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Guide de supervision en travail de rue et de proximité L’accompagnement professionnel: une pratique essentielle Réalisé par Médecins du Monde Canada

L’accompagnement professionnel:Coaching

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L’accompagnement professionnel:une pratique essentielle

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  • Guide de supervision en travail de rue et de proximit

    Laccompagnement professionnel: une pratique essentielle

    Ralis par Mdecins du Monde Canada

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  • Guide de supervision en travail de rue et de proximit

    Laccompagnement professionnel: une pratique essentielle

    Sous la direction dAnnie Fontaine

  • RALIS PAR Mdecins du Monde Canada

    EN COLLABORATION AVEC LAssociation des travailleurs et travailleuses de rue du Qubec (ATTRueQ)

    SOUS LA DIRECTION DE Annie Fontaine

    COORDINATIONMarie-Michelle RossQUIPEMarie-Michelle Ross, Pierre Ltourneau, Annie Fontaine

    COMIT DE PILOTAGE Michle Burque, John Denham, Sylvain Fillion, Odette Gagnon, Robert Paris

    RECENSION DES CRITSMarisabelle Sylvie Brub

    DESIGNMadame Simone Communications et vnements

    ILLUSTRATIONSMady (personnages) litza Koroueva (paysages), Karo (sacs dos)

    CORRECTION LINGUISTIQUEMarie-Nicole Cimon

    CONSULTATIONAnna Di Tirro

    Mdecins du Monde Canada338, rue Sherbrooke Est, Montral, QC H2X 1E6514-281-8998www.medecinsdumonde.ca

    Ce document a t ralis grce la contribution nancire du programme IPAC de dveloppement et ressources humaines Canada.

    ISBN-13:978-2-9809664-0-8ISBN-10: 2-9809664-0-1

    Dpt lgal - Bibliothque et Archives nationales du Qubec, 2006 Mdecins du MondeSeptembre 2006

  • TABLEDESMATIRES08 INTRODUCTION

    09 AVANT-PROPOS

    12 CHAPITRE 1: LE TRAVAIL DE RUE14 1.1 - Lvolution du travail de rue au Qubec 15 1.2 - La mission et le mandat du travail de rue15 1.3 - Les similitudes et diffrences avec dautres pratiques de premire ligne17 1.4 - Le prol des travailleurs de rue

    18 1.5 - Les besoins et moyens de support des travailleurs de rue

    22 CHAPITRE 2: LA SUPERVISION, UNE PRATIQUE DACCOMPAGNEMENT PROFESSIONNEL 24 2.1 - Les domaines25 2.2 - Le rle26 2.3 - La position 26 2.4 - Les mandats 27 2.5 - Les orientations

    28 CHAPITRE 3: LES FACETTES DE LA SUPERVISION 30 3.1 - Les aspects abords43 3.2 - Les approches45 3.3 - Les formules individuelle et de groupe47 3.4 - Les besoins combls

    48 CHAPITRE 4: LES DIMENSIONS RELATIONNELLES DE LA SUPERVISION50 4.1 - La relation: au cur de la supervision52 4.2 - Les rsistances et attentes

    52 4.3 - Les piges et glissements

    56 CHAPITRE 5: LES ASPECTS ORGANISATIONNELS DE LA SUPERVISION 58 5.1 - Larrimage de la supervision lorganisme59 5.2 - Lthique de la supervision60 5.3 - Lvaluation de la supervision61 5.4 - Les besoins et ressources des superviseurs

    62 CONCLUSION

    66 ANNEXESAnnexe 1

    68 Outils pour prparer une supervision70 Outil 1: valuation des moyens et des besoins de support 72 Outil 2: Prcision du mandat de la supervision74 Outil 3: Identication des aspects et de lapproche privilgier 76 Outil 4: Clarication des enjeux relationnels lis la supervision78 Outil 5: Ajustement des modalits organisationnelles79 Sommaire de la dmarche

    Annexe 280 Ladaptation de la supervision au rythme du travail de rue

    Annexe 384 Bibliographie structure sur la supervision, le travail de rue et les enjeux sociaux

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  • DABORD, QUELQUESMOTS SUR MDECINS DU MONDE (MDM)Mdecins du Monde est une organisation interna-tionale but non lucratif consacre laide hu-manitaire. Depuis plus de vingt ans, elle sappuie sur lengagement de volontaires, de bnvoles, de professionnels de la sant et dautres disci-plines pour porter secours sur le plan mdical aux populations vulnrables partout dans le monde. Elle a pour vocation de rejoindre, daider et de soigner, autant sur la scne internationale que nationale, les populations confrontes des situations de crise, de guerre, de catastrophe na-turelle, de prcarit et dexclusion.

    Chaque dlgation de MDM a le devoir de raliser des projets locaux an de venir en aide aux exclus des soins de sant, peu importe les raisons de lexclusion. Sou-vent raliss en marge des schmes habituels de soins, ces projets soulignent la particularit de Mdecins du Monde, soit dintervenir auprs des personnes du quart-monde tant lchelle nationale quinternationale.

    Dans le cadre de son mandat dimplantation de missions locales, Mdecins du Monde Canada a travaill sur la problmatique de lexclusion sociale Montral. En plus duvrer directement auprs des personnes marginali-ses, Mdecins du Monde a voulu simpliquer avec les intervenants communautaires travaillant avec elles. En effet, le travail des intervenants communautaires est un travail exigeant demandant une implication de longue haleine. Ils font face des problmatiques multiples dans un contexte sollicitant une expertise toujours renouvele. Ces intervenants doivent aussi faire preuve de beaucoup douverture, de disponibilit, de souplesse et de pro-fessionnalisme, car ils sont appels travailler auprs dune population marginalise et auprs de ceux qui contribuent cette marginalisation. Leurs actions, isoles ou conjointes, comportent un haut taux de stress et dpuisement. Ces travailleurs spcialiss reoivent peu de support dans lexercice de leurs fonctions et disposent souvent de peu de moyens nanciers pour aller chercher des ressources ou une supervision extrieure.

    Cest dans cet esprit quest n ce projet de guide sur la supervision destin principalement aux travailleurs de rue et de proximit. Ralis en collaboration avec

    lAssociation des Travailleurs et Travailleuses de Rue (ATTRueQ), ce projet voulait crer un espace danalyse clinique et de questionnement thique an de contribuer la qualit dintervention et la reconnaissance du travail de rue. Il visait aussi fournir aux praticiens des pistes pour trouver le support dont ils ont besoin dans lexercice de leur fonction.

    PUISDESREMERCIEMENTSBien sr, la rdaction de ce guide sur la supervision naurait pu tre possible sans le prcieux apport de plu-sieurs personnes et organismes que nous ne pouvons tous mentionner ici, mais qui se reconnatront tout au long de la lecture du document.

    Merci dabord aux intervenants qui ont gnreusement accept de donner de leur temps an de rencontrer lquipe du projet pour partager leurs expertises, leurs expriences et leurs questionnements sur la supervision. Merci aussi aux organismes communautaires partenaires du Projet Montral et aux autres qui ont nourri le proces-sus de rexion entourant la dmarche. Bien sr, merci toute lquipe du Projet Montral, celle du sige social de Mdecins du Monde Canada, aux membres du co-mit de pilotage qui a guid notre travail ainsi quaux membres de lATTRueQ qui ont inspir le projet. Merci par ailleurs au programme IPAC de Dveloppement et Ressources Humaines Canada sans qui ce guide, faute de nancement, naurait pu voir le jour. Enn, un merci particulier notre matre duvre, Annie Fontaine, qui par son travail acharn, ses connaissances, sa bonne humeur et son support constant a su donner ses couleurs et toute sa saveur ce Guide de supervision en travail de rue et de proximit.

    En terminant, faisons le souhait que ce guide permette de mieux soutenir les travailleurs de rue et les autres interve-nants de proximit dans lexercice du rle essentiel quils continuent de jouer auprs des personnes en rupture et quil soit un outil de ressourcement adapt la diversit de leurs pratiques.

    Bonne lecture!

    INTRODUCTION

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  • LADMARCHELimportance des besoins exprims par les travailleurs de rue pour de la supervision, la raret des personnes-ressources offrant un tel accompagnement et le peu dcrits alimentant cette expertise ont soulev la pertinence de rdiger un tel guide pdagogique. Ds lorigine, lintrt marqu de plusieurs acteurs envers le sujet abord nous a conrm lutilit de produire cet ouvrage en relevant le d de rpondre la spcicit des besoins des travailleurs de rue tout en ouvrant la rexion aux intervenants impliqus dans dautres pratiques communautaires (de proximit et autres).

    Le projet de prparation de cet ouvrage, amorc lautomne 2004, sest tal sur deux ans. Aprs une tape de consultation, dorientation et de mise en place dun comit de pilotage compos de superviseurs, une recension dcrits sur la supervision ainsi quune en-qute auprs des acteurs concerns ont t ralises en 2005.

    Des superviseurs, principalement anciens travail-leurs de rue, ont t rencontrs en entrevue individu-elle, en duo ou en trio. Des travailleurs de rue supervi-ss et non superviss ont t interviews sur le sujet ou encore ont rpondu un questionnaire autoadministr transmis par des membres du comit de pilotage. Qua-tre travailleurs de rue ont particip des entrevues approfondies o ils ont partag leur rcit de pratique et rchi sur leurs besoins daccompagnement.

    Des coordonnateurs dorganismes en travail de rue ont aussi t interviews et une rencontre sest droule au sein dun de ces groupes incluant le directeur de lorganisme, le coordonnateur clinique, un superviseur externe et un membre du conseil dadministration.

    Le directeur et le responsable de lintervention dune maison dhbergement ont galement t rencontrs pour mieux saisir les convergences et les divergences des besoins des intervenants communautaires dans un contexte autre que le travail de rue.

    Enn, notre recherche sest aussi largement alimen-te travers les nombreuses sances dobservation participante aux rencontres rgionales et provinciales de lAssociation des travailleurs et travailleuses de rue du Qubec (ATTRueQ), celles du Regroupement des organismes communautaires qubcois pour le travail de rue (ROCQTR) actuellement en train de prendre

    forme ainsi quau sein du Rseau international des tra-vailleurs sociaux de rue.

    la suite dune retranscription et dune analyse des don-nes recueillies, une ossature de loutil a dabord t conue et discute avec le comit de pilotage. Les mem-bres de ce comit et quelques consultants ont ensuite ragi aux diffrentes versions du guide, progressive-ment boni de leurs clairages jusqu sa version nale acheve au printemps 2006. Souhaitons que la diffusion du guide lautomne 2006 permette aux acteurs con-cerns de sapproprier loutil et de lui donner vie an de mieux rpondre aux besoins daccompagnement des travailleurs de rue et de proximit.

