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Monsieur Jean-François LASSALMONIE L'abbé Le Grand et le compte du trésorier des guerres pour 1464 : les compagnies d'ordonnance à la veille du bien public In: Journal des savants. 2001, N° pp. 43-92. Citer ce document / Cite this document : LASSALMONIE Jean-François. L'abbé Le Grand et le compte du trésorier des guerres pour 1464 : les compagnies d'ordonnance à la veille du bien public. In: Journal des savants. 2001, N° pp. 43-92. doi : 10.3406/jds.2001.1641 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/jds_0021-8103_2001_num_1_1_1641

L'abbé Le Grand et le compte du trésorier des guerres pour 1464 : les compagnies d'ordonnance à la veille du bien public

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Monsieur Jean-FrançoisLASSALMONIE

L'abbé Le Grand et le compte du trésorier des guerres pour1464 : les compagnies d'ordonnance à la veille du bien publicIn: Journal des savants. 2001, N° pp. 43-92.

Citer ce document / Cite this document :

LASSALMONIE Jean-François. L'abbé Le Grand et le compte du trésorier des guerres pour 1464 : les compagniesd'ordonnance à la veille du bien public. In: Journal des savants. 2001, N° pp. 43-92.

doi : 10.3406/jds.2001.1641

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/jds_0021-8103_2001_num_1_1_1641

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L'ABBE LE GRAND ET LE COMPTE DU TRÉSORIER DES GUERRES POUR 1464 :

LES COMPAGNIES D'ORDONNANCE À LA VEILLE DU BIEN PUBLIC

L'oratorien Joachim Le Grand (1653- 1733) est bien connu des historiens de Louis XI et de son règne pour l'imposante collection de copies de documents d'époque qu'il réunit au début du XVIIIe siècle pour préparer une monumentale Histoire et vie de Louis XI, roi de France, avec les preuves. En 1726 la rédaction en était terminée et l'abbé Le Grand en envisageait la publication mais, perfectionniste ou découragé, il y renonça en 1728 et ce travail de plus de vingt ans demeura inédit '. Après sa mort ce fonds de plusieurs milliers de feuillets fut acquis en 1741 par la Bibliothèque du Roi au prix de 15 000 livres tournois et relié en trente et un volumes, dont trois d'Histoire et vingt-huit de Preuves ; d'abord inventoriés sous les cotes 2 875 1_31 du Supplément français, ceux-ci forment aujourd'hui les manuscrits 6 960 à 6 990 du Fonds français de la Bibliothèque nationale z. Depuis que les papiers Le Grand sont devenus accessibles au public savant, les historiens du règne de Louis XI ont largement recouru à l'ample et commode recueil des Preuves, à commencer par l'académicien Charles Pinot dit Duclos, simple littérateur 3, et l'abbé Nicolas Lenglet du Fresnoy, érudit consciencieux 4. Certes, depuis le xixe siècle la confrontation de ces copies aux originaux conservés a montré qu'elles étaient bien en dessous

1. Nouvelle biographie générale, t. XXX, Paris, Firmin Didot, 1859, col. 423-425. Nous nous rallions à la forme « Le Grand », attestée par le catalogue du Fonds français de la Bibliothèque nationale d'après les manuscrits.

2. L. Delisle, Le Cabinet des Manuscrits de la Bibliothèque imperiale, Paris, Imprimerie impériale, t. I, 1868, p. 417, et catalogue du Fonds français de la Bibliothèque nationale.

3. Histoire de Louis XI, La Haye, 1745, 4 vol. dont un de Preuves. 4. Nouv elle version de l'édition Godefroy des Mémoires de Philippe de Commyxes augmentée

de nombreuses Preuves, Londres et Paris, 1747, 4 vol.

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des nouvelles exigences de l'édition scientifique, mais elles n'en restent pas moins précieuses lorsque les pièces authentiques sont perdues.

Tel est le cas des notes consignées dans les folios 239 recto à 241 recto du manuscrit français 6 971, en principe consacré aux Preuves de l'année 1464 mais qui couvre une période plus large. Un érudit amateur du siècle dernier, le comte Albert de Reilhac, les a éditées parmi les actes rédigés par son ancêtre, le notaire et secrétaire du roi Jean de Reilhac 5, parce qu'il les liait à tort ou à raison à un règlement sur le paiement et la police des gens d'armes de l'ordonnance en date du 6 juin 1464, revêtu du seing de son aïeul et recopié à la suite dans les folios 241 verso à 243 verso. Le comte de Reilhac a en fait publié ce second document d'après un exemplaire du xve siècle conservé dans un registre de la Chambre des Comptes du Dauphiné, qui lui avait permis de constater que la copie de Le Grand était « imparfaite » 6. Pour autant, son propre travail n'est pas exempt de reproches et son édition des notes qui précèdent s'avère fautive ; il les a notamment pourvues d'un titre d'apparence faussement originale, « Ordonnancement de l'état des troupes à la solde du roi pour l'année commencée du Ier janvier dernier et finissant au 31 décembre 1464 », alors que le titre véritable de Le Grand en révèle la nature : « Compte 25 de feu maistre Antoine Raguier, en son vivant conseiller et trésorier des guerres du roy nostre sire durant un an entier commençant le premier jour de janvier 146V4 et finissant le dernier de décembre 1464 l'an révolu ».

Il ne s'agit donc pas d'un état des troupes dressé en 1464, mais de notes prises par l'abbé Le Grand sur le compte du trésorier des guerres pour cette année, établi non seulement après la mort d'Antoine Raguier, survenue sans doute en mars 1469 7, mais après la date la plus tardive que Le Grand y ait relevée, le 5 novembre 147 1 8. C'est là une belle illustration des longs délais qui

5. Jean de Reilhac, secrétaire, maître des Comptes, général des finances et ambassadeur des rois Charles VII, Louis XI et Charles VIII. Documents pour servir à l'histoire de ces règnes de 1453 à 149g, Paris, Champion, t. I, 1886, p. 158-164.

6. Ibid., p. 164-168, d'après A.D. Isère, B 2 904 f" 119 sqq. selon l'éditeur ; une copie de ce règlement figure en tout cas aux f 213 r"-2i6 r" (E. Pilot de Thorey, Catalogue des actes du dauphin Louis II, dez'enu le roi de France Louis XI, relatifs à l 'administration du Dauphiné, Grenoble, Maisonville, 1899, t. II, n" 1 395, p. 63-64 [analyse incomplète] ; Ph. Contamine, Guerre, Etat et société à la fin du Moyen Age. Etudes sur les armées des rois de France, ijjj-r4Ç4, Pans-La Haye, Mouton, coll. « Civilisations et sociétés », 1972, p. 496).

7. C'est alors que le nouveau trésorier des guerres Noël le Barge, jusqu'alors receveur général des finances de Normandie, quitta ces dernières fonctions (A. Spontt, Appendice III aux Documents relatifs à l 'administration financière en France de Charles VII à François Ier ( 144 7-1523) , éd. G. Jacqueton, Paris, Picard, 1891, p. 294).

8. B.N., ms. fr. 6 971 f° 241 r" ; Annexe, n" 22.

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pouvaient séparer un exercice financier de son examen par la Chambre des Comptes de Paris : le comptable n'avait toujours pas répondu de sa gestion au bout de cinq ans et c'est sa disparition, en obligeant à solder ses comptes, qui mit un terme à l'accumulation des retards après quelques années encore 9. L'abbé Le Grand avait semblablement pris des notes sur le 27e compte d'Antoine Raguier, relatif à l'année 1466 IO, et ne paraît pas avoir en consulté d'autres. Or, ce sont également les seuls comptes de Raguier que signale pour le règne de Louis XI une minute d'inventaire des archives de la Chambre des Comptes conservée aux folios 34 à 41 du registre PP 99 des Archives nationales, jadis utilisée par Léon Mirot dans son grand article sur les trésoriers des guerres et par lui datée du xvme siècle sans plus de précision ' ' . La coïncidence suggère que cette minute décrit l'état des fonds tels que Le Grand les avait visités, et qu'elle est antérieure au fatidique incendie du 27 octobre 1737 ; son caractère déjà lacunaire ne serait donc pas imputable au sinistre. Quant aux deux comptes de Raguier, ils ont aujourd'hui disparu, victimes de l'incendie même, des destructions révolutionnaires 1Z ou de toute autre cause. Plus généralement, nous n'avons conservé aucun compte des trésoriers des guerres de Louis XI : les notes de l'abbé Le Grand revêtent de la sorte un indéniable intérêt pour la connaissance de l'armée royale sous son règne I3.

Depuis les grandes réformes opérées par Charles VII au milieu du siècle, les forces du roi de France reposaient principalement sur deux corps permanents. L'un était la cavalerie, divisée en compagnies dites « de l'ordonnance » car organisées conformément aux ordonnances royales, et composées en prin-

9. Le soin en revint à Jean Raguier, fils du défunt (Lettres de Louis XI, roi de France, éd. Joseph Vaesen et Etienne Charavay, Société de l'Histoire de France, Paris, Renouard, t. IV, 1890, note 1 p. 244-245) ; il y a peu d'apparence que Jean de Reilhac se soit chargé de la rédaction des comptes, contrairement à ce que le comte de Reilhac semble avoir cru.

io. B.N., ms. fr. 6 971 f 243 r"-245 r". 11. « Dom Bévy et les comptes des trésoriers des guerres. Essai de restitution d'un fonds

disparu de la Chambre des Comptes », Bibliothèque de l'Ecole des Chartes 86, 1925, p. 245-379. 12. Ibid., p. 245-246 ; M. NoRTlER, « Le sort des archives dispersées de la Chambre des

Comptes de Paris », Bibliothèque de l'Ecole des Chartes 123, 1965, p. 461, 471-473. 13. Dans son catalogue des comptes des trésoriers des guerres conservés soit en original, soit

en extraits, Léon Mirot signale seulement des extraits du 21e compte d'Antoine Raguier pour 1461 , copiés par Charles de Sainte-Marthe au xvne siècle (B.N., ms. fr. 20 692 p. 188-193 : art. cit., Appendice I,n" lxxxiv, p. 352) ; il ne relève pas les deux pièces de l'abbé Le Grand, qui ne sont que des notes de lecture et non des copies mêmes partielles. Celles-ci n'ont en revanche pas échappé à Philippe Contamine, qui les a utilisées dans sa thèse (op. cit., p. 284) ; leur examen conjoint permettrait sans doute une intéressante étude comparée de l'état des compagnies d'ordonnance avant et après la guerre du Bien public, mais nous nous sommes borné à la première d'entre elles car une telle entreprise aurait par trop excédé les limites imparties au présent travail.

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cipe de cent formations de base, les « lances » dites « fournies », c'est-à-dire fortes d'un effectif réglementaire de six cavaliers dont un homme d'armes, chef d'unité recruté dans la petite noblesse, un page et un coutillier à son service, deux archers et leur valet commun. L'autre était le personnel de garnison, qui assurait la garde des forteresses royales sur les côtes et les frontières. Constitué de vétérans démontés de la cavalerie, il offrait à ceux-ci une forme de retraite du service actif rémunérée aux deux tiers de leur ancienne solde, ce qui leur valait le nom de gens d'armes ou archers « à la petite paye » ou « de la petite ordonnance », par opposition à la cavalerie dite alors « à la grande paye » ou « de la grande ordonnance » ; finalement le qualificatif plus bref et plus brutal de « mortes-payes » prévalut pour ces hommes réduits au service sédentaire I4. L'un et l'autre corps étaient payés par trimestre ou « quartier » d'année, après une revue ou « montre » dans laquelle leur présence était constatée et leur équipement inspecté par un commissaire du roi.

Le compte du trésorier des guerres, dont les clercs acquittaient la solde, énumérait donc les montres passées pour le paiement de chaque quartier tant de la petite que de la grande ordonnance, ainsi qu'en témoigne une note de l'abbé Le Grand sur le montant de la solde en 1464 : « les hommes d'armes a la grand paye ont chacun quinze livres par mois <Sf chaque archer y livres dix sous, & ceux qui sont a la petite paye n 'ont que dix livres & chaque archer ou arbalestrier cinq livres par mois » I5. Ce tarif est conforme à ce que nous savons par ailleurs : chaque homme d'armes devait entretenir ses deux aides et les archers leur valet sur leur propre solde, tandis que chaque capitaine percevait pour son « état » une somme proportionnelle à l'effectif de sa compagnie à raison d'une livre tournois par lance et par mois, en sorte que le trésorier des guerres devait débourser pour chaque lance de la grande ordonnance un total de 31 l.t. par mois, soit 372 l.t. par an l6.

En revanche ses comptes ne faisaient pas état des renforts temporaires : ainsi celui de 1464 ignore-t-il les cinquante hommes d'armes et les cent hommes de pied recrutés à l'automne précédent en Dauphiné, Valentinois et Diois pour les besoins de l'armée qui s'efforçait de rétablir la domination

14. Ph. Contamine, op. cit., p. 278-279, 290, 292. 15. B.N., ms. fr. 6 971 P 239 r". 16. Ph. Contamine, op. cit., p. 508 et Annexe VI, p. 634 (avec une coquille pour les gens

d'armes de la petite ordonnance : 10 s.t. au lieu de 10 l.t.) ; B.N., ms. fr. 21 427 n" 38 (document de I45I)-

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française sur Gênes sous les ordres du comte de Dunois I7. Ni la durée de leur service, limitée à la campagne en cours, ni leur composition mixte de cavaliers sans formation en lances et de fantassins, ni le rythme mensuel de leur paiement, ni le montant de leur solde, 10 l.t. pour les premiers et 5 l.t. pour les seconds ne les assimilaient aux forces régulières. Selon une distinction qui apparaît formellement au cours du règne de Louis XI l8, cette troupe supplétive dont la levée ponctuelle occasionnait des frais exceptionnels relevait de l'Extraordinaire des guerres, de même que l'infanterie de réserve des francs- archers aussi créée par Charles VII ou que le ban et l'arrière-ban de l'ost féodal traditionnel, et non de l'Ordinaire des guerres, consacré aux dépenses militaires normales et dont le trésorier des guerres était comptable. Delphinale au demeurant et non royale, elle fut payée par le trésorier général du Dauphiné l<>.

Le trésorier des guerres ne s'occupait d'ailleurs pas davantage d'autres forces royales régulières mais étrangères à la grande et à la petite ordonnance, telles que les compagnies de la garde du roi, les bandes de l'artillerie ou les quelques nefs de la marine, qui jouissaient de l'autonomie de gestion sous des comptables spéciaux 2°. Ses comptes n'offraient donc pas un tableau complet de l'armée royale, mais des forces terrestres permanentes qui en constituaient le noyau. Toutefois, seules les informations que l'abbé Le Grand y a trouvées sur les montres des compagnies d'ordonnance ont retenu son attention, en raison sans doute de la notabilité de la plupart de leurs capitaines ; aucun des certificats établis lors de ces montres ne nous étant parvenu pour 1464 en original ou en copie même partielle, pour autant que nous ayons pu le vérifier dans les recueils conservés 2I, les notes de Le Grand s'avèrent encore une fois un témoignage irremplaçable.

Enfin, il n'est pas impossible que ces comptes, qui mentionnaient au moins la teneur des décisions particulières prises par le roi au sujet des montres

17. J. Vaesen, « Catalogue du fonds Bourré à la Bibliothèque nationale », Bibliothèque de l'Ecole des Chartes 44, 1883, note 3 p. S3-

18. Ph. Contamine, op. cit., p. 277. 19. B.N., ms. fr. 21 497 n" 162 (rôle de montre original des 27 et 28 septembre 1463). 20. Sur les comptes de l'artillerie et de la marine encore conservés à la Chambre des Comptes

au xviiic siècle, cf. L. Mirot, art. cit., Appendice II, p. 360-364. 21. Parmi les recueils de rôles de montres du début du règne conservés à la Bibliothèque

nationale, ni les mss. fr. 20 587 et 21 497 (vol. 2 7702 et 782^ de la collection Gaignières, constitués de pièces originales), ni la nouv. acq. fr. 8 607 (volume du Cabinet des Titres mêlant pièces originales et copies d'originaux du ms. fr. 21 497) ne recèlent de pièces relatives à la grande ordonnance en 1464 ; nous n'av ons en revanche pu consulter un quatrième recueil, le ms. fr. 25 779 (autre volume du Cabinet des Titres), en trop mauvais état pour être communiqué et non microfilmé.

