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École Nationale Supérieure d’Architecture de Nancy Master 2 – Parcours Villes, Territoires et Sociétés Séminaire Villes et Territoires, Habitats et Cultures – Enseignants : Vincent Bradel et Alain Guez Année universitaire 2011/2012 KARAYER Demet L’ESPACE PUBLIC : L’ Espace Social dans les quartiers de Fener et Balat à Istanbul

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École Nationale Supérieure d’Architecture de NancyMaster 2 – Parcours Villes, Territoires et Sociétés

Séminaire Villes et Territoires, Habitats et Cultures – Enseignants : Vincent Bradel et Alain GuezAnnée universitaire 2011/2012

KARAYER Demet

L’ESPACE PUBLIC :

L’ Espace Social dans les quartiers de Fener et Balat à Istanbul

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L’ESPACE PUBLIC :

L’ Espace Social dans les quartiers de Fener et Balat à Istanbul

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J’ai pu écrire une grande partie de ce mémoire grâce à l’aide de plusieurs personnes que je souhaite remercier, notamment, Aysegül Cankat, enseignante à l’Ecole d’Architecture de Grenoble qui a partagé ses connaissances sur Istanbul et les quartiers de Fener et Balat; Ayhan Böyür, enseignant à l’Université de Yildiz Teknik ; Gülsen Özaydin, enseignante à l’Ecole d’architecture de Mimar Sinan; les membres de l’IFEA, surtout Brian Chauvel, doctorant en sociologie à EHESS Paris; Mücella Yapici, directrice à la Chambre des Architectes à Istanbul ; les membres de l’association FEBAYDER et le président Ibrahim Güntekin; les membres de l’association de Tarlabasi et le président Ahmet Gün et Selva Kilic, la seule architectes dans le quartier de Balat.

Enfin, j’ai une pensée particulière pour les habitants des quartiers de Fener et Balat qui ont été très accueillant lors de mes visites sur place.

D. K.

Remerciements

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Que fait-on dans la rue, le plus souvent ? On rêve. C’est un des lieux des plus méditatifs de notre époque, c’est

notre sanctuaire moderne, la Rue.

L. -F. Céline, Semmelweis

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TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION

I. ESPACE PUBLIC : DÉFINITION ET TRAME

1. L’espace public aujourd’hui : un recours ?

2. L’échelle, la forme et les enjeux de l’espace public

3. L’espace public : une approche socio-spatiale ?

4. Et l’espace public à Istanbul ?

II . CONTEXTE HISTORIQUE

1. 1. Un début prospère pour Balat et Fener

2. XIX et XXème siècle : déclin du prestige et le début de la mutation sociale

3. Et les rives de la Corne d’Or : un destin identique aux quartiers ?

4. Des lieux stratégiques : le souk, le marché et les «kahvehane»

III. INTERACTIONS SOCIALES DE L’ESPACE PUBLIC

1. Les ambiances architecturales et urbaines : répercussion sur les pratiques socio-spatiales

2. Les dynamiques des espaces publics : observation et perception de l’espace

3. La fréquentation et la représentation de l’espace public : quelle image transcrit-il?

CONCLUSION BIBLIOGRAPHIE et ICONOGRAPHIE

ANNEXES

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Les espaces publics urbains (rues, places, parcs, halles publiques de divers types, etc.) sont des objets de la plus haute importance pour les collectivités urbaines. Longtemps, ils ont été une exclusivité d’ingénieurs, d’architectes et d’urbanistes qui voyaient avant tout dans ces espaces les aspects matériels, techniques et formels. On s’inscrit dans une tendance plutôt récente qui suggère que les sciences sociales (géographie, sciences politiques, sociologie, etc.) contribuent aussi à la compréhension et à l’explication de cet aspect de la réalité urbaine à partir des pratiques et des représentations des citadins, mais pas exclusivement.

Pour ce mémoire, on se dirigera d’avantage sur l’analyse de l’espace public d’un pays en voie de développement : la Turquie ; et plus précisément à Istanbul, ville cosmopolite et grande métropole du pays. L’espace public est au centre d’un vif débat actuellement en Turquie comme ailleurs. Du point de vue politique, le concept est défini comme un espace en opposition avec l’espace privé de l’individu et de sa famille. Il existe cependant un malentendu profond dans la définition même de l’espace public. Pour certains, l’espace public – «kamusal alan» en turc – comprend la totalité des établissements publics et tout ce qui est relatif à l’État. Pour d’autres, « kamusal alan » est la traduction de la notion de « Öffenlichkeit », l’espace public dans le sens où Jurgen Habermas le définit : un espace abstrait de débat et de consensus entre les individus d’une société, espace collectif où les idées sont argumentées et discutées à travers le raisonnement, et les conflits sont résolus par le consensus des partis. Autrement dit, l’espace public est l’espace collectif dans lequel tous les discours, idées et actions sont générés pour le bien commun de la société. Tous les moyens et espaces de communication, de publication et d’action font partie de l’espace public. Il est à noter cependant que la notion de «kamusal alan» (l’espace public) n’existait pas encore dans les dictionnaires de sciences sociales et de philosophie publiés en Turquie dans les années 1970. «Kamu » est un mot qui a été introduit au cours des réformes linguistiques des années 1930. Emprunté au turc ancien, il signifiait « le tout », « tout le monde » à l’origine. Introduit pourtant pour correspondre au mot « public » dans tous les sens que celui-ci implique dans les langues occidentales, il a été utilisé à la place du mot ottoman, «amme », dans le sens restreint de ce qui est relatif à l’État : le secteur public.C’est à la fin du XXème siècle que les architectes, urbanistes et paysagistes introduisent l’expression de « kamu mekânı » pour « l’espace public », au sens « d’espaces libres ou bâtis, ouverts à l’utilisation générale ». Il implique surtout une catégorie d’espace comprenant les places publiques, la voirie, les rues, les rues piétonnes, les parcs (jardins publics), les coulées vertes et les promenades, les terrains de sport, etc. La pratique de l’aménagement urbain bénéficie d’une législation qui se base sur la primauté de l’intérêt public – « kamu yararı » – en Turquie. La création des espaces publics et des « équipements sociaux » (les équipements d’enseignement, de santé et de culture) est considérée comme l’un des objectifs d’intérêt public de l’aménagement urbain. Aujourd’hui on compte une multitude de projet urbain lancé

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par la ville d’Istanbul tel que sur les rives du Bosphore, les rives de la Corne d’Or, la grande place de Taksim... qui néglige le contexte historique, urbain, et social des sites. La complexité et la définition confuse du terme «espace public» dans le langage turc provoquent constamment des dégâts de l’environnement urbain et social. Cependant, une meilleure compréhension du site pourrait améliorer les choix d’aménagement politique. Une étude de l’espace public à Istanbul aboutirait probablement à un résultat abstrait et pas assez précis, c’est pourquoi pour ce mémoire, on s’appuiera sur l’étude de l’espace public de deux quartiers situés sur la péninsule historique, Fener et Balat, pour illustrer nos propos. Par conséquent, l’espace public d’un quartier répond à des besoins et enjeux différents de l’espace public étudié à l’échelle de la ville.

Ignorés des touristes, les quartiers de Fener et Balat comptant environ 40 000habitants, sont restés des quartiers authentiques de la ville d’Istanbul et font penser à un village d’Anatolie égaré dans la métropole. La désignation de « mahalle » que l’on peut traduire par « quartier » pour Fener et Balat, souligne l’aspect d’une vie de quartier. Il m’a paru évident de décrire le parcours de ces deux quartiers avoisinants, mon ressenti et davantage ma perception de l’espace pour en tirer quelques enseignements. Les quartiers « Fener-Balat » sont alors devenus l’objet plus ciblé de mon mémoire. C’est l’espace que j’ai longuement pratiqué et le plus observé durant mes derniers voyages à Istanbul. C’est aussi un espace public situé dans un quartier en difficulté : lieu d’enjeux politiques, économiques et sociaux d’Istanbul.

De manière générale, ce mémoire sera l’occasion d’une part de sensibiliser le lecteur à un monde culturel très différent du nôtre. D’autre part d’interroger les notions de lien social et d’espace public dans la relation qu’elles entretiennent l’un par rapport à l’autre. Cette interrogation nous amène ainsi à poser la question principale de ce mémoire : Quel est le rôle de l’espace public dans la compréhension et la formation du lien social ?

L’émergence de tous ces espaces publics ne peut se comprendre sans être replacée dans son contexte urbain. Tout d’abord celui de la morphologie urbaine du quartier rattachée au contexte historique. Et ensuite celui des représentations du quartier : les usages et les pratiques de ces espaces publics vécus par les habitants.

