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Journal de Gyn´ ecologie Obst´ etrique et Biologie de la Reproduction (2009) 38, 445—447 LETTRE À LA RÉDACTION L’andragogie médicale Medical andragogy Introduction Si les dictionnaires nous décrivent la pédagogie comme étant la science de l’éducation des enfants, devrions-nous parler de pédagogie médicale ? En 1958, Malcom Knowles introduisait le terme « Andragogie » pour la formation qui s’adresse aux adultes. Le courant andragogique, né à la fin des années 1970, implique une prise en charge de la responsabilité et des moyens de l’apprentissage par l’apprenant lui-même. Celui-ci décide d’apprendre, comment il va apprendre et jusqu’où il va apprendre, contrairement à l’enfant [1,2]. Aujourd’hui, alors que les moyens d’éducation ont connu une transformation profonde, des dizaines de facultés universitaires dans le monde offrent des programmes de « Doctorat en andragogie ». Ainsi, au lieu « d’enseigner trop et apprendre peu », peut-on « apprendre trop et enseigner peu » ? Il serait plutôt inédit de parler de méthodes pédia- triques propres aux adultes, notamment en médecine. On devrait donc parler « d’andragogie médicale » plutôt que de « pédagogie médicale ». L’andragogie est à la formation des adultes ce que la pédagogie est à l’enseignement aux enfants [1—4]. Principes de l’andragogie Knowles et al. [2] ont présenté en 1984 sept principes sui- vants de l’andragogie (Encadré 1 ). Les méthodes de l’andragogie La pratique réflective La pratique réflective est fondée par Schön [5] en 1983. Schön a stipulé que la théorie formelle, telle que celle qui est inculquée au cours de la formation professionnelle, est souvent inutile pour résoudre les problèmes moins bien Encadré 1 Les principes de l’andragogie selon Knowles [2] : maintenir une ambiance d’apprentissage efficace. Les étudiants doivent être confortables, aux points de vue physique et émotif. Ils doivent se sentir en sécurité et être confiants de pouvoir s’exprimer sans pression et sans s’exposer au jugement ou au ridi- cule ; s’impliquer dans une planification mutuelle des méthodes et de l’orientation générale du programme d’études. Cela contribuera à s’assurer qu’il y a effec- tivement collaboration en ce qui concerne le contenu et le processus d’apprentissage ; participer à la détermination des propres besoins éducatifs ; encourager les étudiants à fixer leurs propres objec- tifs d’apprentissage. Les étudiants sont ainsi incités à prendre en charge leur propre apprentissage ; inciter à identifier les ressources nécessaires et à mettre au point des stratégies visant à les utiliser dans l’accomplissement de leurs objectifs. Ce prin- cipe établit le lien entre les besoins en apprentissage des adultes et les ressources pratiques nécessaires pour atteindre les objectifs. Il fournit aussi la moti- vation pour utiliser de telles ressources en vue d’un but spécifique et bien défini ; mettre en application des projets d’apprentissage. L’un des éléments-clés de la motivation est l’attente d’une réussite. L’étudiant se décourage et perd sa motivation si une tâche d’apprentissage est excessi- vement difficile. Aussi, une trop grande pression sans l’appui correspondant peut entraîner une diminution dans l’apprentissage ; impliquer les étudiants dans l’évaluation de leur propre apprentissage. Cela est un élément indispen- sable du processus d’apprentissage autodirigé. définis et indéterminés de la pratique réelle. Selon lui, les connaissances professionnelles (l’enseignement théorique) sont directement liées à la compétence pratique et aux activités professionnelles réelles. 0368-2315/$ – see front matter © 2009 Publi´ e par Elsevier Masson SAS. doi:10.1016/j.jgyn.2009.04.002

L’andragogie médicale

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Page 1: L’andragogie médicale

Journal de Gynecologie Obstetrique et Biologie de la Reproduction (2009) 38, 445—447

Encadré 1Les principes de l’andragogie selon Knowles [2] :

• maintenir une ambiance d’apprentissage efficace.Les étudiants doivent être confortables, aux pointsde vue physique et émotif. Ils doivent se sentir ensécurité et être confiants de pouvoir s’exprimer sanspression et sans s’exposer au jugement ou au ridi-cule ;

• s’impliquer dans une planification mutuelle desméthodes et de l’orientation générale du programmed’études. Cela contribuera à s’assurer qu’il y a effec-tivement collaboration en ce qui concerne le contenuet le processus d’apprentissage ;

