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La vie à deux, ou presque - excerpts.numilog.comexcerpts.numilog.com/books/9782732464565.pdf · Sophie me raconte que le mec de sa copine Yoko ne veut pas descendre le four à micro-

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RAPHAËL FEJTÖ

LA VIE À DEUX, OU PRESQUE

Édit ions de La Mart inière

ISBN : 978-2-7 324-6457-2

© 2014, Éditions de La MartinièreUne marque de La Martinière Groupe, Paris, France

Connectez- vous sur :www.editionsdelamartiniere.fr

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À Véronique

M É T I E R S

En ce moment, Sophie veut faire plein de métiers différents. Quand on va faire des photocopies, elle dit : « Je pourrais peut- être m’occuper d’un magasin de photocopie ! » Quand elle me prépare à manger et que c’est délicieux, elle dit : « Je pourrais être cui-sinière ! Je pourrais tout lâcher et acheter une petite bicoque en Italie. Je me marierais avec Giorgio (le patron de notre pizzeria préférée) et je mangerais des pizzas toute la journée ! »

M I C R O - O N D E S

Sophie me raconte que le mec de sa copine Yoko ne veut pas descendre le four à micro- ondes de leur cuisine. Il est cassé, vieux, pourri, mais il ne veut pas le descendre.Il s’engueule avec Yoko pendant des heures et le micro- ondes reste au milieu de la cuisine.

F O R F A I T

SFR m’a appelé pour la millième fois pour me pro-poser quelque chose à propos de mon forfait, pour

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soi- disant me faire faire des économies, et je les ai envoyés foutre avec un bonheur extrême.Et puis j’ai réalisé que c’est vrai que chaque mois j’explose mon forfait.Du coup, maintenant, j’attends qu’ils me rappellent.

N E T T O Y A G E

Sophie a dit à Abel qu’elle avait besoin de se nettoyer la tête, c’est trop le bordel. Elle veut tout virer chez eux. Elle parle de l’étagère dans la cuisine. Elle lui demande si c’est bien qu’elle soit rouge transparente ou pas, et la lampe, elle est bien ou pas ? Et le meuble, là, c’est pas un peu lourd ?

M U S E

Je parle à Sophie des muses célèbres dans l’histoire de l’art et raconte l’anecdote d’Alma Hitchcock, qui a dit à Hitchcock juste avant qu’il sorte Psychose qu’il ne pouvait pas sortir son film, parce qu’on voyait un plan où l’actrice principale respirait juste après s’être fait poignarder dans la douche. Il l’a écoutée et a retardé la sortie pour remonter son film.Je dis à Sophie que c’est important d’avoir une muse en qui on a confiance, qui nous écoute, et elle me dit d’un air rêveur : « Tu te rends compte ? Ça devait être dingue d’être la femme d’Hitchcock. »

D O N ’ T K I L L T H E P O T A T O E

Jil, la copine mannequin de Sophie, nous confie qu’elle est végétarienne et que même des pommes de terre, parfois ça lui fait mal d’en manger. Elle

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pense à la pauvre pomme de terre, avec ses racines et tout, qu’on arrache à la terre. « Don’t kill the pota-toe ! » elle dit.

R E P È R E

Sam et Emma ont passé la soirée à nous demander à Sophie et moi comment on bouffe, comment on vit, où on dort, ce qu’on a bouffé ce week- end, pour avoir des repères.

P R É S E N C E

Sam met tout le temps de la musique quand il va aux chiottes, et Abel décide au contraire de le dire carrément, mais du coup il se demande si c’est pas trop présent.

S A C S

Sam a fait des courses avec Emma. Il n’a pas supporté qu’elle demande des conseils au vendeur sans arrêt. Il s’est barré en lui laissant les sacs.

B A B Y - F O O T

Avec Sam, on a fait toutes les boutiques de Baby- foot de Paris, parce qu’il s’est mis en tête d’en acheter un.On est même allés à l’usine en banlieue.Au final, il n’a rien acheté.

L I B R A I R I E

Je suis allé à la librairie pour m’acheter des bouquins. Ça fait des années que je rêve de prendre le temps de m’acheter des livres. Au moment de payer, le

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libraire m’a souri et a dit que j’étais resté trois heures quarante- cinq. J’en ai acheté dix- sept.

