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AVANT-PROPOS AVANT-PROPOS A l'époque gothique, la beauté est devenue un attribut des dieux, un signe du divin. On parle ainsi du Beau Dieu de la cathédrale d'Amiens (fig. 1) Tous les visages divins sont empreints de sérénité. Le modèle est intellectualisé : les lèvres collées dans un demi sourire disent que Dieu s'est fait homme. Robert Philippe 1 Dominant le paysage de la civilisation française du Moyen Âge, regorgeant de beautés, si riches de significations fécondes, les cathédrales Notre-Dame de Paris et Notre-Dame de Chartres témoignent à travers les siècles, non seulement de l'ardente piété médiévale, mais aussi de l'excellence d'un art sublime à force de noblesse et de spiritualité. Elles suscitèrent toute une 1 PHILIPPE, Robert (dir.), Le temps des cathédrales. Les métamorphoses de l'humanité. Une histoire de l'art et du monde, Eds. Planète, Paris, 1965, p. 10.

L'Art Gothique - Lucrare Franceza

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AVANT-PROPOSAVANT-PROPOS

A l'époque gothique, la beauté est devenue un attribut des dieux, un signe du divin. On parle ainsi du Beau Dieu de la cathédrale d'Amiens (fig. 1) Tous les visages divins sont empreints de sérénité. Le modèle est intellectualisé : les lèvres collées dans un demi sourire disent que Dieu s'est fait homme.

Robert Philippe1

Dominant le paysage de la civilisation française du

Moyen Âge, regorgeant de beautés, si riches de

significations fécondes, les cathédrales Notre-Dame de

Paris et Notre-Dame de Chartres témoignent à travers les

siècles, non seulement de l'ardente piété médiévale, mais

aussi de l'excellence d'un art sublime à force de noblesse

et de spiritualité. Elles suscitèrent toute une littérature, de

Chateaubriand et Hugo à Proust et Claudel, en passant par

Huysmans et Péguy, s'il nous est permis de n'en citer que

les coryphées. Quoi de plus français que ces deux chefs-

d'oeuvre de l'architecture gothique, et quoi de plus

universellement humain que ces deux oraisons de pierre

lancées de la glèbe vers le ciel? Car, fruit exquis du terroir 1 PHILIPPE, Robert (dir.), Le temps des cathédrales. Les métamorphoses de l'humanité. Une histoire de l'art et du monde, Eds. Planète, Paris, 1965, p. 10.

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français, l'art gothique naît dans le Domaine Royal d'Île-

de-France, à la fin du XIIe siècle. C'est alors que Paris

s'érige en pôle d'attraction et centre de rayonnement de la

culture occidentale - une culture ayant pour assise la foi

chrétienne et qui va s'exprimer magnifiquement dans la

cathédrale gothique. Son ample vaisseau accueillera la

foule fervente des fidèles au cœur des nouvelles cités. Ce

ne sera plus " la voûte écrasée sous laquelle les pauvres

gens qui vivaient à l'ombre des monastères viendraient

craintivement, à l'heure des offices, entendre la voix de

l'Église dans l’obscurité "1. " Ce sera – écrit

pathétiquement Elie Faure - " la maison commune, le

grenier l'abondance, la bourse du travail et le théâtre

populaire"2 , ce sera "la maison sonore et lumineuse que le

flot des hommes pourrait envahir à toute heure, le grand

vaisseau capable de contenir toute la ville, l'arche pleine

de tumulte les jours de marché, de danses les jours de fête,

de tocsin les jours de révolte, de chants les jours de culte,

de la voix du peuple, tous les jours"3.

De l'Île-de-France, qui connaissait l'essor de la

civilisation urbaine et bourgeoise issue du mouvement

communal, marquant l'apogée du Moyen Âge français, l'art

gothique gagnera peu à peu toute l'Europe, étant diffusé

d'abord par les ordres religieux : Cisterciens, Franciscains

et Dominicains. Ainsi entra-t-il dans le patrimoine universel

du genre humain. S'il est donc des aires thématiques à 1 FAURE, Elie, Histoire de l’art, tome II, Eds. Denoël, Paris, 1985, p. 245.2 FAURE, Elie, Ibidem.3 FAURE, Elie, op. cit;, p. 246.

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mêrne de légitimer le choix d'un mémoire de maîtrise, en

voici l'une des plus généreuses. Et cela d'autant plus que

l'enceinte sacrée d'une cathédrale gothique à la création

de laquelle architecture, sculpture, peinture, vitrail,

orfèvrerie et orgue conjuguèrent leurs arcanes, est

organisée suivant une sémiotique du symbole qui défie et

envoûte l'homme moderne. Celui-ci essayera de saisir la

dynamique discrète mais perpétuelle et tellement

suggestive d'une multitude d'éléments fonctionnels

concourant de manière à ce que la matière se spiritualise,

se fasse tout âme, tout prière, pour s 'élancer vers le

Seigneur et le rejoindre.

L'art ogival et surtout sa quintessence - la cathédrale

gothique - représentent l'unicité d'un moment d'équilibre

du potentiel créateur des forces populaires esthétiquement

vierges avec ce projet l'un monument presque

métaphysique dont le cadre était préparé par la

philosophie chrétienne depuis douze cents ans.

L'humanité du Moyen Âge s'exprimait symboliquement

parce que le symbole était porteur des réalités morales et

spirituelles supérieures, auxquelles elle aspirait ; elle se

servait aussi du symbole pour exorciser ce qui l'entravait,

ce qui l'étouffait. De la sorte, à l'époque des cathédrales, la

symbolique et la théologie étaient infusées dans la vie

profane, vivant pour ainsi dire "de la même vie que la vie"1.

La cathédrale gothique, somme toute, est cette expression

magnifique "de la beauté qui s'évade de sa gangue 1 FAURE, Elie, op. cit., p. 243.

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terrestre, de la beauté qui se séraphise"2 - comme la

percevait Huysrnans dans sa Cathédrale , de 1898.

Elle nous est révélée dans toute sa pureté par deux de

ses hypostases les plus éclatantes : Notre-Dame de Paris et

Notre-Dame de Chartres qui constitueront le domaine de

prédilection de nos efforts interprétatifs braqués sur deux

volets - architecture et symbole.

2 MAUGER, Georges, Cours de langue et civilisation françaises, tome IV, Eds. Hachette, Paris, 1968, p. 466.

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Page 5: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

CHAPITRE PREMIERCHAPITRE PREMIER

L'ART GOTHIQUEL'ART GOTHIQUE

Notre génération dispose de moyens renouvelés pour redécouvrir à son tour, en partant de données naguère ignorées, et en se plaçant à un point de vue neuf, cet art gothique dont l'immense richesse, surtout en France, jaillit toujours, source inépuisable de ravissements esthétiques et, plus profondément encore, de joies spirituelles.

Les exégètes s'accordent pour dire que jusqu'à

l'époque de l'éclosion du Romantisme - durant donc plus de

trois siècles - l'art du Moyen Âge fut considéré comme un

tout, formant un bloc indivisible par opposition à l'art de la

Renaissance. D'ailleurs les humanistes italiens du XVIe

siècle méprisaient l'art médiéval, cet art "nordique" qui ne

s'était guère acclimaté dans leur pays, et qui, par surcroît,

contredisait les canons esthétiques gréco-romains. Far

conséquent, ils l'avaient affublé de l'épithète "gothique" -

synonyme pour eux de "barbare".

La paternité du terme est attribuée à l'italien Lorenzo

Valla ( it. "gotico", fr. "gothique", du bas latin "gothicus",

c'est-à-dire "relatif aux Goths), qui l'a utilisé vers 1440

pour désigner le style de l'écriture manuscrite médiévale

(donc "gothique" employé dans le sens non-subjectif de

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Page 6: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

"médiéval" le syntagme "Moyen Âge" n' existant que depuis

1604).

Les Italiens du XVIe siècle, Raphaël le premier, dit-on,

appelleront péjorativement : "gotico", synonyme de

"barbare", le style des oeuvres d'art "moyenâgeuses".

Vasari (1574) a popularisé ce vocable et son acception

dédaigneuse, l'interférant avec "tedesco'1, c'est-à-dire

"tudesque" (qui dans le français d'aujourd'hui une

connotation péjorative), "germanique".

Dans ce contexte, un jésuite français a repris l'adjectif

latin "gothicus", pour traduire l'italien "tedesco" de Vasari.

C'est ce qui a facilité le premier emploi français de

"gothique" dans le sens de "médiéval". Tout en gardant la

nuance dépréciative ce mot date de 1615, étant rencontré

chez Binet. Il n'est pas dépourvu d'intérêt de remarquer

qu'aux XVII et XVIIIe siècles, les connotations de

"gothique" demeurent péjoratives : "médiéval", bien sûr,

mais surtout "suranné", "désuet", "vieillot".

Ce n'est qu'au début du e siècle, en pleine

effervescence romantique que l'art du Moyen Âge

reconquerra sa dignité, imposera ses valeurs et jouira

dorénavant du grand prestige qu'il méritait. Dès 1802,

avec Le Génie du Christianisme, Chateaubriand élargissait

les horizons du goût en attirant l'attention sur une source

de beauté à laquelle puiserait par la suite l'inspiration

romantique, et qui allait susciter l'intérêt des historiens et

des archéologues : le Moyen Âge chrétien.

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Page 7: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

L'ordre gothique, au milieu de ses proportions

barbares, a toutefois une beauté qui lui est particulière"1,

soulignait le grand écrivain. Cette beauté méconnue

encore à son époque où l'architecture religieuse s'inspirait

des temples grecs (voir, par exemple, l'église de la

Madeleine), Chateaubriand l'avait perçue à Saint-Malo,

révélée par la cathédrale Saint-Vincent.

"Les forêts des Gaules ont poussé à leur tour dans les

temples de nos pères et nos bois de chênes ont ainsi

maintenu leur origine sacrée. Ces voûtes ciselées en

feuillage, ces jambages, qui appuient les murs et finissent

brusquement comme des troncs brisés, la fraîcheur des

voûtes, les ténèbres du sanctuaire, les ailes obscures, les

passages secrets, les portes abaissées, tout retrace les

labyrinthes des bois dans l'église gothique; tout en fait

sentir la religieuse horreur, les mystères et la divinite..."2

Cette interprétation symbolique de la cathédrale (dont

nous n'avons cité que deux phrases) a aidé les

contemporains de Chateaubriand et surtout les jeunes

générations a en retrouver les significations profondes et

tout à fait authentiques, a redécouvrir les significations

profondes. On ne pouvait plus entrer dans une église sans

songer à cette page d'une si grande perfection littéraire,

d'autant plus que l'écrivain leur parlait, en artiste, des

"deux tours hautaines plantées à l'entrée de l'édifice", 1 apud LAGARDE, André et MICHARD, Laurent, XIXe siècle, Eds. Bordas, Paris, p. 542 Ibidem.

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Page 8: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

paraissant "couronnées d'un chapiteau de nuages, ou

grossies dans une atmosphère vaporeuse"1 (Monet est déjà

là !), du charme poétique des cloches, des chants et des

prières, des solennités religieuses, de l'orgue "au bruit des

vents et des tonnerres"2. Le retour en force de l'art

gothique est définitivement consacré par la parution en

1831 de Notre-Dame de Paris de Victor Hugo. L'écrivain y

fait vivre le Paris du XVe siècle, grouillant et coloré avec sa

Cour des Miracles peuplée des figures inquiétantes de

truands, et dominée par la présence tutélaire de sa

cathédrale dont la masse imposante s'anime d'une vie

mystérieuse et fantastique : "...vaste symphonie en pierre,

pour ainsi dire ; oeuvre colossale d'un homme et d'un

peuple, tout ensemble une et complexe comme les Iliades

et les Romanceros dont elle est sœur ; produit prodigieux

de la cotisation de toutes les forces d'une époque, où sur

chaque pierre on voit saillir en cent façons la fantaisie de

l'ouvrier, disciplinée par le génie de l'artiste; sorte de

création humaine, en un mot, puissante et féconde comme

la création divine dont elle semble avoir dérobé le double

caractère variété, éternité"3.

Si Chateaubriand a réhabilité la cathédrale gothique, si

Hugo en a fait le personnage de son fameux roman, un

historien - Michelet - célèbre le sublime élan de spiritualité

française qu'elle relève, qu'elle incarne, pour l'inscrire

dans l'universalité du devenir humain. Dans le tome II de 1 Ibidem2 Idem, p. 55.3 HUGO, Victor, Notre-Dame de Paris, Eds. du Livre de Poche, Paris, 1966, p. 146.

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son Histoire de France, intitulé Tableau de la France et

paru en 1833, le grand historien associe, à ce dessein, une

belle envolée lyrique à la philosophie de l'histoire; "le

souffle de l'esprit" écrit-il, "mit sur cette froide pierre son

rêve, sa pensée intime. Dès qu'une fois il eut échappé aux

catacombes, à la crypte mystérieuse où le monde païen

l'avait tenu, il la lança au ciel, cette crypte; d'autant plus

profondément elle descendit, d'autant plus haut elle

monta ; la flèche flamboyante échappa comme le profond

soupir d'une poitrine oppressée depuis mille ans. Et si

puissante était la respiration, si fortement battait ce cœur

du genre humain, qu'il fit jour de toutes partis dans son

enveloppe; elle éclata d'amour pour recevoir le regard de

Dieu"1.

Quant aux archéologues, eux aussi, ils s'étaient mis à

l'œuvre. En 1825 déjà, Arcisse de Caumont avait désigné

sous le nom de "roman" l'art qui domina l'Occident après

Charlemagne. Ce terme fut choisi parce qu'il rappelait,

d'une part, les affinités de cet art avec l'art romain, et, de

l'autre, sa situation intermédiaire entre un style d'origine

étrangère et un style national.

En même temps, langue romane et art roman étaient

des phénomènes parallèles et contemporains, bien que

l'élément romain (ou si l'on veut : "latin") fortifié par le

christianisme, fût bien plus sensible dans celle-là que dans

celui-ci.

1 Apud Lagarde A. et Michard, L., op. cit., p. 369.

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Page 10: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

De toute façon, il y avait donc un inconvénient ce

terme de "roman" emprunté à la philologie, par

assimilation aux langues romanes dérivées du bas latin,

"impliquait que l'art du Haut Moyen Âge avait ses sources

à Rome : or, il a été démontré depuis, que l'apport syrien et

byzantin tenait, dans sa formation, une place

prépondérante, et que cet art, dont les limites ne

concordaient nullement avec celles des pays de langue

romane, était imprégné d'orientalisme. Le terme de

"roman", sans être injustement péjoratif comme celui de

"gothique", nous apparaît aujourd'hui comme tout aussi

impropre"1.

Quoi qu'il en fût, malgré les réticences d'ordre

terminologique de bon nombre de spécialistes, et bien

qu'au Moyen Âge même, on appelât la style architectural

des belles cathédrales "opus francigenum" , c'est-à-dire "le

style de France"2, les deux syntagmes : "art roman" et "art

gothique" finirent par avoir le dessus.

Un autre paradoxe apparent : "roman" et "gothique"

semblent suggérer des systèmes de référence esthétique

en rapport d'antinomie. Cette impression se trouve

renforcée quand on considère une église romane et une

église gothique, et qu'on reconnaît sans peine les

différences entre les deux styles (voir fig. 2). La première

1 RÉAU, Louis, L'art gothique en France, Eds. Guy le Prat, sine anno, p. 9-10.2 Salomon Reinach offre à ce sujet l'explication suivante "On a proposé de donner à l'art gothique le nom d'"art français" mais cette expression prête à l'équivoque si l'on n' ajoute pas : du dernier tiers du Moyen Âge, ce qui la rend longue et incommode. Mieux vaut s'en tenir à celle que l'usage a consacrée" (In REINACH, Salomon, Apollo. Histoire générale des arts plastiques, Eds. Hachette, Paris, 1938, p. 105.

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est encore lourde et près de terre, malgré les tours qui

l'exhaussent et la dominent. La seconde surprend par sa

légèreté gracieuse et par sa hauteur. Dans la première les

pleins l'emportent sur les vides; c'est le contraire dans la

seconde, qui est toute en fenêtres, en roses, en clochetons,

en dentelle lapidaire. La décoration de la première est

conventionnelle, géométrique, celle de la seconde s'inspire

directement de la nature (voir ci-dessus l'extrait descriptif

du Génie du Christianisme). Dans la première règnent la

plate-bande et le cintre; la seconde frappe tout d'abord par

ses lignes verticales et par ses arcs en fer de lance. Enfin,

l'aspect général de l'église romane suggère l'idée d'une

majesté tranquille et consciente et sa force, alors que

l'église gothique est comme un emportement de l'âme vers

le ciel.

Malgré les différences qu'une comparaison sommaire

ne tarde pas à mettre en évidence, l'art gothique a son

origine dans l'art roman. L'un des arguments serait le fait

que bien des églises romanes de Provence et de

Bourgogne, comme la fameuse basilique de Cluny

possédaient déjà des voûtes brisées (voir fig. 3) et des

arcades aiguës. De plus, l'invention et l'emploi de la

croisée d'ogives qui caractérise l'architecture gothique

(fig. 4) et qui allait permettre aux "maîtres d'œuvre" toutes

les hardiesses de la verticalité et par conséquence

l'inondation du vaisseau par la lumière, n'entraînèrent

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Page 12: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

aucune innovation dans le plan des églises qui resta ce

qu'il était à l'époque romane"1.

La transition de l'art roman à l'art gothique s'est faite

dans la région formée par le Valois, le Beauvaisis, le Vexin,

le Parisis et une partie du Soissonais, durant la première

moitié du XIIe siècle. On eut l'idée, vers 1100, dans l'Île-de-

France, de renforcer les arêtes des voûtes par des arcs en

croix, jetés diagonalement au-dessus de chaque

compartiment d'arête, d'un angle à l'angle opposé. Ces

arcs qui avaient le grand avantage de consolider la voûte

d'arête et, en même temps, d'en faciliter singulièrement la

construction, furent appelés arcs ogifs ou ogives. Vers

1 Les premiers archéologues qui, à l'époque romantique, ont remis en honneur

l'architecture du Moyen Âge, avaient cru trouver un critère de délimitation des styles

roman et gothique dans le tracé des arcs : le style roman serait caractérisé par l'arc en

plein cintre, le style gothique par l'arc brisé en tiers-point. Cet arc brisé était appelé

"ogive", d'où l'appellation de style ogival. En réalité, le terme d'ogive ne s'appliquait au

Moyen Âge qu'aux arcs diagonaux bandés dans chaque travée entre les arcs

doubleaux et formerets qui constituaient l'armature de la voûte. D'ailleurs, l'arc brisé

était employé dès le XIIe siècle dans certaines écoles d'architecture romanes (comme

nous venons d'observer ci-dessus). Inversement, l'art gothique ne s'était nullement

interdit l'emploi du plein cintre auquel il revient au XVe siècle avec l'arc en anse de

panier. L'arc brisé ne définit donc pas essentiellement le style gothique. Cependant il le

caractérise en ce sens qu'il répond à une raison constructive : la diminution des

poussées. D'autre part, il correspond à l'idéal formel d'élancement des lignes qui est la

marque de ce style. La voûte en croisée d'ogives semble un caractère beaucoup plus

important. Pour les archéologues de la génération de Viollet-le-Duc (à qui on doit la

restauration d'importantes édifices civils et religieux du Moyen Âge – Saint-Germain-

des-Près, Saint-Séverin, Notre-Dame de Paris, la cité de Carcassonne), c'est avec son

corollaire, les arcs-boutants, l'essence même du gothique.

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Page 13: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

1125, on s'en servait déjà couramment. En outre, les

constructeurs de l'Île-de-France eurent l'idée de remédier

à la poussée des voûtes sur croisée d'ogives. A cet effet, ils

inventèrent l'arc-boutant. Celui-ci (voir fig. 5) fournit une

solution excellente du problème que s'étaient posé tout le

temps les architectes : augmenter la légèreté et la hauteur

des édifices sans en compromettre la solidité. Le principe

est celui de l'étai qu'on arc-boute contre les murs d'une

maison pour empêcher de s'écrouler. Le constructeur est à

l'aise. Puisque la solidité de l'édifice ne dépend plus que de

la bonne construction des arcs-boutants, ces étais fixes, et

des leurs supports, les contreforts extérieurs, il peut se

permettre d'élever des clés de voûte à des hauteurs

auparavant inaccessibles. Il peut pratiquer dans les murs

latéraux désormais exemptés de fonction d'équilibrer la

bâtisse, des percements immenses qui laisseront entrer à

flots la lumière, si parcimonieusement distribuée naguère

par les fenêtres ébrasées des églises romanes.

Telles étaient quelques-unes des conséquences

enfermées dans la modeste invention qui fut faite par les

maçons de l'Île-de-France au commencement du règne de

Louis VI. L'Île-de-France est encore couverte d'églises

construites pendant l'âge de formation du style gothique.

On y observe les tâtonnements, les progrès, les luttes de

l'art nouveau pour s'imposer contre la tradition ; il s'agit

des vénérables églises de Morienval, de Saint-Étienne de

Beauvais, de Cambronne-lès-Clermont, de Saint-Germer, de

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Page 14: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

Saint-Len d'Esserent, la chapelle de Belle-Fontaine. On

cite, à Paris même, le chœur de l'ancien prieuré de Saint-

Martin des Champs, une partie de Saint-Germain-des-Près

et l'église Saint-Pierre de Montmartre. Par la suite, cet art

"que l'on appelle à tort ogival, ou, sans raison, gothique, et

que l'on devrait appeler architecture française"1 s'est

définitivement constitué quand on prit l'habitude de voûter

sur ogives toutes les églises, de faire porter le poids de

leurs voûtes sur des arcs-boutants calés par des

contreforts extérieurs, et aussi, d'y remplacer partout le

plein cintre par le tiers-point. Ainsi commença le devenir

glorieux du style gothique, "l'opus francigenum", à partir

du gothique primitif vers le gothique lancéolé, le gothique

pur, caractérisé par simplicité, équilibre et harmonie,

s'épanouissant au XIII siècle, qui fut celui des réalisations

parfaites, surtout les quatre grandes cathédrales de

Chartres, Reims, Amiens, Beauvais et la Sainte-Chapelle du

Palais de Paris (fig. 6). On pourrait même parler, pour cette

étape historique, d'un "classicisme" sui generis, avant la

lettre. L'évolution continua avec le gothique rayonnant (fin

du XIIIe et XIVe siècles) dont les traits caractéristiques

étaient la légèreté, la verticalité audacieuse et le

raffinement, illustrés par les cathédrales de Strasbourg et

de Metz. Le XVe siècle est celui du gothique flamboyant

(fig. 7, 8) où se multiplient les lignes décoratives en

courbes et contre-courbes en forme de flammes, les

1 LARISSE, Ernest et RAMBAUD, Alfred, Histoire générale du Ive siècle à nos jours, tome II, Armand Colin éd., Paris, 1925, p. 582.

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Page 15: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

nervures des voûtes et l'ornementation sculptée. Il est

surtout remarquable en Normandie - Saint-Maclou de

Rouen, à Paris - Saint-Séverin et dans l'Est - Notre-Dame-

de-l'Epine, Saint-Nicolas-du-Port (fig. 9) -, mais c'est en

même temps la phase crépusculaire d'un glorieux déclin

(marqué par l'exagération et la surcharge) d'un art qui a

régné en Occident durant quatre cents ans. À cet art

architectural correspondent des arts décoratifs qui ont

adapté leurs moyens d'expression, qui ont innové en

matière de techniques et proposé une thématique

figurative en fonction de la spécificité du gothique. Tel est

le cas de la sculpture.

À l'époque romane, les premiers "imagiers" s'étaient

appliqués à copier des modèles byzantins : ruines romanes,

ivoires, joyaux de Constantinople ou de l'Extrême-Orient.

Les figures de Saint-Trophime d'Arles rappellent celles des

sarcophages gallo-romains. Les décorations du cloître de

Moissac ont imité tant bien que mal des scènes byzantines.

Partout, jusqu'au XIe siècle inclusivement, la sculpture

d'ornement s'en était tenue à la reproduction plus ou

moins fidèle des motifs traditionnels de l'antiquité ou de

Byzance : galons, torsades, bâtonnets, nattes, perles, oves,

palmettes et fleurons. On y décèle encore des motifs de

provenance barbare ou asiatique entrelacs, animaux

fantastiques et autres motifs de fantaisie.

Au XIIIe siècle, la sculpture française s'émancipe tout à

coup. Viollet-le-Duc a osé, le premier, comparer cette

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Page 16: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

évolution remarquable à celle qui fit sortir l'art de Phidias

de l'art de l'école d'Egine : comparaison qui causa jadis du

scandale mais qui est devenu banale aujourd'hui. L'essor

de cette sculpture originale coïncida justement avec

l'ouverture des grands chantiers de la période gothique en

Île-de-France. Les tailleurs de pierre de Île-de-France

étaient, au moment où ils mirent en pratique les artifices

de construction dont nous avons parlé plus haut, d'une rare

habilité manuelle qui leur permettait des prouesses

architectoniques. Quant à l'ornementation, ils avaient

commencé à remplacer les anciens motifs stylisés par des

motifs entièrement nouveaux. A l'ornementation

conventionnelle, presque savante, puisée à tant de sources

diverses, des édifices romans, ils substituèrent hardiment

l'ornementation après nature, après la vie. Au style

tourmenté, irréaliste et mystique de la sculpture romane,

succède un style calme, réaliste, humain. Ils copièrent

d'abord les plantes d'eau (arum, iris, nénuphar), si

simples et si largement décoratives, si communes dans les

fonds marécageux de la vallée d'Oise. Puis ils promurent

l'acanthe indigène - la fougère. Au temps de Philippe-

Auguste et de Saint Louis on rechercha les feuillages

légers et sinueux, et l'on appliqua sur la corbeille des

chapiteaux des tranches de lierre, d'érable, de houx, fies

sarments de vigne, des chardons, le persil et la chicorée

des jardins français. Rien n'égale l'élégance et la dignité

monumentale de cette décoration botanique, quand elle:

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Page 17: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

est traitée, comme elle l'a toujours été en France au

Moyen Âge, par des artistes sûrs de leur ciseau (fig. 10). La

statuaire proprement dite s'est dégagée moins vite, mais

aussi complètement que la sculpture d'ornement, des

traditions byzantines qui avaient nettement marqué la

sculpture romane, cet "immense ballet hiératique"1. Le

style gothique propose, au contraire, une figure humaine

individualisée, respectée dans ses caractères physiques et

psychologiques. Mais ce réalisme n'exclut pas le souffle

poétique et religieux. Le monde spirituel, moral et matériel

s'ordonne autour de la figure centrale du Christ

qu'accompagnent la Vierge, les apôtres, les prophètes,

ainsi que des figures symboliques : Vices et Vertus, Vierges

folles et Vierges sages, calendriers, travaux des mois, arts

libéraux (fig. 11). Le tout disposé selon des emplacements

et des formats savamment hiérarchisés prouve que le XIII

siècle a cherché dans l'art comme dans la pensée, l'ordre

et la rigueur2.

Il est à noter qu'on a prétendu que ces tailleurs

d'images du Moyen Âge n'avaient su faire que des corps

allongés et grêles, pareils à des gaines drapés en tuyaux

d'orgue, terminés par des têtes à l'expression ascétique,

même maladive. C'était bien à tort car le musée de

moulages du Trocadéro à Paris, a dissipé ce préjugé. En 1 BENOIST, Luc, La sculpture française, Eds. Larousse, Paris, 1945, apud BLANCPAIN, Marc et COCHOUD, Paul, La Civilisation française, Eds. Hachette, 1979, p. 97.2 De Platon et de saint Augustin, la pensée de référence passe à Aristote, au XIII siècle, et la philosophie médiévale à sa suite, revient à la nature et à l'expérience positive d'où la raison induit les vérités assurées. Ce tournant décisif dans la pensée européenne fut préparé et opéré a l'Université de Paris par Albert le Grand et saint Thomas d'Aquin.

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Page 18: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

regardant les statues, dont les visages éclairés d'un sourire

énigmatique sont déjà exempts de l'hiératisme traditionnel,

statues qui sont au portail principat de la cathédrale de

Chartres, on dirait que la sculpture moderne commence

avec elles. Ajoutons les vingt-deux statues colossales de la

porte centrale (les princes de ce peuple de 2500 statues)

qui animent la cathédrale de Reims1, le Beau Dieu

d'Amiens, la Vierge de la Porte Dorée (d'Amiens toujours),

les apôtres de la Sainte-Chapelle (fig. 12), les effigies

royales de Saint-Denis, pour nous rendre compte que cet

art gothique ne cède guère en vérité, en grâce et en

énergie, donc en force d'expression à ce que l'art de

l'antiquité classique a produit de plus exquis. Au XIVe et au

XVe siècles, la sculpture commence à se détacher de

l'architecture et à conquérir son autonomie. Elle reste

pourtant en grande partie d'inspiration religieuse, mais les

formes expressives de sa dévotion s'écartent de la sérénité

de l'époque précédente pour se trouver soit vers le charme

très humanisé des Vierges à l'Enfant en pierre, en bois ou

en ivoire (fig. 13), des anges musiciens et des saints ou

saintes, soit vers le thème pathétique de la mort : scènes

de la Passion du Christ, Crucifixions, Pietà, statues

funéraires exécutées parfois avec un réalisme saisissant.

Dans le premier groupe on pourrait citer au rang de chefs-

d'œuvre : la Vierge de Jeanne d'Évreux (Louvre), la Vierge

du Marthuret (à Riom), la Sainte Marthe de l'église de la

1 "… immense allegro sacré, magnifique Te Deum …" note métaphoriquement Luc Benoist (op. cit. p. 98).

18

Page 19: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

Madeleine à Troyes; dans le second l'Ecce Homo de Saint-

Nizier de Troyes, l'Ensevelissement du Christ de Chaource,

le retable de la Passion de Tonnerre, le tombeau du roi

Philippe le Hardi à Saint-Denis par Jean d'Arras. Tout en

mettant en évidence le nom de Jean d'Arras, signalons que

les sculpteurs, devenus courtisans, cessent d'être

anonymes. Beaucoup viennent de Flandre, de Hollande ou

de la France du Nord. A la cour de Charles V travaillèrent

André Beauneveu de Valenciennes (tombeaux de Philippe

VI, Jean le Bon et Charles V à Saint-Denis) et Jean de

Liège. En Bourgogne, près des ducs Philippe le Mardi et

Philippe le Bon s'épanouit un centre prestigieux de la

sculpture de l'époque. Entre 1390 et 1406, Claus Sluter (né

à Haaelen) fit la décoration de la Chartreuse de Champmol

(fig. 14), près de Dijon, et constitua un ensemble admirable

d'expression et de virtuosité plastique. Au portail de la

chapelle, on peut contempler la Vierge entourée par le duc

et la duchesse, et, comme base du calvaire détruit en 1793,

le Puits de Noise orné de six prophètes. Après la mort de

Sluter, son neveu Claus de Werve sculpta le tombeau de

Philippe le Hardi entouré de quarante pleurants

remarquables d'émotion (fig.15). Le thème en fut repris

avec force vers 1480 dans le tombeau de Philippe Pot,

sénéchal de Bourgogne (au Louvre). Dans un esprit plus

détendu, la sculpture du XVe siècle (fig. 16) est

représentée, en dehors de l'atelier bourguignon, par le

Lyonnais Jacques Morel (tombeau de Charles de Bourbon

19

Page 20: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

et d'Agnès de Bourgogne, à Souvigny et - probablement-

l'exquise gisante d'Agnès Sorel, à Loches). N'oublions pas

l'auteur du Sépulcre de Solesmes (fig. 17) et celui de la

clôture du chœur de la cathédrale d'Albi, qui frappent par

l'étonnant mélange de puissance et d'élégance, spécifique

du gothique tardif. Ainsi, à travers les époques, "le génie

des imagiers du XIIIe siècle, devenu seulement plus

expressif, se continua dans la grande école franco-

flamande et exerça une féconde influence sur la peinture

de ce temps"1.

Quant à la peinture gothique, elle "obéit aux mêmes

tendances que la sculpture"2, se détachant du mur pour

aboutir à vivre indépendamment, devenant mobile et

s'appliquant aussi bien à la décoration des feuillets de

manuscrits qu'aux panneaux de bois. Ses hypostases sont

la peinture murale ou la fresque avec ses "succédanés" : le

vitrail et la tapisserie, la miniature et la peinture sur

panneau. On sait que les murs intérieurs des églises

romanes étaient peints et, bien que la plupart des fresques

aient disparu, en considérant les célèbres peintures de

l'église de Saint-Savin en Poitou, du Temple Saint-Jean à

Poitiers, de la chapelle du Liget, de Tavant en Touraine ou

de Berzé-la-Ville en Bourgogne, on s'émerveille de

découvrir une entente si remarquable des lois de

l'harmonie des couleurs, de la virtuosité des dessins

1 REINACH, Salomon, op. cit. p. 125.22 Réau Louis, op. cit. p. 130.

20

Page 21: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

enluminés et très légèrement modelés qui couvraient les

grandes surfaces, de l'habilité des touches de couleurs

destinées à faire valoir les membres de l'architecture. Les

grandes scènes décoratives, traitées avec puissance étaient

tirées de l'Apocalypse ou de la Genèse, et peintes dans des

tonalités analogues à celles des peintures byzantines :

fonds très clairs, brun rouge, gris ardoise, avec des

fermetés très vives, des rehauts blancs, et pas d'or. Ainsi la

fresque qui n'était à Byzance qu'un dérivé moins coûteux

de l'art plus somptueux et plus durable, de la mosaïque,

avait pris en France un admirable développement à

l'époque romane. En effet, les églises de ce style, dont les

murs épais n'étaient percés que de rares fenêtres, offraient

généreusement de larges surfaces à décorer.

Avec l'avènement de l'architecture gothique, les

emplacements réservés à la peinture murale furent réduits

par suite des percements si hardis, opérés par les "maîtres

de l'œuvre" qui tendaient à ajourer les surfaces non

portantes, à remplacer les pleins par les vides. Cela devait

être fatal à la fresque française. Elle s'effaça devant le

vitrail qui remplaça dans les églises transformées en cages

de verre où la lumière était renouvelée à toutes les heures.

La peinture murale ne disparut point, toutefois : pour

soutenir convenablement, par des rapports de tons, l'éclat

nouveau des verrières, elle se transforma. Les couleurs

franches (bleu, rouge) triomphèrent dans les peintures du

XIIIe siècle; elles se détachent sur des fonds très sombres,

21

Page 22: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

avivés d'or à profusion comme, par exemple, la décoration -

restaurée par Viollet-le-Duc - de la Sainte-Chapelle du

Palais , à Paris.

Même dans les châteaux, où les murs sont moins

évidés que dans les cathédrales gothiques, les fresques

sont remplacées par des tapisseries de laines de couleur,

"fresques" mobiles qui ont un avantage utilitaire net : elles

réchauffent les murs, protègent contre les courants d'air,

et, de plus, les seigneurs peuvent emporter ces tapisseries

avec eux, dans leurs déplacements. C'est de là que vient la

rareté relative des fresques gothiques, d'autant plus que

beaucoup d'entre elles on: été détruites (il ne reste rien

des illustrations de la Vie de saint Louis, dans l'église basse

de la Sainte-Chapelle).Parmi celles des monuments

conservés du XIIIe siècle, on peut citer la décoration de la

chapelle du Petit-Quevilly, près de Rouen, dont les

médaillons se ressentent de l'influence du vitrail. Quelques

ensembles du XIVe siècle se sont conservés dans les églises

du Midi : la coupole de la cathédrale de Cahors et la

chapelle Saint-Antonin-aux-Jacobins de Toulouse. Quant

aux fresques du Palais des Papes et de la Chartreuse de

Villeneuvr-lès-Avignon (fig. 18), celles-ci ne concernent

qu'indirectement l'art français étant donné leur exécution

par Simone Martini et M.atteo di Giovanetti de Viterbe,

peintres italiens ; il se peut cependant que les fresques de

la Tour de la Garde-Robe, représentant des scènes de

chasse et de pêche (fig. 19), aient été exécutées par des

22

Page 23: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

artistes français, parce qu'on ne trouve rien d'analogue en

Italie, tandis que ce genre de décoration était fréquent à

l'époque, en France. Il suffit de rappeler que Charles V fit

peindre, dans une salle basse du Vieux-Louvre et à l'Hôtel

Saint-Pol, des scènes de vénerie où l'on avait représenté

des cerfs et des oiseaux.

