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DAVID TANGUAY L’ARGENT DES MIGRATIONS : MOTEUR DE DÉVELOPPEMENT DES COMMUNAUTÉS RURALES AU CHIAPAS ? Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures de l’Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en sciences géographiques pour l’obtention du grade de maître en sciences géographiques (M.Sc.Géogr.) DÉPARTEMENT DE GÉOGRAPHIE FACULTÉ DE FORESTERIE ET DE GÉOMATIQUE UNIVERSITÉ LAVAL QUÉBEC 2007 © David Tanguay, 2007

L’ARGENT DES MIGRATIONS : MOTEUR DE DÉVELOPPEMENT …ii Résumé Lorsque le 1er janvier 1994, l’EZLN prit d’assaut plusieurs villes du Chiapas au Mexique, les conditions socio-économiques

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DAVID TANGUAY

L’ARGENT DES MIGRATIONS : MOTEUR DE DÉVELOPPEMENT DES COMMUNAUTÉS

RURALES AU CHIAPAS ?

Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures de l’Université Laval

dans le cadre du programme de maîtrise en sciences géographiques pour l’obtention du grade de maître en sciences géographiques (M.Sc.Géogr.)

DÉPARTEMENT DE GÉOGRAPHIE FACULTÉ DE FORESTERIE ET DE GÉOMATIQUE

UNIVERSITÉ LAVAL QUÉBEC

2007

© David Tanguay, 2007

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Résumé Lorsque le 1er janvier 1994, l’EZLN prit d’assaut plusieurs villes du Chiapas au Mexique,

les conditions socio-économiques déplorables des Chiapanèques furent dévoilées au grand

jour. Depuis que le Mexique a entrepris des réformes néolibérales dans les années 1980-

1990, les Chiapanèques, incapables de s’adapter à la concurrence des produits agricoles

américains, croient n’avoir qu’une seule option : la migration vers les États-Unis. Une fois

dans ce pays d’accueil, les migrants contribuent au maintien de leur famille en leur

transférant d’importantes sommes d’argent. Toutefois, cette solution est-elle viable ? Les

résultats d’entrevues réalisées dans la forêt Lacandona démontrent que les migradollars

permettent aux familles d’investir dans la production agricole, en santé et en éducation, les

aidant ainsi à rompre le cycle de la pauvreté. De plus, en favorisant le développement

économique et humain à l’échelle locale, les migrations contribuent à contenir les luttes

sociales à l’échelle régionale. Dans ce contexte, que sont devenues les revendications

zapatistes ?

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Abstract On January 1st, 1994, the Zapatistas seized several cities in the Mexican state of Chiapas

and revealed to the world the deplorable socio-economic conditions of Chiapanecos. Since

the neoliberal reforms of the 1980-1990 decades, peasants have been unable to adapt their

production to competition from U.S. agricultural products. They now believe they have

only one option left: migrate to the United States. Once in the host country, the migrants

contribute to their family livelihood through the transfer of remittances. However, is this

solution viable? The results of interviews conducted in the Lacandona forest show that

remittances enable the migrant’s families to invest in agricultural production, health and

education. Thus, they build up human capital that could help them break the cycle of

poverty. Moreover, by fostering local economic and human development, migrations now

help to contain social conflict on a regional scale. In this new context, what has become of

Zapatista claims?

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Remerciements L’écriture d’un mémoire de maîtrise n’étant pas une tâche facile, il est nécessaire de

remercier ceux et celles qui m’ont offert aide et soutien au cours de ces deux dernières

années. Tout d’abord, je tiens à remercier ma directrice de recherche, Mme Nathalie

Gravel, pour ses judicieux conseils. Ensuite, ma copine, Anne Toussaint, ainsi que ma

famille pour leur soutien moral quotidien. Je remercie également tous mes amis du

GREDIN et du département de géographie avec qui j’ai passé de très bons moments, ainsi

que les évaluateurs de ce mémoire, Steve Déry et Jorge Virchez.

Finalement, je tiens à remercier ceux et celles qui m’ont apporté une aide inestimable sur le

terrain au Chiapas, en particulier mon ami Carlos Tejeda Cruz, professeur au Collège

d’ECOSUR. Merci aux gens de l’Université de Chapingo, campus Chiapas, dont entre

autres le coordonnateur Tim Trench. Merci aux professeurs Daniel Villafuerte Solís et

Jorge Cruz Burguete et tous les gens du collège ECOSUR. Enfin, je voudrais remercier

Mélanie, Jérôme, Nayalit, Marco et Fatima pour m’avoir offert leur soutien sur le terrain et,

bien sûr, les habitants d’El Ixcán et de Loma Bonita pour m’avoir si gentiment accueilli.

Merci !

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Liste des acronymes

ALENA Accord de libre-échange nord-américain

BANRURAL Banque nationale du crédit rural

BID Banque Interaméricaine de Développement

CIOAC Centrale indépendante des ouvriers agricoles et paysans

CNC Confédération nationale paysanne

COCOPA Commission de Concorde et de Pacification

COESPO Conseil étatique de la population

CONAPO Conseil national de la population

CRI Coordination des relations internationales

ECOSUR Collège de la frontière sud

EZLN Armée zapatiste de libération nationale

GATT Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce

INAFED Institut national pour le fédéralisme et le développement municipal

INEGI Institut national de statistiques géographiques et informatiques

INMECAFE Institut mexicain du café

MAREZ Municipalités rebelles zapatistes

OCEZ Organisation paysanne Emiliano Zapata

PAN Parti de l’Action national

PPP Plan Puebla-Panamá

PRA Programme de réhabilitation agraire

PRI Parti révolutionnaire institutionnel

SCT Ministère des Communications et des Transports

SEDESOL Ministère de Développement social

SRA Ministère de la Réforme agraire

SRE Ministère des Relations extérieures

UNICACH Université des sciences et des arts du Chiapas

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Glossaire des mots espagnols utilisés

Colonias : Aire habitée par des colonos.

Colono : Petits producteurs ayant un statut juridique différent des ejidatarios et des comuneros. Fait habituellement référence à leur position périphérique à la ville et à leur récente arrivée.

Comuneros : Communautés en majeure partie autochtone qui détiennent leur droit d’accès à la terre depuis l’époque coloniale et où les terres sont cultivées collectivement.

Ejidatario : Individu ayant accès à une parcelle de terre au sein d’un ejido. L’ejidatario possède des droits, par exemple celui de participer aux décisions de la communauté en votant aux assemblées. Avant la réforme de l’article 27 de la Constitution de 1992, l’ejidatario ne pouvait vendre ou louer sa terre, mais seulement la transférer par héritage.

Ejido : Forme d’organisation des terres, issue de la Révolution mexicaine, où les terres sont gérées par la communauté. La réforme de l’article 27 de la Constitution mexicaine de 1992 a mis un terme à la distribution de terres sous forme d’ejidos par le gouvernement.

Haciendas : Grande exploitation agricole d’Amérique latine.

Poblador : Individu travaillant la terre dans un ejido, mais qui n’a pas le statut d’ejidatario. Habituellement, pour avoir accès à la terre, le poblador paye l’ejidatario ou lui remet une partie de ses récoltes.

Quinceñeras : Quinzième anniversaire d’une jeune fille.

Ranchos : Grande ferme d’élevage d’Amérique latine.

Tienda : Petite épicerie, équivalent du « dépanneur » au Québec.

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Table des matières

Résumé................................................................................................................................... ii Abstract................................................................................................................................. iii Remerciements.......................................................................................................................iv Liste des acronymes................................................................................................................v Glossaire des mots espagnols utilisés ....................................................................................vi Table des matières ............................................................................................................... vii Liste des tableaux...................................................................................................................ix Liste des figures .....................................................................................................................ix Introduction.............................................................................................................................1

Mise en contexte .................................................................................................................1 Problématique.................................................................................................................6

Hypothèse de recherche ....................................................................................................11 Méthodologie ....................................................................................................................12

Sources primaires et secondaires .................................................................................12 Territoire d’étude..........................................................................................................13 Méthode de cueillette et de traitement des données .....................................................17 Intérêt de la recherche ..................................................................................................19 Limites de la recherche.................................................................................................20

Chapitre 1. Comment évaluer le développement des communautés ? .................................23 1.1. Qu’entendons-nous par développement ?..................................................................23

1.1.1. Les cas de Jorge et María...................................................................................23 1.1.2. Une définition adaptée au contexte local ...........................................................24

1.2. Le cadre opératoire utilisé..........................................................................................27 Chapitre 2. Le contexte socio-économique chiapanèque : les migrations en tant que stratégie de survie .................................................................................................................37

2.1. La question agraire au Chiapas : historique d’un problème ......................................37 2.1.1. Les effets de la réforme agraire au Chiapas.......................................................37 2.1.2. Ralentissement économique et début d’une crise agricole .................................40 2.1.3. Migrations internes et peuplement de la forêt Lacandona .................................41 2.1.4. Remise en question du « corporatisme d’État », formation d’organisations paysannes autonomes et répression au Chiapas ..........................................................43 2.1.5. Naissance de l’EZLN ..........................................................................................44

2.2. Crise économique, crise agricole et réformes néolibérales : les migrations de masse en tant que stratégie de survie au Chiapas ........................................................................46

2.2.1. Les années de Miguel de la Madrid : le début d’une crise agricole ..................46 2.2.2. La crise du café...................................................................................................48 2.2.3. Salinas de Gortari et la réforme de l’article 27 de la Constitution....................50 2.2.4. Les effets de l’ALENA sur le milieu agricole chiapanèque : le cas du maïs ......51

2.3. Les IDE pour contrôler l’immigration .......................................................................53 2.3.1. Le Mexique et les IDE.........................................................................................53 2.3.2. L’impact de l’impasse politique sur les IDE au Chiapas ...................................55

Chapitre 3. Les résultats : Le rôle des migrations dans le développement des communautés : le cas d’El Ixcán et de Loma Bonita .....................................................................................62

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3.1. Les objectifs et l’importance du revenu migratoire ...................................................62 3.1.1. Les objectifs et les motivations des migrants......................................................62 3.1.2. L’influence du temps sur le lien tissant le migrant à sa communauté ................66 3.1.3. L’importance du revenu migratoire au sein des budgets familiaux ...................71

3.2. La canalisation du revenu migratoire.........................................................................74 3.2.1. La satisfaction des besoins essentiels .................................................................74 3.2.2. Une qualité de vie améliorée à court terme ?.....................................................77

3.3. Les investissements productifs : vers un véritable développement ? ........................83 3.3.1. Les investissements agricoles et commerciaux ...................................................83 3.3.2. Investissements dans le capital humain ..............................................................89 Conclusion de cette partie ............................................................................................91

Chapitre 4. Une nouvelle ère pour le Chiapas ? ...................................................................93 4.1. Des bienfaits pour l’ensemble de la communauté ? ..................................................93

4.1.1. Les exclus des courants migratoires ..................................................................93 4.1.2. À quand les migradollars collectifs ? .................................................................96

4.2. L’intégration du Chiapas à l’économie internationale...............................................99 4.2.1. Les migrations en tant qu’agent pacificateur du Chiapas..................................99 4.2.2. Le Plan Puebla-Panamá : possible dans une zone à influence zapatiste ? ......105

Conclusion ..........................................................................................................................113 Bibliographie ......................................................................................................................119 Annexe 1 : Questionnaire utilisé sur le terrain ...................................................................128 Annexe 2 : Occupation de la population active de la municipalité de Maravilla Tenejapa par secteur d’activités (2000)....................................................................................................134 Annexe 3 : Répartition de la population active de 12 ans et plus selon le salaire ..............135 Annexe 4 : Carte des régions physiographiques du Chiapas ..............................................136

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Liste des tableaux Tableau 1 : Indicateurs socio-économiques du Chiapas.........................................................5 Tableau 2 : Distribution des terres au Chiapas, 1920 – 1984 ...............................................39 Tableau 3 : Structure agraire au Chiapas (2002) ..................................................................45 Tableau 4 : Part du secteur social ayant accès à des moyens de production (1988).............48 Tableau 5 : Distribution des producteurs de café du Chiapas par superficie de propriété

cultivée en 1992 ............................................................................................................49 Tableau 6 : Distribution des IDE au Mexique, 1994-2006...................................................56 Tableau 7 : Profil des migrants de chaque unité domestique ...............................................63 Tableau 8 : Les raisons et les objectifs ayant motivé les migrations....................................64 Tableau 9 : Les investissements en éducation .....................................................................91 Tableau 10 : Répartition des types d’investissements accomplis (%) (2002-2006) ............97

Liste des figures Figure 1 : Le poids des migradollars en Amérique latine.......................................................3 Figure 2 : Distribution des revenus au Mexique, 2000...........................................................6 Figure 3 : Municipalités et régions socio-économiques du Chiapas ....................................13 Figure 4 : Marginalisation et zone de conflit au Chiapas .....................................................14 Figure 5 : El Ixcán et Loma Bonita au Chiapas....................................................................16 Figure 6 : Variables influençant les sommes reçues par l'unité domestique ........................30 Figure 7 : Variables influençant les sommes disponibles pour l'unité domestique ..............32 Figure 8 : Variables influençant les choix de l'utilisation des migradollars .........................35 Figure 9 : Caracol d’Oventik dans la région de Los Altos...................................................60 Figure 10 : Intention de revenir s’établir dans la communauté ............................................65 Figure 11 : Durée du séjour des migrants .............................................................................67 Figure 12 : Caricature représentant les risques des nouvelles routes pour traverser la

frontière.........................................................................................................................68 Figure 13. Fréquence des allers-retours ................................................................................69 Figure 14 : Fréquence des communications par téléphone...................................................71 Figure 15 : Part du revenu migratoire au sein du budget familial ........................................72 Figure 16 : Fréquences des envois........................................................................................72 Figure 17 : Nombre d'enfants par famille .............................................................................75 Figure 18 : Temple construit à l’aide de l’argent des migrations .........................................76 Figure 19 : Intérieur du temple construit à l’aide de l’argent des migrations.......................77 Figure 20 : Le confort matériel amélioré d’une famille d’agriculteurs de Loma Bonita

bénéficiant de l’argent des migrations ..........................................................................78 Figure 21 : Les investissements sur la résidence ..................................................................79 Figure 22 : Maison traditionnelle avec plancher de terre .....................................................81 Figure 23 : Cimentation du plancher et construction d’un deuxième étage .........................82 Figure 24 : Cimentation des murs et division de l’espace domestique.................................82 Figure 25 : Maison construite à l’aide des migradollars.......................................................83 Figure 26 : Les investissements productifs...........................................................................85 Figure 27 : Exemple de machinerie agricole ........................................................................87

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Figure 28 : Exemple d’une tienda construite à l’aide des migradollars à El Ixcán ..............89 Figure 29 : El Ixcán en construction.....................................................................................94 Figure 30 : École à Loma Bonita ..........................................................................................95 Figure 31 : Station écotouristique à El Ixcán......................................................................103 Figure 32 : Puente Chiapas .................................................................................................105 Figure 33 : Régions incluses dans le Plan Puebla-Panamá.................................................107

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Introduction

Mise en contexte Lorsque le 1er janvier 1994, date d’entrée en vigueur de l’ALENA, l’Armée zapatiste de

libération nationale (EZLN) prit d’assaut plusieurs villes du Chiapas au Mexique, les

conditions socio-économiques déplorables des Chiapanèques furent dévoilées au grand

jour. Malgré de grandes ressources naturelles qui pourraient faire du Chiapas un État

prospère, celui-ci est toujours considéré comme le plus pauvre du Mexique (Anzaldo et

Prado, 2006). Confrontés à une mauvaise répartition des richesses, entre autres de la

propriété terrienne, les Chiapanèques sont forcés de chercher des stratégies de survie afin

de remédier au contexte socio-économique difficile. Depuis les années 1970, de nombreux

regroupements indépendants au syndicat national des paysans (CNC) naquirent, donnant

lieu à une série d’occupations de terres qui débouchèrent souvent sur de violents conflits

qui connaîtront leur apogée avec la rébellion zapatiste de 1994. Pourtant, alors que les

luttes agraires furent, durant plusieurs années, la solution privilégiée des Chiapanèques

pour tenter de remédier aux problèmes socio-économiques, voilà qu’une nouvelle stratégie

prend de plus en plus d’importance : les migrations vers les États-Unis.

En effet, si les décennies de luttes agraires ont finalement réussi à assurer un meilleur

partage de la propriété terrienne au Chiapas, elles n’ont toutefois pas été en mesure de

développer le secteur des ejidos1 afin qu’il puisse demeurer compétitif. Pour cette raison,

depuis que le Mexique a entrepris des réformes néolibérales au début des années 1980, la

terre n’arrive plus à satisfaire les besoins de plusieurs familles chiapanèques. Depuis, de

nombreux paysans sont contraints de migrer aux États-Unis, bien souvent illégalement, afin

de trouver un emploi qui permettra à leur famille demeurée dans leur communauté de

survivre à l’aide de l’argent des migrations2.

1 Les ejidos sont des terres gérées par la communauté. Voir le glossaire pour la définition des termes espagnols utilisés et le deuxième chapitre pour obtenir plus de détails sur le secteur des ejidos. 2 L’argent des migrations est parfois mieux connu sous son terme anglais « remittance ». Le terme n’a pas d’équivalent en français, quoique certains auteurs emploient « migradollars ». L’argent des migrations se rapporte aux sommes qui sont transférées par le migrant du pays d’accueil aux communautés d’origine.

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Les migrations sont devenues une stratégie de survie importante pour les Mexicains (figure

1). En 2003, le Mexique était le deuxième pays au monde à recevoir le plus d’argent

provenant des migrations, soit 14,6 milliards de dollars, étant seulement dépassé par

l’immense bassin démographique qu’est l’Inde (Munzele Maimbo et Ratha, 2005). Après

les revenus des combustibles, les migradollars sont la deuxième plus importante source de

financement externe du Mexique, dépassant même les revenus provenant des

investissements étrangers et de l’industrie touristique (Gravel et Patiño, 2003) ! Bien

qu’elles existent depuis fort longtemps, en particulier depuis la mise en place du

Programme Bracero (1942-1964)3, les migrations ont pris une importance particulière

depuis la crise économique de 1982.

À la suite de cette crise, le gouvernement mexicain a dû abandonner le modèle de

substitution des importations qui avait jusqu'à lors prévalu en Amérique latine pour adopter

le modèle néolibéral basé sur la libéralisation, la privatisation et la dérégulation

(Appendini, 1998 ; Pastor Jr. et Wise, 1998 ; Lapointe, 1997). En agriculture, ces réformes

néolibérales ont profondément modifié la relation entre l’État et les communautés agricoles.

Ces communautés qui, depuis la Révolution mexicaine (1910-1920), avaient été habituées à

un certain paternalisme de la part de l’État, voient celui-ci se retirer peu à peu de

l’agriculture. Depuis ces réformes, le milieu agraire mexicain est affecté par une grave crise

agricole qui semble vouloir perdurer (Gravel, 2007 ; Bartra, 2005 ; Villafuerte Solís, 2005 ;

Appendini, 1998 ; Pastor Jr. et Wise, 1998 ; Harvey, 1998a).

3 Conçu durant la Deuxième Guerre mondiale, le Programme Bracero permettait aux Mexicains de venir travailler temporairement dans le milieu rural aux États-Unis (Durand, 2005).

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Figure 1 : Le poids des migradollars en Amérique latine

Source : Banque interaméricaine de développement (2004) dans Dabène (2006)

L’importance qu’ont pris les migrations en tant que stratégie de survie à la crise agricole a

fait un naître un intérêt considérable au sein de la communauté scientifique. Celle-ci s’est

interrogée sur le rôle que pouvait jouer l’argent des migrations sur le développement

économique et social des communautés rurales. Toutefois, ces études ont été surtout

concentrées sur des régions du Mexique connaissant une culture des migrations plus

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ancienne, comme les États du Michoacán et de Zacatecas, tandis que peu d’études ont été

faites dans des États où les migrations sont plus récentes. Pourtant, depuis quelques années,

les migrations vers les États-Unis ont pris de l’importance dans des régions où elles

n’étaient autrefois que marginales (Mariscal, 2006c ; Durand et al., 2001 ; Mutersbaugh,

2002).

Le Chiapas est un parfait exemple de ces États qui ont connu une augmentation importante

des migrations. En 2005, on estimait à plus de 655 millions de dollars les sommes

provenant des migrations reçues par les familles chiapanèques, ce qui représente trois pour

cent du total de l’argent des migrations entrant au pays (Banque du Mexique, 2006).

Phénomène récent dans cet État enclavé de l’extrémité sud du pays, les effets de ces

migrations ont été jusqu’à ce jour peu étudiés. Pourtant, la situation particulière du Chiapas,

autant d’un point de vue historique que socio-économique, nous permet de nous

questionner sur le rôle que pourrait jouer l’argent des migrations dans le développement des

communautés rurales. En effet, l’État, qui compte la plus grande proportion de populations

autochtones au pays (26 pour cent), est le plus pauvre et parmi les plus marginalisés4 du

pays (tableau 1) (Anzaldo et Prado, 2006).

4 L’indice de marginalité établi par le gouvernement Mexicain tient compte de quatre variables, soit l’éducation, le logement, le salaire, ainsi que la distribution de la population , qui sont à leur tour précisées à l’aide de différents indicateurs. Avant 2005, le Chiapas occupait le premier rang des États les plus marginalisés. Depuis 2005, l’État se classe au deuxième rang, tout de suite après le Guerrero (Anzaldo et Prado, 2006). Pour cette recherche, nous nous référons à la définition du gouvernement mexicain lorsque nous parlons de marginalité.

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Tableau 1 : Indicateurs socio-économiques du Chiapas

Indicateurs socio-économiques Pourcentage

Population active vivant avec 2 salaires minimum5 et moins 78

Population de 15 ans et plus analphabète 21

Population n’ayant pas complété l’éducation primaire 43

Population vivant dans une maison avec un plancher de terre 33

Population n’ayant pas accès à l’eau potable 26

Population vivant dans des conditions d’entassement6 60

Source : Anzaldo et Prado (2006)

Pourtant, cette pauvreté paraît paradoxale par rapport aux richesses naturelles que possède

le Chiapas. En 2005, il était le cinquième producteur de pétrole brut au pays et le sixième

de gaz naturel (PEMEX, 2005). Il est aussi un important producteur d’hydroélectricité, soit

plus de 30 pour cent de la production nationale (ministère des Finances du Chiapas, 2005).

Son climat lui permet d’avoir une agriculture prospère ; il est un important producteur de

café, bananes, cacao, maïs, canne à sucre et de mangues. Plusieurs de ces productions, dont

les bananes, le cacao et les mangues, sont exportées aux États-Unis, au Canada et dans

l’Union européenne (idem). Il est également le premier exportateur de café organique au

monde et est aussi un important producteur de bétail. Aussi, avec des sites archéologiques

tels que Bonampak et Palenque, ses villes coloniales (ex : San Cristóbal de las Casas) ainsi

que sa riche biodiversité, l’État a un fort potentiel touristique (idem). Toutefois, cette

industrie a beaucoup souffert du conflit de 1994, en raison des avertissements émis par les

gouvernements américain et européens avisant leur population de ne pas visiter le Chiapas

(Villafuerte Solís, 2005).

5 Selon CONAPO, bien que le salaire minimum devrait être suffisant pour satisfaire les nécessités de base d’une famille, il en est loin en réalité. En 2005, au Chiapas, un salaire minimum équivalait à 45 pesos/jour, ce qui correspond à un peu moins de cinq dollars américains (ministère de l’Hacienda et du Crédit public, 2007 ; Anzaldo et Prado, 2006). 6 Le gouvernement considère « condition d’entassement » lorsque plus de deux individus dorment dans une même pièce (Anzaldo et Prado, 2006).

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Problématique Malgré les ressources naturelles dont bénéficie le Chiapas, la richesse demeure très

polarisée. L’oligarchie en place depuis la colonisation occupe les principales sphères de

l’économie chiapanèque, dont l’exploitation du bois, les banques et les moyens de

communication (Nadal, 1994). L’industrie n’y est que peu développée et 60 pour cent de la

population vit toujours de l’agriculture (Villafuerte Solís et al., 2002). Or, une grande partie

du milieu agraire pratique une agriculture de subsistance et la terre est, elle aussi, mal

répartie (voir chapitre 2). Par exemple, à la veille de l’insurrection zapatiste, 200 000

ejidatarios7 chiapanèques se partageaient les trois millions d’hectares de terre les moins

fertiles (seulement 41 pour cent étaient classés comme étant de bonne qualité pour

l’agriculture), alors que six mille éleveurs possédaient les trois millions d’hectares les plus

fertiles (Harvey, 1998a ; Nadal, 1994).

Les problèmes relatifs à la question agraire furent au cours des trois dernières décennies

l’un des principaux problèmes du Chiapas. Alors que l’article 27 de la Constitution

mexicaine de 1917, écrite lors de la Révolution mexicaine (1910-1920), stipulait que

chaque Mexicain avait le droit d’avoir accès à la terre, entre autres sous forme d’ejidos,

l’application de cette réforme fut problématique au Chiapas. En effet, à la suite de la

révolution, plusieurs grands domaines agricoles chiapanèques ne furent pas démantelés et

l’élite en place sut contourner les lois de façon à conserver les meilleures terres (Nadal,

1994). Or, durant les années 1970-2000, le Chiapas vit sa population augmenter de 150

pour cent (Villafuerte Solís et al., 2002) en raison d’un taux de croissance démographique

supérieur à la moyenne nationale et de l’arrivée massive des Guatémaltèques fuyant la

guerre civile dans leur pays (Rus et al., 2003 ; Favre, 1997). Cette croissance

démographique a créé une forte pression sur la terre qui a mené, à partir des années 1970, à

une série d’occupations des terres par des organisations paysannes autonomes, réclamant

leurs droits à la propriété (chapitre 2) (Villafuerte Solís et al. 2002 ; Harvey, 1998b).

Malgré le fait qu’au cours de ces trois décennies, le gouvernement distribua sous la

pression populaire plusieurs titres de propriété, l’instabilité politique créée par les luttes

7 En comptant cinq membres par famille, cela représente un million de Chiapanèques.

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agraires et le manque d’investissements publics et privés en agriculture firent en sorte que

le secteur ejidal chiapanèque demeura particulièrement sous-développé (Villafuerte Solís,

2005). Ainsi, lorsque le gouvernement de Miguel de la Madrid (1982-1988) entreprit des

réformes néolibérales à la suite de la crise économique de 1982, les ejidatarios

chiapanèques eurent beaucoup de difficultés à s’adapter au retrait de l’État de l’agriculture

(Harvey, 1998a ; Villafuerte Solís, 2005).

Ces réformes ont créé une grave crise agricole au Chiapas qui, en plus d’augmenter les

revendications paysannes, s’est traduite par un nombre toujours croissant de Chiapanèques

délaissant leur terre pour émigrer vers les États-Unis (Peña López, 2005 ; Villafuerte Solís,

2005). Ces migrations ont surtout pris leur envol en 1989 lorsque le secteur agricole fut

gravement touché par la crise internationale du café (chapitre 2). À la suite de l’échec de

l’International Coffee Organisation d’instaurer un système de quotas, une surproduction

mondiale fit chuter les prix du café de 50 pour cent (Harvey, 1998a). Pour les producteurs

mexicains, cette crise fut particulièrement sévère, puisqu’elle coïncida avec la décision du

gouvernement mexicain de privatiser l’Institut mexicain du café (INMECAFE) qui jouait

un rôle important dans l’organisation, le financement, la mise en marché, ainsi que dans

l’exportation de la production.

Ensuite, les réformes néolibérales entamées par Miguel de la Madrid furent accentuées par

son successeur, Salinas de Gortari (1988-1994). En 1992, il modifia l’article 27 de la

Constitution mexicaine, ce qui rendit possible la certification des titres de propriété des

ejidos en vue d’une possible privatisation des terres. Avec cette réforme, le gouvernement

annonça l’arrêt officiel de la redistribution des terres ayant démarré avec la Réforme agraire

dans les années 19308 sans pourtant avoir été complétée au Chiapas, enlevant ainsi tout

espoir aux sans-terres d’obtenir une parcelle à cultiver (Harvey, 1998a ; Otero et al., 1997).

En enlevant le caractère inaliénable des ejidos, la contre-réforme agraire va inciter plusieurs

agriculteurs en crise à vendre ou à louer leurs terres, accentuant le problème de la

concentration de la propriété terrienne. En 1994, la signature de l’ALENA accentua la

paupérisation des petits agriculteurs en éliminant graduellement les barrières tarifaires sur

8 Bien que la Réforme agraire soit inscrite dans la Constitution mexicaine de 1917, elle sera surtout mise en œuvre à partir des années 1930 sous la présidence de Lázaro Cárdenas (1934-1940).

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les produits agricoles. Avec l’élimination progressive de ces barrières, les agriculteurs

chiapanèques durent affronter une forte concurrence des produits agricoles provenant des

États-Unis. À mesure que les barrières tarifaires diminuaient, plusieurs furent contraints de

délaisser leur terre et d’opter pour la migration (Gravel, 2007 ; Peña López, 2005 ;

Villafuerte Solís, 2005 ; Bartra, 2005).

Avec ce virage néolibéral, le gouvernement souhaitait remettre le pays sur le chemin d’une

croissance économique durable en favorisant les investissements étrangers. (Appendini,

1998 ; Minda, 1997). Ainsi, en agriculture, le gouvernement ne voulait favoriser que les

grandes entreprises agricoles modernes capables d’exporter leur production. Pour ce qui est

de l’agriculture de subsistance, qui occupe la majeure partie de la population active au

Chiapas (Villafuerte Solís, 2005), elle devait être remplacée par la création d’emplois bien

rémunérés. Or, au Chiapas, l’instabilité politique qui y règne depuis l’insurrection zapatiste

a effrayé les investisseurs et les emplois tant promis ne furent jamais créés (chapitre 2).

L’absence d’emplois dans les villes chiapanèques conjuguée à une crise agricole qui semble

vouloir perdurer a donné naissance à un véritable courant migratoire de masse au cours des

dernières années. Aujourd’hui, le nombre de Chiapanèques qui émigre chaque année aux

États-Unis est estimé à 30 000 et le nombre de ceux établis aux États-Unis serait de 300

0009. Parmi ces derniers, 65 pour cent seraient agriculteurs (Balboa, 2004). Parallèlement

aux migrations, l’argent des migrations affluant au Chiapas a connu un essor phénoménal

au cours des dernières années. En 1995, le Chiapas était le 27e État à recevoir le plus

d’argent des migrations10. Aujourd’hui, l’État se trouve au 11e rang (Banque du Mexique,

2006). Ce qui est caractéristique du Chiapas, c’est la vitesse à laquelle les migrations

croissent. Les 655 millions de dollars reçus par l’État en 2005 (5,7 pour cent du PIB)

(Mariscal, 2006a) représentent une croissance de 31 pour cent par rapport à 2004, qui avec

ses 500 millions, représentaient déjà une augmentation de 40 pour cent par rapport à 2003

(Bellinghausen, 2005). Les sommes reçues par les familles chiapanèques sont aujourd’hui

douze fois plus importantes que celles rapportées par la culture du maïs, quatre fois plus

que la production de café et dix fois plus que le tourisme (idem).

