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L’ÎLE DE LA CHANCE Une nouvelle de Ian Douglas Illustrations par Lars Otterclou Pour

L’ÎLE DE LA CHANCE - Amadeus...« Je me suis dit que ce serait plus rapide que de faire la queue », expliqua Lorie. Lorie guida Dylan au milieu des foules de voyageurs et de vendeurs

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L’ÎLE DE LA CHANCE

Une nouvelle de Ian Douglas Illustrations par Lars Otterclou

Pour

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EN ROUTE POUR L’ÎLE DE LA CHANCE

ylan regarda vite fait ses e-mails.

« Refus, refus, négatif, refus », grommela-t-il.

Le visage d’une jeune femme apparut en haut à gauche de l’écran. Elle avait des cheveux blonds vénitiens et des yeux bleus comme l’azur. C’était Lorie.

« Tu as l’air découragé », dit-elle.

Dylan s’appuya sur le dossier de sa chaise.

« Six mois que je n’ai pas travaillé, le mot découragé est faible. »

Lorie le regarda, les yeux pleins de compassion. « Allez mon petit génie, un jour ou l’autre quelqu’un reconnaîtra ton talent ! Tu veux que je regarde dans le Cloud s’il y a de nouvelles annonces ? »

« Déjà fait, deux fois aujourd’hui », répondit Dylan en repoussant ses boucles brunes d’un geste de la main.

« Alors je vais élargir mes paramètres », répliqua Lorie avant de disparaître.

En mâchonnant un vieux stylo, Dylan jeta un œil au désordre de son appartement. C’était là tout le paradoxe du chômage : il était tellement occupé à chercher du travail qu’il n’avait pas le temps de descendre les cartons de pizza à la poubelle ni de laver ses chaussettes, ni d’affronter des zombies en 3D sur sa console de jeux. Mais il avait besoin de quelque chose pour lui remonter le moral.

L’ordinateur émit un petit bip et les traits fins de Lorie réapparurent.

« Hé Dylan, j’ai quelque chose pour toi. »

« Un boulot ? »

Lorie fit non de la tête.

« Il y a une conférence organisée ce week-end. Les six géants seront là. »

Dylan n’en crut pas ses oreilles.

« Les géants du logiciel ? Mais en quoi ce serait une opportunité professionnelle ? »

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« Je pensais à l’APV. »

Ces trois lettres signifiaient « assistant personnel virtuel », c’est-à-dire un outil d’intelligence artificielle créé à partir d’algorithmes et de sous-programmes et adapté à la personnalité unique de son utilisateur. Bien plus qu’un simple programme, l’APV pouvait résoudre les problèmes, innover et créer. Pour résumer, il était capable de penser. Le concept était resté une utopie pendant des années. Une idée géniale mais bien trop avant-gardiste, d’après les professeurs et autres super-geeks.

Dylan leur avait donné tort à tous. Il avait mis au point un code capable de faire fonctionner un APV. Le souci, c’est que personne ne le croyait. Comme si un jeune inconnu d’à peine vingt ans pouvait réussir là où les têtes pensantes du secteur avaient échoué. On lui avait ri au nez tellement de fois qu’il avait arrêté de compter.

Lorie, bien sûr, était la première version de son programme APV. Jusque là, après une année de test, elle ne présentait aucun défaut. Si seulement une personne influente acceptait de l’écouter !

« Je ne comprends pas, Lorie », dit Dylan.

Lorie lui décrocha un sourire radieux et Dylan se rappela la semaine entière qu’il avait passée à travailler sur ces mouvements de lèvres.

« Les cerveaux des six plus grandes sociétés informatiques vont être réunis dans une même pièce. Pourquoi ne pas leur présenter ton projet ? »

Ah ça, le sous-code de Lorie concernant les idées originales fonctionnait à merveille. Mais de là à s’imposer dans une réunion professionnelle ? Dylan fut parcouru d’un long frisson.

« Peut-être... Alors, dis-moi, où se retrouvent ces grands manitous ? »

« Ko Chokdee », répondit Lorie.

« Co-quoi ? »

« Ko Chokdee, c’est une île proche de Ko Samui située dans le Golfe de Thaïlande. C’est une destination exceptionnelle, hors des sentiers battus. Son nom signifie « chance » en thaï. »

Dylan manqua de s’étrangler.