Le XVe siècle, enfin, a légué à la postérité les peintures

de la voûte de la chapelle de l'Hôtel Jacques Cœur à

Bourges (fig. 20) où plane un essaim d'anges, réalisé d'une

main de maître. Néanmoins, signe du temps, le thème qui

revient comme une obsession chez les artistes de cette

époque, est la Danse macabre. En témoignaient les

fresques du Cimetière des Innocents à Paris (qui dataient

de 1423 et qui ont disparu) ; leur souvenir s'est conservé

grâce aux gravures de Guy Marchand. Seules la Chapelle

de Kermarrin en Bretagne et l'abbaye de la Chaise-Dieu

(où l'on peut admirer la plus pathétique des Danses

macabres) nous offrent aujourd'hui le reflet ou l'équivalent.

De toute façon Xve siècle, qui marque un des grands

moments de l'art français, voit la peinture murale achever

son histoire médiévale avec ce thème caractéristique à

l'époque : la Danse macabre, expression du gothique tardif.

La supériorité du vitrail par rapport à la fresque vient

du fait que le registre chromatique et ses valeurs

expressives changent perpétuellement suivant l'inclinaison

du soleil aux différentes saisons et aux différentes heures

de la journée, étant infiniment sensible à l'éclairage, "aux

23

Page 24: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

moindres vibrations de la lumière. Un nuage passe, le ciel

s'assombrit et voilà le vitrail qui s'éteint; les couleurs se

refroidissent et semblent se figer. Que le soleil perce à

nouveau et le vitrail ressuscité s'échauffe et flamboie. Ainsi

le vitrail est une matière vivante qui se transforme, qui

meurt et renaît au gré des rayons et des ombres»1.

Art particulièrement médiéval, le vitrail débute au XIIe

siècle par les verrières de la Trinité de Vendôme, de Saint-

Denis, des fenêtres de la façade de la cathédrale de

Chartres. Ces vitraux de la première heure, dont le moine

allemand Théophile donne les procédés de fabrication dans

sa fameuse Schedula diversarum artium sont de véritables

mosaïques de morceaux de verre diversement colorés,

rapportés et sondés avec du plomb. On commençait par

dessiner un carton sur lequel on posait les verres

découpés. On enchâssait toutes les pièces dans le plomb et

on redessinait au pinceau les ornements avec une couleur

noire vitrifiable. Après cuisson, on maintenait la mosaïque

transparente dans la baie qu'elle était destinée à fermer

par une armature en fer scellée à la muraille. Les couleurs

étaient simples et "dans la pâte": bleu, rouge, jaune, blanc

verdâtre. Jamais de demi-teintes. Le modèle n'était point

obtenu par des dégradations de lumière, mais par des

hachures nettement tracées au pinceau. De près, rien de

plus rude; mais vues de loin, d'en bas, ces verrières se

détachent élégamment par masses puissantes parce que

les détails techniques se noient dans le lointain. Les 1 RÉAU, Louis, op. cit. p. 134.

24

Page 25: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

draperies s'accusent, les personnages apparaissent dans

des proportions harmonieuses et les parois de l'édifice,

suivant une vieille expression "semblent construites avec

de la lumière"1. C'est là que s'affirme l'instinct décoratif

des artistes d'autrefois. L'art du peintre verrier arriva au

XIIIe siècle à sa perfection, sans changements

considérables de la technique, et se diversifia. Les plus

admirables spécimens de vitraux à figures et à médaillons

se trouvent à Chartres et à la Sainte-Chapelle de Paris. Les

plus belles grisailles de ce temps (peintures monochromes

en camaïeu gris) - à Rouen, à Soissons et à Saint-Serge

d'Angers. Ces vitraux du XIIIe siècle sont composés de

petits éléments teints dans la masse, coupés au fer rouge

et assemblés dans un réseau de plombs. Les verres ne sont

pas plans, mais plus ou moins bossus ou boursouflés. Ce

qui fait jouer la lumière, car les hommes du Moyen Age,

comprenant mieux que les modernes la nécessité d'adapter

l'art aux conditions naturelles du climat, ont inventé dans

la verrière colorée, la décoration la plus convenable pour

des édifices élevés sous un ciel souvent voilé. En effet, les

mosaïques transparentes enrichissent, en la décomposant,

la lumière pâle des pays du Nord. Au XIVe siècle, la

technique se perfectionne : les plaques de verre sont de

plus grandes dimensions et coupées à la pointe de diamant

(de cette façon, la mise en plomb est facilitée). La palette

des couleurs se diversifie et se nuance grâce à l'invention

du jaune d'argent et des verres doublés (qu'on use à 1 LARISSE, Ernest et RAMBAUD, Alfred, op. cit., p. 588.

25

Page 26: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

l'émeri). D'autre part, l'amplitude croissante des fenêtres

entraîne la suppression des médaillons remplacés par de

hautes figures sous des dais ouvragés, tandis que les fonds

de paysage remplacent, tout comme les fonds

d'architecture, les fonds unis. Tout cela concourt à faire

perdre au vitrail son caractère purement décoratif pour le

transformer en une peinture transposée sur verre. Les plus

beaux vitraux du XIVe siècle sont ceux du chœur de la

cathédrale d'Evreux, alors que le chef-d'œuvre des verriers

français du XV siècle est le vitrail de l'Annonciation, offert

par Jacques Coeur à. la cathédrale de Bourges. Un siècle

plus tard, en 1534, Jean Lescuyer exécutera le célèbre

vitrail des Tulliers qui rivalise, par l'art consommé de son

créateur, avec celui de Bourges, mais l'influence du style

de la Renaissance s'y fait déjà remarquer. Dans la région

du centre de la France, on admire encore les vitraux de la

cathédrale de Moulins et d'Ambierle. Les derniers vestiges

de cet art incomparable sont les vitraux de la chapelle

funéraire de Brou, datant du XVIe siècle, qui prouvent sans

conteste la longévité de son potentiel expressif.

Dans un autre art essentiellement français, la

tapisserie, des tempéraments vigoureux d'artistes se

révèlent et de belles œuvres s'imposeront à la postérité.

C'est dans les ateliers parisiens que fut tissée la plus

merveilleuse tenture du XIVe siècle; il s'agit de celle de

l'Apocalypse d'Angers, exécutée par Nicolas Bataille

d'après les cartons de Jean de Bruges (fig. 21).

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Page 27: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

Commandée vers 1380 par le duc Louis d'Anjou, frère du

roi Charles V, pour la décoration de son château d'Anjou, et

mesurant près de 150 mètres de long, c'est un des

monuments les plus impressionnants et les plus précieux

du XIVe siècle. A la fin du siècle suivant, les artistes de

Tours étaient en pleine prospérité. La Vie du Christ (en

quatorze pièces) de la Chaise-Dieu en Auvergne, l'Histoire

de saint Gervais et de saint Protais de la cathédrale du

Mans, la Vie de saint Florent à Saint-Pierre de Saumur et,

peut-être, la célèbre tapisserie de la Dame à la licorne (se

trouvant au musée de Cluny) proviennent de là. Lyon aussi

était réputé pour la finesse incomparable de ses

tapisseries. Le parement d'autel dit des Trois

Couronnements (exécuté pour le cardinal Charles de

Bourbon, archevêque de Lyon, et offert par son neveu au

trésor de la cathédrale de Sens) est une œuvre exquise par

l'expression des figures, la richesse des détails et

l'harmonie des colorations. Cette tapisserie a la forme d'un

triptyque : au centre, on représente le Couronnement de la

Vierge; sur les côtés, deux héroïnes de l'Ancien Testament :

Bethsabée couronnée par son fils - le roi Salomon, et

Esther à laquelle Assuérus tend son sceptre. En fin de

compte, une rétrospective diachronique sur ce genre d'art

aboutira à la constatation surprenante que la tapisserie qui

naquit à Aubusson et à Feltin, et qui fleurit dans les

ateliers de Paris, d'Arras, de Tournai et de Tours resta

27

Page 28: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

longtemps "l'élément de décoration principal des églises et

des châteaux"1.

Autant que dans les sculptures polychromes, aussi bien

que dans les vitraux et les tapisseries, on doit chercher

dans les miniatures ou les enluminures la vision picturale

de l'époque gothique. Et on l'y découvrira, marquée d'une

manière plus prégnante que dans la peinture sur panneau

(qui arriva à son apogée au XVe siècle).

A l'époque carolingienne et romane, c'étaient les

cloîtres qui avaient le monopole de l'enluminure. Celle-ci

était l'œuvre des moines travaillant en commun dans les

"scriptoria" des abbayes. A partir de la fin du XIII e siècle,

des enlumineurs laïques apparaissent. Ils renouvellent cet

art monastique et, stimulés par la concurrence, élargissent

le répertoire traditionnel par l'introduction des sujets

profanes et par le remplacement des fonds d'or auxquels

ils substituent des fonds de paysage, en semant dans la

bordure des "histoires", une décoration marginale de la

plus exquise fantaisie.

Étant donné que le caractère essentiel de l'enluminure est l'illustration du livre, on remarque une pléthore de syntagmes synonymes relevant du domaine et nuançant les valeurs fonctionnelles du genre : miniature, peinture de manuscrits, peinture sur parchemin. Pluralité de termes, mais de toute façon unicité et excellence d'un art bien français ou plus exactement parisien. La localisation de cet art ou plutôt de cette "industrie" à Paris s'explique aisément par le renom de la Sorbonne dont le

1 BLANCPAIN, Marc et COCHOUD, Jean-Paul, La civilisation française, Eds. Hachette, Paris, 1979, p. 111.

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Page 29: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

rayonnement, en tant que "Source de toute sapience", attirait des étudiants de toutes les nations; cela supposait la rédaction massive de livres qui occupait de nombreux artisans. Parcheminiers, copistes, enlumineurs pourvoyaient, avant l'invention de l'imprimerie, à la fabrication des bouquins. Et ces pourvoyeurs d'esprit étaient en même temps de prodigieux artistes. Dante même dans sa Divine Comédie, en parlait avec éloge : "Oh! - lui dis-je - n'est-tu pas Oderisi, l'honneur d'Agubbio, et l'honneur de cet art appelé à Paris l'enluminure?"1 Ainsi de l'aveu même du plus grand poète Italien, la miniature constituait au XIV siècle, comme les tapisseries d'Arras, l'une des plus fameuses spécialités de l'art français.

Dans son ouvrage de référence, L'Art gothique en

France, Louis Réau reconstituait ce tableau d'époque : "le

quartier général de la corporation des enlumineurs était la

rue Erembourg de Brie, appelée aujourd'hui rue Boutebrie,

près de l'église Saint-Séverin. A côté se trouvait la rue de

la Parcheminerie où demeuraient les copistes et les

libraires qui s'approvisionnaient de parchemin à la Foire du

Lendit. Le travail était spécialisé : les "histoires" étaient

réservées aux plus habiles qu'on appelait "historieurs"; les

autres se contentaient de dessiner des vignettes,

d'appliquer des fonds d'or en feuilles ou au pinceau. Les

femmes n'étaient pas exclues de la corporation : les

documents d'archives nous ont transmis les noms de

plusieurs enlumineuses ou enlumineresses dont une

certaine Anastasie, qui travaillait pour une femme de

lettres du temps de Charles V, Christine de Pisan"2.

1 DANTE, Alighieri, La Divine Comédie (traduite et commentée par A. Méliot), Le Purgatoire, XI, Garnier Frères,Paris, 1908, p. 303.2 Op. cit., p. 137-138.

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Page 30: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

Certes, les miniatures de la Bible moralisée et de la Vie

de saint Denis, celles du Psautier d'Ingeburge, femme de

Philippe Auguste (fig. 22) et du Psautier de Blanche de

Castille (mère de Saint Louis) appartenant au premier

quart du XIIIe siècle, ont été exécutées dans les

monastères, mais après la mort de Saint Louis, les moines

sont remplacés par les enlumineurs laïques qui impriment

à la miniature française un admirable développement

grâce au mécénat des princes bibliophiles de la Maison de

Valois : le roi Charles V, le duc Jean de Berry et les ducs de

Bourgogne, et cela à partir de la fin du XIVe siècle. Il est

bien évident que l'influence qu'avait subie l'enluminure

gothique au XIIIe siècle de la part du vitrail dans l'emploi

des couleurs et dans la composition en panneaux séparés,

comme d'ailleurs dans le dessin à trait épais (Psautier de

Saint Louis, Bréviaire de Philippe le Bel, chefs-d'oeuvre de

l'atelier parisien), diminue. L'enluminure devient plus libre,

plus variée et plus expressive, se dégageant des canons et

parvenant au sommet de son accomplissement avec les

miniatures de Jean Pucelle et de son atelier. Le raffinement

et l'élégance des formes, la douceur du modelé et le sens;

de la profondeur sont éclatants dans le charmant Bréviaire

de Belleville, où Léopold Delisle a déchiffré la signature du

maître. La même virtuosité est étalée par celui-ci dans la

Bible de Robert de Bylling. Un autre grand maître resté

anonyme et qu'on a baptisé provisoirement "le maître aux

baqueteaux" (d'après la forme arrondie de ses bouquets

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Page 31: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

d'arbres) a merveilleusement décoré la Bible de Jean de Sy,

commencee vers 1356 pour le roi Jean le Bon, ou, à côté

des miniatures en couleur, on trouve des grisailles (ou

"portraits d'encre). A la fin ta XIVe siècle donc,

l'enluminure n'était plus confinée dans des compositions

rigoureusement décoratives (dont le sévère encadrement

architectural rappelait l'ordonnance des verrières) et

hiératiques. Elle avait déjà rompu ces entraves. Les fonds

unis ou guilloches cèdent la place à des paysages; les

couleurs conventionnelles reculent devant des teintes plus

ou moins nuancés. La figure humaine, auparavant enserrée

et étouffée par le cadre architectural reprend toute son

importance et toute la liberté de mouvement. Ce regain de

plasticité et de vivacité expressive explique l'engouement

pour l'enluminure d'un Charles V, dont l'abondante

"librairie" installée dans une des tours du Louvre contenait

maints manuscrits inestimables; la "librairie" de son frère,

le duc de Berry était encore plus riche, et c'est pour lui

qu'André Beauneveu, peintre et sculpteur, enlumine un

Psautier, décoré de figures en grisaille des Prophètes, et

que Jacqemart de Hesdin exécute les Grandes Heures se

trouvant à la Bibliothèque Nationale. Mais le plus beau

spécimen de la fin du XIV siècle, "le chef-d'œuvre des

chefs-d'œuvre, le roi des manuscrits enluminés, est le

manuscrit des Très Riches Heures du Duc de Berry (fig.

23), joyau de la Bibliothèque du duc d'Aumale"1

actuellement au Musée Condé de Chantilly. Il est presque 1 RÉAU, Louis, op. cit;, p. 138.

31

Page 32: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

impossible de dépeindre, de restituer en mots la finesse

prodigieuse du travail et la fraîcheur poétique des

compositions de ce livre d'Heures, enluminé par les trois

frères de Limbourg1. Il débute par un "calendrier"

justement célèbre, illustrant les travaux ou les plaisirs de

chaque mois : les Semailles, la Fenaison, etc. Ces

occupations des mois y sont représentées avec un

sentiment exquis de la nature sur des fonds d'architecture

où l'on reconnaît les châteaux de Charles V et du duc de

Berry : le Palais de la Cité, Vincennes, Poitiers, Lusignan,

Nehun-sur-Yèvre. Dans ces miniatures notamment, il faut

chercher les origines du paysage. En outre, on sent que les

Van Eyck ont passé par là, tellement elles ont introduit

dans la peinture une note nouvelle, une sève et un parfum

de jeunesse incomparables.

Vers le milieu du XVe siècle, la miniature prit encore

plus d' extension. Les productions du genre se chiffrent par

milliers. À cette époque brille la dernière école de

miniaturistes, l'école purement française de Tours, dont le

plus illustre représentant est Jean Fouquet. D'après le

témoignage d'un contemporain, on peut lui attribuer avec

certitude le livre des Antiquités Judaïques se trouvant

actuellement à la Bibliothèque Nationale. Par analogie

avec les enluminures de cet ouvrage, on lui attribue

1 Il convient de noter que si plusieurs miniaturistes étaient flamands, la plupart étaient des Français du nord; parmi ceux que Philippe le Bon avait employés, par exemple, il y avait Jean de Pestivien, Jean le Tavarnier, Loyset Lyédet, Simon Marmier et Philippe de Mazerolles. De leurs mains sont sorties les (Grandes Chroniques de France, l'Histoire de Charles Martel, les Chroniques et Conquêtes de Charlemagne et la Chronique de Froissart.

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Page 33: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

également le Livre d'Heures d'Etienne Chevalier (fig. 24),

acquis par le duc d'Aumale, et conservé au Musée Condé

de Chantilly, les frontispices du Boccace de Munich et les

Statuts de l'Ordre de Saint-Michel. Jean Fouquet a

adroitement assimilé aussi bien la tradition franco-

allemande des frères de Limbourg que les éléments de

décor italien, et les a intégrés dans un style incomparable,

excellant par la science de la composition, la perspective

linéaire et aérienne, par l'art de faire mouvoir les foules et

par le charme et l'harmonie du coloris de ses paysages du

Val-de-Loire, qui semblait lui avoir été si familier. Jean

Fouquet s'avère être sans rival dans sa génération et sa

supériorité éclate si l'on compare ses miniatures à celles

un peu douceâtres des Grandes Heures de la reine Anne de

Bretagne, de Jean Bourdichon qui y a représenté avec la

conscience d'un botaniste toute la flore des bois, des

champs et des jardins de la Touraine, donnant aux marges

de son Livre d'Heures l'apparence d'un herbier. Ajoutons à

ces deux noms des maîtres anonymes qui mériteraient une

place de premier rang; c'est le cas de l'auteur des

enluminures des Heures de Rohan - un visionnaire

macabre et parfois génial - ou bien celui de l'artiste qui

enlumina l'élucubration romanesque du bon roi René : Le

Livre du Coeur d'amour épris – 1457 (fig. 25), et qui se fait

remarquer par les scènes pleines d'imprévu et de

contrastes piquants (révélant l'originalité de la

conception), par la douceur du coloris et l'entente du clair-

33

Page 34: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

obscur, dévoilant un sentiment exquis de la nature

(fraîcheur de l'aube et de la rosée).

La peinture française de chevalet, elle aussi, était là

depuis longtemps. Contrairement à un préjugé naguère

assez obstiné qui allait jusqu'à nier l'existence même des

Primitifs français (non seulement leur valeur), un pays

comme la France, qui tenait au XIV siècle le premier rang

dans tous les arts : architecture, sculpture, vitrail,

tapisserie, miniature, ne pouvait pas se montrer tout à fait

stérile dans le domaine de la peinture de chevalet ( on

pourrait l'appeler aussi pour cette époque-là, la peinture

sur panneau). Bien qu'il soit évident que la supériorité de

l'École des Pays-Bas dans la peinture à l'huile sur panneau

est aussi indéniable que celle de l'Italie dans la peinture à

fresque, ce serait une erreur choquante de faire

commencer l'histoire de la peinture française a Vouet ou à

Poussin (donc au XVIIe siècle), et de refuser tout intérêt

aux peintres qui ont animés tant de centres artistiques

comme l'École de Paris, l'École d'Avignon, l'École de Dijon

et l'École de Tours, prolongeant leur réputation jusqu'au

XVIe siècle. Il faudrait ajouter que nulle part ailleurs les

productions de la peinture, depuis les fresques

monumentales jusqu'aux tableaux de chevalet, n'ont été

aussi maltraitées qu'en France. Que le pays comptait au

XIVe siècle des peintres nombreux, que bon nombre de ces

peintres fussent célèbres, que des compositions

considérables prissent naissance, nous le savions

34

Page 35: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

surabondamment par les documents écrits; mais la fatalité

historique qui s'est attachée aux œuvres mêmes, nous

permet à peine de deviner quelle était la valeur de ces

productions.

De toute façon, la découverte ou plutôt la révélation

qu'on a eue, de la peinture française médiévale, ne date

que du début du XXe siècle. "Il a fallu attendre l'Exposition

des Primitifs français organisée à Paris en 1904 pour

s'apercevoir que la France avait eu des peintres avant

l'arrivée du Primatice à Fontainebleau ou le retour de

Rome de Simon Vouet"1. En témoigne ce qu'on pourrait

appeler "les incunables"2 de la peinture française sur

panneau dont le plus ancien, paradoxalement, n'est pas un

tableau à sujet religieux, mais un portrait d'un réalisme

impitoyable - le profil sur fond d'or du roi Jean le Bon.

"C'est un panneau de bois recouvert de plâtre et de toile

avec fond guilloché d'or - technique qui, à travers les

siècles, est restée encore celle des peintres russes

d'icônes"3 (fig. 26). Peint vers 1360 semble-t-il, pendant la

captivité du roi à Londres, après la débâcle de Poitiers, ce

portrait exécuté probablement par Girard d'Orléans,

peintre favori de Jean le Bon, qui avait accompagné son

maître en Angleterre, faisait partie d'un quadriptyque

"cloant". Réalisé à la détrempe, de profil, le visage du

vaincu de Poitiers n'a rien d'un portrait flatté, bien au

1 RÉAU, Louis, Histoire universelle des arts, p. 222.2 Du latin incunabula, pluriel neutre de incunabulum, qui signifie berceau, commencement.3 XXX, Beaux-Arts des origines à 1800, Eds. Chartés, Paris, n° 10, 1953.

35

Page 36: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

contraire, et il surprend par la netteté de l'expression

individuelle.

Le second monument de la peinture française sur

panneau, tout aussi représentatif pour l'École de Paris que

le portrait du roi Jean le Bon, est le Parement de Narbonne

(fig. 27), un parement d'autel peint vers 1375 et offert par

Charles V à la cathédrale de Narbonne afin de servir

pendant le Carême. Ce n'est pas à vrai dire une peinture

sur bois, mais une grisaille sur soie ou samit"1. S'

encadrant dans l'ensemble des ornements de deuil

spécifiques de la Carême, le dessin n'est pas colorié mais

tracé au pinceau avec de l'encre, tout juste comme les

grisailles des miniaturistes. La composition en est

complexe; on remarque les effigies très réalistes du roi

Charles V et de sa femme Jeanne de Bourbon, agenouillés

de chaque côté du Christ en croix. Quant à l'élégance un

peu sèche du dessin, et à la gracilité des formes, elles font

penser à André Beauneveu de Valenciennes, à la fois

peintre et sculpteur, que Froissart célèbre dans sa

chronique comme le plus grand artiste de cette époque :

"Dessus ce maistre Andrieu, n'avait pour lors meilleur ne le

pareil en nulles terres"2.

Outre cet antependium, on a attribué à André

Beauneveu le Diptyque Wilton (fig. 28) acquis en 1929

par la Galerie Nationale de Londres - National Gallery.

Appelé ainsi parce qu'il fut longtemps conservé - et il s'agit

1 La citation de Froissart figure dans Réau, Louis, Histoire universelle des arts, p. 242.2 Ibidem

36

Page 37: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

d'une conservation exceptionnelle - au château de Wilton

dans la famille des comtes de Pembroke. L'attribution de la

paternité de cet admirable diptyque à Beauneveu a

d'autant plus de vraisemblance que, selon le témoignage

du même Froissart, plusieurs de ses "bons ouvrages étaient

passés au royaume d'Angleterre". Ce diptyque commémore

l'avènement du roi d'Angleterre, Richard Il, assisté

symboliquement par saint Jean-Baptiste et deux de ses

ancêtres canonisés : saint Edmond et saint Edouard le

Confesseur, qui le présentent à la Vierge entourée de

douze anges (symbolisant l'âge du roi) et qui portent brodé

sur leur épaule un cerf blanc, emblème du jeune roi. Le

style, tout à fait analogue à celui des miniaturistes

parisiens, a la même élégance et le même coloris limpide

que le Psautier du duc de Berry, enluminé par le même

André Beauneveu.

Après Paris, Avignon est le centre artistique le plus

important du XIVe siècle, mais la Cité des Papes cultive à

cette époque-là, sous l'influence italienne, les peintures

murales. C' est au siècle suivant que s' épanouira en

Provence une école de peinture presque exclusivement

française.

Quant à la Bourgogne, elle était devenue sous les

premiers ducs un centre artistique de premier ordre,

comparable - grâce à son école de Dijon - à Paris et à la

Provence, avec ce distinguo que les princes successeurs,

Philippe le Bon et Charles le Téméraire s'avéreront plus

37

Page 38: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

flamands que bourguignons. En effet, la plupart des

peintres qui travaillent pour la Chartreuse de Champmol-

lès-Dijon viennent des Flandres. En 1385, Philippe le Hardi

fit venir à Dijon Melchior Broederlam d'Ypres. Celui-ci

peignit les volets latéraux du retable de cette chartreuse

de Champmol, ayant pour sujets la Présentation au Temple

et la Fuite en Egypte (entre 1394 et 1399). L'éclectisme

des influences qu'on y décèle l'inscrit dans ce qu'on

pourrait appeler le courant du "gothique international" :

recherches spatiales d'origine italienne, raffinement et

élégance graphique hérités des miniaturistes parisiens,

mais aussi le souci d'un modèle plus réaliste, le goût des

détails pittoresques et familiers, l'attention portée au

paysage - autant de traits définissant une école

bourguignonne, marquée par la prédominance de

l'influence nordique. Ce retable de Broederlam, qui se

trouve actuellement au Musée de Dijon, annonce le grand

polyptique de l'Agneau mystique de van Eyck.

Devenu en 1397 le peintre du duc de Bourgogne, le

flamand Jean Malouel de Gueldre reçut en 1398 la

commande de cinq tableaux d'autel pour la même

chartreuse de Champmol ; on lui attribue la Pietà Ronde

(datée vers 1400) où le choix du coloris (fig. 29), la

précision du dessin et le traitement réaliste du corps du

Christ dont le rendu du modelé est caractéristique pour les

artistes flamands. Son graphisme comme celui de

Broederlam avait déjà assimilé le raffinement portant la

38

Page 39: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

marque de la miniature parisienne. Jean Malouel

commença probablement la Dernière communion de saint

Denis qui représente le martyre du saint; le tableau était

destiné également à la chartreuse de Champmol,

actuellement on peut l'admirer au Louvre. On voit à gauche

le Christ tendant une hostie à saint Denis dont la tête

mitrée apparaît derrière les barreaux de Sa prison; à droite

il y a le saint à genoux, les yeux bandés, et à côté le

bourreau qui s'apprête à décapiter. Le Christ en croix

sépare tout on les dominant les scènes jumelées de la

Dernière communion et de la Décollation. Ce tableau fut

terminé par André Bellechose de Brabant, le troisième

flamand qui, succédant à Malouel, exécuta (comme peintre

de Jean sans Peur) des peintures pour les résidences du

duc de Bourgogne et pour la Chartreuse de Champmol.

Son œuvre, de même que celle de son prédécesseur est

révélatrice de la tendance franco-flamande du "gothique

international", à la fin du XIVe et au début du XVe siècle :

la même conception narrative médiévale, la marque de l'art

italien (paysage, fond d'or), influence des miniaturistes

parisiens (gestes élégants, coloris limpide) auxquelles

s'ajoute une recherche constante de réalisme dans

l'expression et dans le modelé qui apparaît comme un

apport d'origine flamande.

Au XVe siècle l'importance des ateliers parisiens

commence a décliner. En revanche, une grande activité

continue de se développer dans les provinces moins

39

Page 40: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

éprouvées par la Guerre de Cent ans que l'Île-de-France,

les trois foyers principaux étant l'École bourguignonne de

Dijon, l'École franco-flamande de la France du Nord,

l'École de Provence, auxquelles vient se rattacher, en

quatrième lieu - pendant la seconde moitié du siècle -

l'École de la Loire.

Nous avons déjà remarqué que les ducs de Bourgogne

avaient engagé à leur service, pour la décoration de la

Chartreuse de Champmol, des peintres qui venaient des

Pays-Bas. Toutefois il est permis d'"annexer" Melchior

Broederlam d'Ypres et le Gueldrois Jean Malouel

(Maelweel) à l'histoire de la peinture française du Moyen

Âge, non seulement parce qu'ils ont travaillé pour la Cour

de Dijon, en y épanouissant leur génie créateur, mais aussi

parce qu'ils ont assimilé l'esthétique des miniatures des

miniaturistes parisiens. Ce fut seulement après la mort de

Jean sans Peur, en 1419, que l'École flamande proprement

dite s'est nettement séparée de l'école française.

L'École de peinture bourguignonne a rayonné aussi

loin que l'art gothique en général. En 1418, lorsque le

magistrat de Bâle voulut faire décorer une chapelle, il

invita le peintre Hans Tieffental de Selestat à prendre

modèle sur "la Chartreuse de Dijon en Bourgogne". En

1473, le peintre bourguignon Pierre Spicne est appelé à

Lausanne pour exécuter le retable de la cathédrale.

On peut rattacher à cette école dijonnaise les ateliers

très actifs de la France du Nord avec lesquels elle a eu des

40

Page 41: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

liens artistiques très étroits. C'est à l'École de Picardie

dont le centre était à Amiens qu'appartiennent les

panneaux du retable de la Chartreuse de Saint-Honoré à

Thuison-lès-Abbeville, qui font partie de la collection

Ryerson au Musée de Chicago. Les volets peints sur les

deux faces illustrent d'un côté des scènes de la vie du

Christ, de l'autre des saints de l'ordre des Chartreux : saint

Fugues de Lincoln avec le cygne qui lui sert d'attribut, et

saint Honoré d'Amiens. C'est toujours à la peinture

amiénoise qu'appartient le Sacerdoce de la Vierge (fig. 30),

daté 1437 et acquis dans les années '30 par le Louvre.

Quant à la Flandre française, dont les foyers artistiques

étaient Douai et Valenciennes, ses deux "primitifs" les plus

célèbres sont Simon Marmion (de Valenciennes) et Jean

Bellegambe (de Douai).

Marmion est considéré l'auteur présumé du retable de

saint Bertin, donné vers 1455 à l'abbaye de ce nom, à

Saint-Omer, par l'abbé Guillaume Filastre qui l'avait

commandé. Ce retable était composé de petits panneaux

formant un cycle hagiographique et constituant le pendant

français de la chasse de sainte Ursule décorée par

Memline. La plupart de ces petits panneaux, dont les

scènes étaient traitées avec l'application d'un excellent

miniaturiste, ont été acquis par le Musée de Berlin. Jean

Bellegambe a travaillé surtout pour la puissante abbaye de

Saint-Sauveur d'Anchin et c'est de la que proviennent ses

deux ouvrages les plus connus : le polyptyque de la Sainte

41

Page 42: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

Trinité (actuellement au Musée de Douai) et le triptyque du

Saint Sang (fig. 31, Musée de Lille) - qui est une

paraphrase du Pressoir mystique. Né vers 1480, Jean

Bellegambe représente une génération postérieure à celle

à laquelle appartenait Simon Marmion. Il subit déjà,

superficiellement, l'influence de la Renaissance italienne.

Ses contemporains le. célébraient comme le "maître des

couleurs"; en effet, son coloris est chaud, doré, mais ses

figures allongées, d'une élégance conventionnelle,

semblent manquer d'accent. Il peignit aussi pour les

abbayes de Flines et de Marchiennes.

A la première moitié du XVe siècle, l'empreinte

flamande est presque aussi marquée en Provence qu'en

Bourgogne et dans la France du Nord, bien que le Midi ait

jadis passé pour une dépendance de l'École siennoise. La

réalité est même beaucoup plus complexe. Les maîtres

qu'on groupe sous le nom d'École d'Avignon (mais la Cité

des Papes n'a pas été le seul centre artistique de cette

région où il faut tenir compte aussi de Nice et d'Aix)

venaient de partout. Il y avait parmi eux des Français du

Midi comme Nicolas Froment d'Uzès, des Français du

Nord comme Enguerrand Charonton de Laon, mais aussi

des Flamands et des Catalans. Ce qui pourrait frapper c'est

que l'influence italienne (introduite à Avignon au XIV

siècle par Simone Martini et Matteo di Giovannetti) se soit,

dans leur manière de peindre, tellement affaiblie.

42

Page 43: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

Il est dommage cependant que les deux œuvres les

plus remarquables de la première moitié du XVe siècle, qui

comptent parmi les plus brillantes réalisations de la

peinture française de tout le Moyen Âge, soient restées

anonymes. Ce sont la Pitié de Villeneuve-lès-Avignon

("émigrée" au Musée du Louvre) et le Triptyque de

l'Annonciation (fig. 32 et 33), dont le panneau central est

resté à l'église de la Madeleine d'Aix. On ne se lasse pas

de discuter sur la datation de la Pitié de Villeneuve. Son

fond d'or gaufré est archaïque et rend la date de 1430 la

plus probable. De même, il est difficile de soutenir qu'une

telle œuvre soit postérieure au retable de l'Agneau de Jan

van Eyck. L'admirable manière de peindre la personne du

donateur en surplis blanc agenouillé à gauche de la Vierge

douloureuse tenant sur ses genoux le corps raide du Christ

peut faire penser à l'image du chanoine Van der Pael du

Musée de Bruges, mais sans doute celle-ci est antérieure à

celle-là. Des discussions se sont aussi engagées sur le

maître de l'Annonciation d'Aix, sans apporter pour autant

beaucoup plus de lumière. On a déterminé quand même la

date exacte de ce triptyque (aujourd'hui dépecé, ses volets

étant partagés entre la Collection Cook à Richmond et le

Musée de Bruxelles). Il a dû être exécuté en 1443 pour être

placé au-dessus de la sépulture du drapier Pierre Corpici

dans l'église Saint-Sauveur. On a signalé ses multiples

affinités avec le Maître de Mérode, avec Jan van Eyck,

Sluter et Conrad Witz, voire avec Colantonio qui avait

43

Page 44: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

introduit la manière flamande à Naples. A partir de la

seconde moitié du Ve siècle, les historiens de l'art

commencent à marcher sur un terrain plus solide, vu que

des documents précis nous permettent d'identifier les

œuvres de deux maîtres remarquables : Enguerrand

Charonton et Nicolas Froment.

Le premier, originaire du diocèse de Laon, travailla à

Aix-en-Provence vers 1444 et se fixa en Avignon en

1447.Deux des œuvres qui lui sont attribuées : La Vierge

de miséricorde et Le couronnement de la Vierge

contribuent à la définition du style provençal. Chez

Enguerrand Charonton, la vigueur des formes, le

traitement plastique de certaines physionomies inspirées

de l'art flamand et l'élégance stylisation du dessin sont

subordonnés à une vision d'ensemble monumentale. Sa

composition est complexe mais clairement ordonnée, et

dénote l'adaptation picturale à l'architectonique des

tympans français. Dans le paysage de la prédelle, l'emploi

de la perspective atteste l'influence italienne, pendant que

le caractère de la lumière, qui parvient à découper avec

franchise les volumes, apparaît comme typiquement

provençal. Les deux tableaux de Charonton (son non

patronymique présente encore trois autres variantes :

Quarton, Charton et Charreton) furent exactement datés :

La Vierge de miséricorde fut commandée en 1452 par

Pierre Cadart pour les Célestins d'Avignon et peut être

admirée à présent au Musée Condé à Chantilly; Le

44

Page 45: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

couronnement de la Vierge fut peint en 1454 pour les

Chartreux de Villeneuve-lès-Avignon et se trouve au Musée

de l'Hospice.

