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L'abécédaire de l'aarchitecte

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Page 1: L'abécédaire de l'aarchitecte

Les Maux deMoMo

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des mots comme çades maux comme ça

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Page 2: L'abécédaire de l'aarchitecte

Guilhem VINCENT 31/08/2012

L ’ A B É C É D A I R E D E

L’AARCHITECTE

aArchitecture et vocabulaire

Prémices d’explorations paranoïaques du contexte et des

méthodes propres à l’exercice de la pratique de l’architecture

contemporaine.

Essai préparatoire à un mémoire en philosophie de l’architecture

réalisé dans le cadre du cours d’esthétique du deuxième

semestre de Master à l’Ecole Nationale d’Architecture de Nancy,

encadré par M. Hervé Gaff.

Page 3: L'abécédaire de l'aarchitecte

SOMMAIRE

1-Introduction

2-Les maisons inhabitables

3-L’architecture générique

4- Les délires de l’aarchitecte

6- Annexes

2

Page 4: L'abécédaire de l'aarchitecte

INTRODUCTION

Cet essai est la poursuite d’un travail de réflexion sur la place qu’occupe

l’architecte dans le monde, particulièrement depuis la catastrophe de Fukushima.

Cette précision pourrait sembler incongrue pour un travail de philosophie visant à définir

une pratique générale de l’architecture en dehors de toute détermination contextuelle. Au

contraire, elle n’a pas pour effet de détourner le regard des réelles questions qui se

posent quant aux processus cognitifs internes à la création architecturale, mais touche au

plus profond à certains de leurs aspects fondamentaux, remettant en question la pratique

de l’architecture.

Dans mes précédents travaux j’ai pu commencer à définir la situation dans laquelle se

trouve l’architecte, et comment il se confronte à une extériorité radicale qui lui apparaît

sous deux aspects différents. Ces aspects permettent d’analyser la pratique et le rôle de

l’architecte selon deux axes principaux ; une critique de la technique et une critique de la

notion d’habitation. Ces axes s'appuyaient sur l’analyse des thèses des philosophes

Emmanuel Levinas et Günther Anders pour définir les notions ayant attrait à l’extériorité.

L’analyse de ces auteurs m’a permis de situer cette extériorité comme d’une part étant le

fruit pour Günther Anders d’une évolution de la technique qui aurait créé des d’objets

particuliers (la société industrielle, les outils de destruction massive et l’exploitation

d’énergies « absolument trop grandes » comme l’énergie atomique) échappants à la

représentation. Ces objets créent des espaces radicalement extérieurs, des espaces

inhabitables qu’il n’est pas possible de se représenter. D’autre part, chez Emmanuel

Levinas, l’extériorité apparait comme condition ontologique propre à l’homme habitant le

monde qui confronte l’exercice de sa liberté à la rencontre de l’Autre. Cette extériorité est

une extériorité radicale, un au-delà de l’être qui ne se trouve pas directement être le fruit

d’objets industriels, mais étant une expérience proprement humaine. Il s’appuyait en

partie sur l’expérience personnelle de l’horreur des camps de concentration, et des

réflexions que cela a entrainé chez lui sur l’être et l’au-delà de l’essence.

3

Page 5: L'abécédaire de l'aarchitecte

Ce double rapport à l’extériorité définissait la condition d’application de

l’architecture telle qu’elle se présente à l’homme contemporain.

Cela m’avait permis par l’analyse d’objets architecturaux précis se situant le plus proche

possible de cette extériorité, dans les marges du monde, de commencer à penser une

pratique et une méthode de l’architecture prenant en compte les postulats radicaux

forgés par l’analyse des faits contemporains et visant à intégrer des processus de

création intégrant les contradictions dues à cette extériorité.

En faisant écho à mon travail de mémoire de licence qui introduisait mes réflexions sur

l’anthropocène dont l’ère atomique est un des symboles forts, j'entamais une réflexion

sur le rôle que peut prendre la pratique artistique pour un élargissement de moyens que

peut utiliser l’architecte.

Dans le but de poursuivre ces recherches, je cible pour l’instant mon travail sur un

domaine restreint de la pratique architecturale pour me permettre de poser des questions

fondamentales sur l'exercice de l’architecture. Le but de cet essai est de chercher une

méthode pour confronter ma pratique aux enjeux soulevés par mes travaux précédents.

Le vocabulaire est cet élément, qui même s’il est restreint, a la capacité de porter un

discours de fond sur l’exercice du métier d’architecte.

La question du vocabulaire a depuis longtemps été un élément fondamental pour

la pensée de l’architecture et a longtemps structuré l’exercice de sa création. C’est

pourquoi questionner le sens et le rôle que joue l’utilisation du vocabulaire dans la

pratique actuelle de l’architecture me semble fondamental. Cela constitue un premier pas

pour repenser les conditions d’utilisation de moyens de représentation et le rapport que

l’architecte entretient avec eux.

Cette question du vocabulaire se focalisera autour de la création d’un abécédaire

d’un type particulier et de la théorisation de la méthode propre à son élaboration.

La théorisation de cette méthode se basera déjà sur son application et tirera de

l’abécédaire lui même les éléments fondamentaux de sa théorie. Cet abécédaire est une

autothéorie. Cette dernière emprunte une partie de ses principes à des théories

existantes qui tirent leur origine dans des constats proches des préoccupations qui sont

soulevées par mon travail. M’inspirer de ces travaux existants est une aide précieuse

pour mes propres développements et j’en emprunte alors certains principes

fondamentaux.

Les développements théoriques partiront d’une analyse de la question de la

représentation, du rôle qu’elle joue dans une habitation heureuse du monde et comment

son utilisation crée une intériorité que j’appellerais « totalisante ». Cette intériorité entrera

4

Page 6: L'abécédaire de l'aarchitecte

alors en confrontation avec l’extériorité radicale soulevée lors de mes précédents

développements. C’est là que par l’analyse de la différence entre l’habiter propre à

l’usage de la représentation et le rapport que nous entretenons avec les espaces

architecturaux actuels, je questionnerai son usage et les modalités propres à l’utilisation

des outils actuels dont dispose l’architecte.

Dans un second temps, j’ouvrirai mes réflexions sur une méthode qui permet d’élaborer

une méthode de travail pour l’aarchitecte s’appuyant particulièrement sur le travail de

l’architecte Rem Koolhaas et sur les méthodes qu’il utilise pour penser l’architecture. Ses

méthodes sont le fruit d’une analyse de processus à l’oeuvre dans le monde actuel qui

transforment radicalement la pratique de l’architecture, analyse qui corrobore et

approfondie les problèmes soulevés dans mes précédents travaux. C’est tout

naturellement que je me suis alors tourné vers la pensée de cet architecte. Dans cette

partie appelée « l’architecture générique » je ferai suite aux développements sur la

question du vocabulaire et de l’usage de la représentation pour développer la méthode

propre à l’élaboration de l’abécédaire. Cette méthode sera fortement inspirée sans s’y

limiter à la méthode développée par Rem Koolhaas dans ses deux livres « New-York

délire » et « Junkspace ».

5

Page 7: L'abécédaire de l'aarchitecte

LES MAISONS INHABITABLES

(1)

De tous temps les civilisations ont habité dans des espaces divers. Certains

quotidiens, d’autres particuliers. Chaque espace était organisé selon des lois spécifiques,

qui organisaient les sociétés et l’usage de ces espaces. Microcosme dans le

macrocosme, les hommes habitaient l’espace et le découvraient dans son immensité, sa

complexité et sa richesse. Dans ce monde trop grand, ils ont exploré, parcouru les

territoires pour trouver des espaces où pouvaient s’installer, de manière plus ou moins

provisoire, des lieux, des configurations permettant d’organiser des vies, de créer des

mondes habitables. Cette habitation s’harmonisait avec le monde grâce à une véritable

phénoménologie. Cette pratique spatiale était en prise directe avec la réalité des

phénomènes naturels et permettait d’organiser un ensemble de savoirs formant une

culture, une identité.

Toutes ces connaissances permettaient de symboliser les forces de l’univers, de les

rendre appréhendables, sous diverses formes, grâce à une ritualisation de la vie et des

actions, qu’elles soient utilitaires, festives, guerrières ou religieuses.

6

1 Structure vide, Nancy. Réhabilitation de lʼancien tri postal en centre des congrès. Photographie argentique personnelle.

Page 8: L'abécédaire de l'aarchitecte

Ces actions renvoyaient à des mondes différents, certains étaient locaux, proches,

internes à la vie sociale elle-même, d’autres renvoyaient à des mondes mythiques,

inaccessibles à la vie ordinaire, qui rendaient compte d’espaces plus grands que

l’homme, d’espaces « extérieurs » dont il fallait respecter la puissance et auxquels

l’homme ne pouvait accéder que par une symbolique toute particulière, intégrée à la vie

sociale par des rites et des fêtes. Ces fêtes créaient un rapport entre le macrocosme et le

microcosme, autant humain que naturel, pour structurer la vie et les échanges entre les

règnes vivants.

La thèse que je soutiendrai est que cette condition d’habitation, qui prend appuie

sur une compréhension anthropologique des phénomènes sociaux, et par extension des

phénomènes architecturaux, repose sur une pratique créative visant à configurer des

mondes qui puisent, tant dans le monde naturel que dans l’esprit humain, les facultés

permettant l’émergence de la vie. Cette pratique est la condition même de l’architecture,

qui est vue ainsi comme un domaine particulier de la vie, dans lequel il est possible

d’exercer de manière raisonnable, éthique, en s’accordant aux autres domaines de la

création de manière harmonieuse. J'appellerai alors « habitation » l’acte qui consiste à

configurer le monde dans un ordre correspondant à ses caractéristiques propres et qui

permet la coexistence de mondes variés dans un ensemble cohérent. Cette habitation

englobe toutes les dimensions appréhendables directement par l’esprit humain et prend

corps dans le monde qui l’entoure et dans lequel il peut habiter. Cette précision a une

importance particulière pour l’architecte qui est sensé construire des lieux « où il fait bon

vivre »2 et pour qui la notion « d’habiter » prend un sens fondamental, si ce n’est pas un

sens premier.

Cette part possède une importance particulière dans la pratique et dans

l’enseignement de l’architecture, du fait que l’architecture construite entretient un lien

étroit à la matière et à la technique qui permet de l’utiliser. Etant profondément un art de

« l’édification », l’architecture est une pratique concrète qui développe des techniques

pour transformer des situations, qu’elles soient naturelles ou humaines, en les organisant

en situations différentes. Cet acte se construit autour de la notion de lieu, qui défini alors

le statut anthropologique de l’architecture et permet de penser l’acte de l’architecte

comme un habitation. On habite dans un lieu en organisant, configurant les éléments qui

le construisent. Je m’appuie là sur le travail anthropologique de Marc Augé dans son livre

« Non-lieux - Introduction à une anthropologie de la surmodernité » qui est une aide

précieuse pour penser le rapport entre les lieux anthropologiques et les espaces générés

72 Louis I. Kahn, Silence et lumière, Paris, Éditions du Linteau, 1996

Page 9: L'abécédaire de l'aarchitecte

par l’architecture de l’époque surmoderne. Ce rapport est en partie celui que je cherche à

définir dans cet essai et plus particulièrement dans ce chapitre. Dans son ouvrage, il

définit la notion de lieu comme élément de référence pour comprendre les principes à la

base des phénomènes sociaux. Sa définition du lieu permet d’englober l’ensemble des

phénomènes sociaux, dans leurs constructions spatiales aussi bien que sociales, ce qui

permet de relier la pratique de l’architecture à un ensemble plus vaste fonctionnant selon

des principes partageables. Il définit ainsi les lieux :

« Le lieu commun à l’ethnologue et à ceux dont il parle c’est un lieu,

précisément : celui qu’occupent les indigènes qui y vivent, y travaillent, le

défendent, en marquent les points forts, en surveillent les frontières mais

y repèrent aussi les traces des puissances chthoniennes ou célestes, des

ancêtres ou des esprits qui en peuplent et en animent la géographie

intime, comme si le petit morceau d’humanité qui leur adresse offrandes

et sacrifices en était aussi la quintessence, comme s’il n’y avait humanité

digne de ce nom qu’au lieu même du culte qu’on leur consacre. (...)

Nous réservons le terme de « lieu anthropologique » à cette construction

concrète et symbolique de l’espace qui en saurait à elle seule rendre

compte des vicissitudes et des contradiction de la vie sociale mais à

laquelle se réfèrent tous ceux à qui elle assigne une place, si humble ou

modeste soit-elle. C’est bien parce que toute anthropologie est

anthropologie des autres, en outre, que le lieu, le lieu anthropologique, est

simultanément principe de sens pour ceux qui l’habitent et principe

d'intelligibilité pour celui qui l’observe. (...)

Ces lieux ont au moins trois caractères communs. Ils se veulent (on les

veut) identitaires, relationnels et historiques. Le plan de la maison, les

règles de résidence, les quartiers de village, les autels, les places

publiques, la découpe du territoire correspondent pour chacun à un

ensemble de possibilités, de prescriptions et d’interdits dont le contenu

est à la fois spatial et social. »3

Cette définition montre bien comment ce lieu est un espace autant naturel que

social qui se fabrique, se transforme et s’organise. Le lieu n’existe pas en tant que tel

mais se constitue par l’ensemble des pratiques, des constructions, et des configurations

symboliques permettant la vie et la société. Ce lieu est habité et c’est dans le processus

83 Marc Augé, Non-lieux, Introduction à une anthropologie de la surmodernité, Paris, Éditions du Seuil, 1992.

Page 10: L'abécédaire de l'aarchitecte

d’habitation que se forment les identités, les relations et les histoires. Pour ce faire

l’homme, et donc l’architecte, utilise un ensemble de méthodes, de techniques qui sont le

fruit de son organisation symbolique, sociale, naturelle. Ces organisations

communicables se transmettent et se partagent en tant que représentations, et c’est sur

ces représentations que travaille l’architecte pour transformer les modes d’habiter. La

capacité de représenter le monde dans lequel il vit constitue la base d’une pratique de

l’architecture qui est un domaine de l’activité humaine particulièrement social, regroupant

un ensemble de corps de métiers dans la création d’objets particuliers. C’est la question

de la représentation qui permet de définir le cadre dans lequel cette habitation se fait, et

comment s’organisent les mondes.

Autant sociale que spatiale, l’habitation de lieux se réalise par la réunion de

perceptions diverses et d’idées abstraites s’organisant en représentations qui permettent

de symboliser des phénomènes et d’en partager le contenu. Action fondamentale de

l’activité humaine, cette action d’habiter est ce qui transforme les relations entre les

mondes, permet d’appréhender des phénomènes divers, qu’ils soient naturels ou

sociaux.

Cette action habitante se réalise sur le fond mouvant du monde et se tient par là

dans une situation précaire entre habitation et inhabitation. C’est grâce à la capacité

d’imagination que les représentations se transforment, par l’adaptation aux changements

du monde, et par l’initiative imaginante des individus. Cette imagination permet d’ouvrir

des mondes et est l’élément fondamental pour comprendre une pratique de l’architecture

se donnant les moyens d’adapter sa pratique aux problèmes que pose le monde, et

prendre une place critique vis-à-vis de celui-ci pour manifester un comportement libre et

responsable.

Cette situation précaire défini en quelque sorte la fragilité et les limites de la

société, et habiter a toujours revêtu un fond protecteur. L’habitation humaine est un

corps, et ce corps est à l’échelle de celui de l’homme, en est une extension, un organe.

Toute architecture qui prend en compte un rapport aux lieux porte une attention

privilégiée aux lieux du corps, les topographies corporelles autant physiques que

psychiques qui organisent les formes et les usages de chaque architecture. La fragilité

du corps, et la précarité qui en découle, rend l’habitation problématique. Elle se confronte

à des forces plus grandes qu’elle, et la capacité de représentation de l’homme se

confronte toujours à sa condition corporelle. Ce corps forme une intériorité, de laquelle il

ne sort qu’au moyen d’outils, qui sont le fruit des représentations que l’homme se forge

des forces de l’univers. Ces forces sont symbolisées dans des usages et prennent la

forme d’outils. Les maisons sont des outils, les microscopes, les satellites et les missiles

aussi.9

Page 11: L'abécédaire de l'aarchitecte

C’est ici que se pose la question des limites de l’habitation, quand elle se

confronte à sa précarité et aux moyens mobilisables pour garder un peu d’habitation face

à des situations qui semblent indépassables. L’imagination et les efforts réunis pour

transformer et reconfigurer le monde peuvent-ils accéder à tout ? Existe-il des espaces

qui empêchent radicalement l’habitation de se réaliser ?

Marc Augé oppose aux lieux ce qu’il appelle les non-lieux, qu’il qualifie ainsi :

« Si un lieu peut se définir comme identitaire, relationnel et historique, un

espace qui ne peut se définir ni comme identitaire, ni comme relationnel

ni comme historique définira un non-lieu. »4

C’est l’hypothèse de l’existence de ces non-lieux dont il est ici question. Existe-t-il des

espaces qui par nature ne peuvent pas être identitaires, relationnels et historiques? Cela

supposerait que dans ces espaces il ne se passerait rien pour personne et de manière

totalement autiste, sans relation particulière entre individus. Dans une hypothèse

naturelle, ces espaces existent, dans l’infinitude du cosmos, dans le monde

macroscopique où l’homme ne mettra probablement jamais les pieds. Marc Augé situe le

problème autrement, en posant la question de la possibilité de tels espaces dans le

monde humain, au coeur des pratiques sociales, donc concernant directement

l’architecte dans sa pratique quotidienne.

« L’hypothèse ici défendue est que la surmodernité est productrice de

non-lieux, c’est-à-dire des espaces qui ne sont pas eux-même des lieux

anthropologiques et qui (...) n’intègrent pas les lieux anciens : ceux-ci,

répertoriés, classés et promus « lieux de mémoire », y occupent une place

circonscrite et spécifique. Un monde où l’on naît en clinique et où l’on

meurt à l’hôpital, où se multiplient, en des modalités luxueuses ou

inhumaines, les points de transit et les occupations provisoires (les

chaines d’hôtels et les squats, les clubs de vacances, les camps de

réfugiés, les bidonvilles promis à la casse ou à la pérennité pourrissante),

où se développe un réseau serré de moyens de transports qui sont aussi

des espaces habités, où l’habitué des grandes surfaces, des distributeurs

automatiques et des cartes de crédit renoue avec les gestes du

commerce « à la muette », un monde ainsi promis à l’individualité solitaire,

au passage, au provisoire et à l'éphémère, (...). Ajoutons qu’il en est

104 Ibidem

Page 12: L'abécédaire de l'aarchitecte

évidemment du non-lieu comme du lieu : il n’existe jamais sous une forme

pure ; des lieux s’y recomposent ; des relations s’y reconstruisent ; « les

ruses millénaires » de « l’invention » du quotidien » et des « arts de faire

» (...) peuvent s’y frayer un chemin et y déployer des stratégies. Le lieu et

le non-lieu sont plutôt des polarités fuyantes : le premier n’est jamais

complètement effacé et le second ne s’accomplit jamais totalement -

palimpseste où se réinscrit sans cesse le jeu brouillé de l’identité et de la

relation. Les non-lieux pourtant sont la mesure de l’époque ; mesure

quantifiable et que l’on pourrait prendre en additionnant, au prix de

quelques conversions entre superficie, volume et distance, les voies

aériennes, ferroviaires, autoroutières et les habitacles mobiles dits «

moyens de transport » (avions, trains, cars), les aéroports, les gares, et les

stations aérospatiales, les grandes surfaces de la distribution, l’écheveau

complexe, enfin, des réseaux câblés ou sans fil qui mobilisent l’espace

extra-terrestre aux fins d’une communication si étrange qu’elle ne met

souvent en contact l’individu qu’avec une autre image de lui-même. »5

Ces espaces sont pour lui les acteurs principaux de notre quotidien, et définissent

une grande partie de la société mondialisée. Ils tendent à devenir la norme en ce qui

concerne l’espace social contemporain, qu’il qualifie de surmoderne. Ce sont ces

espaces que je tente de cerner pour comprendre les problèmes que soulève la

catastrophe de Fukushima qui reste comme l’ombre d’un nuage au-dessus de mes

enquêtes philosophiques l’élément qui perturbe la pensée d’une pratique éthique de

l’architecture. Ces espaces échappent-ils à la représentation humaine, et comment puis-

je me positionner en tant qu’architecte si de tels lieux définissent le cadre dans lequel se

déroule le spectacle de la société ?

Qualifier la nature de ces espaces et le rapport qu’ils entretiennent avec les facultés

cognitives de l’architecte, telle est la question qui se pose maintenant.

