui tout seul. Les étoiles en moins.

Mardi 26 mars 2013

LA TRIBUNE DU PALAIS

Prisons I 13

Monnaie d’échange et de trafic, les Médicaments au cœur des prisonsEn prison, les médicaments sont distribués assez largement. Détournés de leur fonction et objets de trafic, ils entraînent de nombreux conflits. Entre détenus, avec les médecins, mais aussi avec les surveillants, qui se plaignent de ne pas être mieux intégrés au processus de soin. I Tiphaine Le Liboux

«Je n’ai pas rencontré une seule déte-nue qui ne se défonçait pas aux mé-docs. » Brigitte Brami ex-détenue

a été incarcérée 6 mois à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis en 2008 et son constat ne semble pas exagéré.La camisole chimique, qui s’est toujours enfilée avec facilité en détention, est de plus en plus tendance. L’explication est à chercher dans la composition de la population carcé-rale française : plus accro et à cran. Le premier tiers des détenus est toxicomane, le deuxième alcoolique, selon une étude me-née par l’Inserm en 2004. Les pathologies mentales ont également augmenté. Crises d’angoisse, schizophrénie ou dépression sont vingt fois plus répandues que dans le reste de la société. Résultat : 30 à 50 % des détenus sont sous traitement médica-menteux.Mais attention prévient le Dr Walter Albardier, psychiatre au SMPR (service médico-psy-chologique régional) du centre de détention de Muret, « le temps où les détenus étaient surmédicamentés sous pression de l’admi-nistration pénitentiaire, est fini ». C’est même l’inverse qui se produit. « La pression vient des détenus. Ils cherchent à obtenir toujours plus de médicaments », poursuit le psychiatre.

Ordonnances surdosées« Les médecins sont clairement abusés », confirme Brigitte Brami. Elle se souvient de l’atmosphère de la salle d’attente où « la pression est aussi forte que dans un couloir de ly-cée le jour du bac ». Les détenues ont repassé leur mensonge. Et leur technique est bien rodée. « Les filles prétendent avoir besoin de 10 fois la dose légalement autorisée. Ça leur est refusé. Mais elles obtiennent des prescriptions bien supérieures à celles qu’elles avaient à l’ex-térieur ». Le but : en avoir plus que nécessaire pour en vendre. En prison, le médicament est l’une des principales monnaies d’échange. « Ils se troquent contre tout », raconte l’ex-

détenue. Cigarettes et café en tête mais aussi fringues et maquillage. Et celui qui vaut de l’or, c’est le Subutex. Viennent en-suite les anxiolytiques. Les antidépresseurs, « qui n’ont pas d’effet immédiat », sont moins côtés.Vendredi, midi. Les médicaments ont été distribués pour le week-end. « C’est exactement comme si on avait rempli notre porte-monnaie pour aller au marché », raconte Brigitte Brami. Les détenus ont caché les cachetons sous les aisselles, dans leur sexe. Direction la promenade. C’est dans la cour que le marché noir de la pharmacie se met en place. Les surveillants observent de loin. « Qui dit trafic dit pressions, voire racket », dénonce pourtant Christian Cola, surveillant

pénitentiaire (FO), depuis 2001, à Muret. Un racket qui reste « marginal », selon Brigitte Brami. « Les prisons sont tenues par des caïds

qui ont basé leur emprise sur l’estime plus que sur la peur », expl ique t -e l le. « Elles veulent que tout se passe bien alors elles font la police. » Si des conflits existent,

« c’est juste des disputes sans violence, des prises de tête qu’on retrouve dans n’importe quel business ».

Les surveillants évincés du médicalIl n’empêche, pour Christian Cola, qui a connu l’époque où les détenus devaient avaler leur médicament devant le surveillant, « ce trafic était impossible et c’était un problème de moins à gérer». Brigitte Brami relativise.

Selon elle, les surveillants « laissent faire ». Comme tout le monde dépend des médica-ments, « ce serait l’émeute, s’ils intervenaient ». Si les surveillants ne s’en mêlent pas, c’est peut-être aussi parce qu’on les a exclus de la partie soin. Depuis 1994, secret médical oblige, ils ne sont pas au courant des pathologies affectant les prisonniers, ni quels médi-caments leur sont prescrits. Le nombre de détenus souffrant de problèmes psy a beau augmenter, les surveillants n’ont toujours aucune formation pour apprendre à réagir face aux troubles du comporte-ment.« Un gars qui fait un malaise, on le met en PLS (position latérale de sécurité, ndlr), mais on est démuni face au schizophrène », résume Christian Cola. Cette méconnaissance est aussi responsable de tensions entre méde-cins et surveillants.Le docteur Albardier observe deux types de réactions chez les surveillants. « Cer-tains veulent que la peine de prison soit vécue comme une souffrance. Pour eux, être shooté aux médicaments revient à échapper à la réalité et donc à ne pas subir la peine. » Des matons comme ça, Brigitte Brami n’en a jamais croisé. Elle cite plutôt ceux qui «par gentillesse conseillent aux détenus apathiques d’arrêter de se cachetonner ». Ceux-là ont l’impression d’être bienveillants mais « ne savent pas que les bouffées délirantes, même ponctuelles, doivent-être traitées ». Le psychiatre explique devoir répondre à deux exigences contradictoires. « La péni-tentiaire ne veut pas que l’on distribue trop de médocs parce que ce n’est pas très supporta-ble pour les surveillants d’avoir à faire à des détenus qui bavent et qui en plus trafiquent. Mais, en même temps, on nous demande de calmer l’ambiance sociale ». « Le calme en pri-son, tout le monde y a intérêt », ajoute Brigitte Brami. Pour elle, le médoc objet de conflits, est aussi le ciment de la prison.

Visiteurs de prison : à l’écoute des détenus isolésÀ l’abri des regards et des oreilles des surveillants, les visiteurs de prison apportent une fois par se-maine un peu de souffle extérieur à des détenus qui en ont fait la de-mande. Des confidences qui sont l’occasion de se projeter dans l’avenir pour l’un et de découvrir la vie carcérale pour l’autre. I Lucie Paimblanc

Ce n’est pas un ami ; il n’est pas de la famille. Pourtant, Jacques Ferry appré-

hende chaque semaine le centre de déten-tion de Muret. 16 hectares de bâtiments, 600 détenus en libre circulation et lui. Depuis qu’il est à la retraite, Jacques Ferry est visiteur de prison. Il lui aura fallu pa-tienter six mois pour que l’administration étudie et valide son dossier et que le service

pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) lui attribue un, puis deux, puis trois, puis quatre hommes à qui prêter une oreille.

Une relation de confiance Être visiteur de prison, c’est avant tout «écou-ter, raconte Jacques Ferry. On leur apporte de l’air extérieur, un soutien psychologique. » Ce Toulousain définit le visiteur de prison comme « un citoyen ordinaire qui va voir une personne qui a commis un acte plus ou moins grave et qui lui fait comprendre par sa visite qu’il ne peut être résumé à son acte criminel ou délinquant. Il reste un citoyen. » Quelle que soit la date de sortie du détenu, « on aborde l’avenir, car on ne peut pas vivre sans se projeter dans l’avenir ».Dans les informations que reçoit le béné-vole sur le détenu avant de le rencontrer, nulle mention de la cause de l’incarcération, uniquement sa durée. « Généralement, à la

première rencontre, le détenu dit pourquoi il est ici », explique Jacques Ferry. Dans le cas contraire, les visiteurs se refusent à poser la question. « Cela m’est arrivé de suivre pendant longtemps un détenu et je n’ai jamais su pourquoi il était incarcéré. À Muret, la moitié les détenus sont ici pour crime sexuel. C’est si difficile à porter que certains sont en état de déni ».Les lundis après-midi, Jacques les consa-cre à ces rencontres d’une heure environ. « Ami est un mot un peu fort, mais on peut avoir une relation assez amicale avec les détenus. » Ils les suivent pendant plusieurs années, à la demande du prisonnier. « Être visiteur me fait découvrir le riche et complexe uni-vers carcéral, dont les règles de hiérarchie entre détenus, explique Jacques Ferry. Ces rencontres me font prendre conscience des trajectoires qui peuvent exister. Et lorsque le détenu me remercie de l’avoir écouté, j’ai la sensation d’être utile. »

Les médicaments sont une monnaie d’échange dans les prisons, le Subutex est le plus prisé.

Surpopulation carcérale : et en Europe ?

La surpopulation carcérale ne touche pas que la France, mais aussi plusieurs pays du Sud de l’Union européenne. Les conditions d’hébergement en Italie par exemple, sont particulièrement mauvaises : la population carcérale s’y élève à 153 %. Les pays du Nord sont bien meilleurs élèves : l’Allema-gne et les Pays-Bas ont, eux, un taux d’occupation inférieur à 100, voire à 90. Cela s’explique notamment par le fait qu’ils soient très peu répressifs. Leur taux carcéral est compris entre 60 et 95 prisonniers pour 100 000 habi-tants alors qu’en Europe. La moyenne est de 137 prisonniers.

Le nombre de détenus souffrant de problèmes psy a beau aug-menter, les surveillants n’ont aucune formation pour ap-prendre à réagir face aux troubles du comportement.

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14 I Prisons Mardi 26 mars 2013

La maternité dans l’enceinteAu premier janvier 2012, on comptait environ 3 000 femmes incarcérées en France. Parmi elles, des mères ou futures mères. Rencontre avec Elsa Dujourdy, en charge de l’accès au droit et des questions liées à la maternité de la section française de l’Observatoire international des prisons. I Gwladys Bonnassie

Un accouchement en prison, est-ce sur-

prenant ?