C H E C K

Abel sort de la librairie, avec ses livres dans un sac plastique. Puis il sort de chez le fruitier avec d’autres sacs. Il croise soudain des jeunes skateurs qui lui disent qu’ils ont aimé son premier film, qu’il est culte. Et qu’ils espèrent qu’il va continuer à faire des films et que ça leur donne envie de faire des trucs.Abel, avec ses sacs de courses, ses livres, se sent décalé, mais il est touché. Puis ils lui disent : « Tu checkes ? » en référence à une scène de son film, et Abel sourit et tend le poing, un peu maladroit, comme le héros dans son film. Puis il les regarde partir sur leurs skates, cheveux au vent.

P H R A S E D E M O N A M I E L U C I E

« Moi, je suis comme les plantes vertes. Les plantes, elles ont besoin d’eau, et moi j’ai besoin de pas tra-vailler. »

V A C A N C E S

Laetitia, une copine de Sophie, complexe sur son gros ventre alors qu’elle est fine, et plonge la pre-mière dans l’eau à 16 degrés en Bretagne. Son mec est impressionné : « Waouh, ma meuf, elle est cou-rageuse ! » En fait, elle a plongé juste pour ne pas avoir à se montrer à poil.Puis elle fait de la barque à fond, aller- retour jusqu’à une petite île en face, alors que son mec

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croyait qu’elle n’en avait jamais fait. Et son mec est impressionné : « Waouh, ma meuf, elle assure en barque ! »Sophie demande à Laetitia si elle a parlé à son mec du fait qu’elle se sent obligée de frimer devant lui. Laetitia dit que non, elle ne veut pas lui parler de ces trucs- là.

P R O B L È M E

« Tu sais, je me disais… Y a mon frère qui va avoir un môme avec Laure, là… dit Sam.– Ouais…– Eh ben… c’est pas un peu bizarre de se dire que ce môme, je vais être son oncle, et pourtant j’ai niqué avec sa mère avant mon frère ? Donc, bien sûr, je suis pas son père, mais quand même…– Je sais pas, c’est comme si toi, ton père avait niqué avec la sœur de ma mère et…– Non, c’est comme si toi, ta mère avait niqué avec la sœur…– Non…– Enfin bref, tu trouverais pas ça bizarre ?– Non… »Abel n’a pas vraiment visualisé le truc et, en même temps, n’a pas de véritable avis sur la question.

A B E L

Sophie m’a dit qu’elle allait passer une journée en « Abel » pour que je comprenne combien je suis chiant, exigeant, etc.

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P O R T A B L E

Sophie a perdu son téléphone portable et elle se sent un peu désemparée. Juste avant de se coucher, elle se retourne vers moi, l’air paniqué. « C’est horrible, je ne peux même pas éteindre mon portable ! »

R Ô L E S

Je suis au lit avec Sophie et on décide de changer de rôle : moi, je jouerai Sophie, et elle jouera Abel.« Oh, mon amour… je commence, avec une petite voix un peu mielleuse. Oh, mon petit amour, et gnagnagna, et gnagnagna…– QUOI ? fait Sophie avec une grosse voix. QU’EST- CE QU’IL Y A ENCORE ? »

É C O U T E

Sophie n’écoute pas ce que je lui dis. Au déjeuner, après avoir passé une heure à m’entendre me plaindre de mon scénario, elle m’a avoué n’avoir absolument rien écouté.

M E R C E D E S

Deux mecs discutent à côté de moi au café.« Ça fait trois semaines qu’il veut s’acheter une voi-ture… Il va voir la Porsche à 150 000… Il la trouve trop rapide… Puis il va voir la Mercedes… trop basse. Puis une autre Mercedes. Et il se décide pas ! C’est les gens qui savent pas ce qu’ils veulent, ça. Et finalement, il a acheté une BMW pourrie à 20 000 en attendant que sa Mercedes chromée arrive… »

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M A D O U

Naïma m’a dit que son cousin Madou a squatté chez elle, et elle est super énervée parce que quand elle est rentrée de vacances, elle a vu une note de téléphone énorme. Il a passé son temps à faire du téléphone rose.

Ç A Y E S T !

À chaque fois que je passe dans l’atelier de ma mère, elle me dit : « Ça y est ! J’ai trouvé le truc ! J’ai enfin compris la peinture ! Tout le reste de ma peinture, je peux la jeter ! »

D A R T Y

Aujourd’hui, j’ai décidé de tout régler nickel : la télé qui marche plus, l’imprimante qui déconne, et quand je vais chez Darty, je me booste pour bien me pré-parer au savon que je vais leur mettre, à ces connards qui vendent du matos de merde. Mais quand j’arrive au service après- vente, il y a le mec juste avant moi qui gueule déjà à ma place.Il m’a volé mon rôle et quand c’est mon tour, ça me coupe la chique.

