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Hélène Delage • Stéphanie Durrleman LE MONDE DU VERBE Langage et cognition dans l’autisme chez l’enfant Théorie et clinique

Langage et cognition dans l’autisme chez l’enfant aujourd’hui (Reboul et Moeschler, 1998) et Langage et cognition humaine (Reboul, 2007). Jill de Villiers et Peter de Villiers,

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Hélène Delage • Stéphanie Durrleman

le monde du verbe

Langage et cognitiondans l’autisme

chez l’enfant

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Théorie et clinique

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Langage et cognition dans l’autisme chez l’enfant

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Coordonné par Hélène Delage et Stéphanie Durrleman

Langage et cognition

dans l’autisme chez l’enfant

le monde du verbe

Théorie et clinique

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De Boeck-Solal

4, rue de la Michodière

75002 Paris

Tél. : 01.72.36.41.60

Pour toute information sur notre fonds et les nouveautés dans votre domaine de spécialisation, consultez notre site web :

www.deboecksuperieur.com

© De Boeck Supérieur SA, 2015

Fond Jean-Pâques 4, B1348 Louvain-la-Neuve

Tous droits réservés pour tous pays.

Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de le communi-quer au public, sous quelque forme ou de quelque manière que ce soit.

Imprimé en Belgique

Dépôt légal :

Bibliothèque nationale, Paris : septembre 2015

ISBN : 978-2-35327-317-1

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Remerciements

Hélène Delage et Stéphanie Durrleman tiennent à remercier les institu-tions qui ont fourni les fonds nécessaires à la tenue de l’atelier scientifique « Langage et cognition dans l’autisme » lors du Congrès international des linguistes : l’association Autisme Genève, la Société suisse des lin-guistes ainsi que la Société académique de Genève. Les auteurs remer-cient également Mmes Solange Descargues et Julia Erskine pour leur relecture avisée.

Ce travail a aussi bénéficié du soutien du Fonds national scienti-fique suisse PA00P1_136355 octroyé à l’un de ses auteurs, Stéphanie Durrleman.

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Les auteurs

Inge-Marie Eigsti, Christina Irvine et Joshua Green proposent la pre-mière contribution de ce recueil. Inge-Marie Eigsti est professeur de psy-chologie à l’université du Connecticut (États-Unis) et s’est spécialisée dans le domaine de l’autisme. Elle est notamment l’auteur d’un ouvrage publié en 2009 traitant du lien entre syntaxe et mémoire de travail chez les enfants d’âge préscolaire présentant un trouble du spectre autistique.

Letitia Naigles est professeur de psychologie à l’université du Connec-ticut (États-Unis). Elle s’intéresse au développement langagier chez les très jeunes enfants, et notamment chez les enfants atteints d’autisme. Elle explore notamment la pertinence de nouvelles méthodes d’évalua-tion du langage qui seraient plus adaptées à des enfants présentant un trouble du spectre autistique.

Caroline Masson, maître de conférences en Sciences du langage à l’uni-versité de Lorraine (France), travaille sur les indices très précoces d’un dysfonctionnement du langage oral. Sa contribution originale aborde les capacités préverbales de très jeunes enfants atteints de troubles du spectre autistique.

Anne Reboul, directrice adjointe du laboratoire sur le langage, le cer-veau et la cognition (CNRS, Lyon), est spécialisée dans les aspects pragmatiques du langage et l’interface langage-cognition. Ainsi, elle est l’auteur de plusieurs ouvrages sur ces thèmes, dont La pragma-tique aujourd’hui (Reboul et Moeschler, 1998) et Langage et cognition humaine (Reboul, 2007).

Jill de Villiers et Peter de Villiers, professeurs à l’université Smith College dans le Massachussetts (États-Unis), sont des linguistes réfé-rents dans le domaine de l’acquisition du langage et de son impact sur les capacités en théorie de l’esprit (capacités qui nous permettent

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langage et cognition dans l’autisme chez l’enfant

d’attribuer des croyances à autrui). Leurs travaux pionniers ont mis la lumière sur le fait que certaines structures grammaticales servent aux enfants à se représenter les esprits/pensées des autres.