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comme l'atteste notre source pour 1464, aient a fortiori reproduit le texte de ses ordonnances lorsqu'elles réglementaient l'activité du trésorier des guerres et de ses services : dans cette hypothèse ce serait bien sur le compte de la même année que l'abbé Le Grand aurait recopié le règlement militaire déjà cité zz. Celui-ci, édicté le 6 juin par Louis XI à Lihons-en-Santerre, s'inscrit dans la lutte incessante des rois de France de la seconde moitié du xve siècle contre les exactions et les fraudes à la solde perpétrées par les gens de guerre aux dépens de la population ou du souverain, mais aussi par les capitaines ou les services financiers au détriment de la troupe, et qui ne cessèrent d'affecter l'imposante institution militaire mise sur pied par Charles VIL L'ordonnance de 1464 cherchait pour sa part à y porter remède en instituant un commissaire aux montres pour 200 lances, qui résiderait en permanence avec elles et coordonnerait une véritable équipe de contrôle composée d'un lieutenant du prévôt des maréchaux de France en charge de la justice militaire (de concert avec les baillis et les sénéchaux dans le Domaine royal), d'un clerc du trésorier des guerres et d'un notaire aux gages du roi. Le maintien de la discipline reposant dès lors sur l'intégrité de ces agents, eux-mêmes seraient punis de mort en cas d'abus comme « fraudateur[s] de la deffense de la chose publique et crimineux de crime de leze majesté ». Sans être tout à fait inefficace sans doute, ce règlement ne permit pas plus que les autres d'éradiquer des pratiques trop bien ancrées dans les murs militaires, et que les retards chroniques de la solde ne pouvaient qu'entretenir.

Cette ordonnance mise à part, les notes proprement dites de l'abbé Le Grand sur le compte de 1464 commencent par la remarque déjà citée sur la solde de la grande et de la petite ordonnance, puis énumèrent les renseignements relevés sur les compagnies de cavalerie, réparties entre un groupe principal et un groupe dit des * aultres lances es pays de Normandie ». Pour chaque groupe Le Grand, après avoir dressé la liste récapitulative des capitaines et de leurs lances, donne sur chaque compagnie une notice qui reprend méthodiquement les indications du trésorier des guerres sur l'identité, la qualité et la date de nomination du capitaine, le nombre de lances, le lieu et la date des montres pour chacun des quartiers de solde et les particularités éventuellement relevées. Ainsi disposons-nous d'une série d'informations sur le commandement, les effectifs, la régularité du paiement, la répartition géo-

22. Le fait même que l'abbé Le Grand l'ait transcrit entre ses notes sur les comptes de 1464 et 1466, donc tandis qu'il dépouillait les comptes subsistants du trésorier des guerres à la Chambre des Comptes, milite en faveur de cette hypothèse ; en ce sens le comte de Reilhac aurait eu raison malgré tout de voir un lien entre les deux documents.

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graphique et le mouvement des compagnies d'ordonnance au cours de l'année 1464. Cette série est à vrai dire incomplète, soit que des justificatifs aient été égarés avant la tardive rédaction du compte, soit que Le Grand ait trouvé le document en mauvais état au début du xvine siècle, soit qu'il n'ait pu en déchiffrer certains passages ou les ait simplement omis. Ce nonobstant, les lacunes ne sont pas si nombreuses que ses notes ne puissent nous fournir une vue d'ensemble de la grande ordonnance dans l'année qui précède la guerre civile du Bien public : nous en avons réuni les données, classées par compagnies et par rubriques, dans Y Annexe à laquelle nous renvoyons le lecteur pour de plus amples détails.

En 1464 la grande ordonnance portait la marque de la réorganisation opérée par Louis XI à son avènement trois ans plus tôt, lorsqu'il avait regroupé les 1 729 lances héritées de Charles VII en vingt-trois compagnies au lieu de trente-quatre précédemment, en sorte que le nombre de compagnies atteignant l'effectif canonique de cent lances avait été porté de huit à douze Z3. Une vingt-quatrième unité fut créée le 22 mai 1464 sans recrutement de nouvelles lances, par démembrement d'une autre compagnie 24. De fait, le développement de l'armée royale n'était pas encore à l'ordre du jour, bien au contraire. Il est nécessaire de lire en entier les notes de l'abbé Le Grand pour établir le nombre total des lances cette année-là, ses tableaux récapitulatifs en apparence si pratiques étant faussés par deux erreurs que les notices détaillées des compagnies permettent de corriger 25. L'effectif de la grande ordonnance s'élevait alors à 1 676 lances : il enregistrait un recul de 3 % depuis le début du règne, ce qui équivalait tout de même à la moitié d'une compagnie complète. L'ordre de grandeur restait stable néanmoins autour du chiffre considéré comme normal de 1 700 lances, expressément cité par le règlement du 6 juin 2(\ Les forces de cavalerie se répartissaient entre seize compagnies groupant 1 076 lances pour le groupe principal et sept, puis huit compagnies fortes de 600 lances pour le groupe dit « de Normandie ». Le calcul d'un effectif moyen serait toutefois

23. Ph. Contamine, op. cit., p. 283. 24. B.N., ms. fr. 6 971 P 240 v" ; Annexe, n" 17-18. 25. Les compagnies de Tristan l'Hermiteet Geoffroide Saint-Belin ne comptent pas 100 et 96

lances (B.N., ms. fr. 6 971 P 239 r"), mais 10 (P 239 v") et 86 lances (P 240 r" : 9 corrigé en <S') respectivement.

26. Jean de Reilhac, t. I, p. 164 (article 1).

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trompeur, car la répartition des compagnies selon leur nombre de lances était très inégale (tableau i).

Tableau i. Effectifs des compagnies d'ordonnance en 1464

Effectif de la compagnie Groupe principal Groupe « de Normandie » Ensemble 100 lances 7 5 puis 4 12 puis 1 1 91 lances 0 0 puis I 0 puis 1 86 lances 1 0 1

Sous-total 86 à 100 lances 8 5 13 70 lances 1 1 2 50 lances 3 0 3

Sous-total 50 à 70 lances 4 1 5 30 lances 1 1 2 20 lances 1 0 1 10 lances 2 0 2 9 lances 0 0 puis I 0 puis I

Sous-total 9 à 30 lances 4 I puis 2 5 puis 6 Total général 16 7 puis 8 23 puis 24

Trois catégories de compagnies peuvent être distinguées selon leur importance numérique. Les unités de cent lances étaient les plus nombreuses depuis le remaniement de 146 1. Elles représentaient près de la moitié des compagnies du groupe principal et la majorité, puis la moitié encore de celles du groupe « de Normandie » après la création d'une nouvelle unité ; au total plus d'une compagnie sur deux, puis près d'une sur deux encore possédait le nombre de lances fixé en principe par l'ordonnance de 1445. Avec les unités proches de la norme, présentant un sous-effectif inférieur à 15 %, elles formaient une catégorie majoritaire de compagnies bien fournies ; les désertions qui, nous le verrons, affectèrent certaines d'entre elles ne suffirent d'ailleurs pas à les déclasser. Le reste des unités se partageait à peu près également entre la catégorie des compagnies de taille moyenne, fortes encore de 50 à 70 % de l'effectif complet théorique, et celle des petites compagnies qui n'en réunissaient que le tiers au mieux, le dixième au pis.

Des unités miniatures de neuf ou dix lances ne pouvaient évidemment remplir les missions d'une compagnie d'ordonnance : elles apparaissent comme une dérive de l'institution, que les mesures prises par Louis XI à son avènement avaient limitée à deux cas particuliers. Les dix lances du prévôt des maréchaux Tristan l'Hermite lui procuraient une escorte et un moyen d'action immédiat dans l'exercice de ses fonctions de chef de la justice militaire ; celles

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du comte du Maine permettaient au roi de pourvoir un prince plus ou moins bien rallié, en même temps que d'une escorte plus flatteuse qu'utilitaire cette fois, d'un commandement de l'ordonnance, poste prestigieux et recherché, sans pour autant lui confier une véritable force militaire. Ces compagnies échappaient d'ailleurs à la règle commune. L'une et l'autre étaient dispensées de montres, la solde étant versée sans contrôle sur simple quittance du capitaine ; ce privilège lucratif devait toutefois faire l'objet d'un renouvellement annuel, car les lettres de dispense des deux capitaines sont respectivement datées des 25 avril et 8 mars 1464. En outre les lances du comte du Maine n'avaient pas d'hommes d'armes, mais se composaient de trois archers rétribués 10 l.t. par mois, un tiers de plus que la normale, en sorte que ces lances spéciales avaient le même coût pour le budget royal qu'une lance ordinaire 27. Le même calcul politique a vraisemblablement présidé à la création en 1464 d'une compagnie de neuf lances en faveur d'Artus de Longueval, bailli d'Amiens maintenu dans ses fonctions par Louis XI après le rachat de la Picardie un an plus tôt 28 : une telle faveur visait sans doute à conforter le loyalisme de fraîche date de cet ancien serviteur du duc de Bourgogne. La nouvelle unité, détachée comme on l'a dit d'une compagnie réglementaire, ne paraît pas avoir dérogé pour sa part au droit commun.

*

Vingt-six capitaines en tout, compte tenu de deux remplacements en cours d'année, composèrent le commandement de la grande ordonnance en 1464. Avant d'aller plus loin, il nous faut affronter deux problèmes posés à ce sujet par les notes de l'abbé Le Grand. Le premier concerne la nomination du comte de Candale au lieu de Guillaume Chenu. A lire Le Grand ce changement a pris effet entre la montre du premier quartier, passée le 8 février à Asti en Piémont, et celle du deuxième quartier, passée après le 6 juin en Roussillon et Cerdagne, mais les lettres de retenue du nouveau capitaine sont datées de Rouen, le 13 août 1462, et celles de son prédécesseur d'Amboise, le Ier novembre 1462 pour compliquer le tout 2C;. Il y a donc erreur de date comme souvent dans ces notes, mais laquelle, voire lesquelles ? L'itinéraire de Louis XI ne nous est ici que

27. B.N., ms. fr. 6 971 P 239 r"-v" ; Annexe, n" i, 8. 28. B.N., ms. fr. 6 971 P 240 v" ; Annexe, n" 18 ; G. Dupont-Ferrier, Galha regia ou Etat des

officiers royaux des bailliages et des sénéchaussées de 1 ]28 à r 515, t. I, Paris, Imprimerie nationale, 1942, p. 62-63, n" 559A.

29. B.N., ms. fr. 6 971 P 240 v" ; Annexe, n" 16.

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d'un faible secours, car le roi séjournait bien à Rouen et Amboise aux dates indiquées ; toutefois il était également à Amboise le Ier novembre 1461, et pouvait être à Rouen le 1 3 août 1464 3°. Par ailleurs nous savons que le comte de Candale était passé du service d'Henri VI d'Angleterre à celui de Louis XI par traité du 17 mai 1462, aux termes duquel le roi de France s'était engagé à lui confier le premier commandement vacant de cent lances 3I, et que dans une lettre datée d'Amboise, le 1 3 mai, placée à tort en 1463 par Joseph Vaesen et qui se rapporte le plus probablement à 1468, mais pourrait être de 1464, Louis XI évoquait les plaintes du comte, qui attendait toujours que la promesse fût tenue 32.

Même si cette lettre datait bien du 13 mai 1464 nous ne pourrions pour autant rien conclure de décisif, car Candale pouvait être déjà capitaine de l'ancienne compagnie de Chenu : celle-ci ne comptait en effet que soixante-dix lances, en sorte que le compte n'y était pas. Dès lors nous ne pouvons que formuler deux hypothèses, sans trancher : ou bien Louis XI a nommé Guillaume Chenu le ier novembre 1461 puis l'a remplacé le 13 août 1462 par le comte de Candale, récemment rallié, mais avec effet au retour en France de la compagnie alors engagée en Italie, lequel a tardé jusqu'au premier semestre de 1464 ; ou bien c'est après son rapatriement et son envoi en Roussillon et Cerdagne que le roi l'a ôtée à Chenu, nommé le Ier novembre 146 1 ou 1462, pour la confier le 13 août 1464 à Candale, son lieutenant général et vice-roi dans ces pays de conquête récente 33. Dans tous les cas ce fut le transfert de la compagnie qui donna le signal de la passation de commandement.

Le second problème touche à la mention de Robert de Floques, dit Floquet, comme capitaine de cent lances 34 : nous savons en effet que ce personnage, aussi bailli et capitaine d'Evreux, était mort sans doute le 7 décembre 1461 et en tout état de cause avant le 8 août 1462 ; son fils Jacques lui avait alors succédé dans ses diverses fonctions 35. Pourtant il ne saurait s'agir

30. Lettres de Louis XI, t. XI, 1909, p. 6, 14, 17, 36 ; cf. Annexe, n" 16, note 121. 31. Ordonnances des rois de France de la troisième race, éd. comte de Pastoret, t. XV, Paris,

Imprimerie impériale, 181 1, p. 482-486 (article 12, avec une coquille : « livres » pour « lances »). 32. Lettres de Louis XI, t. II, 1885, p. 180, n" cxn. L'itinéraire du roi montre qu'en mai 1463

il voyage dans les Lannes, le Labourd et le Toulousain ; sa présence à Amboise autour du 13 mai n'est pas attestée avant 1468, mais ce chevaucheur infatigable au début de son règne aurait pu à l'extrême rigueur y faire un saut en 1464 depuis Nogent-le-Roi, à quelque 150 kilomètres au nord, où il était le 1 1 mai et de nouveau le 14 avant de regagner Paris le 15 (ibid., t. XI, p. 22-23, 33> 74)-

33. G. Dupont-Ferrier, op. cit., t. V, 1958, p. 275, n" 20 on. 34. B.N., ms. fr. 6 971 P 241 r" ; Annexe, n" 23. 35. G. Dupont-Ferrier, op. cit., t. III, 1947, p. 284-286, n" 12 433, et 286-287, n° 12 436.

Ces notices ne concernent que la succession de Robert et Jacques de Floques dans les offices de

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cette fois d'un lapsus calami de l'abbé Le Grand, car la date correcte des lettres de retenue, données à Reims le 12 août 146 1, correspond bien à la confirmation du père encore vivant lors de l'avènement de Louis XI, et non à la nomination de son fils. Comment expliquer alors que la compagnie de Jacques de Floques figurât dans le compte de 1464 sous le nom de son père, décédé depuis deux ans, et qu'après tout ce temps lui-même n'eût toujours pas reçu ses lettres de retenue ? Peut-être les lettres de confirmation de 1461 avaient-elles explicitement réservé, au fils la survivance de la charge de capitaine de l'ordonnance du père, de même qu'il bénéficiait depuis 1456 de celle de ses offices de bailli et capitaine d'Evreux, en sorte qu'elles auraient suffi à justifier son commandement en attendant des lettres de retenue en bonne et due forme qui pour une raison inconnue tardaient à venir. Sans doute une situation aussi insolite faisait-elle l'objet d'une observation dans le compte du trésorier des guerres, qui aurait alors échappé à l'abbé Le Grand ; l'original étant perdu, nous sommes réduit aux conjectures.

Les vingt-six capitaines ainsi identifiés cumulaient généralement leur charge avec une ou plusieurs autres fonctions ou dignités aussi bien civiles que militaires, en sorte que le commandement de l'ordonnance ne représentait pour eux qu'une facette du service du roi. Ainsi trouve-t-on en leur sein, outre le prévôt des maréchaux de France cité plus haut, les trois principaux dignitaires militaires, les maréchaux de France, Joachim Rouault et le comte de Commin- ges, mais aussi l'amiral de France, Jean de Montauban 3& ; en revanche la connétablie, source de prestige et de puissance, avait prudemment été laissée vacante par Louis XL Nombre d'entre eux étaient également capitaines de places fortes. Les indications relevées par l'abbé Le Grand sur le compte de 1464 n'en signalent qu'un cas 37, mais elles n'ont rien d'exhaustif et ignorent l'exemple déjà évoqué de Jacques de Floques : il est certain que ce cumul était monnaie courante.

Beaucoup jouissaient aussi à titre honorifique d'une fonction dans l'Hôtel du roi. Le Grand en énumère sept, auxquels un huitième peut être rajouté, ce qui représente près du tiers du commandement. Les uns occupaient les principales dignités des services domestiques, premier écuyer, grand panetier, premier valet tranchant, grand bouteiller, grand chambellan ou premier échan- son, les autres se contentaient d'offices plus modestes, écuyer de l'Ecurie, valet

bailli et capitaine d'Evreux, mais nous savons par ailleurs qu'en 1463 le bailli d'Evreux Jacques donc était aussi capitaine de l'ordonnance (B.N., ms. fr. 6 544 p. 21).

