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Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

La véritable histoire de Che Guevara.pdf

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  • Ralit, mythe, icne

    La ralitLa ralit du parcours dErnesto Guevara est connuedes historiens, mme sil subsiste ici et l quelquesdomaines o les diverses interprtations possibles nontgure le moyen dtre mieux tayes quelles ne lesont actuellement. On pense aux divergencespolit iques entre Guevara et Fidel Castro, au rle desSovitiques pour soutenir le second et se dbarrasserdu premier, aux manuvres de Castro lui-mme pourmettre lcart celui quil allait encenser aprs sa mort.Les archives souvriront un jour, mme si, commecertaines de leurs surs sovitiques, elles doivent tre conserves pour lternit .

    Le mytheLe mythe qui sest construit autour dErnesto Guevaraen fait un homme lucide, droit, courageux, prt, pourtablir la justice et la fraternit entre les hommes, sebattre jusqu son dernier souffle.

    Cette dimension combattante est centrale : celuiquon appelle avec une nuance de familiarit le Che est prsent comme larchtype du Juste refusant lescompromis, mais aussi comme le dernier avatar dunDavid prt donner sa vie pour terrasser le Goliath

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  • imprialiste et ses divers agents latino-amricains,congolais ou boliviens.

    Sans doute le mythe sest-il nourri, comme souvent,des lments dun rel dont il a fait son miel. Guevaraest effectivement en 1967, lors de son derniercombat, un homme quasiment seul. Castro adlibrment fait savoir deux ans auparavant lopinionmondiale que le Che avait quitt Cuba, mais aussirenonc la nationalit cubaine et toutes sescharges au sein de ltat ou du Parti. Et, si quelqueshommes laccompagnent dans son entreprisebolivienne, la dernire, ils forment un commando-suicide plus quun groupe solidement implant dans unmilieu quils connaissent bien, et une troupe applaudiede loin plus quun dtachement soutenu au plus prs.

    Cette solitude, juge poignante par beaucoup, cecombat perdu davance constituent en eux-mmesautant de matriaux pour dcrire et enjoliver cettegeste hroque, mme si la ralit est, sans douteaucun, plus prosaque et mme plus sordide que lesimages et les rves qui ont pu sen nourrir.

    Qui, en effet, sest engag tte baisse dans cetteBolivie quil ne connaissait pas ? Qui simaginait que cequi avait une fois russi Cuba russirait nouveau, enplein milieu du continent sud-amricain ? Guevara.

    Les conditions, les hommes, les solidarits dontbnficiait la gurilla ntaient pourtant pas les mmes.Ni les lieux, ni le contexte polit ique, ni la conjoncture.

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  • Loin du portrait enjoliv et magnifi quon en a donntrop souvent, en effet, Guevara sest avr un hommettu, lest dides simples pour ne pas dire simplistes,persuad quun monde en noir et blanc le ntre requrait seulement quelques individus minoritaires maisdcids pour crer des situations nouvelles etprometteuses, aider les peuples prendre consciencede leurs forces et vouloir en dcoudre avec leursoppresseurs. Un homme pour qui les ennemis ntaientque des obstacles quil fallait vaincre, et donc tuer, unhallucin certain que des rvolutions allaient clater unpeu partout. En Amrique latine ou en Afrique ? Surce point, les jugements du Che fluctuaient, au gr desconjonctures, mais ces bouleversements taientinluctables et apporteraient, avec le socialisme,prosprit et bonheur, Cuba comme partout.

    Les tudes les plus minutieuses sur le vrai Guevara ne laissent plus de doute sur sa simplicit et sabrutalit. Certaines laissent mme entrevoir unfanatisme, des exigences la lisire du sadisme et ungot inquitant de la violence. Le mythe du gurillerohroque est en effet depuis quelques annes revisit,comme on dit, dans des travaux comme la Lune et leCaudillo, le livre prcurseur de Jeannine Verds-Leroux1, et plus rcemment la Face cache du Che 2,de Jacobo Machover, Cera una volta Il Che, deLeonardo Facco3, ou Ernesto Che Guevara, Mito yrealidad, dEnrique Ros4, dans des revues commeHistoria5, dans des articles comme celui de Rui Ramos

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  • ( Le mpris du Che6 ), dans El Pais7 ou le Monde8.Sans oublier la vingtaine de pages justes et magnifiquesdun Rgis Debray qui, bien aprs la Bolivie, a dsormaistout compris du Che9.

    Toutes ces critiques se rejoignent dans ladnonciation du mythe guvariste qui na plus enFrance que quelques dfenseurs comme Michael Lwyet Olivier Besancenot.

    Nouvelles pistesLes pages quon va lire poursuivent donc en un sensune uvre dj commence. Mais ne pas reprendrela vise exhaustive propre toute biographie savante, ne pas sen tenir une approche monocolore,comme les hagiographies ou les pamphlets, ellessengagent dans des voies nouvelles, clairant de prscertains dtails de la biographie du gurillero argentin,tentant dentrer au plus profond de sa psychologie etmettant ainsi en vidence les contrastes entre constatet invention, ombre et lumire, ralit et mythe.

    LicneCes pages le soulignent aussi : malgr la pertinence debien des mises en cause, celles-ci ne suffisent pas.Mme caills, rongs et fatigus, ni le mythe netombe ni la statue ne descend de son pidestal. Larfrence Guevara dans des luttes comme la grvegnrale de la Guadeloupe en fvrier 2009 fut trsappuye, sa popularit semble presque intacte en

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  • Amrique du Sud, des millions de tee-shirts adolescentsou militants le portent en effigie de par le monde etlancent encore la face de tous son regard farouche.De braise , dirait notre facteur trotskiste10.

    Ce nest pas une bonne nouvelle pour le Che : sice dernier atteint une dimension nouvelle qui empchequon passe de la crit ique et de la dconstruction deson mythe lattnuation de sa popularit, cest quilest de moins en moins un mythe et de plus en plusune icne.

    Che Guevara est dsormais, et de plus en plus, lesigne de tout autre chose que lui-mme. Un prte-nom pour la justice, laltruisme, lamour de la vrit, ettoutes les qualits quon voudra. Un vivant qui cacheun mort, un pacifique qui masque une brute. Et, pourbeaucoup, un porte-parole commode. Une facilit. Unraccourci paresseux pour adolescents et militantsgauchistes en qute de couleurs, de drapeau, de gri-gri, de justifications.

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  • II

    Une jeunesse qui ne passe pas

    Un sens qui tourne sur lui-mme et qui tombe en arrire de soi Pascal Q uignard

    l tait une fois un jeune garon appel Ernesto.Ernesto Guevara de la Serna. N Rosario, enArgentine, il avait t lev dans une familleoriginale, bohme : ses parents taient de riches

    marginaux, mprisant leur milieu pour son conformismemais profitant de ses avantages, et mangeant avecallgresse largent qui leur avait t lgu dans desentreprises aussi folles lune que lautre. Celia de laSerna avait hrit de grands domaines agricoles.Rvolte, volontaire, une des premires Argentines possder dans les annes 1920 un chquier sonnom, elle se coiffait la garonne et se promenait auvolant de sa voiture sur la rue Florida, une artrelgante de Buenos Aires, avec ses cts ErnestoGuevara Lynch, le futur pre du Che. Daprs cedernier, les tudes ne servaient rien , et ilabandonna bientt ses cours darchitecture. Pluttme flinguer que masseoir devant un bureau , avait-il

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  • dclar.Les jeunes gens se marirent et purent voler de

    leurs propres ailes. Ils partirent lextrmit nord dupays, dans un vaste territoire propice aux aventuriersde leur espce, sur les rives du haut Paran, en zonetropicale. Leur but : faire pousser du mat, qui donneune sorte de th vert et amer dont raffolent lesArgentins. On pouvait ainsi faire fortune, parat-il.

    Il fallait dfricher. Ils dfrichrent. Mais, peineinstalls, ils rvrent dautre chose. Les gerbes demat, quils ngligeaient dexpdier, pourrirent sous leshangars Les finances du couple se dgradrent.

    Aprs la naissance dErnestito le petit Ernesto ,le futur porteur dicne la situation se dtrioraencore : la crise conomique argentine qui faisait cho celle dAmrique du Nord les poussa partir, autantque la volont dchapper lair surcharg dhumiditde la rgion. Le petit garon manifestait en effet unepropension inquitante des crises dasthme. Sesparents dmnagrent.

    LasthmeLenfance, ladolescence et la jeunesse dErnesto neprsentent gure dexploits ni de faits vraiment saillants rappeler. Pas de quoi btir une hagiographie ! Il estbeau, russit sans difficults particulires dans sestudes, se montre curieux et inventif mais sa santnest pas bonne.

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  • Daucuns verront dans son asthme la manifestationpsychosomatique dun appel au secours adress sesparents, du dsir quils se penchent sur lui et ainsi serapprochent, eux qui sloignaient lun de lautre, etquils chassent une atmosphre devenue irrespirable.Plus tard, comme par hasard, cet asthme apparatraavec violence lors des tensions entre Guevara et FidelCastro, quand par exemple le Lider maximo ferareproche au Che dun manquement, dune erreur, etsemblera le repousser.

    Les troubles de lenfant prsidaient aux dcisions dela famille. Lasthme dErnesto commena daffecternos dcisions, crit le pre. Chaque jour imposait denouvelles restrictions notre libert de mouvement etchaque jour nous nous trouvions davantage la mercide cette satane maladie11

    Le rapport de Guevara son mal sera, sa vie durant,puissant, passionnel. Sans trop forcer le trait, on peutdire quil laura bien cherch en dcidant daller sebattre dans une le tropicale, humide, comme lestCuba, une le o le taux dasthmatiques tait un desplus levs du monde occidental.12 Comme sil fallaitaller l o a lui ferait mal , l o son moi serait leplus humili, meurtri. Ce que dit lasthmatique Guevaranest pas seulement que lair est irrespirable, cest quelui, individu particulier avec ses problmes de santpropres, est de trop Cette dvalorisation, cetteautodestruction, nallait pas de soi : apprhende surun mode nvrotique, elle tait voulue et refuse la

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  • fois.Voulue ? Guevara cultivera son asthme en fumant le

    cigare avec persvrance, sassurant ainsi quil le suivraittoujours, rendrait sa vie difficile, et rcurrents lesmoments dune confrontation des obstacles couperle souffle.

    Refuse ? Ces obstacles, il voulait les surmonter,rptant compulsivement une attitude devant lavie releve par certains de ses biographes : Il atoujours vcu en essayant de se prouver quil pourraitfaire ce quil ne pouvait pas faire, et de cette faon, il advelopp une tonnante force de caractre13 etune autorit exigeante envers les autres. Il sobligea, ilse dressa et comme le dira lumineusement Debray, lamatrise de soi, la face noble du masochisme, le Che lapousse jusqu la volont de la volont, comme unformalisme de lascse. force de mater un corps rtif,il a appris mater les autres, par un retournement deduret. Ses exigences envers ses hommes, sonimplacable et rigoureuse discipline dans la gurilla sontl14

    Son ami Fernandez Mell, camarade de guerre etmdecin, racontera les tranges remdes quil seconcoctait : Le Che se mettait de ladrnaline dansson nbuliseur, cela lui dilatait les bronches.Ladrnaline lintoxiquait et provoquait des douleurs auventre et de terribles maux de tte, il prenait en plusdu srum la cortisone, qui est un anti-inflammatoire,et buvait beaucoup pour diluer ladrnaline dans

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  • lorganisme. Elle tait terrible, et en mme tempstrange, cette maladie15.