Stéphanie Durrleman et Julie Franck sont chercheuses à l’université de Genève (Suisse). Stéphanie Durrleman est linguiste. Après s’être intéressée aux langues créoles, elle axe désormais ses recherches sur le développement du langage dans un contexte atypique. Plus précisé-ment, elle s’intéresse aux liens entre le langage, la théorie de l’esprit et les fonctions exécutives (comme la capacité à inhiber une réponse non appropriée) dans l’autisme.

Susan Douglas est chercheuse en linguistique à l’université de Mel-bourne (Australie). Ses recherches abordent les liens entre la syntaxe et la compréhension des états mentaux chez les enfants atteints de troubles sur le spectre autistique. Comme les deux précédents contributeurs, ses travaux évoquent donc une relation entre la maîtrise de la grammaire et celle de la théorie de l’esprit.

Arhonto Terzi, Theodoros Marinis, Dimitra Bafa et Konstantinos Francis forment une équipe de chercheurs issus de Grèce et d’Angle-terre. Arhonto Terzi est professeur au département d’orthophonie à Patras (Grèce). Elle a publié plusieurs articles portant sur les capacités grammaticales des enfants grecs avec autisme. Pour notre recueil, son équipe propose des pistes de remédiation clinique pour les difficultés langagières des enfants sur le spectre autistique.

Philippe Prévost, Laurie Tuller et Élodie Léger sont chercheurs à l’uni-versité de Tours (France). Philippe Prévost est professeur de linguistique et membre de l’équipe Autisme de l’UMR INSERM 930 Imagerie et cerveau. Ses recherches portent sur le développement du langage dit atypique : acquisition des langues secondes et développement du langage dans des contextes pathologiques (trouble spécifique du langage et autisme).

Hélène Delage et Stéphanie Durrleman sont chercheuses à l’univer-sité de Genève (Suisse). Hélène Delage est orthophoniste et docteur en linguistique. Elle coordonne le master de logopédie (orthophonie) de l’université de Genève. Ses recherches, appliquées vers la clinique, visent à mieux comprendre les difficultés langagières rencontrées dans des contextes de développement atypique (surdité, troubles spécifiques du langage oral et écrit, et plus récemment autisme).

Napoleon Katsos est linguiste, chercheur à l’université de Cambridge (Angleterre). Ses travaux portent sur l’acquisition typique et atypique

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les auteurs

du langage chez les enfants monolingues et bilingues. Dans le domaine de l’autisme, ses recherches évaluent l’impact du bilinguisme sur les performances langagières des enfants atteints de troubles du spectre autistique.

Maria Kambanaros, Eleni Theodorou et Kleanthes Grohmann sont chercheurs à l’université de Chypre. Maria Kambanaros est orthopho-niste et docteur en orthophonie. Elle s’intéresse aux troubles acquis et développementaux du langage chez des locuteurs multilingues. En tant que clinicienne, elle tient à mettre l’emphase sur les répercussions cli-niques de ses recherches, tant au niveau de l’évaluation que de la réha-bilitation du langage.

Aaron Shield est chercheur en psychologie à l’université de Boston (États-Unis). Il a réalisé sa thèse de doctorat, en linguistique, sur un thème tout à fait original : l’acquisition d’une langue des signes par des enfants sourds exposés à cette langue depuis leur naissance et qui pré-sentent un trouble sur le spectre autistique.

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Sommaire

Remerciements................................................................................... VLes auteurs ......................................................................................... VIISommaire ........................................................................................... XIIntroduction ....................................................................................... 1

premIère partIe Caractéristiques générales du langage dans l’autisme ................................................................................ 3

Le langage dans le trouble du spectre autistique : une machine mal huilée.................................................................. 5

Comment les enfants avec un trouble du spectre autistique comprennent-ils le langage ? ......................................................... 11

Réflexions autour des productions préverbales d’un enfant autiste : quels sont les indices d’un dysfonctionnement précoce du langage ? ...................................................................... 17

deuXIème partIe Pragmatique, théorie de l’esprit et langage dans l’autisme ................................................................................ 21