36. B.N., ms. fr. 6 971 P 239 v", 241 r" ; Annexe, n" 4, 6, 21. 37. B.N., ms. fr. 6 971 P 240 v" ; Annexe, n" 19.

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tranchant ou chambellan 3*. Bien que seul ce dernier soit aussi qualifié de conseiller du roi dans notre source, réunissant un titre aulique et un titre politique fréquemment appariés par le souverain en faveur des principaux serviteurs de l'Etat, tous les capitaines de l'ordonnance devaient porter le second, qui leur donnait accès au Conseil du roi et les associait en principe à la discussion des affaires publiques.

Surtout, le commandement était fortement impliqué dans l'administration territoriale du royaume et particulièrement du Domaine royal. Trois des plus notables capitaines détenaient par délégation du souverain de vastes gouvernements régionaux : les comtes du Maine en Languedoc et Guyenne, de Com- minges en Dauphiné et en Guyenne (où se concurrençaient donc théoriquement deux lieutenances générales) et de Candale, on l'a dit, en Roussillon et Cerdagne 39 ; jusqu'au début de l'année sans doute le comte de Dunois avait en outre été lieutenant général du roi au-delà des Alpes 4°. À l'échelon inférieur près de la moitié des capitaines, neuf selon Le Grand, douze en réalité, exerçaient les fonctions de bailli, de sénéchal ou d'un officier assimilé à la tête des circonscriptions du Domaine ; l'un d'eux ne dirigeait pas moins de trois sénéchaussées 4I. C'étaient là des responsabilités au moins aussi importantes que le commandement d'une compagnie d'ordonnance, sans parler des missions temporaires que Louis XI pouvait confier à ce petit groupe de hauts serviteurs en dehors de leurs fonctions courantes. S'il est juste de se représenter les capitaines de l'ordonnance comme des hommes de guerre, car la conduite des principales unités de l'armée exigeait de solides compétences militaires, ce n'était dans un cas sur deux que l'un des visages de cadres supérieurs de l'État royal tour à tour guerriers, administrateurs et à l'occasion diplomates. Ne pouvant être partout à la fois, ils déléguaient tout de même leurs fonctions, aussi bien dans leur compagnie que dans leur place forte ou leur circonscription, à des lieutenants sans doute plus spécialisés : la polyvalence avait des limites.

Le passé de ces hommes nous est connu dans vingt et un cas sur vingt-six. Dix capitaines étaient des fidèles du nouveau roi. Huit le servaient déjà lorsqu'il gouvernait le Dauphiné entre 1447 et 1456 42, tandis qu'Antoine du Lau était

38. B.N., ms. fr. 6 971 P 239 v"-240 r", 241 r" ; Annexe, n" 4-5, 7, 10-1 1, 12 (20), 19, 24. 39. B.N., ms. fr. 6 971 P 239 v" ; Annexe, n" 1, 4, 16 (2°). 40. B.N., ms. fr. 21 497 n" 162. 41. B.N., ms. fr. 6 971 P 239 v°-24i r" ; Annexe, n" 5, 7, 9-1 1, 13, 18-23. Antoine du Lau était

à la fois sénéchal de Guyenne, de Bazadais et des Lannes (ibid., n" 19) ; nous rangeons parmi ces administrateurs territoriaux Jean de Montauban, gouverneur de La Rochelle (n" 21).

42. Le comte de Comminges (E. Pilot de Thorey, op. cit., t. I, note 1 p. 315-317), Jean de Guarguesalle (ibtd., note 2 p. 357-358), Louis de Crussol (ibid., note 2 p. 435-436), Gaston du Lyon

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de ses familiers au moins depuis son exil dans les Pays-Bas bourguignons de 1456 à 1461 43 ; en outre Jean du Pont-1'Abbé, dont la carrière commence en 1461, était manifestement lui aussi une créature de Louis XI 44. Neuf autres capitaines étaient d'anciens serviteurs de Charles VIL Sept avaient conservé la faveur de son fils 45 et l'on peut, comme jadis Gaston du Fresne de Beau- court 46, voir en eux ceux qui dans l'entourage du vieux roi avaient ménagé l'avenir en entretenant des liens avec le dauphin exilé ; Joachim Rouault en particulier avait gagné alors son bâton de maréchal. Deux autres proches de Charles VII, les comtes du Maine et de Dunois, avaient vu leur étoile pâlir sans être tout à fait disgraciés 47. Le premier, nous l'avons vu, commandait une très petite compagnie ; quant au vieux compagnon de Jeanne d'Arc, sa nomination à la tête de l'armée d'Italie, commodément justifiée par les prétentions transalpines de la Maison d'Orléans, pouvait apparaître autant comme une mesure d'éloignement que comme une marque de confiance, et c'est sa compagnie qui fut amputée pour former celle d'Artus de Longueval. Enfin les cas particuliers de ce dernier, passé du service de Philippe le Bon à celui de Louis XI par la force des choses, et du comte de Candale, resté longtemps fidèle à la cause des Lancas- tre, ont été évoqués plus haut. Reste qu'un tiers au moins du commandement de l'ordonnance était composé d'hommes du règne précédent : même si, compte tenu des suppressions de compagnies de 1461, les neuf capitaines maintenus à coup sûr n'étaient que le quart des anciens chefs de la cavalerie de Charles VI I , la purge opérée par Louis XI à son avènement, pour être bien réelle, n'avait pas été totale.

L'examen de la composition sociale du commandement montre que trois capitaines seulement, Charles d'Anjou, comte du Maine, Bertrand de la Tour, comte de Boulogne et d'Auvergne, et Jean de Foix, captai de Buch et comte de Candale, appartenaient aux grandes maisons princières du royaume qui, il est

(ibid., note i p. 248), Thomas Scuyer (ibid., note 1 p. 50), Jean d'Estuer (ibid., note 2 p. 454), Jean de Montauban (tbid., note 5 p. 443) et Jean du Fou (ibid., note 1 p. 482).

43. U. Legeay, Histoire de Louis XI, Paris, Didot, 1874, t. I, p 209, citant Olivier de la Marche.

44. G. Dupont-Ferrier, op. cit., t. II, 1942, p. 193-194, n" 7 072. 45. Poncet de Rivière (simple lieutenant sous Charles VII : cf. infra, note 55), Joachim

Rouault (G. du Fresne de Beutcourt, Histoire de Charles VII, t. VI, Paris, Picard, 1891, p. 436), Tristan l'Hermite (U. Lecîevy, op. cit., p. 183), Geoffroi de Saint-Belin (G. Dupont-Ferrier, op. cit., t. II, p. 153, n" 6 850), Estévenot de Talauresse (ibid., t. IV, 1954, p. 180, n" 15 753), Jean de Salazar (E. Pilot de Thorey, op. cit., t. I, note 1 p. 37) et Jacques de Floques (bras droit de son père Robert, dont il avait la survivance, sous Charles VII : cf. supra, note 35).

46. Op. cit., t. VI, p. 435. 47. Ibui. , p. 436.

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vrai, fournissaient aussi à un rang moins insigne trois rejetons illégitimes, Jean de Lescun, bâtard d'Armagnac, comte de Comminges, fidèle de longue date du souverain, Louis, bâtard de Bourbon et Jean, bâtard d'Orléans, comte de Dunois. Encore le comte du Maine et le bâtard de Bourbon n'avaient-ils que de petites unités, et le comte de Candale une compagnie moyenne : l'association des lignages princiers au commandement de l'ordonnance restait soigneusement limitée. Sous Louis XI comme sous Charles VII la cavalerie royale était un instrument de pouvoir au service du souverain, qu'il n'était pas question d'abandonner entre les mains de la haute aristocratie ; le contrôle de l'armée allait d'ailleurs être l'une des revendications des princes pendant la rébellion du Bien public 48. Les capitaines étaient donc majoritairement des hommes de petite ou moyenne noblesse, élevés par le service et la faveur du roi.

En ce qui concerne leur origine géographique, Thomas Scuyer (ou Stuyer) et Robert Cunningham étaient Ecossais, Jean de Salazar Espagnol, Jean de Montauban et Jean du Pont-1'Abbé Bretons, Louis de Crussol Dauphinois 49 : ainsi six capitaines au moins n'étaient pas du royaume à des titres divers, qu'ils vinssent d'autres royaumes, du duché de Bretagne étranger de facto ou du Dauphiné étranger de jure ; avec le Picard Artus de Longueval 5°, « Bourguignon » devenu « Français » sans l'avoir choisi, le quart du commandement n'était pas régnicole au sens le plus strict. Salazar (et peut-être Cunningham) mis à part, cette relative bigarrure était bien due à Louis XI et peut être considérée comme un reflet de son cosmopolitisme si décrié de ses adversaires.

La guerre du Bien public devait bientôt mettre à l'épreuve le loyalisme de ce commandement aux parcours divers. Si le comte de Dunois fut l'un des meneurs de la révolte, si Poncet de Rivière, relevé de son commandement à titre préventif, et Antoine du Lau lui-même passèrent dans l'opposition au roi, si le comte du Maine enfin adopta une attitude ambiguë qui mit l'armée royale en péril à la bataille de Montlhéry 5I, les capitaines restèrent dans l'ensemble

48. « Journal parisien de Jean Maupoint, prieur de Sainte-Catherine-de-la-Couture (1437- 1469) », éd. Gustave Fagniez, Mémoires de la Société de l'Histoire de Paris et de l'Ile-de-France 4, 1877, p. 64.

49. Cf. supra, notes 42 et 45 ; pour Jean de Alontauban et Louis de Crussol, P. Champion, Louis XI, Paris, Champion, t. I, 1927, p. 219. Nous déduisons de leurs noms mêmes l'origine de Robert Cunningham (plus vraisemblablement Ecossais qu'Anglais) et Jean du Pont-1'Abbé.

50. Longueval, canton de Combles, arrondissement de Péronne, département de la Somme, plus probablement que Longueval-Barbonval, canton de Braine, arrondissement de Soissons, département de l'Aisne, à considérer la nomination de ce personnage par le duc de Bourgogne comme bailli d'Amiens.

51. P.M. Kendall, Louis XI, Paris, Fayard, 1974, p. 145, 156, 174, 237. Écarté de l'ordonnance en raison de ses liens avec les rebelles, Poncet de Rivière n'était cependant pas disgracié,

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fidèles au souverain et deux d'entre eux, Geoffroi de Saint-Belin et Jacques de Floques, périrent pour sa cause à Montlhéry =2. Le jugement de Louis XI ne l'avait guère trompé.

Enfin, une part non négligeable des capitaines de l'ordonnance n'exerçait son commandement que depuis peu de temps encore en 1464, ce qui n'était pas sans conséquence (tableau 2).

Tableau 2. — Ancienneté des capitaines de l'ordonnance en 1464 53

Date des lettres de retenue Août 146 1

Septembre 1461 Novembre 1461 Décembre 146 1

Date inconnue de 1461 Sous-total 1461

1462 1463 1464

Indéterminée Total

Confirmation 3 1 0 0 0

4 0 0 0 2 6

Promotion 4 2 1 1 2

10 1 2 3 0 16

Indéterminé 1 1 0 0 0

2 0 0 0 2 4

Ensemble 8 4 1 1 2

16 1 2 3 4 26

À son avènement Louis XI avait à coup sûr reconduit dans leur charge cinq anciens serviteurs de Charles VII, Joachim Rouault, Tristan l'Hermite, Estévenot de Talauresse, le comte de Dunois et Robert de Floques, mais ce dernier mourut et fut remplacé par son fils ; le comte du Maine et le vieux routier Salazar avaient sans doute aussi été alors confirmés 54. Six compagnies devaient donc avoir le même capitaine depuis plus de trois ans en 1464 ; les autres, soit les trois quarts du total, avaient connu un changement récent de commandement. Parfois, il est vrai, le nouveau capitaine avait déjà une longue

devenant en contrepartie bailli de Alontferrand, mais il n'en fut pas moins profondément mortifié (Journal de Jean de Roye, connu sous le nom de Chronique scandaleuse, 1460-148 3, éd. Bernard de Mandrot, Société de l'Histoire de France, t. I, Paris, Renouard, 1894, p. 143-144), en sorte qu'on ne sait s'il faut voir dans sa défection la confirmation des soupçons royaux ou l'effet du dépit que lui causa une défiance imméritée.

52. G. Dupont-Ferrier, op. cit., t. II, p. 153, n" 6 850 ; t. III, p. 286-287, n" 12 436. 53. La nomination de Jacques de Moques a été placée par hypothèse à la date probable de la

mort de son père, en décembre 1461, et celle du comte de Candale à sa prise d'effet en 1464 ; les nominations de trois anciens serviteurs de Charles VII, Jacques de Floques, Poncet de Rivière et Geoffroi de Saint-Belin, ont été considérées comme des promotions et non des confirmations, le premier ayant donc remplacé son père décédé et les seconds ayant reçu leurs lettres en 1463.

54. B.N., ms. fr. 6 971 P 239 r"-24i r" ; Annexe, n" 1, 6, 8, 11, 15, 17, 23.

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expérience de sa compagnie. Jacques de Floques avait selon toute vraisemblance exercé depuis des années la lieutenance de son père ; de même Poncet de Rivière était déjà sous Charles VII lieutenant du sire d'Orval, dont il assura l'intérim après sa mort en août 1462 avant de lui succéder formellement en février 1463 ss. Mais tel n'était pas le cas des dix fidèles de l'ancien dauphin, ni du comte de Candale ou d'Artus de Longueval : la moitié au moins des capitaines, étrangers au service de l'État royal sous Charles VII, faisaient figure d'homines novi dans la grande ordonnance.

Or, le recrutement dans les compagnies était de fait entre les mains des capitaines, au point que le règlement du 6 juin avait soin de soumettre leur choix à l'approbation du souverain et de réserver les révocations à ses commissaires, afin que le lien personnel qui unissait le chef à ses subordonnés ne l'emportât pas sur le service du roi s6. Pour autant, le remplacement d'un capitaine n'entraînait pas le renouvellement massif de la compagnie, en sorte qu'un nouveau venu se retrouvait à la tête d'hommes liés à celui qu'il venait d'évincer. Il lui fallait donc se faire accepter, et peupler peu à peu sa compagnie de sa propre clientèle. Ainsi trouve-t-on parmi les gens d'armes de Jean, sire et baron du Pont-1'Abbé et de Rostrenen, un Olivier de Plusquellec, qui tire son nom d'une localité proche de Rostrenen 57 : il y a fort à parier qu'un lien de vassalité unissait à son capitaine ce petit noble, ou du moins sa famille. Mais ce noyautage demandait du temps, surtout dans une période où la stagnation des effectifs n'offrait d'autre occasion que les remplacements. Le loyalisme des capitaines n'était pas tout, encore fallait-il qu'eux-mêmes eussent leurs compagnies bien en main, et il n'est pas certain que les douze nouveaux promus qui à coup sûr n'avaient pas servi Charles VII (neuf nommés en 1461, un en 1462 et deux en

55. B.N., ms. fr. 6 971 f° 239 r" ; Annexe, n" 2 ; J. Calmette, Louis XI, Jean II et la Révolution catalane ( 1461-1473), Toulouse, Privât, 1903, p. 149, 159-160. Louis XI avait déjà voulu remplacer le sire d'Orval par Poncet de Rivière à son avènement, mais ce dernier s'était récusé par loyauté envers son capitaine, belle — et sans doute rare — illustration des liens que celui-ci avait su nouer dans sa compagnie (Ph. Contamine, « Louis XI, la prise de pouvoir, la foire aux places (juillet-septembre 1461) », Des pouvoirs en France, 1 300-1 500, Paris, Presses de l'École normale supérieure, 1992, p. 136, citant Georges Chastellain). Peut-être est-il permis de voir alors dans les six mois qui séparent le trépas de D'Orval de la promotion officielle de Poncet, alors même que la compagnie était engagée dans les opérations de Roussillon et de Catalogne, une petite vengeance du roi envers ce lieutenant qui faisait la fine bouche, sans péril pour sa politique d'ailleurs car il savait ses gens d'armes entre de bonnes mains.

56. Jean de Reilhac, t. I, p. 166 (article 6). 57. B.N., ms. fr. 6 971 f 241 r" ; Annexe, n" 22. Plusquellec, commune du canton de Callac-

de-Bretagne, est à une vingtaine de kilomètres au nord-ouest de Rostrenen, chef-lieu de canton appartenant comme elle à l'arrondissement de Guingamp, dans le département des Côtes-d' Armor.

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1464) =8 eussent déjà conforté par des liens personnels l'autorité que Louis XI leur avait conférée sur leurs hommes, quelle que fût par ailleurs leur propre valeur militaire.