    LEPUBLIC VISCe guide sadresse principalement aux personnes et aux organisations intresses par la question de la supervi-sion, en particulier dans le contexte du travail de rue et de proximit. En adaptant la lecture sa position respec-tive, chaque acteur concern par cette pratique devrait pouvoir y puiser des lments de rexion:

    Les superviseurs y trouveront diffrentes pistes danalyse de leur rle et de lespace de supervision ainsi que des outils pour bonier leur approche. Les ex-travailleurs de rue qui supervisent ou y aspi-rent pourront rchir aux enjeux dune telle forme daccompagnement professionnel, alors que les superviseurs issus dautres expertises (psychologie, travail social, etc.) pourront se familiariser davan-tage avec la culture et les besoins associs cette pratique de proximit.

    Les travailleurs de rue et de proximit pourront utiliser ce guide pour rchir aux besoins quils prouvent et aux moyens quils privilgient pour faire voluer leur pratique ainsi que pour mieux cerner comment mettre prot lespace de la super-vision cette n.

    Le personnel de direction des organismes en travail de rue et de proximit (directeurs, coordonnateurs, coordonnateurs cliniques, etc.) pourra se servir de cet outil pour valuer les besoins daccompagnement professionnel des intervenants ainsi que les strat-gies prioriser pour offrir le support ncessaire au dploiement dune intervention de qualit.

    Enn, les bailleurs de fonds et les dcideurs seront sensibiliss limportance de soutenir les

    AVANT-PROPOS

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  • organisations communautaires dans leurs efforts dassurer un meilleur support aux travailleurs de rue et de proximit.

    En outre, quoique le travail de rue et de proximit soit particulirement cibl cause de la singularit des besoins de ces praticiens et de lexpertise de su-pervision dveloppe dans ce domaine, la rexion propose dans ce guide peut inspirer dautres champs de pratiques communautaires et dintervention sociale et tre adapte leur contexte.

    Aussi, mme si les proccupations des travailleurs de rue montralais ont principalement nourri notre enqute, les acteurs dautres rgions, voire aussi dautres pays, pourront y trouver des pistes de rex-ion sapproprier.

    LEGUIDECe guide sur la supervision contient cinq chapi-tres auxquels sajoutent trois annexes.

    Le corps du texte Le premier chapitre met en contexte le travail de rue et les autres pratiques de proximit, puis dresse un por-trait des besoins et moyens de support professionnel prouvs par ces praticiens;

    Le deuxime chapitre situe la supervision parmi dautres modes daccompagnement professionnel et en examine quelques mandats et orientations dans le domaine du travail de rue;

    Le troisime chapitre explore diffrentes facettes, thma-tiques, approches et formules de supervision en don-nant divers exemples tirs de laccompagnement des travailleurs de rue;

    Le quatrime chapitre propose une rexion sur limportance des dimensions relationnelles qui tra-versent lintervention et la supervision, puis met en re-lief quelques drives potentielles de ce lien;

    Le cinquime chapitre examine diffrents aspects organi-sationnels qui encadrent cette forme daccompagnement professionnel et propose quelques outils pour en as-surer lvaluation et lvolution.

    AnnexesLa premire annexe rassemble diffrents outils compl-ter pour mieux cerner les besoins des travailleurs de rue et pour envisager des moyens dy rpondre dans le cadre de la supervision. Cet outil en cinq chapitres, abordant dans le mme ordre les thmes des chapitres, peut accompagner la lecture du guide ou encore servir ultrieurement (voir le mode dutilisation de ces outils la premire page de lannexe 1). Le lecteur est en-courag photocopier les pages de cette partie pour en faciliter lutilisation.

    La deuxime annexe sur ladaptation de la supervi-sion au rythme du travail de rue est un complment au troisime chapitre. Plac en annexe pour allger le texte, cet outil approfondit un aspect central du travail de rue, mais qui demeure peu toff dans la littrature et qui joue pourtant un rle dterminant dans le cadre de la supervision.

    La troisime annexe prsente une bibliographie structure en trois sections:

    Une premire section commente propose des ouvrages abordant diffrents aspects de la supervision dans les champs du travail social, de la psychologie, de lenseignement et de lentrepreneurship.

    Une deuxime section cible divers crits sur le travail de rue (documents gouvernementaux, communautaires, universitaires) permettant den approfondir plusieurs aspects (thiques, mthodologiques, organisationnels, relationnels, etc.).

    Une troisime section offre quelques pistes de lecture sur divers enjeux sociaux qui traversent lintervention, en particulier les enjeux lis aux questions des ralits de la jeunesse, de lexclusion sociale et du travail social.

    La terminologieAvant de conclure cet avant-propos, voici quelques re-marques sur la terminologie employe dans cet ouvrage.

    Dans le seul but dallger le texte, lutilisation du mas-culin tout au long du document inclut le fminin, et ce, sans discrimination aucune.

    Lutilisation du terme coordonnateur dans ce texte inclut le personnel de lquipe de direction/coordination

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  • qui encadre les praticiens, peu importe la dnomination de ce statut et la structure organisationnelle adopte.

    Le terme travailleur de rue sera le plus souvent employ puisquil sagit du premier public cibl par la dmarche. Toutefois, considrant la pluralit des pra-tiques associes ce mode daction, cette appellation inclut lensemble des praticiens qui sidentient une approche de proximit . Aussi, tel que signal plus haut, tout autre intervenant qui se reconnat en tout ou en partie dans les dimensions explores dans ce guide peut y puiser une inspiration et adapter la rexion son contexte particulier.

    Enn, ne reste plus qu souhaiter chacun une lecture enrichissante en lencourageant fortement sapproprier ce guide pour en faire un outil qui rpond ses propres besoins et qui animera ses rexions...

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  • 1.LE TRAVAIL DE RUE

  • 1.1LVOLUTION DU TRAVAIL DE RUEAUQUBECLe travail de rue est n au Qubec la n des annes 60 dans une priode deffervescence et dexprimentation en matire de services socio-sanitaires. Palliant les limites des structures tra-ditionnelles dintervention face aux changements socioculturels en cours lpoque, le travail de rue sest dvelopp pour entrer en relation avec les personnes en rupture avec les institutions. Aprs une premire vague dune centaine dintervenants embauchs Montral pour faire le pont entre les services publics et les jeunes, cette pratique connat un recul la n des annes 70 avec le resserrement des nances publiques. Aussi, la rorienta-tion de plusieurs praticiens vers les nouvelles structures mises en place lpoque (CLSC, centres daccueil) ne laisse quune dizaine dentre eux au Bureau de Consulta-tion Jeunesse. Au dbut des annes 80, le BCJ fonde le premier groupe de travail de rue au Qubec, le PIaMP (Projet dintervention auprs des mineur(e)s prostitu(e)s), et suit de prs la fondation du PIPQ (Projet Intervention Pros-titution Qubec) et du Refuge La Piaule du Centre du Qubec Drummondville qui, sans trop se connatre, partagent une philosophie commune daction sociale an-cre dans la culture marginale des jeunes rejoints.

    Au tournant des annes 90, devant la complexi cation des ralits sociales (durcissement des drogues, contami-nation au VIH-sida, itinrance jeunesse, etc.) et la red- nition du rle de ltat, les organismes communautaires sont de plus en plus interpells pour contribuer la dis-pensation de services sociaux et de sant. Correspondant au virage milieu et prventif mis en valeur par la rforme, le travail de rue est cibl comme stratgie dintervention privilgier face diverses problmatiques, ce qui en-trane la mise en place de plusieurs organismes et projets de travail de rue coordonns par des tables de concer-tation locales. Pendant cette dcennie, le boom en

    travail de rue se traduit par un paradoxe: dune part, on assiste la collectivisation dun rseau de praticiens travers la mise en place de lAssociation des travailleurs et travailleuses de rue du Qubec (ATTRueQ) qui passe dune vingtaine de membres en 1993 plus de deux cents aujourdhui; dautre part, on constate la fragmenta-tion de ce mode daction travers divers projets plus ou moins ponctuels utilisant le travail de rue pour cibler des problmatiques spci ques (toxicomanie, ITSS, taxage, phnomne de gangs, graf tis, etc.).

    Avec les annes 2000, la mise en commun des r ex-ions des praticiens et des chercheurs dans le domaine

    permet de relever certains des fondements inhrents cette pratique ainsi que les con-

    ditions pour en favoriser le dploiement. Devant le po-tentiel dmancipation que permet cette pratique par

    opposition au danger dinstrumentalisation qui guette ce rle, les acteurs en travail de rue sefforcent de

    promouvoir lapproche globale sur laquelle re-

    pose ce mode daction ciel ouvert. En ce sens,

    ils revendiquent le maintien dune marge de manuvre

    pour tre en mesure dagir dans les zones grises a n de rejoindre les personnes en

    rupture avec les normes et les structures sociales. En ap-pui lATTRueQ o se ressourcent chaque anne des centaines de praticiens lors de rencontres rgionales et provinciales, une initiative visant regrouper les or-ganismes communautaires en travail de rue est amorce depuis 2004. Le Regroupement des organismes com-munautaires qubcois pour le travail de rue (ROC-QTR) vise coordonner les efforts de reconnaissance et de nancement de cette pratique. Par ailleurs, des reprsentants qubcois participent aussi au Rseau in-ternational de travailleurs sociaux de rue coordonn par Dynamo International (Bruxelles) o ils partagent avec des acteurs de diffrents pays un processus de r exion et dchange de pratiques (recherche, formation, forums, etc.) visant amliorer les conditions du travail de rue dans le monde.

    1.LE TRAVAIL DE RUE

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  • 1.2LA MISSIONET LE MANDATDUTRAVAIL DE RUEBas sur un processus dintgration progressive dans le milieu, le travail de rue permet de se rapprocher des personnes vivant en marge des normes sociales, soit parce quelles les rejettent, soit parce quelles en sont exclues. Fondant son approche sur une prsence intensive dans les espaces de vie des populations rejointes, le travail de rue mise autant sur la relation dtre que la relation daide pour crer des liens de conance et accompagner les personnes travers leur trajectoire.

    Par une approche humaniste, globale et gnraliste fonde sur lcoute, laccompagnement personnalis et la polyvalence daction, le travail de rue apporte aux personnes rejointes diverses formes de soutien pour trouver avec elles des rponses leurs besoins et aspirations. Disponible et accessible en milieu ouvert, le travailleur de rue socialise travers la proximit du quotidien, adoptant diverses stratgies dducation informelle pour nourrir le questionnement et le cheminement des personnes quil ctoie. De plusieurs manires, il suscite aussi des occasions dapprentissage et de participation sociale en encourageant et en soutenant les initiatives de ceux quil accompagne.