De Nicolas Froment, on n'hérite également que de

deux triptyques dont l'authenticité soit certaine : La

Résurrection de Lazare et Le Buisson ardent. C'est en

Italie où il séjourna vers 1461 qu'il exécuta le retable de La

Résurrection de Lazare pour les Observantins de Muggello.

Le dessin en est sec et anguleux; la dureté des formes, leur

caractère tourmenté portent l'empreinte de l'art flamand.

Il est surprenant que le séjour du peintre à Florence ait

laissé Si peu de traces dans cette œuvre. Quant au Buisson

ardent (fig. 34), commandé en 1475 par le roi René pour

l'église des Carmes d'Aix, on remarque un progrès sensible

au point de vue de la composition et de l'entente du

paysage; cependant, là encore, Nicolas Froment tient

beaucoup plus de Jan van Eyck et Jean Fouquet que de

Botticelli (la minutie de la description est d'inspiration

flamande, les emprunts florentins se résumant aux

lointains du paysage). Le sujet véritable du tableau est

plutôt L'Annonciation à Joachim parce que le panneau

central du triptyque représente non la vision de Moïse,

comme on le dit généralement, mais Joachim retiré au

milieu de ses troupeaux, après le refus ignominieux de son

offrande au Temple. Un ange lui annonce que sa femme

Anne, jusqu'alors stérile, enfantera une fille conçue sans

péché d'où naîtra le fils de Dieu (le sujet est puisé dans

45

Page 46: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

l'évangile apocryphe de Saint Jacques et illustre le dogme

de l'Immaculée Conception). Le message de l'ange se

matérialise dans le haut du panneau central par

l'apparition de la Vierge tenant dans ses bras l'Enfant Jésus

sur le buisson ardent et pourtant incombustible, symbole

de la pureté de Marie qui avait reçu la flamme divine de sa

maternité virginale, selon les conventions, le beau paysage

sur lequel se détache cette vision mystique est encadré par

les portraits réalistes des donateurs le roi René présenté

par sainte Madeleine, patronne de la Provence, et Jeanne

de Laval - la reine, à la physionomie peinte avec le même

réalisme, sans ménagements; celle-ci est recommandée par

saint Jean l'Évangéliste1.

On attribue encore à Nicolas Froment, le plus grand

nom de cette École d'Avignon, un diptyque avec les

portraits du roi René et de sa femme - réplique en petit des

portraits du triptyque d'Aix, et un retable de la Légende

de saint Mitre représenté, comme saint Denis en

céphalophore.

Actuellement, La résurrection de Lazare, se trouve

au Musée des Offices de Florence, le triptyque du Buisson

ardent à la Cathédrale Saint-Sauveur d'Aix tout comme La

Légende de saint Mitre. Ce sont, avec les deux tableaux

d'Enguerrand Charonton, les œuvres capitales de la

peinture provençale du XV siècle. D'autres retables

valeureux de cette époque peuvent être parallèlement 1 Une autre interprétation considère que sur les volets le roi René est présenté par Saint Maurice, patron de la cathédrale d'Angers, saint Antoine et sainte Madeleine, tandis que sa femme est patronnée par saint Jean-Baptiste, saint Nicolas et sainte Catherine.

46

Page 47: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

localisés à Paris avec une entière certitude, l'École

parisienne continuant de s'avérer productive. Le Retable

du Parlement de Paris, peint vers 1460, à la fin du règne

de Charles VII est du nombre. De chaque côté du Christ

crucifié sont rangés les saints protecteurs de Paris et du

royaume de France : saint Denis décapité portant sa tête

("céphalophore"); saint Charlemagne coiffé d'un bonnet

pointu qui lui donne l'air d'un vieil enchanteur; saint Louis

en manteau fleurdelisé (symbole de la royauté française)

qui, toujours selon l'usage, est représenté sous les traits

physionomiques du roi régnant Charles VII. Ce qui est

encore plus caractéristique c'est que le fond de décor

propose des vues du vénérable Paris médiéval : derrière

Charlemagne, on découvre la Palais de la Cité et derrière

saint 'Jouis, on reconnaît la Tour de Nesle. Cela prouve que

ce retable a été peint à Paris. Une conclusion similaire a

été tirée pour un triptyque certainement commandé par le

même roi de France pour l'abbaye de Saint-Denis,

représentant, au centre, des scènes de la légende de saint

Denis et ayant pour compléments, sur les volets, les

légendes de saint Remi et de saint Gilles1. Le décor de

toutes ces scènes atteste que le Maître de Saint Gilles

(probablement formé dans les Pays-Bas) était familier avec

les monuments de Paris, étant donné que saint Remi bénit

le peuple sur le parvis de Notre-Dame et qutil baptise

1 Saint Rémi a baptisé le roi des Francs, Clovis, dans la basilique de Reims. Saint Gilles est également associé à la monarchie française pour laquelle il avait célébré la messe en présence de Charles Martel (ou de Charlemagne) qui n'osait lui confesser un péché avouable.

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Page 48: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

Clovis à l'entrée de la Sainte-Chapelle; quant à saint Gilles,

celui-ci célèbre la messe devant le retable crucifère en or

de Saint-Denis.

La dernière en date des Écoles de Primitifs français est

l'École de Tours1, appellation à laquelle certains critiques

d'art préfèrent celle d'École de Touraine car, si Fouquet et

Bourdichon ont vécu a Tours, le Maître de Moulins a

travaillé dans le Bourbonnais.

On suppose que Jean Fouquet (son nom patronymique

connaît aussi la variante orthographique Foucquet), né

vers 1420 à Tours, s'est formé dans les ateliers des

Limbourg. C'est dommage que nous ne puissions juger

maintenant du talent de ce grand maître que par quelques

portraits. Il a exécuté le Portrait de Charles VII (fig. 35)

avant de se rendre en Italie (vers 1445-1448). Tout jeune

encore et déjà célèbre, il a été chargé, a Rome, de peindre

le portrait (perdu) du pape Eugène IV. Lors de son séjour

en Italie, il assimile les découvertes d'Alberti sur la

perspective se lie avec Filareti et adopte les modèles

d'architecture et les motifs ornementaux italiens. Revenu à

Tours, Fouquet travaillera pour Charles VII et pour Etienne

Chevalier, puis devint le peintre officiel de Louis XI (à

partir de 1454). Parmi ses peintures qui ont été

conservées, on compte le portrait de Jurenal des Ursins et

le diptyque dit de Melum représentant Etienne Chevalier

assisté par saint Etienne et, au centre, La Vierge à

1 Elle précède de peu l'École de Fontainebleau, qui consacrera le triomphe, en France, de la Renaissance italienne.

48

Page 49: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

l'Enfant (fig. 36), une Vierge au sein nu, figurée sans

doute sous les traits d'Agnès Sorel, la favorite de Charles

Vile L'acuité psychologique, l'attention portée au réel, la

subordination des détails à l'effet d'ensemble, le sens de

l'organisation des masses, le caractère sculptural des

formes aux volumes lisses et arrondis, tous ces traits

stylistiques s'allient dans l'expression au sentiment

religieux. Fouquet fut aussi un peintre sur émail

(Autoportrait) et, comme nous l'avons déjà remarqué, un

exceptionnel miniaturiste ; la variété de ses recherches

techniques, l'ampleur de sa vision picturale et le caractère

synthétique de celle-ci en font le plus important peintre

français du XVe siècle.

Connu lui aussi comme un grand miniaturiste, Jean

Bourdichon fut en faveur auprès de Louis XI et puis de

Charles VIII dont il devint le peintre attitré en 1484. On lui

attribue le triptyque de l'église Saint-Antoine de Loches

( provenant de la Chartreuse du Liget), une Adoration des

Mages et un second triptyque (au Musée de Naples)

représentant la Vierge entre les deux saint Jean. Dans le

domaine du portrait, on lui doit la délicieuse physionomie

du dauphin Charles-Orland, fils aîné de Charles VIII

(Collection Beistegui), et celles aussi de louis XII, d'Anne

de Bretagne et de saint François de Paule. Jean Bourdichon

cherchait surtout à rendre la grâce des gestes et des

visages. En outre, il exécuta de multiples travaux de

décoration. Il n'est pas dépourvu d'intérêt de rappeler qu'il

49

Page 50: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

fut chargé par François Ier de la décoration du Camp du

Drap d'Or, en 1520. On voit aussi que son activité

artistique dépasse les frontières sa du XVe siècle, s'ouvrant

vers les perspectives de la Renaissance française.

Mais le plus remarquable des peintres de l'École de

Touraine après Jean Fouquet, est cet artiste qu'on a baptisé

Maître de Moulins (d'après son chef-d'œuvre qui est le

triptyque de la cathédrale de Moulins) et qui peut être

identifié avec une quasi-certitude avec Jean Perréal1. A

estimer l'âge apparent des donateurs, ce grand triptyque

se placerait vers 1498. Oeuvre capitale du "Quattrocento"2

français, il représente au centre la Vierge couronnée par

les anges ; sur les volets il y a Pierre de Bourbon et sa

femme Anne de Beaujeu (fig. 37), présentés par saint

Pierre et sainte Anne. L'attention portée au détail, les

particularités du dessin trahissent une formation flamande;

d'autre part, la composition ample, clairement ordonnée,

inspirée d'ailleurs de la tradition sculpturale médiévale, la

plasticité des formes apparentées à Fouquet, l'expression

retenue et gracieuse, somme toute - son iconographie -

constituent un ensemble de caractères typiquement

français. Il s'agit là, donc, d'une des œuvres maîtresses de

la peinture française avant l'irruption de l'italianisme.

"C'est sur ce chef-d'œuvre que s'achève l'histoire de la

1 Ce peintre a été tour à tour identifié à Jean Perréal, Jean Bourdichon, Jean Hey, Jean Prévost, à un élève de Van der Weyden.2 On a regroupé autour de cette œuvre plusieurs tableaux qui lui sont apparentés par le style, notamment la Nativité (fig. 38) dite du Cardinal de Rolin (vers 1480-1483), les Portraits de Pierre de Bourbon et Anne de France (vers 1492) et Une jeune prieuse (probablement Marguerite d'Autriche.

50

Page 51: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

peinture française du Moyen Âge, qui va subir, à partir de

l'expédition de Charles VIII à Naples, l'assaut de la

Renaissance italienne que le roi ramena dans ses

fourgons"1.

Ces progrès artistiques enregistrés par le Moyen Âge

démontrent la vitalité intarissable de l'art gothique durant

quatre siècles. Ils ont eu une incidence féconde sur

l'évolution des industries qui ont changé, en les

embellissant, les conditions matérielles de la vie. On ne

possède malheureusement, il est vrai, qu'un très petit

nombre d'orfèvrerie et d'étoffes du XIIe et du XIIIe siècles;

peu d'objets en métal précieux ont échappé à la fonte.

Mais, quoique le patrimoine artistique légué par cette

époque ait été dilapidé, les anciens inventaires,

l'iconographie des manuscrits, les recueils de recettes

techniques tels que la Schedula de Théophile, et d'autres

"épaves" font cependant assez bien connaître le style et les

modes de fabrication de la plupart des objets dont se

servaient les Français du Moyen Âge, leur costume, leur

mobilier, leurs armes, leurs bijoux, relevant de ce qu'on

pourrait appeler, par une formule générique, les "arts

mineurs".

Parmi les industries d'art, l'une des plus florissante

était l'émaillerie, qui fut pratiquée de très bonne heure

dans la ville de Limoges et dans les vallées de la Meuse et

du Rhin. Les émaux limousins, champlevés ou en taille

1 RÉAU, Louis, op. cit., p. 253.

51

Page 52: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

d'épargne, (fig. 39) jouissaient dès le XIIe siècle d'une

réputation européenne.

L'émail de Geoffroi Plantagenet (au Musée du Mans)

et le ciboire d'Algais (au Louvre) sont deux chefs-d'œuvre

célèbres. Les ateliers limousins ont atteint au XIIIe siècle

l'apogée de la prospérité. La tapisserie de haute lice était

déjà connue depuis longtemps au XII siècle (tapisseries du

dôme d'Halberstadt); et nous savons que Limoges et

Poitiers tissaient dès cette époque des tentures

décoratives. Au XIII e siècle, Paris et Arras avaient déjà des

fabriques renommées, mais il ne paraît pas que l'on ait

conservé aucun échantillon de leur produit. L'industrie du

tissage de la soie et de la laine ne semble pas avoir été

pratiquée en Occident, sur une grande échelle, et les

étoffes précieuses (samit, cendal, camelot) venaient en

France de Sicile ou d'Asie Mineure. Quant aux étoffes

communes, la fabrique locale suffisait largement à la

consommation.

"Au XIIe siècle, dit Quicherat, d'énormes quantités de

draps se fabriquaient en Flandre, en Picardie, en

Champagne, en Languedoc. Presque toute la population

des grandes villes, dans ces provinces, y mettaient la main.

Chacune avait son espèce particulière qu'on reconnaissait

au tissu et à la teinture"1. Par conséquent, il n'était pas

surprenant que la France fût célèbre en Europe pour ses

tissus rayés. Les arts du bois : charpenterie, hucherie,

menuiserie ont atteint au Moyen Âge un degré de

52

Page 53: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

perfection unique. Au XIIe et au XIIIe siècles, les meubles

étaient faits en menuiserie plate, revêtue d'applications de

cuir, de toiles peintes ou de ferronneries décoratives. Tels

sont les bahuts du XIIIe siècle que l'on conserve au Musée

Carnavalet à Paris et à la cathédrale de Noyon; ajoutons-y

les armoires de Noyon, d'Obazine et de Bayeux. Vers la fin

du règne de saint Louis, la mode s'introduisit d' enrichir les

panneaux de bas-reliefs sculptés en plein bois (comme, par

exemple, le bahut du Musée de Cluny). Mais c'est dans

l'ornementation des stalles du chœur que triomphait l'art

des huchiers; les plus anciennes stalles en bois ouvré se

voient aujourd'hui encore à Notre-Dame de la Roche (en

Seine-et-Oise), à la cathédrale de Poitiers et Saint-Andoche

de Saulieu.

Les "fèvres"1 ou forgerons, qui travaillaient les métaux

au marteau, savaient les assouplir de manière à créer ces

pentures, en forme de feuillages ou de rinceaux

symétriques que les plus habiles praticiens d'aujourd'hui

admirent aux vantaux des portes de Notre-Dame de Paris

(fig. 40). Une comparaison du style de ces peintures avec

celui des ferronneries du bahut précité de Carnavalet (qui

provient, dit-on, de l'abbaye de Saint-Denis) prouve, sur le

plan créateur de l'inspiration de ces artisans d'élite, dans

le détail.

Grâce au penchant pour le faste, la magnifique et la

somptuosité, dont témoignaient non seulement les rois et

les seigneurs, mais aussi les grands bourgeois et les 1 C'est-à-dire artisan: "fèvre" dérive du lat. "faber", artisan travaillant les métaux, ouvrier.

53

Page 54: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

chanoines, l'orfèvrerie se développe et devient vite

florissante. Les orfèvres, d'après la Schedula de 'Théophile,

savaient merveilleusement graver les métaux précieux au

burin et à la peinte; ils exécutaient au repoussé des bas-

reliefs et des figures et terminaient leurs ouvrages par la

ciselure, tout en les ornant de nielles. Ils fondaient aussi, a

cire perdue, de très grandes pièces comme l'oeuvre

capitale de la plastique en bronze - la tombe de l'évêque

Evrard de Fouilloi, exécutée en 1223, dans la cathédrale

d'Amiens. De tous les trésors créés par ces orfèvres, qu'il

s'agisse du trésor de Charles V (dont l'inventaire compre-

nait près de quatre mille numéros, ou de celui de son frère,

le duc d'Anjou, qui en comptait huit cent), qu'il s'agisse

aussi des trésors des cathédrales ou de ceux des églises de

pèlerinage, il n'en reste plus de nos jours qu'un infime

partie. N'oublions pas que "ces objets d'or et d'argent

enrichis de perles et de pierres précieuses n 'étaient pas

considérés seulement pour leur valeur d'art; ils étaient, au

vrai, une réserve de numéraire où l'on puisait lorsque

besoin était; beaucoup d'entre eux furent fondus au

moment des guerres dé religion"1.

Sans conteste, le centre principal de fabrication était

encore Paris. Au XIIIe siècle et au début du IVe, c'est

l'architecture qui impose ses formes à l'orfèvrerie (tout

comme dans le vitrail et dans la miniature); en témoignent

les ciboires de Sens et de Saint-Rémi de Reims et les

reliquaires de la Sainte-Épine d'Arras et de Saint-Maurice 1 AUBERT, Marcel, Le Gothique à son apogée, Eds. Albin Michel, Paris, 1964, p. 122.

54

Page 55: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

d'Agaure. L'architecture fournit également des modèles

strictement imités : bon nombre de châsses (comme celles

de saint Tourin d'Evreux et de Sainte Gertrude de Nivelle)

reproduisent des chapelles avec leurs voûtes d'ogives et

leurs arcs-boutants. Plus on avance dans le XIVe siècle,

plus l'orfèvrerie s'inspire de la sculpture monumentale,

surtout si l'on prend en considération les bustes-reliquaires

(tels celui de saint Louis, jadis à la Sainte-Chapelle, ou

celui de saint Martin à Soudeilles, ou bien encore celui de

saint Agapit à Touriac. Notons aussi les belles statues de la

Vierge, des saints et des anges. Parmi les réalisations les

plus brillantes des orfèvres médiévaux, on peut rappeler

les anges agenouillés de Jaucourt et notamment cette

Vierge (aujourd'hui au Louvre) que donna en 1339 à Saint-

Denis. Jeanne d'Evreux, reine de France (de 1324 à 1328,

morte en 1371>, toujours prête à encourager les artistes.

La statuette d'orfèvrerie et émail, d'une hauteur de 40 cm.

environ est fixée sur un socle en forme de châsse, ayant

une articulation architecturale et de petits contreforts

figurent des statuettes miniaturisées. Celles-ci "encadrent

quatorze plaquettes de vermeil et d'émail représentant des

scènes de la vie et de la Passion du Christ; c'est le plus

ancien objet en émail de l'école parisienne d'orfèvrerie. La

Vierge elle-même est un anaglyphe en vermeil. L'œuvre est

parente, par le style, de la Vierge de l'entrée du chœur de

Notre-Dame de Paris..."1.A' la longue, petit à petit, dans

l'orfèvrerie on constate que les formes architectoniques 1 Ibidem.

55

Page 56: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

(imitation d'édifices, surtout religieux) et sculpturales

cèdent de plus en plus la place, au XVe siècle, à des formes

inspirées du règne animal; de même que dans la

dinanderie de l'époque, on y trouve en foule des vases

ayant l'aspect de quadrupèdes de bipèdes; la manière et

les intentions sont souvent caricaturales, satiriques, la

ferveur religieuse étant en baisse. On énumère ainsi : "un

singe coiffé d'une mitre d'évêque et donnant la

bénédiction; une dame qui a la moitié du corps de femme

et l'autre partie de bête sauvage; un coq; un lion; un

griffon, un homme séant sur un entablement doré et ciselé;

un serpent volant"1, etc., etc.

Branche accessoire de l'orfèvrerie, la dinanderie prit

un essor tout particulier dans la vallée de la Meuse. Le plus

connu des ateliers qui fabriquèrent du XIIIe au XIVe siècle,

en production quasi industrielle, quantité d'objets en

dinanderie, fonts baptismaux, lutrins, chandeliers,

colonnettes, aiguières, aquamaniles, se trouvait à Namur

et était patronné par Hugues d'Oignies.

L'ivoirerie; l'un des multiples avatars de l'art gothique

rayonnant - tenait également la première place à la fin du

XIII e siècle et au début du XIVe siècle. Un grand nombre

de petits autels portatifs et de statuettes d'ivoire sont

aujourd'hui conservés au Musée du Louvre et au Musée de

Cluny. Avec ces objets d'art fonctionnel, la religion entrait

dans l'intimité des foyers et rejoignait une certaine forme

de piété intérieure. Ces statuettes que les croyants 1 Inventaire du Duc d'Anjou, n°77, 302, 305, 306 …, cité par Larisse &Rambaud, op. cit., p. 280.

56

Page 57: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

admirent tant étaient, au fond, la réduction des figures et

des groupes statuaires qu ils vénéraient au portail des

cathédrales et à l'intérieur des églises, taillés dans la

pierre, le marbre et le bois. Elles représentaient la Vierge à

l'Enfant, le Couronnement de la Vierge, la Crucifixion, la

Descente de croix, et, sur des diptyques, triptyques et

polyptyques d'un exquis raffinement artistique, les scènes

de l'enfance du Christ et sa Passion. Mais les ivoiriers

produisaient aussi de banales valves de miroir, des coffrets,

des peignes, décorés - on le devine - de scènes d'amour, de

chasse et de tournois, prises aux romans courtois les plus

célèbres et traitées avec une délicatesse égale à celle des

plus charmants miniatures de la même époque.

Dans ce grand système de référence historique qu'est

l'apogée du Moyen Âge, on ne saurait ignorer un autre art

révélateur de la sensibilité esthétique de l'Homme

médiéval, l'art musical. Sa transformation capitale fut

déclenchée par la polyphonie qui avait commencé de façon

très rudimentaire par l'emploi d'instruments comme la

cornemuse, la vielle à manivelle et l'orgue portatif qui

permettaient de faire entendre deux ou plusieurs sons

simultanés, dont l'un restait fixe. Rudimentaires aussi

furent les premiers essais de polyphonie vocale apparus

dès le IXe siècle dans l'organum où deux chants

marchaient ensemble, note contre note à intervalle de

quarte ou de quinte, forme primitive du contrepoint.

57

Page 58: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

Mais c'est au milieu du XII e siècle à la fin du XIII e

siècle que la maîtrise de Notre-Darne de Paris, avec

l'organiste Lèonim et son disciple Pérotin, en développant

les organa et en y ajoutant les formes du motet et du

conduit, fondèrent les règles de la polyphonie auxquelles

fut donné plus tard le nom d'ars antiqua. Trois ou quatre

lignes mélodiques, de plus en plus variées et souples, se

marièrent alors en une musique austère et émouvante.

Parallèlement à cette musique d'église courait

librement la très ancienne chanson populaire associée à la

danse et accompagnée d'instruments, avec sa coupe

traditionnelle : couplet - refrain. Il est possible en revanche

de dater la naissance de la chanson aristocratique qui

participe de l'esprit courtois, oeuvres des troubadours du

Midi, puis des trouvères du Nord. Son "mysticisme

amoureux"1 a dicté de bien délicates mélodies. Consé-

quence naturelle - au nord et notamment à Arras, la

chanson de trouvère prit au XIIIe siècle un caractère

bourgeois, ironique et satirique. Le plus inspiré de ces

"trouvères urbains"2 fut Adam de la Halle, dit le Bossu,

auteur du texte et de la musique du Jeu de Robin et de

Marion.

Les XIVe et XVe siècles voient s'enrichir et atteindre les

plus hauts sommets de virtuosité la polyphonie vocale. A

l'ars antique des créateurs de l'époque précédente succède

l'ars nova élaboré par Philippe de Vitry qui affirme le

1 BLANCPAIN, M. et COUCHOUD, Jean-Paul, op. cit., p. 100.2 Ibidem.

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Page 59: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

langage par l'emploi de la "sensible", ouvrant la voie aux

tonalités majeure et mineure, et par celui des accords de

tierce et de sixte. Le maître de la nouvelle technique

musicale est le poète musicien Guillaume de Machaut

(1300-1377>, auteur d'une Messe a quatre voix.

Au XVe siècle, la musique rayonne d'un foyer d'une

étonnante vitalité à la partie septentrionale de l'Etat

bourguignon, Artois et Flandres. Une belle pléiade de

maîtres franco-flamands jalonne tout le siècle et au-delà ;

Guillaume Dufay, Gilles Binchois, Jan van Ockeghem, Jacob

Obrecht et le plus grand de tous : Josquin des Prés. Leurs

oeuvres, qui s'apparentent par le style (mais avec des

profondeurs diverses) se divisent en musique religieuse

(messes, motets, psaumes) et musique profane (chansons

polyphoniques). A l'usage d'un contrepoint atteignant un

raffinement extrême, des trouvailles harmoniques subtiles,

ils joignent une sensibilité, une émotion mystique, une vie

foisonnante qui font de cette période un grand moment de

l'histoire de la musique universelle, ce "langage naturel de

l'âme", comme disait Romain Rolland dans son Jean-

Christophe.

En parcourant, de la sorte, domaine après domaine, on

est tenté de dire qu'au Moyen Âge, non seulement l'Église

est riche et puissante, mais elle domine et dirige presque

toutes les manifestations de l'activité créatrice humaine. Il

semble qu'il n'y ait d'art proprement dit que celui qu'elle

encourage, que celui dont elle a besoin pour construire,

59

Page 60: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

orner et faire briller ses édifices, pour ciseler ses ivoires et

ses reliquaires, peindre ses vitraux ou ses missels, faire

vibrer ses chants liturgiques et, à la fois, l'âme des fidèles.

Certes, au premier rang. de ces arts est l'architecture, qui

n' a jamais tenu dans aucune société une place aussi

grande. Dès 1833, d'ailleurs, Jules Michelet y faisait écho

dans les pagés de son Histoire de France, qu'il consacrait à

l'église du Moyen Âge: l'église était alors le vrai domicile

du peuple... Il n'y avait qu'une maison, à vrai dire, la

maison de Dieu"1. Aujourd'hui encore et toujours il suffit

d'entrer dans une de ces cathédrales mondialement

connues comme celles de Chartres, Paris, Reims, Amiens,

Bourges et Beauvais, pour recevoir l'impression de la force

énorme qui s' y manifeste et qui, pendant des siècles, a

façonné les destinées de l'Europe.

Il en va de même de la matrice esthétique de cette

force créatrice étant sous le pouvoir de tutelle de l'Église,

le style gothique. Son empreinte, ses caractéristiques

peuvent être décelées partout au Moyen Âge, dans

l'architecture militaire, par exemple, qui, par suite de sa

destination est plus robuste et plus simple que celle des

cathédrales. Elle est, en outre, beaucoup moins

conservatrice et astreinte à se renouveler constamment, à

se "mettre à jour" pour neutraliser et déjouer par une

défense appropriée les progrès de l'attaque. Le Château-

Gaillard en Vexin (puissante forteresse construite en 1197

par Richard Cœur de Lion, sur une falaise crayeuse 1 Cité par Marcel Pobé in Splendeur gothique en France, Eds. Braun et Cie,Paris, 1960, p. 8.

60

Page 61: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

dominant le cours de la Seine, véritable "verrou de

Rouen"), le château d'Angers (ancienne forteresse des

comtes d'Anjou au bord de La Maine, rebâti et agrandi par

saint Louis), le château de Coucy (commencé vers 1230 par

Enguerrand III et remanié au XIVe par Louis d'Orléans,

ayant son énorme donjon circulaire éventré par les

Allemands en retraite à la fin de la première guerre

mondiale), le château de Vincennes (moins maltraité, élevé

par l'architecte favori de Charles V, Raymond du Temple),

la célèbre Cité de Carcassonne (acropole féodale dont

l'enceinte wisigothique du Ve siècle fut complétée au XIIIe

siècle sous Saint Louis et Philippe le Hardi) constituent

autant de témoins en pierre de l'omnipotence du gothique.

Cet art a aussi l'apanage des résidences royales et

princières et même de simples habitations bourgeoises.

Elles conservent pendant tout le Moyen Âge une certaine

apparence militaire qui survivra jusque dans les châteaux

de la Renaissance (tels que Chambord et Langeais). Le

Palais de la Cité et le Vieux Louvre de Charles V à Paris, le

Palais des papes d'Avignon, bien qu'ayant des allures de

forteresse, appartiennent, comme les hôtels de ville, dont

le beffroi est à la fois clocher et donjon, à l'architecture

civile gothique. Il en ressort donc qu'il n'y avait pas de

cloison étanche entre ces divers types de constructions, et

que les architectes n'étaient: pas spécialisés dans un seul

genre. Tel d'entre eux qui avait construit une église était

tout aussi capable de construire un château fort ou un

61

Page 62: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

palais. Les bâtiments monastiques tenaient, on s'en

aperçoit facilement, à la fois de l'architecture religieuse et

civile, car des abbayes fortifiées, comme la cathédrale

d'Albi et le Mont Saint-Michel, pouvaient servir à l'occasion

de forteresses. Si l'église, qui est "la maison de Dieu", s'

avère comme il se doit, plus haute, plus vaste, plus

fastueuse que les divers types d'habitations profanes (logis

bourgeois, châteaux seigneuriaux ou même palais royaux),

les principes de construction dérivant de la matrice

gothique restent les mêmes. Seules les proportions

diffèrent ainsi que les plans nécessairement adaptés aux

fonctions liturgiques, et régis par le symbolisme chrétien.

Cette grande envergure de l'art gothique, véritable art

national, explique la résistance obstinée qu'il opposa à l'art

"ultramontain"1. Avant l'expédition de Charles VIII en Italie

(495) on ne constate que des traces sporadiques de

l'influence italienne en France. Le roi René d'Anjou (en

même temps comte de Provence et roi de Sicile) en fut un

des premiers fourriers.

Il attira en Provence Francesco Laurana qui décora, à

la Major de Marseille, la Chapelle Saint-Lazare et exécuta

de 1478 à1480 un grand bas-relief en marbre du

Portement de croix pour les Célestins d'Avignon. D'autre

part, Jean Fouquet fit vers 1445, nous l'avons déjà vu, un

séjour à Rome d'où il rapporta le goût de l'ornementation à

1 Du latin médiéval "ultramontanus", signifiant "qui est au-delà des montagnes", et spécialement au-delà des Alpes par rapport à la France; le sens restreint de cette expression est "qui soutient la position traditionnelle de l'Église italienne (pouvoir absolu du pape), sens opposé à "gallican". Dans notre texte, il s'agit d'un sens figuré: "l'art italien de la Renaissance".

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Page 63: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

l'antique. En 1461, Nicolas Froment se trouvait à Florence.

Cependant ces peintres ne sont pas à vrai dire

italianisants. C'est seulement pendant les guerres de

magnificence, après 1495, que les rois de France et leurs

courtisans s'engouent de l'art italien et engagent à leur

service des artistes d'outre-monts. Mais le style gothique

ne se laisse pas éliminer sans résistance. Les architectes

français restent longtemps encore fidèles su style

flamboyant. C'est même l'époque où Jean Texier de Beauce

élève de 1507 à1515 le clocher neuf de la cathédrale de

Chartres, et où s'achèvent à Rouen la Tour de Beurre de la

cathédrale et le Palais de Justice (qui n'ont à coup sûr rien

d'italien). A Paris, de toute évidence, la Tour de Saint-

Jacques la Boucherie qui date de 1509-1523 est encore

gothique. A Troyes, en Champagne, le groupe de la

Visitation et la statue de sainte Marthe restent toujours

fidèles au réalisme bourgeois de vieille souche gothique.

Ce n'est qu'après 1530 que l'école locale se laisse

contaminer par le voisinage de la colonie d'artistes italiens

de Fontainebleau. Suite de l'influence flamande, la Picardie

résiste mieux encore à l'italianisme, et la façade de Saint-

Vulfran d'Abbeville, achevée en 1536, est conçue dans le

plus pur style flamboyant. De surcroît, les stalles de la

cathédrale d'Amiens, exécutées de 1508 à 1522,

représentent un des exemple des plus convaincants de la

résistance du gothique dans le premier quart du XVIe

siècle, devant l'offensive de l'art italien de la Renaissance.

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Page 64: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

Néanmoins, la Renaissance continue à s'infiltrer en France

et gagne peu à peu du. terrain, parce que le roi lui-même

introduit "l'ennemi" dans son château de Fontainebleau, en

y créant un poste avancé de Rome. C'est à peine alors que

l'art gothique - art national par excellence - lâchera pied,

trahi après avoir épuisé tous ses moyens de résistance.

Pourrait-on répondre tout simplement par un oui ou par un

non à la question, si souvent débattue, de savoir si la.

révolution artistique amenée par la Renaissance a eu des

conséquences favorables ou néfastes pour l'art français, si

elle l'a régénéré ou dévoyé. Louis Réau a formulé aussi

bien la question que sa réponse dans ces termes

inoubliables : "Peut-être l'art gothique arrivait-il au bout de

sa course? Peut-être avait-il dit son dernier mot et était-il

condamne à se répéter? Même s'il en est ainsi, on ne peut

s'empêcher de regretter qu'un art de Cour, raffiné, mais

conventionnel, ait étouffé l'art populaire et qu'un fossé se

soit creusé entre l'art et le peuple. Mais la rupture est

peut-être plus apparente que réelle. Chez nos grands

artistes classiques du XVIe et du XVIIe siècle l'esprit du

Moyen Âge reste toujours vivant. Malgré le retour à

l'antique, qui est d'ailleurs conforme au génie latin, le

passé gothique survit inconsciemment en chacun de nous,

latent, mais indestructible"1.

Nous ne saurions conclure, à la fin de ce périple à travers

l'art gothique, sans rendre hommage au génie d'une

pléiade d'esprits visionnaires et novateurs dans le domaine 1 RÉAU, Louis, op. cit., p. 162.

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Page 65: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

de l'archéologie, de l'histoire des civilisations et de

l'histoire de l'art en particulier, qui ont marqué de façon

indéniable la redécouverte et la consécration du potentiel

esthétique du Moyen Âge, l'indéniable authenticité de ses

chefs-d'œuvre et leur réverbérations symboliques. C'est à

ces esprits que l'on doit des interventions décisives, suivies

de résultats tangibles et durables : la sauvegarde de

monuments menacées, la restauration d'édifices médiévaux

tombés en ruine. Ajoutons que la plupart des églises et des

châteaux du Moyen Âge restés debout jusqu'à maintenant,

le sont ainsi grâce aux soins que l'autorité officielle

responsable et l'initiative privée généreuse leur ont

accordés non seulement pour assurer leur survie, mais

encore pour remettre en lumière leur valeur patrimoniale

et spirituelle intrinsèque, et leur beauté. Tous ces

monuments "ressuscités" ont dû être, en outre, restaurés à

la longue, de plus en plus fidèlement, et étudiés, élucidés

par des monographies spéciales, à l'aide d'un imposant

appareil scientifique, mis en œuvre pour en explorer les

moindres détails, la chronologie minutieuse de leur

construction, en passant de la plus sèche mensuration

technique, par les particularités expressives de leur forme,

et aboutissant à la plus sublime interprétation

philosophique. De la sorte, la longue patience de l'érudition

a répondu aux pressentiments de quelques visionnaires du

début du XIXe siècle, tels Chateaubriand et Victor Hugo,

qui ont su déterminer un changement de sensibilité, de

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Page 66: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

mentalité et, en dernier ressort, de perspective esthétique.

