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Chaque fois que je suis interpellé pour réfléchir sur la violence institutionnelle , je me sens tiraillé entre le fait que le meilleur et le pire peuvent coexister au sein des institutions . Comment aborder le fait qu’un intervenant puisse être à la fois un agent de contrôle social et un agent de relation d’aide ? Comment sortir de ce paradoxe sans soulever rage ou désespoir de la part de représentants de ces institutions porteuses à la fois de bienfaits et de méfaits? Comment aider des intervenants à trouver un sens à leur pratique dans desinstitutions de plus en plus en crise ?
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Les centres jeunesse de la Montérégie Brossard, le 11 novembre 2008 Titre de la conférence :La violence institutionnelle : la comprendre pour mieux la combattre Conférencier: Jacques Hébert, professeur , École de travail social, UQÀM. Courriel: [email protected] Résumé Chaque fois que je suis interpellé pour réfléchir sur la violence institutionnelle , je me sens
tiraillé entre le fait que le meilleur et le pire peuvent coexister au sein des institutions .
Comment aborder le fait qu’un intervenant puisse être à la fois un agent de contrôle social
et un agent de relation d’aide ? Comment sortir de ce paradoxe sans soulever rage ou
désespoir de la part de représentants de ces institutions porteuses à la fois de bienfaits et
de méfaits? Comment aider des intervenants à trouver un sens à leur pratique dans des
institutions de plus en plus en crise ? Comment éviter de leur faire violence dans des
institutions où les violences sont souvent subtiles. Je me sens sur la corde raide comme ce
conte asiatique sur “ Les portes du Paradis ¨ ( Fauliot, P. Contes et récits des arts martiaux
de Chine et du Japon, Paris: Albin Michel, 1984 ).
Mon passé d’intervenant pendant une dizaine d’années , dans diverses institutions ( centres
de réadaptation ouvert et fermé, hôpital sécuritaire et écoles ) ainsi que ma pratique
d’intervenant-‐chercheur depuis près de 20 ans dans le domaine de la violence me donnent,
j’ose l’espérer, un regard privilégié sur la violence subie ou agie . Des incidents heureux et
malheureux ont marqué mon exploration du milieu institutionnel. J’aimerais partager ce
vécu avec vous en me rappelant une citation d’Albert Brie : “ Expert: point de vue de
quelqu’un de tellement profond qu’il peut être creux. “
Comme le rappelle Jean Bédard (2001: 244) dans son ouvrage Nicolas de Cues :
¨ Qu’est-‐ce qu’une institution sourde à ses contradictions les plus sincères ? C’est une
masse qui s’apesantit chaque jour un peu plus jusqu’à ce qu’elle écrase tout ce qu’il y a de
vivant chez les hommes, ne laissant plus circuler, tel un venin que l’abstraction de ses
normes.¨
Je définirais la violence institutionnelle comme diverses formes d’abus de pouvoir qui sont
normalisées à l’intérieur d’une institution comme faisant partie du quotidien banalisé ou de
la routine. L’antipode aux abus serait le partage du pouvoir , un exercice démocratique
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empreint de respect mutuel au nom de l’intégrité de la vie humaine ( Bédard, J. Le pouvoir
ou la vie, Montréal: Fides , 2007).
Prenons un exemple, l’approche clinique mise de l’avant dans plusieurs centres jeunesse
met l’accent sur les carences d’un jeune . Dans la plupart des cas des interventions sont
prévues pour agir sur des facteurs individuels et familiaux. La majorité de ces jeunes et
leur famille proviennent pourtant des milieux les plus défavorisés au plan socio-‐
économique . Où sont les actions pour agir sur les causes de la pauvreté et non uniquement
sur les effets ? Éliane Mossé dans son ouvrage Les riches et les pauvres , Paris : Seuil,
1983, montre comment les plus favorisés d’une société prennent des mesures parallèles
pour éviter à tout prix la stigmatisation institutionnelle de leurs enfants à cause des
préjudices possibles.