Non, finalement, pas tant que ça. La

sexualité carcérale existe depuis très long-

temps, même si les accouchements sont tout

de même assez rares. En France, on dénombre

chaque année une cinquantaine de femmes

qui donnent naissance à un enfant derrière les

murs d’une prison. Mais ce chiffre varie selon

les entrées et les sorties des détenues.

Les femmes peuvent-elles tomber enceintes

en prison ?

Oui, il existe de nombreuses situations au

cours desquelles les femmes détenues peuvent

tomber enceintes, que ce soit lors d’un parloir

externe (c’est-à-dire avec quelqu’un de l’exté-

rieur), un parloir interne (avec leur compagnon

incarcéré dans le même établissement), une

permission de sortie, ou encore pendant une

UVF (unité de vie familiale, ce sont de petits

appartements privés où les femmes peuvent

rencontrer leur famille entre six et soixante-

douze heures). Les traditions locales de ges-

tion de la détention varient d’un établissement

à l’autre. Les personnels pénitentiaires peu-

vent se montrer « complices » en n’ayant pas

recours à des sanctions, voire en favorisant

certaines situations à caractère sexuel et en

délivrant des contraceptifs ou, à l’inverse, se

montrer très stricts.

Que prévoit la loi pour la naissance d’enfant

lors d’une incarcération?

Le code de procédure pénale stipule que « la

non séparation de l’enfant et ses parents est

un droit fondamental, mais aussi un besoin

pour la construction de son identité et de sa

personnalité ». La loi prévoit dans une circulaire

Nul n’est sans savoir que le langage oral est en

constante évolution. Une évolution adaptant

ses codes aux époques, aux modes, à la géographie

ou encore à l’âge de ses locuteurs. Cette évolution

est particulièrement vraie pour le langage dans

le milieu carcéral. Si le vase clos carcéral reste

hermétique aux modes verbales et aux nouvelles

expressions orales populaires, le renouvellement

permanent des détenus dans les cellules françai-

ses, entre les arrivées et les départs, alimente et

entretient l’évolution de son vocabulaire. Magol-

dona Matélelki Hollo, chercheuse à l’école des

officiers de police de Budapest, a comparé les

similitudes linguistiques entre les détenus français

et hongrois.

« La prison génère son propre argot qui recouvre des

réalités qui lui sont spécifiques: ce sont les invariants

carcéraux, qui ne s’utilisent que là, dans ce monde

clos et hiérarchique. » explique t-elle. « Elle est aussi

lieu de rencontre entre les argots des différents mi-

lieux : argot des braqueurs, des proxénètes, de la

drogue… »

Les modes évoluent, même « en taule » . Mais le

lexique carcéral a cela de particulier qu’il fonde

son langage sur des codes, sur des réalités, sur des

circonstances propres à la prison. Et si les détenus

parlent l’argot, c’est qu’il y a une bonne raison, sim-

ple et imparable : crypter leurs échanges afin de

ne pas être compris par le personnel pénitentiaire.

Le produit argotique carcéral, s’il restait immuable,

perdrait de son pouvoir cryptique et secret. Voilà

« Yoyo », « baveux », « pointeur »… La prison instaure chez les détenus un langage et un vocabulaire spécifiques. La particularité de ce dialecte se manifeste également dans d’autres espaces de vie en communauté régis par l’isolement : les casernes, les internats. I Robin Panfili

LA TRIBUNE DU PALAIS

pourquoi son dynamisme créatif demeure aussi

volatile, fluide et éphémère. « On s’adapte autant

que possible, mais l’inventivité et l’adaptabilité des

détenus reste très rapide », confie un surveillant de

prison à Toulouse. Enfin… un « mâton », comme

on dit derrière les barreaux.

Un lexique imagéParfois inspiré du vieil argot français, le dialecte

carcéral multiplie les figures de style pour assurer

sa survie et son efficacité. Ce malin exercice passe

par des parades littéraires sophistiquées : la défor-

mation verbale et l’utilisation de métaphores. Des

expressions très imagées désignant des pratiques

illégales, des mots de passe, des trafics en tout

genre. Des transactions souvent liées à la drogue,

à la manière de la consommer, de la préparer ou

de l’acheter. Longtemps, la « Marie-Jeanne » était

le nom de code de la marijuana. C’est d’ailleurs,

pour de nombreux linguistes, l’origine première de

cette expression aujourd’hui largement répandue.

« La richesse du lexique argotique témoigne biende

la vigueur de cette langue qui crée sans cesse de

nouveaux synonymes, la créativité des argotiers se

manifestant au gré du jeu de cryptage-décryptage qui

permet à ce langage de conserver toute sa vivacité »,

poursuit Magoldona Matélelki Hollo.

Il n’est pas rare non plus que les modes verbales

évoluent d’une « zonzon » à une autre. Selon Pa-

trick Ellis, documentariste américain spécialisé

dans l’univers carcéral, le régionalisme a une

incidence certaine sur les pratiques linguistiques

empruntées. « Dans le sud des États-Unis, les dia-

lectes reprennent de nombreux mots à consonance

hispaniques. On dit « placa » au lieu de « surveillant ».

Dans les états du Nord, on remarque davantage de

termes issus de l’argot afro-américain », explique

le journaliste.

Ainsi, nulle chance de pratiquer le même argot à la

prison marseillaise des Baumettes qu’à la Santé, à

Paris. On ne parlera jamais non plus le même argot

à la prison San Vittore de Milan qu’à Poggioreale,

à Naples. Car, avant d’être un lieu d’isolement, les

complexes pénitenciers traduisent une diversité

linguistique universelle rare.

du 16 août 1999 que ces mamans peuvent

garder leur enfant auprès d’elles jusqu’à l’âge

de 18 mois. Mais des possibilités de maintien de

l’enfant au-delà de cette période sont possibles

après accord de l’administration pénitentiaire

interrégionale, qui décide au cas par cas. La

prolongation est autorisée lorsque la fin de

la peine arrive peu de temps avant la fin de

ces 18 mois, ou lorsque la garde de l’enfant à

l’extérieur pose des problèmes. L’idée est que

le maintien en centre de détention des enfants

reste exceptionnel.

Ces femmes bénéficient-elles de conditions

privilégiées ?

À partir d’un certain stade de leur grossesse,

les femmes enceintes sont séparées des

autres détenues, elles sont maintenues dans

des quartiers à part. Dans cet espace, leur

liberté est relative, car les portes sont ouvertes

mais elles ont des horaires à respecter. Leurs

cellules sont plus spacieuses afin de faciliter la

mise en place du matériel de puériculture. Elles

ont accès à une salle commune pour langer et

jouer avec leur enfant ainsi qu’à une cour de

promenade particulière. Mais toutes les prisons

ne bénéficient pas de ces aménagements. En

France, la prison de Fleury-Mérogis fait figure

de vitrine.

Être mère en prison, est-ce bien vu ?

Les interactions entre détenues sont fondées

sur la maternité. Ceci inclut une part impor-

tante des violences contre certaines détenues

(condamnées pour infanticides ou pédophilie),

mais aussi l’idée d’un statut suprême de mère,

la création d’un champ maternel par certaines

détenues âgées, et le consensus autour des

enfants.

Une détenue a-t-elle droit aux prestations so-

ciales dont bénéficie toute femme enceinte ?

Tous les détenus sont affiliés systématique-

ment et immédiatement au régime général de

la Sécurité sociale. Ils bénéficient à ce titre des

prestations de l’assurance maladie et mater-

nité dès leur arrivée en détention.

En cas de décès de la mère incarcérée, que

devient l’enfant ?

Le père prend alors la garde, s’il n’est pas in-

carcéré, ou alors la famille de la détenue. Si

la mère est isolée, c’est la protection sociale à

l’enfance qui prend l’enfant en charge.

Les longues peines sont-elles davantage

« sujettes » à la maternité ?

En France, il n’y a pas de statistiques. Mais

les études de l’observatoire international des

prisons montrent que les longues peines ne

sont pas forcément celles qui sont le plus

concernées par la question.

Quels sont les axes de travail de l’administra-

tion pénitentiaire afin d’améliorer la situation

de l’enfant auprès de sa mère détenue ?

Très clairement, les maternités carcérales ne

sont pas une priorité. Les projets actuels visant

à limiter la probation les concernent indirecte-

ment. Depuis 2009, la loi facilite les échanges

entre les administrations pénitentiaires et les

structures locales comme la protection mater-

nelle infantile, les services municipaux de crè-

che, halte-garderie, ou encore l’aide sociale à

l’enfance. Mais, sur le plan national, je regrette

un manque de réflexion sur le sujet.

L’argot carcéral, ciment de la débrouille

Lexique

Auxi : terme désignant une personne qui

travaille en prison.

Baveux : surnom donné aux avocats.

Gamelle : terme utilisé pour signifier qu’il

est l’heure de manger.

Greffe : terme désignant celui qui conserve

les biens personnels des détenus et qui livre,

à l’arrivée du détenu, le numéro d’écrou.

Pointeurs: prévenus ou détenus pour viol

ou pour pédophilie. Ces derniers sont sys-

tématiquement exclus par la communauté

carcérale.

27 prisons dont 2 pour mineurs sont équi-

pées de cellules mère/enfant en France.

66 places au total. C’est le seul cas où la

surpopulation est impossible.

