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La Tribune du PalaisMardi 26 mars 2013
QUELLES SOLUTIONS POUR LUTTER CONTRE LA RéCIDIVE ? Pages 6 à 9
MéDIAS« Paroles de juges », les coulisses de la justice sur le blog d’un magistrat.
PRISONSMidi-Pyrénées, un modèle en matière de salubrité ?
ACTUALITéSaffaire Merah : la justice en attente des Renseignements.
Page 3 Page 15 Page 12
BrigadierThierry Mandrou
«D’un côté, la
présence de
l’avocat lors
du premier interrogatoire per-
met de vérifier que les policiers
n’exercent pas de pression sur le
gardé à vue. Il ne peut plus dire
que le policier lui a mal parlé.
L’avocat est une caution. De
l’autre, le délai de deux heures
pendant lequel on attend l’avo-
cat nous fait perdre du temps.
Cela augmente le risque de passer à côté de quelque chose ou de ne pas
avoir le temps de faire des actes procéduraux. Au final, il faut qu’on anticipe
encore plus le déroulement de la garde à vue. Mais au bout de deux ans, on
s’est adaptés.
Pour certaines affaires, la durée de la garde à vue mériterait d’être allongée.
Plus l’affaire est importante, plus les actes de procédure sont nombreux. Il
faudrait peut-être caractériser la garde à vue en fonction de l’infraction.
Au début, la réforme a créé des tensions entre nous et les avocats. Mais plus
on les côtoie, et plus on les connaît. Chacun connaît son rôle et le respecte.
Les avocats n’outrepassent pas leurs fonctions. Aujourd’hui, on s’est habi-
tués. Quand la réforme a été mise en place, les avocats râlaient parce qu’ils
n’avaient pas accès au dossier. Aujourd’hui, ils ont compris une chose : la
garde à vue n’est pas le procès. S’ils avaient connaissance de l’intégralité
du dossier, il faudrait allonger la garde à vue car ils pourraient préparer la
défense dès la garde à vue.
Pour la personne écrouée, la réforme a également changé beaucoup de choses.
Bon, la personne habituée des lieux se fiche qu’il y ait un avocat ou non. Elle
connaît les rouages. Mais pour la personne qui est mise en garde à vue pour
la première fois, la présence d’un avocat peut être rassurante. »
Mardi 26 mars 2013
LA TRIBUNE DU PALAIS
Garde à vue : bilan mitigéÉditoUn budget en hausse
de 4,3 % en 2013
La justice va mal. Magistrats en colère, avocats et policiers en grève, procédures à rallonges, fermetures de tribunaux après cinq ans de sarkozysme... Le bilan est lourd. Le changement tant promis par François Hollande est attendu par l’institution judiciaire. La nouvelle politique pénale consiste à rétablir le respect de l’ordre social. Un criminel doit purger sa peine. Mais le rôle de l’institution judiciaire est de prévenir la récidive en privilégiant la réinsertion.Ainsi, la prison n’est plus une fin en soi, mais devient un temps utile pour se réintégrer dans la société. Le citoyen est considéré par l’institution judiciaire et non plus exclu. Bien qu’il n’existe pas de solution miracle. Une logique humaine de la justice, en somme. Toutefois, cette politique a un coût, et pas des moindres.Guider l’opinion et non pas se laisser guider par elle, là est la grandeur de la politique selon Hollande.
Gwladys BONNASSIE
Aggravations de peines : la solution qui dérange
2 I Actualités
À la mi-avril, la réforme de la garde à vue aura deux ans. Une réforme qui change beaucoup de choses pour les policiers et les avocats. Libre propos sur cette réforme. I Marine Mugnier et Elouën Martin
« C ’est une rupture de l’égalité devant
la loi ! » Frédéric Douchez, le bâ-
tonnier toulousain s’oppose violemment au
ministre de l’Intérieur. L’aggravation des
peines encourues en cas d’agression sur les
forces de l’ordre lui paraît inconstitution-
nelle. Selon lui, la proposition de Manuel
Valls fait un distinguo entre les citoyens.
Inadmissible.
D’autant plus que la loi prévoit déjà tout un
arsenal répressif en cas d’atteinte à « une
personne dépositaire de l’autorité publique ».
Par exemple, le meurtre est puni au maxi-
mum de trente ans. Le meurtrier d’un agent
encourt lui jusqu’à la perpétuité.
« Comment fait-on pour aggraver les peines ?
Manuel Valls tient le même discours que Ma-
rine Le Pen quand elle dit qu’il faut rétablir la
peine de mort pour les assassinats d’enfant »,
s’indigne Frédéric Douchez.
Du côté des fonctionnaires de police, c’est
le contraire. Le secrétaire régional d’Unité
SGP Police - FO, Didier Martinez, félicite
le ministre. « C’était demandé, donc nous
sommes satisfaits. » Car, du côté des forces
de l’ordre, c’est le ras-le-bol. Le sentiment
d’impunité des délinquants complique leur
travail. Pour preuve, les violences sur agents
ont augmenté. Chaque année, 10 policiers
sont tués en exercice et 10 000 sont blessés.
« Aujourd’hui, une personne peut foncer sur
les policiers pour éviter le contrôle. Ce n’était
pas comme ça avant », estime Didier Mar-
tinez. L’annonce du ministre de l’Intérieur
fait surtout espérer aux fonctionnaires une
reconnaissance de leur travail. Les agents
sont lassés de voir toujours les mêmes délin-
quants au commissariat. « Ce qu’on demande,
c’est l’application ferme de la loi », explique
le syndicaliste. Les agents espèrent que le
durcissement des peines aura un effet dis-
suasif sur les délinquants.
Pour les avocats, rien n’est moins sûr. L’aug-
mentation de la violence aux personnes n’a
rien à voir avec une quelconque impunité.
Pour Me Douchez, « si les délinquants sont plus
violents aujourd’hui, c’est parce que la société
est plus violente ».
Le ministre de l’Intérieur Manuel Valls souhaite proposer à la garde des Sceaux l’aggravation des peines encourues en cas d’agression sur les forces de l’ordre. Si l’annonce est bien accueillie par la police, les avocats n’y voient que de la démagogie. I Maxime Van Oudendycke
Thierry Mandrou travaille à Toulouse depuis 2003.
Reporter la fin de la trêve hivernale du 15 mars
au 1er avril est-ce une bonne chose ?
Ce report est liée à la conjoncture économique. De
plus, des conditions climatiques sont désastreuses.
C’est donc parfaitement compréhensible, mais cela
ne va pas changer le fond du problème.
Les expulsions sont-elles nombreuses à
Toulouse ?
Les gens pensent que l’on expulse vraiment, mais
beaucoup de procédures ne sont pas menées jus-
qu’à leur terme. Sur cent dossiers, dix iront peut
être au bout de la procédure d’expulsion «vérita-
ble» avec l’intervention de la force publique et le
locataire encore présent dans les murs.
En moyenne, à combien revient une expulsion
pour le propriétaire ?
Cela peut aller jusqu’à 4 000 € de procédure et de
débours (déménagement) payés par le locataire,
mais qui, en cas de carence, seront répercutés sur
le propriétaire. Sans compter les loyers perdus.
Combien de temps peut durer une procédure
d’expulsion du début (signalement par le bailleur)
à la fin (remise des clefs au propriétaire) ?
En moyenne, un appartement se récupère au bout
d’une année. Cependant, cela peut aller jusqu’à
trois ou quatre ans. Souvent, au moment de l’ex-
pulsion, les locataires sont déjà partis, laissant
quelques meubles dans les lieux ainsi que des
locaux dégradés. Ce qui retarde encore plus la
récupération. De part la longueur de la procédure,
le locataire choisit le moment de son départ sans
en avertir le bailleur...
Que pensez-vous de la mauvaise réputation de la
profession d’huissier, notamment lorsqu’il s’agit
d’expulsions ?
Nous n’expulsons pas à tour de bras. Aujourd’hui,
l’huissier se voit attribuer un rôle de “médiateur”.
Avant le recours à la force, le problème peut être
résolu à l’amiable. Si, malgré tout, le locataire reste
sur les lieux, le préfet organise son relogement.
Dans ce cas, nous sommes tenus d’informer le
locataire sur les possibilités d’hébergement. On
contacte les services sociaux. Tout dépend de
l’implication de l’huissier dans la procédure.
La trêve hivernale reconduite La trêve hivernale est rallongée jusqu’au 1er avril. Réaction de Me Christine Valès, huissier de justice à Toulouse. I Arnaud Bouju
Me Christine Valès est également membre de la chambre
régionale des huissiers de justice.
La garde à vue est un dispositif judicaire de maintien d’une personne soupçonnée d’avoir commis ou tenté de commettre une infraction. Celle-ci
doit être susceptible d’être sanctionnée d’une peine d’emprisonnement. La garde à vue sert avant tout à questionner l’individu pour faire avancer
l’enquête judiciaire. Elle empêche aussi, dans certains cas, qu’il organise la disparition de preuves, établisse une stratégie avec de possibles
complices ou encore fasse pression sur le témoin.
En 2010, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France : selon le droit européen, les personnes gardées à vue doivent
bénéficier d’un avocat dès le début de la procédure. Depuis le 14 avril 2011, une loi a été votée pour rendre la présence d’un avocat obligatoire
et remettre la France dans la légalité.
Me Pierre Le Bonjour
«Le conseil de
l’avocat est im-
portant, ne se-
rait-ce que pour que le gardé à
vue comprenne quelles sont les
logiques policière et judiciaire.
Sa présence permet aussi
d’avoir une sorte de filtre, de
calmer. Les excès classiques
de la garde à vue ressemblaient
à cela : « Si tu balances pas la
vérité, tu vas en prison. » L’en-
quêteur ne peut plus dire cela
avec un avocat à côté. Mais le
comportement des enquêteurs
est généralement correct.
Pour l’avocat, c’est une autre chose. Quand on est appelé en audition, on
est mobilisé, alors que cela n’était pas prévu, sur des durées qui peuvent
être longues.
Et lorsque l’avocat n’est pas commis d’office, la garantie de paiement
reste très aléatoire : la personne est en garde à vue, donc elle ne va pas
vous faire un chèque.
De plus, dans le cadre des auditions, l’avocat a un rôle de spectateur et
non pas d’acteur. L’enquêteur pose les questions qu’il veut comme il veut
et c’est seulement à la fin qu’il demande à l’avocat s’il a des questions ou
des observations.
C’est pour cette raison que certains avocats disent qu’ils n’ont rien à faire
en garde à vue. Je les vois d’une façon assez négative.
On ne sert pas de façon active, mais il faut accepter ce rôle passif. Je peux
comprendre que certains trouvent désagréable ce côté casque bleu à deux
balles, mais c’est important de faire en sorte que le policier soit obligé de
s’adresser correctement au gardé à vue. »
Me Pierre Le Bonjour, avocat pénaliste à Tou-
louse depuis 1994.
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mardi 26 mars 2013
LA TRIBUNE DU PALAIS
Actualités I 3
La DCRI au banc des accusésUn boulevard de questions sur le fonctionnement des services de Renseignements français s’est ouvert suite à l’affaire Merah. Les pouvoirs législatif et judiciaire s’en sont saisis. Un an après les faits, où en est-on dans cette enquête sur l’enquête ?I Tiphaine Le Liboux
Dès juin 2012, une mission d’information
d’évaluation des services de renseigne-
ment est mise en place. Elle se déroule à
huis clos et est dirigée par Jean-Jacques Urvoas,
député PS. En janvier 2013, sous la pression d’une
partie des familles de victimes, une commission
d’enquête parlementaire est créée à l’initiative
des députées EELV.
Dotée de pouvoirs supérieurs à ceux de la mis-
sion d’information, elle est présidée par Jérôme
Cavard, député Vert du Gard. Chaque jeudi, elle
auditionne publiquement ceux qui ont eu maille à
partir avec l’affaire ou des spécialistes du rensei-
gnement. Objectif : examiner « le fonctionnement
des services de renseignements dans le suivi et la
surveillance des mouvements radicaux armés ». Et
ce, dans trois affaires sensibles : Merah, Tarnac,
Karachi. C’est bien ce qui pose problème à Me
Béatrice Dubreuil.
« Cette commission d’enquête ne suffit pas car elle
ne porte pas spécifiquement sur l’affaire Merah »,
explique l’avocate de la famille d’Abel Chennouf,
l’un des deux parachutistes abattus à Montauban.
Le 1er février, elle a déposé plainte contre la DCRI
et son patron de l’époque Bernard Squarcini pour
« non-empêchement de la commission d’un crime
et mise en danger délibérée de la vie d’autrui». Me
Dubreuil s’appuie sur le rapport de l’Inspection
générale de la Police nationale (IGPN), rendu à
l’automne dernier. Celui-ci a pointé des « failles
et des dysfonctionnements des services de rensei-
gnements dans la surveillance de Merah ». « L’af-
faire Merah est tellement exceptionnelle qu’on doit
déterminer ce qui s’est vraiment passé », explique
l’avocate.
Et pour cela, « il faut saisir toutes les voies possibles du
droit ». Mais les plaintes déposées par Me Dubreuil
Cour des comptes : l’indignation policièreLes agents de police se sentent injustement pointés du doigt par le rapport de la Cour des comptes publié le 18 mars I Maxime Van Oudendycke
ont été renvoyées au procureur de la République de
Paris, François Molins, et l’enquête préliminaire a
été confiée, le 18 février, à l’IGPN. On se souvient
qu’en octobre, lors de la publication du rapport
de l’IGPN, Jean-Jacques Urvoas avait critiqué le
fait que se soit une structure policière qui enquête
sur ses pairs. « Cela ne constitue pas une garantie
d’indépendance et de détachement nécessaire à la
mise en lumière d’éventuels dysfonctionnements »,
avait-il expliqué. Les erreurs des services de l’état,
deuxième drame de l’affaire Merah, seront-elles
établies un jour ? Rien n’est moins sûr.
L’enquête judiciaire
Nathalie Le Proux, Christophe Tessier et Laurence Le Vert. Trois juges d’instruction sont char-
gés de l’enquête qui porte sur les complicités dont aurait pu bénéficier Mohamed Merah. Les
enquêteurs seraient toujours à la recherche d’un troisième homme et aucune complicité n’a
pour l’instant été établie.
Un mis en examenDepuis le 25 mars 2012, Abdelkader Merah, le frère aîné de Mohamed est mis en examen pour
complicité d’assassinats, association de malfaiteurs en vue de la préparation d’actes de terro-
risme, vol en réunion d’un scooter et complicité d’assassinats avec circonstances aggravantes
François Hollande a promis de « faire toute la lumière » sur les « failles » des services de renseignement français.
CR Lubas Burel
« Nous sommes stupéfaits par ce rapport qui fait l’impasse sur la réalité quotidienne vécue par les policiers
de terrain. »
La déclaration d’Henri Martini, le secrétaire général du syndicat Unité SGP Police – FO, traduit à elle
seule le malaise et l’incompréhension des policiers. « La profession se sent agressée », confirme Didier
Martinez, le secrétaire régional du syndicat.
Pour la police, le cumul d’heures supplémentaires dénoncé par le rapport est nécessaire pour assurer
leur mission de sécurité. D’autant plus que ces heures ne sont pas payées. « Bien souvent, ces heures
sont finalement prises en fin de carrière, les agents partant à la retraite quelques mois plus tôt que prévu »,
explique le syndicat.
Et pas question d’accepter la pause salariale préconisée par la Cour des comptes. Les agents prévien-
nent à l’avance : si les recommandations du rapport sont appliquées, ils ne se laisseront pas faire.
Bilan positif pour les plaintes en ligne
Avant d’être élargies à l’ensemble de la France le 4 mars, les pré-plaintes en ligne étaient testées depuis décembre 2011 en Haute-Garonne. I Lucie Paimblanc
66 995. Déjà plus un record, mais un problème
récurrent. Les prisons françaises restent très lar-
gement surpeuplées en mars 2013. Les établisse-
ments pénitentiaires prévus pour accueillir 56 920
personnes sont débordés. Le taux d’occupation
moyen dépasse les 118 % sur tout le territoire.
Une moyenne qui cache mal des disparités entre
établissements. Aux centres de détention qui ne
dépassent pas leur capacité, s’opposent les mai-
sons d’arrêt dont certaines sont surpeuplés à plus
de 200 %. La cause : le nombre de prévenus en
attente de jugement que les maisons d’arrêt ne
peuvent pas refuser. Plus de 16 799 personnes,
presque 25 % des détenus, ne sont pas fixées sur
leur sort. Au milieu des condamnés à de courtes
peines, ils espèrent un procès rapide, le résultat
d’un appel ou un pourvoi en Cassation. Autant de
possibilités qui rallongent leur incarcération dans
les maisons d’arrêt.
La légère baisse constatée début 2013 n’était
qu’une passade après le record absolu atteint en
décembre 2012 avec 67 674 détenus. Plus qu’un
chiffre, c’est tout une politique judiciaire qui est en
cause. Malgré les appels de la chancellerie pour
faire des aménagements de peine une « priorité
de politique pénale », les prisons ont continué de
se remplir. Une nouvelle hausse de 0,4 % est à
déplorer pour ce mois de mars 2013. Les solutions
se font attendre. Mais la situation pourrait évoluer.
Après cinq mois de travail, douze recommandations
ont été remises à Christiane Taubira pour faire
évoluer le système judiciaire français. Un document
qui doit servir de base de travail à l’élaboration
d’un projet de loi attendu pour juin.
Des prisons surpeuplées
L’expérimentation de la pré-plainte en ligne, un dispositif qui s’adresse aux victimes d’atteinte aux
biens par un inconnu aurait fait ses preuves en Haute-Garonne. Selon le commissariat de Toulouse,
« plus de 1 880 pré-plaintes ont été enregistrées en 2012 alors qu’on s’attendait à en recevoir 400 ». Le
lieutenant Carole Lamy confirme la tendance : « Depuis début janvier, nous en recevons environ 350
par mois. Mais 30 % ne sont pas prises en compte car elles ne répondent pas aux critères. Les plaignants
apprécient la rapidité du dispositif. Nous espérons que cela va inciter plus de victimes à déposer plainte. » Le
28 février, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) estimait que la perception
du dispositif « par les différents intervenants s’est avérée très positive » dans les quatre départements
tests (Yvelines, Charente-Maritime, Haute-Garonne et Bas-Rhin).
Le 20 mars 2013, une dizaine de pères et de mères en
colère s’était donné rendez-vous devant le palais de justice
de Toulouse. Une action qui vise à dénoncer la possible
fermeture pour raison budgétaire du point de rencontre
familial d’Empalot. Un coup dur pour ces pères et mères
qui ont souffert d’un divorce difficile. Ce site concernerait
près de 70 familles. Les deux autres points de rencontre
toulousains Saint-Cyprien et Basso Cambo étant saturés,
Pour l’instant, il n’y a pas de solution pour leur permettre
de voir leurs enfants dans ces lieux d’accueils. Philippe
Daoud, l’un des protagonistes présents, entend bien faire
changer les choses. Il doit rencontrer Claude Touchefeu en
charge des affaires familiales de Toulouse.
I Jean-Mathieu Albertini
CR LOic Argili
LA TRIBUNE DU PALAIS
La justice française à la peine
«Il manque du papier. Il manque des photoco-
pieuses. Il manque de l’argent ». Le constat
est amer pour le bâtonnier de Toulouse,
Frédéric Douchez. Si l’emblème de la justice est
une balance, cela pourrait aussi être l’escargot.
AZF, crash du vol Rio-Paris, procès Tiberi... Les
exemples sont nombreux pour illustrer les lon-
gueurs procédurales françaises. Les tribunaux
sont surchargés. Les bureaux des magistrats, eux,
débordent. « Si le nombre de magistrats ne croît pas,
le nombre d’affaires qu’ils ont à instruire explose ».
L’enveloppe allouée au ministère de la Justice a
augmenté de 19 % en cinq ans. Une progression
dont on pourrait se féliciter si on ne la confrontait
pas à nos homologues européens. « Les autres
pays de l’Union européenne observent cette même
augmentation d’environ 15 %, mais chaque année »,
déplore Christophe Régnard, président de l’Union
syndicale des magistrats. En un an, le budget de la
justice en France n’a augmenté que de 4 %.
Coup de poing sur la tableEt ce n’est pas d’un très bon œil que l’Europe ob-
serve les lenteurs de la justice française. La Cour
européenne des droits de l’homme (CEDH) ne s’est
La justice française est à la traîne. Épinglées pour la longueur des procédures, les juridictions civiles accusent le plus de retard. En cause, un manque de moyens et des lourdeurs administratives. I Robin Panfili et Thomas Liabot
d’ailleurs pas gardée de la condamner pour non-
respect des « délais raisonnables de jugement » . En
2012, la Commission européenne pour l’efficacité
de la justice en tirait les conclusions. Là où les
pays européens comptent en moyenne 20 juges
pour 100 000 habitants, la France en dénombre
seulement neuf. Même constat concernant les
parquets français : trois procureurs contre dix en
moyenne dans les États membres.
L’une des particularités françaises que pointe Fré-
déric Douchez est la répartition du budget alloué
au ministère de la Justice. « Le budget augmente,
certes, mais il est majoritairement destiné à l’admi-
nistration pénitentiaire plutôt qu’à l’administration
judiciaire, souligne le bâtonnier. On préfère couler du
béton et construire des prisons. » Pour tenter d’expli-
quer la lenteur des procédures et des instructions,
certains magistrats parlent d’une « judiciarisation
de la société ». « On a confié de plus en plus de
contentieux à la justice, sans réformer le périmètre
d’intervention des juges », constate Christophe
Régnard (USM). Aujourd’hui, les magistrats sont
confrontés à des centaines de dossiers.
Magistrats en sous-effectifComment rendre justice dans les temps sans ris-
quer de bâcler des affaires ? « Si on nous demande de
tout juger, nous ne pouvons pas remplir notre mission,
déplore Françoise Martres, présidente du Syndicat
de la magistrature. On aimerait n’avoir à juger que
les délits et pouvoir prendre plus de temps pour le
faire. » Surchargés de dossiers, les magistrats
s’estiment en sous-effectif. Depuis dix ans, ils sont
3 000 de moins à exercer alors qu’on dénombre
50 000 avocats supplémentaires par exemple.