    Accompagnant les personnes dans lappropriation dun pouvoir sur leur vie, le travailleur de rue ori-ente son action vers la rconciliation des personnes avec elles-mmes, leurs proches, leur rseau, leur milieu et leur place dans la socit. Plutt que de dnir lui-mme les critres de mieux-tre des personnes, il les supporte dans lidentication de leurs choix et la prise en charge de leur mancipation. Ce type de rapport implique une relation galitaire et rciproque mettant laccent sur le potentiel plutt que les carences des individus.

    Tmoin-acteur dans les interactions au sein de la communaut, le travailleur de rue contribue rduire le clivage social par la dfense des droits des personnes marginalises, la sensibilisation des dcideurs, intervenants et rsidents, la mdiation sociale, lamlioration des conditions de vie, etc. Dans une

    perspective de rduction des mfaits, il accompagne les personnes dans leurs ralits et cherche avec elles des moyens pour attnuer les effets ngatifs de leurs pratiques risques pour elles-mmes et pour leur entourage. Mode dintervention bas seuil, le travail de rue nimpose pas de critres de slection et sefforce de trouver avec les personnes des pistes favorables leur mieux-tre, peu importe leur condition initiale et le degr de difcults quelles rencontrent.

    1.3LESSIMILITUDESET DIFFRENCESAVECDAUTRES PRATIQUES DE PREMIRE LIGNELe travail de rue partage plusieurs afnits avec dautres pratiques de proximit visant rejoindre les personnes en rupture avec leurs milieux de vie. Le travail de milieu, proche cousin du travail de rue, vise galement accompagner des personnes dans leurs espaces de vie, mais gnralement sur une base davantage collective quindividuelle; le travail de milieu peut servir mobiliser des jeunes plus marginaliss au sein dun projet ou dun local communs ou encore sinscrire dans des activits prventives auprs de populations moins marginalises, par exemple dans les alentours dune cole secondaire ou en lien avec une maison de jeunes. Les pratiques de outreach , quant elles, partagent avec le travail de rue la caractristique de rejoindre des populations marginalises dans leurs espaces de vie. Tout en abordant les personnes travers une approche globale, ces pratiques sont centres sur des objectifs plus spciques, par exemple prvenir le VIH/sida par la distribution de matriel, offrir des soins inrmiers accessibles, faire le lien avec une ressource dhbergement ou de prvention des toxicomanies, etc. Dautres stratgies daction, telles que lintervention en roulotte mobile, partagent aussi plusieurs traits du travail de rue, de milieu ou du outreach en mme temps quelles comportent leurs propres spcicits.

    En outre, dautres pratiques communautaires de pre-mire ligne, fondes sur une approche bas seuil et de rduction des mfaits, ont des similitudes avec le travail de rue et les pratiques de proximit que nous venons de dcrire. Lintervention en ressource dhbergement, les

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  • sites dchange de matriel prventif, les centres de jour et cafs-rencontres pour populations marginalises ou dmunies, les organismes de prvention des toxicoma-nies, du suicide ou du VIH/sida sont quelques exemples de stratgies daction qui partagent plusieurs principes du travail de rue. Laccueil des personnes travers une vision respectueuse de leurs ralits et de leurs choix, fond sur une approche non moralisatrice, constitue un des traits importants de ces diffrentes pratiques. La ca-pacit dadapter les modes daction suivant lvolution des ralits sociales reprsente aussi une caractristique quont en commun les diverses approches communau-taires dcrites ici.

    Malgr les similitudes observes entre ces pratiques, nous avons remarqu, lors de nos entrevues avec les travailleurs de rue, leurs superviseurs et quelques inter-venants en maisons dhbergement, que le fait que le travail de rue se droule hors murs , sur le terrain dautrui, engendre plusieurs distinctions avec les pra-tiques menes entre quatre murs. En effet, mme si des valeurs sont partages entre ces pratiques communautaires, lapproche du travailleur de rue implique des habi-lets et un encadrement diffrents des in-tervenants qui travaillent lintrieur de leur bote. Par exemple, le travailleur de rue doit constamment ngocier sa place sur le territoire de lAutre, sadapter aux codes culturels des milieux quil ctoie et valuer jusquo aller dans ses actions; il doit tre respectueux du rythme des personnes et viter de se faire rejeter de leurs espaces. De leur ct, les intervenants linterne doivent ngocier loccupation de lespace entre eux et avec ceux qui frquentent la ressource; ils doivent savoir intgrer les personnes, leur faire respecter les codes et rgles de lendroit et composer avec les tensions et con its quentrane la vie de groupe. Aussi, alors que le travailleur de rue doit en grande partie improviser seul ses actions en fonction des vnements qui surviennent et des personnes quil rencontre, les intervenants au sein des organismes fonctionnent avec un horaire prdter-min et partagent des tches entre collgues. De plus, les modes daction sur la rue sont souvent plus informels que dans le contexte dun organisme o lintervention est gnralement plus structure et d nie.

    Ces quelques diffrences laissent penser que la marge

    de manuvre qui caractrise le travail de rue, com-parativement au cadre dune intervention en contexte interne, offre des opportunits, mais sollicite aussi des habilets, des conditions et des moyens de support spci- ques. En effet, a n dassumer lautonomie ncessaire pour fonctionner seul dans la rue, sans cadre visible, le travailleur de rue doit tre support dans lappropriation de son mandat et le dveloppement de sa capacit dautodiscipline, de r exion thique et de communica-tion de sa pratique. En labsence de collgues avec qui partager la responsabilit de lintervention au moment o elle se droule, il a besoin de consulter son quipe et des personnes-ressources pour partager sa lecture des situa-tions et r chir sur ses interventions. Aussi, compte tenu de lisolement que peut vivre ce praticien solitaire, il a besoin dune oreille attentive pour ventiler ses motions, confronter ses valeurs et guetter ses potentielles drives. Mme des collgues qui travaillent en tandem dans la rue ont besoin dun tel espace de questionnement a n de

    prendre du recul et ainsi viter un repli sur leur couple dintervention.

    Compte tenu des ressemblances entre le travail de rue et les autres pratiques de premire ligne, on imagine que plusieurs des thmes abords dans ce guide sur laccompagnement professionnel des travailleurs

    de rue re tent galement les besoins dautres intervenants

    sociaux, en particulier ceux qui uvrent dans des organismes

    communautaires, mais aussi plus largement dans la relation

    daide (in rmires, psychologues, travailleurs sociaux, etc.). Cela dit, nous

    avons voulu faire ressortir les traits de distinction entre ces formes dintervention a n de mettre en contexte le choix des exemples proposs dans ce guide.

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  • 1.4LE PROFIL DESTRAVAILLEURS DE RUEIl est dif cile dvaluer le nombre de travailleurs de rue au Qubec puisque aucun registre ni recherche nen fait tat. Considrant comme base les effectifs de lATTRueQ auxquels sadditionne un nombre inconnu de praticiens non membres, on estime que plus de 300 personnes exercent ce mtier dans diverses rgions de la province, sans compter le bassin encore plus large dindividus uti-lisant une autre forme de travail de proximit . Le travail de rue est implant dans divers milieux au Qubec: dans les centres-villes et les quartiers priphriques des grandes villes, dans les banlieues ainsi que dans les milieux semi-urbains et ruraux des rgions plus loignes. Les lieux frquents, le rythme de la pratique, les ralits rencontres sont certes diffrents dune rgion lautre; cela dit, les changes en-tre praticiens permettent de reconnatre plusieurs bases communes (milieu de vie, approche globale, r-duction des mfaits, etc.). Cette pratique est galement mise en uvre de diffrentes manires dans plusieurs pays du Nord et du Sud, en Occident et en Orient.

    Au Qubec, le pro l des praticiens en travail de rue est fort vari. Bien quaucune recherche ne t-moigne explicitement de lvolution de ce pro l, on a pu noter dans les quinze dernires annes une professionnalisation et une fminisation du corps de ces praticiens. En effet, si on prend pour repre llargissement du bassin de lATTRueQ depuis sa fondation, on remarque que les hommes taient nette-ment majoritaires au dpart et que plusieurs dentre eux navaient pas de parcours de formation spcialis en in-tervention sociale. Aujourdhui, la proportion hommes/femmes est beaucoup plus gale et un nombre important de travailleurs de rue dtiennent une formation postse-condaire en sciences humaines (psychologie, travail so-cial, ducation spcialise, ducation en dlinquance, psychoducation, sexologie, coopration internationale, etc.). Cela dit, lhorizon des expriences menant au travail de rue continue dtre vari et inclut encore des intervenants forms sur le tas aprs avoir

    t embauchs sur la base de leur exprience et de leurs qualits personnelles, sans formation acadmique ou en-core dans un domaine loign de lintervention sociale (cinma, horticulture, arts plastiques, danse, administra-tion, etc.). Cette pluralit est, selon plusieurs, un atout du travail de rue, mais doit tre compense par loffre dun processus de formation continue adquat permettant aux intervenants de se doter des outils pertinents leur ac-tivit professionnelle.

    Les motivations exercer ce mtier sont fort varies. Dabord, le travail de rue est vu par plusieurs comme une exprience formatrice pertinente au cheminement professionnel. Aussi, plusieurs voquent combien cette approche humaniste correspond leur philosophie dintervention:

    le caractre alternatif et la libert daction associs au travail de rue,

    le fait de travailler ciel ouvert et directement dans la quotidiennet des

    personnes, etc. Lempathie, la compas-sion, la curiosit envers autrui colorent la

    rponse de plusieurs praticiens qui se sen-tent intimement interpells par ce rle engageant

    au plan personnel. Le dsir de sprouver, de se dcouvrir et de se raliser trouve aussi cho dans la motivation exercer ce mode daction exigeant cra-tivit et autonomie personnelles. La volont de concilier un temprament relativement revendicatif avec un m-tier permettant dactualiser ses idaux est aussi centrale pour plusieurs. cet gard, les valeurs de changement social et la volont dlargir lespace dinclusion sociale motivent plusieurs sinvestir dans la rue. Lattrait vers la marge, le got du risque et de laventure sont aussi des attributs que partagent de nombreux travailleurs de rue. Il importe que chaque aspirant TR fasse lexamen cons-cient de ses aspirations tre travailleur de rue a n de sassurer que ses motivations sont assez profondes pour sengager dans ce rle et quelles dpassent le stade du fantasme narcissique dagir comme sauveur, dtre cool ou hot...

