9
1 Villes et Pays d’art et d’histoire Lorient laissez-vous conter Merville / Bisson deux écoles de la Reconstruction

laissez-vous conter Lorient...d’art et d’histoire laissez-vous conterLorient Merville / Bisson deux écoles de la Reconstruction 2 3 Les modèles scolaires d’avant-guerre La

  • Upload
    others

  • View
    4

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: laissez-vous conter Lorient...d’art et d’histoire laissez-vous conterLorient Merville / Bisson deux écoles de la Reconstruction 2 3 Les modèles scolaires d’avant-guerre La

1

Villes et Pays d’art et d’histoire

Lorientlaissez-vous conter

Merville / Bissondeux écoles de la Reconstruction

Page 2: laissez-vous conter Lorient...d’art et d’histoire laissez-vous conterLorient Merville / Bisson deux écoles de la Reconstruction 2 3 Les modèles scolaires d’avant-guerre La

2 3

Les modèles scolaires d’avant-guerreLa première pierre de la Reconstruction du centre ville de Lorient, ravagée par les bombardements alliés au début de l’année 1943, est posée en mars 1949. Dès les premières années de la Reconstruction, deux écoles voient le jour, l’école de Merville et celle de Bisson, construites simultanément mais en adoptant un langage architectural différent. Dans le contexte très particulier de la renaissance des villes détruites lors de la Seconde Guerre mondiale, l’architecture scolaire, portée par un élan de modernité soutenu par les ministres de la Reconstruction et de l’Urbanisme et le plus souvent souhaité par les architectes, est en pleine mutation. Elle saisit l’occasion donnée par ce vaste chantier à l’échelle nationale pour poursuivre un effort de rénovation engagé dès les années trente qui tend à renouveler la forme de l’école communale.

La naissance de l’architecture scolaire

Le bâtiment scolaire a pris sa place dans la cité au cours de la troisième République. Jusqu’alors la salle de classe s’intègre dans la mairie ou se confond avec la maison de l’ins-tituteur. Théoriquement obligatoire dans les communes de plus de 500 habitants depuis la loi Guizot du 28 juin 1833, le bâtiment scolaire prend un nouvel essor avec la loi du 1er juin 1878 qui, tout en réaffirmant l’obli-gation, facilite le financement de la construc-tion scolaire, notamment par la création de la caisse des écoles. S’en suit une vague de réalisations, régies par des instructions précises, prenant l’allure commune sur tout le territoire d’un modèle type fait de pierre, d’entourage de baie en brique et d’un jeu de toiture variant selon la région. À l’instar des

gares, des mairies, ou des bureaux de poste, l’école devient l’un des équipements officiels de la commune.

L’école de l’entre-deux-guerres : « ni prison, ni foyer de tuberculose »

Dans les années vingt, l’ouverture de l’école à de nouvelles pédagogies, le développement des écoles maternelles ou l’apparition des écoles de plein air, provoque une évolution du plan initial. Exit la cour de récréation sombre et cernée par de hauts immeubles, les classes humides ne laissant que rarement entrer le soleil et l’organisation rigide des bâtiments empruntée au cloître ou à l’univers carcéral. L’école est au cœur des préoccu-pations hygiénistes. Elle doit participer à la transformation des pratiques sociales.

L’enfant doit trouver dans l’environne-ment scolaire ce qu’il n’a que rarement dans son foyer : un air sain, de l’espace, la lumière du soleil. En 1933, l’école Karl Marx conçue par Jean Lurçat est inaugurée à Villejuif, avec comme slogan : « la plus belle, la plus moderne, la plus nouvelle… une école qui ne sera ni une prison ni un foyer de tubercu-lose. »