« Et tu m’expliques comment je suis censé me rendre là-bas ? »

Lorie ferma les yeux, plongée dans ses réflexions. Son intelligence multi-gigaoctets était en train d’éplucher les sites Internet.

« Bon, les vols directs vers l’aéroport international de Samui démarrent à 3 000 e-dollars. »

« Lorie, tu connais l’état de mon compte en banque. Ca ne sert à rien de me donner des réponses qui n’aident pas. »

Lorie se mit à rire. Pour Dylan, ce son évoquait toujours le chant d’un oiseau.

« J’ai comparé ton budget à toutes les options de voyage possibles. Il existe une solution abordable si tu prends un vol vers une destination moins chère et termines le trajet par la route. »

Dylan fronça les sourcils.

« Tu en es sûre ? Qu’en est-il des visas ? Des assurances ? »

« Fais-moi confiance Dylan. Je peux m’occuper de ça en quelques nanosecondes. Je me charge de la paperasse et toi, tu te concentres sur le discours de ta vie. Qu’en dis-tu ? »

Dylan se gratta le menton. Il n’avait pas de travail, pas de petite amie, pas de vie sociale... Qu’avait-il à perdre ? Il frappa du poing sur le bureau.

« Lorie, tu es un génie. »

« Non Dylan, le génie c’est toi. J’ai téléchargé la liste des indispensables de voyage sur ta tablette. Va faire tes valises pendant que je réserve un taxi pour l’aéroport. »

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es portes du terminal des arrivées s’ouvrirent et Dylan s’avança dans une atmosphère chaude et moite.

« Essaye ce taxi et demande Jalan Sultan Hishamuddin », annonça Lorie depuis la tablette rangée dans le sac de Dylan.

« On est en Malaisie ! », s’écria Dylan. « En Malaisie », répéta-t-il d’une voix moins aiguë. « Tu parles de Thaïlande, on n’est même pas dans le bon pays. »

« Fais-moi confiance Dylan. J’ai tout calculé, entre le prix et le temps de trajet. C’est le seul itinéraire qui te permettra d’arriver dans les temps sans faire sauter la banque. A condition... »

« A condition que quoi ? »

« A condition que tout se passe bien. »

Dylan leva les yeux au ciel, jeta son sac sur son épaule et, d’un pas lourd, sortit sous l’aveuglante lumière tropicale.

Assis dans le taxi qui le menait à Kuala Lumpur, Dylan se rongeait frénétiquement les ongles. Dehors, un monde infini de maisons orientales et de bougainvilliers défilait devant ses yeux. Tous les panneaux étaient écrits dans une langue incompréhensible. Les gens, les magasins, les bus, tout était différent. Il avait l’impression d’avoir atterri sur une autre planète. Et il se sentait très seul.

A son arrivée à la gare, véritable palais constitué de minarets d’un blanc éclatant, une jeune femme portant le hijab l’attendait. La grande ceinture autour de sa taille indiquait qu’elle travaillait pour le bureau des réservations.

« M. Howard ? Voici vos billets. »

« Je me suis dit que ce serait plus rapide que de faire la queue », expliqua Lorie.

Lorie guida Dylan au milieu des foules de voyageurs et de vendeurs de soupe de nouilles jusqu’au bon quai. Quelques minutes plus tard, le train filait à travers des plantations de centaines d’hévéas parfaitement alignés.

Le dossier de chaque siège était équipé d’un écran. Dylan se pencha et toucha l’écran devant lui, ce qui fit apparaître le menu.

« Qu’est-ce que je vais bien pouvoir commander à manger ? », se demanda-t-il.

« Humm », réfléchit Lorie. « Allons prendre quelques conseils. »

Elle ferma les yeux et se mit à surfer sur le Cloud, posant au passage des questions sur tous les forums et sur tous les réseaux sociaux appropriés.

« Je sais », déclara-t-elle en rouvrant les yeux. « Josh et Mandy de Sydney, qui voyagent sac au dos jusqu’à Singapour, suggèrent de “tenter le nasi lemak, les plats doux et épicés sont à tomber”. »

C’était vrai, le repas était excellent et la bière locale délicieuse. Dylan choisit un film d’action récent sur l’écran tactile puis piqua du nez.

Il se réveilla au lever du soleil, entouré de palmiers et de rizières scintillantes. Un vendeur de nourriture parcourait le wagon pour vendre de grosses bananes.

