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L’emblème au luth d’Alciat. En 1531, paraît à Augsbourg, l’édition princeps du livre d’emblèmes d’André Alciat (1492-1550). Son Emblematum liber connaîtra plus de cent cinquante éditions et sera traduit dans toutes les grandes langues européennes. Cet érudit milanais, en associant « imago », « motto » et « subscriptio », pose pour deux siècles ce qui sera le modèle de l’énorme production de l’emblématique profane et sacrée. L’image ressemble à une devinette, la devise est souvent une citation de la Bible ou des auteurs anciens et la glose unifie l’ensemble dans un commentaire de l’image et une leçon morale. Quand paraissent les Emblemata en Allemagne, plusieurs traités et tablatures de luth 1 ont déjà vu le jour. Quand Wechel réédite Alciat à Paris en 1534, Attaignant vient de publier à Paris les premières tablatures françaises 2 (1529, 1530). Après le pic d’édition des tablatures dans les années 1550, la métaphore du luth va être très répandue dans les textes juridiques ou politiques. Il fallait que ce fût un juriste de formation, épigraphiste renommé, traducteur de l’Anthologie grecque qui initiât le genre de l’emblème. Les épigrammes savants 3 sont présentés souvent par leurs auteurs comme une forme de récréation de leurs études sérieuses. La forme poétique et le recours à l’image justifiaient leurs préventions. Habitués à gloser le corpus Juris civilis, le Digeste ou les Nouvelles de Justinien, les jurisconsultes forment le gros du bataillon des écrivains d’emblèmes : Alciat, donc qui enseigna à Bourges, mais aussi, La Perrière, Jean Mercier, Cousteau, Rollenhagen, Reusner… Emblematum liber. Steyner, Augsbourg (1531) Dans l’emblème Foedora, « les alliances », un luth posé sur les lames d’un plancher sert de symbole : il ne participe pas à un concert ou à une saynète galante ; aucun personnage,

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L’emblème au luth d’Alciat. En 1531, paraît à Augsbourg, l’édition princeps du livre d’emblèmes d’André Alciat (1492-1550). Son Emblematum liber connaîtra plus de cent cinquante éditions et sera traduit dans toutes les grandes langues européennes. Cet érudit milanais, en associant « imago », « motto » et « subscriptio », pose pour deux siècles ce qui sera le modèle de l’énorme production de l’emblématique profane et sacrée. L’image ressemble à une devinette, la devise est souvent une citation de la Bible ou des auteurs anciens et la glose unifie l’ensemble dans un commentaire de l’image et une leçon morale. Quand paraissent les Emblemata en Allemagne, plusieurs traités et tablatures de luth1 ont déjà vu le jour. Quand Wechel réédite Alciat à Paris en 1534, Attaignant vient de publier à Paris les premières tablatures françaises2 (1529, 1530). Après le pic d’édition des tablatures dans les années 1550, la métaphore du luth va être très répandue dans les textes juridiques ou politiques. Il fallait que ce fût un juriste de formation, épigraphiste renommé, traducteur de l’Anthologie grecque qui initiât le genre de l’emblème. Les épigrammes savants3 sont présentés souvent par leurs auteurs comme une forme de récréation de leurs études sérieuses. La forme poétique et le recours à l’image justifiaient leurs préventions. Habitués à gloser le corpus Juris civilis, le Digeste ou les Nouvelles de Justinien, les jurisconsultes forment le gros du bataillon des écrivains d’emblèmes : Alciat, donc qui enseigna à Bourges, mais aussi, La Perrière, Jean Mercier, Cousteau, Rollenhagen, Reusner…

Emblematum liber. Steyner, Augsbourg (1531)

Dans l’emblème Foedora, « les alliances », un luth posé sur les lames d’un plancher sert de symbole : il ne participe pas à un concert ou à une saynète galante ; aucun personnage,

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aucun apologue ne vient corroborer l’épigramme. Cette nudité du thème, jusqu’à l’abstraction, coutumière dans les livres de devises, est rare dans Alciat. Mais ici, l’objet se suffit ; ce n’est pas seulement l’instrument de musique qui est dépeint, mais une allégorie en soi. Cette réification du symbole (et à l’inverse, cette animation de l’objet), est sans doute un des traits de la pensée magique de la Renaissance : chaque objet, chaque élément recèle une part du mystère du monde sensible. Dans la philosophie naturelle, un système d’analogie met en correspondance des qualités, des formes, des effets pour tirer les leçons de ces rapprochements. Dès les premières éditions lyonnaises, les emblèmes sont classés selon la thématique des vertus et ce faisant, l’emblème au luth a perdu sa fonction introductive (la Muse italique) et dédicatoire (à Maximilien Sforza) et au gré des éditions, il change souvent de place. Il est classé parmi les symboles de la foi (fides), avec des épigrammes sur le silence, le secret et la confiance4. Il aurait pu aussi bien être rangé dans le chapitre sur la concorde5 qui sera une des principales thématiques de l’emblème au luth et qui sous-tend le sujet des alliances.

Impresas morales de Juan de Borja (1580)

Moins à cause de son importance musicale que du fait de la grande charge sémantique qu’ont véhiculée ses représentations, le luth a été, à la suite d’Alciat, le sujet de

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nombreux emblèmes. Cependant, les diverses écoles nationales l’ont utilisé à des fins sensiblement différentes. Son absence est surprenante dans les livres de devises italiens du XVIe alors qu’Alciat l’associait à sa « muse italique ». La production française, en suivant la matrice d’Alciat, en fera une allégorie politique. Au début du XVIIe, les emblemata amatoria des Provinces unies l’associent avec Voluptas, en cohérence avec toute la peinture de genre. En réaction, la littérature spirituelle des jésuites et des réformés le remet dans les mains des anges, renouant avec la tradition, jamais oubliée, de la peinture sacrée. Il sert encore tardivement encore au XVIIIe siècle dans l’emblématique allemande, sans doute parce que l’instrument est encore beaucoup joué dans les pays germaniques.

Emblemata moralia de Juan de Borja (1597)

Le jésuite6 Juan de Borja y Castro (1533-1606), donne le premier recueil d’emblèmes espagnol, les Impresas morales (1581). Le recueil est dédié à Philippe II et imprimé à Prague alors que Borja est son ambassadeur près de l’empereur Rudolph II, ce qui explique le luth en lieu et place de la vihuela attendue. De la même manière que la musique procède d’un équilibre entre des éléments divers, la bénignité de l’être humain provient de la pondération entre ses appétits et la raison :

Douce et délectable est la musique à ceux qui la goûtent. Elle consiste en consonances et en harmonie. Bien qu’elle se compose de choses très opposées comme sont les voix, aigues et graves, hautes et basses, celles-ci ne laissent pas cependant de donner beaucoup de plaisir à l’ouie, si en gardant mesure et proportion, elles forment de douces consonances. Mais pour autant que la musique du dehors soit douce et délectable, celle du dedans l’est incomparablement plus. Elle consiste en ce que nos sentiments et nos appétits, bien qu’ils soient entre eux bien antagoniques, gardent la proportion et la mesure que demande la raison, parce qu’elle est la véritable consonance et harmonie intérieure si agréable à Dieu, et si délectable et profitable à celui qui la goûte. C’est ce que laisse

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entendre cette devise du luth, instrument de musique7, avec le texte INTERNA SUAVISSIMA, qui signifie « celle du dedans est la plus douce ».

La version latine date de 15978. C’est une traduction mot à mot du castillan sauf pour cette précision : le luth, ennobli par le nom de roi (des instruments)9.

Emblemas morales de Sebastian de Covarrubias (1610)

Juan (1540-1610) et Sebastián (1539-1613) de Covarrubias10 ont bel et bien remplacé le luth par une vihuela en la posant sur un autel comme dans l’emblème d’Alciat sur Eunome : « La musique est en la cure des Dieux ».

Emblemas morales de Sebastian de Covarrubias (1610)

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La harpe de David, la guitare (ou la vihuela) de l’hidalgo, sont les instruments privilégiés de l’emblématique castillane. Le luth n’est cependant pas tout à fait absent11. On trouve même chez Covarrubias un emblème au luth seul. La personnalisation s’accomplit par la prosopopée de l’instrument suspendu à une colonne avec le motto « comme la main qui me joue12 » :

Je suis un luth, excellent de voix, d’ébène et d’ivoire avec des cordes d’or. Quand je suis suspendu, on ne perçoit pas combien je suis excellent et sonore. Si je suis touché par quelqu’un d’ignorant, je perds ma consonance et ma convenance. Mais entre les mains d’un subtil musicien, je révèle combien je suis fin et parfait.

Ce pourrait être une déclinaison du thème classique du corps et de l’âme ou bien de la connaissance mal servie. Mais le commentaire du poème renvoie plutôt au luth de l’éloquence : l’homme sage adapte son discours suivant la condition de la personne à qui il s’adresse. À un travailleur, il parle de son de son village, au citadin avec courtoisie, au cavalier avec respect. « Ainsi on le compare à un luth qui, joué de la main du musicien, fait une douce harmonie, mais dans celle de l’ignorant cause une dure et âpre dissonance. »

Emblematum Liber de Westhovius Willich (1613)

Willich Westhoff (1577-1643), dédie ses Emblemata à l’empereur Matthias en 1613 et une refonte au roi du Danemark Christian IV en 1640. Le motto « La Muse adoucit les fureurs13 » s’applique autant aux humeurs de l’homme mélancolique restauré par une musique apaisante, qu’aux « fureurs » que les dieux inspirent aux poètes. Le luth de l’inspiration poétique est alors une sorte de soulagement pour le poète lauré, plongé dans l’écriture. Les accords du luth agissent par sympathie sur les cordes de l’âme et du corps et remettent en harmonie le moi d’un esprit saturnien. La musique permet de tempérer les passions de l’homme frénétique.