Fernand Deligny , un éducateur qui a consacré une soixantaine d’ années auprès de jeunes
en difficulté mentionne que cette manière d’intervenir ne donne que des résultats mitigés
( Graine de Crapule, , Paris: Éditions du Scarabée, 1960: 74-‐75). Dans la même veine , il
souligne le danger de l’étiquetage : ¨N’oublie jamais de regarder si celui qui refuse de
marcher n’a pas un clou dans sa chaussure ( 1960: 34). ¨ . Il faudrait apprendre à se
distancier d’une idéologie stipulant que les antécédents présument de l’avenir. Le
discours sur les facteurs de risques est aliénant. On oublie que la vie est un risque et que le
hasard d’une rencontre significative, une situation imprévue ou un nouveau contexte
peuvent changer une trajectoire de vie. Nous posséderions tous des personnalités multiples
selon le contexte social ( Lahire, B. L’homme pluriel, Paris: Nathan, 1998). Les intervenants
sociaux auraient généralement tendance à surévaluer les problèmes rencontrés par une
personne et à sous-‐estimer ses capacités de s’en sortir ( Mayer , R. et F. Ouellet,
Méthodologie de recherche pour intervenants sociaux, Boucherville: Gaëtan Morin, 1991)
La violence institutionnelle peut donc faire partie des pratiques professsionnelles mais
aussi de sa culture et de ses normes . Elle peut prendre des formes syndicales, patronales
et interpersonnelles. Il n’est pas toujours facile de saisir que nous pouvons faire partie d’un
problème et donc de sa solution.
Au plan syndical, je suis toujours surpris qu’on parle d’amélioration des conditions de
travail alors que dans les faits l’accent est mis principalement sur les échelles salariales et
les avantages sociaux. Que se fait-‐il au niveau de l’imposition d’une gestion informatisée
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des dossiers, des bureaux avec cloisons, du nombre de dossiers octroyés aux intervenants
et des facteurs organisationnels en cause dans l’épuisement professionnel ? Comment la
notion de qualité de vie pourrait-‐elle se traduire dans le milieu de travail ? Les définitions
de tâches des professionnels parlent dans les conventions de personnes capables de
concevoir, de planifier, d’actualiser et d’évaluer des plans d’intervention. Dans les faits, la
pratique des professionnels demeure souvent limitée à appliquer des mesures alors que les
fonctions de conception, planification et évaluation sont souvent laissées entre les mains de
gestionnaires . Évaluer , par exemple , ne peut renvoyer aux phrases préfabriquées voulant
qu’un jeune s’en sorte à cause de nous et qu’il ne s’en sorte pas à cause de lui. Ces
formulations renvoient à une forme de protectionnisme qui empêche d’aller au fond des
choses. Dans ces conditions, l’autonomie professsionnelle semble menacée quand des
intervenants sont cantonnés à l’exécution plutôt qu’à la création. Il semble y avoir des
contradictions entre les écrits et les actes posés. Ce type d’organisation veut-‐elle
principalement des exécutants ou des créateurs ?
Au plan patronal, les abus demeurent possibles. Que penser d’une gestion bureaucratique
mettant l’emphase sur l’efficacité et le rendement au détriment des relations humaines , de
partage du pouvoir et de l’information avec les intervenants et les usagers. Comment
appliquer des normes de travail qui renvoient davantage à la direction d’une entreprise
privée qu’à une organisation sociale où différents acteurs devraient être en synergie ? Que
penser de l’attitude de certains cadres dans le social davantage préoccupés par leur
carrière qu’au soutien des équipes de travail sous leur responsabilité ? Comme me déclarait
un jour un cadre que j’interrogeais dans le cadre d’une enquête : “ Je leur signifie que
j’endosse leurs propositions mais je ne fais rien pour les soutenir, ainsi on ne pourra rien
me reprocher si ces mesures ne fonctionnent pas. ¨ L’inaction ou le laisser-‐aller constitue
une forme sournoise de violence institutionnelle. Certaines directions d’établissements
auraient tendance à oublier qu’une gestion saine des rapports humains exerce une
influence positive sur les intervenants et les populations desservies.
Que penser également de l’impossibilité des professionnels de dénoncer publiquement les
lacunes dans l’organisation des services publics où tout se doit d’être filtré par un service
des communications. Lanza Del Vasto, apôtre de la non-‐violence, déclarait qu’une des
formes de violence la plus pernicieuse consiste à l’incapacité d’une institution à se remettre
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en question. Une institution incapable de se questionner risque davantage de sombrer
dans la stagnation plutôt que l’adaptation aux changements multiples dans une société en
mouvement. Une forme d’Omerta empêcherait-‐elle un réel questionnement sur
l’orientation des établissements du réseau institutionnel ? Désirons-‐nous répondre aux
besoins de ce système ou à ceux d’une population en détresse ?