Les circonstances du paiement trimestriel des vingt-trois, puis vingt- quatre compagnies de la grande ordonnance pour 1464 nous sont plus ou moins précisément connues dans soixante-quatorze cas sur quatre-vingt-quinze au total. Comme le rappelle le règlement du 6 juin, une inspection des troupes, de leurs montures et de leur armement précédait normalement la distribution du quartier de solde, afin d'éviter les abus en la réservant aux hommes régulièrement inscrits sur les rôles, présents en personne (ou en permission autorisée) et dûment équipés 59 ; au début du règne de Louis XI les décalages restaient rares entre le jour de la revue et celui du versement effectif de la solde 6o, en sorte que les dates des montres — qui peuvent s'étaler dans le temps pour une même compagnie en raison de sa dispersion — nous permettent d'apprécier la régularité du paiement (tableau j).

Tableau 3. Ponctualité du paiement des compagnies d'ordonnance pour 1464

Mois de paiement du quartier de solde 2e mois du quartier 3*" mois du quartier Sous-total quartier

Ier mois suivant Ier et 2e mois suivants

2e mois suivant 2e et 3e mois suivants

3e mois suivant Sous-total retards

Indéterminé Total

ier quartier (janvier-mars)

2 -y

5 10 0 1 0 0

11 7 23

2e quartier (avril-juin)

0 0

0 6 0 9 1 0

16 8 24

3e quartier (juillet-sept.)

0 0

0 7 1

4 ou 5 0

I OU 2

IO 24

4e quartier (oct.-déc.)

0 0

0 4 1 7 0 0

12 12 24

58. De la seconde colonne du tableau 2 il convient ici de retrancher Jacques de Floques en 1461, Poncet de Rivière et Geoffroi de Saint- Belin en 1463, mais aussi Renaud du Châtelet, dont le passé nous est inconnu, en 1464.

59. Jean de Reilhac, t. I, p. 165-166 (articles 5, 7). 60. Ph. Contamine, Guerre, Etat et société, p. 504.

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Bien que l'information nous fasse défaut dans un cas sur trois pour le premier semestre, puis dans un cas sur deux pour le second semestre par suite notamment de dispenses de montre plus nombreuses, il est clair que la solde n'était généralement versée qu'au cours du trimestre suivant, et que sur le court terme la situation s'est dégradée durant l'année. Le premier quartier de 1464 avait été payé avant échéance, dès son dernier ou même son avant-dernier mois, à plus d'une compagnie sur cinq, tandis que le gros des versements était assuré au cours du mois suivant, le plus tardif dont nous ayons trace étant effectué le premier jour du deuxième mois 6t. A partir du quartier suivant, réglé dans le courant de l'été, aucun versement dans les temps n'est plus signalé et les délais tendent à s'allonger : pour les deuxième et quatrième quartiers les retards avérés jusqu'au deuxième mois suivant deviennent plus nombreux que jusqu'au premier mois, et si le paiement du troisième quartier paraît se présenter plus favorablement, il a en revanche connu un ou deux cas de versement différé jusqu'au début du troisième mois suivant 62. À partir de l'été la solde arrivait donc toujours en retard, en général dans les deux mois, et plus fréquemment le deuxième mois que le premier ; jamais cependant à cette époque elle ne semble avoir tardé au-delà du quartier suivant 63.

Les retards de versement pouvaient amener la troupe désargentée à vivre à crédit au mieux, à voler au pire. Le règlement du 6 juin s'efforçait après bien d'autres d'y remédier par un ensemble de mesures préventives et répressives. Les premières visaient à défendre le pouvoir d'achat des hommes, d'une part en protégeant leur solde contre la propension des capitaines à leur extorquer dons ou prêts forcés, d'autre part en limitant leurs frais de cantonnement par un tarif auquel le commissaire du roi et les autorités locales seraient tenus de leur fournir le logis et l'équipement domestique : il en coûterait à chaque lance 40 s. t. de faible monnaie (représentant 36 s. 8 d.t. de forte monnaie) par mois en Normandie et 30 s. t. de forte monnaie ailleurs, soit 5 à 6,1 % de la solde selon le cas. Les secondes veillaient à l'indemnisation des civils spoliés en stipulant que lors de la rétribution des hommes le clerc du trésorier des guerres, sur instruction du commissaire royal, rembourserait sur la solde des coupables ce que ceux-ci auraient pris sans payer, et qu'ils en répondraient en outre devant la

61. B.N., ms. fr. 6 971 F 240 r° ; Annexe, n" 14. 62. L'abbé Le Grand indique que la compagnie d'Antoine du Lau fut passée en revue « dans

les tems marqués a peu près » comme pour celle du comte de Dunois, inspectée le Ier décembre (B.N., ms. fr. 6 971 F 240 v" ; Annexe, n" 17, 19).

63. Les retards s'aggravèrent dans la suite du règne de Louis XI, à mesure que l'augmentation des effectifs accrut les difficultés de paiement (Ph. Contamine, loc. cit.).

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L'ABBÉ LE GRAND ET LE COMPTE DE 1464 61

justice 64. Il n'y avait à vrai dire rien de bien novateur dans ces dispositions, proches de celles qu'avait édictées un texte du «jour de l'an » 1462 pour la Normandie 6s. La réglementation n'avait pas de prise sur la racine du mal : l'irrégularité des paiements.

La localisation des montres nous informe quant à elle sur le cantonnement de la plupart des compagnies d'ordonnance entre février 1464 et février 1465, et d'abord sur la forme concrètement donnée à l'installation de chacune d'elles dans son pays d'accueil {tableau 4).

Tableau 4. — Mode de cantonnement des compagnies d'ordonnance en 1464- 1465

Disposition du corps Concentration Déploiement

Division Indéterminée

Total

Février-avril

4 1

Juillet-août 6 11 0

4 7 23 24

Oct.-nov. 7 9 1 7 24

Janv.-févr. 1465 6 6 1

1 1 24

L'unité du corps était la règle : dans trois cas seulement nous trouvons une compagnie divisée par le roi, faute de moyens disponibles sans doute, en deux formations employées isolément à des missions différentes sur des théâtres éloignés 66. Les compagnies étaient tantôt concentrées en un lieu d'hébergement unique, tantôt déployées sur plusieurs sites voisins à travers la région, deux à quatre le plus souvent, parfois davantage : en août les cinquante lances de Thomas Scuyer étaient ainsi éparpillées en plus de neuf endroits et il fallut deux semaines pour les passer toutes en revue 6?, car les troupes étaient inspectées dans leurs quartiers mêmes, comme le stipulait le règlement du 6

64. Jean de Reilhac, t. I, p. 165, 167 (articles 4, 11, 12). Bien que le texte ne soit pas explicite sur ce point, il est vraisemblable que le tarif de l'hébergement doit s'entendre par lance et non par homme, comme le suggère le rapprochement avec le règlement militaire de 1462 pour la Normandie (cf. infra, note 65). Les notes de l'abbé Le Grand évoquent l'endettement des gens de guerre, notamment auprès des marchands, en attendant leur solde (B.N., ms. fr. 6 971 f" 241 r" ; Annexe, n" 22).

65. H. Sée, Louis XI et les villes, Paris, Hachette, 1891, Pièce justificative n" iv, p 380-383. 66. B.N., ms. fr. 6 971 f" 239 v"-24o r", 241 r" ; Annexe, n" 4, 9, 23. 67. B.N., ms. fr. 6 971 f" 240 r" ; Annexe, n" 13.

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juin 68. Cette fois encore la première série de montres se distingue des suivantes : alors que le cantonnement groupé domine nettement à la fin de l'hiver 1464, il est distancé ou à tout le moins concurrencé, compte tenu du caractère lacunaire de l'information, par l'installation dispersée dans l'été et l'automne. Pour autant, l'exemple du début de 1465 montre qu'on ne saurait caractériser ces dispositions comme propres à la belle ou à la mauvaise saison : ce sont plutôt les nécessités du terrain qui ont joué. Le mode de cantonnement ne dépendait pas non plus de la taille de la compagnie : hormis les petites unités de trente lances et moins, que nous trouvons toujours groupées, nous voyons dans plus d'un cas les compagnies se déployer et se reconcentrer tour à tour.

Il était bien davantage lié à l'importance des localités d'accueil, c'est-à-dire à leur capacité d'hébergement et de ravitaillement des troupes. L'on sait que dans l'ensemble la hiérarchie des agglomérations dans l'espace français a peu varié dans le temps, en sorte que leur position dans l'organisation territoriale actuelle, datant pour l'essentiel de la veille de la Révolution industrielle, fournit une idée assez fiable de leur rang à la fin du Moyen Âge : ainsi les bonnes villes du royaume ont-elles été une pépinière de préfectures et de sous-préfectures 69. Dès lors, il n'est pas indifférent de noter que sur les soixante-quinze lieux de cantonnement cités par l'abbé Le Grand, dont un seul n'a pu être identifié, onze (14,7 %) sont aujourd'hui des chefs-lieux de département 7° (parmi lesquels six préfectures de région), quinze (20 %) des chefs-lieux d'arrondissement, quarante (53,3 %) des chefs-lieux de canton (et encore certains d'entre eux, comme Barbezieux en Charente, sont-ils d'anciennes sous-préfectures déclassées), et huit seulement (10,7 %) de simples communes.

L'ordonnance était logée de préférence derrière les remparts des villes, ou à défaut répartie entre les principaux bourgs du plat-pays, une même compagnie pouvant d'ailleurs distribuer ses quartiers entre villes et grosses bourgades rurales ; en revanche la mise à contribution d'un simple * village » comme Soudan en Poitou 7I restait l'exception. C'était l'exacte application du règlement du 6 juin qui, fidèle à l'esprit de l'ordonnance fondatrice de 1445, prescrivait d'installer les compagnies « en lieu clos s'il est possible ou en grosses

68. Jean de Reilhac, t. I, p. 164 (article 1). 69. B. Chevalier, Les bonnes villes de France du XIVe au XVIe siècle, Paris, Aubier Montaig

ne, 1982, p. 40, 309. 70. Nous leur assimilons la ville italienne d'Asti, chef-lieu de province (B.N., ms. fr. 6 971

f° 240 v" ; Annexe, n" 16). 71. B.N., ms. fr. 6 971 f" 239 v° ; Annexe, n° 7.

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bourgades, sans loger en villages, affin qu 'on les puisse mieux faire tenir en ordre » 7Z. Le souci de la discipline rejoignait les préoccupations d'intendance pour ne pas égailler les gens de guerre dans la nature. Les compagnies étaient donc installées dans nombre de bonnes villes parmi lesquelles les plus grandes du royaume, Bordeaux, Lyon ou Rouen 73. Paris constitue une remarquable exception, malgré ses capacités d'accueil nonpareilles : certes l'Ile-de-France dans son ensemble ne paraît pas avoir été une zone de cantonnement en 1464, mais il semble bien qu'en temps ordinaire la remuante capitale bénéficiait d'un traitement de faveur.

Le cantonnement des compagnies d'ordonnance s'inscrivait par ailleurs dans un espace diversement maîtrisé par le roi de France (cf. cartes). Le Domaine royal couvrait alors la moitié environ du royaume en deux ensembles territoriaux, l'un septentrional, qui s'étendait d'ouest en est entre Bretagne et Lorraine, l'autre méridional, qui décrivait un vaste arc de cercle de la Touraine au Lyonnais à travers le Poitou, la Guyenne et le Languedoc, lançant vers le sud-ouest un prolongement jusqu'à la frontière de Navarre. S'y ajoutaient en marge du royaume des pays où l'autorité royale s'exerçait aussi directement, parfois de très fraîche date : au sud-est le Dauphiné, formellement terre d'Empire, au sud le Roussillon et la Cerdagne conquis depuis 1462, au nord la Picardie rachetée à Philippe le Bon en 1463. Les principautés soumises au pouvoir royal se répartissaient quant à elles entre trois ensembles pour l'essentiel, le premier courant de la frontière bretonne à l'apanage berrichon, le deuxième s'étalant largement au centre du royaume et le dernier s'étendant sur le versant nord des Pyrénées. Louis XI ne jouissait enfin que d'une souveraineté purement nominale sur le duché de Bretagne à l'ouest, les seigneuries de la Maison de Bourgogne sises dans le royaume au nord et à l'est, et l'apanage de Berry, constitué en 1461 pour son frère Charles de France, dans le centre. Cette organisation de l'espace, qui enchevêtrait les possessions du roi et de ses grands feudataires mais lui permettait de se manifester à peu près partout depuis ses terres propres, fixait le cadre politique du déploiement de ses lances à travers le royaume et sa périphérie (tableau 5).

72. Jean de Reilhac , t. I, p. 164-165 (article 1). 73. B.N., ms. fr. 6 971 f" 239 r"-24O r", 241 r" ; Annexe, n" 2, 4, 12, 22.

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JEAN-FRANÇOIS LASSALMONIE

Tableau 5. — Géographie politique du cantonnement de l'ordonnance en 1464- 1465 74

Territoire Domaine royal (marges exclues)

Principautés soumises au roi

Marges du royaume soumises au roi

Sous-total pays soumis au roi

Principautés indépendantes

Etranger

Indéterminé

Total

Cantonnements en chevauchement

Février-avril 14 compagnies iiool.(65,6%)

*2,5 compagnies *i43 1. (8,5 %)

*2,5 compagnies *243 1. (14,5 %) iç compagnies

i486 l. (88,6 %) 0 compagnie

0 lance 1 compagnie

70 lances (4,2 %) 3 compagnies

120 lances (7,2 %) 23 compagnies 1676 1. (100 %)

1

Juillet-août * 12,83 comp. *ios6 1.(63 %)

*2,67 compagnies *i67 l.(io%) 4 compagnies 281 1.(16,7%)

*iç,5 compagnies *i5o4 l. (89l7 %) *o,5 compagnie

*43 lances (2,6 %) 0 compagnie

0 lance 4 compagnies

129 lances (7,7 %) 24 compagnies 16761.(100%)

Oct.-nov. *io,i7 comp.

*79o 1.(47,1%) *4,33 compagnies *333 L (i9,9 %) 3 compagnies 261 1.(15,6%)

*iy ,5 compagnies *I384 L (82,6 %) *2,5 compagnies *iÓ3 Ices. (9,7 %)

0 compagnie 0 lance

4 compagnies 129 lances (7,7 %) 24 compagnies 1676 1. (100%)

2

Janv.-févr. 1465 *io,75 comp. *855 1. (51 %)

*5,25 compagnies *425 1. (25,3 %) 3 compagnies 261 1. (15,6%) iç compagnies

1541 L (çi,ç %) 0 compagnie

0 lance 0 compagnie

0 lance 5 compagnies

135 lces. (8,1 %) 24 compagnies 1676 1. (100%)

2

Pour nous en tenir aux minima assurés, compte tenu des unités non localisées, il apparaît que le Domaine royal était bien le théâtre principal du cantonnement de l'ordonnance, accueillant près des deux tiers des lances

74. Les chiffres précédés d'un astérisque reposent sur le postulat arbitraire qu'une compagnie déployée dans plusieurs territoires de statut différent est également répartie entre chacun d'eux. Nous avons utilisé les effectifs théoriques des compagnies y compris pour janvier-février 1465, bien qu'ils aient alors été amputés dans quelques cas par des désertions, celles-ci n'étant pas connues du roi lorsqu'il avait antérieurement disposé ses troupes. Enfin, nous avons considéré que les lances de Salazar étaient toujours en Dauphiné dans l'automne 1464 et l'hiver 1465, et celles de Scuyer et Cunningham, de Dunois et de Du Lau toujours respectivement en Bourbonnais et Auvergne, en Dauphiné et en Normandie au début de 1465, ces localisations étant probables quoique non attestées dans notre source.

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jusqu'à l'été et encore la moitié environ par la suite. La garde des marges du royaume contrôlées par le souverain mobilisait quant à elle une fraction à peu près constante de ses forces de cavalerie, autour de 15 % des lances. C'est dans les principautés où l'autorité royale s'exerçait effectivement que les effectifs de l'ordonnance stationnèrent en plus grand nombre à partir de l'automne : leur proportion s'y éleva en gros du dixième au cinquième, puis au quart. Le découpage politique interne de l'espace soumis au pouvoir royal n'entraînait donc aucune rigidité dans la répartition des troupes ; les cas de chevauchement des limites territoriales par des compagnies déployées sur des terres à la fois royales et princières n'étaient d'ailleurs pas rares.