F R A Î C H E U R

Zoé, la copine de Louis, est très jolie, très fraîche, elle a vingt- deux ans.« Moi, ce que j’aime, c’est les photos de cadavres… elle dit, les yeux brillants.– Ah ?

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– Ouais, où tu vois les corps déchiquetés, le sang partout… C’est chanmé !– Ah ?– J’adore les films d’horreur aussi, quand c’est super gore, sinon, ça m’emmerde !– Moi j’aime pas, je suis trop sensible… T’es le genre à aimer les snuff movies, c’est ça ?– Ouais ! La dernière fois, j’ai vu un truc, il y avait un mec qui se faisait couper la bite en deux parties en direct ! C’était chanmé ! Mais en fait, j’ai appris après que c’était truqué… Je suis trop naïve, moi ! »

A S S U R A N C E

Zoé dit qu’elle ne veut pas se marier avec Louis parce qu’elle est trop jeune.Louis dit qu’il ne veut pas se marier avec Zoé parce qu’il n’est pas prêt.Et la mère de Louis dit qu’il faut qu’ils se marient car il aura une assurance pour ses dents pourries.

M É T R O

Naïma me dit qu’elle n’aime pas lire dans le métro parce qu’il y a plein de gens qui lisent son livre en même temps qu’elle, et elle sent qu’ils lisent plus vite qu’elle et qu’ils attendent qu’elle tourne la page.

P L A Y S T A T I O N

J’ai toujours voulu m’initier à la Playstation, mais je n’y ai jamais rien compris : tous ces boutons à manipuler.Moi, j’en suis resté à Donkey Kong.

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J’ai demandé à mon pote Sam de me montrer son jeu d’avion sur son grand écran : t’es dans la cabine de pilotage d’un avion, il y a des millions de boutons sur le tableau de bord, le son en 5.1 et tout, et de temps en temps, tu vois une montagne, t’as un autre avion que tu dois viser, et ça a l’air très sophistiqué, mais visuellement il ne se passe rien. Absolument rien.Sam a aussi un jeu « sensationnel » où le héros est un Polonais avec un flingue, dans une ville qui ressemble à New York. Tout est en 3D, tu peux tuer les gens que tu croises, conduire de grosses bagnoles dans la ville, et il y a des missions à faire très compliquées.Mais mon pote Sam, il passe son temps à buter tout le monde pour aller au bar à strip- tease.

E N G U E U L A D E

En ce moment, je note tout ce qui se passe et Sophie aussi, elle prend des notes.Aujourd’hui, on s’est engueulés et, la seconde d’après, on s’est jetés chacun sur notre carnet pour noter l’engueulade.

F I L M S

Sophie ne regarde que des films débiles de mariage, d’amour, et moi que des films débiles de guerre.

S O U M I S E

Aujourd’hui, Sophie m’a regardé d’un drôle d’air et m’a dit qu’elle se demandait si elle n’était pas une femme soumise.

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P A R O L E

Dès que je me mets à parler à Sophie, elle se barre faire un truc.

G É N I E

Sophie et moi, on est dans la cuisine, je parle de Michael Moore, comme quoi OK, il est doué, tout ça, dans le monde du documentaire, il est à part, mais bon, c’est pas un génie quand même. Elle me répond, tout en préparant à manger : « Bien sûr que c’est pas un génie, il est tellement gros ! »

V O I S I N S

Ce matin, j’ai entendu le voisin qui parlait à deux femmes immondes sur le palier. Il essayait de leur vendre son appartement.Je les trouvais tellement désagréables que j’ai com-mencé à tout faire pour qu’elles dégagent : j’ai mis la musique à fond, je me suis mis à parler hyper fort à Sophie, qui me regardait d’un air perplexe.J’écoutais derrière la porte les commentaires, en regardant par l’œilleton. « L’immeuble est très moyen, disait la femme, méprisante. (On est dans le Marais, dans l’un des coins les plus jolis.) Et puis j’ai un vrai problème avec les poubelles dans la cour. Et le quartier est pionnier, je préfère un quartier installé, plus établi. »Notre voisin se courbait, s’excusait, hésitait, on aurait dit qu’il rougissait.

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« Oui, mais il y a des créateurs, des stylistes… disait- il d’une petite voix de fiotte.– Peut- être, mais ça ne m’intéresse absolument pas ! » conclut- elle, comme si son plus grand pied était de pouvoir l’humilier.On a eu chaud.

P R O P O S S U R L E B O N H E U R

Sophie et moi, on est au lit. Elle lit Libé, un article sur le foot. Moi, je lis Propos sur le bonheur d’Alain.Puis on échange, sans bouger, toujours aussi concen-trés.

