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L’architecture cognitive des états dépressifs

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SOCIÉTÉ MÉDICO-PSYCHOLOGIQUESéance du lundi 18 décembre 2000

L’architecture cognitive des états dépressifs

J.L. Nandrino1*, F. EL Massioui2, B. Renault2, J.F. Allilaire3, D. Widlöcher3

1 Université Lille III, département de psychologie, UPRES émotion et cognition, Domaine universitaire du pont debois, 59653 Villeneuve d’Ascq cedex, France ; 2 LENA/CNRS UPR 640, neurosciences cognitives et imageriecérébrale, hôpital de la Salpêtrière, 75013 Paris, France ; 3 service de psychiatrie adulte, hôpital de la Salpêtrière,75013 Paris, France

Résumé – L’objectif de ces études était d’évaluer l’existence de déficits des opérations mentales sur la chaînesensori-motrice au cours d’épisodes dépressifs. Trois étapes ont été étudiées chez des sujets déprimés récurrents etchez des patients présentant pour la première fois un épisode dépressif majeur. À partir de l’étude de plusieurscomposantes du potentiel évoqué cognitif, nous montrons qu’il n’y a pas d’altération d’une étape en particulier, maisune modification de l’ensemble des processus mentaux au cours de l’épisode dépressif. Ces résultats mettentégalement en évidence une organisation des étapes de traitement évoluant en fonction de la répétition des épisodesdépressifs. © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS

cognition / dépression / potentiels évoqués / récurrence / traitement de l’information

Summary – The cognitive structure in depressed patients. The main purpose of these studies was to assess theorganization of information processing in depressed patients. We studied the effects of several experimental conditions(signal degradation, stimulus-response compatibility and preparatory period) on event-related brain potentials (ERPs),reaction time (RT) and intervals between ERP peak latencies. According to Sanders’model, these variables influencefeature extraction, response choice and motor adjustment stages respectively. These stages have been studied inrecurrent depressed patients and in first depressive episode patients before and after a clinical improvement. Resultsshow an overall disorganization of the temporal architecture of information processing in depression. This organizationevolves differently according to the number of previous episodes. © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS

cognition / depression / evoked related potentials / information processing / recurrence

À partir de l’enregistrement de potentiels évoqués cogni-tifs, un ensemble de travaux a mis en évidence un déficitmoteur au cours d’épisodes dépressifs majeurs [12] soitau niveau de la préparation motrice [7], soit au niveaude l’initiation de la réponse [17], soit encore au niveaudes processus décisionnels, de la programmation ou del’exécution motrice [1]. En revanche, d’autres étudesélectrophysiologiques mettent en évidence des modifi-cations des composantes exogènes du PE [16], des

modifications d’amplitude de la composante N100 [3]ou de la composante N200 [5] qui suggèrent unealtération au niveau sensoriel.

Ces différents résultats ne permettent pas de localiserun stade de traitement spécifiquement altéré et suggè-rent que l’ensemble des étapes de traitement de l’infor-mation est impliqué. Nous faisons l’hypothèse selonlaquelle une désorganisation globale des étapes du trai-tement de l’information caractériserait les états dépres-sifs. Notre objectif consistait à étudier plusieurs étapessensori-motrices de façon à évaluer l’organisation dutraitement de l’information chez des patients déprimés.Nous nous proposons d’étudier dans le même proto-

*Correspondance et tirés à part.Adresse e-mail : [email protected] (J.L. Nandrino).

Ann Méd Psychol 2001 ; 159 : 383-90© 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservésS0003448701000592/SSU

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cole expérimental une étape sensorielle, une étape déci-sionnelle et une étape motrice. De plus, afin d’étudier lachronométrie des processus mentaux, nous avonsmesuré plusieurs intervalles temporels entre le stimuluset la réponse. Les différents pics de latences des compo-santes du potentiel évoqué (PE) N100, N200 et P300,les intervalles entre le temps de réaction (TR) et lesdifférents pics de latence ou entre les différents picseux-mêmes, ont été utilisés pour localiser les effets desvariables au cours de l’activité cérébrale entre le sti-mulus et la réponse motrice. Compte tenu de leurrésolution temporelle de l’ordre de la milliseconde, lesPE apparaissent comme une méthode appropriée pourexplorer le système nerveux, son fonctionnement et saréactivité. L’étude des PE est adaptée à l’analyse dutraitement de l’information dans la mesure où lemoment d’occurrence, la latence au pic ou encore ladurée des composantes, associés à différents facteursintervenant sur l’activité cognitive, peuvent être utiliséspour en inférer des relations temporelles entre les étapesde traitement [10, 13]. La démarche principale vise àmanipuler des variables expérimentales de nature diffé-rente et à observer leurs effets sur les différents paramè-tres des composantes du PE.