Si la disposition traditionnelle - filles et garçons séparés, logement de gardien sur rue, entrée monumentale – est généralement conservée, les nouvelles écoles offrent un confort spatial inédit, des dimensions généreuses baignées de lumière naturelle. Installation sanitaire et réfectoire sont traités avec soin. L’école moderne emprunte à l’avant-garde architecturale ses lignes pures, son désir d’ouverture vers l’extérieur, sa fluidité de fonctionnement.Les façades, jouant tantôt sur les contrastes de matière dans la pleine

tradition art-déco, tantôt sur la har-diesse d’une ligne qu’offre les récentes techniques du béton armé, s’ouvrent en de larges surfaces vitrées. L’espace extérieur est paysagé autant que possible. Les pratiques sportives sont encouragées par l’installation d’équipements appropriés. Le mobilier s’adapte également, autant à l’échelle de l’enfant qu’à sa mobilité. Tous ces nouveaux préceptes se cristal-lisent en une réalisation majeure des années 1930 : « l’école de plein air » réalisée à Suresnes, dans la banlieue parisienne, par Eugène Beaudouin et Marcel Lods.Moins célèbres, d’autres écoles moder-nes de la région parisienne inspireront des générations d’architectes. L’école de Merville présente ainsi bien des simili-tudes avec les plans de l’école Condor-cet ou du groupe scolaire Jules Ferry, tous deux réalisés par les architectes Dubreuil et Hummel à Maisons-Alfort.La réflexion sur une nouvelle archi-

Le groupe scolaireet l’avenue de Merville (vers 1910-1919)

tecture scolaire est présente à Lorient alors en pleine expansion à l’orée de la Seconde Guerre mondiale. En témoi-gnent la création de l’école de « plein air » de Soye et le dessin du groupe scolaire de Keroman construit en 1936. Les projets scolaires de la reconstruc-tion après 1945 vont bénéficier de cette réflexion.

© C

oll.

AM

L

© C

oll.

Dom

iniq

ue R

icha

rd

crédit photo couverture : en haut : Ecole des filles de Merville (courant années 1950) © Louis Le Guernevé - Coll. AML

en bas : Enfants dans la cour du groupe scolaire Bisson au moment de la récréation (courant années 1950)© Fonds Brunerie – Coll. AML

Ecole de plein air de Suresnes (années 1930)© Coll. du musée René Sordes - ville de Suresnes

Page 3: laissez-vous conter Lorient...d’art et d’histoire laissez-vous conterLorient Merville / Bisson deux écoles de la Reconstruction 2 3 Les modèles scolaires d’avant-guerre La

4 5

L’architecture dans le contexte de la Reconstruction

Une ville en attente

La reconstruction des villes détruites par les bombardements de la Seconde Guerre mondiale a eu un impact déterminant sur toute la production architecturale et urbaine. La mutation est à ce point globale qu’elle in-flue autant sur l’image de la ville que sur les habitudes les plus quotidiennes. Les projets faisant preuve d’efficacité et de modernité sont alors encouragés par l’Etat, par le biais de son Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme (le M.R.U.) créé en novembre 1944, et les nouvelles approches quant à l’éducation des enfants doivent se répercuter sur la forme architecturale. Alors qu’une grande partie de la population vit difficile-ment en habitat provisoire, la renaissance des écoles est une priorité, tout aussi pragmati-que que symbolique. Dans une ville déblayée de ses ruines, qui tente de retrouver sa pleine activité, les classes surchargées en baraque ne sont rapidement plus acceptées.

Georges Tourry, l’architecte de la reconstruction lorientaise

Georges Tourry, polytechnicien et professeur d’architecture à l’Ecole nationale des ponts et chaussées, est désigné en 1943, quelques mois après les bombardements les plus intenses de Lorient, afin d’établir le plan de reconstruction de la ville. Bien qu’un contrat l’empêche de construire sous son nom, son expérience auprès du Ministère de l’Educa-tion nationale le conduit à signer les plans de

l’ensemble des écoles lorientaises. Technicien hors pair, au fait de l’innovation architectu-rale, Georges Tourry est emblématique d’une période riche en créations, passant de la com-position académique aux expérimentations plastiques audacieuses. Malgré les réticences de la municipalité et les doutes de la popu-lation, il fait confiance à la jeune génération d’architectes pour tenter, avec diplomatie, de mener les Lorientais vers un nouveau cadre de vie. Les premières écoles à reconstruire seront pour lui un moyen sûr de faire passer le message de la modernité.