Habiter, nous l’avons vu, se fait dans une intériorité précaire mais radicale, elle est

une action in-situ. Comment cette question de l’habiter s’articule-t-elle avec l’extériorité

radicale que j’avais commencé à définir dans mes travaux précédents, et comment se

définissent ces espaces vis à vis des facultés mêmes de l’architecte.

Dans le précédent essai « aArchitecture et extériorité » je définissais deux types

d’extériorités, polaires mais totalement différentes. L’une était basée sur une critique de la

technique particulièrement radicale prêtant à certains objets précis et à certains

115 Ibidem

Page 13: L'abécédaire de l'aarchitecte

processus industriels des capacités particulières, et l’autre provenait d’une fragilité

humaine radicale ne trouvant pas de « maison » dans le monde habitant des hommes.

D’un côté il s’agissait d’une surdétermination ontologique de certains objets, qui en

venaient à perdre le contact avec les capacités humaines de représentation, formant une

extériorité radicale pour l’homme habitant. Mais cette extériorité radicale restait dans un

domaine purement naturel et rentrait dans un rapport d’échelle avec l’habitation humaine

dans sa disproportion la plus extrême. Cette disproportion est le vecteur de la création

d’une extériorité radicale au sein même des objets fabriqués par l’homme. Certains

objets, s’ils utilisent une énergie trop puissante, ou sont de taille trop grande,

«absolument trop grande»6 redeviennent en quelque sorte des produits naturels purs, des

pures « perceptions » et sont alors inutilisables en tant que tels. Ils sortent du cadre

d’utilisation et passent du statut d’outil à celui d'énergie pure, incontrôlable. Ce sont des

maisons inhabitables.

D’un autre côté avec l’analyse de la pensée d’Emmanuel Levinas, ce n’était plus les outils

ou les forces de la nature qui se donnaient comme extériorité radicale, mais l’homme lui

même dans son altérité, dans son unicité. L’homme est étranger au monde et n’habite la

terre que de manière provisoire. L’habitation ne résume pas le fait humain qu’il caractérise

par une disposition au sacrifice et à une prise de responsabilité venant perturber le tissus

du monde.

" Le sacrifice ne saurait trouver une place dans un ordre partagé entre

l'authentique et l'inauthentique. La relation à autrui dans le sacrifice où la

mort de l'autre préoccupe l'être-là humain avant sa propre mort,

n'indique-t-elle pas précisément un au-delà de l'ontologie - tout en

déterminant - ou révélant - une responsabilité pour l'autre et par elle un

"moi" humain qui n'est ni l'identité substantielle d'un sujet ni

l'Eigentlichkeit dans la "mienneté" de l'être. Le moi de celui qui est élu à

répondre du prochain et ainsi identique à soi, et ainsi le soi-même. Unicité

de l'élection ! Par-delà l'humanité se définissant encore comme vie et

conatus essendi et souci d'être, une humanité dés-inter-essée. La priorité

de l’autre sur le moi, par laquelle l’être humain est élu et unique, est

précisément sa réponse à la nudité du visage et à sa mortalité. C’est là

que se passe le souci de sa mort où le «mourir pour lui» et «de sa mort» a

priorité par rapport à la mort «authentique». Non pas une vie post-

mortem, mais la démesure du sacrifice, la sainteté dans la charité et la

12

6 Günther Anders, L’Obsolescence de l’homme, Tome 1 Sur l’âme à l’époque de la deuxième révolution industrielle, Paris, Éditions de l’encyclopédie des nuisances, 2002.

Page 14: L'abécédaire de l'aarchitecte

miséricorde. Ce futur de la mort dans le présent de l’amour est

probablement l’un des secrets originels de la temporalité elle-même et au

delà de toute métaphore."7

Dans son livre « Théorie des maisons - L’habitation, la surprise » le philosophe Benoit

Goetz qualifie ainsi la « maison philosophique » d’Emmanuel Levinas :

« Mais l’architectonique de cette demeure n’est pas esthétique mais

éthique. On pourrait aller jusqu’à dire que ce n’est pas la maison qui offre

l’hospitalité, mais l’hospitalité qui fait que la maison est une maison (ce

n’est ni le site, ni les fondations). La pensée d’Emmanuel Levinas est

avant tout hostile aux enchantements du lieu. L’espace pour Levinas est

d’abord un désert, c’est à dire un territoire qui ne comporte aucun lieu. »8

Cette prise de responsabilité n’est pas chez Levinas une disposition fondamentale mais

une perturbation radicale du tissus du monde. Elle peut apparaître quand l’homme se

confronte à l’altérité radicale du visage, et cette prise de responsabilité se manifeste

comme hospitalité, critique sociale, et se trouve être la condition d’un droit social juste.

Ce droit social ne fonde pas les droits humains en tant qu’habitation mais ouvre la porte à

un droit de l’autre vis à vis d’un semblable.

Dans la perspective de ces deux rapports à l’extériorité se pose la question des

non-lieux de Marc Augé qui sont d’une part un espace inhabitable mais en même temps

une brèche dans le tissus du monde qui permet de l’ouvrir vers l’altérité. Ce double

rapport situe un point de croisement permettant de penser un monde globalisé,

générateur de non-lieux pour Marc Augé, mais aussi réunion des espaces, ouverture sur

les espaces « autres ».

Pour compléter les réflexions sur les maisons inhabitables, je mets en annexe un

travail réalisé dans le cadre du cours de patrimoine à l’école d’architecture donné par

Mme Vacher au premier semestre de la 4è année, où je m’étais intéressé au texte de

Véronique Labrot traitant du droit international et de la qualification du patrimoine

commun de l’humanité. Je ne développerai pas ici les thèmes développés, qui précisent

l’ambiguité de l’attribution d’un statut juridique aux espaces que recouvre le terme de

patrimoine mondial de l’humanité vis à vis d’un droit international hérité d’un droit

bourgeois d’exploitation des ressources terrestres. Je concluais en m’aidant des idées

13

7 Emmanuel Levinas, Totalité et infini - Essai sur l’extériorité, Paris, LGF, 2009.

8 Benoit Goetz, Théorie des maisons - L’habitation, la surprise, Lagrasse, Editions Verdier, 2011

Page 15: L'abécédaire de l'aarchitecte

d’Emmanuel Levinas et de Günther Anders sur l’apparition d’un droit des autres en

complément des droits de l’homme, pour pouvoir penser le thème de l’habitabilité du «

vaisseau terre » vu comme la grande maison de l’humanité, une humanité actuellement

sans véritable statut juridique.

Marc Augé finit son ouvrage sur une certaine forme de positivisme issue de ses

analyses des non-lieux, qu’il conclue en ouvrant sur la possibilité d’une véritable

anthropologie de la solitude, positive dans le sens où elle libère l’individu du poids de

l’habitation et lui permet de faire l’expérience de la solitude et d’une individualité en tant

qu’habitant de la terre monde. Il semble légitimer la fabrication de ces non-lieux dans la

possibilité qu’ils offrent une place pour l’individu à l’échelle du monde, en dehors des

conséquences catastrophiques que cela entraine. Sont-ils vraiment des espaces qui

ouvrent une brèche dans le tissus du monde, ouvrant sur une expérience fondamentale

de la rencontre humaine ? Ces espaces sont-ils les lieux où s’ouvre une brèche

permettant la rencontre véritablement humaine au sens où Levinas le décrit ? Une réelle

expérience de l’altérité ? Pouvons-nous appeler cela un positivisme, et légitimer ces

espaces architecturaux ?

(9)

14

9 Publicité pour la marque Aigle de la campagne « At home in nature » par BETC Euro RSCG, Photographie de Yelena Yemchuk.

Page 16: L'abécédaire de l'aarchitecte

Ce sont une fois les questions sur les maisons inhabitables soulevées qu’il est

possible de chercher une méthode permettant d’en appréhender la réalité et les modes

de production qui les génèrent. Ceci dans le but de définir plus précisément une pratique

de l’architecture qui permette de penser les rapports que nous pouvons entretenir avec

une extériorité radicale mettant en branle les processus cognitifs propres à une habitation

heureuse du monde.

C’est dans cette partie que je questionnerai l’usage du vocabulaire chez l’architecte en

m’inspirant des méthodes développées par Rem Koolhaas pour penser les villes

contemporaines et les modifications fondamentales qu’elles font subir à la définition de la

vie urbaine.

15

Page 17: L'abécédaire de l'aarchitecte

L’ARCHITECTURE GÉNÉRIQUE

(10)

Rem Koolhaas est un architecte, journaliste et écrivain particulièrement actif dans

la définition d’une architecture qui se veut répondre aux problématiques générées par les

mégalopoles, pour proposer des méthodes propres pour les penser. Parfaitement au

courant des problèmes que ces villes mondes génèrent, il a développé une méthode

d’analyse et de compréhension des processus qui les ont vu naître et des lois propres à

leur édification. Par un travail journalistique et littéraire, il a proposé une méthode de

lecture et de création pour l’architecte lucide quand à la pratique de l’architecture.

Souvent critiqué pour ses propos exagérés et la radicalité des constats qu’il fait quant à

la fabrication de l’architecture, il est vu comme un architecte déconnecté et proposant

des projets soit irrespectueux quand ils ne sont pas qualifiés de gratuits, soit ne créant

pas d’urbanité permettant de donner une réelle qualité aux lieux dans lesquels il

1610 Photomontage personnel

Page 18: L'abécédaire de l'aarchitecte

intervient. Souvent critiqué pour sa vision anti-contextuelle, son architecture reste pour

autant mystérieuse et cultivée.

Pourtant, l’analyse de sa pensée et de sa vision de l’architecture prise dans le

contexte de la grande ville fait de lui au contraire un architecte contextuel au plus haut

point. Dans le contexte de mon analyse sur les espaces produits par la surmodernité et

des conséquences philosophiques qu’ils génèrent, sa pensée prend un tout autre visage.

Ni théâtre de la déconstruction ni solution prophétique aux problèmes globaux, il propose

une lecture complexe des processus agissant dans les espaces surmodernes et tente de

faire une architecture ancrée dans ce réel là, pour tenter d’y agir en architecte conscient.

C’est la méthode qu’il utilise pour y arriver qui m'intéresse pour penser le rapport que

l’architecte peut entretenir avec les espaces ainsi générés. Ni reniement des réalités du

monde actuel dans un repli pour une habitation dite heureuse et véritable, ni monstration

théâtralisée d’une postmodernité autoréférentielle, l’architecture de Koolhaas tente de

comprendre les processus spatiaux actuels dans leur réalité et ne définit pas de limite au

delà de laquelle l’architecture n’est plus possible. Il analyse comment la ville rejette

l'architecture mais ne baisse pas les bras dans le combat pour sa préservation.

Son premier ouvrage qui le fit connaître fut une analyse de la ville de New-York

prenant en compte dans son analyse non pas la forme de la ville mais la dynamique qui

l’a généré. Partant de l’hypothèse d’un New-York inconscient, il développe sous une

forme précise la genèse de la ville, qui se serait développée par étapes, passant d’un

New-York inconscient à un New-York préconscient puis à un New-York conscient, vers

une apothéose puis une chute.

Sa méthode d’analyse consiste à se glisser tel un espion dans les principes à l’oeuvre

lors de la création de la ville, qui est alors vue comme une entité générée de manière

inconsciente. Koolhaas s’est glissé dans le rêve américain et dans la manière dont la ville

s’est réalisée de manière atavique par l’entreprise de rêveurs et de fous qui utilisaient des

possibilité sous-jacentes à la forme originale de la ville.

Cette plongée dans l’inconscient lui permet de comprendre la formation de la ville, la

manière dont les typologies architecturales se sont générées et comment leur forme et

leurs dynamiques sont le fruit d’une progression et d’une logique interne que l’on peut

comprendre quand on utilise une méthode appropriée d’analyse.

Pour Koolhas, New-York serait l’incubateur d’une nouvelle forme de vie urbaine où le réel

aurait cessé d’exister et où l’architecture ne serait pas le lieu d’une habitation humaniste

et raisonnable, mais le générateur d’un grand rêve collectif, permis par des principes

simples et très efficaces. Le principe de New-York serait la congestion, et l’architecture se

17

Page 19: L'abécédaire de l'aarchitecte

devrait être le moyen de résoudre le problème de la congestion maximale tout en gardant

un visage urbain extrêmement simple.

Ce grand rêve serait permis par deux grands principes fondamentaux que Koolhaas

développe: L’automonument est vu comme un outil permettant une congestion maximum

propre à la réalisation d’« arches » libérées de la réalité du monde par une lobotomie

entre le réel et l’intériorité propre aux espaces construits. Ce trio théorique permettrait la

création d’une ville infinie qu’il nomme « la ville du globe captif » où tout serait alors

possible grâce à l’utilisation de techniques appropriées mises en ordre selon des règles

particulières. Cette ville du globe captif, imagination pure, est l’interprétation par

Koolhaas de la volonté inconsciente de New-York et la synthèse de sa théorie sur la ville.

L’intérêt de son analyse de New-York tient autant par sa forme que par son contenu. Sa

théorisation de la construction de la ville est le résultat d’une méthode visant à intégrer

les processus mêmes de la formation de la ville, non pas pour en faire une description

mais pour en faire des outils de recréation à l’identique de théories virtuelles telles

qu’elles se sont construites dans la ville.

L’analyse des points soulevés plus haut que sont l’automonument, l’arche et la lobotomie

permet de comprendre ce qu’est pour Koolhaas New-York et quels types d’espaces sont

générés par elle. La description qu’il fait de la méthode propre à la compréhension de ces

espaces et de leur genèse est l’outil principal pour penser une pratique de l'architecture

consciente et capable de répondre aux problèmes de la ville actuelle.

« AUTOMONUMENT

Passé un certain volume critique, toute structure devient un monument,

où, du moins, suscite cette attente de part sa seule taille, même si la

somme ou la nature des activités particulières qu’elle abrite ne mérite pas

une expression monumentale.

Cette catégorie de monuments représente une rupture radicale et

moralement traumatisante face aux conventions du symbolisme ; sa

manifestation physique n’est ni l’expression d’un idéal abstrait ou d’une

institution d’une importance exceptionnelle, ni l’articulation lisible d’une

hiérarchie sociale dans un espace tridimensionnel, ni un mémorial ; il se

contente d’être lui-même et, du seul fait de son volume, ne peut éviter de

devenir un symbole - vide et ouvert à toute signification, comme un

panneau est disponible pour l’affichage. Pur solipsiste, il se borne à

exalter son existence disproportionnée et son processus de création

18

Page 20: L'abécédaire de l'aarchitecte

désinhibé. Ce monument du XXè siècle est l’automonument, et son

expression la plus pure est le gratte-ciel.

Pour rendre « l’automonument gratte-ciel » habitable, une série de

tactiques annexes sont mises au point, destinées à lui permettre de

répondre à la double exigence conflictuelle à laquelle il se trouve sans

cesse confronté : la nécessité d’être un monument, qui suppose la

permanence, la solidité et la sérénité et, en même temps, la nécessité de

s’adapter, avec un maximum d’efficacité, au « changement qu’est la vie »,

par nature antimonumentale. »11

L’automonument est pour Koolhaas la définition de l’architecture générique, un bâtiment

qui par sa seule taille, et indépendamment de son programme ou de sa destination,

entraine un rapport au monde différent d’une architecture normale. L’automonument se

rapproche dans sa définition des objets que décrit Günther Anders, obtenant un statut

particulier du seul fait de sa taille, le faisant apparaître dans une catégorie ontologique

différente que les objets courants. Ces auto monuments accueillent en leur sein des «

arches » que Koolhaas illustre ainsi :

« ARCHE :

Dès le jour de sa révélation, Roxy est devenu le nouveau Noé, le

dépositaire choisi d’un « message » quasi divin dont il impose au monde

la réalité, sans se soucier de son apparente invraisemblance.

Radio City Music Hall est son arche : elle est désormais pourvue

d’installations ultra-perfectionnées permettant l’hébergement et le

déplacement des espèces sauvages sélectionnées à travers sa structure.

Elle a, avec les Rockettes, sa propre race s’épanouissant à l’ombre d’un

dortoir de miroirs qui évoque, avec ses rangées régulières de lits d’hôpital

peu affriolants, un service de maternité, mais sans bébé. Au-delà du sexe,

et par la seule vertu de l’architecture, les vierges se reproduisent.

En la personne de Roxy, finalement, le Music Hall a trouvé son grand

timonier, un concepteur doublé d’un visionnaire, qui a pu réaliser sur son

lotissement un cosmos parfaitement autonome.

1911 Rem Koolhaas, New York délire, Marseille, Éditions parenthèses, 2002.

Page 21: L'abécédaire de l'aarchitecte

Mais, à la différence de Noé, Roxy n’a nul besoin d’un cataclysme

extérieur pour justifier sa révélation : dans l’univers de l’imagination

humaine, il est tranquille tant que « the sun never sets ».

Avec ses installations et son équipement technique perfectionné, bref

avec sa cosmogonie, chacun des 2028 blocs de Manhattan abrite en

puissance une arche (ou nef des fous) semblable, recrutant son propre

équipage avec une surenchère de promesse et d’assurance de

rédemption grâce à un surcroît d’hédonisme.

Une telle abondance finit, dans son effet cumulatif, par engendrer

l’optimisme : à elles toutes, les arches rendent dérisoire l’éventualité de

l’Apocalypse. »12

Ces « arches » sont le but de la réalisation de la ville et de l’architecture générique, des

endroits où « the sun never sets » annulant toutes les réalités du monde pour plonger les

occupants dans un rêve éveillé.

Ce rêve où le monde ne se couche jamais est le rêve du non-lieu, l’état dans lequel on se

trouve sans monde et sans lieu, totalement hors du monde mais captif de son

mécanisme inconnaissable. La séparation de cet espace vis à vis du monde se fait par ce

qu’il appelle la lobotomie :

« LOBOTOMIE :

Les constructions possèdent à la fois un dedans et un dehors.

L’architecture occidentale est partie de l’hypothèse humaniste selon

laquelle il est souhaitable d’établir un lien moral entre les deux, le dehors

laissant filtrer sur le monde du dedans certaines révélations que le

dedans va corroborer. La façade « honnête » parle des activités qu’elle

dissimule. Mais, mathématiquement, si le volume intérieur des objets tri-

dimensionnels augmente selon une progression au cube, l’enveloppe qui

les renferme n’augmente que selon une progression au carré ; le décalage

entre le volume de l’activité intérieure et la surface extérieure

correspondante ne cesse donc de croître.

2012 Ibidem

Page 22: L'abécédaire de l'aarchitecte

Passé un certain volume critique, ce rapport est poussé au-delà du point

de rupture ; cette « rupture » est le symptôme de l’automonumentalité.

Dans l’écart intentionnel entre le contenant et le contenu, les bâtisseurs

de New-York découvrent une zone de liberté sans précédent. Ils

exploitent et lui donnent une dimension formelle au moyen d‘une

opération qui est l’équivalent architectural d’une lobotomie (ou

suppression, par intervention chirurgicale, des liaisons entre les lobes

frontaux et le reste du cerveau pour remédier à certains troubles mentaux

en dissociant les mécanismes de pensée des mécanismes émotifs).

L’opération architecturale équivalente consiste à dissocier architecture

intérieure et extérieure.

De cette façon, le « monolithe » épargne au monde extérieur les agonies

des perpétuels changements qui l’agitent au dedans.

Il dissimule la vie quotidienne. »13

La méthode qu’a développé Koolhaas pour comprendre cette architecture tient dans

l’exploitation maximum des capacités que ces structures permettent, et du rêve qui les

sous tendent. New-York délire tire son titre et sa théorie de cette compréhension des

processus architecturaux délirants et dans leur exploitation consciente en tant que

méthode créative assumée. Il tire sa méthode de l’analyse de la pensée de Salvador Dalí

et de la méthode paranoïaque-critique que celui-ci avait développé. Il l’applique

directement à l’étude de New-York. Si New-York délire, il convient de délirer pour la

comprendre. Méthodologie de travail et de recherche, il décrit la méthode paranoïaque-

critique ainsi :

« MÉTHODE :

« J’annonce comme proche le moment où, par un processus de caractère

paranoïaque et actif de la pensée, il sera possible de systématiser la

confusion et de contribuer au discrédit total du monde de la réalité » : à la

fin des années vingt, Salvador Dalí injecte sa méthode paranoïaque-

critique dans le courant surréaliste. « C’est en 1929 que Salvador Dalí fait

porter son attention sur les mécanismes internes des phénomènes

paranoïaques et envisage la possibilité d’une méthode expérimentale

2113 Ibidem

Page 23: L'abécédaire de l'aarchitecte

fondée sur le pouvoir des associations systématiques propres à la

paranoïa ; cette méthode devait devenir par la suite la synthèse délirante

critique qui porte le nom d’activité paranoïaque-critique. » Le mot d’ordre

de la méthode paranoïaque-critique (ci-après abrégée en MPC ) est la

conquête de l’irrationnel.