Derrière les barreaux, tout un vocabulaire vit et se renouvelle dans les discussions entre prisonniers.

« Elles ont accès à une salle commune pour langer et jouer avec leur enfant ».

CR

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Mardi 26 mars 2013

LA TRIBUNE DU PALAIS

Médias I 15

Les magistrats ont la parole

Quand a été créé ce blog et pourquoi ?

Le blog Paroles de juge a été crée en

2007, à la suite de l’affaire d’Outreau.

On avait un forum interne entre magistrats sur

lequel on discutait de questions juridiques et, en

lisant certaines interventions de mes collègues,

je me disais que c’était vraiment brillant et que

cela méritait d’être partagé avec le grand public.

Donc j’ai ouvert Paroles de juge à cette occasion,

un blog collaboratif pour donner un espace de

libre parole aux magistrats. Je me souviens, au

début, j’étais ravi de voir que le site avait une

cinquantaine d’abonnés, c’était au-delà de ce

à quoi je m’attendais. Aujourd’hui, on en est à

1 700 abonnements avec une moyenne de 400

visiteurs par jour.

Quelles règles gouvernent la publication sur

le blog ?

On avait défini certaines règles au départ mais,

en temps que modérateur, j’ai rarement eu à les

appliquer. La règle principale se résume à « pas

de polémiques pour le simple plaisir de la polémi-

que ». J’ai une seule fois dû refuser un articleplis

sur une question de forme que de fond : l’arti-

cle était intéressant mais un peu trop agressif

dans le ton.

On évite d’être trop partisan, le but du blog est

d’apporter au citoyen des éléments de réflexion

qu’ils n’ont pas habituellement.

« À quoi sert la prison ? »Le réalisateur François Chilowicz a signé « Hors-la-loi », une série de trois films documentaires de 80 minutes chacun, tournée à Toulouse. Une trilogie qui plonge le téléspectateur dans le quotidien de six per-sonnes, de leur interpellation à leur séjour en prison. I Mélody Locard

Le succès récent des blogs juridiques n’est plus à démontrer. Les principaux blogueurs sont généralement des avocats, mais pas tous. Michel Huyette, conseiller à la cour d’appel de Toulouse, est le créateur du blog Paroles de juge, un espace d’expression destiné aux magistrats. I Louis Adam

Les contributeurs postent sous leur vrai nom.

Le refus de l’anonymat est-il une volonté de votre

part ?

Cela me paraît naturel. Quand vous lisez

quelque chose sur le Web, est-ce que vous allez

accorder autant de crédit à quelqu’un qui se cache

derrière un pseudonyme qu’à quelqu’un qui parle

en son nom propre ?

On a fait une entorse à la règle récemment

cela dit, pour un juge des affaires fami-

liales qui publiait des chiffres concernant

l’attribution des enfants dans les cas de divorce.

Comme elle donnait les chiffres de son cabinet,

j’ai accepté que ce soit sous un pseudonyme, afin

que la publication ne leur cause pas de tort. C’est

la seule exception.

Vous avez eu des réactions de votre entourage

professionnel par rapport à ce blog ?

Quand je l’ai ouvert, j’ai immédiatement envoyé

un mail à ma hiérarchie pour les avertir. C’est

la même logique que le refus de l’anonymat, je

ne cherchais pas à le faire en douce. Et je n’ai

jamais eu aucun souci. Mes collègues sont

dans l’ensemble très positifs à l’égard du blog.

Et de la part des lecteurs, je reçois beaucoup de

messages d’encouragement.

Pensez-vous que la justice manque de visibilité

sur les nouveaux réseaux, type Internet, blogs

ou réseaux sociaux ?

C’est un aspect qui n’est pas encore tout à

fait rentré dans la culture judiciaire. Pourtant

il y a un réel besoin, les gens sont curieux et in-

téressés par le sujet. Il est dommage que les ac-

teurs du système judiciaire soient si peu enclins

à s’exprimer à travers ces nouveaux moyens.

Parce qu’un blog, c’est l’idéal. On dispose

d’une liberté de forme et de rythme que l’on

n’a pas ailleurs. On maîtrise tout. Et c’est

bien plus accessible pour le grand public que

n’importe laquelle de nos revues spécialisées.

Le blog, c’est l’outil idéal pour faire découvrir

le système judiciaire au grand public.

vaillions tous ensemble : la journée dans les salles

du palais de justice ou à la maison d’arrêt de Seys-

ses, la nuit avec les policiers. La seule difficulté

a été de savoir où poser ma caméra. Finalement,

les justiciables sont toujours filmés de dos, la

caméra posée sur leur épaule. Cela m’a permis

d’entrer beaucoup plus facilement dans leur in-

timité, mais j’ai été frustré de ne jamais plonger

dans leurs regards.

Est-ce un documentaire engagé ?

Je ne reflète pas l’actualité judiciaire contempo-

raine, je propose un objet esthétique. Mon film

est une représentation des choses construite,

complètement rescénarisée. Le but est d’amener

les personnes à réfléchir… Sur l’efficience des

peines notamment.

Les mondes judiciaires et pénitentiaires enva-

hissent nos écrans. Qu’est-ce qu’ « Hors-la-loi »

apporte de plus ?

La plupart du temps, les films diffusés à

la télévision s’intéressent aux procès pour essayer

d’obtenir la vérité judiciaire. Bien souvent aussi, les

reportages nous emmènent dans les coulisses de la

police pour suivre leurs investigations. J’ai préféré

m’éloigner du spectaculaire pour revenir sur une

dimension plus proche du droit, en suivant les

procédures. Nous accompagnons les justiciables

de leur interpellation à leur sortie de prison.

Vous suivez les mis en cause au-delà de leur sortie

puisque la troisième partie s’intitule «revenir

en prison»…

Le troisième et dernier volet du film devait s’ap-

peler « sortir de prison ». À la fin du montage, la

réalité était tout autre : les motifs d’incarcération

des personnes étaient toujours présents lorsqu’ils

sortaient de prison.

En février, nous avons organisé une avant-pre-

mière à l’ABC. Un des justiciables du film devait

y assister, mais il s’est fait arrêter pour vol et

est retourné en prison juste avant la projection.

Cependant, le fil conducteur du film n’a jamais

changé. J’ai voulu répondre à la question, « À quoi

sert la prison ? ».

Et d’après-vous, à quoi sert-elle ?

Même après six ans de travail, quatre mille pages

de notes et un millier de rencontres (magistrats,

policiers, personnel pénitencier), il apparaît très

compliqué de répondre à cette question…

Comment a-t-il été possible de réaliser un tel

film ?

La clé de ce tournage a été le temps. Nous tra-

Le réalisateur a suivi six détenus.

CR

Rob

in P

anfili

Un idéal de journalisme Le dernier ouvrage d’Edwy Plenel, Le Droit de savoir, est une ode au journalisme d’investi-gation qui ferait de la justice ren-due un préalable à la démocratie idéale. Tout un programme. I Pierre Géraudie

CR

Pie

rre

Gér

audie

François Hollande aura donc tenu une promesse

de campagne. Au cœur d’une République qu’il

souhaitait exemplaire, Jérome Cahuzac semblait

ne plus avoir sa place. Pris depuis de longues

semaines dans la tourmente du soupçon, celle

d’avoir un temps détenu un compte non-déclaré

en Suisse, le désormais ex-ministre du Budget

a longtemps résisté aux qu’en-dira-t-on impi-

toyables d’un monde médiatique en perpétuel

bouillonnement. Mais après l’ouverture d’une in-

formation judiciaire le 19 mars, sa démission était

inéluctable. Consacrera-t-il son emploi du temps

désormais allégé à la lecture du dernier ouvrage

d’Edwy Plenel ? Rien n’est moins sûr. Car c’est à

l’ancien patron du Monde que Jérome Cahuzac,

doit, en partie, sa déchéance.

Président de Mediapart, Edwy Plenel et ses jour-

nalistes n’ont cessé, de sa révélation sur leur site

à son épilogue encore temporaire d’apporter de

l’eau au moulin d’un scandale né d’un travail

fouillé d’investigation. Le tout au nom d’un idéal

: le droit de savoir. De tout savoir, même, faisant

ainsi du travail médiatique un préalable légitime à

l’exercice d’une justice qui a parfois l’investigation

sélective. Tel est en creux le message du président

de Mediapart, répété à l’envi lors de la présentation

toulousaine du livre dans les locaux d’Ombres

Blanches, le 21 mars.

Le chemin de la liberté ?« Il est du ressort de la presse de rendre publiques

les affaires publiques de nos gouvernants, le secret

devant être l’exception afin que la politique ne soit

pas le monopole d’experts et de spécialistes », sou-

ligne ainsi Edwy Plenel dans son ouvrage, citation

d’Albert Londres à l’appui : « Le devoir du journa-

liste est de planter la plume dans la plaie. » Quitte à

pousser les politiques vers les sphères ventées de

l’environnement judiciaire (Woerth hier, Cahuzac

aujourd’hui) ? « Tout document qui concerne le sort

des peuples, des nations et des sociétés mérite d’être

connu de tous afin que chacun puisse juger sur pièces,

choisir pour agir, influer sur la politique des gouverne-

ments », a affirmé Edwy Plenel, souhaitant que la

démocratie à la française ne soit plus seulement

« une démocratie de basse intensité, mais qu’elle se

prenne enfin en main ».