9 En 2005, la population totale du Chiapas s’élevait à 4 293 459 personnes (INEGI, 2006a). 10 Le Mexique comporte 31 États et un district fédéral, qui comprend la capitale, Mexico.

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Devant l’ampleur du phénomène migratoire vers les États-Unis, l’objectif général de cette

recherche est de vérifier si les migradollars peuvent être une solution efficace à la crise

agricole qui sévit au Chiapas en permettant aux communautés de se développer et d’être

ainsi mieux outillées à remédier au contexte socio-économique difficile. Nous nous

demandons quels sont les effets de l’argent des migrations sur le développement des

communautés rurales au Chiapas ainsi que sur la qualité de vie de ses habitants ? Deux

objectifs spécifiques ont été retenus. Tout d’abord, nous voulons 1) identifier les différentes

utilisations de l’argent des migrations par les familles bénéficiaires et 2) analyser ses effets

sur le développement des communautés et sur la qualité de vie de ses habitants.

Le rôle de l’argent des migrations dans le développement des communautés au Mexique a

déjà fait l’objet de plusieurs études (García Zamora, 2005 ; Goldring, 2005, 2004 ; Cohen

et Rodriguez, 2004 ; Zarate-Hoyos, 2004 ; Mooney, 2003 ; Conway et Cohen, 1998 ;

Durand et al., 1996a, 1996b ; Durand et Massey, 1992 ; Reichert, 1981). Par contre, la

question à savoir si ces migradollars favorisent réellement le développement des

communautés a nourri de nombreux débats au sein de la communauté scientifique. Certains

avancent que l’argent des migrations ne favorise pas le développement, n’étant pas assez

utilisé à des fins productives, alors que d’autres croient au contraire que son rôle dans le

développement a été largement sous-estimé.

Un des principaux arguments des détracteurs de la contribution de l’argent des migrations

au développement est que les sommes ne sont pas suffisamment investies, puisqu’elles sont

majoritairement utilisées pour satisfaire les besoins familiaux et pour l’achat de biens

matériaux (Reichert, 1981 ; Rubenstein, 1992). Dans ces cas-ci, bien que les migradollars

rehaussent la qualité de vie des familles bénéficiaires, ils contribuent peu au

développement, puisqu’ils ne réussissent pas à diversifier l’économie de la communauté et

à créer de nouveaux emplois. Reichert (1981) employait même l’expression « syndrome du

migrant » (migrant syndrome) en évoquant la dépendance que développaient les familles

envers les migrations. L’argent n’étant pas assez investi, les migrations demeurent l’unique

moyen d’économiser l’argent nécessaire pour satisfaire les besoins de la maisonnée et pour

se procurer les biens matériels désirés. Aussi longtemps que l’argent n’est pas investi dans

la production, le migrant devra toujours entreprendre un autre séjour. Délaissant peu à peu

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le mode de vie agraire pour le remplacer par des emplois urbains mieux payés, le migrant et

sa famille demeurée dans la communauté deviennent dépendants des migrations pour

subvenir à leurs besoins (Cohen et Rodriguez, 2004).

Toutefois, cette vision pessimiste est de plus en plus remise en question. Au cours des

dernières années, l’idée que les bienfaits des migradollars aient été sous-estimés a pris une

place importante au sein du discours de la communauté scientifique (Conway et Cohen,

1998 ; Durand et al., 1996a, 1996b ; Durand et Massey, 1992 ; Taylor, 1999). Même s’il est

vrai qu’une grande partie de l’argent des migrations est utilisée pour satisfaire les besoins

familiaux, il allège néanmoins la pression sur le budget familial et peut permettre aux

familles d’investir dans la production. La partie de l’argent investie, même petite, peut

avoir un effet multiplicateur, car chaque dollar investi engendre d’autres sources de

revenus. Le revenu migratoire peut alors aider à remédier au problème d’accès au crédit qui

touche grandement les agriculteurs et qui constitue un solide frein aux investissements. De

plus, l’argent des migrations a un effet multiplicateur dans la communauté, puisqu’il crée

une hausse de la demande des biens et services, ne limitant plus seulement les bénéfices de

l’argent des migrations aux familles bénéficiaires (Durand et al., 1996a ; Taylor, 1999).

Quant à eux, Conway et Cohen (1998) affirmaient dans leur article intitulé Consequences

of migration and remittances for Mexican transnational communities que l’importance de

l’utilisation des migradollars pour satisfaire les besoins de base des familles, tels que

l’achat de nourriture ou de vêtements, ne doit pas être négligée. En temps de crise, l’argent

des migrations peut être d’une importance capitale pour l’achat de ces biens essentiels,

remplaçant alors le rôle de protection que devrait assumer l’État.

Hypothèse de recherche Pour cette recherche, en fonction des études qui ont déjà été faites ailleurs au Mexique et de

la crise agricole qui affecte le Chiapas depuis les années 1980, nous pouvons déjà avancer

l’hypothèse que les migradollars sont une solution efficace et viable pour les Chiapanèques

ruraux afin de remédier au contexte socio-économique difficile puisqu’ils améliorent la

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qualité de vie des habitants en contribuant au développement économique et humain des

communautés.

Méthodologie

Sources primaires et secondaires Puisque peu d’études ont été faites sur les conséquences de l’argent des migrations sur le

développement des communautés rurales au Chiapas, l’essentiel de l’information nécessaire

à cette recherche provient de sources orales primaires recueillies à l’aide d’entrevues faites

auprès des populations locales lors d’un voyage sur le terrain aux mois de mai et juin 2006.

Ces entrevues nous ont permis d’obtenir de l’information quant à l’importance du revenu

migratoire au sein des budgets familiaux, sur la façon dont les familles utilisent l’argent et

sur les effets des migradollars sur le développement des communautés ainsi que sur la

qualité de vie de ses habitants. En ce sens, le questionnaire (annexe 1) fut construit de façon

à recueillir de l’information sur chaque variable et chaque indicateur constituant notre cadre

opératoire (chapitre 1). En plus des sources orales, des sources primaires écrites ont aussi

été essentielles. Elles proviennent surtout de documents officiels ou des sites Internet des

gouvernements mexicain et chiapanèque. Ces sources nous ont permis d’obtenir des

données statistiques sur les migrations, mais également sur la situation socio-économique

du Chiapas et de ses habitants.

En plus des sources primaires, plusieurs sources secondaires, telles que la littérature écrite,

des articles de journaux, ainsi que des articles de périodiques scientifiques, ont été

consultées. Ces sources nous ont permis mieux comprendre le contexte socio-économique

du Chiapas en plus de nous familiariser avec les différentes théories élaborées sur le rôle

que pouvait jouer l’argent des migrations dans le développement des communautés pour

ensuite voir comment ces théories peuvent s’appliquer au contexte des communautés

rurales chiapanèques de la Selva Lacandona.

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Territoire d’étude Les entrevues avec les populations locales ont été faites dans deux communautés de la forêt

Lacandona, soit El Ixcán et Loma Bonita, durant les mois de mai et juin 2006. Ces deux

ejidos appartiennent à la nouvelle municipalité de Maravilla Tenejapa, située au sud-est du

Chiapas au sein de la région Fronteriza11, à seulement quelques kilomètres au nord de la

frontière avec le Guatemala (figure 3). À l’est, se trouve la municipalité d’Ocosingo et de

Márques de Comillas, qui font partie de la région de la Selva, et à l’ouest est située la

municipalité de Las Margaritas, qui fut sectionnée en 1999 pour la création de la nouvelle

municipalité de Maravilla Tenejapa en raison du conflit avec les Zapatistes et de leur

influence grandissante dans la région (Rodríguez Castillo, 2001).

Figure 3 : Municipalités et régions socio-économiques du Chiapas

Réalisation : David Tanguay (2006)

11 Le Chiapas est divisé en neuf régions socio-économiques.

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En effet, après l’insurrection de 1994, l’EZLN a annoncé la création de 38 nouvelles

municipalités autonomes (MAREZ) qui venaient se superposer aux municipalités officielles

(idem). À partir de 1998, afin de contrer l’avancée zapatiste, le gouvernement créa huit

nouvelles municipalités situées dans des endroits stratégiques afin de contrecarrer

l’influence du mouvement. C’est ainsi qu’en 1999, en réponse à la création du territoire

autonome Tierra y Libertad, une partie du territoire de la municipalité de Las Margaritas,

où était présente une base importante de sympathisants du PRI, le parti au pouvoir, fut

sectionnée afin de créer la municipalité de Maravilla Tenejapa. Cette action permit au

gouvernement de s’établir en plein cœur de ce qu’il considère « zone de conflits » (figure

4).

Figure 4 : Marginalisation et zone de conflit au Chiapas

Source : SIPAZ, 2007a ; ministère des Finances du Chiapas, 2005. Réalisation : David Tanguay 2007

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Les communautés d’El Ixcán et de Loma Bonita sont isolées géographiquement. Pour s’y

rendre à partir de San Cristóbal de las Casas, nous devions prendre la route 190 vers le sud

et rouler environ 130 kilomètres jusqu’aux lacs de Montebello pour ensuite prendre la

carretera fronteriza (route de la frontière) qui longe la frontière avec le Guatemala. À

environ 110 kilomètres des lacs se trouvait la jonction qui nous permettait de prendre une

route de terre afin d’accéder à l’ejido d’El Ixcán, situé à 5,5 kilomètres plus loin. La

jonction pour se rendre à Loma Bonita, quant à elle, n’était située que quelques kilomètres

plus à l’est sur la carretera fronteriza. Cette carretera fronteriza est récente, n’ayant été

construite qu’après le soulèvement zapatiste et inaugurée en 2000 (Présidence de la

République, 2000). Avant sa construction, les habitants des communautés nous ont

mentionné qu’il était très difficile de communiquer avec le reste de l’État. Lorsqu’un

individu devait se rendre à la ville la plus proche, Comitán de Domínguez, il devait marcher

environ huit heures pour accéder à la route qui commençait dans la communauté de Flore

de Café (entrevues avec les habitants d’El Ixcán, 2006).

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Figure 5 : El Ixcán et Loma Bonita au Chiapas

Réalisation : David Tanguay (2006)

Les raisons justifiant le choix d’El Ixcán et de Loma Bonita pour notre étude de cas sont

multiples. Tout d’abord, encore aujourd’hui, la municipalité de Maravilla Tenejapa est

classée par les autorités gouvernementales comme ayant un degré de marginalité très élevé

(figure 4) (ministère des Finances du Chiapas, 2005). Il sera alors intéressant de voir si les

migradollars peuvent réduire la marginalité de ces communautés en favorisant leur

développement. Ensuite, nous avons pu bénéficier de l’aide d’un contact, le professeur

Carlos Tejeda Cruz, qui travaillait déjà dans ces communautés. Le fait qu’il nous y

introduise facilita grandement notre intégration auprès de la population. Finalement,

monsieur Tejeda Cruz nous avait informés que les migrations semblaient importantes dans

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ces communautés. Celles-ci, qui cultivent en grande partie le maïs et les haricots noirs

(frijoles), sont durement touchées par la crise agricole qui affecte le Chiapas. Les

agriculteurs de ces communautés ont peine à s’adapter à la concurrence américaine et aux

réformes néolibérales entreprises depuis les années 1980 (chapitre 2) et seuls ceux ayant

plus de ressources financières sont en mesure de diversifier leur production, entre autres

avec l’élevage.

En réponse à cette crise, les migrations ont pris une ampleur importante au cours des

dernières années dans ces communautés. À El Ixcán, sur une population de 622 personnes

(centre de santé d’El Ixcán, 2006), c’est environ 110 personnes qui travaillent actuellement

aux États-Unis, soit 18 pour cent de la population de la communauté (entrevue avec le

commissaire d’El Ixcán, 2006). À Loma Bonita, qui compte 369 habitants (INAFED,

2003), les chiffres furent impossibles à obtenir. Par contre, il semblerait que les migrations,

quoique importantes, soient moins nombreuses que dans l’autre communauté.

Méthode de cueillette et de traitement des données Le séjour sur le terrain nous a permis de consulter de nombreuses sources, autant primaires

que secondaires, qui n’étaient pas disponibles au Québec. Pour ce qui est des entrevues,

elles furent réalisées à l’aide d’un questionnaire qui visait à recueillir à la fois des données

quantitatives et qualitatives. Bien que le questionnaire comportait déjà un certain nombre

de questions bien précises, une partie de l’enquête se faisait selon la forme d’entrevues

semi-dirigées. La durée de ces entrevues variait beaucoup d’un répondant à l’autre, mais

durait en moyenne entre trente et cinquante minutes. Au total, 32 entrevues ont été réalisées

auprès des habitants des communautés, mais seulement 30 ont été retenues pour l’analyse

des données quantitatives. Le rejet des deux autres entrevues s’explique par le fait que les

répondants provenaient de communautés situées à l’extérieur de la région choisie. Les deux

entrevues mises de côté nous ont tout de même fourni des informations pertinentes qui nous

ont aidé à mieux comprendre le contexte de vie des habitants du Chiapas. En plus de ces 32

entrevues, deux autres entrevues ont été faites avec des professeurs du Chiapas, soit avec

Monsieur Daniel Villafuerte Solís du Centre d’études supérieurs du Mexique de

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l’Amérique centrale (CESMECA) de l’Université des Sciences et des Arts du Chiapas

(UNICACH), ainsi qu’avec Monsieur Jorge Luis Cruz Burguete du collège d’ECOSUR.

Pour recueillir l’information, nous avons bénéficié de l’aide d’un informateur ainsi que de

la méthode « boule de neige ». L’aide de notre informateur, Monsieur Carlos Tejeda Cruz,

professeur au Collège d’ÉCOSUR du Chiapas, fut essentielle à la cueillette de

l’information, puisque le questionnaire contenait plusieurs questions pouvant susciter une

certaine méfiance de la part des répondants, par exemple par rapport au revenu familial ou

aux migrations illégales. Or, le fait que monsieur Tejeda Cruz travaillait déjà dans ces

communautés et qu’il nous y introduise facilita grandement l’établissement d’un lien de

confiance avec les habitants.

Pour identifier les répondants, nous partions de l’hypothèse que les familles bénéficiant de

l’argent des migrations devaient probablement avoir un revenu familial plus élevé que la

moyenne des autres familles et qu’une partie de ce revenu supplémentaire pouvait avoir été

investi sur leur résidence (Quesnel et Del Rey, 2005). Ainsi, en nous basant sur

l’architecture des maisons, nous sommes allés demander aux familles résidant dans des

maisons à l’architecture plus « américaine » s’ils bénéficiaient de l’argent des migrations.

Très souvent, le lien entre l’architecture de la maison et les migrations était confirmé. Une

fois la famille interrogée, nous lui demandions si elle connaissait d’autres familles ayant

des membres travaillant aux États-Unis, utilisant ainsi la technique « boule de neige » pour

tirer profit des liens de confiance préalablement établis avec ces familles. Parmi les 30

personnes qui furent interrogées, 24 familles avaient des membres vivant aux États-Unis,

alors qu’une famille avait des membres vivant à Tijuana, mais qui avaient déjà habité aux

États-Unis. Toutes ces familles bénéficiaient ou avaient déjà bénéficié de l’argent des

migrations. En plus de ces 25 familles, cinq autres entrevues ont été faites avec des

individus ayant déjà travaillé aux États-Unis, mais qui étaient revenus dans leur

communauté. Ces cinq individus ont envoyé de l’argent à leur famille lorsqu’ils étaient là-

bas.

Puisque les décisions quant à l’utilisation de l’argent des migrations ne se prennent pas à

l’échelle de l’individu, mais à un niveau hiérarchique supérieur qui est celui du groupe

domestique, ce dernier sera notre unité d’analyse : « L’espace domestique est le lieu où

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s’effectue le transfert de valeurs d’une génération à l’autre et où la proximité et la solidarité

qui unissent les membres peuvent affecter leurs choix et leurs décisions » (Gravel, 2003).

Pour ce qui est des méthodes de traitement de données, nous utiliserons l’analyse du

discours ainsi que l’analyse systémique. Cette dernière est importante, car comme nous

verrons dans le notre premier chapitre (figure 8), les relations entre les variables ne sont pas

que linéaires, mais s’insèrent dans un système où elles sont en interrelation. Par exemple,

bien que les investissements productifs dépendent du revenu migratoire, ils peuvent eux

aussi influencer le nombre de migrants, puisqu’en générant d’autres sources de revenus, les

migrations deviennent moins essentielles. Aussi, alors que des investissements sur la

maison peuvent à première vue sembler improductifs, ils sont parfois la première étape à

l’obtention de crédits. La maison et le terrain constituant désormais une garantie pour les

institutions financières, la famille peut alors bénéficier d’un prêt qui pourra financer

d’autres départs pour les migrations ou d’autres investissements productifs (Quesnel et Del

Rey, 2005).

Intérêt de la recherche L’intérêt de cette recherche réside surtout dans la particularité du territoire étudié. Le

Chiapas est un État conflictuel, pauvre et marginalisé, et la Selva Lacandona est une région

représentative des problèmes socio-économiques de l’État. Cette région est d’ailleurs

toujours considérée comme étant une « zone de conflits » par le gouvernement mexicain

(Rodríguez Castillo, 2001). Elle est le lieu de naissance des Zapatistes et ceux-ci ont,

encore aujourd’hui, une influence non négligeable dans la région, quoique décroissante.

Cette forte présence des Zapatistes s’explique en partie par le fait que la question de la

propriété terrienne fut à maintes reprises la source de conflits dans la Selva Lacandona.

Avec la croissance démographique importante qu’a connue le Chiapas depuis les années

1970, elle a accueilli une forte immigration de colons en quête de terres à cultiver, créant

une pression sur la terre. En 1972, le gouvernement octroya plus de 660 000 hectares de

terres à seulement 66 familles d’indigènes Lacandons, ce qui attisa les tensions (Marcos et

Le Bot, 1997).

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Les problèmes relatifs à la propriété terrienne, conjugués aux nouvelles réformes

néolibérales qui ont affecté les principales cultures de la région, ont amené plusieurs

individus à joindre les rangs des Zapatistes. Or, les mêmes problèmes poussent aujourd’hui

une partie toujours plus grande de la population à migrer vers les États-Unis. Aujourd’hui,

le phénomène des migrations touche toutes les régions du Chiapas, y compris les régions

sous influence zapatiste (Balboa, 2004). Le fait qu’une nouvelle stratégie de survie prenne

de l’ampleur dans une zone à influence zapatiste pourrait-il diminuer à long terme

l’influence du mouvement, déjà en perte de vitesse, si cette solution s’avère être efficace ?

Cette question porte à réflexion, car un affaiblissement du pouvoir des Zapatistes pourrait

signifier une ouverture du territoire à certains projets de développement, tels que le Plan

Puebla Panama, rejetés par l’EZLN. Aujourd’hui, comme nous le verrons dans le deuxième

et le quatrième chapitre, peu de projets ont vu le jour, en raison de l’instabilité politique qui

inquiète les investisseurs (Villafuerte Solís, 2005).

Finalement, puisque les migrations sont un phénomène récent au Chiapas, il n’existe que

très peu d’études faites sur l’usage et sur l’effet de l’argent des migrations dans cet État.

Compte tenu que les communautés étudiées sont considérées comme ayant un degré de

marginalité très élevé, de telles études pourront peut-être nous éclairer sur les façons de

rendre ces flux monétaires plus rentables pour ces communautés.

Limites de la recherche Si la particularité du territoire étudié donne un intérêt certain à cette recherche, celle-ci

comporte néanmoins ses limites que nous devons préalablement exposer. Tout d’abord,

pour ce qui est du choix de la méthode de cueillette de données, l’entrevue comporte

certaines limites, puisqu’elle nous permet de nous questionner sur l’authenticité de

l’information recueillie. Puisque les communautés choisies sont isolées et que le sujet de ce

mémoire touche plusieurs thèmes délicats, tels que le revenu et les avoirs familiaux, les

migrations souvent illégales, ainsi que les relations familiales, il est possible que les

répondants aient ressenti une certaine méfiance envers un étranger venu les questionner sur

de tels sujets. Par exemple, lors d’une entrevue, une femme a refusé de nous laisser

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photographier l’intérieur de sa maison, car elle bénéficiait de l’aide d’un programme social,

nommé Oportunidad, destiné à aider les familles dans le besoin. Elle craignait qu’une

photo de son salon, comportant plusieurs biens matériels achetés avec l’argent des

migrations, puisse remettre en cause la précarité de sa situation financière et qu’elle puisse

ainsi perdre les revenus qu’elle recevait de ce programme gouvernemental. Ce cas n’est

qu’un exemple montrant que des répondants ont pu être réticents à donner certaines

informations.

Ensuite, la question de la langue fut une barrière importante au bon déroulement des

entrevues. Bien que mes connaissances en espagnol étaient de niveau intermédiaire,

j’éprouvais parfois de la difficulté à comprendre l’entièreté du discours des répondants.

L’aide du professeur Carlos Tejeda Cruz en tant que traducteur fut à certaines occasions

essentielle, surtout en raison des accents régionaux qui amplifiaient les difficultés que

posait la langue. Monsieur Tejeda Cruz ne parlait pas le français, mais détenait un niveau

intermédiaire en anglais. Toutefois, la majorité des traductions furent souvent faites de

l’espagnol à l’espagnol, en reformulant l’information d’autres façons lorsque c’était

nécessaire. À certaines occasions, des éléments d’information ont pu être perdus à cause de

cette difficulté que représentait la langue.

Aussi, cette étude s’est concentrée sur les personnes qui bénéficiaient de l’argent des

migrations. Par conséquent, aucune famille ne bénéficiant pas de l’argent des migrations ne

fut interrogée. Pourtant, ce ne sont pas toutes les familles qui ont les capacités physiques ou

financières d’entreprendre ces migrations internationales (chapitre 4). De cet accès inégal

aux réseaux migratoires internationaux, émerge une classe de « nouveaux pauvres »,

n’ayant pas accès aux bénéfices de ces migradollars (Gravel, à paraître). Certains auteurs

(Hernández-Coss, 2005) ont d’ailleurs souligné le fait que l’argent des migrations puissent

entraîner des effets inflationnistes dans les communautés, augmentant ainsi les disparités

sociales entre ceux qui bénéficient de l’argent des migrations et ceux qui n’en bénéficient

pas.

Finalement, analyser le développement économique et humain des communautés dans le

cadre d’un projet de maîtrise comporte certaines limites en raison de la brièveté d’une telle

recherche qui ne peut tenir compte de tous les aspects que comporte le concept de

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« développement ». Bien qu’au cours de cette recherche, nous ne limitions pas le

développement qu’à une simple croissance économique, plusieurs variables faisant partie

du développement, telles que l’intégrité culturelle, la liberté d’expression, la sécurité, le

respect de l’environnement, ainsi que le rôle des femmes dans le développement (Fry et

Martin, 1991 ; Brodhag et al., 2004) n’ont pas été, ou très peu, prises en considération,

faute d’espace et de temps.

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Chapitre 1. Comment évaluer le développement des communautés ?

1.1. Qu’entendons-nous par développement ? Il peut être difficile d’établir des conclusions générales quant au rôle qu’exerce l’argent des

migrations sur le développement des communautés et sur la qualité de vie des familles

puisque chaque famille est unique et utilise l’argent différemment. Les cas de Jorge12 et de

Maria sont deux exemples opposés nous montrant que les effets des migrations peuvent être

fort différents d’un contexte à l’autre. Ces deux cas nous serviront d’exemple afin que nous

puissions mieux comprendre ce que nous entendons par « développement » et par « qualité

de vie ». Une fois ces concepts définis, nous justifierons le choix de nos variables et de nos

indicateurs qui nous ont servi à les évaluer.

1.1.1. Les cas de Jorge et María Il y a dix ans, Jorge, père de famille, décida d’entreprendre le voyage aux États-Unis. À El

Ixcán, le travail agricole ne payait plus suffisamment pour subvenir aux besoins de sa

famille. Son voyage fut bref, n’ayant demeuré aux États-Unis que six mois. Toutefois, ce

court séjour lui permit d’envoyer à sa famille 30 000 pesos (3000 dollars US) avec lesquels

elle acheta quatre vaches. Au fil du temps, ces vaches se sont reproduites et sont

aujourd’hui cinquante. Le revenu que leur apporte le bétail leur permet désormais d’ajouter

un revenu supplémentaire à la simple culture du maïs, qui souffre grandement de la

concurrence américaine (chapitre 2). Avec ce revenu supplémentaire, la famille a

dernièrement acheté sept hectares de terres supplémentaires, en plus de se construire une

nouvelle maison et de s’acheter plusieurs biens matériels, dont certains, tels que la machine

à laver, allègent grandement les travaux d’entretien ménager qu’accomplit quotidiennement

la femme de Jorge. Aussi, il y a deux ans, la famille dut débourser des sommes importantes

lorsque leur fille fut victime d’un accident de voiture. Les soins de santé à Comitán étant

12 Tous les noms ont été modifiés afin de préserver l’anonymat.

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dispendieux, les revenus apportés par le bétail leur permirent de mieux affronter cet

imprévu.

María, mère de huit enfants âgés entre 14 et 25 ans, habite El Ixcán depuis 18 ans. Il y a

quelques années, son mari la quitta pour une autre femme, la laissant seule avec ses enfants.

Sa communauté l’a depuis toujours supporté et aidé à subvenir aux besoins de sa famille.

Or, un jour, un de ses fils nommé Victor, a commencé à avoir de sérieux problèmes

d’arthrite, ce qui le rendit inapte au travail. L’aide de la communauté ne suffisant plus, son

autre fils, Ernesto, décida de partir travailler aux États-Unis afin d’être en mesure de payer

les soins nécessaires à la guérison de son frère. Cela fait aujourd’hui sept ans qu’Ernesto a

quitté sa communauté. Il n’est revenu voir sa famille qu’une seule fois, rapportant avec lui

une télévision, un vidéo, une mini-chaîne stéréo et autres appareils électriques en cadeau.

Toutefois, il garde contact avec sa famille, leur parlant au téléphone environ une fois par

mois. Depuis son départ, il a toujours contribué au revenu familial, payant à lui seul les

soins de santé pour son frère. C’est également lui qui a payé pour l’achat de la terre et pour

la construction de leur maison. Maintenant, bien qu’Ernesto continue d’envoyer de l’argent,

les sommes ont grandement diminué depuis les trois dernières années, puisqu’il s’est marié

aux États-Unis. Bien que la famille eut la chance de s’acheter une terre avec l’argent que

leur envoyait leur Ernesto, elle ne put s’acheter du bétail afin de diversifier ses ressources.

Aujourd’hui, la culture du maïs souffre de plus en plus de la concurrence américaine et la

famille éprouve de grandes difficultés financières. Elle a encore aujourd’hui grandement

besoin du soutien de la communauté, de l’aide gouvernementale (programme

Oportunidad), et bien sûr, de l’argent que lui envoie Ernesto.

1.1.2. Une définition adaptée au contexte local Les deux cas précédents nous montrent deux exemples opposés où, dans un cas, les

migrations se sont avérées une solution efficace à la crise agricole en améliorant la qualité

de vie et en favorisant le développement économique de la communauté, alors que dans

l’autre, elles ne furent qu’un palliatif temporaire qui, s’il a su améliorer la qualité de vie de

la famille durant un certain temps, n’a pu permettre à la famille de développer ses

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ressources productives. Le cas de Jorge nous montre aussi que la définition du

« développement » ne doit pas se résumer qu’à une simple croissance économique, mais

doit plutôt être adaptée au contexte socio-économique du territoire étudié. Alors,

qu’entendons-nous par « développement » ? Définir ce concept est essentiel, car s’il est

fréquemment utilisé par différents auteurs, il n’en demeure pas moins flou. Dans The

Development dictionary de Wolfgang Sachs (1992), Gustavo Esteva avait même décrit le

développement de cette façon : « ces contours sont si flous qu’il ne signifie rien, même si

on le retrouve partout puisque qu’il dénote les meilleures intentions » (traduction libre de

l’auteur).

Il est vrai que ce concept, qui est surtout utilisé depuis la fin de la Deuxième Guerre

mondiale, n’a cessé d’évoluer au fil du temps. À l’origine, le terme « développement » fut

employé en réaction à l’optimisme du contexte d’après-guerre qui fut caractérisé en

Occident par une forte croissance économique et par un développement technologique

rapide (Lacoste, 2000 ; Fry et Martin, 1991). Dans cette optique, le développement était en

quelque sorte synonyme de croissance économique et d’industrialisation (Fry et Martin,

1991). Parallèlement à ce concept est né du même coup celui du « sous-développement »

pour qualifier la situation des « pays qui ne peuvent faire croître durablement leur PIB (ou

le PNB) en volume en raison des dysfonctionnements de leurs structures économiques et

sociales etc. » (D’Agostino et al., 2002). Le développement ne devenait alors possible que

si les pays suivaient une série d’étapes et d’instructions venant des pays dits « développés »

(Power, 2003).

Toutefois, cette vision occidentale du développement fut largement critiquée au cours des

dernières décennies, puisqu’on ne peut réduire le développement qu’à des indicateurs

économiques (Power, 2003). Aujourd’hui, un consensus de plus en plus large semble se

faire pour laisser une plus grande place aux dimensions sociales et culturelles pour évaluer

le niveau de développement d’un territoire (Levy et Lussault, 2003). Par exemple, l’IDH

(Indicateur de Développement Humain), ISDH (Indicateur Sexospécifique du

Développement Humain) ou encore l’IPH (Indicateur de la Pauvreté Humaine) ont peu à

peu remplacé le PIB/habitant et le PNB/habitant comme instrument de mesure du

développement (ibid). La définition s’est ainsi élargie au cours de la dernière moitié du

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vingtième siècle, rendant nécessaire une réflexion pluridisciplinaire. En ce sens, le terme

« développement » est souvent employé avec un adjectif, par exemple le développement

économique, social, culturel, durable, local, humain, etc.