David apaisait de sa harpe Saul perturbé par ses fureurs

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Comme Arion de son luth doux-sonnant Le luth touché chasse les humeurs mélancoliques Et il peut rendre l’homme à lui-même14.

Le fol frénétique de la Morosophie15 (1553) de Guillaume de la Perrière (1500-1565) essayait en vain d’accorder son Luc : comment pourrait-il être en charge du bien public, s’il ne sait pas tempérer ses passions et accorder son âme ? Comment pourrait-il s’occuper de la cité (figurée dans l’arrière plan de la gravure) s’il ne sait pas régenter sa propre maison ?

Emblemata nova d’Andrea Friedrich, Francfort (1617)

Viridarium d’Henricus Oraeus, Francfort (1619) Dès la fin du XVIe siècle, la littérature spirituelle s’était emparée du champ des emblèmes16. Les Jésuites comme les théologiens réformés ont recours à l’image adossée à un commentaire moralisant. Les emblèmes spirituels détournent les emblèmes amoureux au même titre que les contrafacta sacrés reprennent les mélodies connues des chansons amoureuses. Mais dans les emblèmes érotiques, le luth se trouvait dans les mains de la séductrice ou du galant et il n’était jamais un pur symbole. Ici, catholiques et luthériens renouent avec la tradition symbolique des tarsie. Gravé par un inconnu, l’image d’un luth

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des vanités offre deux interprétations voisines dans l’Emblemata Nova (1617) d’Andreas Friedrich et le Viridarium (1619) d’Heinrich Oraeus. Un sablier posé sur le luth semble pointer les vanités flamandes. Mais le commentaire de Friedrich a juste pour but de prévenir les étudiants : ils ne doivent surinterpréter le texte sacré (les lunettes) et perdre leur temps (le sablier) dans les arcanes de gloses spécieuses. Le croyant ne doit pas perdre de vue la divinité (un soleil qui perce les nuages). L’avertissement de la conclusion (« Ne tend pas trop la corde et méfie-toi des fausses lunettes. ») laisse supposer, comme les autres gravures de la série, que l’image a bien été conçue pour ce texte. Heinrich Oraeus la réutilise et reformule l’interprétation de Friedrich : la parole divine se suffit à elle-même. Il l’étend au domaine politique : les lois de la musique permettent l’harmonie comme les lois dans la cité fondent la concorde. La Charité, harmonie divine, doit, conclut-il, commander aux magistrats en charge des lois. Le motto « L’arc trop tendu se rompt facilement17 » n’est pas directement illustré par la gravure.

Emblème XII, Zodiacus christianus (1622 et 1632)

Le jésuite Jérémie Drexel (1581-1638) prêcha pendant 23 ans à la cour du très catholique Maximilien Ier de Bavière (1573-1651) qui fut un des principaux acteurs de la guerre de trente ans18. Auteur prolifique de traités dévotionnels, il a maintes fois réédités et traduits du latin en Allemand, anglais, français, italien, néerlandais, hongrois, polonais, tchèque et

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même gallois ! Son Zodiacus Christianus publié en 1618 et finalisé en 1622 est un traité d’iconologie chrétienne original19. Ce titre se justifie par les douze signes qu’il a choisis pour illustrer les douze vertus du « prédestiné ». Il était né de parents luthériens et s’était converti au catholicisme, ce qui explique sans doute son choix d’appeler ainsi le chrétien20 pour ce qui était en même temps un jeu de mot sur l’horoscope. Il réunit les douze symboles hétéroclites dans le frontispice : une chandelle, un crâne, un calice, un autel vide, un buisson de roses, un figuier, un plant de tabac, un cyprès, une paire de piques, une discipline, une ancre et un luth. Leur caractère énigmatique était typique de l’herméneutique des Jésuites qui cherchaient à la fois à susciter la réflexion du lecteur et à marquer les esprits par la valeur mnémonique de l’image. Le luth, le crâne, la bougie appartenaient aussi à la culture visuelle des vanités dans leur dimension dévotionnelle. Encadré par deux citations explicites de la Genèse et de saint Grégoire, le douzième et dernier signe est donc un luth, gravé par Raphaël Sadeler Ier (1560-1630) et plusieurs fois redessiné au gré des rééditions. Il signifiait la modération des passions ou la victoire sur les passions. Le motto est tiré de la Genèse (4,7) : « Tu seras soumis à tes appétits mais tu les domineras. ». La chair est faible, dit-il, et l’homme est sujet aux passions. Pour être maître de nous-mêmes, il faut les dominer. Drexel a recourt à Sénèque : Il est plus facile de prévenir les passions à leur commencement que de réfréner leur violence quand il est trop tard. Le vrai chrétien, à l’exemple du Christ, sait mortifier la chair, ses vices et ses concupiscences, il doit s’oublier pour être à Dieu. Ces passions sont ramenées aux péchés capitaux, l’orgueil, la haine, l’envie ou encore les deux sœurs : la luxure et la gourmandise, sans oublier le jeu ou l’oisiveté. Les deux passions les plus véhémentes sont l’amour, mené par la concupiscence qui nous brûle comme une fièvre et la colère. Le prêcheur développe cette idée avec une première déclinaison de la métaphore musicale : Bénis, dit-il, ceux qui ont fait la paix avec eux-mêmes, ceux qui gouvernent les mouvements de leur âme et les assujettissent à la raison. Pourquoi, demande-t-il, Dieu délivre-t-il ses commandements à Moïse au son des trompettes, instruments de guerre plutôt qu’avec une musique plus douce ? Les trompettes conviennent mieux en effet aux châteaux qu’aux temples. Parce qu’il faut combattre, explique-t-il, pour défaire le Malin et rejeter les tentations du Monde ; personne ne peut vaincre la chair en la chérissant. Avec l’opposition topique du luth et de la trompette, la poésie lyrique a souvent rendu l’antinomie de l’amour et de la guerre, de la paix et de la guerre, de la douceur et de la violence. Le deuxième paragraphe insiste sur la nécessité de maîtriser ses passions comme pour corriger un cheval réfractaire. Il n’est pire servitude que servir ses désirs, son ambition, son avarice ; l’homme dissolu, noyé dans les voluptés, ne peut rien obtenir de lui-même21. Par deux fois à nouveau, la musique fait image : « Comme il est bon de fuir de tels vices et d’avoir son âme réglée par une tranquillité bénie, une certaine harmonie, ou une concordance de toutes nos passions ». Ou encore : « J’ai préservé mon âme de la concupiscence. (Tobias : 1, 3) Une telle âme en vérité n’est-elle pas comme un luth avec toutes ses cordes accordées22. »

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Le corps du luth est comme le corps du chrétien. Les cordes sont les passions qui l’animent et qu’il faut sans cesse tempérer. Le « prédestiné » s’appliquent à toujours se tenir en accord avec lui-même en les modérant ou, mieux, en les « crucifiant ». Car finalement, convient-il, le vrai signe du chrétien, c’est la croix sur laquelle la chair est mortifiée.

Un musicien ne laisse pas de tempérer les cordes entre elles selon la loi musicale tant qu’elles ne sonnent pas ensemble23. De même le prédestiné ne cesse pas de composer ses sentiments troublés jusqu’à ce qu’ils ne s’opposent plus entre eux, dans une pieuse sérénité. Si nous en croyons Platon, notre corps est un luth, le luthiste est l’âme, qui tend maintenant cette corde puis cet autre et appliquant cette la loi tantôt aux yeux, tantôt à la langue, aux oreilles ou à la main. Et il ramène sans cesse les passions de luxure ou d’impatience à la raison24. C’est vraiment un luthiste expert celui qui dit : je châtie mon corps et le réduis à la servitude. Et ainsi le principal souci du prédestiné est d’examiner quotidiennement le luth de ses passions : et de non seulement disputer sa colère, mais aussi réprimer son envie ou secouer sa somnolence, de tantôt réfréner sa joie et tantôt de tempérer sa tristesse. Il vérifie toutes ses cordes, tendant celles-ci, relâchant celles-là, jusqu'à ce qu’elles concordent harmonieusement. Le prédestiné n’a aucune complaisance pour ses passions, il n’en épargne aucune encore moins que lui-même ; il ne se saisit pas d’une passion sans l’attacher à la croix. Voilà le vrai signe de la prédestination : ceux qui sont au Christ, crucifient leur chair, ses vices et sa concupiscence.