Cet immense travail de redécouverte, de réhabilitation et

restauration inspirée des pionniers : Viollet-le-Duc,

Quicherat, Lefèvre-Pontalis, Lasteyrie - explorateurs et

commentateurs de l'art gothique, jusqu'aux synthèses de

référence de leurs successeurs : Mâle, Focillon, Louise

Lefrançois Pillon, Réau, Aubert et tant d'autres. Monteront

sur le même podium leurs collègues étrangers : Dehio,

Bezold, Vöge, Gall, Baum, Dvorak, Worringer, Kunze,

Sedlmayr, Bauch, Jantzen, Panofsky et Moore qui peuvent

également et constamment nous servir de guide quand il

faudra nous orienter et faire un choix significatif dans la

surabondance de monuments qu'ils ont inventorié et

classifiés. Grâce au rayonnement de leur pensée efficace

"le trésor longtemps enfoui de notre patrimoine gothique

est redevenu une richesse vivante, féconde, indispensable

à la vie présente et future de l'occident, car, selon le mot

sévère de Santayana : «qui ignore le passé est forcé de le

répéter». Fort heureusement, de jeunes savants font la

relève"1.

Tout cela prouve que la prodigieuse renaissance du

gothique en pleine ère positiviste et pragmatique a fini par

déterminer dans la modernité qui nous est propre une

restructuration de notre fonds spirituel, influençant

conséquemment notre physionomie culturelle. Aussi ne

pouvons-nous plus aujourd'hui aborder les œuvres

engendrées entre le milieu du XIIe siècle et le début du 1 POBÉ, Marcel, op. cit., p. 9.

66

Page 67: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

XVIe siècle, sans être tout de suite assaillis par une

multitude de réminiscences artistiques et littéraires,

foisonnant de connotations symboliques et de valeurs

spirituelles, justement parce que ces générations de

chercheurs nous ont devancés et nous ont légué leurs

conquêtes.

Un témoignage sui generis, étant donné qu'il vient d'un

horizon culturel adjacent à celui français, nous est porté

par l'écrivain allemand Ernest Jünger. De retour dans la

France de sa jeunesse, mais cette fois dans une posture

ignoble, avec les armées d'invasion en 1940, il s'est vu

confier pour quelques jours la surveillance de la cathédrale

de Laon qui dressait ses flèches au-dessus des champs

dévastés. Se dérobant à la salle besogne à laquelle il était

contraint de participer, la guerre, l'auteur de Jardins et

routes (Gärten und Strassen) après une longue visite au

monument dont il avait la garde, nota dans son journal :

"Aujourd'hui, j'ai pressenti que ces cathédrales étaient des

œuvres, des œuvres de vie, loin des mesures mortes du

monde des musées. La pensée y était pour quelques chose

que cette église fut commise a ma protection ; comme si

elle était devenue toute petite, je l'ai serrée contre ma

poitrine"1.

Il ne nous reste qu'a faire de même.

1 Cité par Marcel Pobé, op. cit., p. 9; cf. l'édition roumaine, Jurnale pariziene, Ed. Humanitas, Bucuresti, 1997, p. 45 et passim (traduction de l'allemand de Das Erste pariser Tagebuch et de Das Zweite pariser Tagebuch, Ed. Klett-Cotta, Stuttgart, 1979).

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Page 68: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

CHAPITRE IICHAPITRE II

LA CATHEDRALELA CATHEDRALE

« Les chefs-d'oeuvre de l'art, ceux où se reconnaît une synthèse exemplaire de force créatrice et d'élan spirituel, ne naissent point par hasard, en n'importe quel lieu, en n'importe quel moment. Précédée d'une lente et secrète germination, leur éclosion se produit quand la race dont ils révèlent l’âme a acquis de soi-même une pleine conscience, quand une foi la soulève au-dessus des intérêts égoïstes et des calculs sordides, quand elle porte en soi la certitude en travaillant à s'exprimer soi-même, de témoigner pour l'universel et l'éternel"

Daniel Rops, Comment s’éleva à Chartres le Portail Royal 1

1 In Miroir de l'histoire n° 37, février 1953, p. 61.

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Page 69: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

Etymologiquement parlant, "la cathédrale" est une

abréviation du syntagme "église cathédrale" où l'épithète,

empruntée au latin médiéval cathedralis, dérive de

cathedra, siège épiscopal. Si l'adjectif "cathédral" est

attesté dans la langue française à partir de 1180 , le nom

"la cathédrale" est certifié dès 1666, donc environ cinq

siècles plus tard1.

Du point de vue de la signification, la cathédrale c'est

l'église épiscopale d'un diocèse; dans ce sens, Notre-Dame

est la cathédrale de Paris. Un second sens, connotation du

premier ou, si l'on veut, une acception largo sensu du

terme, serait "grande église monumentale de l'architecture

chrétienne du Moyen Age", dont le synonyme serait "une

cathédrale gothique".

Si on les envisage sous l'angle de l'histoire, les

cathédrales avaient à l'origine un caractère à la fois

religieux et civile; on ne s'y réunissait non seulement pour

assister aux offices divins; on y tenait aussi des assemblées

à dominante politique sous la présidence de l'évêque.

Jusque vers le milieu du XIIe siècle, les cathédrales ne se

distinguent pas par leur ampleur. Elles sont le plus souvent

dépassées à cet égard par les églises abbatiales, oeuvres

de communautés très puissantes. Mais grâce au

développement de la richesse laïque ou, mieux, populaire,

dans la seconde moitié du siècle, un désir irrésistible fait 1 Cf. Nouveau dictionnaire étymologique par A. Dauzat, J. Dubois et H. Mitterand, Librairie Larousse, Paris, 1980, p. 143.

69

Page 70: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

irruption, dégorge par les ruelles des jeunes villes et

submerge la France tout entière pour déboucher sur les

pays voisins. C'est l'élan irrépressible de foi, d'espérance et

d'enthousiasme vers l'élévation en chaque diocèse d'un

monument qui soit l'oeuvre de tous. Ainsi se fondent les

cathédrales gothiques.

Ce désir fougueux d'édifier qui jeta l'âme du peuple hors de la sphère du traintrain des événements ordinaires, fut poussé au paroxysme par l'orgueil communautaire, par la concurrence sui generis surgie entre les diocèses, la compétition entre les villes et les rivalités de prestige entre les pays. "Nous élèverons une cathédrale si grande que ceux qui la verront achevée croiront que nous étions fous", vaticinait en 1402 le chanoine de la cathédrale de Séville1 . Des projets si ambitieux ne pouvaient se matérialiser du jour au lendemain, l'édification d'une cathédrale gothique étant un travail de longue haleine. "Le mouvement se ralentit dès la fin du XIIe siècle, et la plupart des cathédrales ne furent achevées qu'au XVIe siècle, et seulement celles dont la fondation remontait au XIIe siècle (Paris, Reims, Chartres, Amiens, Bourges, etc.)2.

Le rythme de leur construction se ralentissait mais la

détermination des bâtisseurs était inébranlable, l'élan et

l'enthousiasme ne tarissaient pas; quant aux ressources

matérielles on arrivait à en découvrir de nouvelles; tous

étaient convaincus de faire oeuvre durable, oeuvre de foi,

d'espérance et d'amour, telle que les trois vertus

théologales exigeaient. "Prodigieuse conception

architecturale, la cathédrale est un miroir du monde selon

1 Cité par Alain Erlande-Brandenburg dans La Cathédrale, monographie parue chez Fayard, en 1989, édition roumaine Catedrala, Meridiane, Craiova, 1993, p. 72 Larousse du Xxe siècle en six volumes, publié sous la direction de Paul Augé, tome deuxième, Paris, Eds. Larousse, 1929, p. 47.

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Page 71: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

la doctrine chrétienne, où le passé, le présent et le futur

sont lisibles dans la pierre pour les plus humbles, grâce

aux figures précises ou symboliques qui l'ornent et qui sont

souvent d'admirables chefs-d'oeuvre. Certaines oeuvres de

la statuaire du XIIe siècle n'ont d'égales que celles de l'art

grec du Ve siècle av. J.-C., conclut le Larousse du Xxe

siècle en soulignant par cette dernière comparaison le

double potentiel expressif de la cathédrale gothique où le

particulier et l'universel s'entrelacent. A l'origine de la

cette comparaison et de l'idée qu'elle infère, se trouve la

métaphore d'Auguste Rodin qui, en parlant de la

cathédrale de Chartres la désignait comme "l'Acropole de

la France". Peut-être faudrait-il ajouter que "c'est la

Cathédrale médiévale tout entière, dans la variété même

de ses aspects, tout ensemble Paris et Sens, et Laon et

Reims, et Amiens et tant d'autres, qui dresse, sous tous les

cieux de France, une multiple Acropole où se manifeste le

génie du pays"1.

Mais où est-ce que cette "acropole",

topographiquement parlant était située? Dès son origine, la

cathédrale sera bâtie à l'intérieur de la cité, intra-muros,

en dedans des murs de la ville. Son importance, son

prestige augmenteront au fur et a mesure que le

christianisme triomphant étendra son influence. Les cadres

que l'Eglise avait construits sous le Bas Empire romain en

les adaptant à la structure de ce dernier étaient les seuls à

avoir résisté à la tornade des grandes invasions. Pendant le 1 Daniel Rops, op. cit.

71

Page 72: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

Haut Moyen Âge (Ve - Xe siècles), elle bénéficia d'abord de

la générosité des rois mérovingiens qui multiplièrent les

donations et accordèrent aux établissements religieux le

privilège de l'immunité, c'est-à-dire l'exemption des

charges fiscales. Cependant cette première alliance du

trône et de l'autel ne fut pas au seul bénéfice de l'Eglise. Si

jusqu'au VII siècle, recrutant ses dignitaires dans les

familles nobles gallo-romaines, elle était demeurée un asile

de moralité et de culture, la rapide décadence

mérovingienne l'entama avec elle. En se faisant

l'inspiratrice, chaque fois qu'elle le pouvait, de la politique

royale, et en tirant de substantiels profits, elle perdit de

son prestige et de son indépendance, car les évêques

furent de plus en plus souvent choisis par les rois pour des

motifs politiques. Il fallut l'intervention provoquée par

Pépin le Bref, d'un réformateur venu d'Angleterre, saint

Boniface, pour la sortir de cette impasse. Elle devint alors

la principale bénéficiaire de la renaissance carolingienne.

Avec Pépin et Charlemagne, l'alliance de la monarchie

franque et de cette nouvelle Eglise militante, aboutit à une

conception que l'on pourrait appeler "biblique"1 de la

royauté affirmée par le Sacre, étant donné que les

premiers sacres royaux ont été ceux de Saul, David et

Salomon, tels qu'ils sont narrés dans la Bible (le premier

livre de Samuel). A la suite de cette cérémonie par laquelle

l'Eglise sanctionnait la souveraineté royale, le roi,

devenant l'oint du Seigneur, était inviolable et saint ; en 1 Blancpain, M. et alii, op. cit. , p. 80.

72

Page 73: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

contrepartie, il devenait aussi le serviteur de l'Éternel, son

Dieu. Ainsi, l'institution du sacre des rois francs du VIIIe

siècle par Pépin le Bref (751, puis 754) était-elle une copie

de l'onction sainte des rois bibliques. Quant au lieu du

sacre - et là encore la cathédrale fournira à nouveau un

repère définitoire - bien que la tradition veuille que Reims

fût choisi à cause du baptême de Clovis (vers 496), en

réalité il s'agit (comme nous l'avons souligné ci-dessus)

d'une tradition carolingienne. En effet, l'archevêque

Hincmar de Reims a joué un rôle prépondérant dans le

remplacement des rois mérovingiens par Pépin le Bref. La

bulle pontificale désignant Reims comme lieu des sacres

est de 1509. Sur 64 rois de France, seuls 16 ont été sacrés

hors de Reims, notamment à Soissons, Compiègne, Metz

(Carolingiens) et à Chartres (Henri IV)1.

Avec le renaissance carolingienne, l'Eglise commença à

jouer son rôle spirituel, intellectuel et artistique sous sa

double vocation, pastorale et monastique. Les évêques,

réformés par saint Boniface, redevinrent des chefs

spirituels et des éducateurs dans les écoles épiscopales. Et

le monarchisme, adoptant peu à peu la règle bénédictine,

prit sa part, de plus en plus importante, dans le travail

d'apostolat et d'éducation. Sur le plan architectural, à cette

renaissance correspond l'art roman, sobre et harmonieux,

qui crée la basilique romane, "un immense reliquaire"2

ouvert à tous, moines et pèlerins, définie actuellement 1 Frémy, Dominique et Michèle, Quid, Eds. Laffont, Paris, 1991, p. 689.2 Michaud, Guy, Guide France. Manuel de civilisation française, Eds. Hachette, Paris, 1968, p. 90.

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Page 74: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

comme étant une "église chrétienne du haut Moyen Âge,

bâtie sur le plan des basiliques romaines"1. Ce terme

ecclésiastique venait du latin "basilica", emprunté du grec

basilikê, qui signifiait portique royal, édifice à portique

devenu en latin chrétien l'équivalent d'église, à la suite de

la fondation de la Basilica Constantini sur le tombeau du

Christ au IV siècle2.

Les basiliques utilisées par le culte catholique, sont

remplacées peu à peu par des cathédrales, édifiées au

début et en principe sur les martyriums ou tombeaux des

martyrs ; ne possédant pas de reliques de martyrs, les

églises du "regnum Francorum" les feront venir le plus

souvent d'Italie. A l'époque, la cathédrale était désignée

par ecclesia (rappelons que le terme de cathédrale n'est

attesté que depuis 1666). Ecclesia appartient au latin

ecclésiastique : il fut emprunté au grec ekklesia, signifiant

assemblée au sens de assemblée des fidèles en grec

chrétien. Il a pris le sens de maison du culte, rendu

auparavant par basilica. Le correspondant français,

église, est pour la première fois attesté dans le Poème de

saint Alexis à la fin du XIe siècle3. C'était le temps où le

chroniqueur Raoul Glabber signalait dans un passage

célèbre : "On eût dit que le monde, secouant ses vieux

haillons, voulait partout revêtir un blanc manteau d'églises

neuves"4.1 Robert, Paul, Le Petit Robert 1, Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, rédaction dirigée ar A. Rey-Debove, Eds. Le Robert, Paris, 1991.2 Cf. Dauzat, A., Dubois, J., Mitterand, H., op. cit., p. 76.3 In Reinach, Salomon, op. cit., p. 76.4

74

Page 75: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

Ecclesia était un mot suffisamment clair pour les

contemporains; il n'y avait pas la moindre ambiguïté : il

s'agissait de l'église de l'évêque, l'église du diocèse. Le

terme est révélateur de la réalité qu'il synthétise :

l'assemblée, la communauté des chrétiens réunie autour de

son évêque. Le sens en a évolué par la suite cour inclure le

lieu où se déroulait cette réunion en vue de la célébration

de l'Eucharistie. Ultérieurement il s'est étendu pour

désigner tous les édifices culturels, devenant tout.

simplement église. Désormais, besoin était de disposer

d'un mot nouveau, propre à préciser à l'origine, le symbole,

le pouvoir spirituel de l'évêque. Et ce fut cathedra, le

trône épiscopal, qui était placé dans les églises primitive

au fond de l'abside, dans l'axe de l'édifice; l'autel s'élevait

en avant de la tribune de façon que l'évêque se trouvant

ainsi derrière l'autel, isolé, pût. voir l'officiant en face1. En

même temps, il pouvait voir l'assemblée des fidèles, et

ceux-ci voyaient leur évêque, ce qui explique cette

évolution sémantique..

En outre, ecclesia et ensuite la cathédrale" ne

signifiaient pas un seul édifice, mais un ensemble de

bâtiments, un complexe auquel on a prêté récemment

attention grâce à une analyse plus rigoureuse, plus

approfondie des textes et des plans anciens. Cette nouvelle

approche a été favorisée aussi par les résultats

1 Saint-Pierre de Rome conserve encore le siège du Prince des Apôtres, enfermée dans une chaire de bronze, au fond de l'abside.

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Page 76: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

surprenants des fouilles effectuées en milieu urbain; celles-

ci ont mis en évidence l'importance, la complexité, la

diversité des établissements chrétiens primitifs. Dans ce

sens, la cathédrale synthétise, à certains égards, l'histoire

de telle ou telle ville française. On affirmait, d'ailleurs, par

tradition, qu'au dessous de la cathédrale gothique, il y

avait, cachée, l'église romane, et que si, par hasard, les

investigations avaient continué, la basilique aurait apparu,

puis le temple même, comme on le pensait au XVIe siècle

à Chartres, des profondeurs de la terre et de l'histoire, la

grotte druidique aurait-elle émergé aux grand jour.

Abstraction faite de son caractère poussé jusqu'aux limites

du paradoxe, ce schéma est assez plausible, eu égard

surtout aux fouilles effectuées à l'intérieur des cathédrales

ou dans les zones attenantes, qui ont prouve que celles-ci

contenaient dans leurs entrailles de nombreux vestiges

antiques. Au fond, la légende même, comme en témoignent

des découvertes plus anciennes, datant, par exemple, du

XVIIIe et du XIXe siècle, était ancrée dans une réalité assez

souvent palpable. C'est ainsi qu'en 1711, lorsqu'on eut

commence à notre-Dame de Paris, la construction ou

caveau des archevêques placé dans le sanctuaire, on

découvrit des fragments antiques parmi lesquels le fameux

"pilastre des navigateurs", orgueil, aujourd'hui, du musée

de Cluny. A Chartres, également, jusqu'au XVIIIe siècle, on

pouvait voir dans la crypte, des pans de murs antiques qui

ont permis de formuler bon nombre d'hypothèses.

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Page 77: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

Au XIXe siècle, les découvertes fortuites dues, par

exemple, à l'installation d'un système de chauffage, et plus

récemment les fouilles effectuées suivant des exigences

scientifiques ont confirmé pertinemment que l'ecclesia

était implantée dans un quartier ayant une forte densité de

population et situé généralement dans le voisinage des

murs de la ville. Il est évident que sa construction

provoquait la transformation presque complète d'un

quartier, impliquant la suppression de bon nombre de

maisons et de rues. Il est possible aussi que les

traumatismes n'aient pas manqué. De toute façon, le

phénomène prenait chaque fois des aspects différents en

fonction de la topographie des lieux , de la personnalité de

l'évêque et des moyens dont ce dernier disposait. Les

fouilles de Trèves, d'Arles, d'Aix, de Genève, de Cimiez et

de Riez ont fourni des renseignements précieux pour la

compréhension des caractéristiques fonctionnelles des

établissements chrétiens primitifs, à la fin du Bas Empire

et à l'époque du Haut Moyen Âge. Signalons au passage

que l'histoire de l'architecture et de l'urbanisme de ces

premiers temps chrétiens, si difficile à élucider, doit

énormément à des savants tels A. Blanchet (Les enceintes

romaines en Gaule, Paris, 1907), P. A. Février Le

développement urbain en Provence, de l'époque romaine à

la fin du XIVe siècle, Paris7 1964), J. Hubert, Art et vie

sociale de la fin du onde antique à la fin du Moyen Âge,

Paris, 1977) et C. Heitz (L'architecture religieuse

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Page 78: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

carolingienne. Les formes et leurs fonctions, Paris, 1980)1,

dont les investigations ont permis toute une série d'

extrapolations visant les origines de la cathédrale.

Les siècles passent et l'importance du complexe

religieux a l'intérieur de la cité s'accroît, entraînant une

translation vers le coeur de la ville. En même temps, les

fonctions exercées par l'évêque, à ces époques anciennes,

se diversifient et s'amplifient, comme le démontre J. S.

Durliat dans son étude Les attributions civiles des évêques

mérovingiens : l'évêque de Didier, évêque de Cahors (630-

652)2. Ce complexe était invariablement constitué de trois

ensembles : la cathédrale proprement dite (incluant deux

édifices et le baptistère), domus episcopi (la maison de

l'évêque) et, enfin, les annexes3.

Leurs plans, leur organisation intérieure, certains

détails et particularités des bâtiments représentaient

autant de variables qui différenciaient les complexes

religieux suivant les conditions topographiques très

diverses de chaque ville, et les facteurs contraignants

parmi lequel celui financier s'avérait déterminant. Ce qui

surprend, néanmoins, sur le plan architectural, c'est qu'à

cette époque tellement reculée, la cathédrale était doubler,

formée de deux basiliques parallèles, ayant; trois nefs et

étant terminées à l'est par une abside sans transept. C'était

leur axe transversal qui les liait. L'exemple le plus

imposant est l'ensemble de Trèves qui s'inscrivait dans un 1 Cités maintes fois par les spécialistes. Cf. Alain Erlande-Brandenbourg, op. cit., p. 415.2 Apud Annales du Midi, vol. 91, n° 143, 1979, pp. 237-254.3 Elles constituaient l'équivalent de l'hôtel-Dieu, à la fois hôpital, hospice, pension et orphélinat.

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Page 79: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

rectangle de 170 mètres sur 110 mètres. L'une des

interprétations hypothétiques les plus plausibles y voit

l'empreinte constantinienne. En effet, l'empereur avait

dédié, à Constantinople, l'un des édifices à la sainte Irène-

la Paix, et le second, à la sainte Sophie - la Sagesse;

symboliquement parlant, les toits jumeaux de ces deux

édifices suggéraient l'Ancien et le Nouveau Testament,

dont la liaison est assurée par le baptistère placé entre

eux. On a avancé l'hypothèse complémentaire, séduisante

elle aussi, selon laquelle la fonction de ces deux édifices

etait différente : l'un avait pour destination l'accueil des

catéchumènes, l'autre recevait les chrétiens confirmes

après leur baptême effectué dans l'édifice intermédiaire.

Les fouilles entreprises récemment à Lyon (l'ancienne

Lugdunum fondé en 43 av. J.C. par les Romains, devenue

capitale de la Gaule lyonnaise on 27 av J.IC., une des

principales résidences des empereurs romains, où fut

fondée la première église chrétienne de la Gaule et où, on

177 furent martyrisés saint Pothin et sainte Blandine), au

nord de l'église archidiocésaine de Saint-Jean, ont fourni à

cet égard des arguments probants.

Sous Charlemagne, le site cathédral, c'est-à-dire le

quartier religieux, est considérablement amplifié et

restructuré grâce aux donations de cet empereur et de ses

successeurs, devenant une sorte de ville sainte à

l'intérieur de la communauté urbaine. A l'ensemble

constitué par écclesia, domus episcopi et les annexes vient

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Page 80: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

s'ajouter l'enceinte canoniale, le claustrum, où la vie des

chanoines se déroulait suivant le rythme monastique.

Dans la vision de l'époque, ce claustrum devait être

une construction qualitativement sans reproche,

comportant un petit jardin, des galeries (comme a Metz, à

Mans, à Chalons et à Lyon) et même un caldarium - un

tain de vapeur tel celui dont l'archevêque de Reims avait

doté l'enceinte canoniale, qui se transformait ainsi en une

insolite abbaye urbaine. La présence des murs d'enceinte

achevait d'imposer cette ressemblance. Ces nouvelles

constructions n'ont pas eu seulement les conséquences

topographiques que l'on devine, mais elles ont nécessité

aussi des fonds importants que l'histoire, pudique, passe

sous silence. De toute façon, il est certain que les

ressources étaient insuffisantes. Rien qu'un seul exemple :

la pierre et son extraction soulevaient des problèmes

particulièrement difficiles à résoudre si l'on prend en

compte également son transport ; assez souvent, pour en

diminuer le coût, on demandait aux autorités la permission

de récupérer les pierres des murs antiques. L'archevêque

de Cens, Wenilon, a obtenu l'autorisation d'utiliser pour les

constructions de l'ensemble cathédral, les pierres de mur

d'enceinte de Melun. Une impulsion supplémentaire est

transmise à cet effort constructif par Admonitio generalis

du 23 mars 789, émanant du souverain et rappelant à

toute la population de l'empire carolingien le devoir

chrétien de la charité. Cet appel général s'appuyait sur les

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Page 81: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

paroles du Christ : "j'ai eu faim et vous m'avez donné à

manger, j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire, j'étais

étranger et vous m'avez accuei ; nu et vous m'vez vêtu,

malade et vous m'avez visité, en prison et vous êtes venus

vers moi"1. Il fallait dorénavant veiller pour que les

déshérités disposent de centre d'accueil et d'aide

inconditionnée ; et non seulement eux, mais encore les

pèlerins et les voyageurs. Toutes les charges qui en

découlaient furent transférées au clergé ; l'effort entrepris

dans ce domaine fut gigantesque : en quelques années,

l'empire d'un réseau d'institutions hospitalières dont la

responsabilité incombait à l'évêché et à ses chanoines; le

mérite leur en revenait aussi ; le concile d'Aix, en 816,

précisa parmi les obligations de l'évêque celle de posséder

un local dans le voisinage immédiat de la cathédrale afin

de recevoir les mendiants. Les religieux pouvaient ainsi y

aller pour laver les pieds de ces malheureux. Les

documents l'attestent : au Mans, l'évêque Aldric avait

installé un hôtel-Dieu à l'intérieur de la cité, tout près de la

cathédrale, bien qu'il y en eût un à la périphérie ; une

partie des biens ecclésiastiques étaient réservée à

l'entretien de ces institutions philantropiques. En outre, il y

avait les donations. L'évêque Aderic avait légué aux

pauvres le neuvième du blé, du vin, du foin et des légumes

de ses domaines. A travers cet exemple, une conclusion

s'impose à l'époque carolingienne, le centre religieux de la 1 Evangile selon Mathieu, 25, 35-36, in La Sainte Bible, nouvelle édition publiée sous le patronage de la Ligue catholique de l'Evangile et la direction de son éminence le cardinal Lienart, Paris, 1951, p. 37-38 du Nouvel Testament.

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Page 82: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

ville, complété par le claustrum et l'institution de charité,

étroitement liés sur le plan topographique et

institutionnel, jouit d'un dynamisme admirable.

Hélas, quoique Charlemagne eût donné une

administration solde en légiférant (par les capitulaires), en

déléguant ses pouvoirs dans les provinces aux comtes,

mais en les contrôlant par ses envoyés (les missi dominici,

un comte et un évêque et en assurant le concours de

l'Eglise, sous son fils Louis le Pieux la vieille tradition

franque des partages reprit le pas sur la mystique

impériale et unitaire. En 343, le traité de Verdun partagea

l'Empire entre les trois fils du successeur de Charlemagne.

Lothaire, l'aîné, qui gardait officiellement le titre

d'empereur, reçut l'Italie, la vallée du Rhône et celle de la

Saône, la rive gauche du Rhin. Les pays situés sur la rive

droite de ce grand fleuve allaient à Louis. Les bassins de

l'Escaut, de la Seine, de la Loire et de la Garonne

revenaient à Charles. De la sorte, ce traité séparait

définitivement la Germanie. – l'Allemagne - de la France,

tout en vouant la Lotharingie à leurs convoitises et au

démembrement inévitable. Plus encore les partages et les

luttes entre les successeurs de Charlemagne, les désastres

des nouvelles invasions ruinèrent pour longtemps l'autorité

royale : des expéditions de rapine lancées par les Hongrois

et par les Sarrasins (de la Méditerranée) ravagèrent la

France de façon sporadique et créèrent l'insécurité, mais le

plus dangereuses et les plus durables furent celles des

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Page 83: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

Normands (Vikings danois) qui, des premières années du

IXe siècle jusqu'à 911, attaquèrent les ports de la mer du

Nord, de la Manche et de l'Atlantique, et remontèrent les

fleuves pour piller et incendier. Finalement le roi Charles le

Simple concéda en 911 au chef Rollon la province qui allait

porter leur nom la Normandie. Ces invasions furent le

signe évident de la faiblesse monarchique et accélérèrent

la décomposition de l'autorité centrale au profit des

pouvoirs locaux, plus efficaces et, par la suite, germes de

nouvelles évolutions. En 987, le dernier carolingien fut

déposé, et le duc de l'Île-de-France, Hugues Capet, fonda

une nouvelle dynastie. Il recueillait un royaume où

l'autorité, an dehors de son domaine héréditaire autour de

Paris, appartenait aux seigneurs féodaux. La civilisation

carolingienne, épuisée par l'effort permanent de lutter

contre les forces de dislocation, disparaissait malgré ses

performances indéniables. Avec l'avènement de Hugues

Capet un nouvel espoir naissait, confirmé par les trois

siècles suivants : le XIe, le XIIe et le XIIIe siècles qui

marquèrent l'apogée du Moyen Âge.

Après avoir subi, elle aussi, le contrecoup de

l'effondrements de l'Empire carolingien, l'Eglise de France

montra une remarquable capacité de renouvellement à la

fois spirituel, intellectuel et artistique. Le nouvel élan fut

donné, dès le Xe siècle, par l'abbaye de Cluny, fondée en

910 selon la règle bénédictine.

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Page 84: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

Elle essaima dans une grande partie de la France et de

Europe chrétienne. L'ordre clunisien, rattaché directement

à l'autorité pontificale et indépendant des évêques,

échappait ainsi à l'intervention directe des laïcs dans la vie

religieuse, cette intervention qui, en la politisant, avait tant

contribué à l'usure graduelle de l'autorité ecclésiastique à

la fin de l'époque carolingienne. L'ordre clunisien fut le

ferme soutien de la reforme entreprise par le pape

Grégoire VII qui allait dans le même sens que celui de la

rigueur bénédictine. Non seulement les monastères, mais

aussi le clergé séculier, revint à une certaine austérité et à

une ferveur spirituelle plus édifiante. La conception

clunisienne de la vie monacale, jugée a priori trop

"aristocratique", fut plus tard dépassée par de nouveaux

ordres plus rigoristes : les Prémontrés fondés par saint

Norbert; les Chartreux, disciples de l'Italien sait Lunule ; et

surtout l'ordre des Citeaux fondé en 1098 par Robert de

Molesmes. Les premiers, dont la vocation était

d'enseignement et de prédication, vivaient dans le siècle,

pendant que les Chartreux et les Cisterciens formèrent des

communautés isolées du monde, dans des lieux inhabités et

joignirent le travail manuel aux exercices spirituels.

Cependant ces retours à la pauvreté évangélique et à la

pureté des moeurs étaient (est et sera) toujours à

recommencer, d'autant plus que l'église établie, trop riche,

trop engagée dans les ambitions temporelles, trop soumise

aussi au gouvernement autoritaire de la papauté, prêtait le

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Page 85: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

flanc à la critique et, de surcroît, à des tentatives, moins

orthodoxes, de mysticisme déviant du dogme catholique

virent le jour au XIIe siècle, en réaction contre un clergé

trop administratif, fut le catharisme qui se développa dans

le Sud de la France. Sot trait caractéristique était

justement l'absence de prêtres. En revanche, une petite

élite de "parfaits" vivant dans l'ascétisme assurait la pureté

évangélique et transmettait aux simples fidèles, par des

lectures en langue vulgaire, le message du Nouveau

Testament. Ceux-ci pouvaient alors goûter la paix des

plaisirs terrestres. Une telle doctrine avait de quoi plaire à

la noblesse et au peuple méridionaux restés plus proches

des traditions de l'antiquité latine et où s'était épanouie

une civilisation raffinée et hédoniste. À la même époque, le

Lyonnais Pierre Valdo et ses disciples prêchaient l'absolue

pauvreté et, sans médiation de clergé, commentaient, en

traduction, l'Evangile. La réplique de l'église menée par le

pape Innocent III s'avéra véhémente l'hérésie vaudoise fut

extirpée par la force et, en 1208, se déclencha la croisade

contre les Albigeois, nom sous lequel on désignait les

cathares du Languedoc. Parallèlement, la papauté favorisa

l'action de deux nouveaux ordres religieux dont les buts

étaient de revenir à l'ascétisme mystique, mais dans le

respect de l'autorité romaine et du dogme catholique : les

Dominicains (que l'Espagnol saint Dominique fonda à

Toulouse. pour combattre les cathares) et les Franciscains

(disciples de saint François d' Assise). Nonobstant leur

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Page 86: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

ferveur missionnaire, la fin du XIIIe siècle vit apparaître un

certain esprit anticlérical en France. D'un côté l'allure

théocratique des papes (et notamment de Boniface VIII,

contemporain de Philippe le Bel) entraîna un progrès de

l'esprit laïque dans l'entourage royal. D'autre part le clergé

et même certains Franciscains peu fidèles à leur idéal

primitif de pauvreté, soulevèrent des critiques, soit

ironiques, soit franchement hostiles. Quoi qu'il en fût, la

dominante de cette toile de fond figurant la vie religieuse

reste l'épanouissement de la foi, du potentiel intellectuel et

de l'esprit créateur aux XIe et XIIe siècles, suivi de la belle

floraison du XIIIe siècle dans tous les domaines d'activité :

économique, politique, social, intellectuel et artistique,

effet aussi de l'émergence des villes, du vigoureux

mouvement communal.

Remontant à l'origine de cette émergence des villes,

force est de constater qu'à la fin du IXe siècle, l'abandon

des centres urbains - conséquence de l'effondrement de

l'empire carolingien - avait pris des proportions

dramatiques. Les comtes se retirant à la campagne, ou se

trouvaient les sources de subsistance, l'autorité civile

disparut. Dans les villes presque vidées d'habitants, les

évêques représentaient la seule autorité. A la fin du Xe

siècle, les grandes villes antiques n'étaient plus que leur

ombre. A Beauvais, par exemple, on ne comptait que 50

foyers1. Après cette période d'effondrements successifs, un

mouvement dé redressement est annoncé pendant les 1 Cf. Alain Erlande-Brandenbourg, op. cit., p. 113.

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Page 87: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

dernières années du V siècle, suivi d'une brusque et forte

relance à partir du XIe siècle, grâce à un développement

économique de plus en plus marqué, généré par l'extension

des terres cultivées, une véritable révolution technique et

une poussée démographique continue.

A l'intérieur de la nouvelle ville persistaient deux

réalités très anciennes : le château et la "ville sainte",

double symbole de l'autorité civile et spirituelle. Le

château urbain qui allait, par la suite, devenir palais,

attestait la présence du seigneur; celui-ci établissait à

nouveau sa résidence et cette dernière donnait une

nouvelle image de la balance des pouvoirs, eu égard à son

caractère défensif, fortement marqué. Paris en offrait

l'exemple, un exemple un peu particulier, certes, si nous

pensons à la signification du palais royal, mais qui a

l'avantage d'être très bien connu et daté. Ainsi le roi

Robert le Pieux (996-1030); commençant la reconstruction

de sa résidence vers la fin de son règne, lui avait-il donné

l'aspect d'un quadrilatère fortifié, défendu par des tours et

mesurant intra-muros jusqu'à 135 mètres de côté. Sans

atteindre des dimensions aussi considérables, la plupart

des châteaux comtaux ont subi des transformations

similaires. De toute façon, il faut ajouter que le château

était situé très près de l'ensemble cathédral. Ce schéma

peut être retrouvé à Angers, Orléans, tours, Auxerre,

Dijon, Toulouse, Poitiers, Senlis - toutes villes d'origine

antique.