    Par ailleurs, la dure de vie professionnelle dun travailleur de rue est dif cile mesurer, mais si on se e au nombre de nouveaux praticiens qui remplacent les anciens chaque anne lATTRueQ, on constate un trs haut niveau de roulement dans ce champ professionnel. Bien que ce roulement de personnel soit affect par le

    1. Le travail de rue

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  • degr dinvestissement humain quexige cette pratique, la difcile rtention des travailleurs de rue est aussi inuence par les conditions de travail prcaires et le manque de moyens de ressourcement quengendre labsence de nancement rcurrent.

    1.5LESBESOINSETMOYENSDE SUPPORTDES TRAVAILLEURS DE RUE En fonction des caractristiques du travail de rue, les praticiens prouvent certains besoins concernant le lien quils entretiennent avec leur organisme, leurs collgues, les personnes rejointes, leur pratique ou leur vie prive. Bien que les travailleurs de rue aient eux-mmes une res-ponsabilit pour rpondre ces besoins, les organismes employeurs doivent fournir des moyens de support ad-quats pour assurer aux praticiens un accs aux outils ncessaires leur pratique. Ainsi, mme si chacun doit valuer sa situation singulire pour dnir ses be-soins et stratgies prioritaires, voici quelques rexions sur les conditions mettre en place pour supporter les travailleurs de rue dans lexercice de leurs fonctions. Aprs avoir abord quelques aspects de ce support, nous insisterons sur limportance de leur articulation.

    Le mandataireLa ralit des travailleurs de rue et le support dont ils disposent varient selon les organismes. Un des facteurs qui inuence cette dynamique dpend de la priorit ac-corde au travail de rue au sein du groupe mandataire. Lorsque le travail de rue est mal articul la mission et la dynamique dun organisme, on constate que les points de vue et besoins spciques des travailleurs de rue sont parfois noys dans les priorits du groupe ou mal inter-prts et ngligs (isolement, manque de support, con-currence, etc.). Que ce soit dans un organisme de travail de rue ou ayant une vocation plus large, la logique daction communautaire autonome qui sous-tend cette pratique devrait favoriser une appropria-tion collective des orientations poursuivies ainsi quune vision globale des besoins de ceux qui ac-tualisent cette mission sur le terrain. Considrant le caractre hors murs du travail de rue, une des priorits

    doit tre de supporter la participation des praticiens divers lieux dchange o ils peuvent alimenter leur iden-tit de travailleur de rue et leur sentiment dappartenance la mission de lorganisme qui les mandate.

    La clart de la mission de lorganisme et du man-dat du travailleur de rue ainsi que la cohrence des messages transmis par lorganisme reprsentent un l-ment prioritaire pour agir en toute conance sur le ter-rain. Un travailleur de rue doit connatre les attentes rel-les de son organisme et les limites qui lui sont imposes dans le cadre de ses fonctions. Dans le cas dun orga-nisme dont la mission premire nest pas le travail de rue, cela implique de clarier ds le dpart le rle spcique du travail de rue et son lien avec le mandat plus large de la bote. En outre, connatre les principes thiques auxquels adhre lorganisme, les rgles juridiques aux-quelles il se rfre ainsi que les rglements de rgie in-terne qui sy appliquent permet au travailleur de rue de saisir ltendue et les limites de son terrain dexercice. Cette conscience des frontires encadrant son tra-vail est pour lui une protection, alors que labsence de repres menace dentraner ce praticien dans des zones grises dangereuses ou, au contraire, de le paralyser par crainte de commettre des erreurs. En dautres termes, le cadre clair dans lequel sinscrit le travail de rue permet au travailleur de rue de poser clairement, son tour, son intervention auprs des personnes accompagnes.

    La coordinationLa majorit des travailleurs de rue trouve scurisant de savoir que des balises les encadrent pour viter de glis-ser et de dpasser des limites. En effet, mme sils tien-nent avoir une marge de manuvre et la conance de leur employeur, tous ceux que nous avons interviews estiment que la prsence dun cadre contribue lgi-timer leur fonction et assurer leur scurit. Le mandat de lorganisme constitue la base de ce cadre, mais cest souvent par lintermdiaire des relations avec le coor-donnateur que se traduisent ces orientations. Or, plu-sieurs coordonnateurs sentendent pour dire quil nest pas facile dencadrer et de contrler les activits des travail-leurs de rue puisquils sont, la plupart du temps, en dehors des murs (horaire, interventions, collaborations, etc.). Il faut donc rchir des modalits dencadrement adaptes au caractre singulier de ce mode daction et en penser le dosage en tenant compte du prol des can-didats recherchs pour assumer ce rle solitaire, soit des individus autonomes souvent attachs leur libert!

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  • Au cur du fonctionnement de lorganisme, les manires de faire du coordonnateur in uencent la qualit et la quantit des moyens de support dont bn cient les intervenants. Alors quun rapport constructif peut multiplier le potentiel de ressources accessibles aux praticiens, lentretien de relations dif ciles (pressions, incomprhension, ngligence) peut compromettre lactualisation de la pratique. Pour accomplir ce rle de support, chaque coordonnateur a pour d de maintenir un quilibre entre, dune part, ses fonctions de reprsentation extrieure servant soutenir lexistence de lorganisme et, dautre part, son implication dans la vie du groupe, essentielle pour en maintenir la cohsion. De plus, sur le plan des dynamiques de gestion des ressources humaines, il doit assumer sa place entre larbre et lcorce, se retrouvant parfois en position de collgue avec les autres intervenants, dautres fois oblig dagir comme boss en tant que reprsentant de lemployeur. En somme, comme cette fonction dautorit teinte fortement les relations internes, offrir aux intervenants une oreille ouverte o exprimer leurs besoins et trouver des solutions constitue un atout pour favoriser des rapports constructifs avec la direction de lorganisme.

    LquipeUne autre dimension essentielle exprime par lensemble des praticiens rencontrs est limportance davoir une quipe laquelle se rattacher. En effet, lquipe reprsente lespace o les travailleurs de rue recherchent le plus de support; loppos, ceux qui nen ont pas expriment souffrir de cette absence. Le fait dtre accueilli par une quipe lorsque lon est nouveau travailleur de rue, dtre accompagn sur le terrain par celui que lon remplace, de faire des changes interquartiers avec ses collgues, de pouvoir se rfrer eux pour partager ses observations et proccupations change compltement la couleur dune intgration dans cette pratique. long terme, lquipe reprsente un lieu dappartenance et de complicit qui alimente le quotidien des praticiens

    et permet de saccompagner mutuellement dans des moments dif ciles.

    La tenue de runions dquipe rgulires est un m-canisme de support essentiel. Permettant dchanger dif-frentes informations, de partager des perceptions sur les situations observes et dapprofondir la comprhen-sion des enjeux terrain, cet espace stimule un veil clinique collectif contribuant tisser un l conducteur pour lintervention. Aussi, comme ils sont tmoins de

    ralits heurtantes et acteurs dans des dynamiques relationnelles complexes, plusieurs travail-leurs de rue estiment que la confrontation entre col-lgues constitue une zone dapprentissage constructive o il est possible de saviser mutuellement face aux

    risques prendre, de se recentrer sur le mandat

    de lorganisme, de se rap-peler la ncessit de prendre

    soin de soi avant de craquer, de sexprimer plutt que de

    sisoler, etc.

    Les conditions dexerciceComme pour tous les intervenants, laccs

    des conditions de travail et dexercice dcentes constitue une forme de support de base. Un salaire adquat, un budget de dpenses pour le terrain (budget de rue et de transport), du matriel de travail (agenda, cellulaire, accs un ordinateur, etc.), des outils (condoms, cartes, tickets de transport, trousse de premiers soins, etc.), de lquipement adapt aux saisons (manteau, bottes, etc.), des modalits de vacances et de cong souples, un budget de ressourcement (formation, supervision, etc.) sont des moyens, pour lorganisme, de tmoigner sa reconnaissance envers lengagement professionnel du praticien. Il sagit aussi, de faon concrte, damliorer sa qualit de vie et, par consquent, de contribuer le placer dans de meilleures dispositions pour agir dans la rue. Au contraire, on sait combien des conditions de travail dif ciles reprsentent une proccupation impor-tante qui gruge trop souvent lnergie des intervenants.

    1. Le travail de rue

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  • Le ressourcementOffrir un support adquat aux travailleurs de rue ne se rsume pas mettre en place des conditions de travail et des mcanismes internes dencadrement; rendre accessi-bles des ressources extrieures constitue aussi une respon-sabilit des organismes pour assurer le renouvellement de la pratique. Par exemple, favoriser la participation des travailleurs de rue aux activits de lATTRueQ reprsente un moyen denrichir les praticiens grce aux changes entre pairs uvrant dans diffrents milieux et auprs de populations diverses. Un tel espace dappartenance contribue aussi lintgration et lapprentissage de la pratique ainsi qu la confrontation dides entre travailleurs de rue. Il favorise la prise de contact et le r-seautage entre acteurs intervenant dans des secteurs ou avec des personnes dont les trajectoires sentrecroisent. Il permet surtout de sortir de lisolement les travailleurs de rue qui travaillent seuls dans leur territoire.

    Laccs des formations propos de diverses problmatiques, mthodes ou techniques constitue un moyen de ressourcement important pour favoriser lamlioration des comptences professionnelles des praticiens. Par exemple, devant lampleur des situations de fragilisation de la sant mentale observe par les travailleurs de rue, ce champ de connaissances mrite dtre approfondi. Certaines approches dintervention, en particulier la rduction des mfaits, sont aussi des dimensions mieux matriser. Par ailleurs, quoique plusieurs formations soient disponibles pour les travailleurs de rue, on dplore que leur caractre ponctuel rsulte en un apprentissage fragment o sont escamots les fondements et balises mthodologiques en travail de rue. Plusieurs estiment quil manque un espace pour intgrer leur comprhension des divers phnomnes sociaux dun point de vue plus proche de leur ralit terrain ainsi que pour rchir et sapproprier le sens de leur pratique spcique. Les discussions sur la dnition du travail de rue se limitant souvent aux enjeux idologiques, on dplore ne pas approfondir une rexion ancre dans les enjeux de la pratique an de nourrir le dploiement de ce mode daction singulier. Cet aspect semble une carence tant en termes de formation que daccompagnement. Ainsi, les travailleurs de rue trouvent prioritaire que soient valorises auprs deux les stratgies spciques au travail de rue, tant au moment de limplantation que tout au long de leur pratique.