Au cœur du problème, une hausse importante
du nombre d’affaires relevant de la justice civile
et notamment du tribunal des prud’hommes.
« Les conflits sociaux se multiplient en temps de crise
économique », constate M. Douchez. Pointées du
doigt par la plupart des magistrats, les affaires
familiales représentent aussi une part grandissante
des contentieux que règle la justice française. « Sur
20 000 affaires traitées à Toulouse, la moitié sont des
contentieux familiaux. » Selon Christophe Régnard,
« une réflexion sur le rôle du juge est nécessaire afin
de redéterminer son périmètre d’intervention ». Ainsi,
les magistrats ne géreraient plus que les dossiers
les plus importants, déléguant certaines de leurs
prérogatives « à des notaires ou des fonctionnaires
de justice » pour les petits contentieux.
Complexification des procéduresAutre facteur de ralentissement, la complexification
des procédures, « surtout depuis l’affaire Outreau »,
qui oblige les magistrats à respecter une marche
à suivre de plus en plus exigeante et forcément
chronophage. « Les garde-fous se sont multipliés
sans que l’on multiplie ceux qui sont chargés de les
faire appliquer », déplore Nathalie Dupont-Ricard,
avocate à Toulouse. Il faut ajouter à cela une ré-
forme de la carte judiciaire très mal accueillie par
une partie des magistrats, à l’image de Christophe
Régnard : « Cette réforme a dégradé la situation.
Pendant longtemps, les tribunaux de proximité ont été
épargnés par ce ralentissement généralisé de la justice
française, mais ce n’est plus le cas avec la nouvelle
carte judiciaire qui en a supprimé une partie. »
Baisses records aux prud’hommes
4 I Actualités Mardi 26 mars 2013
Le conseil des prud’hommes de Toulouse a connu une baisse record du nombre de nouvelles saisines en 2012. L’instauration du droit de timbre dont doivent s‘acquitter les plaignants est-elle la seule explication ? I Mélody Locard
«On constate 638 nouvelles demandes en moins
par rapport à l’année dernière. Cette baisse
nous interroge », s’exclame Marie-José Couzi, vice-
présidente des prud’hommes de Toulouse. « Le
climat économique actuel est difficile, le nombre de
licenciements explose. Cela va normalement de pair
avec une augmentation des litiges », explique-t-elle.
C’est d’abord l’obligation de payer 35 euros de
timbre fiscal « pour aider les plus démunis à bénéficier
des services d’un auxiliaire de justice » qui est pointée
du doigt. Pour Mme Couzi, « le montant paraît infime
mais cela bouscule l’ordre établi. D’autant que si une
partie fait appel, elle doit payer le même montant de
droit de timbre. On perd le principe d’égalité devant
la justice ».
« Pour ceux qui gagnent un Smic, ce n’est pas rien »,
ajuste Joséphine Soumah, représentante CGT à
la Fédération du service public. La ministre de
la Justice, Christiane Taubira, s’est engagée à
supprimer cette taxe – qui représente 7 millions
d’euros – à l’horizon 2014. D’ici là, la chancellerie
« envisage la possibilité de ne la faire payer qu’en fin
de procédure, à la charge de la partie perdante »,
indiquaient fin janvier les représentants de la cam-
pagne « Prud’hommes gratuits ».
Explosion des ruptures conventionnellesMais, pour Me Jean-Marc Denjean, avocat des
Molex à Toulouse, « ce sont surtout les retombées de
la rupture conventionnelle qui se font de plus en plus
ressentir ». Autre réforme instaurée sous Nicolas
Sarkozy le 1er août 2008, elle permet de mettre fin
au contrat de travail « d’un commun accord ».
« Dans l’idée, c’est mieux pour tout le monde : le
licencié peut toucher ses indemnités chômage tout
de suite et l’employeur n’a rien à payer à Pôle Emploi,
se rassure l’avocat. Sauf qu’aujourd’hui certains
licenciements économiques collectifs et autres plans
sociaux économiques ont été contournés par des pa-
trons, qui leur ont préféré la rupture conventionnelle.
Fait répréhensible. »
Martine*, proche de la cinquantaine, a travaillé
vingt ans dans une clinique près de Toulouse. « La
direction a agrandi son service d’urgence. À l’arrivée
de nouveau personnel, le harcèlement moral a com-
mencé. » Après deux tentatives de suicide et une
dépression, elle est licenciée pour inaptitude totale
au travail dans l’entreprise. En 2005, elle saisit les
prud’hommes pour contester. S’en suit un combat
de longue haleine. « Le premier jugement m’a donné
raison, mais la clinique a renvoyé trois fois le jugement
en appel. Ce n’est que sept ans après que la clinique
a été condamnée et l’affaire classée, se souvient
Martine. On est bien loin de notre délai moyen de
deux ans », reconnaît Marie-José Couzi.
« Guerre de droit, guerre de nerf »Nadège, elle, n’a pas été aussi courageuse. « L’avo-
cate m’a prévenue que si je n’étais pas des plus moti-
vées, ils mettraient en cause ma crédibilité, explique
la jeune parisienne. « Plus qu’une guerre de droit,
c’est une guerre de nerfs. Je ne me sentais pas de la
mener. J’étais enceinte ». Joséphine Soumah, la
syndicaliste, résume : « Il faut oser défendre ses
droits sans craindre de ne pas retrouver de boulot. »
L’incertitude semble aussi atteindre les défen-
seurs des droits. « Le renouvellement des conseillers
prud’homaux aurait dû se faire à la fin de l’année. Mais
comme les élections n’auront pas lieu, leur mandat
est prorogé pour deux ans supplémentaires, jusqu’en
décembre 2015 », s’inquiète Me Denjean.
* Le prénom a été modifié
L’affaire du flash-ball part en Cassation
Le non-lieu a été prononcé dans le dossier Joan Celsis. Mais la victime et ses avocats ne comp-tent pas en rester là. I Matthieu Stricot
« J’épuiserai tous les recours jusqu’à la Cour européen-
ne des droits de l’homme », assure Joan Celsis. Le
jeune homme vient de se faire débouter en appel.
« Les juges de la cour d’appel de Toulouse ont affirmé
ne pas avoir assez d’éléments pour déterminer qui
était le tireur », ajoute-t-il. Le 19 mars 2009, Joan
Celsis participait à une manifestation étudiante
en ville, quand il a reçu une balle de flash-ball au
niveau de son œil droit.
Depuis, il ne voit plus de cet œil. Pour Joan Celsis,
l’instruction n’aurait pas été menée de manière ef-
ficace : « Les policiers ont menti lors de leur interroga-
toire par l’Inspection générale de la Police nationale.
Ils avaient affirmé qu’ils n’étaient que trois au moment
des faits. Or j’ai pu prouver qu’ils étaient quatre. Les
policiers sont revenus sur leur déclaration mais n’ont
pas été réentendus par l’IGPN », déplore-t-il.
Pas de reconstitutionAutre point noir : il n’y a pas eu de reconstitution
des faits : « Nous avions la position des tireurs sur les
photos, et je savais où je me trouvais. » Son avocat,
Julien Brel, mettra en avant ces deux manquements
devant la Cour de cassation, chargée d’examiner le
bon déroulement de la procédure judiciaire.
Si le non-lieu est confirmé, direction la CEDH :
« Elle vérifie que l’État s’est donné les moyens de
retrouver la vérité. Nous verrons si nous sommes mieux
écoutés là-bas », déclare l’avocat. Parallèlement,
Joan Celsis prévoit de « lancer une procédure au
tribunal administratif, car cette affaire met en cause
des officiers de l’État ».
Les magistrats regrettent un manque manifeste de moyens dans l’exercice de leur fonction.
CR
DR
Mardi 26 mars 2013
LA TRIBUNE DU PALAIS
International I 5
Procédures d’extradition en 2013
Cré
dit :
Rém
i Khe
lif
Régie par la loi du 10 mars 1927 et par
de nombreux traités internationaux,
l’extradition est la remise par un État
(l’État requis) d’un individu qui se trouve sur
son territoire à un autre État (l’État requérant)
qui recherche cet individu afin de le juger pour
une infraction qu’il aurait commise, ou lui faire
purger une condamnation que ses tribunaux
ont déjà prononcée à son encontre.
Le dernier exemple en date concerne Djor-
dje Prelic, ce supporter du Partizan Belgrade
condamné à quinze ans de prison en Serbie
pour le meurtre du Toulousain Brice Taton en
2009. Prelic avait pris la fuite suite à cette
condamnation, mais le 28 février il a été re-
trouvé en Espagne. Une procédure d’extradi-
tion a été faite pour que Prelic purge sa peine.
Une demande d’extradition doit obligatoire-
ment répondre à trois critères. Il faut que l’in-
fraction ait été réalisée soit sur le territoire de
l’État requérant par un ressortissant de cet
État ou alors par un étranger; soit hors de son
territoire par un ressortissant de cet État ; soit
en dehors de son territoire par une personne
qui est totalement étrangère à cet État. Mais
chaque extradition varie en fonction de la lé-
gislation du pays.
Dès le départ, le mineur isolé étranger (MIE)
est suspecté de ne pas être un enfant. La
raison ? Parmi eux, une poignée mentent sur
leur âge. Ils sont en fait majeurs. « Et au nom de
cette fraude, se révolte l’avocat toulousain Jean-
Baptiste De Boyer Montegut, on affranchit les
droits de ces mineurs ! »
La majorité de ces MIE arrivent ici en possession
d’un document civil. Mais, même avec cela,
« leur minorité est presque quasi systématiquement
remise en cause, déplore Pierre Grenier, délégué
de l’association Cimade Sud-ouest. Pourtant,
d’après l’article 47 du code civil, tout acte d’état
civil étranger est valable en France jusqu’à
démontrer le contraire. Donc, théoriquement, l’État
devrait les prendre en charge mais c’est rarement
le cas ».
Pour déterminer son âge, une expertise
osseuse est demandée. Sans consentement,
ni explication, l’examen est pratiqué sur le
présumé enfant. Le résultat est ensuite analysé
à partir d’une table de référence. « Ce tableau
est obsolète, souligne Me De Boyer Montegut, il
a été établi dans la première moitié du XXe siècle. »
Le défenseur des droits ainsi que des magistrats
contestent cet acte, comme l’explique Odile
Barral, juge des enfants de 1999 à 2005 et
actuel juge d’instance au tribunal d’Albi : « Cet
examen a une marge d’erreur d’au moins 18 mois.
Il est inutile surtout sur des jeunes qui disent avoir
17 ans. »
Les MIE, une charge financière ?Depuis la loi de 2007, les départements gèrent la
protection de l’enfance. Ils ont donc l’obligation
d’accueillir les MIE au sein d’un foyer social.
Cependant, certains refusent. Car « ils n’ont pas
d’argent, explique Pierre Grenier. Mais, ce n’est
pas aux MIE de payer ce manque de moyen. Ce sont
avant tout des enfants ! ».
Toutefois, la justice peut imposer leur prise en
charge. « Je l’ai fait, confie le juge Barral. Cela
engendre de gros conflits entre le juge et le président
du Conseil général. Et parfois, le département fait
ensuite appel. » L’enfant devient otage de cette
situation. « À Bordeaux, vous avez 20 MIE dans
la rue, car tout le monde refuse de les protéger ! »
s’insurge Pierre Grenier. Le gouvernement
travaille sur ce sujet. « Cela va certainement
déboucher sur une circulaire, dit Odile Barral.
Pour l’instant, on ne sait pas si cela va aller dans le
bon sens ou non. »
Le procès opposant l’association française
Les Amis du peuple de Méditerranée à Israël
n’a pas fait grand bruit. C’est dans une petite
salle d’audience du TGI de Paris que l’État d’Is-
raël a comparu mercredi pour actes de piraterie
dans les eaux internationales, sur le « Dignité-
Karama », seul navire français sur les neuf ba-
teaux de la Flottille internationale pour Gaza.
Intercepté par un commando israélien le 19
juillet 2011, à quarante kilomètres de Gaza,
le bateau est arraisonné jusqu’au port d’As-
hdod. Les seize militants à bord sont soumis à
des interrogatoires et placés dans des camps de
rétention, parfois plus de vingt-quatre heures,
avant d’être rapatriés dans leur pays d’origine.
Ils décident de porter plainte le 7 juin 2012,
un an après que la plainte déposée par l’Asso-
ciation France Palestine Solidarité a été classée
sans suite.
Me Roland Weyl, l’avocat de l’association, de-
mande à Israël « de rendre le navire et d’indem-
niser l’association pour le préjudice que cela lui a
causé ».
De leur côté, Me Eskenazi et Me Bernard Grelon
défendent qu’Israël « protège ses intérêts ». Ils
s’opposent aux articles du code civil français, de
la Charte des Nations unies et de la Convention
de la mer qui prévoient la liberté de navigation
de tous les États en haute mer, et font valoir « un
principe de droit coutumier » appelé l’immunité
de juridiction. D’après ce principe, l’affaire de-
vraient être jugée par des tribunaux israéliens.
La décision du tribunal ne sera pas rendue avant
le 15 mai. Pourtant le procureur de la Républi-
que a soutenu le principe d’immunité d’Israël,
affirmant qu’il entrait dans les compétences du
pays de défendre ses intérêts. Mais pour Roland
Weyl « si un État peut faire n’importe quoi, n’impor-
te où, dès lors qu’il défend ses intérêts, cela signifie
qu’il n’y a plus de droit international ».
L’État d’Israël comparaissait la semaine dernière devant le tribunal de grande instance de Paris pour actes de piraterie contre l’opération huma-nitaire menée à bord de la Flottille pour Gaza, en juillet 2011. Le délibéré est attendu le 15 mai. I Audrey Destouches
Mineurs isolés étrangers : une protection en permanence contestéeChaque année, des centaines de mineurs isolés étrangers (MIE) arri-vent chez nous. Une fois en France, ces jeunes devraient être pris en charge, mais l’accès à cette protection est un véritable parcours du combattant. I Pauline Maisterra
Le navire français transportait 16 militants français, canadiens, suédois et grecs ainsi qu’une
journaliste du quotidien israélien de gauche Haaretz et une équipe de la chaîne de télévision
qatarie Al-Jazira. Les neuf autres bateaux qui composaient la flottille, avec à leur bord 300
militants venus de 22 pays pour rompre le blocus imposé par Israël, n’ont pas été autorisés
à quitter la Grèce. Athènes a justifié cette interdiction par la « sécurité des militants », après
l’assaut de la marine israélienne sur une précédente flottille pour Gaza, qui avait provoqué la
mort de neuf Turcs, le 31 mai 2010.
Flottilles : Paris assigne Israël en justice
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LA TRIBUNE DU PALAIS
6 I Dossier Mardi 26 mars 2013
Quel est le but de la conférence de consensus sur
la prévention de la récidive ?
Ce qui est un peu nouveau dans ce processus, c’est
d’essayer d’associer le plus de monde possible
dans un souci de légitimité et de pédagogie. Au
lieu d’activer des clivages classiques, à savoir être
plus ou moins répressif, on a essayé de se poser
la question : « Qu’est-ce qui ne marche pas dans
le domaine de la prévention de la récidive ? », on
s’est posé la question de l’efficacité dans l’in-
térêt de la société. Au-delà du rapport, c’est le
processus qui est important. Il a pour objectif
de rassembler toutes les données existantes sur
la récidive. On recherche toutes les informations
objectives, scientifiques et validées qui permettent
d’éclairer le débat. Le deuxième objectif est de
construire un socle de connaissances commun
suffisamment large pour construire un consensus
sur lequel peut s’appuyer une politique publique.
On part de l’idée qu’aucune politique ne peut être
pérenne si elle ne s’appuie pas sur un consensus
suffisamment large.
Concrètement, comment s’est déroulée cette
conférence de consensus ?
La ministre de la Justice a lancé le processus et
elle a désigné un comité d’organisation composé
de magistrats, de chercheurs français et étrangers,
d’élus locaux, de policiers, de fonctionnaires de
l’administration pénitentiaire et de représentants
du monde associatif.
La mission de ce comité d’organisation était de faire
une synthèse bibliographique de tout ce qui exis-
tait sur le sujet. On a tra-
vaillé en quatre mois alors
qu’habituellement c’est
plutôt en un an. Dans la
phase préparatoire, nous
avons aussi entendu 70
organisations profession-
nelles syndicales et asso-
ciatives qui sont concer-
nées. Ensuite le comité
a organisé une audition
publique de deux jours.
Les experts entendus
n’étaient pas seulement
des scientifiques, mais
aussi des professionnels du champ et des gens
concernés, comme des victimes et des détenus.
On a demandé à toutes ces personnes de produire
une contribution écrite et on leur a demandé de
faire une intervention assez courte de dix à quinze
minutes. Le jury avait ensuite dix minutes pour
leur poser des questions. Le comité a désigné
ce jury, composé de spécialistes du champ et de
non-spécialistes. Il s’est ensuite enfermé pendant
deux jours pour produire le rapport final.
Que préconise le rapport ?
Plus les délits sont graves, moins il y a de récidive.
Il y a beaucoup de présupposés dans ce domaine,
par exemple, l’idée assez largement répandue que
plus on est répressif, plus on prévient la récidive.
Cette idée n’est pas confirmée par les connais-
sances scientifiques dont nous disposons. Malgré
cette avalanche de lois qui se sont succédé à un
rythme un peu infernal, on n’a
pas forcément été très efficaces
dans le domaine de la prévention
de la récidive. On a parlé de la
question des sorties sèches, on a
fait le constat que 80 % des gens
qui sortent de prison en sortent
sans aménagement, sans suivi,
sans accompagnement et cela
favorise forcément la récidive. On
a aussi mis le doigt sur des dis-
positions qui sont assez contra-
dictoires avec l’objectif qu’on se
fixe. La loi est plus sévère pour
les récidivistes, elle limite leurs
possibilités d’avoir des aména-
gements de peine. Plus les gens sont fragiles au
regard de la récidive, moins ils bénéficient des
dispositifs qui sont au contraire très protecteurs.
S’il y a un point sur lequel les données scientifiques
sont extrêmement so-
lides, c’est la libéra-
tion conditionnelle.
Moins le temps qu’ils
passent en prison est
long par rapport à la
peine prononcée,
moins ils récidivent.
C’est une idée sou-
vent difficile à faire
comprendre mais les
données françaises
et étrangères sont
totalement concor-
dantes. Cela revient
à dire qu’il faut absolument favoriser la libéra-
tion conditionnelle quelle que soit la durée de la
peine. Finalement, on a mis sur la table un certain
nombre de choses que beaucoup de spécialistes
connaissent, mais dont ils ne tirent pas forcément
les conséquences.
Comment pensez-vous que la peine de probation
et la dépénalisation de certains délits seront
accueillies par l’opinion publique ?
Les mesures en milieu ouvert sont souvent consi-
dérées en France comme une faveur pour les
condamnés. L’opinion publique est beaucoup plus
indécise que ce que l’on croit. Elle est bien souvent
interrogée juste après un événement médiatique
particulièrement important, donc à chaud, ce qui
n’a pas grand sens.
Dans l’imaginaire collectif, la prison existe comme
une solution qui paraît évidente et, en même temps,
dans les sondages, une grande majorité d’indivi-
dus reste sceptiques à l’égard de l’efficacité de
la prison. C’est très contradictoire. Il y a déjà un
certain nombre de peines en milieu ouvert telles
que le travail d’intérêt général et le sursis avec mise
à l’épreuve. On ne part pas de rien. Le problème
c’est comment rendre ces sanctions suffisam-
ment crédibles ? Comment démontrer que c’est
efficace ? On a un certain nombre de données
qui nous démontrent que c’est efficace, en tout
cas, que ça l’est plus que les courtes peines de
prison. L’enjeu, ce sont les courtes peines, parce
que 80% des gens qui rentrent en prison vont y
rester moins d’un an.
Le mot dépénalisation fait toujours un peu peur
dans notre pays. Je donne un seul exemple, qui
est un exemple ancien, celui des chèques sans
provision. Les chèques sans provision, c’était un
délit, on avait des audiences entières de chèques
sans provision. Comme le nombre augmentait,
on a aggravé les sanctions. Finalement, il y a eu
un certain nombre de rapports et, en 1991, on a
dépénalisé le chèque sans provision. Aujourd’hui,
la sanction vient de la Banque de France et son
contrôle est extrêmement efficace. La personne
est sanctionnée sans passer par le pénal. Il peut y
avoir des sanctions très efficaces qui ne sont pas
des sanctions pénales. Une justice engorgée ne peut
pas tout traiter. Est-ce qu’il ne faut pas mieux que
la justice se concentre sur les délits qui nécessitent
véritablement une sanction pénale individualisée
et qui prévienne la récidive ?
Vous êtes-vous intéressés au problème que pose
la délinquance des mineurs ?
Ce n’est pas là qu’il y a un problème, il y a des
problèmes partout ! Quand on prévient la réci-
dive, on prévient la délinquance. La conférence
de consensus ne concerne pas les mineurs. On
s’est intéressé un peu aux mineurs dans le cadre
de la transition « mineur-majeur ». Mais ce n’était
pas dans notre lettre de mission de s’intéresser
aux mineurs. On ne prétend pas du tout avoir fait
le tour de l’ensemble des problèmes. C’est une
contribution, une manière de poser les problèmes
de façon apaisée, en essayant d’éclairer le débat
à partir de données indiscutables.
« Prévenir la récidive, c’est prévenir la délinquance »Fraîchement nommée au Conseil constitutionnel, Nicole Maestracci a présidé le comité de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive. Une première en France. I Audrey Destouches
La récidive : et en Europe ?En Allemagne, la récidive est prise en compte par le juge, mais n’est
pas un concept juridique. Le juge tient compte des antécédents.
Il peut également ordonner des mesures de sûreté (maintien en
détention après l’exécution de la peine d’emprisonnement par
exemple) pour les infractions les plus graves.