Bien mieux, un examen plus attentif révèle que les lances pouvaient prendre leurs quartiers en des lieux d'un statut différent de celui du pays alentour placé sous leur surveillance. Ainsi la compagnie de Thomas Scuyer, disséminée à l'été et l'automne à travers les duchés de Bourbonnais et d'Auvergne appartenant à la Maison de Bourbon, était-elle installée dans le premier à Saint-Pourçain, Cusset et Escurolles, qui étaient autant d'enclaves royales 75. Celle de Robert Cunningham était logée début mai à Saint-Flour, l'une des bonnes villes du haut pays d'Auvergne participant aux états du duché, mais dont l'évêché était un « exempt » placé sous la juridiction directe du roi, représenté par le bailli des Montagnes d'Auvergne dont le siège oscillait alors entre Aurillac et Saint-Flour même, où il avait en tout cas un lieutenant 76. Inversement, des lieux de cantonnement tels que Gien et Mortain appartenaient respectivement aux bailliages de Montargis et du Cotentin dans le Domaine royal, mais leur seigneur était le comte du Maine 77. La présence des gens d'armes de l'ordonnance, aussi bien dans des enclaves royales en terre princière que dans des enclaves princières en terre royale, adressait un unique message aux feudataires et à leurs sujets : le roi était partout chez lui.

75. B.N., ms. fr. 6 971 f° 240 r° ; Annexe, n" 13 ; O. Mattéoni, Servir le prince. Les officiers des ducs de Bourbon à la fin du Moyen Age ( 1356-1523), Paris, Publications de la Sorbonne, 1998, carte n" 9 p. 1 12, p. 1 14.

76. B.N., ms. fr. 6 971 f 240 r" ; Annexe, n" 14 ; G. Dupont-Ferrier, op. cit., t. I, p. 186- 187, 194 ; Histoire de l'Auvergne, A. -G. Manry (dir.), Toulouse, Privât, 1974, p. 209-210.

77. B.N., ms. fr. 6 971 f° 240 r", 241 r" ; Annexe, n" 9, 23 ; G. Dupoxt-Ferrier, op. cit., t. III, p. 424.

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Nous relevons même trois cas de stationnement dans des principautés indépendantes de fait. L'on s'étonne un peu de rencontrer les vingt lances de Renaud du Châtelet (d'ailleurs nouvellement promu) à Orchies, en Flandre bourguignonne, à une date indéterminée de l'automne ; l'identification de cette localité n'est à vrai dire pas absolument certaine, mais paraît très probable néanmoins 78. Si elles se rendaient dans l'enclave royale du Tournaisis ou en revenaient, pourquoi ne pas les avoir passées en revue là-bas ? L'arrivée de cette petite compagnie préludait-elle à un retour, qui n'eut pas lieu, de Louis XI auprès de Philippe le Bon, sous les auspices de qui il espérait reprendre les négociations laborieusement engagées avec l'Angleterre, ou bien accompagnait-elle les ambassadeurs royaux reçus par le duc à Lille au début de novembre ? 79 II est certain en tout cas que cette présence militaire avait l'aval du vieux prince, qui mettait un point d'honneur à poser en fidèle vassal de son royal neveu. De même, il est avéré qu'une partie de la compagnie de Geoffroi de Saint-Belin logeait entre l'été et l'automne dans le duché de Bourgogne ou l'Auxerrois alors bourguignon 8o, et il n'est sans doute pas innocent que les lances du comte de Boulogne, en marche du Rouergue vers la Normandie, aient été installées en novembre dans l'apanage de Berry, le frère du roi n'ayant pas cru devoir refuser son accord, alors que le Domaine royal était à deux pas 8l. L'on ne s'étonnera pas en revanche de ne rien constater de tel en Bretagne, où les ducs cultivaient une indépendance farouche et même en temps ordinaire n'eussent jamais toléré la présence de l'armée royale sur leurs terres.

Le déploiement de la cavalerie royale, force mobile par excellence, connaissait des remaniements assez fréquents et d'ampleur variable {tableau 6).

78. B.N., ms. fr. 6 971 P 240 r" ; Annexe, n" 12 (20). 79. P.M. Kendall, op. cit., p. 120, 126-129, 133-138, note 5 p. 503-505. L'itinéraire du roi

montre qu'il a passé en 1464 quelque deux mois en Flandre, en janvier-février et en juin-juillet {Lettres de Louis XI, t. XI, p 30-31, 34-35).

80. B.N., ms. fr. 6 971 f° 240 r" ; Annexe, n" 9. 81. B.N., ms. fr. 6 971 f° 239 v° ; Annexe, n° 3.

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L'ABBÉ LE GRAND ET LE COMPTE DE 1464 67

Tableau 6. Mobilité des compagnies d'ordonnance en 1464- 1465 82

Mouvement des compagnies

Entre février-avril et juillet-août

Entre juillet-août et oct.-nov.

Entre oct.-nov. et janv.-févr. 1465

Local (complet) 5 1 3 4 Local (partiel) 5 1 1

Ss. -total mouvements locaux 10 4 5 A longue distance (complet) 3 6 3 A longue distance (partiel) 0 0 1 Ss. -total mouv. Igue. distancel 3 6 4

Pas de mouvement 6 8 5 Indéterminé 5 6 IO

Total des compagnies 24 24 24 Lances déplacées localement *572 (34,1 %) *247 (14,7 %) *275 (16,4 %) Lances transférées au loin 176 (10,5 %) 506 (30,2 %) *367 (21,9 %)

Lances maintenues sur place *699 (41,7 %) *624 (37,2 %) *529 (31, à %) Indéterminé 229 (13,7 %) 299 (17,9 %) 505 (30,1 "/)

Total des lances 1676 (100 %) 1676 (100 %) 1676 (100 %)

Les mouvements locaux, qui n'entraînaient qu'un déplacement limité de la compagnie à l'intérieur du même pays, étaient relativement fréquents et peu significatifs. Il s'agissait à la fois de parcourir la contrée pour mieux la tenir et montrer partout la force royale, et plus prosaïquement de ne pas faire peser trop longtemps l'entretien des gens d'armes sur les mêmes communautés : la tournée des compagnies de Gaston du Lyon et Estévenot de Talauresse dans le sud des Lannes et le Labourd offre une belle illustration de ces mouvements de routine 83. Parfois d'ailleurs le déménagement n'affectait qu'une partie de l'unité et ne constituait qu'une modification de détail dans le dispositif de son déploiement. Les transferts à longue distance au contraire, qui dépaysaient la compagnie en lui confiant la surveillance d'une région nouvelle, reflétaient la

82. Les chiffres précédés d'un astérisque reposent sur le postulat arbitraire qu'en cas de mouvement partiel les effectifs de la compagnie sont également répartis entre chaque site ; nous suivons par ailleurs les partis exposés supra, note 74. Nous n'avons pas tenu compte du déplacement de lances du maréchal Rouault de Pontaubault à Avranches toute proche entre août et octobre ; contre la lettre de la définition donnée plus bas, nous avons considéré comme des mouvements locaux le déploiement des forces de Garguesalle du Lyonnais dans les petits pays limitrophes de Forez et Beaujolais ainsi que l'envoi d'hommes de D'Estuer du sud du Limousin en Quercy entre le printemps et l'été, et comme un mouv ement à longue distance le transfert de lances de Jacques de Floques à l'intérieur de la Normandie, du haut pays dans le Cotentin, entre octobre 1464 et février 1465-

83. B.N., ms. fr. 6 971 P 240 r" ; Annexe, n" 10-1 1.

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politique du roi et la conjoncture du moment ; conformément à la règle d'unité d'emploi du corps, c'est le plus généralement la totalité de l'effectif qui était alors concernée. L'on constate une nette progression de ces mouvements au long cours entre l'été et l'automne : ils dépassèrent alors en nombre les déplacements locaux. Même si la mobilité réelle de l'ordonnance entre l'automne et l'hiver 1465 nous est dissimulée par l'absence d'informations sur près de la moitié des compagnies, il est vraisemblable que les grands transferts de troupes atteignirent un maximum de juillet-août à octobre-novembre : c'est à tout le moins le quart des unités, réunissant presqu'un tiers des effectifs, qui fut alors déplacé à travers le royaume. Ce n'était pas la guerre, mais c'étaient à coup sûr les grandes manuvres.

La répartition géographique des compagnies dans les premiers mois de 1464 offre sans doute une bonne image du déploiement ordinaire de l'ordonnance au début du règne de Louis XI, en même temps qu'elle porte la marque des événements récents (carte 1). La cavalerie royale montait principalement la garde dans le duché de Normandie, vaste et riche terre reconquise à la fin de la guerre de Cent ans une quinzaine d'années plus tôt, qui fournissait à l'Etat royal le quart de ses recettes 84, mais que sa situation exposait à la Bretagne à l'ouest, aux Pays-Bas bourguignons, par-delà l'étroit glacis picard récemment récupéré, au nord-est et à l'Angleterre sur toute sa façade maritime. Un premier dispositif, dans le bailliage de Caux et sur la rive sud de la Seine, défendait l'embouchure du fleuve dans le haut pays, tandis qu'un second veillait sur le Cotentin depuis Cherbourg, ultime parcelle de terre normande arrachée aux Anglais en 1450 et porte maritime du bas pays, jusqu'aux approches de la frontière bretonne ; au moins six compagnies réunissant 500 lances, soit 29,8 % des effectifs de l'ordonnance, stationnaient dans ce seul duché 8s.

Il faut remarquer ici que si le groupe dit des « lances de Normandie » tirait à l'évidence son nom d'une vocation spécifique à garder la contrée, sans doute depuis l'époque de la reconquête, avec le temps la mobilité des troupes et leur emploi selon les besoins du roi avaient quelque peu brouillé les cartes : en 1464 deux de ses sept unités cantonnaient loin du duché, tandis qu'une unité au moins du groupe principal participait à sa défense 86. De même, si l'on trouve parmi ses capitaines les baillis d'Evreux et de Cotentin, l'on y relève également

84. J. Masselin, Journal des états généraux de France tenus à Tours en 1484, éd. et trad. Adhelm Bernier, Paris, Imprimerie royale, 1835, p. 422-423 ; A. Spont, « La taille en Languedoc de 1450 à 1515 (conclusion) », Annales du Midi 3, 1891, note 2 p. 484, p. 489.

85. B.N., ms. fr. 6 971 P 239 v", 240 v"-24i r" ; Annexe, n" 6, 19, 21-24. 86. B.N., ms. fr. 6 971 P 239 v", 240 v" ; Annexe, n° 6, 17, 20.

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Carte i Cantonnement des compagnies d'ordonnance, février- avril 1464

OA A???

Frontières traditionnelles du royaume Limites des territoires effectivement soumis à l'autorité royale Limites du Domaine royal et des principautés territoriales

O Unité du groupe principal, du groupe de Normandie

Effectifs des Compagnie concentrée compagnies : (ou détail du cantonnement inconnu) 86 à 100 lances 50 à 70 lances 9 5 30 lances

O

o A

O ? Localisation imprécise (pays seul mentionné)

t-x j?. Localisation probable mais non attestée : '-' '" groupe principal, groupe de Normandie

O ??? Localisation inconnue

// Mouvement depuis la montre précédente : local (sans changement de pays), à longue distance (changement de pays) Compagnie déployée Détachement isolé en plusieurs détachements d'une compagnie 000 a <KM <

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7o JEAN-FRANÇOIS LASSALMONIE

les sénéchaux de Guyenne (aussi capitaine de Falaise, il est vrai) et de Limousin ou le gouverneur de La Rochelle, alors qu'a contrario le bailli de Caen commandait une unité du groupe principal 87. Plus généralement il était rare, même dans les périodes paisibles, que les gens d'armes fussent installés dans les terres confiées à l'administration de leur chef : les compagnies du comte de Commin- ges dans sa lieutenance de Guyenne, de Louis de Crussol en Poitou et de Jean d'Estuer en Limousin font figure d'exception 88.

Dix compagnies et un détachement au moins, représentant autour de 44,2 % des effectifs avec 740 lances environ, étaient disséminés à travers le reste du royaume. La moitié de ces forces, regroupant sans doute quelque 340 lances, était cantonnée dans divers pays de marche. Trois compagnies veillaient sur le sud-ouest du royaume, dont la reconquête sur l'Angleterre s'était achevée seulement onze ans auparavant : deux d'entre elles, avec 80 lances, prenaient leurs quartiers face à la Navarre dans les confins occidentaux des Pyrénées et la dernière, forte de 100 lances, plus au nord, en Guyenne. Deux autres compagnies logeaient leurs 120 lances au sud-est dans le Lyonnais, aux portes des duché et comté de Bourgogne comme du Dauphiné, tandis qu'un détachement isolé d'une quarantaine de lances peut-être se tenait à l'ouest dans la principauté angevine, aux abords de la Bretagne 8<J. La seconde moitié distribuait 400 autres lances à l'intérieur même du royaume, plutôt dans sa partie centrale et méridionale : deux compagnies totalisant 100 lances stationnaient en Bourbonnais et en Auvergne, sur les terres de la Maison de Bourbon aussi surveillées depuis le Lyonnais, tandis que trois autres, fortes chacune de 100 lances, gardaient les sénéchaussées royales de Poitou, Limousin et Rouergue yo.

L'ordonnance assurait également une présence militaire dans les marges du royaume, d'une part en Dauphiné où deux compagnies de 100 lances cantonnaient sur la rive orientale du Rhône, d'autre part en Roussillon et Cerdagne où un détachement d'une quarantaine de lances peut-être, appartenant à la même compagnie que celui d'Anjou, est signalé '". L'on peut être surpris de la faiblesse de ce contingent dans un pays conquis à force d'armes au cours des deux années précédentes, mais il faut songer d'une part que la cavalerie régulière n'est pas tout et que les forces d'occupation françaises devaient être renforcées par des garnisons de mortes-payes, voire des troupes

87. B.N., ms. fr. 6 971 P 240 r"-24i r" ; Annexe, n" 13, 19-23. 88. B.N., ms. fr. 6 971 P 239 v", 240 v° ; Annexe, n" 4, 7, 20. 89. B.N., ms. fr. 6 971 P 239 v0-240 r° ; Annexe, n" 4-5, 9-12. 90. B.N., ms. fr. 6 971, loc. cit. ; Annexe, n" 3, 7, 13-14, 20. 91. B.N., ms. fr. 6 971 P 240 r°-v° ; Annexe, n" 9, 15, 17.

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L'ABBÉ LE GRAND ET LE COMPTE DE 1464 71

supplétives, d'autre part que les chiffres présentés ici sont des minima, la localisation de trois compagnies et 120 lances nous étant alors inconnue ()Z ; il est possible en particulier que les 100 lances de Poncet de Rivière, qui avaient pris part à la soumission de la contrée, y aient encore stationné à cette date. Il est par ailleurs remarquable de ne pas trouver de toute l'année une seule lance dans l'autre acquisition récente de Louis XI, la Picardie rachetée en 1463 et où le roi passa une bonne partie de 1464 93, ni d'ailleurs sur l'ensemble de la frontière septentrionale et orientale du royaume 94. Depuis son avènement l'entente cordiale avec la Bourgogne restait officiellement à l'ordre du jour et la présence de l'ordonnance, a fortiori dans une terre que le duc venait de rétrocéder pacifiquement, eût été une marque de défiance par trop discordante.

Enfin, le cantonnement d'une compagnie de 70 lances au-delà des Alpes marque l'épilogue de la tentative de Charles VII et Louis XI pour réduire la rébellion des Génois, soulevés contre l'éphémère autorité du roi de France en 1460 ; peut-être les opérations en Italie expliquaient-elle en partie le déploiement des forces royales en Lyonnais et en Dauphiné, sur la route du Piémont. Las d'un conflit hérité où il ne trouvait guère son compte, le nouveau roi venait en tout cas de céder le 22 décembre 1463 ses droits sur le duché de Gênes à son allié milanais François Sforza, qui en fut investi le 7 février 95. Le lendemain même, les lances étaient passées en revue à Asti, sur les terres italiennes de la Maison d'Orléans à qui ses intérêts dans la région avaient valu un rôle dans la campagne : nous avons vu que le comte de Dunois avait commandé l'armée d'Italie 96. Il est vraisemblable que cette montre fut le dernier acte avant le rapatriement des gens d'armes, qui ne gagnèrent peut-être pas au change car Louis XI les envoya en Roussillon et Cerdagne 97.

Leur arrivée permit de mettre fin à l'éclatement de la compagnie jusqu'alors divisée entre ces pays et l'Anjou, et que nous retrouvons à l'été installée dans la Champagne et la Bourgogne voisines (carte 2). Pour le reste

92. B.N., ms. fr. 6 971 P 239 r"-v" ; Annexe, n" 1-2, 8. 93. De novembre 1463 à janvier, en juin, en juillet et d'août à octobre (itinéraire, Lettres de

Louis XI, t. XI, p. 28-30, 34-37). 94. Les gens d'armes présents dans la région lyonnaise sont une exception peu significative,

car ils étaient placés à un carrefour géographique d'où ils surveillaient tout autant sinon plus la route du Dauphiné et de l' Italie et les principautés de la Maison de Bourbon que le sud des États bourguignons.