ORGANISATION DES ÉTAPES SENSORI MOTRICESAU COURS D’UN PREMIER ÉPISODE DÉPRESSIF

Nous avons étudié l’organisation des étapes sensorimotrices avant (j0) et après traitement antidépresseur(j21) chez 11 patients, tous sans traitement antidépres-seur à leur entrée et présentant pour la première fois unépisode dépressif majeur, d’une durée minimum d’unmois (tableau I). Huit patients déprimés sur les 11 ontété réexaminés à leur sortie de l’hôpital après une amé-lioration clinique effective (objectivée par une amélio-ration du score aux échelles cliniques de dépression[Hamilton, MADRS], d’au moins 50 %).

La tâche proposée consistait à détecter deux types desons, des sons aigus (1 500 Hz) et des sons graves(550 Hz) d’une durée similaire (150 ms) survenant aléa-

toirement. Il était demandé aux sujets d’appuyer sur unbouton aussi rapidement que possible à l’apparition dessons distribués aléatoirement dans chaque oreille. Cetype de tâche d’attention classique (protocole odd-ball)survenait dans trois conditions expérimentales diffé-rentes, chacune correspondant à une opération mentaleparticulière : la manipulation d’un bruit de fond venaitcomplexifier l’analyse perceptive, la manipulation d’unepériode préparatoire affectait l’étape de préparationmotrice et la compatibilité stimulus-réponse affectait laprise de décision [10, 11, 14].

L’EEG était recueilli au moyen de douze électrodessituées selon le système international 10-20, selon quatrelignes de montage (une ligne longitudinale et troislignes transverses). Les composantes N100, N200 etP300 du potentiel évoqué seront mesurées, ainsi que lesintervalles entre les pics de latences des composantes etles intervalles entre les pics et le temps de réaction (TR).

Résultats de la première étude

Résultats à l’entrée (j0)Ils montrent les effets des différentes variables manipu-lées sur les intervalles de temps mesurés à partir deslatences du PE (au seuil de 0,05).

Chez les sujets témoins, les effets significatifs observéspermettent de localiser la durée de l’effet de la périodepréparatoire entre la composante N100 et le TR, ladégradation du stimulus entre les composantes N100 etP300 et de la compatibilité S-R entre les composantesN200 et P300. Cette localisation suggère un parallé-lisme de traitement (figure 1).

Chez les sujets déprimés premier épisode à j0, letraitement de la période préparatoire est localisé entreles composantes N100 et N200 ; la durée de traitementde la dégradation du stimulus et de la compatibilité S-Rne peut être déterminée (figure 2).

Au cours de la seconde session d’enregistrement (j21)Chez les sujets déprimés premier épisode, le traitementde la période préparatoire est observé sur l’intervalle[N100-N200]. La mesure des effets des variables sur les

Tableau I. Population des patients déprimés premier épisode.

Effectif Âge Sexe Hdrs Madrs ERD Tyrer

j0 11 34,6 8 femmes 23 ± 2,3 28 ± 4,5 17 ± 6 16 ± 6,8j21 8 37,9 6 femmes 6 ± 4 9 ± 2,6 8 ± 4,6 10 ± 6,3

Les scores aux différentes échelles cliniques avec leur écart–type (Hdrs : Hamilton depressive rating scale (1960) ; Madrs : Montgomery Ashbergdepressive rating scale (1979) ; ERD : échelle de ralentissement dépressif (Widlöcher 1983) ; Tyrer : échelle d’anxiété de Tyrer (1984) chez lespatient déprimés premier épisode.

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intervalles permet de localiser le traitement de la dégra-dation du stimulus entre le pic de la composante N100et le TR ; les effets de la compatibilité sont localisésentre la composante N200 et le TR (figure 3).