En Italie et en Espagne, des règles détaillées pour l’ensemble des
situations de récidive ont été prévues. Par exemple, un condamné
italien qui commet une nouvelle fois la même infraction peut voir
la peine s’alourdir d’un tiers.
Au Royaume-Uni, le juge peut se voir contraint d’appliquer une peine
plancher prévue par le législateur dans certains cas de récidive.
Le gouvernement récidive !
Un décalage. Alors que les trois quarts des Français
sont favorables aux peines plancher et jugent les
aménagements et alternatives à l’enfermement
trop importants, selon une récente étude CSA
pour l’Institut de la justice, les conclusions de la
conférence de consensus sur la prévention de la
récidive pointent les limites du tout carcéral.
Quitte à prendre ce qui marche à l’étranger, comme
les programmes de probation canadiens, et déjà
en partie chez nous, libérations conditionnelles
et autres préparations à la sortie réduisant gran-
dement les risques de rechute.
D’un point de vue financier comme logistique,
l’administration y gagne : moins de détenus à 85
euros par jour en maison d’arrêt – 196 en longue
peine – et moins de contacts dans des prisons
qui dégueulent.
Aux victimes qui craignent qu’un meurtrier ou un
voleur ne recommence, il est possible d’arguer que
les condamnés aux longues peines sont ceux qui
récidivent le moins. Bien sûr, il n’est pas certain
qu’une formation obligatoire dissuade le mineur
délinquant d’arracher à nouveau le sac à main de
la grand-mère qui marche à côté, et la situation ca-
nadienne est autrement plus sereine qu’en France.
Nous pouvons aussi légitimement nous demander
si c’est à l’État de prendre en charge ce qui devrait
être du ressort de la responsabilité individuelle ou
parentale. Mais puisque Nicolas Sarkozy s’est,
comme ses prédécesseurs, cassé les dents sur la
récidive, avec sept lois votées en cinq ans, autant
prendre le risque du changement de cap. Dire à
l’opinion publique qu’elle peut avoir tort, c’est
aussi une forme de courage politique.
Amaury BARADON
La moitié environ des personnes condamnées
à des peines de un à deux ans ferme sont
des délinquants sexuels et des récidivistes
selon la chancellerie. Les condamnés à des peines
de un à deux ans de prison ferme représentent un
enjeu symbolique fort, car ils constituent le noyau
dur de la délinquance.
Le taux de « récidive légale » est passé de 3,9 % en
2006 à 6 % en 2010 pour les crimes, et de
7 % à 11,1 % pour les délits.
D’autres points sont sans doute encore plus cli-
vants. Ainsi, l’automatisation de la liberté condi-
tionnelle s’est attirée les foudres d’une partie des
professionnels de la justice. Là encore, les études
semblent accablantes : 63 % des personnes ayant
fait l’objet d’une sortie sèche font l’objet d’une
recondamnation, contre 39 % pour ceux ayant
bénéficié d’une mesure de liberté conditionnelle
(les condamnés en liberté conditionnelle avaient
néanmoins déjà été sélectionnés par l’autorité
judiciaire).
Selon le comité d’organisation de la conférence
de consensus, les petites peines seraient majori-
tairement touchées par la récidive. En revanche, le
taux de récidive de personnes condamnées à des
peines criminelles ne dépasserait pas 0,6 %.
Toujours plus derécidivistes
32 000€annuels par détenu
Le comité d’organisation de la conférence de
consensus a calculé qu’un détenu coûte en moyenne
à la société 32 000 euros par an.
Avec de fortes disparités : le coût de journée dans
une maison d’arrêt s’établissait en 2011 à 85,44
euros, dans un centre de détention à 98,08 euros,
dans un centre pénitentiaire à 96,01 euros et dans
une maison centrale, à 196,14 euros.
Peines plancher, rétention de sureté… Les lois antirécidive se sont multipliées ces dernières an-nées. Pourtant, les cas de récidi-ves ne cessent d’augmenter. C’est ce que révèle le dernier rapport de la chancellerie. I Gwladys Bonnassie
Humeur
Nicole Maestracci a été nommé au Conseil constitutionnel le 14 mars.
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Mardi 26 mars 2013 Dossier I 7
Hors les mursIncarcérer quand c’est nécessaire. Aménager les peines chaque fois que c’est possible et développer les peines non privatives de liberté… Et si l’on inventait une nouvelle sanction, destinée à devenir la peine de référence en lieu et place de l’incarcération ? La proposition, évoquée lors de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive, a été débattue et porte déjà son nom : la peine de probation ou « contrainte pénale communautaire ». Une sanction où le condamné serait contraint à un suivi individualisé, des évaluations, des contrôles réguliers… en dehors des murs de la prison. I Robin Panfili
« Plus la liberté est préparée, plus elle a de chances d’être solide »
> Une peine individualiséeSous le contrôle du service pénitentiaire de probation
et d’insertion (SPIP), un plan d’exécution à suivre et
des objectifs seront fixés par le juge d’application des
peines, au cas par cas, en tenant compte des profils et
des personnalités des condamnés. Une « individuali-
sation de la peine » qui prévoit aussi des vecteurs de
réparation du préjudice, à l’image des travaux d’intérêt
général, mais aussi des mesures susceptibles d’aider le
condamné à modifier le comportement à l’origine du
délit (injonction thérapeutique, stages de sensibilisation
à la sécurité routière ou de citoyenneté…). Pour assurer
un contrôle régulier, la peine pourrait aussi être assortie
d’une mesure de surveillance électronique. Pour les
syndicats d’officiers de police, la probation « n’est
pas une sanction adaptée à la situation actuelle et à
la violence actuelle. On est dans le déni du réel, dans
le dogmatisme », a déploré Patrice Ribeiro, secrétaire
général de Synergie (2e syndicat d’officiers).
> Vers une justice réparatriceLa peine de probation introduit une nouvelle modalité
dans la sanction : le dialogue entre l’auteur d’une in-
fraction et sa victime. Une directive européenne du 25
octobre 2012 faisait référence à cette médiation, vouée
à resocialiser le délinquant et l’inciter à reconnaître ses
actes. La notion de justice réparatrice pourrait donc
constituer l’une des pierres angulaires de cette nouvelle
sanction en vue de rétablir la paix sociale entre les
délinquants et leurs victimes.
> Jugement en cas de non-respect des rè-gles de probationNulle souplesse ne sera accordée au condamné en cas
de manquement aux règles de probation fixées par le
juge d’application des peines. Par mesure de fermeté,
s’il constate que la peine n’est pas conformément ef-
fectuée au regard des dispositions fixées initialement,le
juge pourra soit renforcer le contrôle, soit conduire à
l’incarcération pour une durée équivalente à celle prévue
par le code pénal pour la répression du délit initial.
> Clarifier les décisions de justiceEn se substituant aux nombreuses sanctions prévues
dans l’arsenal législatif français, la probation pourrait
représenter au moins la moitié des condamnations pro-
noncées pour les délits. La prison serait alors « réservée »
aux crimes et aux délits avec récidive. Aujourd’hui, la
seule peine probatoire en France est le sursis avec mise
à l’épreuve. Le projet de loi entend distinguer deux
grands types de sanctions : l’emprisonnement et la
probation. Mais pour l’Union syndicale des Magistrats
(majoritaire), il ne présente « rien de neuf » sinon des
« lieux communs ».
> Une volonté européenneSi la peine de probation a fait son chemin dans certains
pays européens, la France est à la traîne. Notamment
aux yeux des instances européennes qui ont souligné
le potentiel d’intégration de ce type de sanction. En
2006, une première recommandation du Conseil de
l’Europe demandait aux pays membres de ne placer
en détention les délinquants qu’en dernier recours et
de leur infliger une peine dans la société, et non pas
en prison. En 2010, l’adoption d’une recommandation
du Conseil de l’Europe a accéléré le mouvement. Les
Etats étaient alors incités à proposer aux condamnés
« une série d’activités et d’interventions qui impliquent
suivi, conseil et assistance dans le but de [les] réintégrer
socialement dans la société et contribuer à la sécurité
collective ».
> La probation avant l’heure
Sur le papier tout est prêt. Et c’est
à l’initiative de l’association « Les
Prisons du Coeur » - fondée par
l’ancien détenu Pierre Botton -
que un centre de probation flam-
bant neuf pourrait sortir de terre.
Ne reste plus que les dernières
autorisations et l’ultime feu vert
du gouvernement. Le centre sera
réservé aux condamnés dont les
peines n’excèdent pas cinq an-
nées.
Il fonctionnera comme « un
centre de semi-liberté inversé »,
explique Edith Bizot des Prisons
du Coeur. Les pensionnaires
dormiront chez eux, « pour
préserver les relations familiales
et un lien social », mais seraient
contraints pendant la journée
de suivre un emploi du temps
fixé par le juge d’application des
peines.
Au total, le centre pourrait ac-
cueillir une centaine de per-
sonnes. Sur place, environ de
deux-cents encadrants seront mobilisés : formateurs,
personnel médical et agents d’insertion et de probation.
« Un ratio de deux encadrants par personne accueil-
lie », se félicite t-elle. De nombreuses entreprises se
sont portées volontaires pour intégrer la structure. De
l’électronique au bâtiment, elles s’engagent à offrir de
vrais contrats de travail, à la différence des établissement
pénitentiaires français.
« Nous avons eu de très bons retours de la Chancel-
lerie », assure t-elle. D’autant que le projet s’inscrit
pleinement dans les débats de la récente conférence de
consensus mandatée par le gouvernement pour fixer des
orientations alternatives au « tout carcéral ».
Désormais, si le lieu d’implantation du centre reste
incertain, les plans de construction, eux, sont prêts.
(CR
Flic
kr)
Procureur de la République adjoint à Perpi-gnan, Philippe Laflaquière a exercé la fonc-tion de juge d’application des peines pendant dix-sept ans - dont dix consacrés aux longues peines du centre de détention de Muret. Liberté conditionnelle automatique, fin des peines plancher, probation : il revient sur les principales mesures proposés par la confé-rence de consensus. I Amaury Baradon
La création d’une peine de probation« Je ne connais pas bien cette nouvelle peine, mais je m’interroge sur
son utilité alors que nous avons déjà le sursis avec mise à l’épreuve.
Il existe déjà des mesures de médiation, d’injonction de soin, les
travaux d’intérêt général... Le parquet a le pouvoir de ne pas saisir
la juridiction et il y a déjà des alternatives à la poursuite. Les outils
que nous avons sont suffisants, je ne vois pas ce que cela apporte
de créer de nouvelles peines.
Si la probation se substitue au sursis simple, pourquoi pas, car celui-
ci est souvent vécu par les jeunes comme une non-condamnation.
Mais je ne sais pas si c’est une bonne chose de vouloir à tout prix
importer des procédures de pays étrangers, nous l’avons déjà fait
avec les travaux d’intérêt général, mais il faut être très prudent
lorsque cela arrive.
Et pour le doublement en trois ans des aménagements de peines,
c’est pour l’instant une déclaration de bonne intention, il faut que
l’ensemble puisse suivre. »
La fin des peines plancher et de la rétention de sûreté« La fin des peines plancher, c’est une très bonne chose. Il faut sup-
primer l’ensemble des dispositions obligatoires et automatiques et
faire confiance aux juges, ne pas limiter leur capacité d’appréciation.
Une peine doit être individuelle, les pleines plancher étaient contraires
à ce principe et n’avaient qu’un but répressif. Les peines maximales
qui existent sont déjà importantes, il est nécessaire de laisser aux
juges une marge suffisante.
Quant à la rétention de sûreté, il s’agissait d’une poursuite de l’in-
carcération et donc d’une atteinte très grave à la liberté, c’était une
nouvelle peine qui ne disait pas son nom.
Il vaut mieux faciliter la libération conditionnelle. L’appréciation de
la dangerosité est toujours délicate, elle peut déboucher sur des
risques de décisions non justifiées. »
La dépénalisation de certains délits (par exemple, rou-tiers)« On ne peut pas tout dépénaliser, il en va de la sécurité physique des
personnes. Même pour les délits routiers, on ne peut pas dépénaliser
les plus graves, induisant un comportement dangereux comme une
conduite en état d’ivresse ou des blessures involontaires.
Même s’il faut éviter l’engorgement des juridictions, la justice pénale,
ce n’est pas que de la gestion, elle a aussi un rôle de protection. »
La liberté conditionnelle automatique« Je suis pour un développement important de la liberté condition-
nelle, tout mon livre est un plaidoyer en sa faveur. Mais, encore une
fois, il faut être prudent et elle ne doit pas être automatique, il doit y
avoir une possibilité pour le juge de la refuser si tous les critères ne
sont pas réunis.Mais la liberté conditionnelle est un excellent outil
contre la récidive. Même si cela reste un ordre de grandeur, ceux qui
passent par là sont deux fois moins enclins à recommencer qu’en fin
de peine sèche. Il y a à la fois un encadrement et une assistance des
condamnés libérés, des mesures de contrôle et d’aide, une pression
et un accompagnement. Aujourd’hui, alors qu’il y a bien moins de
récidive pour les longues peines, l’accès à la liberté conditionnelle
est difficile, il faut passer par un très long parcours de procédure
qui fait que beaucoup y renoncent, même quand ils ne sont pas loin
de finir leur peine. »
Favoriser la présence du travail et du social en prison« Renforcer les liens familiaux, encourager le travail : Il y a effecti-
vement beaucoup à faire en prison en préparation de la sortie. Plus
la liberté est préparée, plus elle a de chances d’être solide. Pour
les courtes peines, la préparation de la sortie est beaucoup plus
difficile car on travaille dans l’urgence. Mais des aménagements
restent possibles. Globalement, cette conférence de consensus
touche des points intéressants. Maintenant, il faut que le Parlement
suive, notamment en ce qui concerne l’abrogation des textes les
plus nuisibles. »
LA TRIBUNE DU PALAIS
200720052004
LA TRIBUNE DU PALAIS
8 I Dossier Mardi 26 mars 2013
Instauration d’un fichier de criminels sexuels
Appelée Perben II, cette loi est relative à la lutte contre les formes nouvelles de délinquance et de criminalité. Elle comporte diverses notions, telles que le «plaider coupable», le « stage de citoyen-neté » et la création d’un fichier judiciaire auto-
matisé des auteurs d’infractions sexuelles.
Loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales
Visant à améliorer l’efficacité de la prévention de la récidive, cette loi définit les objectifs de réinsertion
et de prévention de la peine et en augmentant la durée des emprisonnements. Elle introduit aussi le placement sous surveillance électronique mobile.
Mise en placedes peines plancher
Cette loi intaure des peines minimales en cas de récidive, dites « peines plancher ». Elle propose entre autre, d’exclure l’excuse de minorité pour
les récidivistes de plus de 16 ans et l’injonction de soins pour les auteurs d’agressions sexuelles.
Le Canada, un modèle de justice?Ni l’inflation législative, ni les mesures sécuritaires voulues par le précédent Président ne sont parvenues à enrayer la récidive. En panne d’idées, la chancellerie pourrait bien adopter ce qui a marché à l’étranger, et plus par-ticulièrement au Canada. C’est en tout cas de ce système que s’inspirent fortement les mesures phare de la conférence de consensus. Amaury BARADON
Pour une fois, le modèle n’est pas scandinave,
mais canadien. L’idée de justice répara-
trice, par exemple, une médiation établie
entre les victimes et les délinquants, s’inspire
directement de ce qui se fait outre-Atlantique. Si
elle ne remplacent pas une incarcération, il n’en
va pas de même des programmes de probation,
sanctions qui s’ajoutent ou se substituent à une
peine de prison. Ainsi, au Canada, les prévenus
peuvent recevoir une probation simple ou accom-
pagnée d’une d’incarcération de moins de deux
ans. Dans tous les cas, la période de probation
maximale est de trois ans, durant laquelle l’in-
dividu est supervisé par un agent de probation.
Pour Franca Cortoni, professeure agrégée à l’École
de criminologie de l’université de Montréal, « les
recherches démontrent clairement qu’il est inutile
d’incarcérer toutes les personnes qui ont commis une
infraction criminelle si le but est de gérer leur risque
de récidive. La probation est donc imposée lorsque
le délit est moins sérieux et que l’individu pose un
risque faible de récidive, risque qui est établi suite à
une évaluation complète de l’individu ».
Des outils de mesure de la récidiveDes instruments précis d’évaluation du risque de ré-
cidive, également évoqués lors de notre conférence
de consensus, sont utilisés au Canada depuis près
de trente ans. Contrairement à ce que l’on pourrait
croire, il ne s’agit pas que d’algorithmes mathémati-
ques. « Le mythe qui existait dans les premières années,
et qui persiste dans d’autres pays, était que l’évaluation
du risque relevait simplement d’une cote numérique.
Or ceci est faux », reprend Franca Cortoni. Pour
évaluer le risque et déterminer les interven-
tions qui aideraient à le réduire (éducation et
formation, interventions thérapeutiques, sur-
veillance...), de nombreux éléments sont ainsi
examinés : historique familial, sexuel, croyances,
distorsions cognitives, compétences sociales,
addictions, antécédents psychologiques, psychiatri-
ques et criminels, expressivité émotionnelle et maîtri-
se de soi... Des outils qui ont prouvé leur efficacité non
seulement au Canada mais aussi partout où ils sont
utilisés, pour la chercheuse en criminologie
comparée : « Toutes les recherches scientifiques
démontrent la supériorité de ces outils validés sur
les évaluations non structurées basées sur des modèles
traditionnels de psychopathologie, le ressenti ou
des facteurs considérés comme indicatifs de non-
récidive tels le remords ou la responsabilisation ».
Reste à savoir s’il sera possible d’adapter ces
conceptions nouvelles au modèle judiciaire
français.
Des aides sociales pour une réinsertion réussieLe rapport rendu en amont de la conférence de consensus l’as-sure : les droits sociaux sont un élément essentiel à la réinsertion d’un prisonnier. Pour réussir son retour dans la société, le détenu doit connaître ses droits. Une situation rare que les experts proposent de changer par la présence d’assistants de service social au sein des centres de détention. Lucie PAIMBLANC
La réinsertion et la récidive des anciens détenus
sont deux inquiétudes majeures des politi-
ques publiques. La neuvième recommandation
du jury de la conférence de consensus invoque «
la présence effective d’assistants de service social en
détention » afin que les détenus aient accès à leurs
droits sociaux dès leur sortie de prison. Les droits
sociaux seraient donc un facteur majeur d’une
réinsertion réussie.En effet, la récidive est fonction
de divers facteurs personnels, familiaux, économi-
ques, sociaux, géographiques, psychologiques,
psychiatriques, sanitaires, l’impact des addictions.
Jacques Ferry, président de l’antenne locale de
l’association des visiteurs de prison (ANVP), évo-
que son expérience. « Lors de mes visites en prison,
je suis amené à rencontrer beaucoup de détenus qui
viennent d’une catégorie sociale défavorisée. Certains
ont eu une enfance dure à vivre. Ils ont été battus, cer-
tains d’entre eux sont devenus accro à l’héroïne... ».
Travail et logement : deux critères fondamentaux de
l’insertion sociale. Pour aider les détenus à réinté-
grer la vie active, le jury du consensus préconise
« l’instauration de permanences régulières des services
publics dans les établissements pénitentiaires ». Le
problème complexe de la réinsertion doit donc être
abordé dès la détention. Claude Canac, de l’ANVP,
explique qu’à Seysses, tandis que les détenus
purgent de courtes peines (au maximum deux
ans), seulement 15 CPIP (conseillers pénitentiaires
d’insertion et de probation) s’occupent d’eux.
Des procédures compliquées« Les procédures administratives sont compliquées,
commence Claude Canac, certains détenus ne savent
pas écrire et ne savent pas à qui s’adresser. Ils sortent
de prison sans papier. La solution serait de recruter
plus de conseillers ».Les aides sociales à l’emploi et
au logement sont nombreuses mais elles nécessi-
tent du temps pour les obtenir ; d’où la nécessité
de commencer les démarches avant la sortie de
prison. En décembre 2012, l’association de politi-
que criminelle appliquée et de réinsertion sociale
pointait dans un rapport le caractère essentiel d’un
logement stable pour éloigner les anciens détenus
de la récidive. « Un accompagnement social et un
hébergement stable contribuaient à éloigner l’individu
de la commission de nouveaux délits ». Sur le plan de
l’emploi, le rapport de consensus estime que les
anciens détenus devraient pouvoir travailler dans
le secteur public. Situation impossible à l’heure
actuelle puisque ce secteur ne recrute personne qui
possède un casier judiciaire. Ancien fonctionnaire
en charge de la gestion du personnel, Claude Canac
prêche l’accueil de détenus en permission au sein
des structures administratives, « au même titre qu’il
existe des quotas pour les personnes handicapées ».
Le chemin semble encore long...
La politique de répression fait marche arrièreGrande offensive. Prochaine cible, l’abrogation de la peine plancher et de la rétention de sureté. Un soulagement pour les magistrats et une partie des forces de police. Nathan POAOUTETA
Le temps de la répression et le traitement quasi
industriel des détenus est peut être fini. Peine
plancher et rétention de sureté, des mesures adop-
tés sous le mandat de Nicolas Sarkozy.
La première était un symbole de la campagne
UMP de lutte contre la récidive, adoptée dès l’in-
tronisation de Nicolas Sarkozy en juillet 2007. La
deuxième, plus contextuelle, répondait au viol du
petit Enis par Francis Evrard : la loi Dati adoptée
en février 2008. Leur abrogation promise par
le gouvernement rassure la magistrature. Odile
Barral, représentante régionale du Syndicat de la
magistrature, y voit un retour attendu à l’individua-
lisation des peines. D’où une surchauffe du pénal.
Sans parler de la non-conformité avec les normes
européennes. Christophe Crépin, de l’Unsa-Police,
partage cet avis. Il décrit un cycle infernal créé
par ce type de mesure : « Les habitués de la multi-
récidive finissent à force par utiliser les failles de la
procédure pénale, et ça ne s’arrête plus », avoue-t-il.