L’évolution du concept de développement était nécessaire, puisqu’on ne peut évaluer le

développement d’une communauté en ne prenant en considération que la croissance

économique (Power, 2003). De plus, le développement doit être considéré à plusieurs

échelles géographiques, c’est-à-dire non seulement à des échelles nationales et

internationales, mais également à l’échelle des ménages et des communautés (idem).

Aussi, pour l’évaluer, il importe que les approches prennent en considération la diversité

des territoires étudiés, puisqu’il n’existe pas une définition définitive du développement qui

puisse être appliquée à l’ensemble des sociétés (Power, 2003 ; Levy et Lussault, 2003 ;

Mayhew, 2004). Ainsi, pour cette recherche, il faut tenir compte de la particularité des deux

communautés choisies qui sont peu peuplées et isolées géographiquement. Les habitants

d’El Ixcán et de Loma Bonita vivent de l’agriculture et celle-ci n’est pas qu’un métier, mais

un mode de vie. Lors de notre séjour, plusieurs individus nous ont spécifié que les

migrations sont motivées par un désir d’acquérir les moyens nécessaires afin d’être en

mesure de perpétuer ce mode de vie une fois de retour dans leur communauté. Dans ce

contexte, la notion de développement ne signifie pas l’industrialisation et la modernisation

des communautés, mais se définit plutôt comme étant le « processus conduisant à

l’amélioration du bien-être des humains » (Brodhag et al., 2004).

Pour cette recherche, nous retiendrons principalement le développement économique et le

développement humain. Pour des communautés isolées telles que El Ixcán et Loma Bonita,

le développement économique doit aller au-delà de la simple croissance économique et être

plutôt défini comme étant les « stratégies conçues afin d’améliorer la qualité de vie des

habitants (…) » (traduction libre) (Mayhew, 2004). Ces stratégies peuvent se traduire, entre

autres, par le développement des infrastructures et des institutions, ainsi que par une hausse

de la productivité agricole. Toutefois, le développement du capital humain est également

essentiel au développement économique puisque l’être humain est la ressource la plus

importante dans le processus du développement. Celui-ci peut se définir par les

investissements faits sur les êtres humains destinés à augmenter sa productivité, par

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exemple dans les domaines de la santé et de l’éducation (Fry et Martin, 1991). Nous

devrons ensuite analyser si de tels investissements peuvent contribuer à améliorer

durablement la qualité de vie du groupe domestique.

La qualité de vie, quant à elle, est un concept vague qui peut être définit comme un

« concept complexe qui concerne l’état général ou les conditions de vie d’une population

d’un territoire donné » (traduction libre) (Witherick et al., 2001). En ce sens, les indicateurs

pouvant mesurer la qualité de vie sont multiples, allant au-delà du simple pouvoir d’achat et

peuvent être à la fois économiques, sociaux, physiques et psychologiques. Les indicateurs

mesurant la qualité de vie doivent nécessairement être adaptés à chaque société (Power,

2003), ce qui ne peut se faire sans une part de subjectivité de l’auteur.

1.2. Le cadre opératoire utilisé Les exemples de Jorge et de Maria nous montrent que le rôle qu’exerce l’argent des

migrations sur le développement des communautés et sur la qualité de vie de ses habitants

dépend d’une multitude de variables que nous devons identifier et analyser, car si les

migradollars peuvent représenter des sommes considérables, ils n’impliquent pas

nécessairement le développement. En ce sens, le cas de Maria illustre bien le problème du

« syndrome du migrant » (voir problématique) qu’avait évoqué Reichert (1981) en

référence aux familles qui développaient une dépendance envers le revenu migratoire.

Maria s’était accoutumée à recevoir de telles sommes d’argent, sans avoir réussi à

diversifier les ressources familiales en investissant davantage dans la production. Pour cette

raison, avant d’analyser l’utilisation de l’argent des migrations, nous devons tout d’abord

en connaître davantage sur l’importance de ce revenu migratoire au sein des budgets

familiaux. La quantité d’argent que reçoit la famille, le nombre de personnes participant

aux envois, en plus de la part que représente le revenu migratoire au sein du budget familial

sont tous des indicateurs qui nous informeront sur l’importance que représente le revenu

migratoire au sein du budget familial. Nous devrons par la suite savoir comment la famille

utilise ce revenu, car si le revenu migratoire accapare une grande partie du budget familial

et que la famille ne parvient pas à créer de nouvelles sources de revenus en investissant

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l’argent de façon productive, les problèmes de dépendance évoqués par Reichert (1981)

pourraient s’avérer bien réels.

Ensuite, en plus du revenu migratoire, nous devons connaître qui est le migrant qui aide

financièrement la famille. Fils célibataire ? Homme marié et père de famille ? Femme, mère

de jeunes enfants ? L’âge et le profil du migrant, les raisons qui l’ont poussé à migrer ainsi

que ses objectifs migratoires sont des indicateurs importants, car ils peuvent influencer à la

fois la durée du séjour, la quantité des envois d’argent, ainsi que l’usage de cet argent. Par

exemple, Conway et Cohen (1998) ont démontré que les priorités quant à l’utilisation de

l’argent diffèrent selon l’âge et les responsabilités du migrant. Un jeune homme célibataire

aux responsabilités familiales restreintes aura plus tendance à économiser l’argent en vue

d’un mariage, pour se divertir ou pour financer un autre séjour, alors que des individus

mariés économiseront davantage pour s’acheter une terre, se construire une maison et

investir pour l’éducation de leurs enfants. Aussi, les études de Quesnel et Del Rey (2005)

ont démontré que le migrant célibataire a plus de facilité à s’absenter pendant une longue

période, alors que la durée du séjour d’un père de famille est plutôt établie en fonction de

ses objectifs migratoires. Dans les deux cas, plus les objectifs migratoires sont ambitieux,

plus ils requerront une longue absence.

Les objectifs du migrant sont aussi un indicateur important et sont souvent liés aux raisons

qui ont motivé la migration. Pour ce qui est du Mexique, plusieurs auteurs se réfèrent à la

théorie du « New Economics of Labour Migrations » (NELM) pour expliquer à la fois les

raisons et les objectifs des migrations (Constant et Massey, 2002 ; Sana et Massey, 2005 ;

Taylor, 1999). Contrairement à l’école néoclassique, qui voit l’établissement du migrant

permanent dans le pays hôte comme son objectif principal et perçoit ainsi son retour

comme un échec, étant la preuve de son incapacité à trouver les conditions espérées dans le

pays d’accueil, la théorie du NELM voit plutôt le retour permanent du migrant comme un

but final, une réussite (Constant et Massey, 2002). Comme nous le montre l’exemple de

Jorge, qui n’a fait qu’un séjour de six mois aux États-Unis le temps d’économiser pour

acheter du bétail afin de diversifier sa production, la décision de migrer est souvent motivée

par le désir de trouver une solution visant à acquérir le capital nécessaire afin de diversifier

les ressources familiales. Une fois de retour dans sa communauté, ces investissements

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permettront au migrant d’améliorer son statut social et d’être mieux outillé à surmonter les

faiblesses du marché de son pays d’origine.

Étant donné la crise agricole qui sévit au Chiapas et tout particulièrement dans la Selva

Lacandona depuis trois décennies (chapitre 2), nous croyons que les migrations peuvent

être motivées par un désir d’acquérir les ressources nécessaires afin d’être en mesure de

survivre à cette crise. Par conséquent, nous devrons vérifier si les migrations ne sont qu’une

solution temporaire en s’informant sur l’objectif ultime du migrant, soit celui de revenir ou

non dans sa communauté. Cette décision est importante, car elle peut avoir une influence

directe sur le revenu migratoire. En effet, des études ont démontré que le migrant ayant

l’intention de revenir dans sa communauté a tendance à remettre plus régulièrement de

l’argent que ceux établis de façon permanente dans le pays hôte (Munzele Maimbo et

Ratha, 2005 ; Durand, 2005). Notons également que, malgré le fait que la théorie du NELM

puisse expliquer un grand nombre de migrations au Mexique, d’autres auteurs, tels que

Delgado Wise et Rodríguez Ramírez (2005), ont aussi remarqué une tendance de plus en

plus fréquente vers des établissements permanents. Parallèlement à cette tendance,

l’échantillon a montré qu’un migrant sur trois finissait par diminuer ou suspendre ses

envois au fil du temps.

Cette situation nous amène à prendre en considération une troisième variable indépendante,

qui est celle de la durée. Tout d’abord, la durée du séjour peut influencer la propension du

migrant à revenir dans son pays d’origine, puisque le temps peut, dans certains cas, faire

déprécier la valeur des actifs que le migrant possède dans sa communauté (Conway et

Cohen, 1998). Aussi, certains indicateurs tels que la fréquence des communications entre le

migrant et la famille, la fréquence des allers-retours du migrant dans sa communauté, ainsi

que le nombre d’années depuis son départ nous permettrons de mieux connaître la force du

lien qui tisse le migrant à sa communauté. Si le migrant garde contact avec sa famille et ses

proches, les probabilités qu’il diminue ses envois sont grandement amenuisées (Orozco,

2005 ; Durand, 2005).

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Figure 6 : Variables influençant les sommes reçues par l'unité domestique

Malgré l’importance que peu

seulement une petite partie de

En effet, il y a désormais un

que la majeure partie de l’a

familles (Conway et Cohen,

satisfaction des besoins essent

fonction du cycle de vie dome

exemple, une famille avec de

revenu pour satisfaire les beso

qu’une famille ayant des enfa

économique diminue lorsque l

génératrices de revenus (Gra

considération le nombre de

puisqu’ils modifient les somm

2003).

Variables indépendantes

Migrant - L’âge du migrant - Le profil du migrant - Raisons motivant la migration - Objectifs migratoires

Revenu migratoire - Sommes envoyées - Part du revenu migratoire- Nombre de migrants/famille

Durée - Fréquence des envois - Nombre d’années depuis le départ du migrant - Fréquence des allers-retours - Fréquence des communications

Prise de dé

Unité domestique

30

vent représenter les migradollars comme source de revenus,

ceux-ci est disponible pour des investissements productifs.

consensus au sein de la communauté scientifique qui admet

rgent est utilisée pour satisfaire les besoins quotidiens des

1998). Cette part du budget familial qui est consacrée à la

iels comporte une dimension temporelle, puisqu’elle varie en

stique (Mooney, 2003 ; Mayer, 2002 ; Gravel, à paraître). Par

jeunes enfants doit consacrer une plus grande part de son

ins quotidiens, tels que l’achat de nourriture et de vêtements,

nts adultes en âge de travailler. Avec le temps, cette pression

es enfants deviennent assez âgés pour participer aux activités

vel, à paraître). C’est pourquoi nous devons prendre en

membres faisant partie de la famille ainsi que leur âge,

es disponibles pour les investissements productifs (Mooney,

cision quant à l’utilisation de l’argent des migrations

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En plus des besoins reliés au cycle de vie, le groupe domestique devra assurément utiliser

une partie des sommes pour combler d’autres types de besoins familiaux et

communautaires, ce que nous appelons ici la canalisation des flux monétaires. Par exemple,

les migradollars s’avèrent être fort utiles lorsque vient le temps de débourser pour des

évènements culturels ou religieux parfois très dispendieux, tels que le mariage, les

funérailles et le quinceñeras13 (Cohen et Rodriguez, 2005). Aussi, il arrive parfois que

l’argent envoyé par le migrant ne bénéficie pas seulement à la famille, mais également à la

communauté. D’ailleurs, depuis le milieu des années 1990, les migrations ont donné

naissance à un nouveau type de migradollars appelés « migradollars collectifs » (collective

remittance). Ce terme est utilisé pour désigner les sommes amassées par un groupe de

migrants destinées à aider une communauté entière (chapitre 4) (Goldring, 2004, 2005).

Ces initiatives ont permis de financer plusieurs projets et ont parfois grandement favorisé le

développement des communautés. Notons que si nous avons incorporé les besoins

communautaires parmi les variables intermédiaires, c’est parce que notre unité d’analyse

est le groupe domestique et par conséquent, de tels projets peuvent accaparer une partie du

revenu migratoire de la famille. Cependant, cela ne signifie en rien qu’ils sont un frein au

développement.

13 Le quinceñera est le quinzième anniversaire d’une jeune fille.

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Figure 7 : Variables influençant les sommes disponibles pour l'unité domestique

Une fois les besoins familiaux et communautaires comblés, la famille doit décider comment

elle utilisera ses migradollars. En nous inspirant des catégories utilisées lors des études de

Durand et al. (1996a) et de Mooney (2003), qui était la consommation, la maisonnée et la

production, nous avons regroupé les différents types d’utilisation des migradollars sous

trois nouvelles variables dépendantes, soit celle du développement économique, du

Variables indépendantes

Migrant - L’âge du migrant - Le profil du migrant - Raisons motivant la migration - Objectifs migratoires

Revenu migratoire - Sommes envoyées - Part du revenu migratoire- Nombre de migrants par famille

Durée - Fréquence des envois - Nombre d’années depuis le départ du migrant - Fréquence des allers-retours - Fréquence des communications

Variable intermédiaire Cycle de vie

- Nombres de membres inclus dans la famille - Âge des membres inclus dans la famille

Variable intermédiaire Canalisation des flux monétaires

- Besoins familiaux - Besoins et demandes communautaires

Prise de décision quant à l’utilisation de l’argent des migrations

Unité domestique

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développement humain et de la qualité de vie. Malgré le fait que le développement du

capital humain était absent des catégories élaborées par Durand et al. (1996a) et de Mooney

(2003), nous avons décidé de l’ajouter à cette recherche. En effet, pour plusieurs auteurs,

l’argent utilisé pour les soins de santé et pour l’éducation est considéré comme faisant

partie des dépenses quotidiennes et n’est donc pas considéré comme une utilisation

productive (Waller Meyers, 2000 dans Goldring, 2005 ; Delgado Wise et Rodríguez, 2001).

Or, certains auteurs ont élargi la définition du concept d’investissements productifs, ne la

limitant plus seulement aux aspects économiques, puisque l’argent utilisé pour l’éducation,

l’alimentation et la santé est nécessaire au développement (Taylor, 1999 ; Goldring, 2004).

En effet, de tels investissements peuvent à la fois contribuer à augmenter la productivité des

habitants de la communauté tout en améliorant leur qualité de vie (Fry et Martin, 1991).

Pour ce qui est du développement économique, il représente les investissements productifs

faits par la famille avec l’aide des migradollars. Ces investissements peuvent se traduire par

des investissements dans l’entreprise familiale, par l’achat de bétail, d’équipement agricole,

de parcelles de terre, ou encore d’un véhicule motorisé (Durand et al. 1996a , 1996b). Bien

que l’achat d’un véhicule motorisé pourrait dans certains cas être perçu davantage comme

un bien de consommation qu’un investissement productif, nous le considérons comme un

investissement puisque dans des communautés agricoles isolées telles que El Ixcán et Loma

Bonita, ces véhicules peuvent servir pour transporter la production et des gens. Ces

indicateurs nous permettront de voir si une partie des migradollars contribue à augmenter la

productivité des communautés et à diversifier la production pour résoudre les problèmes

reliés à la crise agricole (chapitre 2). De plus, de tels investissements sont importants, car

ils augmentent la propension du migrant à revenir dans sa communauté en renforçant le lien

qui les lie entre eux (Cohen et Rodríguez, 2005). Les investissements productifs viennent

ainsi contrecarrer les effets subversifs évoqués par Delgado Wise et Rodríguez Ramírez

(2005) de détérioration de la production agricole que peut entraîner l’exode massif

d’individus en âge de travailler. Notons également que ces investissements productifs

viennent contredire les problèmes de dépendance énoncés par Reichert (1981) et

Rubenstein (1992) qui prétendaient qu’en bénéficiant de l’argent des migrations, les

familles délaissaient peu à peu le mode de vie agraire.

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Finalement, en plus des investissements productifs, nous avons regroupé deux catégories

établies par Durand et al. (1996a) et Mooney (2003), soit celle de la maisonnée et de la

consommation, sous une même variable qui est celle de la qualité de vie. Avec un pouvoir

d’achat maintenant plus élevé, plusieurs familles choisissent d’améliorer leur qualité de vie,

par exemple en achetant des biens matériels ou en investissant une partie de l’argent sur

leur maison (Conway et Cohen, 1998). Toutefois, si de tels choix peuvent améliorer à court

terme la qualité de vie des familles, ils ne pourront en assurer une amélioration durable s’il

y a absence d’investissements productifs. C’est pourquoi il est important de regarder la part

de l’argent des migrations qui est utilisée pour l’amélioration de la qualité de vie versus

celle utilisée pour le développement économique et humain. Toutefois, si une partie

importante des migradollars est investie de façon productive, la qualité de vie pourrait être

améliorée durablement, puisque les nouvelles sources de revenus crées pourront peu à peu

remplacer les migradollars.

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Figure 8 : Variables influençant les choix de l'utilisation des migradollars

Variables indépendantes

Migrant - L’âge du migrant - Le profil du migrant - Raisons motivant la migration - Objectifs migratoires

Revenu migratoire - Sommes envoyées - Part du revenu migratoire - Nombre de migrants par famille

Durée - Fréquence des envois - Nombre d’années depuis le départ du migrant - Fréquence des allers-retours - Fréquence des communications

Variable intermédiaire Cycle de vie

- Nombres de membres inclus dans la famille - Âge des membres inclus dans la famille

Variable intermédiaire

Canalisation des flux monétaires - Besoins familiaux - Besoins communautaires

Variables dépendantes Développement économique

- Superficie des terres agricoles

- Matériel agricole - Nombre de bêtes

d’élevage - Investissement dans le

commerce - Véhicule motorisé

Développement du capital humain - Santé - Éducation

Qualité de vie - Investissements sur

la résidence - Pouvoir d’achat - Confort matériel

Unité domestique

Prise de décision quant à l’utilisation de l’argent des migrations

Augm

entation ou diminution de la dépendance envers les m

igradollars

Augm

entation ou diminution de la dépendance envers les m

igradollars

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L’ensemble des indicateurs que nous venons de présenter nous permettrons de voir si les

migrations s’avèrent être une solution efficace à une grave crise agricole qui affecte les

agriculteurs chiapanèques. Au Chiapas, la crise agricole est complexe et découle d’une

multitude de facteurs qui doivent être analysés dans une perspective historique. Ainsi, avant

d’analyser les effets de l’argent des migrations en tant que solution à cette crise, nous

devons préalablement bien comprendre ce contexte socio-économique qui pousse chaque

année des dizaines de milliers de Chiapanèques à migrer aux États-Unis.

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Chapitre 2. Le contexte socio-économique chiapanèque : les migrations en tant que stratégie de survie

2.1. La question agraire au Chiapas : historique d’un problème L’essentiel du problème du Chiapas réside dans la question agraire. Alors que la réforme

agraire suivant la Révolution mexicaine (1910-1920) ne fut complétée que difficilement au

Chiapas et que les décennies de luttes agraires ont paralysé le développement du secteur

ejidal, la grande partie des agriculteurs chiapanèques ont eu de la difficulté à s’adapter aux

réformes néolibérales entreprises à partir de la décennie 1980.

2.1.1. Les effets de la réforme agraire au Chiapas La réforme agraire est inscrite dans la Constitution mexicaine (article 27) qui fut écrite en

1917 à la fin de la Révolution mexicaine (1910-1920). Au tournant du 20e siècle, sous la

dictature de Porfirio Díaz, les terres étaient concentrées entre les mains de grands

propriétaires terriens (Harvey, 1998a). Dans ces haciendas, les ouvriers travaillaient

difficilement pour ne gagner qu’un maigre salaire. Cette exploitation a mené à la

Révolution mexicaine, dirigée entre autres par Émiliano Zapata, qui avait pour but de lutter

contre le système des haciendas et de redonner la terre à ceux qui la travaillaient. Une des

grandes victoires de la Révolution mexicaine fut l’octroi du droit accès à la terre à tous les

paysans. Avec l’article 27 de la Constitution, le gouvernement s’engageait à fournir ces

terres, entre autres sous forme d’ejidos14, et promit de démanteler les grands domaines

agricoles. De ce fait, la propriété privée ne pouvait plus excéder les limites imposées pas la

loi et les grands domaines agricoles qui dépassaient cette limite devaient être expropriés,

démantelés et redistribués à la population. Malgré qu’elle soit inscrite dans la Constitution

de 1917, la réforme agraire se réalisa plutôt dans les années 1930, lorsque Lázaro Cárdenas

14 Pour éviter un retour aux grandes propriétés, les ejidos ne pouvaient être vendus ou loués, mais seulement transférés par héritage.

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(1934 à 1940) devint président. Sous son sextennat15, la réforme agraire s’intensifia et le

gouvernement distribua presque 18 millions d’hectares aux communautés (Nadal, 1994).

Toutefois, parallèlement à cette distribution, se développa un système de « corporatisme

d’État » (Rus et al., 2003 ; Mattiace, 2003), où tous les travailleurs et les agriculteurs

étaient organisés au sein de groupes hiérarchisés et directement liés à l’État. Le contrôle des

ressources était ainsi fortement centralisé. Par exemple, en agriculture, les paysans devaient

passer par le syndicat national des paysans, la CNC, et ainsi accepter leur dépendance

envers l’État pour espérer bénéficier des subventions agricoles ou des crédits offerts. Les

organisations indépendantes, quant à elles, étaient exclues de la distribution des ressources.

Or, à partir des années 1970, la CNC fut de plus en plus reconnue pour son incapacité à

influencer les politiques rurales du gouvernement (Harvey, 1998b). Affiliée au PRI, le parti

au pouvoir depuis la révolution, elle était davantage un instrument de contrôle qu’une

ressource ayant pour objectif de protéger les petits agriculteurs. Ce « corporatisme d’État »

donna lieu à un système où le pouvoir institutionnel opérait au sein de mécanismes non

institutionnels tels que le clientélisme et l’utilisation de moyens de coercition violente

(Harvey, 1998b).

Au Chiapas, l’influence grandissante d’une élite politique et économique constituée en

grande partie de grands propriétaires et d’éleveurs affiliés au PRI va orienter les décisions

de l’État quant à la distribution des terres et des ressources (Washbrook, 2005). Cette

oligarchie, connue sous le nom de la « famille chiapanèque », réussit à éviter d’être affectée

par la réforme agraire en utilisant des noms d’emprunt, en obtenant l’appui des gouverneurs

successifs, ou encore en ayant recours à la violence (Marcos et Le Bot, 1997 ; Nadal, 1994).

Ainsi, plusieurs grandes propriétés ne furent jamais démantelées, ce qui donna naissance à

une croyance populaire que la réforme agraire mexicaine n’eut jamais lieu au Chiapas

(Sipaz, 2007a ; Nadal, 1994). Toutefois, cette affirmation est de plus en plus nuancée par

plusieurs auteurs, qui insistent sur les disparités régionales quant aux effets de la révolution

mexicaine au Chiapas (Favre, 1997 ; Washbrook, 2005 ; Van Der Haar, 2005). Favre

(1997) rappelle que « si la Révolution s’est longtemps arrêtée aux limites de l’État, par la

15 Au Mexique, les mandats présidentiels sont de 6 ans. Toutefois, un président ne peut accomplir qu’un mandat.

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suite d’un accord entre le président Obregón et les groupes conservateurs locaux, elle y est

finalement arrivée et y a fait son œuvre16 ». Entre 1920 et 1984, la superficie des terres

distribuées aux ejidatarios et aux petits propriétaires s’élève à 2 952 638 hectares (tableau

2)17. Les données inscrites dans le tableau 2 montrent également que la distribution des

terres ne fut pas exclusive aux années de la présidence de Cárdenas (1934-1940), mais que

cette distribution s’est même accentuée après les années 1930.

Tableau 2 : Distribution des terres au Chiapas, 1920 – 1984

Années Quantité de terres distribuées

aux paysans (hectares)

Nombre de personnes

bénéficiaires

1920-29 46 607 5 026

1930-39 290 354 20 000

1940-49 468 146 26 413

1950-59 649 631 27 365

1960-69 483 526 20 940

1970-79 569 082 20 805

1980-84 445 292 23 495

Total : 1920-1984 2 952 638 144 044 Source : (Reyes Ramos, 1992 dans Washbrook, 2005)

Par contre, les données quantitatives relatives à la distribution des terres ne pouvaient à

elles seules confirmer la présence d’une réforme agraire au Chiapas. La majorité des terres

qui ont été octroyées provint de terres nationales vierges inoccupées et non du

démantèlement des grands domaines, ce qui préserva le pouvoir économique et politique

16 Pendant la révolution, une armée de contre-révolutionnaires nommée les mapaches, supportée par les grands propriétaires terriens, luttait pour tenter de conserver leur contrôle sur les terres et sur la main d’œuvre autochtone. La victoire finit par devenir impossible et lorsque le général Obregón devint président du Mexique, les mapaches se déclarèrent loyaux au président, mais à la condition que la Réforme agraire n’affecte pas leurs intérêts et que le système des latifundia puisse persister dans l’État. Ce pacte, conjugué à la faiblesse du nouvel État mexicain, fit en sorte que les acquis de la Révolution furent plutôt absents au Chiapas jusqu’à ce que Lázaro Cárdenas (1934-1940) devienne président du Mexique (Harvey, 1998 ; Stephen, 2002). 17 Voir le tableau 3 pour connaître la répartition actuelle de la terre en fonction de ses différents statuts.

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des grands propriétaires terriens. Lorsque la réforme agraire prit réellement son envol sous

la présidence de Cárdenas (1934-1940), le Chiapas possédait plus de terres nationales que

tous les autres États du Mexique, dont l’immense territoire couvert par la forêt inhabitée de

la Selva Lacandona (Washbrook, 2005).

Washbrook (2005) énonce plusieurs facteurs qui ont limité les impacts sociaux de la

réforme agraire au Chiapas. Tout d’abord, à partir des années 1950, les gouverneurs

obtinrent la possibilité d’octroyer des certificats d’inaliénabilité aux ranchos, les protégeant

des expropriations. Le nombre de certificats octroyés augmenta considérablement durant

les années 1970 et 1980, faisant en sorte qu’à la fin des années 1980, 70 pour cent des

propriétaires de ranchs étaient protégés des expropriations. Ensuite, plusieurs terres ayant

obtenu le statut d’ejidos dans les zones de colonisation (ex : Selva Lacandona) étaient déjà

occupées de façon non officielle par des éleveurs qui refusèrent de libérer leur possession.

Aussi, plusieurs des décrets présidentiels approuvant l’octroi de terres n’avaient tout

simplement pas d’effet ou n’étaient exécutés qu’après une période excessivement longue.

Finalement, la lourdeur et la complexité des démarches administratives concernant les

procédures de la réforme agraire étaient source de frustrations et découragèrent de

nombreux paysans, laissant l’opportunité aux bureaucrates et aux grands propriétaires de

retarder leur démarche. À titre d’exemple, selon Reyes Ramos (1992), un paysan devait

attendre en moyenne 7,4 années avant de voir sa demande de propriété être acceptée (Reyes

Ramos, 1992 dans Washbrook, 2005).

2.1.2. Ralentissement économique et début d’une crise agricole Même si plusieurs terres ont été distribuées aux paysans depuis les années de Cárdenas,

cette distribution n’a pas changé les structures économiques et politiques de l’État

(Washbrook, 2005). Ainsi, si le système du « corporatisme d’État », instauré par le PRI

dans les années 1930, réussit à préserver une certaine paix sociale jusqu’au tournant des

années 1970, il s’écroula durant les décennies 1970-1980. La relative stabilité sociale qui

régnait au Chiapas avant les années 1970 s’expliquait par le fait que les finances de l’État

permettaient à la CNC de s’assurer la loyauté des paysans en satisfaisant suffisamment

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leurs besoins relatifs à la terre. Or, à partir du milieu de la décennie 1970, le milieu agricole

mexicain connut une crise en raison de la baisse des prix de vente des produits agricoles,

d’une hausse des coûts des fertilisants, des taux de change non favorables à l’exportation,

ainsi qu’une difficulté grandissante à se procurer du crédit (Rus et al., 2003 ; Washbrook,

2005). En raison des difficultés rencontrées, plusieurs grands propriétaires délaissèrent leur

plantation ou la convertirent en ranchos, ce qui se traduisit par des pertes d’emplois pour

des milliers d’autochtones qui, depuis la fin du 19e siècle, migraient de façon saisonnière

dans les diverses plantations de l’État à la recherche d’un emploi d’ouvrier agricole qui

pouvait leur apporter un revenu additionnel et nécessaire pour satisfaire leurs besoins que la

terre à elle seule n’arrivait plus à combler (Rus et al., 2003 ; Mattiace, 2003).

Ces pertes d’emplois accentuèrent la pression sur la terre, qui devint problématique à partir

des années 1970. Durant les trois dernières décennies du 20e siècle, la population du

Chiapas explosa, passant de 1 570 000 habitants à 3 920 515 habitants (Villafuerte Solís et

al., 2002). De plus, à partir des années 1980, les Chiapanèques durent concurrencer avec

l’arrivée massive de 200 000 Guatémaltèques fuyant la guerre civile qui sévissait dans leur

pays. Habitués à pratiquer le même type de travail agricole que leurs confrères

chiapanèques, mais réputés pour être encore « plus désespérés », ces Guatémaltèques

représentaient une main-d’œuvre de choix pour les employeurs (Rus et al., 2003).

2.1.3. Migrations internes et peuplement de la forêt Lacandona À partir des décennies 1970-1980, les autochtones chiapanèques se retrouvèrent devant une

économie agricole qui n’avait plus besoin d’eux. Même si certaines plantations

démantelées furent redistribuées en ejidos, la croissance démographique était telle que le

gouvernement ne put satisfaire aux demandes de titre de propriété. Plusieurs choisirent

alors de migrer vers la Selva Lacandona, qui était de plus en plus affectée par l’intense

colonisation qu’elle subit. Alors que la population de cette région n’était que de 10 000

habitants en 1960, elle grimpa à 150 000 habitants en 1990 (Favre, 1997). Peu à peu, la

forêt succomba au brûlis, faisant en sorte qu’en 1994, 60 % de la couverture forestière avait

été incendiée (idem). La colonisation de la Selva provoqua certains problèmes, puisque

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dans bien des cas, elle était dépourvue de fondement légal, les individus ayant pris

possession de leur terre avant d’avoir entamé ou terminé les procédures administratives

pour obtenir le statut d’ejidos. De plus, malgré l’intense colonisation, le gouvernement

d’Echeverría (1970-1976) émit en 1972 un décret octroyant un territoire démesuré de plus

de 600 000 hectares à 66 familles d’indigènes lacandons, alors que 2000 familles tzeltales

et choles représentant 26 communautés y étaient déjà établies et qui, pour certaines, avaient

déjà obtenu leurs documents légaux (Marcos et Le Bot, 1997). En 1978, un nouveau

traumatisme toucha la Selva Lacandona, lorsque devant l’importance de la colonisation, le

gouvernement fédéral légiféra en créant la Réserve intégrale de la biosphère de Montes

Azules. Au sein de cette réserve se trouvaient plus de 5000 colons menacés d’expulsion.