Les capacités pragmatiques des autistes ........................................... 23

Langage, pragmatique et théorie de l’esprit dans un contexte de développement typique et d’autisme ......................................... 29

Langage, fonctions exécutives et théorie de l’esprit dans l’autisme ................................................................................. 33

« Qu’est-ce que tu penses que Mowgli mange ? » : relations entre questions complexes et réflexion sur les états mentaux chez les enfants avec trouble du spectre autistique ....................... 39

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langage et cognition dans l’autisme chez l’enfant

troIsIème partIe Pronoms personnels dans l’autisme et comparaison entre autisme et trouble spécifique du langage .......................... 45

Difficultés avec les pronoms personnels chez les enfants atteints d’un autisme de haut niveau .......................................................... 47

La production de pronoms en français par des enfants avec trouble du spectre autistique et des enfants avec trouble spécifique du langage ...................................................................................... 51

Autisme, dysphasie et dyslexie : y a-t-il convergence des profils langagiers ? ......................................................................... 57

quatrIème partIe Bilinguisme, multilinguisme et autisme ................. 63

Les enfants avec autisme peuvent-ils devenir de bons bilingues ? .... 65

Une étude de cas sur les compétences lexicales et morphosyntaxiques dans l’autisme multilingue ........................ 71

cInquIème partIe Langue des signes et autisme .................................. 75

Constructions grammaticales spatiales chez des enfants sourds avec autisme, locuteurs de langue des signes .................................. 77

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Introduction

Cet ouvrage regroupe les contributions des chercheurs et cliniciens qui

ont participé durant l’été 2013 à un atelier scientifique sur le thème « Lan-

gage et cognition dans l’autisme ». Cet atelier s’est tenu lors du Congrès

international des linguistes organisé par l’université de Genève, du 25 au

27 juillet 2013. Ce congrès a réuni près de 1 000 linguistes, avec la parti-

cipation exceptionnelle du professeur Noam Chomsky, considéré comme

une figure intellectuelle majeure de notre temps. Les différentes contri-

butions, y compris celles portant sur l’autisme, traitaient du lien entre

le développement et le fonctionnement du langage et les autres capa-

cités de l’esprit. Cette thématique est actuellement très prisée, comme

l’évoquait le professeur Louis de Saussure (dans un article du Temps, le

22 juillet 2013) : « Indéniablement, la linguistique se déplace du côté des

sciences exactes. Le titre de ce congrès est “L’interface langage-cogni-

tion”, c’est parlant […]. De nouveaux moyens convergent pour révéler

les liens entre langage et cognition humaine. Les implications pratiques

sont énormes. Un exemple concret ? Une meilleure compréhension de

l’autisme, en étudiant comment l’esprit instrumentalise le langage […]. »

Plus précisément, notre atelier autour du thème de l’autisme a connu

un succès considérable puisque nous avons pu proposer onze commu-

nications orales et cinq communications écrites, présentations effec-

tuées par des chercheurs venus du monde entier : Boston, Cambridge,

Athènes, Chypre, Paris, Lyon, Tours, Cologne, Gothenburg et Genève.

Les thèmes ont également été très variés, abordant un échantillon de

questions diverses autour du langage dans l’autisme : quelles sont les

difficultés grammaticales chez les enfants atteints d’autisme ? Sont-elles

similaires aux déficits grammaticaux observés dans d’autres popula-

tions cliniques ? Qu’en est-il des enfants atteints à la fois d’autisme et de

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langage et cognition dans l’autisme chez l’enfant

surdité ? Quelles connexions existe-t-il entre le langage et d’autres capa-cités cognitives, comme la mémoire de travail et la théorie de l’esprit ?

À la suite de notre atelier, nous avons proposé aux différents chercheurs de rédiger des textes courts et abordables, pour présenter aux profes-sionnels travaillant dans le domaine de l’autisme (orthophonistes/logopé-distes, psychologues) les principaux résultats issus de leurs recherches ainsi que leurs applications cliniques. Nous avons traduit, si nécessaire, ces contributions en français et nous vous proposons donc ce recueil de textes, en espérant qu’ils pourront nourrir votre pratique clinique et contribuer dès lors à une prise en charge toujours plus adaptée des enfants présentant des troubles du spectre autistique.

