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L'art de l'entreprise globale Les voies de la mondialisation Après L'Art du Management, L'Art d'Entreprendre et L'Art de la Finance, « Les Echos » publient aujourd'hui le premier numéro de L'Art de l'Entreprise globale. Ce nouveau supplément hebdomadaire a pour vocation de fournir, tous les vendredis pendant douze semaines, un guide aux managers et aux entrepreneurs confrontés quotidiennement à la difficulté d'opérer sur un marché mondial. Alliant théorie universitaire et expériences pratiques, il a, comme ses prédécesseurs, été rédigé par des experts issus de grandes écoles de gestion de renommée internationale et a bénéficié du soutien éditorial des spécialistes de PricewaterhouseCoopers. Précisons que l'édition française de cette série qu'avait initiée le « Financial Times » avec la collaboration de HEC, de l'IMD de Lausanne, de l'Amos Tuck School aux Etats-Unis et du Templeton College de l'université d'Oxford, en Grande- Bretagne, s'est enrichie de contributions de plusieurs autres grandes écoles françaises : l'ESCP, l'Essec, l'EM Lyon (ex-ESC Lyon) et l'Ecole des mines. L'Art de l'Entreprise globale, qui s'adresse également aux cadres d'entreprises petites et grandes, aux étudiants et à tous ceux qui ont le souci de mieux comprendre l'environnement économique mondial, met en évidence les choix à affronter, propose des solutions concrètes et analyse les réponses organisationnelles, commerciales, techniques, sociales et financières apportées par les entreprises déjà lancées dans l'aventure de l'internationalisation. Une aventure qui, pour être couronnée de succès, exige d'être performant sur tous les tableaux - stratégie, ressources humaines, organisation, marketing, innovation... - en se plaçant dans une perspective véritablement mondiale, mais qui sait s'articuler avec les contextes locaux. Dans cette course à la « globalisation » - selon le concept d'origine anglo-saxonne - inéluctable du fait de la mondialisation de l'économie et de l'exacerbation de la concurrence qui en résulte, les groupes hexagonaux ne se contentent plus de faire de la figuration. Une étude statistique du ministère de l'Industrie (Sessi) est venue opportunément rappeler, cet été, que l'industrie française profite à plein de l'ouverture croissante des économies pour se tailler une place de choix sur l'échiquier mondial. D'une manière générale, conclut-elle, nos entreprises ont largement rattrapé leur retard entre 1985 et 1995, pour figurer aujourd'hui au quatrième rang mondial « dans presque tous les domaines : valeur ajoutée industrielle, palmarès des grands groupes, recherche-développement, investissements internationaux ». Et à l'adresse de ceux qui voient dans la mondialisation la source du chômage en France, le Sessi précise que, en matière d'emploi, le solde est pratiquement équilibré, avec près de 1 million de personnes employées à l'étranger par des groupes français et presque autant travaillant en France pour des groupes étrangers. Ajoutant : « Contrairement aux idées reçues,

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L'art de l'entreprise globale

Les voies de la mondialisationAprès L'Art du Management, L'Art d'Entreprendre et L'Art de la Finance, « Les Echos » publient aujourd'hui le premier numéro de L'Art de l'Entreprise globale. Ce nouveau supplément hebdomadaire a pour vocation de fournir, tous les vendredis pendant douze semaines, un guide aux managers et aux entrepreneurs confrontés quotidiennement à la difficulté d'opérer sur un marché mondial. Alliant théorie universitaire et expériences pratiques, il a, comme ses prédécesseurs, été rédigé par des experts issus de grandes écoles de gestion de renommée internationale et a bénéficié du soutien éditorial des spécialistes de PricewaterhouseCoopers. Précisons que l'édition française de cette série qu'avait initiée le « Financial Times » avec la collaboration de HEC, de l'IMD de Lausanne, de l'Amos Tuck School aux Etats-Unis et du Templeton College de l'université d'Oxford, en Grande-Bretagne, s'est enrichie de contributions de plusieurs autres grandes écoles françaises : l'ESCP, l'Essec, l'EM Lyon (ex-ESC Lyon) et l'Ecole des mines.

L'Art de l'Entreprise globale, qui s'adresse également aux cadres d'entreprises petites et grandes, aux étudiants et à tous ceux qui ont le souci de mieux comprendre l'environnement économique mondial, met en évidence les choix à affronter, propose des solutions concrètes et analyse les réponses organisationnelles, commerciales, techniques, sociales et financières apportées par les entreprises déjà lancées dans l'aventure de l'internationalisation. Une aventure qui, pour être couronnée de succès, exige d'être performant sur tous les tableaux - stratégie, ressources humaines, organisation, marketing, innovation... - en se plaçant dans une perspective véritablement mondiale, mais qui sait s'articuler avec les contextes locaux.

Dans cette course à la « globalisation » - selon le concept d'origine anglo-saxonne - inéluctable du fait de la mondialisation de l'économie et de l'exacerbation de la concurrence qui en résulte, les groupes hexagonaux ne se contentent plus de faire de la figuration. Une étude statistique du ministère de l'Industrie (Sessi) est venue opportunément rappeler, cet été, que l'industrie française profite à plein de l'ouverture croissante des économies pour se tailler une place de choix sur l'échiquier mondial. D'une manière générale, conclut-elle, nos entreprises ont largement rattrapé leur retard entre 1985 et 1995, pour figurer aujourd'hui au quatrième rang mondial « dans presque tous les domaines : valeur ajoutée industrielle, palmarès des grands groupes, recherche-développement, investissements internationaux ».

Et à l'adresse de ceux qui voient dans la mondialisation la source du chômage en France, le Sessi précise que, en matière d'emploi, le solde est pratiquement équilibré, avec près de 1 million de personnes employées à l'étranger par des groupes français et presque autant travaillant en France pour des groupes étrangers. Ajoutant : « Contrairement aux idées reçues, les échanges sont déficitaires en emplois avec les pays industrialisés et excédentaires avec les pays à faibles coûts de main-d'oeuvre », à l'exception de la Chine.

Le nouveau paysage économique mondialLe rythme de la mondialisation s'accélère. Dans vingt ans, le paysage économique de la planète n'aura plus rien à voir avec celui d'aujourd'hui. Les pays en développement en seront, à terme, les principaux bénéficiaires.

Le monde dans lequel nous vivons se caractérise par une interdépendance croissante des économies. Concrètement, cela signifie que :

- si vous êtes le patron de Nucor Steel et que vous devez décider de l'implantation d'une nouvelle usine d'un coût de 700 millions de dollars, vous étudierez aussi bien le Brésil que les Etats-Unis ;

- si vous êtes le président de Ford, vous investirez sur des marchés émergents comme la Chine ou l'Inde avec des versions modifiées de modèles existants, tels que l'Escort ou la Ka, au lieu de concevoir une nouvelle voiture ;

- si vous êtes le ministre des Finances de l'Inde, l'intégration de l'économie indienne au reste du monde vous apparaîtra comme une donnée fondamentale pour réaliser la transformation du pays et le hisser au rang de superpuissance économique ;

- si vous êtes un jeune cadre de Procter & Gamble, vous n'aurez pratiquement aucun espoir d'accéder à des postes de direction si vous n'alliez pas une solide expérience internationale à d'excellentes performances dans l'exercice de vos fonctions.

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Ainsi va la vie aujourd'hui dans notre village planétaire. Le paysage économique n'est plus le même qu'il y a vingt ans, et le rythme de cette « globalisation » selon la terminologie anglo-saxonne a peu de chances de se ralentir au cours des vingt prochaines années.

Il risque, bien au contraire, de s'accélérer. Il est donc essentiel pour les entreprises et les managers de bien comprendre le phénomène, d'en analyser les éléments moteurs et d'en mesurer les répercussions sur leur activité.

Quatre niveaux

Il existe plusieurs définitions de la mondialisation/globalisation, selon le niveau auquel on se situe. On peut parler de la mondialisation de la planète tout entière, d'un simple pays, d'une industrie ou d'un secteur d'activité spécifique, d'une entreprise particulière, voire d'un « métier » ou d'une fonction particulière au sein d'une entreprise.

Au niveau mondial, la globalisation désigne l'interdépendance économique croissante des pays telle qu'elle se reflète dans l'augmentation des flux transfrontaliers de biens, de services, de capitaux et de savoir-faire. Une tendance qui ressort clairement des chiffres suivants :

- Entre 1989 et 1996, les échanges transfrontaliers de biens et de services ont augmenté de 6,2 % par an en moyenne - c'est-à-dire à un rythme pratiquement deux fois supérieur à celui du PIB mondial, qui a progressé de 3,2 % par an durant la même période.

- Entre 1980 et 1994, les investissements étrangers directs sont passés de 4,8 % à 9,6 % du PIB mondial.

- En 1970, le volume des transactions transfrontalières en actions et obligations, en pourcentage du PIB, était inférieur à 5 % aux Etats-Unis, en Allemagne et au Japon. En 1996, il avait fait un bond spectaculaire pour atteindre respectivement 152 %, 197 % et 83 % dans les trois pays concernés.

A l'échelle d'un pays donné, la mondialisation désigne le degré d'interdépendance entre l'économie de ce pays et le reste du monde.

Malgré la mondialisation accrue, tous les pays ne présentent pas le même degré d'intégration à l'économie mondiale. Certains indicateurs permettent de le mesurer : le volume des exportations et des importations en pourcentage du PIB, les flux d'investissements étrangers directs et d'investissements en titres, ou encore les flux de paiements de royalties associés à des transferts de technologie. Le tableau 1 permet de comparer le degré d'intégration de la Chine et de l'Inde à l'économie mondiale entre 1980 et 1994, sur la base de ces critères : malgré un niveau d'isolement économique similaire en 1980, l'économie chinoise s'est mondialisée beaucoup plus rapidement que celle de l'Inde au cours de cette période.

Au niveau d'une industrie spécifique, la globalisation reflète le degré de corrélation entre la compétitivité d'une entreprise de ce secteur d'activité dans un pays donné et sa position dans un autre pays.

Plus le degré de mondialisation d'une industrie donnée est élevé, plus une entreprise de ce secteur peut en tirer profit en exploitant au mieux les dimensions technologiques, ses capacités de production, la notoriété de ses marques et/ou son capital par-delà les frontières.

Les secteurs d'activité globalisés sont souvent dominés sur tous les marchés par le même groupe de sociétés mondiales, qui coordonnent leurs stratégies à travers les pays. C'est ainsi, par exemple, que l'industrie de la chaussure de sport est dominée par Nike, Reebok et Adidas.

Des indicateurs clefs du degré de mondialisation d'une industrie sont le volume des échanges transfrontaliers au sein de cette industrie en pourcentage de la production mondiale totale, le volume des investissements transfrontaliers en pourcentage du total des investissements réalisés par ce secteur et la part du chiffre d'affaires de ce secteur réalisée par des entreprises concurrentes présentes sur tous les grands marchés.

Le tableau 2 illustre la mondialisation croissante de l'industrie pharmaceutique. Les chiffres montrent que dans ce secteur d'activité, les investissements transfrontaliers ont progressé plus rapidement que les échanges.

Au niveau d'une entreprise particulière, la mondialisation recouvre le degré d'expansion à l'international d'une

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entreprise, en termes de chiffre d'affaires et d'actifs, ainsi que l'importance des flux transfrontaliers de capitaux, de biens et de savoir-faire entre ses filiales.

Toyota offre un bon exemple de groupe fortement mondialisé. A la fin de 1995, un tiers de la production mondiale de Toyota était réalisé par des filiales entièrement ou partiellement contrôlées par le groupe, réparties dans vingt-cinq pays d'Amérique, d'Europe et d'Asie.

Mieux encore, Toyota exportait 38 % de sa production japonaise vers les marchés étrangers, et le volume des flux intra-firme entre ses filiales était important. Au sein de son réseau régional d'Asie du Sud-Est, par exemple, Toyota exportait des moteurs Diesel de Thaïlande, des transmissions fabriquées aux Philippines, des directions produites en Malaisie et des moteurs fabriqués en Indonésie.

Les principaux indicateurs du degré de mondialisation d'une entreprise sont la part de son chiffre d'affaires et de ses actifs à l'international, le volume des échanges intra-firme de produits finis et semi-finis, ainsi que les flux intra-firme de technologie.

Le tableau 3 montre la ventilation par régions du chiffre d'affaires d'un certain nombre d'entreprises du secteur informatique. Le japonais NTT est le groupe le moins mondialisé selon ce critère, Sun Microsystems et Canon apparaissant comme les plus avancés.

Quels sont les moteurs ?

La mondialisation s'explique par le fait que des dirigeants d'entreprise sont amenés à prendre des décisions qui se traduisent par un accroissement des flux transfrontaliers de capitaux, de biens et/ou de technologie. Et les décisions de cette nature se multiplient parce que la mondialisation a pris corps et parce qu'elle offre des avantages de plus en plus perceptibles. Quatre grandes tendances sont au coeur de ces évolutions.

* Un nombre sans cesse croissant de pays se rallient à l'idéologie libérale de l'économie de marché.

L'« économie planifiée » a cédé la place à l'« économie de marché » : dans les pays industrialisés comme dans les pays en voie d'industrialisation, le changement idéologique des décideurs économiques est un phénomène bien connu et abondamment décrit.

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la vague libérale née dans les économies développées a balayé la Corée du Sud, Taiwan, Hong Kong et Singapour avant de submerger les autres « tigres » de l'Asie du Sud-Est ; elle déferle aujourd'hui sur d'autres grandes économies telles que la Chine, l'Inde, l'Amérique latine, certaines régions d'Afrique et l'Europe centrale et orientale, Russie incluse.

Comme le montre le tableau 4 (page suivante), un nombre croissant de pays libéralisent leur régime d'investissement.

* Le centre de gravité économique se déplace des pays développés vers les pays en développement.

La libéralisation économique stimule la concurrence, l'efficacité, l'innovation, l'investissement et la croissance économique.

Leur ralliement aux mécanismes de l'économie de marché a donc logiquement permis aux économies en développement de commencer à combler leur retard sur les économies développées. Taiwan, Hong Kong et Singapour, qui comptaient parmi les pays les plus pauvres du monde dans les années 50, ont déjà rejoint les rangs des économies avancées. Et malgré les perturbations à court terme liées à la récente crise financière asiatique, les prévisions de croissance à long terme de la région restent favorables.

D'autres économies, plus importantes encore, ont décollé : c'est le cas de la Chine notamment. Avec un taux de croissance annuel supérieur à 10 % depuis 1980, la Chine s'est déjà hissée au rang de troisième puissance économique mondiale - tout au moins en termes de parité des pouvoirs d'achat - et semble bien placée pour supplanter le Japon dans un avenir relativement proche.

Le tableau 5 donne les taux de croissance des économies avancées, en développement et en transition depuis 1979, ainsi que les prévisions jusqu'à la fin de 2002. Il ressort de ces chiffres que le centre de gravité économique du monde se déplace. Aujourd'hui, toute entreprise en quête de croissance n'a d'autre choix que

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d'aller là où se trouve la croissance. Et pour la grande majorité des 500 plus importantes firmes industrielles du monde, la croissance est rarement au rendez-vous sur les marchés domestiques.

* Les progrès technologiques ne cessent d'améliorer l'efficacité des communications.

Les coûts du transport aérien, des télécommunications et de l'informatique ont très fortement chuté depuis 1950, comme le montre le tableau 6, entraînant dans leur sillage la baisse des coûts d'expédition des marchandises.

Dans le cas de l'informatique et des télécommunications, la chute des coûts et la généralisation de technologies telles que la visioconférence et la messagerie électronique ont non seulement permis de coordonner des activités très éloignées géographiquement, mais ont aussi rendu cette coordination plus fiable et plus efficace.

* L'ouverture des frontières aux échanges, à l'investissement et aux transferts de technologie a non seulement créé de nouvelles opportunités pour les entreprises, mais a également favorisé l'arrivée de nouveaux concurrents étrangers sur leurs marchés intérieurs.

A mesure que la concurrence s'intensifie, les entreprises en présence sont contraintes de rivaliser pour satisfaire une clientèle de plus en plus mondiale, optimiser leurs implantations pour en retirer le maximum d'avantages en termes de coûts et de qualité et tirer parti des avancées technologiques où qu'elles se trouvent. D'où l'accélération d'une globalisation nourrie par son propre élan.

Entreprises : les implications

Si, de fait, le rythme de la globalisation s'accélère, le paysage économique mondial n'aura plus rien à voir dans vingt ans avec ce qu'il est aujourd'hui.

Les entreprises devront s'adapter à ce paysage en évolution, et celles qui décideront de prendre les devants auront plus de chances de transformer ces changements en avantages compétitifs.

Trois changements fondamentaux nous paraissent inéluctables :

* La carte économique du monde va connaître au cours des vingt prochaines années plus de transformations qu'elle n'en a enregistré au cours des vingt dernières années, sous l'effet cumulé des taux de croissance des économies en développement.

Compte tenu des engagements pris par la nouvelle direction chinoise post-Deng Xiao Ping en faveur de la réforme économique, la Chine devrait constituer le cas d'économie le plus intéressant.

Indépendamment de la forte croissance enregistrée depuis 1979, l'économie chinoise n'a réellement décollé qu'au cours des dernières années. Mais, compte tenu des effets magiques de l'accumulation, il lui suffit de maintenir son taux de croissance à son niveau actuel pour peser chaque année plus lourdement sur l'atlas géo-économique mondial.

La Chine n'est pas un cas isolé. A mesure que les économies d'autres grands pays tels que l'Inde, le Brésil, le Mexique, voire la Russie continuent de monter en puissance, leur contribution à la création de richesses nouvelles à l'échelle de la planète s'accroît.

Il n'est pas déraisonnable de parier que dans vingt ans le centre de gravité économique de la planète ne se sera pas seulement déplacé vers ce qu'il est coutume d'appeler les pays en développement, mais qu'il se situera exactement en leur sein.

* La répartition géographique de l'activité des 500 à 1.000 plus grosses entreprises mondiales va changer radicalement au cours des vingt prochaines années, entraînant dans son sillage une intensification de la concurrence intra-industrie.

Le palmarès mondial des 500 entreprises leaders établi par le « Financial Times » sur le critère de la capitalisation boursière ne compte aucune entreprise chinoise ou indienne. Le classement des « Global 500 » identifiées par le magazine « Fortune », en fonction de leur chiffre d'affaires, inclut seulement deux entreprises chinoises et une entreprise indienne.

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Si dans vingt ans l'économie chinoise devance celle des Etats-Unis et si l'économie indienne rattrape celle du Japon, il y a fort à parier que le palmarès des 500 ou des 1.000 entreprises mondiales les plus performantes se composera de façon très différente.

La Chine a déjà engagé un processus massif de consolidation et de privatisation. Voyez le cas de Sichuan Changhong, entreprise publique, numéro un des téléviseurs en Chine. Déjà en voie de privatisation, Changhong devrait produire 10 millions de téléviseurs par an d'ici à 2000 et commencer à exporter vers les Etats-Unis et d'autres marchés. La société a annoncé son intention de rejoindre les rangs des « Global 500 » dès que possible. Et dans bien d'autres secteurs d'activité (sidérurgie, chimie et même informatique), des entreprises similaires sont près d'accéder à la maturité et devraient s'imposer sur la scène mondiale dès le début du XXIe siècle.

Pour illustrer la situation de l'Inde, prenons le cas du Tata Group, organisation relativement déconcentrée qui contrôle des sociétés spécialisées dans la sidérurgie, le ciment, la chimie, l'hôtellerie et les poids lourds, et dont le chiffre d'affaires s'élève à près de 9 milliards de dollars. La société mère a affirmé son intention de tripler le chiffre d'affaires du groupe d'ici à l'an 2000, de réduire son portefeuille d'activités et de contrôler plus étroitement ses filiales ; il est inévitable, dans ce contexte, que le groupe s'impose à terme comme une entreprise de stature mondiale. Et il existe en Inde une multitude de firmes présentant le même profil.

A ces exemples, il convient d'ajouter les entreprises en forte croissance d'autres économies émergentes comme l'Indonésie, le Mexique et la Russie.

En résumé, si vous pensiez avoir affronté une concurrence intense avec l'émergence de firmes d'envergure mondiale d'origine japonaise, coréenne ou taïwanaise, prenez garde. Par comparaison avec ce qui vous attend en 2020, ce n'était peut-être qu'un simple échauffement.

* La baisse des coûts de l'informatique, des télécommunications et des transports devrait se poursuivre, voire s'accélérer.

Si vous combinez ces tendances à la généralisation de la téléphonie mobile, de la visioconférence, de l'Internet, et à l'augmentation de la puissance de traitement des ordinateurs, il devient clair que la coordination en temps réel d'activités mondialement dispersées sera chose commune dans vingt ans.

Un effet majeur de ces tendances sera l'accentuation de la concurrence mondiale et la recherche plus intense encore de sites optimums d'implantation pour les activités qui se prêtent à une délocalisation au sein de la chaîne de valeur d'une entreprise. *

La carte économique du monde va connaître au cours des vingt prochaines années plus de transformations qu'elle n'en a enregistré ces vingt dernières. La Chine devrait constituer le cas le plus intéressant. (C) Dumont/REA

VIJAY GOVINDARAJAN est professeur de commerce international à l'Amos Tuck School of Business Administration du Dartmouth College. Consultant et conférencier de renom international, il travaille à un ouvrage intitulé « The Quest for Global Dominance » en collaboration avec Anil K. Gupta.

ANIL K. GUPTA est professeur de stratégie et de commerce international au College Park, université du Maryland.

La multinationale, acteur phare à l'échelle régionaleLa multinationale est un pôle d'attraction pour tous ses partenaires économiques. Fer de lance de la mondialisation, elle reste néanmoins fermement enracinée dans sa région.

Les entreprises multinationales (EMN) - sociétés produisant ou distribuant leurs produits dans deux pays ou plus - dominent la production mondiale dans la plupart des grands secteurs d'activité : automobile, électronique grand public, chimie, produits pharmaceutiques et pétrole. Elles sont à même de réaliser d'importantes économies d'échelle et de mettre en place de vastes réseaux de distribution. Les 500 plus grosses d'entre elles représentent plus de la moitité du commerce mondial.

Les progrès de la technologie ont intensifié le phénomène de concentration du pouvoir économique entre les mains de ces multinationales. Cependant, l'innovation en soi importe moins (les petites entreprises y réussissent

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fort bien) que son application par les EMN à la production de masse. L'essentiel des gains de productivité industrielle réalisés par les multinationales japonaises, par exemple, résulte d'améliorations incrémentielles apportées aux processus grâce à des structures organisationnelles efficaces. Lorsque la recherche fondamentale se révèle insuffisante, les EMN peuvent se la procurer à l'étranger, comme l'ont fait les multinationales japonaises dans la Silicon Valley, par exemple. Cette appropriation de la technologie est à l'origine de l'avantage compétitif dont bénéficient les EMN au niveau mondial.

S'il est certain que les EMN sont un véhicule puissant de l'interdépendance croissante des économies, la plupart restent fermement enracinées dans leur région d'origine, en particulier dans la « triade » (Amérique du Nord, Europe et Japon). Sur les 500 multinationales qui arrivent en tête du classement mondial, 443 appartiennent à l'une de ces régions (figure 1). Ce phénomène s'explique notamment par l'existence d'obstacles non tarifaires aux échanges et aux investissements dans ces différentes régions. Ces barrières ont pour but de limiter l'accès aux marchés intérieurs ou d'accorder un accès préférentiel à certains partenaires. Citons notamment les réglementations sanitaires discriminatoires, l'exemption d'application des traités commerciaux revendiquée pour certains secteurs, des législations inopérantes en matière de dumping et de droits compensatoires, etc.

L'industrie automobile mondiale, par exemple, ne mérite pas vraiment ce qualificatif. Plus de 80 % de la production et des ventes intéressent chacun des trois marchés de la triade. Ce même caractère régional se retrouve dans d'autres grands secteurs tels que la chimie, la pétrochimie, la sidérurgie, etc. L'objectif prédominant est alors l'accès aux marchés, mais à l'échelle régionale plutôt qu'internationale. Cette situation, favorable aux EMN de la triade, rend les choses plus difficiles aux autres EMN, dans la mesure où il leur faut d'abord obtenir l'accès à un marché de la triade avant de pouvoir mettre en oeuvre une stratégie mondiale. Cela ne veut pas dire que l'accès soit interdit aux « outsiders ». La Corée, Taiwan, Singapour, Hong Kong et le Mexique ont réussi à y entrer.

Le tableau 1 donne le classement des 20 EMN les plus « transnationales », autrement dit des entreprises dont les deux tiers de l'activité se déroulent à l'international. L'« indice de transnationalité » qui est affecté à chacune d'elles est calculé en rapportant les activités étrangères aux activités totales en fonction de trois critères : chiffre d'affaires, actifs et salariés. Ce tableau est jusqu'à un certain point l'image inversée de la figure 1. Les EMN listées sont généralement implantées dans des pays plus petits, extérieurs à la triade, tels que la Suisse ou le Canada, et le développement de leurs activités à l'étranger leur est indispensable pour acquérir une stature mondiale. Même les EMN de l'Union européenne qui figurent dans le tableau 1 ont leur siège en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas, en Suisse, dans des pays dont le marché intérieur est relativement modeste.

Si les EMN sont le fer de lance de la mondialisation, c'est parce qu'elles sont des « entreprises phares » à l'échelle régionale. La multinationale phare est celle qui opère au centre d'un réseau d'activités économiques étendu (« business cluster »). En général, elle entretient des relations à long terme avec quatre de ses partenaires : ses fournisseurs, ses clients, ses concurrents et les infrastructures non économiques. Ce dernier terme comprend des établissements de recherche et d'enseignement, voire des administrations publiques. Les multinationales qui jouent le rôle de locomotives sont celles qui entretiennent des liens très solides avec des fournisseurs clefs indépendants. C'est le cas notamment de DuPont, fournisseur numéro un de peinture à General Motors.

Ces multinationales ont également développé des relations à long terme avec des clients et des distributeurs clefs. Grâce à ces relations, elles n'ont pas besoin d'internaliser les fonctions de distribution et de vente et peuvent de ce fait s'épargner le processus coûteux d'assimilation de langues et de cultures étrangères. Les sociétés qui opèrent dans le secteur de la grande distribution - structuré principalement autour d'un marché national - ne sont pas toujours en mesure de faire l'économie de ce processus. Les partenaires clefs des grandes multinationales sont souvent d'autres multinationales, poussées à des rapprochements par le coût de la recherche-développement et par la difficulté d'obtenir l'accès à de nouveaux marchés.

Quelle puissance réelle ?

Les infrastructures non économiques regroupent les organisations de services. Le degré de développement de ces organisations (santé, services sociaux, éducation, culture, transports et services financiers) peut avoir un impact majeur sur la productivité et la compétitivité nationales. Les multinationales peuvent dans ce cas favoriser l'existence de passerelles entre le secteur public et le secteur des services. Le modèle de l'entreprise phare et de ses quatre partenaires offre l'avantage, en termes de compétitivité internationale, de permettre à divers intervenants du secteur public d'accroître leur efficacité et d'acquérir une perspective mondiale plus large.

Dans les pays occidentaux, l'EMN peut offrir une perspective stratégique mondiale à ses différents partenaires,

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de sorte que ces derniers n'ont pas besoin d'élaborer de stratégie mondiale propre. Naturellement, ce constat est difficile à digérer pour les gouvernements nationaux, mais il a au moins l'avantage de clarifier leur rôle, qui - sans être déterminant - est de créer les conditions favorables à la compétitivité de l'économie. Même ainsi, considérer l'EMN comme une sorte de puissance supranationale échappant à tout contrôle des pouvoirs publics et ne rendant compte qu'à ses actionnaires en vertu de sa politique propre paraît exagéré.

Les entreprises multinationales sont loin d'être monolithiques et de posséder le pouvoir excessif qui leur est attribué sur le plan politique. Certaines ont effectivement un chiffre d'affaires supérieur au produit national brut de nombreux petits pays. Mais, en tout état de cause, ces entreprises sont trop préoccupées par leur survie, leur rentabilité et leur croissance pour intervenir de façon significative dans les aspects non économiques (sociaux, culturels et autres) de la vie d'un pays. La concurrence mondiale à elle seule exclut donc toute éventualité de domination durable.

Des conflits peuvent cependant surgir entre des multinationales et les pouvoirs publics dans la sphère de l'économie politique internationale. Il s'agit alors de leur capacité à faire du lobbying et à influencer par tout autre moyen la politique menée par les gouvernements nationaux (et les collectivités locales) dans des domaines tels que le commerce, les investissements, la science et la technologie, ainsi que la mise en oeuvre de ces politiques par les administrations. Or, là encore, les intérêts des multinationales restent très largement centrés sur leur région propre. Les EMN japonaises, par exemple, se sont surtout préoccupées de développer la compétitivité au Japon et n'exercent qu'une influence marginale sur les politiques publiques mises en oeuvre dans les pays où elles possèdent des filiales.

L'homogénéisation culturelle

Il est faux également d'établir un parallèle entre, d'une part, la production innovante et le marketing mondial intensif des EMN et, de l'autre, le développement d'une culture mondiale uniformisée. Ce que l'on observe, en revanche, c'est une élévation généralisée du niveau de vie et une offre bien plus diversifiée de produits et de services au consommateur dans la mesure où les multinationales s'efforcent de répondre à des goûts très différents avec un large éventail de produits et de services conçus pour des marchés de niche.

Les études montrent que nombre de multinationales prennent en compte à la fois la taille et le caractère des économies nationales. En d'autres termes, toutes les EMN ne poursuivent pas des stratégies de différenciation ou de minimisation de leurs coûts à l'échelle mondiale (ce qui pourrait déboucher sur une homogénéisation culturelle). Au contraire, elles s'efforcent d'adapter leurs produits et leurs services en tenant compte de la diversité des systèmes politiques, des cultures et des religions.

Cela étant, elles peuvent avoir un fort impact à l'échelle régionale. En Amérique du Nord, par exemple, l'influence des Etats-Unis est manifeste au Canada et au Mexique. Mais, même à l'échelle régionale, les différences linguistiques atténuent sensiblement ce phénomène, et au sein de l'Union européenne le degré d'homogénéisation culturelle reste relativement faible face aux différences nationales toujours vivaces. *

ALAN RUGMAN enseigne la gestion stratégique au Templeton College, université d'Oxford. Ses recherches portent sur les relations entre commerce et politique environnementale, d'une part, et stratégie d'entreprise, d'autre part.

L'hôtellerie classique, vecteur de l'internationalisation de MarriottA la fin des années 80, le groupe hôtelier Marriott était encore une entreprise essentiellement américaine. Il avait deux activités principales : l'hébergement et les services.

Le secteur de l'hébergement comportait quatre gammes de produits distinctes :

- hôtels de haut de gamme et de luxe (enseigne « Marriott ») ;

- hôtels de milieu de gamme (« Court- yard ») ;

- hôtels économiques (« Fairfield Inn ») ;

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- résidences de vacances (« Residence Inn »).

Les services couvraient trois lignes de produits :

- Marriott Management Services ;

- Host/Travel Plazas ;

- Marriott Senior Living Services (résidences pour personnes âgées).

Ayant pris la décision de s'internationaliser, le groupe a dû décider par quelle(s) ligne(s) de produits il allait commencer.

La figure 1 présente un schéma conceptuel permettant d'identifier les lignes de produits les plus appropriées pour une première phase de mondialisation. Comme on le voit, chaque activité du portefeuille de l'entreprise doit être évaluée en fonction de deux paramètres : la rentabilité potentielle (rendement attendu de la mondialisation) et le risque potentiel (niveau d'adaptation locale requis).

Le premier paramètre mesure le rendement de la mondialisation. Pour Marriott, il est clair que ce rendement était potentiellement beaucoup plus élevé pour l'hôtellerie de luxe que pour les résidences pour personnes âgées. Les principaux clients de l'hôtellerie sont les cadres « globe-trotters ». Dans ce secteur, une présence mondiale est fortement créatrice de valeur : l'entreprise peut en effet utiliser un système de réservation centralisé, développer et diffuser des concepts de services homogènes dans le monde entier et capitaliser sur un nom d'enseigne connu garantissant au client un service de qualité. Or aucun de ces facteurs n'a beaucoup d'importance dans le secteur des maisons de retraite.

Le second paramètre mesure le niveau d'adaptation locale requis pour réussir sur les marchés étrangers. Dans quelle mesure faudra-t-il remanier les produits et/ou les services au niveau local plutôt que de reproduire à l'identique des concepts ayant déjà fait leurs preuves ?

Tout développement nouveau étant porteur de risque, plus le niveau d'adaptation local nécessaire est élevé, plus le risque d'échec est important, en particulier quand il est aggravé par le handicap déjà significatif d'être l'« étranger ».

Pour Marriott, le secteur des maisons de retraite nécessitait plus d'adaptation locale que l'hôtellerie classique. Laquelle était donc potentiellement plus rentable et moins risquée et présentait toutes les caractéristiques d'un vecteur idéal pour la globalisation du groupe.

Construire une présence globaleLa plupart des grandes entreprises n'en sont encore qu'à leurs débuts en matière de globalisation. Comment se doter d'une stratégie sérieuse de mondialisation en courant le minimum de risques et en visant une rentabilité maximale ?

Si le processus de mondialisation de l'économie a commencé il y a plusieurs dizaines d'années déjà, beaucoup de grandes entreprises ne se sont appliquées que récemment à relever le défi d'une présence vraiment globale. C'est vrai pour la majorité des sociétés des économies émergentes, mais également pour nombre de grands groupes issus de pays industrialisés. Même ATT, Wal-Mart ou Marriott, leaders dans leurs secteurs respectifs, ont attendu la fin des années 80 pour se doter d'une stratégie sérieuse de mondialisation. En fait, beaucoup de multinationales solidement établies, comme Citicorp et Motorola, n'en sont qu'au début de leur expansion sur les grands marchés émergents d'Asie, d'Amérique latine, d'Europe de l'Est et d'Afrique.

Si elle veut devenir globale en courant le minimum de risques et en visant une rentabilité maximale, une entreprise devra répondre aux quatre questions suivantes :

- Quelle(s) ligne(s) de produits utiliser comme vecteur de mondialisation ?

- Quels marchés cibles sélectionner en premier ?

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- Quel est le mode optimal d'entrée (sur un marché) ?

- Quel doit être le rythme de l'expansion internationale ?

Cet article identifie les grands principes qui permettront aux entreprises de prendre ces décisions de manière systématique et raisonnée.

Choix des produits

Quand une entreprise fabriquant plusieurs produits décide de partir à la conquête des marchés étrangers, il faut qu'elle détermine si elle va internationaliser simultanément l'ensemble de son portefeuille ou utiliser un sous-ensemble de produits comme vecteur de lancement.

La deuxième solution est souvent la plus sage : l'expansion mondiale présente en effet un niveau de risque élevé pour toute entreprise s'aventurant dans l'arène internationale pour la première fois, et la mondialisation simultanée de la totalité du portefeuille augmente considérablement ce risque. La question est alors de savoir quelle(s) ligne(s) de produits il faut internationaliser en premier. Le choix doit obéir à un double objectif de maximisation de la rentabilité et de minimisation du risque. Cette nécessité est illustrée par le cas des hôtels Marriott (lire encadré ci-contre).

Choix des marchés

Une entreprise ne peut être considérée comme globale que si elle est présente sur l'ensemble des marchés stratégiques. Mais sur quels critères peut-on évaluer l'importance stratégique des marchés et le moment le plus propice pour y entrer ?

L'importance stratégique d'un marché est déterminée par deux types de facteurs : les uns sont relatifs au « potentiel du marché » et les autres au « potentiel d'apprentissage ».

Le potentiel du marché désigne, pour une activité donnée, la taille du marché actuel ainsi que ses perspectives de croissance.

Le potentiel d'apprentissage s'articule autour de deux éléments : la présence d'une clientèle avertie et exigeante vis-à-vis d'un produit ou d'un service donné, ce qui oblige donc l'entreprise à innover constamment, et le rythme de l'évolution technologique sur le marché.

Le choix par l'entreprise du moment où elle fait son entrée sur un marché stratégique dépend de sa capacité à l'exploiter. Cette capacité est fonction de la hauteur des barrières à l'entrée et de l'intensité de la concurrence.

Les barrières à l'entrée sont généralement moins difficiles à franchir sur les marchés géographiquement, culturellement et linguistiquement proches du marché d'origine de l'entreprise et où aucune réglementation n'entrave les échanges et les investissements.

Cependant, même quand les barrières à l'entrée sont peu importantes, la présence d'une concurrence intense peut affecter le potentiel de l'entreprise à exploiter le marché. C'est ainsi que l'immense marché des Etats-Unis s'est transformé en cimetière pour nombre de sociétés étrangères dans le secteur de la distribution, et ce précisément à cause de l'intensité de la concurrence locale.

La figure 2 présente un cadre conceptuel que l'entreprise pourra utiliser pour choisir ses marchés cibles et le moment de son entrée. Ce cadre combine les deux dimensions clefs de l'importance stratégique du marché et de la capacité d'une entreprise à l'exploiter.

Il est dans l'intérêt de l'entreprise d'entrer rapidement sur un marché de forte importance stratégique et pour lequel elle a un fort potentiel d'exploitation. En revanche, elle pourra se permettre d'être beaucoup plus opportuniste dans le cas d'un marché de moindre importance stratégique, mais plus facilement pénétrable.

Dans le cas des marchés de forte importance stratégique mais très difficiles à exploiter, nous recommandons une approche progressive : l'entrée sur le marché sera précédée du développement des capacités requises. Cela pourra se faire en entrant d'abord sur un « marché tête de pont », c'est-à-dire très semblable au marché ciblé, mais qui constitue une opportunité moins risquée d'apprendre comment entrer et réussir sur le marché choisi.

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Parmi les marchés têtes de pont souvent utilisés, on peut citer la Suisse et/ou l'Autriche pour une entrée en Allemagne, le Canada pour les Etats-Unis ainsi que Hong Kong et Taiwan pour la Chine. Précisons enfin que l'entreprise doit se détourner des marchés qui ne sont ni stratégiques ni faciles à exploiter.

Mode d'entrée

Une fois que l'entreprise a choisi le(s) pays cible(s) ainsi que la ou les lignes de produits qui vont servir de locomotive, il lui faut définir la méthode d'entrée appropriée.

Cette décision s'articule autour de deux questions fondamentales :

- Dans quelle mesure l'entreprise s'appuiera- t-elle sur des importations ou sur une production locale dans son marché cible ? Ici l'entreprise a plusieurs options : de 100 % d'importation des produits finis à 100 % de production locale, en passant par l'importation des composants pour un assemblage local.

- Quel sera le degré de possession et de contrôle de l'entreprise sur les activités qui doivent être réalisées localement ? Ici encore, plusieurs solutions sont envisageables : d'une structure à 0 % de participation (licence ou franchise, par exemple) à une implantation en pleine propriété, en passant par des structures de propriété partielles (telles que joint-venture ou affiliation).

Pour revenir à la première question, le choix de s'appuyer sur une proportion importante de production locale sera conseillé dans les conditions suivantes :

* Le marché local dépasse la taille critique de production efficace. Plus le marché local est important, plus une production locale générera des économies d'échelle, tout en permettant de maintenir les coûts de transport et de droits de douane à un niveau minimal. On se référera à l'entrée sur le marché américain du fabricant japonais de pneus Bridgestone, qui a préféré acquérir des unités de production locales de Firestone plutôt que d'importer des pneus du Japon.

* Les frais de transport et les droits de douane liés aux importations dans le marché cible sont tels qu'ils annulent tout avantage de coût d'une production extérieure. C'est pour cette raison que des cimentiers tels que Cemex et Lafarge Coppée font largement appel à la production locale dans tous les pays où ils sont installés.

* Le besoin d'adapter le produit au marché local est élevé. L'adaptation nécessite à la fois une parfaite connaissance des besoins du marché local et la capacité d'intégrer cette connaissance dans les décisions relatives à la conception et à la production. Avec une localisation de la production sur le marché cible, l'entreprise est en meilleure position pour répondre avec précision et efficacité aux besoins locaux.

* Les obligations en matière de contenu local sont fortes. C'est en grande partie pour cette raison que les constructeurs automobiles utilisent des unités de production dans des marchés tels que l'Union européenne, la Chine et l'Inde.

La seconde question a trait au degré de possession et de contrôle sur les unités opérationnelles locales.

Entrer sur un marché par le biais d'une alliance permet de partager les coûts et les risques inhérents à cet exercice, tout en donnant un accès rapide au savoir-faire local. Mais c'est également une possible source de conflits. Les entrées réalisées sur la base d'alliances sont à recommander dans les cas suivants :

* L'entreprise manque de capitaux. C'est ainsi que s'explique la décision de Xerox Corporation dans les années 50 d'entrer sur le marché européen par le biais d'une alliance avec l'entreprise britannique Rank.

* Le pays cible et le pays d'origine de l'entreprise sont séparés par une grande distance géographique, linguistique et culturelle. Plus le marché cible est différent et méconnu, plus il est nécessaire pour l'entreprise de s'appuyer sur un partenaire, qui lui apportera le savoir-faire et l'accès aux réseaux locaux. En théorie, une acquisition permet d'arriver au même résultat. Cependant, sur un marché dont elle ignore tout ou presque, l'entreprise est souvent peu à même de gérer efficacement une filiale acquise sur place.