Les écoles de Merville et Bisson : deux tendances exprimées

Conçus dans le même temps, dès l’adop-tion du nouveau plan de ville, deux projets d’école vont devenir emblématiques de la renaissance de Lorient. L’une, l’école de Merville, fait le lien avec une architecture connue et acceptée tout en utilisant une méthode de construction nouvelle. Elle devient une étape technique primordiale pour la décennie à venir.L’autre, l’école de Bisson, est une véritable démonstration esthétique, instituant de nouveaux usages, bouleversant les habitudes urbaines. Les deux projets sont étroitement suivis par Georges Tourry qui saisit la valeur d’exemple qu’ils auront sur la population, l’un comme le signal de départ, l’autre comme celui d’un renouveau.

Vue aérienne du centre-ville en 1955.

Ecole Bisson. Vue d’une partiede la cour et d’un bâtiment

prise d’une salle de classe (1954)

Ecole maternelle de Merville (courant années 1950)

© Roger Lapie - Coll. AML

© L

ouis

Le G

uern

evé

- C

oll.

AM

Le

- C

oll.

AM

L

Page 4: laissez-vous conter Lorient...d’art et d’histoire laissez-vous conterLorient Merville / Bisson deux écoles de la Reconstruction 2 3 Les modèles scolaires d’avant-guerre La

6 7

Démonstration architecturaleLe projet préliminaire de 1948 illustre la méthode employée par Georges Tourry pour la reconstruction du centre-ville : équilibrer les tendances par un choix judicieux des architectes. Ici, la combinaison des deux concepteurs débouche sur une architecture à la fois rassurante et novatrice. Deux person-nalités s’unissent : - Jean Martel est adepte des compositions bien ordonnancées, des équilibres puissants à base d’angles arrondis, de lignes épaisses et d’effets de matière. Il utilise un vocabu-laire traditionnel et s’oppose fermement aux tentatives modernes. Il est considéré comme le porte parole des architectes lorientais en ce début de Reconstruction. La tour, rue de la Patrie, est sa dernière réalisation lorientaise.- Maurice Ouvré est plus ouvert à la nou-veauté. Exerçant durant l’entre-deux-guerres à Paris, il s’installe à Lorient en 1938. Admi-rateur d’Auguste Perret, puis de Le Corbu-sier, il mesure très tôt les possibilités qu’offre la technique du béton armé et adopte les méthodes de préfabrication comme mode de composition.

Le mariage de caractères mis en œuvre ici fa-çonne la personnalité de l’école de Merville, moderne dans sa construction et sa concep-tion, rassurante dans son esthétique.

Redonner confianceL’enjeu de cette toute première école du « Lorient reconstruit » va bien au-delà de la simple réponse à une demande pressante. Si

les études débutent tôt, la réorganisation de la ville semble hésiter. Entre urbanistes, élus et sinistrés, nul ne sait encore quelle forme va prendre la ville. Il s’agit par cette première pierre, dégagée des contraintes de propriété, de montrer aux habitants qu’elle sera à la fois différente et judicieuse, que l’on peut, moderniser sans choquer, qu’une construc-tion efficace et rapide peut également être robuste.

L’emploi de la pierre en parement se révèle déterminant. Jugé comme une folie finan-cière, c’est pourtant le matériau qui s’impose aux concepteurs pour arborer le prestige souhaité.

Chantier modèle, chantier écoleEmanant du Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme, les directives de l’Etat ne manquent pas. L’ambition est de changer les habitudes d’une filière bâtiment prati-quant trop souvent « le cas par cas » et le « sur mesure ». Dans un souci d’efficacité, l’Etat prône la standardisation des éléments constructifs et une méthodologie commune de mise en œuvre. Tous les acteurs de la construction sont impliqués, des concepteurs aux entreprises. Le changement est radical et les premiers projets auront valeur d’imitation pour la suite de la Reconstruction. A Lorient, l’école de Merville est à ce titre exemplaire.