95. Ordonnances, t. XV, note (a) p. 138 ; t. XVI, 1814, p. 146-148, note (c) p. 149. 96. Le comté d'Asti avait été apporté en dot par Valentine Visconti au duc Louis d'Orléans en

1389 (B. Quilliet, Louis XII, Père du Peuple, Paris, Fayard, 1986, p. 22) ; le vieux duc Charles, toujours régnant en 1464, était leur fils, et le comte de Dunois son demi-frère adultérin.

97. B.N., ms. fr. 6 971 P 240 v" ; Annexe, n" 16 (i°).

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Carte 2 Cantonnement des compagnies d'ordonnance, juillet-août 1464

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Frontières traditionnelles du royaume Limites des territoires effectivement soumis à l'autorité royale Limites du Domaine royal et des principautés territoriales Unité du groupe principal, du groupe de Normandie

Effectifs des Compagnie concentrée compagnies : (ou détail du cantonnement inconnu)

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86 à 100 lances

50 à 70 lances 9 à 30 lances

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Carte 3 Cantonnement des compagnies d'ordonnance, octobre-novembre 1464

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Q? Localisation imprécise (pays seul mentionné) ,-% *,j.- Localisation probable mais non attestée : *-' '" gToupe principal, groupe de Normandie

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74 JEAN-FRANÇOIS LASSALMONIE

nous ne constatons guère, entre la première et la deuxième série de revues, que des mouvements locaux, souvent de simples déploiements sans grande signification, à une exception près peut-être : si les lances d'Anjou quittèrent les marches de Bretagne, celles du Cotentin multiplièrent en revanche leurs quartiers pour surveiller de plus près la côte nord-est de la péninsule, face aux Anglais, et la frontière sud-ouest, face aux Bretons 98. Faut-il voir dans ces mesures, de modeste ampleur encore, les premiers symptômes de la crise qui couvait ?

C'est avec la troisième série de montres que nous assistons à l'automne à des changements majeurs dans la répartition de l'ordonnance (carte 3). Deux compagnies de 100 lances, venues du Limousin et de la région lyonnaise, prirent position dans le Maine et l'Anjou à l'est de la frontière bretonne, l'une sur la Mayenne et l'autre en retrait ; une troisième, partie du Rouergue, était en route et se trouvait dans l'ouest du Berry tandis qu'une quatrième, ayant quitté la Champagne et la Bourgogne, semble avoir également fait mouvement vers l'ouest, mais nous perdons ensuite sa trace. Ainsi s'explique l'essentiel de la hausse des mouvements à longue distance, et des cantonnements dans les principautés soumises au roi, que nous remarquons alors. Cependant, au nord de la frontière bretonne les lances du Cotentin avaient complété leur positions limitrophes tandis qu'au sud les 100 lances de la compagnie stationnée en Poitou s'étaient installées sur les confins du duché " : Louis XI était alors clairement en train de masser sa cavalerie aux portes de la Bretagne.

Malgré l'état très lacunaire de la dernière série de montres en janvier et février 1465, nous pouvons voir ces mouvements se poursuivre et le dispositif achever de se mettre en place entre l'automne et l'hiver : à ce moment nous disposons pour ainsi dire d'une photographie (certes floue, les revues s'éten- dant sur six semaines) de la répartition géographique des compagnies d'ordonnance à la veille même de la guerre civile, puisque la dernière inspection eut lieu le 28 février, quatre jours avant que la fuite en Bretagne de Charles de France ne donnât le signal de la révolte ,0° (carte 4).

Au nord de la frontière bretonne une compagnie jusqu'alors cantonnée dans le Cotentin avait été relevée par un détachement enlevé aux forces de la basse Seine, lui-même épaulé par les lances arrivées du Berry et disposées du bailliage de Caen au duché d'Alençon. Leur propre flanc sud côtoyait la compagnie qui tenait la Mayenne, au sud-ouest de laquelle l'unité précédem-

98. B.N., ms. fr. 6 971 P 239 v"-240 r", 241 r" ; Annexe, n" 6, 9, 21. 99. B.N., ms. fr. 6 971 P 239 v"-24i r" ; Annexe, n" 3, 5, 7, 9, 20-21. 100. B.N., ms. fr. 6 971 P 239 v° ; Annexe, n" 6 ; P.M. Kendall, op. cit., p. 144.

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Carte 4 Cantonnement des compagnies d'ordonnance, janvier-février 1465

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Effectifs des compagnies

Frontières traditionnelles du royaume

Limites des territoires effectivement soumis à l'autorité royale

Limites du Domaine royal et des principautés territoriales

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86 5 100 lances

50 à 70 lances 9 à 30 lances

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// Mouvement depuis la montre précédente : local (sans changement de pays), à longue distance (changement de pays) Compagnie déployée en plusieurs détachements ooa 44<] Détachement isolé d'une compagnie

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ment en retrait occupait désormais des postes plus avancés en Anjou, au nord de la Loire. De l'autre côté du fleuve la compagnie relevée dans le Cotentin, transférée en Anjou et dans le nord du Poitou, avait été échelonnée en profondeur et assurait la liaison avec les lances du Poitou, qui avaient parachevé la fermeture de la frontière bretonne au sud en étendant leur déploiement vers la mer IQI. Le dispositif était à présent complet : au terme de cette montée en puissance les forces de l'ordonnance concentrées dans les marches de Bretagne étaient passées, d'un détachement d'une soixantaine de lances peut-être dans l'été, à trois compagnies et deux détachements réunissant sans doute plus de 400 lances en automne, et à cinq compagnies et deux détachements groupant vraisemblablement plus de 600 lances au début de 1465. Plus du quart des compagnies d'ordonnance prenait alors part au bouclage de la frontière bretonne, qui mobilisait plus du tiers des effectifs ; et encore faut-il rappeler qu'il s'agit là de minima, la localisation des unités nous échappant dans une mesure croissante au fil de l'année.

L'actualité de l'année 1464 éclaire le mouvement des troupes autant que celui-ci précise celle-là. Depuis deux ans un conflit de souveraineté opposait Louis XI au duc François II autour de la régale des évêchés bretons. Une conférence s'était ouverte le 25 novembre 1463 à Tours pour soumettre leur différend à une commission d'arbitrage présidée par le comte du Maine (et où siégeait un autre capitaine de l'ordonnance, le comte de Comminges), puis avait été suspendue pour complément d'information. Un modus vivendi avait été trouvé le 16 janvier 1464 en attendant sa reprise, prévue pour le 8 septembre à Chinon, mais dans l'été François II opta pour l'épreuve de force. En juillet, Louis XI apprit qu'il se livrait à des préparatifs guerriers et recherchait l'appui du roi d'Angleterre Edouard IV, proposant en retour le soutien breton dans une éventuelle reconquête de la Normandie : voilà de quoi motiver les premières précautions prises dans le Cotentin. En août, le duc écrivit aux grands seigneurs du royaume pour accuser le souverain lui-même, dans ses propres pourparlers avec l'Angleterre, d'offrir à Edouard IV la Normandie et la Guyenne pour qu'il l'aidât à assujettir la noblesse de France ; Louis XI dut s'en défendre auprès de ses vassaux. Bien que la conférence eût été repoussée au 15 octobre les Bretons ne s'y rendirent pas, et le comte du Maine rendit le 3 1 une sentence défavorable au duc, convoqué à Chinon pour reprendre les négociations le Ier mars 1465.

L'itinéraire de Louis XI témoigne de ses préoccupations à partir de l'été. Quittant la Flandre et la Picardie d'où il guettait l'ambassade anglaise, il se

101. B.N., ms. fr. 6 971 P 239 v", 240 v"-24i r" ; Annexe, n" 3, 5-7, 20, 23.

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L'ABBÉ LE GRAND ET LE COMPTE DE 1464 77

rapprocha de l'ouest et gagna Rouen et la Haute-Normandie où il séjourna de la mi-juillet à la mi-août. Reparti ensuite en Picardie, il finit par abandonner sa vaine attente et retourna à Rouen où il resta de la mi-octobre à la première semaine de novembre, tandis qu'à Chinon la commission d'arbitrage reprenait unilatéralement ses travaux ; il ne quitta la capitale normande que pour aller passer l'hiver en Touraine. Durant ce second séjour le souverain, alarmé par l'appel de son adversaire à l'aristocratie, reçut les grands seigneurs pour tâcher de se les concilier et convoqua pour décembre une assemblée de la noblesse à Tours afin de lui soumettre son litige avec le duc. Celle-ci, réunie le 18 décembre, donna raison au roi avec de grandes effusions loyalistes de façade, tandis qu'en Bretagne des commissaires royaux s'efforçaient non sans mal de signifier aux gens du duc la sentence rendue en octobre. Le 20 février 1465, huit jours avant le rendez-vous fixé à François II, Louis XI fut rejoint à Poitiers par une ambassade bretonne porteuse des meilleures nouvelles ; elle venait en fait chercher son frère pour lancer le soulèvement IO2.

Ainsi la concentration de l'ordonnance sur la frontière bretonne à partir de l'été fut la réponse militaire de Louis XI au durcissement de François II dans une période qui apparaît a posteriori comme l'avant-guerre du Bien public, le roi étant mis sur la défensive face à sa noblesse. De l'été à l'automne, tandis que la crise était déclenchée par le duc puis confirmée par l'absence de ses négociateurs à Chinon malgré le report de la conférence, Louis XI envoya ses lances aux portes du duché, autant pour parer à toute incursion bretonne que pour faire pression sur son adversaire. De l'automne à l'hiver, alors que le roi, choisissant la fermeté sans fermer tout à fait la porte au dialogue, ripostait politiquement en faisant condamner par deux fois François II, ses troupes continuèrent leurs manœuvres et le dispositif frontalier fut renforcé. Philippe Contamine a montré qu'à la fin de 1464 tout était prêt, sur le plan du droit, pour attaquer la Bretagne IO3 ; l'abbé Le Grand permet de confirmer que tel était bien le cas aussi sur le plan des armes. Louis XI songeait-il réellement à envahir le duché, au risque de compromettre définitivement le rapprochement tant désiré avec l'Angleterre et d'émouvoir les autres feudataires, ou cette imposante démonstration de force ne visait-elle qu'à intimider François II ? Le fait qu'à la mi-février 1465 le roi, quittant ses quartiers d'hiver tourangeaux, ait pris le

102. Itinéraire, Lettres de Louis XI, t. XI, p. 35-52 ; P.M. Kendall, op. cit., p. 128-129, 131-140, 144 ; Ph. Contamine, « Méthodes et instruments de travail de la diplomatie française. Louis XI et la régale des évêchés bretons (1462-1465) », Des pouvoirs en France, p. 147-148, 150-151-

103. Art. cit. supra, p. 157.

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chemin du sud paraît en tout cas plaider pour la seconde hypothèse : quand la guerre civile éclata, il était en pèlerinage à Saint-Junien dans le Limousin IO4.

L'on chercherait vainement en revanche, dans le déploiement de l'ordonnance, le reflet des tensions qui surgirent cette fois entre Louis XI et Philippe le Bon à l'automne 1464. Un aventurier, le bâtard de Rubempré, fut arrêté en septembre alors qu'il escaladait les murs du château de Gorcum en Hollande où le comte de Charolais Charles le Téméraire, brouillé avec son père à qui il reprochait sa complaisance envers le roi, résidait à l'écart de la Cour ducale. Il s'avéra que le prisonnier était un agent secret de Louis XI, que la rumeur accusa bientôt d'avoir commandité l'assassinat de l'héritier de Bourgogne. Ce scandale rapprocha le duc de son fils et ses rapports avec le roi s'en ressentirent aussitôt : l'audience qu'en présence du comte il accorda au début de novembre à une importante ambassade conduite par le chancelier de France Pierre de Morvilliers prit un tour exécrable. Après le retour de ses envoyés, qui lui en rendirent compte le 22, Louis XI ne pouvait plus se faire d'illusions sur l'envenimement des relations franco-bourguignonnes IO5.

Pourtant, au début de l'année 1465, il n'y avait toujours aucune compagnie d'ordonnance face aux États de Philippe le Bon. Certes nous ne savons pas toujours où les lances étaient cantonnées, mais tout indique que la priorité allait alors au dispositif breton. De même, il y avait bien des garnisons de mortes- payes le long des Pays-Bas et de la Bourgogne, mais c'était une défense statique, aisée à contourner pour qui voulait s'enfoncer dans l'intérieur du royaume et non prendre les places frontalières. À la veille de la guerre du Bien public Louis XI ne disposait d'aucune masse de manœuvre véritable de la Picardie à la Champagne : les frontières du nord et de l'est étaient ouvertes. Concentré sur la crise bretonne, le roi n'avait en revanche pu se résoudre à admettre la ruine du pivot de sa diplomatie depuis son avènement, l'entente cordiale franco- bourguignonne ; minimisant les faits, il n'en avait pas tiré les leçons.

Enfin, la dernière série de renseignements que nous livre l'abbé Le Grand n'est pas moins intéressante. Celui-ci a relevé dans le compte d'Antoine Raguier diverses observations particulières relatives au paiement des lances, touchant essentiellement les exemptions de montres. Nous avons vu que le

104. Et non Saint-Julien comme l'écrit P. Kendall (op. cit., p. 143-144). 105. Ibid., p. 134-135, 137-138, notes 3 p. 502, 5 p. 5°3"5°5-

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L'ABBÉ LE GRAND ET LE COMPTE DE 1464 79

comte du Maine et Tristan l'Hermite jouissaient en permanence d'une telle dérogation pour leurs petites compagnies, quitte à la faire proroger chaque année ; peut-être était-ce aussi le cas d'Artus de Longueval bien que Le Grand n'en souffle mot, car ses notes ne signalent aucune revue de son unité après sa création en mai. Deux autres compagnies en furent ponctuellement l'objet : si l'une, récemment confiée à Renaud du Châtelet, ne comptait que 20 lances, l'autre, commandée par Geoffroi de Saint-Belin, comptait parmi les compagnies de grande taille avec ses 86 lances. Ces dispenses exceptionnelles furent accordées au cours du trimestre concerné ou aussitôt après, les 23 février 1464 et 1 3 janvier 1465 pour les premier et quatrième quartiers de solde des forces de Saint-Belin, le 15 janvier suivant pour le dernier quartier de celles de Du Châtelet.

Dans un seul cas Le Grand nous rapporte le motif invoqué : Louis XI ordonna de payer les hommes de Saint-Belin sur simples quittances du capitaine pour le premier trimestre * attendu la grande distance ou ils sont logés, les uns estans en Aniou, les autres en Roussillon » io6. Des difficultés spéciales soulevées par la localisation de l'unité durent semblablement expliquer les deux autres exemptions. L'absence, puis la rareté des dispenses ponctuelles pour les deux derniers trimestres montrent cependant que les grands mouvements de troupes n'étaient pas une justification suffisante — en admettant que l'abbé Le Grand, comme on peut le penser, ait bien relevé toutes les exceptions signalées dans le compte. Le fait que seul le capitaine rendît quittance suggère que le trésorier des guerres lui remettait la paye de toute sa compagnie, se déchargeant sur lui du soin de la faire parvenir sur les lieux de cantonnement. Mais si des considérations pratiques pouvaient présider à la décision du roi, celui-ci se privait en même temps de l'inspection qui devait le protéger des fraudes à la solde, et le règlement du 6 juin prouve s'il en était besoin qu'il le faisait en pleine conscience. Dès lors il est permis de soupçonner que comme les très rares exemptions permanentes, les quelques dérogations ponctuelles, motivées par des obstacles réels mais sans doute pas insurmontables, étaient aussi une faveur faite au capitaine, qui ne devait pas manquer d'en faire son profit, et peut-être aussi à ses subordonnés si leur chef y consentait.