* La filiale présente un degré d'intégration opérationnelle faible avec le reste des opérations multinationales. En cas d'implantation locale en copropriété, l'entreprise aura une marge de manoeuvre limitée pour remanier les

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objectifs ou les modes de fonctionnement de la filiale, en fonction de l'évolution du reste de son réseau mondial. Le manque d'harmonie qui en découle représente un handicap moindre si, dès le départ, la filiale n'est pas fortement intégrée dans l'organisation.

* Le risque d'apprentissage asymétrique par le partenaire est faible. Dans un joint-venture classique, les deux partenaires mettent en commun des savoir-faire différents mais complémentaires et apprennent l'un de l'autre grâce à l'interaction de leurs activités de base. L'alliance est souvent une course au savoir. Si un des partenaires apprend plus vite que l'autre, il risque tôt ou tard de mettre un terme à l'aventure, au détriment de son ancien allié.

* La réglementation rend obligatoire une participation locale en capital. On a pu observer que de nombreux pays aux marchés immenses (Chine ou Brésil) sont parvenus à imposer la solution du joint-venture aux entreprises étrangères, même lorsque toutes les autres données plaidaient en faveur d'une participation à 100 %.

Rapidité de l'expansion

Une fois lancée sur la voie de la mondialisation, l'entreprise doit encore répondre à une dernière question : quelle doit être la rapidité de son expansion internationale ?

Une mondialisation rapide est synonyme de croissance offensive, mais peut aussi entraîner une dispersion des ressources opérationnelles, financières et managériales. La capacité de l'entreprise à défendre et à tirer parti de la présence mondiale nouvellement acquise sera alors compromise. Une expansion mondiale accélérée est recommandée dans les cas de figure suivants :

* La concurrence peut facilement copier la recette de la réussite de l'entreprise. Cela est flagrant pour les entreprises des secteurs de la restauration rapide et de la distribution, comme Kentucky Fried Chicken ou Starbuck's : une fois que le concept a fait ses preuves sur un marché, les concurrents peuvent facilement le reproduire au prix d'un investissement relativement faible.

* Les économies d'échelle réalisées sont importantes. De très grandes économies d'échelle donnent à l'entreprise qui s'internationalise tôt et rapidement des avantages considérables de « premier arrivé » et pénalisent pour longtemps les concurrents plus lents. C'est ainsi que les fabricants de pneumatiques Good- year, Michelin et Bridgestone, qui se sont mondialisés très rapidement, bénéficient maintenant de plusieurs longueurs d'avance sur des entreprises moins réactives, comme Pirelli ou Continental.

* La capacité du management à gérer les activités mondiales est élevée. Des groupes comme l'anglo-néerlandais Unilever ou la firme helvético-suédoise ABB ont une grande expérience de l'arène internationale. Et quand ils réussissent l'introduction d'une nouvelle ligne de produits dans un pays, c'est tout naturellement qu'ils procèdent à sa mondialisation. *

Des fabricants de pneumatiques comme Goodyear et Bridgestone qui se sont mondialisés rapidement bénéficient de plusieurs longueurs d'avance sur certains de leurs concurrents, moins réactifs. L'investissement dans la Formule 1 contribue pour une bonne part à leur notoriété internationale. (C) Mario Fourmy/REA

VIJAY GOVINDARAJAN est professeur de commerce international à l'Amos Tuck School of Business Administration du Dartmouth College. Consultant et conférencier de renom mondial, il travaille à un ouvrage intitulé « The Quest for Global Dominance » en collaboration avec Anil K. Gupta.

ANIL K. GUPTA est professeur de stratégie et de commerce international au College Park, université du Maryland.

La stratégie pas à pas de Wal-Mart L'internationalisation ne repose pas uniquement sur un vaste plan d'ensemble et ne résulte pas non plus d'une succession de décisions opportunistes et aléatoires. L'approche la plus sage, que l'on peut qualifier d'« opportunisme administré », obéit à l'opportunisme et à la flexibilité en suivant une direction générale établie par un cadre systématique reprenant les quatre notions passées en revue dans l'article ci-contre : choix des produits, choix des marchés, mode d'entrée sur les marchés et rapidité de l'expansion mondiale.

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Le grand distributeur américain Wal-Mart fournit une excellente illustration de l'application de ces principes. Pour sa première incursion sur la scène internationale, Wal-Mart a porté son choix sur les continents américain et asiatique.

L'entreprise est d'abord entrée au Mexique, deuxième pays d'Amérique du Nord par sa population. Cependant, les différences en matière de culture et de revenus entre les Etats-Unis et le Mexique sont nettes. En outre, comme il s'agissait de sa première action de mondialisation, Wal-Mart avait beaucoup à apprendre et a donc décidé d'établir un joint-venture à 50 % avec un distributeur mexicain.

Le groupe a poursuivi son expansion en Amérique latine en ciblant deux grands marchés, le Brésil et l'Argentine : l'entrée au Brésil s'est également faite en s'appuyant sur un joint-venture avec un partenaire local. Mais, fort de l'expérience acquise au Mexique, Wal-Mart a opté pour une participation majoritaire de 60 %, afin d'en détenir le contrôle. Capitalisant alors sur une connaissance de plus en plus solide du marché sud-américain, Wal-Mart est ensuite entré en Argentine en y créant une filiale en pleine propriété.

Compte tenu des similitudes de revenus et de culture entre les marchés des Etats-Unis et du Canada, Wal-Mart s'est implanté au Canada au moyen d'une acquisition à 100 %.

En Asie, Wal-Mart a suivi la même logique. L'entreprise a commencé par cibler les trois plus grands marchés de la région : le Japon, la Chine et l'Indonésie. A cause de la distance linguistique, culturelle et géographique importante qui sépare ces pays des Etats-Unis, Wal-Mart a choisi de s'appuyer très fortement sur des alliances stratégiques dans tous ces marchés et d'utiliser Hong Kong comme tête de pont pour préparer son entrée en Chine.

L'internationalisation des marquesCertaines marques se prêtent plus facilement à une mondialisation que d'autres. En Europe, l'unification de marques locales acquises à l'occasion de rachats d'entreprises est la méthode d'internationalisation le plus couramment utilisée.

C'est dans les années 80 qu'a été lancé le débat théorique entre partisans de la mondialisation des marques et avocats de leur adaptation aux marchés locaux. Le présent article recommande une approche pragmatique de cette question.

Jamais plus on ne pourra construire des empires comme ceux de Marlboro ou de Coca-Cola ; ces entreprises ont bénéficié de facteurs historiques bien particuliers. L'expansion internationale de Coca-Cola trouve en grande partie son origine dans la Seconde Guerre mondiale et la présence des GI en Europe et en Asie. Il a fallu trente-cinq ans à Marlboro pour conquérir le monde et vingt-deux ans à McDonald's.

Or ces modèles ne sont pas d'une grande utilité pour un géant de l'agroalimentaire comme Danone. Danone n'est pas une marque-produit (comme le sont Marlboro ou Coca-Cola), mais une marque ombrelle, voire une marque mère. L'image de sa marque varie d'un pays à l'autre parce que ses produits les plus typiques n'y sont pas les mêmes : desserts crémeux en Allemagne, yaourts nature en France, yaourts aux fruits en Grande-Bretagne. Quand on sait que les produits typiques d'une marque sont le premier vecteur de son image, on mesure la difficulté de la globalisation des marques ombrelles.

Comment créer une image homogène reposant, par exemple, sur le concept de la santé quand la marque n'est pas présente dans tous les pays avec le même produit ? Or c'est justement la réalité des marques européennes aujourd'hui. Danone est porté par l'ultrafrais en Europe, par la biscuiterie LU - débaptisée - en Asie, et sera porté demain par l'eau minérale en Chine.

Dix ans après le début des débats théoriques, les entreprises ont tiré les enseignements de leurs tâtonnements. Elles reconnaissent désormais autant les difficultés que la nécessité de poser le problème avec pragmatisme : la mondialisation des marques va-t-elle augmenter leur rentabilité ?

Vers une marque mondiale

Nul ne conteste la nécessité économique de viser l'expansion géographique d'un produit : c'est une source d'économies d'échelle, d'amortissement des coûts croissants de la recherche-développement et d'avantage concurrentiel sur les marchés locaux. Mais jusqu'où aller dans la mondialisation ? Faut-il mondialiser le

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positionnement, les concepts créatifs, voire les produits eux-mêmes ? En premier lieu, il s'agit d'être précis quant aux termes utilisés. Une marque se décline selon trois facettes (voir figure ci-dessus).

Une politique de marque mondiale sous-entend la volonté de développer ces trois facettes partout dans le monde. Or il est souvent plus réaliste et plus rentable de se limiter à un ou deux de ces éléments.

Mars, par exemple, n'est pas une marque mondiale à 100 %. La fameuse barre chocolatée est présentée comme snack nutritif complet en Grande-Bretagne et comme une barre énergétique dans le reste de l'Europe (deux concepts et deux positionnements différents pour le même produit). Nestlé adapte le goût de ses marques aux attentes des consommateurs locaux. La composition de Nescafé n'est pas la même partout.

Le concept de marketing global renvoie à une volonté d'étendre un marketing mix unique à une région (Europe ou Asie par exemple), voire au monde entier. Il exprime aussi une situation dans laquelle la position concurrentielle d'une firme dans un pays peut être affectée de façon significative par sa position dans d'autres pays. Dans le cadre d'une stratégie mondiale, le rôle des pays pris individuellement ne constitue qu'une partie d'une stratégie concurrentielle plus vaste.

La maximisation des ventes n'est pas le but ultime pour l'entreprise : la globalisation du marketing doit être source de profitabilité.

En premier lieu, elle supprime la duplication des efforts. Par exemple, au lieu de faire réaliser des films publicitaires dans chaque pays, l'entreprise adopte un film unique pour la région considérée. L'agence McCann-Erickson s'enorgueillit d'avoir fait économiser 90 millions de dollars en frais de production à Coca-Cola au cours des vingt dernières années grâce à la réalisation de films mondiaux.

En pratiquant le lancement d'un produit dans plusieurs pays de façon simultanée, on supprime le problème des lancements différés et décalés dans le temps d'un pays à l'autre. Ce décalage a l'inconvénient de laisser le temps à la concurrence de préempter localement certaines idées vues ailleurs.

La mondialisation permet d'exploiter les bonnes idées d'où qu'elles viennent. Le shampooing Timotei a été conçu en Finlande, puis étendu aux autres pays européens. La boisson Malibu, qui est vendue partout dans le monde, a été créée en Afrique du Sud.

Enfin, la mondialisation correspond aux attentes des distributeurs, qui eux-mêmes se mondialisent, ou des entreprises dont les acheteurs raisonnent de façon globale.

Les conditions propices

Certaines situations rendent plus aisée une politique de marque et de communication mondiales. Elles sont liées au produit, aux marchés, à la force de l'identité de la marque et à l'organisation des entreprises.

Les changements sociaux et culturels fournissent un terrain propice aux marques mondiales. Dans ces circonstances, une partie du marché ne se reconnaît plus dans les valeurs héritées et locales et cherche de nouveaux modèles pour affirmer son identité. Ce segment est ouvert aux influences de l'étranger.

A travers Coca-Cola, on consomme du mythe américain, c'est-à-dire une représentation collective d'une Amérique fraîche, ouverte, pétillante, jeune et dynamique.

Les jeunes constituent une cible particulière en recherche d'identité. Cherchant à se démarquer, ils puisent dans les modèles culturels médiatisés leurs sources d'identification.

Les jeans Levis sont liés à une mythologie de rupture, de solitaire sur la route, mi-Dean, mi-Kerouac, teintée d'eldorado nord-américain. Nike invite les jeunes à se surpasser, à transcender les limites nationales de race et de culture.

Les secteurs vierges, neufs, n'héritent pas, par définition, de systèmes de valeurs. Tout est à créer, et c'est à la marque de le faire. Rien ne s'oppose au marketing mondial des marques hi-tech, dans les secteurs de l'informatique, de la photographie, des télécommunications ou des services. La culture technique standardise le monde. Ses produits ne sont plus issus de cultures locales, mais appartiennent à notre époque. Ils sont le fruit de la science et du temps. Ils échappent donc aux contingences culturelles locales, qui freinent la communication

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mondiale.

La mondialisation concerne aussi les services. Hertz, Avis et Europcar ont mondialisé leurs campagnes en représentant des stéréotypes d'hommes d'affaires pressés. De toute façon, un homme d'affaires italien veut avant tout s'identifier à un homme d'affaires plutôt qu'à un Italien.

D'une façon générale, la mondialisation est possible, voire même souhaitable, dans tous les marchés tournant autour de la valeur de mobilité. C'est le cas des télécommunications, de l'hôtellerie, de la location de voitures, des compagnies aériennes, mais aussi du transfert d'images et de sons. Quand une marque est perçue comme internationale, son autorité et sa compétence sont automatiquement acceptées.

Paradoxalement, la mondialisation d'une marque est plus facile quand elle s'inscrit totalement dans un stéréotype culturel. AEG, Bosch, Siemens, Mercedes et BMW se lovent dans le « made in Germany », qui leur ouvre le marché mondial parce que ce stéréotype dépasse les frontières du pays. Partout, il signifie solidité et performance. Le nom de Barilla évoque un autre stéréotype : il décline les codes classiques de l'italianité, un stéréotype fait de sauces à la tomate, de pâtes, d'amour de la vie, de chansons et de soleil. Volvo, Ericsson et Saab incarnent la Suède.

Enfin, certaines marques incarnent des archétypes : Marlboro concentre en lui l'archétype rousseauiste de l'homme seul et préservé que les westerns ont modernisé et popularisé dans le monde entier. Drakkar Noir exprime le machisme, Lancôme la femme française.

Globalement, les marques dont l'identité repose sur le produit lui-même et sur ses racines sont plus facilement mondialisables. Le whisky Jack Daniels construit l'identité de sa marque sur sa distillerie et ses traditions, ce qui produit des publicités remarquablement homogènes. Bien que la société travaille avec plusieurs agences, toutes les campagnes réalisées sont frappées au sceau de Jack Daniels.

Une identité forte repose souvent sur l'avantage concurrentiel d'un produit, un avantage qui structure la totalité du marketing mix, quel que soit le pays. Il est frappant de voir à quel point les acheteurs de sous-vêtements Damart se ressemblent, dans tous les pays. L'avantage exclusif que présente ce produit pour les consommateurs intéresse tout naturellement le même groupe de personnes : les personnes âgées.

Certains facteurs liés à l'organisation de l'entreprise facilitent également le passage à une marque mondiale. Les entreprises procédant d'un individu et les marques qui portent le nom d'un créateur encore vivant sont, d'emblée, plus mondiales. Il est peu probable de voir les marchés adapter localement l'identité de Ralph Lauren, étant donné que le chef de l'entreprise est justement Ralph Lauren.

Les firmes américaines sont mieux préparées à la mondialisation : sur leur marché national gigantesque, le marketing est par nature global, ignorant les états et la diversité socioculturelle du melting-pot américain.

Un autre facteur lié à l'organisation est celui du mode d'expansion choisi dès le départ par les entreprises américaines en Europe. Beaucoup ont établi des sièges européens, le plus souvent à Bruxelles ou à Londres. Les structures des différents pays devaient rendre compte de leurs performances financières à ces centres. Vus des Etats-Unis, ils ont très tôt constitué des centres pour les « opérations européennes ». L'Europe était considérée comme une zone unique et homogène.

Enfin, l'existence d'un centre unique de production en Europe constitue également un facteur puissant de mondialisation, du moins pour les produits. Procter & Gamble centralise sa production de lessives pour l'Europe dans son usine d'Amiens. Ce qui maximise la normalisation du produit et permet de diffuser immédiatement les innovations sur tous les marchés de la région.

Plusieurs obstacles

La réglementation et les différences juridiques sont le vrai frein à la globalisation des marques. Les différences de situation concurrentielle viennent en second. Puis, quand les produits trouvent leurs racines dans une culture particulière, les difficultés rencontrées pour adopter une approche mondiale sont considérables. Le yaourt en est un parfait exemple (lire encadré ci-dessous), mais on pourrait en trouver bien d'autres.

Le mode de consommation d'un produit diminue souvent toute possibilité d'adopter une approche transnationale, voire même d'exporter une marque.

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Le cas de Ricard en fournit une bonne illustration. Ricard est, en termes de ventes, la troisième marque de spiritueux dans le monde, après Bacardi et Smirnoff. Cependant 95 % de ses ventes se font en France, en dépit d'efforts inlassables à l'exportation. Ainsi, même après quinze ans d'investissements considérables en Espagne, la pénétration de la marque y reste très faible. Le Ricard y est consommé essentiellement par les Français d'origine algérienne ayant émigré en Espagne. En Espagne, on ne boit pas beaucoup d'apéritifs, ce qui constitue un problème fondamental pour Ricard : à quel moment de la journée doit-on donc le consommer ? De plus, les Espagnols n'ajoutent pas d'eau à l'alcool, pour ne pas en altérer le goût. Or le Ricard se boit avec cinq mesures d'eau pour une mesure d'alcool. Le même problème réduit à néant tout espoir pour la marque de jamais pénétrer le marché américain. Les Américains ne mélangent pas l'eau et l'alcool. Ils boivent leur scotch ou leur bourbon avec des glaçons, un mode de consommation rédhibitoire pour Ricard.

En France, le Ricard est fortement associé à l'image de la Provence et des vacances. Il incarne l'optimisme : c'est du soleil en bouteille. Un argument qui séduit les Européens du Nord, mais n'a que peu de retentissement dans les pays situés au sud de la Provence, comme l'Italie ou l'Espagne. De surcroît, l'image de marque de Ricard n'est pas très bonne en Espagne, car la marque est associée aux touristes français qui passent leurs vacances d'été dans le pays.

Dans le marché automobile, les pays varient trop en maturité, en segmentation, pour autoriser le même positionnement d'un modèle scientifique.

Les voies possibles

Les entreprises comprennent désormais que, au sein de leur portefeuille, certaines de leurs marques sont susceptibles de séduire des consommateurs ou des entreprises au-delà de leurs frontières et que les facteurs de réussite locaux peuvent être étendus à d'autres pays ou régions, même si cela doit passer par des acquisitions, des alliances ou des accords de licence.

Le retour d'information induit par l'internationalisation de la marque la renforce. Elle entre dans le club exclusif des acteurs mondiaux présents sur les linéaires des grands distributeurs, qui eux-mêmes ont une stature mondiale. Au niveau des échanges interentreprises, les marques mondiales sont les seules à pouvoir figurer sur les listes prises en compte par les services chargés de l'approvisionnement.

Quelles sont les principales stratégies de mondialisation d'une marque ?

La première stratégie de mondialisation consiste à reproduire progressivement et dans tous les pays les facteurs qui ont fait la réussite d'une stratégie locale. Une telle approche est nécessairement prudente et procède pays par pays, région par région. On apporte quelques adaptations mineures quand c'est nécessaire, mais globalement c'est une grande homogénéité qui prévaut.

Il va de soi qu'il faut prendre des précautions juridiques pour empêcher les concurrents locaux de devancer la marque avant son arrivée et pour garantir sa validité. Pour contraignantes qu'elles soient, ces mesures permettent de gagner un temps précieux. Paradoxalement, cette stratégie s'énonce « think local, act global » !

C'est la stratégie adoptée par Coca-Cola, par Orangina ou par McDonald's.

La deuxième stratégie de mondialisation consiste à lancer la marque dans plusieurs pays simultanément. C'est la stratégie des grandes multinationales qui créent des marques entièrement nouvelles en ciblant d'emblée un marché international. Toute adaptation locale du produit ou de la stratégie publicitaire est prise en compte au moment du développement du produit, pour réduire au minimum les coûts inutiles de la complexité.

Les lancements de Gillette G2, de Sensor ou de la Ford Mondeo ont suivi ce schéma. C'est également la stratégie généralement adoptée par les produits de luxe. C'est une stratégie de type « think global, act global as much as possible ».

La troisième stratégie de mondialisation est la plus couramment utilisée en Europe. Elle consiste à unifier des marques locales acquises à l'occasion de rachats d'entreprises. L'histoire montre que les grands groupes choisissent souvent une stratégie de croissance externe au travers du rachat de marques locales fortes. En achetant ces marques à la réputation bien établie, ils acquièrent une connaissance et une influence locale significatives. C'est une pratique particulièrement répandue dans les secteurs industriels, ainsi que dans les

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produits de grande consommation. Dans le secteur des protections féminines, le groupe suédois Mölnlycke a racheté Nana en France, qui a ensuite rejoint la marque scandinave Libresse.

Face à une situation disparate due à un portefeuille de marques peu homogène, les entreprises regroupent les marques autour d'un même positionnement. Cette approche peut revêtir deux formes :

Dans la première, l'entreprise change le nom de la marque locale en lui substituant celui de sa propre marque. Pour lancer Laboratoires Garnier en Allemagne, L'Oréal a racheté une marque locale renommée, Dralle, qui distribuait un produit appelé Beauty. En 1995, cette gamme a été relancée sous le nom d'Ultra-Beauty de Dralle, avec la signature des Laboratoires Garnier en petits caractères sur l'emballage. Il a ensuite été aisé de faire entrer « en douce » sur ce marché Ultra-Doux ou Ultra-Rich, célèbres produits Garnier, suivis ensuite de toute la gamme des produits Ultra. A terme, Dralle était appelé à disparaître complètement. De même, actuellement, le groupe Bel transfère la marque allemande Adler (symbolisée par un aigle) en Vache qui Rit.

Avec la deuxième stratégie, l'entreprise conserve les actifs de la marque locale liés à son nom. Ainsi les unités de production de General Motors s'appellent-elles Vauxhall en Grande-Bretagne et Opel dans le reste de l'Europe. *

L'article de Jean-Noël Kapferer reprend quelques passages de son ouvrage « Les Marques. Capital de l'entreprise », 3e édition : « Créer et développer des marques fortes ». Septembre 1998, les Editions d'Organisation, Paris.

JEAN-NOËL KAPFERER, professeur de stratégie marketing au Groupe HEC, est une autorité internationale reconnue dans le domaine des marques et de leur management. Il est régulièrement consulté par les entreprises européennes et américaines.

Les différentes cultures du yaourtStratégies de marque transeuropéennes.

Tout porte à croire que le yaourt nature Danone peut être vendu de la même façon à tous les Européens. Et qu'il en va de même pour le yaourt aromatisé Danone Kid ou pour le yaourt Bio. Or, en dépit des apparences, le yaourt fournit un parfait exemple de non-transversalité d'une marque : il est impossible d'adopter une politique de marketing unique pour tous les pays. Cela s'explique par l'histoire des marchés nationaux.

En France, le marché reste marqué par l'époque où le yaourt était considéré comme un produit de santé et vendu exclusivement en pharmacie (tout comme l'eau minérale). La plupart des jeunes consommateurs ignorent ce fait historique qui affecte pourtant profondément la culture du marché français. Le produit de référence, le produit « basique », en fonction duquel toutes les variantes sont déclinées, est ainsi le yaourt nature, symbole de bonne santé. Les yaourts aux fruits ou aromatisés ne sont apparus que plus tard.

Dans les pays anglo-saxons, en revanche, où il n'existe pas de lien historique entre le yaourt et la pharmacie, le produit basique original était le yaourt maigre aux fruits. Le marketing était donc associé à l'idée d'un plaisir qui pouvait particulièrement être apprécié par les adultes. En Grande-Bretagne, le yaourt aromatisé (sans fruits) est une forme inférieure du yaourt, un produit bas de gamme. Le yaourt nature est perçu comme un yaourt aux fruits sans les fruits et sans le plaisir : un produit adapté uniquement aux régimes.

En Espagne et au Portugal, grands pays producteurs de fruits, le yaourt aux fruits n'est pas le produit de référence. Le yaourt aromatisé constitue le principal segment de marché. Il est consommé aussi bien par les enfants que par les adultes : c'est un produit familial. Il n'a, de ce fait, pas de « prénom », c'est-à-dire de nom de produit ciblé particulièrement sur les enfants (comme le Kid de Danone).

En Italie le produit de référence est le yaourt à la pulpe de fruits. Le yaourt aromatisé est positionné sur le segment des très jeunes enfants.

Le yaourt aromatisé est perçu dans l'Hexagone comme un yaourt nature doublé d'un additif. La logique de santé prévaut, comme l'atteste le slogan : « Petit à petit on devient moins petit. » Et pour souligner cette promesse et se démarquer de la concurrence, Danone a décidé de donner un prénom à ce yaourt, Kid, qui évoque un enfant en pleine croissance.

En France, Bio est considéré comme le symbole de la renaissance du yaourt nature, vecteur de santé puis de

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plaisir. En Grande-Bretagne, Bio a été le premier yaourt à mettre la blancheur et l'aspect santé du yaourt en valeur.

Seul Yop traverse les frontières. Positionné sur le segment des adolescents autour du concept de la liberté, tout comme un soft-drink, Yop fait l'objet d'un spot publicitaire qui fonctionne bien dans tous les pays, à condition, bien entendu, que les consommateurs sachent ce qu'est le yaourt à boire.

Les stratèges dans la toile d'araignéeDu choix de la stratégie de mondialisation dépend le succès. Une sélection rigoureuse des marchés cibles et une bonne compréhension de l'évolution de l'environnement économique constituent des facteurs de réussite fondamentaux.

Quand le débat sur les stratégies mondiales a commencé, au début des années 80 (lancé notamment par Ted Levitt, de la Harvard Business School), les entreprises se sont partagées entre deux écoles de pensée dominantes.

Dans la première, on trouvait les ardents partisans de la mondialisation, partageant la thèse de Levitt sur la convergence des marchés. Dans l'autre se regroupaient les sceptiques, pour qui les marchés de la planète présentaient encore trop de disparités et nécessitaient donc une approche multilocale.

Aujourd'hui, le débat ne porte plus sur la nécessité d'adopter une stratégie mondiale mais a laissé la place à une discussion sur la nature de la stratégie la plus appropriée.

De plus en plus d'entreprises internationales demandent à leurs « business units » de poursuivre des objectifs stratégiques planétaires leur confiant donc des missions à l'échelle mondiale. Beaucoup d'entre elles ne veulent plus maintenant que des business units ayant une position stratégique en pointe sur les marchés mondiaux. Elles affectent l'ensemble du marché mondial à une entité unique et ne procèdent plus à la répartition des responsabilités par pays ou par régions. C'est ce qu'ont fait des entreprises telles qu'ICI, Philips, Siemens, ABB, Novartis ou General Electric. Un nombre croissant de managers se trouvant investis d'une mission mondiale, le débat sur la stratégie à adopter est désormais primordial.

Nous examinerons ici les stratégies de mondialisation classiques en insistant sur leur intérêt pour les « métiers », et non pour l'entreprise dans son ensemble.

Si la liste qui suit ne reprend pas l'ensemble des configurations possibles, elle traite néanmoins des stratégies les plus courantes.

Stratégies de métier

Dans ce que nous appellerons une « stratégie mondiale intégrée de métier », une entreprise mondialise complètement l'ensemble de ses fonctions, processus, produits... Avec comme postulat de base une forte ressemblance des marchés et des clients partout dans le monde. Rares sont les entreprises à adopter une telle stratégie. Coca-Cola en est un exemple notoire.

La plupart des stratégies n'impliquent en réalité qu'une mondialisation partielle : certains des éléments de l'activité sont mondialisés, alors que les autres sont adaptés à l'environnement local. On en recense plusieurs types :

* Stratégie mondiale par secteur d'activité. L'entreprise exige seulement de ses unités opérationnelles de rester dans le même secteur d'activité. Cette approche permet de tirer le maximum de bénéfices de l'efficacité opérationnelle et de la capacité d'apprentissage de la firme. Les domaines tels que le choix de segment, les produits et les communications ne sont pas globalisés.

* Stratégie mondiale par segment de marché. L'entreprise cible un segment de marché donné dans toutes les régions. Cette stratégie tend à utiliser l'expérience comme un levier sur des segments homogènes présents sur tous les marchés importants.

* Stratégie mondiale par client. Cette stratégie s'articule autour de clients précis, pour un service ou un produit à distribution mondiale. Le secteur des services financiers privilégie souvent cette solution (par exemple, Citibank pour sa clientèle d'entreprise, Deloitte Touche Tohmatsu dans le secteur de l'audit et du conseil).

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* Stratégie mondiale par fonction. Une fonction entière, telle que le marketing ou la recherche-développement, est mondialisée. La mondialisation partielle est ici la norme. Avec le marketing, par exemple, une entreprise aura le choix entre les options suivantes :

- Une stratégie mondiale de produit : un produit fortement standardisé est proposé partout dans le monde. On peut citer l'exemple des appareils photo ou des pneumatiques.

- Une stratégie mondiale de marque : l'entreprise utilise le même logo ou nom de marque sur l'ensemble des marchés. Daimler-Benz applique cette stratégie pour sa marque Mercedes.

- Une stratégie mondiale de publicité, qui peut être associée à une stratégie mondiale de marque ou articulée autour de marques différentes.

Comprendre les logiques

Le choix d'une stratégie est lourd de conséquences. En effet, si l'entreprise ne va pas assez loin dans la mondialisation, elle ne parviendra pas à faire jouer toutes les synergies potentielles. Si, au contraire, la stratégie va trop loin, il en résultera des pertes d'économies d'échelle.

Le concept de logique mondiale peut aider les managers dans leur choix. Une logique mondiale irrésistible est un facteur inhérent à une activité ou à un secteur donnés qui force toutes les entreprises de ce secteur à adopter un même type de stratégie.

D'une certaine façon, les logiques mondiales sont des mesures de l'activité d'une entreprise et indiquent l'importance de la pression mondiale à laquelle elle est confrontée. Les plus courantes sont énumérées ci-dessous :

* Logique mondiale de client. Partout dans le monde, les clients exigent d'un produit un avantage ou une fonction identiques.

* Logique mondiale d'approvisionnement. Elle dépend de la sphère d'approvisionnement du client, qui peut être locale, régionale ou mondiale.

* Logique mondiale de concurrence. Une entreprise constamment confrontée aux mêmes concurrents évolue dans une arène concurrentielle globalisée. L'industrie automobile, notamment, obéit à cette logique.

* Logique mondiale d'industrie. Elle prévaut dans des secteurs tels que la brasserie, le ciment et les télécommunications, où les facteurs de réussite sont similaires partout dans le monde.

* Logique mondiale de taille. L'entreprise doit procéder à un investissement fixe, indépendant du nombre de pays où sera distribué le produit. L'industrie pharmaceutique en est un bon exemple : le développement et le lancement d'un nouveau médicament se chiffrent en effet à près de 250 millions de dollars. Peu de marchés peuvent garantir, à eux seuls, une rentabilité à la mesure d'un tel investissement : la mondialisation devient alors indispensable.

* Logique mondiale réglementaire. On constate une tendance à l'homogénéisation des réglementations sur la planète. C'est le cas dans l'industrie pharmaceutique avec la mise en place d'un système paneuropéen d'homologation pour les médicaments.

Pression concurrentielle

Les résultats des évaluations des logiques mondiales doivent être rassemblés dans une même matrice pour que la stratégie appropriée apparaisse clairement.

Dans un diagramme dit en « toile d'araignée », les divers types de logiques mondiales sont représentés par des rayons émanant du centre d'un cercle. Le niveau de pression mondiale est porté sur chacun des rayons : plus le point est éloigné de ce centre, plus la logique concernée est prononcée. En reliant alors tous les points, on crée une « toile d'araignée » plus ou moins régulière. Une toile large est le signe d'une pression globale intense.

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Il est important de repérer les points extrêmes qui indiquent les types de logiques mondiales où la pression est la plus forte. Des niveaux de pression différents commandent des stratégies différentes.

Les entreprises confrontées à une logique de client mondial extrême peuvent réagir en adoptant des stratégies mondiales de produit ou de communication. Quand la logique d'approvisionnement est forte, il convient d'adopter une gestion mondiale prudente des comptes client, des stratégies centrées sur le client et un management serré de la politique de prix.

La logique mondiale de concurrence nécessite une coordination renforcée de la politique concurrentielle, ce qui a généralement des répercussions marquées sur la planification stratégique. Les entreprises évoluant dans une logique mondiale industrielle forte pourront avoir intérêt à opter pour une stratégie mondiale par secteur d'activité afin de capitaliser sur leur savoir-faire.

Dans le contexte d'une forte logique mondiale, les entreprises sont souvent placées devant l'obligation d'accaparer de vastes marchés : une présence mondiale devient alors un élément stratégique central. Enfin, la logique réglementaire recommande l'utilisation d'un effet de levier par le biais d'une stratégie mondiale par secteur ou même par fonction.

Les toiles d'araignée varient beaucoup suivant les entreprises. La forme du diagramme peut même différer d'un segment à l'autre pour une même activité mondiale, ce qui appelle théoriquement une série de stratégies différentes. Ce qui est souvent difficile si un métier clef dicte sa stratégie et si l'organisation est rationalisée en conséquence. Les segments ou les métiers dont la logique mondiale exige une stratégie différente sont alors entravés dans leur développement.

Une bonne analyse de la logique mondiale requiert une bonne compréhension des dynamiques de l'environnement économique. Pour cela, il faut rester tourné vers l'avenir et comprendre la façon dont la logique mondiale peut évoluer.

Un nouvel environnement concurrentiel induit, par exemple, par une fusion importante peut, du jour au lendemain, transformer une logique faible en logique impérieuse. Il est donc nécessaire de comprendre comment va évoluer la toile pour garantir un bon choix stratégique.

Evaluer les opportunités

Une fois identifiée la stratégie mondiale appropriée, les business units se posent invariablement la question : « Dans combien de pays devons-nous être présents ? » Une interrogation des plus pertinentes à une époque où tant de marchés sont ouverts à la concurrence mondiale. Par le passé, il allait de soi que la plupart des entreprises se devaient de poursuivre une stratégie incluant l'Amérique du Nord, l'Europe et le Japon. Les marchés cibles potentiels comprennent désormais les principales régions d'Europe, l'Amérique du Nord, l'Asie-Pacifique et, de plus en plus, l'Amérique latine. Il y a près de 200 marchés ou territoires envisageables, et peu d'entreprises peuvent y être présentes partout.

Les nouveaux impératifs stratégiques ont des conséquences sur le processus de sélection des marchés cibles. Si, par le passé, la stabilité économique, la croissance, la consommation par habitant et quelques indicateurs qualitatifs pouvaient suffire, les nouvelles données du jeu de la concurrence obligent aujourd'hui de plus en plus à considérer le monde comme un « échiquier mondial ». Cet échiquier comprend tous les marchés potentiels, chaque pays étant pris en compte non pas en fonction de sa superficie, mais de son importance économique. Si le PIB peut parfois servir d'unité de mesure, la plupart des entreprises savent qu'il leur faut maintenant utiliser d'autres unités pour réussir à exploiter une opportunité mondiale.

Pour une entreprise d'agroalimentaire comme Nestlé, le nombre d'habitants peut être un critère pertinent. Pour les activités de transport d'ABB et de Siemens, le nombre de kilomètres de voie ferrée sera sans doute un meilleur indicateur de la taille du marché.

L'échiquier mondial est un concept dynamique, les événements politiques et économiques affectent constamment la taille de chaque marché. La montée en puissance d'un investissement prenant souvent plusieurs années, les décideurs doivent s'efforcer de prévoir la configuration future de l'échiquier. On étudiera de près les tendances des différentes économies.

Après avoir établi la carte des marchés mondiaux au moyen d'une unité de mesure adaptée à leurs besoins, les

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entreprises doivent considérer la taille comme un indicateur clef pour identifier les « marchés à conquérir absolument ».

Les entreprises devront déterminer les pays clefs où elles doivent être présentes pour gagner au niveau mondial. Dans la plupart des cas, cela représente entre douze et quinze marchés possibles. Pour les entreprises soumises à une logique mondiale forte, la mesure de la part de marché mondiale revêt alors une importance fondamentale, ce qui les pousse vers des marchés à grand volume.

Ces marchés et leur importance relative ont changé : des pays comme la Chine, l'Inde ou encore l'Indonésie occupent aujourd'hui le devant de la scène, alors que les marchés européens plus petits mais très développés se sont marginalisés. *

Cet article est inspiré de l'ouvrage de l'auteur « Global Marketing Strategies », 4e édition, avec David H. Hennessey, Houghton Mifflin, 1998.

Les nouvelles données du jeu de la concurrence obligent de plus en plus à considérer le monde comme un « échiquier mondial ». Le débat ne porte plus aujourd'hui sur la nécessité d'adopter une stratégie mondiale, mais sur la nature de la stratégie la plus appropriée. (C) John Levy/AFP

JEAN-PIERRE JEANNET est professeur de stratégie et de marketing à l'IMD, ainsi que professeur de gestion internationale et directeur du W. F. Glavin Center for Global Entrepreneurial Leadership du Babson College, aux Etats-Unis. Ses recherches portent notamment sur la mondialisation, la stratégie de marketing et la stratégie des business units.

Conclusions sur les stratégies mondiales de l'avenirLa voie traditionnelle consistant à lancer d'abord une stratégie au niveau national pour l'appliquer ensuite à d'autres marchés est désormais dépassée. A l'avenir, un facteur de réussite fondamental sera l'adoption d'un état d'esprit mondial reposant sur une compréhension de la multiplicité des stratégies possibles, sur une évaluation des logiques mondiales pertinentes ainsi que sur une anticipation des opportunités offertes par le marché planétaire.

Toutes les entreprises vont se trouver confrontées à ces exigences. Il leur faudra prendre rapidement les mesures nécessaires pour former une génération de managers capables d'aborder les nouvelles opportunités avec un état d'esprit mondial. Ce n'est qu'à ce prix qu'une firme peut espérer voir se réaliser ses ambitions planétaires.

CHAPITRE 2

Tirer profit d'une présence mondialeTransformer une présence mondiale en avantage compétitif exige de savoir profiter des opportunités de création de valeur et relever les défis qui en découlent.

Une présence mondiale ne donne pas automatiquement un avantage compétitif. Par exemple, au début des années 90, PepsiCo s'était fixé l'objectif ambitieux de multiplier par plus de trois son chiffre d'affaires à l'international dans les boissons non alcoolisées, pour passer de 1,5 milliard de dollars en 1990 à 5 milliards de dollars en 1995. Fonçant droit vers cet objectif, Pepsi avait développé vers le milieu des années 90 une forte implantation internationale. Cependant, cette expansion mondiale ne s'est pas traduite en termes de croissance et de rentabilité. En fait, Pepsi s'est retiré en 1997 de certains marchés importants comme l'Afrique du Sud et a enregistré dans son secteur des boissons une perte de près de 1 milliard de dollars sur ses opérations internationales. Alors que le marché mondial des boissons poursuivait une expansion rapide, la part de marché à l'international de Pepsi et son chiffre d'affaires diminuaient, situation totalement opposée à celle de Coca-Cola, en situation de croissance agressive.

Transformer une présence mondiale en avantage compétitif exige que l'entreprise sache à la fois profiter des opportunités de création de valeur engendrées par une présence mondiale et relever les défis qui en découlent. Cet article identifie ces opportunités et propose un cadre d'analyse et d'action.

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Quatre principales sources d'avantage compétitif global sont énumérées dans la figure 1 et débattues ci-dessous.

Marchés locaux : s'y adapter

Lorsqu'une entreprise est présente dans de nombreux pays, elle doit réagir à des marchés différents, en adaptant ses produits, services et process à l'environnement local. Baskin-Robbins propose, par exemple, de la glace parfumée au thé vert au Japon, et en Inde McDonald's vend des hamburgers à base d'agneau, et non de boeuf.

Ce type d'adaptation nécessaire peut entraîner trois avantages importants pour une entreprise :

* Une plus grande part de marché. Proposer des produits normalisés dans tous les pays limite le marché aux seuls clients dont les besoins sont satisfaits par ces produits. Par conséquent, l'adaptation à l'environnement local élargit le marché en conquérant des clients dont les besoins sont mieux satisfaits par des produits adaptés.

* Réalisation de meilleurs prix. Adapter un produit augmente la valeur apportée au client et justifie donc des prix plus élevés.

* Une pression sur la concurrence locale. L'un des avantages naturels de la plupart des concurrents locaux réside dans leur profonde compréhension du marché local et dans leur réactivité ciblée aux besoins de ce dernier. Lorsqu'une entreprise mondiale adapte ses produits et services pour répondre aux attentes et aux besoins locaux, elle attaque donc directement les concurrents locaux sur un terrain où ils disposent d'un avantage potentiel.

Pour cueillir les fruits de cette adaptation locale, les dirigeants doivent :

- Trouver un juste équilibre entre l'adaptation à l'environnement et la structure des coûts. Même si ce n'est pas toujours le cas, l'adaptation à l'environnement local des produits et services entraîne souvent une structure de coûts plus élevés pour l'entreprise.

- Savoir apprécier lorsque l'adaptation n'est pas nécessaire. Dans certains cas, l'adaptation locale peut avoir un effet négatif sur l'accueil du public. Par exemple, quand la chaîne américaine de restaurants TGI Friday est entrée sur le marché sud-coréen, elle a mis de nombreux plats locaux, comme le kimchi, sur sa carte. L'analyse des raisons de la performance médiocre de TGI Friday en Corée du Sud a montré que, en se rendant chez TGI Friday, les clients s'attendaient à faire une « escapade en Amérique » et qu'ils étaient déçus en trouvant des plats locaux familiers sur le menu.