    Laccompagnement professionnelComme le travail de rue est men en solitaire sur le ter-rain, ltablissement dun lien de conance est essentiel aux travailleurs de rue pour questionner leur pratique. An de bien sorienter, les travailleurs de rue gagnent tre supports dans la recherche de ressources person-nalises et adaptes leurs prol et besoins spciques, que ce soit sur la base dun compagnonnage avec un vtran de la pratique, dune aide psychologique offerte en milieu de travail, dune consultation prive avec un professionnel spcialis ou encore dans le cadre dune supervision telle quaborde dans le prsent ouvrage. Comme nous le verrons tout au long de ce guide, le re-cours un superviseur expriment contribue non seule-ment se scuriser, mais permet aussi dapprendre explorer et exposer sa pratique, poser un regard sur ce que lon fait. Aussi, le fait de nommer ses actions et de recevoir du feedback peut aider mieux matriser sa pratique, rendant le travailleur de rue plus conant et crdible dans son rle. Sur ce point, bien que certains organismes soient en mesure dapporter une supervision clinique interne, le prsent guide sinspire de la supervi-sion extrieure pour baliser ce mode daccompagnement professionnel offrant aux travailleurs de rue un espace de rexivit o se remettre en question en toute libert dexpression.

    Ladquation des besoins et des moyensLensemble des moyens de support numrs ici tmoigne de lampleur des besoins que peuvent prouver les travailleurs de rue. Cet ventail met surtout en relief les nombreuses stratgies que peuvent mettre en place les organismes pour assurer la rtention des praticiens et ainsi les faire perdurer sur le terrain. Considrant les nombreux effets pervers et ngatifs du roulement de personnel dans la rue, il faut prendre conscience que les conditions difciles et le manque de support au sein des organismes reprsentent trop souvent un des facteurs qui poussent les travailleurs de rue vers la sortie.

    En somme, chacun doit rchir des modalits de support adaptes aux conditions organisationnelles de lorganisme et au prol des praticiens. la lumire dun portrait des moyens de support offerts au sein du groupe (expertise en TR, runions dquipe, coordonnateur clinique, formations, etc.), on peut valuer la complmentarit de ces stratgies an dviter les carences, lparpillement ou les concurrences entre les diffrents lieux de ressourcement quutilisent les praticiens. Cette vision densemble permet aussi dvaluer

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  • POUR ALLER PLUS LOIN... Pour faire vous-mmes le portrait des moyens et des besoins de support au sein de votre organisme, rfrez-vous loutil 1 de lannexe 1. POUR EN SAVOIR PLUS...Consultez les rfrences bibliographiques sur le travail de rue lannexe 3.

    1. Le travail de rue

    lampleur des besoins de supervision des travailleurs de rue, la formule privilgie (ex.: de groupe ou individuelle) ainsi que le mandat donner au superviseur. Il sera par ailleurs essentiel de prsenter ce tableau global lventuel superviseur a n quil puisse contextualiser les besoins du ou des travailleurs de rue sadressant lui. La prise en compte de cette dynamique dorganisme par le superviseur est indispensable pour que celui-ci apporte un support adquat, cohrent et complmentaire.

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  • 2.LA SUPERVISION, UNE PRATIQUE DACCOMPAGNEMENT PROFESSIONNEL

  • 2.1LES DOMAINES La pratique de la supervision est surtout rpandue en ducation, dans le cadre de la formation des matres, en travail social et autres domaines cliniques ainsi quen gestion des ressources humaines en milieu industriel. videmment, selon ces diffrents contextes de travail, les approches, philosophies et mandats de la supervi-sion varient grandement. Bien que nous puissions trou-ver quelques convergences entre ces domaines, il est difcile didentier dans la littrature sur la supervision les proccupations spciques du travail de rue. Aussi, lorsquon aborde la supervision, quelques autres formes de support professionnel sont examiner pour en faire sortir les similarits et diffrences. Le coaching, le men-torat et le compagnonnage sont parmi les autres formes de consultation partageant une certaine parent avec la supervision.

    Le terme coaching , emprunt la culture sportive, est surtout rpandu dans le monde des affaires et la ges-tion du personnel, mais est aussi utilis dans dautres domaines. Partageant plusieurs caractristiques de la supervision clinique, le coaching se veut une pratique daccompagnement des personnes et des quipes visant le dveloppement de leurs potentiels, et ce, partir de la dnition de leurs besoins, moyens, objectifs et stratgies professionnels. Gnralement, un coach est embauch par une organisation pour y dynamiser la capacit de prise en charge et dinitiative.

    Prsent dans diffrents domaines (secteur gouvernemental, milieu des affaires, professions diverses), le mentorat sinscrit davantage dans une perspective de formation continue et de transmission des savoirs. Lapproche du mentorat implique ltablissement dun lien interpersonnel entre une personne dexprience et une autre moins exprimente en vue dassurer un transfert intergnrationnel de connaissances et de comptences. Misant sur lengagement mutuel, le mentor se veut un compagnon de cheminement prt accompagner son mentor travers son processus de ralisation et les diverses transitions que cela implique.

    Le compagnonnage partage diverses afnits avec le mentorat la diffrence quil se fonde sur une relation plus horizontale base sur lchange, lapprentissage et lassistance mutuelle entre collgues. Abordant le travail davantage comme un mtier quune profession, cette

    approche oriente vers le partage de savoirs pratiques provient des milieux ouvriers et artisans, mais traverse aujourdhui diffrents domaines, dailleurs mise prot au sein mme de lATTRueQ.

    Dautres formes de relations de support ont cer-taines caractristiques en commun avec la supervision: la consultation organisationnelle ou professionnelle im-pliquant la rencontre ponctuelle dun consultant sollicit pour obtenir des informations et des conseils spciques; la mdiation de groupe sollicite lorsquun conit latent ou exprim ncessite lintervention dun tiers charg douvrir de nouvelles voies de communication; lintervention psy-chologique utilise sur une base individuelle et collective dans un objectif de dbrieng, par exemple face une situation de crise; la formation continue servant despace collectif dapprentissage formel, etc.

    Comme nous le verrons plus loin en abordant les cou-rants de supervision, lensemble de ces pratiques a des bases communes et se rencontre dans divers styles et formules hybrides. Lide matresse qui semble le mieux dessiner le lon commun de ces pratiques se retrouve loin dans lhistoire, remontant jusqu Socrate qui, ls de sage-femme, proposait une dmarche maeutique de rexion en stimulant laccouchement des penses travers lart de faire dcouvrir linterlocuteur, par une srie de questions, les vrits quil a en lui (dnition du Petit Larousse illustr 2005). Ainsi, quoiquil soit important de mettre en relief les diffrences entre ces pratiques an dviter des glisse-ments infructueux, on pourrait dire que le superviseur daujourdhui, en tant quaccompagnateur de che-minement, partage avec les consultants anciens et modernes la tradition doccuper un rle de guide et de passeur, agissant la fois comme catalyseur et rvla-teur dans le processus de construction identitaire dun praticien...

    En somme, la supervision, mme si elle constitue en soi une pratique spcique, peut sinspirer ou entretenir des afnits avec divers modes daccompagnement pro-fessionnel tels que dcrits ici. Ainsi, selon les orien-tations adoptes, les aspects abords et lapproche du superviseur, on pourra associer la supervision un style plus ou moins proche du coaching, du mentorat, du com-pagnonnage, de la consultation clinique, organisation-nelle ou psychologique, par exemple.

    2.LA SUPERVISION, UNE PRATIQUE DACCOMPAGNEMENT PROFESSIONNEL

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  • 2.2LERLEAyant situ lensemble des mthodes daccompagnement professionnel, attardons-nous plus spci quement aux d nitions de la supervision. Quatre principales fonctions sont associes cette pratique dans la littrature en ducation et en travail social:

    Une premire fonction, dordre administratif, consiste assurer le contrle de la qualit par la mise disposition dune personne-ressource aidant le travailleur intgrer et respecter les procdures et politiques de lorganisation.

    Une deuxime fonction, pdagogique, mise sur la transmission de connais-sances et le partage de comp-tences ainsi que sur le dveloppe-ment dhabilets et dattitudes pertinentes au travail ralis.

    Une troisime fonction, de support, vise aider les intervenants saisir les effets des stress relis leurs implications a n de sen dgager et de renouveler lquilibre personnel ncessaire pour assurer laide aux personnes accompagnes.

    En n, une quatrime fonction, ciblant des ob-jectifs cliniques, sert mener un examen critique des interventions, alimenter le jugement professionnel de lintervenant ainsi que sa capacit de diagnostiquer une ralit et dagir en situation.

    Du Ranquet (1976) souligne, propos de la supervision en travail social, que cette pratique consiste en un contact rgulier de lintervenant avec quelquun dexpriment qui le connaisse et connaisse son travail, a n dexaminer ensemble sa position particulire et ses ractions dans sa tche quotidienne. Comme le propose le terme super-vision , cette forme de support rpond au besoin de se voir dans sa profession et de porter un regard critique sur sa pratique.

    Il sagit en ce sens dun espace scuritaire fond sur une relation de con ance avec une personne exprimente o examiner les dynamiques dans lesquelles on est impli-

    qu comme intervenant a n de mieux saisir les ractions quelles suscitent en soi. Grce la supervision, cette mise en perspective aide ensuite mieux se situer et agir dans les situations rencontres. La supervision rpond des besoins immdiats, mais sinscrit aussi dans un pro-cessus dapprentissage favorisant lintgration de la tho-rie dans la pratique en stimulant lutilisation des savoirs et valeurs professionnels, lacquisition de nouvelles com-ptences et lamlioration de ses propres aptitudes. Par la r exion quelle suscite, cette dmarche nourrit aussi le dveloppement personnel et professionnel des praticiens en favorisant une prise de conscience de leur volution aux plans de lautonomie et de lidentit.