Cependant, la création de cette réserve n’a eu que peu d’influence sur les flux migratoires,

mais a ralenti le processus déjà long et compliqué pour obtenir les titres de propriété

(Favre, 1997).

Outre les migrations dans la Selva Lacandona, la crise agricole des années 1970 entraîna de

nombreuses migrations dans les villes chiapanèques (Rus et al., 2003). Or, les emplois

étaient rares. S’il est vrai qu’à partir des années 1960, le gouvernement fédéral réalisa de

grands investissements, notamment dans l’infrastructure routière, dans l’aménagement

hydroélectrique et dans la prospection et l’exploitation des hydrocarbures, ces

investissements ne firent que conforter le Chiapas dans sa vocation exportatrice que lui

conféraient déjà l’élevage et la caféiculture. Ces investissements ne dynamisèrent pas

l’économie locale et n’eurent que peu d’effets sur la création d’emplois et sur le

développement du secteur industriel, qui n’occupait que six pour cent de la population

active (Favre, 1997). En plus, la crise économique de 1982 obligea le gouvernement fédéral

à couper dans ses projets d’infrastructure, ce qui eut un effet négatif sur les emplois

disponibles dans le secteur de la construction (Peña Lopez, 2005). Les villes chiapanèques

ne pouvant absorber le flux d’agriculteurs délaissant leurs terres, les distances parcourues

par les migrants pour se trouver des emplois se firent de plus en plus grandes. À partir de la

fin des années 1970, les migrations commencèrent à traverser les frontières de l’État pour

atteindre des destinations connaissant une croissance rapide et requérant de la main-

d’œuvre dans le domaine de la construction, telles que Cancún et certaines villes de la côte

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du Golfe du Mexique. Au cours des années 1990, les migrations devinrent transnationales

en atteignant les États-Unis (Rus et al., 2003).

2.1.4. Remise en question du « corporatisme d’État », formation d’organisations paysannes autonomes et répression au Chiapas Si les migrations vers les villes et les autres États du Mexique devinrent pour plusieurs une

stratégie de survie pour remédier au contexte socio-économique difficile caractérisant la

décennie 1970, d’autres, qui virent en la terre la seule façon de survivre, refusèrent de

quitter leur communauté et remirent en question le système de « corporatisme d’État »

(Harvey, 1998b ; Rus et al., 2003). Devant l’incapacité de la CNC de satisfaire les

demandes des paysans, des organisations paysannes autonomes au syndicat national se

formèrent à partir du milieu de la décennie 1970. Les paysans qui, depuis quarante ans,

dépendaient de l’État pour ce qui avait trait à la distribution des terres, à l’octroi de crédits

et aux subventions, voulurent désormais acquérir plus d’indépendance quant aux décisions

qui les concernaient.

Bien que des mouvements se formèrent à plusieurs endroits au Mexique, ils furent

particulièrement importants au Chiapas. Durant les années 1970-1980, les demandes de

propriété non résolues dégénérèrent en une série d’occupations des terres. Plusieurs de ces

occupations étaient alors supportées par des organisations indépendantes du syndicat

national, dont entre autres la Central Independiente de Obreros Agrícolas y Campesinos

(CIOAC) et l’Organización Campesina Emilano Zapata (OCEZ). Dans les années 1980, le

gouvernement dut agir sous la pression populaire et distribua plus de 80 000 hectares à plus

de 9000 campesinos (Harvey, 1994). Malheureusement, la façon dont se fit cette

distribution augmenta les tensions au lieu de les régler. Alors qu’il était gouverneur du

Chiapas, Absalón Castellanos Domínguez (1982-1988) signa une entente avec le

gouvernement fédéral ayant pour but de résoudre les conflits agraires qui se multipliaient

dans les différentes régions de l’État. Le plan Programa de Rehabilitación Agraria (PRA)

fut mis sur pied et toucha 41 municipalités, soit environ le tiers des municipalités de l’État.

Ce plan visait à acheter aux grands propriétaires les terres occupées pour les redonner à

ceux qui les occupaient et dont les demandes n’avaient pas été résolues par le ministère de

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la Reforme agraire (SRA). Une fois acquises, les terres devaient recevoir le statut officiel

d’ejido.

Or, voyant que le gouvernement traitait avec des organisations indépendantes, dont la

CIOAC et la OCEZ, la CNC eut peur de perdre du pouvoir auprès du gouvernement. Elle

se mit alors à envahir et à occuper les terres déjà occupées par les autres organisations et à

revendiquer les propriétés des terres visées par le PRA (Harvey, 1994). L’invasion par la

CNC des terres déjà occupées engendra de violents conflits avec les organisations

indépendantes. La CNC, étant le syndicat national, fut privilégiée lors de la distribution des

terres. Ainsi, le PRA n’a pas réglé le conflit, mais l’a plutôt réorienté d’un conflit qui était à

l’origine entre grands propriétaires terriens et paysans vers un conflit entre les organisations

indépendantes et la CNC.

Par son inefficacité, le PRA n’a pas réglé les problèmes agraires et les occupations ont

continué avec le support des organisations indépendantes. Durant le gouvernement de la

Madrid (1982-1988), le gouvernement mexicain a essayé de redonner plus d’autonomie au

niveau régional. Cette politique eut certains effets dans les États ayant la collaboration de

leur gouverneur. Par contre, au Chiapas, sous le gouvernement du général Absalón

Castellanos Domínguez, les associations autonomes étaient perçues comme menaçantes.

Sous son gouvernement, l’opposition fut victime de répression et une douzaine d’activistes

furent emprisonnés ou assassinés (Harvey, 1998b). Cette répression s’explique en partie par

la relation étroite que le gouvernement de Castellanos Domínguez entretenait avec les

grands propriétaires. Pour éviter leur expropriation, son gouvernement donna plus de 4714

certificats d’inaliénabilité, ce qui représente plus que tous les gouverneurs précédents réunis

(Harvey, 1994). Ainsi, au début des années 1990, le Chiapas comptait à lui seul plus de 25

pour cent des demandes de propriété non satisfaites (Marcos et Le Bot, 1997).

2.1.5. Naissance de l’EZLN La répression envers les organisations paysannes autonomes n’a pas pu mettre un terme à

l’instabilité sociale et politique qui affecte le milieu rural chiapanèque. Harvey (1998a)

rapporte même les propos du Sous-commandant Marcos qui mentionnait que la formation

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de l’EZLN en 1983 fut une réponse spontanée à la répression qu’exerçait le gouvernement

envers les organisations autonomes. Dans cette optique, l’objectif de la guérilla à l’époque

n’était pas de prendre le pouvoir, mais plutôt d’organiser un réseau assurant l’autodéfense

des communautés. Aussi, Washbrook (2005) rappelle que plusieurs des leaders des

organisations paysannes des années 1970-1980 finirent par se joindre aux Zapatistes. À

partir de 1994, ce fut au tour de l’EZLN d’envahir de nombreuses terres. En particulier

pendant les années 1994-1997, ils obtinrent accès à 250 000 hectares de terres, qui

appartenaient jusqu’à alors à des propriétaires privés (Villafuerte Solís, 2005).

Il faudra attendre les années 2000 pour voir les conflits agraires s’amenuiser (quoique

plusieurs persistent toujours aujourd’hui). Lorsque nous faisons le bilan des trente années

où les conflits agraires furent les plus importants (1970-2000), nous pouvons constater que

ces conflits ont bel et bien eu certains effets sur l’application de la réforme agraire au

Chiapas. En 2002, le secteur ejidal représentait plus de la moitié de la superficie de l’État

(tableau 3).

Tableau 3 : Structure agraire au Chiapas (2002)

Statut de la terre Superficie (hectares) %

Ejidos et comuneros18 4 379 308 59

Colonias19 80 849 1

Propriétés privés 2 236 273 30

Terres nationales 377 051 5

Autres (zones urbaines, etc.) 346 594 5

Total 7 420 075 100 Source : Villafuerte Solís (2005)

18 Les comuneros sont des communautés en majeure partie autochtone qui détiennent leur droit d’accès à la terre depuis l’époque coloniale et où celle-ci est cultivée collectivement. 19 Aires habitées par des colonos, qui sont des petits producteurs ayant un statut juridique différent des ejidatarios et des comuneros. Le terme colono fait habituellement référence à leur position périphérique à la ville et à leur récente arrivée.

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Toutefois, les conséquences économiques et sociales de cette réforme agraire qui est arrivée

beaucoup trop tard ont été désastreuses pour les ejidatarios (Villafuerte Solís, 2005). Le

Mexique a changé depuis qu’il s’est engagé dans la voie du néolibéralisme en 1982

(Lapointe, 1997). Si les conflits agraires ont réussi à assurer une meilleure redistribution

des terres sous forme d’ejidos, ils n’ont pas su développer le secteur afin qu’il puisse

demeurer compétitif, ce qui est essentiel dans un contexte néolibéral (Villafuerte Solís,

2005). Depuis les réformes des années 1980-1990, la terre n’arrive plus à satisfaire les

besoins primaires de nombreux agriculteurs qui sont alors forcés de trouver d’autres

alternatives. C’est ainsi qu’à partir de la décennie 1980, mais surtout 1990 et 2000, les

migrations, d’abord nationales puis internationales, vont prendre progressivement la place

des luttes agraires en tant que stratégie de survie économique des populations rurales

chiapanèques.

2.2. Crise économique, crise agricole et réformes néolibérales : les migrations de masse en tant que stratégie de survie au Chiapas

2.2.1. Les années de Miguel de la Madrid : le début d’une crise agricole En 1982, le Mexique, accablé d’une dette externe très élevée, sombre dans une profonde

crise économique. Le gouvernement fédéral suit les directives de la Banque mondiale et

entame des réformes néolibérales qui se traduisent par une profonde restructuration du

milieu agricole. Durant son sextennat, Miguel de la Madrid (1982-1988) a pour objectif

d’obtenir la stabilité financière du pays et de diminuer la dette en réduisant les dépenses de

l’État (Pastor Jr. et Wise, 1998 ; Lapointe, 1997).

Dans ce contexte, le gouvernement veut moderniser l’agriculture de façon à la rendre plus

compétitive (Appendini, 1998). Bien que la réforme agraire de 1934 ait permis à plusieurs

agriculteurs d’obtenir gratuitement l’accès à la terre, elle a néanmoins créé une structure

agricole à deux vitesses (Gravel, 2007 ; Pastor Jr. et Wise, 1998). D’une part, figurent les

ejidos pratiquant une agriculture non irriguée sur des terres de moindre qualité et souffrant

d’un manque notable d’infrastructure. D’autre part, les propriétaires privés possèdent de

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grandes fermes mieux équipées qui sont de 30 à 50 pour cent plus productives que celles

des ejidos (Pastor Jr. et Wise, 1998). Alors que le rendement agricole affichait un taux de

croissance de 6 pour cent entre 1940 et 1965, ce taux chute à 0,2 pour cent entre 1970 et

1974 (Nadal, 1994). L’État Providence qui prévalait durant les belles années des ejidos est

critiqué pour avoir freiné la productivité agricole. Avec le virage néolibéral, l’État ne doit

plus perdre son énergie à soutenir une agriculture non rentable, mais plutôt favoriser les

grandes entreprises concurrentielles. Dès lors, les paysans doivent composer avec une

pression démographique sur les terres, ainsi qu’une baisse de l’aide de l’État qui avait

toujours subventionné l’agriculture. De 1982 à 1989, les investissements publics en

agriculture baissent de 76 pour cent (Pastor Jr. et Wise, 1998). Les subventions furent

réduites en moyenne de 13 pour cent par année, la Banrural (Banque nationale du crédit

rural) restreignit l’accès au crédit et les garanties des coûts de production diminuèrent

considérablement jusqu’à disparaître complètement au début des années 1990 (Peña López,

2005).

Avec le retrait progressif de l’État en agriculture, plusieurs agriculteurs ne peuvent

s’adapter aux ajustements structurels et sont contraints de délaisser leurs terres et de migrer

(Gravel, 2007; Peña López, 2005). Pour les ejidatarios du Chiapas, l’adaptation aux

changements structurels est particulièrement difficile puisque le secteur social20 est sous-

développé. Les terres des ejidos sont souvent de mauvaise qualité, parfois incultivables

(Nadal, 1994). Au tournant des années 1990, 87 pour cent des ejidatarios possédaient des

terres de moins de 10 hectares (Harvey, 1998a) et peu d’entre eux avaient accès à des

moyens de production (tableau 4). Le seul qui était accessible à une grande partie du

secteur social était l’accès aux services publics, qui inclut l’accès à l’électricité, l’eau

potable et les routes pavées ou non pavées. Toutefois, ces résultats doivent être nuancés,

puisque l’accès à un seul de ces services suffisait pour que l’ejido soit considéré comme

ayant accès à des services publics. Parmi les résultats, 75 pour cent ont affirmé avoir accès

à des routes non pavées, ce qui nous permet de nous questionner sur ce que le

gouvernement considère comme étant des services publics (idem). En 1988, seulement 10

20 Le secteur social comprend les ejidos et les comuneros. Il représentait 41,4 % de la superficie des terres en 1988 (Harvey, 1998a).

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pour cent des ejidos avaient accès à des routes pavées, 50 pour cent à l’électricité et 30 pour

cent à l’eau courante.

Tableau 4 : Part du secteur social ayant accès à des moyens de production (1988)

Moyens de production Nombre d’ejidos et de

comuneros

% des ejidos et des

comuneros

Ferme 495 28,9

Tracteurs 318 18,6

Équipements agro-industriels 206 12,0

Services publics 1390 81,1

Irrigation n.d21 4,1 Source: Harvey (1998a)

2.2.2. La crise du café Si les réformes des années 1980 obligèrent certains agriculteurs à délaisser leur terre, c’est

toutefois en 1989 que s’accentuèrent réellement les migrations au Chiapas lorsque le café,

principale culture de l’État destinée à l’exportation, connut une crise sans précédent.

Lorsque les prix du café chutèrent de 50 pour cent (introduction) (Harvey, 1998a), les

conséquences furent désastreuses au Chiapas, puisque l’État était le principal exportateur

du pays (ministère des Finances du Chiapas, 2005). En plus, la privatisation de

l’INMECAFE vint ajouter aux difficultés des producteurs. Depuis la fin des années 1950,

mais surtout depuis les années 1970, les producteurs pouvaient compter sur cet institut

national qui achetait près de la moitié de la production, tout en ayant un rôle important dans

l’organisation, le financement, la mise en marché, ainsi que dans l’exportation de la

production. Cette institution permettait aux producteurs d’éviter de devoir passer par

plusieurs intermédiaires, ce qui aurait eu comme conséquence de diminuer le prix de vente

de leur production (Martínez Torrez, 2004).

21 La superficie du secteur irrigué était de 52 316 hectares contre 1 225 831 hectares qui ne l’étaient pas (Harvey, 1998a).

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Les petits producteurs furent les plus touchés par cette crise du café. Or, au Chiapas, 98

pour cent des producteurs de café possédaient des terres ayant une superficie ne dépassant

pas les dix hectares (tableau 5) (Peña López, 2005). Les producteurs étant confrontés à la

fois à une baisse importante de revenus, ainsi qu’à une réduction de l’accès au crédit,

nombreux ne furent plus en mesure d’investir dans leur production. Pendant les principales

années de la crise, soit de 1989 à 1993, le rendement et la productivité du secteur ejidal

chutèrent de 35 pour cent, les entraînant ainsi dans un cycle de dette et de pauvreté. Cette

crise obligea de nombreux petits producteurs chiapanèques à se joindre au processus

migratoire vers les principales villes du Chiapas, ou encore vers les États au Nord du pays

ainsi que vers les États-Unis (entrevue avec Villafuerte Solís, 2006 ; Peña Lopez, 2005).

Tableau 5 : Distribution des producteurs de café du Chiapas par superficie de propriété cultivée en 1992

Superficie des terres Producteurs du Chiapas

0-2 hectares 48 762

2-5 hectares 18 248

5-10 hectares 5102

10-20 hectares 1202

20-50 hectares 208

50-100 hectares 104

Plus de 100 hectares 116

Total 73 742

Source : Harvey (1998a)

Depuis, le prix de vente du café est demeuré instable. Depuis 1997, une autre crise touche

le secteur avec la concurrence qu’engendre l’entrée en jeu de nouveaux producteurs tels

que le Vietnam (Villafuerte Solís, 2005 ; Peña Lopez, 2005). Cette crise continue

aujourd’hui de consolider le processus migratoire entamé en 1989. De plus, les principales

régions productrices de café, telles que les régions du Soconusco et de la Sierra (figure 3),

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sont vulnérables aux catastrophes naturelles. En 2005, l’ouragan Stan a dévasté la zone

côtière du Chiapas, entraînant des dommages évalués à plus d’un milliard de dollars en plus

de détruire de nombreuses terres agricoles (ministère des Finances du Chiapas, 2005). À la

suite du passage de l’ouragan, Catalino Hernández Vázquez, président d’une organisation

de producteurs de café, nommée La Nueva Imagen, résumait ainsi la situation des

Chiapanèques de la région : « Sans terres, sans récoltes et sans un futur immédiat sûr, les

gens croient n’avoir que deux alternatives : la délinquance ou la migration » (traduction

libre) (Mariscal, 2006b).

2.2.3. Salinas de Gortari et la réforme de l’article 27 de la Constitution Lorsque Carlos Salinas de Gortari (1988-1994) prit le pouvoir en 1988, les mesures

néolibérales entamées par son prédécesseur, Miguel de la Madrid (1982-1988), furent

accentuées. Salinas élimina les garanties des coûts de production pour toutes les

productions, à l’exception du maïs et des frijoles, et diminua considérablement les

subventions agricoles (Pastor Jr. et Wise, 1998 ; Otero et al., 1997). L’accès au crédit des

agriculteurs fut restreint encore davantage, lorsque la Banrural annonça qu’elle allait limiter

ses prêts qu’aux agriculteurs ayant une entreprise jugée rentable et qu’ils allaient être

désormais octroyés selon les taux du marché.

Salinas voulait favoriser les investisseurs, autant nationaux qu’étrangers, pour accroître la

stabilité économique du pays et devenir compétitif au niveau international. C’est ainsi

qu’en 1992, le gouvernement de Salinas modifia l’article 27 de la Constitution mexicaine

en enlevant le caractère inaliénable des ejidos. Depuis, les ejidos peuvent être loués et

vendus, et ce, autant à des intérêts nationaux qu’étrangers. Les limites de superficies

imposées par la loi sont désormais 25 fois supérieures à celles qui prévalaient auparavant

(Harvey, 1998a). Pour l’administration de Salinas, cette étape était essentielle pour attirer

les investissements privés et augmenter la productivité (Appendini, 1998).

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Toutefois, cette contre-réforme agraire (Otero et al., 1997) a engendré de sérieuses

préoccupations au sein de la société civile mexicaine, qui craint que la certification des

terres ejidales puisse favoriser un retour à la concentration des terres. Au Chiapas, cette

crainte est justifiée par la présence de puissantes associations d’éleveurs, représentant plus

de 12 000 personnes, qui pourraient convoiter les terres des autochtones (Harvey, 1998a).

Aussi, avec l’arrêt officiel de la réforme agraire, cette contre-réforme vint enlever l’espoir à

tous les sans-terres d’obtenir une parcelle à cultiver qui aurait pu assurer la subsistance de

leur famille (Marcos et Le Bot, 1997). Aujourd’hui, certains voient en la migration l’unique

moyen d’économiser l’argent nécessaire à l’achat d’une terre. De plus, avec la concurrence

des produits agricoles étrangers engendrée par l’entrée en vigueur de l’ALENA en 1994, les

agriculteurs peuvent désormais utiliser cette nouvelle possibilité de vendre ou de louer leur

terre pour migrer aux États-Unis afin de s’assurer un revenu qui leur permettra de subvenir

aux besoins de leur famille (Peña Lopez, 2005).

2.2.4. Les effets de l’ALENA sur le milieu agricole chiapanèque : le cas du maïs Depuis 1994, l’entrée en vigueur de l’ALENA a accentué la paupérisation des agriculteurs

chiapanèques en engendrant une forte concurrence des produits agricoles étrangers. Le

traité réduit progressivement les barrières tarifaires : 57 pour cent de celles-ci furent

éliminées lors de l’entrée en vigueur du traité et 94 pour cent furent éliminées au cours des

dix années suivantes. Pour ce qui est des 6 pour cent restants, elles se rapportent aux

produits qualifiés de « hautement sensibles », tels que le maïs, les frijoles et le lait en

poudre, dont les barrières tarifaires devraient être éliminées progressivement jusqu’à leur

éventuelle disparition en 2008 (Bartra, 2005 ; Pastor Jr. et Wise, 1998).

Avec l’ALENA, les pays signataires doivent favoriser les cultures pour lesquelles ils

bénéficient d’avantages comparatifs. Pour cette raison, au Mexique, les cultures destinées à

l’exportation sont préférées aux cultures de base, telles que le maïs (Bartra, 200 ; Peña

Lopez, 2005). Or, ces politiques du gouvernement mexicain ont entraîné de lourdes

conséquences sur le milieu agricole chiapanèque, puisque 80 pour cent des agriculteurs

cultivent le maïs (ministère des finances du Chiapas, 2005). Le Chiapas est d’ailleurs l’État

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du Mexique ayant la plus grande superficie de terre destinée à la culture du maïs, bien qu’il

ne soit que le quatrième producteur du pays, en raison de la faible productivité des terres

(Bartra, 2005). Depuis l’entrée en vigueur de l’ALENA, les exportations de maïs américain

ont été multipliées par 15 (Gonzalez Amador, 2005). Alors qu’en 1993, le Mexique

n’importait que 0,5 tonne de maïs des États-Unis par année, ces importations ont atteint 7,5

tonnes en 2005, ce qui représente une croissance de 1400 pour cent (idem). Aux États-Unis,

avec la Loi de la sécurité agricole et d’investissement rural, les subventions agricoles ont

augmenté de près de 70 pour cent, diminuant encore plus la capacité des agriculteurs

mexicains à concurrencer les denrées agricoles américaines (Bartra, 2005). Depuis 2001, en

raison de cette concurrence, le prix de vente des grains de base, comme le maïs, a baissé de

50 pour cent alors que les coûts de production ont augmenté de 40 à 50 pour cent (Velasco

Palacio et al., 2004).

Devant cette concurrence étrangère, les agriculteurs les plus prospères, ayant accès au

crédit, à l’irrigation et aux technologies, ont réussi à s’adapter en délaissant peu à peu la

culture de maïs pour réorienter leurs productions vers des cultures à plus fortes valeurs

ajoutées, comme le café, les fruits, les légumes et l’élevage. Par contre, pour ce qui est des

petits agriculteurs, n’ayant plus accès au crédit depuis les réformes néolibérales, nombreux

n’eurent pas les capacités financières pour réorienter leurs productions, d’autant plus qu’ils

ont dû composer avec la crise de la dévaluation du peso de 1994-1995. La réaction de

plusieurs d’entre eux fut alors de produire plus de maïs pour contrecarrer la baisse du

revenu familial et pour être en mesure de nourrir leur famille. Ces agriculteurs

s’enfoncèrent de plus en plus dans la pauvreté à mesure que la concurrence s’accentuait et

que les barrières tarifaires diminuaient, jusqu’au point où plusieurs durent migrer vers les

États-Unis pour survivre à cette transition économique (Pastor Jr. et Wise, 1998 ;

Villafuerte Solís, 2005).

L’agriculture chiapanèque est aujourd’hui en crise. Cette crise se reflète par sa faible

productivité, sa mince contribution au PIB de l’État (alors qu’elle occupe 60 pour cent de la

population) et par l’exode massif de milliers de Chiapanèques partis travailler aux États-

Unis (Villafuerte Solís, 2005). En réponse aux différentes crises qui ont affecté le milieu

rural chiapanèque, les migrations ont pris une ampleur démesurée au cours des dix

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dernières années. Alors qu’elles ont surtout commencé dans les années 1990, entre autres à

la suite de la crise du café et de l’entrée en vigueur de l’ALENA, c’est depuis 2000 qu’elles

ont connu une croissance phénoménale. Plusieurs chercheurs de l’ECOSUR et de

l’UNICACH associent cette hausse à l’arrivée de Vicente Fox et de Pablo Salazar

(gouverneur de l’État) au pouvoir qui, avec leurs politiques néolibérales, ont délaissé

complètement leur appui à l’agriculture de subsistance, alors qu’elle est le gagne-pain de la

majorité de la population de l’État (Balboa, 2004 ; entrevue avec Villafuerte Solís, 2006).

Pour les penseurs néolibéraux qui ont orienté les politiques gouvernementales mexicaines

depuis l’arrivée des technocrates au pouvoir en 1982, la solution à la crise agricole

mexicaine passe par la création d’emplois bien rémunérés dans les secteurs de l’industrie,

du commerce et des services de manière à absorber le flux d’agriculteurs délaissant la terre

(Bartra, 2005). Pour y arriver, le Mexique a fait le pari de compter sur les investissements

étrangers.

2.3. Les IDE pour contrôler l’immigration

2.3.1. Le Mexique et les IDE Les réformes néolibérales entreprises depuis 1982 s’inscrivent dans le nouveau modèle de

développement qu’a adopté le gouvernement mexicain depuis l’élection de Miguel de la

Madrid (1982-1988). La lourde dette externe et l’inflation galopante qui ont conduit à la

crise économique de 1982 avaient réduit considérablement les investissements internes, la

création d’emplois et le niveau de vie des Mexicains (Minda, 1997). Pour le gouvernement

mexicain, il était clair que la solution ne pouvait se faire par des rectifications mineures,

mais plutôt par une refonte globale des structures économiques. Miguel de la Madrid a ainsi

entamé un processus de modernisation de l’État qui s’est fait en comprimant les dépenses

publiques, en privatisant certaines entreprises publiques, en atténuant les barrières

tarifaires, entre autres avec l’adhésion du Mexique au GATT en 1986, ainsi qu’en

remplaçant le modèle de substitution des importations par celui de la promotion des

exportations (Gravel, 2004 ; Lapointe, 1997).

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Toutefois, c’est sous la présidence de Salinas de Gortari (1988-1994) que les réformes vont

réellement s’accentuer. Salinas veut remettre le Mexique sur le chemin d’une croissance

durable en créant un climat propice aux investisseurs (Minda, 1997). En plus des

discussions avec les États-Unis et le Canada pour instaurer une zone de libre-échange, il

intensifie le processus de privatisations entamé par son prédécesseur. Notons que le nombre

d’entreprises publiques s’étaient grandement accru lors des deux présidences précédant

celle de De la Madrid, soit celle d’Echeverría (1970-1976) et de López Portillo (1976-

1982). Des 1155 entreprises publiques ou semi-publiques présentes en 1982, on n’en

compte plus que 200 en 1994 (Minda, 1997). De plus, Salinas procède en 1989 à une

réforme complète de la législation relative aux investisseurs nationaux et étrangers en

simplifiant les règles et les procédures administratives. L’ancienne législation datant de

1973 était très restrictive pour les investisseurs étrangers. Certains domaines de l’économie

mexicaine étaient exclusivement réservés à l’État, dont les hydrocarbures, la pétrochimie,

l’exploitation des mines, l’électricité, l’énergie nucléaire, les chemins de fer et les

communications téléphoniques et radiographiques. D’autres secteurs étaient réservés aux

entreprises mexicaines, tels que la radio et la télévision, l’exploitation forestière, le

transport urbain, aérien et maritime, ainsi que la distribution du gaz. Pour ce qui est des

autres secteurs qui n’étaient pas fermés au capital étranger, les entreprises étrangères

devaient limiter leur participation au pourcentage du capital social autorisé, qui ne dépassait

jamais 49 pour cent (idem).

Avec les nouvelles réglementations qu’apporte Salinas de Gortari au cadre juridique

régissant les investisseurs étrangers, les investisseurs étrangers acquièrent le droit d’être

propriétaires à 100 pour cent des entreprises appartenant à des secteurs non réglementés. De

plus, certains secteurs qui étaient autrefois protégés, par exemple l’informatique et les

produits pharmaceutiques, sont maintenant ouverts aux entreprises étrangères. En 1993,

Salinas assouplit de nouveau le cadre juridique, en permettant à l’investisseur étranger de

participer dans n’importe quelle proportion du capital social des sociétés mexicaines. Cette

déréglementation, ajoutée aux privatisations et à l’adhésion du Mexique à l’ALENA, va

faire du Mexique le pays le plus convoité par les IDE en Amérique latine durant les années

1990 (idem). Depuis, les gouvernements qui ont succédé à Salinas ont tous eu la conviction

que la croissance du pays doit passer par les investisseurs étrangers, et ce, même avec

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l’élection du PAN de Vicente Fox en 200022. Encore tout récemment, se prononçant sur la

question migratoire, le président mexicain Felipe Calderón (PAN) mentionnait que

« l’unique solution » pour régler le problème des migrations était la création d’emplois bien

rémunérés et que cela passait inévitablement par une augmentation des investissements

étrangers (El Mundo, 2006).

2.3.2. L’impact de l’impasse politique sur les IDE au Chiapas Toutefois, même avec une hausse considérable des investissements étrangers au Mexique,

le Chiapas est négligé des investisseurs (tableau 6). Le gouvernement chiapanèque a

pourtant tenté de promouvoir son territoire comme étant un endroit idéal où investir et a

laissé aux IDE une place prépondérante au sein de sa stratégie de développement

(Villafuerte Solís, 2005). Il est vrai que l’État possède un fort potentiel de développement

avec ses nombreuses ressources naturelles et sa position stratégique. Nous n’avons qu’à

penser à l’eau, ressource de plus en plus rare à la frontière avec les États-Unis, mais qui est

nécessaire en grande quantité pour accomplir les opérations de plusieurs activités

industrielles, telles que les industries textiles et électroniques (Conroy et West, 2000).

22 L’arrivée au pouvoir du PAN a mis fin à 71 ans de règne du PRI.

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Tableau 6 : Distribution des IDE au Mexique, 1994-2006

(en millions de dollars EU, par État)23

Source : INEGI (2005 et 2007)

Malgré un fort potentiel économique, la faible présence d’investisseurs étrangers s’explique

en grande partie par l’instabilité politique qui affecte l’État depuis le soulèvement zapatiste.