Economies d'échelle

Une entreprise disposant d'une présence mondiale bénéficie d'une plus grande base d'opérations (plus de chiffre d'affaires, plus d'actifs, etc.). Ce qui peut entraîner un avantage compétitif si l'entreprise met systématiquement en oeuvre certaines mesures difficiles mais nécessaires afin de transformer cette plus grande base en économie d'échelle. Exploiter les économies d'échelle peut présenter de nombreux avantages :

* Répartition des coûts fixes sur un plus grand volume. De manière générale, cet avantage est plus significatif dans des activités comme la recherche-développement (R&D) et la publicité. Merck, par exemple, peut répartir ses coûts de R&D sur le volume global de ses ventes et ainsi réduire ses coûts de développement par unité.

* Réduction des coûts d'exploitation et de capital par unité. Cet avantage est lié au fait que si l'on double la capacité d'une unité de production, son coût de construction ne croît en général pas dans la même proportion.

* Mise à profit d'un pouvoir d'achat global face aux fournisseurs. Dès qu'une entreprise à caractère mondial concentre son pouvoir d'achat sur un fournisseur particulier (comme Marriot pourrait le faire avec PepsiCo), elle peut généralement bénéficier de remises sur le volume et de coûts de transaction inférieurs.

* Création d'une masse critique sur certaines activités. Une plus grande échelle fournit l'occasion aux entreprises internationales de mettre en place des centres d'excellence pour le développement de technologies et/ou de produits.

Ces avantages ne se matérialisent presque jamais de façon automatique. La concentration géographique des installations et des activités dans le but d'obtenir des économies d'échelle suppose de résoudre plusieurs

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questions pour pouvoir bénéficier de ces avantages. Les dirigeants doivent notamment :

- Pondérer les avantages d'une concentration face aux coûts plus élevés de transport et de droits de douane. Les entreprises sont appelées à exporter des produits manufacturés vers de nombreux marchés et auront des coûts supplémentaires dont il faudra se souvenir au moment du choix d'un site d'implantation.

- Assurer une coordination sans faille. L'éloignement des opérations de fabrication par rapport aux marchés cibles pose le risque d'une réactivité inadaptée ou trop tardive à leurs besoins, sauf à avoir des opérations parfaitement coordonnées.

- Etablir des compétences de niveau mondial dans le ou les lieux où les activités seront concentrées. Une entreprise devient dépendante de la ou des implantations où se concentrent les activités. Une telle concentration peut provoquer un désordre complet plutôt qu'un avantage compétitif global si des compétences de tout premier niveau n'y sont pas développées.

Les meilleurs sites

Toute entreprise exécute un certain nombre d'opérations au long de sa chaîne de valeur, comme la recherche-développement, la fabrication, le marketing et la distribution. Disposer du site optimal pour chacune de ces activités peut apporter trois avantages stratégiques :

* Amélioration de la performance. La décision de Microsoft d'installer un laboratoire de recherche à Cambridge, en Grande-Bretagne, est un bon exemple de choix de site d'implantation guidé presque exclusivement par l'objectif d'atteindre un niveau d'excellence mondial dans une activité choisie.

* Réduction des coûts. La décision de Nike de fabriquer les chaussures de sport dans les pays asiatiques comme la Chine, le Vietnam et l'Indonésie est un exemple de choix de site basé avant tout sur des considérations de réduction des coûts de fabrication.

* Réduction des risques. La concurrence sur les prix entre Caterpillar et Komatsu s'est principalement jouée sur l'ingéniosité dont l'un et l'autre pouvaient faire preuve dans la gestion des fortes fluctuations des taux de change notamment entre le dollar et le yen. Pour ces concurrents, l'une des façons de gérer le risque de change est de répartir sur certains sites soigneusement sélectionnés les opérations de fabrication les plus coûteuses.

Afin que le choix d'un lieu d'implantation engendre un avantage compétitif global, les dirigeants doivent :

- S'assurer que les avantages liés au site ne soient ni dilapidés ni annulés par la concurrence, en raison d'une mauvaise productivité ou d'une qualité médiocre des opérations internes. Le choix d'un site qui semble optimal peut uniquement garantir que la qualité et le coût des facteurs de production seront optimaux. L'expertise managériale est nécessaire pour transformer ces ressources en produits à valeur ajoutée.

- S'assurer que le choix d'implantation pris aujourd'hui n'enlève pas la souplesse nécessaire à l'entreprise pour transférer son site à l'avenir, en cas de besoin. Pour une activité donnée, le site optimal aujourd'hui peut ne plus l'être dans trois ans. Les pays évoluant avec le temps, à des rythmes différents et dans des directions différentes, les facteurs de production peuvent devenir moins chers et/ou de meilleure qualité ailleurs. Par conséquent, si l'entreprise mondialisée est toujours à l'affût du site optimal, elle doit rester « sans attaches ».

- Disposer d'une excellente coordination entre les sites dispersés. Les meilleurs sites ne seront généralement pas les mêmes pour toutes les ressources et toutes les activités. Une bonne coordination est donc nécessaire.

Transfert de connaissances

Afin d'exploiter les ressources ou les opportunités des marchés locaux, toute filiale doit se constituer un savoir spécifique. Certaines de ces connaissances peuvent être utiles dans d'autres pays et sont susceptibles d'entraîner des avantages si elles sont efficacement transférées :

* Innovation plus rapide de produits et de process. Dans toute innovation, il est nécessaire d'intégrer de nouvelles idées. Celles-ci sont soit produites en interne, soit « importées ». Si une entreprise est performante dans le transfert des connaissances entre ses filiales, ces dernières pourront profiter des innovations de leurs sociétés soeurs. Whirlpool a, par exemple, mis au point un réfrigérateur sans chlorofluorocarbones à faible consommation

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électrique dans lequel on avait incorporé une technique de compresseurs issue des unités brésiliennes, une technologie d'isolation provenant des filiales européennes ainsi que le savoir-faire des unités des Etats-Unis dans la conception et la fabrication.

* Innovation à prix réduits. Une autre conséquence, si l'on s'abstient de réinventer la roue, tient aux économies considérables en matière de coûts d'innovation. Par exemple, le système très performant de distribution basé sur les états des stocks mis au point par les unités indiennes de Richardson Vicks a trouvé une application directe dans les activités de l'entreprise en Chine et en Indonésie. La réplique transfrontalière de telles innovations coûte beaucoup moins cher que de tout réinventer.

* Risques réduits de se faire devancer par les concurrents. Une entreprise mondialisée court le risque de devenir la source d'idées nouvelles pour ses concurrents si, tout en exigeant des innovations constantes de ses filiales, elle ne transfère pas efficacement ces innovations vers ses filiales. Le transfert de connaissances entre filiales réduit considérablement le risque d'être devancé par la concurrence.

La plupart des entreprises n'utilisent qu'une petite partie de la valeur économique potentielle inhérente au transfert des connaissances au-delà des frontières. Afin de profiter de tout ce potentiel, les dirigeants doivent :

- S'assurer que les filiales sont désireuses de partager leurs savoirs. Il en restera toujours quelques-unes pour lesquelles un savoir-faire précieux représente une monnaie d'échange permettant d'obtenir ou de garder un certain pouvoir politique au sein même de l'entreprise. Par la suite, nous proposerons des mécanismes pour encourager au partage.

- Inciter les entreprises à apprendre de leurs pairs. A l'instar du syndrome « le savoir égale le pouvoir » cité plus haut, le syndrome du « pas inventé ici » touche de nombreuses organisations. Il est renforcé par certains dirigeants qui bloquent une information susceptible de faire penser que d'autres sont plus compétents. Les luttes de pouvoir peuvent aussi amener certains managers à prétendre que le savoir-faire des autres unités n'est ni unique ni précieux. Là encore, des mécanismes pour contrecarrer ce type d'attitude seront proposés par la suite.

- Concevoir et établir des passerelles efficaces permettant le transfert de connaissance (notamment pour le savoir tacite) entre les filiales. Beaucoup de connaissances précieuses reposent dans les têtes, dans les schémas de comportement ou dans le savoir-faire d'individus ou d'équipes ; par exemple, la vision du développement futur d'une technologie donnée ou les compétences pour gérer les comptes clients internationaux. En déployant efforts et investissement, il serait possible d'organiser et de codifier une partie de ce savoir tacite.

Cadre d'analyse et d'action

Nous avons examiné les quatre grandes possibilités de création de valeur dont seule l'entreprise mondiale peut bénéficier. Pour transformer ces possibilités, la société doit optimiser sa structure et son management sur une base globale, pour chacune des fonctions dans sa chaîne de valeur, telles que la R&D, la fabrication, la vente et le service après-vente.

La figure 2 propose, à l'aune de trois dimensions essentielles, un cadre d'évaluation de la meilleure organisation globale pour chacun des maillons de la chaîne de valeur. En se fondant sur cette évaluation, l'entreprise doit concevoir et mettre en oeuvre des actions pour éliminer ou du moins réduire celles qui ne sont pas les meilleures.

* Concevoir une organisation optimale. Pour chacune des activités dans la chaîne de valeur, l'organisation doit englober les trois considérations suivantes :

- Le nombre de sites où l'activité sera menée

Il s'agit de garantir une exploitation maximale des économies d'échelle et permettre d'atteindre la masse critique dans chaque site.

- Le choix des sites

Il s'agit d'optimiser la compétitivité des activités en termes de qualité et de coûts et de réduire les risques politiques, économiques et de change associés.

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- Une « charte » pour chaque site

Elle vise à éliminer les doubles emplois inutiles entre les sites.

Trois organisations habituelles sont présentées ci-dessous :

* Etablir des compétences de niveau mondial. Pour profiter pleinement de la mise en place d'une architecture optimale, l'entreprise doit absolument établir dans chaque site les compétences requises. L'expérience a montré qu'une entreprise peut souvent implanter sa production dans un pays où les coûts salariaux sont faibles tout en obtenant des niveaux de productivité et de qualité de premier rang. Motorola et Siemens l'ont fait tous les deux en Chine.

* Assurer une coordination mondiale. Les dirigeants doivent promouvoir la coordination du réseau global entre les unités qui mènent les mêmes activités (par exemple, deux laboratoires de R&D, ou deux centres de production) et entre les unités menant des activités complémentaires (entre les unités de fabrication et d'approvisionnement, par exemple, ou encore entre la fabrication et le marketing). Ils doivent également permettre le transfert de connaissances et de compétences entre les sites.

Pour atteindre cet objectif, le management doit susciter la motivation, voire l'empressement des dirigeants des diverses filiales à coopérer et mettre en place les mécanismes qui rendent possible une telle coopération.

Certains mécanismes sont très efficaces pour créer ce désir de coopérer parmi les dirigeants travaillant dans différentes filiales et notamment :

- Un système d'incitations qui conditionne au moins une partie des primes d'un directeur de filiale aux performances régionales ou globales de l'entreprise. Procter & Gamble, par exemple, tient compte à la fois des performances nationales et de celles réalisées sur le plan régional dans le calcul annuel des primes d'incitation des directeurs nationaux.

- Accorder une forte visibilité aux individus qui obtiennent d'excellents résultats grâce à leur collaboration avec d'autres filiales. Procter & Gamble fait ainsi connaître comme « modèles de réussite » les managers qui ont montré leur volonté et leur capacité à réussir une coordination transfrontalière.

Les mécanismes suivants rendent la coopération possible :

- Des règles et procédures formelles favorisant la communication. Par exemple, l'utilisation de formats standards pour les rapports, de terminologie et de langue communes ou encore la distribution régulière de rapports aux responsables concernés. Le système Abacus d'Asea Brown Boveri est un parfait exemple de système formel de communication efficace.

- La mise en place d'équipes mondiales/régionales, de conseils fonctionnels et de comités permanents pour permettre aux dirigeants clefs de plusieurs filiales de communiquer régulièrement entre eux, face à face. Les « category teams » transfrontaliers de Procter & Gamble sont un exemple de forum de coordination efficace.

- Investir pour que les dirigeants des diverses filiales apprennent à se connaître et à se faire mutuellement confiance. On peut y parvenir en réunissant, par exemple, des managers de plusieurs filiales dans des programmes de développement des dirigeants, en organisant une rotation entre les sites et en favorisant l'apprentissage des langues afin que ces rencontres soient productives. *

VIJAY GOVINDARAJAN est professeur de commerce international à l'Amos Tuck School of Business Administration du College Dartmouth. Consultant de réputation mondiale, il travaille à un ouvrage intitulé "The Quest for Global Dominance" en collaboration avec Anil K. Gupta.

ANIL K. GUPTA est professeur de stratégie et de commerce international au College Park, université du Maryland.

   

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L'ère de l'hyperconcurrenceL'incessante course à l'innovation, le cycle de vie raccourci des produits, la généralisation d'une stratégie agressive de prix et de compétences ont changé les règles du jeu de la concurrence et favorisé l'émergence d'une nouvelle génération d'entreprises audacieuses.

RICHARD A. D'AVENI

Depuis le début des années 80, un changement profond de la nature de la concurrence déstabilise peu à peu les industries et les économies nationales. Dans cette nouvelle ère de l'« hyperconcurrence », de nouveaux venus nationaux et étrangers pénètrent sur les marchés avec une férocité telle qu'ils renversent les oligopoles nationaux et les leaders bien établis dans leur secteur. Pour citer un exemple, des sociétés telles que Microsoft, Intel, Compaq ou Dell ont réussi à battre en brèche le bastion IBM, autrefois invincible.

L'hyperconcurrence est caractérisée par une rivalité sans cesse croissante, qui peut prendre la forme d'une course à l'innovation, d'un raccourcissement du cycle de conception et de vie des produits, d'une compétition fondée sur une stratégie de prix et de compétence agressive ou d'une nouvelle approche du service offert aux clients.

Les « hyperconcurrents » se livrent une lutte sans merci pour se repositionner et laisser leurs adversaires sur la touche. En étant « orientés client », en faisant de leurs fournisseurs des partenaires et en s'attaquant de front à leurs rivaux, ces hyperconcurrents qui jouent sur une scène mondiale bouleversent les normes et les règles établies par les oligopoles nationaux.

Dans ce contexte, l'entreprise doit prendre l'initiative pour gagner. Un hyperconcurrent doit offrir à ses clients un service meilleur que celui de ses rivaux et lancer des actions dont ses concurrents sont incapables et auxquelles ils ne réagiront pas, voire même qu'ils ne comprendront pas.

Si votre entreprise s'en tient à une stratégie défensive au lieu de foncer pour perturber la concurrence, elle se retrouvera tôt ou tard en position de faiblesse. Les jours de l'avantage compétitif durable fondé sur la qualité, les compétences et les barrières à l'entrée sont terminés.

Quatres moteurs

A l'origine de l'hyperconcurrence, on peut identifier quatre grands facteurs, qui ont permis à des entreprises astucieuses d'accéder plus facilement aux marchés ou de changer les règles du jeu qui jusque-là assuraient la domination de leaders inexpugnables.

* Dans le monde entier, les clients exigent une qualité meilleure à moindre prix. Comme aux Etats-Unis et ailleurs, des concurrents étrangers offrant des prix plus bas ont fait leur entrée avec des produits de qualité, pour, dans un deuxième temps, se tailler d'importantes parts de marché.

* L'évolution technologique rapide et la révolution de l'information facilitent la pénétration des marchés.

Du fait de la convergence technologique, les entreprises dans le secteur des télécommunications, de l'électronique grand public, des logiciels et des loisirs voient leurs marchés respectifs s'interpénétrer de plus en plus. Au grand dépit des principaux leaders du secteur bancaire tels que Citibank, les technologies de l'information ont permis, par exemple, au premier constructeur de voitures du monde et au premier opérateur de télécoms de fournir des services financiers tels que les cartes de crédit.

Les technologies de l'information menacent de changer les règles du jeu de la distribution, de la prise des commandes, de la vente et de la fourniture de produits ou de services sur mesure. Cette évolution technologique ébranle des barrières à l'entrée qui étaient insurmontables et protégeaient les leaders dans un pays ou un secteur donné. Elle rend, en outre, obsolètes les savoir-faire qui détenaient de longue date des avantages compétitifs dans la distribution, la vente ou ailleurs.

* Une nouvelle génération de concurrents très agressifs est en train d'émerger.

Grâce aux subventions publiques ou à la création de grandes alliances (comme, au Japon, les « keiretsu » et les associations informelles comparables aux conglomérats « zaibatsu » de l'avant-guerre), des entreprises réussissent à se constituer des ressources financières importantes qu'elles utilisent pour attaquer sur le front de la

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concurrence. Nombre d'entre elles sont prêtes à perdre de l'argent pendant des années uniquement pour entrer sur de nouveaux marchés ou à détruire les places fortes de leurs principaux concurrents pour capturer des marchés dotés d'un potentiel à long terme ou d'une portée stratégique.

* Les politiques des Etats entraînent une disparition des barrières à l'entrée.

Tant que les barrières nationales à l'entrée sont fortes, certains groupes sont à même de réaliser des bénéfices en augmentant leurs prix, car ils jouissent en pratique d'un pouvoir de monopole. S'ils sont les uniques acheteurs d'un produit ou d'un service particulier, ils peuvent faire pression sur leurs fournisseurs pour qu'ils baissent leurs prix. Une quasi-collusion tacite avec leur rivaux prévient toute guerre des prix ou toute autre lutte qui pourrait les forcer à réduire leurs marges.

Désormais, la mondialisation a entraîné une réduction des obstacles tarifaires, et la tendance à la déréglementation et à la privatisation a permis à des concurrents étrangers et nouveaux de perturber des oligopoles établis de longue date. Certains pays, notamment le Japon et les pays européens, ont tenté de limiter l'impact de ces nouvelles tendances par le biais de réglementations ou de mesures fiscales. Ces efforts réussissent à ralentir la percée de l'hyperconcurrence sur certains marchés nationaux, mais ne pourront l'empêcher à terme. Pas plus que les idées, l'évolution technologique ne peut être freinée, sauf à payer un prix élevé. Les pays où règne un déséquilibre des échanges sont en butte à des pressions internationales croissantes pour ouvrir leurs marchés.

Souvent, les marchés protégés deviennent à terme moins compétitifs. C'est ainsi que se développe une économie à deux vitesses, comme en Italie ou au Japon, où certains secteurs sont affaiblis et se retrouvent à la traîne par rapport aux normes de qualité internationales, tandis que d'autres sont hautement compétitifs sur les marchés mondiaux.

On justifie ces inefficacités en arguant de la nécessité de protéger l'emploi, mais, en fin de compte, les consommateurs doivent payer un prix plus élevé pour des produits de qualité inférieure. Au Japon, par exemple, le coût de la vie est artificiellement élevé à cause des prix excessifs de l'immobilier, de systèmes de distribution inefficaces et de produits trop chers dus à un marché intérieur protégé.

Les consommateurs finissent par prendre conscience que le maintien des emplois n'est souvent qu'une excuse pour protéger les oligopoles, les élites fortunées et les administrations publiques qui profitent de l'ordre social existant. En conséquence, même si l'hyperconcurrence n'est pas encore présente partout, la plupart des pays ne peuvent y faire obstacle sans payer un prix social élevé.

Stratégies d'entreprise

Les entreprises hypercompétitives récoltent les fruits de la mutation du marché, car elles ont compris que les règles du jeu ont changé et que les barrières qui autrefois protégeaient les leaders de tel ou tel secteur se sont sensiblement affaiblies.

Dans ce nouvel univers, ce sont les perturbateurs les plus audacieux et les plus rapides qui gagnent. Les vieilles entreprises établies qui s'en remettent à des stratégies défensives telles que les barrières à l'entrée voient généralement leurs efforts condamnés à l'échec.

Dans un monde peuplé d'hyperconcurrents qui détruisent la concurrence classique et envahissent les marchés mondiaux, il devient plus difficile de planifier et d'avoir une vision à long terme. De fait, envisager l'avenir à long terme revient à rouler dans le brouillard avec les pleins phares allumés. La lumière, réfléchie sur les yeux du conducteur, l'éblouit et l'empêche de voir les virages.

Les entreprises qui, pour mettre en oeuvre leur stratégie, se contentent de faire appel aux compétences existantes en les combinant de diverses manières sont souvent piégées par les limites inhérentes à cette démarche. Elle ne discernent pas les nouvelles opportunités lorsque ces dernières sortent du cadre des compétences actuelles - même « modernisées » - et ne résultent pas directement de la situation d'aujourd'hui.

Il faut donc concevoir une nouvelle stratégie en sachant créer la surprise, par exemple en transformant des faiblesses en futurs points forts. L'essentiel n'est pas tant d'exploiter les compétences existantes que de surmonter ses faiblesses. Cela oblige une entreprise à acquérir des compétences nouvelles plus vite et à moindre coût, tout en exploitant ses compétences actuelles en les diffusant rapidement (notamment par le biais de contrats de

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licence).

Le succès de la nouvelle marque Saturn de General Motors, par exemple, s'explique par la capacité de GM à surmonter ses anciennes faiblesses vis-à-vis de Toyota : les voitures Saturn offrent une qualité de niveau mondial, un réseau de concessionnaires proposant un excellent niveau de service et une satisfaction du client meilleure que Mercedes (pour beaucoup moins cher).

Les nouvelles règles semblent à première vue aller à l'encontre du bon sens : dominer ses faiblesses pour les transformer en points forts plutôt que de se concentrer sur ses atouts, diffuser rapidement les compétences, mener une concurrence agressive sur les prix et la qualité au risque de rogner sur les marges, s'attaquer aux points forts des concurrents, ouvrir des brèches dans les barrières à l'entrée, rendre tout avantage compétitif impossible à conserver dans la durée et gagner grâce à une série d'initiatives sur les produits qui ne sont pas entravées par une vision à long terme, contrairement à ce que recommanderaient les responsables de la planification.

Comme ces règles sont en contradiction flagrante avec la logique dominante en matière de stratégie, nombreux sont ceux qui les jugent inacceptables, et c'est là que réside le principal avantage pour l'hyperconcurrent. Lorsqu'une entreprise est perturbée au point qu'elle ne sait plus quoi faire ni pourquoi son concurrent est en train de gagner, elle risque de commettre des erreurs stratégiques en respectant les anciennes règles du jeu ou en attendant de comprendre ce qui se passe avant d'agir.

Aujourd'hui, le seul moyen de gagner de parts de marché et d'accroître la rentabilité totale consiste à perturber les schémas mentaux de l'adversaire en créant la surprise avec rapidité et audace. Plus la confusion chez le concurrent est grande, plus l'hyperconcurrent aura du temps pour réaliser des profits avant d'être rattrapé ou contré.

Les entreprises hypercompétitives ne peuvent conserver leur avantage que tant que la concurrence reste assommée, pétrifiée. Lorsqu'elle réagit, l'hyperconcurrent peut voir son avantage réduit à néant. Ainsi, il ne suffit plus d'être « orienté client » ou de proposer un produit ou un service différencié, voire unique, pour l'emporter, car d'autres peuvent fort bien imiter ces avantages.

Perturber les concurrents ?

Les avantages compétitifs ne sont pas toujours sapés par des attaques directes. Dans de nombreux cas, des compétences perdent leur valeur tout simplement, parce que les tendances du marché ou les initiatives des adversaires les rendent obsolètes.

Ainsi, l'un des moyens d'affaiblir des leaders bien établis consiste à exploiter le changements de situation de la concurrence (voir encadré industrie automobile américaine ci-contre). Pour ce faire, il existe plusieurs possibilités, en agissant soit sur le plan du produit, soit sur celui des facteurs (inputs).

Sur le plan du produit, l'hyperconcurrent peut revoir le prix et la qualité, ou modifier la délimitation du secteur en regroupant ou en dissociant les produits. Sur le plan des facteurs il est possible d'intervenir sur le savoir-faire, sur les compétences ou sur d'autres facteurs essentiels au succès ; on peut également agir sur la quantité de ressources mobilisées pour gagner.

* Perturber le marché du produit

Première option pour modifier le jeu de la concurrence : redéfinir la qualité et l'offrir à un prix inférieur.

Dans l'exemple de l'automobile, on voit que les compétences nécessaires pour construire des véhicules fiables et consommant peu d'essence ne sont plus très utiles, car les goûts des consommateurs ont évolué. Ainsi, peu à peu, la définition de la qualité sur le marché automobile américain a-t-elle évolué : dans les années 60, elle s'incarnait dans de grosses voitures puissantes ; les années 70 privilégièrent une faible consommation d'essence, puis ce fut le tour de la fiabilité dans les années 80, et, enfin, dans les années 90, de la sécurité.

Les acheteurs souhaitent trouver ces caractéristiques dans leur véhicule, qu'il s'agisse d'un modèle de luxe, d'une voiture familiale ou d'un véhicule bas de gamme. Cette évolution des préférences des clients s'explique en partie par les changements démographiques, avec le vieillissement des enfants du baby-boom, devenus parents à leur tour.

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Elle résulte également d'une concurrence active qui a fait baisser les coûts de la sécurité. Le coût d'un Air Bag installé, par exemple, est passé de plus de 1.200 dollars à quelque 100 dollars en moins de cinq ans, du fait d'une réduction agressive des coûts de la part des fabricants d'Air Bag, et de nouvelles méthodes de montage mises en place par les constructeurs.

Deuxième option : modifier la donne et la délimitation d'un secteur en dissociant les produits ou en les regroupant.

Le secteur de la santé est une bonne illustration du regroupement de produits : aux Etats-Unis, les prestataires de soins et les organismes de financement (assurances, mutuelles...) sont en train de fusionner en un seul secteur, ce qui met les compagnies d'assurances traditionnelles dans une position défavorable vis-à-vis de grandes entreprises nationales qui souhaitent maîtriser les coûts de la santé.

Dans d'autres secteurs, un produit ou un service est offert avec l'achat d'un autre. Ainsi, on donne des téléphones mobiles pour vendre les services d'accès aux lignes téléphoniques, ce qui perturbe le marché des fabricants de téléphones qui espèrent réaliser des bénéfices en vendant leur matériel.

Les cas de Microsoft et d'Intel illustrent la dissociation d'un secteur : celui des ordinateurs personnels. Aujourd'hui, ces deux fournisseurs récupèrent une bonne partie de la valeur autrefois créée par les assembleurs de PC.

Ces opérations de dissociation et de regroupement sont souvent simultanées. Dans le secteur des services financiers, par exemple, certaines banques se spécialisent dans les services sans guichet, tandis que d'autres regroupent des services autrefois fournis par les agents de change, les fiscalistes, les compagnies d'assurances et les fonds communs de placement.

* Perturber le marché des facteurs (inputs)

Une première option est de redéfinir le savoir-faire essentiel au succès ou d'accélérer radicalement le redéploiement de nouvelles compétences accumulées dans un autre secteur.

Dell Computer offre un bon exemple d'une entreprise connue qui a remodelé sa chaîne de valeur pour y inclure de nouvelles compétences et augmenter considérablement la valeur offerte aux consommateurs.

Avec sa stratégie de vente directe et de commande via l'Internet ou le téléphone, son système de fabrication de « montage sur commande » et l'externalisation de la fonction livraison, Dell a été en mesure d'offrir des produits sur mesure à des prix nettement inférieurs à ceux d'IBM ou de Compaq, qui, eux, ont conservé une distribution traditionnelle et des systèmes de compétences intégrés verticalement.

Une seconde option consiste à étoffer les ressources qui financent les attaques contre la concurrence.

Autrefois, il était fréquent de voir les entreprises se battre individuellement les unes contre les autres. Aujourd'hui, ce sont des alliances mondiales qui concurrencent d'autres alliances mondiales.

On voit parfois de grandes sociétés attaquées par un « essaim d'abeilles » qui arrivent de toutes les directions à la fois. Sears, par exemple, a été attaqué simultanément par les détaillants discount, les grands magasins haut de gamme, les chaînes de quincaillerie franchisées, les boutiques de proximité traditionnelles et les « category killers » (c'est-à-dire les détaillants spécialisés, tel Toys'R'Us) dans le secteur des jouets, des appareils électriques et de l'électronique grand public.

Ainsi, même de petites entreprises agissant tacitement de concert peuvent conjuguer leurs forces et leurs ressources pour peser efficacement contre des concurrents beaucoup plus grands. *

Chaîne de montage automobile de General Motors. Pour le consommateur américain, dans les années 60 une automobile devait être puissante, les années 70 ont privilégié la faible consommation d'essence, les années 80 la fiabilité et les années 90 la sécurité. (C) Yates/SABA/REA

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La Bourse plébiscite l'hyperconcurrenceAvec l'avènement de l'hyperconcurrence mondiale, les actionnaires désertent les grandes entreprises oligopolistiques pour se reporter sur les sociétés hypercompétitives. Il arrive qu'un secteur entier perde sa valeur, mais c'est l'inverse qui se produit lorsque les hyperconcurrents stimulent la croissance ou qu'une amélioration de la productivité compense largement la baisse des prix.

En 1997 et au début de 1998 aux Etats Unis, par exemple, bien que l'hyperconcurrence ait fait subir une forte pression aux prix, le marché boursier se portait bien et l'économie montrait une belle santé.

Dans un premier temps, l'hyperconcurrence a provoqué de grandes perturbations sociales, mais aujourd'hui de nombreuses sociétés américaines ont su s'y convertir. Ces entreprises, qui offrent des produits ou des services de bonne qualité à bas prix, stimulent la consommation domestique et ont trouvé de nouveaux marchés à l'export, sur lesquels elles sont en mesure de concurrencer des producteurs qui bénéficient d'une main-d'oeuvre moins chère. En conséquence, les Etats-Unis connaissent un phénomène réputé impossible, à savoir une croissance sans inflation.

Une enquête basée sur 200 secteurs et plus de 3.000 entreprises, publiée dans « Organization Science » (mai-juin 1996) par L.G. Thomas de l'université d'Emory, révèle d'ailleurs que le marché boursier américain préfère les entreprises des secteurs où la rivalité entre concurrents est la plus agressive.

Thomas a découvert qu'avant l'irruption de l'hyperconcurrence aux Etats-Unis, la valeur boursière des entreprises diminuait là où la concurrence se renforçait. En revanche, dans les années 80 et 90, la guerre des prix, la lutte pour le développement des produits et la guerre de la publicité ont fait monter la cote des actions, sans doute parce que les entreprises concernées atteignaient un niveau de compétitivité mondiale sans équivalent.

Les grands gagnants de cette évolution sont les entreprises audacieuses et énergiques dotées de ces deux grandes aptitudes que sont la souplesse et la créativité. Elles créent la surprise et sont constamment le moteur des grandes perturbations sur leurs marchés, forçant chacun à réagir. Il semble donc que pour être en sécurité à l'heure de l'hypercompétition, la seule solution consiste à se trouver dans l'oeil du cyclone.

Une stratégie mondiale est rentableKarl Moore et Peter Mason du Templeton College de l'université d'Oxford ont étudié avec Citibank quatre secteurs de l'économie mondiale : les composants automobiles, la chimie, l'agroalimentaire et les produits pharmaceutiques. Ils ont examiné les 50 entreprises leaders de chaque secteur et leurs performances entre 1987 et 1996.

La figure 1 montre le « degré de mondialisation » d'une société sur une échelle pondérée basée sur les actifs étrangers et les ventes à l'international en pourcentage du chiffre total. Dans les quatre secteurs considérés, la mondialisation moyenne a augmenté entre 1987 et 1996.

Les figures 2 et 3 comparent les indices des huit sociétés les plus et les moins internationalisées dans chaque secteur à l'indice mondial « Financial Times »-Standard & Poors. Il est frappant de constater que les performances des entreprises les plus globales dépassent de loin celles des autres. La figure 4 montre les performances dans le secteur des composants automobiles, et identifie l'effet de la mondialisation sous forme d'une courbe en J. La plupart des entreprises internationalisées accusent un choc, mais, après quelques années d'expérience, connaissent une amélioration marquée de leurs performances par rapport à leurs concurrents moins mondiaux. La figure 5 présente les données 1996 dans le secteur des composants automobiles pour différentes régions. Ce sont les entreprises européennes qui profitent le plus de la mondialisation, et les entreprises américaines le moins. Cela s'explique par le fait que les fabricants américains jouissent d'un marché national plus vaste et historiquement protégé, alors que leurs homologues européens sont contraints de s'ouvrir au-delà de leurs marchés nationaux relativement fragmentés.

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Automobile : le changement de donne concurrentielle a joué en faveur des américainsIl fut un temps où les voitures japonaises étaient souvent plus fiables que les véhicules fabriqués par des constructeurs américains. Malgré tout, les constructeurs américains ont su résister au défi japonais et conserver l'essentiel de leur part de marché aux Etats-Unis.

Cela s'explique notamment par un changement des critères de compétitivité. Les consommateurs se sont mis à vouloir une sécurité à bas prix et les constructeurs américains ont su leur donner rapidement ce qu'ils souhaitaient, avec notamment des carrosseries renforcées, des Air Bag, des freins antiblocage. Les Japonais, pour leur part, ont mis longtemps à réagir. Leur système de conception et de fabrication était entièrement axé sur l'amélioration de la fiabilité et la diminution de la consommation d'essence. La sécurité n'était pas au premier plan.

Même Volvo, autrefois leader dans le créneau de la sécurité, s'est laissé prendre au dépourvu. Le constructeur suédois proposait des voitures sûres, certes, mais à des prix beaucoup plus élevés. Ni les constructeurs japonais ni Volvo n'ont su réagir efficacement à l'évolution vers une sécurité accessible à tous.

Autre facteur de premier plan, les fluctuations des taux de change : avec le yen fort des années 90, les coûts de production des usines américaines se retrouvèrent parmi les plus bas du monde.

Apprentissage organisationnel et avantage concurrentielPour beaucoup, l'apprentissage organisationnel apparaît comme la seule source d'avantage concurrentiel à l'échelle mondiale.

Aujourd'hui, pour affronter la concurrence dans le climat d'incertitude et de changement qui caractérise le marché mondial, les organisations doivent développer leur capacité d'apprendre. Aux yeux de nombreux chercheurs et dirigeants d'entreprise, l'apprentissage organisationnel apparaît comme la seule source durable d'avantage concurrentiel à l'échelle mondiale (1). Mais le concept même obéit à des définitions très variables.

Qui plus est, l'analyse de l'avantage concurrentiel relève traditionnellement du domaine de la stratégie, alors que l'apprentissage appartient au champ des ressources humaines. La séparation entre les deux domaines contribue encore à obscurcir le rôle de l'apprentissage dans la compétitivité de l'entreprise.

Nos recherches ont permis de mettre en évidence deux formes distinctes d'apprentissage : l'apprentissage du comment (« learning how ») et l'apprentissage du pourquoi (« learning why »).

* L'apprentissage du comment

Il recouvre les processus visant au transfert et à l'amélioration des compétences et des procédures. Le résultat escompté de cet apprentissage est la capacité d'exécuter une procédure avec précision sans nécessairement en comprendre le pourquoi.

* L'apprentissage du pourquoi

Il s'agit de comprendre le fonctionnement des choses. Une organisation peut développer sa capacité d'apprentissage du pourquoi de manière à pouvoir diagnostiquer des problèmes et expérimenter des approches différentes dans des situations complexes.

Ces deux formes d'apprentissage, du pourquoi et du comment, se retrouvent dans les théories de l'apprentissage. Certains théoriciens dans la lignée de James March définissent l'apprentissage comme l'acquisition et la diffusion de routines. D'autres, en particulier Chris Argyris, de Harvard, et Peter Senge, du MIT, considèrent l'apprentissage comme un processus collectif de diagnostic.

Si la distinction est importante sur le plan conceptuel, les deux approches ne s'excluent pas pour autant. Des personnes occupées à comprendre le pourquoi d'une situation peuvent acquérir des compétences nouvelles au cours de ce processus, compétences pouvant être formalisées et mémorisées par l'entreprise sous forme de routines. De même, l'opérateur qui apprend à se servir d'un nouvel équipement de production peut à cette

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occasion comprendre par déduction les raisons de l'efficacité d'une procédure spécifique.

Il est tentant de postuler que l'apprentissage du pourquoi est une activité supérieure, dans la mesure où il requiert un effort intellectuel plutôt qu'une simple répétition. Mais les deux formes d'apprentissage, du comment et du pourquoi, sont des sources vitales d'avantage concurrentiel pour l'organisation, l'une ou l'autre pouvant revêtir une importance plus ou moins grande en fonction des secteurs d'activité et des conditions du marché.

La recherche d'un avantage concurrentiel n'appelle pas nécessairement un changement radical. Certaines situations exigent une mobilisation efficace des compétences pour répondre à des critères relativement clairs de compétitivité comme l'amélioration de la qualité, des délais ou de l'étendue des services offerts. Dans ce cas, l'avantage concurrentiel sera lié à la capacité d'apprendre comment faire les choses, par exemple pour adopter un nouveau processus de production ou mettre en place un nouveau service.

Dans d'autres situations, en revanche, poser un diagnostic ou évaluer des opportunités de changement sera essentiel pour le succès de l'organisation ; il s'agira alors de comprendre le pourquoi afin de mieux analyser un besoin nouveau du client, d'identifier des barrières comportementales au changement, de diagnostiquer un problème au sein de l'équipe de management ou encore d'élaborer une stratégie d'entreprise novatrice.

Des interactions productives

L'apprentissage du comment implique le transfert et l'amélioration des compétences et des procédures existantes. Les programmes de réduction des erreurs ou d'accroissement de la productivité font appel à ce type d'apprentissage. Intel en offre un exemple saisissant (lire étude de cas ci-dessous).

L'apprentissage du pourquoi favorise l'acquisition d'un avantage concurrentiel dans les situations où il est nécessaire d'établir et de maintenir des relations avec des partenaires.

Les travaux bien connus de Chris Argyris nous en fournissent l'illustration. Il montre en effet qu'il est possible à des individus de comprendre comment leurs propres « représentations » implicites sont en fait à l'origine de certaines difficultés d'ordre managérial qu'ils attribuaient jusque-là à des causes externes. A l'issue de ce processus, les apprenants sont capables de modifier leurs postulats implicites pour avoir des interactions plus productives.

A titre d'illustration, citons les recherches faites par Chrys Argyris auprès de Monitor, importante firme de conseil en stratégie. Dans un ouvrage intitulé « Savoir pour agir » (2), Argyris montre comment Monitor a développé sa capacité de diagnostic des dynamiques interpersonnelles, capacité utilisée aussi bien en interne que lors de collaborations avec ses clients sur des dossiers difficiles.

Pour en savoir plus sur ces nouvelles capacités - et déterminer quelle avait pu en être l'incidence sur l'avantage concurrentiel de Monitor -, nous avons interrogé des dirigeants et des consultants de la firme. Deux thèmes sont ressortis de ces entretiens : une amélioration des relations avec les clients et une plus grande efficacité grâce à une réduction des tensions personnelles internes. Le premier est facteur de différenciation, le second d'amélioration de l'efficacité.

La capacité de comprendre les causes de dysfonctionnement dans les relations avec la clientèle procure deux avantages notables : d'une part, cela permet d'éviter les interactions non productives qui conduisent le client à finalement rejeter des avis pertinents ; d'autre part, il est possible d'apprendre au client à rechercher par lui-même le pourquoi, autrement dit à identifier les facteurs de causalité au sein de sa propre entreprise. Toutes les personnes interrogées ont cependant reconnu que leurs clients ne sont pas tous prêts à accorder une égale importance à ce type d'apprentissage. Certains sont en quête de solutions simples, de recettes faciles à appliquer.

L'aptitude à analyser les causes de tensions personnelles au sein de l'organisation et à expérimenter de nouveaux comportements permet de réduire sensiblement le besoin de faire appel à des consultants. Cette capacité d'apprentissage du pourquoi requiert une forte implication des membres de l'entreprise et un investissement temporel important. Ainsi, la société Monitor a consacré plus de cinq années à sa mise en place, s'assurant par là même une avance que ses concurrents auront du mal à combler.

« Ressource immatérielle »

Lorsque le succès technique (en termes de rapidité, de cohérence, de productivité, de qualité et d'excellence

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produit) est le déterminant de la compétitivité d'une entreprise à l'échelle du marché mondial, la capacité d'apprentissage du comment représente une source importante d'avantage concurrentiel.

Lorsque le succès des relations est le facteur déterminant de la compétitivité d'une organisation ou de son efficacité interne, l'apprentissage du pourquoi est la source primordiale d'avantage concurrentiel.

Il est conseillé aux entreprises de développer ces deux formes d'apprentissage organisationnel. « Savoir comment » est indispensable dans toutes les situations où rapidité d'exécution et qualité sont importantes. « Savoir pourquoi » est crucial pour poser un diagnostic et développer des relations. En termes de compétitivité, le plus important est de savoir quand mettre à profit l'une ou l'autre forme d'apprentissage. Pour une organisation, se doter de la capacité d'exploiter la « ressource immatérielle » appropriée est une étape indispensable pour s'affirmer à l'échelle mondiale comme une organisation apprenante compétitive. *

(1) « Organizational Learning and Competitive Advantage », de Bertrand Moingeon et Amy Edmonson (éd.), Sage, Londres, 1996.