Comparaison entre les patients déprimés premierépisode et les sujets témoins à j0Le TR, toutes conditions confondues, est plus longchez les sujets déprimés (de 91 ms ± 82) que chez les

Figure 1. Description des effets observés chezles sujets témoins. Les mesures encadréescorrespondent aux effets significatifs observéssur les mesures (latences des potentiels évo-qués et temps de réaction). Les flèches corres-pondent aux effets significatifs observés surles intervalles inter-pics ou compris entre le TRet les pics de latence des composantes.

Figure 2. Description des effets observés chezles sujets déprimés premier épisode au coursde l’épisode dépressif. Les mesures encadréescorrespondent aux effets significatifs observéssur les mesures (latences des potentiels évo-qués et temps de réaction). Les flèches corres-pondent aux effets significatifs observés surles intervalles inter-pics ou compris entre le TRet les pics de latence des composantes.

Figure 3. Description des effets observés chezles sujets déprimés premier épisode aprèsamélioration clinique. Les mesures encadréescorrespondent aux effets significatifs observéssur les mesures (latences des potentiels évo-qués et temps de réaction). Les flèches corres-pondent aux effets significatifs observés surles intervalles inter-pics ou compris entre le TRet les pics de latence des composantes.

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sujets témoins (F[1,19] = 6,5 ; p < 0,02). L’effet dufacteur compatibilité S-R sur le TR est également signi-ficativement plus important (32 ± 39 ms) chez les sujetsdéprimés (F[1,19] = 4,44 ; p < 0,05).

Les latences des ondes N200, toutes conditionsconfondues, sont plus courtes chez les sujets dépriméspremier épisode par rapport à celles des sujets contrôles(49,8 ± 18,8 ms ; F[1,19] = 36,9 ; p < 0,001). L’effetdu facteur compatibilité S-R sur la composante N200est également plus faible de façon significative(14,3 ± 15,2 ms) chez les sujets déprimés (F[1,19] =4,6 ; p < 0,05) (figure 4).

Comparaison entre les patients déprimés premierépisode et les sujets témoins à j21Après traitement et amélioration clinique, l’effet de ladégradation du stimulus sur la latence de l’onde N100est plus important de 13,2 ms chez les sujets déprimésque chez les sujets contrôles (F[1,16] = 98,7 ;p < 0,001). L’effet de la période préparatoire est égale-ment plus important de 6 ms sur la composante N100chez les sujets déprimés (F[1,16] = 7,33 ; p < 0,05).

Enfin, d’une façon globale, le TR reste significative-ment plus long chez les sujets déprimés (effet de74,7 ± 49 ms ; (F[1,16] = 10,19 ; p < 0,01) mais la

latence de la composante N200 n’est plus différenteentre les deux groupes (F[1,16] = 1,56 ; p = 0,23).

Discussion des résultats de la première étude

Chez les sujets témoins, les résultats montrent que lesprocessus de préparation motrice sont mis en jeu pré-cocement dès l’onde N100 et que l’achèvement desprocessus sensoriels est contemporain du pic de latencede l’onde P300. D’autre part, le début de l’étape duchoix de réponse contemporain de la composante N200,plus précoce que la fin du « processus d’évaluation dustimulus » reflétée par l’onde P300, appuie l’idée d’uneorganisation parallèle du traitement de l’informationavec une co-activation des processus sensoriels etmoteurs [4].

Chez les sujets déprimés présentant un premier épi-sode dépressif, la diminution des latences des ondesN100 et N200 démontre que l’effet facilitateur précocede la période préparatoire reste présent. Toutefois, cettefacilitation est sans effet sur le temps de réaction global.L’absence de facilitation observée chez les sujetsdéprimés sur le temps de traitement global, alors mêmeque l’effet précoce persiste, suggère que des processustardifs (postérieurs à l’onde N200) viennent altérerl’efficacité de la préparation.

Aucun effet de la variable de dégradation du stimulusn’est observé chez les patients alors que des effets sontobservés sur les latences des ondes N100 et P300 chezles sujets témoins. Le temps de traitement reste cons-tant quel que soit le degré de complexité de la recon-naissance. Ce résultat marque la diminution de l’éveilsensoriel et de la sensibilité sensorielle du sujet déprimé[16, 3] et s’oppose à l’interprétation d’une altérationmotrice spécifique. Puisque la performance en présencedu bruit de fond n’est pas altérée, on peut supposer quel’augmentation de la complexité de la tâche mettrait lesujet déprimé en alerte et le conduirait à accroître sonéveil.