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I. ESPACE PUBLIC : DÉFINITION ET TRAME

La rue-corridor à deux trottoirs, étouffée entre de hautes maisons, doit disparaître. Les villes ont le droit d’être autre chose que des palais tout en corridors.Le Corbusier, Urbanisme

Toujours un nouveau mode de production, une nouvelle société, s’approprie, c’est-à-dire organise à ses fins l’espace préexistant, modelé auparavant. Henri Lefebvre, La production de l’espace

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1. L’espace public aujourd’hui : un recours ? On assiste, en cette fin de XXème siècle, à un retour en force de l’étude de l’espace public, qui tend à devenir l’élément central des projets urbains ; on semble redécouvrir que l’espace public, permet de gérer des enjeux essentiels et qu’il peut être un puissant instrument de cohésion sociale et matérielle de la ville. Il est difficile de donner une définition exact du terme « espace public » qui est un terme polysémique désignant un espace à la fois métaphorique et matériel. Comme espace métaphorique, l’espace public est synonyme de sphère publique ou de débat public. Comme espace matériel, les espaces publics correspondent tantôt à des espaces de rencontres sociales, tantôt à des espaces géographiques ouverts au public, tantôt à une catégorie d’action.

La recherche historique du terme « espace public » indique qu’il est apparu au cours des années 1960, à la suite des travaux de Jürgen Habermas (1962), théoricien allemand en philosophie et en sciences sociales. Ceux-ci portaient sur la constitution progressive, au cours du XVIIIème siècle, d’une sphère de la publicité (Öffentlichkeit) fondée sur l’usage libre et public de la raison, et sur une autonomie progressive par rapport à la sphère du pouvoir. Si les lieux ont leur importance dans ce processus (cafés, théâtres, etc.), le terme d’espace public désigne alors davantage un espace abstrait et changeant, prenant la forme du rassemblement qui le fait naître. Par ailleurs dans les années 60, Henri Lefebvre, sociologue et philosophe français, insistait sur la priorité à donner à la valeur d’usage de l’espace public dans le processus de requalification de la ville : « Que le tissu urbain enserre la campagne et ce qui survit de vie paysanne, peu importe, pourvu que « l’urbain », lieu de rencontre, priorité de la valeur d’usage, inscription dans l’espace d’un temps promu au rang de bien suprême parmi les biens, trouve sa base morphologique, sa réalisation pratico-sensible ».

A partir des années 1970 s’opère un glissement sémantique, le terme étant de plus en plus employé comme une catégorie de lecture de la ville, pour désigner un espace matériel porteur de caractéristiques propres en termes de formes et d’usages. L’émergence puis l’affirmation de cette définition des espaces publics sont simultanées de leur transformation en catégories d’action puisque ces derniers deviennent, au même moment, un élément des différentes politiques urbaines en Europe.

Par la suite, les années 1985-1995 n’ont fait qu’amplifier dans l’ordre du pouvoir, le besoin de produire des espaces publics concédés aux citoyens. Jamais nos villes n’ont enregistré autant de création d’espaces dénommés « publics » en réponse à des attentes ou pour en justifier une demande sociale. Car l’espace public est porteur d’urbanité, d’identité de la ville à partir d’un travail d’ajustement de ses groupes sociaux. On lui reconnaîtra des valeurs d’espace physique, celles d’un lieu plus ou moins bien défini, pratiqué, souvent nommé. Il est aussi espace social, celui que définit, selon Habermas, la sphère sociale par rapport à la sphère intime (on peut voir

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l’opposition entre la rue ou la place et la maison, le logement). Il se différencie alors selon les pratiques de consommation et d’usage du temps des différentes couches sociales. Il est le reflet des rapports sociaux. En tout cas, la banalisation du terme au cours des années 1990 et 2000 va donc de pair avec une polysémie croissante.

Les espaces publics font l’objet d’une idéalisation importante dans les sociétés occidentales, si bien qu’ils sont souvent considérés comme un « espace vertueux de la citoyenneté, porteur intrinsèquement des vertus de l’échange interpersonnel » (Lussault, 2001). Cela s’explique par l’histoire du terme, qui établit un lien fort entre la crise des espaces publics et celle de la vie collective et de la démocratie (Thomas, 2001). De plus, en donnant un nom générique à ces lieux aux statuts, aux formes et aux pratiques variés, acteurs et observateurs de la ville autonomisent une portion de l’espace urbain à laquelle ils attribuent des caractéristiques propres que nous tenterons de définir ici.

2. L’échelle, la forme et les enjeux de l’espace public

Ce chapitre a trois objectifs : d’abord réaffirmer et préciser l’importance de la forme des espaces publics ; ensuite souligner que cette forme a une histoire, indispensable à sa compréhension ; enfin, présenter des lieux précis où se dérouleront nos investigations. Pour préciser l’importance de la forme architecturale et urbanistique, on propose deux points de vue. La première consiste à rappeler l’échelle sociospatiale de l’urbain. On reconnaît à cette échelle six niveaux allant du micro- au macrosociospatial : 1. Le logement qui remplit la fonction de l’habiter et l’atelier et le commerce qui correspondent à la fonction urbaine du travail. 2. Le voisinage qui concerne quelques logements (dans un immeuble ou une rue) qui sont directement liés ; idem pour les ateliers et les commerces. 3. Le quartier qui regroupe plusieurs voisinages et qui offre des services et équipements pour satisfaire les besoins quotidiens de leurs habitants : école, commerces, services publics, espaces publics, lieux de culte, etc. 4. Le « mahalle » qui représente un territoire comprenant plusieurs quartiers et zones. 5. La Mairie qui est constituée d’un ensemble de « mahalle » ; dans notre exemple, la Mairie de Fatih comprend l’ensemble des « mahalle » de la péninsule historique inscrit à l’UNESCO. 6. La métropole : c’est une immense agglomération de près d’un million et plus d’habitants qui rayonne économiquement, plus ou moins mondialement. Le Grand Istanbul constitue une métropole avec plus de 15 millions d’habitants. Ces niveaux micro et macro sont interconnectés par des réseaux de voies (rues, routes,

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avenues, autoroutes) et des places de types divers, les unes et les autres accueillant des réseaux techniques et territoriaux. La combinaison du réseau des voies et places et des réseaux techniques et territoriaux constituent l’essence des espaces publics. Le réseau des espaces publics ainsi conçu est l’épine dorsale de l’urbain et de la métropolisation. C’est grâce à ce réseau d’espaces publics que l’urbain et la métropolisation peuvent être conceptualisés en termes d’espaces de flux. Mais on note tout de même que le réseau d’espaces publics reste toujours aussi un système de lieux « uniques ». Le second point de vue s’appuiera sur la théorie de l’architecte, urbaniste et auteur Kévin Lyunch (1969), qui d’après les travaux menés sur Boston, New Jersey et Los Angeles, a mis en avant la lisibilité de la réalité urbaine en fonction de cinq éléments qui sont :

- les voies - les limites - les nœuds - les quartiers- les points de repère.

Ils constituent bien la structure de l’urbain et de la métropolisation et il est vrai qu’il serait pertinent de décrire le quartier de Fener-Balat avec ces cinq éléments. Ces cinq éléments sont aussi utiles pour rendre compte du réseau des espaces publics: les voies et les nœuds correspondent aux rues, aux routes ainsi qu’aux places. Les limites sont très importantes dans les espaces publics, ce sont les façades des immeubles et autres équipements. Elles forment non seulement la limite entre les sphères publiques et privées, mais elles contribuent aussi et de façon fondamentale à l’ambiance des espaces publics par une architecture et leur urbanité. Les quartiers et les zones avec leur morphologie et leur population, constituent les contextes des espaces publics qui les traversent. Quant aux points de repères des espaces publics (bâtiments religieux, monuments historiques, mobiliers urbains, etc.), ils sont fondamentaux dans la structuration des espaces publics. De façon globale, ces cinq éléments sont doublement importants : sur le plan de l’urbain et sur celui des espaces publics.

Deux notions complémentaires sont toutefois indispensables pour décrire la forme du réseau des espaces publics. 1. Il ne faut tout d’abord pas omettre, dans la présence de ce réseau, d’ajouter les parcs et les jardins urbains. Quoique fort différents des nœuds et des places, ils sont absolument incontournables. 2. Deuxièmement, le réseau des espaces publics se caractérise par le fait qu’il est libre de construction, régi par le droit public et partant qu’il est accessible à tous les citadins. De notre point de vue, il est indispensable de prolonger ce réseau par d’autres espaces, qui ne sont pas exclusivement de droit public, pas ouverts et accessibles à tous. On fait référence à des espaces semi-publics, tels les halls de gare, les postes, les cafés et les restaurants,

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les bâtiments publics et les lieux de culte, etc. Le réseau des rues, places et parcs doit ainsi absolument être considéré avec ses prolongements semi-publics. Pour conclure ce paragraphe sur la forme architecturale et urbanistique, on souligne qu’elle joue quatre fonctions fondamentales dans la dynamique urbaine. 1. D’abord, la forme des espaces publics donne accès à tous les lieux de l’urbain ; elle joue donc un rôle crucial pour le bon fonctionnement urbain. 2. Ensuite, ce réseau oriente géographiquement et de façon urbaine chaque citadin; en effet, voies, places, parcs et autres points de repères permettent à chacun de se positionner géographiquement dans l’agglomération urbaine. 3. Plus encore le réseau des espaces publics, grâce à ses monuments, à ses noms de rues et de places, etc.., donne du sens à l’urbain, ceci en renvoyant à certains moments historiques importants, en suscitant des émotions esthétiques, et en rappelant des normes éthiques, politiques et religieuses. 4. Enfin, mais on y reviendra dans le dernier chapitre, le réseau des espaces publics participe à l’intensité du lien social.