(2) « Savoir pour agir. Surmonter les obstacles à l'apprentissage organisationnel », de Chrys Argyris, avec Bertrand Moingeon et Bernard Ramanantsoa, InterEditions, Paris, 1995.

AMY EDMONDSON est professeur à la Harvard Business School.

BERTRAND MOINGEON est professeur au Groupe HEC et dirige HEC Management (centre de formation continue).

Intel : l'apprentissage du comment en pratiquePour illustrer l'avantage concurrentiel qu'une organisation peut tirer de l'« apprentissage du comment », prenons l'exemple d'Intel Corporation.

Intel, fabricant de processeurs, maintient sa position de leader dans l'industrie informatique grâce à un ensemble exceptionnel de capacités organisationnelles. L'avance scientifique qui lui a permis de développer une technologie révolutionnaire, la gestion des relations extérieures qui lui permet de peser sur le choix des normes dans son secteur d'activité et l'efficacité de son organisation interne sont parmi les facteurs qui expliquent la croissance impressionante d'Intel au cours des vingt dernières années.

Mais ce qui est particulièrement intéressant, c'est la capacité d'Intel d'assurer la montée en charge de plus en plus rapide de sa production pour de nouvelles générations de produits dont le cycle de vie ne cesse de se réduire. Sur un marché en forte expansion, la croissance exponentielle du chiffre d'affaires de la société n'aurait pas été possible sans cette capacité. La qualité des produits et les rendements de production sont deux facteurs critiques dans l'industrie des microprocesseurs.

Les coûts de production d'Intel sont loin d'être les plus bas du secteur. La société a choisi de battre la concurrence sur le terrain de la rapidité de mise sur le marché de nouvelles technologies, en raccourcissant les délais entre la phase d'études techniques et la production en série. Pour cela, Intel a mis au point un processus d'apprentissage du comment baptisé

« Copy Exactly », qui vise à accélérer le transfert de technologies nouvelles des laboratoires de recherche et développement aux unités de fabrication. Copy Exactly est à la fois une philosophie et un système de formation des salariés - ingénieurs et techniciens -, qui passe par une exacte réplication des procédures en vue de transférer les technologies d'un site à un autre.

Bien que les produits de la concurrence soient aussi avancés techniquement que ceux d'Intel, sa vitesse de réalisation, autrement dit sa capacité à passer rapidement à une production en série, lui a permis de s'implanter massivement sur un marché en forte expansion.

Ce succès s'explique également par le savoir-faire technologique d'Intel et sa politique agressive d'investissement dans des unités de production nouvelles. Mais sa capacité à former des milliers de salariés à un raccourcissement des délais, dans le cadre de nouvelles procédures de fabrication, compte aussi pour beaucoup dans la réussite de l'entreprise.

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Anticiper les attentes du consommateur Des technologies en constante évolution, des consommateurs aux envies changeantes, une déréglementation qui s'accélère : voici les principaux défis auxquels sont confrontées les entreprises qui veulent réussir dans un monde où la concurrence est exacerbée.

LEIF SJÖBLOM

La concurrence issue de la mondialisation est de plus en plus acharnée. Quatre facteurs expliquent le renforcement de la concurrence mondiale : l'évolution des attentes et des goûts des clients, les changements technologiques, la déréglementation et les forces régionales.

* L'évolution des attentes des consommateurs

Les attentes des consommateurs en matière de qualité, de service et de prix sont plus fortes que jamais et continuent à augmenter. Parallèlement, il devient de plus en plus difficile de prédire leurs préférences futures.

Par exemple, l'adhésion massive des consommateurs à Internet a été surprenante, même pour des sociétés comme Microsoft. Rares étaient les entreprises qui avaient prédit l'immense succès de la téléphonie mobile, mais celles-ci en ont tiré des bénéfices substantiels.

Les entreprises qui comprennent vraiment et sont en mesure d'anticiper les besoins changeants des consommateurs seront probablement les gagnants de demain.

* Les changements technologiques

L'exemple le plus frappant d'un secteur touché par une évolution technologique ultrarapide est celui des ordinateurs personnels. Tous les mois, des PC de plus en plus puissants arrivent sur le marché. En même temps, les prix chutent. Les conséquences de ces changements ne se limitent pourtant pas au secteur de l'informatique. Les nouvelles technologies de l'information permettent aujourd'hui à bon nombre d'entreprises de conduire leur activité d'une manière qui, hier encore, était impossible, et à un moindre prix. Dans pratiquement tous les cas, la nouvelle technologie pourra soit réduire les barrières d'accès à un nouveau secteur, soit créer de nouveaux produits et des services de remplacement.

Par exemple, des start-up comme Amazon.com ont complètement révolutionné le secteur de la librairie de détail en utilisant l'Internet. Amazon.com offre une extraordinaire valeur client, à savoir le meilleur prix et la meilleure sélection de livres, tout en évitant la lourde infrastructure des autres détaillants.

Les produits bancaires et d'assurances se vendent quotidiennement sur Internet.

Au-delà de la vente directe de ces produits, l'Internet rend l'information relative aux prix mondiaux beaucoup plus accessible. Les consommateurs peuvent très facilement consulter le Net avant de décider ce qu'ils veulent acheter et où l'acheter. Ces tendances viennent juste de se faire jour et, pourtant, elles ont déjà clairement modifié la façon dont nous devons envisager la concurrence à venir.

* La déréglementation

Pendant longtemps, une trop forte réglementation a représenté une barrière à l'entrée dans de nombreux secteurs. Au cours des dernières années, à l'exception notable des réglementations en matière d'environnement, la tendance globale est allée vers plus de déréglementation et moins d'intervention de l'Etat. Dans les secteurs récemment déréglementés, comme les télécommunications, l'eau, le gaz ou l'électricité, la concurrence a augmenté de façon phénoménale. Le gagnant est au bout du compte le consommateur qui bénéficie d'un meilleur service et d'un plus grand choix à des prix plus bas.

* Les forces régionales

Les disparités en matière de structures de coûts et de taux de croissance sont énormes entre les diverses régions du monde. La majorité des entreprises d'Europe et d'Amérique du Nord ont des coûts salariaux nettement plus élevés que leurs concurrents mondiaux. Jusqu'à la fin de 1997, la plus forte croissance mondiale a été enregistrée en Asie.

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Parallèlement, des blocs régionaux d'échanges à motivation politique ont vu le jour, comme l'Union européenne et l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (Asean). L'objectif d'une région économique est, en termes simples, de maximiser les échanges à l'intérieur du bloc et de limiter les échanges entre blocs aux biens qui ne peuvent être produits localement. Les règles du jeu sont changeantes, ce qui renforce encore la concurrence.

Mutation dans les télécoms

Les télécommunications sont peut-être le secteur par excellence où ces quatre forces réunies entraînent une mutation.

Les deux sources principales de changement dans les télécoms ont été la déréglementation et l'évolution technologique. Il y a une vingtaine d'années, on considérait les télécoms comme un « monopole naturel », où l'investissement en infrastructure était tel qu'il n'était pas souhaitable d'autoriser la concurrence ou le double emploi. Ceci a donné lieu à la mise en place d'opérateurs nationaux protégés pour la poste, la télégraphie et le téléphone, qui présentaient des coûts d'infrastructure élevés et un service clientèle faible.

Grâce aux avancées dans la technologie du numérique, les coûts d'infrastructure ont considérablement baissé et une concurrence ouverte est devenue économiquement possible. Parallèlement, les exigences du consommateur ont évolué : il ne se contente plus de « la ligne fixe, uniquement vocale », mais souhaite bénéficier de la téléphonie mobile, de l'Internet et de toute une série d'autres services.

Là encore, même si les segments comme la téléphonie mobile ont connu une forte croissance partout au monde, c'est en Asie qu'elle a été la plus importante.

Deux types d'opérateurs ont émergé de ce changement : les anciens monopoles avec une structure de coûts élevés et de faibles compétences en matière de marketing, et les nouveaux opérateurs « partis de zéro » avec une structure de coûts plus faible et souvent d'excellentes compétences en marketing. Même si les ex-monopoles ont eu du mal à s'adapter à cet environnement changeant, ils s'en sont raisonnablement bien sortis face à la concurrence. Dans tous les cas, c'est le consommateur qui est gagnant.

Au cours des six premières années qui ont suivi l'ouverture du marché de la Grande-Bretagne, par exemple, le niveau de service a considérablement augmenté alors qu'en termes réels, les prix ont chuté d'environ 6 % par an.

Même si l'activité d'opérateur reste avant tout locale, celle de fournisseur d'équipement de télécoms est mondialisée depuis longtemps. Le tableau ci-contre fait apparaître le classement des dix principaux fournisseurs d'équipement en 1995. Même si le taux de croissance moyen de ces dix fournisseurs est « modeste » - 6,5 % -, les écarts importants entre les taux de croissance indiquent quels sont les gagnants et les perdants.

Il faut noter que les entreprises dont la croissance est la plus rapide sont celles qui se sont consacrées essentiellement aux nouveaux services, comme la téléphonie mobile. Les tout nouveaux acteurs tels que Nokia, qui ne faisait même pas partie des dix premiers il y a seulement quelques années, se retrouvent à présent parmi les entreprises les plus rentables du secteur et sont celles dont la croissance est la plus rapide.

Nokia a connu un succès phénoménal en utilisant les forces de changement du secteur. Il y a dix ans encore, c'était un petit conglomérat diversifié sur un marché intérieur très restreint. Il a su prévoir la croissance dans les télécoms et s'est recentré entièrement sur ce secteur. Comme son marché intérieur était limité, la croissance devait se faire à l'international. L'entreprise a donc dû mettre au point toute une série de compétences nouvelles, notamment la capacité de concourir sur les marchés mondiaux les plus compétitifs.

Nokia a toujours eu une excellente réputation en matière de technologie. Pourtant, une bonne partie de son succès est du à sa bonne compréhension des mutations du marché. Dans ce nouveau secteur déréglementé, Nokia a su prévoir que de nouveaux types de clients allaient apparaître, les « opérateurs partis de zéro ». Les besoins et attentes de ce genre de clients allaient être très différents de ceux des opérateurs déjà établis.

Les nouveaux opérateurs créent de la valeur en gérant l'interface client, en fournissant d'excellents services, en innovant sans cesse et en proposant de nouveaux services. Ils se concentrent essentiellement sur le marketing (leur principale compétence) et s'attendent à ce que les fournisseurs leur livrent des solutions techniques complètes qui leur permettent de se distinguer des ex-monopoles. Répondre aux exigences de ce segment implique avant tout que l'on soit capable de transformer la technologie la plus récente en produits et services que

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l'utilisateur final adoptera. En s'installant très tôt sur les marchés les plus vastes et les plus concurrentiels - l'Asie et la Grande-Bretagne récemment déréglementée - et en s'appuyant sur les nouveaux opérateurs, Nokia a su acquérir une excellente compréhension des besoins changeants des utilisateurs finaux. Cette compréhension peut à présent s'intégrer dans les nouveaux produits et services fondés sur la technologie la plus récente.

Les secteurs à maturité

Tous les secteurs ne sont pas aussi dynamiques que les télécoms et ne connaissent pas une croissance aussi rapide.

Un exemple de secteur mondial arrivé à maturité qui reste pourtant très concurrentiel est celui de la chimie. Il est dominé par les fournisseurs européens avec seulement deux entreprises américaines et une entreprise japonaise dans le classement des dix premières mondiales. Cependant, les entreprises connaissent à peu près toutes le même taux de croissance et le classement des principaux acteurs a très peu évolué au cours des dix dernières années. Seules les entreprises qui ont procédé à des fusions et acquisitions ont connu une croissance plus rapide.

Même si la dynamique du secteur semble être très faible, il existe plusieurs forces de changement.

L'un des grands défis réside dans la concurrence des marchés émergents tels que l'Asie, où la structure des coûts et les régimes de réglementations environnementales sont très différents. En réaction, beaucoup d'entreprises européennes ont été obligées de délocaliser leur production.

Un autre défi est l'évolution des attentes des clients tout au long de la chaîne de la valeur. Les entreprises qui ont réussi dans le secteur de la chimie ont, traditionnellement, essayé d'établir leur avantage grâce à leur gamme de produits, leur présence mondiale et un excellent soutien technologique. Cependant, elles n'ont pas toujours su apprécier le fait que bon nombre de leurs produits finissaient en biens de consommation, comme les détergents et les voitures. La demande pour ces produits, qui régit la demande en certaines spécialités chimiques, est très sensible aux changements dans les préférences des consommateurs.

Un regard sur la chaîne de la valeur des produits chimiques montre quels sont les défis que devra relever l'entreprise chimique de demain. L'équilibre du pouvoir dans la chaîne de la valeur se déplace vers l'aval. Partout dans le monde, les détaillants deviennent de plus en plus puissants. Les fabricants de biens de consommation sont obligés de dépenser une part de plus en plus importante de leurs recettes dans le marketing. Ils ont réagi à cette tendance en mettant la pression sur leurs fournisseurs et en développant des marques.

Les entreprises de produits chimiques se retrouvent ainsi dans une position difficile. L'une des réponses possibles est l'approche du « co-branding », comme « Intel Inside ». DuPont, la plus grande et la plus rentable des entreprises de ce secteur, a déjà déposé plus de 1.700 noms de marques. Parmi elles, on trouve de nombreuses marques très courantes, comme Teflon et Lycra. On pourrait également citer Nutrasweet et Gore-Tex. Cette tendance montre comment les entreprises essaient de plus en plus de comprendre les besoins des consommateurs et de transformer ces besoins en produits. *

Nokia a toujours eu une excellente réputation en matière de technologie. Pourtant, une part importante de son succès est dû à sa bonne compréhension des mutations du marché. (C) Jim Leynse/SABA/REA

Des stratégies globales pour la société de servicesLa mondialisation croissante de leurs grands clients oblige de plus en plus les sociétés de services aux entreprises à adopter une stratégie mondiale.

L'internationalisation n'est pas une nouveauté pour les sociétés de services, mais la mondialisation croissante de leurs grands clients crée de nouveaux défis. Pour les relever, elles doivent élaborer des démarches novatrices, notamment des stratégies de réseaux, afin d'être en mesure de gérer leur base de connaissances et leurs relations avec les clients.

Entre les années 1890 et le début de la Seconde Guerre mondiale, les sociétés d'audit ont accompagné l'expansion internationale des entreprises pour lesquelles elles travaillaient. Dans la période de l'après-guerre, les banques ont pris le relais, favorisant même l'internationalisation de l'économie. Depuis, les compagnies d'assurances, les agences de publicité et les cabinets juridiques ont également répondu aux demandes de leurs

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clients en investissant à l'international et en développant des produits et des services pour soutenir les activités internationales de ces derniers.

Aujourd'hui, la vague de globalisation submerge les entreprises de services professionnels elles-mêmes. La déréglementation, les nouvelles technologies et la concurrence internationale croissante y ont contribué, même si le facteur principal reste la globalisation accélérée des clients.

A mesure que les entreprises s'internationalisent, elles recherchent souvent des fournisseurs familiarisés avec les sociétés multinationales, capables de traiter avec elles sur l'ensemble de la planète et de leur proposer des services transfrontaliers cohérents et coordonnés.

La diffusion de marques régionales et mondiales, par exemple, exige le soutien d'équipes au niveau concerné, aussi bien dans l'entreprise cliente que dans l'agence de publicité. De même, la concentration géographique croissante de fonctions spécialisées telles que la recherche-développement ou la production nécessite souvent de faire appel à des équipes de consultants à l'échelle régionale ou mondiale.

Dans de nombreux secteurs, désormais, les clients achètent des services dans le monde entier. Par exemple DuPont et JP Morgan ont outsourcé récemment leur fonction informatique mondiale. De telles stratégies d'achat peuvent entraîner la signature d'un grand contrat mondial, tel celui accordé par IBM à Ogilvy & Mather ou par De Beers à J. Walter Thompson pour leur campagne de publicité mondiale.

Dans des domaines aussi divers que le transport, les services financiers ou juridiques, l'informatique, les télécommunications, la publicité, le conseil en gestion ou l'audit, il est devenu essentiel pour les sociétés de services d'être à même de proposer leurs services à l'échelle mondiale.

Nombre d'entre elles prennent d'ailleurs conscience que leur présence et leur expertise mondiales leur procurent un avantage compétitif réel, et cherchent à exploiter ce potentiel. C'est cette prise de conscience qui, depuis plusieurs années, régit la démarche de City Bank en matière de relation à long terme avec ses clients globaux, et qui a constitué un facteur important de la fusion des groupes d'audit et de conseil Coopers & Lybrand et Price Waterhouse.

De nouveaux défis

Pour tirer pleinement parti de ces nouvelles opportunités planétaires, les sociétés de services doivent opérer des choix dans deux domaines qui ne sont pas sans rapport :

* Stratégie et organisation transfrontalières

A mesure qu'ils réalisent l'intégration de leurs activités à travers le monde, les clients demandent souvent à leurs prestataires de services d'en faire autant. Cela exige une réflexion en profondeur sur les stratégies et l'organisation qu'il convient de mettre en place. Des travaux récents de recherche ont permis d'identifier deux dimensions importantes à prendre en compte.

Tout d'abord, il faut déterminer quel degré d'intégration transfrontalière procure des économies d'échelle, tout en conservant une démarche cohérente. Ensuite, il faut évaluer la réactivité de l'échelon local qui doit répondre avec souplesse et précision aux besoins changeants dans des environnements différents.

En se positionnant sur le marché mondial, les sociétés de services doivent trouver le juste équilibre entre ces deux dimensions. Pour réaliser l'intégration mondiale, certaines organisations se dotent d'un ensemble de valeurs communes, comme l'« engagement d'excellence et d'éthique » (« commitment to excellence and fairness ») du partenariat Ove Arup, ou créent un système de capitalisation des connaissances visant à identifier et à encourager les meilleures pratiques sur l'ensemble du globe, comme, par exemple, le « Catalogue des ressources en savoir » (« Knowledge Resource Directory ») de la firme de consultants McKinsey.

En même temps, les sociétés souhaitent conserver une autonomie nationale pour certaines activités. Après s'être internationalisé pour suivre ses clients - des multinationales américaines - sur la scène mondiale, le cabinet juridique Baker & McKenzie a jugé qu'il devait néanmoins pratiquer le droit local pour assister ses clients et que, pour ce faire, la meilleure solution consistait à créer un réseau international d'associés locaux.

Il convient de préciser que lorsqu'un client fonctionne sur un mode multinational plutôt que réellement mondial,

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ce sont les entités nationales des sociétés de services qui, vraisemblablement, assument l'essentiel des responsabilités vis-à-vis de ce client.

* Gérer la relation client

Il existe diverses façons de gérer les rapports avec la clientèle, qui vont de la gestion de projet à la gestion de la relation (voir figure ci-dessous).

Dans la gestion de projet traditionnelle, les services sont planifiés et fournis projet par projet. Ces projets peuvent être complexes et associer plusieurs pays, ce qui exige des contacts suivis avec les clients. Un même client peut d'ailleurs être à l'origine de plusieurs projets.

Avec ce système, toutefois, la relation avec le client n'est pas considérée a priori comme durable, et les projets ne sont pas gérés dans la perspective d'une continuité. Les échanges sont foncièrement épisodiques, dans l'optique d'une transaction. Les réponses aux appels d'offres sont préparées dans l'esprit d'un « concours de beauté ». C'est à chaque fois la firme la « mieux-disante » qui remporte le contrat et le gère selon ces critères.

Pour le client, cette relation projet par projet présente l'avantage de la souplesse et d'un prix calculé au plus juste, tout en lui offrant de bonnes chances de choisir le prestataire de services qui correspond le mieux dans chaque cas. Pour la société de services, elle autorise également une grande flexibilité, évite une dépendance excessive envers quelques clients et permet de développer des compétences spécialisées.

A l'inverse, la gestion relationnelle se fonde sur la continuité, l'interdépendance et le partenariat dans la durée ; elle accorde au moins autant d'importance à la « part de client » qu'à la part de marché.

La gestion relationnelle exige un investissement important dans la connaissance et la compréhension du client, afin de développer un échange qui aille au-delà des limites de projets isolés. Elle est fondée sur la conviction que le partenariat a une valeur et est apprécié, et que, en tant que tel, il constitue un puissant facteur de différenciation sur des marchés où les services sont souvent considérés comme de simples produits de base.

En poussant la réflexion, on peut dire qu'une gestion réellement mondiale des comptes clefs ou de la relation vise à établir des contacts forts et intégrés avec chaque client sur l'ensemble de la planète, afin d'obtenir un avantage concurrentiel.

Elle implique que le prestataire de services gère consciemment ses relations commerciales à l'échelle mondiale avec un client international, et qu'il crée de la valeur sur la durée, en reliant les activités au-delà des projets individuels, des entités organisationnelles et des frontières.

La valeur du travail en réseau

Pour mieux comprendre en quoi la gestion globale de la relation client crée de la valeur, il faut la considérer comme un ensemble de processus en réseau sans limites géographiques.

Deux types de réseaux sont particulièrement importants dans ce contexte :

* Les réseaux de connaissances

Les réseaux de connaissances, maintenant considérés comme un élément clef du capital économique et intellectuel de l'entreprise, constituent peut-être la ressource primordiale des sociétés de services qui traitent avec des clients opérant mondialement.

Trois éléments jouent à cet égard un rôle particulièrement essentiel. Pour être utiles, ces réseaux doivent :

- Recueillir l'expérience et les connaissances professionnelles spécialisées et les diffuser dans l'organisation du client. Les clients attendent de leurs consultants globaux, à juste titre, qu'ils leur fournissent une réflexion et des pratiques à l'échelle mondiale. Ainsi est-il essentiel pour les sociétés de services de développer des réseaux - souvent, mais pas obligatoirement informatisés -, afin de rassembler et de mettre à disposition les théories et les pratiques de pointe relatives à des secteurs, des produits ou des services spécifiques.

- Accumuler une expérience et des connaissances en matière de traitement d'un client global. La gestion globale

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de la relation client se justifie parce que l'on estime que la valeur est fondée sur une connaissance approfondie des clients, aussi bien de leur entreprise que de leurs modes de fonctionnement.

Les sociétés de services ont recours à toute une gamme de processus formels et informels pour diffuser ce type de connaissances, comme par exemple la mise en place de responsables de la relation client et d'équipes de projet mondiales, le transfert de personnel, les systèmes d'informatisation client et les évaluations périodiques de la situation du client.

- S'engager dans des projets communs. Les membres de partenariats mondiaux réussis soulignent souvent l'importance de travailler et d'apprendre ensemble.

Pour que ces connaissances s'épanouissent, elles doivent s'enraciner dans un réseau puissant de contacts personnels.

* Les réseaux personnels

Voilà qui nous amène au second pilier d'une bonne gestion globale de la relation client : le « capital contact », c'est-à-dire la qualité des relations entre les personnes et les ressources que dégage ce type de relation.

L'étude de partenariats réussis montre que c'est davantage le contrat moral que le contrat juridique qui est à l'origine du succès. Les éléments clefs de ces relations sont les suivants :

- Un engagement véritable dans une relation qui soit bénéfique aux deux parties. Un partenariat réussi est généralement caractérisé par un niveau important de réciprocité, d'obligations et d'identification.

- Un excellent niveau de confiance. La confiance apparaît comme la condition sine qua non des relations globales réussies. Elle doit régner aussi bien au sein de la société de services qu'entre cette dernière et le client.

- Des liens personnels forts. C'est aussi un élément essentiel de relations réussies, mais leur établissement représente souvent un véritable défi. Comme le faisait remarquer un dirigeant d'une grande société de services : « Il est plus facile de fidéliser un client sur un territoire géographique que sur une entité mondiale virtuelle. On ne peut pas boire un verre ensemble sur l'Internet. » *

JANINE NAHAPIET est directrice de l'Oxford Institute of Strategic and International Management et enseigne la gestion stratégique au Templeton College de l'université d'Oxford. Ses recherches portent, notamment, sur le rapport entre stratégie et organisation dans le contexte de l'économie mondiale.

Les défis futursDes forces extérieures vont continuer à modifier la façon dont nous devons envisager la concurrence mondiale. Les technologies continueront d'évoluer, les attentes des consommateurs d'augmenter, et il semble qu'une déréglementation plus poussée soit plus la règle que l'exception.

Jusqu'à la dernière crise financière, on était pratiquement certain que l'essentiel de la croissance mondiale devait se produire en Asie (et peut-être en Amérique du Sud). Aujourd'hui, la situation n'est plus si claire. Certaines forces échappent à tout contrôle, alors que d'autres peuvent être infléchies. Les sociétés flexibles verront dans ces tendances plutôt des opportunités que des menaces, et elles trouveront un moyen de profiter du changement. Il y a deux leçons essentielles à tirer des entreprises qui réussissent :

* Les entreprises qui réussissent tireront avantage des besoins changeants des utilisateurs finaux. Etre proche du client et en comprendre les besoins est probablement la devise de management la plus connue et la plus souvent répétée. Même si, en fin de compte, ce sont les consommateurs qui paient un produit ou un service, rares sont les entreprises qui savent apprécier avec justesse les besoins de ces derniers. Les entreprises industrielles, qui sont souvent éloignées de l'utilisateur final, devront prendre les devants au lieu de se contenter de réagir à ces nouvelles tendances.

Les entreprises qui réussissent vont tirer avantage des évolutions technologiques. Même si la bonne appréciation des besoins de l'utilisateur final est un élément décisif de succès, la capacité de transformer une bonne connaissance du marché en nouveaux produits et services est tout aussi importante.

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Etablir une relation de qualité...Les sociétés de services sont généralement confrontées à quatre grands problèmes lorsqu'elles souhaitent établir des relations « planétaires » avec leurs clients :

* Arriver à une bonne compréhension du client et de son mode de fonctionnement préféré. Le client préfère-t-il acheter des services sur la base de projets ponctuels ou dans la perspective d'une continuité ? Le client souhaite-t-il ou a-t-il vraiment besoin du service à l'échelle mondiale, ou un accompagnement régional ou national est-il plus indiqué ?

* Identifier clairement aussi bien les avantages que les coûts d'une gestion globale de la relation client. La gestion globale d'une relation est onéreuse, car elle implique des investissements importants dans les liaisons. Cette stratégie ne doit pas être adoptée sans discernement, et il faut la limiter à des circonstances bien précises, notamment dans les cas suivants :

- Le service touche à une activité internationale stratégiquement importante, organisée sur une base régionale, mondiale ou transnationale - par exemple, l'intégration mondiale de fonctions comme la R&D ou la fabrication.

- D'importantes économies ou opportunités peuvent résulter d'une bonne connaissance du client. La connaissance détaillée de sa culture ou de sa politique interne peut ainsi générer l'opportunité d'assister le client dans un programme de changement à grande échelle ou pour un investissement dans un domaine plus spécifique tel qu'une infrastructure, un site nouveau, un développement informatique ou des programmes communs de formation.

- Le service est fourni sur une base continue plutôt que transaction par transaction, comme dans la banque ou les assurances.

- Les achats récurrents (« linked purchases ») permettent des économies d'échelle significatives, comme c'est la cas pour la publicité.

* Equilibrer l'organisation matricielle. Cela signifie que les sociétés de services doivent trouver le juste équilibre dans leur stratégie et leur organisation entre les produits, les secteurs, les clients et les pays.

* Construire une organisation véritablement capable de fonctionner globalement pour répondre aux besoins et aux styles différents des clients.

... et identifier quelques facteurs de succèsL'examen des organisations sous un angle anthropomorphique se rapportant à l'anatomie, la physiologie et la psychologie peut se révéler très utile pour évaluer les facteurs clefs du succès dans la gestion globale de la relation client.

* Anatomie

Les sociétés qui souhaitent s'engager sur la voie de relations mondiales doivent s'assurer que les structures de leur organisation leur permettent de se concentrer sur une bonne gestion de ces relations. Cela exige au minimum :

- La création d'une petite unité ou d'un groupe ayant la responsabilité spécifique de traiter avec les clients mondialisés, avec les attributions qui dépassent les frontières géographiques ou organisationnelles. Dans certains cas, cela implique la création d'une « business unit » entièrement consacrée à un grand client, comme l'a fait J. Walter Thompson pour De Beers.

- Un poste de directeur client mondial, rôle important, occupé par quelqu'un qui compte déjà plusieurs succès à son actif et connu pour sa capacité à agir en contexte complexe et ambigu. En pratique, de tels directeurs sont susceptibles de générer un chiffre d'affaires supérieur à celui des opérations nationales, à

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l'exception des plus importantes.

- Une organisation flexible, c'est-à-dire capable d'adapter ses méthodes de travail de façon très différente selon le style et les besoins des clients.

* Physiologie

Les systèmes et les process sont des ingrédients essentiels d'une gestion globale de la relation client réussie. Deux aspects sont particulièrement importants :

- L'alignement des systèmes d'affectation des ressources, de mesure de la performance et de gratification sur la dimension mondiale du client. Il arrive encore fréquemment que des sociétés se proclament déterminées à servir leurs clients à l'échelle mondiale, alors que la mesure de la performance reste liée aux entités nationales.

- Des communications et des systèmes de connaissances mondiaux efficients et faciles à utiliser. Là encore, c'est un domaine où la rhétorique montre trop souvent une longueur d'avance sur la réalité.

* Psychologie

Il faut un état d'esprit différent pour participer à la gestion globale d'une relation client : montrer des attentes réalistes, une attitude cosmopolite et coopérative, un haut degré de confiance et le désir d'apprendre les uns des autres. Tout cela doit également s'appuyer sur la capacité de fixer des objectifs et de négocier en cas de désaccord.

Le défi des Chinois d'outre-merLa crise actuelle ne doit pas détourner les entreprises occidentales des marchés asiatiques. Elles devront aussi faire face à une redoutable concurrence locale.

Même si l'Asie doit aujourd'hui faire face à la crise la plus grave depuis les chocs pétroliers des années 70, il est probable que les meilleures opportunités de croissance à long terme se situent toujours dans la région Asie-Pacifique. Dans ce cadre les sociétés occidentales ne doivent pas ignorer un nouveau type de concurrence représenté par les entreprises asiatiques en Asie.

Lorsque des observateurs occidentaux s'intéressent aux entreprises qui réussissent en Asie du Sud et en Chine, ils se concentrent habituellement sur les concurrents occidentaux traditionnels. Ils seraient mieux avisés de penser également à une nouvelle génération d'entreprises asiatiques qui grandit rapidement et souvent sans faire de bruit. Comme l'avait dit le stratège chinois Sun Tzu, il y a déjà deux mille ans : « Seul vaincra celui qui, bien préparé, sait attendre l'imprévu. »

En moins de deux ans, le groupe chinois Legend est passé du 6e au 3e rang sur le marché informatique chinois, juste derrière IBM et Compaq. En Indonésie, PT Indofood a su arracher aux Japonais et aux Occidentaux 80 % du marché (considérable) des pâtes instantanées. En 1996, China Ocean Shipping a devancé Maersk pour devenir la plus grande compagnie maritime de containers en Asie du Sud-Est.

La réussite rapide de ces nouveaux acteurs est le résultat d'une forte expansion économique dans la plupart des pays d'Asie. La croissance mondiale moyenne stagnait autour de 2 à 2,5 % par an depuis le milieu des années 70 ; au cours de cette même période, la croissance en Malaisie, en Indonésie, en Thaïlande ou en Chine était au moins deux à trois fois plus élevée, souvent plus.

En outre, comme pratiquement toutes les entreprises figurant dans le classement « The Fortune Global 500 » investissent en Asie et y procèdent à des transferts de technologie, cette région est en train de devenir un centre mondial de production manufacturière. Aujourd'hui, l'Asie représente plus de 30 % de la production mondiale d'ordinateurs, 66 % des appareils électroniques grand public et plus de 25 % de l'acier.

Le résultat de ce boom économique fait que ce sont les Asiatiques - et non les Japonais ou les Occidentaux - qui sont actuellement les principaux investisseurs de cette région. Les Coréens et les Taïwanais sont exportateurs nets de capitaux. Le groupe CP, basé en Thaïlande, est souvent cité comme étant le plus grand

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investisseur en Chine. En 1996, l'investissement taïwanais direct au Vietnam était deux fois plus élevé que celui de tous les Européens réunis.

Même si la crise économique actuelle va ralentir l'expansion des entreprises asiatiques en Asie, leur influence ne devrait pas être ignorée. Malgré la discrétion traditionnelle des entreprises chinoises, certaines de ces nouvelles sociétés expriment très clairement leurs intentions. En 1994, dans une déclaration à l'« International Herald Tribune », Kao Chin Yen, président-directeur général du groupe Taiwan's President Enterprises Group, a ouvertement déclaré que l'objectif de son groupe était de « devenir le numéro un mondial de l'agroalimentaire dans les 25 ans, grâce à l'expansion de ses opérations sur le territoire chinois ».

Faut-il prendre cette déclaration au sérieux ? Oui, indubitablement. L'histoire nous a enseigné que l'autosatisfaction et une mauvaise appréciation de la concurrence nouvelle pouvaient constituer une menace considérable pour la croissance des entreprises occidentales.

Désormais, la question est de savoir si de nouveaux géants asiatiques vont voir le jour au début du XXIe siècle. Comptent parmi les candidats : Sime Darby et Renong (Malaisie), Astra International (Indonésie), le groupe CP et Bangkok Bank Group (Thaïlande), Far Eastern Group et President Enterprises Group (Taiwan) ou encore Citic, entreprise chinoise qui fait preuve d'une croissance rapide, et enfin China Everbright (Chine).

Le défi pour les entreprises occidentales consiste à évaluer le potentiel de ces nouveaux acteurs pour prendre les mesures qui s'imposent. Sinon, les nouveaux venus pourraient grandir à leurs dépens, comme ce fut le cas avec les concurrents japonais et coréens il y a quelques décennies.

Le capitalisme à la chinoise

On ne dispose pas de données précises sur la part relative des investissements en capital des entreprises chinoises hors de Chine. Cependant, les experts sont unanimes pour dire que les Chinois d'outremer dominent le capital des moyennes et grandes entreprises sur tous les marchés asiatiques, à l'exception du Japon et de la Corée.

Selon Peter Williamson, auteur d'un ouvrage sur les stratégies compétitives en Asie, les Chinois d'outremer « disposent de milliards de dollars en chiffre d'affaires et actifs, ont accès à une technologie impressionnante, font partie de puissants réseaux politiques et économiques et se battent pour la croissance dans leurs propres prés carrés ». Gordon Redding, éminent expert en la matière, estime que l'équivalent du produit national brut des Chinois d'outremer se situe autour de 200 milliards de dollars pour 40 millions de personnes, chiffres à comparer avec ceux de la Chine, dont la population est de 1,2 milliard et le PNB de 300 milliards de dollars.

Le défi que représente la concurrence des Chinois d'outremer soulève trois questions fondamentales :

* Les Chinois sont-ils en train de créer une nouvelle forme de capitalisme, différent des modèles anglo-saxon, allemand, japonais ou coréen et mieux adapté à l'environnement concurrentiel en Asie ?

Les entreprises familiales représentent toujours la forme traditionnelle du capitalisme chinois. Cela signifie souvent une structure d'entreprise simple, un management épuré, une culture d'entreprise pétrie de paternalisme et souvent de népotisme, qui ne favorise pas le recrutement externe, et un processus décisionnel dominé par le propriétaire de l'entreprise.

Il est rare que les entreprises chinoises s'engagent dans la gestion des marques, le marketing international ou dans de coûteux projets de recherche et de développement. Le capitalisme chinois se distingue des autres modèles de capitalisme dans le sens où il met l'accent sur la flexibilité pour la survie. Il est fondé sur une approche différente des financements en capital. Alors que les entreprises occidentales se fondent sur l'actionnariat et la gestion de fonds propres, les entrepreneurs chinois ont recours au capital privé. En d'autres termes, ils jouent avec leur propre argent plutôt qu'avec l'argent des autres. En conséquence, les sociétés chinoises ont tendance à maintenir leurs coûts au plus faible niveau et à optimiser leur utilisation.

Le modèle chinois est également souple dans son évolution. En effet, de grands groupes actifs en Asie du Sud-Est et en Chine ont déjà commencé à transformer le modèle traditionnel du capitalisme chinois en un modèle hybride, conjuguant le capitalisme anglo-saxon et le capitalisme chinois.

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Des exemples en sont les groupes Acer et CP. Acer, le premier constructeur informatique taïwanais, a réussi son expansion internationale parce qu'il a adopté certaines techniques de management occidentales (ou universelles), telles qu'une forte politique de marque, un marketing international et une unité propre de R&D.

Le groupe thaïlandais CP, parti d'activités relativement restreintes dans l'alimentation animale, a pu pénétrer les secteurs de la pétrochimie et des télécommunications en contractant des alliances stratégiques et en passant des accords de licence pour accéder à une technologie de pointe. Une vieille technique « occidentale ».

* Les groupes asiatiques sont-ils en meilleure position concurrentielle en Asie ?

Le capitalisme chinois est certainement mieux adapté à l'environnement concurrentiel en Asie, ne serait-ce qu'en raison de l'image asiatique de ses entreprises.

Les conglomérats contrôlés par les Chinois d'outremer sont souvent perçus par les autorités locales comme une moindre menace sur le plan politique que les multinationales occidentales. Il est également moins probable que les groupes contrôlés par les Chinois d'outre-mer s'ingèrent en politique internationale ou soulèvent le même type de questions que les Occidentaux, telles que les droits de l'homme, la propriété intellectuelle ou encore le déséquilibre des échanges commerciaux.

Le modèle chinois du capitalisme semble également bien adapté à des marchés marqués par un degré d'incertitude élevé. Il en va de même pour les secteurs dans lesquels les barrières à l'entrée et à la sortie sont relativement peu nombreuses (comme par exemple l'immobilier, le commerce, l'industrie légère et d'autres secteurs à faible intensité capitalistique).

Et pourtant, le capitalisme à la chinoise pourrait être victime de ses propres atouts. Si le contrôle familial présente des avantages certains, la transition d'une gestion familiale à une gestion professionnelle extérieure devient un défi crucial au fur et à mesure que l'entreprise grandit et passe des mains d'une génération à celles d'une autre. Même si l'on ne dispose pas de données précises sur la question, les entreprises familiales chinoises connaissent probablement les mêmes problèmes de succession que partout ailleurs.

Au fil de leur croissance et face à une concurrence de plus en plus internationale, les groupes des Chinois d'outre-mer vont probablement commencer à privilégier des talents individuels. C'est peut-être là le défi le plus important pour ces entreprises chinoises. L'expérience a montré que les meilleurs talents d'Asie préfèraient souvent travailler pour des multinationales étrangères (américaines, européennes, japonaises, coréennes et taïwanaises, dans cet ordre) car ces dernières offrent des plans de carrière plus attrayants et des promotions plus rapides.

* Les Chinois d'outre-mer vont-ils réitérer le succès des Japonais et des Coréens sur les marchés internationaux ?

Aucun conglomérat chinois n'a réussi jusqu'ici à s'imposer vraiment en Europe ou aux Etats-Unis. Les potentiels de croissance en Asie étaient trop forts pour que l'on transfère les rares ressources de cette région vers les marchés occidentaux. Mais la dévaluation des monnaies d'Asie rend les marchés occidentaux très attractifs.

Pourtant, les Chinois d'outre-mer ont déjà à leur actif des succès remarquables dans l'ensemble de l'Asie et il est évident que certains de ces groupes souhaitent une plus grande mondialisation (Evergreen et San Miguel par exemple). Ils restent cependant minoritaires.

Souvent minoritaires dans leurs propres pays, les Chinois d'outre-mer ne jouissent pas du même soutien du gouvernement que jadis les Japonais et les Coréens.

Et, alors que les entreprises japonaises et coréennes ont pu lever des capitaux auprès des banques nationales et des systèmes d'épargne bien gérés, les entreprises des Chinois d'outre mer ne peuvent avoir recours principalement qu'au capital privé. *

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DOMINIQUE V. TURPIN est professeur de stratégie et marketing et de management international à l'IMD. Ses recherches portent notamment sur les stratégies pour l'Asie.

Chapitre 3

Innover 24 heures sur 24Dans une perspective véritablement mondiale, les entreprises technologiques doivent dynamiser leur processus d'innovation.

La « mondialisation de la technologie » est un concept flou qu'il convient de segmenter. Tout d'abord, un nombre croissant de produits « techniques » sont disponibles sur le marché - PC, Caméscopes, etc. - quel que soit leur lieu de fabrication. Deuxièmement, depuis l'émergence de la science et de la technologie « modernes » en tant qu'éléments clefs de la croissance économique (vers le milieu du XVIIe siècle), on assiste à une accélération croissante de l'intensité et de la vitesse de diffusion, de transfert et d'exploitation du savoir-faire et des innovations techniques, toutes origines confondues. Troisièmement, la technologie elle-même, notamment les médias électroniques, contribuent à intensifier et à accélérer les flux de technologie de par le monde.

La concurrence mondiale intense entre les entreprises, la déréglementation et la réorganisation des sociétés sont les garants d'une mutation permanente des organisations. La fonction recherche-développement/ingénierie des entreprises à forte composante technologique - celles dont l'avenir dépend de leur production de savoir-faire technologique - n'échappera pas à ces évolutions. On entend par sociétés à forte composante technologique les entreprises travaillant dans des secteurs tels que l'industrie pharmaceutique, la chimie fine, l'électronique et les télécommunications. Ces industries exploitent la technologie de façon fondamentalement différente des entreprises de services - banques, compagnies aériennes, médias, divertissement, etc. -, qui sont plutôt consommatrices de technologie.