Ce qui passe par une connaissance transparente

et exhaustive de l’action politique, selon le fon-

dateur de Médiapart. Et par un goût immodéré et

permanent pour la justice, « quitte à parfois penser

contre soi-même », note Edwy Plenel. Son cheval

de bataille est d’informer, « pour que les citoyens

puisse se forger une opinion sur les gens qui les gouver-

nent ». Et si la justice peut être rendue par la même

occasion, les mêmes citoyens n’en seront « que

plus libres et autonomes ». Pas sûr, en revanche,

que les politiques de tous bords adhèrent à cette

vision d’un journalisme total cher à Edwy Plenel.

Pour aller plus loinJournal d’un avocat : tenu par Maître Eo-

las, avocat au barreau de Paris, ce blog est le

plus médiatique de la blogosphère juridique.

maitre-eolas.fr

Maitre Mô : pour les amateurs de jus-

tice pénale, un recueil d’histoires écri-

tes par un avocat au barreau de Lille, qui

poste sous le pseudonyme de Maître Mô.

maitremo.fr

Chroniques judiciaires : le blog

de Pascale Robert Diard, chroniqueu-

se judiciaire pour Le Monde. Ses posts

vont de l’anecdote judiciaire au comp-

te-rendu de procès très médiatiques.

prdchroniques.blog.lemonde.fr

Le blog Paroles de juge (huyette.net) ambitionne de donner aux citoyens des éléments de réflexion autour de la justice.

Edwy Plenel à Toulouse le 21 mars

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LA TRIBUNE DU PALAIS

16 I Audiences Mardi 26 mars 2013

Il n’y a pas de témoins dans l’intimité d’un couple qui dégénère. Tous deux sont plus ou moins ensemble depuis quatre ans au

moment des faits. C’est un couple asymétri-que, il a neuf ans de plus qu’elle, elle s’occupe de ses enfants le week-end quand lui sort en boîte de nuit. Leur histoire est houleuse, mais c’est la seule chose que les témoins appelés à la barre, amis, famille, amants même, peuvent raconter. C’est un couple en pointillé, on peine à savoir s’ils étaient ensembles ou séparés au moment des faits tant les incidents, parfois violents, ont émaillé leur vie commune. Mais, ce soir-là, la nuit du 24 au 25 août, elle explique que ce devait être la dernière fois. Elle voulait lui faire comprendre que c’était terminé, qu’elle avait trouvé quelqu’un d’autre et qu’elle voulait refaire sa vie. Tout ne s’est pas vraiment passé comme prévu, mais difficile d’y voir clair.

Une affaire de crédibilitéLes faits sont lointains, la victime comme l’accusé ont du mal à se remémorer les évènements avec la précision qu’exigent les questions de l’avocat général ou de la cour. Plusieurs fois, on relève les différences entre les multiples déclarations de la procédure. Ça ne pourrait être qu’un détail, mais dans

ce cas particulier, c’est la crédibilité des protagonistes qui est en jeu.Bien sûr, il y a des éléments qui retiennent l’attention des jurés : des traces du sang de l’accusé sur les rideaux de la chambre, des sous-vêtements de la victime déchirés, un SMS nocturne de son nouveau compagnon, à elle, qui ravive les tensions.Mais dans quel ordre interviennent ils ? Dans quelle pièce de l’appartement et à quel mo-ment de la nuit ? Il y a aussi les messages, innombrables, qui montrent l’accusé plus qu’insistant, voire franchement obsédé par l’idée de coucher avec sa victime. Elle le re-pousse, mais l’invite quand même chez elle, un soir à 21h, alors qu’elle est seule. « 280 sms entre le 20 et le 24 août, tout de même ! » fera remarquer l’avocate de la partie civile, Me Valérie Amiel. Les deux parties ont leur version des faits, mais rien de déterminant ne permet de donner plus de crédit à l’un plutôt qu’à l’autre.

« Ni avec toi, ni sans toi »Les affaires de ce type sont un casse-tête pour les jurés. On imagine assez bien leur désarroi lorsqu’on explique que la victime a pris le café dans la cuisine avec son agres-seur, juste après l’épisode du viol insoute-nable qu’elle raconte à la barre. Et l’accusé le sait bien, il le fait remarquer : « J’ai du mal à comprendre, comment après l’épisode de violence qu’elle vient de décrire à la barre, on ait pu prendre un café, comme ça dans la cuisine. » La réponse du président ne se fait pas attendre : « Mais que pouvait-elle faire d’autre, au juste ? » Silence dans la salle.« Ni avec toi, ni sans toi » martèle lors de sa plaidoirie Me Marie-Hélène Pibouleau, qui défend l’accusé. Elle expose point par point sa version des faits : son client est loin d’être irréprochable, certes, mais il ne l’a pas violée. Certaines choses pourtant ne s’expliquent pas, les lésions et les blessures aux cuisses de la victime, le sang sur les rideaux. L’avocat général requiert sept ans de prison, les jurés s’accorderont finalement sur six.

Lundi aux assises de Haute-Garonne s’est ouvert le procès d’un viol conjugal. Une audience peu médiatique, mais représentative de la difficulté de juger ce genre d’affaires. Louis Adam

La lettre et l’espritEn matière pénale, il y a souvent une grande différence entre les pei-nes encourues et les condamnations prononcées. Une interprétation de la loi pour lui rendre un sens social. C’était le cas en comparution immédiate à Toulouse. Un toxicomane encourait vingt ans de déten-tion. Il a été condamné à six mois avec sursis. Elouën Martin

Alexis Roulonc n’a pas l’étoffe d’un grand bandit. Quand il apparaît dans le box des

prévenus lors de l’audience de comparution immédiate, il est timide, stressé. Probable-ment en manque, il passe son temps à se frotter les mains et les bras. Sans doute pour essayer de cacher son mal-être. Ramassé dans son pull en laine blanc trop grand pour lui, il fait presque peine à voir.Il vient de passer près d’un mois en mai-son d’arrêt. Vers la mi-février, il a été arrêté lors d’un contrôle de police ordonné par le procureur. Il avoue aux policiers être en possession d’une plaquette de 100 grammes de cannabis. S’ensuivent une garde à vue et une perquisition. Dans son appartement de Plaisance-du-Touch, quatre pieds,12 boutu-res et 18 bocaux sont découverts.À 35 ans, ce n’est pas la première fois qu’il se retrouve face à des juges. Il a été condamné pour la première fois en 2001, par le tribunal de Quimper. En tout, cinq condamnations sont inscrites sur son casier judiciaire. La plupart pour détention de stupéfiants. Alexis Roulonc se considère lui-même comme toxi-comane depuis l’été 2012. Au moment où il a perdu son emploi et où sa copine de l’époque l’a quitté. Réfugié dans la drogue,

il admet toutefois face aux juges « vouloir s’en sortir ».

Vingt ans encourusLa présidente du tribunal le rappelle : Alexis Roulonc, récidiviste, risque jusqu’à vingt ans de détention. Le parquet réclame de son côté dix-huit mois avec sursis de mise à l’épreuve assortis d’une obligation de soins et de travail pour ce chômeur bénéficiaire du RSA. Pour la défense d’Alexis, son avo-cat affirme qu’il faut « que la justice l’aide à enlever cette épée de Damoclès qu’est la toxicomanie ».En droit, il y a la lettre et il y a l’esprit. Ce qui est gravé et ce qui est pensé. C’est une opposition. Presque une contradiction. Ce qui est écrit dans la loi n’est pas une vérité générale et absolue. La loi est faite, et c’est son essence, pour être interprétée. C’est pour redonner à la loi un sens social que l’esprit adoucit la lettre.Alexis Roulonc a été condamné à six mois d’emprisonnement avec sursis de mise à l’épreuve. Le tout assorti des obligations de soins et de travail.Avant qu’il reparte, la présidente lance un dernier conseil à Alexis Roulonc : « Si vous

Une après-midi ordinaire Sur les bancs, assis entre la famille et les victimes, les habitués du tribu-nal. Ils passent la plupart de leur après-midi aux audiences et assistent aux affaires, petites ou grandes. Pauline Maisterra

Assise devant, Monique a la meilleure place. Elle ne veut pas perdre une miette

du procès. Il est 13h40, les gens entrent dans la salle de comparution immédiate. Monique, la soixantaine, vient ici depuis une dizaine d’années. Mais ne lui dites surtout pas qu’elle y assiste par curiosité : « Nos im-pôts paient tout cela. Alors, c’est un droit. » La dureté du procureur, la défense des avocats, « j’apprends beaucoup sur la justice ». Hadj, 52 ans, adore venir écouter les plaidoiries. Depuis une vingtaine d’années, il assiste à des procès. De tous types, civil, pénal. Et n’hésite pas à donner son avis quand un jugement ne lui convient pas. « À Lyon, j’ai vu un procès où deux chirurgiens comparais-saient pour avoir encaissé plus de 35 millions de francs grâce à de fausses ordonnances, raconte-t-il. Et tenez-vous bien, le verdict : à

peine 250 000 francs avec sursis ! » À la fin de l’audience, Hadj est allé voir le procureur pour lui faire part de son mécontentement. «De simples citoyens auraient fait de la prison, argumente-t-il. Cela n’a pas plu au procureur, tant pis. » 13h50, Jean-Paul s’assied discrètement dans la salle. Pour ce retraité, il est important d’assister aux audiences, « la presse ne dit pas tout ». « Prenons l’exemple des femmes battues. On lit dans les journaux que toutes les couches de la société sont touchées. Mais quels sont les pourcentages ? lance-t-il. En venant ici, je me fais une idée, mes propres statisti-ques. » Comme la plupart de ces habitués, Jean-Paul assiste aux comparutions immé-diates, « elles sont plus rapides ». 14heures, la sonnette retentit. L’audience commence. Le public se tait.