La forme urbanistique de l’espace public urbain peut être définie par le réseau des rues, ruelles, boulevards, places… qui innerve l’urbain. Ce réseau irrigue des quartiers, des zones et des équipements dont l’architecture s’impose avec force à l’espace public. Le réseau d’espaces publics comprend encore des espaces verts qui, selon leur grandeur, sont eux aussi traversés par des rues et autres voies.Le plus souvent, ce réseau de rues, places et parcs est libre de constructions et se trouve régi par le droit public. Il constitue l’essentiel des espaces publics d’une agglomération urbaine. Bien sûr, ce réseau d’espaces publics est conditionné par le site géographique de l’urbain ; de même, il est plus ou moins ordonné par des règles urbanistiques de nature fonctionnelle et esthétique, d’où le concept de forme urbanistique des espaces publics. Ce réseau viaire donne accès à d’innombrables maisons et immeubles abritant toutes sortes d’activités privées (logements, ateliers, bureaux). Ces bâtiments suscitent une émotion architecturale chez les usagers des espaces publics, c’est-à-dire qu’ils sont conçus avec des critères esthétiques qui parfois jouent un rôle important sur l’espace public. De ce fait, ils influencent les espaces publics comme les activités qu’ils abritent et qui débordent sur eux. Un nombre non négligeable de ces bâtiments privés a une vocation publique (c’est-à-dire qu’ils sont accessibles à tous) : cafés, restaurants, services, commerces, halles diverses. Des conditions sélectives sont souvent à leur accès. Néanmoins, ces établissement, bordiers directs du réseau des rues et des places, sont considérés comme faisant partie de l’espace public urbain.

Lorsqu’on analyse à grande échelle, on note que les espaces publics assument des rôles essentiels pour une agglomération ou une métropole. Selon les caractéristiques de chacune d’elles, ces rôles deviennent des enjeux qui seront plus ou moins bien assumés aux risques et périls par l’agglomération ou par la métropole. On peut distinguer plusieurs enjeux interdépendants à cette échelle :

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-Enjeu de mobilité qui implique accessibilité à tout l’urbain par tous les citadins

-Enjeu des usages civils, festifs et culturels, commerciaux plus ou moins réguliers

-Enjeu de sociabilité qui signifie que tous les citadins peuvent selon des modalités diverses rencontrer tous les autres citadins

-Enjeu d’identité

Ces enjeux d’ordre général se distinguent et se spécifient à l’échelle du quartier :`

-Enjeu de mobilité à micro-échelle

-Enjeu d’usage quotidien et régulier par la population locale

-Enjeu de sociabilité micro-local du quartier et un sentiment d’insécurité pour les «inconnus».

-Enjeu d’identité plutôt délaissé et spontané perçu de façon différente selon les personnes.

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Ainsi la recherche urbaine met en exergue le fait que l’une des caractéristiques les plus importantes du citadin contemporain est sa mobilité. Elle implique la marche, bien sûr, mais aussi l’usage de nombreux moyens de transport qui presque tous dépendent de l’espace public. Par ailleurs, on note aussi l’importance des usages publics inscrits dans divers bâtiments : magasins, banques, postes, etc. qui se reflètent très régulièrement sur les espaces publics. Ils impliquent des cycles et impriment des dynamiques très spécifiques aux espaces publics où ils se situent. D’autre usages sont plus éphémères, ils émergent selon des temporalités propres à l’urbain ou aux saisons. Il s’agit d’usages commerciaux, festifs, civils. Plus précisément par exemple, la plupart des commerces riverains des espaces publics, selon les saisons, font déborder leurs activités sur l’espace public : terrasses de café et restaurant, étalages de toutes sortes, marchands ambulants, marché, publicité. Cette animation commerciale se double d’une animation culturelle et festive : théâtres de rue, cortèges, concerts, fêtes religieuses.

La mobilité et les usages qui sont organisés impliquent une sociabilité intense. Par sociabilité, on entend les relations sociales et les dynamiques de groupe fluides ou spontanés. Cette sociabilité telle qu’on l’entend est constitutive de la solidarité sociale, de la cohésion de groupes, des collectivités, des organisations et des sociétés. Cette sociabilité est donc essentielle. Elle peut prendre des formes minimes comme par exemples des côtoiements, des frôlements, des regards furtifs ou appuyés, des clins d’œil, des échanges de salutations, d’excuses, des demandes de renseignements; ces comportements minuscules amorcent des discussions et sont peut-être le début d’une relation ou d’un groupe durable, voire très important. Il ne faut pas seulement considérer ces formes de sociabilité séparément, amis aussi dans leur ensemble, ainsi constituent-elles un tissu social considérable. D’ailleurs, plus ou moins consciemment, chacun se « costume » pour fréquenter les espaces publics et participer à cette sociabilité. Selon qu’il s’agit de faire des courses, de se promener, de jouer, de « draguer », on se construit une attitude qui aura des effets très variés.

Cette sociabilité peut apparaître comme légère, résiduelle, futile, mais elle constitue en fait un tissu épais à partir duquel se construisent la solidarité, la participation sociopolitique des citoyens et la cohésion d’une société. C’est pour cela que les espaces publics sont d’une importance considérables. Certes, il y a d’autres instances (position sociale de l’habitant en terme de genre, âge, ethnie…) par lesquelles se façonnent la solidarité, la participation et la cohésion, mais n’oublions pas les espaces publics et leur forme.

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3. L’espace public : une approche socio-spatiale ?

On s’interroge sur l’intégration des espaces publics dans une problématique de phénomène urbain qui peut se définir comme un processus social. Il est nécessaire d’aborder les principaux enjeux qui nous donnent cette idée : le « vivre ensemble » tant au niveau du ménage, du quartier, voir de la société ; la mobilité des personnes et des biens dans le quartier qui construit un lien social grâce à l’échange et à la communication… Par ailleurs la spécificité spatiale formelle de l’espace public et les usages qui s’y déploient semblent pertinents puisqu’elles permettent également d’aborder la question du temps (comprendre l’histoire du lieu, son évolution et aborder la question de la temporalité des usages). La forme et le statut d’un espace public qui lui est approprié participe à une ambiance spécifique qu’un citadin ou simple spectateur peut ressentir. Il est donc indispensable de donner un contenu plus précis aux espaces publics. Il faut ainsi comprendre la forme urbanistique et architecturale, le contexte urbain, les enjeux, les ambiances et les acteurs de ces espaces. La typologie des espaces publics de quartier est différente de ceux du centre-ville ou encore ceux des commerciaux des périphéries qui sont considérés comme des nouveaux espaces publics. La typologie demande une analyse sur le domaine, la morphologie, l’accessibilité, la mixité potentielle, les usages possibles et les acteurs. Pour poursuivre la notion des acteurs, il faut noter qu’il y en a plusieurs et qu’ils influencent beaucoup sur le fonctionnement de l’espace public. Nous avons les professionnels de l’espace (les architectes, les urbanistes..), les Habitants-Usagers-Citadins, les acteurs politiques et les acteurs économiques. On remarque également que la population des espaces publics de quartier provient avant tout des quartiers contigus et que les usagers qui vont le plus fréquemment sur un espace le caractérisent plutôt en fonction des gens qui y sont, et moins par rapport à son aménagement, c’est pourquoi on peut affirmer que la perception de la vie sociale du lieu augmente sa fréquentation. Par ailleurs, même si certains espaces sont vus comme appropriés, cela n’est pas une barrière à leur usage ; les individus ne ressentent pas le besoin de se distancier et de se différencier des personnes qui utilisent les espaces publics. Mais ce propos est encore à démontrer puisque ce n’est pas toujours le cas dans certains espaces publics de quartier.

4. Et l’espace public à Istanbul ?

Il est délicat d’introduire une étude de l’espace public d’un quartier d’Istanbul sans commercer par l’histoire de la ville. C’est pourquoi il est nécessaire de décrire les différentes interventions et projets qui ont entraîné une mutation constante du territoire et ce qui nous permettra par la suite d’analyser les quartiers définis. A Istanbul, il y a très peu d’espace public comme on le définit en tant que place ou parc urbain dans les villes européennes ; par conséquent, les stambouliotes s’approprient l’espace public le plus près de son habitat : la rue.