Au lieu de la soumission passive et volontairement a-critique à

l’inconscient qui caractérisait les premières recherches surréalistes dans

le domaine de l’automatisme (appliqué à la littérature , la peinture et la

sculpture), Dalí propose une seconde phase : l’exploitation consciente de

l’inconscient au moyen de la MPC.

Pour définir sa méthode, il se sert essentiellement de formules

suggestives : « la méthode spontanée de connaissance irrationnelle

basée sur l’association interprétative-critique des phénomènes délirants

».

La manière la plus simple d’expliquer la MPC, c’est de décrire son exacte

contre-pied.

Dans les années soixante, deux béhavioristes américains - Ayllon et Azrin

- inventent une forme de thérapie par stimulant qu’ils appellent économie

de jeton. Par la distribution de jetons en plastiques de couleur, on

encourage les pensionnaires d’un asile d’aliénés à se conduire autant que

possible comme des gens normaux.

Les deux expérimentateurs « avaient affiché sur le mur une liste des

conduites désirées et ils donnaient ensuite des primes (les jetons) aux

malades qui faisaient leur lit, balayaient leur chambre, aidaient à la

cuisine, etc. Ces jetons donnaient droit à des suppléments à la cantine ou

à des faveurs comme la télévision en couleurs, la possibilité de veiller

plus tard le soir ou disposer de chambre individuelle. Ces stimulants

s’avérèrent très efficaces pour inciter les malades à se prendre en charge

et à veiller au bon fonctionnement de leur service. »

Cette thérapie repose sur l’espoir que, tôt ou tard, une telle stimulation

systématique de la normalité finira par se transformer en véritable

normalité, que l’esprit malade parviendra à s’insérer dans une certaine

forme de santé mentale, comme un bernard-l’ermite se glisse dans une

coquillage vide. (...)

La MPC de Dalí est une forme de thérapie par stimulant, mais en sens

contraire. Au lieu d’imposer aux malades les rites du monde normal, Dalí

22

Page 24: L'abécédaire de l'aarchitecte

propose aux bien portants une excursion touristique au pays de la

paranoïa. À l’époque où Dalí invente la MPC, la paranoïa est à la mode à

Paris. La recherche médicale a permis d’élargir sa définition au-delà de la

simple manie de persécution, qui n’est qu’un des éléments d’un appareil

délirant beaucoup plus vaste. En réalité, la paranoïa est un délire

d’interprétation. Chaque fait, chaque événement, chaque observation est

appréhendée selon un mode d'interprétation systématique et « compris »

par le malade, sujet de telle manière qu’il vient absolument confirmer et

renforcer sa thèse, à savoir le délire initial qui lui a servi de point de

départ.

Le paranoïaque voit toujours juste, même s’il regarde à côté.

De la même manière que dans un champ magnétique les molécules de

métal se regroupent pour exercer une attraction collective et cumulée, le

paranoïaque, par une série d’associations incontrôlables, systématiques

et en soi strictement rationnelle, transforme le monde entier en un champ

magnétique de faits qui vont tous dans le même sens : le sien.

C’est ce rapport intense - quoique déformé - au monde réel qui constitue

l’essence de la paranoïa : « La réalité du monde extérieur sert comme

illustration et preuve, et est mise au service de la réalité de notre esprit. »

La paranoïa est un choc de la reconnaissance indéfiniment répété. (...)

Comme son nom l’indique, la méthode paranoïaque-critique de Dalí est

un enchainement de deux opérations consécutives mais distinctes :

a ) la reproduction artificielle du mode de perception paranoïaque du

monde donnant un éclairage nouveau, avec sa riche moisson de

correspondances, d’analogies et de schémas associatifs insoupçonnés ;

b ) la compression de ces élucubrations gazeuses jusqu’au point critique

où elles atteigne la densité du fait ; la partie critique de la méthode

consiste en la fabrication de « souvenirs » objectivants du tourisme

paranoïaque, de preuves concrètes qui apportent au reste de l’humanité

les découvertes de ces excursions, dans des formes aussi évidentes et

incontestables que des instantanés. »14

2314 Ibidem

Page 25: L'abécédaire de l'aarchitecte

Cette méthode radicale permet à Koolhaas de rentrer et de se glisser dans la

fabrication générique de l’architecture par la compréhension des processus par laquelle

elle se réalise. Koolhaas utilise cette technique pour se fondre dans la fabrication de

New-York et en imite les processus. Cela se manifeste dans son travail par le propos et la

thèse qu’il soutient, thèse qui se développe dans un style littéraire imitant celui de New-

York. Chaque partie de thèse correspond à un mot, à une idée collée à une autre selon

une trame régulière imitant celle de New-York, dans laquelle se congestionnent des «

arches » irréelles. Chaque mot est alors pour Koolhaas un rêve, une irréalité qui permet

de comprendre la théorie inconsciente de la ville, et qui assemblé et congestionné à

d’autres arches forme une ville ouverte aux mille sens et aux mille significations.

Cette méthode, selon moi, permet de transformer la pratique de l’architecture et de

penser l’utilisation des moyens de représentation d’une manière différente. La

représentation ne serait plus seulement un moyen d’habiter des lieux et de réaliser par là

des maisons, mais permettrait une compréhension hospitalière des phénomènes

architecturaux et urbains actuels. Cela se fait par la surdétermination symbolique des

représentations et l’éclatement de leurs significations. C’est pour cela que dans mon

abécédaire le mot est défini autant par la définition du dictionnaire que par un moyen

d’expression divers. C’est ainsi que j’ai pensé l’abécédaire. Je l’ai conçu selon une

méthode simple qui fonctionne par le collage et la confrontation entre un terme, sa

définition et une interprétation personnelle de son sens. Cette interprétation est le fruit

d’une sélection personnelle d’un texte, d’un poème, parfois les deux et parfois

accompagné d’une image. Cette forme n’est pas définitive. Ce travail que l’on peut

rapprocher d’un dictionnaire délirant tire son nom d’abécédaire en s’inspirant de celui,

fameux, du philosophe Gilles Deleuze, mais ne voulant pas défendre une théorie établie.

Je veux seulement ouvrir des théories possibles pour les non-lieux. Pour l’instant la

majeure partie des citations proviennent d’auteurs divers, le but est de le remplir de

propos personnels pour construire une méthode et un travail créatif personnel qui

permettra de servir de base à une compréhension des phénomènes contemporains. Mais

la méthode qui le génère est l’outil principal, que j’ai tenu à décrire et théoriser dans ce

présent essai. C’est un début de réflexion sur l’utilisation pragmatique d’une méthode

pour l’aarchitecte et permet d’ouvrir des champs de travaux différents, que ce soit dans

la pratique même de l’architecture, dans une pratique de l’art que j’aimerais développer,

et dans une poursuite des recherches proprement philosophiques.

24

Page 26: L'abécédaire de l'aarchitecte

15

2515 Photomontage personnel

Page 27: L'abécédaire de l'aarchitecte

LES DELIRES DE L’AARCHITECTE

AARCHITECTURE

AMNESIE

ANARCHITECTURE

ALPHABET :

nom masculin (latin alphabetum, du grec alpha et bêta, noms des deux premières lettres de l'alphabet grec)

I. Système de signes graphiques, disposés dans un ordre conventionnel, et servant à transcrire les sons d'une langue ; ensemble de ces signes.

II. Synonyme de abécédaire.III. Ensemble des lettres, des chiffres et des

signes nécessaires pour la composition des textes.

IV. Ensemble de caractères, et éventuellement de leur codification associée, utilisé dans un système informatique.

V. Système de représentation des sons au moyen des lettres.

Dès le début se pose la question de la fin, à savoir comment organiser la présentation

pour saisir adéquatement les différents niveaux que forme le concept et la réalité. Il faut

que chaque niveau éclaire le domaine qui lui est propre : l’élaboration du projet,

l’architecture du bâtiment, la biographie des matériaux, l’histoire du site et l’histoire

culturelle du bain. L’approche choisie suit des détours, que la méthode essaie de copier

et de rendre visibles. Celle-ci consiste à désassembler puis rassembler, à diviser la

complexité du thème suivant ses contenus pour la recomposer ensuite dans un nouvel

ordre. Dans leur Dictionnaire allemand, ouvrage conçu hors de toute perspective

d’achèvement, les frères Jacob et Wilhelm Grimm on appelé l’ordre alphabétique un ordre

salutaire, probablement parce que ce système de représentation apparaît comme

démocratique, puisque tous les termes reçoivent la même valeur et aucune hiérarchie ne 26

Page 28: L'abécédaire de l'aarchitecte

préside leur succession. Le choix, cependant, est fait d’interprétations, et la construction

est dans chaque cas artificielle. L’ordre des lettres dans les langues européennes remonte

au plus ancien alphabet sémitique, et leur invention revient au peuple des Phéniciens qui,

il y a plus de 4000 ans, domina le commerce maritime de la Méditerranée plusieurs

siècles durant. Il était enfin devenu possible de noter tous les souvenirs et les pensées à

l’aide de seulement deux douzaines de signes. Au XIè sciècle av. J.C., ce système de

signes fut adopté par les Grecs, le nom des lettres demeurant le même : alef ou alpha

signifie taureau, beth ou betâ signifie maison. Aleph et beth, les deux premières lettres de

l’alphabet hébraïque , partagent la même origine. L’ordre alphabétique varie selon les

langues. Les Romains ont par exemple emprunté leurs lettres aux Grecs, lettres qu’ils ont

augmentées, remplacées ou complétées en les adaptants à leur phonèmes. Après

l’invasion de la Grèce, comme il était devenu nécessaire d’écrire de plus en plus de mots

grecs en latin, il fallut réintroduire le zêta provisoirement abandonné, qui se retrouva placé

à la fin de l’alphabet latin pour devenir le Z et permit de désigner, dans sa liaison avec le A

initial, la totalité, comme l’écrivent les frères Grimm. La dernière lettre de l’alphabet

hébraïque est le taw, lors de la confession des pêchés pratiqués le jour du Grand Pardon

après les dix jours de pénitence, le taw signifie la fin tant espérée, car une faute doit être

confessée pour chaque lettre de l’alphabet, vingt-deux lettres, vingt-deux fautes. Dans

l’ouvrage de Martin Buber intitulé Les récits hassidiques, un rabbin explique que cette

règle du taw permet d’enfin savoir quand il faut s’arrêter, car la conscience du pêché n’a

pas de fin, mais l’alphabet en a une.

Sigrid hauser, Peter Zumthor, Peter

Zumthor Therme Vals, Paris, Infolio

éditions, 2007.

ARCHE :

Nom féminin (latin arca, coffre)

I. Arche d'alliance, coffre de bois d'acacia

recouvert d'une plaque d'or, dans lequel

étaient déposées les Tables de la Loi reçues par Moïse sur le mont Sinaï ; armoire où est

enfermé le rouleau de la Torah qui sert aux

offices de la synagogue.

27

Page 29: L'abécédaire de l'aarchitecte

II. Arche de Noé, vaisseau que, selon la Bible, Noé construisit par ordre de Dieu pour

échapper au Déluge  ; ou, familier, maison

où vivent toutes sortes de gens ou de bêtes.

Dès le jour de sa révélation, Roxy est devenu le nouveau Noé, le dépositaire choisi d’un «

message » quasi divin dont il impose au monde la réalité, sans se soucier de son

apparente invraisemblance.

Radio City Music Hall est son arche : elle est désormais pourvue d’installations ultra-

perfectionnées permettant l’hébergement et le déplacement des espèces sauvages

sélectionnées à travers sa structure.

Elle a, avec les Rockettes, sa propre race s’épanouissant à l’ombre d’un dortoir de miroirs

qui évoque, avec ses rangées régulières de lits d’hopital peu affriolants, un service de

maternité, mais sans bébé. Au-delà du sexe, et par la seule vertu de l’architecture, les

vierges se reproduisent.

En la personne de Roxy, finalement, le Music Hall a trouvé son grand timonier, un

concepteur doublé d’un visionnaire, qui a pu réaliser sur son lotissement un cosmos

parfaitement autonome.

Mais, à la différence de Noé, Roxy n’a nul besoin d’un cataclysme extérieur pour justifier

sa révélation : dans l’univers de l’imagination humaine, il est tranquille tant que « the sun

never sets ».

Avec ses installations et son équipement technique perfectionné, bref avec sa

cosmogonie, chacun des 2028 blocs de Manhattan abrite en puissance une arche (ou nef

des fous) semblable, recrutant son propre équipage avec une surenchère de promesse et

d’assurance de rédemption grâce à un surcroît d’hédonisme.

Une telle abondance finit, dans son effet cumulatif, par engendrer l’optimisme : à elles

toutes, les arches rendent dérisoire l’éventualité de l’Apocalypse.

Rem Koolhaas, New York délire,

Marseille, Éditions parenthèses, 2002.

ARCHIPEL

ARCHITECTURE

ART28

Page 30: L'abécédaire de l'aarchitecte

ARTISTE :

Nom (latin médiéval artista, du latin classique ars,

artis, art)

I. - Personne qui exerce professionnellement

un des beaux-arts ou, à un niveau supérieur à celui de l'artisanat, un des arts appliqués.

II. Vieux. Personne dont le mode de vie

s'écarte délibérément de celui de la

bourgeoisie ; non-conformiste, marginal.

III. Personne qui a le sens de la beauté et est

capable de créer une œuvre d'art  : Une

sensibilité d'artiste.

IV. Personne qui interprète des œuvres

théâtrales, cinématographiques, musicales

ou chorégraphiques : Artiste dramatique.

V. Personne qui fait quelque chose avec beaucoup d'habileté, selon les règles de

l'art : Travail d'artiste.

VI. Familier. Bon à rien, fantaisiste.

« Chaque homme est un artiste »

Joseph Beuys.

ATOME : Nom masculin (latin atomus, du grec atomos, qu'on

ne peut couper)

I. Constituant fondamental de la matière dont

les mouvements et les combinaisons

rendent compte de l 'essent ie l des propriétés macroscopiques de celle-ci. (Un

corps constitué d'atomes de même espèce

est appelé corps simple ou élément

chimique.)

29

Page 31: L'abécédaire de l'aarchitecte

II. Synonyme familier de énergie nucléaire:

L'ère de l'atome.

III. Partie infiniment petite de quelque chose  ;

grain, miette  : Il n'a pas un atome de bon

sens.

IV. Philosophie :

Élément indivisible, chez les philosophes matérialistes grecs.

« L'énergie nucléaire est une force absolue, unitaire. Elle est entièrement « dehors » et

n'admet aucune intériorité autre que qu'elle même, aucune altérité. On peu parler, à son

propos, d'une sorte d'autisme dans la nature. »

Raymond Burlotte Atome et

individualité, in "L'esprit du temps" N

°33 Et les dieux oublièrent les

hommes... , Printemps 2003

AUTOMONUMENT

Passé un certain volume critique, toute structure devient un monument, où, du moins,

suscite cette attente de part sa seule taille, même si la somme ou la nature des activités

particulières qu’elle abrite ne mérite pas une expression monumentale.

Cette catégorie de monuments représente une rupture radicale et moralement

traumatisante face aux conventions du symbolisme ; sa manifestation physique n’est ni

l’expression d’un idéal abstrait ou d’une institution d’une importance exceptionnelle, ni

l’articulation lisible d’une hiérarchie sociale dans un espace tridimensionnel, ni un

mémorial ; il se contente d’être lui-même et , du seul fait de son volume, ne peut éviter de

devenir un symbole - vide et ouvert à toute signification, comme un panneau est

disponible pour l’affichage. Pur solipsiste, il se borne à exalter son existence

disproportionnée et son processus de création désinhibé. Ce monument du XXè sciècle

est l’automonument, et son expression la plus pure est le gratte-ciel.

Pour rendre « l’automonument gratte-ciel » habitable, une série de tactiques annexes sont

mises au point, destinées à lui permettre de répondre à la double exigence conflictuelle à

laquelle il se trouve sans cesse confronté : la nécessité d’être un monument, qui suppose

la permanence, la solidité et la sérénité et, en même temps, la nécessité de s’adapter,

avec un maximum d’efficacité, au « changement qu’est la vie », par nature

antimonumentale.

30

Page 32: L'abécédaire de l'aarchitecte

Rem Koolhaas, New York délire,

Marseille, Éditions parenthèses, 2002.

AUTISME :

Nom masculin (allemand Autismus, du grec autos,

soi-même)

I. Trouble du développement complexe

affectant la fonction cérébrale, rendant

impossible l'établissement d'un lien social

avec le monde environnant.

Là naît le routinier, là gisent les choses mortes peu à peu substituées aux « repères vifs ».

Tous ces « gestes à l’infinitif » tiennent aussi du rituel, et Deligny n’hésite pas à affirmer

que « l’Église a une racine dans le monde autistique... Les rituels quels qu’ils soient et les

rituels religieux en particulier, tendent à épaissir les gestes quotidiens pour leur donner

une apparence de choses, ils en font des pierres ».

Françoise Bonardel à propos de

Fernand Deligny.

AUTRE

AVION

BANALITÉ

CAMERA

CARESSE :

Nom féminin (italien carezza)

I. Attouchement tendre, affectueux ou

sensuel : Elle repoussait ses caresses.

II. Frôlement doux et agréable  ; sensation de

douceur produite par quelque chose  : La

caresse d'un regard.

31

Page 33: L'abécédaire de l'aarchitecte

« La caresse consiste à ne se saisir de rien, à solliciter ce qui s’échappe sans cesse de sa

forme vers un avenir – jamais assez avenir – à solliciter ce qui se dérobe comme

s’il  n’était pas encore. Elle  cherche, elle fouille  ; ce n’est pas une intentionnalité de

dévoilement, mais de recherche  : marche à l’invisible. Dans un certain sens

elle  exprime  l’amour, mais souffre d’une incapacité de le dire. Elle a faim de cette

expression même, dans un incessant accroissement de cette faim. Elle va donc plus loin

qu’à son terme, elle vise au-delà d’un étant, même futur qui, comme étant précisément,

frappe déjà à la porte de l’être. (…) La caresse cherche par delà le consentement ou la

résistance d'une liberté -  ce qui n'est pas encore, un " moins que rien ", enfermé et

sommeillant au delà de l'avenir et, par conséquent, sommeillant tout autrement

que possible, lequel s'offrirait à l'anticipation. La profanation qui s'insinue dans la caresse

répond adéquatement à l'originalité de cette dimension de l'absence. Absence autre que

le vide d'une néant abstrait : absence se référant à l'être, mais s'y référant à sa manière,

comme si les " absences " de l'avenir n'étaient pas avenir, toutes au même niveau

uniformément. L'anticipation saisi des possibles, ce que cherche la caresse ne se situe

pas dans une perspective et dans la lumière du saisissable. Le charnel, tendre par

excellence et corrélatif de la caresse, l'aimée - ne se confond ni avec le corps - chose du

psychologiste, ni avec le corps propre du " je peux ", ni avec le corps-expression,

assistance à sa manifestation, ou visage. Dans la caresse, rapport encore, par un côté,

sensible, le corps déjà se dénude de sa forme même, pour s'offrir comme nudité

érotique. Dans le charnel de la tendresse, le corps quitte le statut de l'étant.(...).

La caresse ne vise ni une personne, ni une chose. Elle se perd dans un être qui se dissipe

comme dans un rêve impersonnel sans volonté et même sans résistance, une passivité,

un anonymat déjà animal ou enfantin, tout entier déjà à la mort. La volonté du tendre se

produit à travers son évanescence, comme enracinée dans une animalité ignorant sa

mort, plongée dans la fausse sécurité de l’élémental, dans l’enfantin ne sachant pas ce

qui lui arrive. Mais aussi profondeur vertigineuse de ce qui n’est pas encore, et qui n’est

pas, mais d’une non-existence n’ayant même pas avec l’être la parenté qu’entretient avec

lui une idée ou un projet, d’une non-existence qui ne se prétend, à aucun de ces titres, un

avatar de ce qui est. La caresse vise le tendre qui n’a plus le statut d’un « étant », qui sorti

des «  nombres et des êtres  » n’est même pas qualité d’un étant. Le tendre désigne

une  manière, la manière de se tenir dans le  no man’s land, entre l’être et le ne-pas-

encore-être. Manière qui ne se signale même pas comme une signification, qui, en

aucune façon, ne luit, qui s’éteint et se pâme, faiblesse essentielle de l’Aimée se

produisant comme vulnérable et comme mortelle. »

32

Page 34: L'abécédaire de l'aarchitecte

Emmanuel Levinas, Totalité et infini -

Essai sur l’extériorité, Paris, LGF, 2009.