Ainsi, nous espérons contribuer à rendre les fruits des dernières recherches scientifiques sur le langage dans l’autisme accessibles et utiles.

Hélène Delage & Stéphanie Durrleman

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Première partie

Caractéristiques générales du langage dans l’autisme

Parmi les symptômes qui caractérisent l’autisme figurent les défi-cits persistants de la communication sociale. Ainsi, un retard et des troubles du langage sont parmi les signes les plus précoces de cette condition. Les trois premières contributions de ce recueil s’attachent à décrire de manière générale le développement du lan-gage chez les enfants avec autisme, notamment celui d’enfants très jeunes, afin d’apprécier leurs capacités précoces de verbalisation et de compréhension.

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Le langage dans le trouble du spectre autistique : une machine mal huilée

Inge-Marie Eigsti, Christina Irvine & Joshua Green Department of Psychology, University of Connecticut,

Storrs, Connecticut, USA

Le langage est une partie essentielle de nos vies. Nous nous servons de cet outil social pour échanger du savoir et des concepts. C’est un système symbolique qui comprend trois parties principales : le contenu, c’est-à-dire le sens ; la forme, c’est-à-dire la manière dont les mots sont agencés en phrases ; et enfin l’usage, c’est-à-dire les règles tacites qui gouvernent la manière dont les personnes se transmettent des messages. Le contenu comprend les idées qui circulent des uns aux autres. Si l’on comparait le langage à un puzzle, le contenu serait l’image. Chez la plupart des enfants, cette image prend de plus en plus de couleur et de complexité au fur et à mesure qu’ils grandissent. La forme correspondrait à la confi-guration des différentes pièces du puzzle, englobant trois parties : la phonologie, la morphologie et la syntaxe. La phonologie renvoie aux sons d’une langue ; chaque langue contient un ensemble unique de sons que nous combinons en syllabes et en mots. La morphologie renvoie à la plus petite unité du message qui contient encore un sens ; ainsi, en anglais, nous ajoutons ed à la fin d’un verbe pour former (et signifier) le passé. Si la phonologie est semblable aux pièces d’un puzzle individuel, la morphologie est semblable à des ensembles de pièces qui décriraient une image cohérente. En ce qui concerne la syntaxe, elle renvoie à l’or-ganisation des mots en phrases. En anglais, par exemple, nous mettons the avant les adjectifs, et les adjectifs avant les noms : the red house (« la

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langage et cognition dans l’autisme chez l’enfant

rouge maison » pour « la maison rouge »). Enfin, l’usage du langage dans un contexte social correspond à la pragmatique. Quand quelqu’un dit : « Ce jus semble délicieux », selon le contexte on pourrait interpréter ce message comme : « J’aimerais un verre de jus. »

Le trouble du spectre autistique (TSA) est un trouble neuro-développe-mental caractérisé par des atteintes de degrés différents. Cela est vrai aussi pour les aptitudes langagières : une partie de la population TSA (approximativement 25 %, voir Eigsti et al., 2011) n’acquiert jamais un langage fonctionnel, tandis qu’une autre partie a un excellent langage. En outre, bien que l’autisme soit considéré comme un trouble définitif, des données récentes appuient l’hypothèse selon laquelle une amélioration et même une récupération sont possibles avec une intervention comporte-mentaliste intensive et précoce (Fein et al., 2013).