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Les rues de nombreux quartiers défavorisés d’Istanbul deviennent un vrai lieu de vie. L’espace public de ces quartiers prend une ampleur plus importante et on s’interroge sur sa fonction et son usage dans cette ville cosmopolite qui nous permettrait d’affirmer qu’il s’agirait d’un vrai lieu social pour ses habitants. Pour parler d’espace public, il est nécessaire de s’interroger de la relation des habitants avec leur territoire. Des questions telles que : l’espace public est-il un lieu de débat? Est-il un lieu d’expression? seront aborder. Par ailleurs, on peut s’interroger sur l’intégration des espaces publics dans une problématique de phénomène urbain qui peut se définir comme un processus social. Et comment l’espace public permet de créer et de maintenir le lien social ?Comment les gens se positionnent dans l’espace ? Est ce qu’une différence de culture, d’âge ou de coutume peut influencer la cohabitation de ces lieux ? Est ce que la mixité sociale existe dans ces espaces publics ? Et quel est le statut et le devenir de ces espaces ?

Par ailleurs la spécificité spatiale formelle de l’espace public et les usages qui s’y déploient semblent pertinents puisqu’elles permettent également d’aborder la question du temps (comprendre l’histoire du lieu, son évolution et aborder la question de la temporalité des usages).La forme et le statut d’un espace public qui lui est approprié participe à une ambiance spécifique qu’un citadin ou simple spectateur peut ressentir. Il est donc indispensable de donner un contenu plus précis aux espaces publics. Il faut ainsi comprendre la forme urbanistique et architecturale, le contexte urbain, les enjeux, les ambiances et les acteurs de ces espaces.

Pourquoi avoir choisi les quartiers de Balat et Fener pour un étude de l’espace public?

1. Vue générale du quartier Fener et Balat depuis les rives de la Corne d’Or

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2.Merdivenli Yokusu / Pente à escalier

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Ces deux quartiers populaires d’Istanbul situés sur la péninsule historique, le long de la Corne d’Or sont certainement les plus intéressants du vieux Constantinople. Il faut noter que Balat et Fener ont un potentiel urbain exceptionnel. Situés en plein centre-ville, ils constituent le seul exemple de quartiers conservés de façon homogène dans l’arrondissement de Fatih (arrondissement qui englobe toute la péninsule historique). Fener (Phanar) est avant tout le centre de l’orthodoxie mondiale. C’est là que se trouve encore de nos jours le patriarcat de la Nouvelle-Rome et de Constantinople, ainsi que la résidence du patriarche Bartholomé Ier. Alors que Balat est un ancien quartier juif qui reste très typique et présente un grand intérêt par son architecture.

Ces deux quartiers n’étant pas cités dans les guides, ils restent inconnus des touristes et même de la nouvelle population stambouliote. A la recherche de quartier populaire en péril et délaissé par la municipalité, comme il en existe bien tant dans cette grande mégalopole, je me suis tournée dans un premier temps vers le quartier de Tarlabasi, situé sur la côte européenne. Comme dans de nombreux quartiers historiques, un projet de renouvellement urbain a été lancé et les habitants expulsés, c’est alors qu’une membre de la Chambres des Architectes d’Istanbul, défendant la cause des habitants lors des expulsions forcées, me conseilla de visiter les quartiers de Fener et Balat. C’est alors que ce long voyage commença.

Sans aucune indication géographique, je choisis les transports en communs longeant la Corne d’Or pour me rendre sur place et je descendis à l’arrêt de bus «Balat» un jour bien ensoleillé pour ce mois de décembre 2010. Dans un premier temps, on y accède par une traversée dangereuse de la voie côtière, puis dans un second temps, on aperçoit un front bâti dégradé faisant office de frontière et pour finir, on y parvient par une percée quelconque peut mise en valeur. Une première visite de ces deux quartiers donnent le sentiment d’un retour dans le passé. Une sensation de déjà-vu, peut être dans un film, un livre ou une image. Une balade dans les rues guidée par l’instinct, parfois suivant un bruit, un enfant, une juxtaposition de façade identique, etc. Un lieu qui marque l’esprit et qui méritait une attention à la hauteur de sa qualité architecturale et urbaine.

Ces quartiers ont été laissés à l’abandon pendant plusieurs décennies, jusqu’à ce que la mairie de Fatih lança en 2006 un projet de réhabilitation et rénovation qui englobe quelques îlots et un nouveau projet d’aménagement de la rive de la Corne d’Or. Ainsi, l’intérêt d’étudier l’espace public dans un quartier historique prédestiné à un projet de renouvellement urbain, permet d’analyser simultanément la future réalisation et le site existant, et à noter les contradictions.

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Balat

Fener

Péninsule Historique

Muraille Terrestre de Théodose II

Pont Galata

Pont Atatürk

Ancien pont Galata pas utilisé

Pont de la Corne d'Or

Futur Pont

Tour Galata

Corne d'Or

3. Situation géographique des quartiers de Fener et Balat sur la Péninsule Historique

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4. La mosquée Yavuz Sultan Selim, l’Eglise Bulgare Orthodoxe et le lycée Grec qui dessinent la silhouette du quartier de Fener-Balat et qui sont le symbole de cette variété culturelle.

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II . CONTEXTE HISTORIQUE

Une analyse historique, urbaine et sociale d’un morceau de la métropole d’Istanbul demande avant tout une attention particulière de celle-ci pour une meilleure observation. La population de la ville d’Istanbul, moins d’un million en 1950, a connu une croissance sans précédent, atteignant 12 millions en 2000 et quelque 14 millions en 2008. La population de l’aire métropolitaine, dont la définition est variable, serait d’environ 20 millions. Ainsi il s’agit indéniablement d’un paysage urbain hyper dense et par conséquent d’un organisme complexe, difficile à déchiffrer et représenter.

Aujourd’hui, il faut beaucoup chercher pour retrouver les charmes de l’Orient à Istanbul. En pleine reconversion, Istanbul est devenue une ville moderne et trépidante avec de sublimes monuments noyés dans un tissu urbain d’une grande banalité. A quelques exceptions près, ce ne sont plus les rues tortueuses aux maisons bancales que l’ont peut découvrir au centre de la ville, mais des quartiers quadrillés, des rues bordées d’immeubles anonymes des années 1950. Les seuls tissus historiques conservés sont les anciens quartiers des minoritaires, avec leurs immeubles luxueux comme à Péra et à Galata, ou leurs maisons plus modestes et atypiques comme à Balat ou à Kumkapi. Quant aux périphéries, elles se hérissent de tours et de pavillons dans les interstices laissés vacants par les lacis d’autoroutes.

Istanbul se serait-elle banalisé ? Non, car si la ville a beaucoup changé dans ses formes, elle a conservé tout de même son caractère. Elle dispose toujours de deux atouts majeurs qui procurent une forte identité au paysage urbain : un site unique et un passé tout à fait prestigieux. A quelque endroit de la ville où l’on se trouve, le relief et la mer sont omniprésents, et des fragments de l’histoire resurgissent, souvent de manière imprévu, au coin de chaque rue, comme c’est le cas à Balat et Fener.

Quelles sont les spécificités de ces deux quartiers qui les distinguent des autres par leur qualité architecturale, urbaine et sociale ?

Ainsi une interprétation socio-spatiale du lieu mérite avant tout une connaissance approfondie de l’histoire sociale et des renouvellements historiographiques. Ceux-ci expliqueraient la spécificité du paysage urbain par les événements de l’histoire et de la culture locale. L’étude historique de Balat et Fener est déterminante pour une meilleure interprétation.