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Page 88: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

Quant à l'ensemble cathédral, la nouvelle génération

d'architectes a dû réapprendre à bâtir. Le monde

carolingien d'essence impériale et théocratique avait

succombé la suite de violentes attaques venues de

l'extérieur; son art succomba avec lui. Le renouveau que

vivait l'ensemble de l'église après la réforme grégorienne

corrobora le renouveau laïque et sublima, sur le plan

architectural, en art roman, qui correspondait aux

nouvelles réalités émergentes. Il restait, bien sûr, bon

nombre de monuments carolingiens stimulants, mais les

exigences des nouveaux commanditaires ne s'en

contentaient plus. Une nouvelle technique, de nouveaux

outils, des mains plus habiles, des solutions architecturales

sui generis imposèrent la maîtrise des nouvelles

générations de constructeurs. La cathédrale double n'est

plus qu'un vestige. Elle appartient plus à la dynamique de

la cité épiscopale. Le baptistère, par exemple, n'était plus

nécessaire, le baptême par l'immersion des catéchumènes

dans un basin n'étant plus pratiqué. Par conséquent, cet

édifice annexe disparut de l'ensemble cathédral. Pour ce

qui est du second édifice principal de la cathédrale double,

l'évêque de Meaux, Nicolas Saveyr, en reconstruisant la

cathédrale épiscopale, vers 1080, s'en dispensait. C'était

déjà une tendance plus marquée dans le Midi où l'édifice

principal, consacré en général à la Vierge (Notre-Dame-de-

la-Sed, Notre-Dame-des-Doms en Avignon), se singularisait

en devenant la vraie et l'unique cathédrale à l' époque

88

Page 89: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

gothique. Dans cette perspective, la cathédrale romane

peut être considérée comme un édifice unique,

synthétisant les intérêts spécifiques du trinôme: évêques,

chanoines et fidèles. Si l'on y rattache le culte des reliques,

qui s'emparait alors de l'Occident chrétien, au circuit

intense, rétabli par les Croisades, entre la Terre Sainte et

le monde catholique, on aura l'image presque complète de

la fonction multiple remplie par la cathédrale romane. Les

effets architecturaux, qui découlent de cette nouvelle

conception : édifice culturel unique - multiplicité

fonctionnelle, sont intéressants a déceler. Le

déambulatoire à têtes rayonnantes, cette longue galerie,

qui tourne autour du choeur de l'église et qui relie les bas-

côtés, est une conséquence du culte des reliques, parce

qu'il permettait aux fidèles de contempler et de se

recueillir devant les dépouilles mortelles et les reliques

conservées dans les chapelles rayonnantes du

déambulatoire ; l'église cathédrale du diocèse devient ainsi

une église-reliquaire qui détermine implicitement les

dimensions spectaculaires de la nef, caractéristique qui

s'accentuera à l'époque gothique, étant donné aussi la

croissance subite de la population urbaine. La deuxième

grande innovation de l'architecture romane est

représentée par la "façade harmonique", mise au point par

les architectes normands dans la seconde moitié du XIe

siècle; il s'agit là du traitement architectural inédit du

fronton occidental. Son schéma consiste en un rectangle

89

Page 90: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

divisé en trois parties, dont la partie centrale était plus

imposante que les latérales qui, elles, sont pourvues de

tours situées dans le prolongement des murs. Les tours

abritaient les cloches qui rythmaient de leur glas la vie

religieuse, et non seulement de la communauté. Ce fronton

plat percé de trois portails, dont le centre s'avérait,

évidemment, plus important que les deux autres, parce

qu'il permettait l'accès des fidèles. Le perfectionnement de

la "façade harmonique" sera l'oeuvre des architectes

gothiques. Les autres éléments constituant l'ensemble de

la "ville sainte" le palais épiscopal, l'enceinte canoniale, le

claustrum devenu cloître (contigu à l'église cathédrale ou

collégiale, et comportant une galerie à colonnes qui

encadre une cour ou un jardin carré; à ce sens; le cloître

roman de Saint-Trophime à Arles est célèbre), les écoles

épiscopales et l'Hôtel-Dieu, subissent, eux aussi, des

aménagements, des modifications, une nouvelle

organisation globale de l'espace, portant l'empreinte de la

nouvelle technique de construction qui remplace le bois -

matériau jugé périssable, par la pierre; d'ailleurs, dans la

symbolique du Moyen Âge, une symbolique qui

concurrençait par sa force de suggestion la réalité

quotidienne que l'on essayait de transgresser par son

truchement, la pierre symbolisait le pouvoir créateur

circonscrit à la permanence, à l'éternité. Ce jour venu où la

salle des fidèles dut être couverte non de toits en

charpente dont on ne voulait plus, parce que trop exposés

90

Page 91: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

à l'incendie, mais d'un toit en pierre, on eut alors recours a

la voûte, qui permettait l'emploi de petites pierres

assemblées.

Le profil d'une voûte peut être demi-circulaire. Il peut

aussi dessiner un arc brise, c'est-à-dire un angle formé de

deux arcs qui se coupent. De même, le linteau qui

surmonte une porte ou une fenêtre peut être remplacé par

un cintre ou par un arc brisé. C'est le cintre qui a été le

principe générateur de l'architecture romane; c'est l'arc

brisé qui sera de l'architecture gothique. Mais ce n'est pas

seulement la forme de la voûte qui importe, c'est aussi le

mode de construction, puisqu'il y a, de ce point de vue,

deux types de voûte : la voûte "en berceau" (demi cylindre

creux, avec ou sans arcs doubleaux) et (fig. 41) "la voûte

d'arête" (dont l'extérieur ou entredos présente quatre

arêtes et qui est formée par l'intersection à angle droit de

deux voûtes en berceau). Une variante fréquente de la

voûte d'arête, telle que la connaissaient les Romains, était

la voûte d'arête "à nervures", dont les arêtes formaient des

cintres bâtis. Alors que la voûte d'arête romaine est une

calotte homogène, qui doit sa solidité à celle de ses points

d'appui, la voûte d'arête à nervures, caractéristique de

l'art romain, doit la sienne à son ossature d'arceaux qui la

maintient comme en équilibre. Employée d'abord en Italie,

par les architectes lombards (dont l'art se constitua sous

l'influence de Byzance), la plus spectaculaire de ces formes

de voûte, la voûte d'arête à nervures saillantes finit par

91

Page 92: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

s'implanter en France. Le même chroniqueur, Paul Glaber,

disait aussi que, quelques temps après l'an 1000, "tous les

édifices religieux, cathédrales, moustiers des saints,

chapelles des villages, furent convertis par les fidèles en

quelque chose de mieux"1. Ce "quelque chose de mieux"

c'était sans doute la construction voûtée en pierre, c'était

l'architecture romane.

L'église romane, dont dériva l'église gothique, provient

en dernière analyse de la basilique romaine du IVe siècle,

mais elle en diffère par plusieurs caractères. Elle est

construite en forme de croix latine, c'est-à-dire que la

longue nef est coupée , aux deux tiers de sa longueur, par

un transept perpendiculaire. Sa toiture est voûtée, ses

fenêtres sont généralement, cintrées, enfin elle est

pourvue d'une ou de plusieurs tours - comme nous l'avons

déjà mentionné - qui font corps commun avec elle. Il est

naturel que ces modifications et d'autres encore, au plan

primitif, n'aient pas été introduites en un jour. Chose

surprenante : on peut en suivre l'évolution jusqu'au milieu

du XIIe siècle et même au-delà. La conception générale

resta invariable : une nef centrale terminée par une abside,

éclairée latéralement, et des bas-côtés d'ordinaire au

nombre de deux. Pour supporter le poids de la voûte, les

architectes romans durent fortifier les murs et les piliers.

Les murs épais et solides ne comportent que peu

d'ouvertures; l'éclairage des églises romanes est, par suite,

toujours insuffisant. Les mêmes exigences de solidité 1 Apud Salomon Reinach, op. cit., p. 109

92

Page 93: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

portèrent à augmenter la largeur et à diminuer la hauteur

des édifices ; de là, un caractère de lourdeur inséparable

de ce genre de construction. En France, les plus anciennes

et les plus belles églises romanes sont au sud de la Loire.

Ce style architectural fût surtout propagé par le moines de

Cluny, dont l'immense église abbatiale, détruite sous le

premier Empire, a été imitée un peu partout, même en

Terre Sainte. Il se forma de nombreuses écoles locales en

Bourgogne, en Auvergne, en Périgord. A Paris, on peut

citer comme exemple, malgré de nombreux remaniements

qu'elle a subis, l'église Saint-Germain-des-Près qui compte

parmi les chefs-d'œuvre de l'architecture religieuse, à côté

- car l'art roman s'est épanoui à travers toute l'Europe - des

grandes églises de Spire, Mayence, Worms, Bambery (dans

la vallée du Rhin) et de celles d'Angleterre où le style

roman, qualifié de "normand" est plus lourd et plus massif

que dans son pays d'origine, la Normandie ; en Italie, le

monument capital de l'art roman est le Dôme de Pise (fig.

42), construit de 1063 à 1118. Dans ce contexte

architectural, la cinquième décennie du XIIe e siècle

apparaît comme un carrefour de l'histoire des formes c'est

à cette époque-là qu'on achève la façade occidentale de

l'église abbatiale de Saint-Denis1. Il n'est pas dépourvu

d'intérêt de rappeler qu'elle fut, selon la tradition, élevée

par sainte Geneviève à la fin du Ve siècle à l'emplacement

1 Actuellement, chef-lieu de canton de la Seine Saint-Denis, arrondissement de Bobigny, au Nord de Paris, sur le canal de Saint-Denis; centre industriel important (96759 habitants); la vieille ville, en cours de rénovation, est entourée de quartiers modernes. L'édifice le plus célèbre de Saint-Denis est justement cette ancienne église abbatiale, devenue basilique.

93

Page 94: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

où avaient été ensevelis; en 273, saint Denis et ses

compagnons Rustique et Eleuthère. Vers 630, Dagobert fit

rebâtir l'église primitive qui devint la nécropole du roi et

de la plupart de ses successeurs; commencée sous Pépin le

Bref en 754, sa troisième transfiguration architecturale fur

consacrée par Charlemagne en 775 (témoins de la

prospérité de l'abbaye à cette époque, des sarcophages

mérovingiens et carolingiens renfermant des bijoux d'or

ont été exhumés).

A partir de 1122, grâce à l'abbé Suger – ce moine et

homme politique d'exception, condisciple, ami et conseiller

de Louis VII, qui développa l'autorité royale en favorisant

la naissance des communes urbaines contre le pouvoir des

nobles et en assurant une meilleure justice1 - et une

importante rénovation fut entreprise, formant le premier

exemple de cette amplleur du style gothique auquel il

donna une impulsion décisive. Cette révolution de style, qui

a pour date fondamentale l'année 1144 – marquant la

reconstruction de l'église de Saint-Denis, concerne aussi

bien l'architecture que la sculpture, le vitrail et les arts

décoratifs, étant associée à d'autres mutations esthétiques

de premier ordre. A Saint-Denis, le chœur à déambulatoire

voûté d'ogives (la croisée d'ogives deviendra

caractéristique constante du style gothique ) fut orné de

superbes verrières, dont quelques-unes subsistent encore,

provenant des célèbres ateliers de peinture sur verre de

1 On doit à l'abbé Suger quelques ouvrages hiustoriques dont une Vita Ludovici regis (Vie de Louis VI) et une Historia gloriosi regis Ludovici (Vie de Louis VII).

94

Page 95: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

l'Île-de-France, devenue le berceau de l'art gothique. Parce

que son destin est exemplaire, ajoutons que, favorisée par

Saint-Louis, agrandie de 1231 à 1281 sur les plans de

Pierre de Montreuil, puis dans une seconde étape, au XIVe

siècle, enrichie de chapelles, et, enfin, au XVIe siècle,

pourvue de la nécropole des Valois, la basilique fut mutilée

pendant la Fronde, ensuite plus gravement pendant la

Révolution. La restauration des bâtiments fut menée à bien

par Viollet-le-Duc de 1858 à sa mort. Il rétablit cet édifice –

repère originaire de l'architecture gothique, dans son état

actuel (trois portails, des parapets crénelés, une tour de

style roman à double étage, à droite) et remplaça les

mausolées, chefs-d'œuvre de la sculpture funéraire. Le

destin exceptionnel de cette basilique, qui semble vaincre

le temps, est confirmé aussi par son élévation au rang de

cathédrale d'évêché en 1966. Le renouvellement

architectural initié sous l'égide de l'abbé Suger à Saint-

Denis se propagea en milieu urbain dans tous les diocèses

de l'Île-de-France. Il gagna ensuite à un rythme accéléré la

France toute entière pour s'étendre au XIIIe siècle aux

pays voisins : l'Angleterre, le Saint-Empire, l'Italie et

l'Espagne; par la croisée d'ogives, le nouvel art - l'art

gothique - venait de faire son entrée triomphale dans

l'histoire.

Déjà au début du XIIIe siècle, les principales

cathédrales gothiques du royaume de France sont

construites ou en cours de construction. Au fur et à mesure

95

Page 96: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

que s'étend l'influence stabilisatrice de l'autorité royale, la

prospérité s'installe, les moeurs s'adoucissent, les arts et

métiers se raffinent, les talents artistiques s'épanouissent

dans la confiance, la langue elle-même évolue devenant

riche, expressive et plastique, tandis que s'ouvrent de

nouveaux chantiers qui donnent à la France entière "les

deux instruments de sa civilisation et de sa prépondérance

en Europe : une langue littéraire d'une incomparable clarté

et une formule d'art originale"1. L'enthousiasme des foules

pour la nouvelle "maison de Dieu", qui est à la fois la

maison commune de tous les fidèles et leur foyer sacré, ou'

ils se réunissent aux jours de fête pour rêver au Paradis

dans le décor merveilleux, est sans limites.

Cette ferveur constructive devait être entretenue par

des moyens financiers appropriés. Par conséquent, toutes

les ressources sont mises en valeur: on installe des boîtes

de quête dans l'église en construction et chez les

principaux commerçants de la ville; on collecte

inlassablement des fonds même dans les diocèses voisins

et on prélève des sommes importantes sur les revenues de

l'évêché et du chapitre. Le roi et les seigneurs, les riches

marchands et les, bourgeois plus ou moins pourvus,

groupés en confréries d'œuvre, ne se lassent pas de faire

des offrandes; les pauvres aussi apportent leur denier à

Dieu. Quelle que soit la condition sociale des donateurs, on

est ébloui par la générosité de tous. Malgré cette foi

1 Robert de Lasteyrie : L'Architecture religieuse en France à l'époque gothique, Eds Les Ducs de France, Paris, 1965, p. 292.

96

Page 97: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

ardente, l'argent recueilli n'est pas suffisant et les travaux

des bâtisseurs ne peuvent avancer que très lentement,

année après année, travée par travée. On arrive même,

faute des ressources, à fermer souvent les chantiers. C'est

ce qui explique le fait, apparemment surprenant, que les

cathédrales sont si longues a construire : 50 ans pour

Chartres et 90 ans pour Notre-Dame de Paris. Et cela

d'autant plus qu'à Paris, par exemple, la même caisse

servait à construire presque simultanément la cathédrale

et l'Hôtel-Dieu dont les premières pierres étaient posées le

même jour que celles de la cathédrale. Cette très longue

durée de l'édification atteint son niveau record dans le cas

de la cathédrale de Strasbourg dont les travaux ont

commencé au XIIe siècle : elle n'a pris sa forme définitive

que trois siècles plus tard. Aux problèmes posés par le

financement s'ajoutaient ceux relevant de l'envergure des

projets architecturaux, toujours ambitieux. Rien qu'un seul

exemple : la cathédrale d'Amiens, la plus vaste de France,

peut contenir 10000 personnes - chiffre éblouissant - soit la

totalité de la population de cette ville au Moyen Age. Outre

l'ampleur considérable et la complexité technique de

l'œuvre, qui réclamaient un budget de temps toujours en

déficit, toujours rectificatif, l'engendrement d'un chef-

d'œuvre obéit au premier aphorisme, contraignant

d'Hippocrate : "Ars longa, vita brevis", "L'art est long, la

vie est courte". Qu'importe! Une fois donné le signal de la

campagne de construction le chantier palpitait d'une vie

97

Page 98: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

intense. Souvent, le maître maçon ou "le maître d'œuvre",

qui était l'âme de la construction et qui voulait que celle-ci

fût encore plus belle, plus subtilement éclairée, plus

richement décorée que les autres, se trouvait excédé par le

travail. Qu'à cela ne tienne! Les fidèles organisés en

confrérie venaient sur le chantier. En témoigne Robert de

Thorigny ; contemporain de la construction de la

cathédrale de Chartres, au XIIe siècle : "cette même année,

les hommes commencèrent à tirer à bras, jusqu'à Chartres,

des chars chargés de pierres et de bois, de vivres et

d'autres choses pour l'église dont on construisait alors les

tours. Vous auriez vu des femmes et des hommes tirer, les

genoux dans les marais profonds …"1.

Le chantier était une vraie ruche (fig. 43). Sous le

direction du maître d'œuvre travaillaient d'arrache-pied

d'autres maîtres maçons, des tailleurs de pierre, dés

charpentiers, les forgerons, des couvreurs, des peintres

verriers et des sculpteurs. Dans l'album si bien conservé de

Villard de Honnecourt, datant du XIIIe et plein de dessins

de machines, de plans, d'ébauches de sculptures et de

notes, il est question même du statut du maître maçon.

Après six ans d'apprentissage chez un maître consacré

devait parcourir la France, continuer à apprendre sur

d'autres chantiers et, surtout, noter en passant d'un

chantier à l'autre, le progrès de son art. Tous ces métiers

qui concouraient au même but, c'est-à-dire à élever la

1 XXX Documents et Civilisation, du Moyen Âge au 20e siècle, Classiques Hachette, Paris, 1975, p. 21.

98

Page 99: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

cathédrale, n'avaient pas de secrets pour lui. Son art, ses

habilités pratiques, sa technique fondés sur une expérience

maintes fois vérifiée s' appuyaient sur des formules

scientifiques, géométriques et algébriques. Le plan de la

nouvelle cathédrale accepté par l'évêque et les chanoines,

le maître d'œuvre traçait avec des cordeaux les fondations

sur un terrain embarrassé, de règle, de constructions

diverses. Avec celle-ci, il devait démolir encore d'autres

constructions environnantes pour percer des rues d'accès.

On conservait souvent en partie l'ancienne église qui

abritait les reliques et où l'on continuait d'officier le culte

jusqu'au jour où le nouvel édifice, se trouvant à un stade

avancé de sa construction, était à même de recevoir l'autel

et les reliques. L'édification de la nouvelle façade venait en

priorité ; elle présentait déjà l'image de marque de

l'ensemble architectural de la cathédrale. Il fallait un accès

aisé à cette nouvelle façade pour assurer une liaison

étroite entre toute la communauté de la ville et ce nouveau

cœur du diocèse. Quelquefois les bâtisseurs se heurtaient à

des difficultés causées par la configuration du terrain.

Dans le cas de Notre-Dame de Paris, l'évêque Maurice de

Sully, pour gagner du terrain a l'ouest, destiné à

aménager .un parvis imposant, avait proposé de repousser

vers l'est le chevet de la nouvelle cathédrale au-delà même

du mur antique qui marquait alors la limite orientale de la

Cité. La construction du parvis a nécessité d'importants

travaux de stabilisation du sol, impliquant une fouille de

99

Page 100: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

quelques mètres de profondeur, afin de prévenir les

infiltrations des eaux de la Seine. La tâche du maître

d'œuvre était donc particulièrement difficile. Après avoir

dressé les plans, préparé les dessins indispensables, tracé

les épures à grandeur, il devait surveiller la taille des

pierres et les divers assemblages de la charpente, tout en

intervenant personnellement pour résoudre les problèmes

techniques compliqués; il donnait les esquisses des statues

et le profil des moulures. Il mettait au point les machines

de levage et installait ses ouvriers dans la loge -

compartiment cloisonné, atelier où les tailleurs de pierre,

par exemple, pouvaient travailler toute l'année tandis que

d'autres ouvriers du bâtiment étaient arrêtés par l'hiver. Ce

maître d'œuvre, nommé aussi maître maçon, disposait

d'une "chambre aux traits" où il dressait ses plans; c'était

son poste de commande. Le maître maçon remplissait ses

multiples fonctions assisté d'un surveillant du contremaître

qui dirigeait les compagnons, et d'un "clerc de la fabrique"

qui réglait les questions d'argent.

La complexité des problèmes techniques posés par un

tel chantier stimulait l'inventivité, la capacité d'innover.

Ainsi, après que les équipes de démolisseurs eurent

déblayé le terrain, il fallut trouver un moyen de transport

plus efficace pour les matériaux des constructions

démolies. On transporta les énormes tas de gravats par la

Seine et l'Eure, mais aussi par les chariots tirés par les

chevaux, en remplaçant la sangle par le collier d'épaules,

100

Page 101: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

ce qui augmenta la force de traction du cheval et permit

l'emploi des attelages en file. Un autre problème épineux

était celui du levage des pierres taillées à hauteur des

croisées d'ogive, à trente-trois mètres du sol, comme ce fut

le cas de la cathédrale de Paris. Comme les treuils et les

cabestans ne suffisaient plus pour élever les divers

éléments compacts de la construction on eut recours à des

"écureuils" (fig. 44) ou "cages à écureuils" actionnés par

des hommes qui marchaient pour entraîner les poulies et

hisser les gabarits de bois massifs, fabriqués au sol. Une

fois ceux-ci dressés sur les chapiteaux des colonnes, on les

garnissait de pierre jusqu'à ce que la chef de voûte bloquât

solidement l'appareillage. D'ailleurs, cette "pierre d'angle"

rappelle spontanément l'expression du Nouveau Testament

qui en fait le symbole de Christ dont l'image, dans sa

splendeur omnipotente, peinte sur le chef de voûte, domine

l'autel. C'est toujours sur les chantiers des cathédrales

qu'est inventée la brouette (fig. 45) par un inconnu génial.

Ce nouvel instrument de travail permet désormais à un

seul ouvrier de porter un poids qui nécessitait jusque-là

une double main-d'œuvre. Pour des raisons de

promptitude, étant donné qu'il fallait façonner sur place les

clous et les ferrures nécessaires l'assemblage des

planches, des chevrons et des poutres, on est arrive à tenir

un four de forgeron (fig. 46) sur le chantier, ce qui met en

lumière la conception créatrice, orientée vers la

complétude, du maître d'œuvre. Un autre aspect

101

Page 102: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

significatif, révélé déjà par Robert de Thoigny1 , est la

présence des femmes sur les chantiers en tant que

"plâtrières", "mortel-lières'1 et, même, maçons. On les y

rencontrait aussi dans la posture de propriétaires de

carrières de gypse ou d'entreprises de "mortellerie"

(fabrique de mortier).En extrapolant, on pourrait y voir un

symptôme positif pour l'implication des femmes dans la vie

active à l'intérieur des communautés urbaines pendant le

Moyen Âge.

Revenant à la personne clé qui met en mouvement

l'engrenage du chantier de la cathédrale, le maître

d'œuvre ou maître maçon, on doit faire ressortir

l'importance de son statut social par ces données

supplémentaires : il recevait un fixe annuel, une maison,

parfois on lui faisait don aussi d'un enclos et d'une vigne;

on lui offrait des gants et une robe, plus une somme

d'argent par jour de travail effectif, y compris des vivres

pour lui, son valet et son cheval. En échange, il ne pouvait

plus quitter son chantier pour aller travailler ailleurs sans

avoir reçu l'autorisation formelle de ses employeurs. Si,

pendant son activité professionnelle, tellement exigeante et

à longue terme, il tombait malade ou qu'il fût arrêté par

l'âge, on lui assurait une pension. Grand personnage

protégé par les évêques, les abbés, les seigneurs et autres

puissants du jour, le maître maçon jouissait quelquefois

non seulement de la protection, mais encore de l'amitié

1 Cf. sup.

102

Page 103: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

royale, comme Budes de Montreuil, compagnon du roi

Robert à Chartres.

La personnalité des commanditaires, constructeurs de

cathédrale laissait des traces visibles de leur passage à

travers l'histoire, tandis que les maîtres d'œuvre restaient,

pour la plupart, anonymes. A Notre-Dame de Paris, les

statues des commanditaires - le roi et l'évêque - sont

érigées au tympan de la porte Sainte Anne, , celle de Saint

Louis au tympan de la de service du flanc Nord de l'église.

Quant aux maîtres d'œuvre, on ignore les noms des

premiers en date, peut-être un Ricardius, dont on a

retrouvé le nom sur un acte de l'an 1164. On voit aussi, à

la base du portail sud l'inscription : "En l'année du

Seigneur 1237, le mardi 12 février, cette œuvre a été

commencée en l'honneur de la mère du Christ, du vivant

Jean de Chelles, maître maçon"1. D'autres maîtres, tel

Pierre de Montreuil, ont pris part à cet ouvrage immortel,

porté par cinq générations successives. Les autres

compagnons bâtisseurs laissent leur empreinte sur le

produit partiel de leur travail: ça et là, on découvre soit la

signature d'un tailleur de pierre (ainsi à la galerie

intérieure de la façade nord de Notre-Dame de Paris), soit

celle d'un maître verrier (à la rose sud de Notre-Dame) ou

bien des marques de tâcherons : anagrammes ou initiales.

A Chartres, le dernier maçon, Villard de Honnecourt, a

rendu hommage a son illustre prédécesseur, en sculptant

1 apud Marie-Jeanne Coloni, Notre-Dame de Paris, cathédrale témoin de l'histoire, Eds. du Signe, Paris, 1996, p. 7

103

Page 104: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

sur le mur sud de La cathédrale, le nom de celui-ci. Eudes

de Montreuil. Cela équivalait à un honneur exceptionnel à

une époque où les artistes ne signaient pas leurs œuvres,

partageant avec tous les membres du chantier dans une

humble solidarité, la dignité d'un travail effectué pour la

gloire de Dieu.

Quatorze générations de maîtres d'œuvre, bâtisseurs

de cathédrales se sont succédé - comme dans les

généalogies bibliques du premier chapitre de l'Evangile

selon saint Mathieu, depuis la naissance de l'art gothique

jusqu'au seuil de la Renaissance. En parcourant plus de

quatre siècles, ce style architectural a sensiblement évolué,

influencé par les changements de goût esthétique, de

mentalité, et, surtout, par les circonstances. Ainsi, la pitié,

aussi intense qu'auparavant, prend aux XIVe et XVe siècles

un caractère plus exalté, plus démonstratif et, à la fois plus

tragique. Elle s'extériorise par une multitude de pratiques

rituelles culte des reliques et des images, fête, saints et

dévotions spéciales en nombre croissant; la liturgie

s'allonge et se complique, les théologiens admettent des

écrits religieux apocryphes , les ordres monastiques

d'hommes et de femmes se multiplient. Les effets sont

paradoxaux : en pénétrant par l'imagination et la pratique

dans le détail de la vie quotidienne, en perdant de son

mystère, la religion finit par se banaliser. L'art même

n'évite plus le mélange du profane et du sacré et les

représentations de la Madone comme la musique d'église

104

Page 105: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

se laissent contaminer jusque par l'érotisme. L'église est

souvent un lieu public qui n'est plus toujours à l'abri des

profanations et les mœurs cléricales se dégradent.

L'incrédulité latente chez beaucoup, se montre pour la

première fois, mais exceptionnellement, à visage

découvert. Dans les limites mêmes de la foi, le recours a la

religion pendant cette période troublée de la Guerre de

Cent ans a pour objet plutôt la Vierge et les saints que

Dieu, parce que l'appel des fidèles se fait moins tendu, plus

familier. Néanmoins, chez certains, la foi retrouve une

unité brûlante, soit dans la terreur du péché et de la Mort –

effrayante rançon de toute gloire humaine, guetté dès

l'origine par l'oeil cauchemardesque de l'enfer, soit dans

l'extase d'un mysticisme qui, issu de Bernard de Clairvaux,

se nourrit au XVe siècle de la leçon des mystiques

allemands et néerlandais tels Eckhard Tauler et Ruysbroek,

pour se transformer en un mouvement spirituel - la

"Devotio Moderna" - représenté en France par un Jean de

Garson. Le désarroi de la vie religieuse et ses

conséquences défavorables à l'ensemble de la société

furent abondamment alimentés par la crise de la haute

hiérarchie catholique, comprise par le grand Schisme et

divisée politiquement par l'occupation anglaise ( le procès

de Jeanne d'Arc en témoigne). La multiplication des ordres

mendiants la décadence intellectuelle et morale des

franciscains et des dominicains amplifièrent encore ce

désarroi.

105

Page 106: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

Quant aux cathédrales, après avoir culminé dans les

chefs-d'œuvre qui font partie du trésor indéfectible de

l'humanité, l'art gothique inévitablement retombe. Les

facultés créatrices des bâtisseurs les plus dorées, la

volonté d'ériger des œuvres qui vainquent le temps, l'élan

et la capacité d'effort des meilleures équipes rassemblées

autour des maîtres sachant les entraîner se relâchant à la

longue. "L'essentiel a été fait. N'est-il pas étonnant que

cette joie de construire, cette activité pleine d'ardeur aient

duré pendant plusieurs générations? Qu' il se soit trouvée

une telle série ininterrompue d'artistes prêts et capables

de se relayer?"1 .L'architecture gothique glisse vers la

complication du langage des formes, la virtuosité du détail

technique et la richesse ornementale; c'est ainsi qu'au

XIVe siècle, comme nous l'avons mentionné, on voit

s'affirmer le gothique rayonnant, caractérisé par des piliers

à faisceaux de colonnettes, des murs plus ajourés, des

chapiteaux à bouquet de feuillages, des moulures en saillie

pour la façade et des statues dégagées dans des niches2;

en ce qui concerne l'ensemble architectural, la verticalité

poussée et la géométrie axiale, fortement centrée, confè-

rent au style un caractère assez abstrait, comme dans le

cas des cathédrales de Strasbourg et de Metz.

1 Marcel Pobé, op. cit., p. 40.2 On retrouve de tels éléments, souvent comme des ornements surajoutés, à Saint-Ouen de Rouen (le chœur), à la cathédrale de Rouen (les portails de la Calende et des Libraires), à Clermont-Ferrand (la nef), à Saint-Vincent d'Auxerre, à Saint-Nazaire de Carcassonne, à Nevers et à Evreux (les chœurs), à Saint-Jean de Lyon, à Sainte-Cécile d'Albi (pas d'arcs-boutants ni de bas-côtés, contreforts pénétrant à l'intérieur) et à Saint-Jean de Perpignan.

106

Page 107: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

Le XVe siècle est celui du gothique flamboyant. Malgré

tant de bouleversements (une France toujours occupée par

l'ennemi, un royaume livré aux actions des Armagnacs et

des Bourguignons, l'avènement de Jeanne d'Arc qui semble

être descendue du piédroit d'une cathédrale, le drame de

l'unité nationale joué entre Louis XI et Charles le

Téméraire), on construit toujours. Ou plutôt on complète,

par des façades flamboyantes, des églises jusqu'alors

inachevées. La France des bâtisseurs de cathédrales

appartient au passé ; désormais, on ne surpassera jamais

les chefs-œuvre du XIIIe siècle. Par des lignes étrangement

mouvementées - courbes et contre-courbes décoratives

suggérant des flammes (qui semblent s 'inspirer des

incendies à peine éteintes), on veut animer toutes les

parties de l'édifice qui succombe, esthétiquement parlant,

sous la profusion des détails. Ce que les maîtres d'œuvre

du XIIIe siècle avaient su si bien ramasser et ordonner

autour des portails triples et quintuples, voilà qu'on le

disperse au gré d'une inspiration de moment, plus ou

moins heureuse. Cependant, quelques traits définitoires du

gothique flamboyant doivent être mis en évidence : des

piliers monocylindriques, des arcs pénétrants dans le des

chapiteaux disparus, remplacés parfois par une bague, des

voûtes à petits panneaux, à multiples nervures7 d'autres

arcs en accolade et en anse de panier, un éclairage plus

intense, des fenêtres hautes, descendant jusqu'au sommet

des grandes arcades, un décor très chargé (choux, frises)

107

Page 108: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

ou, parfois, presque absent. De remarquables exemples du

gothique flamboyant fournissent Saint-Maclou et Saint-

Ouen (la nef) à Rouen, la Trinité de Vendôme (en Loir-et-

Cher), Saint-Séverin et Saint-Germain-l'Auxerrois de Paris ;

à Lisieux : Saint-Jacques ; à Dieppe : Saint-Jacques aussi ; à

Abbeville (en Somme) : Saint-Vulfran et à Metz, le chœur

de la cathédrale. Dans son ouvrage de référence Splendeur

gothique en France, Marcel Pobé dresse un tableau imagé

de cette dernière hypostase de l'art gothique, parvenu au

crépuscule : "Les meneaux des fenêtres se mettent à

onduler, leurs encadrements se perdent dans

l'enchevêtrement des courbes et des contre-courbes. Les

socles, les baldaquins, les rampes, les gables et les pina-

cles prennent plus d'importance que les statues qu'ils

portent et qu'ils abritent, que les escaliers qu'elles bordent,

que les façades et les contreforts qu'ils surmontent. Des

murs entiers disparaissent sous les ornements. Les motifs

purement décoratifs encerclent et écrasent le statuaire qui

se complaît dans la multiplication de ses thèmes. Les jubés

et les clôtures de chœur se couvrent d'une sculpture

foisonnante. Des tabernacles tiennent toute une travée. Les

chefs de voûtes, obligés de faire contrepoids aux nervures

surajoutées, aux liernes et aux tiercerons, s'élargissent

démesurément et pendent des voûtes en stalactites

tarabiscotées …"1. Et pourtant l'art gothique garde,

jusqu'à la fin de son destin historique, une force

d'expansion qui lui permet de maintenir ses structures et 1 Op. cit., p. 41-42.

108

Page 109: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

ses formes, les empêchant de se dissoudre dans des

raffinements superflus. C'est que l'artiste gothique

continue de croire, jusqu'au bout de sa carrière, en la

réalité transcendante qu'il ne se lasse pas de représenter

avec toute sa foi inébranlable.

Et si, maintenant, après ce tour d'horizon, on nous

proposait de choisir de cette floraison d'œuvres gothiques,

celles qui possèdent vraiment la valeur intégrale d'un

paradigme, nous jetterions notre dévolu sur deux

cathédrales : Notre-Dame de Paris et Notre-Dame de

Chartres.

109

Page 110: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

CHAPITRE IIICHAPITRE III

NOTRE-DAME DE PARISNOTRE-DAME DE PARIS

"Et ce que nous disons ici de la façade, il faut le dire de l'église entière; et ce que nous disons de l'église de Paris, il faut le dire de toutes les églises de la chrétienté au Moyen Âge. Tout se tient dans cet art venu de lui-même, logique et bien proportionné. Mesurer l'orteil du pied, c'est mesurer le géant"

Victor Hugo, Notre-Dame de Paris1

Par sa situation au cœur de la capitale, son rang de

cathédrale témoin des événements majeurs qui y ont été

célébrés ou dont elle a subi le contrecoup, Notre-Dame

s'identifie à la chronique étroitement imbriquée des arts et

des hommes à travers plus de huit siècles d'histoire de

France.

La capitale s'est développée autour de l'île de la Cité

déjà au temps des Romains. Habitée par la tribu celte des

Parisii, cet espace, bien que réduit, était au croisement de

la partie navigable de la Seine - qui reliait les marchés de

l'Est aux voies maritimes vers l'Angleterre - et la route

Nord-Sud devenue la suite des rues Saint-Martin et Saint –

1 Victor Hugo, op. cit., p. 146.

110

Page 111: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

Jacques. Au IIIe siècle, des soldats et des commerçants de

passage, avaient fait partager leur foi à quelques habitants

de l'Île-de-France, alors appelée Lutèce. Mais l'ensemble

de la tribu des Parisii adoraient encore les dieux celtes ou

romains. La communauté chrétienne de Lyon leur envoya

donc un évêque, Saint-Denis, pour y fonder une église. Il

devait les rencontrer au port, près d'un pilier ou bien aux

thermes. Rapidement arrêté parce que chrétien, il fut

décapité avec ses compagnons, probablement vers 257.

Mais l'église de Paris était définitivement fondée. La statue

de l'évêque Denis se trouve au pied droit de la porte du

Couronnement de la Vierge de l'actuelle cathédrale Notre-

Dame de Paris, une autre sculpture rappelle l'origine de

l'évêque de Paris à côté du siège de l'évêque au chœur.

Mais alors que l'œuvre de Coustou au XVIIIe siècle, sur le

portail de la Vierge montre un orateur, celle de l'entrée

rappelle le récit de sa décapitation, décrivant Denis la tête

coupée à la main pour montrer que la mort n'a pas privé

l'évêque de son influence.