CARTE :

Nom féminin (de carte 1)

1 R e p r é s e n t a t i o n c o n v e n t i o n n e l l e ,

généralement plane, de phénomènes

concrets ou même abstraits, mais toujours

localisables dans l'espace.

2 Astronomie :Représentation sur un plan soit d'une région

du ciel, soit d'un astre de dimensions

apparentes appréciables (Soleil, Lune,

planète, etc.).

Au jour le jour, par leurs faits et gestes coutumiers : conduire le troupeau, couper du bois,

faire cuire le repas..., ils marquent de leur présence cette terre austère et immuable des

Cévennes, transcrivant ensuite ces trajets et multiples « faire » quotidiens en

d’innombrables cartes qui « donnent à voir » ce qu’eux-mêmes ignoraient souvent

jusqu’alors, et sans quoi les enfants psychotiques resteraient pour eux, et

réciproquement, d’irréductibles étrangers. Ce que les cartes révèlent, à travers les

nombreux tracés et le transcrit qui en est fait, là où l’enchevêtrement des « lignes d’erre »

et des trajets coutumiers constitue un « lieu-chevêtre », c’est l’existence d’un «  corps

commun » , d’un « Nous primordial » , qui ne saurait être ramené à un noeud de désirs

inconscients comme le voudrait la psychanalyse, ni à un héritage de dispositions innées ;

c’est bien plutôt « ce quelque chose on nous qui échappe au conjugable », ainsi que

tente de le définir Deligny, ou encore ce « fonds commun autiste que nous avons tous on

permanence ».

Françoise Bonardel à propos de

Fernand Deligny.

CATASTROPHE :

Nom féminin ( lat in catastropha, du grec

katastrophê, bouleversement)

I. É v é n e m e n t q u i c a u s e d e g r a v e s

bouleversements, des morts  : Le sang-froid

du pilote a évité la catastrophe.

33

Page 35: L'abécédaire de l'aarchitecte

II. Accident jugé grave par la personne qui en

subit les conséquences  : Le départ de

Pierre est une catastrophe pour elle.

III. É v é n e m e n t d é c i s i f q u i a m è n e l e

dénouement de la tragédie classique.

« De la catastrophe, ils en parlent constamment comme d'un tremblement de terre,

comme un raz de marée ou d'un astéroïde. »

Günther Anders, Hiroshima est partout,

Paris, Éditions du seuil, 2008.

« Qu’était-ce exactement ?

La chute d’une météorite ?

Des visiteurs venus du fin fond du cosmos ?

Quoi qu’il en soit, notre pays qui n’est pas bien grand vit apparaître une chose inouïe - ce

qui a été appelé la Zone.

Nous avons commencé par y envoyer des troupes.

Nul n’en est revenu.

Alors nous l’avons bouclé à l’aide d’importantes forces de police...

Et sans doute avons nous bien fait.

Au reste, je n’en sais rien...»

C’était un fragment d’un interview du prix Nobel professeur Walles.

Texte d’introduction du film stalker de

Andreï Tarkovski

CATASTROPHISME

CATARCHITECTE

« A mon sens, il est nécessaire d’enfoncer le clou et d’assumer que le cancer qui ronge

notre monde (je ne le préciserai pas, mais entendez par là, crise écologique, génocides...)

ne s’arrête pas aux artères principales mais ravage chaque petite réminiscence de l’être

humain et son milieu : l’architecte en fait partie. Tout  au   long  de  ce  manifeste,   je  

nommerai   ce   phénomène : la Catastrophe. Cependant, l’issue envisagée de la  

disparition  de l’architecte ne prendra tout  son  sens  que  s’il   renaîtra,  de  ses  

cendres,  un  nouvel  être : le Catarchitecte. »

34

Page 36: L'abécédaire de l'aarchitecte

Thomas Batzenschlager , Manifeste

pour le catarchitecte, Mémoire de

licence de l’ENSA, Nancy, 2007.

CAUSALITÉ

CONSCIENCE :

Nom féminin (latin conscientia, de scire, savoir)

I. Connaissance, intuitive ou réflexive

immédiate, que chacun a de son

existence et de celle du monde

extérieur.

II. Représentation mentale claire de

l'existence, de la réalité de telle ou telle

chose  : L'expérience lui a donné une

conscience aiguë du danger.

III. Psychologie :

Fonction de synthèse qui permet à un

sujet d'analyser son expérience actuelle

en fonction de la structure de sa

personnalité et de se projeter dans

l'avenir.

«Tout contre le problème de la liberté, surgit en effet celui de la conscience morale. Si

tous les concepts élaborés par la conscience collective sont bien le produit de l’évolution,

celui de la conscience morale n’a par contre rien à voir avec le processus historique. Le

concept de conscience morale, et le sentiment que nous en possédons, est quelque

chose d’immanent, de spécifique à priori à l’homme, qui vient comme ébranler les

assises de la société mal fondée qui est aujourd’hui la nôtre. La conscience morale

empêche la stabilisation de cette société, et va parfois à l’encontre des intérêts de

l’espèce, voire de sa survie. En termes d’évolution biologique, la catégorie de conscience

morale est parfaitement absurde. Pourtant elle existe bien, et accompagne l’homme tout

au long de son existence et de son développement en tant qu’espèce.

Aujourd’hui, il est évident pour tout le monde que les conquêtes matérielles n’on pas été

synchronisées avec le perfectionnement spirituel. La conséquence fatale en est que nous 35

Page 37: L'abécédaire de l'aarchitecte

sommes devenus incapables de maîtriser ces conquêtes et de les utiliser pour notre

propre bien. Nous avons créé une civilisation qui menace d’anéantir l’humanité.

Devant une catastrophe aussi globale, la seule question qui me semble importante, au

plan théorique, est celle de la responsabilité personnelle de l’homme, de sa disposition au

sacrifice spirituel (sans lequel il ne saurait être question d’un quelconque principe

spirituel). La capacité au sacrifice dont je parle, et qui doit devenir la forme organique et

naturelle d’existence de tout homme doué de quelque qualité spirituelle, ne peut être

perçue comme une fatalité malheureuse, ni comme une punition qui serait imposée par

on ne sait qui. Je veux parler de l’esprit de sacrifice, de l’essence même du service

envers le prochain, reconnu comme unique forme possible d’existence et assumée

librement par l’homme au nom de l’amour. »

Andreï Tarkovski, Le temps scellé, Paris,

Petite bibliothèque des Cahiers du

cinéma,2004.

CRIME

DÉCISION :

Nom féminin (latin decisio, -onis)

I. Action de décider après délibération  ; acte

par lequel une autorité prend parti après

examen : Décision judiciaire.

II. Acte par lequel quelqu'un opte pour une

solution, décide quelque chose  ; résolution,

choix : C'est une sage décision.

III. Choix des orientations d'une entreprise,

d'une politique, etc. ; mesure, ordre, prix en

conformité avec cette orientation  : Avoir le

pouvoir de décision.

IV. Qualité de quelqu'un qui n'hésite pas à

prendre ses résolutions  ; détermination,

fermeté  : Montrer de la décision dans une

affaire.

V. Droit :

I. Mesure prise par le président de la République dans le cadre des

circonstances particulières prévues

par l'article 16.

II. Sentence du Conseil constitutionnel.

36

Page 38: L'abécédaire de l'aarchitecte

VI. Militaire :

Document transmettant aux échelons

subordonnés les ordres d'une autorité

militaire.

VII. Psychologie :Choix entre deux comportements ou deux

activités internes incompatibles.

« On sait maintenant avec beaucoup de retard, que la ville de Tokyo a failli être évacuée,

parce que Nao To Kan le premier ministre japonais, après avoir quitté ses fonctions, c’est-

à-dire il y a quelques semaines maintenant, Nao To Kan a révélé qu’il avait songé à faire

évacuer la ville de Tokyo, ce qui à l’époque était quelque chose de complètement tabou,

dans l’espace public en tout cas... »

Michaël Ferrier dans l’émission Japon, :

Comment penser l’avenir ? 1/5  sur

France Culture le 5 décembre 2011.

DÉPOSSESSION

DÉRIVE :

Nom féminin (de dériver)

I. Déviation par rapport au cours normal  : La

dérive des monnaies par rapport au mark.

II. Fait de s'écarter de la voie normale, d'aller à

l'aventure, de déraper  : La dérive de

l'économie.

III. Déviation d'un navire ou d'un avion hors de

sa route, par l'effet du vent, des courants et

de la mer.

IV. Familier. Fait de se laisser aller sans réagir :

Une dérive dans l'alcoolisme.

V. Aileron mobile placé dans l'axe de la coque, pour améliorer la résistance latérale d'un

voilier et l'empêcher de dériver sous l'action

du vent.

VI. Partie fixe de l'empennage vertical d'un

avion.

37

Page 39: L'abécédaire de l'aarchitecte

VII. Variation indésirable, lente et continue, d'une grandeur physique ou d'une

caractéristique d'un instrument de mesure.

VIII. Armement :

Déplacement latéral qu'il faut faire subir à

un appareil de pointage pour corriger la dérivation.

IX. Chemin de fer :

Mise en mouvement spontanée de wagons

sous l'action de la déclivité, d'un lancement,

du vent, etc.

X. Hydrologie :

Tout déplacement incontrôlé d'un objet

flottant ou immergé dû à l'action du vent et

des courants (dérive des icebergs, d'un

flotteur).

Il ne s’agit pas ici de rééduquer (Deligny voit se profiler tous les colonialismes derrière ce

seul mot), ni de soigner (certains lui reprocheront d’ailleurs d’enfermer définitivement les

enfants dans leur psychose), mais d’entreprendre avec eux une dérive, qui est tout à la

fois errance au gré des choses plus que des affects, et aussi « presque rien, un bout de

bâton planté dans l’océan », c’est-à-dire presque tout pour ces enfants privés des

repères les plus élémentaires, à commencer par celui d’un Moi structuré. En état

d’apesanteur créé par l’absence de langage et donc de fin (tout à la fois but et terme

d’une entreprise humaine), on vit ici comme " à perte de vue ", dans la réitération quasi

rituelle du quotidien.

Françoise Bonardel à propos de Fernand Deligny.

DÉSERT

DÉSIR :

Nom masculin

I. Action de désirer, d'aspirer à avoir, à obtenir,

à faire quelque chose ; envie, souhait : Avoir

le désir de voyager.

II. Objet du désir  ; vœu  : Prendre ses désirs

pour des réalités.

38

Page 40: L'abécédaire de l'aarchitecte

III. Élan physique conscient qui pousse quelqu'un à l'acte ou au plaisir sexuel  :

Brûler de désir.

IV. Terme central de la doctrine de J. Lacan, se

situant par rapport à l'Autre entre le besoin

et la demande.

« Comme j’aime tes yeux, Ami,

le feu merveilleux qui y joue

Quand ils se lèvent, et ton regard

Plus vif qu’éclair au ciel

Décrit un grand cercle alentour.

Mais plus encore tes yeux

Me captivent quand ils s’abaissent

Et tu m’embrasse passionnément,

Et filtre entre la claie des paupières

La flamme sombre, mate du désir... »

Féodor Tiouttchev-  Poème de fin du

film Stalker de Andreï Tarkovski

DISTANCE

DUALITÉ

ÉCRIRE :

Verbe transitif (latin scribere)

I. Tracer les signes d'un système d'écriture,

de représentation graphique des sons d'un

langage, de la parole  : Écrire un « m  », un

mot, un chiffre.

II. Former les lettres, les signes, avoir tel ou tel

type d'écriture, employer tel ou tel système

d'écriture  : Écrire son nom lisiblement.

Écrire la somme en toutes lettres.

III. Orthographier correctement  : On écrit ce

mot avec deux « r ».

39

Page 41: L'abécédaire de l'aarchitecte

IV. Formuler par écrit un énoncé sur tant de

lignes, tant de pages  : J'ai pu écrire trois

pages sur ce sujet.

V. Exprimer sa pensée par le langage écrit,

composer une œuvre littéraire, scientifique :

Écrire un roman.

VI. Représenter graphiquement les sons de la m u s i q u e a u m o y e n d e s i g n e s

conventionnels : Écrire une partition.

VII. Adresser une lettre, un message écrit à

quelqu'un  : Nous n'avons aucune nouvelle

de lui, il n'écrit pas.

VIII. Raconter, affirmer, exposer, dire par écrit

dans une œuvre, un article, etc.  : Écrivez

pourquoi vous avez été ému.

IX. Faire savoir ou demander quelque chose

par écrit, dans une lettre, un message écrit :

Écris-moi si tu viens ou non.

« La nuit était sonore et creusée par l’absence des regards sur son obscure splendeur. On

entendait comme son grain, son pas. J’était là pour pour cela, pour voir ce que les autres

ignoraient toujours, cette nuit entre les nuits, celle-ci comme une autre, morne comme

l’éternité, à elle seule l’invivable du monde. J’ai pensé à la concomitance  de l’enfant et

de la mer, à leur différence ressemblante, transportante. Je me suis dit qu’on écrivait

toujours sur le corps mort du monde et, de même, sur le corps mort de l’amour. Que

c’était dans les états d’absence que l’écrit s’engouffrait pour ne remplacer rien de ce qui

avait été vécu ou supposé l’avoir été, mais pour en consigner le désert par lui laissé. Le

calme de la nuit suivait le vents, mais ce calme ce n’était pas le vent qui l’avait fait en se

retirant, c’était autre chose, c’était aussi bien le matin qui venait. Les portes de la maison

d’Aurélia Steiner sont ouvertes à tout, aux ouragans, à tous les marins des ports et

cependant rien n’arrive dans ce lieu de la maison d’Aurélia que ce désert de l’écrit, que la

consignation incessante de ce fait-là, ce désert. Je parle du deuil entier des juifs porté

par elle comme son propre nom. Ces gens qui parlaient de Montaigne à la télévision, les

avez-vous entendus ? Ils disaient que Montaigne avait quitté précocement, et le

parlement de Bordeaux, et ses amis, et sa femme, et ses enfants, pour écrire. Il voulait

réfléchir, disaient-ils, et écrire sur la morale et la religion. Je ne vois aucune décision de

cet ordre dans la retraite de Montaigne, au contraire de la voir raisonnable j’y vois de la

40

Page 42: L'abécédaire de l'aarchitecte

folie et de la passion. C’est pour continuer à vivre après la mort de La Boétie que

Montaigne à commencé à écrire. Ce ne sont pas là choses de la morale. Et si, comme le

disait Michel Beaujour, le seul à avoir osé, les «Essais» ne sont pas complètement lisibles

et que personne ne les a jamais lus en entier, de même que la Bible, plus encore peut-

être, c’est qu’ils ne s’évadent jamais de la singularité d’une relation particulière, éternisée

ici par la mort, là par la foi. Si Montaigne avait écrit de sa douleur, celle-ci aurait convoyé

tous l’écrits du monde. Or il n’écrit que pour ne pas écrire, ne pas trahir, juste en écrivant.

De la sorte il nous laisse sans lui, émerveillé, comblé mais jamais en allés avec lui dans sa

liberté.»

Marguerite Duras, L’été 80, Paris, Les

éditions de minuit, 2008.

ÉMISSION

EMPREINTE

ERRE :

Nom féminin (ancien français errer, du bas latin

iterare, voyager)

I. Vitesse résiduelle d'un navire sur lequel

n'agit plus le propulseur.

« Erre : le mot m’est venu. Il parle un peu de tout, comme tous les mots. Il y va d’une «

manière d’avancer, de marcher » dit le dictionnaire, de la « vitesse acquise d’un bâtiment

sur lequel n’agit plus le propulseur » et aussi des « traces d’un animal ». Mot fort riche,

comme on le voit, qui parle de marche, de mer et d’animal et qui recèle bien d’autres

échos : « errer : s’écarter de la vérité ... aller de côté et d’autre, au hasard, à l’aventure ».

J.-J Rousseau le dit : « voyager pour voyager c’est errer, être vagabond ». C’est aussi «

se manifester ça et là, et fugitivement, sur divers objets, sourire aux lèvres ». »

Fernand Deligny

ESPACE

ÉTRANGER

EXPÉRIENCE :

Nom féminin (latin experientia, de experiti, faire

l'essai)

I. Pratique de quelque chose, de quelqu'un,

épreuve de quelque chose, dont découlent

41

Page 43: L'abécédaire de l'aarchitecte

un savoir, une connaissance, une habitude ; connaissance tirée de cette pratique  :

Conducteur sans expérience.

II. Fait de faire quelque chose une fois, de

vivre un événement, considéré du point de

vue de son aspect formateur  : Avoir une

expérience amoureuse.

III. Action d'essayer quelque chose, de mettre

à l'essai un système, une doctrine, etc.  ;

tentative  : Tenter une expérience de vie

commune.

IV. Mise à l'épreuve de quelque chose, essai

tenté sur quelque chose pour en vérifier les

propriétés  ; expérimentation  : Faire

l'expérience d'un médicament.

V. Épreuve qui a pour objet, par l'étude d'un

phénomène naturel ou provoqué, de vérifier

une hypothèse ou de l'induire de cette

observation : Expérience de chimie.

VI. Astronautique

Matériel scientifique embarqué sur un engin

spatial.

VII. Statistique

Ensemble d'opérations à exécuter pour

vérifier une probabilité.

« Le vent souffle à Fukushima

Les étoiles scintillent à Fukushima

Les bourgeons éclosent à Fukushima

Les fleurs éclosent à Fukushima

Je vis à Fukushima

Je vis Fukushima

J’aime Fukushima

Je n’abandonne pas Fukushima

Je crois en Fukushima

Je marche dans Fukushima

Je cris le nom de Fukushima

42

Page 44: L'abécédaire de l'aarchitecte

Je pense fièrement à Fukushima

Je transmet aux enfants Fukushima

J’enlace Fukushima

Je vers des larmes avec Fukushima

Je pleure pour Fukushima

Elle pleure Fukushima

Je pleure avec Fukushima

Je pleure à Fukushima

Fukushima c’est moi

Fukushima c’est mon berceau

Fukushima c’est la vie

Fukushima c’est vous

Fukushima c’est mon père et ma mère

Fukushima ce sont mes enfants

Fukushima c’est le ciel azur

Fukushima ce sont les images

Fukushima, je protège Fukushima

Je reprend possession de Fukushima

Au coeur de ma main Fukushima

Je vis Fukushima

Je vis pour Fukushima

Je vis Fukushima

Je vis à Fukushima

Je vis Fukushima

Je vis à Fukushima

Je vis Fukushima. »

Engagement, poème de Ryoishi Wago,

poète japonais résident à Fukushima,

écrivant un poème par jour depuis la

catastrophe. Traduction  pour l’émission

Hors-champs de Laure Adler, Japon :

Comment penser l’avenir ? 3/5 sur

France culture le 07.12.2011 - 22:15.

EXTÉRIORITÉ

FÉMININ

FIN

43

Page 45: L'abécédaire de l'aarchitecte

FINALITÉ

FORME

FONCTION

GÉOMÉTRIE

HISTOIRE

HUMANITÉ :

Nom féminin (latin humanitas, -atis, de humanus,

humain)

I. Ensemble des êtres humains, considéré

parfois comme un être collectif ou une

entité morale : Évolution de l'humanité. Agir

par amour de l'humanité.

II. Disposition à la compréhension, à la

compassion envers ses semblables, qui

porte à aider ceux qui en ont besoin : Traiter

quelqu'un avec humanité.

III. Littéraire. Ensemble des caractères par

lesquels un être vivant appartient à l'espèce

humaine, ou se distingue des autres

espèces animales  : Un forcené qui a perdu

toute apparence d'humanité.

« Je le répète, j'ai surtout à l'esprit cette soirée au cours de laquelle les victimes

survivantes d'Hiroshima tentèrent de nous décrire la seconde à laquelle c'est arrivé, et les

minutes et les heures qui ont suivis cette seconde. L'homme d'affaire européen qui s'était

égaré un instant dans le jardin de l'hôtel où nous étions réunis et qui nous a vus, tous,

Blancs, Noirs, Jaunes et Bruns dans la même attitude, c'est à dire les yeux baissés vers

le sol, a certainement vu un rituel communautaire dans ce comportement identique, ou

alors il a dû être persuadé que nous étions en train d'accomplir là une expérience en

commun. Inutile de souligner une fois encore que l'identité du comportement n'était rien

d'autre que l'identitée du sentiment.

Vous allez demander de quoi était fait ce sentiment, identique chez nous tous. La réponse

à cette question - et elle n'a cessé d'être donné dans d'autre conversations et par des

bouches à chaque fois différentes : ce sentiment consistait dans le fait que nous

44

Page 46: L'abécédaire de l'aarchitecte

avions honte les uns devant les autres, et, plus exactement, que nous avions honte d'être

des hommes.