    Selon quelle est dispense par une personne-ressource interne ou externe, la supervision se voit plus ou

    moins rattache lune ou lautre des fonctions mentionnes plus

    haut ainsi quaux enjeux qui en dcoulent. Par exemple,

    une supervision assure par un suprieur au

    sein de lorganisme (ex.: coordonnateur

    clinique, responsable de lintervention)

    peut aborder diffrents aspects, mais demeure

    plus directement engage dans la premire fonction de

    contrle de la qualit que ne lest une supervision extrieure. En consquence de cette importante responsabilit valuative et organisationnelle dun superviseur interne, certains autres aspects de la supervision sont moins faciles approfondir dans ce contexte, alors que le supervis peut hsiter soulever des enjeux qui le concernent et quil a besoin de mrir avant de les partager avec ses suprieurs. Bien que nous ne rfrions pas tout au long de ce guide cet enjeu du statut du superviseur, nous dvelopperons ici la pertinence dune certaine extriorit puisque, mme si elle est plus directement vidente pour un superviseur externe, elle peut aussi inspirer un coordonnateur dans ses dmarches de supervision linterne.

    sances et le partage de comp-tences ainsi que sur le dveloppe-

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  • 2.3LAPOSITION Le mot supervision drive du latin super/au-dessus et vedere/voir . En ce sens, le superviseur est dni comme quelquun qui regarde lensemble du travail dune autre personne. Dans un cadre institutionnel, tel quau sein des services sociaux ou des structures scolaires, cette position implique une dimension de contrle de la qualit, alors que le superviseur est souvent un suprieur immdiat qui assure linterne laccompagnement des intervenants et enseignants. Dans un contexte de travail de rue, quoique la notion de super-vision suggre aussi une position dlvation du regard sur une situation, elle propose non pas une supriorit hirarchique et professionnelle, mais plutt une extriorit pdagogique et analytique. Mettant prot son il extrieur pour approfondir la comprhension et lvolution de lintervention, le superviseur joue un rle de tiers dans la vie du travailleur de rue, lui permettant de rchir sur sa position dans ses relations, que ce soit dans ses liens avec le milieu et les personnes accompagnes, avec lorganisme ou les autres intervenants ou, encore, dans son rapport vie prive et publique. Dgag des enjeux relationnels dans lesquels se retrouve le travailleur de rue, le superviseur peut couter, questionner et confronter sans faire peser la menace de consquences personnelles ou professionnelles.

    Cette position de tiers quoccupe le superviseur lui per-met non seulement de se dgager dun rapport hirar-chique face lintervenant supervis, mais donne aussi plus de perspective son regard que ne peuvent en avoir un proche ou un patron, eux aussi colls le nez dans la fentre. Cette relation avec un tiers super-viseur rend donc possible pour les praticiens louverture dun espace de libert de parole, de dfoulement, de questionnement et de confron-tation o exprimer des non-dits et rechercher des dnouements aux impasses relationnelles vcues avec les personnes accompagnes ou en-core au sein de lorganisme.

    Cette distance permet aussi au superviseur dadopter des angles de vue originaux et complmentaires qui contribuent largir les horizons du travailleur de rue face aux relations et aux situations rencontres. Quoique lcoute et le questionnement soient la base

    de laccompagnement du superviseur, lintervention de ce dernier nest pas un outil neutre et vhicule des valeurs travers la relation tablie avec lintervenant supervis. Ainsi, bien que lautonomie du superviseur soit essentielle pour maintenir sa distance critique face aux acteurs impliqus, il importe que les valeurs dont il est porteur ne soient pas en contradiction avec celles du supervis ni avec celles de son organisme ou de la communaut de pratique laquelle il appartient (ex.: ATTRueQ).

    Dans le domaine du travail de rue, cette position de tiers est occupe de diffrentes manires par des superviseurs qui ont un rapport variable de proximit/extriorit face aux praticiens superviss. Dans la plupart des cas, il sagira dun ancien travailleur de rue devenu superviseur qui, tout en ayant un lien avec la pratique, est dtach du contexte dans lequel exerce le supervis. Dautres superviseurs sont non seulement extrieurs lorganisme mais aussi la pratique; par exemple, un psychologue ou un travailleur social engag dans une relation daccompagnement dun travailleur de rue partir de sa propre expertise et de sa connaissance acquise du travail de rue. Ces divers enjeux qui traversent la position du superviseur avec les acteurs concerns sont examins sous plusieurs angles dans le prsent document, alors que les points de vue varient normment chez les personnes interviewes quant aux conditions de choix du superviseur et du type de supervision.

    2.4LESMANDATS partir des lments de dnition identis jusquici, on constate que la supervision a pour rle de favoriser loffre du meilleur service pos-sible de la part de lintervenant an de rencon-trer les besoins des personnes aides, ceux de lorganisme, ceux du milieu ainsi que les pro-pres besoins du travailleur. Autrement dit, les su-perviseurs sont perus comme ceux qui aident les inter-venants aider les personnes quils accompagnent en maximisant les consquences positives pour tous.

    Pour les employeurs, linvestissement dans la supervision rpond un objectif de gestion des ressources humaines visant assurer et renouveler la qualit des services offerts. Le mandat attribu par les organismes

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  • au superviseur consiste donc accompagner et encadrer les praticiens dans une rexion autocritique et constructive sur leur pratique de manire les rendre capables damliorer leur performance dans le respect des principes thiques qui rgissent leur fonction. En ce sens, investir dans la supervision quivaut investir dans la consolidation et le dveloppement des services offerts. La supervision peut aussi tre interprte comme une responsabilit professionnelle lgard des personnes accompagnes qui ont le droit de retrouver leurs cts des intervenants quilibrs et disposs leur apporter un support consistant, plutt que des individus risquant de les emptrer dans leurs difcults travers un accompagnement chaotique ou dstabilisant.

    La supervision rpond dabord un besoin de progres-sion et de maturation professionnelles. Ainsi, en partageant un regard critique sur ses processus de tra-vail, le superviseur aide lintervenant traduire son ana-lyse et son projet dans les phases dune action concrte, supportant au fur et mesure le dveloppement de ses capacits professionnelles de perception, de rexion, de comprhension et dintervention. Travaillant partir des lments amens par le supervis sous une forme narrative, descriptive ou interrogative, la supervision ou-vre un espace dapprentissage o intgrer ses connais-sances acquises en les modulant selon les vnements et proccupations qui surviennent au l du temps.

    Du point de vue des intervenants, la supervision reprsente aussi un espace de questionnement o exposer et lucider les enjeux rencontrs dans la pratique, rpondant ainsi un besoin de ventila-tion par rapport aux stress associs leur travail. Cette dmarche dintrospection permet au praticien danalyser les rapports de rciprocit qui traversent ses relations et de trouver les moyens de porter un nouvel clairage sur les personnes accompagnes sans linterfrence de lcho quelles lui renvoient (contre-transferts). Il peut aus-si proter de ce lieu pour vacuer son trop-plein, ventiler ses motions, remettre en question ses ractions, valo-riser ses bons coups et analyser ses erreurs. La supervi-sion permet galement lintervenant de renforcer son systme de dfense pour maintenir sa force dintervenir en situation difcile ou encore de reconnatre et formuler ses besoins supplmentaires de support (ex.: thrapie) pour y parvenir.

    Au plan clinique, les travailleurs de rue interviews veulent donc trouver dans la supervision un espace

    o analyser les situations quils rencontrent et les interventions quils mnent an dafner leur lecture et de renforcer leur capacit dagir. Face certaines situations particulirement complexes, ils veulent proter de lexpertise et du partage dinformation avec le superviseur pour approfondir leur comprhension et rchir des stratgies dintervention adaptes. Ils recherchent galement une occasion de faire le point sur leur situation, de constater leur volution, de confronter leurs intentions, de reconnatre leurs besoins, de se rebrancher sur leurs motivations et dlargir leur vision. En somme, les praticiens voient la supervision comme un lieu de dveloppement personnel et professionnel favorisant une orientation plus claire de leur trajectoire de travailleur de rue.

    travers cette position de tiers et la lumire des attentes qui lui sont adresses, le superviseur se donne comme mandat de crer un espace scurisant o les praticiens peuvent exposer leur travail en toute condentialit. Exigeant de sa part la capacit dinstaller un rapport de conance, fond sur sa comptence, sa crdibilit et sa cohrence, le superviseur a pour rle douvrir des opportunits de rexion et dexpression libre permettant aux travailleurs de rue de prendre du recul par rapport aux situations vcues, les aidant au l de leur pratique tirer des leons constructives et prendre des dcisions adquates. De la mme manire que le suggre la littrature, les superviseurs interviews estiment que leur principale responsabilit nest pas de questionner, mais plutt de mettre en place un possible questionnement. Ils estiment que cest ainsi quils peuvent le mieux accomplir le postulat essentiel de la supervision selon lequel chaque individu saura fonder sa propre libert et raliser sa responsabilit individuelle dans la mesure o il dispose des espaces et du temps pour en construire le sens.

    2.5LESORIENTATIONSConsidrant la varit des courants de supervi-sion et les opinions divergentes sur les approches privilgier, nous avons choisi de faire ressortir les dbats autour de leurs potentialits et limites respectives. Aussi, mme si diffrents styles sont ici d-coups en catgories, il est vident que la ralit offre des combinaisons bien plus originales en fonction des

    2. La supervision, une pratique daccompagnement professionnel

    27

  • comptences et des expertises des superviseurs. En nous rfrant aux thmes abords dans la littrature, nous iden-tierons certaines polarits entre lesquelles balancent les options de la supervision dans le champ de la supervision en travail de rue. Les deux axes de tension principaux que nous aborderons pour distinguer les types de supervision ont trait lidentit professionnelle du superviseur ainsi qu laccent plus ou moins prononc du support psychologique en supervision.

    Le premier axe de tension renvoie lexpertise et lidentit professionnelle du superviseur. Presque toutes les formes de supervision dont parle la littrature con-sulte voquent des superviseurs issus de la profession quils supervisent. Dans des cadres institutionnels sco-laires ou de services sociaux, un tel mcanisme semble aller de soi, alors quil en va autrement dune pratique htrogne comme le travail de rue. Sur ce point, plu-

    sieurs acteurs pensent essentiel dassurer la transmission du travail de rue par le biais de la supervision, alors que dautres prfrent recourir des professionnels issus dautres spcialits an de porter un regard renouvel et complmentaire sur leur pratique.

    Pour les tenants dune supervision spcique en travail de rue, une telle approche est ncessaire an doutiller les praticiens agir dans une logique adapte la

    VARIANTES DES ORIENTATIONS EN SUPERVISION

    Expert TR(ex-praticien, formateur, coordonnateur, etc.)

    Enjeux mthodologiques et cliniques spci-

    ques au travail de rue

    Expert autre(psychologue, travailleur social, organisateur communautaire, etc.)