« La Thaïlande ! » s’exclama Lorie. « Nous allons bientôt descendre à Chumpon, la porte vers Ko Chokdee. »

Une violente secousse ébranla le train. Les roues se mirent à grincer telles des bêtes torturées puis, lentement, le convoi s’immobilisa. Deux heures pénibles s’écoulèrent, pendant lesquelles les passagers, confinés dans une bulle climatisée, attendirent des nouvelles. Aucune nouvelle ne vint, mais le train finit par se remettre en branle. Les ordinateurs et appareils électroniques embarqués se rallumèrent d’eux-mêmes et le ronronnement du moteur reprit.

« Un dysfonctionnement au niveau des circuits. Il fallait juste les redémarrer », indiqua Lorie.

Dylan lui jeta un regard réprobateur.

« Tu as l’air inquiet », constata-t-elle.

« Peut-être parce que je le suis », répliqua-t-il.

Elle sourit de toutes ses belles dents blanches.

« Essaie de dormir pour te remettre du décalage horaire. Moi, j’ai une idée. »

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n fin d’après-midi, Dylan était sur le quai de Chumpon. Le bourdonnement des mouches et le chant des geckos résonnaient sur les rails.

« Je ne pourrai jamais attraper ce ferry », râla Dylan en essuyant la sueur sur son front. L’atmosphère était aussi humide que dans un sauna.

« Fais-moi confiance, prends un taxi jusqu’à l’embarcadère 31. Et ne paie pas plus de vingt e-dollars ! »

Un vieux chauffeur de taxi grisonnant emmena Dylan à travers le dédale d’habitations, de temples bouddhistes et de mosquées. Dylan sentait son cœur battre à tout rompre. A chaque feu rouge, chaque ralentissement, il se mordait le poignet. Allaient-ils arriver à temps ? Soudain, les bâtiments s’écartèrent pour laisser place à une mer bleu saphir. Des bateaux de pêche flottaient le long d’une jetée en bois.

« Que se passe-t-il ? » s’inquiéta Dylan.

Un petit groupe de jeunes baroudeurs s’était formé au niveau de l’embarcadère 31. Le ferry faisait frissonner l’eau avec ses moteurs, tandis que l’équipage observait le spectacle, perplexe. Quand Dylan se hissa hors du taxi, la foule se mit à applaudir.

Des « Vas-y Dylan ! » résonnaient.

Trop abasourdi pour parler, Dylan embarqua et leur fit un signe de la main alors que le bateau quittait tranquillement le port. Pendant un moment il resta là sans bouger, penché par-dessus le pont à admirer les vagues opalines. Puis il sortit sa tablette.

« C’était un flashmob », se réjouit Lorie. « J’avais fait passer le mot comme quoi, si tu ratais ton bateau, tu risquais de laisser passer la chance de ta vie. C’est incroyable le nombre de gens qui ont voulu aider. Ils ont simplement imploré le capitaine de rester à quai suffisamment longtemps pour te laisser le temps d’arriver. »

Dans un regain de confiance, Dylan bomba le torse.

« Lorie, plus rien ne pourra nous arrêter maintenant. »

Une vague énorme vint frapper la proue du bateau. Celui-ci s’inclina brusquement et Dylan fut projeté contre la rampe. La tablette lui échappa des mains. Elle plongea à la mer et disparut dans les profondeurs salées.

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o Chokdee émergea tel un joyau, un bout de terre taillé dans l’émeraude et le

jade. Mangues, bananes et papayes illuminaient les collines dans un camaïeu de verts. Tout le littoral était bordé de sable blanc.

La mer était d’un magnifique bleu turquoise.

Pourtant, Dylan restait indifférent à toute cette beauté, alors qu’il quittait le ferry d’un air découragé et se dirigeait vers la rangée d’échoppes en bois. A cause de ses maigres ressources, il ne possédait qu’un seul appareil mobile, celui-là même qui gisait désormais au fond du Golfe. Tous ses plans et les vidéos de démonstration de l’APV s’y trouvaient. Mais, pire que tout, c’était aussi là que se trouvait Lorie. Il était là, sur une île lointaine, à des kilomètres du premier cybercafé. Il ne savait même pas où avait lieu la conférence. Rien ne pouvait éclaircir l’horizon de Dylan, il était perdu au milieu d’un brouillard de désespoir.