Georg Leopold Fuhrmann, Testudo, (1615)

Moderne avait réutilisé le luth de son édition de l’Alciat (1544) pour illustrer le frontispice des tablatures de Bianchini (1547) et de Paladin (1549). Il est impossible de ne pas mettre en rapport le six-chœurs gravé par Sadeler (1618 ?) à Munich, le dix-chœurs gravé par Furhmann (1615) et celui gravé pour Besard (1617). Si la gravure de l’Emblemata nova semble bien originale, le motif ne l’était pas. Georg Leopold Fuhrmann (1574-1616) graveur, éditeur et luthiste de Nuremberg avait fait paraître une tablature en 1615, le Testudo Gallo-Germanica qui comprenait une traduction allemande de l’Instruction d’Antoine Francisque25. La préface de Furhmann est un laus musicae

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traditionnel : la musique réjouit le cœur des hommes et plait à Dieu26. David apaisait les humeurs mélancoliques de Saul, Socrate vieillissant ne craignait pas de se mettre à la musique. Il évoque le mécénat de l’empereur Maximilien Ier qui entre tous les arts libéraux privilégiait la musique. Il cite les luthistes de son temps qui ont édité leur musique27 : Adrianssen (1584), Denss (1594), Reymann (1598), Francisque (1600), Besard (1603). La table des matières veut balayer toute l’étendue du répertoire européen : les italiens (Laurencini, Diomède, Galilei, Antonio del Pergamasco), les français (Charles Bocquet, Perrichon, Mercure d’Orléans), les anglais (les Dowland, Aloyson) ou les allemands (Hans Leo Hassler (1562-1612), Valentin Strobel (1575-1640), Tobias Kühn…) La gravure est signée de Johann Hauer28 (1586-1660). Subtilement ombrée, elle présente le très beau raccourci d’un dix-chœurs multicôte. Les lettres indiquent la position des frettes et fournissent une explication de la tablature. Le dessin est soigné ; il rend la grosseur des doublures, la finesse de la rose élaborée, les filets entre les côtes. Un recueil de tablatures, au traditionnel format italien, est ouvert à la page d’un ballet. Dans une niche frappée des premiers mots de l’Ecclésiaste, « Vanitas Vanitatum et omnia Vanitas », les vapeurs des vaticinations s’échappent d’une urne en forme de crâne. Des vers sortent par les orbites. Dans un rond de nuage, comme dans l’emblème spirituel, la main de Dieu désigne cet avertissement. L’image de Hauer a pu inspiré les faiseurs d’emblèmes : le sablier des vanités, les lunettes de la folie ont remplacé le motif macabre et les livres des exégètes, le recueil de tablature.

Isagoge in artem testudinariam de Jean-Baptiste Besard, Augsbourg (1617)

La gravure de Hauer a inspiré le frontispice de l’Isagoge29 (1617) de Besard (1567-1625). Cette « Introduction à l’art du luth » germanique explique les doigtés et les ornements, en complément de son Novus Partus pour un trio de luths, paru la même année et dont le frontispice aux putti qui jouent le luth, ainsi que son portrait30, ont été gravé par Lucas Kilian31 (1579-1637). Sans doute le graveur d’Augsbourg a-t-il aussi fourni cette imitation moins subtile du luth d’Hauer. L’ombre sur la table ne suit pas le fil du bois, les lettres vont jusqu’à la dixième frette, et le recueil s’ouvre sur un Praeludium et une Courante. La citation de l’ode d’Horace (I, 32) fait du luth, « douce consolation des peines », l’héritier de la lyre d’Apollon. Le graveur n’a retenu que le luth, pourtant, le poème qui s’adresse à Besard, « dévoué à l’art du luth » affirme que sa musique montera jusqu’aux cieux et sera agréable aux divinités angéliques puisqu’il ne faut pas douter que

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la bonne graine qu’il sème a été récolté d’une main parcimonieuse. Le texte joue sur le sens de fides, la lyre et la foi32.

Concordia discors,

Emblematum ethico politicorum de Zincgref (1619) L’Emblematum Ethico-Politicorum Centuria (1619), de Julius Wilhelm Zincgref (1591-1635) a souvent été réédité tout au long du siècle33. Gravé par Matthaeus Merian (1593-1650) pour Johan Théodore de Bry (1561-1623), c’est un des livres d’emblèmes germaniques les plus complets du XVIIe. A l’emblème 97, dans une vignette circulaire, un luth est posé devant une citadelle. Il illustre le motto « Concordia discors » traduit par la « Discorde concordée ». Un quatrain en français précise la comparaison entre le luth et la cité :

Comme de sons confus s’entonne l’harmonie D’un accordant discord, de mesme une cité Quoy que d’hommes divers maintiendra l’équité Si par de bonnes loix sagement se manie.

Un autre en allemand indique que le luth est tendu de cordes grosses et fines, pour rendre les diverses hauteurs de sons. Pour produire une harmonie convenable, celui qui en jouera doit bien le connaître. De même, le bon gouvernement requiert du talent pour maintenir une harmonie avec une telle diversité de citoyens. La comparaison, soutenue par un jeu d’assonance (leute, les gens et laute, le luth) porte donc sur les différentes cordes et les différences sociales34. Le juriste français Jean Bodin (1530-1596), dans Les six livres de la République (1576), soulignait pareillement la nécessité pour le prince d’être à l’écoute

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de ses sujets comme un musicien qui doit savoir accorder les différentes cordes et savoir les faire sonner. Le luth (ou le luthiste) devant la cité illustre différentes métaphores politiques dans les nombreux tomes des emblemata sive moralia politica (1623-1626) de Daniel Meisner (1585-1625). Ces Trésors politiques couplaient des emblèmes avec des paysages urbains aléatoires copiés de publications antérieures, une association idéale pour illustrer un liber amicorum. Devant la ville de Barcelone, les alliances d’Alciat (foedora) ont convoqué un luth à la corde cassée. Pourquoi, se demande l’instrumentiste, mon luth rend-il un son discordant 35? Une corde a été mal ligaturée. Un luthiste qui a aussi cassé une corde de son instrument y est également au premier plan de la ville de Homsberg dans la Hesse : « Hélas, la corde tendue claque presque parvenue au son le plus aigu. Alors que tu arrives au sommet, tu péris par la faute du cruel tyran36. » Les traités de luth recommandaient en effet d’accorder la chanterelle en la tendant au maximum, juste avant qu’elle casse tel Phalèse (1545) : « Il faut estendre la première si fort comme elle le peult bonnement porter37 ». Le commentaire qui suit l’emblème de Zincgref n’est qu’une accumulation de citations. Celle d’Hippodamus de Milet (V siècle av. JC), tirée de l’anthologie de Stobaeus, redit la similitude de la communauté de tous les citoyens avec une lyre et tout ce qui est nécessaire au musicien : la préparation, la composition, le maniement et l’usage. Sont convoqués encore Thucydide, Lactance, Stobaeus, et bien sûr Aristote et Cicéron ; c’est Scipion qui parle dans le de Republica (livre 2) :

De même que la flûte et la lyre, le chant et les voix, forment de la diversité de leurs sons un concert dont l'harmonie résultent pourtant de l'accord d'un grand nombre de voix dissemblables ; ainsi, la cité s’accorde par la conciliation des différents ordres de la société, des grands, des petits et de ceux qui sont entre les deux, comme pour le tempérament des sons. Ce que l'on nomme harmonie dans la musique, c'est la concorde dans l'État.

La Perspective avec la raison des ombres et miroirs

Salomon de Caus, Londres (1612) Les trois ordres de la société38 trouvaient un parallèle exact avec les trois grosseurs nécessaires pour corder un luth39. Le rapprochement est repris dans l’Ethica symbolica

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(1675) du Jésuite Michael Pexenfelder. Le Symbolum XXXIV est consacré à Amphion édifiant les murs de Thèbes au son de la lyre. Le luth, qui signifie la concorde parmi les citoyens, est donc le hiéroglyphe du prince débonnaire, privilégiant la douceur plutôt que la violence et le verbe plutôt que les armes. Les sept cordes de la cithare d’Amphion peuvent être comprises comme les sept vertus ornant le prince : foi, justice, force, prudence, clémence, libéralité, tempérance :

Le luth compte de grosses cordes, des moyennes et des fines, et de cette différence entre ses cordes tire une symphonie harmonieuse et accordée, si une main experte les accordent et les jouent ; de la même manière, la république, qui est composée d’hommes de diverses catégories et appartenant à différents ordres, est liée dans la paix par la concorde, si elle a la chance d’être menée par un prince … qui a su entretenir l’unanimité et le lien de la paix entre tous… Rien en effet n’est plus efficace pour mouvoir l’esprit des hommes que l’amabilité des mœurs (qui est désigné par le doux son du luth). Le prince recherche l’amour de son peuple et la crainte de ses ennemis.