Bien qu’en 1994, un cessez-le-feu ait été décrété douze jours après le début des hostilités24,

le gouvernement fédéral et l’EZLN ne sont jamais parvenus à un accord (Benítez Manaut et

al., 2006). Pourtant, à la suite du cessez-le-feu, des négociations avaient bel et bien été

entreprises entre les deux parties, avec pour médiateur l’évêque de San Cristóbal de las

Casas, Mgr. Samuel Ruíz. Lors de la première étape des négociations qui eut lieu dans la

Cathédrale de San Cristóbal, l’EZLN déposa une liste de 34 revendications dont certaines

concernaient la population mexicaine dans son ensemble, alors que d’autres se référaient

davantage aux autochtones du Chiapas. Les principaux thèmes de ces revendications

étaient : l’accès au travail, à la terre, au logement, ainsi qu’à l’éducation et à la santé, les

droits des femmes et le droit à la liberté, la justice, la démocratie et la paix (EZLN, 1994).

Le gouvernement fédéral répondit en acceptant seulement que certaines revendications de

l’EZLN, en essayant de focaliser la discussion sur les demandes locales et de mettre de côté

les revendications à caractère national. Les Zapatistes rejetèrent la proposition du

23 Les chiffres dépassant 10 millions ont été arrondis au dixième près. 24 Les douze jours de conflit ont causé la mort d’environ 145 personnes dans les deux camps (Benítez Manaut et al., 2006).

Année Mexique D.F Chihuahua Chiapas Yucatán Campeche

1994 10 661 7618 308 0,4 48 2,1

1996 7 837 4777 534 1,0 47 0

1998 8 366 4015 620 0,4 31 0,1

2000 17 776 8750 1081 2,3 56 11

2002 19 342 12 352 633 2,3 3,3 72

2004 22 300 13 071 798 1,2 17 48

2006 14 638 6 564 1320 0,2 23 9,7

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gouvernement fédéral et devant l’hésitation de ce dernier à reprendre les négociations, ils

répondirent en décrétant la création de 38 nouvelles municipalités rebelles autonomes

zapatistes (MAREZ) qui vinrent se juxtaposer parallèlement aux municipalités officielles,

(introduction) (Beaucage, 2007), rendant cette partie du territoire peu attrayante pour les

investisseurs. Cette première étape des négociations s’écroula complètement en février

1995, lorsque le nouveau président, Ernesto Zedillo (1994-2000) contrevint au cessez-le-

feu en lançant une campagne militaire visant à capturer les dirigeants zapatistes, dont le

Sous-commandant Marcos (Benítez Manaut et al., 2006).

Cette campagne échoua et renforça le support populaire des Zapatistes. Par la suite, sous la

pression populaire, le Congrès mexicain approuva la Loi pour le dialogue, la conciliation,

et la paix digne au Chiapas et créa la Commission de Concorde et de Pacification

(COCOPA), chargée de participer à une éventuelle seconde étape de négociations et de

garantir l’immunité des dirigeants zapatistes. Cette deuxième phase, qui débuta en octobre

1995 dans la municipalité de San Andrés Larraínzar, devait s’articuler autour de six tables

de travail, dont la première était les Droits et cultures indigènes25. En février 1996 furent

signés les Accords de San Andrés qui contenaient les résultats de cette première table de

travail.

Avec les Accords de San Andrés, les différentes organisations autochtones du Mexique

eurent enfin l’espoir de voir leurs pratiques sociales et politiques être reconnues et d’obtenir

un meilleur accès aux services et aux ressources qui leur avaient été si longtemps niés

(Beaucage, 2007 ; Benítez Manaut et al., 2006). Toutefois, entre mars 1996 et décembre

1997, le processus de paix s’écroula de nouveau. Alors que la COCOPA transforma les

Accords de San Andrés en un projet de loi, le gouvernement fédéral refusa de le soumettre

au Congrès mexicain et proposa des modifications qui en changèrent substantiellement son

contenu (SIPAZ, 2007b). Le gouvernement était alors en désaccord avec la définition du

concept des « droits indigènes » proposée par la COCOPA. Alors que les Zapatistes

voulaient (et veulent toujours) obtenir des droits collectifs sur les ressources et les

politiques publiques à l’intérieur des territoires définis comme étant autochtones, le 25 Les cinq autres tables de travail devaient être : Table 2 : Démocratie et Justice, Table 3 : Bien-être et Développement, Table 4 : Conciliation au Chiapas, Table 5 : Droits de la femme, Table 6 : Fin des hostilités (SIPAZ, 2007b). Seul la deuxième table fut entamée, mais sans se conclure par un accord.

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gouvernement voyait plutôt les droits indigènes comme une meilleure intégration

économique et politique de ces populations au sein du cadre légal déjà existant (Benítez

Manaut et al., 2006).

Au cours de cette même période, des groupes paramilitaires, appuyés par les autorités

municipales et les grands propriétaires terriens, entamèrent une campagne de répression à

l’encontre des Zapatistes et de leurs sympathisants. Ces attaques connurent leur apogée

avec le massacre d’Acteal en décembre 1997, où 45 personnes, dont femmes et enfants,

furent assassinées par des paramilitaires qui entretenaient des liens étroits avec la police de

l’État et les dirigeants municipaux du PRI26. Parallèlement à ces attaques, le nombre de

déplacements forcés connut une hausse considérable, atteignant aujourd’hui environ 12 000

individus (SIPAZ, 2007a).

Devant ces attaques et le refus du gouvernement d’appliquer les Accords de San Andrés, les

Zapatistes rompirent les négociations et la période 1997-2000 fut caractérisée par une

impasse dans le processus de paix ponctuée d’incidents violents (Benítez Manaut et al.,

2006). L’espoir de voir une reprise des négociations arriva en 2000 avec la victoire de

Vicente Fox (2000-2006) du PAN aux élections fédérales et de Pablo Salazar Mendiguchía,

candidat d’une coalition des partis de l’opposition au Chiapas27, tous les deux mettant un

terme à plusieurs décennies de domination priiste (Benítez Manaut et al., 2006 ; Gómez

Tagle, 2005). Lors de la campagne, Vicente Fox avait prétendu être en mesure de

« résoudre le conflit du Chiapas en quinze minutes » (Benítez Manaut et al., 2006). De

plus, lors de son discours d’inauguration, il indiqua clairement vouloir trouver une solution

à la crise et ajouta qu’il allait soumettre le projet de loi de la COCOPA sur les droits et

cultures indigènes au Congrès mexicain. Les Zapatistes profitèrent alors de cette nouvelle

opportunité pour faire pression sur Fox afin qu’il approuve la loi. En 2001, ils organisèrent

en collaboration avec d’autres organisations autochtones « la marcha del color de la

tierra », mieux connue sous le nom de « Zapatour », où les Zapatistes entreprirent un

26 Bien qu’il n’y ait pas de certitude quant à l’existence de lien entre le gouvernement fédéral et les groupes paramilitaires, l’armée, qui était déployée au sein de la zone de conflits, toléra la présence de ces groupes et fit peu pour mettre un terme à leurs activités (Benítez Manaut et al., 2006). 27 Salazar réussit à rallier huit partis d’opposition, dont le PAN, le PRD, le Parti Travailleur (PT) et le Parti écologique (PVEM), qui étaient les principaux partis politiques après le PRI (Gómez Tagle, 2005). Notons que plusieurs de ces partis, par exemple le PAN et le PRD, ont des idéologies très opposées.

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voyage de 6000 kilomètres, traversant 13 États et livrant plus de 77 entrevues, afin d’aller

rencontrer les dirigeants politiques à Mexico D.F. (Marcos, 2001).

Finalement, Fox soumit une version du projet de loi de la COCOPA au Congrès mexicain,

mais seulement après y avoir apporté des modifications importantes, surtout en ce qui a

trait au concept d’autonomie indigène (Beaucage, 2007 ; SIPAZ, 2007b). Bien que la

nouvelle loi représente une avancée réelle pour ce qui est des droits autochtones, elle ne

reconnaît pas les communautés autochtones comme des entités de droit public, elle ne leur

donne pas le droit à un territoire et ne leur permet pas de gérer de façon autonome les

ressources naturelles présentes au sein de leurs communautés (SIPAZ, 2007b). À la suite de

l’adoption de cette loi, les Zapatistes se sont sentis profondément trahis par le

gouvernement fédéral. Ils ont depuis rompu le dialogue et décidé de résister en exerçant

l’autonomie de facto dans les municipalités autonomes rebelles.

Depuis 2003, les Zapatistes ont ajouté un nouvel échelon à la construction de leur

autonomie avec la création de cinq Comités de bon gouvernement (Junta de Buen

Gobierno) et des caracoles (escargot). Alors qu’autrefois chaque communauté autonome

était gouvernée séparément, la gouvernance de ces communautés est aujourd’hui exercée

par ces Comités de bon gouvernement, formés de civiles autochtones élus par les habitants

et siégeant dans un des cinq caracoles (Benítez Manaut et al., 2006 ; Burch, 2003).

Désormais, le rôle de l’EZLN n’est plus de diriger, mais plutôt de protéger les populations

zapatistes. Ces instances coexistent aujourd’hui en parallèle avec les municipalités

constitutionnelles et décident de façon autonome des modes d’organisation de leur

gouvernement, ainsi que de leur système d’éducation, de santé et de justice, mettant ainsi

en pratique les Accords de San Andrés sans l’accord gouvernemental (SIPAZ, 2005). Quant

à lui, le gouvernement fédéral a répondu en saluant la décision de l’EZLN d’opter pour une

nouvelle organisation politique en démilitarisant sa structure. Il a par la suite mentionné

que les Conseils de bon gouvernement pourraient être compatibles avec la Constitution et a

invité les Zapatistes à reprendre « le dialogue afin d’avancer dans la construction d’une

paix juste et digne » (Burch, 2003). Pour les Zapatistes, aucun dialogue n’est possible tant

que le gouvernement ne respectera pas les Accords de San Andrés.

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Puisque sur un même territoire co-existent des municipalités autonomes et

constitutionnelles, cette quête d’autonomie ne s’est pas faite sans générer des conflits entre

les Zapatistes et les non-Zapatistes qui partagent le même espace et qui ne reconnaissent

pas les lois et l’autorité de l’EZLN (Washbrook, 2005). Bien que les Zapatistes aient tenté

au cours des dernières années de rétablir les ponts entre leurs sympathisants et les autres

organisations, par exemple en mettant fin au barrage et au système de péage dans les

territoires sous leur contrôle, le fait que l’EZLN impose des règles aux non-Zapatistes

partageant le même territoire continue d’exacerber les tensions (SIPAZ, 2007b ;

Washbrook, 2005). Aujourd’hui, l’impasse dans le processus de paix a rendu la moitié-est

de l’État ingouvernable et de ce fait peu attrayant pour les capitaux étrangers (Collier et

Collier, 2005).

Figure 9 : Caracol d’Oventik dans la région de Los Altos

David Tanguay (2006)

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61

De plus, l’idéologie de l’EZLN est farouchement anti-néolibérale, puisque ceux-ci

attribuent la dégradation des conditions de vie des ejidatarios aux réformes néolibérales

entamées en 1982 par le gouvernement de Miguel de la Madrid (Baschet, 2002). L’EZLN a

d’ailleurs fait connaître son opposition à plusieurs projets de développement construits sous

le schème néolibéral, tel que le Plan Puebla-Panamá (chapitre 4). Cette instabilité politique,

conjuguée à l’idéologie anti-néolibérale des Zapatistes, a grandement contribué à effrayer

les investisseurs (Villafuerte Solís, 2005). En raison du manque d’investissements, peu

d’emplois ont été créés, faisant sorte que les villes du Chiapas n’ont pas été en mesure

d’absorber le flux de paysans chiapanèques qui, devant la crise agricole, ont quitté leur terre

à la recherche d’un emploi dans les différentes villes de l’État (Villafuerte Solís, 2005 ;

Cruz Burguete et Robledo Hernández, 2001). Si la capitale de l’État, Tuxtla Gutiérrez, a

bénéficié de la majeure partie des investissements faits durant les dernières années (surtout

publics), les emplois créés n’offrent pas de bonnes conditions de travail et sont mal payés

(Villafuerte Solís, 2005). Pour plusieurs, la solution passe alors par l’émigration vers les

États-Unis.

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62

Chapitre 3. Les résultats : Le rôle des migrations dans le développement des communautés : le cas d’El Ixcán et de

Loma Bonita

3.1. Les objectifs et l’importance du revenu migratoire

3.1.1. Les objectifs et les motivations des migrants Au cours de la dernière décennie, la crise agricole et le manque d’opportunités d’emplois

au Chiapas ont engendré une hausse importante des migrations vers les États-Unis. Cette

hausse est accompagnée d’une augmentation toujours croissante des flux monétaires

transférés aux familles demeurées dans leur communauté. Avant de se pencher sur

l’utilisation de l’argent des migrations par les familles et d’en analyser ses effets sur le

développement, nous avons préalablement voulu savoir quel est le profil des migrants à El

Ixcán et Loma Bonita (tableau 7). De plus, nous avons aussi voulu savoir quelles sont les

raisons et les objectifs qui motivent ces individus à migrer aux États-Unis (tableau 8).

Les résultats présentés dans le tableau 8 montrent qu’à El Ixcán et Loma Bonita, les

migrations sont une conséquence du contexte économique difficile, où l’agriculture est en

crise et où aucun emploi bien rémunéré n’est disponible. Dans ces communautés, en raison

de la forte concurrence des produits agricoles américains, une journée passée à travailler la

terre rapporte environ cinq dollars US, ce qui est insuffisant pour subvenir aux besoins

d’une famille. Les emplois étant rares dans les villes chiapanèques, les habitants de ces

communautés n’ont d’autres choix que de migrer en dehors du Chiapas. Pour ce qui est des

destinations, les migrants semblent préférer les États-Unis aux autres États du Mexique,

puisque les salaires y sont beaucoup plus élevés et que le taux de change y est favorable

(chaque dollar américain équivaut à environ 10 pesos au Mexique). Par exemple, sur la

population recensée à El Ixcán, 130 individus habiteraient actuellement à l’extérieur de la

communauté, dont entre 100 et 110 aux États-Unis (commissaire d’El Ixcán, 2006 ; centre

de santé d’El Ixcán, 2006).

Le profil des migrants (tableau 7) reflète également le manque d’opportunités qui s’offrent

aux jeunes adultes. Parmi les migrants, 72 pour cent sont de jeunes adultes qui résidaient

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toujours avec leurs parents avant leur départ. Pour plusieurs d’entre eux, en plus de leur

permettre d’aider financièrement leur famille, les migrations deviennent le moyen

d’accumuler le capital nécessaire pour se construire un patrimoine familial (Gravel, à

paraître). En effet, si les revenus apportés par l’agriculture sont, bien souvent, insuffisants

pour satisfaire leurs besoins primaires, il devient alors pratiquement impossible pour de

jeunes adultes d’amasser l’argent nécessaire pour s’acheter une terre ou se construire une

maison.

Tableau 7 : Profil des migrants de chaque unité domestique28

Profil des migrants

Groupe d’âge Nombre de migrants

% des migrants

29 ans et moins 25 58 30 ans et plus 1 2

Fils

Non disponible 2 5

65

29 ans et moins 3 7

30 ans et plus 0 0

Fille

Non disponible 0 0

7

29 ans et moins 1 2 30 ans et plus 5 12

Père

Non disponible 3 7

21

29 ans et moins 3 7 30 ans et plus 0 0

Frère du père de famille

Non disponible 0 0

7

Total 43 100

28 L’échantillon utilisé dans les tableaux 7 et 8 comprend 36 individus qui travaillent actuellement aux États-Unis, deux à Tecate, dans le Nord du Mexique, et cinq qui ont travaillé aux États-Unis, mais qui sont revenus dans leur communauté. Si l’échantillon dépasse 30 individus, c’est parce qu’il y a parfois plus d’un migrant par famille.

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Tableau 8 : Les raisons et les objectifs ayant motivé les migrations

Motivations/objectifs évoqués par le migrant

% des migrants

Survie/réponse à la crise agricole 67

Conditions de travail et rémunération avantageuses des emplois aux États-Unis

19

Volonté de se construire une maison 19

Volonté d’investir (commerce ou agriculture)

28

Aventure ou désir de voyager 17

Échantillon : 43 migrants

Le tableau 8 montre aussi qu’en plus d’être une stratégie de survie à la crise agricole, les

migrations sont parfois motivées par des objectifs bien précis. Pour plusieurs, le but de la

migration est d’acquérir les ressources nécessaires pour être éventuellement en mesure de

revenir s’établir dans leur communauté d’origine. Ce détail est important, puisque les

migrants qui ont l’intention de revenir ont moins de chance de diminuer leurs envois au fil

du temps que ceux qui s’établissent définitivement dans le pays hôte (chapitre 1)

(Chimhowu et al., 2005 ; Durand, 2005). Pour cette raison, en plus des raisons ayant

motivé les migrations, nous avons voulu savoir si l’objectif ultime du migrant était de

revenir s’établir de façon permanente dans sa communauté d’origine une fois ses objectifs

migratoires atteints (figure 10).

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Figure 10 : Intention de revenir s’établir dans la communauté29

Échantillon : 38 migrants

64%

18%

18%

Veulent revenir définitivement

Ne savent pas

Ne veulent pas revenir s'établir

Les résultats obtenus montrent que les « migrations de retour » (Durand, 2005) occupent

une place importante à El Ixcán et Loma Bonita. Par contre, une minorité significative (18

pour cent) n’avait tout de même pas l’intention de revenir. Parmi eux, plusieurs étaient

pourtant partis aux États-Unis avec l’idée de revenir. Toutefois, une fois établis dans le

pays d’accueil, des évènements sont venus bouleverser leur plan initial. Par exemple, il y a

sept ans, Juan, qui avait alors 23 ans, partit aux États-Unis afin d’économiser l’argent

nécessaire pour se construire une maison. Étant célibataire, il rencontra une Américaine

avec qui il s’est marié. Juan, qui a aujourd’hui deux enfants, vit aux États-Unis et n’a plus

l’intention de revenir dans sa communauté. Un autre exemple, celui de Pedro, montre que

les absences prolongées peuvent briser les unités familiales. Il y a huit ans, Pedro, marié,

mais n’ayant pas encore d’enfant, partit travailler aux États-Unis pour économiser l’argent

nécessaire à la construction de sa maison. Alors qu’il travaillait aux États-Unis, son épouse

l’a quitté pour un autre homme. N’ayant plus de raison de revenir, il s’est remarié aux

États-Unis et n’est plus jamais revenu.

29 L’échantillon ne comprend pas les cinq migrants qui sont déjà revenus dans leur communauté. Trois de ces cinq migrants ont mentionné ne pas vouloir retourner aux États-Unis, alors que les deux autres aimeraient y retourner une seconde fois, mais sans s’y établir définitivement.

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Les exemples de Pedro et de Juan nous rappellent que la possibilité que le migrant établisse

une nouvelle unité domestique dans le pays d’accueil est bien réelle, d’autant plus que, tel

que le reflète le tableau 7, la majorité des migrants sont des jeunes hommes non mariés

âgés de moins de trente ans. Dans de tels cas, comme le mentionnaient Quesnel et Del Rey

(2005), il est possible que le migrant diminue ses envois, puisque son obligation devient

double, devant contribuer financièrement au maintien de deux unités domestiques.

D’ailleurs, lorsqu’elle fut questionnée sur l’apport financier de son fils au sein du budget

familial, la mère de Juan répondit : « Ce n’est qu’une petite partie. Il participe

[financièrement], mais […] c’est difficile pour lui, car il doit faire vivre deux familles ».

3.1.2. L’influence du temps sur le lien tissant le migrant à sa communauté Les exemples de Juan et de Pedro montrent que même si l’intention originale du migrant

est de revenir dans sa communauté, il est possible que ses plans changent au fil du temps.

Pour cette raison, la deuxième étape de notre entrevue fut de mieux connaître la force du

lien qui tisse le migrant à sa communauté en nous informant sur la durée du séjour du

migrant (figure 11). Cette question est importante, car plus le séjour du migrant s’éternise,

plus les chances qu’il s’y établisse définitivement deviennent importantes (Chimhowu et

al., 2005). De plus, les envois tendent à diminuer à mesure que le séjour du migrant se

prolonge (Cohen, 2004 ; Delgado Wise et Rodríguez Ramírez, 2005).

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Figure 11 : Durée du séjour des migrants

Échantillon: 38 migrants

8

39

13

3

32

5

05

1015202530354045

- de 1ans

1 à 2 3 à 4 5 à 6 7 à 8 9 à 10

Durée du séjour (années)

% d

es m

igra

nts

Le fait qu’une grande partie des séjours dépasse deux années semble confirmer la tendance

actuelle observée par plusieurs auteurs vers des séjours de plus en plus longs (Meza Merlos

et Márquez Covarrubias, 2005 ; Delgado Wise et Rodríguez Ramírez, 2005). Toutefois,

nous ne devons pas nécessairement conclure à une tendance vers des établissements

permanents, mais plutôt remarquer une reconfiguration des types de migrations, où les

migrations cycliques caractérisées par des séjours de courte durée et d’allers-retours

réguliers sont de moins en moins possibles. Durant la dernière décennie, le renforcement du

contrôle de la frontière a fait en sorte qu’il est de plus en plus difficile de traverser la

frontière (figure 12), obligeant les migrants à trouver de nouvelles routes toujours plus

dangereuses30 (Massey, 2007).

Lors de nos entrevues, plusieurs ont mentionné les nombreuses difficultés rencontrées pour

traverser la frontière. Certains ont marché durant cinq à huit heures de jour dans le désert,

alors que d’autres ont plutôt fait le voyage en deux nuits, se cachant des patrouilleurs

30 En octobre 2006, le Congrès américain a approuvé la construction d’une « double barrière renforcée » qui couvrira 1200 des 3140 kilomètres de la frontière entre les États-Unis et le Mexique. Selon le Consulat mexicain, 42 Mexicains sont morts en tentant de traverser le désert entre les mois de janvier et mai 2007, soit l’équivalent de toute l’année 2006 (Lesnes, 2007).

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américains durant le jour. Certains se sont d’ailleurs fait prendre par ces patrouilleurs,

comme ce fut le cas pour un jeune homme qui, après s’être fait battre par ces derniers, fut

renvoyé dans sa communauté avec une dette envers le coyote31, que son père a dû acquitter

en vendant une partie de sa terre.

Figure 12 : Caricature représentant les risques des nouvelles routes pour traverser la frontière32

Source : Cuarto poder (2006)

Avec la hausse du contrôle de la frontière, les coûts pour obtenir les services d’un coyote

ont considérablement augmenté, puisque ceux-ci doivent offrir de nouveaux services qu’ils

ne faisaient pas autrefois, tels que guider les migrants dans le désert (Massey, 2007). Les

familles interrogées nous ont mentionné que le migrant doit débourser entre 2000 et 3000

dollars US pour bénéficier de tels services, des montants qui se traduisent souvent par une

dette qu’ils doivent d’abord rembourser avant de commencer à économiser. Malgré les

31 Les coyotes sont des individus qui aident les migrants à traverser illégalement la frontière. 32 Traduction libre des propos du personnage de la mort : « Hé ! paysan, viens par ici. »

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inconvénients et les dangers qu’apporte la militarisation de la frontière, les migrations n’ont

pas diminué pour autant, mais le pourcentage de migrants revenant de façon cyclique dans

leur communauté a grandement diminué (Massey, 2007). Les gens préfèrent plutôt

demeurer plus longtemps dans le pays d’accueil pour ne pas avoir à y retourner (figure 13).

Figure 13. Fréquence des allers-retours

Échantillon : 43 migrants

35%

65%

Ils sont revenus

Ils ne sont jamaisrevenus

Dans ce contexte de surveillance accrue de la frontière nord, la tendance vers des séjours

plus longs et le nombre plus restreint d’allers-retours ne reflètent pas nécessairement un

détachement du migrant à sa communauté, mais plutôt une difficulté bien réelle de traverser

la frontière. Pour les autres, seuls quatre migrants effectuent des retours de façon cyclique.

Les autres n’ont pu effectuer qu’un seul aller-retour, ce qui confirme les dangers que

représente la traversée de la frontière.

Notons que les quatre migrants qui effectuent des allers-retours de façon cyclique

bénéficient d’une situation particulière. Deux de ces migrants étaient les seuls de

l’échantillon à bénéficier d’un permis de travail légal aux États-Unis. Après avoir travaillé

illégalement pendant deux ans pour la même entreprise agricole, un père de famille,

apprécié par son patron en raison de son bon travail, s’est fait offrir un permis légal qui lui

permet de travailler en agriculture au Kentucky. Ce permis fut aussi attribué à son fils par la

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suite. Ce contrat leur permet de revenir dans leur communauté deux mois par année, soit du

mois de décembre à février.

En plus de ces deux individus, les deux autres cas de migrations cycliques se réfèrent à

deux jeunes sœurs âgées de 23 et 25 ans qui, après avoir travaillé illégalement durant six

mois aux États-Unis, ont déménagé à Tecate, ville mexicaine de l’État de la Basse-

Californie située à la frontière Nord, pour être en mesure de visiter leur famille

régulièrement au Chiapas. Toutefois, comme nous l’avons spécifié précédemment, les

migrations internes semblent plutôt rares dans ces deux communautés, surtout en raison de

la différence de salaire qui persiste entre les emplois offerts au Mexique et ceux aux États-

Unis. Si ces deux filles ont eu la chance de se trouver un bon emploi au Mexique, c’est en

partie parce qu’elles ont une bonne scolarité, ayant toutes les deux fait des études

techniques en comptabilité, ce qui n’est malheureusement pas le cas de la majorité des

habitants de la Selva Lacandona.

Pour ce qui est des autres migrants ayant un statut illégal, la majorité préfère, dans le

contexte actuel, demeurer plus longtemps aux États-Unis jusqu’à leur retour définitif, une

fois leurs objectifs migratoires atteints. Puisque la militarisation de la frontière augmente la

durée des séjours et diminue les possibilités d’effectuer des allers-retours, nous avons

également voulu savoir si le migrant gardait contact avec sa famille, par exemple en

communicant avec elle régulièrement par téléphone. Les résultats se sont avérés positifs

(figure 14), ce qui peut faciliter le retour du migrant et favoriser les investissements

productifs (Durand, 2005 ; Mooney, 2003).

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Figure 14 : Fréquence des communications par téléphone33

Échantillon : 25 familles

56%

20%

4%

4%

8%

8% 1 fois / 2 semaines et +1 fois / 1 mois1 fois / 2 mois1 fois / 3 à 5 mois1 fois / 5 mois et +Pas répondu

À la lumière de ces résultats, il demeure difficile pour l’instant de prévoir quels migrants

reviendront un jour dans leur communauté et prédire quand ce retour s’effectuera. Dans ce

contexte, le danger d’une éventuelle baisse des envois demeure bien présent, mais pas

assuré. Pour cette raison, la prochaine étape de notre recherche est de connaître

l’importance du revenu migratoire au sein des budgets familiaux afin d’évaluer la

vulnérabilité des familles envers une éventuelle baisse des envois.

3.1.3. L’importance du revenu migratoire au sein des budgets familiaux Pour mieux connaître l’importance du revenu migratoire dans les communautés, nous

avons posé trois questions aux familles : À quel intervalle recevez-vous de l’argent du

migrant ? Quelle est la part de ce revenu au sein de votre budget familial ? Combien

d’argent recevez-vous par année ?

33 Lorsque l’échantillon est de 25 familles au lieu de 30, c’est parce que la question ne s’appliquait pas aux cinq familles dont les migrants sont revenus dans la communauté. N.B. Les données de la figure 13 ont été arrondies à la fréquence près.

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Bien que les sommes reçues annuellement varient beaucoup d’une famille à l’autre, allant

de 480 dollars à un peu plus de 15 000 dollars US, les résultats montrent que les

migradollars tiennent une place importante au sein des budgets familiaux (figures 15 et 16).

Dans la municipalité de Maravilla Tenejapa, 95 pour cent de la population gagne moins de

deux salaires minimums par jour (COESPO, 2002). Pour cette raison, l’argent des

migrations est d’une grande importance pour assurer la subsistance des familles.

Figure 15 : Part du revenu migratoire au sein du budget familial

Échantillon : 25 familles

36%

12%

36%

8%

8%Plus que la moitié dubudget

La moitié du budget

Moins que la moitié dubudget

Ne contribue pas ouplus

N'a pas répondu

Figure 16 : Fréquences des envois

Échantillon : 25 familles

44%

12%

36%

8%

1/mois ou +

2 à 6 mois

Irrégulièrement

N'en reçoit pas ou plus

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De plus, les résultats d’entrevues ont démontré que même chez les familles qui ont spécifié

que le revenu migratoire ne représentait qu’une petite part de leur revenu global,

l’importance des migradollars ne doit pas être négligée. Par exemple, la famille Hernández

a mentionné ne pas dépendre des migradollars. Elle n’en reçoit qu’irrégulièrement, lorsque

la famille désire investir ou réaliser des projets importants. Toutefois, ce sont leurs deux fils

qui travaillent aux États-Unis qui ont payé environ le tiers des coûts de 35 000 dollars US

associés à la rénovation de leur maison et le tiers des 120 têtes de bétail que possède

aujourd’hui la famille. Le cas de la famille Ledezma est très similaire, celle-ci ne recevant

de l’argent de leur fils de 19 ans que lorsqu’elle désire investir, par exemple dans l’achat de

terres agricoles ou d’animaux d’élevage. Notons que, tel que nous le spécifiait le père de la

famille, le migrant profitera lui aussi de ces investissements à son retour. Ce dernier n’aime

pas vivre aux États-Unis et le but de son voyage est uniquement d’économiser pour se bâtir

un patrimoine familier dans la communauté. Le migrant étant le fils aîné de la famille, il

héritera vraisemblablement d’une grande partie des avoirs familiaux, dont ceux achetés à

l’aide des migradollars (Quesnel et Del Rey, 2005). En plus des investissements en

agriculture, celui-ci aide sa famille à payer l’éducation de ses trois sœurs, dont deux

étudient présentement à l’école secondaire et l’autre à l’université.