L’effet de la compatibilité S-R n’est pas localisable defaçon précise sur la chaîne sensori motrice, contraire-ment à ce qu’on observe chez les sujets contrôles.L’observation d’un effet de la variable compatibilité surle TR seulement souligne l’allongement de la durée desprocessus de prise de décision. De plus, nous avons pulocaliser chez les sujets témoins un effet de la compati-bilité S-R contemporain de la composante N200. Or, lacomparaison inter-groupes montre que la latence del’onde N200 différencie les deux groupes. L’absence oula diminution de l’onde N200, particulièrement sen-

Figure 4. Différence de la latence de la composante N200 entre lessujets déprimés premier épisode et les sujets témoins au cours del’épisode dépressif (j0) en condition de compatibilité stimulus-réponse. La latence de la composante N200 est plus faible de façonsignificative chez les sujets déprimés que les sujets contrôles.

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sible à la compatibilité S-R, semble caractériser desaltérations propres aux états dépressifs [5].

Ainsi, une altération au niveau de chacune des étapesétudiées est observée. Ces résultats accréditent l’hypo-thèse d’une modification de l’ensemble de la chaîne detraitement de l’information dans les états dépressifs etconfirment la position avancée par Widlöcher et Hardy-Bayle [17]. Il semble qu’une réorganisation complètedes étapes de traitement de l’information caractérisel’épisode dépressif majeur. Chez les sujets déprimésprésentant un premier épisode après amélioration cli-nique, la nouvelle organisation des étapes sensorimotrices se rapproche de l’organisation « normale »,sans pour autant être comparable à celle des sujetstémoins. La facilitation précoce de la période prépara-toire sur l’onde N100 est maintenue comme sur l’inter-valle [N100-N200]. On observe aussi un traitement dela période préparatoire entre les composantes N100 etP300. Par rapport à j0, la période préparatoire esttraitée sur un intervalle de temps plus long permettantune facilitation continue. L’effet de la compatibilitéS-R est observé dès la composante N200 comme chezles sujets contrôles et est retrouvé sur la composanteP300, le TR et les intervalles [N200-TR] et [N200-P300]. Cette étape retrouve une chronologie compa-rable à celle des témoins. Après traitement, lacomposante N200 ne différencie plus le groupe dessujets déprimés des sujets témoins. Cette composantesemble être un indicateur majeur de l’améliorationclinique des patients [6].

Une autre modification majeure consécutive au trai-tement concerne le système sensoriel. Les effets de ladégradation du stimulus obtenus à j21 (sur les inter-valles [N200-TR] et [N100-N200]) indiquent un chan-gement dans le fonctionnement du système sensorieldécrit à j0. Le sujet réagit à nouveau à la variable et doncaux variations externes qui viennent moduler sa perfor-mance. Cependant, les effets du bruit de fond ne sontpas observés sur les composantes N100 et P300, ou sur

le TR. L’observation d’effets sur les seuls intervallessuggère que les processus d’évaluation du stimulus sontencore en décalage par rapport à ceux des sujets témoins.Ce décalage est appuyé par l’allongement significatifdes latences des ondes N100 chez les sujets dépriméspar rapport aux contrôles en présence du bruit de fond.

L’amélioration apparaît essentiellement à travers larestauration d’un début plus précoce des processusdécisionnels, d’une prolongation de l’effet de la périodepréparatoire et d’une sensibilité aux variations externes.Les changements observés après traitement ne mar-quent que la mise en place d’organisations transitoires,non encore stabilisées, comme le montre le maintiend’une différence significative sur le TR entre les deuxgroupes même après traitement.

ÉTUDE DE L’ORGANISATION DES ÉTAPES SENSORIMOTRICES DANS LES DÉPRESSIONS MAJEURESRÉCURRENTES

Il existe ainsi des modifications dans l’organisation desétapes de traitement dans les états dépressifs. De façon àobserver l’évolution de ce type d’organisation, nousavons étudié ces organisations chez des patients quiprésentaient des épisodes dépressifs récurrents. Il estclassique d’observer que plus le nombre d’épisodesrécurrents est important, plus la latence d’apparitiondes épisodes dépressifs se raccourcit [9]. Ainsi la capa-cité de changement semble varier en fonction dunombre d’épisodes dépressifs.

Dans l’étude précédente, nous avons montré qu’aucours d’un épisode dépressif se mettait en place uneorganisation particulière des étapes sensori motricesque le traitement antidépresseur était capable de modi-fier. Nous faisons l’hypothèse selon laquelle il existe uneorganisation sensori motrice spécifique de l’accèsdépressif, quel que soit le nombre d’épisodes passés.