Du côté des violences interpersonnnelles , bien entendu , il y a les violences possibles des
usagers mais doit-‐on rester silencieux devant les abus de pouvoir de certains
professionnels ? Quand des professionnels sont interrogés sur ce type d’acte dans leur
pratique rarement ils osent avouer qu’ils peuvent y recourir. La dernière enquête du
Conseil permanent de la jeunesse auprès de 80 jeunes ayant reçu les services de centres
jeunesse révélait que ces jeunes avaient côtoyé une moitié d’intervenants respectueux et
humains et une autre moitié irrespectueux et froids. L’association des centres jeunesse
s’est empressée de juger cette recherche non représentative. Quatre-‐vingt jeunes c’est déjà
un nombre suffisant pour questioner certaines pratiques abusives. Posons l’hypothèse que
si les données de cette étude étaient allées dans une voie positive pour les CJ l’association
des CJ les auraient jugées crédibles. Dans le même sens, l’utilisation des mesures
d’isolement dans les CJ devrait être une mesure exceptionnelle pour encadrer un arrêt
d’agir physique alors que dans les faits il s’agit surtout d’un moyen utilisé pour contrôler
des agressions verbales envers le personnel( Desrosiers, J. Isolement et mesures
disciplinaires dans les centres de réadaptation pour les jeunes . Montréal: Wilson & Lafleur,
2005). Pensons également au type d’intervenant dictateur-‐caïd envers les jeunes mais
qu’aucun intervenant n’osera confronter malgré qu’il entretient un climat malsain. Je me
rappelle les propos d’une intervenante : “ Je le sais violent mais je n’irai jamais lui en parler
de peur qu’il retourne cette violence contre moi . “ Il faudra un jour prendre le temps de
s’arrêter pour parler de cette peur en regard de la violence. Apprivoiser ses peurs s’est
accepter de s’ouvrir à une voie pacifique pour tenter d’établir un réel dialogue. Dans le
même ordre d’idées, comment expliquer l’existence de salles d’entrevues avec chaises et
tables vissées au sol alors que ces mesures n’existent pas dans des institutions comme
l’institut Pinel ou dans les pénitenciers ? Ce cadre physique permet-‐il d’établir un lien de
confiance ou d’apaiser les craintes de l’intervenant ?
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Ce panorama de la violence en institution pourrait facilement s’allonger. Essayons plutôt
de dégager quelques avenues constructives pour contrecarrer ces effets pervers.
Une des premières suggestions formulées à une victime de violence consiste à briser le
silence. N’est-‐ce pas ce qui devrait inciter des intervenants et des usagers à avoir le courage
de dénoncer les abus dont ils sont victimes afin de faire émerger la vérité? Gandhi
soulignait que la vérité et la non-‐violence représentent les meilleurs moyens de combattre
la violence.
Les intervenants , d’après Agyris et Schön, nécessiteraient pour être stimulés dans leur
travail : d’être reconnu, de vivre des succès et de développer des formes d’appartenance et
de solidarité. Force est d’admettre que plusieurs milieux de pratique ne favorisent pas la
mise en oeuvre de ces conditions qui sont pourtant nécessaires au développement
professionnel.
En guise de conclusion les intervenants travailllent dans des conditions de plus en plus
difficiles mais la lourdeur des clientèles ne représente-‐t-‐elle en bout de ligne qu’un faux
prétexte pour éviter de remettre en question l’ organisation du travail et les incohérences
entre les valeurs énoncées et pratiquées ?
Certaines conditions seraient indispensables à mettre en place pour préserver sa santé
mentale et physique dans un milieu stressant et conflictuel. Dans le Traité d’anthropologie
médicale, Sainte-‐Foy, Presses de l’Université du Québec, , Bozzini et Tessier (1985)
mentionnaient que quatre formes de soutien social seraient nécessaires pour bien vivre:
affectif, matériel, informatif et normatif . Ce contexte convivial relèverait malheuresement
encore de l’exception plutôt que de la règle dans les services sociaux. Plusieurs
intervenants se réfugient encore trop souvent dans des excuses préfabriquées comme : ¨ Je
suis débordé , je n’ai pas le temps, etc… ¨ Et ainsi éviter de prendre du temps pour
réfléchir sur le sens de leur pratique et se donner des moyens de combattre des violences
subtiles qui empoisonnent leur contexte de travail. Le temps des Fêtes approche je vous
suggère de demander au Père Noël , si vous y croyez encore , le livre de Pierre Fortin,
L’oeuvre de soi. Sainte-‐Foy: Presses de l’Université du Québec, 2008 afin de mettre des mots
sur les maux . En attendant je vous laisse méditer sur un conte du Moyen-‐Orient:
“S’il y a un problème il y a peut-‐être une solution mais s’il n’y a pas de solution il n’y a peut-‐
être pas de problème.” Merci de votre attention.
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