    Bien plus tard, alors que sa vie allait sachever, ilrapporta ce dialogue avec un de ses camaradesdaventures en Bolivie :

    Tamayo : Lasthme ne serait pas un problmepsychique ?

    Guevara : Oui, je sais que cest psychique. Cestpourquoi jutilise ce petit appareil ; et si je le jette,comme cest psychique, jai encore plus dasthme.16

    Les Guevara sinstallrent Buenos Aires et daborddans le quartier de Flores, un quartier chic qui pouvaitflatter leur folie des grandeurs, mais qui se rvlabientt trop humide lui aussi.

    La famille repartit et lon ne la suivra pas dans ledtail de ses prgrinations, mais il faut imaginer lepre changeant sans cesse de mtiers et de lieux dersidence, et la mre, on ne peut moins matresse demaison mais gnreuse, invitant sa table quiconquese prsentait : on poussait livres et papiers, et, quand ilny avait plus de nappe, on mettait des feuilles dejournal et lon sattablait.

    Cette maison bohme ne connaissait pas dhorairespour les repas mais dbordait de livres Clairement de gauche , on y soutenait la Rpublique espagnolee t los Rojos, les Rouges, les rpublicains, au pointquune des chiennes de la maison fut baptise

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  • Negrina17Faisant mille projets mais nen ralisant durablement

    aucun, dpensant son argent sduire des demoisellesau point doublier parfois que sa famille tait sans lesou, tel tait le pre de Che Guevara... Aprs lasparation du couple, pourtant, il venait parfoisretrouver ce qui avait t sa famille et dormait dans unfauteuil que son ex-femme lui tendait

    la recherche dhierSe rend-on compte, et cest extraordinaire, que toutle Che ou presque est dj l, lge de 5 ans ? LeChe, qui ne quittera jamais, mme dans les piresmoments de la lutte arme, sa gourde mat ; le Chequi finira sa vie dans une nature hostile ; le Che quimprisera largent et le bien-tre au point decontribuer la ruine de lconomie et des financescubaines ; le Che, qui pratiquera une guerre demouvement, sans cesse menac par des forces hostilesmais cherchant une zone plus sre, un cadre meilleurdo il rebondirait il en tait persuad. Il naurait pasDieu ses cts alors, mais lHistoire, qui le valait bien,et son envoy sur terre, quil rencontrerait au Mexiqueet suivrait Cuba.

    Son pre dj, aprs chaque chec professionnel,savait de source sre quil russirait forcer son destin, la prochaine fois . Mais ce ct fantasque ne nuisaitpas au dveloppement de lintelligence de son fils an.Ernesto se montra bon lve puis bon tudiant. Il

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  • choisit la mdecine et si, non sans raison, le bruit courtici et l quil na pas obtenu ses derniers diplmes, cestquil tait plus intress courir le vaste monde qufrquenter les salles dhpitaux.

    Sans attache, comme son pre, Ernesto rvatoujours dhorizons nouveaux : il voulait voir le Prou,lAmrique centrale, les tats-Unis, lEurope et la Chine.Rien naurait pu lui faire plus plaisir que de voir Paris oulle de Pques et ses femmes accueillantes (commequoi mme les futurs mythes peuvent croire dautresmythes !).

    vrai dire, nombre de ses caractristiques dejeunesse se retrouveront plus tard, inchanges, parfois peine transposes, lge adulte. Son ct hors laloi , par exemple, quand il brise des lampadairesurbains au lance-pierres, ou quand il dfque, gamin,sur les touches divoire du piano queue de sesparents. Son ct trompe-la-mort aussi, quand il selance dans des entreprises sans fondement, qui ferontladmiration de ses jeunes amis : boire de lencre labouteille, manger de la craie, grimper des arbresinterdits, passer au-dessus dun gouffre en utilisant unpont de chemin de fer, explorer un puits de mineabandonn, etc.

    Les uns diront quil navait peur de rien. Dautresparleront dinconscience ou de manque de mesure, lestroisimes un sens insuffisant des ralits matrielles ousymboliques.

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  • Il faut le voir, cherchant gagner ses premiers sousen conditionnant un insecticide de sa fabrication quiempeste la demeure familiale ou tentant de revendredes lots de chaussures achetes bon march etpour cause : nombre dentre elles taientdpareilles18 ! Le jeune Guevara tait moins untudiant en mdecine quun rveur sympathique etirraliste qui tournait le dos ce que font les jeunesgens de son entourage et refusait de suivre la mmeroute queux19.

    Mme ses tudes de mdecine donneront lieu quelques pisodes savoureux : des histoires de lapinset de cochons dInde sur le balcon, qui il injectaitdans les conditions scientifiques quon imagine desproduits cancrignes, ou des rcits de jambercemment ampute, transporte avec une discrtiontoute relative dans le mtro de Buenos Aires

    Ernesto Guevara ne supportait pas quon lobliget faire comme tout le monde et lon rapporte la ragefolle avec laquelle il accueillait une punition, une simplerprimande de ses parents ou un refus de cder sesexigences. Entier, radical et but, on raconte qulge de 15 ans il avait refus net daccompagner sonpre dans une manifestation moins quon luidonnt un revolver20 .

    Dj modr et diplomate, le jeune Ernesto ! Ilcrivait des pomes dont la sentimentalit nchappera personne :

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  • Mourir, oui, mais cribl deBalles, transperc dune baonnette, sinon, merci bien.Noy ? non merci...Une mmoire qui dure plus encore que mon nom.Pour cela combattre, mourir en combattant

    Il avait rdig sa premire uvre , resteheureusement indite, vers 15 ans. Il ladressa sonpre et lui donna comme titre Angoisse (a va). Titreen espagnol ainsi quen anglais. Pour marquer sondchirement ? Son envie de connatre lautre monde,celui des mauvais Yankees, en mme temps que cellede rester dans la patrie sud-amricaine ?

    Provocation crasseProvocateur ? Ladolescent le fut, mais il fut surtoutfurieusement en rupture avec les rgles communes.Comment comprendre autrement quil aimait restertrois semaines avec la mme chemise ? Quil dfquaun jour par la fentre dun htel ? Quil ait t mis laporte de lappartement dune amie tant il lavait sali etmis en dsordre. Quil se livra des expriencesbiologiques sur des restes humains infects sansprcaution aucune ?

    La salet lenchante, il est vrai. Et il tranera toute savie avec lui le surnom de Guaro, de cochon Lapremire impression quaura de lui sa seconde femme,Aleida March, fut quil tait maigre et sale Le souvenirde son instructeur militaire tait quon lappelait ElChe , certes, mais aussi El Chancho , le cochon, le

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  • saligaud, pour son attitude ngative face latoilette. Il avait toujours une odeur qui rappelait lerognon bouilli , affirmera son professeur de gurilla21 !

    On pourrait multiplier ces premires annotations sursa salet et une fascination infantile pour lesexcrments aprs quil eut survcu au dbarquementdu Granma. Ainsi son commentaire peu ragotant dunrepas quil fait avec dautres combattants chez despaysans : aprs tre rest sans manger pendant desjours, note-t-il, tous se jetrent sur la nourriture quonleur offrait et se goinfrrent. Guevara souligne alors,non sans plaisir, la diarrhe de Juan Almeida, un de sescompagnons du Granma, futur membre du Bureaupolit ique du PC cubain, et les marques dingratitudede leurs intestins lgard de leurs htes22 .

    Cela ne changera gure aprs le succs de larvolution. Nombre de tmoins se souviennent de cequil fit de lancien building des services financiers :quelque chose de bientt souill, dgrad et dsorganis , avec des papiers tranant partout En quinze jours, tout avait chang , sindigne lundeux23. Pour faire des conomies, il proposa desupprimer la moiti des W-C. Et, quand un de seslieutenants lui fit remarquer que, Rvolution ou pas, lepeuple continuerait daller aux toilettes peu prs aumme rythme, Guevara lui aurait rtorqu mi-srieux,mi-plaisantant : Pas lHomme nouveau : lui, pourra sesacrifier24 .

    En Afrique, en 1965, un Congolais lobserve.

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  • Guevara, dit-il, coutait les radios franaises, crivait lesoir et ne se lavait pas tous les jours. On ne le voyaitpas souvent descendre se baigner la rivire25. Et silest vrai que la rvolution nest pas un dner de gala,pour reprendre la formule de Mao, ni la gurilla enBolivie le meilleur cadre pour se pomponner, on lit dansson journal, en mai 1967 : Quand je me suis rveilljtais trs soulag mais javais fait sous moi comme unnourrisson. On ma prt un pantalon, mais fautedeau, je pue la merde une lieue26. Cinquante-neufpages et quatre mois plus tard, mme registre : Joubliais de signaler un vnement : aujourdhui,aprs un peu plus de six mois, jai pris un bain27.

    Lerrance, djIl partit une premire fois pour un long priple sur unvlomoteur lge de 22 ans. Il repartit la fin delanne suivante, au milieu de ses tudes, avec un deses amis, le jeune biochimiste Alberto Granado. Cest lefameux voyage en moto que le cinma a immortalis. Ilfaut savoir que trs vite, au Chili, la moto en question,baptise la Poderosa, rendit lme et que la plus grandepartie du voyage seffectua sans elle. On passa doncde lhroque et parfois du comique retenu par le film, plus prosaque : autostop, autobus, train, etc.