La lenteur apparente de ce projet d’urgence s’explique par une phase de préparation jusque-là inédite. Martel applique de nou-velles méthodes d’évaluation des travaux.

L’ensemble des actions est décrit et quantifié pour chaque corps de métier intervenant dans la construction. Il en résulte un cahier des charges de 170 pages, partageant le chantier en lots coordonnés, fixant le prix de chaque mise en œuvre. Véritable innovation dans le milieu du bâtiment lorientais, ce cahier servira de modèle pour la période de Reconstruction sous le nom de « Bordereau Martel ». Il s’accompa-gne d’une quantité de plans techniques dans lequel sont décrits de nombreux détails, parfois en grandeur réelle.

L’utilisation du béton armé apparaît pour la première fois à Lorient dès 1901 avec la construction de la salle des fêtes, mais son emploi reste aléatoire et expérimental pour beaucoup d’entre-prises. Ce chantier, tout comme celui du lycée Dupuy de Lôme, sert de réfé-rence en appliquant une mise en œuvre industrielle.

Si plusieurs incidents émaillent le chan-

tier - la présence de sources notamment qui remet en cause les fondations- c’est bien la démarche novatrice de défini-tion du projet qui explique sa durée. Trois années furent nécessaires pour la construction de l’école mais ses retom-bées sur la suite de la reconstruction lorientaise seront primordiales.

Enjeux urbainsL’école d’avant-guerre était constituée d’un chapelet de bâtiments dessinant l’angle de l’avenue de la Marne et de la rue Jean Jaurès d’une façade fortement rythmée. Utilisant l’esthétique courante des bâtiments communaux de cette fin XIXe siècle, à base d’encadrements de briques sur fond blanc, l’ancienne école date de 1876. L’entrée en angle, surmontée d’une horloge restera longtemps la porte emblématique du faubourg de Merville.

Cet angle de rue est primordial dans le plan du nouveau Lorient et la construc-

tion de la nouvelle école se devait de traiter ce partage des voies, l’une vers le port, l’autre vers Ploemeur. Visible du centre ville, l’escalier vitré apporte une réponse monumentale. C’est le cas également de l’entrée principale avenue de la Marne, tandis que l’entrée de la maternelle, rue Jean Jaurès, adopte une échelle plus domestique, aux volumes découpés, aux murets et espaces plantés en harmonie avec ce quartier de mai-sons individuelles.

Par ses lignes épurées et son unité de matériaux, l’école de Merville dessine clairement le carrefour. Quelques années plus tard, le volume circulaire des halles de Merville, accentuera le traitement plastique de cet ensemble urbain.

L’école de Merville

Le 14 septembre 1948, l’architecte Jean Martel est désigné pour lareconstruction de l’école de Merville. Lui sont adjoints Maurice Ouvré et Auguste David comme architectes d’opération.

Un avant-projet est approuvé par le conseil municipal en mai 1950. Après remaniement et avatars de chantier, l’école est inaugurée en octobre 1952.

Ecole primaire de garçons de Merville

(courant années 1950)

Ecole des filles (courant années 1950)

© L

ouis

Le G

uern

evé

- C

oll.

AM

L

© Louis Le Guernevé - Coll. AML

© Coll. Dominique Richard

« Une silhouette robuste et harmonieuse. »

Extrait du discours inaugural de M Le Samedy, maire de Lorient

Page 5: laissez-vous conter Lorient...d’art et d’histoire laissez-vous conterLorient Merville / Bisson deux écoles de la Reconstruction 2 3 Les modèles scolaires d’avant-guerre La

8 9

Une sage modernité

L’emploi de la pierre en parure et les pentes de toiture dénotent une réelle volonté de séduire. La qualité des matériaux et la mise en œuvre des détails rassurent également. L’utilisa-tion d’un vocabulaire reconnaissable tels que corniches, entourages de fe-nêtre, lignes de balcon, s’allie à une composition de façade clairement dessinée jouant sur les symétries.