Les résultats attendus ne sont pas là, la réci-
dive ne baisse pas. De plus, le personnel man-
que pour appliquer ces dispositions pénales.
Les peines planchers et la rétention de sureté
n’étaient pas une bonne chose pour la simple
raison que le législateur ne peut pas tout prévoir.
La réalité aura toujours plus d’imagination que
le législateur.
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Récidive : 6 lois en 8 ans
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Mardi 26 mars 2013
LA TRIBUNE DU PALAIS
Dossier I 9
Difficile d’évaluer la dangerosité d’un condamné en passe d’être remis en semi-liberté. C’est pourtant c’est la
mission confiée aux experts-psychiatres, souvent à la suite d’un unique rendez-vous, avec une personne qu’ils voient parfois pour la première fois. « Si un expert peut conclure qu’il est peu probable que le sujet récidive, le diagnostic est très délicat et il y a toujours un doute. Parfois, la dangerosité est certaine mais nous ne sommes pas Madame Soleil » tempère Daniel Ajzenberg, expert-psychia-tre auprès des tribunaux toulousains. La prise de conscience du mal fait à autrui ou encore l’intégration dans le tissu social sont à prendre en compte. Mais pour le docteur Ajzenberg, au-delà de la personnalité du sujet et de la gravité de son acte, il convient de ne pas oublier que chaque délit a une histoire : « Ce qui importe, ce n’est pas tant l’acte en lui-même que sa psychogénèse. Tout passage à l’acte marque une rupture avec le social et mérite donc un suivi approprié et in-dividualisé. Même pour un petit vol, il y aura sûrement une récidive tant qu’on ne se sera pas attaqué à la cause profonde, à la façon dont la transgression est née et s’est construite. Pour cela, il faut que le sujet soit d’accord, qu’il accepte de coopérer. »En somme, l’enfermement seul ne guérit
pas. Et un psy non plus, si on ne va le voir que pour la signature.
Améliorer le suiviLes médecins ne peuvent pas tout : la récidi-ve se produit dans des moments de ruptures qui n’incluent pas uniquement une rupture
psychologique, mais aussi sociale. D’ailleurs, le poids et le rôle des psychiatres est souvent mal compris lorsque politiques et médias évoquent le problème de la récidive. À cha-que fait divers marquant est votée unE loi qui fait appel aux psychiatres. Pour Brigitte Bec, psychologue-clinicienne au centre de
détention de Muret, « les soignants en milieu pénitentiaire, contrairement aux experts, n’ont pas comme objectif premier de prévenir cette récidive mais de s’attaquer à une pathologie. Même si cette conférence de consensus sem-ble avoir remis les choses à plat et qu’on peut imaginer qu’une personne qui va mieux sera moins encline à récidiver ».Dans tous les cas, difficile d’assurer un suivi suffisant lorsqu’il y a deux psychiatres pour 200 personnes en milieu carcéral. Si les dé-tenus sont relativement bien pris en charge à Toulouse, des services dédiés n’existent pas partout. En maison d’arrêt, les détenus rentrent et sortent, ils ne sont pas toujours en mesure de voir le psy. Et le problème reste toujours celui de la fin de peine sèche, où tout s’arrête brutalement. « Il faut aujourd’hui mettre l’accent sur le relais, qu’un patient puisse continuer à être suivi correctement à l’extérieur, poursuit Brigitte Bec. Les centres médico-psychologiques sont déjà saturés donc c’est très compliqué. Même pour les peines en milieu ouvert, les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation doivent gérer de 80 à 100 dossiers et ne peuvent pas s’occuper de tout le monde comme il faudrait. » Si la peine de probation est retenue, il faudra qu’elle s’accompagne d’une amélioration du suivi hors les murs.
« Ça me dit quelque chose, attendez que je vérifie ! », « Ah oui ! C’était
où ? Quand ? » Des phrases récurrentes au sujet du colloque organisé dans le but de proposer une refonte de la matrice pénale, notamment sur la récidive. Du côté des op-posants, les rangs sont maigres. L’Institut pour la justice, une association de victimes, justifie les mesures adoptées lors du mandat Sarkozy par une institutionnalisation de la souffrance. À savoir, une politique judiciaire favorisant l’indemnisation des victimes à outrance et un renforcement du droit pénal jugé « irrationnel ».
« L’illégalité est un métier »Mais la plupart de ceux qui, dans l’imagi-naire collectif, auraient pu être opposés aux conclusions du rapport s’en trouvent en fait soulagés. Christophe Crépin, représentant du syndicat Unsa Police, y trouve une note positive et concède que le « tout-incarcéra-tion » est une voie sans issue.De fait : « Il y a des habitués, des personnes
pour qui l’illégalité est un métier. » Le fonc-tionnement actuel de la justice produit un phénomène cyclique : délit, tribunal, prison, libération, délit, tribunal, prison... et ainsi de suite. Le rapport, s’il est voté par le Parle-ment, prévoit une sortie de cycle. Christophe Crépin se satisfait également du soutien de son ministre. Manuel Valls légitime l’action des forces de police et les policiers le lui rendent bien en soutenant les mesures du gouvernement. Les magistrats sont plutôt favorables aux conclusions du rapport. Ils dénoncent depuis longtemps l’instauration officieuse d’un barême qui systématise les peines, et conduit à des situations invrai-semblables. Françoise Passuello directrice du Savim à Toulouse, une association d’aide aux victimes, partage ce soulagement. Elle s’appuie sur la délinquance de « survie » qui reste occasionnelle. La répression aveugle est inutile pour la combattre. C’est le pas-sage en prison et le contact avec les autres détenus qui entraînent souvent la récidive. Par ailleurs, Françoise Passuello, assiste
régulièrement à des procès où les victimes sont elles-mêmes surprises par la gravité des sanctions. Autre exemple, les jurés po-pulaires. La mesure, testée a Toulouse, de-vait s’accompagner de condamnations plus sévères. Or la clémence a davantage guidé le juge citoyen que la vindicte populaire. La directrice du Savim conclut : « Les victimes ne souhaitent pas devenir des bourreaux. »
Qui dit application,dit aussi moyens appropriésOpposants et soutiens du rapport restent toutefois sceptiques sur les modalités de sa mise en œuvre. Constituer un jury pluriel et lui demander de rédiger un rapport de quarante pages, c’est une chose. Réfléchir aux moyens disponibles pour faire appliquer ses conclusions en est une autre. Les poli-ciers doutent, par exemple, de la capacité du gouvernement à débloquer rapidement un budget pour appliquer ces mesures. Ce ne serait pas la première fois qu’un rapport est enterré au lieu d’être entériné.
201120102008Création
de la rétention de sûretéCette mesure permet de retenir dans
des centres fermés des condamnés jugés particulièrement dangereux et qui ont été
condamnés à une peine supérieure à 15 ans. Elle ne sera applicable qu’en 2023.
Possibilité de castration chimique
Ce texte introduit la possibilité de «cas-tration chimique» d’un délinquant sexuel
récidiviste s’il en fait la demande. Elle renforce également le fichier national de
ces condamnés. Cette loi reste encore très peu appliquée à ce jour.
Mise en placedu bracelet électronique
Il s’agit de l’extension du port du brace-let électronique aux récidivistes ayant été
condamnés à une peine supérieure ou égale à cinq ans. On compte ainsi une série de
mesures visant à permettre l’adaptation des forces de l’ordre.
Surveiller et guérirLes psychiatres peuvent-ils prévenir la récidive d’un condamné ? Souvent pointés du doigt lorsqu’il y a rechute, la conférence de consensus s’est posé la question des soins dans et hors les murs, en essayant de définir ce que pouvaient les médecins, et ce qu’ils ne pouvait pas. I A. Baradon
La Maison du docteur Edwardes avec John Emery, Ingrid Bergman
Consensuel et rassembleurProbation et réinsertion. Deux mots qui résument la pensée du jury chargé de rédiger le rapport de la conférence de consensus sur la récidive. Cependant, beaucoup pointent un flou, celui qui entoure les moyens alloués en cas d’application de ces conclusions. I Nathan Poaouteta
« C’est le passage en prison et le contact avec les autres
détenus qui entraînent souvent la récidive. »
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Constitution : révision a minima
Christiane Taubira relance la guerre des juges
10 I Institutions Mardi 26 mars 2013
De l’inDépenDance Du parquet
La révision de la composition du Conseil supé-
rieur de la magistrature est une promesse de
campagne présidentielle. Le conseil est un arbi-
tre entre les pouvoirs politique et judiciaire lors
de conflits d’intérêts.
La réforme compte redonner la majorité aux ma-
gistrats au sein du conseil, et ne plus donner la
faculté de nomination au pouvoir exécutif mais à
des personnalités extérieures et indépendantes.
Un changement positif mais insuffisant pour la
magistrature. Pour Odile Barral, représentante
régionale du Syndicat de la magistrature, aligner
les statuts des magistrats du siège et ceux du
parquet permettrait une harmonisation et une
plus grande indépendance.
Composé actuellement de magistrats et de per-
sonnalités extérieures nommées par le pouvoir
exécutif, son indépendance est remise en ques-
tion par la Cour européenne des droits de l’hom-
me dans une décision rendue en 2008. Elle dé-
nie le statut d’autorité judiciaire aux magistrats
du parquet, leur indépendance au sens de la
Convention européenne des droits de l’homme
étant remise en cause.
Une décision confirmée et suivie par les juridic-
tions internes dans un arrêt de la cour de Cassa-
tion de 2010. De facto, la moitié de la magistra-
ture se retrouve en porte-à-faux avec les normes
européennes, et cela depuis cinq ans.
Du cumul Des manDats
Le projet de loi concerne les mandats des mi-
nistres et du chef de l’État. La révision devrait
entériner la règle tacite selon laquelle les minis-
tres ne peuvent exercer des fonctions exécutives
locales. C’est trop peu pour certains députés
socialistes, qui avaient réclamé, dans une tri-
bune publiée dans Le Monde du 27 février, que le
non-cumul des mandats locaux et nationaux soit
aussi la règle pour les parlementaires.
Autre disposition de ce projet de loi : la fin de
la nomination de droit et à vie des anciens
présidents de la République au Conseil consti-
tutionnel. Le gouvernement considère que « le
caractère juridictionnel s’est renforcé depuis trente
ans » dans cette institution et que « cette règle
est devenue inadéquate ».
Toutefois, cette mesure ne sera pas rétroactive.
Valéry Giscard d’Estaing, Jacques Chirac et
Nicolas Sarkozy pourront donc continuer à
siéger aux côtés des neufs sages.
De la Démocratie sociale
C’est sûrement le projet de loi le plus à gauche.
Le gouvernement veut inscrire dans la Consti-
tution le « dialogue social ». Il faudra, avant
chaque réforme du travail, de l’emploi ou de la
formation professionnelle, engager un dialogue
avec les partenaires sociaux.
Ce projet de loi fait écho à la conférence sociale
de juillet dernier et fait suite à l’accord national
interprofessionnel du 11 janvier 2013.
Il va permettre au gouvernement d’appuyer la
mise en place de la flexisécurité à la française.
Pour Najat Vallaud-Belkacem, ministre des
Droits des femmes et porte-parole du gouverne-
ment, il faut « installer, dans notre pays, un chan-
gement fondamental dans la reconnaissance de ce
que peut apporter le dialogue social ».
De la responsabilité
juriDictionnelle De l’exécutif
Même en matière de justice, François Hollande
se veut « normal ». Ce projet de loi constitution-
nelle prévoit la fin de l’immunité présidentielle
en matière civile. Le président conserve son
immunité pénale, mais pourra être attaqué en
matière civile.
Du côté du gouvernement, le projet de loi prévoit
la suppression de la Cour de justice de la Ré-
publique. Depuis 1993, cette juridiction pénale
traite des infractions commises par les ministres
en poste. Le gouvernement a fait savoir que cette
juridiction, « qui constitue un privilège, n’a plus de
raison d’être ».
Entre les jeux d’alliance et les difficultés économiques actuelles, le gouvernement semble avoir opté pour une révision de la Constitution a minima. Tour d’horizon des réformes attendues. Au total, quatre lois devraient être votées par le Parlement réuni en congrès cet été. I Nathan Poaouteta et Elouën Martin
La Constitution : kézaco ?Pour Bertrand Mathieu, président de la société française de droit constitutionnel, la Consti-
tution est « au sein d’un État démocratique, la règle qu’un peuple se donne à lui-même ». Le but :
organiser l’État. La Constitution contient deux types de normes. Celles qui permettent d’organi-
ser les institutions du pays, et celles qui garantissent les droits des citoyens.
La Constitution se situe au sommet de la pyramide des normes. Au-dessous, on trouve les
traités internationaux, les lois françaises puis les règlements et actes administratifs. Une norme
doit être conforme aux normes supérieures. C’est pour cela que la France peut être sanction-
née par les cours de justice européennes, comme dernièrement sur l’importation de tabac. Le
Conseil constitutionnel veille au respect de la Constitution. Il a par exemple retoqué l’imposition
des hauts revenus à 75 %.
L’initiative de la révision de la Constitution appartient soit aux parlementaires, soit au Président
de la République sur proposition du Premier ministre. Premier moyen : le référendum, comme
en 2000 pour le quinquennat. Autre moyen : faire voter la révision par le Parlement (députés et
sénateurs) en congrès.
La révision de la Constitution : un jeu politique
Pour parler de politique, on emploie souvent le terme d’« échiquier ». Un terme parlant quand il s’agit de réviser la Constitution. Les alliances entre partis sont indispensables.
Une trentaine de voix ! C’est ce qui manque
à la gauche française pour obtenir la
majorité des 3/5e du Parlement. Soit
555 parlementaires sur 925 au total. Les
socialistes, communistes, écologistes et
radicaux comptent 519 parlementaires.
Pour obtenir les voix nécessaires, la majorité
doit s’allier avec les autres mouvements.
L’UDI (Union des démocrates indépendants),
avec 62 membres, est particulièrement
convoitée.
En février, le Premier ministre Jean-Marc
Ayrault a consulté les chefs de partis. L’UMP
« ne votera aucune disposition, quelle qu’elle
soit », a-t-il annoncé.
François Hollande a quant à lui demandé
au gouvernement de trouver des alliés et
soutiens parmi les parlementaires pour
constituer la majorité des 3/5e.
Changements de fondUn jeu d’échecs politique qui réduit les
ambitions de l’exécutif. Pour Alain Vidalies,
ministre des relations avec le Parlement, « il
ne sert à rien de présenter des textes dont on
sait par avance qu’ils n’arriveront pas à réunir
cette majorité ».
Exit, donc, le droit de votes des étrangers,
la réforme du statut pénal du chef de l’État
et la suppression du mot « race » de l’article
premier de la Constitution.
Au final, la grande gagnante de ce jeu
politique semble être l’UDI. Elle a, pour la
première fois, l’occasion de peser sur la
politique nationale.
« Je préfère garder l’anonymat pour ne
pas m’attirer les foudres des commer-
çants avec lesquels je travaille tous
les jours. » Le magistrat du parquet interrogé est
prudent au moment d’aborder une question très
sensible, celle de l’échevinage. Ce principe, ré-
clamé avec force à l’automne 2012 par le Syndi-
cat de la magistrature, consiste à introduire des
magistrats professionnels au sein des tribunaux
de commerce.
Une requête à laquelle Christiane Taubira, la mi-
nistre de la Justice, a répondu le 5 mars dernier
en installant à la chancellerie les cinq groupes
de travail chargés de plancher sur la réforme
des tribunaux de commerce : « Nous ne devons
pas nous interdire de réfléchir et d’explorer toutes
les solutions ».
Risques de connivence
Les juges consulaires, qui siègent dans les tribu-
naux de commerce, sont des bénévoles nommés
par leurs pairs. C’est-à-dire des commerçants
et chefs d’entreprise, actifs ou retraités, qui ju-
gent les litiges d’autres commerçants et chefs
d’entreprise. « Les problèmes des entrepreneurs
doivent être jugés par des personnes qui viennent
elles-mêmes du monde de l’entreprise. Pas par des
magistrats du siège qui, parfois, ne savent même
pas lire un bilan », affirme Jacques Picard, ancien
chef d’entreprise dans l’automobile qui préside
le tribunal de commerce de Toulouse.
Une situation que dénoncent justement les ma-
gistrats professionnels. Ces derniers estiment
qu’être eux-mêmes intégrés au tissu économi-
que local fait peser un soupçon légitime sur les
juges consulaires : « C’est comme si nous, magis-
trats, jugions d’autres magistrats. Ils peuvent être
conduits à statuer sur la situation de leurs propres
concurrents », argue le magistrat du parquet.
Une « faiblesse » que les juges consulaires di-
sent compenser par une éthique irréprocha-
ble : « Quand un juge consulaire s’aperçoit qu’il
connaît une des parties en présence, il se dessaisit
immédiatement de l’affaire », indique Pascal Pi-
card.
Dans les faits, les magistrats professionnels sont
déjà présents dans les tribunaux de commerce
en la personne du procureur, chargé du réquisi-
toire. Le jugement final est toutefois rendu par
trois juges consulaires ; « Nous n’avons, de fait,
aucun pouvoir de décision », déplore le magistrat
du parquet. « Le procureur a l’arme suprême, celle
de faire appel. Dans ce cas, ce sont bien les ma-
gistrats professionnels qui auront le dernier mot »,
répond Jacques Picard. Le président se dit fa-
vorable à une réforme sur les petits tribunaux,
où les risques de connivence sont plus impor-
tants. Il prévient toutefois que si la loi proposée
à l’automne prochain prévoyait un échevinage
pur et dur, « nous démissionnerions ».
Les tentatives de 1985 et 2000 ont échoué
Le projet d’introduire des magistrats profession-
nels dans les tribunaux de commerce est porté
par la gauche depuis trente ans. Les tentatives
de 1985 et 2000 ont avorté face à la fronde des
juges consulaires. Et, malgré son soutien à l’ini-
tiative de Christiane Taubira, le magistrat du par-
quet est sceptique quant à sa réussite : « Cette
réforme aurait dû être portée dans les six premiers
mois du mandat présidentiel. Aujourd’hui, face à
la défiance croissante de l’opinion à son égard, le
gouvernement aura beaucoup de mal à faire plier
les juges consulaires. »
La garde des Sceaux veut réformer les tribunaux de commerce et n’exclut pas d’y introduire des juges professionnels. Une volonté récurrente des gouvernements de gauche qui s’est toujours heurtée à la fronde des commerçants. I Gabriel Haurillon
Les magistrats professionnels dénoncent le « soupçon légitime » qui pèse sur l’impartialité des tribunaux de
commerce.
Le Parlement devrait se réunir cet été à Versailles.
LA TRIBUNE DU PALAIS
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Vendredi 16 mars 2012
LA TRIBUNE DU PALAIS
Institutions I 11
Les avocats appellent à l’aideLa crise économique n’épargne personne, pas même la justice. Depuis plusieurs mois, ce sont les jeunes avocats qui en font les frais, la faute à un retard de paiement de l’aide juridictionnelle. Thomas Liabot
Une grève du barreau, voilà la menace
brandie par certains avocats français.
En cause, les retards de paiement liés à
l’aide juridictionnelle, cette prise en charge par
l’État des honoraires et frais de justice pour les
revenus les plus modestes. A Toulouse, comme
partout en France, il faut compter sur un délais
de trois à quatre mois avant que l’État verse ce
dédommagement aux « robes noires ». Une si-
tuation qui met en difficulté les jeunes avocats
principalement, qui travaillent en majorité avec
des populations aidées, et les justiciables les plus
modestes qui bénéficient de l’aide. « Une bonne
partie de ma clientèle a droit à l’AJ car j’exerce en
zone franche, en périphérie de la ville, explique Aimé
Diaka, avocat au Mirail à Toulouse. Le retard de
paiement de l’aide est considérable ici. »
P l u s i e u r s c o n s e i l s d e l ’ o rd re tirent la sonnette d’alarme Si, pour l’instant, les avocats toulousains patien-
tent, leurs confrères palois et limougeauds notam-
ment ont pris les devants. Le bâtonnier du barreau
de Limoges, Me Philippe Pastaud, explique que
l’État doit verser près de 450 000 euros d’arriérés
de factures au conseil de l’ordre de Haute-Vienne.
Situation similaire à Pau où une vingtaine de
cabinets se sont retrouvés en « grande difficulté »,
selon le journal Sud-Ouest.
Il a fallu attendre que le bâtonnier, Me Frédéric
Bellegarde, adresse un courrier au président de
la cour d’appel pour que l’État verse finalement
sa dotation au début du mois de mars. Beaucoup
d’autres villes n’ont pas eu la chance d’assister à
un tel dénouement.
Selon Philippe Pastaud, c’est l’État qui est en
difficulté, confronté à une réduction des dépenses
imposée par la crise : « Le problème ne vient pas
du ministère de la Justice mais de Bercy. » Face à la
multiplication des retards de paiement, les avo-
cats pensent déjà à une refondation du système
de l’aide juridictionnelle. En 2011, l’Etat a mis en
place une taxe permettant de rentabiliser un tant
soit peu l’AJ. Elle s’élève à 35 euros en première
instance et à 150 euros en appel.
Or la garde des Sceaux, Christiane Taubira, a
promis en novembre d’abroger cette taxe que
la gauche a toujours contestée, estimant qu’elle
dissuaderait les plus modestes d’aller devant la
justice. Il va donc falloir trouver une solution.
Selon Aimé Diaka, « il faut reformer l’aide juridic-
tionnelle en accélérant le traitement des dossiers
et, pour cela, augmenter par exemple le nombre de
greffiers ». Une idée qui se trouverait confrontée une
fois de plus au manque de moyens que déplorent
l’ensemble des acteurs judiciaires français. « Les
retards de paiement sont très problématiques en ce
qui concerne notre gestion comptable. Cela entraine
des problèmes de fonctionnement, on amortit avec
la masse des dossiers. »
Voilà qui ne devrait pas améliorer une autre
insuffisance de la justice française, la lenteur
procédurale.