Alciat avait actualisé son emblème en se référant à Maximilien Sforza. Dans sa préface, Zincgref vante les vertus et les bonnes lettres de Frédéric V du Palatinat (1596-1632), petit fils de Guillaume le taciturne. Il demande au prince éclairé d’accepter son livre d’emblèmes comme récréation de ses lourdes charges. Frédéric, comme Elisabeth Stuart (1596-1662) sa femme, aimait la musique et les masques. Il entretient une cour brillante à Heidelberg où l’on parle français, ce qui explique les deux langues de l’Emblematum. Le prince fait venir Inigo Jones et Salomon de Caus (1576-1626) pour dessiner de magnifiques jardins, l’Hortus palatinus. Ce dernier, qui avait publié peu auparavant l’institution harmonique de 1615 (Francfort) aurait pu fournir le raccourci du luth paru dans son traité de perspective (1612). Si le château juché sur la colline est bien une évocation de celui d’Heidelberg, l’emblème peut s’appliquer à la situation politique au début de la guerre de trente ans : l’harmonie de la cité est mise en péril par les dissensions religieuses qui divisent les pays germaniques. En 1619 justement, les tchèques nomment roi de Bohème le très calviniste Frédéric, ouvrant un conflit avec l’empereur catholique. Mais le prince palatin, roi d’un hiver, est défait par le comte de Tilly dès l’année suivante lors de la bataille de la Montagne blanche (1620) et il doit se réfugier dans les Provinces unies. Ce dernier, chef de guerre (1559-1632) de la Ligue catholique, est lui-même l’objet d’une caricature luthérienne : le « général lautenschlager » (1631) est en armure, assis sur un tambour de guerre ; la chanterelle de son grand luth est cassée. Tilly, responsable du massacre de Magdebourg (1631), accumulait alors les défaites devant les armées du roi de Suède. Dans le champ politique, le luth est bien un emblème plurivoque. En 1623, Giovanni Ferro fait paraître à Venise une imposante moisson de devises classées et puisées dans les recueils italiens d’Aresi, Bargagli, Camilli, Giovio, Pittoni ou Ruscelli. Un chapitre est consacré aux instruments de musique, en particulier aux instruments à cordes40. De la même façon, dit-il, que les instruments de musique sonnent selon la manière qu’ils ont été accordés, les hommes se révèlent dans leur conversation tels qu’ils sont : une âme noble resplendit noblement dans toutes ses actions, un coeur enflammé montre grâce et amour alors qu’un avare ou un marchand discute de ses gains.

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Theatro d’imprese de Giovanni Ferro (1623)

Au chapitre du luth, il détaille trois devises. La première, « Intentiores acutius », qui est accompagnée d’un luth avec ses cordes, est celle de Giovanni Battista Borghesi (1554-1609), frère de Paul V. Elle joue sur son alias, le « perspicace », (« l’Acuto ») à l’académie des Raffrontati à Ferme. Comme la chanterelle est la plus aiguë parmi les cordes parce qu’elle est la plus tendue, l’académicien se situe parmi ses confrères (les autres cordes tendues), voire au-dessus… Plus modeste est la devise, « Et si fortassis inanis », de Paolo Aresi (1574-1644) qui est membre de l’académie des Filarmonici de Vérone. L’évêque de Tortone41, a choisi par modestie de se représenter comme une caisse de luth au milieu de nombreux luths éloquents (les autres académiciens). Ferro lui-même a fourni une devise pour Troiano II Spinello, en figurant un faisceau de cordes de luth attachées ensemble avec le motto « Funiculus haereditatis », une expression tirée du second cantique de Moïse dans le Deutéronome (32, 9) et reprise dans les psaumes. Le funiculus, cordelette42, figurait la part d’héritage de chacun, mesurée avec un cordeau. La devise se rapporte donc à famille unie dans ses différents rameaux malgré les divisions des successions. Le jeu de mot portait encore souterrainement sur la foi/fides, la fidélité et la confiance, parce que « fides signifie la cetera, en prenant la partie pour le tout » précise Ferro. Un luth avec une corde cassée est posé sur une table dans un emblème d’Alcibiade Lucarini43, académicien des Intronati de Sienne. Parmi les 422 xylographies grossières, le beau raccourci du luth, sans doute copié, fait exception. La corde rompue en jouant l’instrument est commentée par le motto « même au milieu des badinages44 ». À tout moment, une corde du luth, instrument des plaisirs, peut lâcher et interrompre le concert. Les hommes doivent rester vigilants, surtout quand ils sont en pleine félicité et ne pas faire comme les fous qui se perdent dans les lieux où l’on festoie. C’est une citation de l’Ecclésiaste (7,4) : « Le coeur des sages est dans la maison de deuil, et le coeur des insensés dans la maison de joie. ». L’avertissement aux insouciants se prolonge : « parce

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qu’encore au comble des plaisirs, les dangers nous assaillent, et nous conduisent à la misère ».

Imprese d’Alcibiade Lucarini, Sienne (1629)

A la citation45 habituelle de Job (30,31), s’ajoute celle d’Amos (8,10) : « Je changerai vos fêtes en larmes et vos chants de joie en lamentations ». Le luth invoque les plaisirs de la musique et de l’amour. Il existe une tradition iconographique nordique bien établie qui associe une joyeuse compagnie, jouissant des joies de la table et de la sensualité de la musique, qui ne voit pas venir le déluge, ou un arbre qui va lui tomber dessus.

Emblemata sacra d’Hesius, « Fides » (1636)

Un tome entier des Emblemata sacra (1636), de Guillaume Hesius (1601-1690) est élaboré autour du jeu de mot fides foi/corde. Un autre jésuite, Claude-François Ménétrier (1631-1705) réunit les motifs musicaux et traduit le latin d’Hesius dans son Art des emblèmes46 (1662). La syllepse est à l’origine d’une série de variations sur la corde du luth, du violon, de la harpe mais aussi de l’arc ou du puit, tendue, cassée ou manquante. Gravé par Christoffel Jegher (1596–1652/53), un luth sans corde illustre un corps sans âme et sans foi : « Tu veux ôter la vie ? Enlève la foi/corde47 » L’idée d’Hesius est reprise pour le colophon d’un libraire et poète d’Amsterdam, Jacob Lescaille48 (1611-1679) avec le motto « pas de joie sans la foi49 » : de même que le luth ne saurait procurer de plaisir sans ses cordes, un homme sans foi est un homme sans joie.

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Colophon du libraire Jacob Lescailje Amsterdam (actif 1644-1680)

Un autre Jésuite, Jean Bolland (1596-1665) fait paraître l’Imago primi saeculi (1640) édité par Moretus à Anvers. Une bougie, une boussole, une balance sont autant de tropes pour louer l’histoire et l’œuvre des jésuites à l’occasion du centenaire de la Compagnie (1540-1640). Dans un cartouche encombrant, mais ennoblissant, un instrument de fantaisie figure la cithare (cistre) des psaumes et celle d’Arion50. Dessinée par l’anversois Philippe Fruytiers (1610-1666) et gravé par Cornelius Galle, l’image s’inspire directement au luth d’Alciat. Le luth marque la jubilation51 et le chant comme indiqué par un verset du psaume 94 qui sert de motto : « Jubilemus deo salutari nostro ». C’est également le luth d’Arion échappant aux dangers de la mer sur le Dauphin/Christ par les vertus de son chant. De même les prédicateurs affrontent les dangers et les tempêtes pour porter la bonne parole et évangéliser le Monde, du Brésil au Mexique, des principautés d’Allemagne au Japon. L’emblème au luth seul disparaît dans la version néerlandaise52 mais une autre image représente Orphée tirant Eurydice (l’âme chrétienne) de la bouche de l’enfer avec un instrument similaire, accompagnée d’une anagramme astucieuse : cithara jesu pour eucharistia jouant sur la symbolique bien établie du Christ /cithare.

Imago primi saeculi (1640)

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Le jésuite anversois Henri Engelgrave (1610-1670), directeur de différentes congrégations et recteur de plusieurs collèges flamands, a présenté ses sermons pour tous les dimanches de l'année sous la forme d’emblèmes. Son Lux evangelica a été réédité plusieurs fois à Anvers (1648) et Cologne. Un luth à la chanterelle cassée illustre la méditation pour le onzième dimanche après la Pentecôte : Une citation de Marc (7,37) « Omnia bene fecit », Il fait tout parfaitement, qui dit l’étonnement devant les miracles du Christ, a peut-être été suggéré par la suite du verset : « Il fait entendre les sourds. » Le Motto : « qui non violaverit unam », celui qui n’en aura pas enfreint une seule, précise l’intention : le chrétien doit imiter le Christ en tout et ne négliger aucune des vertus qui composent la piété :

Comme il est nécessaire que nous prenions pour modèle d’au plus près Celui qui fait tout à merveille, de tendre toutes les cordes de l’âme en Lui, il faut que nous n’omettions aucune des nombreuses cordes de la Piété qui dans le décacorde mystique correspondent aux dix commandements de Dieu. Si une seule corde se casse, le beau concert des vertus est interrompu.

L’introduction trahit la source d’Engelgrave : l’histoire d’Eunome était certes tirée de la Géographie de Strabon (VI 1. 9), mais elle était surtout un emblème d’Alciat53. Le citharède Eunome de Locres affrontait le musicien Ariston de Rhege. Alors qu’il tirait les cordes d’un pouce savant et rapide, une corde s’est rompue au milieu de la joute. Une cigale vola d’un arbre voisin et vint suppléer par sa voix rauque au son de la corde cassée. Là, à Locres, on peut encore visiter une statue d’Eunome qui montre la cigale sur la cithare. Engelgrave compare le premier parent du genre humain à un autre Orphée : dans le Jardin des délices, le très doux concert des vertus résonnait alors sans fin, Adam séduisait et gouvernait tous les animaux du Paradis. Mais une corde a cassé, sa gorge s’est gonflée, sa lyre s’est brisée et toute l’harmonie du Monde a été bouleversée. Aucune cigale tombée du ciel n’est venue réparer ce défaut, et le rédempteur étendu sur la croix n’a pas restauré sa cithare avec de nouvelles cordes54 :

On pourrait être surpris que je compare la loi de la cithare divine à la lyre du musicien, si ce n’est que je m’appuie sur l’autorité des docteurs les plus irréfutables comme dans le psaume « Célébrez le Seigneur sur la cithare et le psaltérion à dix cordes ». Pour Augustin, les dix cordes sont les dix commandements de la Loi. Le maître suprême du chant qui préside au chœur céleste, veut que nous soyons tous ses citharèdes. Il nous donne dans les mains le luth monté avec art des dix cordes des commandements. Dans cette cithare, si une seule corde est cassée, toute l’harmonie est ruinée, l’art et l’industrie de toutes les lois se dissipent comme l’observe justement Jérôme dans ses commentaires sur Isaïe c 16 : « … ainsi si une seule corde des vertus vient à manquer, la cithare ne pourra pas résonner de doux chants. »

À quoi sert en effet, détaille-t-il, d’être parfaitement chaste, juste et miséricordieux avec les pauvres ? à quoi sert d’être tempéré, d’être assidu aux prières et aux jeûnes si l’on est un fornicateur ou un adultère ? Il suffit qu’une seule corde casse pour l’harmonie de toutes les vertus disparaisse. Le premier paragraphe est donc une glose sur le verset de Jacques (2,10) : « Car quiconque observe toute la loi, mais pèche contre un seul commandement, se rend coupable à l'égard de toute la loi ». Incidemment, Engelgrave rapporte une anecdote qu’il a trouvé dans Le grand théâtre de la vie humaine55 (1631) et

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qu’il a choisie, certes pour illustrer la nécessité de s’assurer de tous les éléments dans la réussite d’une entreprise, mais aussi à cause de sa dimension musicale.