À cette sage silhouette s’ajoutent des éléments purement modernes : les volumes cubiques largement vitrés des escaliers d’angle, les lames verti-cales de brise-soleil en béton, et bien entendu les ouvertures de classes sur la cour. Celles-ci constituent une véritable prouesse technique. Elles s’ouvrent pratiquement sur une lon-gueur de salle, soit une trame de 8,5 mètres. Une lame de béton suspen-due sert de brise-soleil. Protégé de la ville par sa solide parure urbaine, le bâtiment s’ouvre tout en légèreté sur la cour plantée.

L’école de Merville

La rotonde : un dôme de lentilles de verre reposant sur des piliers de béton. Les parois vitrées permettent aux enfants d’avoir la sensation du dehors tout en étant protégés.

L’escalier : les ouvertures verticales forment un signal urbain.

Logement de fonction.Balcon et fenêtre d’angle permettent de « casser » l’arête du bâtiment.

Cours

Préaux couverts

Cours

Halles de Merville

Pavillons d’entrées : l’inclusion d’une maison traditionnelle dans un volume moderne épuré.

Réfectoire et salle de repos.

Maternelle avec les classes ouvertes sur le jardin.

Les classes distribuées par de large coursives côté rue : les fenêtres en hauteur donnent aux enfants une vue sur le ciel.

Dessin Merville© Coll. Dominique Richard

© C

oll.

Dom

iniq

ue R

icha

rd

Page 6: laissez-vous conter Lorient...d’art et d’histoire laissez-vous conterLorient Merville / Bisson deux écoles de la Reconstruction 2 3 Les modèles scolaires d’avant-guerre La

10 11

L’implantation d’une nouvelle écoleContrairement à celle de Merville, recons-truite à son emplacement, cette école est une création. Elle répond à la perte des locaux scolaires contigus à l’ancienne salle des fêtes (l’école des quais) et à une partie de l’an-cien lycée Dupuy de Lôme. Conçue pour accueillir les enfants habitant le centre-ville et le futur quartier de l’Eau Courante, elle conservera longtemps le nom de « l’école du centre ». Elle est située sur un terrain militaire, la caserne Bisson dont une partie est laissée à la ville par la Marine nationale en dédommagement de la perte de terrains proche de l’enceinte de l’arsenal. Longeant cet îlot appelé « arsenal de terre », une petite place accueille la statue d’Hippo-lyte Bisson anciennement placée en partie haute du cours de la Bôve. Par cette double circonstance, l’école prend le nom « d’école Bisson ».

L’ouvertureSi l’esthétique choisie pour l’école de Mer-ville, à la modernité retenue, s’applique à plaire et à rassurer, l’école de Bisson arbore ouvertement sa modernité, utilisant tel un

exercice de style chacun des standards de l’avant-garde architecturale : toitures plates, toit terrasse, pilotis dégageant l’espace d’un préau, ouverture maximum des façades, fenêtres en bandeaux, implantation libre des bâtiments sur la parcelle, fluidité des espaces, confort sanitaire et qualité d’équipements. Toutes ces innovations architecturales vont influer sur la suite de la Reconstruction. Exemplaire dans sa réalisation lorientaise, ce bâtiment est toutefois basé sur un modèle scolaire type dont il existe des variantes sur tout le territoire.

Répondant à l’évolution des méthodes d’enseignement, des parois vitrées sur toute la hauteur se replient en accordéon, à la manière de son illustre modèle, l’école de plein air de Suresnes. Les classes maternelles du rez-de-chaussée se prolongent ainsi sur la cour, le préau se ferme et s’ouvre au gré des saisons. À l’étage, les classes de maternelle bénéfi-cient du toit terrasse du préau aménagé en solarium.Orientée plein sud, la disposition des bâti-ments permet le dégagement de larges cours. Le « plein air », le jeu et l’activité sportive

sont reconnues comme participant de l’éducation nécessaire à un enfant.