L’aide juridictionnelle en France
Des tribunaux pas si bon enfantLes tribunaux correctionnels pour mineurs avaient été vivement critiqués lors de leur création. Depuis, pas de bilan, mais l’instance est appelée à disparaître. Elsa Mourgues
«On n’est pas sérieux quand on a 17ans »,
dit le poète. Le gouvernement pré-
cédent l’avait bien compris et a fait
le choix de la rupture en matière de justice pour
mineur. Un choix justifié, alors, par la lutte contre
la délinquance juvénile. La loi Mercier du 10 août
2011 avait pour objectifs d’accélérer le jugement
des mineurs récidivistes de plus de 16 ans, en les
présentant devant un tribunal correctionnel.
Des magistrats plutôt que des professionnels de la jeunesse Plus de rapidité, plus de sévérité, plus de solennité,
la recette s’applique depuis le 1er janvier 2012
dans les 154 tribunaux correctionnels pour
mineurs, installés dans les TGI. Mais l’ingrédient
perturbateur est la composition des jurés.
Auparavant, le juge pour enfants était accompagné
de deux professionnels de la jeunesse. Depuis la
réforme, ils ont cédé leur place à deux magistrats.
« Ils sont habilités et ont les compétences, bien sûr,
mais c’est nier la spécificité des mineurs », affirme
Me Karim Benamghar.
Cette spécificité existe depuis l’ordonnance de
1945. Ce texte fondateur donne la priorité aux
mesures éducatives, plutôt que répressives, pour
les mineurs délinquants.
D’où la présence de professionnels de la jeunesse.
« Le dialogue est différent, ils sont plus à l’écoute,
plus en prise aux discussions sur le parcours de vie
du mineur », soutient l’avocat toulousain. Autre
reproche, cette justice dérogatoire concerne
peu d’affaires. Pour passer devant un tribunal
correctionnel pour mineurs, plutôt que devant
un tribunal pour enfant, les conditions sont
strictes.
Le mineur doit avoir plus de 16 ans, être récidiviste
et encourir une peine égale ou supérieure à trois
ans. Comme 85 à 90 % d’entre eux ne récidivent
pas, à Toulouse, les audiences ont lieu tous les
deux mois et traitent peu d’affaires, d’après un
juge pour enfants.
Des juridictions vouées à disparaître « Mais, là où je suis critique, ajoute l’avocat, c’est sur
le fait que les textes n’ont pas changé. On a les mêmes
outils, il n’y a pas de réelle innovation. » Et il n’y en
aura pas. Ces juridictions vont disparaître. C’est ce
qu’a annoncé la ministre de la Justice, Christiane-
Taubira, peu après son entrée en fonction.
Me Karim Benamghar ne se réjouit pas pour autant,
« c’est une politique pénale qu’on ne peut pas criti-
quer, aucun bilan n’a été fait sur ces tribunaux. On ne
peut pas savoir si c’est une bonne chose ou pas dans
ces conditions. Pour avoir le temps de la réflexion, une
petite pause législative ne serait pas mal. »
Au TGI de Toulouse, le tribunal correctionnel pour mineurs tient une audience tous les deux mois.
« Le problème ne vient pas du ministère de la Justice mais de Bercy »
CR Elsa Mourgues
LA TRIBUNE DU PALAIS
Sud-Ouest : prisons modèles ?
Les prisons de la région font partie des bons
élèves. Loin des Beaumettes ou pire, des
prisons d’outre-mer, la région doit tout de
même faire face à une insalubrité relative, etsur-
tout, à la surpopulation.
Des prisons sales, mais pas insalubres« Les rats on en trouve partout, affirme Gérard Co-
mont, délégué syndical CGT-pénitentiaire, mais
cela n’a rien à voir avec avant, ni avec ce qu’on peut
trouver ailleurs. » A la prison Saint-Michel (31),
«c’était presque nos potes », rigole Pierre Montreuil,
syndicaliste de la SPS (Syndicat pénitentiaire des
surveillants).
Si l’insalubrité recule, les mesures sont loin de faire
l’unanimité. « L’administration a fait des progrès dans
le traitement des infections, assure Gérard Comont
mais tout est traité dans l’urgence, ils attendent les
problèmes pour les régler. »
Fin 2012, un nouveau cas de légionellose a été
diagnostiqué à Villeneuve-les-Maguelone (34).
Cette prison et celle de Nîmes (30) sont pointées
du doigt. « C’est sûr que ce ne sont pas les prisons
que l’on choisirait pour prouver que nos prisons sont
propres », euphémise Pierre Montreuil.
Mais l’État fait des efforts. Des prisons ont été
construites, d’autres rénovées, et celles trop in-
salubres ont été fermées. « On est dans le haut du
tableau pour le moment mais on en reparlera dans dix
ou quinze ans », prévient M. Comont, qui dénonce
Y a-t-il un problème de sous-effectif dans les
services pénitentiaires d’insertion et probation
(Spip) ?
Oui, totalement. Rendez-vous compte, il y a
68 000 personnes détenues en France et trois fois
plus qui ont des peines en extérieur. Les agents
des spip devraient traiter 60 à 70 « dossiers ».
Actuellement, en Midi-Pyrénées, c’est plutôt une
centaine par agent. Voire près du double par en-
droits. Et encore, on appelle cela «dossiers». En
fait, pour chaque justiciable, plusieurs mesures
peuvent être prises. Chacune de ces mesures, c’est
du travail en plus. Donc la charge de travail est
immense. On est en sous-effectif chronique et on
ne peut pas gérer comme il le faudrait la masse de
dossiers des justiciables. Imaginez qu’en plus du
personnel soit en arrêt maladie, en congé parental
ou autre. C’est catastrophique.
Vos conditions de travail ont-elles évoluées ?
Cela a toujours été plus ou moins comme ça. Mais,
depuis dix ans, c’est le «tout-répressif» qui domine.
Plus de feuilles de lois, c’est plus de répression.
Mais il n’y a pas plus de moyens pour que les
gens soient soigné ou éduqué. On ne peut pas
arrêter la délinquance comme ça. Quelqu’un qui
a un problème d’alcoolisme, il lui faut une place
Entretien avec M. Justal, secrétaire régional adjoint de l’UGSP-CGT, l’Union générale des syndicats pénitentiaires de la CGT. I Elsa Mourgues
la politique des partenariats public-privé systéma-
tiquement privilégiés. « A Béziers, à peine ouvert, ils
ont dû rénover le 3e étage. Dans quinze ans, c’est l’État
qui rachètera plein pot des prisons pourries.»
Avec un paradoxe supplémentaire : les fermetu-
res ne sont pas toujours bien acceptées. Par les
détenus comme par les surveillants. Pour les
détenus, c’est parfois plus coûteux d’être seul en
cellule. Ne serait-ce que pour la télévision ou les
cantines. Mais c’est surtout le fragile équilibre
des anciennes prisons à taille humaine qui est
regretté. « C’était bruyant, sale et surpeuplé, mais
on y trouvait une sorte d’osmose. On avait très peu
de sorties à l’hôpital. Maintenant, on ne fait plus que
ça, se désole Pierre Montreuil. Les centres sont
devenus des usines à incarcérer. Plus on met de gens,
plus il y a de problèmes. » Les deux nouveaux éta-
blissements pénitentiaires, Seysses et Béziers,
ont apporté l’espoir d’un changement. «Les dou-
ches dans les cellules, ça nous fait gagner un temps
précieux et cela évite beaucoup de conflits», assure
le délegué CGT.
Mais ce n’était qu’un sursis. L’extension de Mon-
tauban (82) n’a fait qu’absorber les détenus venus
de Cahors (46). Et ces ouvertures n’ont permis à
Perpignan de souffler qu’un temps.
Déjà les signaux reviennent au rouge. Plus on
construit de prisons, plus on y met de gens. « Dans
les années 1990, on nous a déjà fait le coup. Avec
13 000 places, la surpopulation carcérale devait
cesser. » C’est le système judiciaire français qui
est sur le banc des accusés. Conséquence : les
tensions s’accentuent. Contre les surveillants,
mais aussi entre détenus. Un climat électrique
dû aussi à une nouvelle génération de prisonniers
viscéralement opposés aux institutions.
L’évolution de la population carcéraleEntre les prisonniers du Languedoc et ceux de
Midi-Pyrénées, la différence est nette. « Ici, ils
crient un peu mais ça reste gérable, dans les prisons
du Languedoc, c’est autre chose. On le voit clairement
pendant les transferts », explique Gérard Comont. De
manière générale, les détenus sont moins respec-
tueux : l’insalubrité vient aussi de leur comporte-
ment. Dans les maisons d’arrêt où la population est
plus jeune, condamnée à des courtes peines ou en
attente de jugement, ils dégradent beaucoup plus.
Même dans les centres de détention, la
situation a évolué. « Les longues peines respectent
en général plus leur ”domicile”, car ils sont là pour
longtemps et ils ont demandé à être transféré », ex-
plique Pierre Montreuil.
Mais une mentalité nouvelle émerge chez les lon-
gues peines, qui crachent sur les institutions, et
du coup sur les locaux. «Les mecs tuent pour rien
mais ne font pas partie du grand banditisme, et quand
ils se retrouvent avec des vieux, ça se passe mal, se
désole Gérard Comont. Les conditions de détention
ne vont pas en s’améliorant. »
dans un centre. Sinon, on ne peut pas l’aider. Et
des places, il en manque. Alors, on nous donne
de plus en plus de personnes à gérer, de moins
en moins de personnel et il faudrait aller de plus
en plus vite. On n’a plus le temps de connaître la
personne, sa famille. On travaille sans arrêt sous
pression.
Sous pression ?
Oui. Déjà, la détresse en ressource humaine est
énorme. Et vous avez des demandes de rapports
de tous les côtés. Tout le monde veut se couvrir
et, nous, on est en bas de l’échelle. On nous fixe
des objectifs inatteignables. Notre hiérarchie a
des primes financières en fonction d’objectifs
définis au niveau national ou régional. Du coup, il
y a en permanence une pression de la hiérarchie
sur les agents.
Comment peut-on rendre le travail des Spip plus
efficace ?
On réclame un organigramme des Spip, pour pou-
voir recruter selon les besoins de chaque service.
Et il faut changer de politique globale. On ne peut
pas bâtir une société juste sur du répressif. La
justice doit être un espoir. Un espoir d’égalité et
d’impartialité. Ce n’est pas le cas aujourd’hui.
SPIP : Travailleurs sous pression constante
12 I Prisons Mardi 26 mars 2013
La maison d’arrêt de Seysses ouvre rarement ses portes. Lorsqu’ils y pénètrent, les visiteurs découvrent un lieu dont chaque recoin dessine les traits d’un autre monde : l’univers carcéral.I Pierre Géraudie
à Seysses, une vie à l’arrêt
à trois dans une cellule
Des rats par milliers, gros comme des caniches, des murs en lambeaux, et des prisonniers entassés. Les Beaumettes à Mar-seille symbolise à elle seule la déliquescence des prisons fran-çaises. Mais dans les 18 prisons gérées par l’administra-tion pénitentiaire depuis Tou-louse, la situation n’est pas aussi dramatique. I Jean-Mathieu Albertini
C’est court, quinze mètres, pour un parc
de promenade. A peine plus long qu’une
rame d’autobus. Guère plus étroit qu’une
largeur d’autoroute.
Pour l e s dé tenus de Seysses , c ’ es t
pour tant le bout d’un monde : le leur.
Celui qu’il convient d’appeler « univers carcéral »,
comme pour mieux signifier qu’il est en marge
de l’« autre » société. Celle qui ne cesse jamais
de grouiller de l’autre côté des murs de l’établis-
sement, celle d’où viennent et où retourneront la
plupart des détenus. Car, ici, ces derniers ne s’éter-
nisent guère. En attente de
jugement ou soumis à des
peines courtes, leur séjour ne dépasse jamais
les trois ans. Une période largement suffisante
pour s’acclimater, ou pas, à un monde carcéral
peu propice à l’évasion, au sens propre autant
que figuré.
Au cœur de la maison d’arrêt et de ses quatre
bâtiments, deux pour les hommes, un pour les fem-
mes et un pour les mineurs, grillages et barreaux
sont partout. En l’air. Sur les murs. Aux fenêtres.
Aucun des détenus n’y échappe. Et certains en
jouent : un bout de fil de fortune (du plastique
froissé) tendu entre deux barreaux de cellules, et
voici qu’un sac peut transiter entre deux fenêtres.
Un esprit de débrouillardise dont ne cessent de
s’étonner les gardiens, témoins quotidiens d’une
vie carcérale loin d’être de tout repos. Ici et là, les
murs résonnent des coups portés par les détenus
sur les parois, se faisant l’écho d’une violence qui
n’est jamais loin, gangrénant parfois l’intérieur
des cellules. Qui ne sont pas grandes, pourtant.
Dix mètres carrés à peine, dont la moitié pour se
mouvoir : lits, tables, et étagères prennent de la
place, en prison plus qu’ailleurs.
Surtout lorsque l’on partage sa cellule à deux, voire
à trois. Car Seysses est à l’image de la plupart des
prisons françaises : surpeuplée (800 pension-
naires pour 596 places), et il arrive parfois qu’un
prévenu pour petite délin-
quance partage la cellule
d’un multi-récidiviste, une cohabitation souvent
houleuse. Mais là où les détenus sont en surnom-
bre, les gardiens sont en sous-effectif.
Difficile dès lors d’assurer une sécurité permanente
dans cet environnement impitoyable. Pour ne l’avoir
que trop vécu, un surveillant de l’établissement
s’est donné la mort en octobre dernier, du haut
d’un des miradors.
De là, il apercevait pourtant l’une des images les
moins pénibles de la maison d’arrêt : les détenus
tournant en rond dans leur cour de promenade,
multipliant les tours comme pour mieux s’imaginer
repartir loin, là-bas. Derrière les frontières d’un
univers carcéral qui constitue un microcosme à
lui tout seul. Les étoiles en moins.
Mardi 26 mars 2013
LA TRIBUNE DU PALAIS
Prisons I 13
Monnaie d’échange et de trafic, les Médicaments au cœur des prisonsEn prison, les médicaments sont distribués assez largement. Détournés de leur fonction et objets de trafic, ils entraînent de nombreux conflits. Entre détenus, avec les médecins, mais aussi avec les surveillants, qui se plaignent de ne pas être mieux intégrés au processus de soin. I Tiphaine Le Liboux
«Je n’ai pas rencontré une seule déte-nue qui ne se défonçait pas aux mé-docs. » Brigitte Brami ex-détenue
a été incarcérée 6 mois à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis en 2008 et son constat ne semble pas exagéré.La camisole chimique, qui s’est toujours enfilée avec facilité en détention, est de plus en plus tendance. L’explication est à chercher dans la composition de la population carcé-rale française : plus accro et à cran. Le premier tiers des détenus est toxicomane, le deuxième alcoolique, selon une étude me-née par l’Inserm en 2004. Les pathologies mentales ont également augmenté. Crises d’angoisse, schizophrénie ou dépression sont vingt fois plus répandues que dans le reste de la société. Résultat : 30 à 50 % des détenus sont sous traitement médica-menteux.Mais attention prévient le Dr Walter Albardier, psychiatre au SMPR (service médico-psy-chologique régional) du centre de détention de Muret, « le temps où les détenus étaient surmédicamentés sous pression de l’admi-nistration pénitentiaire, est fini ». C’est même l’inverse qui se produit. « La pression vient des détenus. Ils cherchent à obtenir toujours plus de médicaments », poursuit le psychiatre.
Ordonnances surdosées« Les médecins sont clairement abusés », confirme Brigitte Brami. Elle se souvient de l’atmosphère de la salle d’attente où « la pression est aussi forte que dans un couloir de ly-cée le jour du bac ». Les détenues ont repassé leur mensonge. Et leur technique est bien rodée. « Les filles prétendent avoir besoin de 10 fois la dose légalement autorisée. Ça leur est refusé. Mais elles obtiennent des prescriptions bien supérieures à celles qu’elles avaient à l’ex-térieur ». Le but : en avoir plus que nécessaire pour en vendre. En prison, le médicament est l’une des principales monnaies d’échange. « Ils se troquent contre tout », raconte l’ex-
détenue. Cigarettes et café en tête mais aussi fringues et maquillage. Et celui qui vaut de l’or, c’est le Subutex. Viennent en-suite les anxiolytiques. Les antidépresseurs, « qui n’ont pas d’effet immédiat », sont moins côtés.Vendredi, midi. Les médicaments ont été distribués pour le week-end. « C’est exactement comme si on avait rempli notre porte-monnaie pour aller au marché », raconte Brigitte Brami. Les détenus ont caché les cachetons sous les aisselles, dans leur sexe. Direction la promenade. C’est dans la cour que le marché noir de la pharmacie se met en place. Les surveillants observent de loin. « Qui dit trafic dit pressions, voire racket », dénonce pourtant Christian Cola, surveillant
pénitentiaire (FO), depuis 2001, à Muret. Un racket qui reste « marginal », selon Brigitte Brami. « Les prisons sont tenues par des caïds
qui ont basé leur emprise sur l’estime plus que sur la peur », expl ique t -e l le. « Elles veulent que tout se passe bien alors elles font la police. » Si des conflits existent,
« c’est juste des disputes sans violence, des prises de tête qu’on retrouve dans n’importe quel business ».
Les surveillants évincés du médicalIl n’empêche, pour Christian Cola, qui a connu l’époque où les détenus devaient avaler leur médicament devant le surveillant, « ce trafic était impossible et c’était un problème de moins à gérer». Brigitte Brami relativise.
Selon elle, les surveillants « laissent faire ». Comme tout le monde dépend des médica-ments, « ce serait l’émeute, s’ils intervenaient ». Si les surveillants ne s’en mêlent pas, c’est peut-être aussi parce qu’on les a exclus de la partie soin. Depuis 1994, secret médical oblige, ils ne sont pas au courant des pathologies affectant les prisonniers, ni quels médi-caments leur sont prescrits. Le nombre de détenus souffrant de problèmes psy a beau augmenter, les surveillants n’ont toujours aucune formation pour apprendre à réagir face aux troubles du comporte-ment.« Un gars qui fait un malaise, on le met en PLS (position latérale de sécurité, ndlr), mais on est démuni face au schizophrène », résume Christian Cola. Cette méconnaissance est aussi responsable de tensions entre méde-cins et surveillants.Le docteur Albardier observe deux types de réactions chez les surveillants. « Cer-tains veulent que la peine de prison soit vécue comme une souffrance. Pour eux, être shooté aux médicaments revient à échapper à la réalité et donc à ne pas subir la peine. » Des matons comme ça, Brigitte Brami n’en a jamais croisé. Elle cite plutôt ceux qui «par gentillesse conseillent aux détenus apathiques d’arrêter de se cachetonner ». Ceux-là ont l’impression d’être bienveillants mais « ne savent pas que les bouffées délirantes, même ponctuelles, doivent-être traitées ». Le psychiatre explique devoir répondre à deux exigences contradictoires. « La péni-tentiaire ne veut pas que l’on distribue trop de médocs parce que ce n’est pas très supporta-ble pour les surveillants d’avoir à faire à des détenus qui bavent et qui en plus trafiquent. Mais, en même temps, on nous demande de calmer l’ambiance sociale ». « Le calme en pri-son, tout le monde y a intérêt », ajoute Brigitte Brami. Pour elle, le médoc objet de conflits, est aussi le ciment de la prison.
Visiteurs de prison : à l’écoute des détenus isolésÀ l’abri des regards et des oreilles des surveillants, les visiteurs de prison apportent une fois par se-maine un peu de souffle extérieur à des détenus qui en ont fait la de-mande. Des confidences qui sont l’occasion de se projeter dans l’avenir pour l’un et de découvrir la vie carcérale pour l’autre. I Lucie Paimblanc
Ce n’est pas un ami ; il n’est pas de la famille. Pourtant, Jacques Ferry appré-
hende chaque semaine le centre de déten-tion de Muret. 16 hectares de bâtiments, 600 détenus en libre circulation et lui. Depuis qu’il est à la retraite, Jacques Ferry est visiteur de prison. Il lui aura fallu pa-tienter six mois pour que l’administration étudie et valide son dossier et que le service
pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) lui attribue un, puis deux, puis trois, puis quatre hommes à qui prêter une oreille.
Une relation de confiance Être visiteur de prison, c’est avant tout «écou-ter, raconte Jacques Ferry. On leur apporte de l’air extérieur, un soutien psychologique. » Ce Toulousain définit le visiteur de prison comme « un citoyen ordinaire qui va voir une personne qui a commis un acte plus ou moins grave et qui lui fait comprendre par sa visite qu’il ne peut être résumé à son acte criminel ou délinquant. Il reste un citoyen. » Quelle que soit la date de sortie du détenu, « on aborde l’avenir, car on ne peut pas vivre sans se projeter dans l’avenir ».Dans les informations que reçoit le béné-vole sur le détenu avant de le rencontrer, nulle mention de la cause de l’incarcération, uniquement sa durée. « Généralement, à la
première rencontre, le détenu dit pourquoi il est ici », explique Jacques Ferry. Dans le cas contraire, les visiteurs se refusent à poser la question. « Cela m’est arrivé de suivre pendant longtemps un détenu et je n’ai jamais su pourquoi il était incarcéré. À Muret, la moitié les détenus sont ici pour crime sexuel. C’est si difficile à porter que certains sont en état de déni ».Les lundis après-midi, Jacques les consa-cre à ces rencontres d’une heure environ. « Ami est un mot un peu fort, mais on peut avoir une relation assez amicale avec les détenus. » Ils les suivent pendant plusieurs années, à la demande du prisonnier. « Être visiteur me fait découvrir le riche et complexe uni-vers carcéral, dont les règles de hiérarchie entre détenus, explique Jacques Ferry. Ces rencontres me font prendre conscience des trajectoires qui peuvent exister. Et lorsque le détenu me remercie de l’avoir écouté, j’ai la sensation d’être utile. »
Les médicaments sont une monnaie d’échange dans les prisons, le Subutex est le plus prisé.
Surpopulation carcérale : et en Europe ?