L’ombre d’un doute

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Mardi 26 mars 2013

LA TRIBUNE DU PALAIS

Audiences I 17

Un cocktail détonnantSchizophrénie, rhum et psycho-tropes. Un mélange qui ne facilite pas la tâche du juge. Dans cette affaire, on comprend toute la dif-ficulté d’évaluer la santé mentale d’un individu afin de le juger. Il s’agit de comprendre, à la lumière d’expertises psychologi-ques, si l’intéressé est responsa-ble de ses actes Agathe Monmont

Vincent, 24 ans, rentre d’une fête bien arrosée

le mardi 19 mars. C’est l’anniversaire de son

père. Alors, avec des connaissances, il enchaîne

les verres jusqu’à atteindre 1,70 g/l d’alcool dans

le sang. Vers 23 heures, il décide de rentrer chez

lui. Et arrivé à proximité du métro Les Arènes, il

voit une jeune fille. Sa victime. « Je lis, déclare

la présidente, vous lui avez dit qu’elle était jolie et

qu’elle était seule. » Arrivé au métro, Vincent la

Stupeurs et jugements

Le même soir, un verre de trop et une tentative de vol

Brèves« J’alerte ! » s’insurge l’avocat en audience de

comparution immédiate. Son client mériterait un

bilan psychologique. Michel Perray se présente

pour la 18e fois devant le tribunal. Encore une

fois pour vol : le 21 mars, il a fait les boutiques.

Arreté, puis placé en garde à vue, il tente de se

suicider. Son avocat insiste : « Il n’est visiblement

pas conscient de ses actes. » Le juge prend note et

demande que le voleur soit écroué à la maison

d’arrêt de Seysses et examiné par un psychologue

avant de prendre une décision.

« Quand je me mets à boire, je ne sais plus m’arrêter. »

Denis Verrot assume ses actes devant les juges.

Samedi, ivre et armé d’un couteau de cuisine, il

aurait menacé un gérant de bar qui refusait de

le servir. Le quinquagénaire est déjà connu des

services de police pour son caractère violent. Le

procureur argumente « il a dit qu’il ne buvait pas en

maison d’arrêt : qu’il y retourne ! ». L’avocat a beau

demander la clémence du juge, l’homme sera

condamné à trois mois d’emprisonnement.

Faux départ pour l’affaire : le prévenu n’a pas

d’avocat. Il a pourtant fait une demande pour

un commis d’office, mais personne ne semble

s’être occupé de lui.

On s’active pour en trouver un, l’audience est re-

poussée le temps que son conseil arrive et prenne

connaissance du dossier. L’histoire lui a déjà valu

48h de garde à vue, mais il n’est pas au bout de

ses peines.

Le président résume : la victime est une voisine,

une amie de son fils. Ils semblent s’apprécier mais

la relation dérape petit à petit. Le langage vulgaire

de l’homme traumatise la jeune fille. Il lui fait des

commentaires désobligeants, des avances, lui

Ce lundi 25 mars, un homme de 42 ans comparaissait devant le tribunal correctionnel de Toulouse pour corruption de mineurs. On lui reprochait d’avoir fait des avances à une amie de son fils, âgée de 13 ans au moment des faits Louis Adam

pacité à garder ses fantasmes pour lui.

Le procureur insiste, la justice doit punir le délit

mais le prévenu doit comprendre les dégâts que

son comportement a causés à la victime, pas

uniquement à lui.

« Vous êtes prêt, monsieur, à poursuivre cette ré-

flexion plus tard ? Une fois l’audience terminée ? »,

lui lance le juge.

- Euh c’est à dire... Là juste après avec vous ?

- Non, avec un suivi psychologique monsieur.

- Ah euh.... Ben oui. »

Il écopera au final de six mois de sursis, assortis

d’un suivi socio-judiciaire et une interdiction d’ap-

procher la victime. Pas sûr qu’il s’attendait à ça.

fait part de ses fantasmes exhibitionnistes. Cela

dure un an jusqu’à ce qu’elle craque un jour dans

la cour de son collège, et raconte tout.

« Sur le moment, je ne voyais pas où était le mal, mais

là, après la garde à vue et m’être retrouvé ici... Vous

ne m’y reprendrez plus, c’est juré », se défend-il à

la barre.

Une déclaration pleine de bonne volonté, mais qui

révèle le nœud du problème.

« A-t-il seulement conscience des conséquences de

ses actes ? » interrogent tour à tour l’avocate de la

partie civile et le procureur.

Lui ne voit pas le mal, confesse que son langage

lui a déjà causé des ennuis, tout comme son inca-

Vincent est présenté en comparu-tion immédiate pour tentative de vol aggravé. Il était ivre au mo-ment des faits. Une « excuse » qui exaspère la procureure. Pauline Maisterra

prévient en titubant « je vais te piquer ton sac ». Il

essaie. Elle résiste et ne lâche rien. Elle tombe alors

violemment avec son sac entre ses mains.

Un passé alcoolique révolu« Je regrette et je formule mes excuses à la victime »,

absente du procès. Vincent a un problème avec

l’alcool. Il ne le cache pas. Il y a plusieurs mois, il

est allé dans un centre pour se faire aider. Il pensait

qu’il allait mieux. Alors il s’est permis de boire un

verre, deux, une dizaine.

Vincent l’avoue, ivre, il ne ressentait que de « la

méchanceté, de l’agressivité ». Le prévenu a un

casier judiciaire où sont déjà inscrites près de 8

infractions.

Mais, depuis 2009, plus rien. Le jeune homme

s’est repris en main. Il a changé comme insiste

son avocate : « Il a une copine. Cela fait six mois.

Et il a un travail (…) Cette affaire est un incident de

parcours. Il a honte de ce qu’il a fait, il le dit. Faites

preuve d’indulgence. »

La colère du procureur« La victime a eu très peur ce soir-là. Comme vous le

voyez, elle n’est pas présente », indique la procureu-

re avant de s’insurger : « Maintenant, il est interdit

de marcher seul, de téléphoner avec un portable, de

ne pas fumer, de porter des bijoux, d’avoir un sac à

main, d’être au volant d’une voiture, d’aller chercher

un vélib à 23 heures. On a eu ce cas dernièrement.

Une jeune fille s’est fait violer alors qu’elle prenait un

Vélib !... Ce qui est autorisé, c’est de taper les gens,

de vendre du crack, de faire n’importe quoi quand

on a consommé de l’alcool, c’est une circonstance

atténuante. » Un point qui a du mal à passer pour

la procureure. «Vous vouliez la faire chier un peu

et vous avez réussi, quand l’on voit la violence sur

les photos dans le métro (…) Vous êtes minable ! »,

répète plusieurs fois de suite la procureure. Le

prévenu ne bouge pas, reste tête baissée.

Le ministère public requiert six mois de prison

ferme avec mandat de dépôt. Le tribunal l’a

condamné à huit mois d’emprisonnement dont

quatre fermes et une mise à l’épreuve de deux

ans avec obligation de se faire soigner.

Jean-Louis M’Boko, dit Booba, est arrivé dans

le box, l’air absent. C’est un grand gaillard

maladroit qui prend place sur le banc de la

chambre correctionnelle. Il annonce doucement

son nom et sa date de naissance en catalan.La

juge traduit pour l’assistance. Il a un cheveu sur

la langue, on dirait un petit garçon qui a été pris

les doigts dans le pot de confiture… Jusqu’à ce

qu’on entende les faits, on pourrait se demander

ce qu’il fait là. Et pourtant…

Le 1er janvier, le prévenu se rend à une fête chez

des amis. Une bagarre éclate, au cours de laquelle

il poignarde à deux reprises une personne qui

tentait de s’interposer entre lui et son hôte. Il est

alors placé d’office à l’hôpital psychiatrique Mar-

chant jusqu’au 14 février. Le juge demande alors

à Jean-Louis M’Boko de lui expliquer la situation.

« J’étais sous l’emprise de l’alcool et j’avais pris des

cachets », admet-il.

- « Quel type de cachets ? » veut savoir l’un des

juges.

- « Une boîte entière de Lexomil et une bouteille de

rhum », dit-il en baissant la tête. Sifflements

désapprobateurs dans la salle. Lors d’une per-

mission de sortie le 26 janvier, il retourne sur les

lieux de l’agression pour menacer son hôte, le

traitant de « traître ». Il est à nouveau arrêté et

placé cette fois en détention à Muret.

Expertises psychiatriques déterminantesBooba n’en est pas à son coup d’essai, il a déjà

été condamné huit fois pour des violences simi-

laires. Il est aussi habitué de l’hôpital psychia-

trique où il est traité pour schizophrénie depuis

ses 18 ans. Jean-Louis M’Boko était-il en pleine

possession de ses facultés de discernement au

moment des faits ?

Il fait l’objet de deux expertises psychiatriques,

qui s’avèrent contradictoires.

Le procureur requiert une troisième expertise pour

savoir si Jean-Louis M’Boko est responsable de ses

actes. Son avocate demande aussi la libération de

son client en attendant le jugement.

- « Vous savez que l’alcool n’est pas et ne sera ja-

mais compatible avec votre traitement ? Vous l’avez

bien compris ? » demande le juge avec la voix d’un

instituteur.

- « Je sais mais je n’étais pas moi-même ce soir la,

je ne me rappelle pas madame… » répond le pré-

venu.