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1. Un début prospère pour Balat et Fener Le quartier de Balat situé entre Fener et Ayvansaray, commence à peu près au début de la rue Esnaf Loncasi et continue jusqu’au palais Kantemir. C’est un quartier historiquement important pour la population juive d’Istanbul. Du XVIIème jusqu’au XXème siècle, elle était majoritaire dans le quartier et Balat était l’un des principaux faubourgs juifs de la ville.A vrai dire, on ne parle pas de quartier juif à l’époque byzantine. Suite à la prise de Constantinople par Fatih Sultan Mehmet en 1453, une centaine de juifs pauvres venus de Kastorya en Macédoine s’installent à Balat. Portant le nom de leur ville, ils construisent la Synagogue Kastorya et habitent au alentour. Par la suite, dans le cadre de la politique de repeuplement de la capitale, Fatih Sultan Mehmet, fit amener des populations juives de l’Anatolie et des Balkans. Après la conquête, l’Empire Ottoman donna le droit de vivre en liberté et sans interdiction à toute les populations étrangères. Ils ont le droit de pratiquer leur religion dans les synagogues qui sont restés intacts, et de choisir un représentant religieux et politique de leur communauté. Par contre, il n’y aura jamais au sein de la population juive, un bâtiment instaurant un système hiérarchique et une centralité comme le Patriarcat dans la population grecque. Les années qui suivent la conquête de Fatih, une forte immigration juive s’installe à Istanbul, celle-ci est due surtout aux émeutes politico-religieuses qui ont eu lieu en Europe. En 1492, la dernière ville arabe d’Espagne Grenade s’effondra, et le Padisah II.Beyazid ouvrit ses portes aux 200.000 juifs expulsés d’Espagne et du Portugal. Cette population ayant un fort potentiel d’artisanat et de commerce, le sultan voulait exploiter leurs connaissances pour enrichir son Empire. On pourra même ses paroles désignant le roi catholique Ferdinand : « vous pensez que Ferdinand est un roi intelligeant mais, lui, appauvrit son pays, alors que le nôtre s’enrichit. »Par la suite, la date de 1660 devient décisif pour le quartier de Balat qui marqua un déplacement

5. Portrait de la femme turque

6. Portrait de la femme grecque

7. Portrait d’un homme juif

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considérable de la population juive suite à un grand incendie qui dévasta les alentours de Eminönü et la porte de Ayazma. Jusqu’à cette date, de nombreuses familles juives habitaient dans ces faubougrs plus exactement à Tahtakale, Bahcekapi, Yemis Iskelesi, Balikpazari, dans des maisons en bois appelées « yahudhane ». Les nouveaux terrains sont réservés pour la construction de la nouvelle mosquée de Eminönü et du Bazar Egyptien, et par conséquent les populations juives sont rapatriées dans le quartier de Balat et de Haskoy (rive droite de la Corne d’Or). Et pour finir, aux « Sefarad » venus d’Espagne et du Portugal, se mélangèrent les « Askenazlar » d’Europe de l’Est, et les romains de l’Empire byzantin.

Ils exerçaient le métier de bijoutiers, vendeurs de tissu, de fromage, ou encore médecins, banquiers, dirigeants de restaurant, etc. Des personnalités prestigieuses comme des banquiers, hommes d’affaires et médecins, connus par leur savoir faire et leur fortune, leur ont permis d’avoir des relations privilégiées avec le palais ottoman. Exemple, Jacopo de Gaeta était le médecin et grand officier chargé de tenir les rôles de la milice et des revenus de l’Etat, sous la gouvernance de Fatih Sultan Mehmet. Par la suite, il se convertit à l’islam prenant le nom de Yakup Pasa et devient aussi Vizir du Sultan. On a ainsi de nombreux exemples qui prouvent que la population juive a toujours été plus proche du palais comparé aux grecs. Par contre dès le XVIIème siècle, suite à la multiplicité des accords avec les pays européens, les juifs perdent leur domination au sein de la politique économique et commerciale. Ils perdent tout doucement leur puissance, leur richesse et parallèlement ils régressent dans l’éducation. Ils quittent aussi leur rôle de médiateur entre les Européens et les Ottomans qu’ils avaient grâce à leur maîtrise de plusieurs langues.

8. «Maison en bande» de Balat

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A la différence de Balat, le quartier de Fener est à forte dominante grecque de l’époque byzantine jusqu’au début du XXème siècle. Fener se réfère en grec à « Fanariotès » ou « Phanariots » (en grec, « Fanarion » signifie « le phare »). L’histoire dit que dans ce quartier se trouvait auparavant la « Porta Phanari » ou « porte du Phare ». Cette porte, maintenant disparu, aurait laissé son nom au quartier adjacent. La légende veut que le phare, aujourd’hui disparu, indiquait aux navires arrivant au port les dangers de la côte rocheuse (légende douteuse dans la mesure où il est peu probable qu’un phare se soit avéré nécessaire à l’intérieur d’un chenal tel que la Corne d’Or).Le quartier prospère surtout sous l’empire ottoman. Lors de la bataille de 1453, de nombreux aristocrates et fortunés fuient pour les îles, Mora, l’Italie et la France. Comme pour la population juive, Fatih Sultan Mehmet autorise les orthodoxes à pratiquer leur religion, et sort un décret affirmant que le patriarcat ne sera pas aboli, qu’ils pourront être acquéreurs, exercer le métier souhaité et suivre l’éducation dans leur langue. Ce décret a permis le retour de nombreux groupes d’anciens byzantins vers la capitale. Ainsi une grande partie s’installe dans le quartier de Fener. Dès le début du XVIIème, Fener devient le quartier « Rum » (grec) le plus considérable d’Istanbul. Il constituait le centre du patriarcat grec (nouvel emplacement) et de l’Eglise orthodoxe permettant d’accroître son prestige. A cette même époque, aux Grecs orthodoxes sont venues s’ajouter quelques riches familles juives. Fener devient un lieu de résidence pour les élites et la bourgeoisie avec ses maisons en pierre de taille et ses façades richement décorées. Un bon nombre de Grecs de Fener, éduqués et polyglottes, eurent de hautes fonctions dans : traducteurs, diplomates chargés de représenter l’Empire ottoman. Un certain nombre de familles phanariotes a même réussi à s’emparer du contrôle de principautés au-delà du Danube, telle que la Moldavie ou la Valachie, Etats clients de l’Empire ottoman. Les voyageurs de l’époque décrivent Fener comme un quartier serein et prospère.

9. Façade d’une maison à Fener

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« Les habitants de Fener doivent leur Gloire à leur Diplomatie ».

Théophile Gautier

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2. XIX et XXème siècle : déclin du prestige et le début de la mutation sociale

A partir de la fin du XIXème siècle, les grandes familles phanariotes commencent à quitter le quartier pour s’installer à Tarabya, Kuruçesme ou Arnavutköy, villages en bordure du Bosphore, qui aujourd’hui sont des quartiers élites de la ville. Puis suit une migration vers les faubourgs bourgeois d’Istanbul tels que les îles aux Princes, Kadiköy et Sisli. Malgré cette première vague de migration, Fener reste un quartier grec jusque dans les années 1960. Cette date marque le début d’un renversement radical pour la commuanuté grecque qui s’éxile en masse vers la Grèce. Les événements du 6 et 7 septembre 1955 à l’encontre de la communauté grecque d’Istanbul dû aux tentions en Chypre a été la cause majeure de cet exode massif. Quant aux fonctionnaires, artisans et petits commerçants, ils restent sur place et occupent les maisons en bande, très caractéristiques du secteur, construites dans des lotissements après incendie. Concernant les habitants juifs de Balat, ils s’installent à Galata, Kurtulus et Sisli et s’exilent en Israël lorsque le pays proclame son indépendance en 1948. La dégradation de la rive de la Corne d’Or, au début du XXème siècle, due à son industrialisation massive, a touché aussi bien Balat que Fener, entrainant un changement du paysage urbain et la couche sociale.

Ces quartiers abandonnés commencent à accueillir des familles originaires de la mer Noire qui s’installent de façon illégal. Ainsi Fener et Balat changent radicalement d’identité et aujourd’hui on ne compte presque plus d’habitant juif ou grec dans ces quartiers. Ce phénomène se transcrit à l’échelle de la ville d’Istanbul qui accueille une nouvelle vague d’immigrant dès la fin du XXème siècle. Les quartiers de la péninsule historique, surtout ceux du long de la Corne d’or et encore en périphérie, se peuplent de nouveaux arrivants pauvrement habillés qui ont quitté leurs villages d’Anatolie à la recherche d’une vie meilleure à Istanbul. Durant la deuxième moitié du XXème siècle, Istanbul brille de tous ses feux, et ces nouveaux immigrés ruraux viennent grossir le nombre de mal-logés et des chercheurs d’emploi. On pourra citer cette célèbre expression, encore employé de nos jours :

« Istanbulun tasi topragi altin »« Pierre et Terre stambouliotes sont couvertes d’or »

Cette citation populaire définit clairement l’image que représente Istanbul aux yeux des Turcs.

Ces migrants ruraux s’installent généralement dans les habitats les plus délaissés, dans des pièces uniques ou des petits logements, ce qui a eu pour conséquence d’en accélérer la détérioration. Ultérieurement, habitués aux grands espaces, ils font l’apprentissage du voisinage et s’approprient le « bâti » mais aussi le quartier

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dans sa globalité. C’est le début d’un exode sans retour. Ces flux migratoires en provenance de l’Est ont été incessants durant des années et ne cessent de continuer encore aujourd’hui. 3. Et les rives de la Corne d’Or : un destin identique aux quartiers ?

