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1 L'Art et la Guerre Histoire des Arts, La Seconde Guerre Mondiale, "Arts, États et Pouvoirs" Arts Plastiques Œuvres : Kurt Schwitters, Merzbau (commencée en 1923 – détruite en 1937) Max Ernst, L'Europe après la pluie I et II (1933 et 1940-42) Salvador Dalí, Prémonition de la Guerre Civile (1936) Salvador Dalí, Visage de la Guerre (1940) Pablo Picasso, Guernica (1937) Pablo Picasso, Le Charnier (1944) Jean Fautrier, série Les otages (1940-43) John Heartfield, Adolf le surhomme (1932) John Heartfield, No Pasaran (1936) Ces œuvres sont étudiées en cours suivant les entrées du programme d'Arts Plastiques suivantes : L’espace de l’œuvre, l’espace dans l’œuvre : comment dans une œuvre, l’organisation des volumes et des masses peut-elle créer un espace spécifique ? L’expérience sensible de l’espace : comment l’expérience sensorielle du monde peut-elle être à l’origine d’une création artistique ? L’œuvre et le spectateur : comment l’espace d’une œuvre peut-il englober physiquement le spectateur ? + par quels dispositifs l’œuvre peut-elle conquérir l’espace géographique, social et politique du spectateur ? L’œuvre et le lieu : comment une œuvre peut-elle prendre possession d’un lieu ? L’œuvre et le corps : comment l’œuvre peut-elle prendre en compte l’échelle du corps ?

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L'Art et la Guerre Histoire des Arts, La Seconde Guerre Mondiale, "Arts, États et Pouvoirs"

Arts Plastiques

Œuvres :

� Kurt Schwitters, Merzbau (commencée en 1923 – détruite en 1937)

� Max Ernst, L'Europe après la pluie I et II (1933 et 1940-42)

� Salvador Dalí, Prémonition de la Guerre Civile (1936)

� Salvador Dalí, Visage de la Guerre (1940)

� Pablo Picasso, Guernica (1937)

� Pablo Picasso, Le Charnier (1944)

� Jean Fautrier, série Les otages (1940-43)

� John Heartfield, Adolf le surhomme (1932)

� John Heartfield, No Pasaran (1936)

Ces œuvres sont étudiées en cours suivant les entrées du programme d'Arts Plastiques suivantes : L’espace de l’œuvre, l’espace dans l’œuvre : comment dans une œuvre, l’organisation des volumes et des masses peut-elle créer un espace spécifique ? L’expérience sensible de l’espace : comment l’expérience sensorielle du monde peut-elle être à l’origine d’une création artistique ? L’œuvre et le spectateur : comment l’espace d’une œuvre peut-il englober physiquement le spectateur ? + par quels dispositifs l’œuvre peut-elle conquérir l’espace géographique, social et politique du spectateur ? L’œuvre et le lieu : comment une œuvre peut-elle prendre possession d’un lieu ? L’œuvre et le corps : comment l’œuvre peut-elle prendre en compte l’échelle du corps ?

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L'artiste visionnaire : l'art comme pressentiment et mise en garde.

� Kurt Schwitters, Merzbau (commencée en 1923 – détruite en 1937)

Merzbau (commencée en 1923 et détruite en 1943) est une œuvre de l'artiste allemand Kurt Schwitters (1887-1948), appartenant au mouvement Dadaïste*, et consistant en une construction habitable, de dimension variable, constituée d'un ensemble de structures en bois et plâtre avec des cavités où s'encastrent ses travaux et ceux de ses amis ainsi que des objets trouvés, dans l'esprit des collages qui firent la majorité du travail artistique de Schwitters. Il intégrait à ses œuvres tout ce qu’il trouvait au hasard de ses recherches : billets de tramway, cigares, fil de fer, bref, tout ce qui avait été rejeté par la société. L’artiste, refusant une re-production illusoire de la réalité, faisait au contraire " entrer " la vie dans le domaine de l’art. Le monde entier pouvait constituer pour Schwitters une œuvre d’art. À partir de 1920, Schwitters étendit à d’autres domaines sa conception de l’"art total Merz", et notamment à l’architecture, au théâtre et à la poésie.