    Il avait bien pens se marier avec Carmen Fereyra,une jeune fille de bonne famille, surnomme ChichinaMais la rsistance des parents de cette dernire et sapropre volont, au fond mitige, lemportrent. Il

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  • poursuivit donc sa divagation avec son ami, de Chili enProu, de Brsil en quateur, de Colombie enVenezuela. Si les tats-Unis ne figurent pas au tableaude chasse de ltudiant en mdecine qui se faisaitpasser par forfanterie autant que par plaisanterie pourun spcialiste de la lpre , ce ne fut pas de son fait :des problmes de moteur conduisirent le pilote delavion quil avait pris faire demi-tour. Jamais Guevarane connatrait Miami

    Des tudes inachevesIl est possible quil ait pass ses derniers examens demdecine en 1953. Certains en doutent fortement.Ses aspirations au voyage et mme lerrance sontrespectables. Mais taient-elles compatibles avec desexamens difficiles comme ceux qui permettentdobtenir un diplme de mdecin ? Enrique Ros28, celuide ses biographes qui a le plus srieusement examincette question, ne le pense pas. Liste des matires prsenter pour tre mdecin en Argentine etrglement de la facult de mdecine en main, il posequelques questions pour le moins drangeantes pourqui tient sauvegarder la belle histoire du mdecin despauvres et de lhumanit souffrante : On saitseulement que cet homme, qui pendant huit moisconscutifs est rest hors dArgentine, totalementisol, spar de luniversit et qui, pendant tout sontrajet travers six pays, na pas pris avec lui le moindremanuel et, du fait de son absence na pu assister unseul cours la facult de mdecine, russit 45 jours

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  • aprs, lexamen de clinique pdiatrique. Peu de joursaprs, en novembre, ce grand absent russit ses troismatires : cliniques ophtalmologique, urologique etdermato-syphilographique

    Ce nest pas tout : En dcembre 1952, soit enmoins de 22 jours de facult, il russit 11 matires !Carrire mtorique , ironise encore Ros. Quinzeexamens la moiti des preuves ncessaires pourtre docteur en mdecine, russis en moins de troismois, sans avoir assist aux cours ni aux stagespratiques lexception des dernires semaines Tout cela est difficile croire en effet, et lon espreque le journaliste29 qui rapporte que Guevara lui aassur au cours dune interview avoir t appel pourle service militaire avec le grade de mdecin-lieutenant , a en fait mal entendu ou mal interprtses propos : comme il avait t rform pour causedasthme, le mensonge voire la volont denjoliver larvolution cubaine et ses grandes figures seraientvidents.

    Il est clair que sinstaller comme mdecin ne lajamais tent. Lui-mme en avait conscience quisappelait par drision matasanos , tueur de bienportants. Cependant limportant nest sans doute pasde faire le compte de ses certificats ou de ses unitsde valeur mais de constater quel faible dsir dtremdecin lanimait, comme il le montrera aux premiresheures de la rvolution castriste.

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  • Toujours vagabondGuevara est un errant, un vagabond, prt aller de-cide-l, incapable de se fixer et port lancer desjugements lemporte-pice devant ses dcouvertesdun jour. Lors dun troisime voyage qui commenceen juillet 1953, il se rend en Bolivie o les minesviennent dtre nationalises et une rforme agraireentreprise. Ces expriences sociales importantesglissent sur lui comme leau sur les plumes dun canard.Il est seulement touriste et dclare : La Paz est leShanghai des Amriques Bien accueilli par de richesexils argentins, il parcourt la capitale bolivienne, maisaime aussi la nature, la montagne, la fort et les ruinesincas quil visite avec passion. Marchant sur les tracesde son pre, Guevara a soif daventures plus que dediplmes, et rve de dcouvrir de nouveaux mondes.Lui-mme dira dans une lettre sa mre quil aurait aim tre un soldat de Pizarre30 . La rfrence nestpas vaine : le jeune homme se passionne pour lesruines antiques prcolombiennes et court sans cesseaprs les traces dun monde disparu et enfoui Iltourne le dos la ralit brlante qui lentoure et secontente de semparer du monde inca par defivreuses visites touristiques de ses ruines. Il montejusqu Tiahuanaco et admire la porte du Soleil, hanteles muses, flne, rve31. Cest la seule aventure quilconoive alors.

    Sans doute, aucune vie nest tout fait trace 25ans. Mais on admettra sans peine que les grandes

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  • lignes dun caractre sont dessines cet ge. Lehros Guevara ne va gure inventer dsormais.Faonn par son milieu, install dans son refus but dumonde immdiat et de ses rgles ordinaires, il rvedun ailleurs dautant plus lointain quil lui assurerait depoursuivre son errance et de rechercher avec assiduitles lieux o lherbe est plus verte et latmosphre plustonique

    ternel insatisfait Cette insatisfaction qui le ronge, il va la transporterbientt sur le plan polit ique. Ce nest pas la recherchede la justice qui va le mouvoir, ni mme la haine delimprialisme. Lenvers du dcor du hrosrvolutionnaire, cest un petit garon qui reproduitpartout lincapacit de sa famille se poser, entreprendre long terme, former une certaineunit. Un petit garon qui fout la merde partouten esprant plus ou moins quon sen scandalisera etquon laidera trouver une autre voie. Ou laretrouver. Sa violence, sa duret avec les autres, ycompris quand ils combattent ses cts, sontincomprhensibles hors cette rfrence son enfance.Il nest devenu ce champion de la justice queparce qu combattre de manire si implacable il faisaitpayer les autres pour les contradictions quil ne savaitpas rsoudre en lui. Ce combattant de limpossiblerelevait coup sr du psychiatre, mais, comme leremarque Debray, et-il rencontr son Freud que larvolution du xxe sicle et perdu un Messie32 .

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  • Il y a des sances de psychanalyse qui se perdentUn hros, donc ? Sans doute, au sens o, comme

    dans une tragdie classique, son sort parat scell dsle dbut de la pice. Sans doute encore, au sens oun destin implacable et mortifre le domine : rbellioncontre son propre asthme et voyage initiatique enAmrique latine, lutte arme Cuba o le pouvoir luichappe, vision dun Homme nouveau quand Cuba serange sous la bannire dune Union sovitiquetotalitaire, luttes dans dinvraisemblables maquis33 du tiers-monde, abandonn de presque tous, tels sontles actes de la tragdie, les stations du parcoursMais, pas plus qudipe pour Sophocle, Guevara nesttout fait innocent. Cet entt, cet inconscient desdangers quil court, ce rveur impnitent de continentsnouveaux et de lendemains qui chantent nest pastout fait sorti dune enfance dont il veutinlassablement retrouver le secret, jusqu ce que mortsen suive. De la tragdie, on bascule alors dans lacomdie, et mme dans la farce. Guevara rpte toutau long de sa vie comme le personnage de Courteline :Jai 20 ans. Cest le bel ge. Jy resterai jusqu ce quemort sen suive Sans doute habille-t-il de lumire lebgaiement de sa propre enfance. Vaincre limprialisme amricain , en Amrique latine et au-del, voil qui parle tous. LHomme nouveau et laRvolution mondiale, la solidarit avec tous les peupleset la haine de lexploitation vous ont une autre allureque les faons de voir dun petit bureaucrate enmanches de lustrine. Mais la posture est analogue. Et

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  • lui seul sait quil vise le paradis ce temps antrieur autemps, comme dit si bien Pascal Quignard Le dcorultrieur, ft-il grandiose, reste un reflet, unerptition de donnes dj en place. Son enfance, sonadolescence ont toujours t l. Ladolescent bgayaitson enfance. Lhomme jeune, son adolescence.Ladulte, sa jeunesse.

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  • GII

    La Rvolution commecompensation

    Le poumon Le poumon, v ous dis-je ! Molire (Le Malade imaginaire, acte III, scne X)

    uevara passe au Panam, au Nicaragua, au CostaRica Le temps des rencontres qui vontbouleverser sa vie approche.

    Deux rencontres dcisivesUn soir de la fin de lanne 1953, alors quil se rend auGuatemala comme des centaines de gauchistes, aveccuriosit et sympathie, assister lmergence du socialisme sous limpulsion du prsident Arbenz34,Guevara croise un homme qui va le marquersrieusement, un vieil homme quil voit peine dans laquasi-obscurit dun village de montagne. Disons-letout de suite : ce nest pas Castro. Mais latmosphreest saisissante. Obscurit et vote cleste toile. Lejeune Guevara lcoute35. Comme il le reconnat lui-mme, les arguments de son interlocuteur ne sont pas

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  • neufs. Mais lui, Ernesto Guevara, est prt les fairesiens : Lavenir appartient aux peuples et peu peuou dun seul coup, ils prendront le pouvoir, ici et dansle monde entier. Le problme est quils doivent seciviliser et que cela ne peut arriver avant quils aient prisle pouvoir, seulement. Ils deviendront civilissuniquement en apprenant de leurs propres erreurs, quiseront lourdes et causeront la mort de nombreuxinnocents. Peut-tre ne le deviendront-ils pas et neparviendront-ils pas linnocence parce quils aurontcommis cet norme pch contre nature qui consiste ne pas savoir sadapter.

    Il lui annonce ensuite quil mourra au combat et quilne pourra jamais savoir quelle sera la valeur du sacrificeainsi consenti.

    Discours tonnant, parfois obscur, qui tient de laprophtie et de lanalyse raliste des fragilesperspectives de lhumanit, fantastique rencontrerapporte par Guevara lui-mme, en marge de sonjournal de lpoque36. Son commentaire ne lest pasmoins car la vision tragique et un rien pessimiste de soninterlocuteur enthousiasme Guevara. Il y voit mmeune raison de plus pour se lancer dans laction : Endpit de ses mots [], je sais que je serai avec lepeuple, et je le sais parce que jai vu, inscrit dans lanuit, que moi, lclectique dissqueur de doctrines etle psychanalyste des dogmes, je prendrai dassaut enhurlant comme un possd les barricades et lestranches, je baignerai mon arme dans le sang et en

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  • pleine folie furieuse, je trancherai la gorge de toutennemi qui tombera entre mes mains.

    Quel chemin de Damas ! Sans doute rpondait-il ses esprances. Sans cela, peut-on penser quauraitsuffi une rencontre avec un homme presque invisibledans la nuit, un homme qui nonce et prophtise ? Levoil dfinitivement converti lide quil faut affronterles Ennemis les armes la main. Quels ennemis ? Lesennemis du Peuple, on suppose. Mais quest-ce quunennemi du Peuple, quoi le reconnat-on ? Il ne nousle dit pas. La question est sans doute dplace

    Contrairement ce que lon dit partout, ce nestpas Castro qui la converti, ni on ne sait quel agentsecret ou diplomate sovitique. Castro fera mieux, il estvrai : il sattachera le jeune Argentin de manireindfectible et transformera ses convictions issues deltrange rencontre nocturne en moteur daction, enengagement polit ique. 25 ans, sans doute, Guevaracherchait encore le Grand esprit directeur , unhomme qui lui nonce la Loi un homme autre queson copain de pre qui avait arrt ses tudespour de fumeuses raisons idologiques, courait aprs lemoindre jupon, entreprenait tout et ne russissait rien,et qui, comme si aucune rgle, aucun repre necomptait, venait dormir chez une pouse dont il staitspar. Un pre immature, au point quErnesto lesentait parfois plus jeune que lui !

    Sa mre lui lguera sa volont farouche, sesaspirations vagues au socialisme et son got du

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  • dsordre. Il aura avec elle une correspondance fournie.Mais le manque se situait pour Guevara du ctpaternel, du ct de la Loi. Cest dans cette nuit clairecomme le jour que Guevara entendit enfin la voix delHistoire et de sa ncessit. Et cest dans sa rencontreavec Castro quil a pu ensuite la faire sienne et sysoumettre.

    Le romantisme en moinsEn dcembre 1953, il na pas encore rencontr Castroet quand il jure devant un portrait du regrett Stalinequil luttera jusqu ce que les pieuvres capitalistes soient annihiles, il nous plonge dans la bandedessine, dans un monde infantile et simpliste o lescapitalistes portent des hauts-de-forme, fument degros cigares et ne cherchent qu pressurer le pauvrepeuple. La pieuvre, comme le requin ou la sangsue,autant de caricatures communistes du patronat lpoque. Guevara les adoptait sans peine. Il tenait sesennemis ! Il allait pouvoir trancher des gorges.