Lorsque le migrant ne contribue pas ou peu au revenu familial, c’est souvent parce qu’il

économise aux États-Unis afin de se bâtir son propre patrimoine familier. Parmi notre

échantillon, il n’eut qu’un seul cas de migrant qui ne contribuait aucunement au revenu

familial et qui n’économisait pas en vue de revenir dans sa communauté. Ce cas est celui de

Pedro, mentionné plus tôt, qui s’est remarié aux États-Unis. Depuis que sa première femme

l’a quitté, il n’a aidé financièrement sa famille qu’à deux reprises (100 $ US et 200 $ US)

lorsque sa mère fut malade. Depuis, il n’a plus jamais envoyé d’argent, et ce, même lorsque

son père a eu des problèmes de santé dont les soins furent très dispendieux.

En général, les migradollars sont d’une importance capitale pour la subsistance des

familles. Devant l’importance que représente cette source de revenus, les problèmes de

dépendance envers l’argent des migrations évoqués par Reichert (1981) semblent bien

présents. Pour cette raison, la façon dont les familles utilisent les migradollars est

importante, puisque seuls les investissements productifs peuvent réduire leur vulnérabilité

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envers une éventuelle baisse des envois en créant de nouvelles sources de revenus.

Toutefois, les conditions économiques rendent difficiles ces investissements, puisqu’une

grande partie de l’argent doit d’abord être utilisée pour combler les besoins quotidiens des

familles et pour faire face aux imprévus.

3.2. La canalisation du revenu migratoire

3.2.1. La satisfaction des besoins essentiels Dans le contexte actuel de la crise agricole, investir n’est pas une tâche facile. En raison de

la concurrence engendrée par les produits agricoles étrangers, les revenus apportés par la

culture du maïs et des frijoles sont devenus insuffisants pour subvenir aux besoins des

familles d’El Ixcán et de Loma Bonita. L’agriculture servant surtout pour

l’autoconsommation, une partie importante du revenu migratoire est utilisée pour combler

les dépenses quotidiennes, comme l’achat de nourriture et de vêtements. Puisque dans les

deux communautés étudiées, les familles sont assez nombreuses (figure 17), avec une

moyenne de 4,1 enfants par famille, la partie de l’argent qui est canalisée dans les besoins

quotidiens varie d’une famille à l’autre en fonction de leur cycle de vie domestique

(chapitre 1) (Gravel, à paraître). De plus, bien que la majorité des foyers interrogés étaient

constitués de deux parents et de leurs enfants (famille nucléaire) auxquels venaient parfois

s’ajouter d’autres membres, par exemple les grands-parents (familles élargie), les absences

de longue durée qu’ont causées les migrations ont aussi entraîné des modifications

temporaires dans la composition des ménages. En effet, il était fréquent de voir s’ajouter au

foyer domestique les jeunes enfants du frère, de la sœur, ou même du voisin du répondant,

eux-aussi partis aux États-Unis. Par contre, ces nouveaux venus n’ajoutaient pas

nécessairement une pression économique sur le groupe domestique, puisque les parents

migrés aux États-Unis compensaient financièrement la famille pour ce service rendu.

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Figure 17 : Nombre d'enfants par famille

Échantillon : 30 familles

0

1

2

3

4

5

6

7

0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 etplus

Nombre d'enfants

Nom

bre

de fa

mill

es

Parmi les besoins familiaux, nous devons mentionner les soins de santé, qui peuvent

s’avérer très dispendieux. Bien que les deux communautés disposent d’une clinique

médicale, celle-ci n’offre que peu de services. Puisque le médecin n’y vient qu’une seule

fois par mois, ses fonctions se résument surtout à offrir des médicaments. Pour accéder à

des soins de santé de qualité, les habitants doivent parcourir environ 200 kilomètres pour se

rendre à Comitán de Domínguez où les coûts peuvent varier entre 100 et 200 dollars US par

jour. Sans l’aide financière du migrant, certaines familles n’auraient tout simplement pas

les moyens financiers d’accéder à de tels soins.

En plus des problèmes de santé, l’argent des migrations peut s’avérer utile pour financer

des fêtes religieuses ou culturelles, telles que les quinceñeras, les mariages et les baptêmes

(Reichert, 1981 ; Cohen et Rodriguez, 2004). À titre d’exemple, un père de famille a

mentionné avoir déboursé 800 dollars US pour le mariage de sa fille. Un autre a dû utiliser

une partie importante du 6000 dollars US qu’il avait réussi à économiser en sept mois de

travail aux États-Unis pour payer les quinceñeras. Parfois, les pratiques religieuses

accaparent une grande partie du revenu migratoire, comme ce fut le cas d’un père de

famille d’El Ixcán qui s’est construit avec l’aide financière de son fils travaillant aux États-

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Unis et de ses frères de religion un temple sur son terrain destiné à la pratique de sa

religion, l’église évangélique « Solo cristo salva » (figures 18 et 19)34.

Figure 18 : Temple construit à l’aide de l’argent des migrations

David Tanguay (2006)

34 Durant la période 1970-2000, le Chiapas connut de nombreux changements en ce qui a trait aux pratiques religieuses (Favre, 1997, Washbrook, 2005). Au cours de cette période, la population protestante grimpa de 5 à 22 pour cent de la population, la proportion de catholiques chuta de 91 à 65 pour cent, alors que celle ne pratiquant aucune religion passa de 3,5 à 12 pour cent (Washbrook, 2005). Il faut toutefois spécifier que parmi ces nouveaux « évangélistes », plusieurs se rallièrent à des sectes d’inspiration protestante plutôt qu’à la religion proprement dite (Favre, 1997). Cette conversion de nombreux Chiapanèques catholiques au protestantisme a donné lieu à plusieurs conflits religieux au Chiapas. Dans certaines communautés autochtones, l’attitude et les pratiques des nouveaux convertis, comme de ne pas participer aux fêtes des saints et de ne pas boire de posh, la boisson traditionnelle, étaient perçues comme incompatibles avec les traditions communautaires et ethniques des autochtones catholiques. Ces différents religieux ont entraîné de nombreuses expulsions de groupes d’individus Par exemple, depuis les années 1970, il y aurait eu plus de 20000 autochtones chamulas expulsés de leur municipalité (Gutiérrez Sanchez, 2000). La plupart des individus expulsés se sont relocalisés dans les environs de San Cristóbal de las Casas ou dans la Selva Lacandona. Certaines municipalités de la Selva Lacandona ont ainsi vu leur proportion de population protestante augmenté considérablement, comme dans la municipalité d’Ocosingo où la population de confession protestante a atteint 27 pour cent dans les années 1990, alors qu’elle n’était que de 11 pour cent au début des années 1970 (idem).

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77

Figure 19 : Intérieur du temple construit à l’aide de l’argent des migrations

David Tanguay (2006)

3.2.2. Une qualité de vie améliorée à court terme ? Une fois les besoins essentiels comblés, les familles peuvent utiliser l’argent des migrations

à d’autres fins. Selon certains auteurs, un des problèmes relatifs à cette utilisation est que

les familles préfèrent utiliser les migradollars pour améliorer leur qualité de vie à court

terme, par exemple en se procurant des biens matériels et en améliorant leur résidence,

plutôt que de les investir à des fins productives (Reichert, 1981 ; Rubenstein, 1992).

Dans les communautés étudiées, cette théorie semble être trop pessimiste. S’il est vrai

qu’une partie de l’argent est utilisée pour améliorer le confort matériel des familles, par

exemple en achetant une télévision, un vidéo, un réfrigérateur ou une machine à laver

(figure 20), une grande partie du revenu migratoire est tout de même réservée aux

investissements productifs (voir prochaine section). Il faut aussi spécifier que plusieurs

achats pouvant être qualifiés de « non productifs », comme l’achat d’une machine à laver,

allègent néanmoins les tâches reliées aux travaux domestiques, qui se trouvent souvent

amplifiés par l’absence d’un des membres de la famille. En effet, en l’absence de leur mari,

plusieurs femmes souffrent de surmenage, puisqu’elles se retrouvent avec une charge de

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travail supplémentaire, devant à la fois s’occuper des tâches domestiques et du travail

agricole (Gravel, à paraître)35.

Figure 20 : Le confort matériel amélioré d’une famille d’agriculteurs de Loma Bonita bénéficiant de l’argent des migrations

David Tanguay (2006)

Dans la littérature, il est généralement reconnu qu’outre l’achat de biens matériaux, la

construction ou la rénovation de la maisonnée est généralement le premier investissement

fait avec l’argent du migrant (Quesnel et Del Rey, 2005 ; Gravel, à paraître). Dans les 35 Malgré cette augmentation de la charge de travail, plusieurs auteurs ont remarqué que les migrations apportent aussi certains avantages aux femmes, entre autres en contribuant à modifier les relations entre les sexes dans un Mexique toujours considéré comme patriarcale (Parrado et al., 2005). En effet, l’intégration des femmes aux courants migratoires ainsi que l’obtention d’un travail dans le pays d’accueil fait en sorte qu’elles acquièrent une autonomie financière qu’elles n’avaient, bien souvent, pas auparavant. De plus, le séjour passé aux États-Unis, où le cadre légal ne tolère guère la violence conjugale et où la division du pouvoir et du travail entre les sexes est moins prononcée, entraîne des changements de valeurs qui font en sorte que les femmes, une fois de retour dans leur communauté, sont moins enclines à tolérer l’hégémonie de l’homme, ce qui peut favoriser un plus grand égalitarisme au sein du foyer domestique (Parrado et al., 2005 ; Parrado et Flippen, 2005 ; Levitt, 1998 ). Mentionnons également qu’une partie des migradollars est souvent investie dans l’éducation des filles, ce qui, en plus de leur permettre de se trouver un emploi et ainsi plus d’autonomie financière, leur procure un savoir qui facilitera leur participation dans le processus de décision familial (Parrdo et al., 2005).

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communautés étudiées, 70 pour cent des familles ont utilisé le revenu migratoire à cette fin

(figure 21). Pour ce qui du 30 pour cent restant, il se réfère souvent à de jeunes migrants

qui projettent de se construire une maison, mais qui n’ont pas encore eu le temps

d’économiser l’argent nécessaire pour réaliser leur projet. Notons que plusieurs d’entre eux

ont déjà économisé une partie de l’argent à la banque ou ont acheté une partie des

matériaux. Dans certains cas, les sommes envoyées par le migrant furent assez importantes

pour rénover la maison familiale en plus de construire une nouvelle maison en projection

du retour du jeune migrant36.

Figure 21 : Les investissements sur la résidence

Échantillon : 30 familles

30

3343

0

10

20

30

40

50

Construction d'une maison Rénovation de la maison Rien

Investissement sur la maison

% d

es fa

mill

es

Pour beaucoup de familles, leur revenu familial ne leur permet pas de se construire une

maison tout d’un coup. Pour cette raison, plusieurs maisons se construisent plutôt par étape,

les familles devant attendre les migradollars pour passer à une seconde étape (Gravel, à

paraître). Habituellement, la première étape aux rénovations de la maison est la cimentation

du plancher (figure 23). Ensuite, viennent soit la cimentation des murs, la construction d’un

deuxième étage ou la division de l’espace domestique (figures 23 et 24). Pour ce qui est de

36 Ceci explique pourquoi la somme des résultats exposés à la figure 21 dépasse 100 pour cent.

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la division de l’espace domestique, elle peut être définie comme étant « la comptabilisation

du nombre d’espaces partagés par l’ensemble des membres (ex : salle de bain, cuisine salle

à dîner et salon), résultant de l’incorporation à l’espace intérieur de la résidence des

fonctions traditionnellement conduites dans le Mexique rurale à l’extérieur de la résidence,

soit dans l’espace semi-privé de la cour arrière » (Gravel, à paraître ; Tello Peón, 1992).

Ces investissements sur les maisons, signe d’une modernisation des communautés, ont

considérablement modifié le paysage d’El Ixcán et de Loma Bonita où l’architecture des

nouvelles maisons fraîchement fabriquées à l’aide des migradollars contraste avec celle des

maisons traditionnelles en bois de ceux qui ne bénéficient pas de cette source de revenus

(figures 22 et 25) (Gravel, à paraître). Au delà du simple confort matériel, les

investissements sur la maison ont un rôle non négligeable à jouer dans le développement

humain. Le gouvernement mexicain a d’ailleurs fait des conditions d’habitation une de ces

quatre variables choisies pour mesurer la marginalité des populations mexicaines

(introduction) (Anzaldo et Prado, 2006). Dans son rapport « Indices de marginalité, 2005 »

(Índices de marginación, 2005), le gouvernement mexicain justifiait le choix de cette

variable ainsi : « La maisonnée constitue un espace déterminant pour le développement des

capacités et des choix de la famille et de chacun de ses membres. […] Le logement dans

une maison digne et convenable […] favorise le processus d’intégration familiale dans un

cadre de respect, évite les conditions d’entassement, contribue à la création d’un climat

éducatif favorable pour la population en âge scolaire [et] réduit les risques pouvant affecter

la santé » (traduction libre) (Anzaldo et Prado, 2006).

En 2000, dans la municipalité de Maravilla Tenejapa, 70 pour cent des maisonnées avaient

toujours un plancher en terre et 82 pour cent de la population vivait dans des conditions

d’entassement (INAFED, 2003)37. Or, les habitants, mais surtout les enfants, qui habitent

dans une maison ayant un plancher de terre ont plus de chances de développer des maladies

gastro-intestinales et pulmonaires (Anzaldo et Prado, 2006). Aussi, le fait de vivre en

condition d’entassement compromet l’intimité de chacun des membres de la famille et

37 Ces taux de maisons ayant un plancher de terre et de conditions d’entassement de la municipalité de Maravilla Tenejapa sont pires que la moyenne du Chiapas, qui était respectivement de 50 et de 65 pour cent (INAFED, 2003). Pourtant, les résultats du Chiapas étaient déjà parmi les pires du pays (Anzaldo et Prado, 2006).

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devient un obstacle au bon déroulement de plusieurs activités, telles que les études et la

détente, essentielles au développement des individus (idem). Pour cette raison, on ne peut

contester les bienfaits que peuvent apporter les rénovations mentionnées précédemment sur

la qualité de vie des habitants d’El Ixcán et de Loma Bonita. De plus, puisqu’elle constitue

une garantie pour les institutions bancaires, la construction d’une véritable maison peut

parfois permettre aux familles d’obtenir du crédit, dont l’accès, qui a toujours été limité,

l’est encore plus depuis les réformes néolibérales des années 1980-1990 (chapitre 2)

(Quesnel et Del Rey, 2005).

Figure 22 : Maison traditionnelle avec plancher de terre

David Tanguay (2006)

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Figure 23 : Cimentation du plancher et construction d’un deuxième étage

David Tanguay (2006)

Figure 24 : Cimentation des murs et division de l’espace domestique

David Tanguay (2006)

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Figure 25 : Maison construite à l’aide des migradollars

David Tanguay (2006)

Selon Quesnel et Del Rey (2005), une fois la maison rénovée ou construite, plusieurs

situations sont possibles. Certains migrants maintiennent leurs envois d’argent au même

niveau et vont investir dans l’achat de bétail ou dans l’éducation de leurs frères et sœurs,

alors que d’autres réduisent considérablement leurs envois, situation dangereuse pour les

familles qui se sont habituées à utiliser une partie de cette source de revenus pour subvenir

à leurs besoins quotidiens.

3.3. Les investissements productifs : vers un véritable développement ?

3.3.1. Les investissements agricoles et commerciaux L’étape la plus importante de cette recherche fut de vérifier si, malgré les difficultés

financières qu’elles doivent affronter, les familles sont tout de même parvenues à investir

une partie de l’argent dans la production. Ces investissements sont importants, car ils

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peuvent réduire la dépendance des familles envers le revenu migratoire en créant de

nouvelles sources de revenus. De plus, il est clair que le migrant, habitué aux conditions de

travail prévalant aux États-Unis, ne pourra accepter les conditions de travail qui prévalaient

avant son départ (Quesnel et Del Rey, 2005). Il est alors essentiel que le migrant réussisse à

améliorer son statut social en investissant, sinon il entreprendra fort probablement un

nouveau voyage.

Dans les deux communautés étudiées, malgré des conditions socio-économiques difficiles,

les familles ont tout de même réussi à investir une partie des migradollars dans la

production, entre autres dans la production agricole (figure 26). Tout d’abord, pour 27 pour

cent des familles, l’argent a servi à acheter des terres agricoles. L’argent des migrations

s’est alors avéré très utile pour les familles sans terre qui, depuis la réforme de l’article 27

de la Constitution mexicaine en 1992, ne peuvent plus espérer obtenir une parcelle à

cultiver de la part du gouvernement (chapitre 2). En plus des familles n’ayant pas de terre,

les migradollars ont aussi permis à certaines familles d’agrandir leur propriété agricole38,

surtout pour celles voulant investir dans le bétail.

38 Avant la réforme de l’article 27 de 1992, les terres agricoles des ejidos d’El Ixcán et de Loma Bonita étaient divisées équitablement entre chaque ejidatario de la communauté, soit 20 hectares chacun. Depuis la réforme, puisque les ejidatarios peuvent vendre ou louer leur terre, la superficie des propriétés varie d’un ejidatario à l’autre.

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Figure 26 : Les investissements productifs

Échantillon : 30 familles

27

57

2010 103

0102030405060

Acha

t de

terr

e

Acha

t de

béta

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Entre

tien

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nde

bât

imen

tag

ricol

e

Com

mer

ce

Type d'investissements

% d

es fa

mill

es

Si la proportion des familles ayant investi dans l’achat de terres agricoles représente moins

du tiers des répondants, c’est en partie parce que la majorité d’entre elles sont ejidatarios et

possèdent déjà une terre. Toutefois, avec l’ouverture de l’économie mexicaine (chapitre 2),

les prix de vente du maïs et des frijoles sont devenus excessivement bas. Ces cultures étant

surtout destinées à l’autoconsommation, c’est plutôt l’élevage qui assure un revenu à la

famille, ce qui explique le nombre élevé (57 pour cent) de familles ayant investi dans ce

secteur de production, sans compter celles qui projettent d’investir prochainement, mais qui

n’ont pas encore eu le temps d’économiser l’argent nécessaire.

En plus d’augmenter le revenu familial, l’investissement dans le bétail apporte d’autres

avantages, comme celui d’améliorer le régime alimentaire des familles dans des

communautés où l’achat de viande est devenu un luxe depuis les années 2000. Aussi, la

reproduction naturelle des animaux assure une progression stable de l’investissement

(Durand et al., 1996b). Le cas de Jorge, vu lors du premier chapitre, démontre l’efficacité

de tels investissements. Ce dernier, qui avait investi ses 3000 dollars US économisés en six

mois de travail aux États-Unis dans l’élevage, bénéficie aujourd’hui d’une meilleure qualité

de vie grâce à l’argent que lui rapporte aujourd’hui son bétail qui s’est reproduit au fil des

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ans. Cet exemple montre que dans certains cas, le séjour aux États-Unis est d’abord motivé

par le désir d’investir et que ce sont les revenus tirés de ces investissements qui permettent

par la suite d’améliorer la qualité de vie des familles et d’obtenir une plus grande

indépendance face au migradollars.

La figure 26 montre également que 20 pour cent des migrants utilisent une partie de

l’argent gagné aux États-Unis pour payer des ouvriers chargés d’entretenir leur terre, de

semer le pâturage et de s’occuper de l’état de santé de leurs bêtes. Souvent, les migrants qui

utilisent une partie du revenu migratoire à de telles fins n’ont pas de membres de leur

famille ayant l’âge ou les capacités physiques pour s’acquitter de telles tâches. En plus de

créer de l’emploi, une telle utilisation de l’argent renforce la motivation du migrant à

revenir dans sa communauté, car elle empêche ses actifs de se déprécier avec le temps

(Cohen et Conway, 1998).

Pour ce qui est des investissements dans la machinerie agricole et dans la construction de

bâtiments agricoles, ils sont pour l’instant marginaux (figures 26 et 27). Sur l’échantillon,

une seule famille a utilisé une partie du revenu migratoire pour se construire une remise

pour entreposer le maïs. Quant aux investissements dans la machinerie agricole, ils sont,

eux aussi, plutôt rares. Parmi les familles interrogées, une seule possédait un tracteur. Cette

machinerie est relativement dispendieuse, puisque les paiements du tracteur échelonnés sur

cinq ans s’élevaient à 4000 dollars US par année. Pour cette raison, le coût d’une telle

machinerie peut en faire hésiter plusieurs à effectuer de tels investissements. Aussi,

plusieurs familles ont mentionné que le relief étant accidenté, la majorité des terres ne se

prêtent pas à la machinerie. Ces contraintes nous rappellent que si les conditions

nécessaires ne sont pas en place, certains investissements peuvent s’avérer imprudents et

même conduire la famille à la faillite (Durand et Massey, 1992).

Ainsi, avant de conclure que le revenu migratoire n’est pas utilisé à des fins productives,

nous devons préalablement nous demander pourquoi des investissements se produisent

dans certaines communautés et non dans d’autres (idem). Dans les communautés étudiées,

des investissements dans le bétail semblent plus rentables que l’achat de machinerie

agricole. Aussi, au lieu d’acheter de la machinerie agricole, certaines familles ont plutôt

préféré acheter une camionnette. En plus de faciliter le travail agricole en permettant de

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transporter les récoltes et le bétail, l’achat d’une camionnette peut apporter un revenu

supplémentaire en permettant de transporter de la marchandise (ex : matériaux de

construction) ou les récoltes d’autres individus. Une famille a d’ailleurs mentionné que

l’achat d’une camionnette était le principal objectif que s’était fixé le migrant. Pour cette

famille qui travaille en apiculture, une camionnette leur permettrait de déplacer plus

facilement les ruches d’abeille et d’aller vendre le miel à Comitán de Domínguez.

Figure 27 : Exemple de machinerie agricole

David Tanguay (2006)

Les deux localités étant isolées et essentiellement agricoles, l’argent des migrations est

surtout investi en agriculture. Il n’y a que peu d’investissements dans les commerces,

puisque les opportunités y sont plutôt rares. Parmi les familles interrogées, trois familles

ont investi dans une entreprise familiale. Pour ce qui est des deux premières, elles ont

utilisé l’argent pour se construire une tienda39. La première vivait de l’agriculture, mais les

39 Les tiendas sont de petites épiceries, équivalent du « dépanneur » au Québec.

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revenus générés par cette activité étaient devenus insuffisants pour subvenir aux besoins de

la famille. Les envois du père ont alors servi à acheter du bétail et à construire cette tienda,

qui apporte aujourd’hui une source de revenus supplémentaire à celle apportée par

l’agriculture et l’élevage. Pour ce qui est de la deuxième famille, elle ne possédait pas de

terre et vivait sur un terrain loué. Le père de la famille est alors parti économiser aux États-

Unis pour s’acheter une terre et se construire une maison. Les premiers envois ont servi à

construire une tienda (figure 28), laquelle assure une certaine indépendance financière à sa

conjointe. Pendant ce temps, le mari continue d’épargner aux États-Unis en vue de

s’acheter une terre et du bétail. La troisième famille, quant à elle, a investi une partie de

l’argent dans leur pharmacie, construite à même leur résidence. Pendant que le mari

travaille aux États-Unis dans le but d’investir sur leur terre à son retour, une autre partie des

migradollars est utilisée par sa conjointe pour acheter des médicaments à Comitán de

Domínguez qu’elle revend par la suite dans la communauté.

Dans les trois cas précédents, l’argent que la famille a investi dans leur commerce a permis

aux membres demeurés dans la communauté d’acquérir une certaine indépendance

financière envers les migradollars pendant que le migrant continue d’économiser en vue

d’investir dans la production agricole à son retour. En plus de réduire la dépendance de la

famille envers le revenu migratoire, de tels investissements permettent aux familles de

diversifier leurs sources de revenus.

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Figure 28 : Exemple d’une tienda construite à l’aide des migradollars à El Ixcán

David Tanguay (2006)

3.3.2. Investissements dans le capital humain Au-delà des investissements dans la production agricole et dans les commerces, nous avons

voulu savoir si une partie du revenu migratoire était également utilisée dans le

développement du capital humain. En effet, comme nous le spécifiions dans notre premier

chapitre, certains auteurs ont élargi la définition du concept d’investissements productifs

bien au-delà des simples aspects économiques (Conway et Cohen, 1998 ; Taylor, 1999 ;

Goldring, 2004), puisque l’argent utilisé pour l’éducation, l’alimentation et la santé

contribue autant au développement économique qu’humain (chapitre 1). Ainsi, les sommes

importantes utilisées pour les soins de santé ne peuvent être considérées comme non

productives, surtout dans un État ayant toujours le plus haut de taux de mortalité infantile

au pays (INEGI, 2006b)40. En leur permettant de reprendre une vie normale, l’argent utilisé

pour les soins de santé améliore la qualité de vie des individus, accroît leurs capacités

40 En 2006, le taux de mortalité infantile du Chiapas était de 23,3/1000, alors que la moyenne nationale était de 18,1/1000 (INEGI, 2006b). Les chiffres de la municipalité de Maravilla Tenejapa n’étaient pas disponibles.

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physiques et mentales et augmente leur rendement au travail (Conway et Cohen, 1998).

Rappelons-nous ici le cas de Victor, fils de María, vu lors du premier chapitre. Alors que

celui-ci ne pouvait presque plus effectuer les travaux agricoles en raison de graves

problèmes arthritiques, l’argent que lui envoyait son frère Ernesto lui a permis d’avoir

accès à des soins auparavant hors d’accès. Avec de tels soins, il peut aujourd’hui continuer

de travailler sur la terre familiale et aider les siens, en substitution du père, absent depuis

qu’il est parti vivre avec une autre femme ailleurs au Chiapas.

Pour ce qui est l’éducation, les sommes investies sont bien inférieures à celles investies

dans la production agricole. Parmi les familles interrogées ayant des enfants en âge

scolaire, seulement un faible pourcentage ont investi dans les études post-primaires (tableau

9). Par contre, bien que l’argent investi en éducation semble à première vue infime, nous

pouvons toutefois voir une tendance à l’amélioration si on compare ces résultats à ceux qui

prévalaient dans la municipalité de Maravilla Tenejapa en 2000. À cette époque, seulement

20 pour cent de la population de 15 ans et plus de la municipalité avait terminé son

éducation primaire et seulement 5 pour cent l’éducation secondaire (INAFED, 2003). De

plus, le taux d’analphabétisme atteignait les 31 pour cent, dépassant la moyenne de l’État

(23 pour cent) qui était déjà la plus élevée au pays (Anzaldo et Prado, 2006). L’argent des

migrations a tout de même permis une nette progression dans ce domaine ; progression qui

pourrait se poursuivre, puisque certaines familles ayant de jeunes enfants ont révélé en

entrevue leur intention de financer l’éducation post-primaire de leurs enfants lorsque ceux-

ci seront plus âgés.

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Tableau 9 : Les investissements en éducation 41

Pourcentage des familles ayant des enfants d’âge scolaire et ayant investi en éducation

Primaire

Secondaire

Preparatoria

ou collège

technique

Universitaire

Aucun

74 26 9 9 9

Échantillon : 23 familles

Les raisons qui peuvent expliquer la réticence de certaines familles à investir en éducation

sont nombreuses. D’abord, l’éducation post-primaire est dispendieuse, faute d’école à

proximité des communautés. Les parents désirant envoyer leurs enfants à l’école secondaire

doivent posséder les capacités financières (environ 30 dollars US par semaine) pour payer

le transport quotidien à la communauté de Maravilla Tenejapa, chef-lieu de la municipalité

du même nom, située à environ quinze kilomètres d’El Ixcán. Quant à l’université et au

collège les plus proches, ils se trouvent à Comitán de Dominguez. Devant de tels coûts

associés à l’éducation, plusieurs familles ne voient pas l’intérêt d’y investir des sommes

importantes, surtout que les opportunités d’emplois sont plutôt rares dans la région. Dans la

municipalité de Maravilla Tenejapa, le secteur primaire occupe toujours 80 pour cent de la

population active (INAFED, 2003). L’industrie n’y est que peu développée et le secteur

secondaire n’occupe que 4 pour cent de la population active (idem). Une diversification de

l’économie locale sera ainsi nécessaire pour inciter les individus à investir en éducation.

Conclusion de cette partie À la lumière de ces résultats, nous pouvons constater que les migrations s’avèrent être une

solution efficace aux problèmes agraires. Même s’il est vrai qu’une partie de l’argent est

canalisée pour satisfaire les besoins familiaux quotidiens et pour pallier aux imprévus,

l’argent des migrations permet néanmoins aux familles d’investir des sommes importantes

41 Si le total dépasse 100 pour cent, c’est parce que certaines familles ont des enfants étudiant à des niveaux différents.

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dans la production, ce qu’elles n’auraient pu faire sans cette source de revenus. Le revenu

migratoire vient alors remédier au problème de l’accès au crédit qui touche grandement les

petits agriculteurs et qui constitue un solide frein aux investissements. Ces investissements

productifs viennent ainsi nuancer les propos de certains auteurs qui avancent que les

migrations peuvent entraîner de sérieux problèmes de dépendance envers les migradollars

(Reichert, 1981 ; Rubenstein, 1992). La théorie voulant que les migrations entraînent une

chute de la production agricole en incitant les familles à délaisser le mode de vie agraire

pour des emplois urbains mieux payés (Reichert, 1981 ; Delgado Wise et Rodríguez

Ramírez, 2005 ; Meza Merlos et Marquez Covarrubias, 2005) ne semblent pas s’appliquer

au contexte de la Selva Lacandona. Au contraire, l’argent des migrations leur donne plutôt

l’opportunité d’investir et ainsi acquérir les ressources nécessaires, par exemple l’élevage,

pour être en mesure de continuer à vivre selon ce mode de vie, et ce, malgré la crise

agricole.

D’un autre côté, il est certain qu’avec un pourcentage élevé de la population active absent

de la communauté, les migrations apportent aussi des effets pervers non négligeables,

surtout si les migrants ne reviennent pas : « Les migrants peuvent bâtir des maisons,

construire des systèmes d’aqueducs et même financer les fiestas, mais s’ils ne reviennent

pas dans la communauté, à quoi bon ? Un système local ne peut survivre s’il est construit

autour d’enfants et de vieillards et que la majorité des adultes est partie » (traduction libre

de l’auteur) (Cohen, 2004). Toutefois, le risque que la plupart des migrants s’établisse

définitivement dans le pays hôte semble plutôt faible, puisque plusieurs ont fait part de leur

intention de revenir dans leur communauté une fois leurs objectifs migratoires atteints.

Aussi, au-delà du simple discours des migrants, rappelons qu’une grande partie d’entre eux

a déjà commencé à investir, ce qui prouve leur intention réelle de revenir un jour dans leur

communauté (Conway et Cohen, 1998).

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93

Chapitre 4. Une nouvelle ère pour le Chiapas ?