Toutes ces organisations souhaitent se positionner sur le marché mondial parce qu'elles ont besoin de participer aux flux internationaux de biens, capitaux, informations, connaissances et technologies. Une autre motivation est la nécessité de compenser des cycles de vie de produits et de services plus courts en assurant la disponibilité des biens et des services sur des marchés géographiques plus vastes.

Toutefois, pour des raisons historiques et aussi parce que c'est un élément perçu comme stratégique pour l'avenir de l'organisation, les activités de recherche-développement (R&D) restent pour la plupart très proches du siège social de l'entreprise ; ce sont les fonctions les plus centralisées. On estime que plus de 90 % des activités de R&D d'une entreprise typique sont effectuées dans son pays d'origine. Par exemple, Novartis effectue les deux tiers de sa R&D en Suisse, bien que ce pays ne représente que 2 % de son chiffre d'affaires. Le Japon est un cas extrême : moins de 3 % de sa R&D se fait à l'étranger.

La « proximité du client »

Nous savons que la proximité géographique favorise fortement l'interaction transversale entre unités et fonctions. Ainsi, la tradition veut qu'on établisse les laboratoires non loin des unités de fabrication et des divisions marketing. BMW et Renault ont construit des « technocentres » pour favoriser la conception de nouveaux modèles d'automobiles. Cette proximité est malheureusement un objectif difficile à réaliser : l'historique et l'évolution géographique d'un métier permettent rarement de concentrer les activités de cette façon. Qui plus est, pour stimuler les contacts informels, les laboratoires ne doivent pas dépasser une certaine taille. Le chiffre optimal semble se situer entre 400 et 700 personnes par laboratoire.

Cependant l'argument en faveur de la « proximité du client » est souvent exagéré. Au cours des vingt dernières années, les constructeurs automobiles et les fabricants de matériel électronique japonais ont développé des produits qui ont connu un grand succès sur les marchés du monde entier, alors que leurs ingénieurs étaient basés à côté de Tokyo, très loin du consommateur final. Certes, les Japonais eux-mêmes ont mis sur pied des unités en Occident pour suivre le goût des consommateurs, notamment dans le design des voitures, mais être proche du client est davantage un état d'esprit qu'une question de proximité physique.

Systèmes décentralisés

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L'innovation est un processus multifonction et multisite, auquel participent aussi les divisions marketing et fabrication. Toute une série de bonnes raisons plaident donc en faveur de la création de centres de développement éloignés de la maison mère :

* Une présence R&D requise par la fabrication. Dans ce cas de figure, l'usine développe ses activités d'achat, profite de la capacité logistique locale et décide d'élargir ses activités aux spécifications de sous-systèmes ou de composants. La tendance naturelle sera ensuite une remontée de la chaîne de valeur, avec la mise sur pied d'un bureau d'études afin de participer de façon croissante à l'adaptation du produit et peut-être même à la conception et au développement.

* La nécessité de collaborer étroitement avec les acteurs locaux. Une entreprise qui souhaite, par exemple, développer des matériaux composites pour Airbus aura tout intérêt à le faire près de ses clients - les concepteurs et constructeurs des avions.

Dans le secteur pharmaceutique, très réglementé par les Etats, une société multinationale devrait essayer d'être présente, en termes de développement de médicaments, sur les deux plus gros marchés mondiaux de la santé, à savoir les Etats-Unis et le Japon. C'est d'ailleurs le cas de Merck, Glaxo Wellcome, Novartis, Roche, Hoechst Pharma et Rhône-Poulenc Rorer. Cette approche favorise la conformité des nouveaux médicaments aux exigences régionales ainsi qu'une obtention plus rapide de l'homologation des autorités réglementaires locales.

De la même façon, une entreprise agroalimentaire a besoin de comprendre la spécificité du goût et des ingrédients locaux et doit donc posséder localement une capacité d'adaptation du produit. Parmi les exemples, citons les centres de R&D décentralisés de Nestlé ou le site de développement que Campbell Soup a récemment ouvert à Hong Kong.

* La nécessité d'exploiter les talents là où ils se trouvent. Les sociétés multinationales dans des pays relativement petits tels que la Suède ne peuvent espérer pourvoir tous leurs postes de R&D avec des diplômés suédois. Ils sont donc contraints de s'ouvrir à l'international. C'est le cas d'Ericsson : en 1980, 85 % de son activité de R&D se situait en Suède, mais en 1990 ce chiffre était tombé à 60 %.

La pénurie d'ingénieurs informaticiens aux Etats-Unis (estimée à 190.000) explique l'intérêt pour l'Inde qui compte de nombreux experts dans ce domaine : les logiciels constituent un des principaux produits d'exportations indiens.

* La présence sur un marché essentiel. Une entreprise travaillant dans le domaine des périphériques informatiques, du multimédia ou des logiciels liés à l'Internet devrait sans doute être présente dans la Silicon Valley. Philips a suivi ce raisonnement en créant un laboratoire multimédia à Palo Alto. L'élément clef ici est d'avoir une présence de pointe dans une région qui façonne non seulement les évolutions techniques, mais également l'avenir de l'industrie dans son ensemble.

* La nécessité d'attirer les meilleurs. Outre la réputation de l'entreprise, la qualité des infrastructures et de l'environnement sont des éléments importants pour attirer des talents, notamment lorsque les conjoints doivent trouver un emploi.

* Les raisons politiques. Un pays qui accueille déjà une production peut faire pression sur l'entreprise pour qu'elle établisse une présence de R&D afin de faire la preuve de son engagement à long terme et de sa volonté de créer des emplois fondés sur les connaissances.

Ce que réserve l'avenir

Les entreprises technologiques doivent gérer avec toujours plus d'efficacité leur processus d'innovation, et ce du fait de nombreuses pressions :

* La durée de vie raccourcie des produits, des processus de fabrication et des types de services entraîne une érosion rapide des prix (entre 20 % et 30 % par an) et induit une dérive vers les biens de grande consommation. L'industrie des PC est un exemple récent de cette tendance. A l'avenir, les téléphones portables pourraient bien emprunter la même voie.

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* La déréglementation (dans les télécommunications et les transports, par exemple) ou la surréglementation (santé) constituent d'autres puissants facteurs de changement. Par exemple, les entreprises pharmaceutiques sont prises en tenaille entre d'un côté les mesures gouvernementales de maîtrise des dépenses de santé et de l'autre les coûts en augmentation rapide (particulièrement des études cliniques) des mises sur le marché des médicaments (en moyenne 600 millions de dollars).

* Identifier les savoir-faire : les entreprises à forte composante technologique, qui reconnaissent à juste titre qu'une bonne partie du développement a lieu à l'extérieur de l'entreprise, doivent constamment être attentives aux sources extérieures de technologie. Elles doivent savoir passer en revue, identifier, obtenir et maîtriser l'expertise pertinente que détiennent leurs concurrents, les universités, les laboratoires publics ou qui se trouvent le long de la chaîne d'approvisionnement. L'entreprise à forte composante technologique doit ainsi apprendre à exploiter et à assimiler les flux pertinents d'expertise technique, au-delà des frontières et des disciplines techniques.

* On ne sait pas encore très bien quel sera l'impact de la crise économique asiatique ; toutefois, la région a le potentiel pour contribuer de façon significative aux flux technologiques. Certains pays asiatiques perçoivent le développement technologique comme un élément clef de leur développement économique.

Au vu de ces évolutions, il faut dorénavant dynamiser le processus d'innovation dans une perspective mondiale. Les filiales des entreprises doivent agir en tant qu'antennes recueillant des informations techniques et de marché, et ce en étroite collaboration avec les autres sites de par le monde.

Au lieu d'être fonctionnelle et/ou régionale, l'approche doit devenir multifonctionnelle et multisite afin de tirer le meilleur profit du processus d'innovation. Les nouvelles technologies de l'information détiennent un rôle central dans un contexte de ce type ; des équipes multifonctionnelles chargées de la technologie, du design, du marketing, de la finance, de la production, du juridique et des relations publiques peuvent être véritablement intégrées grâce aux moyens de communication électroniques. Ceux-ci comprennent les intranets, les groupwares et les agents intelligents, la CFAO (conception-fabrication assistée par ordinateur) et les outils logiciels de gestion de projet, ainsi que la visioconférence.

Des équipes à Paris, à Tsukuba ou dans l'Oregon pourront travailler ensemble, partageant - en temps réel - la voix, les données informatiques et les plans. Cette communication multimédia en direct et en temps réel posera parfois des difficultés liées aux décalages horaires, et les équipes préféreront souvent communiquer de façon « asynchrone ».

Le « laboratoire ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre » - un concept de travail en réseau qui met à profit les différences horaires - offre des perspectives intéressantes. Prenons l'exemple d'une équipe d'ingénieurs informaticiens, répartie entre Bangalore, Palo Alto et Londres, et chargée du développement d'un logiciel. A la fin de sa journée, l'équipe de Bangalore télécharge son travail à l'intention de l'équipe de Londres qui, à son tour, apporte sa contribution et fait suivre à l'équipe de Palo Alto.

Le développement de logiciels convient particulièrement bien à ce type de travail en continu. Canon utilise également cette approche dans le cadre de sa nouvelle « initiative de développement de produit » basée près de Tokyo, qui fait appel à des compétences techniques réparties entre l'Europe, l'Amérique du Nord et le Japon.

Ce concept pourrait en fait s'appliquer à une très large gamme de développements techniques dès lors qu'il s'agit de transmettre des données et des dessins en temps partagé. Dans une certaine mesure, il permet d'effacer les contraintes géographiques et organisationnelles et de faire appel aux meilleurs experts où qu'ils se trouvent. Qui plus est, il a pour résultat d'accélérer considérablement le processus d'innovation.

Bien qu'elle ne soit pas une très grosse entreprise, la société Ricoh (dont le chiffre d'affaires s'élève à 5 milliards de dollars) s'est dotée de sites de développement au Japon, dans l'est de la France et en Californie, où ses chercheurs travaillent sur les nouveaux photocopieurs et appareils photo. Depuis 1995, ces équipes dispersées collaborent plus efficacement, parce qu'elles sont reliées par un intranet desservant 3.000 terminaux.

L'entreprise de biens d'équipement ABB (36 milliards de dollars de chiffre d'affaires) a créé un réseau électronique fondé sur Lotus Notes, reliant ses 20.000 ingénieurs afin de favoriser l'émergence d'idées à partir de la base. Désormais, plus de 70.000 salariés utilisent le système plus d'une fois par jour.

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Nous n'en sommes, toutefois, qu'au tout début de l'exploitation potentielle de la panoplie des moyens de communication disponibles. A quel moment faut-il préférer un contact téléphonique à un message électronique ? Quand faut-il convoquer une réunion en face à face pour résoudre un problème complexe ou remotiver une équipe ?

Il nous faut également trouver de nouveaux process de management et dispositifs organisationnels afin de tirer profit au maximum des nouvelles technologies de l'information. En général, nous superposons l'informatique à des process existants au lieu de repenser complètement l'organisation. *

GEORGES HAOUR est professeur de gestion de la technologie à l'IMD. Ancien directeur du département de recherche du Battelle Institute à Genève, ses recherches portent notamment sur la gestion mondiale de la technologie et de la croissance au travers de l'innovation et de la R&D.

Les tendances actuellesAu sein de la triade technologique Europe/Amérique du Nord/Asie-Pacifique, quelques tendances apparaissent qui gouvernent l'évolution des systèmes de R&D industriels.

* Le regroupement

le groupe pharmaceutique Glaxo s'est servi de sa fusion avec Wellcome comme d'une thérapie de choc afin de rationaliser et de réorienter ses activités de R&D, fermant quatre de ses six laboratoires cliniques et réduisant ses effectifs de R&D de 30 %.

Novartis est le fruit d'une fusion entre Ciba et Sandoz. Dans ce cas également la fusion a permis de réorganiser les laboratoires, avec la fermeture, par exemple, du centre de R&D de Ciba près d'Osaka et le maintien du laboratoire Sandoz à Tsukuba, au nord de Tokyo.

* Une large gamme de sites de R&D

IBM gère 48 laboratoires de R&D de par le monde, souvent situés dans des sites relativement isolés tels que l'unité de La Gaude, créée à la fin des années 60 près de Nice, dans le sud de la France. L'investissement global en R&D d'IBM atteint 5 milliards de dollars, un chiffre proche de la totalité des investissements suisses en R&D, secteurs privé et public confondus.

Les sociétés multinationales en ont-elles pour leur argent ? Les laboratoires contribuent-ils véritablement au renforcement de l'organisation dans son ensemble ? S'ils sont en premier lieu des acteurs locaux, pourquoi alors les fédérer au sein d'une organisation unique ?

Dans l'ensemble, les entreprises à forte composante technologique ont développé ou reçu en héritage un nombre trop important de sites de R&D, souvent mal implantés géographiquement. Un cas extrême serait celui d'une société occidentale qui installerait un laboratoire de développement dans l'île reculée d'Hokkaido, au nord du Japon, loin de tout environnement technique stimulant et de tout centre de décisions ou de marchés. Pourquoi une telle décision ? Elle est due souvent à l'attrait d'avantages fiscaux. On notera d'ailleurs que, lorsqu'il s'agit de sélectionner un site de R&D, les entreprises américaines semblent plus attirées par les exonérations fiscales que leurs homologues européennes ou japonaises.

* Le Japon : une mine technologique

Pendant des années, les sociétés japonaises se sont contentées de reprendre les innovations développées ailleurs. Aujourd'hui, fortes de 500.000 chercheurs, elles investissent, en chiffres absolus, autant que l'industrie manufacturière américaine. En outre, en juin 1996, le Japon a lancé un vaste programme visant à moderniser les universités et la recherche à long terme.

* La Corée du Sud est le pays qui a le plus augmenté ses investissements en R&D.

Ce pays y a consacré 2,2 % de son PNB en 1995 contre à 1,3 % en 1985. Le groupe Samsung a doublé ses investissements en R&D chaque année entre 1990 et 1994, même s'il diminue aujourd'hui ses efforts en

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raison de la crise actuelle en Asie.

On évalue à 62 le nombre de sites de R&D des sociétés coréennes à l'étranger, dont plus de la moitié aux Etats-Unis. La plupart, toutefois, comptent moins de 10 salariés et sont de simples « fenêtres » de veille technologique.

R&D : apprendre plus en apprenant ensembleL'essor des coopérations en R&D accompagne la mondialisation des marchés. Cette collaboration est essentielle pour acquérir de nouvelles technologies et compétences. C'est aussi une réponse adéquate au nécessaire partage des risques financiers.

De nombreux travaux montrent que la création de savoir-faire et de compétences constitue aujourd'hui l'une des priorités du management des entreprises. Entendues comme des ressources stratégiques, elles vont influencer l'avenir des entreprises, au travers des innovations technologiques, des nouveaux produits ainsi que de la recherche et de l'ouverture de nouveaux marchés.

Malheureusement, la compréhension que nous avons actuellement de la création de compétences, surtout par le biais de collaborations interentreprises en recherche-développement (R&D), est encore limitée. Cet article vise à l'améliorer, en analysant les coopérations en R&D sous l'angle de l'acquisition et de la gestion de compétences et de savoir-faire.

Dans le cadre d'une globalisation croissante, le cycle de vie des produits et des services s'est fortement accéléré dans de nombreuses industries, depuis les services multimédias ou les biotechnologies jusqu'aux articles de sport et à l'habillement. En outre, les compétences sur lesquelles ce cycle est fondé ont elles-mêmes connu une forte évolution. Ces améliorations successives des produits et des processus poussent les entreprises à rechercher de nouvelles approches scientifiques, de nouvelles qualifications, de nouveaux savoir-faire (comme la numérisation du son et de la vidéo, la miniaturisation des outils de communication ou le génie génétique au service des médicaments et des produits alimentaires). Par là même, nombre d'entreprises cherchent à acquérir de nouvelles connaissances pour élargir leur portefeuille de compétences, puis de produits.

Les choix possibles

De nombreux choix s'offrent aux entreprises : la croissance interne, lente et risquée, mais qui assure fréquemment une domination sans partage en cas de réussite ; l'acquisition, qui réduit le temps nécessaire pour accéder aux savoirs visés, mais oblige à un long et onéreux processus d'absorption ; le financement de start-up, qui transforme l'entreprise en venture capitaliste avec ses risques financiers ; et la collaboration entre entreprises. Ce dernier mouvement stratégique pose des problèmes spécifiques que nous allons examiner, en portant notre attention sur la recherche-développement.

Les coopérations en R&D se sont répandues depuis les vingt dernières années. Leur développement accompagne la mondialisation des marchés. C'est aussi une réponse adéquate au nécessaire partage des risques financiers, techno- logiques et industriels attenants. Ainsi, dans de très nombreuses activités, ces collaborations se sont révélées nécessaires pour assurer le développement de nouvelles technologies.

Les formes d'organisation de telles coopérations en recherche-développement sont variées. L'une des plus courantes est le consortium. Dans les trois grandes zones de la triade, les consortiums impliquent de nombreux acteurs aux profils complémentaires : universités, laboratoires publics et entreprises industrielles. Leur fonctionnement requiert une définition très précise des objectifs. Les consortiums conduisent à une mise en commun de moyens financiers et humains. Certains d'entre eux impliquent des installations de recherche communes (comme Sematech aux Etats-Unis). Cependant, cela reste exceptionnel. Les membres fonctionnent beaucoup plus en réseau grâce à l'animation d'un ou de plusieurs leaders.

La collaboration dans le cadre d'un consortium traduit une relation préconcurrentielle. En général, ses résultats alimenteront ultérieurement la concurrence industrielle entre les membres du consortium. De tels consortiums sont en effet créés dans le but de poursuivre une recherche scientifique commune (programmes Esprit en Europe) ou de mener de la R&D qui offrira les bases de développement de produits nouveaux (Sematech pour les semi-conducteurs et MCC pour l'informatique aux Etats-Unis, les programmes Eurêka en Europe, et le VLSI et le Projet de l'ordinateur de cinquième génération au Japon).

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D'autres coopérations interentreprises sont de moindre envergure et prennent la forme de joint-ventures ou de contrats de développement conjoint entre entreprises. A la différence des consortiums, ceux-ci concernent en général un nombre limité de partenaires et se focalisent souvent sur les applications et les débouchés commerciaux.

Bien qu'il existe des difficultés inhérentes à la gestion de telles collaborations, ces diverses formes de coopération montrent bien que l'autonomie totale en matière de R&D pose souvent problème, alors que les circonstances appellent plutôt souplesse et innovation dans le management. Les collaborations en R&D illustrent bien un mouvement particulier d'externalisation de l'activité de recherche. Elles traduisent l'impossibilité de se suffire à soi-même en termes de base technologique.

Sur le plan des avantages, la coopération en général, et les partenariats de R&D en particulier, permet aux organisations d'optimiser leurs points forts. Les entreprises peuvent ainsi développer de nouvelles compétences grâce à l'appui fourni par leurs partenaires, soit en bénéficiant d'économies d'échelle, soit en tirant parti de synergies nouvelles. En coopérant en matière de recherche, les sociétés peuvent avoir une meilleure idée des compétences de leurs partenaires, accéder à des savoirs et compétences complémentaires et renforcer leurs propres pôles d'excellence.

Les grandes opportunités offertes par ces coopérations en recherche-développement se retrouvent dans les cinq dimensions suivantes :

- relations client-fournisseur et nouveaux codéveloppements : il s'agit tirer profit des relations verticales ;

- effet de levier (selon le nombre de participants) en tirant parti de l'effet de masse ;

- partage des coûts ;

- réduction des risques financiers ;

- apprentissage des nouvelles technologies et acquisition de savoir-faire.

Les principales opportunités et les risques associés aux coopérations de R&D sont présentés dans le tableau 1. Le partage des coûts et la mise en commun des connaissances scientifiques et des informations techniques et industrielles sont les deux principaux facteurs explicatifs de la coopération en R&D (voir tableau 2). Les quatre exemples suivants donnent une bonne idée des types de consortiums existants dans le domaine du développement technologique. Ils illustrent aussi les avantages des collaborations en R&D.

Le partage des coûts évite la duplication des efforts de R&D et peut même parfois entraîner des économies d'échelle. Une bonne illustration en est la collaboration entre les grands constructeurs automobiles européens pour développer l'électronique embarquée, l'informatisation du véhicule et la gestion des communications dans le transport.

Le partage des connaissances et des informations donne accès à des technologies établies. Cependant, des connaissances associées à ces technologies peuvent être tout à fait nouvelles pour l'un des partenaires. Ainsi, à la suite d'un consortium de type Eurêka appelé « Cellys », Bertin, une entreprise française, a pu créer sa propre division bio-industrie. Bien que Bertin ait eu de solides compétences en mécanique des fluides et en physique, cette entreprise ne possédait pas, avant le projet, de laboratoire de biologie ni d'expérience en culture cellulaire. Dans d'autres cas, des sociétés ont pu avoir accès à des connaissances complémentaires. S'agissant des services multimédias, par exemple, l'accès aux programmes est dépendant des technologies de traitement du signal et de transmission. L'ensemble de ces technologies requiert aussi une bonne maîtrise de la gestion des bases de données clientèle et de la multifacturation.

Un autre type de coopération conjugue les deux objectifs principaux cités plus haut. Les coûts et les risques sont partagés, tout en développant une nouvelle technologie. Par exemple, le consortium Agata (turbines à gaz avancées pour automobiles) rassemble sept constructeurs automobiles en vue de parfaire un nouveau moteur à turbine à gaz.

Enfin, parmi d'autres exemples, on compte l'accord signé en 1994 entre Intel et Hewlett-Packard pour le développement conjoint d'une nouvelle génération de microprocesseurs, ou celui entre Philips et Sony visant

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à améliorer la technologie vidéo et musicale et qui est devenue le DVD.

Collaboration : les enjeux

Toutefois, les coopérations en R&D impliquent souvent des facteurs bien plus subtils qu'un simple partage de coûts ou de connaissances. Elles mettent souvent en jeu des compétences ou des actifs apportés par chaque partenaire dans la corbeille du mariage. Les enjeux de la collaboration en R&D sont brièvement décrits ci-dessous.

* Compétences et actifs complémentaires

L'entreprise ne peut plus seulement compter sur elle-même pour rester présente sur les développements technologiques futurs. Elle doit accéder à des ressources qu'elle ne possède pas, mais dont elle a besoin. Un exemple simple est donné par la dépendance d'équipements électroniques (micro-ordinateurs ou radiotéléphones) vis-à-vis de la miniaturisation et de l'autonomie de la source d'énergie. L'accès à de telles ressources pèsera sur la capacité de développement et d'innovation de l'entreprise. Ces actifs sont qualifiés d'actifs complémentaires. Ils peuvent promouvoir une innovation technologique ou le développement commercial d'un produit.

Une bonne illustration en est donnée par la coopération entre Alcatel (télécommunications) et Sharp (un fabricant japonais de terminaux informatiques) pour la fabrication de téléphones cellulaires. Le premier voulait renforcer son expertise dans le domaine de la production en grande série, alors que l'autre avait une grande compétence en matière d'écrans et une expérience solide dans la fabrication de produits de type « organizer personnel ». Un consortium leur permettait de fertiliser leurs compétences communes sans avoir à passer par un échange de participations croisées.

Si la complémentarité des compétences est essentielle pour coopérer dans le domaine du développement technologique, l'accès à des compétences développées par le partenaire n'est pas aisé. Ainsi, l'absence de laboratoires communs ralentit fréquemment les échanges et les contacts personnels. Même des réunions régulières des équipes ne favorisent pas rapidement la fertilisation croisée des compétences et des savoirs technologiques. Il est donc souvent difficile de combiner ces différentes compétences. Chaque partenaire a tendance à protéger ses compétences clefs, qui parfois sont profondément ancrées dans l'organisation et la culture de l'entreprise.

* Connaissances tacites et codifiées

Le savoir tacite est l'une de ces compétences ancrées dans les hommes et les organisations. Par définition, il est complexe à formaliser, étant donné qu'il dépend de l'expérience collective et individuelle et qu'il est profondément enraciné dans les habitudes et les systèmes de valeurs. Il est donc difficile à communiquer et à partager avec des équipes géographiquement et culturellement éloignées.

Les connaissances codifiées, en revanche, sont beaucoup plus systématiques et transférables, puisque, en général, elles sont explicites, notamment dans les bases de données, les manuels d'utilisation ou les procédures. Mais, même alors, il arrive souvent que les connaissances codifiées soient liées à l'utilisation ou à l'activation de savoirs tacites. Le fonctionnement des consortiums en recherche-développement peut alors buter sur de tels obstacles.

Il est donc important d'organiser des recherches coopératives, dans le but d'accélérer, voire d'obtenir, ces différents savoirs et connaissances, au travers de contacts personnels et d'échanges d'information et de technologie.

Transfert des savoirs

* Obstacles à l'apprentissage

Nombre d'entreprises se lancent dans des coopérations pour apprendre. Certaines réussissent. Néanmoins, étant donné que la coopération est un processus difficile à gérer, de nombreux obstacles peuvent barrer leur chemin.

D'abord, un désaccord peut concerner les objectifs de la R&D. La plupart des entreprises ne peuvent pas

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s'empêcher de se comporter comme des concurrents plutôt que comme des partenaires. Le transfert de connaissances d'une entreprise à l'autre est parfois plus facile quand les sociétés mères ne sont pas concurrentes sur leur marché.

De plus, les méthodes de travail diffèrent souvent entre entreprises. Un fossé culturel peut même séparer les partenaires. Enfin, il existe aussi un risque de dilution des droits de propriété et même éventuellement une perte de savoir-faire, car l'entreprise expose une partie de ses compétences.

Finalement, engagée dans une collaboration en R&D, l'entreprise doit régler le problème du contrôle des processus d'organisation lors de l'assimilation des connaissances développées pendant la coopération par l'un des membres du consortium. Les connaissances apprises risquent de demeurer locales dans l'entreprise impliquée dans une coopération. Cela suppose que l'on comprenne correctement les mécanismes de diffusion à l'oeuvre et qu'un diagnostic des obstacles soit réalisé.

* Capacités d'apprentissage par absorption

La capacité d'absorber des connaissances se définit par l'aptitude à reconnaître, à assimiler et à utiliser les compétences externes, en vue de les intégrer dans le développement interne de nouvelles technologies ou produits. Cette capacité devient de plus en plus importante au fur et à mesure que les liens entre sociétés, laboratoires publics et centres de recherche se multiplient et se diversifient. Le profit que l'on peut tirer des connaissances supplémentaires apportées par la coopération dépend principalement de la capacité d'absorption du destinataire.

* Appropriation

L'appropriation concerne les mécanismes qui permettent à une entreprise de tirer profit d'un enrichissement des connaissances issues d'une coopération, particulièrement s'il n'existe pas de jurisprudence en matière de droits exclusifs de propriété. Ce type de mécanisme est essentiel, car les activités de R&D ne sont pas faciles à définir en terme de projet particulier, elles n'obéissent pas à un calendrier strict, et les droits de propriété en découlant sont souvent mal définis.

L'appropriation se scinde donc en deux volets : l'apprentissage réalisé au travers des contributions du partenaire et l'institutionnalisation de ces connaissances et de ces informations. Ce dernier type d'apprentissage organisationnel va bien au-delà de l'appropriation locale, qui est limitée aux individus ayant participé au projet en collaboration. C'est le processus par lequel de nouvelles compétences sont acquises, qui enrichit les connaissances déjà assimilées par ces personnes. Les nouveaux savoirs et compétences peuvent alors irriguer l'ensemble d'une filiale ou d'une branche d'une entreprise.

Exploiter la collaboration

La cohérence d'une stratégie d'entreprise joue un rôle essentiel dans la gestion des coopérations visant l'acquisition de savoir, que ces collaborations soient fondées sur le partage des coûts ou sur celui des connaissances.

* Partage des expériences individuelles

Une coopération de R&D permet aux dirigeants des entreprises partenaires de bénéficier d'une exposition aux idées et connaissances existant à l'extérieur de leur milieu naturel. Les relations personnelles et la mobilité encouragent l'accès aux savoirs tacites, alors que le partage technologique donne un accès privilégié aux connaissances formelles telles que les brevets, licences, plans, schémas ou prototypes.

* Création des compétences

Le processus d'apprentissage d'une entreprise dépend de sa capacité à conjuguer ses propres compétences à celles de ses partenaires, afin de savoir saisir les occasions qui se présentent et de développer de nouveaux marchés.

Ainsi, la collaboration entre un industriel du verre et un spécialiste de l'électroménager en est une illustration parfaite. Il y a quelques années, ils ont créé un joint-venture à parts égales pour développer une technologie permettant de fabriquer les céramiques spéciales utilisées dans les plaques de cuisson. Au départ, ces deux

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entreprises ne connaissaient pas grand-chose à ce domaine.

* Délai de mise sur le marché et fenêtre d'opportunité

La recherche coopérative permet également de réduire le temps nécessaire à la mise sur le marché d'un nouveau produit, et de s'assurer qu'il soit prêt au moment opportun. Pour ce faire, il convient toutefois d'accélérer le processus de création de produit, en améliorant les interfaces entre les différentes fonctions (R&D, marketing, production) et le transfert technologique entre divisions et/ou groupes responsables d'un produit. Il ne suffit pas de promouvoir le travail en équipe entre et au sein de laboratoires. Il faut impliquer les autres fonctions.

Perspectives

Jusqu'à présent, la R&D a été jugée suffisamment stratégique pour être développée en interne. Néanmoins, l'évolution des marchés et les percées technologiques font de la coopération en R&D un élément de plus en plus essentiel pour acquérir les nouvelles technologies et pour répondre aux demandes du marché.

Ce potentiel dépend de la création en interne de processus d'innovation et requiert une attitude plus positive envers les contributions extérieures. Cela exige fréquemment un changement de mentalité envers la R&D.

A partir des principales dimensions du management des collaborations en R&D identifiées dans les tableaux 3 et 4, nous pouvons souligner clairement quatre facteurs essentiels :

- La direction du groupe doit stimuler l'expertise interne afin d'évaluer le potentiel technologique.

- Etant donné que la coopération en R&D est mise en place pour créer un ensemble de compétences, l'évaluation des capacités et contributions apportées par chaque partenaire est primordiale.

- Le grand défi est d'arriver à déterminer où réside le savoir-faire dans l'entreprise et chez le ou les partenaires.

- La création d'un « modèle maison », valable aussi bien pour les connaissances internes qu'externes se fonde sur la participation des dirigeants, non seulement dans la formulation de politiques, mais également dans leur gestion des valeurs et des normes culturelles. *

Sony et Philips ont passé un accord de coopération pour partager les coûts et les risques du développement d'une nouvelle technologie vidéo et musicale qui est devenue le DVD. (C) Moschetti/REA

BERTRAND QUÉLIN est professeur associé d'économie et de management stratégique au Groupe HEC. Ses recherches portent sur la gestion des compétences, les modes d'organisation des activités et les nouveaux marchés. Pour mener sa recherche, il a bénéficié du soutien financier de la Fondation HEC.

Les leçons stratégiques de l'entreprise virtuelle Une véritable cohésion et une bonne compréhension des objectifs, de la stratégie et de la culture d'entreprise sont essentielles pour travailler en équipe virtuelle.

La rhétorique de la mondialisation considère les technologies de l'information comme un moteur de la mondialisation. Il existe un lien conceptuel direct entre, d'une part, l'aptitude intrinsèque de ces technologies à surmonter les contraintes géographiques et temporelles et, d'autre part, l'ambition des organisations mondiales à exploiter leurs ressources techniques au niveau planétaire, à coordonner leurs achats afin de réaliser des économies d'échelle, à apporter une réponse cohérente à leurs clients internationaux, et ainsi de suite.

Il n'est donc pas surprenant qu'au cours de la dernière décennie les sociétés poursuivant des stratégies mondiales aient considérablement investi dans l'informatique : réseaux à grande vitesse, courrier électronique, groupware et intranet.

Cependant, dans quelle mesure les technologies de l'information ont-elles favorisé la mondialisation ? Pourquoi, malgré de gros investissements dans ce domaine, les cadres des entreprises internationales

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passent-ils toujours autant de temps dans les avions ? Pourquoi, lorsqu'ils se retrouvent sur terre et qu'ils se relient au réseau de communication de l'entreprise, se plaignent-ils si souvent d'avoir dans leur corbeille quantité de messages électroniques sans intérêt ? Enfin, pourquoi les salariés de sociétés pionnières des bases de données mondiales s'excusent-ils régulièrement de ne pas prendre le temps d'exploiter ces connaissances à bon escient ?

Est-ce à dire que le rôle moteur des technologies de l'information dans la mondialisation a été fortement exagéré, que ces technologies n'apportent qu'une contribution mineure à la globalisation ? Selon un point de vue différent, les structures informatiques occupent une place secondaire parce qu'elles n'ont pas été conçues pour jouer un rôle central, notamment lorsqu'on les a superposées à des processus de management préexistants. Dans de telles circonstances, la messagerie électronique devient un « trafic » supplémentaire, qui rallonge le temps d'accès et de réponse ou qui est délaissé parce que ce n'est qu'une option.

A quoi ressembleraient donc des processus de management complètement revus afin d'exploiter les potentialités technologiques ? Quel en serait l'impact ? Pour répondre à ces questions, cet article n'examinera pas tant le cas des organisations mondiales établies de longue date, mais plutôt celui d'une entreprise née au coeur de l'ère électronique : First Virtual Holdings (lire encadré ci-dessous). La façon dont First Virtual se sert du courrier électronique illustre certaines des fonctions requises pour faire évoluer le e-mails de simple outil à un véritable processus. Il s'agit, entre autres :

* Du système en tant que participant

Si, en général, le courrier électronique est considéré comme un moyen de communication entre les personnes, les salariés de First Virtual ont rendu le système participatif. Par exemple, lorsqu'un développeur prend une décision technique sur un composant, le système envoie automatiquement un signal à la personne chargée du projet.

Quand un agent du service client travaillant à domicile a besoin d'aide pour répondre au message d'un client, il joint la mention « remontée » à son message, et le système fait suivre vers un niveau prédéfini de la hiérarchie possédant l'expertise. Le système peut être utilisé pour modifier les noms inscrits sur la liste de diffusion lorsque le nombre de messages risque de devenir ingérable (même quand il n'y avait qu'un petit nombre de salariés, les messages entrants se comptaient par dizaines). Le système peut également être programmé pour trier les messages dans des corbeilles multiples assorties de priorités. Parfois, le système fait appel à des « robots courrier » pour répondre automatiquement aux messages dits de moindre valeur.

* De la distinction entre rôles et identités

Un même poste recouvre souvent des rôles et des aspects multiples, alors qu'il n'offre qu'une seule identité électronique. Les premiers salariés de First Virtual ont développé l'idée d'identités fondées sur les rôles, afin de préciser le contexte des messages. Ainsi, en recevant un courrier adressé à « Infohaus.admin » plutôt qu'à « d.feeny », je sais que je dois réagir avec ma casquette d'administrateur du service Infohaus. Autre exemple, un message du directeur général de First Virtual peut être traité comme une invitation à commentaires sur une idée intéressante ou comme un ordre à exécuter, suivant l'identité utilisée par l'expéditeur.

* Du système en tant qu'outil d'audit

Lorsque la communication électronique se trouve au coeur de l'entreprise, la direction détient alors un nouvel outil de suivi et de contrôle.

Les cadres de la division technique et opérationnelle chez First Virtual ont la possibilité de puiser dans une série de messages archivés pour savoir comment (et par qui) les problèmes ont été traités et les solutions obtenues.

Le directeur financier affirme qu'un survol rapide des messages électroniques, assorti d'une lecture sélective de leur contenu, donne le pouls de l'entreprise. Un contrôle de gestion plus serré peut également être effectué sans avoir à déranger les salariés en leur demandant des rapports d'avancement, qui sont souvent perçus comme l'expression d'un manque de confiance.

Ces exemples particuliers doivent être replacés dans un contexte plus large de règles de comportement. Les

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salariés savent, par exemple, qu'ils sont tenus de répondre à un courrier uniquement lorsqu'ils ont une contribution à apporter. En revanche, en tant que destinataire d'un message, je blesserai l'émetteur si je ne lui réponds pas - ou tout au moins si je n'accuse pas réception - dans les heures qui suivent.

En rajoutant des fonctions et des protocoles au système de base, First Virtual a donné un sens au contenu des messageries électroniques. De ce fait, l'organisation a pu fédérer des individus à fortes compétences technologiques répartis à travers les Etats-Unis au sein d'une équipe qui fournissait et exploitait un produit envisagé par une structure « sans murs ».

Les limites de la technologie

Si tout ce qui précède semble faire l'éloge de l'entreprise « câblée », la deuxième phase d'apprentissage - après le stade de développement initial - de First Virtual remet les choses en perspective. Quand First Virtual a ouvert des bureaux à San Diego, l'objectif n'était pas uniquement de rassurer ses clients. La société s'était aperçue que certaines activités étaient mieux gérées de façon plus classique.

Tout en partant d'une base entièrement virtuelle, First Virtual a réalisé que le travail d'équipe électronique offre le maximum d'avantages quand tous participent à la définition d'objectifs précis, ainsi qu'à l'élaboration d'un cadre clair pour aller de l'avant. Ces conditions étaient réunies quand l'entreprise embryonnaire mettait en oeuvre sa vision initiale, et c'est d'ailleurs toujours le cas pour certaines des activités. Toutefois, au fur et à mesure de l'évolution rapide et imprévisible du marché Internet, cible de la société, l'entreprise a ressenti le besoin croissant d'organiser des réunions en face à face pour définir sa stratégie et de disposer d'un espace de travail partagé. En effet, First Virtual s'est rendu compte qu'une organisation virtuelle était en mesure de gérer les « opérations » et le « contrôle », mais ne convenait pas à la « planification ».

Aujourd'hui, la direction de First Virtual souligne non seulement l'importance des contacts en face à face, mais aussi de la formation aux techniques de travail en équipes, qui visent à améliorer la qualité des interactions. L'équipe chargée de l'innovation chez First Virtual est également située à San Diego, où se trouve une salle de détente visant à promouvoir un état d'esprit favorable à la créativité.

La troisième et la plus douloureuse phase d'apprentissage organisationnelle a démarré quand les effectifs de First Virtual ont atteint une centaine de personnes. Etant donné les exigences de performance inévitables auxquelles sont soumises les start-up, l'entreprise n'a pas eu le temps d'initier correctement ses nouveaux salariés aux valeurs et aux processus de l'entreprise. De ce fait, la culture cohérente des premières heures s'est dissipée, et les problèmes sont apparus.

Au niveau le plus élémentaire, les nouveaux salariés ont involontairement offusqué les anciens en ne suivant pas (par ignorance) les protocoles de communication. En outre, ils étaient beaucoup moins conscients des valeurs et des objectifs de l'organisation. Les nouveaux venus, habitués à une approche très structurée du développement, se sont heurtés aux méthodes davantage centrées sur la personne des salariés en place.

Alors qu'auparavant First Virtual arrivait à gérer nombre d'activités au sein d'une structure quasi virtuelle, la société a maintenant beaucoup de mal à coordonner les activités de San Diego et d'un deuxième bureau à Ann Arbor. Il est devenu évident que, pour travailler en équipe virtuelle, il faut bien comprendre et respecter les méthodes, les capacités et l'engagement de ses collègues. Ces conditions semblaient évidentes au sein de la communauté étroitement soudée des débuts de First Virtual. Il convient donc d'établir ces principes plus formellement (c'est en cours) au travers de séances de communication, de formation des nouveaux salariés, etc. La technologie, même dans une société de haute technologie, a ses limites. *

DAVID FEENY est vice-président du Templeton College de l'université d'Oxford et directeur de l'Oxford Institute of Information Management. Ses recherches portent sur les interactions entre stratégie d'entreprise, conception organisationnelle et technologie de l'information.

Systèmes d'information : le bon équilibre

Les entreprises mondiales doivent rechercher le « bon » compromis entre souplesse et standardisation de leur infrastructure informatique. Cinq approches sont détaillées pour permettre aux dirigeants d'orienter leur choix.

DONALD A. MARCHAND

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Entre souplesse et standardisation de leurs opérations, un large éventail d'options s'offre aux entreprises travaillant à l'échelle de la planète. L'équilibre retenu entre ces deux extrêmes influence la manière dont elles créeront de la valeur en fournissant les biens et services vendus aux clients, localement, au niveau régional ou au niveau mondial.

La recherche du « bon » compromis entre flexibilité et standardisation n'implique pas un choix définitif, mais plutôt un processus permanent d'adaptation, influencé par le mix du produit ou des services et par l'organisation interne et la mise à disposition des informations nécessaires à leur production.

La souplesse donne aux « business units » ou aux responsables produit d'une entreprise mondiale la liberté de décider comment adapter aussi bien leur produit ou service que leurs processus d'approvisionnement et de distribution aux demandes spécifiques du marché local. Du moment que ces managers opèrent de façon rentable, en apportant aux clients une véritable valeur ajoutée créée dans leur business unit ou dans leur pays, ils sont en droit de décider de la conception, de la configuration et de l'exploitation de leur organisation interne, ainsi que de leurs systèmes d'information (SI) et de leurs infrastructures en matière de technologies de communication (TC).