Les rives de la Corne d’Or, habitées depuis l’âge paléolithique, furent le centre de l’activité de toutes les civilisations ayant occupé le site actuel d’Istanbul : L’Empire byzantin y avait son siège naval, et la muraille maritime construite le long du littoral de la péninsule historique protéger la ville de Constantinople des attaques par la mer. Après la prise de Constantinople le 29 mai 1453 par Mehmed le Conquérant, les citoyens grecs, l’Église orthodoxe grecque, les juifs, les marchands italiens, et autres non-musulmans ont commencé à vivre le long de la Corne dans les districts de Fener et Balat. Par la suite, la nouvelle République fondée en 1923, fait le choix de mettre l’accent sur l’industrie, et sous l’impulsion du plan d’Henri Prost, qui avait opté pour l’industrialisation de la Corne d’Or, des entrepôts, des usines, des ateliers et des dépôts ont pris place sur les rives de l’estuaire. Le développement industriel du début du XXème siècle s’est révélé destructeur pour l’environnement de la Corne d’Or, résultat d’un développement industriel très rapide et dévoreur d’espace. Le lien entre le centre des quartiers et la façade maritime fut rompu, d’autant plus que les industries et les ateliers déversaient leurs détritus et leurs eaux usées de la Corne d’Or, rendant les rives inexploitables pendant de nombreuses années.

Les rives ont connu des modifications physiques très importantes ces dix dernières années. En effet, entre 1984 et 1987, les rives de la Corne d’Or ont été rasées suivant la politique «d’assainissement» des rives de la Corne d’Or, orchestrée par le maire de l’époque, Bedrettin Dalan, à grands coups de bulldozers et d’expropriations massives, ne laissant apparaître que quelques monuments historiques à l’extérieur de la muraille maritime (mosquées, hôpital juif d’Orha-haim), et détruisant au passage la plupart des dernières demeures en pierre du 18è siècle du quartier de Fener, de même que l’embarcadère de Balat. Aujourd’hui, la Corne d’Or est un vaste estuaire traversée par le pont de la Corne d’Or, le pont Atatürk et le pont Galata (d’amont en aval), entre le nouvel et le vieil Istanbul, qui se jette dans le Bosphore et qui forme un magnifique port naturel.Elle constitue un bras de mer étroit de 7,5 kilomètres de long formant un port très pratiqué de tout temps et encore beaucoup utilisé de nos jours. On y trouve des espaces publics (parcs et jardins) et des friches qui ont pris place aux bâtiments rasés, selon l’image du «jardin public» qui prévaut en Turquie, sans la moindre référence aux contextes spatiaux et urbains, forcément différents.

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Ce plan d’Assurance qui a été levé et dessiné en 1928-1929 sur la base de la Triangulation Officielle par Jacques Pervititch , géomètre et topographe, est fondamental dans la compréhension du territoire urbain et bâti des quartiers. On peut lire le tracé exacte de la muraille maritime, le matériau de construction des bâtiments et la limite de la rive de la Corne d’or.

10. Plan Pervititch 1928-1929

Ville fortifiée et enfermée Epoque Byzantine

Occupation et Urbanisation des rives Epoque Ottomane

Limite 1928

Industrialisation Début du XXème siècle

Délocalisation de l’industrie Fin du XXème siècle

Limite 2011

Evolution de la Corne d’Or

BALAT

FENER

Lycée grec

Eglise Bulgare Orthodoxe

Souk

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4. Des lieux stratégiques

Souk de Balat

Dans chaque rue d’un quartier historique d’Istanbul, des commerçants, des artisans et des restaurateurs apparaissent sur l’espace public. Tout visiteur est amené à rencontrer ou à discuter avec l’une de ses personnes et tout chemin le guide vers ces lieux. C’est ainsi, qu’on peut repérer le Souk de Balat, situé pour certain à l’entrée du quartier pour d’autre, à la sortie. Il devient par conséquent un passage incontournable. On compte également un grand nombre de commerce en rez-de-chaussée des logements, mais le Souk, situé à l’entrée de Balat, près de l’emplacement de l’ancienne porte de la muraille maritime, implanté dans les rue de Lavanta et Leblebiciler et vieux depuis le XVIème siècle, présente un fort potentiel économique et de développement pour ces quartiers, malgré une stagnation de l’activité. Dans le livre «Balat Istanbulum» Orhan Okay considère que Balat était comme «une métropole en miniature»; on y trouvait de tout et les habitants des quartiers voisins venaient s’approvisionnaient sur le marché. Balat et Fener constituaient un centre inter-quartiers important, qui a toujours rempli une fonction de pôle économique et religieux. On peut constater cette ampleur grâce à un relevé réalisé au XXème siècle. En 1948, on répertorie : 41 bakkal (petite épicerie sans fruit et légumes), 38 cordonniers, 30 kahvehane, 21 marchants de légumes, 20 meyhane (restaurant-bar avec musique et alcool), 20 marchands de Tabac, 20 coiffeurs, 18 vendeurs de tissus, 15 restaurants-cuisiniers, 14 ferblantiers, 14 bouchers, 11 charbonniers, 10 couturiers, 9 charpentiers, 8 fours, 7 fours de « Simit », 6 tapissiers, 5 confiseurs, 5 vendeurs de vins, 5 vendeurs de radio, 5 poissonniers, 5 ferronniers, 5 vendeurs de vélos, 4 épiciers, 4 verreries, 3 photographes, 3 chapeliers, 3 vendeurs de lait, 3 vendeurs de peintures à l’huile, 3 cinémas, 2 pharmacies, 1 hôpital, 2 hamams, 2 pressing,

12. Souk de Balat au XXème siècle

On peut voir l’écriteau «Eczane » (Pharmacie), la 2ème pharmacie implantée à Istanbul et qui existe depuis des générations (témoignage du propriétaire) et qui continue à exercer son activité dans le quartier

11. Souk de Balat au XXème siècle

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13. Souk de Balat, rue Lavanta, décembre 2010

14. Relevé des commerces au Souk Balat, rue Lavanata et Leblebiciler

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1 bijoutier, 1 vendeur de miroir, 1 garagiste, et un han. Ce catalogue prouve le dynamisme commercial du quartier et l’attractivité du lieu par la diversité d’atelier artisanal et de commerce. Par ailleurs on comptait 1 atelier de plastique, 2 usines de clous, 1 usine de farine, 2 usines de riz ; et pour le culte 4 mosquées, 4 synagogues et 2 églises qui desservaient la ville d’Istanbul.

Le relevé commercial réalisé personnellement le 11/03/2011 du Souk qui se trouve en annexe et synthétisé sous forme d’une carte ci-jointe, montre qu’il existe une variété de commerce implantés dans le quartier et qui répond à de nombreux besoins des habitants. Par contre, on recense plus de biens intermédiaires au détail (tels que des vêtements, épicerie, légumes, poissonnier, boucher, volailler, supermarché, quincaillerie-petit outillage…) et des locaux de restauration. Le souk permet à la fois de subvenir aux besoins de la population mais par ailleurs, il devient un lieu de rassemblement et de passage. On ne cesse de croiser les habitués et d’apercevoir les retraités installés sur un tabouret posé sur l’espace public, entrain de papoter ou boire un verre de thé, apporté par le « çayci » (signifie la personne travaillant dans un salon de thé).

Souk et commerces s’approprient l’espace public et devient un lieu d’exposition

Manque d’espace intérieur ou vitrine de magasin, les objets sortent des locaux pour prendre place sur le trottoir. Ils s’exposent librement, prennent place chaque jour au même endroit pour attirer l’attention des clients pour la vente. Cette manière de montrer la marchandise la rapproche des passants et supprime la limite créée par la vitrine. On note aussi que les rues commerçantes accessibles à grande échelle remplissent leur fonction sans avoir recours à une exposition extérieure, alors que les celles des quartiers nécessitent une attractivité particulière puisqu’elles s’adressent d’avantage à la population locale qui a un budget plus restreint comme dans le quartier de Fener-Balat. Les commerces continuent à exercer leurs activités malgré les difficultés financières de la population du quartier. On énumère une multitude d’objets comme des cadres et miroirs accrochés sur la façade, des peignoirs cintrés sur les grillages, des jouets, des lavabos, des échelles, des revêtements de sol enroulés, des cousins, etc.

Par ailleurs on constate (carte p. 36) que le souk et les rues adjacentes regroupent l’essentiel des activités commerciales des quartiers de Fener et Balat qui sont surtout des quartiers résidentiels. La localisation des bâtiments religieux (représentés en gris) tels que la synagogue, l’église orthodoxe et la mosquée de Balat au alentour du souk, prouvent qu’il y avait une attractivité importante. Aujourd’hui même si l’église et la synagogue n’accueillent plus ses fidèles, le souk reste un lieu de passage majeur pour ses habitants et répond l’échelle du quartier à une grande partie des besoins de la population locale.