4.1. Des bienfaits pour l’ensemble de la communauté ?

4.1.1. Les exclus des courants migratoires À la lumière de ce que nous avons démontré lors du précédent chapitre, la contribution des

migrations au développement est indéniable. Toutefois, nos entrevues ne s’étant limitées

qu’aux familles bénéficiant de l’argent des migrations, nous n’avons pu évaluer ce qu’il en

était pour celles qui ne bénéficient pas de cette source de revenus. Des auteurs ont déjà

évoqué les problèmes reliés à un nouveau type d’exclusion sociale, désormais non plus

basé sur l’ethnicité, mais affectant plutôt les groupes domestiques qui ne peuvent prendre

part aux nouveaux courants migratoires (Gravel, à paraître).

En effet, les migrations ne sont pas accessibles à tous, et ce, autant pour des raisons

financières que familiales et sociales. Tout d’abord, traverser la frontière est un projet

dispendieux, entre autres en raison des coûts élevés reliés au service des coyotes, et

plusieurs n’ont tout simplement pas le capital nécessaire pour entreprendre le voyage

(Gravel, à paraître ; De Haas, 2005 ; Cohen, 2004). Ensuite, d’autres familles manquent de

ressources humaines, n’ayant aucun membre de la famille ayant l’âge requis, la santé ou les

capacités physiques nécessaires pour entreprendre le voyage (idem). Finalement, puisque

les liens transnationaux semblent quasi indispensables à la réussite des migrations, les

possibilités de réussite semblent réduites pour les familles n’ayant pas accès à ces réseaux

sociaux de migration (idem).

Pour ceux qui ne peuvent prendre part au courant migratoire, les effets des migrations

semblent mitigés. D’un côté, elles pourraient accentuer les inégalités sociales dans les

communautés. Depuis la réforme de l’article 27 de la Constitution mexicaine de 1992,

certains ejidatarios les mieux nantis en profitent pour agrandir leur superficie de propriété

au détriment de ceux éprouvant des difficultés financières (Harvey, 1998a). D’un autre

côté, certains auteurs avancent que les migrations ne mènent pas nécessairement à un

accroissement des inégalités sociales (De Haas, 2005). En dynamisant l’économie locale,

les migradollars entraînent des effets multiplicateurs dans la communauté, puisqu’il crée

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une hausse de la demande des biens et services, ne limitant plus seulement les bénéfices de

l’argent des migrations aux familles bénéficiaires (Durand et al., 1996a et 1996b ; Taylor,

1999 ; De Haas, 2005). Des nouveaux emplois peuvent ainsi être créés, que ce soit en

agriculture, en éducation ou dans le domaine de la construction (figure 29) (Chimhowu et

al., 2005). Il faut toutefois spécifier que certains groupes, tels que les aînés, les mères

monoparentales et les individus qui ne peuvent travailler, restent en marge de ce

développement et souffrent du manque de protection de la part de l’État (Gravel, à

paraître).

Figure 29 : El Ixcán en construction

David Tanguay (2006)

Les effets des migradollars sur la qualité de vie des habitants ne participant pas aux

migrations étant aléatoires, nous pouvons nous questionner sur les façons d’élargir les

bienfaits de l’argent des migrations à l’ensemble de la communauté. Lors de nos entrevues,

nous n’avons pas eu connaissance de projets communautaires financés par des groupes de

migrants. Bien que les communautés d’El Ixcán et de Loma Bonita aient investi au cours

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des cinq dernières années pour améliorer les services offerts aux habitants, tels que la

construction d’une école primaire à El Ixcán (entrevue avec le commissaire, 2006) ou la

construction d’un terrain de basketball et d’une maison ejidale42 à Loma Bonita (entrevue

avec des habitants de Loma Bonita, 2006), les migrants n’ont contribué que de manière

indirecte. Les deux communautés étant des ejidos, les coûts relatifs à ces investissements

sont partagés entre le gouvernement et l’ejido, où chaque ejidatarios débourse la même

somme. Les montants déboursés ne sont pas proportionnels au revenu familial et les

familles ne bénéficiant pas de l’argent des migrations doivent débourser les mêmes sommes

que celles qui en bénéficient. Notons toutefois que la part déboursée par les pobladores

(voir glossaire) est moindre que celle des ejidatarios.

Figure 30 : École à Loma Bonita

David Tanguay (2006)

42 Bâtiment accueillant les assemblées de l’ejido.

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4.1.2. À quand les migradollars collectifs ? Ainsi, dans les deux communautés étudiées, l’argent des migrants n’a pas servi à financer

des projets communautaires. Pourtant, la contribution des migrants dans le financement de

tels projets est un phénomène de plus en plus fréquent au Mexique. Par conséquent, serait-il

possible d’envisager une optimisation des bienfaits de l’argent des migrations et voir la

contribution des migrants s’accentuer au cours des prochaines années avec l’arrivée de

« migradollars collectifs », comme cela se produit depuis longtemps dans des États du

Centre du Mexique ayant une tradition migratoire plus ancienne, par exemple au Zacatecas,

au Jalisco, au Michoacán et au Guanajuato (García Zamora, 2005 ; Goldring, 2005) ? Le

terme migradollars collectifs (collective remittances) est apparu dans la décennie 1990 en

référence aux initiatives de groupes de migrants qui accomplissent des œuvres destinées à

apporter des bénéfices sociaux dans leur communauté d’origine, par exemple avec la

construction de routes, de ponts, d’écoles et de réseaux d’aqueducs, l’assainissement des

eaux ou par l’achat d’ordinateurs ou de véhicules utilitaires tels qu’une ambulance

(Goldring, 2005). Alors qu’avant les années 1990, les migradollars étaient plutôt absents

des discours politiques, ces initiatives ont amené le gouvernement mexicain à s’intéresser

durant la décennie 1990 au potentiel que pouvait représenter l’argent des migrations dans le

développement économique et social des communautés. Ainsi, en 1998, le gouvernement a

mis sur pied dans l’État de Zacatecas le programme Tres por Uno (3 X 1) où pour chaque

dollar investi par le migrant, les trois paliers du gouvernement (fédéral, étatique et

municipal) s’engagent à fournir le même montant (García Zamora, 2005)43.

Toutefois, c’est surtout avec l’arrivée au pouvoir de Vicente Fox en 2000 que l’intérêt du

gouvernement envers le potentiel des migradollars va connaître un véritable essor

(Goldring, 2005). L’administration de Fox, qui qualifie de « héros » les migrants, va

insister sur la nécessité que les familles investissent de façon productive l’argent des

migrations afin de mieux combattre la pauvreté (Lozano Ascensio, 2005). En 2001, pour

encourager les investissements productifs, il modifie le Programme 3 X 1, qui devient le

Programme 3 X 1 Initiative citoyenne. Pour la première fois de son histoire, celui-ci se voit

attribuer un budget fixe. Le programme donne priorité aux « personnes qui habitent des

43 Le programme est d’abord né en 1993 au Zacatecas et était nommé programme 2 X 1, n’ayant pas encore la participation du gouvernement municipal.

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localités en condition de pauvreté et qui requièrent l’amélioration des infrastructures de

base et le développement de projets productifs sélectionnés par les migrants » (ministère du

Développement social, www.sedesol.gob.mx)44. En 2002, devant le potentiel que représentait

le programme, celui-ci s’est étendu au-delà des frontières de l’État de Zacatecas pour

finalement englober 26 États en 2006 (ministère du Développement social, 2006). Pour sa

part, le Chiapas s’y est joint en 2004.

Tableau 10 : Répartition des types d’investissements accomplis (%) 45 (2002-2006)

Infrastructures de base

Infrastructures routières

Investissements productifs

Autres

56

16

4

24

Source : ministère du Développement social (2006)

Pour l’instant, ce programme donne des résultats plutôt satisfaisants. Tout d’abord, 44 pour

cent des municipalités qui ont bénéficié du programme entre 2002 et 2004 ont réussi à

réduire leur indice de marginalité (ministère du Développement social, 2006). Ensuite, plus

de 90 pour cent des œuvres accomplies en 2004 étaient toujours fonctionnelles et en bon

état en 2006. De plus, la quasi-totalité des municipalités et des personnes ayant bénéficié du

programme se sont dites satisfaites du résultat des œuvres réalisées. Finalement, tel que

l’affirmaient Delgado Wise et al. (2006), les bienfaits de l’accomplissement de projets

communautaires appuyés par les migradollars collectifs vont bien au-delà de la simple

construction d’infrastructures puisque ces projets sociaux donne naissance à une forme de

44 En 2007, le budget alloué au programme est de 220 millions de pesos (environ 22 millions dollars US) et le montant maximal alloué par projet est de 800 000 pesos (environ 80 000 dollars US) (ministère du Développement social, www.sedesol.gob.mx). 45 Infrastructures de base : eau potable, système d’égouts, écoles, centres de santé, électrification, etc. Investissements productifs : commercialisation, appui aux activités primaires, développement de la production et de la productivité, irrigation et développement des infrastructures nécessaires à l’élevage, etc. Autres : Infrastructures sportives, sites historiques et culturels, protection d’un territoire ou d’un cours d’eau, etc. (ministère du Développement social, 2006).

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transnationalisme46, qui permet de développer des organisations transnationales de

migrants, d’offrir des opportunités de négociations entre ces organisations et les différents

paliers du gouvernement et de renforcer la culture de la transparence et de la reddition de

compte.

Pour ce qui est du Chiapas, bien que le programme y soit disponible depuis 2004, peu de

projets y ont été réalisés jusqu’à ce jour. En 2006, le Chiapas n’a bénéficié que de 1,15

pour cent du montant total47 des investissements provenant du programme, loin derrière

d’autres États tels que le Zacatecas et le Jalisco, qui ont à eux seuls accaparé plus de la

moitié des sommes allouées, soit 27 pour cent chacun (ministère du Développement social,

2006). Pour l’instant, plusieurs problèmes nuisent à l’expansion du programme au Chiapas.

D’une part, comme le mentionnait Carlos Miranda Videgaray, expert en migrations au

gouvernement du Chiapas, les Chiapanèques semblent réticents à bénéficier de ce

programme. Videgaray nous rappelait s’être fait répondre maintes fois : « Comment puis-je

faire confiance en un gouvernement qui m’a obligé à venir dans un autre pays pour trouver

un bon emploi ? » (Mandujano, 2006).

D’autre part, pour pouvoir bénéficier du programme, l’initiative doit provenir d’un

ensemble de migrants regroupé sous forme d’organisations ou de clubs officiels établis

dans le pays d’accueil. Au Mexique, entre 2002 et 2005, le nombre de ces clubs de

migrants a connu une hausse fulgurante, passant de 20 à 738 clubs (ministère du

Développement social, 2006). Or, les migrations étant un phénomène beaucoup plus récent

au Chiapas que dans les États du Centre du Mexique, les « clubs chiapanèques » se font

rares, puisque les migrants n’ont pas eu le temps de s’organiser et que peu d’entre eux ont

obtenu leur citoyenneté américaine (Villafuerte Solís et García Aguilar, 2006 ; ministère du

Développement social, 2006). Depuis quelques années, le gouvernement chiapanèque a

tenté de promouvoir la création de clubs de migrants, dont l’utilité va bien au-delà de la

46 Le concept de transnationalisme se réfère aux activités et aux liens sociaux et économiques étroits et réguliers qu’entretiennent des individus établis dans un pays d’accueil avec leur pays d’origine (Portes et al., 1999). Le transnationalisme englobe ainsi une multitude d’acteurs, comme les migrants, les communautés, les organisations de migrants ainsi que les différents paliers du gouvernement et fait aussi référence aux liens et aux réseaux sociaux qui les unissent. Voir aussi Orozco (2005) pour obtenir plus d’informations sur le rôle que joue le transnationalisme dans le développement en Amérique latine. 47 La part du montant investie au Chiapas a tout de même connu une progression importante, puisqu’elle n’était que de 0,3 pour cent en 2004 et de 0,45 en 2005 (ministère du Développement social, 2006).

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simple accessibilité au Programme 3 X 1, puisqu’ils ont pour fonction de protéger les

intérêts des citoyens mexicains dans le pays étrangers (coordination des relations

internationales, 2006). Pour l’instant, il n’existe que quatre clubs de migrants chiapanèques,

alors qu’on en compte 139 au Zacatecas et 164 au Jalisco (ministère du Développement

social, 2006).

En sachant que les régions privilégiées par le programme sont celles ayant un taux de

migrations élevé et étant les plus pauvres et les plus marginalisées (Goldring, 2004), on

peut s’attendre à ce que le programme prenne de l’expansion au Chiapas au cours des

prochaines années, surtout si plusieurs clubs de migrants se créent parallèlement. Si les

migradollars collectifs s’y développent et sont appuyés par le Programme 3 X 1 Initiative

citoyenne, il sera intéressant de voir quels impacts ils auront sur le développement des

communautés, car bien que les migradollars collectifs représentent des sommes moins

importantes que les « migradollars familiaux »48, leur rôle dans le développement semble

indéniable, puisqu’ils sont entièrement destinés au développement des communautés

(Goldring, 2005). De plus amples études devront toutefois être effectuées pour mieux

mesurer les impacts des migradollars collectifs au cours des prochaines années dans le

développement des communautés au Chiapas.

4.2. L’intégration du Chiapas à l’économie internationale

4.2.1. Les migrations en tant qu’agent pacificateur du Chiapas Toutefois, un des principaux problèmes à l’expansion du Programme 3 X 1 Initiative

citoyenne à l’ensemble du Chiapas demeure l’impasse dans le processus de paix entre le

gouvernement fédéral et les Zapatistes. Depuis le refus du gouvernement fédéral de

respecter les Accords de San Andrés, les Zapatistes ont rompu le dialogue avec le

gouvernement et ont décidé de résister en exerçant l’autonomie par la voie des faits dans les

municipalités autonomes rebelles (chapitre 2). L’EZLN soutient que l’autonomie indigène

doit se construire en refusant toute collaboration avec le gouvernement. Les Zapatistes ont

48 Delgado Wise et al. (2006) ont estimé à 3,24 pour cent la part des migradollars collectifs sur le total des migradollars reçus au Mexique en 2004.

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ainsi ordonné à leurs sympathisants de ne pas accepter l’argent et les programmes sociaux

et économiques provenant du gouvernement, comme le Programme 3 X 1 Initiative

citoyenne (Benítez Manaut et al., 2006 ; SIPAZ, 2005 ; Collier et Collier, 2005).

De son côté, dans sa stratégie pour résoudre le conflit, le gouvernement fédéral a tenté de

saper les appuis zapatistes en investissant massivement au Chiapas et en offrant des

programmes sociaux et économiques à la population et aux organisations sociales. Cette

stratégie a apporté certains résultats, puisque le mouvement zapatiste semble vouloir

s’essouffler depuis le tournant des années 2000. Déjà, à la fin des années 1990, la structure

verticale du pouvoir de l’EZLN avait entraîné certains abus de pouvoir du groupe qui avait

mené à des divisions internes et des conflits entre ses bases sociales et ses dirigeants

(Washbrook, 2005). Depuis, le refus de l’EZLN d’accepter les fonds du gouvernement a

engendré une série de conflits entre ses sympathisants et d’autres organisations indigènes,

autrefois alliées, qui ont maintenant choisi de collaborer avec le gouvernement (SIPAZ,

2007b ; Washbrook, 2005).

De plus, bien que le gouvernement de Fox (2000-2006) ait échoué à sa prétention de

« régler le conflit zapatiste en quinze minutes », la défaite du PRI aux élections

présidentielles de 2000 a donné une certaine légitimité aux institutions du gouvernement

mexicain (Washbrook, 2005). Ensuite, l’adoption de la Loi indigène par le PAN en 2001 a

affaibli considérablement le support populaire de l’EZLN (Benítez Manaut, 2006 ;

Washbrook, 2005). Depuis, la présence militaire a diminué et les gouvernements fédéral et

chiapanèque tentent de trouver de nouvelles solutions au conflit, entre autres en y

investissant massivement (Washbrook, 2005).

La décision des Zapatistes de refuser l’argent provenant du gouvernement a sérieusement

accentué la paupérisation des régions sous influence zapatiste (Collier et Collier, 2005 ;

Washbrook, 2005 ; Van Der Haar, 2005). Alors qu’une partie de plus en plus grande de la

population chiapanèque a accès au crédit ainsi qu’à d’autres appuis de la part du

gouvernement, les communautés zapatistes ne peuvent accéder aux services

gouvernementaux et doivent vivre d’autosubsistance (Van Der Haar, 2005 ; Bellinghausen,

2002) :

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Ces villages sont aussi identifiables par leur plus grande précarité. Bien que leur fermeté et leur organisation collective rendent la chose moins évidente, les rebelles du Chiapas sont des pauvres parmi les plus pauvres. […] Dans les villages zapatistes, l’alimentation est très restreinte ; en ce qui concerne la construction, les maisons sont en bois le plus souvent, le peu d’argent va dans la tôle. Même ainsi, ils arrivent à construire des écoles primaires bilingues [maya-espagnol], des bibliothèques, des lieux de réunion, de petites cliniques dans lesquelles on trouve rarement un médecin. Ils tiennent depuis dix ans voire plus dans ces conditions […], ce qui leur a coûté des morts, des exils, la prison, des champs détruits, des rivières contaminées (Bellinghausen, 2002).

Ainsi, bien que les Zapatistes aient été à l’origine source d’espoir pour une grande partie de

la population chiapanèque aspirant à une société plus juste et démocratique, ils n’ont pas

été en mesure d’améliorer substantiellement les conditions de vie des populations rurales

(Washbrook, 2005)49. Depuis, plusieurs communautés autrefois zapatistes, lasses d’un

conflit qui n’apportait que peu de résultats, ont délaissé l’option de la lutte armée pour

tenter de trouver de nouvelles alternatives50 (Real Jovel, 2006 ; Ávila, 2005 ; ESTESUR,

2004). Depuis le début des années 2000, les migrations semblent être la principale solution

choisie par les Chiapanèques, devenant ainsi un important agent pacificateur permettant de

contenir le mécontentement social (Mariscal, 2006c ; Balboa, 2004).

Aujourd’hui, environ le tiers des familles chiapanèques bénéficient de l’argent des

migrations et le phénomène migratoire s’étend désormais à toutes les régions du Chiapas, y

compris celles sous influence zapatiste (Balboa, 2004 ; Mariscal, 2006c). Dans son exposé

« Las Cañadas : diez años después » (Las Cañadas51 : dix ans plus tard) fait dans le cadre

du congrès Chiapas : diez años depués (Chiapas : dix ans plus tard), Carmen Legorra

(2004) mentionnait qu’il se produit actuellement « une migration massive de rebelles

zapatistes aux États-Unis » et que certains membres de l’EZLN organisent même des

voyages en El Norte (dans le Nord) : « Ceux qui ne veulent plus continuer avec l’EZLN,

qui n’ont pas de terres et qui n’ont aucune autre alternative sont les principaux candidats à 49 Il faut toutefois nuancer nos propos en soulignant le rôle qu’a joué l’EZLN dans le processus de démocratisation du pays, en obligeant Salinas (1988-1994) et Zedillo (1994-2000) à accélérer les réformes démocratiques, ainsi que dans l’amélioration des droits autochtones. 50 Carmen Legorra, conseillère d’organisations indigènes dans la Selva Lacandona, avançait que dans cette région, il ne reste plus que 10 pour cent des appuis originaux de l’EZLN (Ávila, 2005) 51 Las Cañadas, qui signifient « les Gorges » en français, sont une sous-région de la Selva Lacandona.

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se joindre aux migrations vers les États-Unis » (traduction libre) (Legorra, 2004, dans

ESTESUR, 2004).

En s’avérant être une nouvelle alternative efficace, les migrations pourraient-elles

contribuer à stabiliser politiquement l’État ? Si tel est le cas, cette nouvelle stabilité

pourrait-elle favoriser les investisseurs et ainsi créer des emplois qui pourraient par la suite

ralentir les migrations ? Pour l’instant, malgré les efforts considérables des gouvernements

de Fox et de Salazar de promouvoir le Chiapas comme une « Terre d’opportunités », trois

principaux obstacles font toujours hésiter les investisseurs à venir au Chiapas : l’instabilité

politique, le manque d’infrastructures et l’absence de main-d’œuvre qualifiée (Villafuerte

Solís 2003 et 2005).

En plus de favoriser une certaine stabilité politique dans un État où l’impasse politique a

rendu le territoire peu attrayant aux investisseurs, les migrations jouent aussi un rôle non

négligeable dans l’éducation et la formation des individus. En effet, outre qu’elles

permettent aux familles d’investir dans l’éducation de leurs enfants, les migrations

apportent également d’autres types d’éducation, tels que les « technical remittances » et les

« technological remittances » qui font référence aux différents types de savoirs et

compétences acquis en travaillant à l’étranger ou encore aux différentes technologies que le

migrant peut rapporter dans son pays d’origine (Goldring 2005 ; De Haas 2005). Dans bien

des cas, avant d’arriver dans le pays d’accueil, plusieurs migrants n’ont travaillé que dans le

secteur agricole. Dans le pays d’accueil, ils ont parfois la chance de bénéficier de séances

de formation et d’expériences de travail qui pourront leur permettre de se procurer des

emplois mieux rémunérés une fois revenus dans leur pays (Chimhowu et al., 2005). En

effet, au cours des dernières années, on a assisté à une plus grande diversification des

secteurs d’emploi occupés par les migrants aux États-Unis (Meza Merlos et Márquez

Covarrubas, 2005). Comme nous avons pu le constater lors de nos entrevues à El Ixcán et à

Loma Bonita, ces derniers ne travaillent plus seulement qu’en agriculture, mais également

dans certaines industries et dans les secteurs de la construction et des services.

De plus, travailler aux États-Unis est pour plusieurs une opportunité d’apprendre l’anglais,

ce qui peut s’avérer très utile pour obtenir un emploi dans le secteur des services une fois

de retour dans leur pays (Durand, 2005). Dans la Selva Lacandona, la maîtrise d’une langue

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seconde telle que l’anglais pourrait favoriser l’obtention d’un emploi dans le secteur

touristique, puisque la région fait partie du Mundo Maya (Monde maya) (Machuca

Ramírez, 2005), projet d’intégration touristique regroupant toute la région « maya », soit le

Sud du Mexique, le Belize, le Guatemala, le Salvador et le Honduras. La Selva Lacandona

correspond au Couloir biologique méso-américain, jugé comme ayant l’une des

biodiversités les plus riches de la planète (idem). Depuis quelques années, plusieurs projets

ont d’ailleurs été entrepris dans la Selva Lacandona pour développer l’écotourisme (figure

31).

Figure 31 : Station écotouristique à El Ixcán52

David Tanguay (2006)

52 Cette station écotouristique, située dans la forêt tropicale de la réserve de la Biosphère de Montes Azules, est accessible depuis l’ejido d’El Ixcán. De l’ejido, le voyageur doit prendre une barque et effectuer un parcours d’environ quinze minutes sur le rio Lacantún pour finalement arriver à la station écotouristique. De là, plusieurs activités s’offrent aux visiteurs, telles que le canot, la randonnée pédestre et l’observation de la faune et de la flore. Des services de restauration et de location de barques sont disponibles à partir de l’ejido.

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En ayant un rôle non négligeable dans la formation des individus et dans la pacification de

l’État, les migrations pourraient contribuer à attirer les investisseurs. Surtout qu’au cours

des dernières années, conformément au Plan Puebla-Panamá (voir section suivant), le

gouvernement a entrepris de gros investissements afin de développer les infrastructures de

l’État : « Nous développons des projets d’infrastructures qui permettent à votre entreprise

d’être hautement compétitive dans n’importe quel marché du monde vers où vous voulez

exporter vos produits » (ministère de Développement économique, 2007). Afin de réduire

les coûts de transport et ainsi favoriser le commerce et le tourisme en assurant une

meilleure intégration du Chiapas et du Sud-Sud-Est mexicain avec le reste du pays et

l’Amérique centrale, les gouvernements de Fox et de Salazar ont considérablement

augmenté les sommes destinées à développer le réseau routier, par exemple avec

l’inauguration du Puente Chiapas53 (pont Chiapas) en 2003 (figure 32) et avec la

construction d’une nouvelle route reliant San Cristóbal de las Casas à Tuxtla Gutiérrez.

Outre les investissements dans le réseau routier, d’autres investissements destinés à attirer

les investisseurs ont été faits au cours des dernières années, tels que la construction d’un

nouvel aéroport international à Tuxtla Gutiérrez, l’implantation de parcs industriels, ainsi

que des investissements dans le port de Puerto Chiapas sur le Pacifique destinés autant à

améliorer sa compétitivité d’un point de vue commercial qu’à lui donner une vocation

touristique en lui permettant d’être un terminal pour les croisières touristiques (ministère du

Développement économique du Chiapas, http://www.sefoechiapas.gob.mx/). Ce terminal, qui est

fonctionnel depuis 2006, offre tous les services nécessaires requis pour ce type d’industrie

et veut ainsi devenir « la porte d’entrée du monde maya par le Pacifique »

(http://www.puertochiapas.com.mx/).

53 Le Puente Chiapas, qui traverse le réservoir du barrage Nezahualcóyotl, réduit la distance entre Tuxtla Gutiérrez et México D.F. d’environ 100 kilomètres. Ce pont permet ainsi de réduire la durée du voyage de 3 heures et demie, soit de 12 heures à 8 heures et demie (ministère des Communications et des Transports, 2006). Pour ce qui est de la route reliant San Cristóbal de las Casas à Tuxtla Gutiérrez, elle réduit le temps du voyage à seulement 50 minutes, alors qu’il était d’environ une heure et demie auparavant (ministère du Développement économique du Chiapas, http://www.sefoechiapas.gob.mx/).

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Figure 32 : Puente Chiapas

Source : ministère du Développement économique du Chiapas, http://www.sefoechiapas.gob.mx/

L’établissement de conditions propices aux investisseurs et la réponse de ces derniers

auront un rôle important pour l’avenir de la région. En effet, la situation géographique du

Chiapas lui confère un caractère stratégique, puisqu’il constitue la porte d’entrée en

Amérique du Nord pour l’Amérique centrale (Villafuerte Solís, 2003). En raison de cette

importance géopolitique, la pacification de la région est nécessaire à l’élaboration de

projets de développement de plus grande envergure, allant au-delà des frontières étatiques

et nationales, par exemple le Plan Puebla-Panamá.

4.2.2. Le Plan Puebla-Panamá : possible dans une zone à influence zapatiste ? Parmi les plans évoqués pour développer le sud du pays et pour attirer les investisseurs,

figure le Plan Puebla-Panamá (PPP), mis sur pied par Vicente Fox (PAN) peu après son

arrivée au pouvoir en 2000. Le PPP, qui touche à la fois sept pays d’Amérique centrale,

neuf États mexicains et la Colombie (figure 33), se veut un projet de développement et

d’intégration régionale visant à apporter dans la région « i) une croissance économique

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équitable ; ii) une gestion durable des ressources naturelles ; iii) le développement humain

et social » (http://www.iadb.org/aboutus/II/re_ppp.cfm?language=French). Le plan prévoit entre

autres la concrétisation de 99 projets, dont huit sont déjà achevés, 50 en voie d’exécution et

41 en gestion de financement (http://www.planpuebla-panama.org/). Ces projets visent entre

autres la construction de nouveaux barrages hydroélectriques, l’augmentation de la

production de pétrole et de gaz naturel, le développement de l’industrie maquiladoras, la

construction et la rénovation des infrastructures routières et ferroviaires (voir partie

précédente), ainsi que le développement d’autoroutes électroniques, du commerce

d’électricité et de l’agroexportation. Le PPP veut aussi unifier d’autres projets d’envergure,

tels que le Corridor interocéanique de l’Isthme de Tehuantepec et le projet touristique

Mundo Maya (voir plus haut) (Machuca Ramírez, 2005). Le montant total de ces

investissements est évalué à un peu plus de huit milliards de dollars (http://www.planpuebla-

panama.org/). Le gouvernement mexicain résume la mission du PPP ainsi :

Le Plan Puebla-Panamá cherche à promouvoir et à consolider le développement de la région Sud et Sud-Est du Mexique en implantant de manière accélérée et coordonnée des politiques publiques, ainsi que des programmes et des projets d'investissements publics et privés orientés, entre autres, vers le développement éducatif et social de la population, l’expansion et le développement intégré des secteurs d’infrastructures de base, la promotion et le développement d’activités productives, la modernisation et le renforcement des institutions locales et le développement technologique de la région (traduction libre de l’espagnol) (ministère des Relations extérieures, 2001).

Selon le gouvernement mexicain, ce projet pourrait contribuer à réduire les grandes

disparités qui persistent entre le Sud du pays, qui affiche un important retard de

développement, et le Centre et le Nord, nettement plus développés. Dans leur article El sur

también existe : un ensayo sobre el desarollo regional de Mexico54, des conseillers du

gouvernement avancent que ce retard de développement, qui n’est pas étranger à

l’instabilité politique née de l’insurrection zapatiste, est la conséquence des mauvaises

politiques publiques envers le Sud qui ont dominé la sphère politique mexicaine au cours

54 Traduction libre : Le Sud existe aussi : essai sur le développement régional du Mexique.

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de la dernière moitié du 20e siècle (Dávila et al., 2002)55. Selon ces auteurs, malgré des

hausses substantielles des dépenses fédérales au Chiapas depuis l’insurrection zapatiste, le

retard est tel que ces investissements s’avèrent insuffisants56. La solution réside plutôt dans

un réexamen profond des politiques de développement régional du pays afin de rendre la

région plus attrayante pour les investisseurs, d’où l’importance de plans de développement

tels que le PPP.

Figure 33 : Régions incluses dans le Plan Puebla-Panamá

Réalisation : David Tanguay (2007)

55 Voir aussi Favre (1997) pour mieux connaître le contexte socio-économique ayant mené à la révolte de 1994. 56 Entre 1994 et 2000, les dépenses fédérales au Chiapas ont augmenté en moyenne de 5,4 % par année, plus de cinq fois la moyenne nationale qui était de 1,0 %. (Dávila et al., 2002).