Quelqu’un lui toucha le bras. C’était une femme d’au moins soixante ans, affublée de l’uniforme typique du touriste, short et tee-shirt. Elle retira son chapeau de paille et une mèche de cheveux argentés vint s’agiter dans la brise marine.

« Pardonnez-moi jeune homme », dit-elle en rougissant. « Etes-vous Dylan Howard ? »

Il acquiesça.

« Je viens de recevoir un SMS d’une certaine Lorie. »

Dylan ouvrit grand les yeux. C’était incroyable.

« Elle me dit de vous dire qu’il y a une boutique de téléphonie au bas de la rue qui vend des portables pas chers. C’est même là que j’ai acheté le mien. »

Au coucher du soleil, Dylan sirotait une bière locale à la terrasse d’un petit restaurant, tout en observant machinalement les rickshaws pris d’assaut par les touristes. Son tout nouveau téléphone portable était posé sur la table. La boutique n’avait en stock que des vieux modèles, sans écran tactile interactif, mais au moins Lorie pouvait communiquer par SMS.

Il prit le téléphone et relut les messages de Lorie.

« On ne peut rien faire de plus ce soir. Il y a une chambre de libre au Somsak’s Guesthouse, juste en face du restaurant. »

Dylan ne s’était jamais senti aussi fatigué. Le décalage horaire, la chaleur, le stress du voyage, tout ça l’avait littéralement assommé. Il se demanda s’il aurait pu arriver jusque là sans Lorie, elle qui était toujours prête à traduire un mot ou à lui indiquer la bonne direction. La réponse était non.

Dylan glissa sa carte électronique dans le lecteur apporté par le serveur, puis se traîna jusqu’à la maison d’hôte.

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EN ROUTE POUR L’ÎLE DE LA CHANCE

l’aube, la voix perchée d’un jeune coq tira Dylan de son sommeil. Il était allongé sous les pans de la moustiquaire, observant la faible lueur du jour à travers les volets fermés. Il se sentait en sécurité dans cette obscurité matricielle. Mais aujourd’hui c’était son grand

jour. Il devait se rendre à l’hôtel, trouver un moyen d’entrer et, sans qu’il sache encore comment, arriver à persuader des dirigeants d’entreprises puissantes de l’écouter. Avant de quitter l’Angleterre, ce plan lui semblait réalisable. A présent, il ne lui semblait pas tenir debout. Il ferait peut-être mieux de repartir vite fait chez lui. Au moins il s’épargnerait l’humiliation d’un échec retentissant.

Sur la table de nuit, le réveil du portable retentit. Une fois de plus, Lorie avait anticipé ses besoins. Il consulta le message.

« Bonjour Dylan, il est l’heure d’arrêter de broyer du noir. Tu m’as inventée, tout de même ! »

Avec un petit sourire timide, Dylan s’extirpa de la moustiquaire. Après une douche froide revigorante, il alla voir sa logeuse dans le petit hall d’entrée aux sols nus. C’était une femme rondelette d’âge moyen, à la peau jaune safran et aux cheveux noirs de jais.

« Je souhaiterais me rendre au Sandalwood Spa Resort », lui demanda-t-il.

Elle éclata de rire, comme s’il avait dit la pire des absurdités. Il répéta sa question. Elle pointa le ciel du doigt.

« Seul chemin Monsieur. Seul chemin. »

Perplexe, Dylan eut un mouvement de recul.

« Vous voulez dire en avion ? »

Elle agita vigoureusement la tête.

« Pas avion, autre chose. Moi pas savoir dire en français. »

« Ah, en hélicoptère, alors ? »

Elle acquiesça avec tout autant de d’énergie.

« Il doit bien y avoir des routes. »

« Pas de route, monsieur, jungle trop dense. »

« Mais alors comment je fais pour y aller ? »

La logeuse haussa les épaules et s’éloigna. Dylan attrapa le portable dans sa poche et tapa sa question avec inquiétude.

« Apparemment pas de routes jusqu’à l’hôtel, j’ai besoin de ton aide ! »

Il appuya sur Envoyer. Quelques secondes plus tard, le portable émit un bip.

« Pas de routes goudronnées mais des pistes, oui. Va louer un vélo chez Tom’s Bike Shanty, c’est à quelques rues d’ici.