L’ouverture maximale des classes des-sine la façade en un immense encadre-ment saillant qui semble flotter sur la paroi blanche. Le tout est serré par de robustes pignons de pierre. La toiture

inclinée en zinc évite la citation régio-naliste et se singularise des immeubles voisins.

Le dessin d’une ligne urbaine Le projet reste malgré tout fidèle aux principes traditionnels mis en place à la fin du XIXe siècle : une séparation nette des bâtiments affectés à la maternelle, aux filles et aux garçons, avec pour chacun sa cour attribuée. La mixité des écoles ne s’impose qu’au cours de la décennie suivante. De cette contrainte, Georges Tourry tire une composition urbaine novatrice qui influe sur la reconstruction des îlots du centre-ville.Le plan des trois bâtiments est sensi-blement identique, avec ses lignes de classes distribuées par une coursive en façade nord et ses escaliers en pignon. Des préaux couverts en rez-de-chaussée pour les deux éléments du primaire permettent à ces deux extrémités d’en-cadrer d’un étage de plus le bâtiment central de la maternelle. Le petit bâti-ment formé de trois logements de fonc-

tion achève de structurer un plan d’îlot à la composition abstraite qui rappelle celle des tableaux d’avant-garde. Il s’agit de l’un des premiers exemples d’îlot ouvert dans le tissu compact du centre-ville. Préférant l’orientation sud, les bâtiments utilisent en effet la diago-nale et non l’alignement sur la rue. Il en résulte un partage de la parcelle aéré, qui, par le jeu des transparences, laisse entrevoir l’ensemble de l’îlot. Grâce à cette géométrie, Georges Tourry fait la démonstration des bienfaits d’un urbanisme libéré des contraintes de la rue. L’aménagement paysagé bénéfi-cie autant à l’école qu’aux usagers de l’espace public.

L’école Bisson

Aidé de Brunerie etRomualdo comme architectes d’opération, Georges Tourry est l’architecte responsable du chantier. Le projet date de décembre 1950, et l’inauguration de l’école a lieu le 16 septembre 1954.

© C

oll.

Dom

iniq

ue R

icha

rd

© C

oll.

Dom

iniq

ue R

icha

rd

© Coll. Dominique Richard

« … séduisant par son originalité, par sa volonté de ne pas faire bloc, de fuir autant que possible, tout ce qui pourrait rappeler les anciennes casernes du début 19e siècle, par ses jeux de couleurs, cette lumière abondamment répandue dans toutes les salles, ses larges cours et ses terrains de sports… »

Extrait du discours inaugural du recteur d’académie.

Statue de l’enseigne de vaisseau Hippolyte Bisson

Perspective d’ensemble, novembre 1950.

© Coll. AML

Page 7: laissez-vous conter Lorient...d’art et d’histoire laissez-vous conterLorient Merville / Bisson deux écoles de la Reconstruction 2 3 Les modèles scolaires d’avant-guerre La

12 13

L’école Bisson

Toit terrasse aménagé en solariumPréau vitré

Préaux couverts

Logements de fonction

Ligne de sanitaires

Statue d’Hyppolite Bisson

Volume d’ouverture encadré

BassinJardin paysagé

Pignon de pierres

Auvent d’entrée en béton.

Les cours sont abritées de la rue, soit à l’écart, soit en surplomb. Mais par le jeu de transparence des préaux, l’école s’ouvre sur la ville.

Classe de l’école Bisson© Fonds Brunerie - Coll. AML Pignon de pierres

© C

oll.