La surpopulation carcérale ne touche pas que la France, mais aussi plusieurs pays du Sud de l’Union européenne. Les conditions d’hébergement en Italie par exemple, sont particulièrement mauvaises : la population carcérale s’y élève à 153 %. Les pays du Nord sont bien meilleurs élèves : l’Allema-gne et les Pays-Bas ont, eux, un taux d’occupation inférieur à 100, voire à 90. Cela s’explique notamment par le fait qu’ils soient très peu répressifs. Leur taux carcéral est compris entre 60 et 95 prisonniers pour 100 000 habi-tants alors qu’en Europe. La moyenne est de 137 prisonniers.
Le nombre de détenus souffrant de problèmes psy a beau aug-menter, les surveillants n’ont aucune formation pour ap-prendre à réagir face aux troubles du comportement.
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14 I Prisons Mardi 26 mars 2013
La maternité dans l’enceinteAu premier janvier 2012, on comptait environ 3 000 femmes incarcérées en France. Parmi elles, des mères ou futures mères. Rencontre avec Elsa Dujourdy, en charge de l’accès au droit et des questions liées à la maternité de la section française de l’Observatoire international des prisons. I Gwladys Bonnassie
Un accouchement en prison, est-ce sur-
prenant ?
Non, finalement, pas tant que ça. La
sexualité carcérale existe depuis très long-
temps, même si les accouchements sont tout
de même assez rares. En France, on dénombre
chaque année une cinquantaine de femmes
qui donnent naissance à un enfant derrière les
murs d’une prison. Mais ce chiffre varie selon
les entrées et les sorties des détenues.
Les femmes peuvent-elles tomber enceintes
en prison ?
Oui, il existe de nombreuses situations au
cours desquelles les femmes détenues peuvent
tomber enceintes, que ce soit lors d’un parloir
externe (c’est-à-dire avec quelqu’un de l’exté-
rieur), un parloir interne (avec leur compagnon
incarcéré dans le même établissement), une
permission de sortie, ou encore pendant une
UVF (unité de vie familiale, ce sont de petits
appartements privés où les femmes peuvent
rencontrer leur famille entre six et soixante-
douze heures). Les traditions locales de ges-
tion de la détention varient d’un établissement
à l’autre. Les personnels pénitentiaires peu-
vent se montrer « complices » en n’ayant pas
recours à des sanctions, voire en favorisant
certaines situations à caractère sexuel et en
délivrant des contraceptifs ou, à l’inverse, se
montrer très stricts.
Que prévoit la loi pour la naissance d’enfant
lors d’une incarcération?
Le code de procédure pénale stipule que « la
non séparation de l’enfant et ses parents est
un droit fondamental, mais aussi un besoin
pour la construction de son identité et de sa
personnalité ». La loi prévoit dans une circulaire
Nul n’est sans savoir que le langage oral est en
constante évolution. Une évolution adaptant
ses codes aux époques, aux modes, à la géographie
ou encore à l’âge de ses locuteurs. Cette évolution
est particulièrement vraie pour le langage dans
le milieu carcéral. Si le vase clos carcéral reste
hermétique aux modes verbales et aux nouvelles
expressions orales populaires, le renouvellement
permanent des détenus dans les cellules françai-
ses, entre les arrivées et les départs, alimente et
entretient l’évolution de son vocabulaire. Magol-
dona Matélelki Hollo, chercheuse à l’école des
officiers de police de Budapest, a comparé les
similitudes linguistiques entre les détenus français
et hongrois.
« La prison génère son propre argot qui recouvre des
réalités qui lui sont spécifiques: ce sont les invariants
carcéraux, qui ne s’utilisent que là, dans ce monde
clos et hiérarchique. » explique t-elle. « Elle est aussi
lieu de rencontre entre les argots des différents mi-
lieux : argot des braqueurs, des proxénètes, de la
drogue… »
Les modes évoluent, même « en taule » . Mais le
lexique carcéral a cela de particulier qu’il fonde
son langage sur des codes, sur des réalités, sur des
circonstances propres à la prison. Et si les détenus
parlent l’argot, c’est qu’il y a une bonne raison, sim-
ple et imparable : crypter leurs échanges afin de
ne pas être compris par le personnel pénitentiaire.
Le produit argotique carcéral, s’il restait immuable,
perdrait de son pouvoir cryptique et secret. Voilà
« Yoyo », « baveux », « pointeur »… La prison instaure chez les détenus un langage et un vocabulaire spécifiques. La particularité de ce dialecte se manifeste également dans d’autres espaces de vie en communauté régis par l’isolement : les casernes, les internats. I Robin Panfili
LA TRIBUNE DU PALAIS
pourquoi son dynamisme créatif demeure aussi
volatile, fluide et éphémère. « On s’adapte autant
que possible, mais l’inventivité et l’adaptabilité des
détenus reste très rapide », confie un surveillant de
prison à Toulouse. Enfin… un « mâton », comme
on dit derrière les barreaux.
Un lexique imagéParfois inspiré du vieil argot français, le dialecte
carcéral multiplie les figures de style pour assurer
sa survie et son efficacité. Ce malin exercice passe
par des parades littéraires sophistiquées : la défor-
mation verbale et l’utilisation de métaphores. Des
expressions très imagées désignant des pratiques
illégales, des mots de passe, des trafics en tout
genre. Des transactions souvent liées à la drogue,
à la manière de la consommer, de la préparer ou
de l’acheter. Longtemps, la « Marie-Jeanne » était
le nom de code de la marijuana. C’est d’ailleurs,
pour de nombreux linguistes, l’origine première de
cette expression aujourd’hui largement répandue.
« La richesse du lexique argotique témoigne biende
la vigueur de cette langue qui crée sans cesse de
nouveaux synonymes, la créativité des argotiers se
manifestant au gré du jeu de cryptage-décryptage qui
permet à ce langage de conserver toute sa vivacité »,
poursuit Magoldona Matélelki Hollo.
Il n’est pas rare non plus que les modes verbales
évoluent d’une « zonzon » à une autre. Selon Pa-
trick Ellis, documentariste américain spécialisé
dans l’univers carcéral, le régionalisme a une
incidence certaine sur les pratiques linguistiques
empruntées. « Dans le sud des États-Unis, les dia-
lectes reprennent de nombreux mots à consonance
hispaniques. On dit « placa » au lieu de « surveillant ».
Dans les états du Nord, on remarque davantage de
termes issus de l’argot afro-américain », explique
le journaliste.
Ainsi, nulle chance de pratiquer le même argot à la
prison marseillaise des Baumettes qu’à la Santé, à
Paris. On ne parlera jamais non plus le même argot
à la prison San Vittore de Milan qu’à Poggioreale,
à Naples. Car, avant d’être un lieu d’isolement, les
complexes pénitenciers traduisent une diversité
linguistique universelle rare.
du 16 août 1999 que ces mamans peuvent
garder leur enfant auprès d’elles jusqu’à l’âge
de 18 mois. Mais des possibilités de maintien de
l’enfant au-delà de cette période sont possibles
après accord de l’administration pénitentiaire
interrégionale, qui décide au cas par cas. La
prolongation est autorisée lorsque la fin de
la peine arrive peu de temps avant la fin de
ces 18 mois, ou lorsque la garde de l’enfant à
l’extérieur pose des problèmes. L’idée est que
le maintien en centre de détention des enfants
reste exceptionnel.
Ces femmes bénéficient-elles de conditions
privilégiées ?
À partir d’un certain stade de leur grossesse,
les femmes enceintes sont séparées des
autres détenues, elles sont maintenues dans
des quartiers à part. Dans cet espace, leur
liberté est relative, car les portes sont ouvertes
mais elles ont des horaires à respecter. Leurs
cellules sont plus spacieuses afin de faciliter la
mise en place du matériel de puériculture. Elles
ont accès à une salle commune pour langer et
jouer avec leur enfant ainsi qu’à une cour de
promenade particulière. Mais toutes les prisons
ne bénéficient pas de ces aménagements. En
France, la prison de Fleury-Mérogis fait figure
de vitrine.
Être mère en prison, est-ce bien vu ?
Les interactions entre détenues sont fondées
sur la maternité. Ceci inclut une part impor-
tante des violences contre certaines détenues
(condamnées pour infanticides ou pédophilie),
mais aussi l’idée d’un statut suprême de mère,
la création d’un champ maternel par certaines
détenues âgées, et le consensus autour des
enfants.
Une détenue a-t-elle droit aux prestations so-
ciales dont bénéficie toute femme enceinte ?
Tous les détenus sont affiliés systématique-
ment et immédiatement au régime général de
la Sécurité sociale. Ils bénéficient à ce titre des
prestations de l’assurance maladie et mater-
nité dès leur arrivée en détention.
En cas de décès de la mère incarcérée, que
devient l’enfant ?
Le père prend alors la garde, s’il n’est pas in-
carcéré, ou alors la famille de la détenue. Si
la mère est isolée, c’est la protection sociale à
l’enfance qui prend l’enfant en charge.
Les longues peines sont-elles davantage
« sujettes » à la maternité ?
En France, il n’y a pas de statistiques. Mais
les études de l’observatoire international des
prisons montrent que les longues peines ne
sont pas forcément celles qui sont le plus
concernées par la question.
Quels sont les axes de travail de l’administra-
tion pénitentiaire afin d’améliorer la situation
de l’enfant auprès de sa mère détenue ?
Très clairement, les maternités carcérales ne
sont pas une priorité. Les projets actuels visant
à limiter la probation les concernent indirecte-
ment. Depuis 2009, la loi facilite les échanges
entre les administrations pénitentiaires et les
structures locales comme la protection mater-
nelle infantile, les services municipaux de crè-
che, halte-garderie, ou encore l’aide sociale à
l’enfance. Mais, sur le plan national, je regrette
un manque de réflexion sur le sujet.
L’argot carcéral, ciment de la débrouille
Lexique
Auxi : terme désignant une personne qui
travaille en prison.
Baveux : surnom donné aux avocats.
Gamelle : terme utilisé pour signifier qu’il
est l’heure de manger.
Greffe : terme désignant celui qui conserve
les biens personnels des détenus et qui livre,
à l’arrivée du détenu, le numéro d’écrou.
Pointeurs: prévenus ou détenus pour viol
ou pour pédophilie. Ces derniers sont sys-
tématiquement exclus par la communauté
carcérale.
27 prisons dont 2 pour mineurs sont équi-
pées de cellules mère/enfant en France.
66 places au total. C’est le seul cas où la
surpopulation est impossible.
Derrière les barreaux, tout un vocabulaire vit et se renouvelle dans les discussions entre prisonniers.
« Elles ont accès à une salle commune pour langer et jouer avec leur enfant ».
CR
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Mardi 26 mars 2013
LA TRIBUNE DU PALAIS
Médias I 15
Les magistrats ont la parole
Quand a été créé ce blog et pourquoi ?
Le blog Paroles de juge a été crée en
2007, à la suite de l’affaire d’Outreau.
On avait un forum interne entre magistrats sur
lequel on discutait de questions juridiques et, en
lisant certaines interventions de mes collègues,
je me disais que c’était vraiment brillant et que
cela méritait d’être partagé avec le grand public.
Donc j’ai ouvert Paroles de juge à cette occasion,
un blog collaboratif pour donner un espace de
libre parole aux magistrats. Je me souviens, au
début, j’étais ravi de voir que le site avait une
cinquantaine d’abonnés, c’était au-delà de ce
à quoi je m’attendais. Aujourd’hui, on en est à
1 700 abonnements avec une moyenne de 400
visiteurs par jour.
Quelles règles gouvernent la publication sur
le blog ?
On avait défini certaines règles au départ mais,
en temps que modérateur, j’ai rarement eu à les
appliquer. La règle principale se résume à « pas
de polémiques pour le simple plaisir de la polémi-
que ». J’ai une seule fois dû refuser un articleplis
sur une question de forme que de fond : l’arti-
cle était intéressant mais un peu trop agressif
dans le ton.
On évite d’être trop partisan, le but du blog est
d’apporter au citoyen des éléments de réflexion
qu’ils n’ont pas habituellement.
« À quoi sert la prison ? »Le réalisateur François Chilowicz a signé « Hors-la-loi », une série de trois films documentaires de 80 minutes chacun, tournée à Toulouse. Une trilogie qui plonge le téléspectateur dans le quotidien de six per-sonnes, de leur interpellation à leur séjour en prison. I Mélody Locard
Le succès récent des blogs juridiques n’est plus à démontrer. Les principaux blogueurs sont généralement des avocats, mais pas tous. Michel Huyette, conseiller à la cour d’appel de Toulouse, est le créateur du blog Paroles de juge, un espace d’expression destiné aux magistrats. I Louis Adam
Les contributeurs postent sous leur vrai nom.
Le refus de l’anonymat est-il une volonté de votre
part ?
Cela me paraît naturel. Quand vous lisez
quelque chose sur le Web, est-ce que vous allez
accorder autant de crédit à quelqu’un qui se cache
derrière un pseudonyme qu’à quelqu’un qui parle
en son nom propre ?
On a fait une entorse à la règle récemment
cela dit, pour un juge des affaires fami-
liales qui publiait des chiffres concernant
l’attribution des enfants dans les cas de divorce.
Comme elle donnait les chiffres de son cabinet,
j’ai accepté que ce soit sous un pseudonyme, afin
que la publication ne leur cause pas de tort. C’est
la seule exception.
Vous avez eu des réactions de votre entourage
professionnel par rapport à ce blog ?
Quand je l’ai ouvert, j’ai immédiatement envoyé
un mail à ma hiérarchie pour les avertir. C’est
la même logique que le refus de l’anonymat, je
ne cherchais pas à le faire en douce. Et je n’ai
jamais eu aucun souci. Mes collègues sont
dans l’ensemble très positifs à l’égard du blog.
Et de la part des lecteurs, je reçois beaucoup de
messages d’encouragement.
Pensez-vous que la justice manque de visibilité
sur les nouveaux réseaux, type Internet, blogs
ou réseaux sociaux ?
C’est un aspect qui n’est pas encore tout à
fait rentré dans la culture judiciaire. Pourtant
il y a un réel besoin, les gens sont curieux et in-
téressés par le sujet. Il est dommage que les ac-
teurs du système judiciaire soient si peu enclins
à s’exprimer à travers ces nouveaux moyens.
Parce qu’un blog, c’est l’idéal. On dispose
d’une liberté de forme et de rythme que l’on
n’a pas ailleurs. On maîtrise tout. Et c’est
bien plus accessible pour le grand public que
n’importe laquelle de nos revues spécialisées.
Le blog, c’est l’outil idéal pour faire découvrir
le système judiciaire au grand public.
vaillions tous ensemble : la journée dans les salles
du palais de justice ou à la maison d’arrêt de Seys-
ses, la nuit avec les policiers. La seule difficulté
a été de savoir où poser ma caméra. Finalement,
les justiciables sont toujours filmés de dos, la
caméra posée sur leur épaule. Cela m’a permis
d’entrer beaucoup plus facilement dans leur in-
timité, mais j’ai été frustré de ne jamais plonger
dans leurs regards.
Est-ce un documentaire engagé ?
Je ne reflète pas l’actualité judiciaire contempo-
raine, je propose un objet esthétique. Mon film
est une représentation des choses construite,
complètement rescénarisée. Le but est d’amener
les personnes à réfléchir… Sur l’efficience des
peines notamment.
Les mondes judiciaires et pénitentiaires enva-
hissent nos écrans. Qu’est-ce qu’ « Hors-la-loi »
apporte de plus ?
La plupart du temps, les films diffusés à
la télévision s’intéressent aux procès pour essayer
d’obtenir la vérité judiciaire. Bien souvent aussi, les
reportages nous emmènent dans les coulisses de la
police pour suivre leurs investigations. J’ai préféré
m’éloigner du spectaculaire pour revenir sur une
dimension plus proche du droit, en suivant les
procédures. Nous accompagnons les justiciables
de leur interpellation à leur sortie de prison.
Vous suivez les mis en cause au-delà de leur sortie
puisque la troisième partie s’intitule «revenir
en prison»…
Le troisième et dernier volet du film devait s’ap-
peler « sortir de prison ». À la fin du montage, la
réalité était tout autre : les motifs d’incarcération
des personnes étaient toujours présents lorsqu’ils
sortaient de prison.
En février, nous avons organisé une avant-pre-
mière à l’ABC. Un des justiciables du film devait
y assister, mais il s’est fait arrêter pour vol et
est retourné en prison juste avant la projection.
Cependant, le fil conducteur du film n’a jamais
changé. J’ai voulu répondre à la question, « À quoi
sert la prison ? ».
Et d’après-vous, à quoi sert-elle ?
Même après six ans de travail, quatre mille pages
de notes et un millier de rencontres (magistrats,
policiers, personnel pénitencier), il apparaît très
compliqué de répondre à cette question…
Comment a-t-il été possible de réaliser un tel
film ?
La clé de ce tournage a été le temps. Nous tra-
Le réalisateur a suivi six détenus.
CR
Rob
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Un idéal de journalisme Le dernier ouvrage d’Edwy Plenel, Le Droit de savoir, est une ode au journalisme d’investi-gation qui ferait de la justice ren-due un préalable à la démocratie idéale. Tout un programme. I Pierre Géraudie
CR
Pie
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Gér
audie
François Hollande aura donc tenu une promesse
de campagne. Au cœur d’une République qu’il
souhaitait exemplaire, Jérome Cahuzac semblait
ne plus avoir sa place. Pris depuis de longues
semaines dans la tourmente du soupçon, celle
d’avoir un temps détenu un compte non-déclaré
en Suisse, le désormais ex-ministre du Budget
a longtemps résisté aux qu’en-dira-t-on impi-
toyables d’un monde médiatique en perpétuel
bouillonnement. Mais après l’ouverture d’une in-
formation judiciaire le 19 mars, sa démission était
inéluctable. Consacrera-t-il son emploi du temps
désormais allégé à la lecture du dernier ouvrage
d’Edwy Plenel ? Rien n’est moins sûr. Car c’est à
l’ancien patron du Monde que Jérome Cahuzac,
doit, en partie, sa déchéance.
Président de Mediapart, Edwy Plenel et ses jour-
nalistes n’ont cessé, de sa révélation sur leur site
à son épilogue encore temporaire d’apporter de
l’eau au moulin d’un scandale né d’un travail
fouillé d’investigation. Le tout au nom d’un idéal
: le droit de savoir. De tout savoir, même, faisant
ainsi du travail médiatique un préalable légitime à
l’exercice d’une justice qui a parfois l’investigation
sélective. Tel est en creux le message du président
de Mediapart, répété à l’envi lors de la présentation
toulousaine du livre dans les locaux d’Ombres
Blanches, le 21 mars.
Le chemin de la liberté ?« Il est du ressort de la presse de rendre publiques
les affaires publiques de nos gouvernants, le secret
devant être l’exception afin que la politique ne soit
pas le monopole d’experts et de spécialistes », sou-
ligne ainsi Edwy Plenel dans son ouvrage, citation
d’Albert Londres à l’appui : « Le devoir du journa-
liste est de planter la plume dans la plaie. » Quitte à
pousser les politiques vers les sphères ventées de
l’environnement judiciaire (Woerth hier, Cahuzac
aujourd’hui) ? « Tout document qui concerne le sort
des peuples, des nations et des sociétés mérite d’être
connu de tous afin que chacun puisse juger sur pièces,
choisir pour agir, influer sur la politique des gouverne-
ments », a affirmé Edwy Plenel, souhaitant que la
démocratie à la française ne soit plus seulement
« une démocratie de basse intensité, mais qu’elle se
prenne enfin en main ».
Ce qui passe par une connaissance transparente
et exhaustive de l’action politique, selon le fon-
dateur de Médiapart. Et par un goût immodéré et
permanent pour la justice, « quitte à parfois penser
contre soi-même », note Edwy Plenel. Son cheval
de bataille est d’informer, « pour que les citoyens
puisse se forger une opinion sur les gens qui les gouver-
nent ». Et si la justice peut être rendue par la même
occasion, les mêmes citoyens n’en seront « que
plus libres et autonomes ». Pas sûr, en revanche,
que les politiques de tous bords adhèrent à cette
vision d’un journalisme total cher à Edwy Plenel.
Pour aller plus loinJournal d’un avocat : tenu par Maître Eo-
las, avocat au barreau de Paris, ce blog est le
plus médiatique de la blogosphère juridique.
maitre-eolas.fr
Maitre Mô : pour les amateurs de jus-
tice pénale, un recueil d’histoires écri-
tes par un avocat au barreau de Lille, qui
poste sous le pseudonyme de Maître Mô.
maitremo.fr
Chroniques judiciaires : le blog
de Pascale Robert Diard, chroniqueu-
se judiciaire pour Le Monde. Ses posts
vont de l’anecdote judiciaire au comp-
te-rendu de procès très médiatiques.
prdchroniques.blog.lemonde.fr
Le blog Paroles de juge (huyette.net) ambitionne de donner aux citoyens des éléments de réflexion autour de la justice.
Edwy Plenel à Toulouse le 21 mars
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LA TRIBUNE DU PALAIS
16 I Audiences Mardi 26 mars 2013
Il n’y a pas de témoins dans l’intimité d’un couple qui dégénère. Tous deux sont plus ou moins ensemble depuis quatre ans au
moment des faits. C’est un couple asymétri-que, il a neuf ans de plus qu’elle, elle s’occupe de ses enfants le week-end quand lui sort en boîte de nuit. Leur histoire est houleuse, mais c’est la seule chose que les témoins appelés à la barre, amis, famille, amants même, peuvent raconter. C’est un couple en pointillé, on peine à savoir s’ils étaient ensembles ou séparés au moment des faits tant les incidents, parfois violents, ont émaillé leur vie commune. Mais, ce soir-là, la nuit du 24 au 25 août, elle explique que ce devait être la dernière fois. Elle voulait lui faire comprendre que c’était terminé, qu’elle avait trouvé quelqu’un d’autre et qu’elle voulait refaire sa vie. Tout ne s’est pas vraiment passé comme prévu, mais difficile d’y voir clair.