    En mme temps, comme Hamlet, Guevara hsitait assumer le rle de hraut de la Loi. On ne sedbarrasse pas de ses rsistances facilement, mme sielles ont t en thorie rejetes. Comme pour justifierque ses certitudes intellectuelles ne se transformaientpas tout de suite en actes, il nota dans ses carnetsque lenthousiasme rvolutionnaire dpendait descirconstances et de la bonne sant alors que nilune ni lautre ne lui taient trs favorables .

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  • On changeait souvent et lon hsitait longtempschez les Guevara. Alors quon nous raconte quil serangeait du ct dArbenz et de son expriencesocialiste, il fit savoir sa mre quil aurait besoin de dixans encore pour dcouvrir le monde cette poque,il a dj fait la connaissance de Hilda Gadea, une jeunefemme pruvienne sympathique. Mais il trouve bien dommage quelle soit si vilaine et fait traner leschoses. Leur liaison va peu peu se stabiliser,pourtant. Il est vrai quil a besoin dargent et quellepeut lui en prter de temps autre. Il est vrai aussi comme cest romantique quil a besoin dunefemme qui baise37 .

    Le Guatemala en 1953, ce nest pas encore pourGuevara le temps du premier engagement, mais celuides premires sympathies. Le temps de lentre-deux, letemps de registres diffrents qui coexistent. On a ditquil voulait aider les pauvres Il tait sans doutesensible leur misre, mais ne faisait rien pour eux. Ona dit quil tait bohme et rvolt. Certes, mais il nefaut exagrer ni son isolement ni son dnuement.Lambassadeur dArgentine au Guatemala rend visite aujeune Guevara et son ami Ricardo Rojo Leshagiographes ninsistent pas sur ces rencontres. Pasplus quils ninsistent sur le fait que la motivationpremire de Guevara rester au Guatemala est lespoirquil caresse dy trouver un petit boulot lInstitut dela Scurit sociale Notre jeune Argentin a en pocheune lettre de recommandation pour le directeur de cetorganisme et il est bien dcid, si rien ne se

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  • concrtise, prendre ses sacoches et migrer auMexique38

    Malgr la rvlation du rvolutionnaire de la nuit,notre voyageur sans bagage reste donc un touriste etun spectateur. Il est faux de prtendre quil devenait cette poque un militant marxiste. Sans doute tait-ilplutt du ct de la rvolte et contre lordre tabli.Marx est une bonne rfrence pour cela, 25 ans.Mais Guevara continue rver au pass. Alors que lasituation se tend encore plus au Guatemala aprs ladcouverte, le 17 mai 1953, dun cargo sudois enprovenance de Pologne, charg darmestchcoslovaques, Guevara part en province, prs de lafrontire mexicaine o se trouvent des vestiges mayas.Il va ensuite au Salvador, visite les ruines de Tazumal,fait la fte, dclame des pomes. Son ami Ricardo Rojoreconnat quils taient tous deux des spectateursplutt que des participants : Guevara se moque detout [se souvient-il], fait assaut de blagues et dironieet, en fin de compte, apparat comme un non-participant alors que tous ses camarades de la pension,exils pruviens et autres, exaltent le rgime dArbenzen danger39 La tension est l, il est vrai, et fleurde peau, mais comme le refus, par un vieil adolescent,de lordre tabli. Quand un officier de police luidemande de mettre en sourdine ses dclamations depomes dune grande violence verbale, de garder pourlui ses chants rvolutionnaires et lui suggre de choisirdes sujets plus champtres, Guevara rve de luienvoyer une rafale de mitraillette ! Sil ne passe pas

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  • laction, il est mr, on le voit, pour abandonner larmede la crit ique au profit de la crit ique des armes, pourreprendre une formule quil a d lire lui-mme chezMarx. Il caresse des fantasmes, en somme, plus quil nese donne rationnellement les moyens dagir enrvolutionnaire. Mais, des fantasmes rvolutionnaires, ilen a visiblement plein la tte, au point quil rapportequune sculpture inca admire lors dune excursion luirappelait ni plus ni moins H Chi Minh40.

    Chantons sous la pluie de bombesErnesto Guevara revient finalement dans la capitaleguatmaltque alors que les affrontements arms ontcommenc. Quelle excitation ! Les bombes quitombent, les tirs de mitrailleuses, tout lenchante. Mme de lgers bombardements ont leurgrandeur ! crit-il sa mre Avec un peu dehonte , il lui avoue qu il sest amus comme un foupendant ces journes . Les tirs, les bombes, lesdiscours des uns et des autres rompent selon lui lamonotonie de la vie ! sa tante, il raconte mme quil pisse de rire en voyant les gens courir sous lesbombes que lchent les avions41. Il est capable aussi,dans ces journes troubles, de se replier sur deslectures et des travaux bien trangers la situation. Illit par exemple des ouvrages sur Einstein et traduitPavlov, comme le raconte Hilda elle-mme.

    Irresponsable ? Peut-tre, mais rien de honteux cela, sans doute. Pas plus que nest honteuse son

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  • envie de voyager et pas seulement dans son pr carrlatino-amricain. Les tats-Unis, la France, la Chinelattirent Lui-mme inventera, plus tard, danslexcitation des victoires contre les troupes de Batista,un pass plus engag. Aux journalistes, il soutiendracontre toute vidence quil a milit dans lUniondmocratique en Argentine ou quil a travaill auGuatemala dans un hpital o lon transfusait du sangaux blesss des bombardements ou des combats

    Il tait seulement contre les conservateurssoutenus par les Amricains et dtestait spontanmentces derniers, la manire de nombreux Latino-Amricains, comme tous ceux qui cherchent un boucmissaire leurs difficults. Il tait pour Arbenzbien sr, mais cela nallait gure plus loin. Nulengagement arm, nulle formation de groupes dejeunes, comme on la assur. Hilda Gadea, sa femme,ne la jamais prtendu non plus, malgr les intertitressuggestifs donns par exemple la traduction franaisede ses Mmoires : elle affirme seulement que Guevaraa transmis des proches dArbenz le conseil de sesparer de son tat-major et de poursuivre la luttedans les montagnes42 ! Cest plausible, mais assez facilecomme lutte contre limprialisme ! De toutefaon, Guevara pensait quArbenz allait rsister, quiltait prt mourir son poste si ncessaire . Enfait, il se trompait totalement mais on ne lui en ferapas reproche : il avait 25 ans et nest pas bien informsur le pays. Une fois de plus il avait confondu ses dsirset la ralit

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  • Sil stait engag, comme on la dit, dans une milicearme organise par les jeunes communistes, etbaptise Augusto Csar Sandino , il aurait attenduen vain lordre daller au front, car celui-ci futrapidement enfonc. Et dt-on admettre quil passaquelque temps dans un hpital, il est sr quil secontenta dy enregistrer la dfaite des partisansdArbenz devant les troupes de son rival de droiteCastillo Armas. Ds ce moment peut-tre, il pensa quesi Arbenz avait t plus brutal, en procdant desfusillades de ractionnaires , son gouvernementaurait eu la possibilit de rpondre au coup dtat43 .Il le rptera plus tard en tout cas.

    Ragir, donc, il la fait, trs probablement. Rsister,cest une autre affaire. Mais sa manire de voir est djcelle dun esprit simple pour qui le sang appelle le sang.Tuer rapproche du succs polit ique. Le monde sedivise entre ceux qui mritent de vivre et les autres. Leproblme de Guevara, ds cette priode de jeunessejusqu sa fin en 1967, nest jamais de btir unestratgie subtile pour parvenir au pouvoir. Cest de tirer larme feu contre les ractionnaires et leur armepour parvenir un systme socialiste, avec la clef unparti unique et sa dictature sur lensemble de lapopulation. Est-ce si exaltant ? Il faut rappeler auxnostalgiques du Che que ce dernier na jamais souhait,en aucune occasion, construire un tat de droit o dessecteurs divergents, une droite et une gauche pour nepas les nommer, pourraient saffronter. Seul un tatsocialiste dirig par les seuls dtenteurs de la vrit

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  • rvolutionnaire trouvait grce ses yeux.Sa relative srnit dalors, voire sa passivit lors des

    combats, ne contredisent pas pourtant sa prfrencepour de telles options polit iques rvolutionnaires. DunGuatmaltque, il crit par exemple quil est assezintelligent pour se rendre compte que le seul cheminidal pour la classe ouvrire est le communisme . Dansce milieu de dclasss latino-amricains, de rfugis, decombattants en stand-by entre deux gurillas, cest engros ce quon pense. Un petit zeste de racisme sur cesides marxisantes et tous pouvaient, avec Guevarapeut-tre, crier dans la rue : Gringos, asesinos,fuera ! (gringos assassins, dehors !) .

    Il pensa, nous dit-on, adhrer au PC guatmaltque,mais il ntait gure enthousiasm lide de sesoumettre une discipline de fer. Il se contenta dediscuter avec Harold White, un Amricain en retraite,ancien professeur de sciences polit iques dans lUtah,sur Marx et Engels, Lnine et Staline.

    Et, surtout, il souhaitait tant aller en Europe ou auxtats-Unis ! New York le tentait. Ou Paris, voireMadrid Ce qui comptait, ctait de gagner quelquessous puis partir quelque part . Ses projets taientaussi flous que sa vision du monde. Cela ne lempchaitpas de savoir que lorage allait clater surlAmrique du Sud, et quune guerre mondiale taitinvitable. Il ferait plus tard dautres prdictions, aussimauvaises que celle-ci. Il ntait pas le premier marxiste en faire, commencer par Marx lui-mme : Guevara

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  • continuera de prdire une rvolution sur lensemble ducontinent, quand il sera Cuba, et il annoncera lui-mme un niveau de vie dans l le suprieur celui destats-Unis.

    Le Mexique et CastroIl nest pas conforme la vrit en tout cas de faire deses voyages en Amrique latine une sorte de gesteinitiatique o il aurait rencontr la misre et sa cause limprialisme et aurait donc dcid de lescombattre, conformment une lgende authentifiepar son pre insistant lourdement sur une phrasequaurait lance son fils au moment de son dernierdpart : Point de dpart dun soldat delAmrique !

    Aprs le Guatemala, Guevara passe au Mexique,cherche encore se rendre en Espagne lattrait delEurope est presque une ncessit biologique pourlui, dit-il. dfaut, il monte au sommet duPopocatpetl, le plus haut des volcans mexicains. Lesinconditionnels du Che disent quil sentranait dj lagurilla Pourtant Castro a confi rcemment IgnacioRamonet quil avait essay plusieurs fois datteindre lesommet mais quil ny est jamais parvenu lire entreles lignes44 !