AM

Col

l. D

omin

ique

Ric

hard

Promouvoir la modernité

En pleine Reconstruction, alors que la population est logée en cité provisoire, le contraste est fort. La construction d’une école moderne est l’occasion de transmettre le message d’un mode de vie en mutation et d’encourager un autre rapport à l’espace urbain. Elle favorise l’adhésion d’une population à de nouvelles formes architecturales. En faisant l’expérience concrète de la modernité, les enfants accèdent à un confort dont ils ne disposent encore que rarement chez eux : un espace chauffé et sec, d’amples couloirs et escaliers, le tout baigné de lumière, y compris dans les sanitaires aux larges proportions. Les céramiques blanches donnent un avant-goût des salles de bains qui voient le jour dans les loge-ments en construction.

Page 8: laissez-vous conter Lorient...d’art et d’histoire laissez-vous conterLorient Merville / Bisson deux écoles de la Reconstruction 2 3 Les modèles scolaires d’avant-guerre La

14 15

La nécessité de la préfabricationDans l’optique d’une relance nationale, les matériaux de construction se stan-dardisent. La préfabrication apparaît comme une solution pour répondre à la demande d’une manière efficace et rapide. François Coignet, indus-triel promoteur du béton aggloméré, écrivait déjà en 1861 : « La préfabrica-tion : ce procédé est à la construction ce que l’imprimerie est à l’écriture ». Ainsi sur un même chantier se créent des modèles de fenêtres, d’encadrement ou d’éléments de façades qui peu-vent se fabriquer en usine au nombre souhaité. Même si la préfabrication telle que le souhaitait l’Etat ne sera que difficilement appliquée, elle permettra de raccourcir fortement la durée des chantiers et de mettre en place une filière-bâtiment sur le pays.

Verre et bétonLe béton présente d’indéniables pro-priétés techniques appréciées par les ar-chitectes et les ingénieurs : sa robustesse et sa rapidité de mise en œuvre notam-ment. La décennie 1950 explore les possibilités de ce matériau prometteur. Il permet de réaliser de longues portées, de limiter les appuis au sol, de créer des volumes en porte-à-faux, de mouler des formes nouvelles. En témoigne l’auvent de l’entrée de la maternelle Bisson.Le béton armé induit également un nouveau type de composition de façade avec de plus larges ouvertures. Le tracé classique laisse place à un jeu de trames aux proportions élégantes. L’encadre-ment des fenêtres accentue les lignes de la façade. En débordant largement il devient brise-soleil. Le tracé des ombres favorise une lecture plastique des volumes.

Pierre et fausse pierreBien qu’utilisé depuis le XIXe siècle, le béton ne parvient toujours pas à l’orée des années cinquante à convaincre les populations qui doutent de sa fiabilité et n’apprécient guère son aspect. Jugée, à l’inverse, solide et esthétique, la pierre lui est préférée. Lorsqu’il est employé dans la structure du bâtiment comme pour l’élévation des murs, le béton disparaît souvent derrière un parement ou un enduit. Le béton de gravillon lavé, dont les agrégats donnent une texture et une couleur et l’assimile à de la pierre reconstituée, constitue par conséquent une alternative séduisante qui lui vaut d’être largement utilisé dans la France de la Reconstruction en parement ou en éléments de modéna-ture.

Novateurs à la fin des années cinquan-te, les deux bâtiments correspondaient à des normes et un programme donnés. En plus de cinquante années de mise en service, outre l’entretien courant, bien des transformations ont déjà eu lieu sur le bâti. Insérée entre la cour des filles et la cour maternelle, une cantine a été construite dans l’école Bisson. Longtemps inutilisée, la cour en toiture du préau couvert n’est plus accessible et ses grilles de protection ont été supprimées. Une sculpture ludique est installée sur le bassin rue Vauban. Un bâtiment supplémentaire a également été introduit dans l’école de Merville, dans le prolongement de l’avenue de La Marne, refermant la cour sud.

