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NOVEMBRE 2016 LE PRODUCTEUR DE LAIT QUÉBÉCOIS 10 Imaginons qu’un producteur a implanté l’an dernier une prairie com- posée de luzerne et d’une graminée. Nous sommes au printemps de la première année de production, au moment où la végétation redémarre. Dans la prairie la luzerne prédomine, et le producteur souhaite la conserver le plus longtemps possible. À ses yeux, aucune autre espèce fourragère ne lui arrive à la cheville pour ce qui est de la teneur protéique et du rendement à l’hectare. « Et puis, ça coûte cher d’établir une prairie », vous dirait-il. Or il a entendu dire que certains fertilisent leurs prairies de luzerne avec de l’azote minéral. Il se demande alors si c’est une bonne idée. S’il pose la question à ses conseil- lers, il risque de découvrir que la réponse varie d’un à l’autre. Des spé- cialistes prônent un apport d’azote minéral au printemps dans certaines conditions particulières. D’autres sug- gèrent une application systématique au printemps de même qu’entre les coupes. Notre producteur devra donc trancher lui-même à partir des argu- ments qu’on lui présentera. Par ANDRÉ PIETTE, journaliste La recherche donne une réponse claire. Mais les opinions divergent sur le terrain. L’azote minéral dans une luzernière, est-ce payant? CULTURE Une circulation excessive de machinerie peut entraîner des dommages considérables (Source : B. Fradin).

L’azote minéral dans une luzernière, est-ce payant?lait.org/fichiers/Revue/PLQ-2016-11/culture.pdfIl se demande alors si c’est une bonne idée. S’il pose la question à ses

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Imaginons qu’un producteur aimplanté l’an dernier une prairie com-posée de luzerne et d’une graminée.Nous sommes au printemps de lapremière année de production, aumoment où la végétation redémarre.Dans la prairie la luzerne prédomine,et le producteur souhaite la conserverle plus longtemps possible. À ses yeux,

aucune autre espèce fourragère ne luiarrive à la cheville pour ce qui est dela teneur protéique et du rendementà l’hectare. « Et puis, ça coûte cherd’établir une prairie», vous dirait-il. Oril a entendu dire que certains fertilisentleurs prairies de luzerne avec de l’azoteminéral. Il se demande alors si c’estune bonne idée.

S’il pose la question à ses conseil-lers, il risque de découvrir que laréponse varie d’un à l’autre. Des spé-cialistes prônent un apport d’azoteminéral au printemps dans certainesconditions particulières. D’autres sug-gèrent une application systématiqueau printemps de même qu’entre lescoupes. Notre producteur devra donctrancher lui-même à partir des argu-ments qu’on lui présentera.

Par ANDRÉ PIETTE, journaliste

La recherche donne une réponse claire. Mais les opinions

divergent sur le terrain.

L’azote minéraldans uneluzernière,est-ce payant?

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Une circulation excessivede machinerie peutentraîner des dommagesconsidérables(Source : B. Fradin).

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AU PRINTEMPSSur la pertinence d’appliquer de

l’azote minéral au printemps, les spé-cialistes que nous avons consultéss’entendent. Cet azote peut aider laluzernière à redémarrer. Toutefois,certains conseillent de le faire chaqueprintemps, alors que d’autres, commel’agronome Louis Robert, conseiller auMAPAQ, Montérégie-Est, le recom-mandent seulement lors d’un prin-temps froid. «La bactérie rhizobium,qui est responsable de la fixation del’azote atmosphérique, est peu oupas active lorsque le sol est froid »(L. Robert).

Selon la UC Cooperative Extension(Université de Californie), il ne peut yavoir de fixation symbiotique quandla température du sol est inférieureà 40 degrés Farenheit (alors que lafixation devient maximale entre 68 et78 degrés).

La dose recommandée varie selon laproportion de luzerne dans le couvertvégétal. On retiendra toutefois qu’elleest relativement faible, de l’ordre de15 à 30 kg/ha. Le conseiller du MAPAQmet les producteurs en garde contreune application plus considérable.«Une dose plus élevée risque d’inhiberl’activité nodulaire, explique-t-il. Deplus, elle pourrait favoriser la graminéequi, en retour, fera une compétitionplus forte à la luzerne.»

La forme d’azote a son importanceégalement. Denis Lévesque, expert ensols et fertilisants chez Synagri, sou-ligne qu’il faut utiliser du nitrate et nonde l’urée. «Le nitrate travaille en solfroid alors que ce n’est pas le cas pourl’urée, dit-il. De plus, l’urée entraîne

Rendement,qualité,persistance :chaqueproducteurse doit dedéfinir le pointd’équilibreentre ces troiscritères deperformance.

L’apport d’azoteminéral entre

les coupes, c’estsimplement un coupde fouet.