Voilà qui peut sembler étrange, peut-être même prétentieux, ou même apparaître d'un

manque de solidarité révoltant. C'est possible. Nous n'avions pas le temps d'y réfléchir.

Reste que la première réaction fut de refus ; refus de reconnaître comme étant des

nôtres, refus de nous compter parmi ceux qui avaient été capable de faire cela à l'un

d'entre nous.

Qu'on ne se méprenne pas. Ce qui est décisif n'est pas l'élément de la désolidarisation

que comportait ce sentiment de honte, mais l'inverse, la communauté de la

désolidarisation, c'est-à-dire la nouvelle solidarité devenue réalité à cet instant. C'est

pourquoi il est déplacé de s'indigner de cette honte (que j'ai vécue souvent après mon

retour). En ce qui me concerne en tous cas, jamais je n'ai ressenti avec une telle force et

une telle douleur ce qu'est l'« humanité » (Menscheit) qu'en ces heures de

désolidarisation. Lorsque les voisins à côté de toi - peu importe qu'ils soient africains,

américains, allemand, russes, birmans ou japonais - perdent l'usage de la parole pour la

même raison que toi, alors l'humanité en nous n'est pas blessée, mais bien plutôt

rétablie ; et peut-être même établie.

Günther Anders, Hiroshima est partout,

Paris, Éditions du seuil, 2008.

HYPOTHÈSE :

Nom féminin (grec hupothesis)

I. Proposition visant à fournir une explication vraisemblable d'un ensemble de faits, et qui

do i t ê t re soumise au cont rô le de

l ' expé r i ence ou vé r i fiée dans ses

conséquences.

II. Supposit ion, conjecture portant sur l'explication de faits passés ou présents ou

sur la possibilité de survenue d'événements

futurs : Une hypothèse peu fondée.

III. Dans la logique traditionnelle, proposition

particulière, comprise comme implicite à la

thèse, ou incluse à celle-ci ; dans la logique

moderne, formule figurant en tête d'une déduction et qui, à la différence d'un

axiome, n'a qu'un caractère transitoire.

45

Page 47: L'abécédaire de l'aarchitecte

Un bourdonnement de fond

témoigne de la présence des choses .

Nous avons besoin de la parole et du vent

pour le supporter .

.

Un bourdonnement de fond

dénonce l'absence des choses .

Nous devons inventer une autre mémoire

pour ne pas devenir fous .

.

Un bourdonnement de fond

annonce qu'il n'y a rien

qui ne puisse exister .

Nous avons besoin d'un silence doublé de silence

pour admettre que tout existe .

.

Un bourdonnement de fond

souligne le froid et la mort .

Nous avons besoin de la somme de tous les chants,

du résumé de tous les amours

pour pouvoir apaiser ce bourdonnement .

.

Ou bien un soir,

sans autre condition que son ajour,

un oiseau viendra se poser sur l'air

comme si l'air était une branche .

Alors cesseront tous les bourdonnements .

.

Roberto Juarroz; Onzième poésie

verticale, Trente poèmes, traduit de

46

Page 48: L'abécédaire de l'aarchitecte

l'espagnol et préfacé par Fernand Verhesen. Châtelineau, Belgique, 1992.

IDÉE

IMAGE

IMMÉMORIAL

IMMORTALITÉ :

Nom féminin (latin immortalitas, -atis)

I. Qualité surnaturelle d'un être qui ne meurt

pas : L'immortalité des dieux.

II. sSurvivance éternelle dans la mémoire des

hommes  : L'immortalité des œuvres de

Mozart.

III. Propriété de certaines cellules vivantes qui

ne sont pas fatalement soumises à la mort

par sénescence.

« Il y a désormais une nouvelle forme d’immortalité : la réincarnation industrielle, c’est-à-

dire l’existence de produits en série. Chaque objet perdu ou cassé ne continue-t-il pas à

exister à travers l’Idée qui lui sert de modèle ? »

Günther Anders, L’Obsolescence de

l’homme, Tome 1 Sur l’âme à l’époque

de la deuxième révolution industrielle,

Paris, Éditions de l’encyclopédie des

nuisances, 2002.

INCARNER :

Verbe transitif (bas latin incarnare, du latin classique

caro, carnis, chair)

I. Apparaître comme la représentation matérielle ou sensible, le symbole vivant

d'une réalité abstraite  : A. Breton a incarné

le surréalisme.

II. Interpréter un personnage, un rôle, à la

scène ou à l'écran  : Incarner Alceste dans

« le Misanthrope ».

47

Page 49: L'abécédaire de l'aarchitecte

« Pour ceux qui, comme nous, sont persuadés que l'architecture est une des manières de

concrétiser un ordre cosmique sur la terre, de mettre les choses en ordre et par dessus

tout d'affirmer la capacité de l'homme à agir en raisonnant, c'est une "utopie modeste"

que d'imaginer un futur proche dans lequel l'architecture sera créée en un seul acte, en

un seul projet capable d'analyser une fois pour toutes les motivations qui ont conduit

l'homme à construire des dolmens, des menhirs, des pyramides et enfin (ultima ratio)

tracer une ligne blanche dans le désert. »

Adolfo Natalini, Piero Frassinelli  -

Superstudio.

INFINI :

adjectif (latin infinitus)

I. Sans limites dans le temps ou l'espace : La

suite infinie des nombres.

II. Qui est d'une grandeur, d'une intensité si

grande qu'on ne peut le mesurer  : Il est

resté absent un temps infini.

« Aujourd’hui, c’est nous qui sommes l’Infini. Faust est mort ».

Si quelque chose dans la conscience des hommes d’aujourd’hui a valeur d’Absolu ou

d’Infini, ce n’est plus la puissance de Dieu ou la puissance de la nature, ni même les

prétendues puissances de la morale ou de la culture : C’est notre propre puissance. À la

création ex nihilo, qui était la manifestation d’omnipotence, s’est substituée la puissance

opposée : la puissance d’anéantir, de réduire à néant - cette puissance, elle, est entre nos

mains (...) nous sommes les seigneurs de l’apocalypse. Nous sommes l’infini. »

Günther Anders, L’Obsolescence de

l’homme, Tome 1 Sur l’âme à l’époque

de la deuxième révolution industrielle,

Paris, Éditions de l’encyclopédie des nuisances, 2002.

INTÉRIORITÉ

INTENTIONNALITÉ

48

Page 50: L'abécédaire de l'aarchitecte

INTUITION :

Nom féminin (latin scolastique intuitio, -onis, du

latin classique intuitum, de intueri, regarder

attentivement)

I. Connaissance directe, immédiate de la

vérité, sans recours au raisonnement, à

l'expérience.

II. Sentiment irraisonné, non vérifiable qu'un

événement va se produire, que quelque

chose existe : Avoir l'intuition d'un danger.

« L'intuition est l'expérience consciente, se déroulant dans l'élément purement spirituel,

d'un contenu purement spirituel. L'entité du penser ne peut se saisir que par une intuition.

C'est seulement lorsque on est parvenu, au prix de longs efforts, à reconnaître cette

vérité, acquise dans l'observation non prévenue, de l'entité intuitive du penser, qu'on

réussit à faire en sorte que le chemin soit libre pour une vision de l'organisation physico-

psychique de l'homme. On reconnaît que cette organisation ne peut avoir aucune action

sur l'entité du penser. Il  semble tout d'abord que le faits tout à fait évident soient en

contradiction avec cela. Le penser humain ne se manifeste pour l'expérience habituelle

que dans et par cette organisation. Cette manifestation s'impose avec une telle force que

sa signification véritable n'est pleinement saisie que par celui qui s'est rendu compte qu'a

la réalité essentielle du penser aucun élément de cette organisation n'a la moindre part. À

son égard n'échappera pas non plus combien le rapport de l'organisation humaine au

penser est particulier. Cette organisation n'exerce en effet aucune action sur la réalité

essentielle du penser, mais se elle se retire au contraire lorsque se manifeste l'activité du

penser ; elle met un terme à sa propre activité, elle libère un espace ; et dans cet espace

libre apparaît le penser. »

Rudolf Steiner, La philosophie de la

liberté - Traits fondamentaux d'une

vision moderne du monde - Résultats

de l'observation de l'âme selon la

méthode scientifique, Montesson,

Éditions Novalis, 1993

49

Page 51: L'abécédaire de l'aarchitecte

Joseph Beuys Intuition exposé au Vitra

Design Museum lors de l’exposition

Rudolf Steiner – L’alchimie du quotidien.

IRONIE :

Nom féminin (latin ironia, du grec eirôneia, action

d'interroger)

I. Manière de railler, de se moquer en ne

donnant pas aux mots leur valeur réelle ou

complète, ou en faisant entendre le

contraire de ce que l'on dit  : Savoir manier

l'ironie.

II. Opposition, contraste entre une réalité

cruelle, décevante et ce qui pouvait être

attendu  : Je ne goûte pas l'ironie de la

situation.

50

Page 52: L'abécédaire de l'aarchitecte

« Le 6 Août 1945, une bombe atomique réduisait la ville d’Hiroshima en cendres

radioactives. Trois jours plus tard, Nagasaki fut frappée à son tour. Le 8 Août, dans

l’intervalle, le tribunal international de Nuremberg s’était accordé la capacité de juger trois

types de crimes : les crimes contre la paix, les crimes de guerre et les crimes contre

l’humanité. En l’espace de trois jours, les vainqueurs de la seconde guerre mondiale

avaient ouvert une ère dans laquelle la puissance technique des armes de destruction

massive rendaient inévitable que les guerres devinssent criminelles au regard des normes

mêmes qu’ils étaient en train d’édicter ».

Jean-Pierre Dupuy dans la préface du

livre de Günther Anders, Hiroshima est

partout, Paris, éditions du seuil, 2008.

LIBERTÉ :

Nom féminin (latin libertas, -atis)

I. État de quelqu'un qui n'est pas soumis à un

maître : Donner sa liberté à un esclave.

II. Condition d'un peuple qui se gouverne en

pleine souveraineté : Liberté politique.

III. Droit reconnu par la loi dans certains

domaines, état de ce qui n'est pas soumis

au pouvoir politique, qui ne fait pas l'objet

de pressions : La liberté de la presse.

IV. Situation de quelqu'un qui se détermine en

dehors de toute pression extérieure ou de

tout préjugé : Avoir sa liberté de pensée.

V. Possibilité d'agir selon ses propres choix,

sans avoir à en référer à une autorité

quelconque  : On lui laisse trop peu de

liberté.

VI. État de quelqu'un qui n'est pas lié par un

engagement d'ordre contractuel, conjugal

ou sentimental  : Il a quitté sa femme et

repris sa liberté.

VII. Temps libre, dont on peut disposer à son

gré : Ne pas avoir un instant de liberté.

VIII. État de quelqu'un ou d'un animal qui n'est

pas retenu prisonnier  : Un parc national où

les animaux vivent en liberté.

51

Page 53: L'abécédaire de l'aarchitecte

IX. Situation psychologique de quelqu'un qui ne se sent pas contraint, gêné dans sa

relation avec quelqu'un d'autre : S'expliquer

en toute liberté avec quelqu'un.

X. Manière d'agir de quelqu'un qui ne

s'encombre pas de scrupules  : Être blâmé

pour la liberté de sa conduite.

XI. Écart d'une interprétation, d'une adaptation,

etc., par rapport aux faits réels ou au texte

original  : Une trop grande liberté dans la

traduction.

XII. État de ce qui n'est pas étroitement

contrôlé, soumis à une réglementation

sévère  : Instaurer la liberté des prix

industriels.

XIII. Caractère de ce qui relève de l'initiative

privée : Liberté d'entreprise.

XIV. Jeux :

Nom donné, pendant la Révolution, à certaines figures des jeux de cartes qui

remplaçaient les reines.

« Lorsque Kant dit du devoir : « Devoir ! Nom sublime, nom grandiose, qui ne contiens en

toi rien d'aimable et recélant la flatterie, mais qui exige soumission », toi qui « établis une

loi (...), devant laquelle se taisent toutes les inclinaisons, même si en secret elles agissent à

son encontre », l'homme qui parle à partir de la conscience de l'esprit libre lui répond : «

Liberté ! Nom accueillant, nom humain, toi qui contiens en toi tout ce qui est cher à la

moralité, que mon humanité estime au plus haut point et qui ne fais de moi l'esclave de

personne, toi qui ne te contente pas de poser une loi, mais qui attend ce que mon amour

moral reconnaîtra lui-même comme loi, parce qu'en face de toute loi qui ne lui est

qu'imposé il se sent non-libre. »

Rudolf Steiner, La philosophie de la

liberté - Traits fondamentaux d'une

vision moderne du monde - Résultats

de l'observation de l'âme selon la

méthode scientifique, Montesson,

Éditions Novalis, 1993

52

Page 54: L'abécédaire de l'aarchitecte

LIEU :

nom masculin (latin locus)

1 Situation spatiale de quelque chose, de quelqu'un permettant de le localiser, de déterminer une direction, une trajectoire : Le lieu du rendez-vous n'est pas fixé.

2 Endroit, localité, édifice, local, etc., considérés du point de vue de leur affectation ou de ce qui s'y passe  : Vous n'étiez pas sur votre lieu de travail.

Le lieu commun à l’ethnologue et à ceux dont il parle c’est un lieu, précisément : celui

qu’occupent les indigènes qui y vivent, y travaillent, le défendent, en marquent les points

forts, en surveillent les frontières mais y repèrent aussi les traces des puissances

chthoniennes ou célestes, des ancêtres ou des esprits qui en peuplent et en animent la

géographie intime, comme si le petit morceau d’humanité qui leur adresse offrandes et

sacrifices en était aussi la quintessence, comme s’il n’y avait humanité digne de ce nom

qu’au lieu même du culte qu’on leur consacre. (...)

Nous réservons le termes de « lieu anthropologique » à cette construction concrète et

symbolique de l’espace qui en saurait à elle seule rendre compte des vicissitudes et des

contradiction de la vie sociale mais à laquelle se réfèrent tous ceux à qui elle assigne une

place, si humble ou modeste soit-elle. C’est bien parce que toute anthropologie est

anthropologie des autres, en outre, que le lieu, le lieu anthropologique, est simultanément

principe de sens pour ceux qui l’habitent et principe d'intelligibilité pour celui qui

l’observe. (...)

Ces lieux on au moins trois caractère communs. Ils se veulent (on les veux) identitaires,

relationnels et historiques. Le plan de la maison, les règles de résidence, les quartiers de

village, les autels, les places publiques, la découpe du territoire correspondent pour

chacun à un ensemble de possibilités, de prescriptions et d’interdits dont le contenu est

à la fois spatial et social.

Marc Augé, Non-lieux, Introduction à

une anthropologie de la surmodernité,

Paris, Éditions du Seuil, 1992.

LIMITE

LIGNE

53

Page 55: L'abécédaire de l'aarchitecte

LOBOTOMIE :

Nom féminin

I. Section chirurgicale des fibres nerveuses

qui unissent un lobe du cerveau aux autres

r ég ions pou r t r a i t e r des t roub les psychiatriques. (Elle n'est plus guère

employée.)

Les constructions possèdent à la fois un dedans et un dehors. L’architecture occidentale

est partie de l’hypothèse humaniste selon laquelle il est souhaitable d’établir un lien moral

entre les deux, le dehors laissant filtrer sur le monde du dedans certaines révélations que

le dedans va corroborer. La façade « honnête » parle des activités qu’elle dissimule. Mais,

mathématiquement, si le volume intérieur des objets tri-dimensionnels augmente selon

une progression au cube, l’enveloppe qui les renferme n’augmente que selon une

progression au carré ; le décalage entre le volume de l’activité intérieure et la surface

extérieure correspondante ne cesse donc de croître.

Passé un certain volume critique, ce rapport est poussé au-delà du point de rupture ;

cette « rupture » est le symptôme de l’automonumentalité.

Dans l’écart intentionnel entre le contenant et le contenu, les bâtisseurs de New-York

découvrent une zone de liberté sans précédent. Ils exploitent et lui donnent une

dimension formelle au moyen d‘une opération qui est l’équivalent architectural d’une

lobotomie (ou suppression, par intervention chirurgicale, des liaisons entre les lobes

frontaux et le reste du cerveau pour remédier à certains troubles mentaux en dissociant

les mécanismes de pensée des mécanismes émotifs). L’opération architecturale

équivalente consiste à dissocier architecture intérieure et extérieure.

De cette façon, le « monolithe » épargne au monde extérieur les agonies des perpétuels

changements qui l’agitent au dedans.

Il dissimule la vie quotidienne.

Rem Koolhaas, New York délire,

Marseille, Éditions parenthèses, 2002.

MANIFESTE

MÉLANCHOLIA

54

Page 56: L'abécédaire de l'aarchitecte

MÊME

MENACE :

nom féminin (latin populaire minacia)

I. Action de menacer  ; parole, comportement

par lesquels on indique à quelqu'un qu'on a

l'intention de lui nuire, de lui faire du mal, de

le contraindre à agir contre son gré  : Des

gestes de menace. Écrire sous la menace.

II. Signe, indice qui laisse prévoir quelque

chose de dangereux, de nuisible : Il y a une

menace d'épidémie dans la région.

III. Délit qui consiste à faire connaître à

quelqu'un son intention, notamment

verbalement ou par écrit, image ou tout

autre moyen de porter atteinte à sa

personne. (La menace de commettre une d e s t r u c t i o n o u u n e d é g r a d a t i o n

dangereuses pour les personnes est

également un délit.)

« Car, avec cette deuxième frappe il s'est agi de quelque chose d'encore plus maléfique

(si un tel comparatif peut avoir un sens) qu'avec la première. Même ceux de mes amis de

Tokyo qui tentent, par une sorte de fair-play exagéré, ou qui s'efforcent en bons chrétiens

de justifier la frappe contre Hiroshima comme « méritée », sombrent dans le mutisme

quand tombe le nom de Nagasaki, et ils restent pétrifiés. Pour la raison suivante.

Chacun sait qu'après la première attaque atomique le Japon se trouvait terrassé et aurait

été prêt à la capitulation sans conditions. Même aux États-Unis, personne ne met cela en

doute. Et même en supposant qu'il y ai pu y avoir des doutes sur ce point auprès des

instances de décision américaines, ceux qui doutaient avaient alors la possibilité, plutôt

que de répéter immédiatement la frappe, de seulement  menacer de répéter

immédiatement la frappe. " Seulement. " Il semble incompréhensible qu'ils n'aient pas fait

cela.

Mais il semble seulement. Car ils  ont menacé. Mais bien sur d'une façon nouvelle et

inouïe.

55

Page 57: L'abécédaire de l'aarchitecte

L'explication de ce que je veux dire par là est un peu difficile, car la relation habituelle

entre menace et acte est ici inversée de la manière la plus diabolique possible.

Dans le cas normal, il est sensé et justifié de faire la distinction entre la menace de l'acte

et l'acte lui-même. (...)

or, ici, dans le cas de Nagasaki, cette relation a été inversée - en laissant loin derrière tout

ce qui est habituellement pratiqué entre politiciens ou maîtres chanteurs professionels.

Car on n'a pas menacé d'un acte (d'une frappe qui aurait eu lieu « si »), mais au moyen

d'une frappe réellement effectuée. Cet acte réel représentait une menace dans la mesure

où il était adressé à quelqu'un qui devait apprendre  par là qu'il devait s'attendre à la

répétition de cet acte « si ». Ce qui importait à ceux qui  ont réalisé l'acte, c'est-à-dire à

ceux qui ont provoqué le bain de sang, ce n'était pas du tout le bain de sang comme tel,

mais précisément et exclusivement le message de la menace dont ils on accompagné le

bain de sang.

Je disait : la frappe était adressée à quelqu'un. L'indétermination était voulue. Mais qui

donc était le destinataire ?

Dans les actes de guerre habituels, celui qui est menacé et celui qui est menacé est le

même. On menace quelqu'un d'une attaque ; on attaque quelqu'un qu'on a menacé

d'abord.

Mais ici - et c'est en cela que réside la nouveauté -, ici les deux sont distincts. Il ne

saurait être question de croire que la menace s'adressait à ceux qui on été abattus par

elle, c'est-à-dire les japonais. Car le Japon n'avait plus besoin d'être menacé. - C'est bien

plutôt que la menace s'adressait à " l'ennemie de demain " d'alors, ennemi que l'on

espérait intimider par la  démonstration préalable de la catastrophe conformément au

dicton : « Si tu veux effrayer le bouc, sacrifie la chèvre ! » Étant donné que la guerre

contre « l'ennemi de demain d'alors », c'est-à-dire ce que l'on a appelé la « guerre froide

», se trouvait encore à l'état de simple possibilité; étant donné que la menace directe

contre cet ennemi ne rentrait pas en ligne de compte, il fallait quelque chose d'indirect -

c'est là que la perversité du cas apparaît pleinement -, on l'a trouvé justement dans la

nudité la plus nue : à savoir dans une frappe réelle, que l'on dirigea contre celui que -

même si de facto la guerre était déjà terminée - l'on pouvait encore traiter de jure en

ennemi. En un mot : on a exploité le dernier moment de l'état de guerre tout juste encore

existant pour loger une action, plus précisément une menace, que l'on n'aurait plus pu

exécuter après la capitulation. On a provoqué un bain de sang véritable dans l'intention

de l'utiliser comme menace.