• participer à la détermination des propres besoinséducatifs ;

• encourager les étudiants à fixer leurs propres objec-tifs d’apprentissage. Les étudiants sont ainsi incitésà prendre en charge leur propre apprentissage ;

• inciter à identifier les ressources nécessaires et àmettre au point des stratégies visant à les utiliserdans l’accomplissement de leurs objectifs. Ce prin-cipe établit le lien entre les besoins en apprentissagedes adultes et les ressources pratiques nécessairespour atteindre les objectifs. Il fournit aussi la moti-vation pour utiliser de telles ressources en vue d’unbut spécifique et bien défini ;

• mettre en application des projets d’apprentissage.L’un des éléments-clés de la motivation est l’attented’une réussite. L’étudiant se décourage et perd samotivation si une tâche d’apprentissage est excessi-vement difficile. Aussi, une trop grande pression sansl’appui correspondant peut entraîner une diminutiondans l’apprentissage ;

• impliquer les étudiants dans l’évaluation de leurpropre apprentissage. Cela est un élément indispen-

LETTRE À LA RÉDACTION

L’andragogie médicale

Medical andragogy

Introduction

Si les dictionnaires nous décrivent la pédagogie comme étantla science de l’éducation des enfants, devrions-nous parlerde pédagogie médicale ?

En 1958, Malcom Knowles introduisait le terme« Andragogie » pour la formation qui s’adresse aux adultes.Le courant andragogique, né à la fin des années 1970,implique une prise en charge de la responsabilité et desmoyens de l’apprentissage par l’apprenant lui-même.Celui-ci décide d’apprendre, comment il va apprendreet jusqu’où il va apprendre, contrairement à l’enfant[1,2].

Aujourd’hui, alors que les moyens d’éducation ont connuune transformation profonde, des dizaines de facultésuniversitaires dans le monde offrent des programmes de« Doctorat en andragogie ». Ainsi, au lieu « d’enseigner tropet apprendre peu », peut-on « apprendre trop et enseignerpeu » ?

Il serait plutôt inédit de parler de méthodes pédia-triques propres aux adultes, notamment en médecine. Ondevrait donc parler « d’andragogie médicale » plutôt quede « pédagogie médicale ». L’andragogie est à la formationdes adultes ce que la pédagogie est à l’enseignement auxenfants [1—4].

Principes de l’andragogie

Knowles et al. [2] ont présenté en 1984 sept principes sui-vants de l’andragogie (Encadré 1 ).

Les méthodes de l’andragogie

La pratique réflective

La pratique réflective est fondée par Schön [5] en 1983.Schön a stipulé que la théorie formelle, telle que cellequi est inculquée au cours de la formation professionnelle,est souvent inutile pour résoudre les problèmes moins bien

dcsa

0368-2315/$ – see front matter © 2009 Publie par Elsevier Masson SAS.doi:10.1016/j.jgyn.2009.04.002

sable du processus d’apprentissage autodirigé.

éfinis et indéterminés de la pratique réelle. Selon lui, lesonnaissances professionnelles (l’enseignement théorique)ont directement liées à la compétence pratique et auxctivités professionnelles réelles.

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Les professionnels développent autour de leurs secteurse compétence des « zones de maîtrise », à l’intérieuresquelles ils exercent leur profession d’une manièreautomatique ». Schön nomme cela le « savoir en action ».eux sortes de réflexions sont alors déclenchées, soit laréflexion en action » et la « réflexion sur action ».

La réflexion en action, qui intervient tout de suite,st la capacité d’apprendre continuellement en appliquantes connaissances ou les compétences acquises au cours’expériences précédentes sur l’expérience courante ouoins connue. La réflexion en action comprend les trois

tapes suivantes :

aborder de nouveau le problème sous diverses perspec-tives nouvelles ;déterminer où le problème se situe par rapport auxconnaissances et compétences existantes ;comprendre les éléments et les implications contenusdans le problème et sa solution.

Ces trois étapes peuvent intervenir simultanément, enuelques secondes seulement ou sur une période plusongue.

Dans la réflexion sur action, on pense à ce qui s’est pro-uit dans la situation déjà vécue, afin de déterminer ceui aura pu contribuer à entraîner l’événement imprévu etomment cela pourra influencer la pratique dans le futur.