Une affaire de crédibilitéLes faits sont lointains, la victime comme l’accusé ont du mal à se remémorer les évènements avec la précision qu’exigent les questions de l’avocat général ou de la cour. Plusieurs fois, on relève les différences entre les multiples déclarations de la procédure. Ça ne pourrait être qu’un détail, mais dans
ce cas particulier, c’est la crédibilité des protagonistes qui est en jeu.Bien sûr, il y a des éléments qui retiennent l’attention des jurés : des traces du sang de l’accusé sur les rideaux de la chambre, des sous-vêtements de la victime déchirés, un SMS nocturne de son nouveau compagnon, à elle, qui ravive les tensions.Mais dans quel ordre interviennent ils ? Dans quelle pièce de l’appartement et à quel mo-ment de la nuit ? Il y a aussi les messages, innombrables, qui montrent l’accusé plus qu’insistant, voire franchement obsédé par l’idée de coucher avec sa victime. Elle le re-pousse, mais l’invite quand même chez elle, un soir à 21h, alors qu’elle est seule. « 280 sms entre le 20 et le 24 août, tout de même ! » fera remarquer l’avocate de la partie civile, Me Valérie Amiel. Les deux parties ont leur version des faits, mais rien de déterminant ne permet de donner plus de crédit à l’un plutôt qu’à l’autre.
« Ni avec toi, ni sans toi »Les affaires de ce type sont un casse-tête pour les jurés. On imagine assez bien leur désarroi lorsqu’on explique que la victime a pris le café dans la cuisine avec son agres-seur, juste après l’épisode du viol insoute-nable qu’elle raconte à la barre. Et l’accusé le sait bien, il le fait remarquer : « J’ai du mal à comprendre, comment après l’épisode de violence qu’elle vient de décrire à la barre, on ait pu prendre un café, comme ça dans la cuisine. » La réponse du président ne se fait pas attendre : « Mais que pouvait-elle faire d’autre, au juste ? » Silence dans la salle.« Ni avec toi, ni sans toi » martèle lors de sa plaidoirie Me Marie-Hélène Pibouleau, qui défend l’accusé. Elle expose point par point sa version des faits : son client est loin d’être irréprochable, certes, mais il ne l’a pas violée. Certaines choses pourtant ne s’expliquent pas, les lésions et les blessures aux cuisses de la victime, le sang sur les rideaux. L’avocat général requiert sept ans de prison, les jurés s’accorderont finalement sur six.
Lundi aux assises de Haute-Garonne s’est ouvert le procès d’un viol conjugal. Une audience peu médiatique, mais représentative de la difficulté de juger ce genre d’affaires. Louis Adam
La lettre et l’espritEn matière pénale, il y a souvent une grande différence entre les pei-nes encourues et les condamnations prononcées. Une interprétation de la loi pour lui rendre un sens social. C’était le cas en comparution immédiate à Toulouse. Un toxicomane encourait vingt ans de déten-tion. Il a été condamné à six mois avec sursis. Elouën Martin
Alexis Roulonc n’a pas l’étoffe d’un grand bandit. Quand il apparaît dans le box des
prévenus lors de l’audience de comparution immédiate, il est timide, stressé. Probable-ment en manque, il passe son temps à se frotter les mains et les bras. Sans doute pour essayer de cacher son mal-être. Ramassé dans son pull en laine blanc trop grand pour lui, il fait presque peine à voir.Il vient de passer près d’un mois en mai-son d’arrêt. Vers la mi-février, il a été arrêté lors d’un contrôle de police ordonné par le procureur. Il avoue aux policiers être en possession d’une plaquette de 100 grammes de cannabis. S’ensuivent une garde à vue et une perquisition. Dans son appartement de Plaisance-du-Touch, quatre pieds,12 boutu-res et 18 bocaux sont découverts.À 35 ans, ce n’est pas la première fois qu’il se retrouve face à des juges. Il a été condamné pour la première fois en 2001, par le tribunal de Quimper. En tout, cinq condamnations sont inscrites sur son casier judiciaire. La plupart pour détention de stupéfiants. Alexis Roulonc se considère lui-même comme toxi-comane depuis l’été 2012. Au moment où il a perdu son emploi et où sa copine de l’époque l’a quitté. Réfugié dans la drogue,
il admet toutefois face aux juges « vouloir s’en sortir ».
Vingt ans encourusLa présidente du tribunal le rappelle : Alexis Roulonc, récidiviste, risque jusqu’à vingt ans de détention. Le parquet réclame de son côté dix-huit mois avec sursis de mise à l’épreuve assortis d’une obligation de soins et de travail pour ce chômeur bénéficiaire du RSA. Pour la défense d’Alexis, son avo-cat affirme qu’il faut « que la justice l’aide à enlever cette épée de Damoclès qu’est la toxicomanie ».En droit, il y a la lettre et il y a l’esprit. Ce qui est gravé et ce qui est pensé. C’est une opposition. Presque une contradiction. Ce qui est écrit dans la loi n’est pas une vérité générale et absolue. La loi est faite, et c’est son essence, pour être interprétée. C’est pour redonner à la loi un sens social que l’esprit adoucit la lettre.Alexis Roulonc a été condamné à six mois d’emprisonnement avec sursis de mise à l’épreuve. Le tout assorti des obligations de soins et de travail.Avant qu’il reparte, la présidente lance un dernier conseil à Alexis Roulonc : « Si vous
Une après-midi ordinaire Sur les bancs, assis entre la famille et les victimes, les habitués du tribu-nal. Ils passent la plupart de leur après-midi aux audiences et assistent aux affaires, petites ou grandes. Pauline Maisterra
Assise devant, Monique a la meilleure place. Elle ne veut pas perdre une miette
du procès. Il est 13h40, les gens entrent dans la salle de comparution immédiate. Monique, la soixantaine, vient ici depuis une dizaine d’années. Mais ne lui dites surtout pas qu’elle y assiste par curiosité : « Nos im-pôts paient tout cela. Alors, c’est un droit. » La dureté du procureur, la défense des avocats, « j’apprends beaucoup sur la justice ». Hadj, 52 ans, adore venir écouter les plaidoiries. Depuis une vingtaine d’années, il assiste à des procès. De tous types, civil, pénal. Et n’hésite pas à donner son avis quand un jugement ne lui convient pas. « À Lyon, j’ai vu un procès où deux chirurgiens comparais-saient pour avoir encaissé plus de 35 millions de francs grâce à de fausses ordonnances, raconte-t-il. Et tenez-vous bien, le verdict : à
peine 250 000 francs avec sursis ! » À la fin de l’audience, Hadj est allé voir le procureur pour lui faire part de son mécontentement. «De simples citoyens auraient fait de la prison, argumente-t-il. Cela n’a pas plu au procureur, tant pis. » 13h50, Jean-Paul s’assied discrètement dans la salle. Pour ce retraité, il est important d’assister aux audiences, « la presse ne dit pas tout ». « Prenons l’exemple des femmes battues. On lit dans les journaux que toutes les couches de la société sont touchées. Mais quels sont les pourcentages ? lance-t-il. En venant ici, je me fais une idée, mes propres statisti-ques. » Comme la plupart de ces habitués, Jean-Paul assiste aux comparutions immé-diates, « elles sont plus rapides ». 14heures, la sonnette retentit. L’audience commence. Le public se tait.
L’ombre d’un doute
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Mardi 26 mars 2013
LA TRIBUNE DU PALAIS
Audiences I 17
Un cocktail détonnantSchizophrénie, rhum et psycho-tropes. Un mélange qui ne facilite pas la tâche du juge. Dans cette affaire, on comprend toute la dif-ficulté d’évaluer la santé mentale d’un individu afin de le juger. Il s’agit de comprendre, à la lumière d’expertises psychologi-ques, si l’intéressé est responsa-ble de ses actes Agathe Monmont
Vincent, 24 ans, rentre d’une fête bien arrosée
le mardi 19 mars. C’est l’anniversaire de son
père. Alors, avec des connaissances, il enchaîne
les verres jusqu’à atteindre 1,70 g/l d’alcool dans
le sang. Vers 23 heures, il décide de rentrer chez
lui. Et arrivé à proximité du métro Les Arènes, il
voit une jeune fille. Sa victime. « Je lis, déclare
la présidente, vous lui avez dit qu’elle était jolie et
qu’elle était seule. » Arrivé au métro, Vincent la
Stupeurs et jugements
Le même soir, un verre de trop et une tentative de vol
Brèves« J’alerte ! » s’insurge l’avocat en audience de
comparution immédiate. Son client mériterait un
bilan psychologique. Michel Perray se présente
pour la 18e fois devant le tribunal. Encore une
fois pour vol : le 21 mars, il a fait les boutiques.
Arreté, puis placé en garde à vue, il tente de se
suicider. Son avocat insiste : « Il n’est visiblement
pas conscient de ses actes. » Le juge prend note et
demande que le voleur soit écroué à la maison
d’arrêt de Seysses et examiné par un psychologue
avant de prendre une décision.
« Quand je me mets à boire, je ne sais plus m’arrêter. »
Denis Verrot assume ses actes devant les juges.
Samedi, ivre et armé d’un couteau de cuisine, il
aurait menacé un gérant de bar qui refusait de
le servir. Le quinquagénaire est déjà connu des
services de police pour son caractère violent. Le
procureur argumente « il a dit qu’il ne buvait pas en
maison d’arrêt : qu’il y retourne ! ». L’avocat a beau
demander la clémence du juge, l’homme sera
condamné à trois mois d’emprisonnement.
Faux départ pour l’affaire : le prévenu n’a pas
d’avocat. Il a pourtant fait une demande pour
un commis d’office, mais personne ne semble
s’être occupé de lui.
On s’active pour en trouver un, l’audience est re-
poussée le temps que son conseil arrive et prenne
connaissance du dossier. L’histoire lui a déjà valu
48h de garde à vue, mais il n’est pas au bout de
ses peines.
Le président résume : la victime est une voisine,
une amie de son fils. Ils semblent s’apprécier mais
la relation dérape petit à petit. Le langage vulgaire
de l’homme traumatise la jeune fille. Il lui fait des
commentaires désobligeants, des avances, lui
Ce lundi 25 mars, un homme de 42 ans comparaissait devant le tribunal correctionnel de Toulouse pour corruption de mineurs. On lui reprochait d’avoir fait des avances à une amie de son fils, âgée de 13 ans au moment des faits Louis Adam
pacité à garder ses fantasmes pour lui.
Le procureur insiste, la justice doit punir le délit
mais le prévenu doit comprendre les dégâts que
son comportement a causés à la victime, pas
uniquement à lui.
« Vous êtes prêt, monsieur, à poursuivre cette ré-
flexion plus tard ? Une fois l’audience terminée ? »,
lui lance le juge.
- Euh c’est à dire... Là juste après avec vous ?
- Non, avec un suivi psychologique monsieur.
- Ah euh.... Ben oui. »
Il écopera au final de six mois de sursis, assortis
d’un suivi socio-judiciaire et une interdiction d’ap-
procher la victime. Pas sûr qu’il s’attendait à ça.
fait part de ses fantasmes exhibitionnistes. Cela
dure un an jusqu’à ce qu’elle craque un jour dans
la cour de son collège, et raconte tout.
« Sur le moment, je ne voyais pas où était le mal, mais
là, après la garde à vue et m’être retrouvé ici... Vous
ne m’y reprendrez plus, c’est juré », se défend-il à
la barre.
Une déclaration pleine de bonne volonté, mais qui
révèle le nœud du problème.
« A-t-il seulement conscience des conséquences de
ses actes ? » interrogent tour à tour l’avocate de la
partie civile et le procureur.
Lui ne voit pas le mal, confesse que son langage
lui a déjà causé des ennuis, tout comme son inca-
Vincent est présenté en comparu-tion immédiate pour tentative de vol aggravé. Il était ivre au mo-ment des faits. Une « excuse » qui exaspère la procureure. Pauline Maisterra
prévient en titubant « je vais te piquer ton sac ». Il
essaie. Elle résiste et ne lâche rien. Elle tombe alors
violemment avec son sac entre ses mains.
Un passé alcoolique révolu« Je regrette et je formule mes excuses à la victime »,
absente du procès. Vincent a un problème avec
l’alcool. Il ne le cache pas. Il y a plusieurs mois, il
est allé dans un centre pour se faire aider. Il pensait
qu’il allait mieux. Alors il s’est permis de boire un
verre, deux, une dizaine.
Vincent l’avoue, ivre, il ne ressentait que de « la
méchanceté, de l’agressivité ». Le prévenu a un
casier judiciaire où sont déjà inscrites près de 8
infractions.
Mais, depuis 2009, plus rien. Le jeune homme
s’est repris en main. Il a changé comme insiste
son avocate : « Il a une copine. Cela fait six mois.
Et il a un travail (…) Cette affaire est un incident de
parcours. Il a honte de ce qu’il a fait, il le dit. Faites
preuve d’indulgence. »
La colère du procureur« La victime a eu très peur ce soir-là. Comme vous le
voyez, elle n’est pas présente », indique la procureu-
re avant de s’insurger : « Maintenant, il est interdit
de marcher seul, de téléphoner avec un portable, de
ne pas fumer, de porter des bijoux, d’avoir un sac à
main, d’être au volant d’une voiture, d’aller chercher
un vélib à 23 heures. On a eu ce cas dernièrement.
Une jeune fille s’est fait violer alors qu’elle prenait un
Vélib !... Ce qui est autorisé, c’est de taper les gens,
de vendre du crack, de faire n’importe quoi quand
on a consommé de l’alcool, c’est une circonstance
atténuante. » Un point qui a du mal à passer pour
la procureure. «Vous vouliez la faire chier un peu
et vous avez réussi, quand l’on voit la violence sur
les photos dans le métro (…) Vous êtes minable ! »,
répète plusieurs fois de suite la procureure. Le
prévenu ne bouge pas, reste tête baissée.
Le ministère public requiert six mois de prison
ferme avec mandat de dépôt. Le tribunal l’a
condamné à huit mois d’emprisonnement dont
quatre fermes et une mise à l’épreuve de deux
ans avec obligation de se faire soigner.
Jean-Louis M’Boko, dit Booba, est arrivé dans
le box, l’air absent. C’est un grand gaillard
maladroit qui prend place sur le banc de la
chambre correctionnelle. Il annonce doucement
son nom et sa date de naissance en catalan.La
juge traduit pour l’assistance. Il a un cheveu sur
la langue, on dirait un petit garçon qui a été pris
les doigts dans le pot de confiture… Jusqu’à ce
qu’on entende les faits, on pourrait se demander
ce qu’il fait là. Et pourtant…
Le 1er janvier, le prévenu se rend à une fête chez
des amis. Une bagarre éclate, au cours de laquelle
il poignarde à deux reprises une personne qui
tentait de s’interposer entre lui et son hôte. Il est
alors placé d’office à l’hôpital psychiatrique Mar-
chant jusqu’au 14 février. Le juge demande alors
à Jean-Louis M’Boko de lui expliquer la situation.
« J’étais sous l’emprise de l’alcool et j’avais pris des
cachets », admet-il.
- « Quel type de cachets ? » veut savoir l’un des
juges.
- « Une boîte entière de Lexomil et une bouteille de
rhum », dit-il en baissant la tête. Sifflements
désapprobateurs dans la salle. Lors d’une per-
mission de sortie le 26 janvier, il retourne sur les
lieux de l’agression pour menacer son hôte, le
traitant de « traître ». Il est à nouveau arrêté et
placé cette fois en détention à Muret.
Expertises psychiatriques déterminantesBooba n’en est pas à son coup d’essai, il a déjà
été condamné huit fois pour des violences simi-
laires. Il est aussi habitué de l’hôpital psychia-
trique où il est traité pour schizophrénie depuis
ses 18 ans. Jean-Louis M’Boko était-il en pleine
possession de ses facultés de discernement au
moment des faits ?
Il fait l’objet de deux expertises psychiatriques,
qui s’avèrent contradictoires.
Le procureur requiert une troisième expertise pour
savoir si Jean-Louis M’Boko est responsable de ses
actes. Son avocate demande aussi la libération de
son client en attendant le jugement.
- « Vous savez que l’alcool n’est pas et ne sera ja-
mais compatible avec votre traitement ? Vous l’avez
bien compris ? » demande le juge avec la voix d’un
instituteur.
- « Je sais mais je n’étais pas moi-même ce soir la,
je ne me rappelle pas madame… » répond le pré-
venu.
Il a l’air sincère et réellement désarmé.
Forcément imperméable aux charmes des bo-
nimenteurs, le juge refuse la mise en liberté.Et
reporte l’audience au 14 avril en attendant le der-
nier rapport d’expert. Bouba retourne en prison,
toujours aussi nonchalant, il ne semble pas bien
comprendre ce qui vient de se passer…
CR
Luc
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aim
blan
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Les noms des prévenus et accusés des pages
audiences ont été modifiés
LA TRIBUNE DU PALAIS
Quand le travail devient souffrance
Un tas de dossiers sur le bureau, des heures à rallonge, les magistrats n’en finissent plus de travailler. Ils souffrent de plus en plus.
Certains en viennent même en à finir avec leur vie. Pour le moment, aucun chiffre n’a été communiqué. Le sujet reste sensible. Un constat peut tout de même être
fait : « Il y de plus en plus d’arrêts maladie, affirme
Pascale Loué-Williaume de l’Union syndicale des
magistrats (USM). lI y a encore quelque temps, les
collègues tenaient jusqu’aux congés. Plus mainte-
nant, ils s’arrêtent avant. » Plusieurs explications
découlent de ce mal-être. La prise de décision seul,
le manque d’effectif. « On doit parfois faire face à la
réaction violente de certains justiciables qui ne com-
prennent pas qu’on leur dise qu’il faut attendre tant
de temps pour avoir une décision, faute de moyens»,
explique la juge Loué-Williaume.
Autre raison : « Les magistrats sont notés tous les
deux ans », développe Carole Mauduit (USM), vice-
présidente du tribunal d’instance de Toulouse.
Différents critères sont pris en compte comme
celui du nombre de jugements effectués.
Elle poursuit : « Le ministère de la Justice peut re-
garder ces chiffres et les comparer à la moyenne
nationale. On peut parler de production juridique. »
La souffrance, en parler…« Les magistrats adorent leur travail parfois au prix
de l’épuisement », révèle Marie-Paule Regnault-
Le mal-être au travail existe aussi chez les magistrats. Les symptô-mes : stress, isolement, etc. Un mal peu connu mais qui touche pourtant de nombreux juges. Pauline Maisterra
Lugbull, président du tribunal de grande instance
d’Argentan, dans l’Orne.
Cette juge a créé en 2007 un « groupe de réflexion
sur l’exercice de la fonction de magistrat ». « J’ai
été marquée par le suicide de certains de mes col-
lègues. »
Composé de 8 à 10 personnes, ce groupe de parole
se réunit tous les deux mois à la cour d’appel de
Caen. Il évoque durant quatre ou huit heures tout
type de sujet. Le plus abordé ? « Le surmenage. »
Une consultante en coaching est également pré-
sente. Elle aide à mieux gérer le stress.
Même si très peu de tribunaux mettent en place
des groupes de parole, ce lieu de confidences fait
du bien. « Un de mes collègues m’a confié que sa vie
a changé depuis, dit-elle, car il a trouvé un endroit où
déposer ses ennuis. »
… et réfléchir à un plan d’actionReprésentants syndicaux et ministère de la Justice
travaillent sur la souffrance au travail chez les
magistrats. Cette mission a été créée en 2010,
après le suicide d’un juge à Pontoise et est tou-
jours en cours.
L’idée ? « Réfléchir sur comment prévenir cette souf-
france, comment repérer et traiter les risques psycho-
sociaux », indique Pascale Loué-Williaume, qui y
participe.
« La prévention des risques ne veut pas forcément
dire qu’elle va coûter plus cher aux administrations,
précise-t-elle. Il faut bien avoir en tête, le coût ac-
tuellement généré par le nombre d’arrêts maladie,
d’invalidité qui peut être induit par la souffrance au
travail. » Le remède, une meilleure gestion.
Même si pour l’instant aucun plan d’action n’a été
annoncé, le ministère de la Justice avait en 2009
signé un accord sur la santé et la sécurité au travail
dans la fonction publique. Le premier. Il a pour
but d’améliorer les conditions de travail.
Pour le juge Loué-Williaume, « ce qu’attendent
actuellement les magistrats, c’est un dialogue social
renoué ».
La précarité touche aussi les avocats toulousains
18 I Professions Mardi 26 mars 2013
CR A
mau
ry B
arad
on
Le barreau de Toulouse compte près de 1 400 avocats. Si certains gagnent bien leur vie, d’autres, loin des projecteurs médiatiques, ont plus de mal à joindre les deux bouts. Comme dans les autres secteurs, les plus jeunes sont les premiers touchés par la précarité.
Maxime Van Oudendycke
Grosse berline, vacances à l’étranger, villa à la
mer. C’est l’image que l’on a de la vie d’un
avocat. Pourtant la réalité est toute autre, surtout
pour les nouveaux arrivants. Après avoir fini ses
études, Marine* a rejoint un cabinet toulousain.
Depuis quatre ans, elle est
collaboratrice. Pas de salaire,
mais une rétrocession d’ho-
noraires, fixée à 2 050 euros
brut minimum par le barreau
de Toulouse.
Mais, profession libérale obli-
ge, c’est à Marine elle-même
d’assumer ses charges. Coti-
sation au barreau, RSI (sécu-
rité sociale des indépendants),
Urssaf, retraite... Une fois la
soustraction effectuée, il ne
reste plus que 1 300 euros
net à la jeune avocate. « On se
remet quand même en question.
Est-ce que ça vaut le coup de
faire autant d’études pour si peu
derrière ? » s’interroge-t-elle.
Car, pour devenir avocate, il
lui aura fallu faire sept ans d’études.
Face à ce décalage, nombreux sont ceux qui aban-
donnent l’hermine. « Parmi mes anciens camarades
de promotion, certains ont changé de barreau ou
même arrêté pour devenir conseillers juridiques en
entreprise », confie la jeune femme.