Au IVe siècle l'Île de la Cité se trouvait protégée depuis

peu par un mur, solidement construit, qui la rendait

imprenable. L'empereur Julien y avait résidé à deux

reprises et Valentin s'y fixa pendant quelque temps. Ce rôle

devait bouleverser profondément la cité. Une basilique

civile fut construite à l'emplacement du marché aux fleurs.

A la pointe occidentale, s'édifie ou se transforme le palais

destiné à devenir la résidence royale. Quant à la pointe

111

Page 112: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

orientale, la transformation n'est pas moins totale a' l'ouest

du mur d'enceinte, dont le passage se situait au centre de

la deuxième travée du chœur. C'est là que s'était installé

l'évêque de Paris, c'est là que s'édifia après la

reconnaissance du christianisme par Constantin, en 313, la

première cathédrale. Comme dans toutes les villes de

Gaule, l'ecclesia se constitue sur le plan institutionnel com-

me dans le domaine architectural. Dans ce dernier, on

construit la cathédrale, qui comprend en principe deux

édifices, la Domus episcopi, parfois même ce qu'il est

convenu d'appeler un hôtel-Dieu. Pour permettre la réa-

lisation de tels ensembles, l'administration impériale avait

mis à la disposition du clergé un terrain, situé à l'intérieur

des murs de la cité. Les fouilles du milieu du XIXe siècle et

reprises au XXe siècle par Michel Fleury ont mis au jour un

édifice gigantesque avec ses cinq vaisseaux et ses 36

mètres de façade. On n'en connaît pas la longueur, puisque

toute la partie orientale s'est trouvée engloutie sous la

cathédrale gothique. On peut en mesurer toute

l'importance dans une île relativement réduite, grâce au

dessin qui en a été reproduit au sol. Le plan est celui des

grandes édifices de culte construits par Constantin. Ses

dimensions ainsi que l'importance du palais, auxquelles il

faut ajouter la présence de bâtiments civils nouvellement

édifiés, mettent en évidence que, dès cette époque, Paris

est devenu l'une des villes importantes de la Gaule

romaine. On comprend mieux ainsi les raisons qui

112

Page 113: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

poussèrent le roi franc Clovis à en faire sa capitale. Cette

décision est intervenue à la suite d'un certain nombre

d'événements qui l'éclairent de façon significative :

succession de victoires sur le dernier bastion roman (486);

sur les Wisigoths, à Vouillé (508), la conversion du roi

païen au catholicisme, grâce à l'intercession de sa femme

Clotilde ; son baptême à Reims. Celui-ci fut aussitôt jugé

par la population romaine, convertie au catholicisme, mais

en butte aux vigoureuses attaques des Ariens, comme aussi

miraculeuse que la conversion de Constantin au pont

Milvius1. Le point d'orgue a été la fameuse cérémonie de

Tours qui "légitima" le barbare. L'empereur Anastase2 lui

avait adressé de Constantinople une ambassade, chargée

de lui remettre le manteau de pourpre et les diptyques

consulaires. C'était la reconnaissance officielle. Au

lendemain de cette manifestation publique, Clovis décida

d'affermir son pouvoir en le fondant sur l'existence d'une

capitale, centre administratif et symbole de son pouvoir.

Mais au même siècle, la ville était troublée de divers

désordres. L'évêque Marcel délivra les Parisii de leurs

peurs en leur proposant de vivre avec le Christ grâce aux

sacrements (fig. 47 a, b) : le Baptême, la Messe qu'il leur

expliqua. Marcel est un des trois saints protecteurs de la

capitale avec saint Denis et sainte Geneviève. Les hauts-

1 Dans le Petit Larousse en couleurs, Eds. Larousse, Paris, 1994, p. 1521, on trouvel'explication suivante de pont Milvius : pont sur le Tibre à 3 kms. Au Nord de Rome, où Constantin battit Maxence (312 ap. J. C.) 2 Le Petit Larousse en couleurs, op. cit., p 1132, Anastase Ier fut empereur d'Orient entre 491 et 518 et il soutint le monophysisme.

113

Page 114: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

reliefs de saint Marcel à la porte rouge de l'actuelle

cathédrale de Paris racontent l'œuvre de cet évêque

comme une bande dessinée. Il prêche, baptise, célèbre la

messe et vainc le dragon de la peur pour la proclamation

de la foi en Jésus Sauveur. À la porte Sainte-Anne, un autre

haut-relief représente saint Marcel, comme l'évêque

responsable du peuple de Dieu à Paris. La crosse avec la-

quelle il ouvre la gueule du dragon rappelle comment il

délivra le quartier qui porte aujourd'hui son nom des

troubles qui effrayait les gens. L'action de saint Marcel est

aussi racontée aux voussures de la porte de service du

flanc nord de l'édifice où on le voit distribuant les sacre-

ments.

Vers 430, saint Germain (fig. 48), évêque d'Auxerre,

était de passage à Nanterre. Il y remarqua la petite

Geneviève et la bénit : "Elle sera grande devant le

Seigneur"1. Elle consacra sa vie à Dieu seul. Ayant sauvé

Paris de l'invasion d'Attila, elle est devenue sa protectrice.

En effet, lorsque Attila menaça la ville en 451, les gens

voulaient fuir, mais Geneviève les réunit au baptistère pour

prier. On défendit la ville et Attila partit sans attaquer. Elle

était bien vieille quand elle ouvrit les portes de Paris au roi

des Francs, Clovis, et à son épouse, sainte Clotilde.

Plusieurs vitraux de la cathédrale de Paris racontent la vie

de sainte Geneviève.

Au VIe siècle saint Germain fit construire la cathédrale

de Paris (fig. 48 bis ) au cœur de l'île, avec l'aide du roi 1Apud Marie-Jeanne Coloni, op. cit., p. 5.

114

Page 115: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

Childebert dont il était devenu l'ami. Cette cathédrale

réunissait trois édifices : Sainte Marie, destinée à la prière

quotidienne des prêtres, le baptistère Saint Jean et une

construction plus vaste, Saint Etienne. Aujourd'hui on

trouve les restes de celle-ci dans la crypte archéologique.

Ce grand évêque a été enterré dans l'église qui porte son

nom, Saint Germain des Prés qu'il avait fondée et confiée à

des moines pour en faire un centre de prière pour la ville.

Saint Landry fut évêque de Paris au milieu du VII siècle.

Selon la tradition, il vendit ses meubles et jusqu'aux calices

de la cathédrale pour soulever les pauvres. On l'a appelé le

saint Vincent de Paul du VIIe siècle On lui attribue la

fondation du premier hôtel-Dieu.

Plusieurs fois endommagée au cours des siècles, les

églises Sainte-Marie et Saint Etienne (fig. 48 III), œuvres

de saint Germain de Paris, durent être reconstruites en un

seul bâtiment : la cathédrale actuelle. Maurice de Sully,

enfant pauvre, protégé par les moines de Saint-Benoît-sur-

Loire qui l'envoient poursuivre ses études de théologie à

l'université de Paris, devint en 1160 l'évêque de cette ville,

succédant à Pierre Lombard. Aidé par son camarade de

classe, le roi Louis VII, il entreprit la construction de 15

cathédrale en 1163.Epris de pastorale, il chercha à donner

à l'édifice une disposition originale. Aussi adopta-t-il un

plan à cinq vaisseaux, une façade à trois portails. La

cathédrale est avant tout l'église du diocèse, destinée aux

fidèles. Par là même les rapports avec le pouvoir temporel

115

Page 116: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

demeurent ambigus. En France, tout se passe comme si la

séparation entre l'autorité politique et la foi était admise.

Elle est nette encore à Paris, alors qu'elles ne se trouvent

éloignées que de quelques mètres et par quelques maisons.

Palais et ensemble cathédrale s'équilibrent déjà dans leur

masse, même si Philippe le Bel n'a pas encore donné un

aspect définitif au palais. La pointe occidentale de l'île qui

s'est, depuis antiquité, agrandie de quelques îlots et élargie

par la récupération de terrain sur les marécages, est

occupée par la cathédrale de Sully, le palais épiscopal au

sud, l'enclos canonial au nord qui tend à se développer vers

l'est ; l'hôtel-Dieu au sud-ouest. Une très large rue (6

mètres) percée par Maurice de Sully dans l'axe du parvis

(40 mètres de profondeur le relie au petit pont et au pont

Notre-Dame, et de là à l'ensemble du diocèse. Ainsi

s'explique-t-on que Notre-Dame de Paris ne fut pas l'un des

grands sanctuaires de la monarchie française : la

cathédrale de Reims en faisait fonction pour le sacre,

Saint-Denis pour la mort. Elle jouera cependant à certaines

occasions le rôle de substitut. Après Maurice de Sully, le

seigneur Eudes de Sully continua la construction de la

cathédrale entre 1195 et 1208. Il ne reste pas d'images de

Maurice et Eudes de Sully sur les murs, mais seulement le

rite de l'élévation de l'hostie à la messe que l'évêque

Maurice de Sully institua à Notre-Dame. Le poète Etienne

de Tournai composa l'épitaphe pour la tombe de l'évêque :

116

Page 117: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

"Ayant édifié un temple magnifique et de nombreux

monuments en demeurant pauvre lui-même, et ayant

préparé des refuges pour les divers pauvretés et ayant

gardé sa main ouverte à tous...il est devenu une pierre

vivante de la Cité éternelle..."1

La cathédrale de Paris devait être achevée qu'en 1272,

grâce à la générosité du peuple de Paris, de Blanche de

Castille et de Saint Louis.

Comme plusieurs autres cathédrales de France, Notre-

Dame de Paris fut construite comme un immense reliquaire

pour abriter diverses reliques et objets personnels des

saints. Les plus importantes pièces sont le reliquaire de la

couronne d'épines, un autre reliquaire contenant un

morceau de la vraie Croix et un des Clous de la passion,

une croix palatine renfermant un autre morceau de la

même Croix et des pièces d'orfèvrerie religieuse.

En 1237, au moment de la visite en France de

l'empereur byzantin Beaudouin de Courtenay, Saint Louis

entreprit avec lui des tractations en vue d'acquérir la

relique de la Sainte Couronne d'épines (fig. 49) et quelques

autres reliques de la Passion, autrefois conservées

Byzance, mais alors déposées en gage chez un banquier de

Venise. Deux ans plus tard, le roi de France désintéressa le

patricien vénitien pour l'énorme somme de cent trente cinq

mille livres et envoya des dominicains en prendre

possession. Lui-même et son frère Robert d' Artois

l'accueillirent en grande pompe à Villeneuve et la 1 Apud Marie-Jeanne Coloni, op. cit. p. 5

117

Page 118: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

conduirent à Paris. La Cité la reçut le 18 août 1239. Aux

yeux du roi Louis elle était plus précieuse qu'une couronne

d'or et que son royaume parce qu'elle symbolisait le

royaume de Dieu. Elle fut gardée pendant les siècles

suivants à la Sainte Chapelle qui fut construite comme un

somptueux reliquaire à cet effet. Peu après le

rétablissement du culte catholique qui fut interrompu à

Notre Dame de 1793 à 1801, la Sainte Couronne fut

confiée au chapitre des chanoines de la cathédrale et aux

chevaliers du Saint Sépulcre. Il est impossible de se

prononcer avec certitude sur son authenticité, bien que des

indices historiques puissent être trouvés dès le IVe siècle.

Matériellement, la relique consiste en un anneau de joncs

tressés auquel des épines auraient été attachées pour

former la couronne de dérision l'histoire des fragments de

la Croix qu'à possédés le trésor de la cathédrale est assez

déconcertante. On n'y compte pas moins de neuf parcelles

"authentiques" du XIIe au XIXe siècle : la "croix d'Anseau"

(quatre fragments), envoyée au chapitre en 1109 par un

ancien chanoine de Paris, nommé Anseau, et devenu

chantre à Jérusalem; la "croix palatine" (une portion), qui

appartient notamment à l'empereur Manuel Comnène, puis

à Anne de Gonzague de Clèves, princesse Palatine, relique

entrée à Notre-Dame le 22 février 1828 ; la "croix de saint

Claude" (une portion), que le roi René avait d'abord remise

aux Célestins d'Avignon; les reliques saintes "de Saint

Louis" (trois fragments), enfin, que le roi obtint de

118

Page 119: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

Beaudouin et déposa a Sainte Chapelle. C'est l'un de ces

trois derniers fragments, et le plus considérable (sa

longueur atteint 22 cm), qui est aujourd'hui offert à la

vénération des fidèles, à l'intérieur d'un reliquaire de

cristal, de vermeil et de bronze, dessiné par Viollet-le-Duc.

Quant aux Clous, la France en possède deux : celui de

Notre-Dame et celui de Carpentras1. Ils ne se ressemblent

pas. Le Clou de la Cité, après une existence mouvementée,

entra au trésor de Notre-Dame en 1824. Long de 9 cm et

dépourvu de tête, il est enfermé dans le reliquaire de

bronze et de vermeil qui contient également le bois de la

Croix. Mais alors que le saint Clou de Carpentras,

étonnamment inoxydable, a résisté à toutes les injures du

temps, le Clou de Notre-Dame est, au contraire, fort

rouillé. D'autre part, alors que la relique de la cathédrale

Saint-Siffrein était invoquée avec succès contre la rage, le

frère parisien ne semble pas avoir joué un rôle de

guérisseur miraculeux. Il y a là des variations de degré,

comme de nature, que ne suffisent pas à expliquer

l'optimisme thaumaturge de la Provence.

Pourtant, le premier trésor de la cathédrale est

l'Eucharistie célébrée chaque jour et conservée dans la

chapelle axiale pour la dévotion des fidèles. Parce que le

Christ a donné sa vie pour les hommes, les saints qui ont

vécu dans la diocèse de Paris sont le vrai trésor de la

1 cf. Guide de Provence mystérieuse, réalisé sous la direction de François Caradec et Jean Robert Masson, Eds. Tchou, Paris, 1965, p. 104. Les deux autres clous officiels de la Croix sont à Rome et à Monza (Italie).

119

Page 120: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

cathédrale, le signe le la puissance du Salut offert par

Jésus. Leurs images de pierre ou de verre font de la

cathédrale un grand trésor qui accueille les fidèles comme

les membres du Christ, comme les demeures du Christ, les

demeura de Dieu qui habite en eux.

La troisième par la date de construction des grandes

cathédrales gothiques françaises, après Saint-Denis et

Sens, Notre-Dame de Paris est peut-être la plus proche de

la perfection et, à coup sûr, la plus racée et la plus

admirée. Imposante et majestueuse dans son unité

stylistique et formelle, la façade de la cathédrale se

présente divisée verticalement en trois parties par les

piliers, et disposée horizontalement sur trois plans, celui

du rez-de-chaussée à ouvrant par trois portails en

profondeur. Les portails de la cathédrale, remarquables

par leur diversité et la richesse de leur iconographie, ont

pour vocation l'évangélisation des fidèles. Parmi les autres

cathédrales, celle de Paris présente une particularité

étonnante : aucun portail ne montre la profession de foi

des chrétiens comme cette affirmation : "Je crois en Dieu le

Père, Créateur... ". Par contre, trois de ces cinq portails

sont consacrés à Marie et à son Fils. "Le gothique de ces

portails est caractérisé par une façon plus tendre et plus

directe de regarder la nature et de l'interpréter, en pliant

la matière en des formes plus délicates et en faisant

circuler librement l'espace entre une figure et l'autre"1.

1 Marcel Aubert, Notre-Dame de Paris, Eds. A. Michel, 1972, p. 132.

120

Page 121: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

Les travaux de Notre-Dame commencèrent par la porte

de la Vierge (fig. 50), au côté gauche de la façade. Ce

portail a été posé entre 1210 et 122o. Il y reste encore

quelques traces des peintures d'origine, sans doute bleu

azur pour le fond, blanc et or pour les personnages.

Consacrée à Marie et à son Triomphe au Paradis, elle est

"le plus magnifique chant de gloire à la Vierge qu'ait

imaginé le XIIIe siècle"1. Le thème gracieux dont la

composition fut fixée a Senlis en 1185, et que nous

retrouvons à Jantes, Laon, Braisne, Chartres et bientôt à

Amiens, se présente ici sous un aspect unique. Les scènes

traditionnelles, la mort, la résurrection, le couronnement

de la Vierge avec leurs détails pittoresques ou émouvants,

leurs nombreux personnages, ne pouvaient convenir à

l'esprit noble et calme qui a dicté la composition de la

façade de Notre-Dame : la sculpture a réuni ici en une

seule scène la Mort et la Résurrection de Marie et

conservé à toutes les statues du trumeau et des

ébrasements et une partie des statues et statuettes des

une échelle grandiose digne de l'architecture. Les

tympans, les statues des voussures, les nombreux bas-

reliefs de la porte de la Vierge et de la porte centrale sont

anciens et d'une qualité de composition et d'exécution

remarquable que faisaient encore mieux valoir autrefois les

ors et les couleurs dont ils étaient revêtus.

La porte centrale (fig. 51), porte du Jugement Dernier,

fut sculpté vers 1220: le Christ-Juge encadré de la cour 1 Marcel Aubert, Le Gothique à son apogée, Eds. A. Michel, Paris, 1963, p. 73.

121

Page 122: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

céleste domine la Résurrection des morts et le Pèsement

des âmes. La sculpture du tympan manifeste la victoire de

Dieu sur le mal. Jésus trône au centre de la Jérusalem

céleste descendue du ciel pour abriter tous les hommes

dans la sécurité de ses murs. Sur les soubassements sont

figurées en bas-relief les vertus qui conduisent au Paradis,

les vices qui précipitent en enfer.

La porte de droite est la porte Sainte-Anne (fig. 52).

L'architecte a ici remployé le tympan et l'un des linteaux,

les statues du trumeau et des ébrasements7 et une partie

des statuettes des voussures d'un portail préparé vers

1165-117o dans l'esprit des portails de Saint-Denis et de

Chartres. Vers 1225, pour donner à cet ensemble un

volume suffisant dans la nouvelle façade, on dut ajouter un

deuxième linteau portant l'histoire d'Anne et de l'une

d'entre elles s'ouvrait justement à cet endroit. Le linteau

du tympan montre le rôle de Marie dès l'enfance du

Sauveur. Elle offre son fils à Dieu et l'accompagne lorsqu'il

est persécuté, profondément unie à sa maison. Au-dessus

de cette porte se trouve la grande rose élevée vers 125o

par Jean de Chelles qui a créé ici une œuvre d'une

hardiesse et d'une légèreté sans précédent. Cette rosace

est la plus grande avec la rosace sud. C'est aussi la mieux

conservée : la moitié de ses vitraux sont encore ceux du

XIIIe siècle.

Face au Quartier latin (fig. 53), celui des étudiants qui

parlaient latin, Saint Louis a fait dresser un portail

122

Page 123: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

consacré au premier martyr chrétien saint Etienne, patron

de la primitive cathédrale. De la gauche vers la droite et

d'en bas vers le haut on voit Saint Etienne enseignant aux

autorités juives et au peuple, puis jugé, lapidé, enseveli et

béni par le Christ. Dans la scène de l'ensevelissement,

deux clercs portent l'eau bénite, emprunté au rite

traditionnel.

A son époque, la cathédrale de Paris (fig. 54) a été le

plus grand bâtiment construit depuis les Romains. La

cathédrale a 130 mètres de long, 1o8 de large, 35 de

hauteur sous la voûte et 69 au sommet des tours et peut

contenir facilement 9ooo personnes. Elle possède un grand

vaisseau coupé par un transept et entouré de doubles

collatéraux; le déambulatoire est double également, mais

primitivement sans chapelles rayonnantes. Les grandes

arcades retombent uniformément dur des colonnes; au-

dessus, les tribunes, ensuite des roses ouvrant sur les

combles et les fenêtres hautes, assez petites et sans

meneau - on les agrandira vers 123o, aux dépens des roses

du triforium. L'élévation sera alors ramenée a trois étages.

Viollet-le-Duc a rétabli dans la première travée de la nef,

au-delà de la croisée du transept, l'élévation primitive de

quatre étages. L'alternance subsiste dans l'épine des

colonnes, qui séparent les doubles collatéraux de la nef; les

piles fortes, colonnes entourées de colonnettes en délit,

correspondent à la retombée des doubleaux et des ogives

principales des voûtes sexpartites du vaisseau central.

123

Page 124: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

L'église est divisée en cinq nefs par des piliers cylindriques

de cinq mètres de diamètre.

La longue allée qui va d'Ouest en l'est vers l'autel et le

soleil levant s'appelle nef parce que sa voûte, fichée dans

le ciel comme un bateau renversé, rappelle le symbole de

la barque de l'apôtre Pierre miraculeusement remplie de

poissons à la voix de Jésus. L'invention de la croisée

d'ogives rendait moins nécessaire le soutient des

contreforts de pierre pour affermir la voûte enfin

supportée par les piliers. Ce sont les menuisiers amateurs

de bateaux, les "nefs", qui ont montré comment bâtir la

toiture de bois et de métal des églises doute avaient-ils

profité du savoir des Normands qui tenaient des Vikings

une compétence maritime inconnue en France.

Joachin et le mariage de la Vierge et de Joseph, d'une

délicatesse charmante. Les attitudes et les draperies plus

souples, les portions plus trapues tranchent avec la raideur

des figures du linteau supérieur, longues et minces, vêtues

de robes collantes aux plis réguliers et cassants, qui

représentent les scènes de l'Enfance du Christ, et au-

dessus, la Vierge en Majesté, comme à Chartres, entre

l'évêque Maurice de Sully et le doyen du chapitre d'un

côté, le roi Louis VII de l'autre.

Au-dessus des portails se trouve la galerie dite des rois

(fig. 55) avec ses vingt-huit statues représentant les rois

d'Israël et de Juda. Mais, d'après la Bible, il n'y auraient eu

que dix-huit ou dix-neuf rois. On peut alors dire que la

124

Page 125: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

galerie des rois reprend le cycle lunaire de Vénus ou d'Isis,

parce que le mois lunaire a vingt-huit jours. Le peuple qui

avait cru y voir les rois de France détestés, les abattit en

1793; par la suite, au cours des restaurations, elles furent

remises à leur place originelle.

La partie centrale s'ouvre par deux grandioses fenêtres

géminées qui encadrent la grande rosace datant des

années 1220-1225, de 10 mètres de diamètre environ. Elle

est repartie en trois cercles, dont le deux plus grandes sont

divisés en douze et vingt-quatre parties. Les statues de la

Vierge à l'enfant entre deux anges au centre, d'Adam et

d'Ève sur les côtés constituent l'élément plastique de cet

étage intermédiaire. Au-dessus de celui-ci court une

galerie d'arcatures entrelacées, véritable dentelle en

pierre, trait d'union entre les deux tours latérales. La

galerie ajourée est surmontée d'une balustrade, royaume

de chimères, striges, démons, monstres, oiseaux aux

formes fantastiques ou fabuleuses, des figures grotesques

de monstres grimaçants, nés aux endroits les plus sombres

et inattendus de la cathédrale. Elle même est dominée par

les deux tours d'où on peut admirer le célèbres gargouilles.

Perchées sur un pinacle gothique, à demi cachées par une

flèche ou en équilibre sur un prolongement du mur, toutes

ces figures de pierre semblent être là depuis des siècles, à

méditer sur le destin de l'humanité qui grouille là, très loin

en bas.

125

Page 126: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

Les tour latérales n'ont jamais été terminées et même

sans les flèches conservent toute leur séduction due aux

immenses fenêtres géminées. La tour sud renferme un

bourdon de 13 tonnes dont la sonorité exceptionnelle serait

due aux bijoux d'or et d'argent qui furent mêlés au bronze

lorsqu'il fut fondu. Il date de Louis XIV et fut baptisé

Emmanuelle-Louise Thérèse. Elle est considérée la plus

vieille et la plus grosse cloche de Notre-Dame puisqu'elle

date de 1631).

Le portail du bras nord (fig. 56) de la cathédrale porte

aussi le nom de la rue de Cloître, ainsi dénommé parce que

le quartier qui bordait la cathédrale de ce côté constituait

un enclos auquel plusieurs portes donnaient accès.

Le plan primitif de la cathédrale Notre-Dame de Paris

ne prévoyait pas les chapelles qui rayonnent tout autour de

l'édifice. C'est Saint Louis qui fit reculer les murs des

allées latérales entre les contreforts à partir de 1235 pour

donner ces nouvelles chapelles aux confréries de

travailleurs. Les 128 corporations de la fin du XIIIe siècle

se montraient très généreuses envers la cathédrale : celle

des orfèvres, surtout, très illustre dans toute l'Europe,

offrait des "Mays" à la Vierge Marie, le premier Mai de

chaque année, d'abord des fleurs ou un bouquet de

verdure, puis de petits tableaux devant l'église, puis des

oeuvres d'art. Notre-Dame de Paris (fig. 57) est sombre,

l'histoire de sa construction nous l'a fait comprendre. On

est ravi par l'éclat d'un grand mur de lumière colorée, la

126

Page 127: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

rose nord. À gauche, la rose ouest semble saillir du buffet

des orgues. A l'arrière on aperçoit la rose du midi qui

flamboie. Serait-il là dans "la Ville sainte, Jérusalem qui

descendait du ciel, avec ses murailles grandes et hautes,

parées de toute pierre précieuse, jaspe, saphir, émeraude

etc."1 douze couleurs au total, ainsi que les présente

l'Apocalypse.

Toute la richesse lumineuse de Notre-Dame est là! Des

vitraux, il y en eut bien plus, sans doute des meilleurs, mais

le siècle des lumières est passé par là. Seules les roses ont

échappé, en 1753, au vandalisme des chanoines qui firent

casser cette vitrerie "barbare" pour la remplacer par de

fades verrières qui ne survécurent pas à quelques

décennies de manque d' entretien.

Architecturalement, les trois roses de Notre-Dame sont

des tours de force de leurs architectes. Les signes du

zodiaque des vitraux de la grande rosace centrale, et ceux

sculptés, du portail de la Vierge sont généralement

considérés comme des représentations du cycle annuel. Il

est remarquable, cependant, que le cercle céleste de la

rosace de la façade ne commence pas par le signe du

Bélier, ainsi que le voudrait l'astrologie occidentale, mais

par les Poissons, comme dans la tradition hindoue. Signe

astrologique de la vie mystique, de l'union intime de l'âme

individuelle avec l'âme du monde, les Poissons sont le

signe de Vénus dans la mythologie grecque. L'élément

1 Marie-Jeanne Coloni, Au cœur de la cité; vivante cathédrale, Eds. du Signe, Paris, 1995, p. 39.

127

Page 128: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

aqueux des Poissons complète l'élément terrestre de la

Vierge, la conscience de l'universel complétant la

conscience de sa propre matière.

Là Vierge placée au centre de la rose d'ouest porte une

robe verte sous un manteau rouge, alors qu'en symbolique

chrétienne on lui attribue toujours la couleurs bleue. Dans

toutes les traditions initiatiques, on retrouve une valeur

symbolique affectée au rouge. Et, dans le cas de la Vierge

de la rosace, l'image du manteau est elle-même une arme

parlante. Dans la franc-maçonnerie de "rite écossais ancien

et accepté", le temple où l'on confère le titre de Chevalier

d'Orient et d'épée" (15e degré, premier grade reçu par

l'initié venu des loges de perfection) est divisé en deux

appartements, l'un vert, l'autre rouge1. Pour Fulcanelli2 le

rouge est la couleur de la pierre philosophale: "… Quant au

rouge, symbole du feu, il marque l'exaltation, la

prédominance de l'esprit sur la matière, la souveraineté, la

puissance et l'apostolat. Obtenue sous forme de cristal ou

de poudre rouge, volatile et fusible, la pierre philosophale

devient pénétrante et susceptible de guérir les lépreux,

c'est-à-dire de transmuer en or les métaux vulgaires que

leur oxydation rend inférieurs, imparfaits, malades ou

infirmes". La rose de l'ouest (fig. 58), en partie cachée par

les orgues, nous rappelle que Viollet-le-Duc, son

restaurateur, devançant la théorie baudelairienne des

correspondances, imaginait, enfant, que la musique des 1 Cf. Guide du Paris mystérieux, p. 563.2 A. Fulcanelli, Le Mystère des cathédrales, Eds. Denoël, Paris, 1957, p. 129.

128

Page 129: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

orgues naissait de la lumière rayonnante à travers les roses

de Notre-Dame. Ainsi, une cathédrale sans voix et sans

musique ne serait qu'un vaisseau vide et sans âme. Dès son

origine, la cathédrale de Paris et la Musique ne firent

qu'un. A la fin du XIIe siècle, les voûtes en ogive, toute

nouvelles, lancées en plein ciel pour constituer le choeur

de l'église, rappelaient une musique, toute nouvelle aussi.

Les maîtres de chartreuses de l'époque mirent au point un

style audacieux de chant à. plusieurs voix superposées, qui

fit le renom de l'Ecole Notre-Dame, avec Léonin, Pérotin et

leurs célèbres "organa". C'est à la même époque que fut

mis en service le premier orgue de la cathédrale. C'était un

petit orgue, qui se mêlait au choeur pour soutenir la teneur

du plain-chant.

L'architectonie propre à Notre-Dame de Paris, cette

organisation spécifique de l'espace cathédral

correspondant à sa triple fonction de Maison de Dieu,

Maison du Peuple et Maison de l'évêque, est porteuse aussi

d'une autre haute signification spirituelle. De ce point de

vue , cette cathédrale représente aussi un autel dressé à la

Sainte Vierge à laquelle on a rendu un culte ardent à

travers tant d'âges et de générations de Rutebeuf et de

Villon à Péguy et à Claudel, de saint François de Sales à

Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus et à Jean-Paul II. Et nous

n'avons cité que quelques-uns de ceux qui ont donné à la

dévotion mariale une force d'expression, une piété et un

lyrisme inoubliables.

129

Page 130: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

Dans sa prière devant Notre-Dame de Paris, récitée le

30 mai 1980, le pape Jean-Paul II lui adressait cette

supplication fervente, caractéristique pour la sensibilité du

chrétien contemporain :

Vierge Marie, au cœur de la Cité

Nous te prions pour notre ville capitale.

Toi, l'Intacte, garde-lui la pureté de la foi!

Vierge Marie, depuis ce bord de Seine,

Nous te prions pour le pays de France.

Toi, Mère, enseigne-lui l'espérance!

Vierge Marie, en ce haut lieu de chretienté,

Nous te prions pour les peuples de la terre.

Toi, pleine de grâce, obtiens qu'ils soient un dans l'Amour!"1

Pôle magnétique de la spiritualité française, repère

emblématique de tout un pays, Notre-Dame de Paris est

plus vivante aujourd'hui que jamais. Et son âge compte

huit siècles! Tout au long de l'année, les communautés de

fidèles se succèdent pour célébrer l'unité de l'Eglise dans

sa diversité : étudiants au départ de la route de Chartres,

jeunes confirmés, catéchistes, mouvements de jeunes et

d'aînés, ordinations diaconales ou sacerdotales. La

cathédrale reste ainsi une église ouverte sur le monde

contemporain dont l'universalité est signifiée dans toute

liturgie : fêtes solennelles et dimanches rassemblent des

chrétiens de tous les points cardinaux qui peuvent, chacun

dans sa langue, proclamer la gloire de Dieu. De toute

façon, pour quiconque franchit son seuil, Notre-Dame se

1

? Apud Marie-Jeanne Coloni, op. cit., p. 47.

130

Page 131: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

fait maternelle : on ne la visite pas, il faut y entrer et se

laisser habiter par une présence. Le poème si connu que

Paul Claudel a dédié à Marie garde toujours, toute fraîche,

l'émotion frémissante d'un tel instant :

"Il est midi, je vois l'église ouverte. Il faut entrer

Mère de Jésus, je ne viens pas prier.

Je n'ai rien à offrir et rien à demander.

Je viens seulement, Mère, pour vous regarder.

Vous regarder, pleurer de bonheur, savoir cela

Que je suis votre fils et que vous êtes là…"1

CHAPITRE IVCHAPITRE IV

NOTRE-DAME DE CHARTRESNOTRE-DAME DE CHARTRES

"En somme, avec la teinte de ses pierres et de ses vitres, Notre-Dame de Chartres était une blonde aux veux bleus. Elle se personnifiait en une sorte de fée pâle, en une Vierge mince et longue, aux grands yeux d'azur ouverts dans les paupières en clarté de ses roses ; elle était la mère d'un Christ du Nord, d'un Christ de primitifs de Flandres, trônant dans l'outremer d'un ciel et entourée, ainsi qu'un rappel touchant des Croisades, de ces tapis orientaux de verre."

1 A ses dix-huit ans éclate "la crise", dont la solution va fixer une fois pour toutes le sens de la vie et de l'œuvre de Claudel. Il devait faire le récit de cette transfiguration en ces termes : "Tel était le malheureux enfant qui, le 25 décembre 1886, se rendit à Notre-Dame de Paris pour y suivre les offices de Noël. Je commençais alors à écrire, et il me semblait que dans les cérémonies catholiques, considérés avec un dilettantisme supérieur, je traversais un excitant approprié et la matière de quelques exercices décadents. C'est dans ces dispositions que … j'assistai, avec un plaisir médiocre, à la Grand Messe. Puis … je reviens aux Vêpres. Les enfants de la Maîtrise … étaient en train de chanter ce que je sus plus tard être le Magnificat. J'étais moi-même debout dans la foule près du second pilier à l'entrée du chœur, du côté de la Sacristie. Et c'est alors que se produisit l'événement qui domine toute ma vie. En un instant mon cœur fut touché et je crus. Je crus d'une telle force d'adhésion, d'un tel soulèvement de tout mon être que, depuis, tous les livres, tous les raisonnements, tous les hasards d'une vie agitée n'ont pu ébranler ma foi ni, à vrai dire, la toucher …" (Contacts et circonstances, 1940). In Collection littéraire Lagarde et Michard, Xxe siècle, p. 188) Les vers cités se trouvent dans le livre de Jeanne Marie Coloni, op. cit., p. 46.

131

Page 132: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

J.-K. Huysmans, La Cathédrale

A l'extrémité de la Beauce, au bord du plateau

brusquement interrompu, Chartres est à la fois une ville de

plaine, avec son vaste horizon de blés, et une ville en

hauteur, où monte la progression des toits, le long des

pentes raides et des ruelles à pignons. A l'est, le socle de

l'église est coupé par une faille, et l'abside domine le vide ;

à l'ouest, le plateau penche avec douceur. La cathédrale,

comme une place d'armes, commande et possède la ville.

Depuis les bras de l'Eure qui coulent au pied de l'escarpe

et qui dessinent des îlots de jardins, on dirait qu'elle attire

Chartres pour le prolongement dans les cieux, avec ses

ponts, ses moulins, son boulevard d'arbres, sa porte

fortifiée, ses églises, Saint-André, Saint-Pierre, Saint-

Aignan. Ces sites, ces paysages où s'est développée la

pensée gothique font partie d'elle-même.