Emblème XXXIX, Lux evangelica (1648)

Florent de Montmorency56, baron de Montigny (1528-1570) est envoyé en ambassade à Madrid pour réclamer l’abolition de l’inquisition et une amnistie générale auprès de Philippe II. Il est fait prisonnier au château de Simancas en Espagne où il sera finalement exécuté. Sa femme invente une ruse pour le faire libérer :

Elle envoya quatre belges, experts en plusieurs langues qui partirent en Espagne, sous le prétexte d’effectuer le pèlerinage à Compostelle en feignant de demander l’aumône, chacun portant un luth ou une viole57. Le plus grand de ces instruments qu’ils appellent la basse, était ingénieusement rempli de toutes sortes d’outils pour briser les murs d’une prison. Arrivés à la citadelle, ils offrent dans la rue adjacente un aperçu de leur art. Tous admirent le talent des pèlerins. Le préfet de la citadelle ordonne de les faire venir afin de divertir le seigneur de Montigny, amateur de musique. Ils obéissent à cette convocation, jouent doucement avec les instruments et chantent en français, en italien, ou en castillan ; et finalement, en flamand, langue qu’aucun des gardes ne comprenait, chose qu’ils avaient vérifiée. Ils chantent donc cette chanson flamande qui en arrive à la raison de leur venue : ils exposent la manière de s’échapper de la prison.

Le comte comprend la ruse mais les musiciens se trompent et omettent d’indiquer le moyen d’ouvrir la basse de viole où étaient cachés les outils pour scier les barreaux. Ils recommencent mais se trompent à nouveau :

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Montigny, attentif aux voix, faisant semblant de rien, s’adressa au gouverneur de la citadelle : « Quels musiciens remarquables, par Dieu, dit-il, j’ose affirmer que l’harmonie des chansons flamandes est de loin la plus douce de toutes. » Le gouverneur acquiescant, il commande donc de répéter la chanson en s’appliquant. Mais survint la même erreur que la première fois. Il recommence de louer l’art des faux pèlerins et de vanter particulièrement la musique instrumentale.

Les faux pèlerins inventent alors une nouvelle ruse. Ils introduisent une feuille avec la solution dans un pain. Mais malheureusement pour Montigny, il rompt le pain fatal au moment où le gouverneur était avec lui. La ruse est éventée et tout espoir d’évasion disparaît. Voyez, conclut le jésuite, combien le grand poids des choses tient à un moment infime ; comment à cause d’une seule chose qui manque, un homme court à sa perte et à sa mort. La gravure d’Aegidius Sadeler (1570-1629) est reprise dans le miroir des vertus et des arts (1706) de Jan van der Deyster (1676-1743) avec ce pauvre quatrain :

L’ouis fait bien danser le Monde Mais il sera bientost démis. Quand une corde nous débonde, Voilà tout nostre jeu au pis58.

« Harmonia suavis », Lust und Artzeney garten (1675)

Le luth d’Alciat, posé mollement sur son coussin dans un décor baroque, sert encore d’emblème dans une gravure sur cuivre due à Georg Christoph Eimmart (1638-1705) dans le Lust-und Artzeney-Garten des Koeniglichen Propheten Davids59. Le baron autrichien Wolfgang Helmhard von Hohberg (1612-1688) livre un ouvrage composite associant des planches de botanique60, des emblèmes, des commentaires de psaumes traduits en allemand et de la musique. L’organiste Hieronymus Gradenthaler (1637-1700) est le compositeur de la plupart des airs avec la basse continue. Sous le motto de la douce harmonie, l’emblème au luth est accolé à une planche du ricin, peut-être à cause du verset 15 : « Il lui donne l’huile » du psaume 104. Le luth des psaumes semble ici bien

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approprié pour rendre le lyrisme singulier de ce poème qui chante les beautés du monde, en exaltant un Dieu qui s’enveloppe de lumière et s’avance sur les ailes du vent. La terre et la mer fourmillent de ses créatures. Les plantes, les animaux et les hommes qui profitent de ses dons témoignent, par leurs existences, de leur Créateur.

Comme la musique se diffuse par un doux son au toucher quand un main ingénieuse touche les cordes, ainsi les formes vivantes du monde parfait transportent le doux nom du Créateur jusques aux cieux61.

Le jeu de mot sur fides prend ici tout son sens tant le psaume est un acte de foi. Le luth, représente l’harmonie de la nature ; la vie, dans son immense diversité, est un poème divin. Le texte allemand, précédé d’un verset du psaume « Que l'Éternel se réjouisse de ses œuvres ! » reprend la comparaison entre le luth et le Monde. Comme le luth, quand il est joué et accordé par une main de maître, le Monde résonne de Sa gloire, car il est issu de la sagesse de Dieu et les créatures témoignent de l’art du Créateur62.

Conceptus chronographicus, Augsbourg (1712)

Johann Georg Zoller, élève des Jésuites d’Insbruck, ordonné prêtre en 1700, propose en 1712 une série d’emblèmes à l'occasion du septième centenaire de la création de l’abbaye bénédictine de Saint Ulrich et saint Afre63. Une corde calamistrée par sa rupture rend un luth inutilisable. Le motto le confirme : « Rupta Una Chorda Inamoena Cithara, une seule corde cassée rend le luth déplaisant ». Un quatrain en latin explique : « Parmi toutes les

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cordes que compte un luth, une seule de cassée détruit l’harmonie de la musique64 » ou dans une autre version : « Pourquoi ce luth gît-il muet ? Je le sais, une corde a cassé et elle a interrompu le concert harmonieux65 ». Zoller utilise le symbole érotique de la corde de luth que l’on touche et que l’on tend, souvent utilisé dans la littérature théâtrale et romanesque, pour suggérer la faute charnelle. De même, dit-il, une mère anéantirait en un instant toute sa vie dans la virginité si elle ne se préservait pas de la souillure66. Comme une seule corde qui a sauté suffit à empêcher le concert67, une seule faiblesse entache à jamais la vertu d’une femme. Il reprend, dans un autre contexte, le verset de Jacques (2,10) qu’avait utilisé Engelgrave. Dans le commentaire, il ne s’attache pas à cette idée, mais préfère mettre en avant la virginité de Marie, la seule à se préserver du péché tout en assurant le salut de l’humanité car rien ne discorde dans toute sa vie68. Johann Hanthaler (1690-1754), bibliothécaire, numismate, a étudié le droit et la théologie à Salzbourg et Vienne où il est resté jusqu'à sa mort. À l’aide de 50 emblèmes, il explique et interprète les règles de l’ordre de Saint Benoît. Le symbole 47 est un luth posé sur une table avec un premier motto « Consonant omnes », elles consonnent toutes ensemble. Une autre devise69 enjoint le bénédictin à mettre son zèle au service du bien commun et de rendre son travail utile à la communauté, est développé dans un sixain et un commentaire :

Quinquagena Symbolorum heroica de Hanthaler Johann, Augsbourg (1741)

Le jeu du luth caressera doucement les oreilles à condition que chaque corde qui chante ait été religieusement accordée70. De même, la maison de toutes les vertus sera florissante si

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chaque membre œuvre au bien commun. Travaille par ton étude partout non pour toi mais pour l’Ordre : ajoutes tes fleurons à la fleur brillante de l’Ordre.

Aucune république dont les citoyens ne privilégieraient pas le bien commun sur l’intérêt privé, ne peut rester heureuse et pérenne. Elle ne serait pas digne de la grâce de Dieu, elle ne servirait pas la paix en son sein ; elle n’échapperait pas à la violence de ses ennemis, elle ne favoriserait pas le commerce ; elle ne créerait pas de richesses… Il suffit d’une seule corde qui dissone pour que tout l’accord se dissolve71.