« Partager » les pratiques

La normalisation, quant à elle, reflète le besoin tout aussi important de réduire les frais d'exploitation de l'entreprise ou de ses centres de production, en cherchant constamment à « partager » les meilleures pratiques ou en adoptant des types d'organisation et des infrastructures SI et TC « communs » chaque fois que c'est possible.

De plus, la standardisation est parfois indispensable pour permettre à une entreprise d'exploiter la matière grise présente dans ses business units ou ses centres de production, de partager les informations et de collaborer sur des projets, au bénéfice du groupe au niveau mondial.

La direction d'un groupe mondial doit décider de l'« architecture d'entreprise » optimale pour servir au mieux les intérêts de l'organisation. Ces choix reflètent la perception qu'ont les dirigeants de la valorisation de l'information et des connaissances au sein du groupe, de ce qu'ils attendent de l'infrastructure informatique et du niveau d'investissement qu'ils sont prêts à consentir pour celle-ci.

En sous-investissant, le groupe risque de ne pas avoir l'envergure nécessaire pour être compétitif dans un environnement fonctionnant en réseau, où rapidité, souplesse et qualité du partage de l'information font toute la différence.

En surinvestissant, le groupe voit ses frais d'exploitation exploser. Il doit aussi se lancer dans la difficile remise à plat de ses systèmes en vue de les standardiser, avec toute la résistance que cela implique dans les business units, qui sont pourtant censées profiter en première ligne du « partage » ou de la « mise en commun » des processus et de l'information.

Cet article présente cinq manières pour les groupes mondiaux d'équilibrer leurs ressources en matière de technologies de l'information, entre souplesse et standardisation, tout en précisant quelques critères permettant aux dirigeants d'orienter leur choix.

Etude de la solution au cas par casTous les groupes mondiaux ont, à un moment donné de leur histoire, fonctionné selon ce mode. Le groupe se développe pays par pays, business unit par business unit, en mettant l'accent sur l'autonomie locale et la souplesse.

Etant donné que l'entreprise fabrique, fournit et vend ses produits localement, ses systèmes d'information opérationnels (concernant les process de fabrication, de distribution, de marketing et de ventes) et son informatique fonctionnelle (comprenant les comptabilités générale et analytique, la paie et les achats) sont aussi développés et déployés localement.

* La force de cette approche réside dans la souplesse qu'elle procure aux pays et aux managers des business units. L'équipe dirigeante du pays ou de la business unit considère que système d'information et technologies

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de communication sont soit une simple fonction d'« appui », dont il faut minimiser le coût, soit un « service », qui permet de valoriser les informations de l'entreprise au niveau local. Dans ce type d'organisation, la direction du groupe se concentre sur la performance financière, la gestion internationale de ses marques et, parfois, la centralisation de la R&D, mais rarement sur les questions de SI et TC, qui relèvent plutôt des responsables locaux.

Cette approche souffre de trois grandes faiblesses : le coût élevé des opérations au niveau mondial, puisque le système d'information opérationnel et fonctionnel est dupliqué dans chaque business unit ; l'incompatibilité des systèmes, des données et des infrastructures de communication entre les unités ; enfin, une mauvaise communication sur les clients et un partage médiocre des informations entre ces business units.

Ces faiblesses se traduisent de trois façons dans les entreprises :

* Les efforts consentis pour réduire le coût de la duplication des processus et des systèmes sont freinés par l'incompabilité des infrastructures technologiques et par l'hétérogénéité des logiciels développés en interne ou adaptés de l'extérieur. De plus, chaque dirigeant local se fait le champion de son système.

* Chaque fois que le groupe essaie de généraliser les techniques de reporting à ses business units, il se heurte à des problèmes de définition incomplète de données, à l'incompatibilité des bases de données ou des logiciels d'application et à des pratiques de management local impossibles à harmoniser.

* La collaboration et le partage d'information entre business units sont freinés par une grande réticence à partager les informations client, et par l'incompatibilité des réseaux de communication.

Pour surmonter ces faiblesses, la direction d'un groupe mondial doit remettre en question l'autorité et les prérogatives des managers locaux, sans toutefois perdre les avantages offerts par la focalisation sur le marché local. Vers la fin des années 80 et le début des années 90, cette remise en question a débouché sur une approche alliant souplesse et normalisation.

Recentrage vers les fonctions de groupeAyant reconnu que les business units locales ont tendance à se focaliser sur les résultats à court terme et sur les problèmes opérationnels locaux, les grands groupes mondiaux ont décidé de nommer un directeur de la technologie et des systèmes d'information au niveau du groupe, auxquels ils ont confié de vastes responsabilités.

En premier lieu, ce responsable est chargé de suivre et de surveiller les tendances générales du secteur d'activité du groupe ainsi que celles du monde de l'informatique, pour repérer les opportunités permettant aux unités de développer des systèmes partagés.

Deuxièmement, ce directeur doit développer et maintenir des normes s'appliquant à toutes les unités opérationnelles pour que le partage des informations et la communication s'effectuent véritablement aux niveaux mondial et régional.

Troisièmement, il lui est demandé de faire baisser les coûts d'exploitation des réseaux voix et données, tout en établissant des bases de données dans les unités opérationnelles, avec des « services partagés ».

Alors que, très naturellement, ce directeur travaille sous les ordres de la direction financière, son autorité est fondée sur la persuasion, et non sur un mandat qui lui serait délivré par ses supérieurs hiérarchiques. Il doit bâtir des associations entre unités locales, en vue d'établir les normes informatiques du groupe. Il lui est pratiquement impossible d'obliger un directeur local à se plier à ses décisions s'il est en désaccord ouvert avec lui.

Cette approche offre trois avantages :

* Les organisations dont la culture d'entreprise est très décentralisée peuvent adopter une telle approche. Dans le même temps, les efforts pour « partager » les systèmes d'information opérationnels et fonctionnels et les infrastructures de communication afin d'en tirer une meilleure synergie sont permis, mais en aucun cas

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imposés, par la direction du groupe.

* Deuxièmement, certaines entreprises arrivent à réduire leurs coûts en diminuant le nombre de leurs centres informatiques, et en économisant aux niveaux local et mondial sur les réseaux voix et données.

* Troisièmement, les connaissances des meilleures pratiques en matière de technologies de l'information accumulées au niveau du groupe peuvent être mises à profit localement par les business units.

Néanmoins, trois grandes faiblesses viennent très souvent contrebalancer ces points forts :

* La prise de décision est longue. Un directeur des technologies de l'information groupe m'a un jour confié qu'il avait fallu plus de six ans à son groupe pour faire passer le nombre de livres de comptabilité de 160 à 30.

* Dans la plupart des entreprises, l'informatique continue à être considérée comme un « centre de coûts », et la direction de groupe cherche sans cesse à en faire baisser les coûts en réduisant le niveau de service rendu localement.

* Le développement de normes communes pour les systèmes et les infrastructures d'information est piloté par des comités constitués de managers locaux et de membres de la direction du groupe, ce qui ralentit le cycle de prise de décision. Ce pilotage complexe freine plus qu'il ne facilite l'adoption de normes communes.

Gestion d'une infrastructure mondiale dans un environnement applicatif décentralisé

La troisième approche constitue une solution « hybride » : les approches n^o 1 et n^o 2 confient aux dirigeants des business units le soin de décider comment le système d'information sera géré au niveau du groupe.

Les solutions n^o 4 et n^o 5 dépendent fortement d'un leadership très hiérarchisé, régional ou au niveau du groupe.

La troisième voie tente de trouver un compromis entre deux nécessités contradictoires. Elle essaie de satisfaire aux besoins d'une culture d'entreprise non hiérarchisée, où la souplesse dans le déploiement de l'organisation et de systèmes opérationnels propres aux unités est indispensable pour alimenter la croissance et l'innovation. Ensuite, elle cherche à répondre aux besoins de synergie du groupe, en vue de réduire le coût d'exploitation des processus et systèmes fonctionnels et de mettre en oeuvre une infrastructure d'information mondiale, interconnectée et transparente.

Dans le cadre de cette troisième approche, les décisions concernant l'informatique opérationnelle sont souvent laissées aux business units. Elles peuvent ainsi choisir des systèmes parfaitement adaptés à leurs processus d'entreprise. En revanche, les décisions pour les réseaux sont prises de façon « globale », au travers du processus connu sous le nom de « consensus administré ». Ce processus encourage la discussion, jusqu'à ce qu'une décision soit prise par la hiérarchie. Les directeurs locaux sont alors tenus de l'appliquer.

Cette approche sous-entend que l'infrastructure technologique fonctionnelle soit conçue, dans la mesure du possible, de manière à réduire les coûts du groupe et à minimiser ses besoins en fonds de roulement.

Elle présente quatre avantages fondamentaux.

* Tout d'abord, elle fournit à l'entreprise une infrastructure transparente, sur une base de « pay as you go », dont les coûts sont répercutés sur les business units. * Ensuite, elle permet de promouvoir les meilleures pratiques en matière de systèmes de communication d'une business unit à l'autre, sans décisions imposées par la hiérarchie.

* Troisièmement, elle fournit une plate-forme que les unités peuvent utiliser lors de leur croissance et de leur évolution, sans avoir sans cesse à réinventer leurs systèmes d'information. Les business units peuvent ainsi se concentrer sur la création de valeur dans leurs métiers de base plutôt que de passer leur temps à

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remettre à jour leurs systèmes d'information et leurs infrastructures technologiques.

* Quatrièmement, elle essaie, autant que possible, de combiner souplesse opérationnelle et normalisation maximales des processus et des infrastructures de communication.

Mais, évidemment, cette troisième voie a ses faiblesses.

* Elle exige l'élaboration d'une culture d'entreprise basée sur le « consensus administré », où les priorités globales et les besoins locaux se font contrepoids. Dans une entreprise ayant une culture très décentralisée, pays par pays, cette évolution peut prendre des années.

* Cette approche donne naissance à une fonction « technologies de l'information mondiale » très puissante, chargée sans cesse de mettre en équation la normalisation des systèmes et infrastructures d'information et les besoins fluctuants des business units locales.

Cette approche présente toutefois deux types de risques : l'équipe en charge de l'information du groupe peut ne pas réussir à répondre aux besoins changeants des business units, ou celles-ci peuvent décider d'externaliser leur informatique en la confiant à un prestataire extérieur ; dans ces deux cas de figure, l'approche n^o 3 s'efface, au profit de l'approche n^o 1.

Adoption d'une stratégie régionale en matière de systèmes d'information

La quatrième approche est centrée sur des « régions » et met l'accent sur l'importance de la hiérarchie. Les entreprises qui choisissent cette solution ont tendance, par exemple, à « traiter l'Europe comme un seul et même pays ». Elles conçoivent leurs marchés par « régions », plutôt que par pays, et veulent harmoniser leurs processus clefs, leur gestion de l'information et leurs infrastructures de communication, afin de refléter les grandes orientations et le leadership de la zone entière.

La force de cette approche revêt deux formes :

* Tout d'abord, en travaillant par « zones de marché », ces entreprises réduisent leurs coûts, car elles adoptent des systèmes d'information opérationnels et fonctionnels normalisés pour toutes les régions. Si elles arrivent ensuite à fonctionner partout avec les mêmes processus et les mêmes systèmes, elles gagnent énormément de temps puisqu'elles ne mettent en place qu'un seul système par zone.

* Ensuite, ces entreprises standardisent leurs équipes, leurs cultures et leurs processus afin de fonctionner selon un mode « régional », qui doit se faire le miroir des marchés et des clients de cette région du monde. « Traiter l'Europe comme un seul pays » permet de satisfaire des besoins régionaux spécifiques et de gérer des modalités commerciales très différentes de ce que l'on trouve en Amérique du Nord ou en Asie. L'entreprise est ainsi mieux armée pour répondre à la diversité des marchés locaux.

Pour réussir, cette approche exige une très forte implication de la hiérarchie. Les managers de ce type d'entreprise parlent souvent de « casser » la domination d'un pays, et de déplacer les « potentats locaux ». Bien évidemment, ce genre d'approche requiert de grands changements dans la culture d'entreprise et une redistribution des pouvoirs de l'encadrement.

La deuxième difficulté réside dans le temps qu'il faut pour recentrer les activités sur la région. Pour certaines entreprises, cette évolution peut prendre dix ans. Elles doivent repenser leur organisation afin de mettre en valeur la zone géographique et, pour ce faire, recentrer la structure de l'organisation, sa hiérarchie et sa culture dans une seule et même direction. Si le marché évolue rapidement, un tel engagement en faveur de la régionalisation peut être difficile à modifier rapidement.

Mondialisation de l'organisation et systèmes d'informationLa cinquième approche n'est que l'extension de la concentration régionale (quatrième approche) à une concentration mondiale. Les entreprises concernées par cette dernière catégorie opèrent sur des marchés mondiaux où les produits se vendent de manière pratiquement identique, que ce soit en France ou en Asie du

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Sud-Est. Ces sociétés veulent pouvoir lancer un produit sur le marché américain, et en assurer le lancement sur le marché chinois trois mois plus tard. Pour réaliser cette prouesse, il leur faut des informations précises et cohérentes, afin de prendre leurs décisions au niveau mondial. Elles ont besoin de systèmes d'information et de communication communs, afin de réduire leurs coûts, d'éliminer les retards et de minimiser la complexité. De plus, toutes les innovations en matière de systèmes d'information, qu'ils soient opérationnels ou fonctionnels, ne requièrent qu'une seule conception et réalisation, mondiale, au lieu d'un déploiement dans chaque région et pays. Cette approche permet d'effectuer des économies sur les frais de réalisation des systèmes d'information et sur le développement d'une infrastructure de communication commune à la planète.

* Quelles sont les forces de cette approche ? Tout d'abord, elle permet de standardiser totalement la stratégie, la culture, les processus, les SI et TC de l'entreprise dans le monde entier. Si les marchés, les marques et les produits de l'entreprise sont mondiaux, elle se trouve, grâce à cette approche, en excellente position pour maximiser sa rentabilité et pour profiter de toutes les opportunités qui se présentent.

La flexibilité de l'entreprise, telle qu'on l'entend dans cet article, n'est pas vraiment primordiale, étant donné que sa valeur provient de ses marques mondiales. La réduction des coûts et les gains de productivité sont essentiels, surtout dans le cas de secteurs industriels opérant avec de faibles marges dans un environnement fortement concurrentiel, comme celui des biens de grande consommation. Dans ces cas de figure, la vitesse et l'efficacité sont optimisées par une infrastructure informatique mondiale, ainsi que par des systèmes d'information opérationnels et fonctionnels communs.

* Mais la faiblesse réside dans la difficulté suivante : l'uniformité et la cohérence requises exigent une forte culture d'entreprise, avec un leadership hiérarchisé puissant. L'entreprise entière fonctionne ainsi de façon cohérente et identique, ce qui est positif, mais en cas d'évolution rapide des marchés ou de la conjoncture, cette uniformisation peut être source de rigidité et d'incapacité à s'adapter.

Ces logiciels qui déclenchent l'innovation L'informatique moderne permet de réduire considérablement les coûts, les délais et les risques induits par l'innovation.

L'innovation est le processus au travers duquel une nouvelle idée ou un nouveau concept sont découverts, développés et ensuite mis en pratique. Dans le cas d'innovations majeures, ce processus est en général complexe et s'appuie sur de nombreux échanges entre acteurs provenant de domaines différents, par exemple entre les chercheurs, le management et les ressources humaines. L'informatique moderne permet de réduire considérablement les coûts, les délais et les risques induits par l'innovation.

La plupart des grandes innovations découlent de l'identification d'un besoin, plutôt que de la recherche d'une application pour une nouvelle technologie ou un nouveau concept. Toutefois, découvertes et inventions sont, dans l'ensemble, des processus non rationnels, fondés sur une démarche intuitive qui ne se limite pas à des connaissances soigneusement établies.

Ainsi, les systèmes d'innovation couronnés de succès ont tendance d'abord à relier les inventeurs aux utilisateurs. Ils laissent ensuite les inventeurs s'exprimer au sein d'environnements informels et non structurés (« adhocraties »), où la stimulation intellectuelle entre esprits novateurs joue à plein.

Les modèles traditionnels, qui cherchent à conceptualiser ou à gérer l'innovation par étapes linéaires et séquentielles en l'assimilant à un processus de production, ne peuvent être utiles que dans les cas peu complexes ou pour les améliorations apportées au cycle de production. Le travail en équipe présente un intérêt quand la complexité technique est plus élevée, mais uniquement si le nombre de paramètres reste suffisamment limité pour qu'un petit groupe de personnes puisse les maîtriser.

Or un nombre croissant de projets, dans des secteurs comme la santé, la finance, les biotechnologies, l'espace et l'aéronautique, les loisirs, le matériel informatique, le BTP ou l'automobile, sont d'une telle complexité qu'une équipe unique fonctionne moins bien qu'un grand nombre d'entités relativement indépendantes collaborant.

Faciliter l'innovation

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L'informatique est essentielle à la gestion de l'innovation, surtout au vu de la complexité et des interactions croissantes entre organisations. Utilisée à bon escient, elle libère, tout en instaurant une certaine discipline dans les processus d'innovation. Les logiciels éliminent les nombreuses erreurs de transcription et de calcul, et permettent d'exploiter les données clients ou autres, avec des risques réduits. Ils accroissent considérablement la capacité de l'esprit humain à envisager de nouvelles hypothèses, aident à identifier plus finement les besoins des consommateurs, stimulent la créativité en marketing ou technique et permettent aux dirigeants de coordonner des processus complexes de conception et de développement à une échelle géographique jamais atteinte.

* Conception de systèmes et de composants complexes

Au niveau le plus élémentaire, l'informatique favorise la créativité des concepteurs, en les libérant de tâches fastidieuses, coûteuses et souvent source d'erreurs, telles que le dessin industriel, les expérimentations sur banc, le prototypage, la fabrication des moules et les manipulations manuelles, qui auparavant dominaient le monde de la conception. Les chercheurs peuvent maintenant travailler dans un « monde virtuel » interactif, où, sans avoir à fabriquer physiquement des objets, il est néanmoins possible de les observer, de les manipuler, de les tester, voire de les détruire.

Par exemple, pour créer son nouveau moteur Dodge, Chrysler a fabriqué et testé virtuellement quelque 2.000 projets à l'aide d'un logiciel numérique qui permettait même de soumettre les solutions envisagées à des tests d'impact ou de simuler des pannes catastrophiques. Partout dans le monde, de telles capacités accélèrent l'innovation, la mise en oeuvre et les avancées concurrentielles, dans tous les secteurs industriels. Sony, par exemple, sort un nouveau modèle de Walkman toutes les deux ou trois semaines. Presque tous les systèmes et composants complexes, depuis les automobiles et les avions jusqu'aux gratte-ciel et aux barrages, sont conçus à l'aide de logiciels de CAO (conception assistée par ordinateur).

* Suivi du marché et de l'utilisation des produits

La réduction des délais et des coûts de développement que nous venons d'évoquer est certes impressionnante, mais les améliorations apportées par l'informatique en termes de qualité et de valorisation pour le consommateur le sont peut-être encore plus.

Etant donné que la plupart des innovations viennent satisfaire à un besoin bien défini, il est essentiel de bien cerner les comportements des utilisateurs, les tendances du marché ou encore les contraintes spécifiques d'application. Les logiciels qui surveillent efficacement les marchés extérieurs, les tendances des concurrents et les réactions de la clientèle fournissent des indications vitales, impossibles à obtenir par d'autres moyens. Ces informations de suivi de marché comprennent, par exemple, les données obtenues électroniquement sur les points de vente (pour la grande distribution), les mesures épidémiologiques (pour la médecine), les données transactionnelles en temps réel (pour les télécommunications et les services financiers) et la restitution directe de la voix et de la vidéo (pour les panels de consommateurs, ou « focus groups », dans tous les secteurs).

Bien conçus et correctement interconnectés aux logiciels de développement de produit, ces systèmes de suivi de marché aident à discerner plus tôt les besoins, permettent aux clients d'intervenir dans le processus d'élaboration, favorisent le développement d'ébauches à valider et réduisent considérablement les risques encourus lors de l'introduction d'une innovation sur le marché.

Par la suite également, l'informatique contribue à améliorer les performances, en organisant le suivi de l'utilisation du produit (dans le cas d'un avion, par exemple), en gérant la maintenance (pour les ascenseurs) ; elle le valorise aussi en offrant de nouvelles fonctionnalités enrichies par l'injection directe de données dans les systèmes client (ordinateurs, services financiers, systèmes de comptabilité).

Kao Corporation, la plus grande entreprise de biens de consommation japonaise, a développé son logiciel Echo afin de capturer et d'analyser plus de 350.000 questions posées par ses 50.000 clients par an. Ce système permet à Kao de donner instantanément des réponses (souvent sous forme d'images) aux personnes qui ont des problèmes avec leurs produits. En même temps, les concepteurs de Kao partout dans le monde peuvent exploiter cette base de données pour affiner la conception des produits.

* Participation directe des clients et des tiers.

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La majorité des innovations créées initialement par un fabricant sont rapidement enrichies par les apports des experts techniques extérieurs et des clients. Les logiciels qui tirent parti directement de ces données extérieures permettent aux innovateurs de démultiplier leurs propres ressources par un facteur de 10 à 100.

Grâce à leurs capacités évolutives intrinsèques, de nombreux logiciels permettent aux clients d'adapter un produit à leur propre usage, puis à l'usage de leurs propres clients. L'informatique favorise ainsi l'émergence d'innombrables variations du produit, jamais envisagées en premier lieu.

Etant donné que les usagers et les experts techniques, où qu'ils se trouvent, peuvent directement s'impliquer dans le processus d'innovation, il devient enfin possible de surmonter les préjugés culturels inhérents à toute entreprise ou équipe. Les concepteurs d'un produit en Grande-Bretagne n'ont plus besoin d'interpréter ce que des Allemands essaient de leur décrire verbalement, lorsque ces derniers leur proposent un changement ou qu'ils réagissent à celui-ci. Maintenant, grâce à des modélisations pratiques et interactives, ils obtiennent directement de la part des techniciens, clients et fournisseurs allemands des informations en retour, ainsi que des données chiffrées et dimensionnées. Ce type de représentation logicielle partagée devient rapidement un instrument permettant aux autres clients et au reste du personnel de visualiser un concept, de surmonter leurs réticences, de tester différentes alternatives et même d'adapter les innovations à leurs besoins spécifiques.

Par exemple, Anderson Windows, un fabricant de fenêtres, permet à ses clients et à ses architectes d'exploiter sur ses points de vente un logiciel qui peut concevoir jusqu'à 180.000 fenêtres différentes (tests et prix à l'appui) répondant à des besoins spécifiques, architecturaux ou autres qu'Anderson serait incapable de satisfaire s'il devait les anticiper.

* Dépasser la collaboration en équipe

Les innovations les plus complexes impliquent de nombreux spécialistes travaillant au sein d'organisations diverses, dans des lieux différents, et interagissant en temps réel dans le monde entier grâce à des logiciels de bases de données, de réseaux ou de systèmes. L'Internet permet maintenant à des centaines de milliers de personnes de partager mondialement des données techniques ou de marketing, et, de ce fait, l'innovation dépasse maintenant la capacité réduite d'une « équipe », pour s'inscrire dans une dynamique de « collaborations indépendantes », soumises à des règles logicielles.

Les individus et les petits groupes collaborent depuis longtemps pour créer l'innovation, mais les nouvelles technologies de communication modifient la nature même de cette collaboration. Elles libèrent les participants des contraintes d'espace et de temps, tout en les encadrant sans faire appel aux bureaucraties coûteuses des anciennes organisations.

Les logiciels interactifs emploient une langue et un mode d'interaction communs, et exigent une grande précision et une totale transparence dans les communications. Les données entrées dans le système doivent être précises et pertinentes, car, contrairement aux interactions plus personnelles, il est impossible de tromper délibérément un logiciel sans immédiatement en subir les conséquences.

Les collaborations informatisées sont moins perturbées par les règles sociales, les dysfonctionnements politiques, les contraintes d'espace et les préjugés culturels habituellement rencontrés lors des contacts humains. En conséquence, les individus ou les petits groupes fonctionnant indépendamment peuvent coopérer avec un plus grand nombre de participants, plus éloignés les uns des autres, en ayant des cadres temporels asynchrones, tout en travaillant en collaboration plus étroite et plus complète que jamais.

Comme l'ont prouvé nombre d'accords novateurs conclus dans le monde de la finance ou dans celui du spectacle, des personnes talentueuses peuvent collaborer de façon plus créative et plus efficace depuis n'importe quelle base ou station de travail du moment que sont mises en place les connexions adéquates, le support culturel et les incitations appropriées. Des collaborations complexes dans la recherche médicale ou les biotechnologies en sont une autre illustration.

Les logiciels aident à rassembler de vastes corpus de connaissances, sans avoir à apporter la moindre modification aux organisations en place ou aux paramètres physiques existants, tout en permettant des économies considérables. Toutefois la gestion de ce type de collaboration demande que l'on repense les concepts traditionnels d'organisation. Il convient de mettre l'accent sur la circulation du savoir, la vision, la confiance, les bénéfices escomptés et les communications, plutôt que sur les rapports de pouvoir et l'allocation des ressources.

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L'un des principaux avantages des « collaborations indépendantes » informatisées est de permettre aux personnes les plus talentueuses de l'entreprise (ou du monde) de travailler ensemble de façon asynchrone. Les participants peuvent réfléchir, expérimenter et s'investir quand ils sont les plus disponibles, au lieu d'être soumis aux contraintes de temps dictées par des réunions programmées. Ce fonctionnement serait tout à fait intolérable dans le cadre d'équipes ou d'organisations classiques.

L'activité asynchrone est particulièrement importante quand les contributions de clients ou d'autres personnes extérieures au projet sont sollicitées, alors qu'il leur est impossible de se plier à l'emploi du temps de l'innovateur. Grâce à une informatisation bien pensée, ces tiers peuvent non seulement être consultés, mais aussi devenir de véritables collaborateurs en participant directement aux travaux, par le biais de modèles, de simulations et d'écrans partagés ou par des interrogations interactives.

Plus les différents groupes et experts ajoutent leurs connaissances spécifiques, leur point de vue culturel et leur créativité à l'innovation initiale, plus celle-ci est enrichie, à moindre coût pour l'innovateur d'origine.

* Diffusion rapide et fiable des innovations

Les nouvelles technologies de communication permettent de transférer plus rapidement les innovations et les pratiques les plus modernes d'une entreprise, de façon plus précise, plus fiable et plus étendue géographiquement que tout autre système.

La diffusion instantanée des innovations est pratique courante dans les entreprises de services (comme dans la restauration rapide ou les services financiers), mais, comme le démontrent aussi Ford, Kyocera et ABB, l'ordinateur permet aussi de transmettre vers de multiples sites très éloignés des savoir-faire sur un produit ou un process de fabrication.

Les NTC joue aussi un rôle crucial dans la formation dispensée aux salariés des grosses entreprises, un travail rendu incontournable par la diffusion rapide et efficace de la nouveauté. Les logiciels permettent même souvent à des personnels inexpérimentés de se passer d'un cycle d'apprentissage lors de l'introduction d'un nouveau produit ou d'un nouveau process, en incorporant directement les éléments clefs du savoir requis dans les équipements qu'ils utilisent ou dans les bases de données employées lors des interactions quotidiennes avec les clients.

La nature même de l'innovation et de la concurrence évolue partout dans le monde. Toute personne ayant accès à Internet peut instantanément présenter une innovation sur le marché mondial, à laquelle les clients réagissent en mode interactif pour adapter cette innovation à leurs besoins spécifiques et utiliser leurs propres ressources pour la modifier plus avant en vue de répondre à leurs propres clients. Plus la participation des clients est intense et plus le déroulement traditionnel du processus d'innovation tend à s'inverser : ce sont les clients qui pilotent l'innovation, et les risques liés à l'introduction d'une nouveauté sur le marché se réduisent substantiellement.

Incidences sur l'économie

N'importe qui, où qu'il se trouve, peut participer à ces « innovations en réseau », quelle qu'en soit l'origine géographique. Cela multiplie les opportunités offertes aux esprits entreprenants vivant dans un pays connecté au réseau mondial. En conséquence, les entreprises et les pays profitent d'un effet de « démultiplication » et d'une « autoalimentation » de la croissance ; un coup de pouce relativement faible au départ peut déclencher une innovation, qui, étant constamment modifiée et enrichie par chaque client pour son bénéfice et celui de ses propres clients, finit par faire boule de neige et aboutir à la création d'une valeur mille fois supérieure à l'investissement initial. Par exemple, les clients de Silicon Graphics dans les secteurs de la publicité, du cinéma ou du design ont tiré de vastes profits des innovations de cette société informatique, mille fois supérieurs en fait à ses propres bénéfices. Les nouveaux concepts créés par les clients de Silicon Graphics ont modifié la nature même des industries du spectacle, du marketing, du design et des services professionnels dans le monde entier.

Les chercheurs des pays en développement (comme l'Inde ou la Chine) peuvent maintenant directement participer à des expérimentations et à des innovations visant les marchés industrialisés. Avec un investissement relativement réduit, il suffira à un expert en logiciels indien de convaincre un acheteur de Circuit City (la FNAC américaine) de la valeur de son innovation pour avoir un accès aux marchés les plus

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avancés.

Avec la croissance de l'Internet, des îlots d'innovation et de développement accéléré vont émerger dans des zones jusqu'ici isolées.

Pour que les entreprises puissent réellement participer et tirer parti de ces innovations, leur direction doit comprendre le potentiel que représentent ces innovations offertes par les NTC et savoir gérer efficacement le processus de l'innovation. Pourtant, très peu de MBA ou de programmes d'études supérieures de gestion sont axés sur ces compétences essentielles, qui pourraient devenir un outil essentiel de management au XXIe siècle. *

JAMES BRIAN QUINN est professeur de gestion à l'Amos Tuck School of Business Administration du Dartmouth College. Conférencier et consultant renommé, ses publications font autorité en matière de management stratégique et de l'innovation et ont obtenu de nombreuses récompenses.

Technologies de l'information : choisir la meilleure approche

Les managers des entreprises mondiales disposent de trois critères pour déterminer laquelle des cinq approches proposées leur permettra de trouver le bon compromis entre souplesse et standardisation.

* Laquelle permet à votre entreprise de créer de la valeur ajoutée, tout en réduisant ses coûts ? Votre réactivité sur les marchés locaux, régionaux ou mondiaux vous permet-elle de réduire vos coûts d'exploitation et vos fonds de roulement, tout en gagnant des parts de marché ?

Malheureusement, la plupart des entreprises sont incapables de répondre à ces questions, surtout celles qui fonctionnent selon les approches n^o 1 ou n^o 2. Elles estiment intuitivement que leur souplesse au niveau local permet de générer de la valeur ajoutée, mais ignorent souvent dans quelle mesure cette création de valeur est affectée par la faiblesse de leurs ventes, par l'augmentation de leurs frais administratifs et par la redondance de leurs investissements informatiques.

* Votre infrastructure d'information et de communication améliore-t-elle ou réduit-elle votre réactivité aux évolutions rapides du marché ?

A la lumière des fluctuations conjoncturelles actuelles, les entreprises doivent pouvoir rapidement modifier leurs stratégies, processus, produits, marchés et clientèles. Dans quelle mesure ces changements requièrent-ils une reconfiguration de l'organisation informatique structurelle et fonctionnelle ?

Les entreprises qui fonctionnent selon les approches n^o 1 et n^o 2 n'ont aucun standard sur lequel s'appuyer quand des modifications doivent être apportées aux processus et aux systèmes d'entreprise. Celles qui opèrent selon les approches n^o 4 et n^o 5 sont dotées de normes d'infrastructures technologiques, mais ont moins de souplesse pour modifier leurs processus et leurs systèmes, puisque leurs cultures d'entreprise sont identiques à l'échelle de régions entières, voire de la planète.

Les entreprises qui empruntent la troisième voie stabilisent leurs infrastructures d'information et de communication sur la durée, afin de permettre aux dirigeants des business units et à ceux du groupe de se focaliser sur la mise en oeuvre des changements nécessaires à apporter à l'organisation et aux systèmes d'entreprise.

Les modifications effectuées dans ou au travers des business units sont alors réalisées plus rapidement que dans les entreprises fontionnant selon les approches n^o 1 ou n^o 2, car les business units peuvent compter sur un système d'information planétaire et sur des réseaux voix, données et vidéo, qui les soutiennent dans leur nouvelle organisation. La flexibilité est ainsi favorisée, grâce à des infrastructures hautement standardisées et à des systèmes fonctionnels communs.

* Le troisième critère répond à une préoccupation croissante de nos économies mondialisées, maintenant fondées sur la circulation de l'information. L'infrastructure d'information et de communication de l'entreprise permet-elle aux salariés et aux managers de partager l'information et de communiquer de façon instantanée dans le monde entier ?

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Même les business units spécifiquement locales ont besoin d'exploiter et de partager des informations internationales. La plupart des entreprises mondiales commencent à utiliser la technologie du World Wide Web pour gérer leur information en interne (intranets), pour communiquer en externe avec leurs clients et leurs actionnaires (Internet) et pour échanger des informations avec leurs fournisseurs, leurs concessionnaires ou leurs partenaires (extranets).

L'évolution des nouvelles applications d'entreprise basées sur les technologies de réseau et sur la gestion de l'information pousse les managers des sociétés mondiales à reconfigurer leur organisation comme une toile d'araignée, dont le maillage comprendrait clients, fournisseurs, employés, partenaires et même concurrents.

Les entreprises qui fonctionnent selon les approches n^o 1 ou n^o 2 auront du mal à faire fonctionner des infrastructures exigeant une gestion et une coordination mondiales. Les entreprises ayant choisi les approches n^o 4 ou n^o 5 auront davantage de facilité à s'adapter à l'évolution des réseaux. Les entreprises de la troisième voie seront les mieux positionnées, puisqu'elles savent exploiter les réseaux rapides mondiaux, tout en restant à l'écoute des besoins des business units en matière de partage interne et externe des informations. Ces entreprises capitaliseront sur leurs points forts, à savoir les réseaux planétaires, ainsi qu'une culture d'entreprise centrée sur le partage des meilleures pratiques et sur l'adaptation rapide au changement. *

Accélération du cycle de conception chez BoeingLors de la réalisation de son superprojet de 777 (qui a coûté plusieurs millions de dollars), Boeing est passé directement de l'écran d'ordinateur à la production pour de nombreux éléments composant ce nouvel avion, supprimant ainsi plusieurs étapes de son ancien cycle de conception. Les équipes polyvalentes de Boeing, fortes de 250 concepteurs choisis pour la circonstance, ont prétesté et optimisé la structure et l'adéquation aux spécifications client des assemblages majeurs constitués des quelque 4 millions de pièces du nouvel avion, à l'aide de modélisations et d'interconnexions informatiques.

Un logiciel de CFAO (conception et fabrication assistées par ordinateur) en trois dimensions a permis à chacun des fabricants de produire leurs outils, leurs pièces ou composants directement à partir des modélisations et à coordonner leur production selon des instructions numériques, afin d'assurer un assemblage parfait, des tolérances et un fini de surface impeccables. Ce processus informatique a permis une réduction de 60 % à 90 % des erreurs de prototypage et de frais de retouche, avec les améliorations que cela entraîne en termes de coûts de développement et de durée de cycle, tout en offrant en fin de chaîne un avion de meilleure qualité et plus facile à piloter.

Des conséquences sur le managementEn termes pratiques, que signifie l'innovation informatisée pour les managers ? Pour qu'un pays ou une entreprise exploite ce potentiel, il convient d'abord de maximiser l'accès aux réseaux d'innovation, de responsabiliser ceux qui y ont recours et de récompenser toute utilisation intelligente des possibilités offertes.

Dans l'industrie et les services, la capacité à collecter et à analyser de gros volumes de données (par exemple, les renseignements sur les passagers des compagnies aériennes, sur des transactions financières, sur des opérations de production ou de maintenance) est devenue essentielle. Ces travaux doivent être effectués au plus petit niveau de granularité possible (c'est-à-dire au niveau du plus petit détail répétable). Cette échelle de détail permet aux innovateurs de trancher, de séparer et de mélanger les données de différentes manières, afin d'élaborer de nouvelles solutions plus valorisantes (au travers d'applications de datawarehouse).

Les logiciels experts, capables d'identifier des tendances parmi les données et ensuite d'en dériver de nouvelles solutions, contribuent considérablement aujourd'hui au niveau élevé d'innovation que l'on trouve chez des entreprises de pointe comme Boeing, Vanguard Investment, Wal-Mart, Chrysler et Levi Strauss, ainsi qu'à leur réactivité accrue aux demandes des clients.

Leurs interfaces bien conçues permettent aux clients, aux fournisseurs et aux utilisateurs internes de

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l'entreprise de travailler ensemble pour développer un plus grand nombre de solutions innovantes par rapport à ce que pourrait accomplir une seule entreprise ou un groupe isolé. Ces systèmes captent les moindres détails sur la façon dont les clients utilisent le produit, sur les interactions existantes, sur les modifications des environnements systèmes et sur les fluctuations de la conjonture. Cette sensibilité en fait des instruments essentiels pour le repositionnement stratégique, la planification produit et l'innovation en matière de process.

Bien que de nombreuses entreprises performantes considèrent que leurs bases de données constituent l'un de leurs actifs les plus importants, la plupart d'entre elles n'ont pas réussi à intégrer efficacement leurs programmes étudiant les tendances extérieures à leurs systèmes de conception de produits, de production et à leurs interfaces utilisateurs. Elles n'ont pas non plus réussi à structurer ces systèmes pour qu'ils soient constamment mis à jour afin de suivre les dernières évolutions en matière de modèles et de données externes.

Seules quelques entreprises ont recours à des logiciels de type « expert » ou de ceux qui « poussent l'information jusqu'à vous » (technologie dite « push ») ; pourtant, ceux-ci permettent aux managers de repérer précocement les nouvelles opportunités. Un nombre encore plus réduit d'entreprises ont reconfiguré leur informatique de gestion et leur système d'incitation pour qu'ils favorisent ces nouvelles organisations, remises à plat, inversées, en étoile ou en réseau, qui optimisent considérablement l'innovation et la diffusion des idées.

La capacité d'une entreprise à passer d'un niveau de performance technique à un autre dépend souvent de son potentiel informatique et de ses capacités organisationnelles à gérer la transition, éléments essentiels pour évaluer et exploiter le niveau supérieur de performance requis par la vague d'innovation prévue.

Pour pallier ces contraintes, de nombreuses entreprises jeunes et moins jeunes comme Sun Microsystems, Kao, Arthur Andersen et Merrill Lynch, ont commencé à se doter de structures organisationnelles circulaires à trois niveaux. Le premier cercle développe les connaissances en profondeur et fournit son expertise aux autres niveaux, de façon souple, le deuxième cercle utilise ce savoir pour certaines applications spécifiques, et le troisième est chargé de gérer une base de données.

De nombreuses autres entreprises, telles que Kyocera, Microsoft, Xerox et Rubbermaid, évoluent vers de micro-organisations hyperinnovantes de type « amibes » (de trois à cinq personnes), uniquement reliées au reste de l'entreprise par un système d'information commun et par un intéressement aux résultats.

Une informatique correctement structurée et une volonté délibérément affichée d'aller au-delà de la hiérarchie ou de l'équipe classique facilitent la gestion des opérations mondiales et de l'innovation. Des collaborations indépendantes, avec médiation informatique, entre salariés de l'entreprise ou avec des partenaires extérieurs, peuvent capter et optimiser de nouvelles idées inspirées de l'air du temps ou de motivations personnelles, sans souffrir des difficultés inhérentes aux contacts personnels directs.

Une fois les objectifs clairement établis, la performance mesurée sans ambiguïté, et les systèmes d'incitation complémentaires bien conçus, des personnes appartenant à des organisations différentes peuvent travailler indépendamment, loin des contraintes de la dynamique de groupe, pour innover plus rapidement et plus créativement, à des coûts et à des risques plus bas que jamais.

Chapitre 4

S'approvisionner à l'échelle mondialeLes avantages d'une stratégie d'approvisionnement mondial sont considérables. Mais une telle décision n'est pas sans risque.

Avec la mondialisation de l'économie, beaucoup d'entreprises considèrent qu'une politique d'approvisionnement en biens et en services limitée à leur seul marché national est par trop restrictive. Au lieu de quoi elles parcourent le monde à la recherche des meilleures conditions de prix, de technologie, de livraison et de qualité.

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A partir de quel moment une entreprise américaine doit-elle acheter des composants en Indonésie, par exemple, plutôt qu'auprès d'un fournisseur national ? Quels facteurs les managers doivent-ils examiner au moment de prendre cette décision ? Et quelle doit être la nature de la relation avec le fournisseur ? Le présent article identifie les raisons qui poussent les firmes à opter pour une politique d'approvisionnement mondial, en mettant en lumière certains des risques encourus. Il propose également un cadre conceptuel d'aide à la décision, qui permettra aux managers de se concentrer sur les paramètres essentiels. Il décrit enfin les différents types de relations entre l'acheteur et le fournisseur et les facteurs qui doivent influencer le choix des décideurs à cet égard.