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15. Différenciation des rues dans les quartiers de Fener et Balat

Il est vrai que Balat et Fener constituent un centre inter-quartiers important, qui a toujours rempli une fonction de pôle secondaire. Ceci se justifie par la présence de ces nombreuses activités commerciales implantées dans des rues intérieures, l’importance des commerces de produits « blancs » (électroménager, mobilier) qui témoigne cet attrait, et une dépendance des quartiers environnants qui sont bien moins équipés en commerces.

BALAT

FENER

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L’espace public est un lieu propice au conflit. Les usagers eux-mêmes sont conflictuels. L’espace public, ce lieu ouvert à tous, où tous se retrouvent, toutes classes sociales confondues. Mais si tous s’y retrouvent, ils transportent aussi leurs divergences de vue, d’intêret, d’éthique. Par ailleurs l’espace public est un lieu d’interactions ni forcément involontaires ni forcément conscientes. (…) Les passants qui se croisent

sont livrés à des rencontres aussi aléatoires qu’assurées.

David Chaumard

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Le marché

Le mardi matin, à partir de huit heures, le marché s’installe dans les rues de Balat. Très tôt le matin, les commerçants préparent leur comptoir et attendent leurs clients. Des grandes toiles de couleur beige, étirées de part et d’autre des bâtiments abritent les rues et notre perception est réduite par la hauteur de cette couverture éphémère. On ne voit plus l’aspect architectural du quartier ni même le linge qui étire de part et d’autre des façades. Puis très vite, les rues se peuplent par les habitants en majorité du quartier mais aussi par la population de proximité venue pour faire leurs courses bon marché. Les marchands paradent et charment les clients de leur voix magnétique. Le commerce se tient de père en fils et les produits sont l’effort et la force de ces « villageois ». Marché populaire par eux et pour eux, on peut trouver les meilleurs prix pour se ravitailler à Istanbul. Des fruits et légumes de saisons, du fromage, des olives, du poisson, une multitude d’odeur qui se répandent dans les rues de Balat Le marché abrite également tout le nécessaire pour la maison : produits d’entretien, textiles, ustensiles de cuisines… On ne se rend pas au marché seulement pour des raisons d’ordre économique, on y va « pour l’ambiance », pour se promener, pour rencontrer des gens. En fait c’est le véritable événement hebdomadaire et chacun, quel que soit son milieu, se doit d’y participer. Aller au marché, c’est réaffirmer ou revendiquer une identité collective, parce que le marché est considéré ici comme une véritable institution du quartier, on démontre aux autres qu’on est bien « du coin ». Sur le parcours du marché, autour de chaque étal, une véritable communication s’établit entre ces multiples acteurs : il n’y a pas de simple coexistence entre inconnus, comme dans une foule. Le marché, c’est précisément cet univers social qui s’instaure ainsi, quelques heures durant, autour de l’activité marchande, pas seulement un dispositif commercial parmi bien d’autres. Que ce soit autour de l’étal ou dans le flux des passants, on établit avec n’importe qui, au fil de ces improbables rencontres, des « relations de marché » qui sont indépendantes de celles qu’on a par ailleurs, dans la vie quotidienne, qu’elle soit privée ou professionnelle. Le propre du marché, c’est qu’on y traite à peu près de la même manière, sur le mode de la convivialité affichée et superficielle, son vieil ami d’enfance et le personnage anonyme qui achète ses pommes devant vous. C’est pourquoi on n’hésite pas à entamer la conversation avec des inconnus ou des gens qu’on ne connaît que de vue ne serait-ce que pour les avoir rencontrés souvent au même étal, et avec lesquels d’ordinaire on échangerait tout au plus un regard. Pour établir le contact tous les prétextes sont bons : le temps qu’il fait et le temps qui passe, la pluie qui tarde à venir, la qualité des fruits… Georg Simmel montre comment dans ce genre de situations, «tel ou tel élément est introduit non pas par intérêt pour son contenu mais en raison de son intérêt pour la sociabilité » ; la parole étant une fin en elle-même, ce qui est dit doit être de nature à maintenir le lien. Parler de tout et de rien permet d’établir une relation de libre sociabilité avec un peu n’importe qui. Cette

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fonction de langage s’appelle la fonction phatique qui permet la communication. C’est aussi le jour de la femme; toutes les générations sont présentes : la grand-mère, la mère, la fille. Elles font « leur marché » tout en discutant avec une amie qu’elle n’a pas vu depuis longtemps et l’invitant par la suite à prendre un thé à la maison. En effet, le marché devient un lieu familier: le commerçant et la cliente se connaissent, on marchande les prix, on papote, on salut les passants… En plus d’être un lieu marchand, la rue en tant que « bazar » devient un rituel apprécié par les femmes puisqu’elle permet la connexion avec les voisins proches et éloignés. Le mardi, l’espace transformé par la présence du marché, est beaucoup plus qu’un simple espace de coexistence. Dans la foule bruyante de ce moment fort de la vie locale, on établit avec l’autre, qu’il s’agisse du marchand ou des clients qu’on côtoie, une sorte « d’amitié généralisée » certes superficielle et de circonstance. Même s’il y est généralement plus souvent question de la fraîcheur de la salade ou de la saveur des fraises que des grands débats politiques du moment, la marché de Balat est bien au cœur de la vie publique.

Les « kahvehane » les Hans à Café ou les Cafés seraient-ils un lieu de sociabilité?

Avant de décrire ces lieux, il me semble intéressant de retracer une petite anecdote du café et la provenance sur le territoire stambouliote. Boisson originaire du Yémen, de la région de Moka, le café a été dégusté par Ozdemir Pasa, ambassadeur turc au Yémen, qui de retour à Constantinople le fait déguster au Sultan Süleyman. Ce dernier apprécia beaucoup son goût et c’est ainsi que le café fut apporté en quantité sur les navires. Le café qui a fait son entrée dans le palais va se répendre très rapidement au sein de la population. C’est ainsi que des « kawha-kanés » s’ouvrent à Constantinople en 1554 (dit « kahvehane » en turc contemporain). Ils attiraient des écrivains, des journalistes, des aristocrates et devenaient le lieu d’enseignement pour le peuple. On mettait à disposition des journaux, des livres et des jeux (cartes, échecs) pour enchanter la clientèle. On commence à ouvrir des kahvehane « alafranga » (avec une touche européenne) à Galata et Péra (quartier avec une forte population européenne). Par la suite, de nombreux autres cafés s’ouvraient dans Istanbul suivant le style européen. On discutait d’art, on débattait, mais on venait aussi se distraire et regarder des pièces de marionnettes. Puis au fil du temps, les « kahvehane » se sont multipliés et sont devenus des lieux ordinaires avec le strict minimum en mobilier (chaise, table, télévision), et où l’on a commencé à servir du thé à longueur de journée et non pas du café. Le thé provenant directement des régions du Nord de la Turquie, est une boisson bon marché contrairement au café. Aujourd’hui les « kahvehane » sont toujours des lieux de passe-temps mais réservés uniquement aux hommes ; on y joue au baggamon, on discute de politique, d’affaire, de foot… Les cafés remplissent un rôle social, politique et culturel. En effet, ils sont ouverts à toutes les catégories sociales, ils assurent la circulation des idées

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et deviennent parfois un lieu de débat au sein de la population. Jeunes, étudiants, travailleurs, retraités, chômeurs, tous se retrouvent dans cet espace qui leur est familier. Pour certains individus, la fréquentation du café serait un facteur efficace d’intégration urbaine par les relations qu’il développe et les échanges dont il est le cadre. Bien évidemment, l’ambiance du café, sa localisation, le type sociologique de la population du quartier, la présence ou non d’une rue commerçante à proximité sont des outils qui interviennent dans sa perception par les clients. Ainsi un rayon de soleil suffit pour que les « kahvehane » sortent de leur local pour s’approprier le trottoir, le mur voisin, la rue, tout l’environnement propice à installer un mobilier en plus. Cet acte suscite des regroupements plus conséquents sur la rue. Les hommes prennent le thé au regard des passants et des voisins, ils discutent avec les commerçants, les enfants et les habitants du quartier.

« Gonul ne kahve ister ne kahvehane, Gonul muhabbet ister kahve bahane »

« On ne désire ni du café ni les cafés juste un échange, le café n’est que prétexte »Citation turque

Une réel confiance et solidarité règnent au sein des habitants du quartier (portes d’entrée ouvertes, commerces confiés aux voisins le temps d’une pause...) qui se fait ressentir dans les relations entre voisins. Pendant que les mamans s’occupent des enfants et des tâches ménagères, les hommes occupent les «kahvehane», dont le nombre s’est d’ailleurs accru dans les années 1990, suite à l’augmentation des retraités et des chômeurs dans le quartier.