Il a l’air sincère et réellement désarmé.

Forcément imperméable aux charmes des bo-

nimenteurs, le juge refuse la mise en liberté.Et

reporte l’audience au 14 avril en attendant le der-

nier rapport d’expert. Bouba retourne en prison,

toujours aussi nonchalant, il ne semble pas bien

comprendre ce qui vient de se passer…

CR

Luc

ie P

aim

blan

c

Les noms des prévenus et accusés des pages

audiences ont été modifiés

LA TRIBUNE DU PALAIS

Quand le travail devient souffrance

Un tas de dossiers sur le bureau, des heures à rallonge, les magistrats n’en finissent plus de travailler. Ils souffrent de plus en plus.

Certains en viennent même en à finir avec leur vie. Pour le moment, aucun chiffre n’a été communiqué. Le sujet reste sensible. Un constat peut tout de même être

fait : « Il y de plus en plus d’arrêts maladie, affirme

Pascale Loué-Williaume de l’Union syndicale des

magistrats (USM). lI y a encore quelque temps, les 

collègues tenaient jusqu’aux congés. Plus mainte-

nant, ils s’arrêtent avant. » Plusieurs explications

découlent de ce mal-être. La prise de décision seul,

le manque d’effectif. « On doit parfois faire face à la 

réaction violente de certains justiciables qui ne com-

prennent pas qu’on leur dise qu’il faut attendre tant 

de temps pour avoir une décision, faute de moyens»,

explique la juge Loué-Williaume.

Autre raison : « Les magistrats sont notés tous les 

deux ans », développe Carole Mauduit (USM), vice-

présidente du tribunal d’instance de Toulouse.

Différents critères sont pris en compte comme

celui du nombre de jugements effectués.

Elle poursuit : « Le ministère de la Justice peut re-

garder ces chiffres et les comparer à la moyenne 

nationale. On peut parler de production juridique. »

La souffrance, en parler…« Les magistrats adorent leur travail parfois au prix 

de l’épuisement », révèle Marie-Paule Regnault-

Le mal-être au travail existe aussi chez les magistrats. Les symptô-mes : stress, isolement, etc. Un mal peu connu mais qui touche pourtant de nombreux juges. Pauline Maisterra

Lugbull, président du tribunal de grande instance

d’Argentan, dans l’Orne.

Cette juge a créé en 2007 un « groupe de réflexion

sur l’exercice de la fonction de magistrat ». « J’ai 

été marquée par le suicide de certains de mes col-

lègues. »

Composé de 8 à 10 personnes, ce groupe de parole

se réunit tous les deux mois à la cour d’appel de

Caen. Il évoque durant quatre ou huit heures tout

type de sujet. Le plus abordé ? « Le surmenage. »

Une consultante en coaching est également pré-

sente. Elle aide à mieux gérer le stress.

Même si très peu de tribunaux mettent en place

des groupes de parole, ce lieu de confidences fait

du bien. « Un de mes collègues m’a confié que sa vie 

a changé depuis, dit-elle, car il a trouvé un endroit où 

déposer ses ennuis. »

… et réfléchir à un plan d’actionReprésentants syndicaux et ministère de la Justice

travaillent sur la souffrance au travail chez les

magistrats. Cette mission a été créée en 2010,

après le suicide d’un juge à Pontoise et est tou-

jours en cours.

L’idée ? « Réfléchir sur comment prévenir cette souf-

france, comment repérer et traiter les risques psycho-

sociaux », indique Pascale Loué-Williaume, qui y

participe.

« La prévention des risques ne veut pas forcément 

dire qu’elle va coûter plus cher aux administrations,

précise-t-elle. Il faut bien avoir en tête, le coût ac-

tuellement généré par le nombre d’arrêts maladie, 

d’invalidité qui peut être induit par la souffrance au 

travail. » Le remède, une meilleure gestion.

Même si pour l’instant aucun plan d’action n’a été

annoncé, le ministère de la Justice avait en 2009

signé un accord sur la santé et la sécurité au travail

dans la fonction publique. Le premier. Il a pour

but d’améliorer les conditions de travail.

Pour le juge Loué-Williaume, « ce qu’attendent 

actuellement les magistrats, c’est un dialogue social 

renoué ».

La précarité touche aussi les avocats toulousains

18 I Professions Mardi 26 mars 2013

CR A

mau

ry B

arad

on

Le barreau de Toulouse compte près de 1 400 avocats. Si certains gagnent bien leur vie, d’autres, loin des projecteurs médiatiques, ont plus de mal à joindre les deux bouts. Comme dans les autres secteurs, les plus jeunes sont les premiers touchés par la précarité.

Maxime Van Oudendycke

Grosse berline, vacances à l’étranger, villa à la

mer. C’est l’image que l’on a de la vie d’un

avocat. Pourtant la réalité est toute autre, surtout

pour les nouveaux arrivants. Après avoir fini ses

études, Marine* a rejoint un cabinet toulousain.

Depuis quatre ans, elle est

collaboratrice. Pas de salaire,

mais une rétrocession d’ho-

noraires, fixée à 2 050 euros

brut minimum par le barreau

de Toulouse.

Mais, profession libérale obli-

ge, c’est à Marine elle-même

d’assumer ses charges. Coti-

sation au barreau, RSI (sécu-

rité sociale des indépendants),

Urssaf, retraite... Une fois la

soustraction effectuée, il ne

reste plus que 1 300 euros

net à la jeune avocate. « On se 

remet quand même en question. 

Est-ce que ça vaut le coup de 

faire autant d’études pour si peu 

derrière ? » s’interroge-t-elle.

Car, pour devenir avocate, il

lui aura fallu faire sept ans d’études.

Face à ce décalage, nombreux sont ceux qui aban-

donnent l’hermine. « Parmi mes anciens camarades 

de promotion, certains ont changé de barreau ou 

même arrêté pour devenir conseillers juridiques en 

entreprise », confie la jeune femme.

Devenir salarié devient une délivrance. Parce qu’en

théorie le statut libéral permet aux avocats de

traiter d’autres dossiers que ceux fournis par le

cabinet pour lequel ils collaborent Mais, dans les

faits, la chose est difficile. « Je travaille  heures par 

semaine en moyenne. Il faut trai-

ter en priorité les dossiers du ca-

binet. Ce qui laisse peu de temps 

pour des dossiers personnels»,

explique Marine. D’autant que

pour se constituer une clientèle

propre, il faut à nouveau être

prêt au sacrifice. Pour se faire

connaître, il faut accepter les

permanences ou assurer l’aide

juridictionnelle. Des missions

indemnisées forfaitairement.

La crise économique touche

aussi indirectement les avo-

cats. Les justiciables rechi-

gnent à engager des dépenses

pour un procès. L’activité a ra-

lenti selon le conseil de l’Ordre.

Une commission de solidarité

a été mise en place pour soute-

nir les avocats en difficulté. Mais ses interventions

sont marginales. Elle traite 5 à 10 dossiers par an

et uniquement des cas extrêmes.*le prénom a été modifié pour préserver l’anonymat de

l’avocate.

« Une prison n’a pas besoin d’avoir un aspect miteux »Créé en novembre 2 004, le complexe de Leoben, en Autriche est jugé comme une prison de luxe par ses détracteurs. Mais Josef Hohensinn, l’architecte du projet, décrit cette dernière « comme esthétiquement agréable et répondant aux besoins des prisonniers ». Propos recueillis par Rémi Khélif

D’où est venue l’idée de la prison de Leoben ?

Dans le cadre de la réforme judiciaire mise en

œuvre en Autriche dès 1970, le ministère de la

Justice nous a mandaté pour concevoir un projet

architectural dans ce sens, c’est-à-dire en adaptant

les bâtiments pénitentiaires au quotidien et aux

conditions pratiques du régime pénitentiaire.

 

Quelles ont été les réactions à l’annonce de la

construction de la prison ?

Les réactions face à ce bâtiment ont été plutôt

très positives. La presse à sensation a bien sûr

considéré que c’était « trop beau, trop luxueux »,

mais on s’y attendait.

Nous sommes convaincus que cette opinion témoi-

gne d’un manque d’expérience et d’une ignorance

totale. Car on peut être fier d’avoir créé un bâtiment

esthétiquement agréable, tout en en respectant

le planning et le coût prédéfinis !

Pourtant lorsque l’on regarde la prison de Leo-

ben, on a du mal à s’imaginer que ce bâtiment

est une prison.

Je ne partage pas votre avis. Je crois que l’on

perçoit ce bâtiment d’emblée et de façon précise

comme une prison : il est doté d’une clôture, de

barreaux aux fenêtres.

Une prison n’a pas besoin d’avoir un aspect mi-

teux, d’être grise et sombre pour mériter le nom

de prison.

C’est un immeuble normal, mais qui correspond

à l’exigence de la privation de liberté de ses pen-

sionnaires.

On vous reproche d’avoir bâti une prison de luxe,

que répondez-vous à cela ?

Il ne s’agit absolument pas d’une prison de luxe.

L’environnement est sobre comme c’est le cas pour

les prisons en général. La seule chose qui distin-

gue cette prison des autres, c’est que nous avons

agrandi les fenêtres des cellules, et de manière

considérable. Elles sont nettement plus grandes

que celles des cellules traditionnelles.

On a veillé à ce que les surfaces des meubles et les

surfaces intérieures présentent une qualité élevée

du point de vue tactile et du point de vue des cou-

leurs, afin de créer une bonne qualité spatiale.

CR

Pau

l OTT

.