Nous avons inclus dans cette étude 12 patients droi-tiers (âgés de 18 à 45 ans ; âge moyen 37,9 ans) présen-

Tableau II. Caractéristiques du groupe de patients déprimés récurrents.

Effectif Âge Sexe Hdrs Madrs ERD Tyrer

j0 12 37,9 8 femmes 25 ± 4,4 31 ± 4,5 25 ± 3,2 18 ± 4,4j21 7 45,2 6 femmes 6 ± 1,7 10 ± 2,6 9 ± 3,1 10 ± 4,4

Les scores aux différentes échelles cliniques avec leur écart type (Hdrs : Hamilton depressive rating scale (1960) ; Madrs : Montgomery Ashbergdepressive rating scale (1979) ; ERD : échelle de ralentissement dépressif (Widlöcher 1983) ; Tyrer : échelle d’anxiété de Tyrer (1984) chez lespatients déprimés récurrents.

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tant les critères de dépression récurrente. Tous lespatients enregistrés avaient déjà présenté par le passé aumoins trois épisodes dépressifs majeurs (tableau II).

Nous avons utilisé la même procédure expérimentaleque celle présentée dans l’étude précédente.

Résultats de la deuxième étude

Chez les déprimés récurrents avant traitement (j0)Les effets significatifs observés permettent de localiser ladurée de l’effet de la compatibilité S-R sur l’intervalle[N100-TR] (figure 5).

Chez les déprimés récurrents après traitementet amélioration clinique (j21)Les effets significatifs observés permettent de localiser ladurée de l’effet de la compatibilité S-R sur l’intervalle[N200-TR] . La période préparatoire n’a toujours pasd’effet sur la performance et seule une tendance estobservée sur la composante N100 (figure 6).

Comparaison entre les patients déprimés premierépisode et les patients récurrents à j0Nous avons comparé les résultats obtenus au cours del’expérience précédente chez les sujets témoins et les

sujets déprimés premier épisode à ceux obtenus aucours de cette expérience chez les sujets déprimés récur-rents.

Toutes conditions confondues, le TR et la latence del’onde N100 sont significativement allongés chez lesujet déprimé par rapport aux témoins, respectivementde 276 ms ± 84 ms (F[1,15] = 44,4 ; p = 0,001) et de11,2 ms ± 5,6 ms (F[1,15] = 16,42, p = 0,001).

Par ailleurs, le TR est significativement plus long chezles sujets déprimés récurrents que chez les sujetsdéprimés 1er épisode (différence de 184 ms ± 105 ms ;F[1,13] =13,2 ; p < 0,01).

Comparaison entre les patients déprimés premierépisode et les patients récurrents à J21D’une façon globale, le TR reste significativement pluslong chez les sujets déprimés récurrents que chez lessujets témoins de 206 ms ± 102,4 ms (F[1,13] = 16,53 ;p < 0,001).

En présence du bruit de fond, la latence de l’ondeN100 est allongée de 8,9 ± 8,7 ms chez les sujetsdéprimés récurrents par rapport aux contrôles(F[1,17] = 4,6 ; p < 0,05). Par ailleurs, en présence dela période préparatoire, la latence de cette composante

Figure 5. Description des effets observés chezles sujets déprimés récurrents au cours del’épisode dépressif. Les mesures encadréescorrespondent aux effets significatifs observéssur les latences des potentiels évoqués ettemps de réaction. Les flèches correspondentaux effets significatifs observés sur les inter-valles inter-pics ou compris entre le TR et lespics de latence des composantes.

Figure 6. Description des effets observés chezles sujets déprimés récurrents après améliora-tion clinique. Les mesures encadrées corres-pondent aux effets significatifs observés surles latences des potentiels évoqués et tempsde réaction. Les flèches correspondent auxeffets significatifs observés sur les intervallesinter-pics ou compris entre le TR et les pics delatence des composantes.

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est également allongée de 19,7 ms ± 5,5 ms(F[1,17] = 57,1 ; p < 0,001).

La comparaison entre les deux groupes de déprimésmontre que la latence de l’onde N100 est plus longuede 22,3 ms chez les sujets déprimés premier épisode enprésence du bruit de fond (F[1,15] = 18,5 ; p < 0,001).En revanche, l’effet de la période préparatoire est plusmarqué chez les déprimés récurrents de 13,9 ms(F[1,17] = 18,3 ; p < 0,001).