En 2007, une campagne de rénovation plus importante est mise en place afin de remédier aux soucis énergétiques de l’école Bisson. Les locaux s’adaptent aux nouvelles normes de sécurité, les travaux effectués permettent également d’en diminuer l’impact environnemen-tal.Les fenêtres métalliques ouvrantes en persienne laissent leur place à de grands coulissants de vitrage isolant. Agré-mentées de deux bandes de pare-soleil métalliques, les classes gardent ainsi leur qualité d’ensoleillement tout en maîtrisant les nuisances thermiques. Une ligne formée de capteurs photovol-taïques profite de l’orientation parfaite

des bâtiments afin d’utiliser l’énergie solaire tout en adoucissant la lumière naturelle dans les classes. Avec ses 50 m2 de panneaux, l’école Bisson de-vient le premier bâtiment public de la ville produisant de l’électricité de cette manière. Des cuves sont aménagées afin de récupérer les eaux de pluies prove-nant des toitures. La diminution du nombre d’élèves mène à une redistri-bution des locaux : l’activité scolaire est recentrée, l’ancien bâtiment des garçons laissé libre en attente de futurs projets.

EvolutionDétails, couleurs et matières

Finition de détailsQualité de finition et matériaux de choix caractérisent les premiers bâti-ments de la reconstruction ; le décor se porte sur l’entourage des fenêtres, les corniches, profils de poteaux, garde-corps, balcons, etc…. L’innovation se poursuit grâce à un travail sur le volume et la recherche d’un nouveau confort. Le linoléum et le carrelage, aux vertus hygiéniques, recouvrent sols et murs. Le bois est largement utilisé dans des compositions menuisées intégrant tableaux, ouvertures, rangements et vestiaires.

L’art dans l’écoleDans l’école Bisson, l’intégration à l’architecture d’œuvres picturales est prévue dès les premières esquisses : de monumentales fresques aux motifs colorés devaient habiller les murs des préaux. C’est finalement le sol du préau couvert qui sera orné d’une mosaïque illustrant des fables de La Fontaine. Les allèges de façades, par leur jeu de couleurs identifie chaque bâtiment : vert pour celui des filles, jaune pour la maternelle et bleu pour celui des garçons. Ces couleurs franches sont employées pour la première fois dans la Reconstruction lorientaise.

© Coll. Dominique Richard

© Coll. Dominique Richard

Page 9: laissez-vous conter Lorient...d’art et d’histoire laissez-vous conterLorient Merville / Bisson deux écoles de la Reconstruction 2 3 Les modèles scolaires d’avant-guerre La

Animation de l’architecture et du patrimoineHôtel Gabriel - Enclos du port- 56100 LorientTél. : 02 97 02 59 31 - Fax. : 02 97 02 59 [email protected]

Office de Tourisme de Cap l’OrientMaison de la mer - Quai de Rohan - 56100 LorientTél. : 02 97 21 07 84 - Fax : 02 97 21 99 44

Plus d’informationsSite de la ville de Lorient : www.lorient.frSite de l’Office de Tourisme : www.lorient-tourisme.fr

Textes : Dominique RichardIconographies : Dominique Richard et Archives municipales de Lorient (AML)Graphisme : Imprimerie municipale de Lorient Impression : Imprimerie de Basse Bretagne, Hennebont

Laissez-vous conter Lorient, Ville d’art et d’histoire…

… en compagnie d’un guide-conférencier agréé par le ministère de la Culture.Le guide vous accueille. Il connaît toutes les facettes de Lorient et vous donne les clefs de lecture pour com-prendre l’échelle d’une place, le développement de la ville au fil de ces quartiers. Le guide est à votre écoute. N’hésitez pas à lui poser vos questions.Le service de l’animation de l’architecture et du patri-moine coordonne les initiatives de Lorient, Ville d’art et d’histoire. Il propose toute l’année des animations pour les Lorientais et pour les scolaires. Il se tient à votre disposition pour tout projet.

Ecole maternelle de Merville : vue de l’intérieur du réfectoire.© Fonds Groleau – SAEG - Coll. AML

Groupe scolaire Bisson : vue d’un couloir d’accès aux classes avec des vestiaires ouverts (1954).

© Le Dû – Coll. AML