Avantages et risques

Parmi les raisons qui poussent à l'adoption d'une stratégie d'approvisionnements planétaires, on trouve :

- un coût du travail moins élevé ;

- une qualité plus uniforme ;

- un meilleur accès à la technologie ;

- un meilleur accès à l'innovation et aux idées nouvelles ;

- un meilleur accès aux marchés locaux ;

- des économies d'échelle plus importantes grâce à la consolidation de la production ;

- une baisse des coûts logistiques grâce à la localisation géographique du fournisseur ;

- des impôts et des taxes moins élevés ;

- les pressions du marché pour une implantation locale ;

- un approvisionnement plus cohérent en raison du caractère saisonnier du marché local ;

- une capacité de profiter d'opportunités ponctuelles ;

- une compatibilité des équipements ;

- une baisse de la pression syndicale.

Pour ces entreprises, les avantages d'une politique d'approvisionnement mondial en compensent clairement les coûts. Ainsi, la décision de Boeing d'acheter un grand nombre de composants en Chine a débouché sur une ouverture du marché chinois à ses produits. Avec 164 sites d'exploitation et centres de profits autonomes, le groupe pharmaceutique Johnson & Johnson est à même de servir un grand nombre de marchés locaux avec des produits sur mesure. Dans le secteur de la mode et de la confection, la plupart des entreprises réduisent leurs coûts en produisant en Chine, en Indonésie, au Costa Rica ou dans d'autres pays du bassin pacifique ou d'Amérique latine.

Malgré ces avantages, il convient de souligner certains risques inhérents à une politique d'approvisionnement mondial.

L'expérience montre que, dans la plupart des cas, les problèmes rencontrés sont dus à une évaluation insuffisante de l'impact de cette décision stratégique sur les quatre objectifs opérationnels classiques que sont le coût, la qualité, la livraison et la flexibilité.

Prenons l'exemple d'une grande marque de vêtements de randonnée qui se fournit presque exclusivement en Asie, pour profiter des très faibles coûts de main-d'oeuvre de la région. Si ces coûts augmentent, la société est contrainte d'« aller voir ailleurs » pour trouver d'autres sites de production à meilleur marché. Mais cela fait planer une certaine incertitude sur la qualité des vêtements, laquelle se trouve être un objectif clef de l'entreprise. Il est clair que, dans certaines circonstances, une focalisation exclusive sur les coûts peut avoir des conséquences catastrophiques.

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Le géant de la chimie DuPont étudie avec attention le coût de la chaîne d'approvisionnement avant de choisir un fournisseur. Mais, dans le même temps, il a des exigences identiques vis-à-vis de tous ses fournisseurs, en termes de normes de sécurité, de protection de l'environnement, de qualité, de respect des délais de livraison, de technologie et de prix.

Pour éviter toute contradiction entre les différents objectifs opérationnels, les managers doivent les définir avec soin, s'assurer qu'ils sont mesurables, puis les classer par ordre d'importance. Le tableau 1 présente quelques exemples de définitions et de mesures pour chacun des quatre objectifs classiques.

Quand ils envisagent d'adopter une politique d'approvisionnement mondial, les managers doivent prendre en compte ces quatre objectifs en examinant avec une attention toute particulière ceux qui jouent un rôle essentiel pour la compétitivité de l'entreprise.

Ils doivent également apprécier les risques, qui peuvent être liés à la situation politique du pays, aux fluctuations des taux de change ou encore à l'image de l'entreprise : toutes les entreprises présentes en Chine, par exemple, sont conscientes du risque politique encouru, et intègrent ouvertement ce paramètre dans toutes leurs décisions relatives à l'approvisionnement. Il est inutile d'expliciter la nature du risque de change. J'ai pourtant vu des entreprises qui ignoraient que de très faibles variations des taux de change étaient parfois suffisantes pour justifier de s'approvisionner dans un pays plutôt que dans un autre. Enfin, il faut prendre en compte l'image de l'entreprise. Aux Etats-Unis, de nombreuses entreprises, telles que le fabricant de chaussures de sport New Balance, capitalisent sur une image « made in America ». D'autres sont constamment sur la défensive, forcées de réaffirmer leur intégrité déontologique mise à mal par un approvisionnement dans des pays à bas salaires.

Déterminer la relation

Une fois prise la décision d'adopter une stratégie d'approvisionnement mondial, les managers doivent déterminer la nature exacte de leurs relations avec leurs fournisseurs. On remarque à cet égard que les grandes entreprises ont des approches notoirement différentes. Certaines s'engagent dans des alliances stratégiques ou des partenariats, alors que d'autres laissent leurs ordinateurs « faire les frais de la conversation ».

C'est ainsi qu'aux Etats-Unis General Electric réalise un nombre croissant d'achats de composants sur Internet par le biais de son Trading Process Network (TPN) : les spécifications des pièces sont affichées sur le Web, et les fournisseurs agréés peuvent alors faire leurs offres. Le TPN de General Electric illustre une des deux grandes tendances que j'ai observées dans les relations acheteur-fournisseur au cours des dix dernières années. Avec le TPN, il n'y a que peu d'interaction directe, et les coûts sont extrêmement faibles. Le coût de traitement d'un bon de commande sur papier est de 50 dollars, contre 5 dollars seulement avec le TPN. General Electric réalise actuellement, sur le TPN, un volume d'affaires d'un milliard de dollars avec 1.400 fournisseurs. En langage économique, on s'approche ici d'une situation de parfaite concurrence. La durée du processus de présentation des offres est passée de vingt et un à dix jours, et le pourcentage de marchés conclus avec des fournisseurs étrangers a enregistré une nette augmentation.

L'autre tendance majeure dans les relations avec les fournisseurs est celle des alliances stratégiques, caractérisées par un élargissement et un approfondissement de l'interaction entre acheteur et vendeur. Ces alliances ont les caractéristiques suivantes :

* Relations suivies

Ainsi la durée moyenne des contrats d'approvisionnement du constructeur automobile américain Chrysler a été multipliée par deux entre 1988 et 1994.

* Coopération accrue

On pensera ici à l'approche de DuPont dans ses relations de partenariat. Puisque les coûts du fournisseur deviennent des coûts DuPont, et les produits défaillants du fournisseur des produits DuPont défaillants, il est dans l'intérêt de tous de coopérer. L'opération peut être très rentable. En 1994, Chrysler aurait ainsi économisé 504 millions de dollars grâce aux suggestions de ses fournisseurs.

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* Réduction sensible du nombre de fournisseurs

Xerox a fait tomber le nombre de ses fournisseurs de près de 5.000 à 400 environ. A présent, les lampes de ses photocopieuses proviennent d'un seul fournisseur possédant des usines en Europe, en Asie et aux Etats-Unis.

* Développement de l'échange de données électroniques et des autres technologies de communication

* Accords sur un calendrier de réduction des prix par le fournisseur

* Participation des fournisseurs dès le début du développement des nouveaux produits

Un tableau exhaustif

Certains directeurs d'achats veulent nouer des alliances stratégiques avec tous leurs fournisseurs ; c'est une erreur. La nature de la relation doit être adaptée à la nature du composant recherché et du marché.

Le tableau 2 décline les caractéristiques de cinq types de relations acheteur-fournisseur : relations « au coup par coup », relations suivies, partenariat, alliance stratégique et intégration verticale. On peut considérer que l'intégration verticale n'est pas, à proprement parler, une forme de relation acheteur-fournisseur, les composants étant produits en interne ; je l'ai pourtant retenue afin de brosser un tableau exhaustif de la situation. L'intégration verticale est en effet la phase de développement ultime des relations acheteur-fournisseur, celle qui suit le stade de l'alliance stratégique. Le TPN de General Electric est un exemple de relation « au coup par coup ». Les entreprises qui évoluent vers des relations suivies ou vers un partenariat répondent à un besoin d'interaction plus profonde avec leur fournisseur.

Le constructeur automobile japonais Toyota a, par exemple, aidé un petit fabricant américain de pare-chocs à réaliser des améliorations en termes de coût, de qualité et de livraison. Air Products and Chemicals a mis en place un système d'évaluation de ses fournisseurs à plusieurs niveaux. Une fois que le fournisseur d'un composant ou d'un service clef est agréé comme partenaire, après une longue série d'excellentes performances, Air Products lui propose un contrat à long terme et fait tout pour développer le volume d'activité de son partenaire.

Dans une relation de partenariat, les firmes partagent leurs informations, développent ensemble les produits et les process nouveaux et inscrivent leur coopération dans la durée. Unilever a noué des alliances avec un petit nombre de fournisseurs dans le but d'obtenir les coûts les plus bas du secteur. La multinationale anglo-néerlandaise travaille à la réduction de la durée des cycles et des niveaux de stocks, et anticipe l'évolution des capacités de ses fournisseurs.

Boeing entretient des alliances stratégiques avec les trois constructeurs de moteurs, GE, Rolls-Royce et Pratt & Whitney, à la fois pour limiter le risque financier inhérent aux programmes de construction de nouveaux avions et à cause des interfaces extrêmement complexes qui existent entre le moteur et la cellule aéronautique, deux éléments qui doivent être conçus conjointement. Mais Boeing a conclu des alliances similaires avec les fournisseurs d'une multitude d'autres pièces et même avec ses clients, les compagnies aériennes.

De telles alliances peuvent se révéler très bénéfiques. Grâce à une coopération étroite avec un fournisseur dans le domaine de la maintenance, de la réparation et des fournitures, DuPont a diminué la valeur de ses stocks de 118 millions de dollars en dix ans ; dans le même temps, le fournisseur économisait 16 millions de dollars chaque année.

Choix d'un type de relation

De quelle façon les managers doivent-ils structurer leurs relations avec leurs fournisseurs ? En d'autres termes, jusqu'où peuvent-ils aller vers la droite du tableau 2 ?

Quatre facteurs essentiels doivent inciter une entreprise à resserrer ses liens avec ses fournisseurs :

* Importance stratégique du composant requis

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Si le composant est essentiel à l'entreprise pour se démarquer de la concurrence ou requiert un savoir-faire propriétaire, mieux vaut le fabriquer en interne.

Si l'entreprise ne peut fabriquer le composant elle-même, elle doit conclure une alliance avec le fournisseur approprié, à l'exemple de Boeing. Il est clair que les moteurs d'avion ont une importance stratégique pour Boeing.

* Nombre d'entreprises capables de fournir le composant ou le service requis

S'il n'y a qu'un seul fournisseur sur la place, il est sans doute dans l'intérêt de la firme de maintenir des relations étroites avec lui. La relation de Ford et de Lear, qui fabrique des modules de sièges notamment, illustre ce cas de figure. Johnson Controls est le seul autre grand fournisseur sur le marché ; on pourrait donc s'attendre que Ford soit lié par une alliance stratégique ou un partenariat avec l'une de ces deux entreprises. La réalité, c'est que Lear bénéficie d'un contrat à long terme avec Ford, qui l'informe des programmes de développement de ses nouveaux modèles. Cependant, Lear fournit également les concurrents de Ford. Malheureusement, ce qui avait tout du partenariat idéal a connu quelques ratés dans le domaine de la flexibilité et du développement des nouveaux produits. Lors de la conception de la nouvelle Taurus en 1996, Lear a conçu les modules de sièges alors que Johnson Controls fournissait les glissières sur lesquels coulissent les modules. Ford a entretenu avec Lear une relation de type « au coup par coup », se focalisant sur le prix de revient unitaire et sur les délais de livraison. Il en est résulté une multitude de problèmes qu'il a fallu résoudre dans les phases avancées du développement. Si Ford avait prêté plus d'attention au besoin de flexibilité de Lear et l'avait traité en véritable partenaire, l'entreprise aurait peut-être évité ces écueils.

* Complexité des interfaces entre les composants et de la logistique associée

Une fois encore, c'est la forte complexité de l'interaction entre les divers composants d'un avion qui pousse Boeing à maintenir des alliances étroites avec ses principaux fournisseurs. L'énormité de cette tâche a récemment été mise en lumière quand l'avionneur a subi des retards dans la livraison des composants, qui ont entraîné des délais dans la production des avions.

Pendant la phase de développement des nouveaux produits, il arrive souvent que des ingénieurs de Boeing soient détachés auprès des fournisseurs, qui, eux-mêmes, envoient du personnel travailler dans les bureaux de Boeing.

A cause de la très grande complexité de son organisation logistique, Boeing s'appuie sur une communication constante avec ses fournisseurs et sur le partage de données dans le cadre de partenariats. C'est le seul moyen pour l'entreprise de réunir plusieurs millions de composants au bon moment afin d'assurer la livraison de ses appareils dans les délais.

* Incertitude

Ici encore, je me réfère aux quatre objectifs opérationnels de coût, de qualité, de livraison et de flexibilité.

Si la structure de la relation d'approvisionnement fait peser une incertitude sur la réalisation d'objectifs essentiels pour l'entreprise, celle-ci doit renforcer ses liens avec ses fournisseurs. Le fabricant de vêtements de randonnée évoqué plus haut considère la qualité comme un de ses principaux arguments commerciaux, mais suit pourtant une stratégie de type « au coup par coup ». L'incertitude quant à la qualité des vêtements et à l'importance de cet objectif suggère que l'entreprise aurait dû établir des relations suivies avec plusieurs fournisseurs.

A l'opposé, quand General Electric affiche sur Internet les spécifications de ses pièces, l'entreprise sait que les fournisseurs qui répondent à ses appels d'offres sont capables de les fabriquer correctement.

En cas d'incertitude sur la qualité d'une pièce, qui nécessite l'utilisation de matériaux ou de processus nouveaux, GE n'aura probablement pas recours au TPN.

L'approvisionnement en pétrole est un exemple de très grande incertitude, en raison des fluctuations des cours et de la disponibilité de l'or noir. Le pétrole constituant pour DuPont une matière première essentielle, on pourrait s'attendre que l'entreprise ait noué une alliance stratégique avec une compagnie pétrolière. En fait, DuPont est allé encore plus loin et a opté pour l'intégration verticale en rachetant Conoco, avec pour

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objectif premier la réduction du niveau d'incertitude. Le tableau 3 reprend ces réflexions.

Il arrive que l'étude des quatre facteurs suggère des choix contradictoires en matière de relations d'approvisionnement ; les managers doivent donc évaluer avec précaution les avantages et les risques associés à chaque facteur. C'est ainsi que dans son usine d'assemblage de camions de Resende au Brésil, VW a développé une étroite collaboration avec ses sept principaux fournisseurs de pièces détachées : non seulement ceux-ci fabriquent les pièces avec leur propre équipement, mais leurs ouvriers les montent aussi sur les camions. Cet arrangement a permis à VW de réduire ses investissements et de diminuer l'influence des organisations syndicales, grâce à l'éclatement de la main-d'oeuvre et à la baisse du niveau des stocks. Le développement de nouveaux produits devrait être facilité grâce à la proximité de VW et de ses fournisseurs ; de plus, VW est moins vulnérable en cas de fléchissement du marché. En revanche, étant donné la complexité de sa logistique, VW prend un risque en matière de qualité, en particulier au niveau des interfaces entre les pièces des différents fournisseurs pendant l'assemblage et la livraison.

Les impacts

Au moment d'évaluer l'impact d'une politique d'approvisionnement sur la stratégie industrielle, financière et marketing de l'entreprise, les managers doivent reconnaître que l'incertitude et la complexité tendent à augmenter quand on opte pour une stratégie d'approvisionnement mondial. Les taux de change et des délais de livraison plus longs accroissent l'incertitude. Le développement de nouveaux produits risque d'être ralenti si les ingénieurs des deux organisations ont besoin d'être en contact fréquemment. Créer un climat de confiance est toujours un processus de longue haleine entre deux organisations d'un même pays et peut se révéler encore plus problématique au-delà des frontières nationales. Ceci ne signifie pas que le choix d'une politique d'approvisionnement mondial soit forcément une erreur. Au contraire. *

DAVID F. PYKE est maître de conférences en gestion des entreprises à l'Amos Tuck School of Business Administration du Dartmouth College. Il intervient également à la Wharton School, à la Helsinki School of Economics ainsi qu'à la WHU de Coblence.

Penser clairement l'externalisation De plus en plus d'entreprises décident d'externaliser des activités. Mais rares sont celles qui ont une méthode et une politique bien définies pour prendre de telles mesures.

Nous gardons les compétences fondamentales en interne et nous externalisons les activités non fondamentales. » Voici l'explication la plus souvent donnée pour justifier une décision d'« outsourcing ». Mais qu'est-ce qu'une activité « fondamentale » ou « non fondamentale » ? Réponse classique : « Eh bien, cela dépend de la façon dont nous définissons notre activité. » Ou encore : « Evidemment, si nous prévoyons de continuer cette activité en interne, il faut que ce soit une compétence fondamentale. »

Les discussions suscitées par cette question sont très subjectives et constituent, la plupart du temps, une perte de temps et d'énergie. C'est d'ailleurs souvent la mauvaise question à poser au moment de prendre une décision d'externalisation. La distinction entre compétence fondamentale et compétence non fondamentale est une simplification excessive de la réalité de l'entreprise et risque de déboucher sur des décisions regrettables.

Dilemmes des entreprises

On constate que les entreprises ont toujours plus recours à l'externalisation. Dans certaines des business units de DuPont, les activités outsourcées représentent jusqu'à 10 % du chiffre d'affaires. La priorité donnée désormais à l'augmentation de la valeur pour les actionnaires et à la concentration sur les métiers de base pousse les entreprises à constamment évaluer les possibilités d'externalisation. Une étude réalisée pendant l'été 1996 auprès de grandes entreprises européennes par l'IMD et le consultant A. T. Kearney montrait que 52 % d'entre elles pensaient augmenter leur niveau d'externalisation.

Mais, dans le même temps, et faute de politique appropriée, les entreprises sont désemparées quand vient le moment d'évaluer et de mettre ces décisions en oeuvre.

De surcroît, il peut arriver qu'une activité externalisée dans un centre de profit soit considérée comme «

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fondamentale » dans un autre. La maintenance des usines en est un bon exemple. Les dirigeants risquent d'en tirer la conclusion que certaines de leurs unités vont dans la mauvaise direction. Il paraît en effet étrange que des business units similaires aient des compétences différentes.

Au niveau de leur centre de profit, les managers sont placés dans l'obligation d'optimiser l'utilisation de leurs ressources et s'interrogent constamment sur la nécessité d'externaliser. De plus, il est peu motivant, pour le personnel, d'être considéré comme « non fondamental ». Enfin, si on suit la règle du « fondamental dedans et non fondamental dehors », on finit soit par externaliser ce qui semble être un nombre excessif d'activités, soit par déboucher sur une définition tortueuse de ces activités fondamentales. Quelque chose du genre : « Nous poursuivons en interne les activités nécessaires pour développer, fabriquer et vendre des produits pour l'application X quand cela est rentable, si le capital nécessaire est disponible ou s'il n'existe pas de fournisseurs adéquats sur le marché. »

Comme nous l'avons déjà dit, prétendre répartir les compétences entre « fondamentales » et « non fondamentales », c'est simplifier à outrance l'entreprise. Nous ne remettons pas pour autant en question le concept des compétences fondamentales popularisé par C. K. Prahalad et Gary Hamel. Il peut en effet être utile pour définir la stratégie de l'entreprise. Prahalad et Hamel affirment, par exemple, que la compétence fondamentale de Honda est la production de moteurs à explosion parce qu'il s'agit du dénominateur commun au large éventail des produits Honda : voitures, motos, tondeuses à gazon, générateurs, moteurs de hors-bord, chasse-neige et motoculteurs.

Le concept peut aussi aider une organisation à se focaliser sur les actions stratégiques à entreprendre pour préserver sa compétence fondamentale.

Nous souhaitons souligner, avant tout, que les activités non essentielles ne doivent pas être externalisées systématiquement. Ainsi, Honda doit avoir des activités autres que la production de moteurs ; cela recouvre par exemple la gestion de la marque, le marketing, la conception de nouveaux véhicules, la fabrication de composants et la gestion des fournisseurs. Un autre exemple plus convaincant encore est celui du pilote de Formule 1 Michael Schumacher. Sa compétence fondamentale est de conduire très vite, mais il tire aussi des revenus substantiels de ses contrats publicitaires. Bien évidemment, la publicité est, dans son cas, une activité ou une compétence non fondamentale, mais il serait absurde pour lui d'y renoncer ou de l'externaliser.

Les bonnes raisons

Si l'argument « fondamental ou non fondamental » n'est pas suffisant, sur quelles bases faut-il prendre la décision d'externaliser ? Passons en revue les raisons qui poussent les entreprises à externaliser :

* Pénurie de capital. En externalisant, l'entreprise diminue le volume de capital requis.

* Carence en savoir-faire. Elle est souvent liée à la difficulté de développer assez rapidement des compétences indispensables en interne.

* Flexibilité. La nécessité de réagir rapidement ou de produire en petites séries est si courante que certaines entreprises se spécialisent dans le lancement de produits ou dans la montée en puissance d'une production.

* Utilisation des actifs ou capacité de production disponible. Un certain nombre d'entreprises de la chimie exigent une utilisation minimale des actifs avant d'autoriser un investissement. Si ce minimum n'est pas atteint, on choisit souvent d'externaliser la production.

* Economies d'échelle. Hewlett-Packard produisait ses propres cartes à circuit imprimé pour PC jusqu'à l'apparition de spécialistes fabriquant ces composants pour un grand nombre d'entreprises et réalisant ainsi de substantielles économies d'échelle.

* Emergence d'un marché fournisseur efficace. Beaucoup d'entreprises entretenaient dans le passé leur propre parc de transport pour la livraison de leurs clients. Aujourd'hui, de plus en plus ont recours à l'externalisation parce que des sociétés de transport efficaces sont apparues sur le marché.

* Focalisation des ressources. Cela s'applique tout particulièrement aux ressources managériales.

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* Investissement à haut risque. Les entreprises adoptent parfois une attitude très prudente et externalisent la production liée au lancement de produits novateurs dont l'impact sur le marché est incertain.

Si les éléments énoncés ci-dessus sont autant de raisons pour choisir d'externaliser, cette décision peut cependant avoir ses revers :

* Perte de savoir-faire. Dans les années 80, un grand nombre d'entreprises américaines ont suivi une politique d'externalisation tous azimuts en faisant appel à des fabricants asiatiques, afin de diminuer leurs coûts de production. Or ces mêmes fabricants sont devenus, par la suite, leurs concurrents les plus coriaces.

* Coûts de transaction. Le temps et les ressources nécessaires à la gestion de l'externalisation et à la clarification des contrats et des attentes de chacun peuvent être excessifs. C'est le cas d'un grand nombre d'accords d'externalisation dans l'informatique, où il s'est révélé extrêmement difficile de concilier les objectifs de l'entreprise et de son fournisseur.

Les situations d'externalisation conjuguent souvent plusieurs de ces avantages et de ces risques. Alors, comment décider ce qu'il faut ou non externaliser ? Et puisque l'externalisation peut prendre tant de formes diverses, quel est le type d'externalisation le plus approprié pour une activité donnée ?

Deux schémas

Il est difficile de rassembler dans un seul schéma tous les paramètres à prendre en compte pour une telle décision. Cependant, nous avons mis au point deux modèles qui se sont révélés utiles pour la compréhension et la clarification de ces décisions. Le premier permet de mieux comprendre la situation actuelle, et le deuxième facilite la préparation de l'externalisation.

Nous avons affiné la classification des compétences, en particulier des compétences dites non fondamentales, afin de mieux comprendre leur rôle dans l'entreprise (voir figure 1). Dans ce modèle, nous répartissons les compétences en cinq catégories :

* Compétences spécifiques. Une compétence spécifique est la compétence la plus importante d'une organisation : par exemple, les moteurs à explosion pour Honda ou la capacité de conduire très vite pour Michael Schumacher.

* Compétences fondamentales. Ce sont les activités nécessaires au fonctionnement d'une organisation. Il peut s'agir pour un fournisseur du secteur de l'automobile de la qualité de ses processus de gestion, certifiés ISO 9000 et exigés par certains de ses clients.

* Compétences « ricochet ». Ce sont les compétences qui permettent à une entreprise d'engranger des profits dans une activité annexe, grâce à sa compétence spécifique. Les activités publicitaires de Michael Schumacher constituent une retombée de ses qualités de pilote.

* Compétences de protection. Elles sont liées aux activités qui peuvent sérieusement mettre en cause la réussite de l'ensemble de l'organisation si elles ne sont pas gérées de manière adéquate.

* Compétences parasites. On devrait même parler d'incompétences parasites. Il s'agit d'activités réalisées en interne et qui gaspillent des ressources organisationnelles. Elles sont souvent l'héritage de décisions ou de situations antérieures.

Ce modèle doit être compris comme un modèle dynamique dans lequel les activités changent de catégorie au fil du temps. Il est courant de voir une activité essentielle devenir parasite, à la suite de l'émergence d'un marché fournisseur. Ainsi, quand elles se sont installées en Chine, les entreprises occidentales ont, pour beaucoup, été forcées d'internaliser un grand nombre d'activités, faute de fournisseurs fiables. Il s'agissait alors de compétences essentielles. Mais, avec l'apparition de fournisseurs sérieux, la plupart des entreprises ont très vite externalisé ces activités.

Ce modèle permet d'analyser ce qui doit être externalisé et de déterminer la manière de s'y prendre : bien évidemment, les compétences parasites doivent être externalisées, sans considérations particulières, si ce n'est de trouver les meilleurs prestataires possibles. Les compétences essentielles et les compétences de protection, quant à elles, peuvent être externalisées s'il est possible de garantir la pérennité du service et un

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niveau de risque minimal. La relation d'externalisation doit reposer sur une base solide de confiance et de compréhension mutuelles. Enfin, les compétences « ricochet » peuvent également être externalisées, à condition que l'entreprise engrange bien les bénéfices dérivés de ses compétences spécifiques.

Le schéma présenté à la figure 1 permet d'apprécier l'effet des différentes activités sur la spécificité d'une entreprise. Le deuxième modèle, présenté à la figure 2, traite avant tout de l'efficacité des activités en interne et de la nécessité d'éviter l'externalisation d'un problème : cela déboucherait inévitablement sur une relation d'externalisation problématique.

Les paramètres de la figure 2 sont, d'une part, les risques associés à l'activité - dont le risque de perte de savoir-faire, l'impossibilité de continuer à opérer sur un marché, etc. - et, d'autre part, l'efficacité de l'activité réalisée en interne comparée à l'efficacité de cette même activité assurée par un prestataire extérieur. A chaque quadrant correspond une action logique : si l'efficacité est élevée, il est logique de garder l'activité en interne, en supposant que l'entreprise puisse maintenir le même niveau d'efficacité dans l'avenir. Une compétence spécifique peut faire face à un haut niveau de risque. Si on choisit de l'internaliser, cela signifie que l'on cherche à mieux la protéger, en maintenant un niveau de contrôle plus poussé.

Si une activité présente un faible niveau de risque et d'efficacité, la solution logique est souvent l'externalisation.

Le cas de figure le plus délicat est celui qui conjugue une efficacité faible et des risques élevés. Dans ces conditions, le management doit remodeler l'activité afin de la rendre plus efficace ou de faire baisser le niveau de risque. Une fois l'activité sortie de ce quadrant, on pourra envisager une externalisation.

Des initiatives complexes

Rares sont les entreprises à avoir une méthode ou une politique bien définies pour prendre de telles décisions. Or les décisions d'externalisation ont des implications sociales fortes et sont souvent rejetées par les salariés. Elle peuvent aussi offenser les cadres qui ont été associés, au cours de leur carrière, à une activité que l'on décide de ne plus garder en interne.

En outre, les entreprises constatent souvent que le simple fait d'évaluer une possibilité d'externalisation peut entraîner une amélioration des performances en interne de l'activité visée. En effet, une activité qui n'est pas considérée comme essentielle par les dirigeants aura souvent reçu un niveau d'attention insuffisant et sera, en conséquence, devenue inefficace. En étudiant la possibilité d'une externalisation, on est forcé de redéfinir le besoin que l'on a de cette activité, ce qui focalise sur elle le reste de l'organisation et élimine souvent un grand nombre de tâches inutiles.

Enfin, il faut remarquer que les décisions d'externalisation sont parfois prises sans étude appropriée de la disponibilité des fournisseurs et des détails du contrat d'approvisionnement. La direction décide, et l'exécution est déléguée au reste de l'organisation. Cela peut contraindre à une réévaluation de la décision au milieu de son exécution ou déboucher sur une totale incompréhension, par le reste de l'organisation, des objectifs de l'opération.

Nous recommandons aux entreprises de considérer les décisions d'externalisation comme des initiatives complexes qui ne sauraient être évaluées à la légère. *

Michael Schumacher : sa compétence fondamentale est d'être pilote de Formule 1 (ici, pour l'écurie Benetton), mais il tire aussi des revenus substantiels de la publicité. Bien que cette activité soit dans son cas une compétence non fondamentale, il serait absurde pour lui d'y renoncer. (C) John Reardon/Katz/REA

CARLOS CORDON est professeur de gestion de la production à l'IMD. Ses recherches portent sur la gestion de la production et de la chaîne d'approvisionnement.

THOMAS E. VOLLMANN est professeur de gestion de la production à l'IMD. Ses recherches portent sur la planification et le contrôle de la production, la mesure de la performance, la gestion de la chaîne d'approvisionnement et la transformation de l'entreprise.

JUSSI HEIKKILÄ participe, en tant que chercheur, au projet Manufacturing 2000 de l'IMD.

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Comment réussir une fusion-acquisitionLe respect d'une logique stratégique et la poursuite d'un véritable effort d'intégration sont essentiels pour assurer le succès des fusions et acquisitions transnationales.

La mondialisation a entraîné une poussée sans précédent des fusions et des acquisitions transnationales. Selon Securities Data, plus de 2.000 acquisitions transnationales ont été annoncées en 1996, pour une valeur supérieure à 252 milliards de dollars. Soit une augmentation de près de 54 % du nombre des opérations depuis 1991, mais aussi un triplement de leur valeur pendant cette période.

Il est clair que les fusions et acquisitions transnationales sont désormais un phénomène incontournable du monde des affaires internationales. On remarquera que les fusions d'entreprises ayant leurs sièges dans le même pays, bien que non transnationales, en ont les caractéristiques. En effet, quand Boeing rachète McDonnell Douglas, ces deux entreprises américaines doivent intégrer leurs activités dans des dizaines de pays. Il en va de même pour d'autres fusions dites nationales, comme l'opération de 27 milliards de dollars qui a rapproché les groupes pharmaceutiques Sandoz et Ciba-Geigy pour la création de Novartis.

C'est pourquoi une bonne compréhension des difficultés et des opportunités liées aux rapprochements entre firmes transnationales est essentielle pour bien appréhender la plupart des fusions et acquisitions, ainsi que toute stratégie mondiale d'entreprise.

Zones de risques potentiels

Un examen approfondi des opérations amène à une constatation irréfutable : la majorité des fusions et acquisitions transnationales ne sont pas des succès. Les économistes David J. Ravenscraft et William F. Long ont ainsi étudié 89 acquisitions d'entreprises américaines par des acheteurs étrangers entre 1977 et 1990 et constaté que, dans la plupart des cas, la performance de l'acheteur ne s'était pas améliorée un an après l'acquisition. De nombreux exemples viennent corroborer ces résultats.

Il en est ainsi du rachat de Columbia Pictures par Sony en 1989. Après avoir payé le prix fort et donné carte blanche à l'équipe de direction à Hollywood, Sony a dû enregistrer 3,2 milliards de dollars de dépréciation en 1994.

On comprend pourquoi les fusions et acquisitions transnationales sont si difficiles à réussir si l'on réfléchit à toutes les conditions nécessaires pour assurer le succès des opérations de ce type. Les deux entreprises doivent déterminer d'un commun accord :

- quelle va être l'offre de services et de produits ;

- quels sites ou groupes auront la responsabilité de cette offre ;

- qui sera responsable de chacun de ces sites ou groupes ;

- d'où proviendront les réductions de coûts attendues ;

- quelle sera la répartition des responsabilités au niveau du management ;

- quel est le meilleur calendrier pour optimiser les synergies potentielles de l'opération.

A quoi il faut ajouter une multitude d'autres questions complexes et urgentes. Sans oublier que les entreprises qui fusionnent doivent continuer à se battre et à servir leurs clients sur un marché concurrentiel.

A toutes ces difficultés on ajoutera un ensemble de problèmes provenant des différences culturelles. Il suffit de penser aux différences qui subsistent entre les façons de faire des affaires en Europe, au Japon et aux Etats-Unis, en dépit de l'uniformisation des pratiques nécessitée par la mondialisation. Elles concernent notamment le gouvernement de l'entreprise, le pouvoir du personnel, la sécurité de l'emploi, les réglementations, les attentes des clients et la culture nationale ; tout cela représentant des niveaux de complexité supplémentaires à gérer par les managers engagés dans un processus de fusion ou d'acquisition transnationale. Est-il étonnant, dans ces conditions, que les fusions transnationales soient des opérations porteuses de risques potentiels qu'il convient d'aborder avec la plus grande prudence ?

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Fort heureusement, il existe quelques principes fondamentaux à suivre pour faciliter le déroulement des opérations. Ce sont : le respect d'une logique stratégique et le nécessaire processus d'intégration de l'acquisition.

Logique stratégique

Certains gourous du management définissent comme « stratégiques » les opérations où l'acquéreur surpaie son acquisition. Si le prix payé est en effet un facteur essentiel de la réussite de l'acquisition, il n'y a donc aucune raison intrinsèque pour que des fusions bien conçues du point de vue stratégique tournent mal. En réalité, tout indique le contraire. La récente fusion, par BP et Mobil, de leurs avals pétroliers en Europe constitue à cet égard un cas exemplaire. La logique stratégique de cette opération a été double : en premier lieu, les deux partenaires ont constaté qu'une certaine taille critique sur le marché était indispensable pour concurrencer les autres grandes compagnies pétrolières en Europe et les stations-service des grandes surfaces. En second lieu, des économies importantes pouvaient être réalisées en évitant les doubles emplois des installations et du personnel, en rationalisant les achats et en diminuant les frais généraux.

Bien que cette fusion présente des difficultés considérables en matière d'intégration, elle paraît reposer sur une logique stratégique solide et est même considérée comme un modèle pour d'éventuels accords similaires entre pétroliers. Mais c'est aussi une fusion qui sort de l'ordinaire ; en effet, BP et Mobil n'ont rapproché leurs activités de raffinage et de marketing qu'en Europe et sont restés concurrents partout ailleurs. Toujours est-il que les économies réalisées devraient être de l'ordre de 500 millions de dollars par an : un chiffre qui, s'il se confirme durablement, fera de cette fusion une réussite indéniable.

Pour respecter une logique stratégique efficace, l'entreprise doit répondre aux questions suivantes :

- Comment cette fusion va-t-elle créer de la valeur, et quand cette valeur sera-t-elle réalisée ?

- Pourquoi sommes-nous le meilleur acquéreur potentiel pour cette entreprise ?

- Cette fusion peut-elle être « bénéficiaire » : pourrons-nous créer plus de valeur (en étant plus compétitifs encore, en ayant une structure de coûts plus solide, en acquérant des compétences supplémentaires que nous pourrons utiliser comme nouveaux leviers de gains, etc.) après la transaction ?

Il s'agit de questions délicates qui nécessitent une analyse prudente et objective. Les entreprises doivent se prémunir contre la fâcheuse tendance, qui se manifeste souvent dans le feu de la négociation, à surestimer les véritables avantages stratégiques d'un accord. La volonté de conclure un accord rapidement avant des acquéreurs concurrents, les barrières culturelles et, parfois, linguistiques, génératrices d'incertitude, et l'atmosphère souvent fébrile des négociations créent un climat défavorable à cet impératif d'objectivité. La meilleure solution est de s'en tenir, pendant la phase de fusion ou d'acquisition, à une grille d'analyse préalablement établie pour évaluer une cible potentielle, même lorsque surgissent les inévitables tensions propres à l'exercice. Il ressort de nos propres recherches et expériences que les fusions et acquisitions transnationales qui ont le plus de chances de réussir sont souvent celles qui impliquent des entreprises partageant, dans des domaines clefs tels que la production ou le marketing, des objectifs similaires ou complémentaires.

Quand deux entreprises ont des métiers de base similaires, il est souvent possible de réaliser des économies d'échelle à différents stades de la chaîne de la valeur (recherche-développement, production, ventes et marketing, distribution, etc.). Ainsi, la fusion envisagée l'an dernier par British Telecom et MCI aurait pu créer de la valeur grâce au développement conjoint de logiciels, à des investissements et à des accords d'approvisionnement communs. En outre, MCI aurait pu devenir un concurrent encore plus redoutable sur le marché de la téléphonie aux Etats-Unis avec le soutien de British Telecom et de son formidable cash-flow. Quant à la firme britannique, elle aurait bénéficié de la culture d'entreprise de MCI, dynamique et centrée sur le marché.

C'est ainsi que ce que nous appellerons des gains de performance, générés par des complémentarités de compétences ou d'activités, peut constituer une source importante de création de valeur dans les fusions et acquisitions.

Intégration de l'acquisition

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Beaucoup de transactions transnationales rencontrent des difficultés dues à des défaillances du processus d'intégration. Qu'est-ce que l'intégration d'une acquisition ?

En tout premier lieu, c'est le processus qui consiste à mettre en oeuvre les avantages stratégiques d'une fusion ; en d'autres termes, tout ce que les entreprises fusionnées doivent faire pour réaliser des synergies et inscrire la nouvelle entité dans une perspective de croissance. Cela nécessite une coopération et une coordination efficaces entre les firmes, qui devront dans le même temps porter une attention toute particulière aux problèmes de ressources humaines. Présenté ainsi, cela paraît relever d'une mission impossible, mais la réussite de l'opération n'en repose pas moins sur elles. Pourtant, dans un grand nombre d'acquisitions transnationales, les efforts d'intégration paraissent insuffisants, mal pensés et inconséquents.

Prenons l'exemple de l'acquisition du fabricant de pneumatiques américain Firestone par son rival japonais Bridgestone, en 1988. Les problèmes ont commencé quand Bridgestone a surenchéri sur l'offre de Pirelli pour l'emporter en payant un prix équivalant à 158 % de la capitalisation boursière de Firestone. Bien que l'acquisition ait obéi à une logique stratégique - Bridgesone souhaitait acquérir une dimension mondiale dans un secteur en voie de concentration rapide et approvisionner les constructeurs automobiles japonais aux Etats-Unis -, aucun véritable effort d'intégration n'a été entrepris pendant les cinq premières années. Bridgestone a laissé la direction de Firestone en place, mais n'a mis en oeuvre que peu de mesures d'économie, si bien que, après l'acquisition, l'entreprise a continué à afficher les performances limitées qu'elle connaissait antérieurement. En 1992, les pertes ont atteint 1 milliard de dollars, si bien que Bridgestone a dû débourser 1,5 milliard de dollars pour mettre à niveau puis développer les activités de Firestone.

Le processus d'intégration est difficile pour bien d'autres raisons. On mentionnera en premier lieu les différences entre les cultures et les styles de management. Ce sont des différences de cette nature qui ont assombri, dès le début, les chances de succès de la fusion du suédois Pharmacia et de l'américain Upjohn en 1995. Bien que la Suède et les Etats-Unis soient proches sous bien des aspects et que les modes de vie y paraissent très semblables, les petites différences dans les habitudes et les normes peuvent s'accumuler et se faire sentir. C'est ainsi que les managers d'Upjohn ont irrité leurs homologues suédois en organisant une série de réunions en juillet, mois où les Suédois prennent traditionnellement leurs vacances. De plus, les Américains avaient un style de management directif et soucieux du détail peu compatible avec la préférence donnée en Suède à la discussion ouverte et au consensus. Par crainte de voir l'un des deux partenaires prendre une position dominante si le siège social était localisé dans un des deux pays, il a été décidé d'implanter un nouveau siège à Londres. Mais, comme Pharmacia et Upjohn n'ont pas fermé leurs directions en Suède et aux Etats-Unis, cela n'a servi qu'à créer un niveau supplémentaire de management redondant avec les structures existantes.

Le stress et l'incertitude des salariés peuvent se révéler particulièrement perturbateurs dans les accords transnationaux. Il y a un réel danger de voir certains des meilleurs éléments partir à la suite d'une fusion. En effet, ce sont généralement eux qui se voient offrir les meilleures opportunités à l'extérieur. Ne pas prêter attention à leurs préoccupations peut donc coûter cher à l'organisation.

Les problèmes ne disparaissent pas sous prétexte qu'on les ignore. Les employés de Firestone ont fini par mener une grève très dure en 1994-95 en réaction aux efforts tardifs de Bridgestone pour réduire les coûts.

Combinaison de synergies

Pour résumer, il faut insister sur deux impératifs fondamentaux dans toute analyse des opérations de fusion et d'acquisition transnationales. Tout d'abord, les entreprises se lancent dans une fusion ou une acquisition pour créer de la valeur. La création de valeur résulte de la combinaison de synergies qui permettent de réduire les coûts et de stratégies concurrentielles qui dynamisent les performances et la croissance de l'entreprise. Ensuite, ni la réduction des coûts ni la croissance des résultats ne peuvent être atteintes si la priorité n'est pas donnée à la mise en oeuvre d'un processus d'intégration de l'acquisition.