C'était là, un siècle avant Jésus Christ, l'Autricum de

César, un important nœud routier dans une boucle de

l'Eure, sur un promontoire de 160 mètres altitude, hauteur

considérable pour la région de Beauce. Christianisée dès le

Ier siècle par des saints fabuleux, Altin et Eodald, la ville

une évêché au IVe siècle avec saint Aventin qui y éleva la

première église. Au même siècle, le martyr saint Georges

se fit remarquer. Son culte fut très populaire, dans le

Moyen Age, aussi bien en Occident, qu'en Orient. Mais on

ne sait rien de sa vie. On l'identifie parfois avec le jeune

132

Page 133: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

homme qui déchire de ses mains l'édit de persécution

contre les chrétiens, comme un vitrail de la cathédrale le

montre. Un autre vitrail de la cathédrale de Chartres

représente son combat contre le Dragon qui est le symbole

de son triomphe contre le paganisme. La statue de saint

Georges du portail sud incarne la force virile en chevalier

du temps de Saint Louis (vers 12407). Il est représenté à

pied, armé comme un croisé, prêt de combattre contre le

paganisme. A côté de cette statue on remarque celles du

saint Vincent, saint Denis et saint Piat. Saint Vincent,

d'origine espagnole, est représenté avec ses ornements de

diacre, portant le gril de son supplice. Les épisodes de sa

vie sont contés sur les vitraux. Saint Piat évangélisa la

région de Beauce et sa statue le représente bénissant le

peuple.

La fortune de cette ville vient du culte d'une vierge

noire dite Notre-Dame-Sous-Terre, dont l'origine est

païenne et d'une relique de la chemise de la Vierge donnée

vers 876 par Charles le Chauve. Très importante ville

médiévale de pèlerinage, puis de métiers d'eau (moulins et

tissages), elle révèle de son évêque, prince du plus grand

évêché de France, contenant dix-sept cents paroisses entre

Seine et Loire. Le plus riche aussi, avec les fermes de blé

de la Beauce. Tout cela justifie la construction d'un premier

sanctuaire monumental par l'évêque Gislebert, puis sa

reconstruction après l'incendie de 1020, par l'évêque

Fulbert, au XIe siècle, quand la ville était déjà célèbre en

133

Page 134: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

Europe et surtout en Angleterre par ses écoles de théologie

et de philosophie. L'évêque Fulbert dit aussi saint Fulbert

de Chartres, fut très important pour l'histoire de la ville.

Venu vers 984 à Reims pour suivre l'enseignement de

Gislebert, il devint l'ami du futur roi de France, Robert. En

992 il étudia la médecine à Chartres où il fut élu évêque en

1006. Il devint le conseiller du roi Robert, dont il défendit

les intérêts avec rigueur, notamment à l'assemblée de

Chelles (1008). Grâce à l'amitié de Guillaume V, duc

d'Aquitaine, il entreprit la cathédrale de Chartres.

Malgré trois incendies et une reconstruction partielle,

la cathédrale de Chartres reste encore d'une admirable

sobriété. Le 5 septembre 1134, la façade de la cathédrale,

construite au XIe siècle par Fulbert, fut détruite par un

incendie. Aussitôt, les deux grandes tours sont

commencées, d'abord celle du Nord, puis vers 1145 celle

du Sud. La façade, prévue un peu en arrière de ces tours,

avancée, vers 1150, leur niveau occidental et enrichi d'une

magnifique décoration sculptée, le Portail Royal. Les

travaux avancèrent rapidement grâce à l'enthousiasme de

la foule qui aida les ouvriers à amener des carrières de

Berchères les beaux blocs de pierre dont elle est

construite.

"Le vendredi 11 juin 1194, le feu démoniaque

réapparut. La charpente, comme toujours nourrit son

appétit. Le toit était en plomb, et le métal fondu, tombant

dans le brasier, rendait tout secours impossible.

134

Page 135: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

Impuissant, le peuple fidèle vit, des heures durant, les

verrières éclater, les murailles chères crouler, cependant

que le vent jetait les flammèches sur tous les quartiers de

la ville. Cette fois, il s'en fallut de peu que le désespoir eût

raison de toute confiance en la Sainte Providence. Puisque

Dieu lui-même semblait ne pas vouloir protéger sa

demeure, pourquoi les hommes s'obstinent-ils à la

réédifier?"1 A la suite de cet incendie, seules les parties

voûtées, cryptes et narthex furent protégées. Restèrent

intactes aussi les deux clochers et la façade occidentale, le

Portail Royal avec ses verrières.

A la Révolution, le mobilier fut brisé, le trésor fondu,

bien des motifs mutilés, nais, heureusement, sculptures et

vitraux furent épargnées.

Un nouvel incendie, le 4 juin 1836, détruit beffrois et

charpentes, mais les voûtes résistèrent et la cathédrale fut

sauvée. Une charpente de fer la protège aujourd'hui. Après

cet incendie on restaura le clocher Vieux et la seule grande

flèche authentique de France.

Chartres est un important centre de pèlerinage dû au

culte de la Vierge, dès le VIIe siècle. Il est vraisemblable

que son développement prit une certaine importance sous

l'évêque Fulbert, qui prît à cœur de développer le culte de

la Vierge, en donnant à la fête de la Nativité de la Vierge (8

septembre) une solennité particulière. Elle devint aussitôt

L'un des jours où les pèlerins affluaient, avec le 15 août,

l'Assomption. C'est en fait au cours des XIIe et XIIIe 1 Daniel Rops, op. cit., p. 61

135

Page 136: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

siècles que le pèlerinage prit une ampleur exceptionnelle,

comme l'atteste d'ailleurs, en 1260, le pape Alexandre IV

qui évoque la "multitude innombrable des fidèles"1.

Simples fidèles, puissants seigneurs s'y côtoyaient. Henri

III d'Angleterre y vint à plusieurs reprises et Saint Louis s'y

rendit pieds nus de Nogent-le-Roi. La Révolution

interrompit provisoirement ce flot humain qui reprit dans

la seconde moitié du XIXe siècle. Péguy s'y rendit en 1912,

et sur ses traces les étudiants dont le nombre ne fit que

s'amplifier, pour atteindre en 1995 le chiffre de 30 000.

Cette célébration de la Vierge, qui prend au cours du XIIe

siècle une ampleur spectaculaire, a'appuyait en outre sur

la présence d'une statue de bois et d'une sainte relique.

Cette statue de bois figurant la Vierge assise tenant son

Fils sur ses genoux soulève un certain nombre de

difficultés d'interprétation qui expliquent le halo

mystérieux dont elle est entourée très tôt. Sa disparition en

1793 oblige à se référer aux quelques documents

graphiques (fig. 59) qui la représentent et à la copie qui en

est effectuée sans doute au XVIIe siècle, conservée depuis

1897 par le Carmel de Chartres. L'original, dont on peut

dire qu'il a été taillé dans du bois de poirier est entouré dès

le Moyen Age d'une signification particulière, dont on

trouve le premier témoignage en 1389, mais qui remonte à

une date plus ancienne. La statue, antérieure au

christianisme serait une préfiguration, à l'époque païenne,

de la venue de Messie. Elle serait l'œuvre des druides qui 1 apud Alain Erlande-Brandenburg, Chartres. Dans la lumière de la foi, p. 11

136

Page 137: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

lui auraient rendu un culte spécial sous le nom de "Virgo

paritura", la Vierge parturiente, la plaçant au-dessus d'un

autel abrité dans une grotte. Mais il est sûr qu'elle existait

bien avant et qu'en arrivant en ce lieu, avec leurs

évangéliaires et leurs capsules à reliques, les porte-parole

du Christ, reconnaissant en ces mythes l'obscur

pressentiment des vérités chrétiennes, n'avaient dû faire

selon le conseil du grand pape Grégoire que les baptiser".

l'originalité de l'œuvre, son aspect extérieur - le bois est

mangé - les vers et son aspect rendu noirâtre par la fumée

des cierges - expliquent aisément que le sentiment

populaire n'a pas hésité à en faire remonter l'exécution

dans le temps. Il s'agit en fait d'une statue du XIIe siècle

dont on trouve de très nombreux témoignages en

Auvergne, mais aucun dans la France du Nord. On

s'explique aisément l'incompréhension dont elle est

entourée et son exégèse. C'est cette Vierge – aujourd'hui

remplacée par une copie - dont s'inspira le sculpteur qui

exécuta le tympan du portail sud, à la façade occidentale.

En 876, Charles le Chauve fit don de la "Sainte-

Chemise" de la Vierge qui a été envoyée à Charlemagne

pour Aix-la-Chapelle par l'empereur byzantin. La présence

de cette importante relique doit avoir un rôle primordial

dans le culte de la Vierge. Elle passa pour être la robe

qu'elle a portée le jour de l'Annonciation et se trouve

précieusement conservée au Xe siècle dans une châsse de

bois revêtue de plaques d'or. Au XIVe siècle, Charles V

137

Page 138: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

l'enrichit du fameux camée antique figurant Jupiter et son

aigle qui passe pour représenter saint Jean et son symbole

de la cathédrale et est censée la protéger de tous les

drames. Il s'agit d'une pièce d'étoffe orientale qui pourrait

remonter au premier siècle chrétien.

A ces deux précieux reliques s'ajoute un élément

architectural qui prend dès l'origine une profonde

signification symbolique : les Puits des Saints Forts (fig.

60). Comblé au milieu du XVIIe siècle, il est découvert lors

des fouilles effectuées en 1901 par René Merlet, dans le

mur sud de l'avant-dernière travée du bas-côté nord de la

crypte. "Les païens l'avaient-ils - cet usage était répandu

chez eux - entouré de vénération, comme ils faisaient de

sources et des fontaines sacrées, en qui ils voyaient les

gîtes de déesses liquides?"1. Au XIIe siècle il porte le nom

de Puits des Saints Forts, par référence à la Passion de

Saint Savinien. Elle affirma que les corps des premiers

chrétiens - les saints Forts - y seraient précipités après leur

martyre. Dès cette date, le puits jouit d'une grande

réputation et le moine qui rédige vers 1080 le Cantulaire

de Saint-Pierre assure qu'il est l'objet d'un pèlerinage très

fréquent depuis 858, et que l'eau puisée opère de

nombreux miracles. Sa réputation fut telle qu'un hôpital fut

installé à proximité dans une des galeries des cryptes, pour

y soigner les malades pris de ce qu'on appelle, au Moyen

Âge, "le Mal des Ardents"2. Des religieuses leur assurèrent

des soins attentifs durant neuf jours. La liaison étroite 1 Daniel Rops, op. cit.

138

Page 139: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

entre un puits dont l'eau est jugée miraculeuse et le culte

des martyrs n'a rien d'exceptionnel à l'époque. Il en existe

de nombreux exemples, ainsi à Saint-Médard de Soissons,

à Saint-Germain-des-Près à Paris, à Saint-Géréon de

Cologne, à Saint-Pierre-le-Vif à Sens, à Saint-Martin de

Tours. Il semble bien que la présence de puits creusés à

proximité d'une tombe sainte soit une indication de haute

antiquité, même s'il existe des exemples tardifs. Ainsi, à

Lagny, le puits n'a été creuse qu en 1074. A Chartres, il

prend une signification particulière parce qu'il paraît être

associé très tôt non pas tant au culte des martyrs qu a celui

de la statue de la Vierge parturiente. Il semble bien que

l'évolution architecturale de la cathédrale soit liée à cette

jonction exceptionnelle: la statue de la Vierge et l'eau

miraculeuse se trouvent étroitement associées

topographiquement depuis une date qu'il n'est pas possible

de fixer et qui doit se prolonger jusqu'au milieu du XVII e

siècle.

Depuis les temps les plus anciens, les chrétiens se sont

acheminés sur les routes pour venir prier à l'intérieur de la

cathédrale, unissant leur prière pour exprimer leur foi et

leur vénération envers la Mère du Christ. Les pèlerins

modernes sont les héritiers de ceux qui ont découvert au

début du XIII siècle, la cathédrale éclatante dans sa

parure de pierre.

2 Le mal des ardents était une maladie présentant les caractères de l'ergotisme, quisévit sous forme d'épidémie du Xe au XIIe siècle (apud Le Petit Larousse en couleurs, Eds. Larousse, 1994.)

139

Page 140: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

Les sculpteurs qui venaient d'achever à Saint-Denis la

tâche que leur avait assignée Suger furent sollicités de

travailler au milieu du XIIe siècle au Portail Royal de

Chartres, sur la façade occidentale d'une cathédrale que

l'incendie détruisit quelques décennies plus tard. L'édifi-

cation de ce front occidental (fig. 61) prend une

signification particulière, "étroitement liée à la réflexion

métaphysique d'un certain nombre de religieux"1 .Pour la

première fois dans l'histoire, le front occidental d'une

cathédrale adopte une partie sculptée que les bénédictins

avaient répandu à Cluny, à Noissac, Saint-Denis. Le thème

fut repris aussitôt dans toutes les cathédrales de l'Île-de-

France, puis bientôt dans sa périphérie. Grâce à sa largeur

le transept put recevoir des portails sculptés rivalisant

d'ampleur avec ceux de la façade principale. Ainsi, à

Chartres, on peut voir pour la première fois trois portails à

chaque bout du transept. Ce qui explique que la surface

sculptée, auparavant réservée au portail d'entrée, fut

multipliée par trois. Parallèlement à cette amplification du

programme sculpté apparut un changement de style. On

passa d'une conception seulement dynamique de la

sculpture romane, animée mais plate, à une conception

plus plastique : la sculpture se libéra de l'architecture.

L'art gothique ainsi défini alliait le sens du monumental à

la souplesse des attitudes, et prit toute son ampleur avec la

prodigieuse équipe réunie sur le chantier de Chartres. Les

1 Alain Fulcanelli, L"e Mystère des cathédrales, Eds. Denoël, Paris, 1957, p. 87.

140

Page 141: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

différents portails de la cathédrale permettent de suivre les

étapes de cette transformation"1.

Certains archéologues s'accordent à considérer le

Portail Royal postérieur à la construction des deux tours.

Ils observent que la liaison de maçonnerie, qui n'existe pas

au rez-de-chaussée, se trouve au-dessus; elle se fait à nord,

dès la troisième assise qui sépare le niveau inférieur de

celui des trois baies; au sud, au-dessus du premier cordon

horizontal de la tour sud. A la différence de Saint-Denis, à

Chartres les trois ouvertures correspondent au seul

vaisseau central. Les divisions verticales disparaissent au

niveau inférieur derrière les statues-colonnes qui tapissent

les six pieds droits et se retournent sur les faces.

"L'impression ressentie devait être plus forte à l'origine,

lorsque les vingt-quatre statues se trouvaient présentes,

soulignant avec force l'horizontalité, la volonté d'

enchaînement plus affirmée que celle de division"2.

Dans le projet de relèvement de la cathédrale détruite

par l'incendie de 1194, on avait décidé de maintenir le

Portail royal au pied de la façade occidentale de la nouvelle

cathédrale entre les deux tours également conservées - on

fut amené à reporter le programme iconographique que

l'on s'habituait à développer à la façade des cathédrales

aux portails latéraux du transept qui prirent, de ce fait, une

importance considérable. Au nord la porte centrale (fig.

62 ) est consacrée au triomphe de la Vierge qui est aussi 1 Alain Erlande-Brandenburg, La sculpture gothique, p. 120.2 Alain Erlande-Brandenburg, Chartres. Dans la lumière de la foi, Eds. Robert Laffont, Paris, 1986, p. 37.

141

Page 142: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

l'Eglise, la porte de gauche aux scènes de l'Enfance du

Christ, et la porte de droite aux grandes figures de la Bible.

Au sud règne le Nouveau Testament (fig. 63) : à la porte

centrale le Jugement Dernier, la glorieuse phalange des

martyrs à la porte de gauche et celle des confesseurs à la

porte de droite. Cet ensemble magnifique, un des plus

considérables qu'ait créés le Moyen Âge, ne fut pas

exécuté d'un seul coup; l' étude de la statuaire et de la

décoration des portails et des deux grands porches qui les

précèdent permet d'entrevoir la suite dos travaux qui se

sont succédé, à peu près sans interruption, pendant plus

de cinquante ans, de l200 à 1260.

Les deux portes centrales représentant le Triomphe de

la Vierge au nord et le Jugement au sud sont les plus

anciennes. Dans les deux, les grandes statues des

ébrasements, patriarches et prophètes au nord, apôtres au

sud sont encore raides, allongées contre les colonnes

comme au Portail royal, mais le sculpteur leur a donné la

vie; les proportions sont bonnes, les têtes sont tournées à

droite, à gauche, inclinées en avant, rejetées en arrière; les

bras cependant restent collés au corps, les pieds sont

ballants, les plis sont raides et parallèles, ces nombreux

plis minces et peu profonds qui sont une des

caractéristiques de l'art de Chartres; une lumière douce,

blonde, enveloppe ces statues taillées dans le beau liais de

Senlis"1.

1 Marcel Aubert, Le gothique à son apogée, op. cit., p. 66.

142

Page 143: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

Au nord sont représentés, comme a Senlis et surtout à

Laon et à Mantes les patriarches et prophètes (fig. 64 a et

b), préfigures du Christ qu'ils annoncent par leurs actes et

leurs paroles : à gauche David, Samuel, Moïse, Abraham et

Melchisédech, à droite Isaïe, Jérémie, le vieillard Siméon,

saint Jean Baptiste et saint Pierre, le rational d'Aaron sur la

poitrine. Ces figures "à l'ovale allongé, aux traits

sommairement accusés, aux yeux peu marqués sous

l'orbite peu saillante et arrondie, aux visages étonnés,

sévères"1 sont parmi les plus belles qu'ait imaginées le

Moyen Âge de ces grands personnages de la Bible. On les

imitera, à la façade ouest de la cathédrale de Reims

notamment, mais sans les égaler jusqu'au moment où

Claus Sluter, au puits de la Chartreuse de Champmol, les

recréera en des types inoubliables.

Les figures du portail sud sont du même type, peut-

être un peu plus récentes, avec quelque chose de plus

accentué dans les traits. La plus belle, celle du Christ

enseignant, au trumeau, a beaucoup de traits commun

avec une statue du portail nord, celle de Jérémie, mais

traitée par un artiste plus sûr de ses moyens. "Les yeux

peu creusés, le nez fort, les lèvres épaisses, les pommettes

saillantes, il n'a pas la grandeur noble et simple du Beau

Dieu d'Amiens qui domine et plane au-dessus des foules.

Sa figure douce, calme, sensible, sa bouche pitoyable, un

peu douloureuse, le rapproche de cette humanité vers

1 Henri Focillon, Moyen Âge roman et gothique, Eds. Livre de poche, Librairie Armand Colin, Paris, 1992, p. 419.

143

Page 144: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

laquelle il semble incliner sa belle tête"1. La statue de

sainte Anne portant la Vierge au trumeau de la porte nord

est, peut-être la plus récente de ce groupe, n'ayant pu être

exécutée qu'après l'arrivée en 1204 du chef de la sainte

conservé jusque-là à Constantinople.

Le tympan de la porte nord représente la Mort, la

Résurrection et le Couronnement de la Vierge, comme à

Senlis, mais ici le thème s'est ordonné simplifié et a pris

cette magnifique grandeur qui gardera dans toute la

France aux XIIIe et XIVe siècles. Au tympan de la porte

sud est sculpté le Jugement Dernier. Ce thème est

représenté dans tous ses détails : Résurrection des Morts,

Pèsement des âmes, Séparation des élus et des damnés,

récompenses et supplices, mais le sculpteur n'a pas su le

faire tenir tout entier dans son cadre; l'unité de la

composition en souffre, et la scène n'a pas la grandeur des

Jugements derniers de Paris, Amiens ou de Bourges. Le

Christ-Juge assis entre la Vierge et Saint Jean, et les anges

portant les instruments de la Passion, occupe presque

toute la hauteur du tympan. Dans la foule des élus et des

damnés, les femmes portent déjà le couvre-chef et le touret

du temps de Saint Louis. Les neufs chœurs des anges

accompagnent la scène dans les voussures.

Les portes latérales ont été ajoutées après coup : la

chose est nettement visible du côté nord; celles du sont

plus anciennes que celles du nord. Au sud, la porte des

martyrs, de gauche, est antérieure à celle des confesseurs, 1 Henri Focillon, op. cit., p. 67.

144

Page 145: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

à droite (fig. 65). Les trois dernières statues de chaque

côté de la porte des martyrs, saint Etienne, saint Clément

et saint Laurent d'un côté, saint Vincent, saint Denis et

saint Piat à droite, relèvent encore du type des statues

appuyées aux colonnes; elles sont très différentes des

statues de saint Georges et de saint Théodore, nettement

plus récentes, détachées de la colonne, "souples et

vivantes, de bonnes proportions, et bien campées sur leurs

jambes"1.

Les six grandes statues au fond des ébrasements de la

porte des confesseurs appartiennent au même type que

celles de la porte des martyrs, mais on peut y noter la

transformation de la statue colonne en statue

indépendante ; à gauche, un pape, un archevêque et un

évêque, saint Léon ou saint Sylvestre, saint Ambroise et

saint Nicolas. "Grands, élancés, le geste identique, la tête

droite, un peu hautains dans leurs lourdes ornements, ils

ont la réserve, la dignité, la noblesse des princes de

l'Eglise"2. Les trois statues de droite sont particulièrement

remarquables ; saint Grégoire, "rayonnant d'une vie

intérieure intense"3 écoute la colombe qui lui dicte les

paroles du Saint-Esprit; saint Jérôme, le savant du cabinet,

le traducteur de la Bible, petit, timide, craintif presque,

semble s'abriter sous la protection de son puissant voisin,

saint Martin. Le corps dressé, comme tendu, plus grand

que les autres, les traits violents, thaumaturge et apôtre, 1 Georges Duby, Le temps des cathédrales, Eds. Gallimard, Paris, 1981, p. 81.2 Georges Duby, op. cit., p. 82.3 Henri Focillon, op. cit., p. 421.

145

Page 146: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

celui-ci parcourt la Gaule sans relâche, chassant les

démons, renversant les idoles, baptisant les foules"1. Deux

de ces statues, celles Je saint Nicolas et de saint Jérôme,

bien campées sur leurs jambes, les pieds posés sur la

tablette horizontale, ne sont plus des statues-colonnes,

elles sont vivantes.

Au tympan de la porte de gauche est sculpté l'histoire

de saint Etienne, le premier martyr; à la porte des

confesseurs, des scènes de l'histoire de saint Nicolas et de

saint Martin.

Aux portes latérales de la façade nord, les statues des

ébrasements sont également bien campées et pleines de

vie : l'Annonciation et le prophète Isaïe, la Visitation et le

prophète Daniel à la porte de gauche; Balaam, Salomon et

la reine de Saba; Jésus, Judith et Joseph à celle de droite.

Aux tympans sont représentés, à gauche la Nativité, à

droite le Jugement de Salomon et les souffrances de Job.

Encadrées dans les voussures, de charmantes scènes

prises aux histoires de Samson, de Gédéon, de Judith et

d'Esther.

Les porches ont été ajoutés en avant des portails et

sont ornés de bas-reliefs et de statues d'un style plus

avancé qui annonce les jolies figurines de l'ancien jubé

dont on a retrouvé quelques fragments.

La cathédrale de Chartres est la première grande

cathédrale gothique libérée de l'encombrement des

tribunes, désormais remplacées par les arcs-boutants qui 1 Ibidem.

146

Page 147: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

permettront toutes les audaces de construction. Le

constructeur sûr de lui n'hésitant plus sur les moyens

d'équilibrer les voûtes hautes grâce aux arcs-boutants

appuyés sur de hautes culées, supprime les tribunes et

ouvre des larges fenêtres aux vitraux étincelants où les

hommes du Moyen Âge aimaient voir vivre dans l'azur du

ciel les saints de la Légende dorée. Le sculpteur, fort d'une

technique jeune encore, mais déjà parfaite, prend

connaissance de la nature, donne la vie à la pierre, sans

cependant s'écarter du programme architectural, de la

tenue nécessaire à la noblesse de la statuaire

monumentale.

Le vaisseau central, long de 130,2 m - 154,5 m -, et

large de 13,85 m, est couvert de voûtes d'ogives

barlongues - elles sont encore sexpartites à Paris - lancées

a 37 m de haut et épaisses de moins d'un pied,

contrebutées par des groupes de trois arcs-boutants, le

troisième ajouté après coup dans la nef, construit avec les

deux autres dans le chœur plus récent. Ces voûtes

reposent sur de puissants piliers entourés de quatre

colonnes (fig. 66) ; l'alternance a disparu, ou plutôt elle

n'est plus que décorative : à une pile ronde entourée de

colonnes polygonales succède une pile polygonale entourée

de colonnes rondes, et la lumière, s'accrochant

différemment aux unes et aux autres, rompt la monotonie

que présente la succession de piles toutes semblables. Les

collatéraux s'élèvent à 14 m de haut. L'élévation n'a plus

147

Page 148: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

que trois étages, les grandes arcades, le trifolium aux

arceaux brisés portés par des colonnettes et les fenêtres

hautes, divisées en deux formes portant une rose à huit

lobes. Ces fenêtres qui occupent près de la moitié de la

hauteur totale - grandes arcades 3 septièmes, triforium 1

septième et fenêtres hautes 3 septièmes - ainsi que les

fenêtres des collatéraux et les grandes roses de 13,35 m de

diamètre montées sur des claires-voies au fond des bras du

transept, versent à l'intérieur de la cathédrale cette

abondante lumière enrichie par les couleurs éclatantes des

verrières, qui crée cette atmosphère chaude et dorée

unique dans l'art du Moyen Âge. Chartres, la première des

grandes cathédrales gothiques triomphant, est peut-être la

plus attirante par la beauté de ses vitraux et aussi par la

noblesse et le charme tout humain de son architecture.

Avec le sens du volume s'affirme celui de la couleur :

à l'époque gothique, le vitrail couvre d'immenses surfaces

pour fermer les baies, plus amples, percées dans les

édifices gigantesques. A Chartres, on compte plus de cent

cinquante baies et près de 2600 mètres carrés de

verrières. Chartres était au début du XIIIe siècle le centre

le plus important de peinture sur verre.

Cet ensemble, le plus vaste aujourd'hui conservé, a été

exécuté par une seule génération de plusieurs maîtres

verriers. Tous ces artistes voyagèrent et répandirent en

France le style des maîtres de Chartres que l'on reconnaît

aux coloris éclatants, aux dominantes rouges et bleus, à la

148

Page 149: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

division harmonieuse des surfaces en figures

géométriques, à l'élégance des compositions s'adaptant

toujours à la forme des encadrements.

Les vitraux des fenêtres hautes (fig. 67), destinés à

être vus de loin, présentent de grandes figures de saints et

d'apôtres, tandis que dans les fenêtres basses, les vitraux

sont composés de petits médaillons comportant des scènes

de la Bible, de la vie des saints, et des images familières

rappelant les travaux de la composition qui a fait don de la

verrière.

Dès le Moyen Âge, la cathédrale a servi de cadre à

des concerts d'orgues de très haute qualité. Les grands

orgues de Chartres sont l'une des richesses de la

cathédrale qui sert aujourd'hui de cadre à de remarquables

concerts.

Mais au-delà de ces investigations techniques et

documentaires, il faudrait écouter aussi la voix des poètes

pour saisir les liens intimes qui se forment ineffablement

entre la sensibilité moderne et ce qu'on pourrait appeler

l'âme immortelle de la cathédrale de Chartres. Ainsi, par

delà la "lourde nappe" des blés, comme les pèlerins qui,

avec Charles Péguy, s'avancent vers la cathédrale, "nous

naviguons" - périple imaginaire - vers cette Notre-Dame,

dont nous apercevrons au loin les contours :

Tour de David, voici votre tour beauceronne,C'est l'épi le plus dur qui soit jamais montéVers un ciel de clémence et de sérénitéEt le plus beau fleuron dedans votre couronne.

149

Page 150: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

Un homme de chez nous a fait ici jaillir,Depuis le ras du sol jusqu'au pied de la croix,Plus haut que tous les saints, plus haut que tous

les roisLa flèche irréprochable et qui ne peut faillir"1.

Ces vers si purs, rythmant une méditation spirituelle,

transforment l'ample poème déjà en une prière; il semble

qu'un vœu soit exaucé et que la Vierge elle-même se

manifeste à la fois à l'âme du poète et à celle du lecteur,

lorsque apparaît, symboliquement, à l'horizon, une

révélation - cette "flèche irréprochable et qui ne peut

faillir".

En guise de conclusion, à quel autre jugement de

valeur aurions-nous recours sinon à cette insolite et

mordante interrogation de Francis Carco, véritable défi

jeté à tout homme d'esprit : "Est-ce que la cathédrale de

Chartres a été dépassée par le Palais de Versailles?"2.

1 Charles Péguy, "La tapisserie de Notre-Dame, Présentation de la Beauce à Notre-Dame de Chartres", in Lagarde et Michard, Littérature française, le Xxe siècle, Bordas, Paris, 1991, p. 172.2 Francis Carco, Nostalgie de Paris, Eds. du Milieu du Monde, Genève, 1941, p. 38.

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Page 151: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

CHAPITRE VCHAPITRE V

LA SYMBOLIQUE DE LA CATHÉDRALELA SYMBOLIQUE DE LA CATHÉDRALE

"… et la vision de Dieu engendre la vie éternelle …"

Paul Claudel, Cinq Grandes Odes1

L'exégèse de l'art du Moyen Âge ne peut se faire que

par le secours au symbolisme. Le symbolisme éveille l'idée

d'un langage occulte, ésotérique, à la fois mystérieux et

révélateur, clair pour les initiés, obscur pour le vulgaire.

Les origines du symbolisme sont très anciennes : elles

remontent à la préhistoire. Dans les peintures rupestres

des cavernes magdaléniennes on voit souvent l'empreinte

d'une main humaine enduite d'ocre sur le flanc d'une bête

qu'il s'agit de capturer : c'est le geste symbolique de la

prise de possession. Du domaine de la magie, le

1 In Lagarde et Michard, Xxe siècle, Bordas, Paris, 1991, p. 200.

151

Page 152: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

symbolisme passe à celui des religions. Dans l'art égyptien

tout prend une valeur symbolique. Le sphinx

métamorphique qui a une tête d'homme, des pattes de lion,

une croupe de taureau, des ailes d'aigle, symbolise les

quatre éléments ; la croix ansée est le signe de la vie

éternelle : le scarabée amulette est l'emblème de la

résurrection.

Le christianisme des temps de la persécution a eu, par

nécessité d'y échapper, son langage symbolique (poisson =

Christ, agneau = victime offerte pour le rachat de

l'humanité, cerf = ennemi du serpent qui est le démon, pôn

ou phénix = résurrection) Au moyen Âge, ce symbolisme

prend un développement prodigieux. Pour un penseur du

Moyen Âge, expliquer une chose consiste toujours à

montrer qu'elle n'est pas ce u'elle paraît être, qu'elle est le

signe d'une réalité plus profonde, qu'elle annonce et qu'elle

signifie autre chose. L'idée dominante de la pensée

médiévale est que le monde visible, perçu par nos sens,

n'est que symbole ou préfigure d'un monde invisible. Les

objets, les faits ne méritent pas d'être étudiés par eux-

mêmes et pour eux-mêmes dans leur essence et dans leurs

rapports : ils ne valent pour nous que comme signes de la

réalité suprasensible qu'il s'agit de discerner et

d'interpréter.

Qu'on déplore ou non cet état d'esprit le fait est là et il

faut s'y plier avec docilité si l'on veut pénétrer

profondément dans la pensée de l'art du Moyen Âge. Il faut

152

Page 153: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

dépouiller l'homme moderne, remplacer la raison par la foi,

essayer de regarder le monde avec les mêmes yeux

candides et éblouis que ceux des théologiens du XIIIe

siècle qui, derrière chaque apparence, entrevoyaient des

réalités invisibles. L'ésotérisme, doctrine ou enseignement,

était dans l'antiquité le degré, le niveau réservé aux

disciples de choix des grandes écoles philosophales. A

l'ésotérisme s'oppose l'exotérisme, qui est le niveau

commun et banal.

Quatre systèmes de référence symboliques

s'interfèrent dans l'espace sacré de la cathédrale

gothique : le symbolisme biblique et celui liturgique, le

symbolisme architectural et celui des autres arts plastiques

qui concourent à faire de l'édifice un correspondant

terrestre de la Jérusalem céleste. Dans ce réseau complexe

de significations, ainsi créé et qui enveloppe les fidèles, le

rôle de symbole est celui d'un véhicule sui generis:

"L'homme ne voit pas Dieu, mais peut aller à Lui"1 nous

assure Victor Hugo dans Ce que dit la bouche d'ombre. La

dynamique du symbole en tant que véhicule spirituel ne

devient manifeste et effective que si le symbole est vivant,

ayant cette force de suggestion qui puisse propulser l'âme

vers la Transcendance :

"Envolez-vous! envolez-vous!N'est-ce pas que c'est ineffable

De se sentir immensité,D'éclairer ce qu'on croyait fable

A ce qu'on trouve vérité

1 Victor Hugo, Poésies, tomme I, Collection du Flambeau, Hachette, Paris, 1950, p. 277.

153

Page 154: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

De voir le fond du grand cratère,De sentir en soi du mystère

Entrer tout le frisson obscur,D'aller aux astres, étincelle,Et de se dire : Je suis l'aile!Et de se dire : J'ai l'azur!"1.

Cette strophe tirée du poème Les Mages et surtout les

deux vers soulignés nous permettent, par le truchement de

l'auteur de Notre-Dame de Paris, de nous faire une image

de ce que pourrait être l'état de grâce vécu par certains

fidèles, à certains moments, quelle que soit l'époque

historique, dans l'enceinte sacrée de la cathédrale. C'est ce

que Paul Claudel a dû éprouver ce jour de 25 décembre

1886 quand il se rendit à Notre-Dame pour y suivre les

offices de Noël. Dans sa vieillesse, il se confesse en

insistant sur l'instant, le caractère fulgurant de cette

conversion, et par la douce émotion où se mêlait aussi le

sentiment d'épouvante et presque d'horreur quant à son

état passé : "J'avais eu tout à coup le sentiment déchirant

de l'innocence, l'éternelle enfance de Dieu, une révélation

ineffable. En essayant, comme je l'ai fait souvent, de

reconstituer les minutes qui suivirent cet instant

extraordinaire, je retrouve les éléments suivants qui

cependant ne formaient qu'un seul éclair, une seule arme,

dont la Providence divine se servait pour atteindre et

s'ouvrir enfin le cœur d'un pauvre enfant désespéré : "Que

les gens qui croient sont heureux! Si c'était vrai, pourtant?

C'est vrai! Dieu existe ! Il est là. C'est quelqu'un, c'est un

1 Cf. supra, op. cit., p. 271 (Les Mages)

154

Page 155: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

être aussi personnel que moi! Il m'aime, il m'appelle ! Les

larmes et les sanglots étaient venus et le chant si tendre de

l'Adeste ajoutait encore à mon émotion" (Contrastes et

Circonstances, 1946). Maintes conversions et illuminations

ont eu lieu à l'époque moderne, notamment le long du XX

siècle, sous les voûtes de la Maison de Dieu. Le

témoignage le plus édifiant pour l'homme contemporain

est, sans aucun doute celui porté par André Frossard,

membre de l'Académie française, dans son livre. Dieu

existe, je L'ai rencontré, dont la vingt-septième édition

paraissait chez Fayard en 19911. Si de tels miracles, de

telles transfigurations continuent à se produire

aujourd'hui, huit cents ans après leur fondation, dans ces

enceintes sacrées, c'est que l'espace circonscrit à la

cathédrale relève d'un autre monde que celui ordinaire. Il

possède tous les attributs d'un champ énergétique sublime,

destiné à spiritualiser celui qui y pénètre. Une fois là,

même si auparavant on avait affecte le détachement à

l'égard de ces "fables" ou "mythes" (perception

désacralisée des mystères de la foi), on les sentira se

transmuer en richesse, en vérité intérieure, fortifiante, en

nourriture de l'âme. Et "bien que toutes les âmes ne se

sanctifient pas de la même manière"2 - comme disait

Anatole France - on s'apercevra, du moins, que la

Cathédrale, imago mundi et archétype céleste, sanctifie en

permanence le monde parce qu'elle le représente et, en

1 La version roumaine de ce livre, Dumnezeu exista, eu L-am întîlnit2 Apud Petit Robert 1, Dictionnaire de la langue française, Eds. Le Robert, Paris, 1991, p. 1759.