Le terme Merz provient d'un fragment de papier où se trouvait inscrit le mot allemand Kommerz, de Kommerz Bank ; Bau signifie construction en allemand. Schwitters travailla de 1923 à 1933 sur la forme de son premier Merzbau, qui atteint la taille de huit pièces dans sa maison de Hanovre. La construction de cette immense structure en plâtre et en matériaux divers, envahit peu à peu toutes les pièces et même tous les étages de sa maison et était sans cesse modifiée par l’artiste. L'arrivée des nazis au pouvoir en Allemagne en 1933 contraignit Schwitters à l'exil en Norvège. En 1943, un bombardement de la ville d'Hanovre suivi d'un incendie détruit la maison familiale de Schwitters et son Merzbau le plus développé. En Norvège, Schwitters entama la construction d'un nouveau Merzbau dans les environs d'Oslo, mais le laissa inachevé suite à l'invasion du pays; les restes de ce site brûlèrent en 1951. Schwitters fuit à nouveau, cette fois vers la Grande-Bretagne. En 1945 il reprit la construction d'une nouvelle œuvre Merzbau, soutenu par le Museum of Modern Art de New York. A son décès, il n'avait terminé qu'un seul mur. On peut le voir aujourd'hui à l'Université de Newcastle. * Dadaïste : (ou Dada) mouvement artistique et littéraire Européen (All., Suisse, Fr.), entre 1916 et 1925, qui se caractérisa par une remise en cause de toutes les conventions et contraintes idéologiques, artistiques et politiques, mettant en avant l'esprit d'enfance, le jeu avec les convenances et les conventions, le rejet de la raison et de la logique, l'extravagance, la dérision et l'humour. Ses artistes se voulaient irrespectueux, extravagants, affichant un mépris total envers les « vieilleries » du passé comme celles du présent qui perduraient. Ils recherchaient la plus grande liberté de créativité, pour laquelle ils utilisèrent tous les matériaux et formes disponibles. Ils recherchaient également cette liberté dans le langage, qu'ils aimaient lyrique et hétéroclite.

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Aucun autre Merzbau n'aurait survécu, mis à part quelques éléments de celui établi en Norvège, et seules des photographies noir et blanc sont arrivées jusqu'à nos jours et permettent de mesurer le développement spatial opéré par Schwitters autour de cette oeuvre. C'est à partir de ces mêmes photographies que le Sprengel Museum de Hanovre a reconstitué l'un de ces ouvrages qui comporte au moins quatre des pièces qui se trouvaient dans la maison de l'artiste.

� Max Ernst, L'Europe après la pluie I et II (1933 et 1940-42)

Max Ernst (1891-1976), artiste français d'origine allemande, peintre et sculpteur, est une figure majeure du mouvement Dada et Surréaliste*. À l'affût de nouvelles techniques graphiques permettant de «forcer l'inspiration», il met au point la technique du frottage qui lui permet de dépasser d'une façon singulière la banalité et le quotidien en explorant l'inconscient. Ernst avait inventé cette technique par hasard : l'œil attiré par les rainures du plancher, il y avait posé des feuilles de papier et les avait frottées à la mine de plomb. Il avait ensuite exploré toutes sortes de matières − des feuilles d'arbres et leurs nervures, de la toile de sac, des cannelures de chaise, etc. − puis il avait complété le dessin au crayon, révélant un monde fantasmagorique surgi en partie du hasard, en partie de l'inconscient. Outre ces empreintes, l'artiste a recours notamment au photomontage, au grattage et à la décalcomanie, procédé qui consiste à étaler de l'encre ou de la peinture à l'huile sur une feuille de papier et à recouvrir celle-ci d'une autre feuille, pressée de la main ici ou là. Il retravaille ensuite le résultat obtenu pour obtenir d'extraordinaires paysages de villes en ruines, de chaos géologiques, de jungles dévastées.

* Surréalisme : mouvement artistique et littéraire né en 1924 sous l'impulsion d'André Breton, qui utilise l'inconscient et la psychanalyse comme nouvelle voie de recherche artistique, exploitant le hasard, l'automatisme, l'analyse des rêves comme une ressource d'inspiration artistique pratiquement illimitée.