Les 70 000 que l'on a tué n'on donc pas été tué parce qu'ils étaient des ennemis, encore

moins des ennemis dangereux, mais purement et simplement parce qu'il était possible, à

56

Page 58: L'abécédaire de l'aarchitecte

travers leur mort en masse, de faire un exemple ; parce que l'on pouvait attribuer une

fonction à ces 70 000 cadavres, parce que on pouvait les  utiliser comme " matériaux

d'intimidation ".

Souviens-toi de  ces mots : des bains de sang en guise de geste d'intimidation contre un

tiers ; et aussi :  des morts comme matériaux d'intimidation. Ces expressions sont

nouvelles et horribles, mais uniquement parce que les les choses sont nouvelles et

horribles. Et répète-toi les mots, afin de que tu ne viennes pas à oublier à nouveau les

choses. Car elles sont bien trop horribles   pour que, même si tu en a pris parfaitement

conscience, tu sois capable de te les représenter sans cesse avec évidence. Ainsi donc :

des bains de sang en guise de geste d'intimidation ; et  des morts comme matériaux

d'intimidation. - Et ne l'oublie pas ! Ce dernier coup n'a pas été porté au cours de la

dernière guerre chaude mais en exploitant la chance de la guerre pas encore

complètement refroidie, sur le seuil déjà ers la guerre " froide ", la " guerre de manoeuvres

". Les 70 000 par-dessus lesquels se trouve le lit dans lequel je suis couché, non

seulement ils ne sont pas des soldats morts, non seulement ils ne sont pas des morts de

guerre, mais ils sont des morts de manoeuvre. Note bien ce mot ! Et répète-le : des morts

de manœuvres.

Le cas est typique de notre époque; car il n'y a rien qui caractérise mieux notre époque

que l'effacement systématique de la frontière  entre " essai " et " cas sérieux ", entre "

menace " et " acte ", entre guerre " froide " et guerre " chaude ". L'exemple aujourd'hui

classique est celui des " essais nucléaires ", puisque ces explosions, bien que n'étant

prétendument que des " essais " ont déjà provoqué effectivement des morts, et sont par

conséquent des " cas sérieux ". Mais cet effacement n'est pas nouveau. Il existait déjà en

1936. Car les manoeuvres de la Luftwaffe allemande et les menaces de Seconde Guerre

mondiale agitées par Hitler avaient déjà revêtu la forme d'une guerre véritable : la guerre

civile espagnole ; et les morts de Guernica étaient eux aussi, déjà, des " morts de

manoeuvre ". Cette fois, ce furent les japonais.

Günther Anders, Hiroshima est partout,

Paris, Éditions du seuil, 2008.

57

Page 59: L'abécédaire de l'aarchitecte

MER :

Nom féminin (latin mare)

I. E n s e m b l e d e s e a u x o c é a n i q u e s ,

communiquant entre elles et ayant le même

niveau de base.

II. Division de l'océan mondial définie du point

d e v u e h y d r o g r a p h i q u e ( l i m i t e s

continentales ou insulaires) et hydrologique

(température, salinité, courants).

III. Bord de mer, région, ville côtières, plages, etc., considérés du point de vue des

résidences, des loisirs, des activités qui y

ont trait, etc.  : Aller à la mer pour les

vacances.

IV. Eau de la mer, de l'océan  : La mer est

chaude, froide.

V. Grande quantité de liquide répandu  : Une

mer de sang.

VI. Littéraire. Vaste étendue, vaste superficie  :

Une mer de sable.

VII. Astronomie :

Sur la Lune, vaste étendue plane, sombre,

c o n s t i t u é e d e r o c h e b a s i q u e e t

généralement bordée de montagnes.

« Le ciel était nu et blanc mais la mer était encore déchainé. Elle est restée longtemps

ainsi, dans cet état, vous savez, cet état nocturne d'aberration et de vanité, insomniaque

et vieille. Elle s’est débattue longtemps sous le jour qui l’éclairait comme si elle se devait

d’achever ce broyage imbécile de ses propres eaux, elle-même proie d’elle-même, d’une

inconcevable grandeur. »

Marguerite Duras, L’été 80, Paris, Les

58

Page 60: L'abécédaire de l'aarchitecte

MÉTHODE :

Nom féminin (latin methodus, du grec methodos,

de hodos, chemin)

I. Marche rationnelle de l'esprit pour arriver à la connaissance ou à la démonstration

d'une vérité  : La méthode se différencie de

la théorie.

II. Ensemble ordonné de manière logique de principes, de règles, d'étapes, qui constitue

un moyen pour parvenir à un résultat  :

Méthode scientifique.

III. Manière de mener, selon une démarche

raisonnée, une action, un travail, une

activité  ; technique  : Une méthode de

travail. Les méthodes de vente. Il n'a suivi

aucune méthode précise dans son enquête.

IV. Ensemble des règles qui permettent

l'apprentissage d'une technique, d'une

science  ; ouvrage qui les contient, les

applique : Méthode de lecture.

« « J’annonce comme proche le moment où, par un processus de caractère paranoïaque

et actif de la pensée, il sera possible de systématiser la confusion et de contribuer au

discrédit total du monde de la réalité » : à la fin des années vingt, Salvador Dalí injecte sa

méthode paranoïaque-critique dans le courant surréaliste. « C’est en 1929 que Salvador

Dalí fait porter son attention sur les mécanismes internes des phénomènes paranoïaques

et envisage la possibilité d’une méthode expérimentale fondée sur le pouvoir des

associations systématiques propres à la paranoïa ; cette méthode devait devenir par la

suite la synthèse délirante critique qui porte le nom d’activité paranoïaque-critique. » Le

mot d’ordre de la méthode paranoïaque-critique (ci-après abrégée en MPC ) est la

conquête de l’irrationnel.

Au lieu de la soumission passive et volontairement a-critique à l’inconscient qui

caractérisait les premières recherches surréalistes dans le domaine de l’automatisme

(appliqué à la littérature , la peinture et la sculpture), Dalí propose une seconde phase :

l’exploitation consciente de l’inconscient au moyen de la MPC.59

Page 61: L'abécédaire de l'aarchitecte

Pour définir sa méthode, il se sert essentiellement de formules suggestives : « la méthode

spontanée de connaissance irrationnelle basée sur l’association interprétative-critique

des phénomènes délirants ».

La manière la plus simple d’expliquer la MPC, c’est de décrire son exacte contre-pied.

Dans les années soixante, deux béhavioristes américains - Ayllon et Azrin - inventent une

forme de thérapie par stimulant qu’ils appellent économie de jeton. Par la distribution de

jetons en plastiques de couleur, on encourage les pensionnaires d’un asile d’aliénés à se

conduire autant que possible comme des gens normaux.

Les deux expérimentateurs « avaient affiché sur le mur une liste des conduites désirées et

ils donnaient ensuite des primes (les jetons) aux malades qui faisaient leur lit, balayaient

leur chambre, aidaient à la cuisine, etc. Ces jetons donnaient droit à des suppléments à la

cantine ou à des faveurs comme la télévision en couleurs, la possibilité de veiller plus tard

le soir ou disposer de chambre individuelle. Ces stimulants s’avérèrent très efficaces pour

inciter les malades à se prendre en charge et à veiller au bon fonctionnement de leur

service. »

Cette thérapie repose sur l’espoir que, tôt ou tard, une telle stimulation systématique de

la normalité finira par se transformer en véritable normalité, que l’esprit malade parviendra

à s’insérer dans une certaine forme de santé mentale, comme un bernard-l’ermite se

glisse dans une coquillage vide. (...)

La MPC de Dalí est une forme de thérapie par stimulant, mais en sens contraire. Au lieu

d’imposer aux malades les rites du monde normal, Dalí propose aux bien portants une

excursion touristique au pays de la paranoïa. À l’époque où Dalí invente la MPC, la

paranoïa est à la mode à Paris. La recherche médicale a permis d’élargir sa définition au-

delà de la simple manie de persécution, qui n’est qu’un des éléments d’un appareil

délirant beaucoup plus vaste. En réalité, la paranoïa est un délire d’interprétation. Chaque

fait, chaque événement, chaque observation est appréhendée selon un mode

d'interprétation systématique et « compris » par le malade, sujet de telle manière qu’il

vient absolument confirmer et renforcer sa thèse, à savoir le délire initial qui lui a servi de

point de départ.

Le paranoïaque voit toujours juste, même s’il regarde à côté.

De la même manière que dans un champ magnétique les molécules de métal se

regroupent pour exercer une attraction collective et cumulée, le paranoïaque, par une

série d’associations incontrôlables, systématiques et en soi strictement rationnelle,

transforme le monde entier en un champ magnétique de faits qui vont tous dans le même

sens : le sien.

60

Page 62: L'abécédaire de l'aarchitecte

C’est ce rapport intense - quoique déformé - au monde réel qui constitue l’essence de la

paranoïa : « La réalité du monde extérieur sert comme illustration et preuve, et est mise

au service de la réalité de notre esprit. » La paranoïa est un choc de la reconnaissance

indéfiniment répété. (...)

Comme son nom l’indique, la méthode paranoïaque-critique de Dalí est un enchainement

de deux opérations consécutives mais distinctes :

a ) la reproduction artificielle du mode de perception paranoïaque du monde donnant un

éclairage nouveau, avec sa riche moisson de correspondances, d’analogies et de

schémas associatifs insoupçonnés ;

b ) la compression de ces élucubrations gazeuses jusqu’au point critique où elles atteigne

la densité du fait ; la partie critique de la méthode consiste en la fabrication de «

souvenirs » objectivants du tourisme paranoïaque, de preuves concrètes qui apportent

au reste de l’humanité les découvertes de ces excursions, dans des formes aussi

évidentes et incontestables que des instantanés.

Rem Koolhaas, New York délire,

Marseille, Éditions parenthèses, 2002.

« Apprendre rien c'est difficile et délicat

Et compliqué et con et inutile

Czerny? D'accord!

Larousse? D'accord!

La Géo? D'acc!

La pharmacopée?

Demandez à mon père c'était un spécialiste

Il emportait avec lui des valises le sentiment barré du Codex

Des infusions particulières qui sait?

L'éternelle jeunesse?

- Et si je meurs?

Il est mort!

Apprendre rien? C'est Hamlet, tiens!61

Page 63: L'abécédaire de l'aarchitecte

To learn or not to learn... that is... that is... c'est con

La méthode?

Seul sur un chemin de chèvre à la montagne

Au moment où il ne va plus y avoir d'arbre

Au moment où la végétation peut s'écrire facile

Sur une page de ton agenda

Et puis même pas à te frapper pour le téléphone...

Tu parles à voix basse et tu t'entends te répondre

C'est bath! Non! Le circuit fermé

- Allô? Le temps?

- Yes!

- And you?

- Pas mal pas mal pas mal...

Tu prends une pierre dans ta main

Personne n'y a jamais touché... tu te rends compte?

Une pierre vierge pour toi tout seul éternellement

L'adultère chez les pierres que tu marries

Comme ça très vite c'est rare c'est rare...

Une pierre ça s'accroche... comme les étoiles

Tu as déjà vu des étoiles à toi se barrer avec un particulier?

Dans une galaxie de passe?

Tu regardes un coq de bruyère qui passe en te faisant peur

Parce que le bruit que peut faire un coq de bruyère

Quand tu as la pierre en main

Et qui n'a jamais touché une main humaine

Et bien ce bruit est fantastique...

Ça fait fouou... flouou...

Comme Czerny... Écoute... Quel salaud!

Tout à coup une source pas loin du glacier

Et puis de fleurs sauvages

A se demander vraiment... Harlem?62

Page 64: L'abécédaire de l'aarchitecte

Tu causes tu causes... Tu crois?

Des fleurs noires de la Débauche ou de l'Anarchie

Non... Des fleurs noires de pierre de l'Amour

La Méthode?

Apprendre tout par coeur, surtout la gueule des gens

Et puis, tout oublier, immédiatement, comme à l'école...

- Vous avez appris la gueule de grammaire?

- Ouais

- Alors?

- Elle est vieille!

- Comment ça fait?

- Je t'aime Tu m'aimes J'aime J'aime J'aime

Apprendre, oui, apprendre...

Sentir les fumiers avant de les apprendre

Dresser son nez faire des exercices particuliers

Le téléphone?

- Allô?

Et puis tout de suite fourrer son nez dans l'écouteur

Oh! la la la la...

- Il n'est pas là monsieur

- Comment?

- Allô? Je n'entends pas mais je sens je sens...

Et tu raccroches

Au début c'est difficile

On ne sait pas si tu écoutes ou si tu renifles

Et puis petit à petit...

Entre Dior et la merde

Il n'y a souvent qu'une question de circuit mal branché...

Je suis un OLFACPHONE

Je suis un vieux corbeau qui traîne sur les fils télégraphiques

Et j'en apprends des choses63

Page 65: L'abécédaire de l'aarchitecte

Les fils télégraphiques c'est un peu le cabinet de la chose publique

Je n'ose pas décrocher la nuit parce que ça sent quand même

La Méthode?

ART.1 CASSER LES TÉLÉPHONES

Les autres? L'autre?

Les autres c'est facile: C'est toi multiplié par eux c'est clair?

Les autres? C'est tes pantalons enfilés par eux c'est clair?

L'autre? L'autre?

J'y reviendrai

ART.2 CASSER LES AUTRES

Quand tu t'es enfilé comme ça

Une peau de crocodile sur le sentiment

Alors on ne t'approche plus que par ouï-dire:

Ah! celui-là on ne sait pas qui c'est exactement

Et tu poursuis ton chemin ta cig ou ton chien

Si tu as le sens de la réverbération

Les chiens ne sont pas les Autres

Il fallait bien savoir un jour ou l'autre

Les chiens ça réverbèrent un quelque part

Qui est juste sur la bulle de l'Univers un peu en dehors

Ils sont un peu en dehors les chiens

Nous, nous bouillons dans l'Administration

Nous sommes des administratifs

ART.4 CASSER L'ADMINISTRATION

Tu as deux poings?64

Page 66: L'abécédaire de l'aarchitecte

Frappe sur la table frappe la tête

Tu as deux poings?

Mets-les au bout de tes bras le long de ton corps

Et prends des loups par la main

Ton poing alors s'épanouira comme une fleur matinale

Le silence que j'ai perdu

Au bout de cette rue barrée

Ne m'a jamais été rendu

J'habite en-haut de ces pavés

J'y vois des pays trop marins

Des fleurs de filles délaissées

Et le système de ton bien

Allongées dans cette rue blême

Tu passais sur moi comme un char

C'était de la guimauve encarrossée de miel

Alors je m'abreuvais en regardant dedans

O les sources de brume en ces rues dévêtues...

Tu as deux yeux regarde en-dedans de toi

Et sors-toi par les yeux

C'est aussi ça Méthode: S'EXTIRPER

ART.5 S'AUTO-VOMIR

Et s'offrir en prime la salope de Cahors

Chacun a une salope quelque part

Moi j'en ai par-ci par-là et à Cahors

Je me souviens de ces lilas

Dont elle fleurissait ma maison

Avant que cette salope-là

Ne prenne sa vrille

Elle m'avait fourgué des fleurs

Histoire de montrer son bon coeur65

Page 67: L'abécédaire de l'aarchitecte

Ben Dame! Un coeur il faut que ça brille

Y'a des gens que ça fait maronner

De ne pouvoir jamais entrer

Dans l'intimité des Artistes

C'était dans son genre à elle une artiste

Elle est entrée elle est entrée

Le trou de serrure où tu lorgnais

C'était ma cavale de la nuit

Et toi tu venais tapiner

En tapinois en tapis nuit

Dis-moi la salope de Cahors

Où traînes-tu ta gueule encore?

Sur quelle fosse à purin?

Sur quel poulaga en gésine?

Dis donc la voyeuse de Cahors

Sur quel fumier? Sur quel jardin?

Sur quel azur fais-tu ton deuil?

Toi l'amour tu le fais avec ton oeil

Et dire qu'elle me disait l'Autre

- Qu'est-ce qu'ils peuvent être con ces deux-là

Chacun a une salope quelque part

Moi j'en ai par-ci par-là et à Cahors »

Léo Ferré, La méthode

MONDE :

Nom masculin (latin mundus)

I. Ensemble de tout ce qui existe, de façon

rée l le e t concrète  ; un ivers  : Les

conceptions du monde. La création du

monde.

66

Page 68: L'abécédaire de l'aarchitecte

II. Littéraire. Système solaire : Les théories sur

l'origine du monde.

III. La Terre, la surface terrestre, le globe

terrestre (510  mill ions de km2 dont

149  millions de terres émergées)  : Faire le

tour du monde.

IV. La nature, ce qui constitue l'environnement

des êtres humains  : L'enfant découvre le

monde.

V. Ensemble des êtres humains vivant sur la

Terre (6  milliards d'habitants)  : Le monde

entier s'indigne devant tant de misère.

VI. Un nombre indéterminé de personnes : Il y a

du monde pour nous servir ?

VII. Un nombre important de personnes : Il n'y a

pas grand monde.

VIII. Vieux. Personnes qui sont au service de

quelqu'un  : Elle a besoin d'avoir tout son

monde autour d'elle.

IX. Personnes à qui on a habituellement affaire :

Laissez-le faire, il connaît bien son monde.

X. Milieu, groupe social défini par une

caractéristique, un type d'activité  ;

personnes qui en font partie : Le monde des

arts. Nous ne sommes pas du même

monde.

XI. Ensemble de choses ou d'êtres formant un

tout à part, organisé, un microcosme  : Le

monde des insectes. Le monde de

l'électronique.

XII. Ensemble de choses abstraites, de

concepts du même ordre, considéré

globalement : Le monde des idées.

XIII. Ensemble des personnes constituant les

classes sociales les plus aisées, la haute société, considérée dans ses activités

spécifiques, son luxe : Les gens du monde.

XIV. Littéraire. Vie séculière, profane, par

opposition à la vie spirituelle  : Moine qui a

fui le monde.

67

Page 69: L'abécédaire de l'aarchitecte

XV. Écart important, grande différence : Il y a un

monde entre ces deux conceptions.

XVI. Héraldique :

Boule entourée horizontalement d'un

anneau relié à un demi-anneau qui entoure

la moitié supérieure et qui est surmontée

d'une croix.

XVII. Marine :

Équipage ou partie de l'équipage d'un

navire.

Et ce fut le grand séisme

et le Soleil s’obscurcit comme cilice,

et se fit la Lune sang...

Et les étoiles churent sur la terre

ainsi le figuier secoué par le vent de tempête

perd ses fruits encore verts.

Et le ciel se roula comme un parchemin et disparut,

et les montagnes, les îles

se mirent en mouvement.

Et les rois de la terre, les seigneurs,

les riches, les capitaines,

les puissants et les hommes francs,

tous coururent se réfugier

dans les cavernes, dans les gorges,

disant aux rochers et aux pierres :

roulez, ensevelissez-nous

dissimulez-nous à la face

de celui qui siège sur le trône,

et à l’ire de l’agneau,

car venu les grand jour de sa colère,

qui peut en réchapper ?

Poème d’Arseni Tarkovski dans Stalker      

68

Page 70: L'abécédaire de l'aarchitecte

                                                                                                                             

« Ces deux phrases à elles seules ouvrent le monde,

les choses, les vents, les cris des enfants. Le soleil mort pendant ces cris.

Que le mode aille à sa perte. Vanité des vanités, tout est vanité et poursuite du vent.

C’est moi la poursuite du vent. »

Texte parlé dans le morceau Femina

part. 3 de l’album Femina de John Zorn.

69

Page 71: L'abécédaire de l'aarchitecte

MOT

MORT :

Nom féminin (latin mors, mortis)

I. Perte définitive par une entité vivante

(organe, individu, tissu ou cellule) des propriétés caractéristiques de la vie,

entraînant sa destruction.

II. Cessation complète et définitive de la vie

d'un être humain, d'un animal : Annoncer la

mort d'un ami.

III. Terme de l'existence de quelqu'un,

considéré comme un moment du temps,

une date  : Publier un ouvrage après la mort

de son auteur.