La prison moderne de Léoben en Autriche.

La précarité a contraint plusieurs avocats à

enterrer leur carrière au barreau.

CR J

ean-

Pol G

RA

ND

MO

NT

À la sortie d’un bac scientifique, Romain

Grapton souhaite intégrer l’armée et rêve

de devenir pilote. Des problèmes médicaux

puis de motivation l’obligent à changer de voie.

« L’idée de rentrer dans la police me plaisait, je me

suis dit que le droit serait pas mal pour ça. Ce n’était

pas du tout une vocation, je prenais ça comme un

challenge. » Dès le début, les cours lui plaisent et,

peu à peu, il trace son chemin. « J’avais l’impression

de faire quelque chose en lien direct avec le monde qui

m’entoure. » L’idée de devenir magistrat lui vient

en 2e année. « Dès les premiers cours de droit pénal,

c’est le coup de foudre. Je m’y intéresse énormément

et l’idée d’intégrer, pourquoi pas, un jour l’ENM com-

mence à émerger. »

Le droit pénal qui gère toute infraction à la loi

commise par un individu, le passionne. Il entre

en master 2 droit pénal et sciences criminelles

et, c’est décidé, il tentera sa chance au concours

de l’ENM.

Débute alors un véritable marathon qui le mènera

aux épreuves de l’ENM en juin 2012. « Bibliothèque,

bibliothèque et encore bibliothèque, raconte-il avec

le sourire. J’y allais à 8 h eures du matin pour en re-

partir à 20 heures le soir. » À côté, Romain s’inscrit

à l’Institut des études juridiques à Strasbourg

(IEJ), une entité de la faculté de droit qui prépare à

l’ensemble des concours de la fonction publiques

et avocats.

La préparation d’un concours comme l’ENM n’est

pas chose facile. L’écrit se divise en six épreuves,

droit pénal et procédure pénale, droit civil et procé-

dure civil, droit constitutionnel, droit administratif,

libertés publiques et culture générale. « C’est une

véritable montagne à gravir. Il y a des moments où l’on

se sent un peu seul, d’autres où l’on veut tout lâcher.

Ce sont des périodes très difficiles. »

C’est à la cour d’appel de Colmar (le concours se

déroule pour chaque région dans sa cour d’ap-

pel), le 18 juin, que Romain se présente pour les

cinq jours d’épreuves. « J’y arrive plein d’espoir et

extrêmement motivé. Je ne me sens pas prêt, mais

fier d’avoir tout donné. La difficulté, c’est la longueur,

c’est à chaque fois cinq heures de dissertation, on se

remet constamment en cause. C’est éprouvant et fas-

tidieux.» Avant même les résultats des écrits, il faut

immédiatement s’y remettre en vue des éventuelles

épreuves orales. Et début juillet, Romain apprend

qu’il est retenu pour les oraux. Ils se déroulent « pas

trop mal », selon lui, mais désormais, c’est l’attente.

2 200 inscrits, 207 postes. La particularité de cette

année, c’est que seul 181 postes ont été donnés

car selon l’ENM le niveau n’était pas assez bon.

Romain finit 118e. « Une joie infinie, l’impression

d’être récompensé. C’est une nouvelle étape de vie

qui commence. »

Le voilà élève magistrat et son métier il le voit dé-

sormais comme une vocation et une fierté. «Depuis

que je suis rentré à l’ENM, je suis envahi par le poids de

la fonction. Je ne le ressentais pas lorsque que j’étais

étudiant. On nous en parle, le regard des gens lorsqu’on

est en stage. C’est une énorme responsabilité. »

Cependant il le sait, c’est une tâche peu évidente

qui l’attend. « Beaucoup de magistrats disent que

notre métier ne sert à rien, que beaucoup de peines que

nous prononçons ne changent rien au comportement

du criminel. Mais c‘est tout de même nécessaire pour

protéger la société. Ca ne sert à rien et c’est indispen-

sable. C’est un véritable paradoxe».

Romain a une idée précise de ce qu’il veut faire en

tant que magistrat. Son objectif principal est de

redonner confiance en la justice. « On peut consta-

ter une réelle défiance des Français. Une étude de

l’Insee dit que seulement 9 % des Français lui font

totalement confiance. C’est aberrant. C’est injuste

au vu des efforts que font tous les acteurs du monde

judiciaire. » Pour lui ce changement passe par le

dialogue et l’humanisation de la justice. « Bien sûr,

je ne suis pas un super héros, mais j’aimerais faire

évoluer le métier vers plus d’écoute et de discussion. Il

faut pour moi comprendre le justiciable pour mieux le

juger. Pouvoir dire, oui, monsieur, je vous ai compris,

mais je dois appliquer la loi. Cette confiance doit être

rétablie, c’est indispensable à la bonne qualité de la

justice et au bon climat social en France. Dans cette

recherche de confiance, je suis plein d’espoir même

si encore une fois c’est peut-être naïf. »

L’avis de Jean-Bernard Rouch, substitut général à la cour d’appel de Pau et délégué régional à l’Union syndicale des magistrats.

« Naturellement, le dialogue, le côté humain et l’écoute sont primordiaux dans notre métier. Pour exercer ce travail, il est absolument nécessaire d’aimer les gens. Mal-heureusement, il va se heurter aux pratiques du quotidien qui impose un traitement en temps réel. Quand on est juge, l’élément le plus précieux dont on ne dispose pas toujours est le temps. Nous sommes obligés dans beaucoup d’affaires de développer une lecture rapide du dossier, sans vraiment approfondir. La rencontre avec les gens n’est pas toujours possible, nous les rencontrons le plus souvent au travers des dossiers. Au pénal, les gens à qui nous avons affaire sortent souvent de 24 voire 48 heures de garde à vue et ne sont pas très réceptifs.En ce qui concerne la défiance des Français, nous souhaitons tous rétablir cette confiance. Nous sommes tous profondément atteints par cela, mais surtout par le traitement qui nous est réservé par les politiques. On peut le constater avec la mise en examen de l’ancien président de la République. Il faut mettre en œuvre au quotidien des actions tendant à rapprocher les Français de la justice. Cela passe par une meilleure communication. Il faudra aussi pour les pro-chaines générations utiliser un langage clair et intelligible pour que cela soit accessible au plus grand monde. C’est une profession magnifique. Mais, comme le dit Romain, c’est une responsabilité énorme. Or il n’a pas tout vu, on sent réellement le poids du travail lorsqu’on juge aux assises et que l’on droit prononcer une lourde peine de prison.Si j’avais un conseil à lui donner, ce serait de bouger. Notre métier est extrêmement vaste, il ne faut pas faire toute sa carrière au même poste et au même endroit. Cela permet de devenir meilleur. »

I.G

Mardi 26 mars 2013 Professions I 19

Itinéraire d’un futur magistratL’École nationale de la magistrature. Une institution prestigieuse qui fait rêver bon nombre d’étudiants en droit. Au final, beaucoup d’inscrits et peu de places. Romain Grapton, jeune Strasbourgeois, a intégré l’ENM en janvier dernier. Portrait d’un futur magistrat.I Ilias Grandjean

L’administrateur judiciaireRôle ? Le conseil aux entreprises qui rencontrent

des difficultés financières. Il aide les dirigeants à

renégocier leurs dettes et à trouver des partenaires

financiers. Il prend l’entreprise sous sa respon-

sabilité afin qu’elle poursuive son activité ou soit

reprise par de nouveaux actionnaires. À l’issue de

la période d’observation, l’administrateur présente

des solutions au tribunal. Si ce dernier est favo-

rable à la poursuite de l’activité de la société, il

négocie avec les banques un remboursement des

dettes. Si l’entreprise est en partie ou totalement

reprise par un autre dirigeant, il se charge de régler

les formalités liées à la vente. Sinon, le tribunal

ordonne la liquidation de la société. Il dépend

dans tous les cas du tribunal, il n’a donc aucune

clientèle propre.

Comment ? Il faut au moins valider un master 1

(en droit, gestion), un DSCG (diplôme supérieur

de comptabilité et de gestion) ou un DEC (diplôme

d’expertise comptable). Il y a ensuite un examen

d’accès à un stage professionnel. Ce dernier dure

trois ans. Enfin, il y a l’examen professionnel d’ap-

titude aux fonctions d’administrateur judiciaire.

Le plus. Il y aujourd’hui 120 administrateurs

de justice et 10 postes sont à pourvoir chaque

année.

Romain Grapton, en tenue, lors du serment à l’entrée de l’École nationale de magistrature.

Métiers du droit

CR

. D

R

direCteur de la publiCation bertrand thomas

redaCteur en CHeFnathalie douay

redaCteurS en CHeF adJointSGwladys bonnassie, amaury baradon et

nathan poaouteta

rÉdaCteurS : louis adam, Jean-Ma-thieu albertini, amaury baradon, Gwla-

dys bonnassie, arnaud bouju, audrey destouches, pierre Géraudie, Steven

Gouaillier, ilias Grandjean, Gabriel Hau-rillon, rémi Khelif, tiphaine le liboux, thomas liabot, Mélody locard, pauline Maisterra, elouën Martin, agathe Mon-mont, elsa Mourgues, Marine Mugnier, lucie paimblanc, robin panfili, nathan

poaouteta, Matthieu Stricot, Maxime Van oudendycke.

deSSin de CouVerture et illuStrationS : lucie paimblanc,

loïc argili.