Par ailleurs, toutes conditions confondues, le TRdemeure significativement plus long chez les sujetsdéprimés récurrents que chez les sujets déprimés pre-mier épisode de 131 ms ± 103 ms (F[1,13] = 6,06 ;p < 0,05).

Discussion de la deuxième étude

Les résultats permettent de décrire l’organisation desétapes de traitement chez les sujets déprimés récurrents.Au niveau des processus d’évaluation du stimulus, leseffets relevés chez les sujets témoins sur les composantesN100 et P300 et sur le TR ne sont plus observés.L’augmentation de la complexité de l’analyse du sti-mulus ne modifie pas le temps total de traitement chezles sujets déprimés. Ces résultats sont en accord aveccertains résultats de la littérature [3] qui montrentl’existence, dans la dépression, d’un trouble de la sensi-bilité sensorielle et du niveau d’éveil. Les processusd’évaluation semblent déjà allongés sur l’ensemble de lafenêtre temporelle à cause, soit de mécanismes interfé-rant comme des vérifications internes [15], ou soit del’utilisation inadaptée de processus contrôlés pour réa-liser des tâches simples [2]. Ainsi le temps de traitementserait maximum déjà dans les tâches simples, et uneaugmentation de la difficulté de la tâche ne modifieraitpas le temps de traitement. On peut également fairel’hypothèse que l’absence de différence entre les deuxconditions serait due à une augmentation du niveau devigilance du sujet déprimé dans des situations plusdifficiles.

En présence de la période préparatoire, nous avonsobservé chez les déprimés récurrents un effet précocesur la composante N100, comme chez les sujetsdéprimés premier épisode ou les sujets témoins. Cettefacilitation précoce n’a aucun effet sur le TR, contrai-rement à ce qui est observé chez les sujets témoins. Cesrésultats suggèrent que les processus précoces de prépa-ration (modifiant par exemple la connectivité et facili-tant de façon tonique l’activation des structures sensorimotrices), contemporains de la N100, seraient conve-

nablement amorcés mais seraient soumis à des méca-nismes qui annuleraient la facilitation classiquementobservée (comme par exemple des mécanismes de véri-fications internes). Ce résultat va dans le sens de l’hypo-thèse de Knott et al. [8] qui suggèrent l’existence d’undéficit dans le contrôle et le maintien d’une stratégie detraitement de l’information. Par ailleurs, les effets de lacompatibilité S-R ne sont plus localisés sur la fenêtre[N200-TR] comme chez les sujets témoins, mais surune fenêtre temporelle plus large comprise entre le picde la composante N100 et le TR. Cependant, commechez les témoins, la composante N200 est toujourssensible à la compatibilité S-R et ne différencie pas legroupe des déprimés récurrents des sujets contrôlescomme des sujets déprimés premier épisode.

À j0, les effets des trois variables expérimentales mani-pulées ne sont pas localisés sur les mêmes fenêtrestemporelles que celles observées chez les sujets témoins.La configuration des étapes sensori motrices que nousdécrivons pour le groupe de déprimés récurrents estcomparable à celle observée pour les déprimés premierépisode. Cependant le TR différencie les deux groupesde déprimés et souligne l’importance de l’altération dutraitement de l’information consécutif à la répétitiondes épisodes dépressifs.

Après amélioration clinique, seule la localisation tem-porelle du traitement de la compatibilité S-R est com-parable à celle des sujets témoins. En revanche, lestraitements de la période préparatoire et de la dégrada-tion du stimulus restent altérés. L’amélioration cliniqueobservée correspondrait-elle à un changement de seulsprocessus décisionnels ? L’organisation des étapes detraitement reste proche de celle décrite à j0. Cettestabilité de l’organisation marquerait la difficulté àinduire de nouveaux changements chez les sujetsdéprimés récurrents. Il faut cependant souligner que laseconde session d’enregistrement n’intervenait qu’aprèstrois semaines seulement de traitement antidépresseur.Il est possible que les changements d’organisation de lachaîne sensori motrice ne surviennent, chez ces patientsdéprimés récurrents, qu’au cours de délais plus longs.