- Benoit Fradin, William-Houde

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déconseille d’appliquer de l’azoteentre les coupes. Il explique : «À maconnaissance, toutes les recherchesréalisées ici comme ailleurs concluentque la luzerne n’a pas besoin d’êtrefertilisée en azote. » Gilles Bélangerse réfère aussi aux guides de fertili-sation de l’Ontario, du Manitoba, duWisconsin, de l’Arizona, de l’Utah etde la Californie. « Tous ces guides,affirme-t-il, ne recommandent pas defertilisation azotée pour la luzerne saufdans certaines situations spécifiques.Et les recommandations au Québecsont similaires.»

pas de nourrir la plante. C’est simple-ment de l’aider à redémarrer. Commeil reste peu de feuillage, la photosyn-thèse fonctionne au ralenti et le plantn’est pas en mesure de synthétiserles sucres dont Rhyzobium a besoinpour fixer l’azote. » Benoit Fradin,responsable des plantes fourragères etcéréales chez William-Houde, partagece point de vue tout en s’alignant surles 30 kilos : «C’est simplement uncoup de fouet, un levier pour allerchercher un peu plus de rendement. »

Le chercheurGillesBélanger, d’Agri-culture et Agroalimentaire Canada,

une perte d’azote importante par vola-tilisation dans l’environnement.»

On peut se demander aussi si unapport d’azote minéral au printempsreste pertinent lorsqu’il y a eu épan-dage de fumier à la fin de l’été pré-cédent. Denis Lévesque croit qu’il nefaut pas tenir compte de cet épan-dage. Il conclut : «Avec une applicationd’automne d’après les dates prescritesselon la règlementation, une bonnepartie de l’azote minéral sera prélevéepar la prairie pour son regain automnal.On ne peut donc présumer qu’il enrestera assez au printemps pour aiderla luzerne à reprendre sa croissance.Quant à l’azote organique, il ne seradisponible que plus tard au printemps,lorsque le sol sera assez réchauffé.»De son côté, Louis Robert en arrive àla conclusion contraire : « Il en resteralargement assez, dit-il, pour couvrir lesbesoins de la luzerne.»

ENTRE LES COUPESLes divergences de vues entre les

spécialistes deviennent plus impor-tantes en ce qui a trait au bien-fondéd’un apport d’azote minéral entre lescoupes. «Si la luzerne prédomine, quele sol est en santé et que le producteurpeut atteindre un rendement élevéde l’ordre de 10 ou 12 tonnes à l’hec-tare – le double du rendement moyenquébécois –, un apport de 20 unitésaprès chaque coupe sera bénéfique,déclare Denis Lévesque. Le but n’est

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« Si la luzerneprédomine, que lesol est en santé etque le producteurpeut atteindre unrendement élevéde l’ordre de 10 ou12 tonnes àl’hectare, unapport de 20unités aprèschaque coupesera bénéfique »(Denis Lévesque,Synagri).

«On n’observe étrangement aucun nodule sur cette racine. La régie appliquée à ce champ devraitfournir une explication » (Louis Robert, MAPAQ).

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Le chercheur spécialisé dans lesplantes fourragères ajoute : «À la suited’une coupe, l’azote et l’énergie néces-saires pour la formation de nouvellesfeuilles proviennent de réserves carbo-nées (les sucres) et azotées localiséesdans le pivot et la couronne de laluzerne. La diminution de la fixationd’azote après une coupe ne devraitdonc pas affecter le regain sous desconditions normales d’exploitationavec un intervalle suffisant entre lescoupes pour assurer une bonne accu-mulation de ces réserves.»

Au contraire, Abderrezak Khedim,de William-Houde, croit qu’on s’éloigneainsi des conditions normales d’exploi-tation. «En régie intensive, explique-t-il, la luzerne est fauchée fin bouton,ce qui ne permet pas d’assurer l’accu-mulation complète des réserves etrequière selon nous un apport azotécomplémentaire.»

Considérant tout comme GillesBélanger l’apport d’azote entre lescoupes inutile, Louis Robert prévient

qu’il est même potentiellement dom-mageable. « Une application d’azoteva stimuler la graminée et celle-ci feradavantage concurrence à la luzerne,fait-il remarquer. La persistance de laluzerne pourrait donc être menacée.»

UN SOL EN SANTÉMalgré tout, il y a un point sur

lequel tous s’entendent. Un rende-ment élevé n’est possible que si lesol se trouve en santé. La «maladie»la plus souvent diagnostiquée est lacompaction.

«Ça ne donnerait rien d’appliquerde l’azote dans un sol compacté,déclare Denis Lévesque. L’azote estutile s’il y a un potentiel réel de rende-ment élevé. On ne met pas de l’azotepour aller chercher plus de rendement;on le met pour atteindre le rendementpotentiel. »

«L’élément qui fait le plus souventdéfaut dans le sol, constate LouisRobert, c’est l’oxygène. Une étuderéalisée en Montérégie montre que,

toutes cultures confondues, la macro-porosité n’y est en moyenne que de8 à 10 % alors qu’elle devrait atteindre20 à 25 %.» Une faible macroporositépénalise non seulement l’apport d’oxy-gène, mais aussi l’infiltration d’eau. Deplus, elle nuit au développement dusystème racinaire.

Benoit Fradin, de chez William-Houde, rappelle que les prairiessubissent une circulation intense. «Àchaque coupe, indique-t-il, on roulesur environ 70 % de toute la surfaced’une prairie.» C’est sans parler desépandages de fumier et plus particu-lièrement de lisier. « Non seulementles épandages causent de la com-paction, mais ils brisent la couronnedes plants », prévient le spécialistefourrager.

Bref, la question que devrait seposer en priorité un producteur dési-reux de hausser la productivité de sesprairies est : Dans quel état se trouvemon sol? ■

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