Par les processus de la réflexion en action et de laéflexion sur action, les professionnels modifient conti-uellement la manière dont ils abordent les problèmes,es solutions et les actions. Ils se forment parmi leursompétences une certaine sagesse face aux nouvellesompréhensions et perspectives qu’ils acquièrent grâce àa réflexion sur leurs expériences courantes et du passé.

Crandall [6] en 1993 explique la valeur d’utiliser leodèle de Schön pour venir à l’aide des étudiants. En se

ondant sur l’analyse d’entrevues avec des enseignants cli-iques, il fournit des preuves à l’appui des cinq étapes dechön employées par les professionnels, soit le savoir enction, la surprise, la réflexion en action, l’expérimentationt la réflexion sur action.

’apprentissage transformationnel

a théorie de l’apprentissage transformationnel de Mezi-ow [7] fondée en 1990 est basée sur le constructivisme,héorie selon laquelle les connaissances sont « construites »ar la personne qui percoit la réalité. Cette théorie définit’apprentissage comme étant un processus social au moyenuquel on construit et on intériorise une interprétation nou-elle ou modifiée du sens que l’on donne à son expérience,our servir éventuellement de guide à l’action.

La réflexion critique et le discours rationnel sont les prin-ipaux processus utilisés dans l’apprentissage. Un étudiantinsi habilité est en mesure de participer pleinement etibrement au discours critique et l’action qui en résulte.

ela exige la liberté et l’égalité, ainsi que la capacité’évaluer les preuves et de s’engager dans une réflexionritique.

La réflexion est une notion clé au sein de la théorie de’apprentissage transformationnel. Il s’agit de l’évaluation

Lettre à la rédaction

ritique du contenu, du processus ou des prémisses quioutiennent les efforts de la personne en vue d’interprétert de donner une signification à son expérience.

Trois sortes de réflexion peuvent être distinguées :

la réflexion sur le contenu, soit l’examen du contenu oude la description d’un problème ;la réflexion sur le processus, soit l’examen des stratégiesmises en œuvre pour résoudre le problème ;la réflexion sur les prémisses, soit le fait de se poser desquestions sur la nature même du problème, ce qui peutentraîner éventuellement une transformation du point devue de la personne.

Un apprentissage transformationnel bien réussi doitemettre en question les hypothèses ou suppositions, four-ir l’appui d’autres personnes dans un environnement enécurité, poser un certain défi, considérer des perspectivesifférentes et finalement recevoir le feed-back des inter-enants. Les nouvelles suppositions sont mises à l’épreuveans le monde « réel » ou au cours de discussions avec lesutres.

Cranton [8] a offert les lignes directrices aux éducateursransformationnels (Encadré 2).

Encadré 2Les lignes d’apprentissage transformationnel selonCranton [8] :

• promouvoir le discours rationnel ;• promouvoir une participation égale dans ce discours ;• encourager la prise de décision par les étudiants ;• encourager l’autoréflexion critique ;• prendre en considération les individualités parmi les

étudiants ;• mettre en œuvre diverses stratégies d’enseignement

et d’apprentissage.

’andragogie médicale

es éducateurs médicaux pourraient améliorer la pratiquee leur métier en étant conscients que :

les étudiants sont des collaborateurs actifs dans le pro-cessus d’enseignement, par le biais de leurs interactionsdans l’environnement de pratique ;l’apprentissage est lié et intégré à la résolution et à lacompréhension de problèmes pratiques qui se présententdans le monde réel ;les connaissances et l’expérience préalables des étu-diants sont d’une importance cruciale dans le processusd’apprentissage, dans la pratique et dans l’acquisition de

nouvelles perspectives ;les valeurs, les attitudes et les croyances des étudiantsont une influence sur leur apprentissage et sur leursactions, et on devrait les examiner et les modifier aubesoin ;
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Lettre à la rédaction

• les étudiants sont munis d’une capacité d’autorégulationlorsqu’il s’agit de fixer des objectifs, de planifier des stra-tégies et d’évaluer leurs progrès ;

• la réflexion des étudiants sur leur rendement dans lapratique est un élément crucial de l’apprentissage auto-dirigé permanent qui doit continuer pendant toute leurvie [7—9].

Nous comprendrions dès lors mieux l’importance pour lesformateurs et les intervenants auprès des adultes en situa-tion d’apprentissage de se familiariser avec ces méthodesandragogiques. Ces méthodes propres à l’enseignementaux adultes exigent qu’« enseigner » soit autre chose que« communiquer un savoir ».