CONCLUSION

Ces études électrophysiologiques ont permis de mon-trer qu’il existait une réorganisation globale des étapesdu traitement de l’information dans les états dépressifs,indépendamment du nombre d’épisodes antérieurs.Cette organisation pathologique de l’ensemble desétapes va à l’encontre de l’idée d’un déficit intéressant

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uniquement une opération de la chaîne sensori motrice,telle que l’initiation d’une réponse volontaire, commel’avait suggéré l’observation clinique. Cela permet,d’une part de comprendre l’hétérogénéité des résultatsdes travaux sur les troubles cognitifs dans la dépressionet, d’autre part, de retenir l’interprétation alternative, àsavoir une perturbation de l’ensemble de la chaînesensori motrice [17].

Par ailleurs, des évolutions différentes de l’organisa-tion des étapes sensori motrices apparaissent après trai-tement entre les patients premier épisode et les patientsdéprimés récurrents. Ces résultats suggèrent que larécurrence des épisodes dépressifs favorise la mise enplace d’un mode d’organisation de traitement de l’infor-mation de plus en plus rigide. L’amélioration cliniquedu sujet se traduit par un changement de cette organi-sation dont l’importance dépend du nombre d’épisodesdépressifs.

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9 Lewinsohn PM, Allen NB, Seeley JR, Gotlib IH. First onsetversus recurrence of depression : differential processes of psy-chosocial risk. J Abnorm Psychology 1999 ; 108 : 483-9.

10 Nandrino JL, El Massioui F. Temporal localization of responseselection processes. Int J Psychophysiology 1995 ; 19 : 257-61.

11 Nandrino JL, El Massioui F. Étude au moyen des potentielsévoqués tardifs de l’organisation des étapes sensori motriceschez l’homme. Neurophysio Clin 1995 ; 2 : 96-108.

12 Nandrino JL, El Massioui F, Everett J. Endogenous evokedpotentials assessment in depression : a review. Eur Psychiatry1996 ; 11 : 357-68.

13 Renault B, Fiori N, Giami S. Latencies of event related poten-tials as a tool for studying motor processing organization. BiolPsychol (special issue) 1988 ; 26 : 217-30.

14 Sanders AF. Issues and trends in the debate on discrete vs.continuous processing of information. Acta Psychologica1990 ; 74 : 123-67.

15 Thier P, Axmann D, Giedke H. Slow brain potentials andpsychomotor retardation in depression. ElectroencephalogrClin Neurophysiol 1986 ; 63 : 570-81.

16 Vasile RG, Duffy FH, Mac Anulty G. Abnormal flash visualevoked response in melancholia, a replication study. Biol Psy-chiatry 1992 ; 31 : 325-36.

17 Widlöcher D, Hardy-Bayle MC. Cognition and control ofaction in psychopathology. Eur Bull Cogn Psycho 1989 ; 9 :583-615.

DISCUSSION

Pr Allilaire – Je remercie J.L. Nandrino d’avoir pris la peined’exposer ce travail expérimental qui illustre la démarche expéri-mentale de Claude Bernard évoquée précédemment par G. Lantéri-Laura. Je souligne la difficulté de telles études qui nécessitent lecontrôle de nombreuses variables.

Cette étude montre qu’il est possible de faire une rechercheaboutissant à identifier des critères paracliniques dans la pathologiepsychiatrique.

Elle rentre dans le cadre d’une objectivation de signes chronomé-triques et électrophysiologiques dans la dépression.

Elle permet de dégager une connaissance scientifique sur lesmodalités de traitement de l’information chez les malades dépriméset faire des hypothèses sur les mécanismes psychopathologiques destroubles de l’humeur.

Je félicite J. L. Nandrino et l’encourage à poursuivre cette ligne detravaux.

Dr Houillon – J’ai été très intéressé par cette communication enraison des données fournies et des perspectives qu’elle offre sur lefonctionnement cérébral des déprimés. Cependant, je me suisdemandé si l’intitulé de ce travail était vraiment en parfaite corres-pondance avec ce qui vient d’être présenté. En effet, la dépression estici reliée à des anomalies dans le traitement cérébral de l’informa-tion. « Architecture cognitive » fait davantage penser à un éventuelsupport anatomique des savoirs, à un état plus statique que dyna-mique, à une reconnaissance « d’objets » plus qu’à un processusdont il s’agit de mettre au jour les mécanismes, ce qui correspondprécisément au contenu de ce travail.

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Ann Méd Psychol 2001 ; 159 : 383–90