V I S I O N

Quand j’étais jeune, le fait de niquer tous les jours avec la même personne me paraissait absolument impensable. Eh ben, j’avais vu juste.

D É C I S I O N

Sophie et moi, on regarde un film sur Kennedy, au moment de la baie des Cochons, ils ont une grande décision à prendre et c’est hyper stressant.Soudain, il n’y a plus d’images à la télé. Juste le son.Je chope la télécommande, règle les chaînes pour retrouver le film. Sophie m’engueule. Je dois prendre une décision rapidement : éteindre la télé et rallumer, ou essayer tant bien que mal de retrouver la chaîne ? Sophie me regarde, angoissée, et elle dit qu’on doit bien étudier la question avant de prendre la décision. On est aussi sérieux que Kennedy.

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P E T I T B O I S

Je fais part à Sophie d’une théorie sur le temps qu’on perd à s’habiller et elle me regarde genre rien à foutre. Puis elle me parle de son père quand elle était petite qui était un peu comme moi, il se régalait à calculer des trucs incroyables. « Par exemple, il me disait : “Le fait que le petit bois brûle plus vite qu’une bûche prouve que la densité du bois permet une moins bonne combustion.” Il était fou de bonheur de m’expliquer ça, alors que moi j’en avais rien à foutre. Mais je voyais que ça lui faisait tellement plaisir que je faisais semblant de m’intéresser ! »

P L E U R E R

Avec Sophie, on adore pleurer en regardant un film ensemble.

D E N T I F R I C E

Sophie se lave les dents dans le lavabo ou dans la baignoire.Elle me dit qu’elle est contente parce qu’elle gagne du temps depuis qu’elle a acheté deux dentifrices.

À T A B L E

Je suis à table avec Sophie. Après une conversation futile, j’essaie de soulever un débat intello.Sophie soupire et me regarde, l’air de dire : « Mais pourquoi tu te forces ? »

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E N V I E

Abel dit à sa psy qu’il ne peut pas imaginer Sophie avoir envie d’autres mecs. Ça le perturbe.Une fois rentré à la maison, il se rend compte qu’elle pourrait très bien en avoir envie, en fait. Et du coup, ça la rend plus désirable, elle existe VRAIMENT.

S E R V I C E

Je me prends souvent la tête sur ma relation avec les serveurs. Quand c’est un serveur que je connais bien, je dis tout le temps : « Apporte- le- moi quand tu veux, quand t’as le temps… » parce que je ne veux pas faire comme si je lui donnais des ordres.Pourtant, au lieu que ça me rende sympathique, j’ai l’impression qu’il m’en veut un peu de faire genre « on est copains », alors, au final, je n’ose jamais l’appe ler pour commander.

V I D E

Abel et Rodolphe, au café.« C’est dingue de se dire qu’on est fait à 95 % d’eau…– Ouais… Cinq litres de sang…– Et puis d’alcool…– Ouais, et c’est fou de se dire qu’on a plus de vide que de plein dans notre corps…– On est plus vides ?– Ouais. »

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P É T É

Rodolphe me dit qu’il hésite à rentrer avec la meuf avec qui il danse. Il dit qu’il en a envie parce qu’il est pété et qu’il devrait être tout le temps pété.

V O U S

Quand j’avais vingt- cinq ans, je trouvais ça bizarre qu’on me dise « vous » ou « monsieur ». Je suspec-tais toujours la personne de se foutre de ma gueule. Maintenant aussi, sauf que quand on me dit « tu », je me sens un peu insulté. J’ai plus douze ans, quoi.Il devrait y avoir un entre- deux.

E N F A N C E

Abel, Sam et Rodolphe sortent de boîte à 8 heures du mat’, et comme ils ne sont pas loin de leur ancien lycée, ils décident de se pointer devant et de faire semblant d’attendre que la cloche sonne avec les autres élèves.Mais les ados ne sont pas bien réveillés, ils ne font pas gaffe à eux. Abel et ses copains rient bêtement, essaient de se faire remarquer, mais rien à faire. Puis ils rentrent se coucher dans la lumière du matin.

L A V O M A T I Q U E

Aujourd’hui, j’ai aidé une femme africaine à porter son linge jusque chez elle. On marchait tous les deux dans la rue, elle en boubou avec son sac sur la tête, et moi qui l’aidais à côté. J’avais l’impression d’être au Mali.

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réalisation : nord compo à villeneuve- d’ascqimpression : normandie roto impression s.a.s. à lonrai

dépôt légal : août 2014. n° 116253 ( )imprimé en france