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L’AFFECTATION DES BIENS D’UNE FIDUCIE TESTAMENTAIRE
Par Me Claude Samson, notaire
1- Introduction
2- Cadre légal
2.1 L’affectation ou l’objectif recherché par le testateurArt. 1260 C.c.Q.Art. 1261 C.c.Q.
2.2 La faculté d’élire ou l’exercice de la discrétion par le fiduciaireArt. 1282 C.c.Q.Art. 1283 C.c.Q.
2.3 La responsabilité du fiduciaire ou la conciliation du droit des bénéficiaires de chaque ordre.Art. 1317 C.c.Q.Art. 1345 C.c.Q.
3- L’illustration de la problématique dans la cause Letendre c. Gestion MD.
4- Les défis en rédaction
4.1 Exprimer l’intention du testateur ;
4.2 Encadrer les attentes des bénéficiaires ;
4.3 Baliser l’exercice des pouvoirs des fiduciaires.
L’intention du rédacteur doit se manifester sur ces trois (3) axes.
5- Fiducie pour personne handicapée
6- utilisation des différentes fiducies testamentaires
7- Conclusion
L’usage des fiducies doit cependant subsister en tant que patrimoine distinctpour assurer:
- La protection du patrimoine ;- La transmission du patrimoine aux ordres subséquents- Le fractionnement du revenu dans certaines circonstances.
Art. 1260 C.c.Q. :
« La fiducie résulte d’un acte par lequel une personne, le constituant, transfère deson patrimoine à un autre patrimoine qu’il constitue, des biens qu’il affecte à unefin particulière et qu’un fiduciaire s’oblige, par le fait de son acceptation à déteniret à administrer. »
Art. 1261 C.c.Q. :
« Le patrimoine fiduciaire, formé des biens transférés en fiducie constitue unpatrimoine d’affectation autonome et distinct de celui du constituant, du fiduciaireou du bénéficiaire, sur lequel aucun d’entre eux n’a de droit réel. »
La Cour d’appel dans l’affaire Bagnoud 2005 QCCA (492 C.A.) conclut que les trois(3) éléments essentiels à la constitution d’une fiducie sont :
1) Un transfert de bien du patrimoine du constituant à un autre patrimoine ;2) L’affectation du bien transférée à une fin particulière ;3) L’acceptation par un fiduciaire de l’obligation de détenir ce bien et del’administrer.
Il est préférable de s’attarder à la rédaction d’une claused’affectation qui représente bien l’intention du testateur. Il ne fautpas avoir peur de le placer dans des situations qu’il n’imagine pas.Le rédacteur doit lui poser les questions permettant d’évaluer lesressources financières du conjoint.
- Comment les biens seront utilisés dans le cas de maladie?
- Quel sera le rôle des fiduciaires ?
- Seront-ils seuls à gérer la situation ou si les enfants serontimpliqués ?
Sans oublier les situations conflictuelles motivées par des intérêtsdivergents et pas toujours avoués.
2.2 LA FACULTÉ D’ÉLIRE
Art. 1282 C.c.Q. :
« Le constituant peut se réserver ou conférer au fiduciaire ou à un tiers la facultéd’élire les bénéficiaires ou de déterminer leur part. »
[…]
Art. : 1283 C.c.Q. :
« Celui qui a la faculté d’élire les bénéficiaires ou de déterminer leur part l’exercecomme il l’entend ; il peut modifier ou révoquer sa décision pour les besoins de lafiducie.
Celui qui exerce la faculté ne peut le faire à son propre avantage. »
Les articles traitants de la faculté d’élire permettent aux fiduciairesd’apprécier une situation qui est hors de portée du testateur. Le défiest grand : d’une part, on doit décider aujourd’hui des moyens et desactions qui seront d’actualité dans un avenir lointain. De plus, cesdécisions devront trouver application sur une période relativementlongue dans un univers en évolution.
2.3 LA RESPONSABILITÉ
Art : 1317 C.c.Q. :
« S’il y a plusieurs bénéficiaires de l’administration, simultanément ousuccessivement, l’administrateur est tenu d’agir avec impartialité à leurégard compte tenu de leurs droits respectifs. »
1345 C.c.Q :
« La répartition des bénéficiaires et des dépenses entre le bénéficiairedes fruits et revenus et celui du capital se fait conformément auxdispositions de l’acte constitutif et suivant l’intention qui y estmanifestée.