D'autres dispenses, partielles celles-là, pouvaient être consenties à certains gens d'armes et archers de la compagnie pour une ou plusieurs montres, soit à l'avance, soit après coup. Le règlement du 6 juin prévoyait le paiement des hommes malades ou en permission à condition que le commissaire royal ait pu

106. B.N., ms. fr. 6 971 f" 240 r" ; Annexe, n" 9, 12 (20).

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8o JEAN-FRANÇOIS LASSALMONIE

inspecter leur équipement et leur monture, qu'ils devaient donc laisser dans leurs quartiers ; par ailleurs les absences autorisées en temps de paix ne devaient pas dépasser 15 % de l'effectif IO7. Selon toute évidence la rétribution de chaque absent n'était pas systématiquement soumise à l'aval du roi : à lire l'abbé Le Grand les permissionnaires en période de revue seraient d'ailleurs curieusement limités à trois compagnies. Plus vraisemblablement, les exemptions de ce type accordées par Louis XI en personne touchaient des cas litigieux, ou encore des gens de guerre provisoirement séparés de leur unité par une mission particulière : ainsi Guillaume de Bigars, homme d'armes du comte de Dunois excusé avec ses deux archers le 15 septembre 1464, avait-il déjà été commis par le roi à passer plusieurs montres de la grande et de la petite ordonnance en Normandie dans les premiers temps de son règne, en août et septembre 146 1 Io8.

Les huit cas mentionnés par Le Grand concernent, on l'a dit, trois compagnies, toutes du groupe « de Normandie » mais stationnées aussi bien en Dauphiné que dans le duché, en sorte que l'on peut se demander s'il s'agit d'un pur hasard ou si l'abbé n'est pas devenu plus précis dans ses notes sur le second groupe. Ces dispenses, qui n'étaient pas toujours octroyées à des lances entières, touchèrent en tout dix hommes d'armes et douze ou quatorze archers dans la compagnie du comte de Dunois, huit hommes d'armes et vingt-trois archers dans celle de Jean du Pont-PAbbé et apparemment quatre lances dans celle de Jacques de Floques, toutes unités fortes de 100 lances ; elles portaient sur un ou plusieurs des trois derniers quartiers de solde de 1464, donc sur les revues passées à partir de l'été. Les lettres royaux s'échelonnent du 12 août 1464 au 19 mai 1465 à tout le moins, peut-être même jusqu'au 23 juillet 1466 IO9 : entretemps la guerre du Bien public avait donné au roi bien d'autres chats à fouetter, et les dernières régularisations tardèrent.

Mais tous les absents n'étaient pas en congé ou en mission : pour la première fois, les revues de janvier et février 1465 révélèrent un mouvement de désertions. Nous avons déjà évoqué le problème du loyalisme envers Louis XI de troupes souvent recrutées par les capitaines limogés ; le règlement du 6 juin 1464 prescrivait à chaque commissaire d'adresser au roi un rapport trimestriel sur la situation matérielle, mais aussi l'état d'esprit des lances en lui signalant, entre autres manquements à la discipline, les absences illicites et* ceulx qui verra estre de mauvaise voulenté, ou qui diroient mauvaises parolles sonnans ceditions ou

107. Jean de Reilhac, t. I, p. 165-166 (article 5). 108. B.N., ras. fr. 6 971 f" 240 v" ; Annexe, n" 17 ; B.N., nouv. acq. fr. 8 607 f° 1 16-140. 109. B.N., ms. fr. 6 971 F 240 v"-24i r" ; Annexe, n" 17, 22-23.

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L'ABBÉ LE GRAND ET LE COMPTE DE 1464 81

désobéissances ou vouloir d'estre a autres que a nous » ll°. Les notes de Le Grand, que l'on peut supposer complètes sur une question aussi importante, sont tout à fait explicites : tous les déserteurs appartenaient à trois compagnies du groupe « de Normandie » cantonnées dans le duché, et avaient gagné la Bretagne.

Certes les noms glanés dans notre source, tel Hector d'« U selles », un Comtois semble-t-il, ou Brun de Bouteville, un Angoumois sans doute IIT, suffisent à nous convaincre qu'il n'y avait pas véritablement de déterminisme géographique dans le recrutement des lances dites « de Normandie ». Néanmoins il n'est pas douteux que ces compagnies normalement vouées à la défense du duché ouvraient surtout un débouché dans la carrière des armes à la petite aristocratie normande, mais aussi à celle de la Bretagne voisine, a fortiori quand le capitaine était un compatriote. L'escalade de la tension entre leur duc et leur employeur prit les Bretons de l'ordonnance entre deux feux. Jusqu'à la fin de 1464 ils ne bronchèrent pas, mais au cours de l'hiver ils jugèrent, ou apprirent, que l'affrontement armé était inévitable et imminent ; alors ils choisirent leur camp et rejoignirent François II, désertant l'ordonnance royale au péril de leur vie.

Bien sûr, rien ne dit que tous les Bretons prirent ce parti. Certains, tel Olivier de Plusquellec déjà cité — et dont nous ignorons le choix — avaient d'ailleurs été recrutés depuis 1461 par des capitaines fidèles à Louis XI ; de plus le phénomène ne toucha qu'une partie des cinq compagnies « de Normandie » alors attestées dans le duché ou sur la frontière bretonne. Les unités affectées furent celles de Jean de Montauban, Jean du Pont-1'Abbé et Jean du Fou. Si les deux premiers au moins étaient Bretons, tous avaient été promus par le roi à son avènement, et le premier et le dernier au moins devaient conserver sa faveur à travers la tourmente du Bien public : il n'y a guère lieu de rechercher une explication aux défections dans la personnalité même des chefs. La première de ces compagnies se partageait depuis l'automne entre Avranches aux portes de la Bretagne et Montebourg au nord-est du Cotentin, la deuxième s'était reconcentrée du pays de Caux sur Rouen, la troisième n'avait cessé de garder Cherbourg : les fuyards avaient dû prendre la mer sur un bateau ami, ou faire les cinq lieues de chevauchée qui séparaient Avranches du Couesnon. Au sein de ces unités l'ampleur des désertions fut variable mais non négligeable {tableau y).

1 10. Jean de Reilhac, t. I, p. 166-167 (article 10). m. B.N., ms. fr. 6 971 f" 240 v"-24i r" ; Annexe, n" 17, 22 ; Uxelles, canton de Clairvaux-

les-Lacs, arrondissement de Lons-Ie Saunier, département du Jura, ou Uzelle, canton de Rouge- mont, arrondissement de Besançon, département du Doubs ; Bouteville, canton de Châteauneuf- sur-Charente, arrondissement de Cognac, département de la Charente.

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82 JEAN-FRANÇOIS LASSALMONIE

Tableau 7. — Désertions des gens de guerre de l'ordonnance dans l'hiver 1464-1465

Capitaine Jean de Montauban Jean du Pont-1'Abbé

Jean du Fou

Effectif 100 lances 70 lances 30 lances

Gens d'armes déserteurs 14(14%) 13(18,6%)

9 (3O %)

Archers déserteurs 28? (14%) 23(16,4%) 13(21,7%)

Au total trente-six hommes d'armes et sans doute soixante-quatre archers s'enfuirent : les désertions ne se faisaient pas toujours par lances entières. À l'échelle supérieure le phénomène apparaît naturellement plus modeste, voire marginal : le groupe « de Normandie », réduit de 600 à 564 lances complètes, perdait 6 % de ses forces tandis que l'effectif total de l'ordonnance, dont une compagnie sur huit était touchée, était ramené de 1 676 à 1 640 lances, ce qui ne représentait guère qu'un recul de 2,1 %. En somme les désertions de l'hiver, outre qu'elles purgeaient la cavalerie royale de ses éléments les moins sûrs, ne l'affaiblissaient pas tant que les réductions opérées par Louis XI lui-même dans les premières années de son règne. Mais le problème n'était pas seulement quantitatif. Le fait que pour la première fois depuis le début de la crise des dizaines de gens de guerre d'origine bretonne, rompant leurs engagements, trahissent le service du roi pour rentrer chez eux était en soi du plus mauvais augure. Ce n'était pas une hémorragie ; c'était un signal d'alarme.

Les fuyards laissaient derrière eux leur dernier quartier de solde de 1464. Le souverain en fit don à leurs capitaines, leur démontrant ainsi sa confiance inaltérée, à une exception toutefois : ce n'est pas le seigneur du Pont-1'Abbé qui recueillit l'argent de ses hommes en rupture de ban, mais le commissaire à la montre Guillaume de Ricarville, un Normand manifestement II2, qui portait le titre de maître d'Hôtel du roi. On était alors le 23 juillet 1466, après la guerre du Bien public : le capitaine, qui cessa en 1465 ses fonctions de bailli du Coten- tin II3) était-il mort ou disgracié pour sa conduite durant les troubles ? Le manque d'informations nous interdit de trancher. Il était stipulé en tout cas, dans l'esprit du règlement du 6 juin, que Ricarville honorerait sur cette somme les dettes contractées par les déserteurs durant le dernier trimestre de 1464. Le

112. Ricarville, canton de Fauville-en-Caux, arrondissement du Havre, département de la Seine-Maritime, ou Ricarville-du-Val, canton d'Envermeu, arrondissement de Dieppe, même département.

113. G. Dupont- Ferrier, op. cit., t. II, p. 193-194, n" 7 072.

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L'ABBÉ LE GRAND ET LE COMPTE DE 1464 83

don à l'amiral de Montauban fut consenti le 24 avril 1465, au début de la guerre civile, alors qu'il était plus opportun que jamais de galvaniser les fidélités ; surtout, les lettres de don en faveur de Jean du Fou portent la date du 29 janvier II4, ce qui est beaucoup plus intéressant. À ce moment au plus tard Louis XI avait donc été informé — et rapidement, la revue remontant à dix jours — que ses gens de guerre bretons l'abandonnaient et que des événements graves étaient dans l'air ; et pourtant, nous l'avons vu, il partit deux semaines plus tard vers le sud et se laissa surprendre en Limousin par la révolte.

*

À la veille même de la grande révolte princière de 1465, pour n'avoir pas voulu reconnaître sa brouille avec le duc de Bourgogne, Louis XI laissait découvertes les longues frontières par où la principale armée rebelle envahirait bientôt le royaume ; pour n'avoir pas voulu prendre au sérieux l'alarmante nouveauté que constituait la désertion de dizaines de Bretons de l'ordonnance, il mésestimait la gravité de l'heure et s'éloignait du dispositif militaire construit depuis six mois face à François II, tournant le dos à ses plus dangereux adversaires au moment où ceux-ci allaient passer à l'action. Les conditions dans lesquelles il abordait la période la plus critique du règne étaient à son désavantage, et lui-même n'y était pas pour peu. C'est avec raison que son biographe Paul Kendall a appliqué au roi sa propre réflexion sur le duc de Milan François Sforza, auquel il vouait une grande admiration : «Jamais il n'était mieux que lorsqu'il avait de l'eau jusqu'au cou » I 's. Mais Louis XI était souvent plus doué pour se tirer d'un mauvais pas que pour s'en préserver. Confiant dans les ressources de son esprit, il inclinait à minimiser les faits inquiétants, sinon à les occulter, et son optimisme pouvait confiner à l'aveuglement. Abusant les autres avec brio, il lui arrivait de s'abuser lui-même : ce fin politique pouvait être son pire ennemi. La fameuse affaire de Péronne, en 1468, en offre l'éclatante illustration ; les mois qui précèdent la guerre du Bien public en révèlent un nouvel exemple sous l'éclairage des notes de l'abbé Le Grand. Aussi n'est-ce pas sur Louis XI seul que nous souhaitons conclure. Les pages qui précèdent n'auraient pu être écrites sans le travail fastidieux et considérable jadis réalisé par Joachim Le Grand, ce mal aimé de l'historiographie tantôt blâmé, tantôt raillé, toujours décrié. Pourtant ses papiers, avec toute leur imperfection,

1 14. B.N., ms. fr. 6 971 f" 241 r" ; Annexe, n" 21-22, 24. 1 15. Op. cit., Prologue, p. xxvm.

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constituent bel et bien une source à part entière de l'histoire de ce roi et de ce règne, qui seule nous a conservé le reflet, même altéré, de la lumière à jamais éteinte d'originaux disparus. Après deux siècles et demi, il n'est que temps de rendre justice à cet homme de Dieu qui, à son époque, n'a pas démérité de Clio.

Jean-François Lassalmonie

ANNEXE

LES COMPAGNIES D'ORDONNANCE EN 1464 D'APRÈS LES NOTES DE L'ABBÉ LE GRAND

Nota. Les notices relatives à chaque compagnie sont présentées dans l'ordre suivi par Le Grand (qui reflète celui du compte du trésorier des guerres), selon un classement en neuf rubriques :

a. Identité du capitaine. b. Titre(s) particulier(s) donné(s) au capitaine (fonction, dignité). c. Date des lettres de retenue (nomination) du capitaine. d. Effectif de la compagnie. e 1 à e 4. Lieu(x) et date(s) de la montre pour chaque quartier (trimestre) de

1464. f. Remarque(s) particulière(s).

Des précisions complémentaires sont apportées entre crochets II6. Les lieux de montre indiqués en caractères romains sont situés dans le Domaine royal (enclaves princières comprises) ; en caractères soulignés, en Roussillon et Cerdagne ou en Dauphiné ; en caractères italiques, au sein des principautés territoriales du royaume

116. Les fonctions des capitaines sont complétées d'après Gustave Dupont-Ferrier, Gallia regia ou Etat des officiers royaux des bailliages et des sénéchaussées de 1328 à 1515, 7 vol., Paris, Imprimerie nationale, 1942-1966.

Les erreurs d'année dans la date des lettres royaux sont corrigées d'après l'itinéraire de Louis XI, Lettres de Louis XI, roi de France, éd. Joseph Vaesen et Etienne Charavay, Société de l'histoire de France, Paris, Renouard, t. XI, 1909, p. 3-236.

Les lieux de montre sont situés dans les cadres territoriaux du temps d'après Gustave Dupont- Ferrier, Les officiers royaux des bailliages et sénéchaussées et les institutions monarchiques locales en France à la fin du Moyen Age, Paris, Bouillon, 1902, coll. « Bibliothèque de l'Ecole des Hautes Études, Sciences historiques et philologiques », 145, carte I, hors texte (abréviations utilisées : ch.- 1., chef-lieu ; cant., canton ; arr., arrondissement ; dép., département ; prov., province ; rég., région ; baill., bailliage ; sén., sénéchaussée).

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L'ABBÉ LE GRAND ET LE COMPTE DE 1464 85

(enclaves royales comprises) ; en italiques gras, à l'étranger. Le cas échéant, ils sont précédés d'un ou deux astérisques selon qu'ils révèlent un mouvement de troupes local ou à longue distance depuis la montre précédente ; si ce mouvement concerne l'ensemble de la compagnie les astérisques sont placés en tête de rubrique. Les années sont données en nouveau style ; les dates de montre sans précision d'année sont de 1464.

Groupe principal

(1) a. [Charles d'Anjou] comte du Maine. b. [Lieutenant général du roi et gouverneur de Languedoc et de Guyenne.] d. 10 lances. f. Dispensé de montres. Versement de 950 1. [t.] par quartier à raison de 10 1. [t.] par archer [et par mois]

pour 30 archers en vertu de lettres « par le roi » de Paris, 8 mars 1464 [lances de 3 archers, sans homme d'armes].

(2) a. Poncet de Rivière. c. Bordeaux, 10 février 1463. d. 100 lances. e 4. Bordeaux [ch.-l. dép. Gironde ; sén. Guyenne], 14 janvier 1465.

(3) a. Bertrand de la Tour, comte de Boulogne et d'Auvergne. d. 100 lances. e 1. [Villefranche de Rouergue, ch.-l. arr., dép. Aveyron ; sén. Rouergue] 15 avril. e 2. Ibidem, 23 juillet. **e 3. Saint-Gaultier [ch.-l. cant., arr. du Blanc, dép. Indre] en Berry, 17-

18 novembre. **e 4. « Sainte Laresne au Moine » (?) II7, 28 janvier 1465 ; Domfront [ch.-l. cant., arr. Alençon, dép. Orne ; duché d'Alençon] et Vire [ch.-l.

arr., dép. Calvados ; baill. Caen], 3-4 février.

(4) a. [Jean de Lescun] bâtard d'Armagnac, comte de Comminges. b. Conseiller et chambellan du roi, maréchal de France, lieutenant général du

roi en Dauphiné et en Guyenne. c. Saint-Thierry lès Reims, 12 août 1461. d. 100 lances. e 1. Bordeaux, 15 mars.

1 17. Nous n'avons pu trouver une identification satisfaisante de cette localité dont le nom a dû être déformé dans le compte original ou les notes de Le Grand, à moins qu'il n'ait changé depuis le Moyen Age.

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e 2. Ibid, et *Blaye [ch.-l. arr., dép. Gironde ; sén. Guyenne], n, 14 et 16 juillet. #*e 3. Montréal [ch.-l. cant., arr. Condom, dép. Gers ; sén. Agenais], en

Armagnac, Barbezieux [-Saint-Hilaire, ch.-l. cant., arr. Cognac, dép. Charente ; comté d'AngoulêmeJ , 25-26 octobre, 10 novembre.