    Arrive enfin ce jour de juillet 1955 o il rencontreFidel Castro. Quelques heures suffisent ce dernierpour entraner le vagabond convaincu mais indcis dansson mouvement rvolutionnaire. Guevara et Castro se

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  • compltaient bien, il est vrai : ce dernier voulait diriger,et, fort de sa bonne toile, mener des hommes lavictoire. Guevara cherchait la fraternit, lamitiindfectible, la confiance. Lun voulait tre le leader.Lautre faire partie dun groupe qui suivrait un leader.Tenait-il dsormais ce leader ? Il ne le tenait pas, enfait. Il tait tenu. De cette rencontre, RgisDebray souligne limportance : Sorti par un caudillopragmatique des gauchismes dadolescence, cetoutsider sans territoire ne lui devait rien de moins queson entre dans le monde rel et la possibilit dy faireses preuves45. Il avait manqu dun pre qui sachece quil voulait. Il en trouvait enfin un, de rechange,avec qui il surmonterait les obstacles difficiles qui nemanqueraient pas de se dresser devant leurs projetsde rvolution. Un dbarquement sur les ctes de Cubapouvait bien paratre une ide fantasque : Guevara nyprtait gure attention. Depuis quand les fantasmesdevaient-ils tre contests par la ralit ?

    Celle-ci se rappela pourtant son bon souvenirquand Hilda lui annona quelle tait enceinte. Il netrouva pas cela trs plaisant, mais pourquoi pas ? ilsse marieraient. Pour la vie, pensait-elle. Pour un certaintemps, pensa-t-il. Finalement, ils spousrent le 8 aot1955 Mais Guevara avait dj dautres projets.

    Au fond, Fidel fit de Guevara un monomaniaque. Nile prophte de la nuit, ni sa femme, ni son enfant necomptaient dsormais, mais seulement Fidel et sonprojet rvolutionnaire. Guevara se lana dans

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  • lapprentissage de la gurilla comme on se jette leau.Tir (o il se montra excellent), marche, exercices, etc.Mais Cuba tait encore loin et il fit part encore cettepoque, dans une lettre sa mre, de projets biendiffrents de la Rvolution puisquils touchaient larecherche scientifique.

    Ce fut bien la dernire fois.

    Un engagement totalDsormais, il importait de bien prparer la lutte : auprintemps de 1956, il savait quil serait unrvolutionnaire en armes. Il tudia Marx, Engels, Lninemais aussi Mao et les conomistes Adam Smith etKeynes. Il se prparait au Grand sacrifice, qui semblaitpeu lui coter : il citait non sans complaisance NazimHikmet, le pote communiste turc :

    Jemporterai seulement dans la tombele soupir dun chant inachev.

    La sparation de fait avec Hilda ne sembla pas leperturber non plus. elle lenfant, lui lentranement la lutte arme dans un centre ad hoc. On retiendrade cette poque un incident intressant, surgipendant cet t 1956, car il souligne le dsir spontanchez Guevara dviter toute ruse, tout mensonge,tout calcul et de sen tenir une opposition frontale.La police mexicaine arrta les gens regroups autourde Castro, quelle souponnait de vouloir assassiner

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  • Batista. Et, alors que les autres se turent ou mentirent,celui quon appelait dj le Che parle la police.Non quil ait t forc, battu, tortur. Non : de lui-mme ! Alors que Fidel faisait tout pour tre relch enprtendant tre un vague rformiste oppos aurgime cubain, sindignant quon le prenne pour uncommuniste et rappelant les alliances lectorales deBatista, son soi-disant ennemi, avec le Parti socialistepopulaire, le PC de Cuba, le Che, lui, expliquatranquillement quen effet il tait un rvolutionnaire etpensait que la lutte arme est indispensable pour quele peuple triomphe Cuba et dans toute lAmriquelatine46 !

    Diffrence norme, quon retrouvera partout ettout le temps lavenir : le Che est un simple. Il na paspour deux sous de diplomatie. Il fonce. Soppose. Tue.Mais ne ngocie pas. Castro, au contraire, est unpolit ique retors, capable de mensonges et de ruses.Guevara est trop entier, trop passionn, trop bornpour faire autrement. Oui : il tue quiconque soppose son action en faveur de ce quil croit. Et cette fusiondans un tout qui lui a tant manqu enfant, il la trouveau sein dun groupe dhommes qui ont accept paravance de donner leur vie. Une sorte de sentimentocanique dsormais lenvahit. La disparition du je lui semble une merveilleuse exprience. Sous ladirection dun homme quil vnre dj, une telleexprience est possible.

    Il lui ddie ces vers de mirliton staliniens :

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  • Allons, ardent prophte de laubeLe long de voies leves et nouvellesPour librer le vert crocodile que tu aimes47

    La pauvre Hilda et tt fait de goter les plaisirs decette vaporation du moi. En semi-clandestinit, danslattente du dpart prochain, le Che ne rendit plusvisite sa femme que de temps autre, pour luidlivrer quelques sermons rvolutionnaires avant de seplonger dans des ouvrages sur la thorie ou lconomiepolit ique. Il lui rcite parfois un pome dAntonioMachado un de ceux dont on peut regretter quil laitcrit : sur Enrique Lister, un des pires staliniens de laguerre dEspagne48. sa petite fille de quelques mois,quil surnommait ma petite Mao , il expliquait que,lorsquelle grandirait, le continent amricain et peut-tre le monde entier se lverait contre le GrandEnnemi, limprialisme amricain, et quelle aussi aurait combattre mais quil ne serait peut-tre plus l alors.

    Jolie berceuse Mais il faut prendre ce tableau ausrieux : quand il deviendra commandant de la garnisonde la Cabaa, en janvier 1959, il montera un clubdenfants , avec soldats de larme rebelle leurracontant des histoires difiantes sur la gurilla etentranement au maniement des armes de ceux quonappelle les petits barbus

    Il venait peu souvent voir Hilda. Un jour, il ne revintplus.

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  • GIII

    La fivre du combat

    Pour nous autres, ctait le plus merv eilleux spectacle du monde.Il y av ait l, dev ant les y eux enflamms des camarades,

    une exposition de tous les jolis instruments de mort Ernesto Guev ara

    uevara est un homme qui se dvoue pour la causede la libert de lAmrique latine. Il va donc aider chasser le dictateur Batista pour tablir le seulrgime qui libre lhomme : le socialisme.

    Cest bien connu, presque vident, maiscompltement faux.

    Tuer avec une certitude tranquilleGuevara ne connat rien en effet la situation cubaineet, surtout, Guevara ne connat rien au socialisme. Quesait-il des camps sovitiques, de la misre descampagnes russes, de la mdiocrit quotidienne danslaquelle se dbattent les gens qui vivent dans les dmocraties populaires de lEurope de lEst ? Il nesait rien, mais il va tuer des gens qui sopposent son

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  • entreprise rvolutionnaire. Lui sait, pour reprendre sespropres termes, que la solution aux problmes dumonde est derrire ce quon appelle le rideau defer49 Il ne sait rien, mais il aime la fraternitchaleureuse, les liens forts unissant les hommescombattant pour la mme cause ; effectivement, il vales trouver dans la gurilla cubaine.

    Il ne sait rien, mais il aime leffort physique, le donde soi. Il va crapahuter dans lOriente, marcher sanscesse, vivre la dure, se priver.

    Il ne sait rien, mais il aime frler la mort. Il la verrapasser de prs avec les balles qui siffleront, les bombeslches par les avions de Batista, les tirs de mortier, lesmenaces dencerclement, les attaques contre despostes militaires.

    Il aime les situations nettes o le blanc et le noirsopposent, loin des palabres des polit iciens. Dans lagurilla, il sagit le plus souvent de tuer ou dtre tu.

    Il est servi. Et sa main ne tremble pas quand il sagitdappuyer sur la gchette.

    Sans doute ne tue-t-il pas pour rien. Il tue pourchasser lancien monde et en reconstruire un autre,tout nouveau. Quand il se dit assoiff de sang50 , ilne lest pas comme un fauve. Il lest comme unrvolutionnaire qui veut quun sang impur abreuve sessillons. Il est tellement persuad que cest la bonnevoie qui est suivie, que la violence simposelogiquement. Tuer, tuer et encore tuer quiconque

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  • soppose au projet rvolutionnaire, cest l une activitordinaire. Marx ne sest-il pas rjoui des guerres quifaisaient avancer lHistoire ? Lnine et Staline nont-ilspas construit de cette faon cette magnifique russitequest lURSS ? Guevara veut un monde et un hommenouveaux. Et pour cela, il veut dtruire lancien, partir duquel on reconstruira.

    Sa foi tait si totale quil ne pouvait prouver lemoindre remords pratiquer les meurtres quilfallait . Ce nest pas Barbe-Bleue, Guevara. CestSavonarole51 la rigueur, voire, au risque de choquer,Ben Laden. Un homme fanatiquement attach unecause quil sait juste et vraie, et prt donnerlexemple pour mieux entraner les foules dans sadirection. Aussi ne dlgue-t-il pas, quand il sagit detuer. Pas par inimiti particulire contre ses ennemis.Pas par sadisme non plus. Ce nest pas un petitboucher comme on la dit. Cest un homme de devoir.Guevara tue par devoir. Les officiers se lanaient dansles guerres de nos grands-parents, la tte de leurstroupes, lassaut des tranches ennemies. Ilsessuyaient les premiers la mitraille. Guevara, lui, essuiela fange, ce quil a toujours aim. Il est le premier yplonger les mains. Il souhaite que tout le monde puisseen faire autant. Mais il na pas de mpris pour sesennemis. Ce sont de simples obstacles quil fautliminer. Lnine voulait balayer la terre de ses insectesnuisibles. Guevara veut nettoyer Cuba de sesopposants au rve rvolutionnaire.

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  • La disparition des ennemis de la Rvolution, donc,Guevara sen charge. Le cur tranquille, il tue et faittuer les ennemis extrieurs les soldats, par exemple et les ennemis intrieurs : les tratres, les espions, leslcheurs. Une balle dans la tte et hop, le tour estjou ! Il a une telle indiffrence envers ces vies-l quilfaut penser que, enfin, le Che a trouv un solidequilibre intellectuel et affectif. Ce nest plus le jeunehomme rvolt mais dsireux de voir Paris, le jeunemdecin qui ne sintressait pas son mtier. Se fairedfenseur de la Loi a structur sa personnalit. Car il laenfin trouve : une Loi dont Castro a su lui parler demanire convaincante, une Loi qui trouve sesfondements dans lHistoire. Le Bien cest ce qui la sert.Le Mal, ce qui sy oppose. Ou tente de sy opposerparce quau fond la Rvolution triompherainluctablement. Le Che la donc fait sienne et il secontente de lactualiser en liminant les misrablesdbris qui tentent de sy opposer.

    Che le sympathique, Che lhumain, Che leromantique est en fait un dangereux manichen dotdun fusil. Il ny a plus que des amis et des ennemisdans le monde, et dans la Sierra Maestra en particulier.