À défaut d’indication suffisante dans l’acte, cette répartition se fait leplus équitablement possible. En tenant compte de l’objet del’administration, des circonstances qui y ont donné lieu et des usagescomptables généralement reconnus. »
Ainsi, l’absence d’indication claire au testament sur le rôle du fiduciairepeut ouvrir la porte toute grande à l’appréciation des tribunaux pourdéterminer ce qui est équitable dans les circonstances. La cour pourra ainsise référer:
- aux habitudes de vie- au mémo fiscal- à la valeur des patrimoines en cause.
Ce sont autant d’éléments au travers desquels nous recherchons la volontédu testateur.
Rappelons-nous qu’en matière testamentaire, cette recherche est au cœurde bien des débats judiciaires.
3- ILLUSTRATION DU PROBLÈME
La cause Letendre c. Société de Fiducie MD (2012)
- Monsieur Lévesque décède- Monsieur Lévesque laisse sa conjointe et ses quatre (4)enfants, dont trois (3) sont d’une union précédente.- L’actif net au décès +/- 2 200 000,00 $
Le fiduciaire doit verser à sa conjointe, les revenus. Le fiduciairepeut également empiéter sur le capital à sa seule discrétion pourpermettre à la conjointe de vivre de façon convenable.
- Le fiduciaire est : société de Fiducie MD- les bénéficiaires de second ordre sont ses enfants- La fiducie génère + 25 000,00$ de revenus annuels.- Madame réclame 89 000,00 $ nets d’impôt pour vivre de façonconvenable.
Les termes du testament :
1- L’affectation :
« Les biens seront affectés exclusivement à la satisfaction des besoinset à la garantie du confort de ma conjointe. »
2- Les moyens pour y parvenir :
a) « lui payer tous les revenus »b) « empiéter sur le capital pour permettre à ma
conjointe de vivre de façon convenable »
3- Faculté d’élire : « à l’entière discrétion du fiduciaire. »
« ARTICLE 1290. Le constituant, le bénéficiaire ou un autreintéressé peut, malgré toute stipulation contraire, agir contre lefiduciaire pour le contraindre à exécuter ses obligations ou à faire unacte nécessaire à la fiducie, pour lui enjoindre de s'abstenir de toutacte dommageable à la fiducie ou pour obtenir sa destitution.
Il peut aussi attaquer les actes faits par le fiduciaire en fraude dupatrimoine fiduciaire ou des droits du bénéficiaire. »
LES DÉFIS LORS DE LA RÉDACTION
1- Permettre à mon épouse de vivre de façonconvenable.
Le terme convenable est très large. Qu’est-ce quiconvient à une personne et pas à une autre.
2- Les biens seront affectés à la satisfaction desbesoins et à la garantie du confort de mon épouse,sa vie durant.
Le fiduciaire peut probablement définir ce qu’estun besoin, dans le sens de ce qui est nécessaire, cequi doit être fourni, par contre, la notion du confortest très relative. Un petit appartement avec unfauteuil bien moelleux….
3- Lui permettre de continuer à vivre selon un régimede vie équivalent à celui qu’il connaissait de mon vivant.
Le fiduciaire pourrait être bien embêté pour évaluer cerégime lorsque le décès survient après une longue maladiesurtout si la capacité financière de la fiducie est réduite.
4- Pourvoir aux dépenses reliées à son bien-être, sa viedurant.
Qu’est-ce que le bien-être. Ce terme fait appel à un étatd’esprit, un état d’âme. Pas celui du fiduciaire, mais celuidu bénéficiaire. Comment s’y prend-on ? Doit-on référer àl’indice relatif du bonheur.
Le fiduciaire doit dans chacun des énoncés contenus autestament, non seulement évaluer clairement les besoins del’épouse, mais il doit aussi les accorder avec la capacitéfinancière de la fiducie ; les équilibrer avec les droits desbénéficiaires de second (2e) ordre et, finalement considérer lacapacité financière de l’épouse.
La responsabilité des fiduciaires s’apprécie en opposantles besoins du bénéficiaire de premier (1e) ordre auxdroits des bénéficiaires de second (2e) ordre. Nonseulement il faut que le testateur exprime la manièredont le fiduciaire devra pourvoir aux besoins du premier(1e) ordre, mais il faut également qu’il accompagne sesdirectives de précisions à l’égard des attentes qu’il veutcréer pour les bénéficiaires de second (2e) ordre.
Dans son testament, M. x constitue une fiducie exclusive pour sonépouse contenant les dispositions suivantes :
1- Elle aura droit à tous les revenus en exclusivité.