Encore une fois est mis en jeu le rapport dialectique du tout (le luth) et de la partie (les cordes). Il exprime ici l’obéissance monastique et l’unanimité nécessaire dans la communauté. Le bénédictin doit consacrer ses études au bien commun et participer ainsi à la gloire de l’Ordre. Johann Andreas Pfeffel (1674-1748), graveur sur cuivre et marchand d’estampes d’Augsbourg, fournit dans Les pommes d’or72 (1746) une vaste collection de 400 emblèmes distribués par thématique sur 75 planches de six emblèmes. Dans le chapitre consacré à Noël, un luth est à nouveau posé sur un coussin à pompons avec le motto « Dulce sonat noctu », il sonne doucement dans la nuit. Le luth fait allusion aux chants qui, dans la nuit de Noël, célèbrent la naissance du Christ : « Le son du luth ne résonne-t-il pas doucement dans la nuit ! Cœur, va à Bethléem qui retentit de célestes douceurs. »

Johann Andreas Pfeffel, Augsbourg (1746)

A Prague en 1749, un Jésuite encore, Johannes Oppelt, donne une « collection spirituelle et pensées ingénieuses73 ». Il tire son motto de l’Énéide de Virgile : « Regit animos et pectora mulcet », il gouverne les esprits et apaise les cœurs, qui renvoie à l’éloquence du luth. Le poème en appelle à son pouvoir émollient : Le doux son du luth réconforte les

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cœurs attristés et se souvenir des bonnes choses diminue la douleur et la souffrance. Oppelt est également l’auteur du livret d’un oratorio sur la fille de Jephté, mise en musique par Christian Richter (Breslau, 1737). Les Jésuites en effet réservait un rôle éminent à la musique dans leur enseignement, en particulier dans le cadre des drames sacrés interprétés par les élèves. La partition a été retrouvée dans la bibliothèque de l’abbaye bénédictine de Grüssau, en Silésie, situé au sud-ouest de l’actuelle Wroclaw. Plusieurs tablatures de luth ont également été retrouvées dans cette bibliothèque. Certaines ont été attribuées au moine cistercien Hermann Kniebandl74 (1679-1745). Compte tenu de l’interdit de l’ordre cistercien sur la pratique instrumentale75, ce père a dû réserver ces pièces à sa pratique spirituelle personnelle76. Le répertoire de ces tablatures emprunte aux grands noms du luth qui, entre Prague, Breslau et Dresde ont régné sur la Silésie, la Bohême et la Prusse : le grand Weiss, Aureus Dix, Johann Anton Losy, etc.77 Au milieu des danses de la suite, d’extraits d’opéra ou de chansons, on trouve également des pièces dévotionnelles que plusieurs indices relient plutôt à la culture des jésuites78 : tels les titres signifiants, comme Prima JESU Societas in Bethlehem ou saint Amour. Sont posées sur le luth des méditations spirituelles dont les thèmes sont typiques de l’enseignement d’Ignace de Loyola comme l’Amour divin, le Saint Sacrement, l’adoration des blessures de Jésus, la pénitence. Parfois ce sont même des cycles entiers comme l’anonyme Stations-Arien pour les fêtes du Corpus Christi, les arias latins et germaniques des lamentations funèbres sur les peines des damnés79 ou le Stabat mater attribué à Anton Menzel.

Sammlung geist und sinnreicher Gedanken, Prague (1749)

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Un siècle plus tôt, Angelus Silesius (1624-1677), qui exerça une influence importante dans la mystique des catholiques de Silésie, avait publié, toujours à Breslau, Les Saintes délices de l’âme80 (1657), une collection de 205 lieder, avec la basse continue. Sa « Psyché amoureuse de son Jésus » qui en orne le frontispice, joue du luth dans un décor d’églogue. Parallèlement, Esaias Reusner l’ancien publiait en 1645, à Breslau, son Jardin des plaisirs musicaux81, un recueil de cantiques sur le luth et son fils, en 1678, un recueil d’une centaine de mélodies spirituelles82 destinées à être chantées à la maison pour les jours de fêtes. On le voit, le luth, qui appartenait depuis longtemps à la culture visuelle de l’emblématique, n’est pas ici une simple référence intellectuelle. Il se rapporte aussi à une pratique réelle de la dévotion privée, que ce soit dans les milieux évangéliques ou dans les élites catholiques.

Emblemata trecenta (1714)

Paraissaient au début du XVIIIe à Augsbourg une série de recueils83 où les médaillons des emblèmes sont distribués par planches et les devises traduites en quatre langues comme l’Emblemata trecenta (1714) chez Wolf à Augsbourg, avec cet emblème : « Deux mains sorties des nuages jouent doucement le luth84 » assorti de cette devise : « Ex unione dulce melos, Par l’accord ». Les douces mélodies naissent de l’union pourrait être un emblème amoureux. Ce format sera imité par un graveur d’Augsbourg Jakob Willhelm Heckenauer85 (1696-1738) qui se met au service du duc de Braunsweig à Wolfenbuttel (1710).

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Gravé par Heckenauer, Wolfenbuttel (1710)

Symbolographia, Augsbourg (1701

Le Jésuite Jacob Bosch (1634-1704) avec sa Symbolographia86 (1701) recueille plus de deux mille emblèmes gravés par Johan Georg Wolfgang (1664-1744) et Jacob Müller (1670-1703). Trois emblèmes au « luth » seul, toujours avec les cordes attachées derrière

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la caisse, déclinent trois variations sur l’unité et la concorde. L’emblème 447 est explicite avec sa corde cassée puisqu’il se rapporte, au chapitre de l’hérésie, à une dissension dans le dogme de la foi avec la devise « Concentum una turbat », une seule trouble l’harmonie. Au chapitre de la poésie, le motto de l’emblème 657, « Ex varietate concentus », l’harmonie naît de la variété, est glosé ainsi : le luth tire son harmonie de la réunion de toutes ses cordes différentes en une seule entité, de même le héros constitue l’unité du poème. Malgré la bizarrerie du thème, le luth était peut-être convoqué pour suggérer l’inspiration. L’emblème 956 qui expose encore un luth à la corde brisée est une dérivation stricte de l’emblème d’Alciat. Avec la devise : « Frustra concordes aliae », en vain les autres sont d’accord, il se rapporte à la triple alliance de la Haye (1668) qui unissait les Provinces unies, l’Angleterre et la Suède contre la France de Louis XIV. Bosch précise que la corde déficiente représente la Hollande. Le graveur a représenté deux autres emblèmes avec des luths : le classique duo de luths qui résonnent par sympathie et un putto qui souffle dans une trompette et qui empêche d’entendre la musique d’un luth qui a été renversé. Au chapitre de la guerre, l’image reconduit l’opposition conventionnelle de la trompette et du luth, pour rendre l’antinomie de la guerre et des arts87. Dans son récapitulatif, Bosch associe le luth avec 16 devises latines différentes88. Certaines ne sont pas représentées et d’autres sont illustrées avec une harpe ou un clavecin.

Emblematescher Parnassus, Augsbourg (1730)

Le Parnasse des emblèmes89 (1730) de Laurentius Wolfgang Woyt compte pas moins de neuf emblèmes au luth qui offrent donc un panorama de sa polysémie symbolique : il

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représente tour à tour les plaisirs mondains, la consolation divine, le savoir, l’éloquence, la sympathie, la gaîté, ou comme pour Engelgrave, la nécessité de ne pêcher en rien. Chaque symbole est assorti d’une devise en latin, traduite en français, en italien et en allemand et il est commenté par ailleurs dans les champs sacré et profane. Cette exhaustivité se fait au risque parfois d’une certaine trivialité comme dans l’emblème du luth à la corde cassée avec le motto : « Non sicut olim ; pas com’auparavant ». Un prédicateur reçu autrefois comme un ange divin, à l’instar de Paul accueilli comme le Christ par les Galates, se voit abandonné quand, à cause la vieillesse, sa parole s’affaiblit. Et c’est un grande satisfaction pour un enseignant, quand il meurt dans ses meilleures années et qu’il est encore populaire. Une veuve avec beaucoup d'enfants, qui a enterré en même temps son mari et son père, mérite respect et la considération. Dans le premier cas, la corde cassée évoque l’éloquence perdue et dans le deuxième, les êtres chers disparus. On trouve dans l’album amicorum de Christoph Agricola d’Amberg90, colligé dans la première moitié du XVIIe, le beau raccourci d’un six-chœurs renversé avec cette devise : « À quoi bon un luth sans musique/ Et la bouche d’un chrétien sans chanson ? ».