Le contenu du langage

Parmi la population autiste de haut niveau (c’est-à-dire avec un niveau de QI dans la norme), la connaissance du sens des mots est généralement intacte. Par exemple, dans une de nos études, nous avons trouvé que des enfants de 3 à 6 ans atteints d’autisme de haut niveau étaient très sem-blables sur un test de vocabulaire, comparativement à des enfants au déve-loppement typique (DT) qui avaient des niveaux d’intelligence non verbale similaires, ainsi qu’à des enfants avec un retard de développement non lié à un contexte d’autisme (16 enfants dans chaque groupe). Toutefois, quand nous avons évalué le langage spontané des enfants en situation de jeu, les enfants avec TSA produisaient un langage significativement moins complexe ; ils avaient un retard de sept mois par rapport au groupe avec un retard de développement et de treize mois par rapport au groupe DT. Bien qu’ayant un vocabulaire semblable, le groupe TSA possède donc une moindre connaissance de la forme du langage (Eigsti et al., 2007).

Il est aussi intéressant de noter que ces scores témoignant d’un voca-bulaire intact semblent refléter la présence de bons mécanismes d’ap-prentissage des mots. Dans une de nos études (Marchena et al., 2011), nous avons montré à des enfants deux nouveaux objets, qu’ils n’avaient jamais rencontrés auparavant (par exemple, un outil spécial de quincail-lerie ou bien un éplucheur de pommes avec une poignée inhabituelle), et nous avons attribué à un de ces objets un mot nouveau, par exemple dax. Nous disions donc : « C’est un dax. Tu vois le dax ? » pendant que l’enfant

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le langage dans le tsa

observait un objet inhabituel. Ensuite nous demandions : « Peux-tu me montrer le jop ? » Les enfants au développement typique, dès l’âge de 12 mois, semblent connaître une règle selon laquelle les mots s’excluent mutuellement, c’est-à-dire qu’un mot réfère à un seul objet. Bien sûr, cette règle ne s’applique pas toujours et partout, car nous pouvons uti-liser des synonymes pour désigner le même objet. Cependant, générale-ment, la règle s’applique à des objets de la même catégorie (par exemple des outils). Par conséquent, les enfants au développement typique choi-siront dans cette expérience l’objet qui n’a pas été nommé auparavant : le jop donc. Nous nous sommes dès lors demandé comment les enfants TSA répondraient à ce type d’expérience. Les résultats montrent que les enfants de ce groupe répondaient exactement comme les enfants au développement typique1, suggérant qu’ils partageaient les règles qui aident chacun d’entre nous à apprendre les mots de notre langue.

La forme du langage

Les enfants TSA commencent souvent à parler plus tard que leurs pairs au développement typique. De plus, à partir du moment où ils parlent, ils ont souvent des difficultés avec la forme du langage, c’est-à-dire avec la combinaison des mots en phrases (la syntaxe). Nous avons demandé aux enfants les plus âgés et aux adolescents TSA de juger de la grammaticalité de phrases de longueur variable, c’est-à-dire de juger si une phrase se dit ou non dans la langue parlée au quotidien (Eigsti & Bennetto, 2009). Les résultats globaux montrent que les participants TSA ont eu des jugements précis. Toutefois, pour certaines formes (par exemple, les marques ver-bales en –s et –ing), ils sont moins précis que les individus avec un déve-loppement typique, particulièrement pour les phrases les plus longues. Ce résultat suggère que même les individus avec TSA qui parlent couram-ment peuvent avoir des difficultés au niveau de la forme du langage.

L’usage de la langue

La pragmatique du langage est comme le moteur du véhicule social : la fonction pragmatique du langage est nécessaire pour l’interaction sociale, exactement comme un moteur est nécessaire pour faire rouler une voiture.

1. Les enfants, dans ces deux groupes (TSA et DT), étaient âgés de 4 à 18 ans.

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langage et cognition dans l’autisme chez l’enfant

Comme un moteur, la pragmatique du langage comporte plusieurs parties qui doivent se combiner ensemble et sans à-coups. Tandis que le niveau formel du langage est tantôt bon, tantôt altéré, l’utilisation du langage dans un contexte social est toujours altérée chez les enfants TSA. Plusieurs recherches ont exploré les éléments qui dysfonctionnent dans la pragma-tique sociale des individus TSA. Ainsi, 50 % de ces sujets ont un langage social atypique ainsi qu’une « prosodie » qui semble mécanique, saccadée ou nasale (Shriberg et al., 2001). L’utilisation du langage implique des mouvements des mains, c’est-à-dire des mouvements gestuels qui accom-pagnent la parole. Les personnes avec TSA produisent bien une gestuelle, mais cette gestuelle est peu coordonnée avec leur parole, ce qui la rend difficile à comprendre pour leurs auditeurs et pourrait affecter leur propre parole (de Marchena et al., 2011).