2- A) Elle aura droit à toute partie du capital encas d’insuffisance de revenu pour subvenir à tout besoin relié à sonétat de santé ou tout autre besoin, au seul jugement de monfiduciaire.
OU
B) Elle aura droit à tout ou partie du capital, àl’entière discrétion de mon fiduciaire.
« Mes fiduciaires pourront empiéter sur le capitalmême si cela avait pour effet de ne laisser aucuncapital aux bénéficiaires de second (2e) ordre. Monintention est de permettre à mes fiduciaires d’affectertous les biens de la fiducie au bien-être de mon épousesans être tenus, d’aucune manière, de respecter lesdispositions de l’article 1317 du C.c.Q. »
Ces dispositions devraient traiter également de la capacitéfinancière de l’épouse de subvenir à ses propres besoins.
Ainsi, selon les circonstances, le testateur devrait indiquer :
1- Si les fiduciaires doivent attendre que le patrimoinede l’épouse soit épuisé avant d’empiéter sur le capital de lafiducie, ou
2- Si les fiduciaires ne doivent pas tenir compte de lavaleur du capital de l’épouse dans l’appréciation des sommesen capital à lui remettre, ou
3- Si les fiduciaires doivent s’assurer que le patrimoinede l’épouse soit sollicité proportionnellement à la valeur dupatrimoine de la fiducie pour satisfaire à ses besoins.
Si l’état de santé de mon épouse et la valeur de sonpatrimoine le permettent, je souhaite que mesfiduciaires conservent une partie importante ducapital de la fiducie pour permettre à mes enfantsd’envisager une retraite confortable. Ce dernierterme ayant le sens « d’absence de troublefinancier ».
Ou, à l’opposé, le testateur prévoit des dispositions quipermettent aux fiduciaires d’empiéter sur le capital poursatisfaire à toute demande de son épouse pourvu que sasécurité financière à long terme ne soit pas compromisepar tel empiétement.
Le jugement dans l’affaire du « Curateur public c. SuccessionA.N. » confirme le statut de patrimoine distinct de la fiducie dansle cas d’un prestataire de la solidarité sociale.
Curateur public c. Succession A.N.CS 21 février 2014
(L’aide financière du ministre deL’Emploi et de la Solidarité sociale)
Résumé
Madame « N » décède en 2004. Elle laisse son fils Monsieur « N » autiste et prestataire de la solidarité sociale,bénéficiaire de la fiducie créée aux termes de son dernier testament.
Les fiduciaires ont la faculté de déterminer la part des revenus que Monsieur « N » pourra recevoir au-delà deses besoins journaliers lesquels sont couverts par les prestations de solidarité sociale.
Le problème identifié ici provient du fait que la personne voulant bénéficier de la prestation doit démontrerqu’elle n’a aucune autre ressource financière à sa disposition. Il s’agit d’une aide de dernier recours.
Le ministère chargé de l’administration du programme de la solidarité sociale ayant eu connaissance del’existence de la fiducie a cessé de verser les prestations en prétendant que Monsieur « N » a les ressourcesnécessaires pour couvrir ses besoins de base, ces ressources provenant de la fiducie créée par le testament desa mère.
S’agissant d’une personne autiste sous curatelle publique, le curateur s’adresse aux fiduciaires pour que lafiducie couvre les dépenses de base et les dépenses particulières de Monsieur « N » soit 1 000,00 $ / mois.
Le testament prévoit que les fiduciaires pourront à leur seule discrétion utiliser le revenu et le capital de lafiducie qu’ils jugeront nécessaire « For any additional maintenance of me son during his life » incluant lesfrais additionnel pour l’éducation, soins médicaux, logement, accompagnement ou autres dépenses que lesfiduciaires jugeront raisonnable.
La Cour établie que :
Lorsqu’un texte est clair, il n’est point besoin d’avoir recours à deséléments de preuve extrinsèques afin de déterminer quelle est lavéritable intention du testateur ;
Lorsqu’on est en présence d’une fiducie discrétionnaire, lebénéficiaire n’a qu’un droit éventuel ;
Les dispositions de la Loi sur l’aide aux personnes et familles quiprévoit que l’adulte qui reçoit des prestations doit exercer « lesdroits » dont il peut bénéficier et qui peuvent réduire le montant del’aide financière ne sont pas applicables.