Album amicorum de Christoph Agricola (1607-1643)

Ces chansons sont les cantiques à la louange de Dieu. Le luth renversé sur une table est souvent le signe d’un luth empêché et muet. L’originalité du point de vue se double de la qualité du dessin avec son chevillier surdimensionné par la perspective. Le luth d’Agricola n’est pas seulement le symbole de la jubilation du chrétien et de l’exaltation de Dieu. Il est également l’instrument qui accompagne au vrai les cantiques dans la dévotion privée. En témoignent les titres éloquents des recueils de psaumes contemporains : Cythara Sacra (1613) de Matthias Reymann, Testudo Spiritualis (1617) de Daniel Laelius ou Regis Pietas (1620) de Nicolas Vallet91. Le jésuite Jacob Masen (1606-1681), qui proposait de découvrir la vérité cachée des images92, faisait clairement la différence entre le symbole du luth seul et la signification du luthiste. Les symboles, expliquait-il en reprenant la tradition de l’héraldique, peuvent être des choses naturelles ou des artefacts, mais les figures humaines sont exclues. Il donnait comme exemple le luth qui désigne la concorde, ce que ne signifie pas le joueur de luth93. Au contraire, le luth est l’instrument obligé des joyeuses compagnies qui s’abîment dans la débauche. Dans la main de la femme, il la qualifie négativement, dans celle de l’homme, il le taxe de légèreté. Associé aux cartes, au tric trac, à la raquette, aux

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bijoux, aux onguents, il appartient au vocabulaire des vanités du Monde. L’emblème au luth seul se décline dans une grande variété d’interprétations, preuve de la plasticité du motif. La métaphore repose essentiellement sur le rapport de la corde à l’ensemble : pas une ne doit manquer sinon le concert est impossible. Dans le champ politique, les cordes sont les alliés ou les classes sociales, dans le domaine du sacré, il s’agit des vertus ou des passions. Le deuxième ressort symbolique est la discordia concors : l’unité naît de la diversité et de l’arrangement harmonieux des différences dans le corps (l’équilibre des humeurs), le mariage (l’entente amoureuse), et dans la cité : les trois régimes de cordes représentent les trois ordres de la société. L’homme doit tempérer ses affections, réguler ses humeurs, pondérer ses appétits. L’image de la corde trop tendue ou trop lâche s’applique à l’homme qui chasse le vice comme au prince débonnaire qui commande à ses sujets. Tout cela n’était qu’une dérivation de la symbolique de la lyre. Mais le luth véhiculait sa propre valeur iconologique. Il était l’instrument de la douceur, de la consolation, de l’éloquence, du savoir : la douceur topique de la musique trouvait dans le jeu de luth une réalité physique ; les poètes en avaient fait le confident de l’affligé, qui chasse la mélancolie et la tristesse ; le discours musical est un art de la persuasion et de la séduction, mais celui du luth est réservé aux genres élevés et académiques ; le savoir proverbial du maître de luth reposait autant sur sa capacité à bien accorder son instrument, à bien choisir ses cordes et à les tendre avec art, qu’à jouer de savantes fantaisies. Aussi, le meilleur luth ne sonne bien que s’il est bien joué et si le luthiste (un Dieu créateur, le prince sage, l’homme tempéré) exerce son art avec sagesse. Enfin, le luth des plaisirs et de la fête94 associe le chant à la jubilation car la musique plait à Dieu et sert à le louer.

Allégorie de la musique, gravé par Lepautre

René Vayssières

1 Musica getutscht de Sebastian Virdung (1511) ; Tabulaturen Etlicher lobgesang und lidlein uff die orgeln und lauten (1512) d’Arnolt Schlick ; Utilis & compendiaria introductio (avant 1520) et Aine schone kunstliche vnderweisung in disem büechlein (1523) de Judenkünig ; Cythare germanice tabulature (1525 ou 1532) de Schlumberger (la tablature, perdue apparaît dans le catalogue de la bibliothèque de Christophe Colomb) et peu après la Musica Teusch (1532) et la Tabulatur auff die Laudten de Gerle (1533). 2 Tres breve et familiere introduction pour entendre & apprendre par soy mesmes a jouer toutes chansons reduictes en la tabulature de Lutz et Dixhuit basses dances Le tout reduyt en la tabulature du Lutz 3 Le luthiste Saint-Amant dénoncera « l’emblème pédant » dans la Pétarrade aux rondeaux (1643). 4 « Fidei symbolum » « la devise de Foy »: Honneur, la Vérité nue et l’amour chaste sont nécessaires pour établir la confiance et la foi ; « silentium » quand il est silencieux le fou ne diffère pas du sage ; « non

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vulganda consilia », la nécessité de garder les secrets ; « Nec quastioni quidem cedendum » il ne faut pas céder même sous la torture. 5 La concorde est l’objet de plusieurs emblèmes : deux corneilles et un sceptre, la poignée de mains des soldats, Geryon le géant à trois têtes, Diomède et Ulysse (« L’ung vault en force, & l’aultre en bon conseil. L’ung ne peut rien, sans l’aultre son pareil. Quand ilz sont joingtz : victoire est seure, en somme » et l’emblème firmissima : « Cest Embleme est faict à l’honneur de L’empereur Charles cinquiesme, qui garda le grand Turc de passer à Vienne en Austriche (bataille de Mohacs en 1526). Le chêne résiste à la tempête même quand elle le dépouille de ses feuilles.) 6 Il se marie avec la nièce d’Ignace de Loyola. 7 La précision est imposée par l’autre acception de laud : le bateau. 8 Emblemata moralia 9 Avec le féminin du latin : « chelydis, instrumenti musici, quod Reginae nomine nobilitatur ». La gravure, d’une série différente, est également ornée d’un motto : « Musica noster amor, rerum placidissima concors Harmonia ; at praestant interiora sonis. » 10 Voyez l’emblème sur Télémaque dans les Emblemas morales de Juan de Horozco de Covarrubias (1589-1591-1604) et l’emblème 31 de la deuxième centurie dans les Emblemas morales (1610) de Sebastián de Covarrubias. 11 Un jongleur (juglar) joue le luth devant Damoclès attablé, à l’affût à cause de l’épée suspendu au-dessus de sa tête. C’est une variation du motif de l’insouciance du joueur de luth, un lieu commun pour signifier la vanité des choses terrestres. Alors qu’un pot de fleur ou qu’un arbre coupé lui tombe dessus, ou que le déluge se prépare, une joyeuse compagnie s’oublie dans les plaisirs. Un autre joueur de luth fait danser deux personnages sur une table : « Quand le maître joue, quelques-uns dansent. » avec le motto : « Nervis alienis mobile lignum » 12 « Qual la mano que le toca » ou « je suis tel que la main qui me joue » 13 « Delenit Musa furores » 14 « Turbatum furiis Saulem Jessaeus Arion/ Sedavit cytharae dulcicrepante chely./ Tacta melancolicos pellit testudo furores,/ Atque potest hominem restituisse sibi. » 15 La gravure par le toulousain Guiraud Agret est datée de 1551. 16 Cf. notre article Le luth spirituel. 17 « Arcus Nimis intensus facile rumpitur » 18 Son Zodiaque est dédié à Johann alors comte de Hohenzollern Sigmaringen (1578-1638), un allié catholique de Maximilien. 19 Traduit en allemand ou en anglais, il l’est en français seulement au XIXme siècle par le père Perrin (1837) 20 Voyez saint Augustin. 21 Les références aux Écritures ne manquent pas : « Vous servirez nuit et jours d’étranges dieux qui ne vous laisseront pas de repos ». (St Jérôme). « Ne suis pas ta concupiscence » (Ecclésiaste) ; « Si vous vivez selon la chair, vous mourrez, mais si vous mortifiez les œuvres de chair, vous vivrez. » (Épître aux romains). « Il n’y a pas de plus grand plaisir que de vaincre notre plaisir, ni de plus grandes victoires que de soumettre nos désirs » (Saint Cyprien) etc. 22 « Hoc enim est omnes citharae fides in concordiam componere ? » 23 Cytharoedus tamdiu discordes inter se chordas ad musicam legem attemperat, dium in symphoniam consentiant. 24 La traduction anglaise reste dans la métaphore musicale : « et chaque fois que les passions de colère ou de luxure risquent de monter trop haut, il les réduit encore au bon ton et les ramène à la raison. » 25 « Instruction pour réduire toutes sortes de tabulatures de luth en musique » 26 « Musica grata deo ». 27 Pratum musicum (1584) d’Emmanuel Adrianssen (1554-1604) ; Florilegium (1594) d’Adrian Denss; Noctes Musicae (1598) et Cythara sacra (1613) de Matthias Reymann (1565-1615) ; Le trésor d’Orphée (1600) d’Antoine Francisque; Thesaurus harmonicus (1603) de Jean-Baptiste Besard (1603). Il omet Johann Rude Flores musicae (1600) Elias Mertel (1561-1626)) publie la même année (1615) son Hortis Musicalis à Strasbourg. 28 Hauer fut le premier biographe de Durer le luth de … et on lui doit la chronique de la famille de Durer et le voyage en Hollande. 29 Isagoge in artem testudinariam, Augsbourg (1617)