Nous pourrions présupposer que ces déficiences pragmatiques reflètent simplement le large éventail des déficits sociaux du TSA ; après tout, l’usage de la langue est social. Cependant, quand une pièce de moteur d’une voiture tombe en panne, les « symptômes » ne renvoient pas tou-jours directement à cette pièce particulière. Quand le réservoir d’es-sence fuit, par exemple, cela provoque des problèmes dans tout le moteur, et pas seulement dans le réservoir d’essence. Notre groupe de recherche s’est donc intéressé au fait qu’une difficulté liée à la capacité de garder des informations en mémoire (mémoire de travail) pourrait participer aux difficultés rencontrées avec la pragmatique du langage. Nous avons testé ceci en examinant les performances d’adolescents avec TSA, âgés de 8 à 17 ans, pendant qu’ils réalisaient un puzzle avec un partenaire (Schuh et al., 2010). Dans cette tâche, l’adolescent TSA montrait à certains moments des connaissances que son partenaire ne partageait pas (ce qu’on appelle le « savoir privé2 »). Chaque partici-pant faisait de gros efforts pour garder en tête ce savoir privé (pour le maintenir en mémoire), mais ceci a affecté particulièrement le groupe TSA. De plus, les difficultés des adolescents sur ces aspects étaient associées à la sévérité de leurs troubles autistiques. Et donc, comme pour la forme du langage, les difficultés dans l’utilisation du langage chez les TSA sont souvent le symptôme d’autres difficultés. Dans ce cas, la mémoire de travail est comme un réservoir d’essence en panne qui empêche le moteur de la pragmatique de fonctionner sans à-coups.

2. Par exemple, le participant devait déplacer des formes (triangles rouges, carrés jaunes, etc.) selon les instructions reçues de son partenaire, mais ce dernier ne connaissait pas toutes les formes en possession du participant (formes « secrètes »).

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Langage et cognition dans l’autisme chez l’enfant

Cet ouvrage regroupe les contributions de chercheurs spécialistes du langage chez l’enfant autiste. Les treize textes ici réunis sont issus de recherches internationales, présentant les résultats et les principales applications cliniques des travaux les plus récents dans le domaine. Les auteurs s’inté-ressent notamment aux liens entre :• les difficultés en théorie de l’esprit et les performances grammaticales ;• les difficultés langagières des enfants autistes et celles des enfants dys-phasiques ;• le bilinguisme et le développement du langage ;• la surdité et l’acquisition d’une langue des signes ;• le langage et d’autres capacités cognitives comme la mémoire de travail…

En proposant des textes courts et facilement compréhensibles, cet ouvrage a pour but de nourrir les pratiques cliniques des orthophonistes (ou des psy-chologues) et de contribuer à une prise en charge toujours plus adaptée des enfants présentant des troubles du spectre autistique.

Les coordinatrices : Hélène Delage est orthophoniste, docteur en linguistique et enseignante- chercheuse à l’université de Genève. Ses travaux, orientés vers la clinique, tentent de mieux comprendre les difficultés langagières rencontrées dans des contextes de développement atypique (surdité, troubles spécifiques du langage oral et écrit, et plus récemment autisme).

Stéphanie Durrleman est docteur en linguistique, chercheuse à l’ université de Genève et spécialiste de l’étude du langage chez l’enfant avec un trouble du spectre autistique. Ses travaux explorent les liens entre le langage, la théorie de l’esprit et les fonctions exécutives chez l’enfant à développement typique et atypique.

ISBN : 978-2-35327-317-1

www.deboecksuperieur.com

LACOGAU

Publics : - Orthophonistes/logopédistes- Psychologues- Étudiants en orthophonie/ logopédie, linguistique et psychologie

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