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En 1933, dans une toile intitulée l'Europe après la pluie, où le continent se trouvait réduit à une carte recroquevillée, Ernst avait dénoncé le fléau totalitaire et les ravages que le nazisme ne manquerait pas d'entraîner. Commencée en 1940 et plusieurs fois reprise, une seconde version, plus inhumain et désespérée, l'Europe après la pluie II, tout en largeur de (54 cm x 145 cm) fut achevée aux États-Unis en 1942. C'est sans doute l'œuvre dans laquelle Ernst est parvenu à donner le plus de puissance évocatrice à la décalcomanie. L'Europe après la pluie II est l'image de notre monde en ruine. Dans un monde rescapé de quelque cataclysme ou voué à une inéluctable érosion errent des personnages opérant une monstrueuse métamorphose : élégante à la robe figée en concrétion minérale, ou inquiétant soldat à tête d'oiseau de proie.

� Salvador Dalí, Prémonition de la Guerre Civile (1936) et Visage de la

Guerre (1940)

Salvador Dalí (1904-1989) est le plus célèbre artiste surréaliste Espagnol, se définissant lui-même comme étant "le plus grand génie du XXème siècle". Peintre, sculpteur, il s'intéressa aussi à bien d'autres domaines, artistiques ou non, et en particulier au cinéma (pour lequel il fut scénariste), à la photographie, aux sciences, à la psychanalyse, à la mode et même à la publicité. Avec Prémonition de la Guerre Civile, il traduit ses inquiétudes, après sa fuite d'Espagne vers Paris en 1936, de voir sombrer l'Espagne dans une guerre civile. La jeune République espagnole était menacée par la violence des groupes armés y faisant régner un climat de plus en plus inquiétant. Dans cette peinture surréaliste, Dalí exprime avec une grande force expressive une angoisse latente : au dessus d'une terre aride où semblent jeté une poignée de haricots, sur fond de ciel envahi d'une fumée d'apocalypse, un gigantesque corps humain déconstruit et instable, comme en équilibre sur le paysage ravagé, prêt à chavirer en arrière, se déchire lui-même, s'écartèle, s'étrangle, grimace de douleur et de folie. Une main monstrueuse et noueuse écrase un sein. Son titre complet est Construction molle avec haricots bouillis et Prémonition de la Guerre Civile n'est que son sous-titre, comme un risque majeur dont Dalí et ses compatriotes eurent l'intuition.

En 1940, la guerre est un fait avec la défaite française ; Salvador Dalí alors en exil aux Etats-Unis, présente son Visage de la Guerre, tête béante et hurlante "aux yeux remplis de morts infinies". Il s'agit d'une "mise en abîme" de la mort : une profondeur de la mort à travers ce visage, comme en miroir pour le spectateur, en décomposition, d'une couleur cadavérique avec ses tons marrons et violacés. La bouche et les yeux contiennent des têtes squelettiques qui elles-mêmes en contiennent d'autres dans une sorte d'infini aussi profond que l'horreur de la mort.

L'intuition de Dalí était devenue un fait monstrueux et la guerre, dépassant le cadre de la guerre civile espagnole et après avoir embrasée l'Europe, une réalité qui ne tarda pas à se répandre à travers le monde.

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L'artiste qui témoigne : l'art comme révolte et comme cri de douleur.

� Pablo Picasso, Guernica (1937)

Le bombardement de Guernica

La guerre civile espagnole éclate le 18 juillet 1936, lorsque les troupes du Maroc, commandées par le Général Franco, débarquent dans la péninsule. Cette guerre civile servira de terrain d'entraînement, et de préparation à l'armée allemande. L'Espagne de la guerre civile est une étape essentielle de la marche vers la 2° guerre mondiale.

Le camp nationaliste est soutenu immédiatement par les garnisons d'Andalousie, de Galice, des Asturies, de la Navarre, et de la vieille Castille. Par contre, Madrid et Barcelone constituent tout de suite le cœur de la résistance républicaine. Le pays Basque forme le front nord d'opposition aux franquistes.

