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296 LA HOUILLE BLANCHE ~----- N" 3 - MAI-JUIN 1963'
visual isation, .
mecanlqueLa
endes écoulements
des fluides
ALLOCUTION DE }VI. P. CHAPOUrrHIER,l'R1lSIDENT-IlIHECTEUR GÉNÉRAL IlE LA S.A.F.E.G.E.,
pnÉSIDENT IlE LA SÉANCE IlU 21 MAHS 1!J(i3DU CO~IITÉ TECHNIQUE IlE LA SOCIÉTll HYDHOTECHNIQUE DE FRANCE
Mes chers collègues,
Le développement impressionnant de l'outilmathématique au cours de ces dernières annéesne doit pas nous faire oublier que la plus savante déduction n'a jamais remplacé le contactdirect avec les choses. Les mathématiciens euxmêmes en conviennent: ils ne peuvent éviter,au départ, des axiomes et des postulats d'origine expérimentale; et quand ils veulent traduire cette perception directe et immédiate desphénomènes, ils emploient volontiers le langagemême des empiriques. On les entend dire: «onvoit facilement que », «la certitude en est palpable ». D'une manière plus savante, ils recourent volontiers au latin. Ils disent: intnere,voir,regarder. Nous avons, des hypothèses de base,de l'espace, du temps, une notion «intuitive l).
Vous savez la part prépondérante qu'a chezles ingénieurs l'intuition, la vision directe deschoses. Par ce qu'elle a d'exaltant, de stimulantpour l'imagination et pour l'intelligence, elle atoujours joué un grand rôle pour la Rechercheet particulièrement en Hydraulique. Un grandhistorien des sciences a même pu écrire que« tous les grands hommes qui, depuis le XVII' siècle jusqu'au milieu du XIX' siècle, ont créé l'algèbre, le calcul intégral et la mécanique céleste,ont le plus souvent justifié les plus importantesdécouvertes à l'aide de raisonnements défectueux ou même de paralogismes flagrants. » Cl).
Aussi le contrôle du mathématicien est-ilconstaniment nécessaire pour assurer la démar-
(1) Pierre DUHEM. La seîenee allemande, 1915.
che de l'intuition et légitimer les transpositionsqu'elle opère.
Une des tâches essentielles accomplies parles mathématiciens dans la seconde moitié duXIX' siècle a été de reprendre les œuvres de leursdevanciers pour compléter et rectifier leurs raisonneluents, pour leur montrer ~ le 1uot estd'Augustin Cauchy ~ «comment ils auraientdû trouver ce qu'ils avaient si bien inventé».Je pense d'ailleurs qu'Augustin Cauchy setrompe et que, par des moyens rigoureux, ilsn'auraient jamais inventé.
Un premier service que le mathématicien rendau physicien, c'est de lui permettre de changerles phénomènes, pourvu que les équations quiles régissent restent les mêmes. On sait le développement pris ces dernières années par la méthode des analogies.
Premier exemple: l'écoulement d'un fluidevisqueux.
Il est régi, comme vous le savez, par l'équation de Navier. Si, dans cette équation, on peutnégliger le terme d'inertie, c'est-à-dire si les vitesses sont faibles, l'équation de Navier devientl'équation de Darcy. C'est l'analogie de HeleShaw, du nom du savant qui l'a découverte en18\)8, et dont vont nous parIer MM. LE FUR etAGUIRRE-PUENTE. Cette analogie visualise enquelque sorte le milieu continu fictif, caractérisépar sa perméabilité géométrique, que l'hydraulique souterraine a pris l'hâbitude de substituerà la discontinuité réelle du milieu poreux.
Mais on peut aussi changer le fluide: on peutremplacer l'eau par l'électricité. Ce sont alorstoutes les analogies électriques, dont vous con-
Article published by SHF and available at http://www.shf-lhb.org or http://dx.doi.org/10.1051/lhb/1963018
MAI-JUIN 1963 - N° 3 P. CHAPOUTHIER ,------------- 297
naissez l'important développement. On peutencore remplacer un liquide par un gaz ou inversement. J'ai noté avec un certain plaisir, enlisant la seconde communication, celle deM. \VEIlLÉ, ingénieur de recherches à l'Officenational d'Etudes et de Recherches aéronautiques, qu'alors que, pour les hydrauliciens, ledégrossissage de certains phénomènes à l'air aété considéré sinon comme un progrès, du moinscomme une économie, pour les aérodynamiciens,c'est souvent l'inverse: un certain nombre deproblèmes posés par les gaz sont utilement dégrossis à l'eau. C'est un agréable échange debons procédés.
On sait en effet que l'écoulement en surfacelibre d'un fluide incompressible est régi par lesmêmes équations que l'écoulement en charged'un gaz compressible; d'où le passage de l'unà J'autre.
Mais le physicien intervient à son tour pourdévelopper nos moyens d'investigation.
L'œil humain est un outil imparfait. Il est notamment atteint d'une double infirmité, spatialeet temporelle.
Nous ne distinguons pas en deçà du 1/2000"de radiant, ni en deçà du 1/20" de seconde. Bienheureuses infirmités qui rendent possibles lesjoies du cinéma et de la télévision! Mais cetteinsuffisance de nos moyens physiques ne nouspermet pas une analyse assez fine de certainsphénomènes.
Deux ingénieurs du Centre Nucléaire de Grenoble, MM. SÉMÉIUA et BÉHAR, vont nous aider,pour les phénomènes d'ébullition et d'écoulements diphasés, à nous affranchir de nos infirmit.és par trois moyens; et nous pourrons, jecrOIS, bloquer ces trois rapports, étant donné lacommunauté d'idées dont ils procèdent.
Ces trois moyens sont: le cinéma uItra-rapide
- non plus 20 images, mais 8 000 images à laseconde, la strioscopie, l'étude des sillages parvoie optique (grâce à une variation provoquéede l'indice de réfraction du milieu), enfin la méthode stroboscopique, qui immobilise les imageset qui ne nécessite pas un phénomène rigoureusement périOdique grâce à un déphasage variahIe dans la cadence des éclairs lumineux.
Voici la part du physicien.
Enfin, dans un quatrième rapport, le mathématicien va réapparaitre. M. FAunE, chef duDépartement « Mécanique des Fluides» au Centre de Recherches et d'Essais de Chatou, aprèsavoir rappelé les diff.érents procédés de visualisatioIl (procédés optiques, procédés par élémentstraçants, procédés par traitement des surfaces),fait la critique des limites de validité de ces procédés.
Cette critique repose sur l'idée suivante, (familière aux physiciens) : dès qu'on introduit unappareil ou un corps étranger, on perturbe forcément l'écoulement; même à l'échelle macroscopique, qui est celle de la mécanique des fluides, un principe d'incertitude subsiste. « Ou bien,comme le dira spirituellement M. FAURE,on précise la position du point, mais alors onmodifie les vitesses; ou bien on respecte l'écoulement, mais alors on ne sait plus exactement àquel point il faut rapporter la mesure. »
M. FAURE passe ainsi en revue les diverseslimitations qu'apporte la mécanique des fluidesà cette visualisation: masse aj outée et pousséed'Archimède, discontinuité des pressions, distinction entre trajectoires, lignes de courant,lignes d'émission, qui ne coïncident que dansl'écoulement permanent, turbulence enfin.
C'est un mutuel et constant appui que se prêtent ainsi mathématique et physique, la perfection de la connaissance scientifique n'étant aufond que la parfaite conscience de sa limitation.