16. Agitation dans les rues de Balat devant le «kahvehane» et le passage du vendeur ambulant «Balat Köftecisi»/ «vendeur de boulette de viande de Balat»

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III. INTERACTIONS SOCIALES DE L’ESPACE PUBLIC

Toutefois on peut se demander ce qu’est un espace public ? Si la notion connaît aujourd’hui un réel succès, elle ne paraît cependant pas claire. On confond constamment le terme «espace public» et «espace collectif». Dans ce travail, il ne s’agira pas de donner une définition mais de porter un regard plus sociologique sur l’espace public. Du point de vue d’une réflexion sociologique, un espace devient effectivement public lorsque des rapports sociaux spécifiques ont lieu. Alors qu’un même lieu fonctionnellement défini comme collectif (une rue, une place…) peut être ou non espace public, selon les moments et les conjonctures : tout dépend de ce qui s’y joue entre les acteurs. Se contentent-ils de s’y croiser ou d’y coexister ? Des échanges s‘établissent-ils entre eux de telle manière qu’une identité collective, même minimale, s’y institue ? Des interrogations qui permettent d’affirmer la présence ou non d’une interaction sociale de l’espace public. Pour cela, il est nécessaire d’exploiter les potentialités d’usage de l’espace pour en définir les pratiques sociales. Une analyse de ce thème réalisée sur le territoire de Fener-Balat, a conduit à distinguer trois niveaux de pratiques :

- Les pratiques de voisinage, utilisant l’espace public comme un prolongement de l’espace domestique, - Les pratiques de proximité, liées aux nécessités de la vie quotidienne, à l’échelle du quartier, - Enfin, les pratiques de centralité associées aux notions de brassage social dans l’espace urbain qui se distinguent des autres pratiques plus souples et courantes. On fera une impasse sur ce dernier niveau pour se concentrer d’avantage sur l’observation des pratiques et usages à l’échelle du quartier.

Les espaces publics innervent la totalité de l’agglomération urbaine ou de la métropole, mais selon les quartiers, les zones ou les équipements qu’ils desservent, ils sont différents. Ainsi une rue dans une zone industrielle, ou d’affaires, de même qu’une rue dans un quartier populaire ou résidentiel, aura une ambiance profondément différente. Elles seront plus ou moins publiques, plus ou moins communautaires, c’est-à-dire propres à la communauté restreinte qu’elles irriguent ou à l’ensemble de la population métropolitaine. Plus encore, chaque agglomération ou quartier a une identité qui découle de son contexte urbain, historique et culturel.

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L’espace public implique trois questions, soit d’abord l’espace de la rencontre, ensuite c’est l’espace de l’étranger et enfin l’espace public institue un droit de regard

sur ce qui s’y déroule.

I.Joseph

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1. Ambiances architecturales et urbaines : répercussion sur les pratiques socio-spatiales

Au milieu du XIXème siècle, le mode de reconstruction change complètement : l’incendie est utilisé comme instrument de modernisation. Depuis un certain temps, l’administration ottomane rêvait de réformer la ville, mais elle ne savait pas comment procéder : les incendies, les plus importants en 1718, 1783 et 1865 qui vont « de la mer à la mer », c’est-à-dire de la Corne d’Or à la mer de Marmara, détruisant à chaque fois entre le tiers et la moitié de la ville, sont l’occasion attendue.

La première loi d’expropriation date de 1856. L’ensemble du terrain incendié peut alors être exproprié par le sultan afin d’être redistribué de manière plus rationnelle: il est remembré, desservi par une voirie régulière et loti. Les incendies d’Aksaray (1856), d’Hocapasa (1865) ou de Beyoglu-Pera (1870) marquent le début d’un nouvelle morphologie urbaine et de nouveaux aménagements ainsi que le choix de nouveaux matériaux de construction (brique, fer, verre et toits en tuiles) imposés sans difficultés par les autorités pour éviter les incendies. Ainsi les anciennes rues sont supprimées, de nouvelles sont tracées sur un plan orthogonal, et les lots sont redistribués aux anciens propriétaires au prorata de leur possession initiale, moins l’espace consacré à l’élargissement des rues. Ainsi le feu a progressivement entraîné la modernisation de la presque totalité des tissus urbains de Constantinople. Pour cela, l’empire ottoman a fait appel à des ingénieurs et architectes d’Europe, qui ont instauré un système de lotissement quadrillé. Il s’agit d’une structure urbaine très particulière et typique des lotissements après incendie. Le lotissement de Balat (1866), pourtant implanté sur un terrain très pentu, est du même type quadrillé comme les autres quartiers de Mirahur (1956), de Salmatomru (1957) et de Kücük Mustafa Pasa (1862), dessiné par l’ingénieur italien Luigi Storari. De nouveaux types d’édifices se construisent et notamment à Balat et à Fener. Ainsi, se généralise un nouveau mode d’habitat, rompant radicalement avec l’époque ottomane et répondant aux exigences de sécurité contre les sinistres : les maisons en bande. Celles-ci sont construites sur de petites parcelles étroites, disposant de murs anti-feux, aux portes d’entrée principales souvent au-dessus du niveau de la rue et formant une continuité de façade en front de rue. Ces maisons rencontrent dans leur principe, les idéaux hygiénistes et rationalistes de l’époque avec une nette influence de l’architecture anglaise et française. Néanmoins, si l’on s’en tient aux matériaux de construction, les « maisons en bande » d’Istanbul sont plus versatiles, et plus méditerranéennes, avec des propriétés stylistiques mixtes (néoclassique, néobaroque, art nouveau). Ces maisons en bande, encore nommé « row houses » sont élevées dans les nouveaux lotissements d’Istanbul, mode qui s’est répandue ensuite dans toutes les villes de Turquie.

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17. Carte des lotissements après in-cendie de Stamboul (fond de plan de Wolfgang Müller-Wiener, 1977)

18. Plan du quartier de Balat : en jaune, les rues avant l’incendie de 1886 ; en noir, les rues du lotissement après incendie

19. Maison en bande à Kumkapi, relevé des plans et façade

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20. Kiremit caddesi/ Rue «Brique»

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Aujourd’hui, Balat et Fener sont physiquement enclavés, particulièrement vers la Corne d’Or, en raison de la muraille maritime byzantine au nord et des coteaux qui dominent le secteur sur les autres côtés (carte ci-jointe). Cependant, leur accessibilité est aisée grâce à la proximité du boulevard longeant la Corne d’Or, voirie de transit reliant les autoroutes de contournement. Mais la faiblesse des transports collectifs, l’étroitesse des rues internes, la faible visibilité du quartier depuis cette voie de transit et le manque de possibilité de stationnement à proximité limitent son attractivité. Les liaisons inter-quartiers sont plus compliquées. Fener et Balat, organisés selon des plans de rues orthogonaux et réguliers sont très différent des quartiers environnants : les quelques rues de liaisons suivent des tracés de type géomorphique, vraisemblablement très anciens. Ces rues longues sont généralement plus étroites que celles de Fener et Balat et limitent donc l’accessibilité depuis les autres quartiers. En outre, elles nécessitent une bonne connaissance des trajets dans le secteur.

Balat

Ayvansaray

Yavuz Sultan Selim

Dervis Ali

Atikali

Direction E5 et la périphérie

Direction Centre Historique et le boulevard Ataturk

Hasköy

Direction Centre Historique et le boulevard Atatürk

Direction E5 et la périphérie

Boulevard Fevzipasa

21. Environnement et paysage urbain_Un quartier entre coteaux et muraille

Limite administrative des quartiers

Muraille terrestre de Théodose II

+60m

+20m

FENER

BALAT

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21. Environnement et paysage urbain_Un quartier entre coteaux et muraille

L’espace public est défini essentiellement par les rues, par des espaces devant certain bâtiment religieux (en gris), par des empiétements sur des espaces libres et aussi à l’intersection des rues qui nous guide sur différents axes. On observe un tracé linéaire, un tracé organique dans les coteaux et des axes linéaires à l’entrée du quartier dû au tracé de la muraille maritime. Les écoles (représenté en violet) sont en arrière plan. Les escaliers (en pointillé) font partie intégrante de l’espace public puisqu’ils ont emprunté quotidiennement par les habitants.

Suite à tous ces bouleversements, on trouve trois tissus urbains variés: un plan quadrillé (en rouge) dessiné dans le bas relief par simplicité de construction alors que vers les coteaux, on retrouve les rues sinueuses étroites datant du tissu ottoman et pour finir des rues linéaires parallèles à la voie de la Corne d’Or liées à la présence de la muraille maritime.

22. Tracé des rues, ruelles, et escaliers

23. Schéma de la morphologie urbaine

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ActivitésHabitats

Habitats + ActivitésBâtiments publicsBâtiments religieux

24. Relevé fonctionnel de type de bâti dans les quartiers

Le plans orthogonaux de Fener et Balat sont essentiellement constitués de bâtiment résidentiel accueillant des logements locatifs. Il s’agit d’un tissu urbain très dense constitué de peu d’espace d’aération et intermédiaire. Cette composition et morphologie urbaine incitera les habitants à s’extérioriser et à s’approprier la rue.