Au printemps 1937 le général Emilio Mola, principal chef militaire franquiste, décide de réduire le front nord. L'aviation allemande de la légion Condor soutient les troupes au sol, espagnoles et italiennes.

Guernica est une petite ville d'Espagne, de la province basque de Biscaye. Le jour du bombardement, Guernica est particulièrement peuplé : de nombreux réfugiés des environs sont venus dans l'espoir de pouvoir fuir en train, et c'est le jour du marché.

Les premières bombes explosent à 16 H 30. Les derniers avions quittent le ciel de Guernica vers 19 H. Les 50 appareils de la légion Condor ont lâché 50 tonnes de bombes incendiaires, et ont fait plus de 1800 morts sur 6000 personnes alors présentes. Le retentissement international de l'évènement est immense. Franco tente alors de faire croire que la destruction de Guernica est due aux basques républicains qui auraient dynamité le village à des fins de propagande.

Comprendre Guernica : Quelques clefs de lecture du tableau

Pablo Picasso (1881-1973) réalise ce tableau suite au bombardement de la petite ville de Guernica par la légion Condor, aviation nazie soutenant le camp franquiste, le 26 avril 1937. Picasso se range dés le début du conflit dans le camp républicain. Durant tous les événements, Picasso réside en France, la presse et des compatriotes l'informent.

Guernica est peint en noir et blanc. Les forts contrastes de lumière accentuent la violence du tableau où les corps démembrés, les visages tordus par la peur ou la douleur, et l'esthétique cubiste travaillent en ce sens.

Picasso multiplie les études dés le 30 avril 1937. A la mi-juin, il livre son tableau au pavillon espagnol de l'exposition universelle. Les grandes dimensions de Guernica répondent à un souci de visibilité. La barbarie du bombardement du 26 avril doit être dénoncée efficacement.

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Un tableau monochrome : La monochromie du tableau s'explique de plusieurs façons. Tout d'abord à la gravité du sujet répond l'austérité de l'absence de couleur. Par ailleurs, le noir et blanc évoque la presse. Picasso, informé par les journaux, a incorporé à son œuvre de nombreuses références à celle ci. Par exemple le pelage du cheval, fait de petits traits serrés, réguliers et alignés, rappelle les caractères typographiques.

Les différents éléments du tableau:

Le cheval blessé.

Placé au centre de la composition, il symbolise, des dires même du peintre, le peuple. La liberté est mourante. Comme pour la mère portant son enfant mort, la douleur est exprimée par la langue pointue comme un couteau. La lance qui transperce le flanc du cheval rappelle celle qui blesse la poitrine du Christ dans de nombreux tableaux religieux

Le taureau.

Le taureau est un symbole de la force brute, de la cruauté. Au milieu de la débâcle il apparaît impassible. L'iconographie tauromachique est une composante fréquente de l'œuvre de Picasso.

La mère portant son enfant mort : La douleur et les hurlements de la mère sont perceptibles au premier abord, alors que le reste du tableau peut sembler plus difficile d'accès. L'enfant mort dans les bras de sa mère se rapprochent d'une autre image à portée universelle : celle d'une piéta (vierge à l’enfant).

Cette figure exprime une douleur universellement compréhensible, et traduit l'horreur de toutes les guerres. Ses yeux en forme de larme, sa langue en forme de couteau, son visage tourné vers le ciel (d'où est venu le drame), tout en elle exprime la souffrance et le désarroi.

Le chœur des femmes :

Trois femmes sur le côté droit de la composition forment un chœur antique, pleurant la liberté agonisante.

Avec le personnage qui a les bras levés au ciel, Picasso fait assurément ici une référence au Tres de Mayo de Francisco de Goya (1746-1828).

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La comparaison entre ces deux tableaux nés d'une tragédie historique doit être menée avec prudence : Goya peint 6 ans après les faits, et transmet un message de résistance à l'oppression. Picasso peint dans l'urgence, et lance un cri de douleur face à l'anéantissement.

Les visages : l'expression de l'universel. Les yeux, en larme, et la bouche édentée (= personne désarmée) de la femme tombant dans les flammes (Guernica a été attaquée à la bombe incendiaire) expriment la mort d'un peuple désarmé, la lâcheté du bombardement.