    Enjeux mthodologiques

    et cliniques gnraux ou lis

    une expertise

    Vcu intime en tant quindividu abord dun point de vue TR

    A X E 1

    A X

    E 2

    Support psychologique Support pdagogique

    Vcu intime en tant quindividu abord dun autre point de vue

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  • ralit de la rue. La supervision doit, selon eux, aider aborder le travail de rue en tant que pratique capable de composer avec les risques an de sortir des sentiers battus des structures dintervention traditionnelles. La supervision doit alimenter la capacit dintervenir de manire originale en mettant prot la position hors murs du travail de rue pour agir avec des personnes en rupture avec les structures sociales. Une telle perspective de supervision contribue dvelopper des moyens de se positionner comme tmoin de ralits heurtantes face auxquelles on ne peut toujours ragir sur le vif. Il sagit alors de renforcer la capacit des travailleurs de rue rester disponibles lautre malgr la souffrance ainsi qu apprendre ne pas agir dans lurgence pour viter de compromettre les personnes impliques. Il sagit aussi dapprendre exploiter sa marge de manuvre de manire constructive pour transformer les conditions qui crent ces situations difciles.

    Selon certains, un superviseur qui ne possde pas une bonne connaissance du travail de rue ne peut aussi fa-cilement quun ex-travailleur de rue saisir la position et le rle dun intervenant dans un contexte de rue. Par ex-emple, alors quun superviseur inexpriment en travail de rue risque de sous-estimer des enjeux de scurit ou au contraire damplier des craintes non fondes, un su-perviseur ayant dj fait lexprience du terrain possde davantage de repres pour questionner le travailleur de rue sur les lments cls assurant sa scurit (respect des codes du milieu, contacts avec des poteaux, reprage des dynamiques, etc.). Aussi, vu la uidit des rapports entre la vie prive et professionnelle, la supervision doit questionner les limites et frontires que vivent les travail-leurs de rue dans leurs relations avec le milieu. L en-core, le manque dexpertise terrain peut amener le superviseur orienter le praticien vers un rapport de distanciation professionnelle inadapt cette pratique ou encore ngliger de confronter cette zone souvent bouscule travers la proximit du travail de rue. Dun autre ct, un des piges qui guette un ex-travailleur de rue devenu superviseur serait de tomber dans des glisse-ments personnalistes de rfrence exclusive sa propre exprience pour interprter les situations rencontres par ceux quil supervise; selon lattitude du supervis, cela pourrait driver vers un rapport mimtique ou du rejet limitant la porte pdagogique de la supervision.

    Pour dautres praticiens, lappartenance professionnelle du superviseur parat moins dominer leur choix, cette personne-ressource ntant pas vue comme un mentor

    charg de transmettre la pratique, mais plutt comme un clinicien sollicit pour partager son expertise spcique ou comme un coach motivant la mobilisation des forces des intervenants. Mme sils trouvent important que le superviseur saisisse la particularit de leur mode daction, ces praticiens valuent quun clairage professionnel diffrent favorise la prise en compte daspects autrement occults propos des ralits des personnes rejointes. Aussi, mme si le travailleur de rue peut moduler dinstinct son intervention, lapport dautres expertises permet dajuster des stratgies dintervention adaptes certaines problmatiques spciques (ex.: sant mentale, toxicomanie, etc.). De plus, la mise distance suscite par ce processus de thorisation clinique favorise le maintien dune disponibilit du travailleur de rue lautre.

    En somme, certains estiment que la supervision devrait dofce tre mene dans un cadre spcique de travail de rue, alors que dautres abordent cela avec nuances. Modulant le choix de la supervision selon lanciennet du praticien et les moyens de support disponibles dans lorganisme, un travailleur de rue qui a accs aux runions dquipe, au soutien clinique et une formation de base en travail de rue disposerait de sources dinspiration suf-santes pour sa pratique et pourrait choisir dutiliser la supervision dautres ns. Au contraire, un travailleur de rue isol dans un organisme offrant peu dexpertise et de support terrain aurait besoin dune supervision fortement centre sur le travail de rue pour favoriser son appropria-tion de la pratique.

    Le deuxime axe de tension concernant les orienta-tions de la supervision pose lenjeu du type de support apport par le biais de ce mode daccompagnement plutt orient vers un support pdagogique ou psychologique. La majorit des auteurs consults estime que mme si le support psychologique fait partie de la supervision, il im-porte de diffrencier cette relation pdagogique dune intervention centre sur la relation daide. En effet, mme si lintervenant peut y dvelopper la conscience de ses sentiments, motions et capacits relationnelles, la super-vision ne porte pas directement sur sa personne mais bel et bien sur sa pratique. En ce sens, mme si ce proces-sus pdagogique peut, certains moments, sapparenter une psychothrapie, vu le caractre introspectif quil implique, la relation dapprentissage professionnel doit demeurer prioritaire dans ce jeu dquilibre entre les as-pects didactiques et psychologiques de la supervision.

    cet gard, mme si tous sont daccord sur le fait que

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    2. La supervision, une pratique daccompagnement professionnel

  • POUR ALLER PLUS LOIN... Pour articuler le mandat de la supervision et en d nir les orientations, rfrez-vous loutil 2 de lannexe 1. POUR EN SAVOIR PLUS...Consultez la section supervision de la bibliographie lannexe 3.

    diverses interfrences entre la vie prive et professionnelle obligent tenir compte des aspects intimes du vcu du travailleur de rue, tous naccordent pas la mme importance cette dimension en supervision. Pour certains, la connaissance de soi, la ventilation des motions et le dveloppement personnel sont les aspects les plus importants approfondir puisquun travailleur de rue en meilleure sant psychologique est mieux dispos agir avec les autres. Dans le mme sens, plusieurs pensent quune attention particulire doit tre accorde aux dynamiques interpersonnelles et collectives en supervision dquipe puisque la qualit de la vie de groupe in uence directement ltat desprit et la disposition des intervenants. Cela tant dit propos des besoins psychologiques des praticiens, plusieurs identi ent le risque que la supervision glisse vers une dmarche psychothrapeutique si on accorde trop dimportance ces dimensions. Ainsi, la majorit estime que des limites doivent encadrer cette dmarche pour en maintenir la pertinence professionnelle; selon eux, les aspects personnels abords devraient tre lis au vcu professionnel et les travailleurs de rue devraient se diriger vers un thrapeute dans leur vie prive sils en ressentent le besoin. Dans le mme sens, mme si les supervisions de groupe devraient aborder des dimensions relationnelles, il importe de se prserver dun glissement vers la thrapie de groupe.

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    2. La supervision, une pratique daccompagnement professionnel

  • 3.LESFACETTESDE LA SUPERVISION

  • 3.1LESASPECTSABORDSQuoique leur classement soit approximatif et que les thmes sentrecroisent dans la ralit, on peut identi er six catgories daspects abords en supervision. Mme si plus dun aspect peut tre abord en supervision, on peut souvent identi er une ou deux catgories auxquelles sattache davantage un superviseur, plus ou moins associes lune ou lautre des orientations dcrites au point 2.5. En effet, lintrt sur lequel se concentre le superviseur constitue lun des indices permettant le mieux de situer sa position dans le spectre des orientations de la supervision, voire aussi le modle daccompagnement professionnel duquel il sinspire le plus (voir au point 2.1.).

    Accompagner dans la transmission et lappropriation de la pratiqueTerrain, espaces, culture, position dans le milieu, poteaux, rseaux, scurit, frontires, instincts, etc.Centr sur lapproche

    Af ner la lecture, les connaissances et les stratgies dinterventionPopulations cibles, ralits, situations, analyse de cas, interventions, rsolution de problmes, etc.Centr sur les interventions

    Soutenir lanalyse des enjeux sociaux et larticulation dune stratgie collective Acteurs, enjeux sociaux, revendications, lutte la discrimination, action collective, changement social, etc.Centr sur le projet social

    Dynamiser lorganisation et la communication au travail en vue damliorer lactionDynamique de groupe, cohsion, orientations, organisation du travail, plan daction, etc.Centr sur la tche

    Accompagner lindividu dans son vcu et son cheminementTrajectoire, sentiments, identit, relations, rapport entre la vie prive et professionnelle, con ance, etc.Centr sur la personne

    Assurer une dmarche de r exivit sur les enjeux qui traversent la pratiqueValeurs, engagement, drives, risques, situations limites, passages lacte, code dthique, etc.Centr sur le sens

    LES ASPECTS COUVERTS EN SUPERVISION

    ASPECT MTHODOLOGIQUE

    CONTENURLE DU SUPERVISEUR

    CONTENURLE DU SUPERVISEUR

    ASPECT CLINIQUE

    CONTENURLE DU SUPERVISEUR

    ASPECT SOCIOPOLITIQUE

    CONTENURLE DU SUPERVISEUR

    ASPECT ORGANISATIONNEL

    CONTENURLE DU SUPERVISEUR

    ASPECT PSYCHOLOGIQUE

    CONTENURLE DU SUPERVISEUR

    ASPECT THIQUE

    3.LESFACETTESDE LA SUPERVISION

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  • PREMIER ASPECT: le volet mthodologiqueDun point de vue mthodologique, la priorit du su-perviseur est dassurer la transmission des fondements du travail de rue et daccompagner le supervis dans lappropriation de cette pratique. Son rle est daider le travailleur de rue intgrer divers savoirs et savoir-faire au sein dune vision cohrente de lintervention pour laquelle il est mandat. Se rfrant aux princi-pes mthodologiques du travail de rue, le superviseur cherche avec le supervis approfondir sa capacit dinterprtation des situations partir dune lecture stratgique de la culture et des enjeux de la rue. Sur cette base, il supporte avec lui le dveloppement de stra-tgies daction adaptes au milieu o il sinvestit. Cette comprhension socioculturelle est essentielle au travail-leur de rue pour dployer des modes daction colls la ralit de ceux quil rejoint dans leurs espaces de vie.

    Parmi les aspects abords dans laxe mthodologique, toutes les notions associes la spci cit du travail de rue en tant quapproche valorisant le aller vers et le tre avec sont explorer. Ainsi, lintgration dans un territoire, la prsence terrain, la cration de contacts, ladaptation aux saisons et la mouvance du milieu, les jeux de frontires entre acteurs et territoires sont des exemples de thmes abords. Le travailleur de rue est invit dcrire de long en large ses observations de manire augmenter lacuit de son regard en tant que tmoin-acteur privilgi dans lespace de la rue. Il est encourag mrir ses stratgies de pntration des milieux a n de tenir compte de leur culture spci que et dassurer une intgration adquate et stratgique. Aussi a n de maximiser la porte de ses efforts, le travailleur de rue est appel r chir aux faons de maintenir un bon degr daccessibilit et de disponibilit tout en dveloppant des stratgies de mobilit moins nergivores.