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Par contre, la faisabilité de ce projet est pour l’instant douteuse, puisque le Chiapas occupe

une position centrale au territoire couvert par le PPP et que celui-ci s’est heurté à de

farouches oppositions dans cet État. Selon les opposants au projet, la concrétisation du PPP

nécessiterait le délogement des habitants qui se trouvent à l’intérieur de la Réserve intégrale

de la Biosphère de Montes Azules ainsi que sur d’autres terres convoitées par les

entreprises transnationales (Machuca Ramírez, 2005 ; Moro, 2002). Une partie importante

du développement de ce projet se ferait d’ailleurs dans la Selva Lacandona, zone sous forte

influence zapatiste. Or, les Zapatistes, farouchement opposés à l’idéologie néolibérale57, ont

eux aussi dénoncé à maintes reprises ce projet portant les empreintes du néolibéralisme :

« Le plan Puebla-Panamá doit retourner à l’abîme, puisqu’en terres rebelles, nous ne

permettrons pas un tel plan. Cela dit, les Zapatistes ont à leur disposition les moyens et

l’organisation nécessaire pour empêcher la concrétisation du PPP. Ceci n’est pas une

menace, mais bien une prophétie » (Marcos, 2003). Pour les Zapatistes, la concrétisation du

PPP irait à l’encontre des Accords de San Andrés, puisque ce plan ne permettrait pas la

disposition collective des ressources naturelles et nécessiterait la privatisation des terres

communales et ejidales afin de garantir les contrats passés aux investisseurs (Moro, 2002) :

« Nous voulons l’autonomie indigène et nous l’aurons. Nous n’admettrons plus aucun

projet ni plan qui ignore nos volontés ; ni le plan Puebla-Panamá, ni le grand projet

transocéanique, ni rien qui signifie la vente ou la destruction de la Maison des Indiens, qui,

il ne faut pas l’oublier, fait partie de la Maison de tous les Mexicains » (Marcos, 2001, dans

Moro, 2002).

Or, malgré les avertissements de Marcos au sujet du PPP, les Zapatistes ont-ils toujours les

capacités d’empêcher la concrétisation de tels projets ? Comme nous l’avons vu

précédemment, l’autonomie tant désirée et exercée par la voie des faits a appauvri

considérablement les communautés zapatistes. Aujourd’hui, plusieurs choisissent de

délaisser la lutte armée pour trouver d’autres solutions beaucoup plus lucratives, dont les

migrations aux États-Unis. Dans cette optique, est-il possible que les migrations puissent

contribuer à la concrétisation de plans de développement tels que le PPP en favorisant la

stabilisation politique du territoire chiapanèque ? De plus amples études devront être

57 Voir la Sixième déclaration de la Selva Lacandona (EZLN, 2005).

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entreprises au cours des prochaines années pour suivre l’évolution des multiples plans de

développement incorporés dans le PPP. Toutefois, il est clair que l’accalmie actuelle

apportée par les migrations a créé un climat socio-politique beaucoup plus favorable à de

tels projets que celui qui prévalait durant la deuxième moitié de la décennie 1990. Dans ce

contexte, il est fort probable que la réponse de la société civile dépendra de la réelle bonne

volonté du gouvernement.

En théorie, ce plan devrait « favoriser l’intégration et encourager le dialogue entre les

autorités et la société civile afin de consolider une idée commune du développement social

et économique » (http://www.iadb.org/aboutus/II/re_ppp.cfm?language=French). De plus, dans le

document présentant le plan intitulé Plan Puebla-Panamá, documento base. Documento

ejecutivo, capítulo México de 2001, le gouvernement mexicain mentionnait que les

nouvelles politiques publiques auront pour objectifs de « renforcer les traditions culturelles

de la région et de respecter les droits des peuples indigènes » (traduction libre) (ministère

des Relations extérieures, 2001). Par contre, selon Moro (2002), malgré le discours

favorable au respect des traditions autochtones, il est peu probable que le PPP ait

l’approbation des populations indigènes habitant ce territoire, puisque le mode de

développement préconisé par le PPP va à l’encontre du mode de vie auquel elles aspirent :

« Elles n’entendent pas voir leurs terres occupées par de vastes monocultures d’eucalyptus

(désastreuses pour l’environnement) et de palme africaine, par des plantes transgéniques

d’exportation développées au mépris de la sécurité alimentaire du pays et refusent la

privatisation de ces terres, « nécessaire » à la construction des voies interocéaniques et

« indispensable » pour sécuriser les investisseurs ». Plusieurs autochtones craignent que

cette privatisation des terres ejidales et communales puisse fracturer les traditions

collectives de solidarité qui existent entre les communautés (Moro, 2002). En ce sens,

Montemayor (2001) expliquait que pour les communautés autochtones, la terre représente

beaucoup plus qu’une simple activité commerciale :

La terre n’est pas simplement une question de productivité et de compétitivité : c’est la base essentielle de leur connaissance de la vie ; c’est le sol qui les attache à cette vie, qui les unit au monde invisible et au monde visible, qui les unit avec la communauté ancestrale des hommes et des dieux. C’est le sol qui recèle la racine de leurs valeurs éthiques, économiques et familiales et qui est le support de leur culture. Pour la terre,

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ils sont capables de soutenir, de protéger ou de participer à un mouvement armé qui ose affronter le gouvernement et l’armée (Montemayor, 2001).

Toutefois, se pourrait-il que les migrations apportent aussi des changements notables dans

les modes de vie et les idéologies des autochtones ? Selon le COESPO, plus de 65 pour

cent des migrants Chiapanèques sont autochtones, âgés pour la plupart entre 15 et 35 ans

(Pickard, 2006). Or, les migrations entraînent bien souvent avec elles des social

remittances, c’est-à-dire des changements dans les pratiques sociales, les idées, les valeurs,

ainsi que dans les croyances et les traditions (Levitt, 1998). Jorge Cruz Burguete, chercheur

au Collège de la Frontière Sud (ECOSUR), mentionnait que des changements dans les

modes de vie ont déjà commencé à être observés dans les communautés autochtones au

cours des dernières années, entre autres dans les habitudes alimentaires et vestimentaires

(Balboa, 2004 ; SIPAZ, 2007c). Alors qu’autrefois, les habitants des communautés

autochtones avaient bien souvent un niveau de vie similaire, ceux qui bénéficient désormais

de l’argent des migrations adoptent des nouvelles habitudes de consommation qui poussent

d’autres personnes à émigrer à leur tour, animées elles aussi par un désir d’accéder à ce

confort matériel (SIPAZ, 2007c.).

Ces changements dans les habitudes de consommation risquent de perturber les

communautés zapatistes, qui sont elles aussi touchées par les migrations, mais qui rejettent

les valeurs reliées à la société de consommation. Avec leur désir d’autonomie, les

dirigeants zapatistes veulent réduire leur dépendance envers les produits provenant de

l’extérieur et parvenir à l’autoconsommation en diversifiant leur production (SIPAZ, 2005).

Ainsi, ils aspirent éventuellement à cesser de consommer les produits provenant des

entreprises transnationales : « Nous n’avons pas encore pu l’éviter parce qu’il manque un

processus de prise de conscience de nos peuples. Ça nous donne envie à tous. Nous avons

soif et nous prenons un Coca-Cola. Nous mangeons des Sabritas. Plus tard, nous espérons

pouvoir nous organiser pour arrêter de consommer ce type de produits. Mais le faire est

quelque chose de difficile » (Comité de Bon gouvernement de Morelia dans SIPAZ, 2005).

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Parallèlement aux changements dans les habitudes de consommation, la non-conformité

face à la vie en communauté s’accroît à mesure que les migrations prennent de

l’importance. Bien souvent, une fois de retour, les jeunes migrants s’impliquent activement

dans les décisions concernant leur communauté et remettent en question l’organisation

communautaire traditionnelle et les décisions des anciens, ce qui peut occasionner des

conflits entre ceux ayant une vision plus « moderniste » et les partisans d’une vision plus

« traditionaliste » (Balboa, 2004 ; Molina Ramírez, 2006). En réponse à ce problème,

certaines communautés autochtones ont fait un effort pour tenter de mieux réintégrer les

jeunes migrants à la vie communautaire : « on leur propose de travailler comme autorité

pour qu’ils n’oublient pas comment travailler en collectif. Tous n’acceptent pas » (SIPAZ,

2007c).

Malgré les conséquences néfastes que peuvent engendrer de tels changements de mentalité

sur les liens de solidarité qui existent entre les habitants des communautés, le nouveau désir

de modernité pourrait amener les populations rurales à être plus enclines à accepter des

projets de développement dans la région, même si ceux-ci remettent en question certains

aspects de leurs traditions. Déjà, malgré l’opposition des Zapatistes envers le PPP, le

gouvernement mexicain nie le fait que l’EZLN puisse représenter une réelle menace à la

concrétisation du PPP. Lorsqu’il fut questionné sur la question, Fox répondit : « [L]a

question zapatiste n’est plus un problème pour le Mexique. En fait il n’y a plus de conflit,

nous vivons dans une sainte paix » (La Prensa Grafíca, 2001 dans Moro, 2002). De plus,

lorsqu’il évoque dans son document Plan Puebla-Panamá, documento base. Documento

ejecutivo, capítulo México les menaces et les difficultés relatives à la concrétisation du

projet dans la région, le gouvernement mexicain ne fait aucunement mention de l’EZLN

(ministère des Relations extérieures, 2001).

Notons toutefois que, selon Hodge et Coronado (2006), malgré leur affaiblissement, les

Zapatistes représentent toujours l’obstacle le plus important à la réalisation du PPP,

puisqu’ils ont largement prouvé au cours des dernières années leur grande capacité à

mobiliser la population mexicaine contre des projets qualifiés de « néolibéraux ». Selon ces

auteurs, le gouvernement fédéral est bien conscient de cette menace, mais préfère la nier

afin de ne pas effrayer les investisseurs. Rappelons-nous qu’en tant que preuve de

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l’incapacité du gouvernement d’instaurer un climat politique stable, la crise politique de

1994 a fait hésiter les investisseurs qui se demandent toujours si le gouvernement sera

véritablement en mesure de livrer et de respecter les politiques promises (Hodge et

Coronado, 2006). Pour l’instant, peu d’investisseurs ont pris le risque d’investir au Chiapas

et encore moins dans la Selva Lacandona. L’évolution du climat sociopolitique sera donc

déterminante pour l’avenir de la région.

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Conclusion

Le Chiapas change. Si les trois dernières décennies ont été marquées par un climat

d’instabilité qui a connu son apogée avec le soulèvement zapatiste, le climat politique

semble vouloir se stabiliser. En effet, bien que les luttes agraires aient finalement réussi à

assurer une meilleure répartition de la terre (bien que des conflits persistent encore

aujourd’hui), l’instabilité politique a nuit au développement du secteur ejidal et a

grandement ralenti sa productivité. Pour cette raison, plusieurs agriculteurs ont eu de la

difficulté à s’adapter au retrait de l’État de l’agriculture et à la compétition des produits

agricoles étrangers qu’ont engendrés les réformes néolibérales des décennies 1980-1990.

Ainsi, lorsque les principales cultures d’État, dont entre autres le café et le maïs, ont

successivement connu des crises, plusieurs se sont retrouvés dans l’obligation de délaisser

leur terre afin de trouver d’autres alternatives, dont, entre autres, la migration (chapitre 2).

Les villes chiapanèques n’offrant que peu d’emplois, les travailleurs ont vite traversé les

frontières de l’État pour finalement atteindre les États-Unis au cours de la décennie 1990.

Le travail aux États-Unis étant très lucratif, les migrations internationales ont pris une

ampleur phénoménale depuis le tournant de 21e siècle, comme le témoigne le départ de

dizaines de milliers de Chiapanèques qui entreprennent le long voyage chaque année au

péril de leur vie.

Lors de cette recherche, notre objectif principal était de vérifier si l’argent des migrations

peut être une solution efficace à long terme à la crise agricole qui sévit au Chiapas. Bien

qu’il faille nuancer nos propos en raison d’un échantillon limité, les résultats obtenus lors

de notre étude de cas d’El Ixcán et de Loma Bonita démontrent que les migrations sont une

solution efficace puisqu’en plus d’offrir une sécurité financière aux familles se trouvant

dans une situation économique précaire, elles améliorent la qualité de vie à long terme des

habitants en favorisant le développement économique et humain des communautés. Au-

delà des problèmes de dépendance et d’exode de la population active qu’elles peuvent

engendrer, les migrations donnent l’opportunité aux habitants d’investir, entre autres dans

la santé, l’éducation, les commerces et la production agricole, et leur permettent ainsi

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d’acquérir les ressources nécessaires afin d’être mieux outillés pour survivre dans le

contexte néolibéral.

Toutefois, il faut également spécifier que les migrations internationales ne sont pas

exemptes de conséquences néfastes. Parmi celles-ci, mentionnons les nombreuses

conséquences sociales que peuvent engendrer les absences prolongées découlant des

migrations dont nous n’avons malheureusement que trop peu parlé lors de ce mémoire,

faute d’espace. Des mères se retrouvent à élever seules leurs enfants durant de longues

périodes, tel que nous le mentionnait une d’entre elles dont le conjoint est parti depuis

maintenant huit ans. Des pères n’ont jamais vu leur enfant, étant partis avant

l’accouchement de leur femme, et plusieurs grands-parents n’ont jamais vu leurs petits

enfants, n’ayant que le téléphone pour communiquer avec eux. Aussi, les migrations

peuvent aussi engendrer de véritables tragédies, comme ce fut le cas pour des parents qui, à

la suite du départ de leur fils adoptif âgé de 18 ans, n’ont plus jamais eu de nouvelles de

celui-ci. Ils sont aujourd’hui persuadés qu’il a trouvé la mort en traversant le désert.

En raison de ces nombreuses conséquences sociales néfastes, nous croyons que, malgré

tous les effets positifs qu’apportent les migradollars sur la qualité de vie des familles, les

migrations ne peuvent demeurer l’unique solution aux problèmes socioéconomiques et ne

doivent en aucun cas venir substituer les politiques publiques destinées à favoriser le

développement économique et social (Delgado Wise et al., 2006). Au contraire, les

migrations doivent être accompagnées de politiques publiques destinées à 1) améliorer

les conditions de vie en milieu rural et diminuer les inégalités sociales ; 2) favoriser la

création d’emplois et 3) combattre le racisme envers les populations autochtones.

Dans un premier temps, puisque la majorité de la population chiapanèque vit toujours en

milieu rural, il est essentiel que le gouvernement réinvestisse en agriculture. Dans un récent

rapport sur la situation économique du Mexique, la Banque mondiale soulignait que, loin

d’avoir réduit les inégalités sociales au pays, la restructuration économique entreprise par le

gouvernement fédéral depuis 1982 a aggravé les disparités économiques et sociales entre

les régions du pays et porté préjudices aux plus démunis (Gonzalez Amador, 2007). Au

Chiapas, les mauvaises politiques publiques ainsi que les conflits agraires qui ont paralysé

le développement du secteur agricole ont rendu difficile l’adaptation aux réformes

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entreprises lors des deux dernières décennies, comme en témoigne l’émigration massive

des Chiapanèques qui a lieu depuis le tournant des années 2000. Pour cette raison, en plus

de faciliter l’accès à la terre, un réinvestissement en agriculture, par exemple sous forme

d’appui à la production et à la commercialisation, d’octroi de crédits et de financement des

infrastructures destinées à moderniser et à industrialiser l’agriculture afin d’augmenter sa

productivité, sera nécessaire pour réussir à contrôler l’émigration au Chiapas (Villafuerte

Solís et al., 2002). De telles mesures sont importantes, car ce n’est que lorsque les

politiques publiques amélioreront les conditions en milieu rural qu’il sera de plus en plus

facile pour les familles paysannes d’utiliser les migradollars de façon productive (Goldring,

2005), puisqu’elles pourront réduire la partie des migradollars canalisée dans la satisfaction

de leurs besoins essentiels. Aussi, il est important que le gouvernement encourage les

migrants et les familles à investir de façon productive en appuyant financièrement les

initiatives des migrants et en investissant davantage dans des programmes favorisant le

développement au moyen des migradollars, tel que l’Initiative citoyenne 3 X 1, afin

d’étendre le plus possible les bienfaits à l’ensemble de la communauté.

D’un autre côté, l’importante croissance démographique qu’a connue le Chiapas au cours

des trois dernières décennies a créé une véritable pression sur la terre et cette dernière ne

peut à elle seule satisfaire l’ensemble des Chiapanèques. L’intense colonisation qu’a subie

la Selva Lacandona au cours de la deuxième moitié du vingtième siècle a réduit

considérablement les terres disponibles, en plus de causer de sérieux dommages

environnementaux (Favre, 1997) (chapitre 2). Bien que le gouvernement ait tenté de

s’attaquer au problème de la déforestation en créant des aires protégées, comme la Réserve

intégrale de la biosphère de Montes Azules, ces mesures n’ont pu empêcher des dizaines de

milliers de Chiapanèques, confrontés à un système économique qui ne génère que très peu

d’emplois, de migrer en direction de la Selva Lacandona à la recherche d’une terre à

cultiver. En revanche, les menaces de délogement des populations qu’ont entraîné la

création de telles réserves et l’institution de la Communauté lacandone en 1972 (chapitre 2)

n’ont fait qu’exacerber les frustrations « d’une population à laquelle semble refusé le point

de chute qu’elle est venue trouver dans un endroit perdu » (Favre, 1997).

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En raison de cette pression démographique sur la terre, il est fort probable que des

investissements en agriculture et qu’une modernisation du secteur agricole, quoique

essentielles, ne puissent régler à eux seuls les problèmes socio-économiques du Chiapas.

En effet, si les migrations internationales ont pris une telle importance au Chiapas au cours

des dernières années, c’est parce qu’il n’y a que peu d’alternatives autres que le travail de la

terre. Pour cette raison, nous croyons que les gouvernements étatique et fédéral doivent

parallèlement s’efforcer de créer de l’emploi, par exemple en encourageant les PME en

facilitant l’accès au crédit et en tentant d’attirer les investisseurs. Il faut admettre que, tel

que nous l’avons vu lors du quatrième chapitre, le gouvernement a fait de véritables efforts

depuis le début du nouveau millénaire pour attirer les investisseurs, notamment en

investissant massivement dans les infrastructures de l’État et en mettant sur pied des plans

d’envergure, tels que le Plan Puebla-Panamá. Puisque le Chiapas est situé dans un

emplacement géographique stratégique et qu’il bénéficie de nombreuses ressources

naturelles, ces investissements pourraient contribuer à la création d’emplois dans un avenir

prochain en rendant le Chiapas plus attrayant pour les investisseurs. Toutefois, malgré de

telles démarches de la part du gouvernement, il est clair qu’il lui sera très difficile d’attirer

les capitaux étrangers tant et aussi longtemps qu’il ne réussira pas à rétablir une paix

durable au Chiapas.

En effet, bien que la situation politique soit moins chaotique qu’elle ne l’était au cours de la

deuxième moitié de la décennie 1990, le mouvement zapatiste a certainement toujours les

capacités de s’opposer aux projets du gouvernement. Ce conflit a souligné les défis que

devra surmonter le gouvernement mexicain quant à l’intégration des populations

autochtones, dans une nation où les « pratiques politiques passées ont créé de vastes

inégalités économiques et développé une structure sociale fortement hiérarchisée d’un point

de vue ethnique » (traduction libre) (Bénitez Manaut et al., 2006). Afin de trouver une

solution durable au conflit, la nation mexicaine devra entreprendre un véritable débat quant

aux droits des populations autochtones, un sujet qui fut largement débattu à la suite de

l’insurrection zapatiste et des négociations de San Andrés, mais qui n’a jamais été résolu et

qui semble avoir été relégué aux oubliettes. Au Chiapas, cette discrimination économique

et politique envers les populations autochtones est encore plus prononcée que nulle part

ailleurs au Mexique (Bénitez Manaut et al., 2006). Pour cette raison, la résolution du conflit

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devra passer par un dialogue proactif entre tous les acteurs concernés afin de comprendre

les causes profondes ayant menées à l’insurrection et pour tenter de trouver des solutions,

ce qui nécessitera de « l’imagination, de la persévérance et du courage politique » (idem) et

impliquera nécessairement que toutes les parties, y compris les Zapatistes, fassent des

concessions.

Ces derniers ont clairement laissé savoir qu’ils ne reprendraient pas les négociations tant et

aussi longtemps que le gouvernement ne respectera pas les Accords de San Andrés.

Pourtant, l’EZLN doit réaliser que le développement de leurs communautés implique

nécessairement de mettre un terme au conflit. D’autant plus que, pour l’instant, la stratégie

du gouvernement a été d’investir massivement afin de développer la région et d’ainsi saper

les appuis de l’EZLN. Déjà, comme nous l’avons vu lors du quatrième chapitre, plusieurs

agriculteurs, fatigués d’un conflit qui n’a su améliorer leurs conditions de vie, délaissent

l’EZLN pour tenter de trouver d’autres alternatives beaucoup plus lucratives, telles que les

migrations. Plusieurs pourraient être donc plus enclins à accepter des projets du

gouvernement. Pour sa part, le gouvernement profitera fort probablement de cette accalmie

apportée par les migrations pour mettre en place avec la collaboration d’investisseurs privés

des projets de développement, dont ceux inscrits dans le Plan Puebla-Panamá.

Toutefois, malgré cette relative pacification des dernières années, la façon dont les

gouvernements fédéral et chiapanèque mettront en œuvre leurs plans de développement

sera déterminante pour l’avenir du Chiapas. Dans son Plan Puebla-Panamá, documento

base. Documento ejecutivo, capítulo México de 2001, le gouvernement mexicain soulignait

l’importance que le développement du Chiapas se construise selon des mécanismes de

consultation continue qui intégreraient « la participation des communautés indigènes, des

peuples, des organisations civiles, des industriels et des différents paliers des

gouvernements » (traduction libre) (ministère des Relations extérieures, 2001). Le plan

mentionne même que les nouvelles politiques publiques porteront « une attention spéciale

au développement intégral des communautés et des populations autochtones » (traduction

libre) (ministère des Relations extérieures, 2001).

Or, si les communautés concernées ne sont pas consultées et que le développement de la

région se fait à l’aide d’une militarisation, d’expropriation et de délogement des

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populations occupant la région (Machuca Ramírez, 2005), il est fort possible de voir une

recrudescence des mouvements d’opposition, par exemple l’EZLN, et par conséquent une

détérioration du climat politique. Encore récemment, le gouvernement de Calderón a

annoncé au moyen d’un décret présidentiel l’expropriation de plus de 14 096 hectares de

terres appartenant à la communauté Lacandon pour les « destiner à la création d’une

nouvelle aire de protection des ressources naturelles » (Bellinghausen, 2007). Cette

expropriation a créé l’émoi chez certaines organisations autochtones, telles que la

COMPITCH, qui ont accusé de trahison la communauté Lacandon pour avoir contribué à

légaliser une expropriation en acceptant une compensation financière alors que les

Lacandons n’occupaient même pas ce territoire (idem).

Bref, tel que le spécifiait Villafuerte Solís (2003), le Chiapas est appelé à changer au cours

des prochaines années, puisqu’il bénéficie désormais d’une importance géopolitique, étant

situé au cœur d’une région supranationale en voie de développement. Pour l’instant, en

favorisant le développement économique et humain à l’échelle locale, les migrations sont

devenues un puissant agent pacificateur permettant de contenir les luttes sociales à l’échelle

régionale. Ainsi, au-delà du développement local, les migrations contribuent actuellement à

instaurer les conditions nécessaires à un développement économique à l’échelle régionale,

étatique et voire même nationale et supranationale. De quelle façon le gouvernement

mettra-t-il en œuvre ses plans de développement ? Comment la population réagira-t-elle ?

Voilà quelques questions qui nous rappellent que de plus amples études devront être

entreprises pour suivre et analyser l’évolution du Chiapas au cours des prochaines années.

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de l’Amérique centrale (CESMECA) à l’Université des Sciences et des Arts du Chiapas (UNICACH), San Cristóbal de las Casas, mai 2006.

Jorge Luis Cruz Burguete, chercheur au Collège de la Frontière Sud (ECOSUR), San Cristóbal de las Casas, mai 2006.

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Annexe 1 : Questionnaire utilisé sur le terrain Données générales58

Entrevue ________

Nom de la communauté : ______________

Depuis combien d’années vivez-vous dans cette communauté ? __________

1. Le profil du migrant

Avez-vous un membre de votre parenté qui travaille actuellement aux États-Unis ? Si oui,

combien ? Participe-t-il financièrement au budget de votre famille ?

_________________________________________________________________________

_________________________________________________________________________

_________________________________________________________________________

_________________________________________________________________________

Quel est le statut du migrant ? Quel âge a-t-il ?

Père _____________ Mère _____________

Fils _____________ Fille _____________

Autre :

_________________________________________________________________________

_________________________________________________________________________

Où travaille-t-il ? Dans quel État ? Quel est son emploi (ex : agriculture, manufacture,

restaurant, etc.) ?

_________________________________________________________________________

_________________________________________________________________________

58 Le questionnaire original était en espagnol. Le masculin et le singulier sont utilisés afin d’alléger le questionnaire.

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Pour quelles raisons le migrant est-il allé travailler aux États-Unis ? Avait-il des objectifs

précis ? Si oui, lesquels ?

_________________________________________________________________________

_________________________________________________________________________

_________________________________________________________________________

_________________________________________________________________________

2. L’importance du revenu migratoire

À quel intervalle recevez-vous de l’argent du migrant ?

_________________________________________________________________________

Est-ce que l’argent du migrant constitue une grande partie de votre budget familial ?

_________________________________________________________________________

________________________________________________________________________

Combien d’argent recevez-vous en moyenne par année ?

_________________________________________________________________________

3. La durée du séjour

Depuis combien d’années le migrant a-t-il quitté sa communauté ? _____________

Est-il déjà revenu dans sa communauté? Si oui, combien de fois ? ______________

Désire-t-il revenir s’établir définitivement dans sa communauté un jour ?

_________________________________________________________________________

_________________________________________________________________________

________________________________________________________________________

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À quel intervalle communiquez-vous avec le migrant ? Par quel moyen (lettre, téléphone,

etc.) ?

_____________________________________________________________________

4 . Les facteurs influençant les sommes monétaires disponibles

Combien d’enfants avez-vous ? Quel âge ont-ils ?

_________________________________________________________________________

_________________________________________________________________________

_________________________________________________________________________

________________________________________________________________________

Est-ce qu’il y a d’autres personnes qui habitent avec vous dans votre résidence ?

_________________________________________________________________________

_________________________________________________________________________

Quels ont été les besoins familiaux pour lesquels vous avez dû débourser des sommes

considérables depuis que vous recevez l’argent du migrant (ex : mariage, funérailles,

maladies, etc.) ?

_________________________________________________________________________

_________________________________________________________________________

_________________________________________________________________________

_________________________________________________________________________

5. L’amélioration de la qualité de vie

Avez-vous faits des investissements sur votre maison au cours des dernières années ? Si

oui, lesquels ?

_________________________________________________________________________

_________________________________________________________________________

_________________________________________________________________________

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Avez-vous fait des dépenses importantes au cours des dernières années ? Si oui, lesquelles

(voiture, télévision, etc.) ?

_________________________________________________________________________

_________________________________________________________________________

_________________________________________________________________________

Depuis les dix dernières années, considérez-vous que votre qualité de vie se soit améliorée

ou détériorée ? Pourquoi ?

_________________________________________________________________________

_________________________________________________________________________

_________________________________________________________________________

_________________________________________________________________________

6. Développement économique

Travaillez-vous dans le secteur agricole ? ____________

Si oui, est-ce que vous êtes :

Propriétaire de votre terre ______________

Travailler pour une terre communautaire (ex : ejidos) __________

Travailler pour un employeur privé _____________

Autres _________

Quels ont été les investissements que vous avez faits au cours des dernières années depuis

que vous recevez l’argent du migrant (ex : achat de matériel agricole, achat d’une terre,

etc.) ?

_________________________________________________________________________

_________________________________________________________________________

_________________________________________________________________________

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_________________________________________________________________________

_________________________________________________________________________

Quel est le matériel agricole que vous possédez ?

_________________________________________________________________________

_________________________________________________________________________

_________________________________________________________________________

Possédez-vous des bêtes d’élevage ? Lesquelles ? Le migrant a-t-il contribué à l’achat ?

_________________________________________________________________________

_________________________________________________________________________

_________________________________________________________________________

_________________________________________________________________________

_________________________________________________________________________

Avez-vous une entreprise ? Si oui, avez-vous investi dans votre entreprise au cours des

dernières années ? Quelle est la contribution du migrant ?

_________________________________________________________________________

_________________________________________________________________________

_________________________________________________________________________

_________________________________________________________________________

7. Les investissements dans la communauté

Quels ont été les derniers investissements faits dans cette communauté (ex : réparation de

route, terrain sportif, etc.) ?

_________________________________________________________________________

_________________________________________________________________________

_________________________________________________________________________

_________________________________________________________________________

_________________________________________________________________________

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Qui a fait ces investissements ? Le gouvernement ? Les ejidatarios ? Le migrant a-t-il

contribué ?

_________________________________________________________________________

_________________________________________________________________________

_________________________________________________________________________

_________________________________________________________________________

8. Développement du capital humain

Avez-vous accès à une clinique médicale dans votre communauté ? _________

Si non, comment avez-vous accès à des soins médicaux ?

_________________________________________________________________________

_________________________________________________________________________

Combien de vos enfants vont à l’école ou ont terminé leurs études ?

Primaire ________

Secondaire _______

Universitaire _________

Autres :

_________________________________________________________________________

_________________________________________________________________________

Combien d’argent investissez-vous en éducation par année ? _______________________

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Annexe 2 : Occupation de la population active de la municipalité de Maravilla Tenejapa par secteur

d’activités (2000)

Activité économique Population de 12 ans et plus Pourcentage

Total 3391 100

Agriculture, élevage, sylviculture

et pêche

2711 79,96

Mines 39 1,15

Industrie manufacturière 57 1,68

Électricité et eau 2 0,06

Construction 39 1,15

Commerce 18 0,53

Transports et communications 7 0,21

Administration publique et

défense

30 0,88

Services sociaux et

communautaires

40 1,18

Restaurants et hôtels 69 2,03

Services personnels et entretien 287 8,46

Non spécifié 92 2,71

Source : COESPO (2002)

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Annexe 3 : Répartition de la population active de 12 ans et plus selon le salaire

Chiapas Maravilla Tenejapa

Population

active

Pourcentage Population

active

Pourcentage

Total 1 206 621 100 3391 100

Moins de 1 salaire

minimum ou sans

salaire

670 550 55,57 3087 91,03

1 à 2 salaires

minimum

245 187 20,32 144 4,25

2 à 3 salaires

minimum

79 434 6,58 32 0,94

3 à 5 salaires

minimum

85 523 7,09 41 1,21

5 à 10 salaires

minimum

50 262 4,17 4 0,12

Plus de 10 salaires

minimum

16 653 1,38 3 0,09

Non spécifié 59 012 4,89 80 2,36

Source : COESPO (2002)

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