Au premier plan de la composition apparaît un combattant dont le corps est morcelé et décapité. Ce personnage porte sur son visage toute la violence de la guerre : la dentition précise, et la décapitation sont les signes de la brutalité.

� Pablo Picasso, Le Charnier (1944)

Le Charnier se présente comme une "suite" à Guernica : tableau de grandes dimensions (190x250cm), en nuance de noir, gris et blanc, et inspiré lui aussi par les photos de journaux qui révèlent aux yeux du monde l'horreur des camps de concentration. Le Charnier montre une pyramide de trois cadavres composée d'un homme, d'une femme et d'un enfant entassé sur le sol d'une pièce nue à la porte entrouverte. L'amas que forme les trois corps est surmonté, curieusement, d'une esquisse de nature morte, donnant à l'ensemble, par ce décalage, une impression d'étrangeté aux allures de cauchemar. Si Guernica préfigurait la guerre moderne livrée avec les armes de la technique, c'en est avec le Charnier, l'aboutissement : la mort blanche et atroce des morts d'Auschwitz, Buchenwald, Dachau, Ravensbrück …

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� Jean Fautrier, série Les otages (1940-43)

Jean Fautrier (1898-1964), résistant et entré dans la clandestinité en 1943, réalisa cette série des martyrs de la Gestapo comme empreinte ou trace pathétique des suppliciés fusillés qui faisaient l'actualité quotidienne de l'époque. Ces "portraits" des Otages se présentent comme des matières parfois rehaussées de dessins aux tonalités violentes, à mi-chemin entre l'art abstrait et l'art figuratif, où se reconnaissent des visages ou des têtes affligées de blessures ouvertes et ensanglantées, des plaies cousues, des chairs roussies ou verdâtres qui semblent en chemin vers la décomposition.

Jean Fautrier, Tête d'otage n°1 (1943)

Fautrier travaille à plat, sur le sol, ces cadavres d'otages, utilise des pâtes, des poudres colorées et des encres sur des papiers marouflés (collés), qui forment des croûtes dures et inégales à l'intérieures desquelles il fait prendre ses matières et laisse flotter ses images des Otages, comme une surface encore vivante avant qu'elle ne fige. La peinture d'histoire est ici ramenée non plus à un témoignage d'un événement ou d'un moment précis, mais aux faits et traces abandonnées de ces évènements tragiques : le massacre de l'humain, la célébration du supplice. Jean Fautrier, Tête d'otage (1944)

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L'artiste qui résiste et dénonce : l'art comme arme.

� John Heartfield, Adolf le surhomme (1932)

L'artiste allemand (qui aura anglicisé son nom en protestation contre la montée du nazisme) John Heartfield (1891-1968) exprime dans ses collages photographiques l'inquiétude provoquée par la montée du nazisme en Europe entre les 2 guerres. il mettra en scène plusieurs fois Hitler, cherchant à le montrer sous un jour peu avenant, motivé par la soif de pouvoir, de richesse et de domination du monde qui le conduira à envahir une partie de l'Europe quelques années plus tard. Là encore, Heartfield apparaît comme un visionnaire à une époque où Hitler n'est pas encore le dictateur sanguinaire que l'on connaît.

John Heartfield, Adolf le surhomme, 1932, photomontage Le XX°s a été riche en dictateurs totalitaires (Hitler en Allemagne, Mussolini en Italie) et l'Espagne souffrira aussi sous la coupe du général Franco, allié d'Hitler. La guerre d'Espagne en 1936 oppose les troupes de l'armée régulière de Franco aux résistants républicains. Une mobilisation internationale conduit de nombreux démocrates européens à rejoindre les rangs des républicains et le conflit dépasse largement les frontières espagnoles. Heartfield, puis Pablo Picasso se feront les témoins artistiques de cette opposition démocratique. Le premier par ses photomontages révélant l'alliance objective entre les nazis et Franco, le second en dénonçant le bombardement de Guernica, petit village espagnol, par l'aviation allemande, à la demande de Franco. John Heartfield, No Pasaran, 1936, photomontage