    Lui-mme est au service de la Loi. Et peut donc luidonner sa vie. Nallons pas y voir de lhrosme : il sagitplutt dune soumission un ordre qui sent la haine desoi et celle des autres, une haine qui shabille dunprtendu savoir sur le sens de lHistoire Une Histoireindiscutable, une histoire divinise52. Prs dun an aprs

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  • la rvolution, soit aux alentours de Nol 1959, il crit ses parents, quil appelle si gentiment, comme tous lesArgentins, viejos (mes vieux), quil en a fini aveclaventure pour laventure. Le condottiere ou le soldatde Pizarre dans lequel il aimait jadis se fondre est mort :il a trouv sa voie, lidal pour lequel lutter, avec laresponsabilit de laisser un exemple .

    Ctait un salut respectueux, au-del de sa mortcomme individu, la Loi de lHistoire qui, elle, vivratoujours. Nous ne sommes pas des hommes mais desmachines en marche, luttant contre le temps au milieude circonstances difficiles et lumineuses Contre letemps ? Contre le prsent en tout cas, et au nom deslendemains qui chanteront nen pas douter : Noussommes, dit-il, le futur et nous le savons, nousconstruisons avec bonheur bien que nous ayons oubliles attachements individuels.

    Mlange de prtention seul vaut notre avenir etde culpabilit : le temps prsent est mort, nous nemritons pas de le vivre, nous qui jouissons des biensde ce monde. Guevara rsonnerait aussi dans les curscomme un cho de la culpabilit occidentale

    Du Granma la SierraLe 2 dcembre 1956, il dbarque donc Cuba duGranma, un bateau achet au Mexique par le groupedexils cubains que dirige Fidel Castro. Sy taiententasss 82 hommes. Vingt dentre eux parviendront chapper laccueil muscl que leur font les soldats de

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  • Batista. La lgende court quils taient douze. Quandon aime les symboles un peu lourds et quon a quelquereste dducation chrtienne, on dit douze. Comme lesaptres. Carlos Franqui, aujourdhui en exil Porto-Rico,lavait assur avec la bndiction gouvernementale.Aujourdhui, il a dautres souvenirs53

    Mais les 20 ntaient pas seuls, contrairement ceque lon raconte aussi. Jamais la gurilla naissante deCastro et de Guevara naurait tenu si les rseauxrvolutionnaires clandestins dj existants sur place neles avaient cachs, nourris, arms, mis en liaison avecles centres urbains. Et Castro avait tant besoin deuxquil envoya des dizaines et des dizaines de lettres,notamment Clia Sanchez, qui deviendra samatresse, pour protester de ce que le Mouvement du26 juillet54 ne faisait pas assez pour la gurilla

    Cela concerne-t-il vraiment Guevara ? Oui, sansdoute, dans la mesure o tant de gens croient que lagurilla a vaincu seule et que cette voie-l, la voie dugurillero hroque que le Che symbolisait, est laplus prometteuse. Oui, sans doute aussi, parce queGuevara va thoriser son exprience de la gurillacubaine, la raconter, lanalyser, vouloir lappliquerailleurs.

    Mais, pas une seule fois, il ninsiste lui non plus, sur lefait qu Cuba il ny aurait pas eu de gurilla sanslapport des camarades den bas, de la plaine, du Llano.La majorit des gurilleros provenait pourtant d enbas , de cette plaine tant ignore ! Guevara na

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  • pas combattu larme de Batista avec une vingtaine decamarades dcids semparer du pouvoir. Il ne suffitpas pour vaincre il na jamais suffi dun petit groupedcid et courageux. Lide dun foyer de gurilla, dunfoco, dont lexistence mme bouleverserait lesdonnes polit iques, attiserait les contradictions,acclrerait la volont des masses de se librer, najamais t quune utopie. Si, quelques mois aprs ledbarquement du Granma, le nombre des gurillerosest multipli par cinq puis par dix, cest grce lintgration de nouvelles recrues venues d en bas .Une petite partie seulement des gurilleros venait depaysans recruts dans la zone des combats et dequelques volontaires isols qui se prsentaient. Lamajorit tait issue des rseaux clandestins du M 26, lemouvement du 26 juillet dirig par Castro, implantnotamment dans la classe moyenne des grandes villes.

    Pour Guevara comme pour Castro , les vrais rvolutionnaires, ce sont ceux de la Sierra. La lutte deceux den bas faisait certes des dgts, mais sonefficacit tait discutable leurs yeux : certainssabotages taient bien prpars. Dautres pouvaientsassimiler de simples actions terroristes. Elles taientcoteuses en vies humaines sans tre rellementprofitables la cause du peuple55 . La Sierra, ajouteGuevara, avait un rle de catharsis, de lieu depurification. Cette mort frle rhabilitait chacun, alorsque dans la Plaine rgnaient les petits-bourgeois,avec les futurs tratres sa tte terriblementinfluencs par le milieu au sein duquel une action est

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  • appele se dvelopper56 .Guevara na jamais prtendu que ceux den bas

    nont rien fait. Il se mfiait cependant de linclinationquils manifestaient vouloir mettre sur pied uneorganisation alliant diffrentes tendances, rflchissant un programme polit ique, aux objectifs stratgiquescomme aux mthodes de direction. Le front uni, trspeu pour lui ! La lutte est simple et, une fois de plus,frontale. Qui nest pas avec nous est contre nous ! Et,quand le rus Fidel signe des alliances, lui, Guevara,sinquite. Qui sont ces gens qui veulent crer unautre front de gurilla ? Veulent-ils soulager la SierraMaestra ou tentent-ils de nuire la gloire de Fidel et dela gurilla ? Qui sont-ils pour craindre le caudillisme de Castro alors quil est le meilleur outil quait jamais euentre ses mains la Rvolution cubaine ? Lui, Guevara,veut suivre cet homme, caudillo ou pas, pour aller aubout, cest--dire jusqu la rvolution socialiste, sous ladirection dun leader et la force des baonnettes !La dmocratie, pour le Che, cest du lgalismebourgeois. Il sait qui a raison et qui a tort. Qui doitlemporter et qui doit disparatre. La Sierra est bien lelieu o saffirme sans dtour lentrepriservolutionnaire. Elle ne laisse nulle place aux finasseriesni aux circonvolutions o, sous le couvert de subtilitsthoriques ou de nuances programmatiques, peuventse dissimuler des lches ou des tratres. La lgitimitrvolutionnaire nat au sein de cette alternative o ilfaut tuer ou tre tu. Le sang ne ment pas.

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  • Labsence dintrt accord lindividu et la volontde triompher de lennemi expliquent que ce fauxmdecin (faux dans lme, coup sr et peut-tredans les faits) raconte avec complaisance quilabandonne son matriel mdical pour une caisse deballes, lors du dbarquement du Granma, ou reconnatquil sennuie profondment lors de consultationsmdicales gratuites quil donne dans la Sierra. Mais il syplie, car le Chef a ordonn quil soigne les paysans pouramliorer limage du mouvement une considration laquelle Guevara ntait pas trs sensible mais quil peutcomprendre. Il gche un peu le mtier et reconnatquil disait, ou presque, la mme chose tout lemonde57 ! Quant au choix quil fait lors dudbarquement du Granma de porter des armes pluttque le sac de mdicaments, choix qui meut sesadmirateurs, il faut y voir une trahison de sa mission : Si le docteur abandonne ses mdicaments, commentpourra-t-il soigner ses blesss58 ?

    Retours de flamme individualistesParfois sans doute, cela tiraille un peu. Ernesto Guevarase rveille, ragit comme une personne qui na pas eusa part de reconnaissance. Mais la personne enquestion est vite somme de se taire sous la tyranniede la Loi qui se fait alors plus tyrannique encore, pluspuissante et surdimensionne.

    En aot 1957, par exemple, les soldats de lacolonne quil commande ne supportent pas les

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  • penchants de Guevara pour une discipline excessive etveulent tre muts dans une autre unit que lasienne. Mprisant, en tout cas ironique, Guevara leurdemande sils ne se mprennent pas sur lendroit o ilssont : Quest-ce que vous croyez que cest, ici ? Unorphelinat ? Une crche59 ?

    Petite faille dans cette vidente duret. Il sprenddune belle mtisse nomme Zoila Rodriguez, une trsjeune femme de 18 ans Et sautorise cet cart. Plustard, ce sera Aleida March dont il tombera amoureuxbien quelle ne soit pas issue de la Sierra mais du Llano,et quelle ne partage pas toutes ses certitudes quant lavenir Elle ne ddaignait pas les apparencesvestimentaires. Le Che nen avait cure. Elle prenait soindelle-mme. Il navait aucune hygine de vie. Il relchapour elle sa discipline. La pauvre Hilda apprit donc aprsla victoire quune guerillera lavait remplace. Ilsdivorcrent et le nouveau mariage eut lieu le 2 juin1959.

    Les fissures dans sa cuirasse taient exceptionnelles.Dans la Sierra, les choses taient en gnral trssimples ses yeux : le nomm Moran a-t-il vouludserter ? On ne sait et Castro prfre lpargner. MaisGuevara souhaite quon le tue ! Un jeune rebellecaptur par larme gouvernementale a-t-il t tu ?Guevara pousse (sans succs) la liquidation dunotage en manire de rtorsion. Eutimio est-il untratre ? Oui. On lexcute.

    On ? Non pas, mais Guevara lui-mme qui lui

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  • tire un coup de revolver de calibre 32 dans le ctdroit du cerveau avec orifice de sortie dans le temporaldroit. Il a tressailli un peu puis est mort . Le compterendu est de lui. Pas de plaisir particulier, mais lesentiment dappartenance un nous est tel (nous,les rvolutionnaires de la Sierra Maestra et nous leproltariat international en lutte pour linstauration ducommunisme) que le doigt qui appuie sur la dtenteest sans importance

    Un homme est-il abattu sans tmoin pour avoirtent de dserter ? Il se sert de son cas et fait dfilerses hommes pour quils comprennent bien commentfinit une telle engeance quimporte si, par aprs, leChe a quelques doutes sur la culpabilit de cethomme Aristidio est-il un bandit qui mrite la mort ?On discute. Trs peu, dailleurs. Et on le condamne mort60. Chang, un chef de bande peu recommandablequi se fait passer indment pour un rvolutionnaire ?Excut. El Maestro sest-il fait passer pour le Che ?Excut. Et Echevarria, qui demandait mourir aucombat ? Excut lui aussi61, comme Pedro Guerra quiperdit courage, devant limminence de la pousse delarme de Batista lt 1958.