Devenir salarié devient une délivrance. Parce qu’en
théorie le statut libéral permet aux avocats de
traiter d’autres dossiers que ceux fournis par le
cabinet pour lequel ils collaborent Mais, dans les
faits, la chose est difficile. « Je travaille heures par
semaine en moyenne. Il faut trai-
ter en priorité les dossiers du ca-
binet. Ce qui laisse peu de temps
pour des dossiers personnels»,
explique Marine. D’autant que
pour se constituer une clientèle
propre, il faut à nouveau être
prêt au sacrifice. Pour se faire
connaître, il faut accepter les
permanences ou assurer l’aide
juridictionnelle. Des missions
indemnisées forfaitairement.
La crise économique touche
aussi indirectement les avo-
cats. Les justiciables rechi-
gnent à engager des dépenses
pour un procès. L’activité a ra-
lenti selon le conseil de l’Ordre.
Une commission de solidarité
a été mise en place pour soute-
nir les avocats en difficulté. Mais ses interventions
sont marginales. Elle traite 5 à 10 dossiers par an
et uniquement des cas extrêmes.*le prénom a été modifié pour préserver l’anonymat de
l’avocate.
« Une prison n’a pas besoin d’avoir un aspect miteux »Créé en novembre 2 004, le complexe de Leoben, en Autriche est jugé comme une prison de luxe par ses détracteurs. Mais Josef Hohensinn, l’architecte du projet, décrit cette dernière « comme esthétiquement agréable et répondant aux besoins des prisonniers ». Propos recueillis par Rémi Khélif
D’où est venue l’idée de la prison de Leoben ?
Dans le cadre de la réforme judiciaire mise en
œuvre en Autriche dès 1970, le ministère de la
Justice nous a mandaté pour concevoir un projet
architectural dans ce sens, c’est-à-dire en adaptant
les bâtiments pénitentiaires au quotidien et aux
conditions pratiques du régime pénitentiaire.
Quelles ont été les réactions à l’annonce de la
construction de la prison ?
Les réactions face à ce bâtiment ont été plutôt
très positives. La presse à sensation a bien sûr
considéré que c’était « trop beau, trop luxueux »,
mais on s’y attendait.
Nous sommes convaincus que cette opinion témoi-
gne d’un manque d’expérience et d’une ignorance
totale. Car on peut être fier d’avoir créé un bâtiment
esthétiquement agréable, tout en en respectant
le planning et le coût prédéfinis !
Pourtant lorsque l’on regarde la prison de Leo-
ben, on a du mal à s’imaginer que ce bâtiment
est une prison.
Je ne partage pas votre avis. Je crois que l’on
perçoit ce bâtiment d’emblée et de façon précise
comme une prison : il est doté d’une clôture, de
barreaux aux fenêtres.
Une prison n’a pas besoin d’avoir un aspect mi-
teux, d’être grise et sombre pour mériter le nom
de prison.
C’est un immeuble normal, mais qui correspond
à l’exigence de la privation de liberté de ses pen-
sionnaires.
On vous reproche d’avoir bâti une prison de luxe,
que répondez-vous à cela ?
Il ne s’agit absolument pas d’une prison de luxe.
L’environnement est sobre comme c’est le cas pour
les prisons en général. La seule chose qui distin-
gue cette prison des autres, c’est que nous avons
agrandi les fenêtres des cellules, et de manière
considérable. Elles sont nettement plus grandes
que celles des cellules traditionnelles.
On a veillé à ce que les surfaces des meubles et les
surfaces intérieures présentent une qualité élevée
du point de vue tactile et du point de vue des cou-
leurs, afin de créer une bonne qualité spatiale.
CR
Pau
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.
La prison moderne de Léoben en Autriche.
La précarité a contraint plusieurs avocats à
enterrer leur carrière au barreau.
CR J
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Pol G
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ND
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À la sortie d’un bac scientifique, Romain
Grapton souhaite intégrer l’armée et rêve
de devenir pilote. Des problèmes médicaux
puis de motivation l’obligent à changer de voie.
« L’idée de rentrer dans la police me plaisait, je me
suis dit que le droit serait pas mal pour ça. Ce n’était
pas du tout une vocation, je prenais ça comme un
challenge. » Dès le début, les cours lui plaisent et,
peu à peu, il trace son chemin. « J’avais l’impression
de faire quelque chose en lien direct avec le monde qui
m’entoure. » L’idée de devenir magistrat lui vient
en 2e année. « Dès les premiers cours de droit pénal,
c’est le coup de foudre. Je m’y intéresse énormément
et l’idée d’intégrer, pourquoi pas, un jour l’ENM com-
mence à émerger. »
Le droit pénal qui gère toute infraction à la loi
commise par un individu, le passionne. Il entre
en master 2 droit pénal et sciences criminelles
et, c’est décidé, il tentera sa chance au concours
de l’ENM.
Débute alors un véritable marathon qui le mènera
aux épreuves de l’ENM en juin 2012. « Bibliothèque,
bibliothèque et encore bibliothèque, raconte-il avec
le sourire. J’y allais à 8 h eures du matin pour en re-
partir à 20 heures le soir. » À côté, Romain s’inscrit
à l’Institut des études juridiques à Strasbourg
(IEJ), une entité de la faculté de droit qui prépare à
l’ensemble des concours de la fonction publiques
et avocats.
La préparation d’un concours comme l’ENM n’est
pas chose facile. L’écrit se divise en six épreuves,
droit pénal et procédure pénale, droit civil et procé-
dure civil, droit constitutionnel, droit administratif,
libertés publiques et culture générale. « C’est une
véritable montagne à gravir. Il y a des moments où l’on
se sent un peu seul, d’autres où l’on veut tout lâcher.
Ce sont des périodes très difficiles. »
C’est à la cour d’appel de Colmar (le concours se
déroule pour chaque région dans sa cour d’ap-
pel), le 18 juin, que Romain se présente pour les
cinq jours d’épreuves. « J’y arrive plein d’espoir et
extrêmement motivé. Je ne me sens pas prêt, mais
fier d’avoir tout donné. La difficulté, c’est la longueur,
c’est à chaque fois cinq heures de dissertation, on se
remet constamment en cause. C’est éprouvant et fas-
tidieux.» Avant même les résultats des écrits, il faut
immédiatement s’y remettre en vue des éventuelles
épreuves orales. Et début juillet, Romain apprend
qu’il est retenu pour les oraux. Ils se déroulent « pas
trop mal », selon lui, mais désormais, c’est l’attente.
2 200 inscrits, 207 postes. La particularité de cette
année, c’est que seul 181 postes ont été donnés
car selon l’ENM le niveau n’était pas assez bon.
Romain finit 118e. « Une joie infinie, l’impression
d’être récompensé. C’est une nouvelle étape de vie
qui commence. »
Le voilà élève magistrat et son métier il le voit dé-
sormais comme une vocation et une fierté. «Depuis
que je suis rentré à l’ENM, je suis envahi par le poids de
la fonction. Je ne le ressentais pas lorsque que j’étais
étudiant. On nous en parle, le regard des gens lorsqu’on
est en stage. C’est une énorme responsabilité. »
Cependant il le sait, c’est une tâche peu évidente
qui l’attend. « Beaucoup de magistrats disent que
notre métier ne sert à rien, que beaucoup de peines que
nous prononçons ne changent rien au comportement
du criminel. Mais c‘est tout de même nécessaire pour
protéger la société. Ca ne sert à rien et c’est indispen-
sable. C’est un véritable paradoxe».
Romain a une idée précise de ce qu’il veut faire en
tant que magistrat. Son objectif principal est de
redonner confiance en la justice. « On peut consta-
ter une réelle défiance des Français. Une étude de
l’Insee dit que seulement 9 % des Français lui font
totalement confiance. C’est aberrant. C’est injuste
au vu des efforts que font tous les acteurs du monde
judiciaire. » Pour lui ce changement passe par le
dialogue et l’humanisation de la justice. « Bien sûr,
je ne suis pas un super héros, mais j’aimerais faire
évoluer le métier vers plus d’écoute et de discussion. Il
faut pour moi comprendre le justiciable pour mieux le
juger. Pouvoir dire, oui, monsieur, je vous ai compris,
mais je dois appliquer la loi. Cette confiance doit être
rétablie, c’est indispensable à la bonne qualité de la
justice et au bon climat social en France. Dans cette
recherche de confiance, je suis plein d’espoir même
si encore une fois c’est peut-être naïf. »
L’avis de Jean-Bernard Rouch, substitut général à la cour d’appel de Pau et délégué régional à l’Union syndicale des magistrats.
« Naturellement, le dialogue, le côté humain et l’écoute sont primordiaux dans notre métier. Pour exercer ce travail, il est absolument nécessaire d’aimer les gens. Mal-heureusement, il va se heurter aux pratiques du quotidien qui impose un traitement en temps réel. Quand on est juge, l’élément le plus précieux dont on ne dispose pas toujours est le temps. Nous sommes obligés dans beaucoup d’affaires de développer une lecture rapide du dossier, sans vraiment approfondir. La rencontre avec les gens n’est pas toujours possible, nous les rencontrons le plus souvent au travers des dossiers. Au pénal, les gens à qui nous avons affaire sortent souvent de 24 voire 48 heures de garde à vue et ne sont pas très réceptifs.En ce qui concerne la défiance des Français, nous souhaitons tous rétablir cette confiance. Nous sommes tous profondément atteints par cela, mais surtout par le traitement qui nous est réservé par les politiques. On peut le constater avec la mise en examen de l’ancien président de la République. Il faut mettre en œuvre au quotidien des actions tendant à rapprocher les Français de la justice. Cela passe par une meilleure communication. Il faudra aussi pour les pro-chaines générations utiliser un langage clair et intelligible pour que cela soit accessible au plus grand monde. C’est une profession magnifique. Mais, comme le dit Romain, c’est une responsabilité énorme. Or il n’a pas tout vu, on sent réellement le poids du travail lorsqu’on juge aux assises et que l’on droit prononcer une lourde peine de prison.Si j’avais un conseil à lui donner, ce serait de bouger. Notre métier est extrêmement vaste, il ne faut pas faire toute sa carrière au même poste et au même endroit. Cela permet de devenir meilleur. »
I.G
Mardi 26 mars 2013 Professions I 19
Itinéraire d’un futur magistratL’École nationale de la magistrature. Une institution prestigieuse qui fait rêver bon nombre d’étudiants en droit. Au final, beaucoup d’inscrits et peu de places. Romain Grapton, jeune Strasbourgeois, a intégré l’ENM en janvier dernier. Portrait d’un futur magistrat.I Ilias Grandjean
L’administrateur judiciaireRôle ? Le conseil aux entreprises qui rencontrent
des difficultés financières. Il aide les dirigeants à
renégocier leurs dettes et à trouver des partenaires
financiers. Il prend l’entreprise sous sa respon-
sabilité afin qu’elle poursuive son activité ou soit
reprise par de nouveaux actionnaires. À l’issue de
la période d’observation, l’administrateur présente
des solutions au tribunal. Si ce dernier est favo-
rable à la poursuite de l’activité de la société, il
négocie avec les banques un remboursement des
dettes. Si l’entreprise est en partie ou totalement
reprise par un autre dirigeant, il se charge de régler
les formalités liées à la vente. Sinon, le tribunal
ordonne la liquidation de la société. Il dépend
dans tous les cas du tribunal, il n’a donc aucune
clientèle propre.
Comment ? Il faut au moins valider un master 1
(en droit, gestion), un DSCG (diplôme supérieur
de comptabilité et de gestion) ou un DEC (diplôme
d’expertise comptable). Il y a ensuite un examen
d’accès à un stage professionnel. Ce dernier dure
trois ans. Enfin, il y a l’examen professionnel d’ap-
titude aux fonctions d’administrateur judiciaire.
Le plus. Il y aujourd’hui 120 administrateurs
de justice et 10 postes sont à pourvoir chaque
année.
Romain Grapton, en tenue, lors du serment à l’entrée de l’École nationale de magistrature.
Métiers du droit
CR
. D
R
direCteur de la publiCation bertrand thomas
redaCteur en CHeFnathalie douay
redaCteurS en CHeF adJointSGwladys bonnassie, amaury baradon et
nathan poaouteta
rÉdaCteurS : louis adam, Jean-Ma-thieu albertini, amaury baradon, Gwla-
dys bonnassie, arnaud bouju, audrey destouches, pierre Géraudie, Steven
Gouaillier, ilias Grandjean, Gabriel Hau-rillon, rémi Khelif, tiphaine le liboux, thomas liabot, Mélody locard, pauline Maisterra, elouën Martin, agathe Mon-mont, elsa Mourgues, Marine Mugnier, lucie paimblanc, robin panfili, nathan
poaouteta, Matthieu Stricot, Maxime Van oudendycke.
deSSin de CouVerture et illuStrationS : lucie paimblanc,
loïc argili.
La Tribune du PalaisÉcole de journalisme de toulouse31 rue de la Fonderie, 31000 toulouSe
LA TRIBUNE DU PALAIS
LA TRIBUNE DU PALAIS
20 I Portrait Mardi 26 mars 2013
La porte du presbytère s’ouvre sur un type
du genre solide. Entre les sandales de vieux
prof et la barbe rebelle, il y a facile un mè-
tre quatre-vingt. À mi-distance, les carreaux de
chemise s’étirent gaiement sur un ventre de bon
vivant. On cherche le père-aumonier. Il vous sourit,
amusé. Bien sûr que l’habit ne fait pas le moine.
Pour cerner le serviteur de Dieu, même le moins
bigot d’entre eux, il faut savoir enfoncer les portes
ouvertes.
S’impliquer. Des portes, le père Jean-Marie
Harry peut en ouvrir beaucoup. Au moins 596.
Comme autant de cellules de la maison d’arrêt de
Seysses. Pour avoir assez de temps pour chacun, il
a limité son trousseau à 70 clés. Trois après-midi
par semaine, le religieux va toquer aux cellules.
Il attend toujours devant la porte. « Je veux que le
détenu me dise d’entrer. Ou mieux, qu’il se lève pour
m’ouvrir. » Un détail qui n’en est pas un pour celui
dont la première mission est de « responsabiliser »
le détenu.
« Avec la perte de liberté, c’est la déresponsabilisation
qui est le plus dur à vivre en détention. Être en perma-
nence à la merci d’autrui, de la porte qui va s’ouvrir,
ça vous enlève toute votre dignité. » Le père en est
convaincu, plus que l’épreuve, c’est la manière dont
on la traverse qui compte. Se laisser aller, c’est
mettre à mal ce qu’il vous reste de dignité. Dont
acte. « Je ne suis pas là pour cocooner, chapeauter
les détenus. ».
Ces limites fixées, il ne se fait pas prier pour « s’im-
pliquer » dans la vie des détenus. Entre deux lettres
d’amour écrites sous la dictée, il dispense ses
conseils sur des sujets plus souvent terrestres
que célestes. Persévérer avec les enfants qui ne
veulent plus entendre parler de vous, ne pas ac-
cabler de reproches l’épouse qui se fait distante.
Aucun tabou. Même quand la conversation devient
moins catholique. Mais il ne se prononcera jamais
sur l’attitude à adopter lors du procès. Son credo,
« rester à sa place ».
Réconcilier. Pourtant, s’il y en a qui ont une
place à part dans la pénitentiaire, c’est bien les
aumôniers. Ils sont les seuls autorisés à entrer en
cellule. « Les surveillants restent à la porte. Nous, nous
sommes au cœur de la détention. » Divin privilège
qui permet de « voir ce qui ne se voit pas, de sentir ce
qu’on ne nous dit pas » : la violence d’un codétenu,
l’incapacité de travailler ou la tentation du suicide.
Autant de motifs de signalement aux gardiens.
Le reste, Jean-Marie Harry le garde pour lui. Et
celui dont le travail est avant tout l’écoute en sait
long. C’est la rançon de la gloire quand on a pour
vocation de « libérer la parole ».
Certaines de ses ouailles lui confient des choses
« qu’il n’ont même pas dites à leur avocat ». Pourtant,
l’aumônier ne pose jamais de question. Surtout pas
sur les causes de la détention. « Je me fiche de ce
qu’ils ont fait. Par contre, ce dont je ne me fiche pas,
c’est qu’ils s’en sortent. » Pour l’homme d’église, la
clé, c’est la « réconciliation ». Avant d’être possible
avec la victime elle doit se faire avec soi-même.
« Accepter le mal qu’on a fait », Dieu sait comme
c’est difficile pour le prisonnier. « Soit il est horrifié
par ce qu’il a fait, soit il minimise, soit il est dans le
déni. » Sur le chemin de la rédemption, c’est le
rôle de l’aumônier de faire un pas vers le détenu
et d’avancer à son rythme. « Je ne vais pas lui parler
de pardon, s’il est dans le déni. »
Se réaliser. Comprendre les détenus, Jean-Marie
Harry n’en avait pourtant pas envie. « Comme tout
le monde, je pensais que la prison ne renfermait que
des salauds. » Il confesse avoir beaucoup hésité
avant de franchir le seuil de la maison d’arrêt.
« J’avais peur de ne plus pouvoir dormir. D’être per-
turbé par la situation des prisonniers. » Depuis sept
ans qu’il fait partie des 518 aumôniers catholi-
ques de France, il a toujours trouvé le sommeil.
À force de côtoyer ceux qu’il trouvait « odieux », il
a révisé son jugement : « N’importe qui peut péter
un plomb. » Réflexion faite, il constate même que
c’est en prison qu’il « s’est réalisé comme prêtre ».
L’aumônier Harry refuse de sanctionner la sanction,
« il n’y a pas de pardon sans réparation ».
Il n’oublie pas que « la justice n’est pas la justesse »
et s’inquiète du nombre de détenus qui n’en fi-
nit pas d’augmenter. Il rêve d’une société qui se
contenterait de blâmer la faute plutôt que son
auteur. « Condamner la personne, c’est l’empêcher
de revenir, l’enfermer à tout jamais. » On y verra
une manière de dénoncer le peu d’effort fait sur
la réinsertion.
S’il constate que la prison est devenue moins tabou,
il regrette qu’à force d’en parler à tort et à travers,
on déblatère surtout à tort. Ceux qui veulent en
faire un haut lieu de la radicalisation islamiste se
reconnaîtront. « C’est vrai que, pour s’affirmer en
prison, certains affichent leur identité religieuse. Mais
c’est de la provoc. La vraie radicalisation a lieu dans
les cités. Les prêches de la mosquée d’Empalot sont
bien plus virulents qu’à Seysses », dit-il.
Décloisonner. Le prêtre sait de quoi il parle. En
détention, il troque volontiers sa Bible pour un
Coran. « Il est connu et apprécié dans la prison »,
explique Me Eric Zapata qui le croise depuis des an-
nées. Si cette grande silhouette est familière entre
les 4 murs où l’on échoue à force d’avoir trop tenu
ceux de la cité, c’est parce que Jean-Marie Harry
a toujours préféré les quartiers. Ça a commencé
très tôt. Avant le bac, en allant donner des cours
de soutien dans les camps de gitans.
« C’est là que j’ai découvert que donner de mon temps
me rendait heureux », dit-il simplement. Animateur,
puis directeur de colonies, celui que l’on n’appelle
pas encore Père Harry s’occupe déjà des mômes
de cités. « Il a emmené plein de futurs délinquants
en vacances », rigole l’avocat.
Alors qu’il travaille comme chauffeur routier, la
route de ce daron sans enfants croise celle de la
JOC, la Jeunesse ouvrière chrétienne. Le virage
n’est pas dur à négocier quand on est fils d’ouvriers
catholiques. Il se sent bien dans cette pouponnière
de chrétiens de gauche. C’est là qu’il apprend
que le prêtre doit enseigner aux fidèles à se faire
confiance pour s’en sortir. La responsabilisation,
la réconciliation et le respect. À 30 ans, tout y est
déjà. Après les vœux solennels, le père teste le
monastère. S’y ennuie très vite.
Il gardera l’habitude d’être pieds nus, été comme
hiver. Il se fait surtout une promesse moins mona-
cale : veiller à « être toujours bien dans ses baskets ».
Voilà sans doute pourquoi il a décidé de ne pas
rester éternellement dévoué à ses détenus. Pour
ne pas risquer le trop plein, il partira « le jour où
[il] ne sera plus sensible à la situation du prisonnier
en face de [lui] ». Dans cette mission, « s’endurcir
est toujours un danger ». Ce n’est pas le seul à le
penser. L’Aumônerie nationale recommande de ne
pas dépasser les douze ans de service.
Les années qu’il n’a pas comptées sont celles pas-
sées à dire la messe. Aux Minimes puis à Empalot.
Éric Zapata se rappelle de paroissiens « capables
de faire des kilomètres pour assister à sa messe ».
Compliment rejeté par l’intéressé : « C’est Jésus
qui a du succès, pas moi. » Il restera jusqu’en 2001
dans ces quartiers à l’image de la prison, où Allah
ne manque pas de se faire prier.
Modeste encore, il dit connaître « quelques » sou-
rates et versets. Plus loin dans la conversation,
il racontera sans faire attention, l’histoire d’un
détenu kurde bluffé par ce prêtre qui en savait
plus que lui sur le Coran. Le père Harry en sait
en tout cas assez pour démontrer à chacun les
connexions entre religions.
Une façon de faire baisser la tension qui monte
vite dans ce lieu où l’enfermement est aussi bien
physique que mental. Réconcilier ne l’empêche
pas de rester accroché à son bâton de pèlerin.
« Pour vivre une vraie rencontre, il faut que chacun
tienne ses positions. »
Fidèle à sa paroisse, le père Harry l’est aussi à son
credo : rester à sa place.
Jean-Marie
L’aumônier de la maison d’arrêt de Seysses, le père Jean-Marie Harry ne se contente pas de prê-cher pour sa paroisse. I Tiphaine Le Liboux
Sa place à l’ombre
1956. Naissance à Cam-
brai (59)
1974. Arrive à
Toulouse
1985. Ordonné prêtre
2006. Nommé aumônier
à la maison d’arrêt de
Seysses
2018. Quittera ses fonc-
tions d’aumonier
HARRY
CR
Tip
hain
e Le
Lib
oux