    La toile de relations du travailleur de rue sera gale-ment analyse pour assurer une complmentarit de contacts (jeunes, adultes, communaut, crime organis, intervenants, etc.) lui permettant de bien sintgrer dans les rseaux tout en vitant un parpillement infructueux. En outre, les interventions menes seront envisages dun point de vue travail de rue, insistant particulire-ment sur la valeur du lien daccompagnement cr avec les personnes et sur le respect de leur globalit et de leur autonomie de choix. Une autre proccupation aborde en supervision aura trait aux enjeux de scurit du travailleur de rue: les attitudes de ce dernier, son rythme dintgration, ses stratgies et alliances sur le terrain, ses prcautions et les conditions quil met en place seront

    rgulirement rviss de manire assurer son intgrit physique et psychologique. Plus celui-ci sera en matrise de ces aspects, plus il augmentera sa capacit de pren-dre des risques calculs...

    Exemples Un travailleur de rue consulte son superviseur sur les moyens daccder une piquerie. Ils valuent ensemble le contexte spci que du milieu vis, les stratgies et le rythme pour sin ltrer, les enjeux de sa prsence dans ce milieu, les mesures de scurit adopter: tablir un contact avec des poteaux ables, attendre dtre invit, viter dagir en voyeur, respecter les airs de la maison, discrtion lgard du lieu, etc.

    Un superviseur se porte lcoute du dsir dun nouveau travail-leur de rue dentrer en action tout en veillant sa conscience sur les enjeux daller trop vite ainsi que sur les avantages stratgiques long terme dassurer une bonne intgration dans le milieu.

    La connaissance de la mthodologie en travail de rue four-nit une cl importante en supervision puisquelle permet dadapter les sujets abords ltape dintgration du praticien supervis. Le tableau qui suit propose quelques indices des proccupations pouvant occuper lesprit du travailleur de rue ces diffrentes tapes et desquelles un superviseur peut sinspirer pour orienter des sujets de discussion avec les superviss (voir lannexe 2 une r- exion plus labore sur ce sujet).

    PHASE PISTES DE SUPERVISION0 1 AN OBSERVATIONPNTRATION

    connaissance de soi (motivations, valeurs et PPP -peurs, prjugs, princi-pes- )

    appropriation des fondements du TRstratgies dobservation culture du milieurapport au rythme sentiment dinutilit connaissance de lorganisme

    1 2 ANSINTGRATIONIMPLANTATION

    exploration de sa crativit stratgie dintgration (poteaux, rseaux, position dans la rue, etc.)

    dveloppement de liens signi catifs appartenance lquipe rapport aux autres intervenantsdiscipline personnelle

    PHASE PISTES DE SUPERVISION

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  • DEUXIME ASPECT: le volet cliniqueEn ce qui concerne les proccupations dordre clinique, le rle du superviseur est dagir comme consultant pour af ner les connaissances des travailleurs de rue face aux ralits que vivent les personnes rejointes. Il a donc pour tche daider les travailleurs de rue dvelopper leur capacit de dcortiquer les situations rencontres et de mobiliser les connaissances ncessaires pour agir. Il favorise leur r exion sur les stratgies pour entrer en contact avec les personnes en tenant compte de leurs spci cits (rue, consommation de drogues, marginalit, etc.) et des consquences lies leurs conduites ris-ques. Partant de situations-problmes amenes par les

    intervenants superviss, le superviseur peut apporter un clairage complmentaire pour chercher ensemble des stratgies dintervention adaptes au problme cibl.

    Les ralits abordes par les travailleurs de rue varient et leurs zones de mconnaissance aussi, que ce soit en fonction de leur pro l, de leur mandat ou du milieu dans lequel ils exercent. Parmi les sujets souvent relats prioritaires, les questions rattaches aux troubles de sant mentale occupent une place importante et sollicitent la contribution dintervenants experts dans le domaine, capables dadapter leurs connaissances au contexte du travail de rue. La surconsommation de drogues et dalcool continue aussi dtre une proccupation majeure pour laquelle les formations reues sont souvent insuf santes en termes dapprofondissement de stratgies dintervention ou encore inadaptes aux ralits rencontres. Diffrents aspects lis la sexualit ou encore la violence sexuelle exigent aussi, selon plusieurs, une analyse approfondie et mise jour. En outre, la problmatique du suicide pose souvent des d s aux travailleurs de rue qui ont besoin de ressourcement pour faire face la dtresse des personnes vivant de telles idations. Laccompagnement des personnes dans la maladie, en particulier lorsque la mort se rapproche, fait aussi appel des habilets rarement exploites pour lesquelles la plupart nont pas t forms.

    Les ralits interculturelles demandent galement de plus en plus souvent llaboration de stratgies dintervention adaptes. Les dynamiques familiales dif ciles, les relations avec les institutions telles que la DPJ, les situations impliquant des rapports avec la justice et la loi peuvent ncessiter le recours lexpertise dun intervenant capable daider analyser les situations rencontres par les travailleurs de rue et trouver avec eux des pistes de rsolution. Le phnomne de gangs peut galement exposer diverses situations exigeant des connaissances pointues approfondir dun point de vue clinique. En n, lanalyse approfondie est particulirement utile lorsque les travailleurs de rue accompagnent des personnes vivant des ralits dif ciles multiples compromettant trop souvent leur accessibilit et ligibilit aux services dont elles ont besoin.

    ExemplesUn travailleur de rue value rebours avec son superviseur une intervention lui ayant pos un dilemme, alors quune personne accom-pagne lui a demand dobtenir une seringue propre pour sinjecter au moment mme dune dmarche dans un service de sant. Dans une

    2 3 ANSACTION

    connaissance des problmatiques dveloppement de stratgies daction

    dosage dinvestissement lien/inter-vention

    sentiment dimpuissance vs toute-puissance

    rapport lorganisme

    PHASE PISTES DE SUPERVISION

    3 ANS ET +RENOUVELLE-MENT

    valuation des impacts de la pra-tique

    profondeur danalyse bilan professionnel et personnel stratgies de repositionnement dans le milieu

    perfectionnement des connaissances besoin de ressourcement contribution la vie associative

    PHASE PISTES DE SUPERVISION

    5 ANS ET +BOUCLE

    rtrospectionorientation de laprs-TRdeuilsstratgies de fermeture des liens pistes de transmissionappropriation et transfrabilit des acquis

    PHASE PISTES DE SUPERVISION

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  • logique de rduction des mfaits, ils soupseront ensemble les enjeux dune telle stratgie dintervention.

    Un travailleur de rue approfondit avec son superviseur une r exion sur les enjeux affectifs, psychologiques, relationnels, culturels et familiaux face la situation dun couple adolescent qui souhaite avoir un enfant, alors quils vivent une dynamique de violence entre eux et au sein de leur famille dorigine.

    videmment, aucun superviseur ne peut tre expert face lensemble des ralits. Cela dit, en dbut de proces-sus de supervision, il est appropri de dresser un portrait des types de situations rencontres par les intervenants superviss a n de cibler les champs o le superviseur se sent suf samment quip pour les accompagner et ceux pour lesquels il doit se former davantage ou encore di-riger les travailleurs de rue vers dautres ressources.

    Des ralits sociales et des expertises varies Dans quels domaines sont mes zones de connaissance et de mconnaissance en tant que superviseur?

    Quels types de problmes partagent les travailleurs de rue en supervision?

    Face quelles problmatiques ai-je besoin de consolider mon expertise?

    DUCATIONSantSANT MENTALESexualit relations interculturellesDISCRIMINATIONDSAFFILIATION SOCIALERuptures familialesDcrochage scolaire et socialVIOLENCEAbusEXCLUSIONPAUVRETItinrance - errance

    Travail du sexeToxicomaniesJUDICIARISATIONCRIMINALIT etc.

    TROISIME ASPECT: le volet sociopolitique Du point de vue des dimensions politiques, le rle du superviseur se situe sur le plan de lanalyse des enjeux sociaux et structurels qui traversent les situations dexclusion vcues par les personnes quaccompagnent les travailleurs de rue. tant souvent confronts des situ-ations percutantes au plan des valeurs (discrimination, stigmatisation, judiciarisation, ingalits sociales, mar-ginalisation, etc.), ces praticiens ont besoin dvacuer les frustrations quils ressentent face aux injustices, mais aussi de porter un regard plus pragmatique sur ces ph-nomnes. En effet, lapprofondissement dune analyse de la situation, des causes et des consquences des pro-blmes quils observent favorise llaboration de strat-gies plus pertinentes et ef caces pour agir sur les condi-tions dexistence de ceux quils rejoignent.

    Aussi, une r exion sur le sens et les valeurs qui traversent leur action contribue consolider le projet social des membres dune quipe de travail de rue et renforce de ce fait la conviction avec laquelle ils agissent. Cette consolidation motive non seulement laction de chaque travailleur de rue, mais permet aussi dentrevoir des ac-tions collectives donnant une porte plus grande leurs initiatives. Cette collectivisation de leurs proccupations stimule en outre leur capacit de mobiliser le milieu pour apporter des changements signi catifs dans la commu-naut, dans les politiques sociales qui affectent les per-sonnes marginalises ou encore dans lorganisation des services qui leur sont adresss.

    ExempleDes travailleurs de rue expriment leur frustration devant lacharnement policier envers les jeunes. Partageant le discours et la colre des jeunes face aux policiers, un sentiment de rvolte les habite de plus en plus devant cette injustice. Lchange avec le superviseur contribue ventiler leur frustration, mais aussi mener une analyse plus approfondie sur les causes de ce resserrement coercitif lgard des jeunes: pressions de la communaut pour une plus grande scurit urbaine, revitalisation conomique, lutte contre le crime organis, etc. Cette comprhension des diffrentes interactions autour du problme les amne entrevoir diffrentes perspectives daction ciblant divers acteurs: information auprs des jeunes sur leurs droits, sensibilisation de la communaut et des marchands par rapport aux besoins des jeunes, revendication dquipements de loisirs et de lieux de socialisa-tion pour les jeunes, ngociation avec les autorits municipales pour faire entendre la voix des jeunes, etc. partir de cette initiative, plutt que de se laisser enliser dans un engrenage de frustration, les travail-leurs de rue joignent leurs efforts ceux des membres de lorganisme pour agir sur les causes du problme et pour impliquer les jeunes dans

    3. Les facettes de la supervision

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  • une prise en charge de la situation...

    Un travailleur de rue est confront un dilemme dans son inter-vention auprs de jeunes lles musulmanes de plus en plus motives se rapprocher des garons. Il est dchir entre son propre souci daccomplir sa mission dinformation et de prvention en matire sex-uelle et sa volont de ne pas froisser les valeurs de leurs familles oppo-ses toute allusion ce sujet. En mme temps, il souhaite sensibiliser lcole la ralit particulire de ces jeunes lles sans pour autant briser les condences difcilement exprimes