    Un bon gurillero ?Guevara fut-il un bon gurillero ? Dabord, il ne le futpas du tout, gurillero, pendant quelques mois.Mdecin attach ltat-major, il intervint tout justelors de quatre engagements, dautant que les crises

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  • dasthme, notamment en mars 1957, lloignrent descombats. En avril 1957, enfin, cest un vrai combattantbien que Castro attendt quelque temps avant de luiconfier les responsabilits militaires auxquelles il aspirait.Une fois reconnu, il le fut totalement et nommcapitaine au sein de la gurilla en juillet puiscommandant quelques semaines plus tard. Ascensionfulgurante : alors que la direction de la Sierra adresseune lettre Frank Pais, Fidel Castro lui dit, au momento le Che va opposer son paraphe, dy aller decommandant62 . Cest ainsi que Guevara deviendracommandant de la seconde colonne , appele par lasuite numro 4 . La monte en grade sest faite endehors de toute lgalit, sur une simple dcisionpersonnelle de Castro, transmise sans crmonie Guevara

    Il faut savoir enfin que notre mdecin-combattant manque ce point du sentiment de lapeur du danger quil en perd tout sens de la ralit aucombat. Castro soutiendra lui-mme, lors de la soiredhommage funbre quil lui rend le 18 octobre 1967 La Havane, que le Che a pu agir dune maniretrop agressive . Il rpte mme le reproche quatrefois, pour qui naurait pas entendu. Il est deshommages plus respectueux ! Et denfoncer le clou :ctait son talon dAchille. Autant dire ce qui allaitcauser sa perte. Ninsistons pas sur la grossiret quiconsiste, lors dune veille dhommage, tant soulignerle fait que la responsabilit de sa mort, cest Guevaraqui la porte lui-mme. Cette insistance et ces

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  • rptitions de Castro ne peuvent non plus tre misessur le compte de ses habituelles redondances lors deses interminables discours. Castro persiste et signe prsde quarante ans plus tard dans ses entretiens avecRamonet, et de manire trs claire : Parfois il selanait dans un combat quil aurait pu viter Il prenaittrop de risques Le Che ne serait pas sorti vivant decette guerre si on navait pas rfrn son audace etson attitude tmraire63. Remarquons aussi que leleader cubain relie, non sans intelligence, cette manirede mener la gurilla, tte baisse, sans se proccuperdu danger, au fait que pour Guevara les hommes ontune valeur relative . Si les causes ne sont pasvaincues quand les hommes tombent , lHistoire nesarrtera pas pour autant. Mme la mort des chefsnempche pas la roue de lHistoire de tourner.

    Paradoxalement, Castro en tire la conclusion questainsi dmontre la foi dErnesto Guevara dans leshommes, leurs ides et lexemple quils donnent ! Celadmontre surtout, en fait, la foi de Guevara dans uneautre humanit qui succdera lhumanit existantedtruite, et quil t ient pour nulle la valeur de lindividudaujourdhui, et de lui-mme en particulier.

    On peut sextasier sur cette capacit de fusion aveclHumanit future. Mais il faut admettre aussi la hainede soi quelle suppose et son identification uneombre que lui a fait entrevoir Castro : tu vivras parprocuration comme reprsentant sur terre dun ordreenfin trouv, tu te fondras dans la Loi que tu ne

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  • pouvais trouver chez ton propre pre et, si tu meurs,eh bien, quune autre main se tende pour empoignernos armes et que dautres hommes se lvent pourentonner les chants funbres dans le crpitement desmitrailleuses et de nouveaux cris de guerre et devictoire .

    Librer au plus viteErnesto Guevara est en tout cas courageux, donne desa personne, possde un bon sens tactique immdiat.Y compris avec les cts odieux de toute gurilla. Ilraconte par exemple ingnument qu Santa Clara ilfaisait pntrer ses troupes dans les quartiers fortedensit de population pour dissuader les blindsennemis dintervenir. a sappelle se servir de boucliershumains Et, si lon trouve discutable ce procdquand tel groupe terroriste moyen-oriental lutiliseaujourdhui, il faut reconnatre au Che, pourtant adul,lui, une certaine priorit dans lusage du procd.

    Sa fougue, son impatience, pose parfois desproblmes, comme lorsquil cherche trop vitelaffrontement avec lennemi alors mme que seshommes ont besoin dtre forms davantage. Guevara,insiste Debray, est toujours press de sexposer aufeu ennemi, de prendre Santa Clara, dentrer La Havane, de distribuer les terres, de rompre avec lestats-Unis, de faire entrer les communistes augouvernement , etc., bref de mettre chacundevant le fait accompli64 .

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  • Son ignorance aussi a pes sur ses paules decommandant promu si rapidement. Huber Matos qui,avant dtre lui-mme nomm galementcommandant, servit sous les ordres de Guevara, sesouvient que ce dernier lui avoua, en plusieursoccasions, ne rien connatre aux techniques de laguerre de gurilla et navait pas su lui rpondre quand illui demanda o construire une fortification. Et, quandMatos lui avait demand son plan pour creuser unetranche et des tunnels, Guevara avait rpondu quilnen avait aucun65 !

    Difficile de ne pas rapprocher une telle insoucianceavec lentre fatale en Bolivie en jetant un simple coupdil distrait sur les donnes runies par Rgis Debrayconcernant le pays et les meilleurs endroits pour ycommencer la lutte arme.

    Dans la rsistance la campagnedanantissement durant lt 1958, comme dans laguerre de mouvement qui commena lautomne1958, Guevara prouva de relles capacits decommandement. Son courage, on la dit, taitindniable, mais, comme lorsquil tait enfant, ctaitun courage un peu fou, celui dun combattantinconscient des dangers quil courait. On appelleraitplus justement tmrit ce type decomportement. Castro, qui ne tenait pas risquer savie, le crit iquait, trouvant que dune certainemanire, le Che violait mme les rgles du combatrisquant sa vie dans les batailles du fait de son

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  • caractre, de sa tnacit et de son esprit66 . Enconsquence, quand on fonce de la sorte, on nepense gure ce quon laisse derrire soi et lpisodeest connu dun recul un peu vif du Che fin 1958, prsde Camaguey, lors dune contre-offensive des forcesde Batista. Dans deux camions abandonns tranaientnon seulement la correspondance du Che mais aussison journal. Carlos Lazo, un pilote qui combattit contrelarme rebelle, assure quy taient inscrits les noms deceux qui collaboraient dans la rgion, et mme au-del,avec ceux des rvolutionnaires67. Il crivaitprobablement beaucoup trop et cela ne lui servit pasde leon : en Bolivie, les annotations trouves par lesforces armes boliviennes leur permirent de connatretous les membres du rseau clandestin qui lui servait deliaison68

    La grande victoire de Santa ClaraAprs la gurilla, on voquera souvent, pour vanter sesqualits de chef militaire, la prise de la ville deSanta Clara en dcembre 1958, la quatrime du pays,au centre de l le. Il nest pas sr que cette bataille eut limportance que lhagiographie ultrieure luidonnera, ni la saisie dun train blind ou non chargde soldats et de munitions. Les soldats se rendirent eneffet assez rapidement et pour cause : leur chef, lecolonel Florentino Rosell Leyva, avait ngoci unereddition en douceur avec dautres gurilleros. Ilsenfuira aux tats-Unis avec un million de pesos, la

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  • solde de ses soldats69. Guevara lui-mme dclara laradio, que ses forces venaient de conqurir : Lasituation militaire du rgime est de plus en plus prcairecar ses soldats ne veulent pas se battre. Sans doutey avait-il une part d intox dans cette dclaration. Ily eut des combattants. La bataille de Santa Clara napas t une partie de plaisir et des soldats et despoliciers ont rsist. Mais et cela constitue un deslments insuffisamment pris en compte quandGuevara prtendra pouvoir atteindre en Amriquelatine les mmes rsultats que ceux quil connut Cuba larme de Batista, dans lensemble, navaitgure envie de lutter ! Malgr cela, Guevara tint cequil y et un combat et donna lordre dattaquer ceshommes dcids se rendre afin de manifester saforce face aux gurilleros concurrents avant de liquider,sans autre forme de jugement et peut-tre pour lamme raison , des gens dsigns par dessympathisants de la Rvolution comme espions lasolde de Batista.

    La prise de cette ville de Santa Clara donna Guevara une popularit dont il allait jouir dsormaisdans une bonne partie de la population et renddautant plus trange, inappropri, le sort qui lui futassign par Castro lorsque les rebelles entrrent le1er janvier dans les rues de La Havane : celuidexcuteur des basses uvres

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  • QIV

    Le hachoir de la Cabaa

    Ton amour rv olutionnaireTe mne une nouv elle entreprise

    L o lon attend la fermetDe ton bras librateur

    C arlos Puebla

    uand Batista senfuit, dans la nuit de la Saint-Sylvestre 1958, Guevara reut de Castro lordre dese rendre la vieille forteresse coloniale de laCabaa, lancienne forteresse qui domine le port

    de La Havane70. Une telle directive en surprit plus dun, commencer par Carlos Franqui, qui accompagnait len 1 dans sa lente traverse de l le dest en ouest enune huitaine de jours, de meetings en interviews, debains de foules en dclarations tonitruantes. Cheavait pris le train blind et la ville de Santa Clara ; il taitla seconde figure la plus importante de la rvolution.Quelles raisons Fidel avait-il de lenvoyer la Cabaa,une position secondaire ?

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  • Guevara, en retraitBonne question. Lenthousiasme est l. La victoireacquise. Tous ces hommes qui avaient lutt les armes la main contre larme de Batista triomphaient. Mais onaurait tort de les voir entrer, heureux et fraternels,dans la capitale abandonne par ses anciens matres. SiGuevara cherchait conforter la victoire et sedemandait dj quelle serait la meilleure maniredapporter sa pierre la Rvolution non seulement Cuba mais dans toute lAmrique, au sud du RioGrande, Castro, lui, soucieux de ne pas effrayer lestats-Unis et de ne pas susciter lenvie dintervenirmilitairement, dcida de laisser dans lombre lArgentin.Guevara, ctait en effet, pour la presse et lesobservateurs, le symbole de la radicalit rvolutionnairevoire du communisme international. Mieux valait doncmettre en avant Camilo, Cubain, facile daccs, pleindhumour, plutt que cet tranger parfois rigide,toujours soucieux de renforcer la discipline et prt vanter les objectifs socialistes de la rvolution. Ctaitun peu tt pour cela !

    Peut-il y avoir eu dautres raisons ? Castro se mfiait-il de la popularit de son lieutenant ? Ce serait biendans le personnage, mais rien ne latteste.

    Et puis il fallait bien quelquun pour organiserlinvitable rpression. Camilo, cur tendre, tait-illhomme quil fallait pour juger, condamner, excuter ?Ral aurait pu le faire, mais il tait Santiago. RestaitGuevara. Lui ne flancherait pas au moment de donner

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  • lordre de fusiller. Guevara le srieux, Guevaralincorruptible, Guevara lintraitable ferait, avec son sensdu devoir rvolutionnaire, le sale boulot sans broncher.