IV. Manière de mourir ; circonstances qui

accompagnent la mort : Une mort naturelle,

accidentelle.

V. Ce qui présage le décès, signes extérieurs

ou personnification de la mort  : La mort se

lisait sur son visage.

VI. Cessation complète d'activité  : La mort du

petit commerce.

"Vous lui demandez : en quoi la maladie de la mort est-elle mortelle ? Elle répond : En

ceci que celui qui en est atteint ne sait pas qu'il est porteur d'elle, de la mort. Et en ceci

aussi qu'il serait mort sans vie au préalable à laquelle mourir, sans connaissance aucune

de mourir à aucune vie."

Marguerite Duras, La maladie de la

mort, Paris, Les éditions de minuit,

2006.

70

Page 72: L'abécédaire de l'aarchitecte

" La mort doit être supprimée...! "

Joseph Beuys lors de l'enterrement

d'un ami.

MYTHE :

Nom masculin (grec muthos, récit)

I. Réc i t met tant en scène des êt res

surnaturels, des actions imaginaires, des

fantasmes collectifs, etc.

II. Allégorie philosophique (par exemple le mythe de la caverne).

III. Personnage imaginaire dont plusieurs traits

correspondent à un idéal humain, un

modèle exemplaire (par exemple Don Juan).

IV. Ensemble de croyances, de représentations idéalisées autour d'un personnage, d'un

phénomène, d'un événement historique,

d'une technique et qui leur donnent une

force, une importance particulières  : Le

mythe napoléonien. Le mythe de l'argent.

V. Ce qui est imaginaire, dénué de valeur et de

réalité  : La justice, la liberté, autant de

mythes.

Autrefois les contes commençaient par « Il était une fois », et comportaient ainsi en eux-

mêmes toute la réalité du monde. Leurs qualités étaient mythiques, ils plongeaient

l’homme dans un univers d’avant la création, d’avant l’architecture, et comportaient la

possibilité de tous les mondes, de toutes les architectures. L’architecture était la

transcription de ces mythes.

Le mythe de notre temps commence par :

Dans un lieu commun

Vide place d’attente

Se tourne une main discrète

71

Page 73: L'abécédaire de l'aarchitecte

Cette sentence en signe en même temps son aboutissement.

Ce mythe englobe la totalité du monde, et concerne l’entièreté de l’agir humain.

Tel un défi, cette sentence résonne dans le cœur de l’architecte, et situe pour lui ce qui

est sa situation, sa responsabilité, et son agir.

Guilhem Vincent, Être Architecte - Le

s a c r i fi c e - M a n i f e s t e p o u r u n

aArchitecte, Mémoire de licence de

l’ENSA, Nancy, 2011.

NIHILISME :

Nom masculin (latin nihil, rien)

I. Tendance révolutionnaire de l'intelligentsia

russe des années 1860, caractérisée par le

re jet des valeurs de la générat ion

précédente.

II. Négation des valeurs intellectuelles et

morales communes à un groupe social,

refus de l'idéal collectif de ce groupe.

« Il est inutile de s’attarder à démontrer que le national-socialisme a été un avatar du

nihilisme. En fait, il n’était pas seulement nihiliste au sens vague que l’on donne

couramment à cet adjectif, mais au sens strict, puisque en tant que monisme naturaliste il

correspondait exactement à ce que nous avons défini plus haut comme étant la

quintessence du nihilisme. Il a été le premier mouvement politique à nier l’homme en tant

qu’homme, et même à le nier massivement afin de l’anéantir réellement comme simple

«nature», comme matière première ou résidu. À une échelle qui aurait fait pâlir de jalousie

le nihilisme classique, il a réussi à joindre la philosophie du néant et l’anéantissement, le

nihilisme et l'annihilation, au point que l’on serait en droit de parler à son sujet

d’«annihilisme».

Günther Anders, L’Obsolescence de

l’homme, Tome 1 Sur l’âme à l’époque

de la deuxième révolution industrielle,

Paris, Éditions de l’encyclopédie des

nuisances, 2002.

72

Page 74: L'abécédaire de l'aarchitecte

NON-LIEU

Si un lieu peut se définir comme identitaire, relationnel et historique, un espace qui ne

peut se définir ni comme identitaire, ni comme relationnel ni comme historique définira un

non-lieu. L’hypothèse ici défendue est que la surmodernité est productrice de non-lieux,

c’est-à-dire des espaces qui ne sont pas eux-même des lieux anthropologiques et qui (...)

n’intègrent pas les lieux anciens : ceux-ci, répertoriés, classés et promus « lieux de

mémoire », y occupent une place circonscrite et spécifique. Un monde où l’on naît en

clinique et où l’on meurt à l’hôpital, où se multiplient, en des modalités luxueuses ou

inhumaines, les points de transit et les occupations provisoires (les chaines d’hôtels et les

squats, les clubs de vacances, les camps de réfugiés, les bidonvilles promis à la casse ou

à la pérennité pourrissante), où se développe un réseau serré de moyens de transports

qui sont aussi des espaces habités, où l’habitué des grandes surfaces, des distributeurs

automatiques et des cartes de crédit renoue avec les gestes du commerce « à la muette

», un monde ainsi promis à l’individualité solitaire, au passage, au provisoire et à

l'éphémère, (...). Ajoutons qu’il en est évidemment du non-lieu comme du lieu : il n’existe

jamais sous une forme pure ; des lieux s’y recomposent ; des relations s’y

reconstruisent ; « les ruses millénaires » de « l’invention » du quotidien » et des « arts de

faire » (...) peuvent s’y frayer un chemin et y déployer des stratégies. Le lieu et le non-lieu

sont plutôt des polarités fuyantes : le premier n’est jamais complètement effacé et le

second ne s’accomplit jamais totalement - palimpseste où se réinscrit sans cesse le jeux

brouillé de l’identité et de la relation. Les non-lieux pourtant sont la mesure de l’époque ;

mesure quantifiable et que l’on pourrait prendre en additionnant, au prix de quelques

conversions entre superficie, volume et distance, les voies aériennes, ferroviaires,

autoroutières et les habitacles mobiles dits « moyens » de transport » (avions, trains,

cars), les aéroports, les gares, et les stations aérospatiales, les grandes surfaces de la

distribution, l’écheveau complexe, enfin, des réseaux câblés ou sans fil qui mobilisent

l’espace extra-terrestre aux fins d’une communication si étrange qu’elle ne met souvent

en contact l’individu qu’avec une autre image de lui-même.

Marc Augé, Non-lieux, Introduction à

une anthropologie de la surmodernité,

Paris, Éditions du Seuil, 1992.

OBJET

OCCASION

73

Page 75: L'abécédaire de l'aarchitecte

OEIL :

Nom masculin (latin oculus)

I. Organe pair de la vue, formé, chez les

mammifères, du globe oculaire et de ses

annexes (paup iè res , c i l s , g l andes

lacrymales, etc.) : La prunelle de l'œil.

II. Cet organe considéré du point de vue de

son aspect, de sa forme et en particulier

l'iris pour sa couleur : Avoir les yeux bleus.

III. Cet organe considéré comme l'expression

du caractère, du sentiment  ; regard  : Il a

l'œil vif.

IV. Regard attentif, surveillance, vigilance : Rien

n'échappe à l'œil de la mère.

V. M a n i è re d e v o i r, d e c o m p re n d re ,

d'interpréter, etc. : Regarder les événements

d'un œil froid.

VI. Agroalimentaire :Synonyme de ouverture.

VII. Armement :

(pluriel œils) Ouverture ménagée dans un

obus pou r y i n t rodu i re l a cha rge

d'éclatement et visser la fusée.

I. Point végétatif situé à l'aisselle d'une

feuille et pouvant évoluer l'année même en rameau ou en bouton à

fleur.

II. Dépression en couronne laissée par

les traces du calice au sommet des

fruits des pomacées (pommes, poires).

III. Petite cavité sur le tubercule de

pomme de terre, d'où sortira un

bourgeon.

VIII. Horticulture :

I. Point végétatif situé à l'aisselle d'une

feuille et pouvant évoluer l'année

même en rameau ou en bouton à

fleur.

74

Page 76: L'abécédaire de l'aarchitecte

II. Dépression en couronne laissée par les traces du calice au sommet des

fruits des pomacées (pommes,

poires).

III. Petite cavité sur le tubercule de

pomme de terre, d'où sortira un bourgeon.

IX. Imprimerie :

( p l u r i e l œ i l s ) P a r t i e d u c a r a c t è re

représentant le dessin de la lettre reproduit

à l'impression sur le papier pendant le

tirage.

X. Marine :

(pluriel œils) Boucle formée à l'extrémité

d'un filin.

XI. Outillage :

(pluriel œils) Trou pratiqué dans la tête d'un

marteau pour y fixer le manche.

XII. Technique :

(pluriel œils) Judas optique.

XIII. Théâtre :

Trou pratiqué dans le rideau d'un théâtre et

permettant de regarder la salle depuis la

scène.

XIV. Viticulture :

Bourgeon de vigne laissé lors de la taille.

Détournes toi de moi et laisse parler tes yeux

du silence de ton dos ils parlent brillamment

Nu à Nu ils sont le vêtement

de leur propre nudité

et habillent tendrement

la Lyre du futur

Tentative poétique personnelle

ORDINAIRE

OUTIL

PERTE

75

Page 77: L'abécédaire de l'aarchitecte

PLI

PLAN

PLACE

PORTE

POÉSIE :

Nom féminin (latin poesis, du grec poiêsis, création)

I. Art d'évoquer et de suggérer les sensations,

les impressions, les émotions les plus vives

par l'union intense des sons, des rythmes, des harmonies, en particulier par les vers.

II. Genre de poème  : Poésie lyrique, épique,

héroïque. Poésie dramatique. Poésie

pastorale.

III. Art des vers particulier à un poète, à une

nation, à une époque  : La poésie de Hugo.

La poésie française. La poésie du XVIe

siècle.

IV. Ouvrage en vers, de peu d'étendue  ;

poème : Les poésies de Musset. Recueil de

poésies.

V. Littéraire. Caractère de ce qui parle

particulièrement à l'imagination, à la

sensibilité : La poésie d'un pastel.

« Le caractère hérétique, c’est-à-dire Sacré, de la poésie est motivé par la conviction que

l’homme est le plus cruel des êtres vivants. La condition spirituelle du poète mène à la

catastrophe. La culture poétique naît du désir d’éviter cette catastrophe. »

Andreï Tarkovski – Notes du scénario du

Sacrifice.

PROCESSUS

76

Page 78: L'abécédaire de l'aarchitecte

PROPHETE :

Nom masculin (bas latin propheta, du grec

prophêtês)

I. Interprète de la volonté d'une divinité pour le présent ou pour l'avenir.

II. Littéraire. Personne qui, dans une activité

littéraire, artistique, devance et annonce

l'avenir.

«Brûlé de soifs spirituelles,

j’errais au désert sombre et sourd,

quand un Séraphin aux six ailes

m’apparut dans un carrefour.

De ses doigts légers comme un songe,

touchant mes yeux, il fit s’ouvrir

ma prunelle ardente qui plonge

au plus profond de l’avenir,

dilatée, et claire, et pareille

à la pupille de l’aiglon

qu’un effroi nocturne réveille.

Et puis, il toucha mon oreille

qui s’emplit de bruits et de sons.

Et j’entendis alors l’étrange

frémissement du firmament,

et j’entendis le vol des Anges ;

et j’entendis, depuis ce moment,

Léviathan frôler la mousse

dans les abîme sous-marins,

la croissance des jeunes pousses,

dans les taillis du val voisin.

Penché sur ma bouche frivole,

il prit ma langue qui pécha

par blasphème et vaines paroles,

77

Page 79: L'abécédaire de l'aarchitecte

et de sa droite, il l’arracha ;

puis l’Ange, d’un geste farouche

descella de nouveau mes dents ;

sa main sanglante dans ma bouche

mit le dard d’un serpent prudent.

Et puis il fendit de son glaive

ma poitrine, et je sens soudain

que sa dextre cruelle enlève

mon coeur palpitant de mon sein,

et place, dans la plaie ouverte,

un bloc de charbon embrasé...

Dans la plaine, cadavre inerte,

gisait mon corps martyrisé...

Tout à coups retentit le Verbe,

Le Verbe irrité du Très-Haut :

«O toi qui gis là-bas dans l’herbe

lève-toi, mortel, il le faut.

Réveille-toi donc de ton somme :

debout, Prophète, entends et vois !

Obéis ! parcours à la fois

terres et mers, et que ta voix

brûle partout le coeur des homme!»»

A. Pouchkine, Oeuvres poétiques

READY-MADE

RELIGION

78

Page 80: L'abécédaire de l'aarchitecte

RESPONSABILITÉ :

Nom féminin

I. Obligation ou nécessité morale de répondre,

de se porter garant de ses actions ou de

ce l les des autres  : Décl iner toute

responsabilité en cas de vol.

II. Fait d'être responsable d'une fonction  : Il a

la responsabilité de tout un secteur.

III. Fonction, position qui donne des pouvoirs

de décision, mais implique que l'on en

rende compte (surtout pluriel)  : Avoir des

responsabilités dans un syndicat.

IV. Fait pour quelque chose d'être la cause,

l'origine d'un dommage  : La responsabilité

de l'alcool dans beaucoup d'accidents.

« Nous sommes tous coupables de tout et de tous, et moi plus que les autres »

Fiodor Dostoïevski cité par Emmanuel

Levinas dans Entre nous, essai sur le

penser-à-l’autre, Paris, LGF, 2010.

RÊVE

REPRÉSENTATION

RÉVOLUTION

SACRIFICE :

nom masculin (latin sacrificium, de sacrificare,

sacrifier)

I. Offrande à une divinité et, en particulier, immolation de victimes.

II. Effort volontairement produit, peine

volontairement acceptée dans un dessein

religieux d'expiation ou d'intercession.

79

Page 81: L'abécédaire de l'aarchitecte

III. Renoncement volontaire à quelque chose, perte qu'on accepte, privation, en particulier

sur le plan financier  : Faire de grands

sacrifices pour ses enfants.

“ Mais nous sommes au XXe siècle, celui qui a inventé le mot “totalitaire” parce que

chaque mot, du mot survie au mot destruction (en passant par le mot tyrannie), est

devenu capable d’épuiser la totalité de son contenu. C’est pourquoi le sacrifice demandé

à M. Aleksander sera total, c’est pourquoi son enjeu impliquera la totalité du devenir

humain - et c’est ainsi que par fidélité à un mot, le quotidien aura basculé dans l’absolu."

Chris Marker à propos du film Le

Sacrifice de Andreï Tarkovski

" Le sacrifice ne saurait trouver une place dans un ordre partagé entre l'authentique et

l'inauthentique. La relation à autrui dans le sacrifice où la mort de l'autre préoccupe l'être-

là humain avant sa propre mort, n'indique-t-elle pas précisément un au-delà de

l'ontologie - tout en déterminant - ou révélant - une responsabilité pour l'autre et par elle

un "moi" humain qui n'est ni l'identité substantielle d'un sujet ni l'Eigentlichkeit dans la

"mienneté" de l'être. Le moi de celui qui est élu à répondre du prochain et ainsi identique

à soi, et ainsi le soi-même. Unicité de l'élection ! Par-delà l'humanité se définissant

encore comme vie et conatus essendi et souci d'être, une humanité dés-inter-essée. La

priorité de l’autre sur le moi, par laquelle l’être humain est élu et unique, est précisément

sa réponse à la nudité du visage et à sa mortalité. C’est là que se passe le souci de sa

mort où le «mourir pour lui» et «de sa mort» a priorité par rapport à la mort «authentique».

Non pas une vie post-mortem, mais la démesure du sacrifice, la sainteté dans la charité

et la miséricorde. Ce futur de la mort dans le présent de l’amour est probablement l’un

des secrets originels de la temporalité elle-même et au delà de toute métaphore."

Emmanuel Levinas,  Totalité et infini -

Essai sur l’extériorité, Paris, LGF, 2009.

80

Page 82: L'abécédaire de l'aarchitecte

SCHIZOPHRÉNIE :

Nom féminin (allemand Schizophrenie, du grec

skhizein, fendre, et phrên, pensée)

I. Psychose délirante chronique caractérisée par une discordance de la pensée, de la vie

émotionnelle et du rapport au monde

extérieur.

"Pour l'essentiel, le monde de demain sera invisible, et , par conséquent, ce qui s'y

déroulera sera  inimputable. (Non pas seulement comme on le souligne aujourd'hui très

généralement, insondable.) Tout se fera avec un " alibi ". Ce qui veut dire : celui à qui l'on

s'en prendra se trouvera toujours " ailleurs ", pas au même lieu que le perpétrateur, pas

au lieu de l'acte, puisque celui-çi, déclenché par la pression d'un bouton, a lieu quelque

part ailleurs. Celui qui frappe et celui qui est frappé seront tellement éloigné l'un de l'autre  

que celui qui sera frappé demeurera incapable de se concevoir comme la victime d'une

voie de fait. Tandis que jadis chaque " lieu d'exécution " était simultanément le lieu de

celui qui perpètre et le lieu de la victime, simultanément le lieu de l'action et de la passion

- désormais il sera divisé, fractionné en deux lieux. Cette division est l'une des "

conditions d'existence " de la dissociation de la personnalité de l'homme

d'aujourd'hui. ce n'est pas seulement l'âme de l'homme qui est aujourd'hui " schizoïde ",

mais les évènements eux-mêmes le sont. "

Günther Anders, Hiroshima est partout,

Paris, Éditions du seuil, 2008.

L’architecte de notre temps se trouve sujet à une double schizophrénie. Artiste, il se

trouve à l’intérieur de lui-même inclus de manière causale dans le devenir du monde, et

connaît consciemment le caractère dangereux et meurtrier que revêt sa profession. Il est

donc dans un premier état qui fait de lui son propre prédateur. Technicien, il se retrouve

dans la situation où son seul moyen d’appréhender le monde le met face à l’impossibilité

de connaître l’essence des liens de causalité qui régissent le monde dans lequel il agit, et

est aveugle aux réels problèmes que soulève sa profession.

Guilhem Vincent, Être Architecte - Le

s a c r i fi c e - M a n i f e s t e p o u r u n

aArchitecte, Nancy, 2011.

SENSIBILITÉ

81

Page 83: L'abécédaire de l'aarchitecte

SUBLIME :

Adjectif (latin sublimis, haut)

I. Qui est le plus élevé, en parlant de choses

morales ou intellectuelles  : Sublime

abnégation.

II. Dont les sentiments et la conduite

atteignent une grande élévation  : Il a été

sublime dans cette circonstance.

III. Qui est parfait en son genre  : Un tableau

sublime.

“Le concept philosophique du sublime, bien qu’il soit apparu avant 1755, a été développé

et fortement valorisé par Emmanuel Kant, qui a tenté de saisir toutes les implications du

séisme de Lisbonne. Le jeune Kant, fasciné par la catastrophe, collecta toutes les

informations qui lui étaient accessibles et les utilisa pour formuler dans trois textes

successifs une théorie sur la cause des séismes. Sa théorie, qui reposait sur le

mouvement de gigantesques cavernes souterraines remplies de gaz chauds, fut démentie

par la science moderne, mais représentait néanmoins la première tentative d’expliquer un

tremblement de terre par des facteurs naturels et non surnaturels. Selon Walter Benjamin,

le petit livre de Kant sur les séismes « représente probablement les débuts de la

géographie scientifique en Allemagne, et très certainement ceux de la sismologie ».”

  Extrait de la page wikipédia : http://

f r . w i k i p e d i a . o r g / w i k i /

Tremblement_de_terre_de_Lisbonne

SUJET

TEMPS

TERRE

82

Page 84: L'abécédaire de l'aarchitecte

TRACE :

Nom féminin (de tracer)

I. Suite d'empreintes laissées sur le sol par le

passage de quelqu'un, d'un animal, d'un

véhicule  : Relever des traces de pas dans

une allée.

II. Marque laissée par une action quelconque :

La porte garde des traces d'effraction.

III. Très faible quantité d'une substance  :

Déceler des traces d'albumine dans les

urines.

IV. Littéraire. Ce qui subsiste de quelque chose

du passé sous la forme de débris, de

vestiges, etc.  : Des traces d'une civilisation

très ancienne.

V. Marque physique ou morale faite par un

événement, une situation, une maladie, un

coup  : Cette aventure a laissé des traces

profondes en lui.

VI. Aux Antilles, sentier en montagne.

VII. Mathématiques

En géométrie descriptive, intersection d'une

droite ou d'un plan avec l'un des plans de projection.

VIII. Psychologie

Ce qui subsiste dans la mémoire d'un

événement passé.