Pédale vers l’ouest. Je te dirai par où passer. Oh et Dylan, n’oublie pas de faire le plein de bouteilles d’eau. Une insolation est tout à fait possible. »

Dylan embrassa le téléphone, geste qui fit éclater de rire la logeuse. Il l’ignora et fila vers la porte.

Les vieilles bécanes rouillées de Tom n’inspiraient pas vraiment confiance. Dylan finit par opter pour un vélo de course deux fois trop petit. Mais il était trop pressé pour pinailler. C’était le dernier jour de la conférence, après ça les six géants rentreraient chez eux.

Il pédala avec entrain le long d’une route large et poussiéreuse, longée par des banians centenaires. De temps en temps, il croisait un paysan assis sur le bas-côté qui vendait des cacahuètes bouillies ou du riz dans des feuilles de bambou. Dylan avait oublié de prendre son petit-déjeuner et les odeurs l’attiraient autant que le chant d’une sirène. Mais il n’avait pas de temps à perdre.

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Lorie lui indiqua de prendre la prochaine à gauche. Puis il reçut un autre message quelques secondes plus tard, lui disant de revenir sur ses pas parce qu’il avait raté le croisement. Dylan remercia le GPS du téléphone et fit demi-tour. La route se transforma en chemin puis en piste, pour finir en simple sentier. Il filait, s’enfonçant toujours plus loin dans la forêt tropicale et ne s’arrêtant que pour se désaltérer. Même si le feuillage offrait un peu d’ombre, le soleil était écrasant. Rien ne lui avait jamais paru aussi délicieux que ces quelques gorgées d’eau d’une bouteille en plastique.

Il arriva soudain à une grande montée. La pente était trop raide et il dut mettre pied à terre. Des oiseaux exotiques chantaient dans les arbres. Leurs ailes scintillaient de profonds bleus et verts métallisés.

Au milieu des arbres, le sentier s’ouvrit soudain sur un mur de claustras en béton. Il jeta un œil à travers les claustras. Il y était ! Le Sandalwood Spa Resort, véritable vision nirvanesque. Des bâtiments aux teintes pastel entouraient une piscine pourvue d’une fontaine et d’un bar. L’architecture de l’hôtel n’était que piliers, arches et coupoles, étrange mélange d’arabesques et d’art méditerranéen. Les clients de l’hôtel se prélassaient en maillot autour de la piscine, dégustant boissons fraîches et petites douceurs. Les employés de l’hôtel portaient des tenues dignes d’un spectacle d’Aladin, avec turbans rouges, vestes longues et ceintures roses.

Dylan poussa un sifflement.

« Bon, comment j’entre ?

« Essaie l’entrée », suggéra Lorie.

Dylan s’approcha des portes en acier.

« Veuillez regarder dans la caméra », annonça une voix robotisée.

Dylan se pencha vers l’objectif de la console de sécurité installée sur le côté de la porte. Un laser vert scanna sa rétine.

« Identité non reconnue », déclara la voix.

Dylan appuya sa main sur le lecteur. La lumière verte éclaira sa paume.

« Identité non reconnue. »

« Je souhaiterais parler à un responsable, s’il vous plaît », répondit Dylan à voix haute en faisant signe aux caméras de surveillance placées au-dessus.

« Identité non reconnue », répéta la réponse pré-enregistrée.

Pendant un court instant, Dylan s’imagina fracasser la console avec une pierre.

« S’il vous plaît, puis-je entrer ? », implora-t-il.

« Veuillez contacter nos représentants pour obtenir la brochure de notre établissement. Bonne journée », conclut l’enregistrement.

Et voilà, c’était fini. Il avait échoué. La tête basse et les épaules voûtées, il rejoignit la végétation. Il avait envie d’hurler sa frustration. Si proche et pourtant... la sonnerie du téléphone !

« Tu ne peux pas abandonner maintenant, Dylan. »

C’était la douce voix de Lorie. Encore l’une de ses astuces : utiliser un logiciel audio sur le Cloud pour avoir un message oral plutôt qu’écrit.

« C’est fini, Lorie. Bien tenté mais raté. »

« Peut-être pas. J’ai repéré une entrée de service. Fonce ! »

Cinq minutes plus tard, Dylan avait trouvé la porte. L’endroit était désert.

« Pas de sécurité ? », demanda-t-il, le portable collé à l’oreille.

« On dirait bien que quelqu’un a dû aller répondre au téléphone. »

Lorie gloussa.