**e 4. Bordeaux, 3-4 février 1465. f. Versement de 9 000 1. [t.] par quartier pour 1 00 hommes d'armes à 1 5 1. [t.] et

200 archers à 7 1. 10 s. [t.] [par mois].

(5) a. Jean de Guarguesalle. b. Premier écuyer du roi [bailli de Troyes]. c. Amboise, 3 novembre 1461. d. 100 lances. e 1. L'Arbresle [ch.-l. cant., arr. Lyon, dép. Rhône ; sén. Lyon], 15 avril. e 2. En Lyonnais, *Forez et ^Beaujolais, 12 août-septembre. **e 3. Château-Gontier [ch.-l. arr., dép. Mayenne ; duché d'Anjou] , Laval

[ch.-l. dép. Mayenne ; comté du Maine] et Mayenne [ch.-l. arr., dép. Mayenne ; ibid.] ', fin octobre.

e 4. Ibid., 17 février 1465.

(6) a. Joachim Rouault. b. Maréchal de France. c. Avesnes, 3 août 1461. d. 100 lances. e 1. Saint-Lô [ch.-l. dép. Manche ; baill. Cotentin] et Villedieu [-les-Poêles,

ch.-l. cant., arr. Saint-Lô, dép. Manche ; ibid.], 16 et 19 avril. e 2. Ibid, et *Pontaubault [cant, et arr. Avranches, dép. Manche ; Cotentin],

août. e 3. Saint-Lô, Villedieu et Avranches [Cotentin], fin octobre. **e 4. Brissac [-Quincé, cant. Thouarcé, arr. Angers, dép. Maine-et-Loire ;

duché d'Anjou] , Thouars [ch.-l. cant., arr. Bressuire, dép. Deux-Sèvres ; sén. Poitou], Chemillé [ch.-l. cant., arr. Cholet, dép. Maine-et-Loire ; Anjou] et Beau- préau [idem] , 28 février 1465.

(7) a. Louis de Crussol. b. Grand panetier de France, sénéchal de Poitou. c. Montlhéry, 25 septembre 1461. d. 100 lances. e 1. Entre Saint-Maixent [ch.-l. cant., arr. Niort, dép. Deux-Sèvres] et Sou

dan [cant. La Mothe-Saint-Héray, arr. Niort] en Poitou, 14 mars II8. *e 2. Poitiers [ch.-l. dép. Vienne ; sén. Poitou], Niort [ch.-l. dép. Deux-

Sèvres ; ibid.] et Lussac [-les-Châteaux, ch.-l. cant., arr. Montmorillon, dép. Vienne ; ibid.], fin août.

1 18. Lapsus calami dans le manuscrit : 1465 n. st.

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L'ABBÉ LE GRAND ET LE COMPTE DE 1464 87

*e 3. Montaigu [ch.-l. cant., arr. La Roche-sur- Yon, dép. Vendée ; Poitou], Rocheservière [id.], Tiffauges [cant. Mortagne-sur-Sèvre, arr. La Roche-sur- Yon ; ibid.], fin octobre.

e 4. Ibid, et *La Garnache [cant. Challans, arr. des Sables-d'Olonne, dép. Vendée ; Poitou], 3-4 février 1465.

(8) a. Tristan l'Hermite. b. Prévôt des maréchaux de France. c. Saint-Denis, 28 août 146 1. d. 10 lances. f. Dispensé de montres par lettres de Nogent-le-Roi, 25 avril 1464.

(9) a. Geoffroi de Saint-Belin. b. Bailli de Chaumont. c. Lussac, 6 juillet 1463. d. 86 lances. e 1. En Anjou et en Roussillon. **e 2. Dispersés en Champagne et Bourgogne. **e 3. Courgis [cant. Chablis, arr. Auxerre, dép. Yonne ; à la limite du comté

d'Auxerre et du duché de Bourgogne, sans doute dans le premier] et Gien [-sur-Loire, ch.-l. cant., arr. Montargis, dép. Loiret ; baili. Montargis].

f. Dispensé de montres par lettres de Lille, 23 février 1464 II9 pour le premier quartier et Chinon, 13 janvier 1465 pour le quatrième.

(10) a. Gaston du Lyon. b. Premier valet tranchant du roi, sénéchal de Saintonge. c. Saint-Thierry lès Reims, 12 août 1461. d. 50 lances. e 1. Bayonne [ch.-l. arr., dép. Pyrénées-Atlantiques ; sén. Lannes], 20 avril. #e 2. Dax [ch.-l. arr., dép. Landes ; Lannes], août. *e 3. Peyrehorade [ch.-l. cant., arr. Dax ; Lannes], fin octobre. *e 4. Bayonne, 15 janvier 1465.

(11) a. Estévenot de Talauresse. b. Ecuyer d'Écurie du roi, bailli de Montferrand. c. Paris, 9 septembre 1461. d. 30 lances. e 1. Bayonne [ch.-l. arr., dép. Pyrénées-Atlantiques ; sén. Lannes], 20 avril. #e 2. Dax [ch.-l. arr., dép. Landes ; Lannes], 12 août. *e 3. Peyrehorade [ch.-l. cant., arr. Dax ; Lannes], fin octobre. *e 4. Bayonne, 15 janvier 1465.

1 19. 1465 n. st. dans le manuscrit ; corrigé d'après l'itinéraire de Louis XL

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(12) a. i° Louis, bâtard de Bourbon, remplacé par : b. c. Paris, 4 septembre 1461. d. 20 lances. e 1. Lyon [ch.-l. dép. Rhône ; sén. Lyon], 18 ... I2° **e 2. En Dauphiné, io et 12 août. **e3.

f.

JEAN-FRANÇOIS LASSALMONIE

2° Renaud du Châtelet.

Valet tranchant du roi. Neuville près Arques, 28 juillet 1464.

Orchies [ch.-l. cant., arr. Douai, dép. Nord ; comté de Flandre] . Dispensé de montre pour le quatrième quartier par lettres de Chinon, 15 janvier 1465-

(13) a. Thomas Scuyer. b. Bailli de Caen. c. Bordeaux, 24 mars 1462. d. 50 lances. e 1. Issoire [ch.-l. arr., dép. Puy-de-Dôme ; duché d'Auvergne] ', 15 avril.

*e 2. Saint- Pour çain [sur-Sioule, ch.-l. cant., arr. Moulins, dép. Allier ; duché de Bourbonnais] , Cusset [ch.-l. cant., arr. Vichy, dép. Allier ; ibid.] , Escurolles [id.] , Aigueperse [ch.-l. cant., arr. Rioni, dép. Puy-de-Dôme ; Auvergne] , Clermont [-Ferrand, ch.-l. dép. Puy-de-Dôme ; ibid.] , Maringues [ch.-l. cant., arr. Thiers, dép. Puy-de-Dôme ; ibid.] , Lezoux [id.] , Thiers [ibid.] , Courpière [ch.-l. cant., arr. Thiers ; ibid.] , etc. (sic), du 9 au 22 août.

e 3. Ibid., novembre.

(14) a. Robert Cunningham. c. Saint-Thierry lès Reims, 13 août 146 1. d. 50 lances. e 1. Saint-Flour [ch.-l. arr., dép. Cantal ; duché d'Auvergne] , ier mai.

*e 2. Brioude [ch.-l. arr., dép. Haute-Loire ; Auvergne], Langeac [ch.-l. cant., arr. Brioude ; ibid.]

' , Allègre [ch.-l. cant., arr. du Puy, dép. Haute-Loire ; ibid.] , etc.

(sic), fin août. e 3. Ibid., fin novembre.

(15) a. Jean de Salazar. d. 100 lances. e 1. Vienne [ch.-l. arr., dép. Isère] en Dauphiné, 7 avril. e 2. Ibid., 8 juillet.

120. Le manuscrit porte des lettres de retenue.

septembre », mais il s'agit d'un lapsus calami par répétition du mois

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L'ABBÉ LE GRAND ET LE COMPTE DE 1464 89

(16) a. i° Guillaume Chenu, remplacé 20 Jean de Foix, comte de Candale. par : b. [Lieutenant général du roi en Rous-

sillon et Cerdagne.] c.Amboise, ier novembre 1462 (sic). Rouen, 13 août 14.62 (sic) I21. d. 70 lances.

e 1. Asti [ch.-l. prov., rég. Piémont, Italie], 8 février.

**e 2. En Roussillon et Cerdagne (après le 6 juin).

e 3. Ibid. e 4. Ibid., février 1465. f. Première montre passée par Jean Foucault, gouverneur d'Orléans et podest

at d'Asti, commissaire nommé par le comte de Dunois, lieutenant [général] du roi au-delà des monts [Alpes].

Montres suivantes passées par Gabriel de Saint-Georges, bailli de Perpignan, commissaire royal nommé par lettres de Lihons-en-Santerre, 6 juin 1464.

Groupe « de Normandie »

(17) a. [Jean, bâtard d'Orléans] comte de Dunois. b. [Lieutenant général du roi au-delà des Alpes : cf. notice précédente.] c. Les Porcherons, 29 août 1461. d. 100 lances. e 1. Romans [-sur-Isère, ch.-l. cant., arr. Valence, dép. Drôme] en Dauphiné,

23 avril. e 2. Ibid., août. e 3. Ibid., Ier décembre. f. Compagnie démembrée de 9 lances le 22 mai 1464 (cf. infra, n° 18). Dispenses de montres pour Hector d'« Uselles » par lettres de Mauny (?) I22,

12 août ; pour Guillaume de Bigars et 2 archers par lettres de Nouvion, 15 septembre ; pour 6 hommes d'armes et autant d'archers par lettres de Beau- gency, 2 décembre 1464 ; pour 2 hommes d'armes et 4 archers par lettres de Tours, 6 janvier 1465.

121. L'itinéraire de Louis XI montre d'une part que le roi est à Amboise le Ier novembre aussi bien en 1461 qu'en 1462, d'autre part qu'il est à Rouen le 13 août en 1462 mais pouvait l'être aussi en 1464 (sa présence est alors attestée à Hermanville près de Dieppe, à une quarantaine de kilomètres au nord de Rouen où il séjournait encore la veille).

1 22. « Sauve » dans le manuscrit, erreur de lecture pour Rouen ou plus probablement Mauny, à une quinzaine de kilomètres en aval : l'itinéraire de Louis XI atteste la présence du roi à Rouen le 12 août 1464 et à Mauny trois jours plus tôt.

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go JEAN-FRANÇOIS LASSALMONIE

(18) a. Artus de Longueval. b. [Bailli d'Amiens.] c. Paris, 22 mai 1464 I23. d. 9 lances.

(19) a. Antoine de Châteauneuf, seigneur du Lau. b. Grand bouteiller, grand chambellan I24 sénéchal de Guyenne [sénéchal du

Bazadais, sénéchal des Lannes], capitaine de Falaise. c. 1461. d. 100 lances. e 1-e 4. En Normandie, à peu près aux mêmes dates que la compagnie du

comte de Dunois (sic).

(20) a. Jean d'Estuer, seigneur de la Barde. b. Sénéchal de Limousin. c. Avesnes, 3 août 1461. d. 100 lances. e 1. Tulle [ch.-l. dép. Corrèze ; sén. Limousin], 15 avril. e 2. *Capdenac [cant, etarr. Figeac, dép. Lot ; sén. Quercy], *Limoges [ch.-l.

dép. Haute-Vienne ; Limousin], Tulle, etc. (sic), 21-22 juillet. **e 3. Saint-Denis-d'Anjou [cant. Bierné, arr. Château-Gontier, dép.

Mayenne ; duché d'Anjou], 23 octobre. *e 4. Craon [ch.-l. cant., arr. Château-Gontier ; Anjou] , Pouancé [ch.-l. cant.,

arr. Segré, dép. Maine-et-Loir ; ibid.] , Segré [ibid.], 20 février 1465.

(21) a. Jean de Montauban. b. Amiral de France [gouverneur de La Rochelle]. c. 146 1. d. 100 lances. e 1. Valognes [ch.-l. cant., arr. Cherbourg, dép. Manche ; baill. Cotentin], 25

février. e 2. Ibid., *Montebourg [ch.-l. cant., arr. Cherbourg ; Cotentin], *Carentan

[ch.-l. cant., arr. Saint-Lô, dép. Manche ; ibid.], juillet. e 3. *Avranches [ch.-l. arr., dép. Manche ; Cotentin], Montebourg, 3 novemb

re. e 4. Ibid. f. Seulement 86 hommes [d'armes] présents à la quatrième montre ;

Louis XI fait don à Montauban des sommes dues jusqu'au Ier avril aux hommes d'armes et archers de sa compagnie passés en Bretagne par lettres de Tours, 24 avril 1465.

123. 1462 dans le manuscrit ; corrigé d'après l'itinéraire de Louis XI. 124. Journal de Jean de Roye, connu sous le nom de Chronique scandaleuse, 1460-148 j, éd.

Bernard de Mandrot, Société de l'histoire de France, t. I, Paris, Renouard, 1894, p. 189.

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L'ABBÉ LE GRAND ET LE COMPTE DE 1464 91

(22) a. Jean, seigneur du Pont-1'Abbé et de Rostrenen. b. Bailli de Cotentin. c. Paris, 11 septembre 1461 I25. d. 70 lances. e 1. Caudebec [-en-Caux, ch.-l. cant., arr. Rouen, dép. Seine-Maritime ;

baill. Caux], Montivilliers [ch.-l. cant., arr. du Havre, dép. Seine-Maritime ; ibid.], Fécamp [id.], Neufchâtel [-en-Bray, ch.-l. cant., arr. Dieppe, dép. Seine-Maritime ; ibid.].

e 2. Ibid. e 3. Ibid. *e 4. Rouen [ch.-l. dép. Seine-Maritime ; baill. Rouen]. f. Seulement 68 hommes [d'armes] présents à la deuxième montre ; Louis XI

ordonne le paiement malgré leur absence de Brun de Bouteville par lettres de Nouvion, 15 septembre et d'Olivier [de] Plusquellec, homme d'armes et 8 archers par lettres d'Abbeville, 10 octobre 1464.

Mêmes dispositions pour la troisième montre. Seulement 51 hommes d'armes présents à la quatrième montre ; 6 hommes

d'armes et 15 archers sont excusés ; les autres étant passés en Bretagne, Louis XI fait don des sommes qui leur sont dues au commissaire aux montres, son maître d'Hôtel Guillaume de Ricarville, à charge de régler les dettes contractées par les déserteurs pendant le dernier quartier, par lettres de Montargis, 23 juillet 1466, confirmées à Orléans le 5 novembre 1471.

(23) a. Robert de Floques dit Floquet (sic) [en réalité Jacques de Floques, son fils] . b. Bailli [et capitaine] d'Évreux. c. Saint-Thierry lès Reims, 12 août 1461 [lettres de confirmation de Robert]. d. 100 lances. e 1. Honfleur [ch.-l. cant., arr. Lisieux, dép. Calvados ; baill. Rouen], Pont-

l'Évêque [id.], Pont-Audemer [ch.-l. cant., arr. Bernay, dép. Eure ; ibid.], mars. e 2. Ibid., juillet. e 3. Ibid., octobre. e 4. Honfleur, **Saint-James [ch.-l. cant., arr. Avranches, dép. Manche;

baill. Cotentin] et **Mortain I26 [id.], février 1465. f. Seulement 96 hommes [d'armes] présents à la quatrième montre ;

Louis XI fait excuser et payer les 4 autres par lettres de Montluçon, 19 mai 1465.

(24) a. Jean du Fou. b. Premier échanson du roi. c. Saint-Thierry, 12 août 1461. d. 30 lances. e 1. Cherbourg [ch.-l. arr., dép. Manche ; baill. Cotentin].

125. 1462 dans le manuscrit ; corrigé d'après l'itinéraire de Louis XI. 126. « Saint Guillaume de Alortain » dans le manuscrit : il s'agit du nom de la collégiale située

au cœur de la vieille ville, qui a repris aujourd'hui son appellation primitive de Saint-Évroult.

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92 JEAN-FRANÇOIS LASSALMONIE

e 2. Ibid. e 3. Ibid. e4.Ibid., 19 Janvier 1465. f. Seulement 21 hommes d'armes présents à la quatrième montre ; les 9

autres et 1 3 archers sont passés en Bretagne, Louis XI fait don à du Fou des sommes qui leur sont dues par lettres de Sazilly I27, 29 janvier 1465.

127. « Razilli » dans le manuscrit ; corrigé d'après l'itinéraire de Louis XI.