Pour que les stratégies des fusions et acquisitions transnationales tiennent leurs promesses et justifient les prix élevés payés par de nombreuses entreprises, il est indispensable que les managers comprennent et respectent ces deux impératifs. *

SYDNEY FINKELSTEIN est maître de conférences en gestion des entreprises à l'Amos Tuck School of

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Business Administration du Dartmouth College, où il est spécialiste de la stratégie et du management des fusions et acquisitions. Il a récemment terminé la rédaction d'un ouvrage intitulé : « Strategic Leadership : Top Executives and their Effects on Organizations ».

Gestion du processus d'intégrationEtant donné l'importance du processus d'intégration pour la réussite d'une acquisition, quel est le meilleur moyen pour les entreprises de gérer ce processus ? Il leur faudrait respecter les lignes directrices suivantes :

* Comprendre que l'essentiel de la création de valeur dans une acquisition est produite après la transaction.

Les synergies ou les bénéfices que l'on attend d'une acquisition ne peuvent être réalisés sans efforts substantiels pendant le processus d'intégration.

* Planifier l'intégration avant de conclure la transaction.

Cet impératif est souvent négligé, pour diverses raisons : contraintes de temps, manque d'information et méconnaissance de l'importance fondamentale du processus d'intégration. Mais sans planification, il paraît difficile de déterminer les sources de création de valeur. Il est important de constituer une liste des questions clefs relatives à l'intégration, de désigner des responsables, d'établir un calendrier pour traiter ces questions et de se fixer des objectifs qui aideront à créer la valeur nécessaire à la réussite de l'opération.

* Mettre les détails au point.

On peut diminuer le niveau de confusion et de complexité des fusions transnationales en faisant en sorte que, très tôt, des managers du repreneur s'informent sur les différences entre leur pays et celui de la firme acquise dans les domaines suivants : normes comptables, législation du travail, réglementation en matière d'environnement et fonctionnement du monde des affaires.

* Elaborer un plan de communication clair et s'y tenir tout au long du processus.

La perspective du mélange de cultures différentes dans le cadre d'un rapprochement transfrontalier peut aggraver le sentiment d'incertitude éprouvé par le personnel dans toute situation de fusion ; il faut donc anticiper ce problème.

Quand les filiales reprennent l'initiativeUne politique de décentralisation délibérée peut être bénéfique aussi bien pour la société mère que pour ses filiales. Sept stratégies s'offrent aux filiales désireuses de jouer un rôle plus important au sein de la multinationale.

Bien que les premières créations de filiales à l'étranger datent du XIXe siècle, ce n'est que dans les années 60 qu'elles se sont généralisées. Ces filiales étaient conçues comme des modèles réduits de la société mère, elles avaient été créées pour apaiser les gouvernements locaux et éviter de payer des droits de douane.

Mais la mondialisation des échanges et l'essor des grands pôles commerciaux régionaux ont rendu ces entreprises de moins en moins compétitives. Pour beaucoup de ces filiales, il en est résulté un rétrécissement de leurs attributions, au point que, dans certains cas, elles ont été réduites à de simples organisations de vente, intervenant peu dans les décisions stratégiques de la société mère.

La mondialisation est à l'origine de cette situation. En effet, la plupart des multinationales ont aujourd'hui adopté des stratégies globales, qui ne vont pas sans poser de problèmes à leurs filiales, car ces stratégies impliquent une centralisation des décisions les plus importantes au niveau du siège. Ces décisions peuvent porter, par exemple, sur le segment de marché visé, le type de produits à lancer, le profil du manager à recruter ou le choix du site de production et de recherche-développement, autant de décisions qui relevaient auparavant des compétences du responsable pays.

Si l'on a pu ainsi élaborer des stratégies globales et faire des avancées concurrentielles, cela a aussi démotivé les équipes des filiales et entraîné souvent une baisse considérable de la capacité d'apprentissage de

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l'entreprise. Les multinationales y ont perdu tout autant que leurs filiales.

Cependant, certaines filiales ont vu leur rôle stratégique s'étendre, les conduisant à assumer des responsabilités régionales, voire mondiales. En effet, les sièges des multinationales sont de plus en plus conscients de l'importance de l'apprentissage au sein de l'entreprise et du rôle fondamental que peuvent y jouer les filiales.

Répartir la prise de décision

La solution maintenant préconisée par de nombreuses multinationales d'envergure - à savoir la « centralisation décentralisée » - repose sur l'idée qu'une activité mondiale n'a pas nécessairement à être menée dans le pays d'origine de la société mère.

Cette approche prévoit une répartition des responsabilités mondiales entre les filiales les plus dynamiques dans le monde ; ce qui permet la mise en oeuvre de stratégies mondiales tout en offrant de nouvelles perspectives de marché et des sources d'innovations. Elle permet également aux grandes filiales d'avoir des équipes de management locales de plus grande envergure et d'offrir aux jeunes managers des perspectives de carrière plus prometteuses.

Si l'on considère les deux grands avantages des multinationales sur les entreprises nationales, à savoir les économies d'échelle et la multiplicité des sources d'apprentissage et d'innovation, cela incite encore plus à la décentralisation. Le premier avantage implique généralement une rationalisation des activités de la multinationale, avec des filiales qui fournissent, sous un contrôle strict, un maillon de la chaîne de création de valeur, y compris la production ou la recherche-développement (R&D). Le second avantage - des sources d'apprentissage et d'innovation multiples - invite également à une répartition des activités clefs que sont la production ou la R&D.

Le stade ultime de décentralisation ou d'extension du rôle d'une filiale consiste à en faire le centre mondial pour la R&D, la production, ou le marketing vente d'un produit.

On s'est également rendu compte que le vieux débat sur les priorités des multinationales, à savoir les marchés nationaux ou le marché mondial, négligeait une troisième « strate » très importante, celle des marchés régionaux. On trouve ainsi, au-dessous de la filiale aux responsabilités mondiales, un stade « régional » de décentralisation, où la filiale joue le rôle de pôle d'excellence régional en matière de recherche-développement, de production, ou de marketing et de ventes. En effet, comme les multinationales créent de plus en plus de structures régionales, les filiales décrochent actuellement beaucoup plus de responsabilités à l'échelle régionale qu'à l'échelle mondiale.

La figure 1 (page précédente) présente les différents types d'attributions des filiales. La filiale d'un groupe dont les produits sont spécifiés à l'échelle mondiale va exécuter une partie de la chaîne de valeur sans en assumer pour autant la responsabilité au niveau mondial. Cela peut être, par exemple, une filiale qui fabrique les composants d'un produit distribué dans le monde entier, sur instructions du siège.

Les filiales de multinationales en cours de mondialisation sont donc confrontées à un choix crucial : se battre pour obtenir davantage de responsabilités à l'international ou se cantonner à la case en bas à gauche de la figure 1, avec un pouvoir de décision très limité et une structure taillée au plus juste. Dans cette case, on trouve des directeurs de filiale qui tiennent plus du cadre administratif que du responsable pays, mais qui jouissent de ce titre pour des raisons essentiellement juridiques et politiques.

Obtenir des responsabilités

La question qui se pose au directeur général d'une filiale est de savoir comment obtenir des responsabilités internationales ou globales. Une étude menée sur cinq ans en Europe et en Amérique du Nord auprès de 150 directeurs de filiale et hauts responsables de siège a mis en lumière sept stratégies envisageables :

* Mettre en avant un champion

Dans chaque cas, un « champion » - généralement, le directeur général ou parfois le numéro deux de la filiale - s'est mobilisé pour obtenir un élargissement des compétences de la structure nationale.

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* Acquérir une stature internationale

Si une filiale n'a pas d'expérience internationale, elle doit chercher des occasions d'exporter aussi bien au sein de la multinationale qu'à l'extérieur du groupe. Cela lui permettra d'améliorer ses compétences et de développer ses capacités à l'international. Cependant, l'objectif recherché n'est pas de réaliser un volume de ventes, mais bien d'obtenir une certaine présence et une visibilité à l'international.

* Développer des compétences

L'étude des attributions des filiales a montré combien il est capital pour elles de développer des compétences ou des connaissances propres. C'est le grand défi que doivent relever les directeurs généraux de filiale désireux de décrocher des responsabilités internationales ou mondiales. La filiale de Nokia en Grande-Bretagne, par exemple, a développé sa fonction R&D au cours des sept dernières années au point que son centre de recherches à Cambridge est aujourd'hui responsable au niveau mondial du développement et de la gestion d'un important produit de télécommunications.

* Anticiper les besoins

Cela n'est pas dénué de risques, mais si une filiale désire décrocher les nouvelles attributions au fur et à mesure qu'elles sont décentralisées par le siège, elle doit se positionner et s'en donner les moyens. Le directeur général de filiale doit par conséquent deviner les besoins à venir de sa société mère et de son secteur d'activité en général.

* Prendre des responsabilités au sein de la chaîne de valeur des clients

Les filiales se tournent de plus en plus vers l'extérieur de leur groupe pour nouer des alliances avec des clients stratégiques ou pour devenir partie intégrante de la chaîne d'approvisionnement d'autres entreprises.

* Acheter des compétences

Si l'on veut une solution facile pour développer les compétences de la filiale, une possibilité serait d'acheter une entreprise locale disposant d'un avantage technologique sur le créneau visé.

* Etoffer ses relations à tous les niveaux

Les cadres supérieurs interrogés dans notre étude ont indiqué que les filiales devraient renforcer leurs liens avec la société mère ainsi qu'avec les autres filiales stratégiques du groupe à tous les niveaux, et pas uniquement aux plus hauts niveaux hiérarchiques. Les filiales concurrentes accepteront beaucoup plus facilement le leadership de leur rivale dans un domaine de compétences donné si les responsabilités mondiales sont partagées au sein du groupe.

Du côté de la société mère

S'il est de l'intérêt des dirigeants de filiale d'obtenir de plus grands pouvoirs de décision, cela peut également aller, dans certains cas, dans le sens de l'intérêt de la société mère.

La figure 2 (page précédente) propose aux multinationales une méthode d'évaluation de leur réseau de filiales et de leurs aspirations à des responsabilités mondiales. L'un des critères d'évaluation est l'importance du marché de la filiale, et cela en raison de l'impact des perspectives de marchés multiples à mesure que les multinationales mettent au point de nouveaux produits et services.

Le second critère - la compétence ou la base de connaissances de la filiale - reflète l'idée que c'est par la création et le partage permanents de nouvelles connaissances que les organisations qui réussissent se créent des avantages compétitifs.

Les filiales dont les marchés locaux sont stratégiquement importants, et qui ont largement développé leurs compétences ou leurs connaissances, devraient se voir confier un rôle régional ou mondial. Les filiales sans compétences spécifiques ou extraordinaires, et situées dans des pays de second plan, se cantonneront dans un rôle d'exécution en appliquant dans leur pays la stratégie de la société mère.

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Il y a deux types de filiales à problèmes : dans le premier cas, il s'agit de filiales situées dans des marchés stratégiques, mais dont la contribution n'a pas été à la hauteur de leur potentiel. La société mère doit alors veiller à ce que les caractéristiques du marché soient prises en compte et valorisées dans le processus de conception des produits et dans les autres décisions marketing. Dans l'autre cas de figure, ces filiales disposent de connaissances ou de compétences de pointe, mais la faiblesse de leur marché ne leur permet pas encore de contribuer autant qu'elles le pourraient aux activités mondiales du groupe. Il incombe alors au siège d'évaluer précisément le potentiel d'expertise de la filiale et de chercher activement à lui confier un rôle international plus important. *

En 1878, l'allemand BASF rachète une usine à Neuville-sur-Saône (Rhône) pour produire des colorants pour le marché français. Bien que les premières créations de filiales à l'étranger datent du XIXe siècle, ce n'est que dans les années 60 qu'elles se sont généralisées. (C) BASF

KARL MOORE est enseignant au Templeton College, à l'université d'Oxford. Ses recherches portent notamment sur l'élaboration de stratégies mondiales pour les multinationales, le rôle des filiales et le marketing de la haute technologie.

Pour une nouvelle conception de la création de valeurAvec le développement des nouvelles technologies de l'information, la création de valeur est devenue moins séquentielle et plus interactive. Les distinctions entre clients et fournisseurs ou entre biens et services doivent être fondamentalement repensées.

Au moment même où vous lisez ce journal, êtes-vous en train de créer de la valeur ou d'en détruire ? La réponse à cette question a un impact considérable. En effet, elle va vous situer par rapport à deux visions radicalement différentes de l'économie. Durant l'ère de l'économie industrielle que nous sommes en train de quitter, la consommation d'un bien ou d'un service par un client était supposée détruire la valeur que le producteur avait créée à son intention.

Mais cette théorie (souvent implicite !) est de plus en plus contestée au fur et à mesure qu'émerge une économie alternative. Cet article considère que si, pendant votre lecture, vous consommez le papier, l'encre, l'information et les ressources intellectuelles que « Les Echos » ont mobilisées pour sa production, le fait que vous le lisiez crée de la valeur. Votre lecture compense largement la destruction physique occasionnée par le froissement du papier ou l'effacement de l'encre. Dans le même ordre d'idées, tous les clients dans cette économie émergente doivent être considérés comme des créateurs de valeur.

Cette prise de conscience est riche en conséquences pour l'activité économique.

L'économie industrielle

Dans l'économie industrielle, les chaînes de montage étaient le symbole de l'industrie, même si moins de 10 % de la main-d'oeuvre se consacrait au montage des biens. Leurs caractéristiques, séquentielles, linéaires, unidirectionnelles, étaient devenues la représentation des « chaînes de valeur ».

Le client se trouvait au bout de la chaîne, après que la valeur eut été réalisée au profit du producteur. Mais, désormais, les consommateurs ne peuvent plus être réduits à cette position. Les innovations technologiques permettent aujourd'hui des pratiques telles que l'ingénierie simultanée et le traitement réparti, ce qui a rendu la création de valeur moins séquentielle et plus interactive. Les clients participent à la conception des produits qu'ils achètent. Ils participent aussi à la définition et souvent à la gestion de la logistique et de la production. A titre d'exemple, Ford (le client) et ABB (le fournisseur) ont conçu ensemble de nouveaux ateliers de peinture.

Dans le monde actuel, les actifs deviennent beaucoup plus liquides. Une étude que j'ai effectuée entre 1986 et 1993, en collaboration avec SMG, un cabinet de consultants suédois, a montré que les entreprises innovatrices dépassaient leurs concurrentes parce qu'elles distribuaient les tâches d'une manière plus intelligente. Elles exploitent la liquidité des actifs. Et elles le font vingt-quatre heures sur vingt-quatre, tous les jours de l'année, tous fuseaux horaires confondus. Elles ne pensent plus à la valeur en termes de chaîne, mais se voient plutôt comme faisant partie d'une constellation mondiale (ou d'une toile, d'un réseau, d'une écologie) d'agents économiques qui peuvent être simultanément des fournisseurs, des clients ou des

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concurrents.

Ikea, une des entreprises examinées dans notre étude, a, par exemple, convaincu un fabricant de chemises tchèque de lui fournir des coussins. Ikea l'a aidé à choisir les machines adéquates, à en financer l'acquisition, à former la main-d'oeuvre, à choisir les fournisseurs de tissu et à organiser sa logistique et ses livraisons. Pour Ikea, ce fabricant de chemises est donc à la fois un fournisseur et un client. Ainsi, à mesure que la proportion du travail accompli par chacune des parties s'accroît, chacune devient un concurrent (partiel) pour l'autre. Et les clients qui ont converti leurs salons en ateliers de montage d'Ikea sont devenus en quelque sorte ses ouvriers.

La conséquence de ces configurations, pensées par des entrepreneurs innovateurs, est qu'il y a davantage de valeur créée par unité de temps et/ou d'espace qu'auparavant. La valeur ici est produite conjointement par deux agents ou plus, avec l'autre et pour l'autre, avec et pour d'autres agents. Ces reconfigurations commerciales nous invitent à repenser les modes d'organisation et les pratiques de gestion héritées de l'ère industrielle. Fondamentalement, elles nous invitent à repenser la création de valeur elle-même.

Un facteur de production

Si l'on considère que les clients - tels que vous, lecteur de cet article - créent de la valeur au lieu de la détruire, cela a des implications très importantes dans l'économie émergente :

- la valeur n'est pas simplement « ajoutée », mais inventée et produite conjointement ;

- le consommateur final n'existe plus ;

- les « besoins » ne sont pas une catégorie importante pour définir le type de relations recherchées avec le client ;

- la valeur n'est pas « dans » le bien ou le service, mais elle est établie interactivement ;

- ce sont les offres et non pas les entreprises qui sont en concurrence sur le marché ;

- la distinction entre les biens et les services doit être repensée.

Mais revenons sur chacune de ces affirmations.

* La valeur n'est pas simplement « ajoutée », mais inventée et produite conjointement.

Dans le concept de la chaîne, la création de valeur est séquentielle, et la valeur est « ajoutée ». Mais, comme l'a démontré l'universitaire britannique Charles Hampden Turner, les valeurs sont « conciliées », et pas simplement ajoutées.

La rapidité et la sécurité d'une voiture ne sont pas deux dimensions qui s'ajoutent l'une à l'autre, mais elles sont conciliées l'une avec l'autre. Cela oblige à prendre en considération les valeurs des différentes parties affectées par l'utilisation de la voiture (conducteurs, passagers, piétons, etc.).

* Le client final n'existe plus.

Même si vous êtes le dernier lecteur de ce journal (son utilisateur final), vous pourrez à votre tour coproduire la valeur avec ce que vous aurez retiré de cette lecture dans une conversation.

* Les « besoins » ne sont pas utiles pour la définition de la relation au client.

Au lieu de se concentrer sur les « besoins » des clients, les fournisseurs qui ont compris que leurs clients sont de plus en plus informés et instruits, donc plus « intelligents », s'intéressent de plus en plus à la création de valeur dans l'organisation de leurs clients, et décident comment y adapter leur rôle de fournisseur. Selon la formule de mon collègue Richard Normann, les fournisseurs ne vivent pas de la satisfaction des besoins des clients, mais du fait qu'ils leur permettent de créer de la valeur.

* La valeur n'est pas « dans » le bien ou le service, mais elle est établie interactivement.

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Le concept de valeur a une histoire longue et complexe, et il a été analysé aussi bien en termes moraux qu'en termes économiques. A l'ère industrielle, on considérait que la valeur d'échange, ou le prix, d'un bien était établie en fonction de sa valeur utilitaire aux yeux de l'acquéreur (d'où les ratios de coûts/valeur). La valeur d'échange était « dans » le bien.

Mais la recherche a montré que les modèles basés sur la valeur sont difficiles à appliquer pour la prise de décisions réelles et complexes. Nous savons aujourd'hui que les valeurs sont contingentes et qu'elles résultent d'interactions. On ne peut plus affirmer qu'elles résident dans des individus ou dans des biens imperméables à toute interaction.

* Ce sont les offres et non pas les entreprises qui sont en concurrence sur le marché.

Si vous voulez acheter un lave-linge fabriqué, disons, par Electrolux, vous pouvez vous adresser soit à un discounter soit à une grande enseigne. Dans le premier cas, vous achetez la machine et vous vous organisez pour qu'elle soit enlevée et livrée à votre adresse, montée par l'escalier qui mène à votre appartement, déballée et branchée. Si elle tombe en panne, c'est à vous de trouver un réparateur, et à vous de payer pour la réparation et les pièces. Chez la grande enseigne, par contre, le même lave-linge Electrolux va coûter plus cher, mais tous les services décrits plus haut vous seront fournis par le magasin.

Ce qui est en concurrence dans l'économie émergente, ce n'est pas « Electrolux », mais l'ensemble des activités offertes par Electrolux et le discounter et vous, par rapport à celles offertes par Electrolux et la grande enseigne et vous.

* La distinction entre les biens et les services doit être repensée.

Dans l'économie industrielle, qui avait pour objectif la production de masse de produits manufacturés, les services étaient un extra qui venait soit après (le service après-vente), soit avec le bien (installation gratuite).

Aujourd'hui les services sont au coeur de notre conception de la création de valeur sous ses formes émergentes. Ces formes diffèrent des rentes liées à l'extraction minière et des économies d'échelle réalisées dans la production industrielle, tout en étant comptatibles avec elles.

Les services tels que la logistique, la conception ou les contrôles de qualité, par exemple, sont nécessaires à la production et représentent souvent une grande proportion du coût de production du bien. Ainsi, la recherche-développement, par exemple, l'ingénierie ou la gestion des risques et le contrôle de qualité représentent plus de la moitié du coût de production d'une voiture. Etant donné que les emplois de « services » représentent une proportion croissante de l'ensemble des emplois de l'industrie manufacturière, la distinction entre les services et la production évolue et devient de moins en moins pertinente.

Implications managériales

La loi de Metcalfe énonce que dans des constellations économiques mondiales telles qu'Internet, la valeur du réseau augmente proportionnellement au nombre de ses utilisateurs (« The Economist »,« Special Survey of the Internet », 1er juillet 1995). Dans ce type de constellation, le simple fait de renforcer l'interactivité augmente la valeur.

Le philosophe Georg Simmel, qui a étudié la nature de l'argent, suggérait que l'échange est la source à la fois de la rareté et de la valeur subjective. En d'autres termes, les objets ont une valeur parce qu'il y a échange ; ce n'est pas que l'échange existe parce qu'il y a valeur, c'est la valeur qui existe à cause de l'échange. Mais si ces questions de la poule et de l'oeuf préoccupent les philosophes, elles ont aussi des implications bien concrètes pour les managers :

* les clients ont besoin d'être gérés.

Puisque les clients sont devenus un facteur de production, ils ont donc besoin d'être gérés. Ils ne diffèrent en rien à cet égard des autres facteurs de production. Les clients non rentables, par exemple ceux qui n'achètent que les produits d'appel, ne le sont pas de naissance, mais parce qu'on leur a permis d'avoir ce type de comportement.

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* Les clients sont souvent l'actif le plus précieux d'une entreprise.

Le regain d'intérêt pour les marques, constaté récemment, peut être perçu comme une prise de conscience de la nécessité d'attirer et de garder les clients comme l'actif. Cet actif reçoit davantage d'attention stratégique, mais ne figure pas (encore) au bilan.

* Les frontières existantes doivent être considérées comme des liens plutôt que comme des séparations.

Si, dans cette économie émergente, vous devez gérer les clients comme des facteurs de production et coproduire de la valeur avec vos fournisseurs, alors vous êtes censé gérer le comportement d'acteurs au-delà de vos frontières et le faire en coopérant avec eux. Cela ne veut pas dire que les entreprises doivent être « sans frontières », mais qu'elles doivent admettre que les bonnes barrières font les bons voisins.

* Le management dans l'économie émergente implique de trouver des compromis dans des systèmes de priorités incompatibles.

Les managers ont deux principaux compromis à trouver : un compromis entre le présent et l'avenir, et un second entre la connaissance (des gens, des bases de données et/ou des formes de ressources dans et hors de l'entreprise) et la création de valeur du client. Ce sont des incompatibilités, sans elles les entreprises n'auraient pas besoin de managers. *

RAFAEL RAMIREZ est professeur associé de management et de ressources humaines au Groupe HEC. Ses recherches actuelles portent sur la complexité.

L'externalisation maîtrisée des systèmes d'information Une externalisation sélective, la rédaction minutieuse du contrat ou une meilleure gestion du système d'information en interne permettent de limiter les risques d'échec.

Les organisations externalisent leurs systèmes d'information pour de multiples raisons - réduction des coûts face à une pression concurrentielle intense, difficulté à convaincre des enjeux de la fonction informatique ou désappointement face aux performances du service informatique de l'entreprise. Mais l'externalisation de cette fonction reflète également des changements plus profonds dans l'organisation et la gestion des entreprises. En effet, la nécessité d'innover rapidement et de réduire les coûts, alliée à la déréglementation et aux progrès de la technologie et des techniques de production, a amené les entreprises à se recentrer de plus en plus sur leurs métiers. A titre d'exemple, British Airways a annoncé, en 1996, sa volonté d'économiser 1,6 milliard de dollars d'ici à l'an 2000. Son PDG, Robert Ayling, a déclaré, à cet égard, que BA aurait recours à l'externalisation chaque fois qu'une entreprise extérieure pourrait gérer une fonction de manière plus efficace.

Le développement des technologies de l'information a joué un rôle très important dans toutes ces évolutions, mais jusqu'à présent seule une poignée de grandes entreprises mondiales - telles que BP Exploration (BPX), JP Morgan, Philips Electronics et Xerox - ont externalisé la majeure partie de leurs systèmes d'information à un seul prestataire pour le monde entier. Le plus souvent, l'externalisation des prestations informatiques se fait sur le plan national, et de manière sélective. En moyenne, 70 % du budget informatique, voire davantage, sont externalisés. Il n'en reste pas moins que ce marché mondial a un énorme potentiel. Il représentait 76 milliards de dollars en 1995 et pourrait excéder 120 milliards d'ici à l'an 2000. En 1997, plus de 60 % des organisations aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne ont eu recours à l'infogérance au moins pour une partie de leurs systèmes d'information.

Les tendances actuelles

On peut distinguer sept grandes tendances en matière d'externalisation des services informatiques :

* L'externalisation offshore

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Le secteur de la programmation et de la production de logiciels offshore est en train de se développer très rapidement dans des pays tels que l'Irlande, Israël, la Malaisie, la Hongrie, le Mexique, les Philippines et l'Egypte. Entre 1990 et 1996, la production de logiciels en Inde est passé de 240 millions à 2 milliards de dollars, avec un taux de croissance de plus de 50 % par an.

Sainsbury's, la chaîne de grande distribution britannique, est un exemple d'externalisation offshore. Sainsbury's consacre un budget de 48 millions de dollars aux problèmes informatiques susceptibles de se poser avec l'arrivée du nouveau millénaire, le fameux « passage à l'an 2000 », et s'est organisé pour que tout le travail de conversion soit fait en Inde par liaison satellitaire, utilisant ses ordinateurs pendant les heures creuses de la nuit.

Quand elles optent pour l'externalisation offshore, les entreprises cherchent généralement à réaliser des économies plus importantes qu'elles ne le feraient avec un prestataire local (de l'ordre de 30 % contre 20 %). Mais la course croissante aux compétences et l'augmentation des coûts commerciaux dans des pays comme l'Inde sont en train de pousser les prix à la hausse.

* L'externalisation à valeur ajoutée

Ces accords se proposent de dépasser certaines des rigidités liées aux contrats classiques, où les prix sont déterminés de manière définitive. Mais il faut, dans ce nouveau type d'accords, que les prestataires de services créent vraiment de la valeur en offrant le type de produits et de services demandés par les clients.

Parmi ces accords vantés comme créateurs de valeur, l'un des plus importants était celui conclu en 1994 entre Xerox et EDS, pour dix ans, pour la mise au point et la commercialisation d'un service mondial de distribution de documents électroniques.

En 1996, Andersen Consulting et Dow Chemical ont conclu à leur tour une alliance stratégique qui doit permettre aux deux partenaires de vendre les systèmes mis au point pour Dow dans le monde entier.

* Prises de participation

En 1996, Swiss Bank a conclu un accord d'externalisation d'une valeur de 6,25 milliards de dollars avec Perot Systems pour vingt-cinq ans, ce qui va permettre d'offrir des solutions client-serveur à tout le secteur bancaire mondial. Aux termes de cet accord, la banque a la possibilité d'acquérir jusqu'à 25 % du capital de Perot Systems, tandis que celui-ci pourra prendre une participation dans une entreprise de logiciels européenne, Systor AG, appartenant à la banque.

Mais ces alliances, ou les entités auxquelles elles donnent naissance, nécessitent des compétences propres si elles veulent attirer des clients extérieurs à long terme. Cela a été le cas pour Origin, qui a été créé en 1990 par l'accord entre le géant de l'électronique Philips et la société de production de logiciels BSO. Origin est aujourd'hui présent dans de nombreux pays tout en gardant un important volume de travail avec Philips.

* L'externalisation multiple

L'externalisation multiple permet d'éviter le risque de mettre tous ses oeufs dans le panier d'un prestataire unique. L'inconvénient, c'est que cette formule demande davantage de temps et de ressources, car il faut alors gérer les différents prestataires.

En juillet 1996, JP Morgan a signé un contrat de 2,1 milliards de dollars, avec quatre grands prestataires - Computer Sciences Corporation, Andersen Consulting, ATT Solutions et Bell Atlantic Network Integration -, pour une durée de sept ans. Ce contrat représente à peu près 30 % du budget informatique annuel de Morgan, soit 1 milliard de dollars, et il devrait lui faire économiser 50 millions de dollars.

De même, en 1993, BPX avait recruté Syncordia, Sema et Saic par le biais d'un contrat-cadre de cinq ans les obligeant à travailler ensemble. BPX affirme que cette stratégie d'externalisation mondiale lui a permis de réduire de 80 % les effectifs de son service informatique ainsi que les coûts de ses systèmes d'information, passés de 360 millions de dollars en 1989 à 132 millions en 1994.

* La coexternalisation

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Un exemple de coexternalisation nous est fourni par le contrat conclu entre EDS et une entreprise pharmaceutique américaine, qui prévoit que l'échéancier de paiement serait déterminé par la capacité d'EDS à réduire les procédures de mise au point et d'enregistrement des nouveaux médicaments.

En 1996, Perot Systems annonça un autre type d'accord de coexternalisation, conclu avec Citibank, prévoyant que Perot Systems aurait sa part dans les revenus générés par le Système de règlement des commissions des agences de voyages de Citibank.

Mais il reste à savoir, et c'est la principale question qui se pose à toutes ces parties, si ces nouveaux modes de coexternalisation peuvent coexister avec les engagements contractuels à prix fixe conclus précédemment avec les prestataires.

* Création de filiales

L'expérience a montré que ces filiales ne peuvent réussir que si elles ont des compétences de base susceptibles d'intéresser des clients extérieurs, un des exemples les plus probants étant celui de Sabre, la filiale d'American Airlines, avec son système de réservations aériennes mondial.

Mellon Bank, Sears Roebuck, Kimberly-Clark et Boeing ont eu des résultats mitigés avec leurs filiales spécialisées dans la prestation de services informatiques. Mais cela n'a pas empêché d'autres entreprises de se lancer dans cette voie - en 1996, la compagnie de fournitures médicales américaine Baxter a transféré 500 salariés et 80 % de ses systèmes à sa propre filiale.

* L'externalisation transitoire

L'externalisation transitoire est généralement couronnée de succès. Les systèmes d'information de l'entreprise sont techniquement au point, et le client est par conséquent en mesure de négocier un contrat de support informatique de courte durée à des conditions raisonnables.

Les pénuries de ressources liées, entre autres, à la généralisation des plates-formes client-serveur n'ont fait qu'accélérer ce phénomène, et de nombreux contrats d'externalisation transitoire ont été conclus. Ainsi, en 1995, Owens-Corning Fiberglass a signé un contrat de 50 millions de dollars avec Hewlett-Packard (HP) pour cinq ans. HP gère le système existant, tandis que le service informatique d'Owens-Corning met en oeuvre un nouveau système fonctionnant sur une plate-forme client-serveur sur soixante-quinze sites dans le monde.

Le secret de la réussite ?

Bien souvent, on claironne la réussite de ces accords d'externalisation avant que l'encre ait eu le temps de sécher sur le contrat. Or une étude menée entre 1991 et 1996 sur sept accords d'externalisation « totale » aux Etats-Unis et en Europe a montré que cinq de ces accords avaient échoué, tandis que les deux autres avaient été résiliés. Ces échecs présentent un point commun, à savoir que toutes ces entreprises avaient externalisé leur service informatique à un moment où elles connaissaient des problèmes financiers, et elles l'ont fait au profit d'un seul prestataire pour une durée de dix ans. L'externalisation était une mesure désespérée, et par conséquent elle n'a pas servi à améliorer l'exploitation stratégique de cette fonction.

Cette étude a, en revanche, révélé que sur un total de 26 externalisations sélectives des systèmes d'information, 22 avaient réussi.

De nombreuses organisations en sont aujourd'hui à leur deuxième, voire à leur troisième génération d'externalisation. Leurs expériences peuvent nous montrer comment limiter les risques, obtenir un plus grand engagement de la part du prestataire et créer davantage de « valeur » par le biais de l'externalisation.

Une externalisation réussie suppose de faire le bon choix dans cinq domaines clefs :

- adopter la meilleure stratégie d'externalisation en fonction de la nature des prestations informatiques ;

- évaluer l'offre du prestataire par rapport aux performances internes ;

- rédiger un contrat qui garantisse à la fois le contrôle et la flexibilité ;

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- avoir la possibilité de motiver le prestataire et d'évaluer sa performance ;

- garder en interne les compétences qui permettront d'assurer l'avenir de la fonction informatique.

Les principaux critères de décision, d'ordre commercial, technique et économique, sont présentés dans la figure 1.

En résumé, les stratégies d'externalisation des systèmes d'information devraient tendre à minimiser les risques et à maximiser l'effet de levier.

Un système de différenciation - par exemple, la gestion du rendement de la tarification et de l'attribution des sièges de BA - serait un très mauvais candidat à l'externalisation. Mais les prestations informatiques « de base » telles que le paiement des salaires et les centres de données s'y prêtent parfaitement.

Les prestations informatiques au coeur de la stratégie commerciale sont généralement réalisées en interne, mais elles peuvent être externalisées à condition qu'il y ait suffisamment de garanties de qualité et de fiabilité, et que les prix proposés soient compétitifs.

Les prestations informatiques étroitement intégrées aux autres systèmes ou impliquant de multiples interactions avec les utilisateurs devraient, elles, être gardées en interne.

La rédaction du contrat

Mais si la technologie est nouvelle, ou en constante évolution, ou que la technologie existante est utilisée dans une nouvelle application, ou encore s'il n'y a pas assez de compétences requises en interne, le bon sens doit prévaloir : « n'externalisez jamais les problèmes, seulement les tâches bien définies ». Une organisation doit étoffer ses compétences en « intégrant », c'est-à-dire en allant chercher les ressources sur le marché pour que le service commercial et le service informatique travaillent ensemble sous la supervision des managers.

La dynamique économique de l'externalisation est souvent mal comprise. Dans la pratique, on peut réaliser dans la fonction informatique interne des économies d'échelle beaucoup plus importantes qu'on ne l'imagine. Une meilleure gestion des systèmes d'information en interne peut amener, par le biais de nouvelles pratiques, une importante réduction des coûts et un gain en efficacité. Ces pratiques incluent une automatisation des tâches, la coordination des achats de logiciels et d'ordinateurs, et la réorganisation du travail.

Cela dit, dans certaines circonstances, il est plus judicieux de recourir à un prestataire externe, en raison des impératifs de temps ou des limitations de ressources qui s'opposent à la solution en interne.

De plus, l'externalisation peut avoir un effet globalement positif, car elle peut contribuer à réduire les résistances culturelles ou politiques s'opposant à l'adoption de meilleures pratiques informatiques au sein de l'organisation.

Mais, malgré cela, les entreprises feraient bien de se méfier du discours sur le « partenariat stratégique », surtout quand il s'agit d'accords d'externalisation des prestations informatiques à grande échelle et à long terme. L'étude de ces opérations met constamment en avant l'importance de la rédaction du contrat dans leur réussite ou leur échec. En effet, d'importants coûts cachés peuvent se faire jour une fois le contrat signé, en raison d'un contrat mal ficelé, voire incomplet. Cela est dû en grande partie au fait que les contrats traditionnels, où le prix est fixé, ont tendance à être trop rigides par rapport à l'évolution de la technologie ou du secteur d'activité, ainsi qu'aux fluctuations rapides des prix et des performances sur le marché.

Il est donc souhaitable de prendre les précautions suivantes : rejeter les contrats standards du prestataire, faire appel à des consultants expérimentés, établir les critères de performance du prestataire et de qualité du service après comparaison avec une période de référence, faire des comparaisons régulières des prix du prestataire avec ceux du marché, se méfier des mentions en petits caractères dans les clauses relatives aux pénalités, aux modifications du volume d'activité et à la résiliation du contrat.

Les études ont mis en lumière la nécessité de développer une fonction informatique dont la performance est

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jugée sur neuf aptitudes (voir figure 2). Ces points forts, s'ils sont réunis, permettront d'atteindre les objectifs de l'entreprise, de préserver les compétences techniques et de gérer les relations externes.

Dans le cadre d'une approche sérieuse de la mondialisation, l'option de « payer au lieu de gérer » n'est pas une solution viable pour l'externalisation des prestations informatiques. La voie qui mène à une externalisation réussie de cette fonction à l'échelle mondiale est semée d'embûches. Cela ne veut pas dire pour autant qu'il ne faut pas l'emprunter. Il y a probablement beaucoup plus d'organisations qui ne se sont pas engagées dans l'externalisation mondiale de leurs systèmes d'information parce qu'elles n'ont pas réalisé son importance stratégique que d'entreprises qui ne l'ont pas fait parce qu'elles ont eu peur des difficultés qu'elles pourraient rencontrer.

En d'autres termes, leur réticence viendrait plus d'un manque d'imagination que d'un manque d'audace. Mais il y a d'importants bénéfices à en tirer, et l'entreprise qui aura su relever le défi de l'externalisation de sa fonction informatique dans le monde entier aura réussi une importante avancée dans la chaîne de l'évolution, pour devenir une créature des plus rares qui soient : une organisation véritablement mondiale. *

LESLIE P. WILLCOCKS enseigne le management au Templeton College de l'université d'Oxford. Il est aussi professeur de gestion de l'information à l'université Erasmus, à Rotterdam, et rédacteur en chef du « Journal of Information Technology ». Il est mondialement connu pour son travail sur l'externalisation, particulièrement dans le domaine informatique.

Les raisons de s'inquiéterEn dépit de la tendance croissante à la mondialisation, de nombreuses multinationales doivent encore franchir ce pas décisif et externaliser leur fonction informatique à l'étranger. Il y a des raisons d'être vigilant car les difficultés rencontrées par ceux qui ont externalisé à une échelle mondiale invitent à la prudence :

* Les contraintes culturelles

Les entreprises se lancent souvent dans une externalisation mondiale de leur système d'information, alors qu'elles-mêmes ne sont pas suffisamment mondialisées. La culture d'entreprise, son histoire et les pratiques locales vont déterminer si cette externalisation à l'échelle mondiale va entièrement porter ses fruits.

* Le manque de prestataires mondiaux

Etant donné que les entreprises elles-mêmes sont en train d'adopter des méthodes de travail mondiales, il n'est pas étonnant que de nombreux prestataires de services informatiques soient à la traîne de leurs clients. Peu de prestataires ont la taille suffisante pour prétendre offrir leurs services à une échelle véritablement planétaire. Même les plus grosses entreprises de services informatiques ont parfois du mal à adapter leurs prestations aux besoins spécifiques de clients de stature mondiale.

En outre, les clients doivent s'interroger sur les motivations stratégiques à long terme de leurs prestataires. Comme le disait un directeur de service informatique : « Dans ces gros contrats, on ne doit pas seulement se préoccuper de sa propre stratégie, mais aussi de celle de son prestataire. »

De plus, si un prestataire domine certaines filières verticales grâce à des accords d'externalisation totale, son expertise et sa situation de monopole peuvent le mettre en position de force par rapport à ses clients.

* Les problèmes de coordination

Ces problèmes abondent dans les accords mondiaux. Les prestataires renâclent souvent à coopérer entre eux par peur de révéler leur savoir-faire commercial et de perdre leur avantage concurrentiel. Une solution efficace serait d'avoir un seul prestataire coordinateur, qui ne serait pas impliqué dans la prestation des services informatiques. Dans le cas de JP Morgan (voir « Externalisation multiple », dans l'article ci-contre), la démarche adoptée a été celle des prestataires multiples avec une seule entreprise chargée d'agir comme chef d'orchestre pendant la durée du contrat.

Dans l'accord passé entre Xerox et EDS, toutes les conditions du contrat avaient été définies au niveau central, avec très peu de marge pour les variations locales. Mais l'accord a dû être renégocié au bout de deux

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ans.

* L'accélération du progrès technologique

L'accélération du progrès technologique fait qu'il est parfois difficile pour les prestataires d'offrir à leurs clients une technologie de pointe à des prix compétitifs. Aussi, en dépit de leurs promesses, l'acheteur se retrouve souvent prisonnier d'une interprétation trop rigide du contrat. Une entreprise américaine, ayant conclu un contrat de dix ans, toujours en vigueur aujourd'hui, s'est ainsi plainte de se voir « imposer une technologie par son fournisseur, l'alternative étant des coûts prohibitifs ».

* Les problèmes de partenariat

Un partenariat à l'échelle mondiale demande du temps, de l'effort et un engagement de la part des deux parties qui va bien au-delà de ce qui prévaut généralement dans une relation traditionnelle de client à fournisseur. Il est très rare que les parties mettent en place assez tôt les mécanismes de partage des risques et des rétributions, ou des processus de partenariat dépassant la simple gestion de l'engagement contractuel, ainsi que les compétences indispensables à la mise en place durable d'une relation créatrice de valeur.

CHAPITRE 5