    Il le fit pendant quatre mois, o passrent entre sesmains danciens militaires, danciens policiers de lancien rgime , quelques journalistes et quelquescommerants, comme le rappelle Alvaro Vargas Llosa.71Comme il lavait fait dans la Sierra, comme il lavait faitaussi pendant loffensive de dcembre 1958 quand ilfaisait fusiller sans jugement des gens accuss par lafoule. Vox populi, vox dei pour Guevara. ceux quipouvaient le lui reprocher, il rpondit publiquement le5 fvrier 1959 : Les excutions ne sont passeulement une ncessit pour le peuple de Cuba maisaussi un devoir impos par ce peuple. Ici, pas denotions davant-garde qui aille au-del des ractionsspontanes des gens. Lappel aux excutions de lafoule dchane hurlant dans les rues de La Havane Paredon ! Paredon ! (Au mur ! Au mur !) justifiait ses yeux la svrit des sentences quil rclamait lui-mme. Les dirigeants de la rvolution avaient laval deFidel pour faire preuve de svrit. Celui-ci avaitdailleurs procd le 21 janvier une pantalonnadeaussi sinistre que grotesque devant le palais prsidentielen demandant au peuple rassembl son avis sur la liquidation des soutiens au rgime vaincu. CheGuevara, prsent cette manifestation, ne bronchapas, mais, comme prsident de la commission dappel,jamais, au grand jamais, il ne cassa une seule dessentences de mort prononces la Cabaa : il jugeait

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  • que la racaille antirvolutionnaire ne mritait que lamort72

    Guevara, dans la Sierra dj, considrait presquecomme un honneur deffectuer les tches les pluslourdes. la Cabaa, il poursuivit sur sa lance. Letribunal jugeait vite (5 heures en moyenne, en gnralde 20 h ou 21 h 2 h ou 3 h du matin) et respectaitplus ou moins les formes, car les connaissances du droitet de la procdure manquaient aux uns et aux autres.On ne sait combien de gens furent fusills Cuba dansles premiers temps de la rvolution, sans douteplusieurs centaines, comme le soutient Hugh Thomas.Et lon peut suggrer que plusieurs dizaines depersonnes furent fusilles sous la responsabilit directedErnesto Guevara.

    Il y eut pire : Jacobo Machover a recueilli lessouvenirs de Fausto Menocal qui voque le simulacredexcution quil subit la Cabaa, dans les premiersjours de la Rvolution73. Des procs eurent lieu aussien public, dans un stade. Rien nindique cependantque Guevara y ait particip. Il avait bien assez de laCabaa et ne liquidait pas par plaisir comme cela taitsans doute le cas de quelques personnalits drangescomme cet Herman Marks, un Amricain bizarrementaccept ce niveau, qui jouait un peu le rle dubourreau.

    Guevara faisait son travail comme il faut etdemandait aux juges dtre scrupuleux : tout devaittre fait pour dfendre la Rvolution. Comme jadis

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  • Lnine des juges du nouvel tat bolchevik, il exigeaitquon se proccupt moins du droit et quon dfendtplus le nouveau pouvoir populaire . Il aimait lerappeler : le prsident guatmaltque Jacobo Arbenzavait t vaincu prcisment de ne pas stre montrassez rigoureux dans lpuration de ses propres forcesnationales.

    La rvolution est une affaire srieuseTous ceux qui, dans son arme, simaginaient faire lafte aprs deux ans ou presque de privations etdabstinence en furent pour leurs frais. On racontequalors que chacun ramenait joyeusement une fille,Guevara rassembla les permissionnairesaccompagns et organisa un mariage collectif pourtous ces combattants et leurs compagnes dont lunionnavait pas t officialise , invitant un juge venirenregistrer leurs vux , sans oublier un prtre pourceux qui dsiraient une crmonie religieuse.

    Cette volont deffacer la sexualit des autres, signedune individualit incontrle, Guevara la manifesterargulirement. En 1965 au Congo, il obligera parexemple un des soldats qui laccompagnaient dans sonexpdition africaine se marier aprs quil eut apprislexistence de relations amoureuses entre lui et unejeune Africaine ! Le malheureux gurillero, pre defamille, se suicida et le Che entonna devant les Cubainsaffligs lair de l indiscipline quil fallait combattreavec la plus grande svrit74.

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  • Castro arriva enfin le 8 janvier La Havane, installaun brave magistrat progressiste, Urrutia, la prsidencede la Rpublique, lui-mme se contentant de ladirection de larme rvolutionnaire dont il fut dit etrpt avertissement clair aux autres forces commecelle du directoire tudiant quelle devait tre laseule et que tous devaient sy intgrer.

    Fidel poursuivit dans la capitale ses interminablesdiscours. Guevara se souvient-il du premier, dans la nuitdu 8 au 9 janvier, et de ltonnante mise en scne laquelle il donna lieu, avec la participation duncolombophile utilisant des appeaux pour que lescharmants oiseaux, symboles de paix, viennent seposer sur les paules de Castro ? Tout cela donnaitune image bien sympathique ltranger de cesrvolutionnaires, tout comme la prsence augouvernement de Jos Miro Cardona, un professeur dedroit pro-amricain, parfaitement inoffensif et amovible tout moment.

    Manuvre et manipulation. Guevara pouvait-il entre satisfait ? Il ne pouvait parfois sempcherdabattre les cartes et de rappeler o lon allait. Enpetit comit, en tout cas, comme par exemple le27 janvier 1959 devant des militants communistes quilvoulait rassurer dune tout autre manire que lesmilieux daffaires, il promit que la rvolution cubaineavait des ambitions radicales allant bien au-del de ceque Fidel avait reconnu jusque-l. En fait, lui-mme nese privait pas dagir dans lombre, mais ce ntait pas

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  • pour arrondir les angles ou donner une apparencebourgeoise la Rvolution en cours : Guevara agissait,lui, pour que la Rvolution aille plus loin, plus vite, et sedote darmes contre lesquelles ses ennemis nepourraient rien. De connivence avec Ral, le bon,lidaliste et romantique gurillero travaillait en secret renforcer les liens entre la direction castriste et lescommunistes du PSP.

    Ce nest pas sans laccord de Fidel quil sassocia aussi Ral, Camilo Cienfuegos et Ramiro Valds pourrencontrer Victor Pina, un des responsables du PSP,afin de mettre sur pied un service de renseignementsdigne de ce nom. Ramiro Valds allait en devenir lechef avec comme adjoint Osvaldo Sanchez, membre duBureau polit ique du PSP et chef de son comitmilitaire 75.

    Le 13 janvier 1959, Guevara inaugura la Cabaaune acadmie militaire et culturelle . Elle seproposait dassurer un minimum de connaissances debase aux jeunes recrues mais aussi de leur donner uneformation polit ique, grce des cours dhistoire, degographie et dconomie. Foin des plaisirs vulgaires ! Ilmit en route des projections de films, des concerts,des expositions, et mme des activits sportives,manire de bien encadrer la troupe et de lui enseignerles rudiments de la stricte discipline quil prnait.

    Or ceux qui dirigeront cette acadmie ntaientautres que des gens du PSP, une fois de plus. Eux,ntaient pas ractionnaires. Eux, taient disciplins.

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  • Cest Armando Acosta, dj son commissaire polit iquedans lEscambray, un petit massif montagneux aucentre du pays, qui en fut nomm ladministrateur.Quelques semaines plus tard, Guevara commena mettre en place des confrences de plus haut niveaupour les officiers, confrences de formation idologiquevoquant Lnine, les leons quon pouvait tirer de larvolution de 1917, mais aussi les pays socialistes , commencer par lURSS et la Chine

    Guevara et les communistesLes liens de Guevara avec le PSP ne se dmentirontpas. Il senticha notamment dun jeune membre duParti, Garcia Vals, quil nomma lieutenant et quil choisitpour tre son assistant afin de suivre les travaux de lacommission charge dlaborer la rforme agraire.

    Sans doute, les membres du Parti devaient-ilsregarder avec un certain ddain les prtentionsthoriques du Che qui substituait larme rebelle laclasse ouvrire comme avant-garde rvolutionnaire.Mais il tait dsireux de travailler avec eux et se faisaitleur avocat auprs de Fidel. La question de lavant-garde vritable, donc de la classe dirigeante, tait ainsijuge quelque peu thorique.

    Un peu plus tard, quand son pre lui rendit visite, ilcomprit que son fils avait trouv sa voie : Il staittransform en un homme dont la foi en la victoire deses idaux avait atteint des proportions mystiques76. Mystiques ? Au sens dirrationnelles, sans doute. Cela

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  • concernait lavenir et la victoire quil promettait avecune conviction absolue. Pour le moment, loin dumysticisme, il sagissait en tout cas ses yeux derendre coup pour coup dans un combat la vie lamort entre Rvolution et contre-rvolution. Do lafameuse formule quun peu plus tard il martlera latribune de la XIXe Assemble gnrale de lONU, sur le droit de la Rvolution fusiller : Oui, nous avonsfusill ; nous fusillons et nous continuerons de fusillertant quil le faudra.

    Ce nest pas un foss, cest un gouffre qui spare ledoux archange quon arbore sur un tee-shirt et sarevendication du droit la liquidation des adversairespolit iques.

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  • AV

    Le pigeon voyageur

    Pigeon, n. m. F ig.Homme quon attire dans quelque affaire

    pour le dpouiller, le rouler.(Petit Robert)

    prs la Cabaa et le sale boulot , Guevara futenvoy en mission autour du monde. Des vacancesdores en quelque sorte. Et lhonneur dereprsenter dans le monde la nouvelle Cuba. Mais

    certainement aussi un loignement organis. Non queGuevara ft vritablement dangereux aux yeux deCastro, mais celui-ci pouvait craindre le mot de tropque la presse internationale reprendrait ou la mauvaisehumeur que pouvait toujours manifester ce caractreentier, alors quil sagissait seulement pour le momentde jouer subtilement la carte de la dmocratie et de lapromesse dlections libres. Lheure tait unervolution de jeunes, luttant pour plus dhonntet etde justice dans leur pays.

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  • Un voyage trs organisIl sagissait de soutenir aussi quon navait rien voir, nide prs ni de loin, avec le communisme, de ne pasprovoquer les tats-Unis et de gagner du temps, car letemps jouait en faveur de Castro. Plus les jourspassaient, plus le rgime sorganisait, sarmait, serenforait. Un exercice de haute voltige peu fait pourle Che, toujours soucieux de montrer jusquo laRvolution voulait aller et toujours partisan des optionsles plus radicales. Les pays dAmrique latine navaientnul besoin de sinquiter du rle que pouvait jouerdans le nouveau rgime cubain un homme qui rvait dervolution continentale.

    lintrieur du pays, lloignement du Che vitait defaire peur aux modrs. Les responsables de la rformeagraire navaient nul besoin des initiatives trop radicalesque naurait pas manqu de proposer le Che. Son rlede formateur dans larme pouvait aussi tre assur pardautres, moins tents dexpliquer et de vanter larvolution de 1917, les uvres de Lnine, les bienfaitsde la collectivisation, et le caractre mondial de laRvolution !

    Guevara ne pourrait prononcer ses discoursenflamms, mais inadapts la priode quontraversait, devant les diplomates qui le recevraient.Mieux : il avait acquis un certain prestige militaire etferait un voyageur-reprsentant-placier de la Rvolutiontout fait prsentable. De son ct Guevara, tout sapassion pour Castro et sa Rvolution, ne pouvait

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  • encore imaginer quil puisse vouloir le manipuler. Ilpensait non sans raison que ce voyage pouvait trerellement utile et quau contraire dArbenz, qui avaitt trs isol en 1953, Cuba devait mener aussi la luttesur le plan international.