Dylan se faufila dans le bâtiment et, sous les indications de Lorie, parvint jusqu’à la salle de conférence. Il s’engagea dans un couloir où la climatisation soufflait un air glacial.

« Continue à avancer », dit Lorie.

Il arriva devant une porte.

« On y est, à toi de jouer ! »

Dylan hésita une seconde. Une seconde qui dura une éternité. Dans son esprit il se repassa les six derniers mois de refus et d’échecs. Puis les images des dernières quarante-huit heures se bousculèrent. Il s’était lancé dans une quête à la fois téméraire et un peu folle. Pour en arriver à cet instant décisif.

Il prit une grande inspiration et entra.

Cinq hommes et une femme étaient regroupés autour d’une grande table de réunion. Tout au fond de la pièce se dressait un immense écran 3D, sur lequel s’affichaient des graphiques de toutes formes. Les hommes portaient des costumes de luxe et la femme était couverte de bijoux en or. Ils se figèrent comme des mannequins, bouche bée et les yeux écarquillés. Après deux heures passées dans la jungle, Dylan était complètement ébouriffé et en sueur.

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Personne ne parla. Dylan toussa nerveusement.

« C’est l’heure du spectacle ? », demanda un Américain corpulent. Tout le monde rit à gorge déployée.

« Je m’appelle Dylan Howard et j’ai mis au point un APV perfectionné. Mon programme s’adapte parfaitement aux besoins de l’utilisateur et il est capable de réfléchir de manière intelligente. »

Les dirigeants éclatèrent de rire.

« Mon petit, tout ça n’arrivera pas avant plusieurs dizaines d’années », répliqua la femme avec un accent britannique à couper au couteau.

Son téléphone sonna, de même que tous les autres téléphones de la pièce. Et sur tous les écrans apparut

Lorie, aussi parfaite qu’une déesse.

« Ecoutez-le. Je suis la preuve vivante de ce qu’il avance. »

« Que quelqu’un appelle la sécurité », grommela l’Américain.

« Non, je vous en prie », supplia Dylan. « J’ai parcouru la moitié de la planète pour vous rencontrer. »

« On pourrait croire que vous êtes venu à pied », dit l’Anglaise d’un air hautain.

« Sans Lorie, c’est ce que j’aurais fait. » Je suis fauché. »

« Sans qui ? »

« Mon APV. »

« Enchantée », dit Lorie en se matérialisant sur l’immense écran plasma.

Dylan serra les poings.

« A chaque catastrophe, elle a été là pour me sauver la mise. »

L’Anglaise posa sa tablette devant elle et renchérit : « Dites-nous-en un peu plus... »

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e jour déclinait tandis que Dylan dégustait un cocktail près de la piscine. Sur ses genoux, une pile de contrats. Une nouvelle tablette, généreusement offerte par les six géants, était posée à côté de lui. Lorie l’observait, aussi radieuse que le soleil.

« Tu as réussi », dit-elle.

C’était vrai. L’histoire de son APV surmontant tous les obstacles et l’emmenant jusqu’à la conférence avait capté l’intérêt des dirigeants. Dylan les avait convaincus.

« Regarde tous ces droits numériques, il y en a pour plusieurs millions d’e-dollars », s’exclama-t-il en sifflant sa boisson fruitée.

« Félicitations. »

Dylan s’enfonça dans les coussins de la chaise longue. Il s’était passé tellement de choses depuis quarante-huit heures que son esprit était embrouillé. Il avait traversé la planète en avion, attrapé un train, pris un ferry et

même loué un vélo. Il avait reçu l’aide d’un flashmob, d’internautes et même de la vieille femme au portable démodé. Les consignes avaient été traduites, les factures payées et les réservations effectuées. Tout cela grâce à Lorie. Grâce à elle, tout allait bien et il n’avait plus aucun souci à se faire. Enfin... vraiment ?

Dylan se rassit brusquement en agrippant le verre vide.

« Juste une petite chose, Lorie. »

« Oui ? »

« Eh bien, il va falloir plusieurs semaines avant que je puisse encaisser ces chèques. »

« Et alors ? »

« Alors comment suis-je censé retourner en Angleterre ? »

9©Amadeus IT Group SA. Story by Ian Douglas: iandouglas-writer.co.uk Illustrations by Lars Otterclou: otterclou.se/

EN ROUTE POUR L’ÎLE DE LA CHANCE

fin

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