Enseigner, pour un formateur et un professeur de niveauuniversitaire, c’est faire apprendre en apprenant ; c’est unpartage de savoir, savoir-faire, savoir-être, savoir faire-faireet savoir devenir.

Cette évolution dans la facon de concevoir le rôle et lesfonctions du formateur d’adultes exige, pour les formateurs,une formation leur permettant d’apprivoiser ces méthodeset ces principes andragogiques pour ensuite être en mesurede les appliquer comme intervenant.

Dans un premier temps, le formateur doit connaître lescaractéristiques de l’adulte apprenant : quels sont ses freinset ses motivations ? Qui est-il ? Comment est-il ? Commentapprend-il ? Ensuite, il doit connaître les conséquences et lesexigences andragogiques : comment se comporte l’adulte ensituation d’apprentissage.

Enfin, le formateur doit être congruent avec ce qu’il saitet ce qu’il dit, en adoptant les comportements propres àun formateur d’adultes : c’est le transfert que nous devonsappliquer dans le « comment je tiens compte de l’adulte ensituation d’apprentissage dans mes interventions ».

Un exemple type de « méthode andragogique » développédans le monde médical est : l’apprentissage par problème(APP). Cet apprentissage résulte du processus selon lequelon travaille à comprendre ou à résoudre un problème donné.Le problème est présenté pour la première fois au coursdu processus d’apprentissage (Barrows and Tamblyn, 1980).Un programme du type APP se caractérise par une trèsgrande réduction du nombre d’heures passées en cours tra-ditionnels, dont le contrepoids est l’accroissement du tempsdisponible pour les études autodirigées. Les étudiants serencontrent en petits groupes de travail (normalement dequatre à dix personnes) un certain nombre de fois parsemaine. Ces petits groupes de travail sont guidés par unmembre de la faculté et les étudiants se penchent sur ladiscussion d’un cas d’étude qui représente un problèmeclinique. Pendant ces séances d’étude, les étudiants iden-tifient des points qu’ils ont besoin d’apprendre (appelés

points d’étude). Entre les séances d’étude, les étudiantstravaillent de manière autonome ou en équipes, en vued’acquérir les connaissances appropriées leur permettant depoursuivre le cas d’étude, qu’ils présentent alors à tout legroupe [5—8].

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onclusion

vec l’institutionnalisation de l’andragogie médicale commene discipline et une science à part entière, on assuree transfert de ces connaissances, de ce message éducatift scientifique dans des conditions plus au moins stan-ards, homogènes et reproductibles. On amène l’apprenantraisonner et à manager les différentes situations selon

ne logique de progression : les objectifs, les moyens, laéthode, le contrôle de la procédure, les résultats et la

ecture critique.C’est cette capacité qui rend la transmission du message

ducatif et scientifique très simple et assimilable dans saotalité par tel enseignant et pas par un autre. Cette facone faire, parfois entourée d’une passion et d’un pouvoirdmiratif, rend la relation enseignant—apprenant particu-ière, caractérisée par une focalisation et une assimilationotale des différents messages andragogiques.

éférences

1] Robert W, Talbo T. Pédagogie ou andragogie médicale ? Revuefrancophone de pédagogie médicale 2003;2:1—2.

2] Knowles MS, et al. Andragogy in action: applying modern prin-cipes of adult learning. San Francisco, CA: Jossey-Bass; 1984.

3] Legendre R. Dictionnaire actuel de l’éducation. Montréal:Larousse, Paris; 1988.

4] Colliver JA. Educational the oryand medical education prac-tice: a cautionary note for medical school faculty. Acad Med2002;77:1217—20.

5] Schön DA. Educating the reflective practitioner: toward a newdesign for teaching and learning in the professions. San Fran-cisco: Jossey-Bass; 1987.

6] Crandall S. How expert clinical educators teach what theyknow. Journal continuing education in the health professions1993;13:85—98.

7] Mezirow J. Understanding tranformation theory. Adult educationquarterly 1994;44:222—44.

8] Cranton P. Types of group learning. New directions for adult andcontinuing education 1996;71:25—32.

9] Kaufman DM. Problem-based learning: using cases to teachabout how to deal with ethical problems. National council onethics in human research (NCEHR) 1998;8:7—10.

H. Boufettal ∗

S. HermasM. Noun

N. SamouhService de gynécologie—obstétrique C, CHU Ibn Rochd,

53, rue Allal Ben Abdellah, 20000, Centre ville,Casablanca, Maroc

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected]

(H. Boufettal).

Disponible sur Internet le 8 juillet 2009