Échos urbains d’un passage humain, les traces sont ce qui reste, ce qui montre, indique.

En orientant le regard vers ce qui n’est plus, la trace fonctionne en négatif, par le vide,

l’absence. La trace est par nature la trace de l’invisible, écho du sensible non sensible.

Préhension du vide, préhension en différé, préhension de l’absence. La déambulation

urbaine, comme la course, la visite ou la flânerie, est fuite, perte. Le chemin devient

parcours, le trajet devient errance. Inversion de la logique de l’espace et de son parcours,

le passage est une fabrication, fabrication de traces invisibles. Dans le passage, le lieu

disparait, devient écho, se dilue dans le temps, résonne au lieu de dire, émet en pure

perte de la spatialité. Spatialité écartelée, étirée, diluée hors du sensible. Ex-situ, elle 83

Page 85: L'abécédaire de l'aarchitecte

semble se détacher. L’espace étiré est déconstruit, il se manifeste comme morceaux

d’espace, traces de l’ailleurs, comme fragment. La trace n’est pas l’empreinte, elle est

partielle, incomplète. Elle est distante, détachée, arrachée. Cet arrachement est de deux

natures. Il s’agit d’abord d’un détachement temporel dans la durée et dans l’espace, mais

il ne se détache pas après coup, il en dévoile un autre, plus fondamental. Détachement

de l’être, extase, mais extase existentielle. Espace de perte, car espace perdu. Mais cet

espace s’accroche à l’individu. Si l’espace comme trace est supra-situ, ex- situ pour la

conscience, l’individualité comme présence instantanée, est infra-situ, a-situ, surgit en

instantané dans la conscience, sans espacement, sans spatialité. De la dialectique infra/

supra la trace se forme, se dessine. Présence schizophrène que le passage, infra- situ de

l’en-soi, ex-situ que la présence au monde, sans lieu, éclaté, déchiré.

Texte personnel

"... D'une certaine façon, je prend l'art très au sérieux, mais ma production artistique n'a

jamais été très sérieuse et constitue pour l'essentiel un acte ironique. En tous cas, on a

besoin de traces, on a besoin d'être identifié par les gens, on a la responsabilité de dire

ce qu'on a à dire et d'être là où on devrait être. On partage la misère et on en peut ni

l'accentuer ni l'atténuer. On partage toujours ce fascinant destin. Je travaille désormais

dans un sens différent, mais mes oeuvres ne sont réellement que des traces. C'est sans

importance. Ce n'est pas l'oeuvre en soi. C'est un fragment qui montre qu'une tempête

est passé par là. Ces débris sont laissés parce qu'ils sont un témoignage, mais ils ne

peuvent rien construire. Ce sont des déchets."

Ai Weiwei, Hans Ai Ulrich Weiwei Orbist

- Une conversation,  Paris, Manuella

éditions, 2012

TOTALITÉ

TROU

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Page 86: L'abécédaire de l'aarchitecte

UTOPIE :

Nom féminin (de Utopia, mot créé par Thomas

More, du grec ou, non, et topos, lieu)

I. Construction imaginaire et rigoureuse d'une société, qui constitue, par rapport à celui

qui la réalise, un idéal ou un contre-idéal.

II. Projet dont la réalisation est impossible,

conception imaginaire  : Une utopie

pédagogique.

"…si le design est plutôt une incitation à consommer, alors nous devons rejeter le design ;

si l’architecture sert plutôt à codifier le modèle bourgeois de société et de propriété, alors

nous devons rejeter l’architecture ; si l’architecture et l’urbanisme sont plutôt la

formalisation des divisions sociales injustes actuelles, alors nous devons rejeter

l’urbanisation et ses villes… jusqu’à ce que tout acte de design ait pour but de rencontrer

les besoins primordiaux. D’ici là, le design doit disparaître. Nous pouvons vivre sans

architecture. "

Adolfo NATALINI, 1971.

VANITÉ

VENT

VÉRITÉ

VIDE

VIE

VILLE

VISAGE

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Page 87: L'abécédaire de l'aarchitecte

VISION :

Nom féminin (latin visio)

I. Fonction par laquelle les images captées

par l'œil sont transmises par les voies

o p t i q u e s ( c e l l u l e s r é t i n i e n n e s e t

ganglionnaires, nerf optique, chiasma

optique) au cerveau.

II. Fait, action de voir, de regarder quelque

chose  : La vision de ce film peut choquer

certaines personnes.

III. Manière de voi r, de concevoi r, de comprendre quelque chose de complexe  :

Nous n'avons pas la même vision du

monde.

IV. Littéraire. Image mentale de quelque chose

qui s'impose à l'esprit  : Cette vision

soudaine le troubla.

V. Apparition, forme, être, représentation

mentale qu'on voit ou qu'on croit voir, dont on attribue l'origine à des puissances

surnaturelles : Malade qui a des visions.

« Je sais dans la nuit une heure de silence universel.

Durant cette heure d'apparitions et de miracles,

Le char vivant de l'univers

Roule ouvertement dans le sanctuaire des cieux.

Alors, tel un chaos au-dessus des eaux, s'épaissit la nuit,

Et la matière est écrasée par une léthargie pesante comme Atlas.

Les dieux plongent dans l'anxiété l’âme vierge

De la muse en proie aux rêves prophétiques. »

Féodor Tiouttchev

VITESSE

VOITURE

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Page 88: L'abécédaire de l'aarchitecte

ZONE :

Nom féminin (latin zona, ceinture, du grec dzônê)

I. Étendue de terrain, espace d'une région,

d'une ville, d'un pays, etc., définis par

certaines caractéristiques : Zone désertique.

Zone résidentielle.

II. Portion d'espace quelconque  : Ne pas

entrer ici, zone interdite.

III. Portion d'un espace abstrait, d'un domaine

d'activité, de pensée  : Il y a dans sa vie

quelques zones sombres. Zone d'influence.

IV. Géographie

Espace délimité approximativement par des

parallèles (zone tropicale, par exemple).

V. Géologie

Partie d'un étage comprenant l'ensemble

des dépôts formés pendant le temps que

caractérise une association de fossiles.

« - La Zone est un savant système de... de pièges, disons, et ils sont tous mortels,

j’ignore ce qu’il se passe ici en l'absence des hommes, mais il suffit qu’un seul paraisse

pour que tout se mette en branle. Les anciens pièges cèdent la place à de nouveaux

pièges. Les endroits que l’on croyait sûrs deviennent impraticables. Le chemin est tentôt

aisé, tantôt inextricable. Voilà ce que c’est la Zone. On finirait par croire qu’elle a ses

caprices. En réalité elle est ce que notre état psychologique en fait. Il y a des marcheurs

qui ont renoncé à mi-parcours. D’autres on péri sur le pas de la Chambre. Mais tout ce

qui a lieu ici ne dépend que de nous. La Zone n’y est pour rien.

-Elle ne touche pas les gentils et arrache la tête aux vilains ?

- Je n’en sais rien. J’ai l’impression qu’elle laisse passer ceux qui n’espèrent plus rien.

Des gens ni vilains ni gentil, simplement malheureux. Mais aussi malheureux que vous

soyez, faites un pas impair et vous êtes fichu.»

Dialogue entre le Stalker et l’écrivain

dans le films Stalker de Andreï Tarkovski

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Page 89: L'abécédaire de l'aarchitecte

ANNEXES

Histoire du patrimoine et réglementation

1er Semestre – Master 1

Note de lecture:

L’APPORT DU DROIT INTERNATIONAL : PATRIMOINE COMMUN DE L’HUMANITÉ

Véronique LABROT

«… C’est bien là un grand mystère. Pour vous qui aimez le petit prince, comme pour moi, rien de l’univers n’est semblable si quelque part, on ne sait où, un mouton  que nous ne connaissons pas a, oui ou non, mangé une rose… Regardez le ciel. Demandez vous : Le mouton oui ou non a-t-il mangé la fleur ? Et vous verrez comme tout change… Et aucune grande personne ne comprendra jamais que ça a tellement d’importance !»

A. de Saint-Exupéry, « Le petit prince ».

En introduisant ses réflexions sur la notion de patrimoine commun de l’Humanité par ce

court extrait du livre « Le petit prince » de A. de Saint-Exupéry, Véronique LABROT dirige

le regard sur un fait caractéristique qui fait résonner tout son texte. Le fait de prendre en

considération l’absolument étranger, l’absolument Autre, ce qui dépasse le cadre de la

vision, de la possession, pour ouvrir vers ce qui dépasse, transcende l’homme, dans

toutes ses dimensions.

Le petit prince est une oeuvre poétique, un conte philosophique magistral, qui transporte

l’homme, comme le voulait A. de Saint-Exupéry, dans un ailleurs du monde, un au-delà

du monde des adultes, inaccessible au regard ordinaire, mais vivant dans un monde

intime, où seule la rêverie et la sensibilité peuvent se mouvoir. Par une ellipse magistrale,

Véronique LABROT va mener une réflexion sur la nature du bien commun de l’humanité,

en particulier la notion de patrimoine naturel, en faisant se répondre les notions

d’environnement et de patrimoine. Elle analysera alors l’apparition et la transformation de

la notion de patrimoine commun de l’Humanité dans le cadre de l’instauration d’un

pouvoir à échelle globale, depuis les premières évasions extra continentales et

l’instauration d’un « droit bourgeois » international, jusqu’à la crise écologique qui touche

l’éco-système global. Cette crise amène alors des questions de préservation et de 88

Page 90: L'abécédaire de l'aarchitecte

respect des organismes vivants, naturels et Humains qui font l’actualité. Elle soulève les

problématiques juridiques et les notions patrimoniales apparues au milieu du XXè siècle.

Elle démontre alors comment la notion de patrimoine commun de l’humanité est passé,

dans le contexte du milieu du XXè et avec l’apparition de la notion de « Crime contre

l’Humanité », d’un concept d’exploitation des ressources à un concept de

conservation.  Cela lui permet alors d’ouvrir le débat sur la nature véritable du sujet,

touchant enfin du doigt le noeud de la problématique. C’est là la qualité du texte.  En

posant la question du rapport que nous entretenons avec le monde pensé comme

globalité dépassant le cadre de l’appropriable, l’auteur pose de manière plus

philosophique la question de l’absolument autre, de l’absolument ailleurs, dans un sens

presque Levinassien, comme ayant valeur universelle, au même niveau que les droits de

l’homme. Le droit de l’Autre.

L’analyse de l’auteur part de la situation dans laquelle le monde est plongé  et de

l’importance que revêt la crise environnementale pour penser et  repenser la notion de

patrimoine commun de l’Humanité. Elle fait le constat que «« un statut juridique du milieu

naturel reste (…) à imaginer qui soit à la hauteur du paradigme écologique marqué par les

idées de globalité (…) et de complexité » . Chacun le dit à sa façon, il faut instituer

l’environnement à travers le recours à la notion de patrimoine commun de l’humanité ».

(p.109) Elle situa alors comment la notion d’environnement est vue au travers de la loupe

du concept de « Patrimoine », et comment ce « couple » a été institué lors de la « grande

messe » mondiale de Stockholm en 1972 sur l’Environnement Humain, en citant le

principe 4 de la Déclaration de Stockholm:

L’homme a une responsabilité particulière dans la sauvegarde et la sage gestion du

patrimoine constitué par la flore et la faune sauvage et leur habitat qui sont aujourd’hui

gravement menacés…

Ce couple conceptuel servirait de support pour penser les bases de la crise écologique

où on tenterait d’appliquer la notion de « patrimoine commun de l’humanité » aux réalités

écologiques. La tentative de l’auteur est alors de voir comment cette notion pourrait

correspondre aux réalités environnementales. La première question est posée car les

problématiques environnementales semblent (je me trouve ici confronté à une formulation

des plus étranges à la fin de l’introduction où l’auteur ne fini pas une phrase, et semble

occulter une partie de la problématique. En effet, il est écrit:  « …le concept de patrimoine

commun de l’humanité est de nature fondamentalement économique, appliqué comme

tel à des « ressources » et que la référence. Et à propos de l’environnement relève plus

d’une stratégie patrimoniale que de la mise en place d’un nouveau patrimoine commun

de l’humanité »(P.110).) plus être traitées comme étant de nature économique et pensées

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Page 91: L'abécédaire de l'aarchitecte

à partir de la notion d’exploitation, que comme préservation d’une composante commune

de l’existence située en dehors de toute domination ou possession.

Cela l’a conduit, dans une première partie, à analyser l’apparition de la notion de

commerce international dans le contexte du XIXè siècle et à l’instauration d’un droit

bourgeois de commerce international, où la civilisation européenne auto-proclamée «

développée » se donnait la légitimité de s’approprier les territoires étranger en regard du «

droit de participer aux échanges de produits, de services, d’idées, etc…, qui constituent

la base même du fait social international (est…) tout  autre chose qu’un droit subjectif ;

c’est une norme essentielle du Droit des gens parce que c’est la condition même de

l’existence des sociétés. Et ici nous touchons du doigt à la réalité juridique » (p.

113). L’auteur décrit comment ce droit fondamental fut élaboré dans le contexte où la

terre était pensée comme une « réponse au besoin de développement économique des

puissances occidentales » (P.112). La terre, considérée comme patrimoine, était la

ressource qui permettait à la civilisation de se développer. Véronique Labrot explique

comment ce droit s’est constitué, dans un rapport d’inégalité entre les civilisations, pour

séparer juridiquement les ressources du territoire et garantir alors une pleine jouissance

des ressources aux civilisations ayant les moyens d’en tirer partie. « Le droit international

dissocia alors la ressource du territoire la contenant et la propriété de la ressource, du

droit sur la ressource que les peuples vivants sur le territoire pourraient tirer de leur

présence sur la terre donnée. La ressource était  d’ailleurs d’autant plus accessible que le

territoire les contenant devenait lui-même « terra nullius ». Alors le mouvement de

colonisation pouvait embrasser « tous les espaces restés vacants sur le globe, ou habités

soit par des peuples endormis et languissants, soit par des peuplades incohérentes,

dénuées du sens du progrès et incapables d’exploiter les régions où le sort les a placées

»» ( p.113). Elle cite en ça Mahan, théoricien de l’impérialisme américain, pour qui, «pour

des raisons économiques et juridiques, les puissances « civilisées » devaient se

substituer aux « races incompétentes » dans l’exploitation des richesses terrestres

communes. Le « sauvage » qui les maintenait improductives pouvait en être au moins

momentanément dessaisi en vue de l’intérêt commun». Pour l’auteur, c’est ainsi que s’est

constitué le patrimoine commun de l’humanité, où «il va s’agir en fait pour les états

occidentaux d’organiser juridiquement un accès libre et sans contraintes à ces

ressources indigènes. Le droit, plaçant les peuples non civilisés dans une situation

d’inégalité, déclare alors tout ce qui est nécessaire au commerce international, patrimoine

commun de l’humanité» (p.113).

Dans la conclusion de cette partie elle confronte à cette vison d’un patrimoine  comme

fortune à faire « fructifier », un patrimoine comme « tissé de matière et personnes », pour

analyser le glissement de cette notion de possession à une notion de conservation. C’est

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Page 92: L'abécédaire de l'aarchitecte

là que nous nous trouvons face à un trait tout particulier de l’analyse de l’auteur, qui

permet de situer toute la gravité et l’importance de cette « charnière » dans l’histoire qui

sous-tend ce glissement de notion. Ce glissement se fait dans un contexte historique très

important qu’est la seconde guerre mondiale. L’auteur situe le double changement de

paradigme dans le fait de la décolonisation qui instaure alors un rapport mondial et

globalisé entre tous les pays où « l’exploitation du patrimoine commun sera assumé par

l’humanité elle même ». C’est de la qualification de cette humanité et de son rapport au

droit qui fera alors le noeud de la réflexion de l’auteur. En effet, le deuxième changement

de paradigme lui sert de base pour tenter de situer la notion d’humanité. Elle situe la

notion « d’humanité » en rapport avec l’apparition du «crime contre l’humanité. C’est

dans ce contexte d’après seconde guerre mondiale que sont apparues un ensemble de

notions qui ont bouleversé alors totalement le visage de l’humanité.

C’est autour de cette situation que le propos de l’auteur prend son sens, et que résonne

fortement le cours extrait du « Petit prince » introduisant le texte. En effet, ce qui devient

important pour l’auteur est de tenter de comprendre la nature de cette humanité, qui n’est

plus une humanité qui se réalise par un acte de possession et de valorisation d’une

ressource, mais une humanité située sur terre dans un ailleurs, hors du champs de la

possession. À cette même époque, même si l’auteur n’y fait référence qu’à la fin, est

adoptée «la déclaration universelle des droits de l’homme» peu de temps après

l’apparition de la notion de crime contre l’humanité. Ce rapprochement d’une humanité

égale en droit mais menacée est la caractéristique principale de cette époque. Dans la

préface du livre «Hiroshima est partout» du philosophe allemand Günther Anders, Jean-

Pierre Dupuy illustre ce fait caractéristique, qui fut la base de réflexion du philosophe.

« Le 6 Août 1945, une bombe atomique réduisait la ville d’Hiroshima en cendres

radioactives. Trois jours plus tard, Nagasaki fut frappée à son tour. Le 8 Août, dans

l’intervalle, le tribunal international de Nuremberg s’était accordé la capacité de juger trois

types de crimes : les crimes contre la paix, les crimes de guerre et les crimes contre

l’humanité. En l’espace de trois jours, les vainqueurs de la seconde guerre mondiale

avaient ouvert une ère dans laquelle la puissance technique des armes de destruction

massive rendaient inévitable que les guerres devinssent criminelles au regard des normes

mêmes qu’ils étaient en train d’édicter ».16

Cette « ironie monstrueuse », que Günther Anders appela « temps de la fin », est cette

trans-spatialité et trans-temporalité que Véronique Labrot tente de définir. L’humanité est

susceptible d’être détruite, autant dans toutes ses dimensions spatiales que temporelles.

Cette humanité en danger se confronte alors pour l’auteur à sa définition juridique et à

9116 Günther Anders, Hiroshima est partout, Paris, éditions du seuil, 2008.

Page 93: L'abécédaire de l'aarchitecte

l’irréductibilité au droit commun de l’environnement et du futur en tant qu’éléments

inappropriés. Etant « un espace international et non (…) une partie du territoire d’un état

multiplié par le nombre d’états couvrants la planète ». Cet espace n’appartenant à

personne et étant non totalisable, non transmissible, n’est pour l’auteur pas reconnu

juridiquement, et les tentatives faites en ce sens se confrontent toutes à cette « distance »

qui le sépare de l’espace commun du droit. Cette « distance » rend inefficace tout

système de protection de l’environnement, tout système scientifique quand il s’agit de

penser cet « espace autre » qui constituerait l’humanité sans même avoir de statut

juridique.

Selon elle la solution actuelle de « common concern », ou de « préoccupation de

l’humanité toute entière » issue du sommet de Rio en 1992, constitue une solution

intermédiaire permettant d’instaurer un « principe émergent » (p.123) en droit international

public, qui instituerait alors une responsabilité commune qui devrait relier les états dans

une « compétence liée », très proche de ce qui apparaît dans les tentatives de «

commerce équitable » par exemple, pour régler une « moindre souveraineté » des états

sur le bien commun, qui dépasse alors toute nation.

En ces termes, l’humanité se confronte doublement à sa propre légitimité dans ce qui est

appelé « développement durable » où le développement serait légitime comme principe

de vie sur terre et mis en rapport avec le mythe de l’habitabilité. Ce mythe permettrait de

penser la planète comme maison, comme « vaisseau-terre » unique qu’habiterait

l’humanité entière et qu’il faudrait alors préserver. Cette « bio-éthique », cette « science

de la survie » comme l’entend Van Ransaeler Potter, se confronte alors au cadre étriqué

du droit, en tant qu’éthique au sens philosophique du terme, rejoignant alors Günther

Anders et Emmanuel Levinas par exemple. Cette éthique serait alors en « pure négativité

»17 pour reprendre Jean-Pierre Dupuy dans son introduction au livre de Günther Anders.

Cette réaction à l’inacceptable, expérience du visage chez Emmanuel Levinas,

expérience de l’autre comme infini par l’homme, serait le seul garant de la préservation

de l’environnement comme espace « Autre », espace inappropriable et irréductible au

concept, un « ailleurs du monde », un au-delà du monde des adultes, inaccessible au

regard ordinaire, mais vivant dans un monde intime, où seule la rêverie et la sensibilité

peuvent se mouvoir, comme j’en parlais à propos du petit prince.

Comme la liberté entraine la responsabilité, les droits de l’homme induisent le droit de

l’autre. Véronique Labrot conclue sur cette ouverture hors du champs du droit, pour ouvrir

une vision plus large de la vie sur terre.

9217 Ibidem