RÉDACTION DES FIDUCIES DE PROTECTION POUR PERSONNE HANDICAPÉE
« 6.3 Règles concernant l'affectation du revenu et du capital
6.3.1 Mes fiduciaires devront conserver les biens de la fiducie, voir à leur administration et à leur affectationde manière à assurer le bien-être de Monsieur x dès qu’il atteindra l’âge de soixante-cinq (65) ans. À cet effet, ilspourront, à compter de cet âge lui verser les revenus et au besoin, toute partie du capital afin de défrayer, à leurentière discrétion, les dépenses d'entretien, de soins médicaux de même que pour payer toutes autres dépensesde quelque nature que ce soit effectuées pour l'avantage de Monsieur x pour et au nom de celui-ci ou au nom deson représentant légal s'il est alors inapte.
À compter de cette époque, mes fiduciaires pourront également verser directement à Monsieur x les revenus dela fiducie en partie ou en totalité ainsi que toute partie du capital afin de lui permettre de pourvoir lui-même auxdépenses reliées à son bien-être.
6.3.2 Tant que Monsieur x n’aura pas atteint l’âge de soixante-cinq (65) ans, mes fiduciaires pourront, à leurentière discrétion :
a) Défrayer directement le coût de soins, médicaments, traitements ou services professionnels qui sont denature à améliorer son bien-être, dans la mesure où ceux-ci ne sont pas couvert pour toute assurance ouprogramme gouvernemental ;
b) Défrayer directement le coût d’équipement requis pour son bien-être ;
c) Défrayer directement le coût de toute sortie ou déplacement et ceux de tout accompagnateur à touteactivité de nature culturelle, sociale ou récréative, si mes fiduciaires le jugent opportun.
Ces dépenses ne pourront être engagées que dans la mesure où les dispositions qui précèdent au paragraphe6.3.1 ne risquent pas d’être compromises. »
L’UTILISATION DES FIDUCIES TESTAMENTAIRES
FIDUCIE ENTRE CONJOINTS
1.1 FEC totalement discrétionnaire
1.2 FEC avec empiétement autorisé à certaines conditions
1.3 Au décès du bénéficiaire, les biens sont dévolus auxenfants au premier degré :
a) Du coupleou
b) Du testateur
La FEC ne devrait avoir pour objet que d’assurer latransmission d’une partie ou la totalité des actifs de lasuccession aux bénéficiaires de second (2e) ordre et, en ce sens,devrait comporter des restrictions qui se situerait entre :
Pourvoir au bien-être de mon épouse sa vie durant à l’entièrediscrétion de mon fiduciaire.
etPourvoir aux dépenses extraordinaires comme en cas demaladie, soins infirmier ou tout autre besoin exceptionnel auseul jugement de mon fiduciaire.
FIDUCIE POUR ENFANTS AU PREMIER DEGRÉ
Fiducie pour enfant mineur jusqu’à l’âge de la majorité
Ces fiducies sont essentielles pour assurer la protectiondes enfants mineurs. Nous recommandons cependantde prévoir la remise du capital à compter de l’âge devingt-cinq (25) ans.
Cette fiducie doit être discrétionnaire jusqu’à l’âge devingt et un (21) ans pour assurer le bien-être,l’éducation et la formation et à partir de cet âge, prévoirdes remises qui varieront selon les circonstances.
Fiducie pour enfant majeur autonome
La fiducie discrétionnaire pour chacun des enfants au premier (1er)degré ne doit avoir pour but que de protéger celle-ci contre leséventuels créanciers du bénéficiaire. Ainsi, les dispositionspermettant au fiduciaire d’empiéter sur le capital devraient contenirdes restrictions qui permettront au fiduciaire de limiter les droitsconférés au bénéficiaire si sa sécurité financière à long terme risqued’être compromise.
Le testateur devrait permettre au fiduciaire de remettre tous les actifs aubénéficiaire même si cela avait pour effet de ne rien laisser auxbénéficiaires éventuels si cette fiducie ne procure aucun avantage aubénéficiaire ou encore que tel avantage serait moindre que ceux quepourrait en tirer le bénéficiaire s’il avait la pleine propriété des biens dela fiducie.
CONCLUSION
L’utilisation des fiducies discrétionnaires dans le cadre testamentairedoit être réservée à des cas très particuliers. Ce qui était la règledevient l’exception.
Lorsqu’elle sera utilisée, il sera de mise de considérer chacun desaspects énoncés plus haut soit :
L’intention du testateurL’encadrement des attentes de chaque ordre de bénéficiaireLes balises qui accompagnent les pouvoirs accordés au fiduciaire.
« un texte n’est parfait non pas lorsqu’il n’y a plus rien à yajouter, mais lorsqu’il n’y a plus rien à y retrancher. »
Merci