La Tribune du PalaisÉcole de journalisme de toulouse31 rue de la Fonderie, 31000 toulouSe

LA TRIBUNE DU PALAIS

LA TRIBUNE DU PALAIS

20 I Portrait Mardi 26 mars 2013

La porte du presbytère s’ouvre sur un type

du genre solide. Entre les sandales de vieux

prof et la barbe rebelle, il y a facile un mè-

tre quatre-vingt. À mi-distance, les carreaux de

chemise s’étirent gaiement sur un ventre de bon

vivant. On cherche le père-aumonier. Il vous sourit,

amusé. Bien sûr que l’habit ne fait pas le moine.

Pour cerner le serviteur de Dieu, même le moins

bigot d’entre eux, il faut savoir enfoncer les portes

ouvertes.

S’impliquer. Des portes, le père Jean-Marie

Harry peut en ouvrir beaucoup. Au moins 596.

Comme autant de cellules de la maison d’arrêt de

Seysses. Pour avoir assez de temps pour chacun, il

a limité son trousseau à 70 clés. Trois après-midi

par semaine, le religieux va toquer aux cellules.

Il attend toujours devant la porte. « Je veux que le 

détenu me dise d’entrer. Ou mieux, qu’il se lève pour 

m’ouvrir. » Un détail qui n’en est pas un pour celui

dont la première mission est de « responsabiliser » 

le détenu.

« Avec la perte de liberté, c’est la déresponsabilisation 

qui est le plus dur à vivre en détention. Être en perma-

nence à la merci d’autrui, de la porte qui va s’ouvrir, 

ça vous enlève toute votre dignité. » Le père en est

convaincu, plus que l’épreuve, c’est la manière dont

on la traverse qui compte. Se laisser aller, c’est

mettre à mal ce qu’il vous reste de dignité. Dont

acte. « Je ne suis pas là pour cocooner, chapeauter 

les détenus. ».

Ces limites fixées, il ne se fait pas prier pour « s’im-

pliquer » dans la vie des détenus. Entre deux lettres

d’amour écrites sous la dictée, il dispense ses

conseils sur des sujets plus souvent terrestres

que célestes. Persévérer avec les enfants qui ne

veulent plus entendre parler de vous, ne pas ac-

cabler de reproches l’épouse qui se fait distante.

Aucun tabou. Même quand la conversation devient

moins catholique. Mais il ne se prononcera jamais

sur l’attitude à adopter lors du procès. Son credo,

« rester à sa place ».

Réconcilier. Pourtant, s’il y en a qui ont une

place à part dans la pénitentiaire, c’est bien les

aumôniers. Ils sont les seuls autorisés à entrer en

cellule. « Les surveillants restent à la porte. Nous, nous 

sommes au cœur de la détention. » Divin privilège

qui permet de « voir ce qui ne se voit pas, de sentir ce 

qu’on ne nous dit pas » : la violence d’un codétenu,

l’incapacité de travailler ou la tentation du suicide.

Autant de motifs de signalement aux gardiens.

Le reste, Jean-Marie Harry le garde pour lui. Et

celui dont le travail est avant tout l’écoute en sait

long. C’est la rançon de la gloire quand on a pour

vocation de « libérer la parole ».

Certaines de ses ouailles lui confient des choses

« qu’il n’ont même pas dites à leur avocat ». Pourtant,

l’aumônier ne pose jamais de question. Surtout pas

sur les causes de la détention. « Je me fiche de ce 

qu’ils ont fait. Par contre, ce dont je ne me fiche pas, 

c’est qu’ils s’en sortent. » Pour l’homme d’église, la

clé, c’est la « réconciliation ». Avant d’être possible

avec la victime elle doit se faire avec soi-même.

« Accepter le mal qu’on a fait  », Dieu sait comme

c’est difficile pour le prisonnier. « Soit il est horrifié 

par ce qu’il a fait, soit il minimise, soit il est dans le 

déni. » Sur le chemin de la rédemption, c’est le

rôle de l’aumônier de faire un pas vers le détenu

et d’avancer à son rythme. « Je ne vais pas lui parler 

de pardon, s’il est dans le déni. »

Se réaliser. Comprendre les détenus, Jean-Marie

Harry n’en avait pourtant pas envie. « Comme tout 

le monde, je pensais que la prison ne renfermait que 

des salauds. » Il confesse avoir beaucoup hésité

avant de franchir le seuil de la maison d’arrêt.

« J’avais peur de ne plus pouvoir dormir. D’être per-

turbé par la situation des prisonniers. » Depuis sept

ans qu’il fait partie des 518 aumôniers catholi-

ques de France, il a toujours trouvé le sommeil.

À force de côtoyer ceux qu’il trouvait « odieux », il

a révisé son jugement : « N’importe qui peut péter 

un plomb. » Réflexion faite, il constate même que

c’est en prison qu’il « s’est réalisé comme prêtre ».

L’aumônier Harry refuse de sanctionner la sanction,

« il n’y a pas de pardon sans réparation ».

Il n’oublie pas que « la justice n’est pas la justesse » 

et s’inquiète du nombre de détenus qui n’en fi-

nit pas d’augmenter. Il rêve d’une société qui se

contenterait de blâmer la faute plutôt que son

auteur. « Condamner la personne, c’est l’empêcher 

de revenir, l’enfermer à tout jamais. » On y verra

une manière de dénoncer le peu d’effort fait sur

la réinsertion.

S’il constate que la prison est devenue moins tabou,

il regrette qu’à force d’en parler à tort et à travers,

on déblatère surtout à tort. Ceux qui veulent en

faire un haut lieu de la radicalisation islamiste se

reconnaîtront. « C’est vrai que, pour s’affirmer en 

prison, certains affichent leur identité religieuse. Mais 

c’est de la provoc. La vraie radicalisation a lieu dans 

les cités. Les prêches de la mosquée d’Empalot sont 

bien plus virulents qu’à Seysses », dit-il.

Décloisonner. Le prêtre sait de quoi il parle. En

détention, il troque volontiers sa Bible pour un

Coran. « Il est connu et apprécié dans la prison »,

explique Me Eric Zapata qui le croise depuis des an-

nées. Si cette grande silhouette est familière entre

les 4 murs où l’on échoue à force d’avoir trop tenu

ceux de la cité, c’est parce que Jean-Marie Harry

a toujours préféré les quartiers. Ça a commencé

très tôt. Avant le bac, en allant donner des cours

de soutien dans les camps de gitans.

« C’est là que j’ai découvert que donner de mon temps 

me rendait heureux », dit-il simplement. Animateur,

puis directeur de colonies, celui que l’on n’appelle

pas encore Père Harry s’occupe déjà des mômes

de cités. « Il a emmené plein de futurs délinquants 

en vacances », rigole l’avocat.

Alors qu’il travaille comme chauffeur routier, la

route de ce daron sans enfants croise celle de la

JOC, la Jeunesse ouvrière chrétienne. Le virage

n’est pas dur à négocier quand on est fils d’ouvriers

catholiques. Il se sent bien dans cette pouponnière

de chrétiens de gauche. C’est là qu’il apprend

que le prêtre doit enseigner aux fidèles à se faire

confiance pour s’en sortir. La responsabilisation,

la réconciliation et le respect. À 30 ans, tout y est

déjà. Après les vœux solennels, le père teste le

monastère. S’y ennuie très vite.

Il gardera l’habitude d’être pieds nus, été comme

hiver. Il se fait surtout une promesse moins mona-

cale : veiller à « être toujours bien dans ses baskets ».

Voilà sans doute pourquoi il a décidé de ne pas

rester éternellement dévoué à ses détenus. Pour

ne pas risquer le trop plein, il partira « le jour où 

[il] ne sera plus sensible à la situation du prisonnier 

en face de [lui] ». Dans cette mission, « s’endurcir 

est toujours un danger ». Ce n’est pas le seul à le

penser. L’Aumônerie nationale recommande de ne

pas dépasser les douze ans de service.

Les années qu’il n’a pas comptées sont celles pas-

sées à dire la messe. Aux Minimes puis à Empalot.

Éric Zapata se rappelle de paroissiens « capables 

de faire des kilomètres pour assister à sa messe ».

Compliment rejeté par l’intéressé : « C’est Jésus 

qui a du succès, pas moi. » Il restera jusqu’en 2001

dans ces quartiers à l’image de la prison, où Allah

ne manque pas de se faire prier.

Modeste encore, il dit connaître « quelques » sou-

rates et versets. Plus loin dans la conversation,

il racontera sans faire attention, l’histoire d’un

détenu kurde bluffé par ce prêtre qui en savait

plus que lui sur le Coran. Le père Harry en sait

en tout cas assez pour démontrer à chacun les

connexions entre religions.

Une façon de faire baisser la tension qui monte

vite dans ce lieu où l’enfermement est aussi bien

physique que mental. Réconcilier ne l’empêche

pas de rester accroché à son bâton de pèlerin. 

« Pour vivre une vraie rencontre, il faut que chacun 

tienne ses positions. »

Fidèle à sa paroisse, le père Harry l’est aussi à son

credo : rester à sa place.

Jean-Marie

L’aumônier de la maison d’arrêt de Seysses, le père Jean-Marie Harry ne se contente pas de prê-cher pour sa paroisse. I Tiphaine Le Liboux

Sa place à l’ombre

1956. Naissance à Cam-

brai (59)

1974. Arrive à

Toulouse

1985. Ordonné prêtre

2006. Nommé aumônier

à la maison d’arrêt de

Seysses

2018. Quittera ses fonc-

tions d’aumonier

HARRY

CR

Tip

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Lib

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