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30 Orné de ce motto : « et Pallade et Phoebo », qui renvoie à l’intérêt de Besard pour les sciences et la musique. 31 Voyez sa Vénus au luth ou ses grotesques. 32 « Angelica in coelis Musica finis erit/ Angelicis similes, modo gratia Numinis adsit/ Spiritibus bene nos facta fidesque dabunt… » 33 1633, 1664, 1666, 1681 1698. 34 « Gross und kleinen saïten » et « gross und kleinen leuthen ». 35 « In Foedera quaedam nostrorum temporum : « Cur mihi rauca Cheliis sonitu discordat inerti ? » 36 « Heu crepat ad sonitum prope chordula tensa supremum. Cum venis ad summum, saeve Tyranne peris. » 37 Voyez également Newsidler : « quiconque veut apprendre à accorder le luth doit d’abord tendre la corde la plus aigue, ni trop haut, ni trop bas mais modérément haut autant que la corde puisse le supporter », dans Ein Nexgeordent Künstliche Lautenbuch (Nuremberg 1536) (« Wer die Lauten sichen wil lerne, der sihe erste die quinsaiten nik zi hoch, such nik zu nider ein zymliche hoch was die saiten erkeiden mag »). Milan quant à lui recommandait d’accorder d’abord la basse si la vihuela était grande ou la chanterelle si la vihuela était petite : « Subireys la prima tan alto quanto lo pueda suffrir ». Il dit la même chose que Robinson qui, avec humour recommande de tendre la chanterelle aussi que possible, juste avant qu’elle casse : « first sut up the treble so haigh as you dare venter for braking » The schoole of musick (1603) 38 « ex summis et infimis et mediis interiectis ordinibus » que l’on peut rapporter aux patriciens, aux plébéiens et aux esclaves si ces derniers sont pris en compte par Cicéron dans la République. 39 « Primes, punters e bordonets », Naples (1444) ; « tenori, contricante et cantarelle » Milan (1471) ; « Sotanele, mezane, bordone» (1503) « trebles, meanes, basses », A varietie of lute lessons (1610) de Dowland. 40 « Liuto, leuto, lira, vivola, arpa » Il semble faire la différence entre leuto et liuto. 41 Il est également l’auteur d’un livre d’emblèmes sacrés, Imprese sacre, Vérone (1613). 42 Voyez par exemple : « Funiculus triplex difficile rumpitur » de l’Ecclésiaste (4,12) : la réunion de trois cordelettes est difficile à briser. 43 Imprese d’Alcibiade Lucarini, Sienne (1629) 44 « Mediis etiam jocis ». 45 « Versa est in luctum cythara mea » 46 De même dans le Speculum Imaginum veritatis occultae (1664) du Jésuite Jacob Masen. Ces rappels rendent comptent de la circulation des livres dans la congrégation. 47 « Vis vitam tollere, tolle fidem ». 48 Il a publié l’Iconologie de Ripa. 49 « Sine fide, sine gaudio ». 50 Arion joue de la lyre dans un autre emblème de l’Imago. 51 Attendue pour un jubilé. 52 Afbeeldinghe van d'eerste eeuwe le Societeyt Jesu 53 Citée encore dans les Hiéroglyphiques (1556) de Valerian, la Galliade (1578) de Lefèvre de la Boderie ou le Recueil d’emblèmes de Baudouin (1638) pour une défense de la musique. 54 Les tendons du Christ sont dans la Patristique souvent comparés aux cordes d’une lyre. 55 Anecdote de Lawrence Beyerlinck (1578-1627), prêtre d’Anvers, dans le tome VI du Magnum Theatrum Vitae Humanae (1631) 56 Il est le frère de Philippe de Montmorency (1524-1568) décapité par le duc d’Albe suite à la révolte iconoclaste des gueux (1566). 57 « Chelym seu violam ». 58 En nérlandais : « Hoe heerlijk meent men op te speelen/ Als al ons Koorden zijn gesteld ; / Maar straks houd op ons lieftlijk queelen, / so een maar berst door ons geweld. » 59 Chez l’éditeur Freysinger à Regensburg (1675). 60 Il est l’auteur d’un ouvrage sur l’agriculture : Georgica curiosa. 61 « Ut se suavisono diffundit Musica tactu/ Pulsat quando fides ingeniosa manus:/ Sic tam perfecti formata animantia Mundi/ Dulce Creatoris nomen in astra vehunt. » 62 « Von einer maisterhand gerührt fürtrefflich klinget/ Die laute; wan wol sind die saiten eingenstimmt:/ Von Gottes weisheit so die ganze welt entspringet/ und der geschöpffe kunst den Schöpffer macht berühmt. »

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63 Conceptus chronographicus et Mira satis ac sine omni peccato Mariae sanctissima conceptio, Augsbourg (1712). Les dessins de I. C. Banawiz sont gravés par Johann Heinrich Störcklin. Voyez également l’emblème des deux luths « consonat illa ». 64 « Destruit ex multis, numerat quas cithara, chordis unica concordem chordula rupta sonum » 65 « Barbitos hic quid muta jacet ? scio : destruit una, concordemque negat chordula fracta sonum. » 66 Avec peut-être un jeu de mot avec le latin foret, percer. 67 « Pour une qui saute, tout le jeu faillit, Wan eine springt, das spill misslingt. » 68 Une fable veut éclairer ce propos : une Nymphe très belle se réfugie dans une grotte ou elle pense se reposer. Apollon décoche une flèche lumineuse dans l’antre et elle se voit entourée de crapauds et les serpents. Elle s’enfuit s’affaissant aux pieds des chasseurs comme une biche blessée. Par Phébus il entend le soleil divin de la Justice, la Nymphe c’est Marie la plus belle entre toutes les femmes, les monstres sont les péchés. 69 « Communis utilitatis studium » 70 « Tunc cytharae ludus mulcebit dulciter Aures, / Chordula si quaevis consona ritè canat. » 71 « Uti Cytharae suavitatem harmonicam vel unica, quae dissone strepuerit, chordula totam in aure dissolvit. » 72 « Güldene aepfel », c’est un jeu de mot sur son nom. Dans un autre emblème, un petit page noir joue du luth pour une dame avec ce motto : « faciem non curat, at artem ». La princesse ne se préoccupe pas des apparences mais de l’art. 73 Sammlung geist und sinnreicher Gedanken, über Verschiedene aus der Natur, Kunst, und Wissenschafften vorgestellte Sinn-Bilder. Ici, la discordia concors est illustrée par une harpe. 74 « Livre du Luth Contenant des pièces les plus exquises [...] pour sa Paternité très Religieuse, le Père Hermien Kniebandl : Profé de l’Ordre Sacré et Exempt de Cîteaux : À la Maison des grâces à Grissau ». 75 « Musica vero instrumenta nullo Sacerdoti neve non Sacerdoti permittantur » 76 Mais son cas n’était pas unique : Placide Marie Pichler (1725-1796), par exemple, qui est présent dans ces tablatures, entra dans l'ordre de Saint-Benoît à Thierhaupten en 1741. Il est ordonné prêtre en 1744 et il jouait l’orgue au couvent de Scheuern. Il a laissé six trios pour le luth, le violon et le violoncelle. Sa musique pour luth solo subsiste dans plusieurs manuscrits). 77 Mais aussi Johannes Christoph Hobach, Pierre Gaultier, Karl Zedlack … 78 Voyez cette apostille « A mon départ de Schweidnitz au Juin 1754 », un important centre de la Compagnie de Jésus. 79 Naenia funebris de poenis damnatorum. 80 Heilige seelen lust… 81 Musicalische Lust-Garten 82 Hundert Geistliche melodien evangelischer lieder 83 Voyez l’Emblematische Gemüths-Vergnügung, Augsbourg (1693) 84 « Zwein hände aus der Wolcken, weiche auf der lauten schlagen. » 85 Betrachtung Drey hundert und sechtzig der curieusesten und ergetzlichsten Sinn-Bildern. La main qui anime la corde est accompagné de la devise « en la touchant, je l’ai fait revenir à la vie » (« Tactu animata revixi ») dans le Coelum christianum (1749) du bénédictin Célestin Leuthner à Augsbourg. L’âme du croyant touchée par la grâce divine est comme la jeune fille du chef qui fut sauvée par sa foi quand elle est touchée par Jésus dans Matthieu (9,18). Le thème du bois mort réanimé est une énigme traditionnelle du luth. 86 Symbolographia sive De Arte Symbolica Sermones Septem, Augsbourg (1701) 87 « Bonis Artibus inimicum, tuba cum cithara inversa. » 88 « Vexanti responsat amice », « Responsat amice », « Concordes Animae », « Unam tetigisse sat est », « Alterutram tetigisse sat est », « Concordi Concors » et « Consonat ultro » pour les deux luths géminés. Le dessin du clavecin est aussi improbable que celui du luth ; « Audiri prohibet » pour le luth et la trompette ; « Minimum concordibus obstat. » avec une horloge cassée ou un luth ; « Nec tensius, nec remissius, ni trop tendu ni trop lâche » pour une harpe ou un luth ; « Concentum una Fides turbat. » ; « Omnis in Unam » peut se sunstituer à « Ex varietate Concentus ». « Tacta DEO mulcet, elle apaise quand elle est touchée pour la louange de Dieu » illustré par une harpe ou un luth ; « Torpentum nulla voluptas » : la vie des hommes oisifs est pleine de tristesse, avec des luths et des violes qui sont suspendues au mur ; « Frustra concordes aliae ». La discordia concors est représentée par une partition.

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89 L’Emblematescher Parnassus (1730) a été gravé par Johann Balthasar Probst (1673-1750) pour les héritiers de l’éditeur Jeremias Wolff (1663-1724) à Augsbourg. 90 Munich, BsB, cod. germ. 3266 : « Was nutzt die Laute ohne Klang ? / Der Mund ein's Christen ohn' Gesang ? » Au folio 207, un dessin représente les étudiants qui font de la musique dans le broken consort d’un virginal, d’une basse de viole, d’un violon, d’un luth, d’un cistre et d’un vent. Agricola, eques auratus et conseiller de l’empereur Ferdinand III, a laissé plusieurs oraisons funèbres. 91 Auquel il faut ajouter les manuscrits : le Thysius, le Dallis, les livres de luth de Christopher Lowther et de Virginia Renata von Gehema, le manuscrit de Koenisberg, 92 Speculum Imaginum veritatis occultae, Cologne (1664). 93 « Idem de instrumentos sentimus quae metaphorice usurpata solum toleramus ; ita cithara ut concordiam, non ut citharoedum denotat serviet. » 94 Pour Jacob Masen, une jeune fille avec un luth et des instruments de musique représente Festivitas : « virguncula cum cithara ».