155

Page 156: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

même temps le contient. "Quel que soit son degré d'

impureté, le Monde est continûment purifié par la sainteté

des sanctuaires"1. Cette différenciation ontologique et

fonctionnelle qui distingue nettement le Monde de son

image sanctifiée - la Cathédrale, nous infuse aussi la

conviction que la sainteté de cette dernière est à l'abri de

toute corruption terrestre parce que son plan architectural

même a été inspiré par Dieu. Qu'on ouvre l'Ancien

Testament, le livre de l'Exode, et on y lira : "Yahwel parla à

Moïse disant : Vois, j'ai appelé par son nom Béséléel, fils

d'Uri, fils de Hur, de la tribu de Juda. Je l'ai rempli de

l'esprit de Dieu, d'habileté, d'intelligence et de con-

naissances pour toutes sortes de travaux, pour faire des

inventions artistiques et les réaliser avec de l'or, de

l'argent et de l'airain, pour tailler les pierres à enchâsser,

travailler le bois et exécuter toutes sortes de travaux. Et

voici que je lui ai adjoint Ooliab, fils d'Achisameh, de la

tribu de Dan, et j'ai doué d'habilité tous ceux qui se

connaissent en art, pour qu'ils exécutent tout je t'ai

ordonné : la tente de réunion, l'arche de témoignage, le

propitiatoire qui est sur elle, et tous les objets de la tente ;

la table et ses accessoires, le chandelier d'or pur et

tous ses accessoires, ainsi que l'autel des parfums, l'hôtel

des holocaustes et tous ses accessoires et la cuve avec son

support; les vêtements somptueusement tissés : les

vêtements sacrés pour le prêtre Aaron et les vêtements de

1 Mircea Eliade, Le sacré et le profane, Eds. Gallimard, Paris, 1965, p. 55.

156

Page 157: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

ses fils pour les fonctions du sacerdoce, l'huile d'onction et

l'encens d'agréable odeur pour le sanctuaire. Ils feront tout

selon les ordres que je lui ai donnés"1 (l'Exode, 31, 1-11).

Une première analogie s'impose tout naturellement on

peut regarder ces deux personnages bibliques, Béeséléel et

Ooliab, comme des archétypes du maître d'œuvre et du

contremaître, constructeurs de la cathédrale. La seconde

analogie, non moins intéressante, découle des instructions

du roi David à son fils Salomon : "...Considère donc que

Yahweh t'a choisi afin de construire une maison gui serve

de sanctuaire. Sois courageux et mets-toi à l'œuvre"; David

donne ensuite à son fils Salomon le plan des portiques du

temple, de ses chambres du trésor, de ses chambres hautes

et de ses chambres inférieures, et de la demeure du

propitiatoire, et le plan de tout ce qui était en l'Esprit avec

lui pour les parvis de la maison de Yahweh..." (Premier

livre des Chroniques, 28, 1o-12). .Du Tabernacle de Moïse

au Temple de Salomon et de celui-ci à la Basilique, pour

aboutir à la Cathédrale, on reprend à travers les

millénaires un principe architectural symbolique dont la

mise en oeuvre génère d'autres systèmes symboliques

adjacents. La cathédrale gothique reprend, elle aussi, et le

principe architectural et le réseau de systèmes

symboliques en les repensant théologiquement,

esthétiquement et fonctionnellement. Evidemment, depuis

l'Antiquité chrétienne, l'église en tant qu'édifice sacré était

1 La Sainte Bible, Nouvelle Edition publiée sous le patronage de la ligue Catholique de l'Evangile et la direction de S. EM. Le cardinal Lienart, Paris, 1951, p. 95.

157

Page 158: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

conçue. comme une reproduction, pour ne pas dire une

copie, de la Jérusalem céleste, y compris du Paradis ; en

même temps, elle constituait une sorte de miroir

réfléchissant l'harmonie de la structure du Cosmos, tel

qu'il fut bâti par le Verbe de Dieu. Cette structure

"cosmologique" de l'édifice sacré se conserve toujours dans

la conscience de la chrétienté, s'imposant de toute

évidence, par exemple, dans la basilique de style byzantin.

Les quatre parties de l'intérieur de l'église représentent les

quatre directions cardinales. L'ensemble de l'intérieur, lui-

même, symbolise l'Univers. L'autel est le correspondant du

Paradis situé à l'est. La porte royale du sanctuaire

proprement dit était désignée aussi par le syntagme "la

Porte du Paradis". Durant la Semaine Sainte, cette porte

restait ouverte tout le long du cérémonial liturgique. Le

sens de cette coutume est clairement expliqué dans le

Canon pascal : le Christ, ressuscité de son tombeau, nous a

ouvert les portes du Paradis. Dans ce même contexte,

l'Ouest symbolise au contraire le territoire des ténèbres,

de la douleur et de la mort; c'est la demeure des trépassés

qui siègent là dans l'attente terrifiante et indéterminée de

la résurrection de la chair et du Jugement dernier. Le

milieu de l'édifice sacré représente la Terre. Selon Kosmas

Indikopleustès1 , elle était figurée symboliquement par une

aire rectangulaire, délimitée par quatre murailles au-

dessus desquelles trône une voûte. Comme image symboli-

que du Cosmos, l'église byzantine est censée représenter 1 Cf. supra op. cit.

158

Page 159: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

et, grâce à l'origine divine du plan d'édification

(Tabernacle de Moïse, Temple de Salomon), sanctifier ce

bas monde où, selon le dire de Renan, "tout n'est...que

symbole et songe" La translation de l'art byzantin à l'art

roman et, ensuite, de celui-ci à l'art gothique met en

lumière des modifications sensibles dans les registres des

symboles opératoires. Les évolutions multiples

enregistrées dans la vie religieuse, dans la mentalité et

dans la sensibilité des générations qui se sont relayées à

travers le Moyen Âge ont nettement influé sur le type, les

formes et les motifs architecturaux, entraînant ainsi une

régénération du symbolisme.

Dans le second tome de sa Trilogie de la culture,

consacré aux traits spécifiques de "l'espace de Mioritza",

Lucian Blaga - qui connaissait à fond le domaine - établit

un triple comparaison, sur le plan de l'architecture

religieuse, entre la basilique byzantine, celle romane et la

cathédrale gothique. Selon le grand poète et philosophe

roumain, l'architecture religieuse illustre d'une manière

presque parfaite la vocation sublime de l'art, parce que,

peu ou nullement touchée par des intérêts pratiques, elle

extrait de la matière toutes les résonances expressives,

exclusivement spirituelles. Les édifices sacrés qu'elle

engendre représentent, par la mise en jeu d'une

symbolique appropriée, une manifestation sensible de la

vérité de la foi. Métaphoriquement parlant, l'art

architectural religieux parvient à donner, suivant l'un des

159

Page 160: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

trois styles, une forme concrète, spectaculaire et

émouvante, du Dogme ou, si l'on préfère, de la

métaphysique religieuse. Le point de repère central de

l'exégèse de Blaga, auquel se rapporte constamment

l'argumentation comparative, parfois analogique, le plus

souvent différentielle, est l'église Sainte Sophie (Hagia

Sophia, en grec – fig. 68 a, b, c), l'ancienne basilique de

Constantinople, érigée par l'empereur byzantin Justinien

Ier sur les fondations de la basilique de Constantin Ier

(incendiée en 582) et dédiée à la "Sagesse divine" - l'un des

monuments les plus représentatifs de l'art byzantin.

Dans la construction de "Hagia Sophia", la masse

architecturale n'est pas excessivement amincie ; elle

n'arrive pas, comme dans l'art gothique, jusqu'aux simples

lignes dynamiques. Cependant, en dépit de son allure

massive, elle possède "d'évidents attributs aériens"1. Dans

la distribution spatiale de es éléments structuraux,

prédominant indiscutablement la coupole et les arcs. Par

conséquent, les lignes droites, c'est-à-dire l'horizontale et

la verticale, acquièrent plutôt la valeur d'intermédiaires de

tensions arrondies en elles mêmes, ce qui est moins

perceptible dans l'architecture religieuse romane, et

anciennement dans celle gothique. Hagia Sophia, comme

impression globale, n'est ni horizontalement assise sur la

terre, ni perpendiculairement élancée vers le ciel ; elle

flotte, en quelque sorte, pareille à un monde en soi, limitée

seulement par ses propres voûtes. L'historien Procope de 1 Cf. Le Petit Robert 2, Dictionnaire universel des noms propres, rédaction dirigée par Alain Rey.

160

Page 161: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

Césarée, secrétaire de Bélisaire et historien personnel de

Justinien, parlait avec raffinement de la coupole dans son

Traité des édifices (vers 560) : "Elle semble ne pas reposer

sur des fondations et des soubassements solides, mais,

comme suspendue et accrochée au ciel, au bout d'une

corde en or, elle paraît recouvrir l'espace"4.Ces mots de

Procope pourraient se reporter sur l'église tout entière, car

elle symbolise, par sa rythmique spatiale, où la tension

entre l'horizontale et la verticale est tempérée

harmonieusement grâce aux voûtes et aux arcs, un monde

parfaitement équilibré, qui se suffît à lui-même et qui se

révèle tout simplement. La signification symbolique en est

que le transcendant descend pour se rendre palpable, pour

nous persuader, comme le Christ l'avait fait, qu'une

Révélation de haut en bas est possible, que la Grâce

prend corps du haut, en devenant sensible, et qu'enfin la

descente parmi nous du Saint-Esprit vient d'avoir lieu ou

arrivera de façon imminente. Cette symbolique du

Transcendant, qui descend pour se révéler en se

matérialisant, est potentialisée par la lumière. En entrant

dans une église de style byzantin, on est frappé par

l'obscurité de l'espace fermé, transpercée par des

faisceaux de lumière qui jaillissent des fenÊtres découpées

à la base de la coupole, tels des glaives d'archanges. Il y a

là comme une lumière supraterrestre, envahissant de haut

en bas le temple, une lumière dont la matérialité est plus

marquée par celle omniprésente du jour. De ce point de

161

Page 162: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

vue encore, le contraste avec la lumière tamisée par les

vitraux de la cathédrale gothique, relevant d'une

symbolique autrement orientée, est saisissant.

A la différence des églises orientales, les édifices

romans ne se coupent pas du modèle antique de la

basilique. Ce sont "des architectures de parcours"1, des

édifices conçus selon un plan longitudinal avec une nef

longue et large destinée à ressembler les fidèles et

pèlerins. Alors que dans les églises d'orient, l'espace

intérieur est perçu d'emblée, globalement, comme un "don

parfait descendant d'en haut"2, dans l'église romane, il se

découvre dans une progression; c'est un parcours

initiatiquE comparable au "chemin de la Croix":

cheminement du portail au choeur le long de la nef et des

collatéraux, circulation dans le déambulatoire autour du

choeur, montée vers l'étage des tribunes, descente dans la

crypte où sont abritées les reliques. Le parcours se

poursuit à l'extérieur dans le cloître carré du monastère

(c'est pourquoi d'ailleurs , plus que les constructeurs

byzantins, les maîtres d'oeuvre d'occident ont multiplié les

inventions techniques. A son tour, donc., l'église romane

(fig. 69) est un champ de symboles. Le plan en croix latine

est un écartèlement, image au sol de l'Incarnation du

Christ et de sa crucifixion : le chevet est sa tête, le transept

- ses bras, la nef - son corps. Fermé de murs compacts, cet

1 F. Lebrun, V. Zangtettini, Histoire et civilisation, classe seconde, Librairie classique Eugène Belin, Paris, 1981, p. 56.2 Cf. Epître de Saint-Jacques, 1, 17, in La Sainte Bible, Ligue catholique de l'Evangile, Paris, 1951, p. 276.

162

Page 163: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

espace est une forteresse pour le pèlerin sur la route,

image du chrétien sur le chemin du salut. Le chevet de

l'église romane donne son sens symbolique au vecteur de

la foi. C'est le point de mire vers lequel la communauté a

les yeux tournés lorsqu'elle prie. Il est orienté vers l'est,

vers l'aurore, vers la lumière. Ainsi, l'église romaine

traduit-elle l'espoir d'une société à la recherche du salut,

mais qu'entourent des forces obscures, oppressantes.

Réaction impétueuse contre cette angoisse diffuse, la

croisée d'ogives commence l'aventure gothique – rêve de

supprimer le mur et tentation d'élever la voûte jusqu'à

l'inaccessible.

Bien que ces nouveautés techniques se soient situées

dans le sillage des inventions romanes, l'édifice gothique

marque cependant une rupture dans la conception de

l'espace et dans ses significations symboliques. La nouvelle

architecture extériorise, avec une prodigieuse audace

technique, un élan vertical et un défi à la matière. Le

maître d'œuvre gothique ne cesse d'imaginer un espace

intérieur toujours plus grand, plus haut et plus clair. Il ne

saurait s'y prendre autrement. En son âme et conscience il

est persuadé que son vrai commanditaire est Dieu ; quant

à ses guides, ce sont l'Imagination, l'Intuition et

l'Inspiration. Il dresse un plan téméraire : le

développement des collatéraux donne une caractère plus

homogène à l'espace intérieur : l'étage des tribunes

disparaît ; la petite galerie étroite appelée triforium,

163

Page 164: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

d'abord aveugle, est ajourée avant de disparaître à son

tour. Le mur évolue vers la verrière, espace de lumière que

les couleurs du vitrail ont rendu féerique, et signe

d'illumination divine : "Je crois me voir en quelque sorte

dans une étrange région de l'Univers qui n'existe tout à fait

ni dans la boue de la Terre ni dans la pureté du Ciel, et je

crois pouvoir par la grâce de Dieu être transporté de ce

monde inférieur à ce monde supérieur" avouait Suger,

l'abbé de Saint-Denis, au XIIe siècle1. Tout se passe comme

si les bâtisseurs des cathédrales avaient voulu

^patérialiser, par leur œuvre en pierre, le rêve éblouissant

du patriarche Jacob relaté dans la Genèse : "Il prit une

pierre de l'endroit pour s'en servir d'osciller et se couche

en cet endroit. Il eut un songe : voici qu'une échelle,

appuyée sur la terre, avait son sommet qui touchait les

cieux et que les anges de Dieu montaient et descendaient

sur elle. Et voici que Yahweh qui se tenait debout sur elle

dit : Je suis Yahweh, le Dieu d'Abraham ton père et le Dieu

d'Isaac ; la terre sur laquelle tu es couché, je la donnerai à

toi et à ta postérité …"2. Cette "pierre de l'endroit", qui

suggère, inspire et illumine, symbole du devenir de l'autel

et du temple, métamorphose miraculeusement l'espace

environnant et transfigure celui qui y pénètre : "Jacob

s'éveilla de son sommeil et dit : Vraiment Yahweh est en ce

lieu, et je ne le savais pas. Il fut saisi de frayeur et dit :

Combien ce lieu est effrayant ; c'est bien ici la maison de

1 Cité par F. Lebrun et alii, op. cit., p. 59.2 La Sainte Bible, op. cit., p. 33.

164

Page 165: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

Dieu et la porte des cieux. Jacob se leva de bonne heure,

prit la pierre qu1il avait placée sous sa tête et l'érigea en

stèle; puis versa de l'huile sur sa pointe. Il appela le nom

de ce lieu : Béthel..."1 (en hébreu "maison de Dieu").

Symbole du fondateur impérissable et inébranlable de la

foi, la pierre sacrée transfère cette valeur symbolique du

"Béthel" au temple, à la cathédrale. Quant au symbolisme

de la stèle et de l'échelle, il est incorporé de la façon la

plus spectaculaire dans l'architectonie de la cathédrale

gothique et cela d'autant plus que celle-ci lui confère une

suggestivité percutante en ayant recours à la flèche. Ainsi

jaillit une gerbe de significations qui s'infusent dans

l'esprit et dans le coeur dés fidèles : élan et ascension de

l'âme vers la Transcendance, délivrance des liens

matériels, et progression sur l'échelle mystique qui unit la

Terre aux Cieux, invitant les humains à parcourir

graduellement la voie si difficile parce qu'ascendante, de la

purification charnelle, de l'illumination psychique et de

l'union spirituelle avec le Divin, en accomplissant l'ana-

bathmon"2 (c'est-à-dire "l' ascension").

Mais la flèche ne symbolise pas seulement la direction

verticale de l'ascensus" ("la montée) ; elle est aussi rayon

de soleil, fil de lumière, le signe de la pensée lumineuse3,

porteuse de la vérité rédemptrice. Vue sous cet angle

1 La Sainte Bible, op. cit, p. 33.2 Jean Chevalier et alii, Dictionnaire des symboles, Mythes, rêves, coutumes, gestes, formes, figures, couleurs, nombres, Collection "Bouquins", Eds. Robert Laffont, Paris, 1969, tome 3, p. 205.3 André Virel, Histoire de notre image, Genève, 1965, p. 194.

165

Page 166: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

interprétatif, la croisée d'ogives - caractéristique constante

du style gothique - représente un autre avatar architectural

du symbole; de la flèche de lumière qui perce l'opacité des

murs en découpant des fenêtres de plus en plus larges,

fleurissant en vitraux et rosaces ( aux tons bleus et rouges

lumineux au XIIe siècle, aux couleurs vives des bleus

profonds, des rouges ardents et violacés qu'accompagnent

les verts vifs et les ors rutilants au XIII siècle). Certes,

depuis toujours et partout, les couleurs ont constitué l'un

des principaux supports de la pensée symbolique. Les sept

couleurs de l'arc-en-ciel, où l'oeil peut distinguer plus de

sept cent nuances, entrent d'ailleurs en relation synergique

et significative avec leurs correspondants sensoriels,

psychiques, cosmologiques ou mystiques tels les sept notes

musicales de la gamme heptacorde, les principaux états

d'âme, les sept planètes visibles à l'oeil nu, les sept jours

de la semaine, les sept cieux, etc. Dans la tradition

chrétienne, la lumière et la couleur y compris leur synthèse

- l'arc-en-ciel relèvent des énergies incréées.

Les repères bibliques sont lumineux, au propre et au

figuré, à commencer par la Genèse : "...Alors Dieu dit :

Qu'il y ait de la lumière et il y eut de la lumière"1. Au

quatrième jour de la Création, Il ajouta : "Qu'il y ait dés

luminaires au firmament du ciel pour séparer le jour de la

nuit et qu'ils servent de signes et pour les époques et par

les jours et par les années..."2. Après le déluge, au moment

1 La Sainte Bible, op. cit., p. 5.2 La Sainte Bible, p. 6.

166

Page 167: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

de l'alliance noachique, quand le violet, l'indigo, le bleu, le

vert, le jaune, l'orange, le rouge de l'arc-en-ciel éblouirent

la vue et l1esprit de Noé et des siens, Dieu prononça : "J'ai

mis mon arc dans la nuée; il servira de signe d'alliance

entre moi et entre la terre"1. D'autre part le Psalmiste a la

révélation que "Dieu lui-même est lumière : "Tu te revêts

de majesté et de gloire, Tu t'enveloppes de lumière comme

d'un manteau, Tu déploies les cieux comme une tente !"2.

Et on arrive enfin au jour où cette lumière divine prit corps

dans la personne de Jésus-Christ, "lumen gentium" : "Jésus

leur parla une autre fois et leur dit : Je suis la Lumière du

monde; celui qui me suit ne marchera pas dans les

ténèbres, mais il aura la lumière de la vie"3. Suprême

image de Dieu, la Lumière Christique deviendra le

symbole leitmotive dominant l'iconographie de la

cathédrale gothique. Expression architectonique d'une

théologie de la lumière et de l'ascension, la cathédrale de

Paris répond (et avec elle, les autres cathédrales gothiques

aussi) à la lancinante question ; "Dieu est-il connaissable?".

Question qui pourrait sembler superflue étant donné que

"Dieu, personne ne l'a jamais vu". Mais Jésus nous rassure :

"Celui qui m'a vu a vu le Père". Cette réponse fulgurante

faite par la bouche du Sauveur, les théologiens et les

artistes qui ont conçu et érigé Notre-Dame-de-Paris l'ont

détaillée en s'inscrivant dans la pierre et dans l'histoire : la

galerie des Rois la raconte tout comme les patriarches aux 1 Idem, p. 13.2 Idem, p. 725.3 Idem, p. 800.

167

Page 168: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

voussures du portail qui détaille la vie de sainte Anne et

l'enfance de Marie pour mieux placer la naissance de Jésus

dans notre terre, le Seigneur épousant notre condition

humaine, ayant à ses côtés la Vierge couronnée. D'autre

part, les capacités de l'esprit humain a accéder à la Vérité

sont aussi montrées à travers les médaillons consacrés aux

sept arts libéraux, sur le socle du Christ du portail et

surtout dans les bas-reliefs des étudiants (fig. 70) qui

encadrent le portail de saint Etienne à la façade sud. Et

parce que l'intelligence ne va pas sans le coeur s'il s'agit de

recevoir la révélation du mystère de Dieu, les arts libéraux

sont encadres par les vertus et les vices. De la même façon

les "vierges sages" et les "vierges folles" font pendant aux

travaux des mois sous le tympan du couronnement de

Marie.

Expression d'une théologie de la lumière et de

l'ascension, la cathédrale gothique ne l'est pas

exclusivement par les flots irisés qui la baignent à travers

les vitraux, et par la verticalité téméraire de son

architecture. Elle devient sainte demeure de la Lumière et

de l'Ascension par tout ce que son bâtisseur - "homo

significans" (hypostase spiritualisée de l'"homo religiosus")

- y a mis de symbolique. S'il nous est permis de

paraphraser Charles Baudelaire, "L'homme y passe à

travers des forêts de symboles qui l'observent avec des

regards familiers"1. Ainsi, en ayant recours au symbole, "le

1 Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal, Classiques Larousse, Librairie Larousse, Paris, 1973, p. 19. (Correspondances)

168

Page 169: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

mouvement de la pensée médiévale va à chercher à

comprendre ce que la foi affirme" , a "éclairer" par son

entremise ce lieu de culte pour faire sentir que "Dieu est

Lumière" et que l'âme humaine, repentante, allégée du

péché, se doit de s'élever à pic au-dessus

de sa matérialité bourbeuse, et, telle la flèche de la

cathédrale, d'aller à la rencontre du Très Haut. C'est selon

Charles Péguy, "l'unique montée ascendante et profonde /

Et nous serons recrus et nous contemplerons"1. Cette

contemplation a cependant son support ici-bas, dans la

cathédrale; il s'agit du symbole qui a été depuis toujours

"le fils aime de l'église, son truchement, celui qu'elle

chargeait d'exprimer ses pensées"2. En témoignent le

Symbole des Apôtres et le Symbole de la Foi.

Si l'on se reporte, par exemple, au chapitre 13 (versets

23 et 24) de l'Evangile selon saint Luc ("Quelqu'un lui dit:

Seigneur, est-ce qu'il n'y aura que peu de sauvés? Il leur

répondit : Faites effort pour entrer par la porte étroite, car

beaucoup je vous le dis, chercheront à entrer et ne le

pourront pas"), on s'apercevra aisément que le portail de la

cathédrale symbolise cette porte étroite, exigeant de

multiples sacrifices qui conduit au Paradis céleste. Ainsi,

face au Quartier latin, le portail de Notre-Dame de Paris

narre-t-il le martyre de saint Etienne qui, au moment de sa

lapidation, s'est écrié : "Je vois les cieux ouverts et Jésus

trônant avec Dieu, son Père!". Pour franchir "la porte

1 Marie Jeanne Coloni, Notre-µDame de Paris … , op. cit., p. 4.2 Charles Péguy, Présentation de la Beauce … , op. cit., p. 172.

169

Page 170: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

étroite" et accéder dans le royaume des cieux, saint

Etienne a fait plus que de voir Jésus: il a livré son sang

pour le faire voir et, à ce prix, il a vu le Père1. Symbole

plurivalent, la porte devenue le portail du Jugement, au

centre de la façade de Notre-Dame, développe l'expérience

cruciale d'Etienne, car c'est à tous les hommes qu'est

proposée la faveur accordée : voir Dieu dans la gloire du

Ciel tel qu'il est figuré aux voussures. A ceux qui ne

savaient pas encore, Jésus dévoile que ce qu'ils ont fait

pour leurs semblables c'est Lui qui l'a reçu. Leurs yeux de

créatures pourraient être ainsi accommodés à la lumière

divine et la recevoir, même si l'ange devait un peu infléchir

le fléau de la balance. Si, par contre, ils ne voulaient pas

regarder le seigneur et l'accueillir dans leurs âmes, celui-ci

ne les forcerait pas : il étaient libres de recevoir le salut

comme ils le sont aussi de se damner. De toute façon, il

leur suffirait de lâcher la charge des péchés capitaux à

laquelle ils se cramponnent pour éviter de se retrouver

dans les situations grotesques et effrayantes à la fois,

figurées aux voussures de droite.

Outre cette signification eschatologique suggérant aux

fidèles la fin du monde, la résurrection et le jugement

dernier, la porte, donc le portai d'une cathédrale gothique

aussi, représente le passage sacré, ouvrant la voie vers la

Transcendance et la Révélation divine. L'abbé Suger disait2

aux fidèles et aux pèlerins, qui entraient émerveillés dans

1 Petit Robert 2, Eds. Le Robert, Paris, 1991, p. 2033.2 Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, op. cit., tome 3, p. 115.

170

Page 171: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

la cathédrale de Saint-Denis, que ce qui s'avérait digne

d'admiration était le sens sublime de cette oeuvre

architecturale parfaite, et non la matière, bien

qu'artistiquement ciselée, dont son portail principal avait

été fait. Et il ajoutait que cette beauté visible et périssable,

émanant de la cathédrale, qui éclairait leurs âmes, devait

conduire celle-ci vers la Beauté divine et éternelle où l'on

n'entre que par "Christus Janua vera", par l'intermédiaire

du Christ - "la vraie porte" - la porte de la Rédemption : "Je

suis la Porte des brebis. Tous ceux qui sont venus avant

moi ce sont des voleurs et des brigands; mais les brebis

ne les ont pas écoutés. Je suis la Porte : si quelqu'un entre

par moi il ira sain et sauf; il entrera et il sortira et il

trouvera des pâturages"1. Par conséquent, si Jésus-Christ

dans sa gloire est représenté sur le tympan des portails des

cathédrales, cela est dû au fait qu'il est lui-même, par le

mystère de la Rédemption, la Porte par laquelle on entre

dans le Royaume des cieux. Pour tout fidèle qui franchit le

seuil du portail d'une cathédrale, l'exhortation et la

bénédiction du Psalmiste sont plus suggestifs que nulle

part, plus stimulants que jamais auparavant : "Ouvre-moi

les portes de la justice : J'entrerai, je louerai l'Eternel. Voici

la porte de l'Eternel. C'est par elle qu'entrent les justes. Je

te loue, parce que tu m'as exaucé, parce que tu m'as

sauvé"2.

1 La Sainte Bible, L'Evangile selon Jean, chapitre 10, versets 7-9.2 La Sainte Bible, Psaume 118, versets 19-21.

171

Page 172: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

Un autre élément symbolique d'une force suggestive tout à fait particulière et d'un effet spectaculaire incomparable, spécifique de l'art gothique est la rosace ou la rose (fig. 71), grand vitrail de forme circulaire éclairant généreusement la nef. "Les cathédrales avec leurs rosaces toujours épanouies et leurs verrières en fleurs" émerveillent un Théophile Gauthier1. Et à propos de Notre-Dame, un Victor Hugo écrivait : "La grande rose de la fa-çade représentait à l'autre bout de la nef son spectre éblouissant"2. L'audace des constructeurs de ces rosaces ou roses a été rarement égalée. Elles peuvent atteindre treize mètres de diamètre, et par surcroît ces grandes et fascinantes fleurs de pierre et de verre sont passées sur une claire-voie qui peut mesurer sept mètres de haut. Les dimensions vont de pair avec la hardiesse du dessin qui réunit les pétales ouvragées autour d'un coeur précieux. Aucun artiste et architecte n'avait jamais tenté une aventure pareille dans les siècles passés : l'originalité de la conception architecturale et de la maîtrise artistique et technique du maître d'oeuvre "gothique" étaient sans conteste impressionnantes. On arrive même à se demander : pourquoi cette obstination créatrice à figurer la complexité de la rose. Pourquoi un jeu si savant des colonnes et des plombs qui enchâssent le chatoiement des morceaux de verre? Au-delà des interférences et des impli-cations profanes, relevant du domaine symbolique de la rose chantée par les troubadours et les trouvères à l'époque de la cavalerie courtoise (voir leur quintessence, Le Roman de la Rose, où elle symbolisait la beauté féminine de l'amour (au point qu'aux fêtes de mai les jeunes filles couronnaient d'un "chapelet de roses leur chevalier servant), c'est la "rose mystique" que le maître d'oeuvre figure là, et pour laquelle on composait des litanies en Île-de-France. C'est avant tout la représentation symbolique de la Sainte Vierge, la mère divine qui a porté

1 Le Robert 1, p. 17292 Idem, p. 1730.

172

Page 173: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

dans son sein le Christ comme la rose cache son pistil sous ses pétales. Extrapolant les significations du symbole de la rose (pureté, beauté, amour, perfection) et infusé de cette mystique ardente et visionnaire propre au Moyen Age, Dante qui a édifié, avec l'habilité d'un maître d'oeuvre, La Divine Comédie - sa cathédrale gothique à lui, voit, dans son Paradis, chant XXX, le lieu où siègent les âmes comme une immense rose, dont les pétales forment des gradins célestes s'élargissant en amphithéâtre: "Alors Béatrice, m'attirant jusqu'au coeur jaune de la rose éternelle dilatée en gradins, d'où s'exhalent en parfum les louanges qui glorifient le soleil des éternels printemps, me dit : Regarde comme il est vaste le couvent des robes blanches! Regarde l'immense enceinte de notre Cité"1. Par ce "coeur jaune" des pistils qui occupent le centre de la rose, Dante désigne le milieu de l'enceinte où l'amène Béatrice, le centre de la Jérusalem céleste, centre cosmique et centre mystique à la fois. Toujours dans le Deuxième Ciel l'Empyrée, II", le grand poète a une révélation analogue : "Sous la forme pure d'une rose blanche, m'apparut donc la sainte milice que le Christ épousa dans son sang. L'autre de ces deux choeurs célestes ressemblait à un essaim d'abeilles, plongeant dans le calice des fleurs et, tour à tour portant à la ruche leur butin parfumé. Ainsi, tout en chantant la gloire de Celui qui les remplit d'amour et ravit leurs yeux, ces esprits, portés par leurs ailes, descendaient dans la grande fleur aux mille pétales, puis remontaient au séjour éternel de leur joie ... Entre les pétales de la fleur et la lumière d'en haut, ni les rayons n'étaient interrompus par cette volante multitude ; car la lumière divine pénètre sens obstacle dans tout l'Univers, selon le mérite de ceux qu'elle touche"2.

Toutes les connotations florales métaphoriques et

allégorique, dérivées du symbole de la rose mystique chez

1 Dante Alighieri, La Divine Comédie, traduite et commentée par A. Meliot et ornée de protraits d'après Giotto et Masaccio, Garnier frères libraires-éditeurs, Paris, 1908, pp. 592-593.2 Idem, p. 596.

173

Page 174: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

Dante, nous persuadent que le but du grand poète

médiéval, tout comme celui du maître d'oeuvre qui a conçu

la splendide rosace, était de suggérer à leurs

contemporains la complexité harmonieuse du plan divin, la

plénitude, la perfection de l'oeuvre du Créateur. Vue sous

cet angle, la rosace et ses réverbérations symboliques se

passent aussi comme une surprenante réplique de l'artiste

gothique au mandala1- cette magnifique image peinte,

groupant des figures géométriques (cercles et carrés

principalement et illustrent symboliquement dans le

bouddhisme du Grand Véhicule et le tantrisme, l'unité de

l'Univers spirituel et matériel, et la dynamique des

relations unificatrices qui gouvernent les trois plans divin,

cosmique et anthropologique. La contemplation d'une

rosace, comme celle d'une mandala, s'avère en outre

psychothérapique elle inspire un calme serein et induit le

sentiment que la vie de l'individu et de la collectivité à

laquelle il appartient ont retrouvé leur sens et leur ordre.

Ainsi, par la magie de sa symbolique, la rosace stimule le

dépassement de soi-même, des oppositions entre la

multiplicité individuelle et l'unité harmonisée du monde;

image et moteur de l'ascension spirituelle elle procède

graduellement a une concentration de la multiplicité dans

l'unité : le moi réintégré dans le tout, le tout réintégré

dans le moi.

Pour Carl Gustav Jung (dans Métamorphoses de l'Âme

et ses symboles et L'homme et ses symboles) les rosaces 1 Mor sanscrit signifiant "cercle" ou "groupe".

174

Page 175: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

des cathédrales illustrent le "ça" (correspondant à

l'allemand "Es", concept psychanalytique freudien

désignant l'ensemble des pulsions impersonnelles,

inconscientes) - une des instances psychiques de l'individu

- transposé symboliquement sur le plan cosmique, image

complexe de l'unité dans la diversité. Selon Jung, le "ça"

individuel est connecté à l'âme collective. De là découle

l'idée la plus originale de la théorie du grand psychiatre et

psychologue suisse (disciple de Sigmund Freud à partir de

1906, dont il se sépara en 1913), celle d'"inconscient

collectif". Fonds commun de toute l'humanité, celui-ci est

structurée par des "archétypes" (ceux des parents, de

l'"animus" et de l'"anima"), schèmes éternels de

l'expérience humaine, qui s'expriment dans les images

symboliques collectives (mythes, religions, folklore) ainsi

que dans les œuvre d'art, y compris dans les cathédrales.

Considérant la rosace un mandala sui generis, Jung ajoute

que nous pourrions également interpréter comme des

mandalas, les auréoles de Jésus-Christ, de la Vierge et des

saints, noyaux énergétiques des peintures religieuses. En

corrélation avec le symbolisme du disque (symbole solaire

figurant la force ascendante, unificatrice du "mental" qui

pulvérise les ténèbres de l'ignorance), les auréoles aidant,

la symbolique de la rosace interfère celle de la roue. En

effet, la superposition du centre mystique et du centre

cosmique, suggéré par le noyau de la rosace conduit

inévitablement à l'analogie avec le moyeu de la roue. De

175

Page 176: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

plus, ce rapprochement est imposé par la plénitude

significative de ces deux symboles. Leur symbolisme radial

et rotatoire agit en vertu du double courant significatif qui

jaillit à partir du centre vers la circonférence et

inversement, la roue s'inscrivant tout comme la rosace

dans un système référentiel dynamique : flux roulant,

émanant d'un point originaire versus reflux, retour aux

origines - expression schématique mais révélatrice de la

mouvance, de l'évolution cyclique et progressive de

l'univers d'une part, du devenir de la personne humaine de

l'autre. Cette interférence si évidente des symbolismes sur

ce plan, leur caractère protéiforme relèvent en dernière

instance de la spécificité du domaine qui fait l'objet de

notre démarche - celui de l'art religieux. Dans ce domaine,

on opère moins par des applications bijectives, par des

correspondances biunivoques (relation du type : un seul

signifiant se rapportant à un seul signifié, et

réciproquement). Par conséquent, la définition

traditionnelle du symbole, telle quelle est donnée par le

Petit Robert ou le Concise Oxford Dictionnary et suivant

laquelle celle-ci est un objet de caractère imagé qui, en

vertu d'une convention arbitraire correspondant à une

chose, à une idée ou à une opération qu'il désigne, est

opérationnelle notamment dans les domaines des sciences

et de la philosophie analytique (où la distinction claire

entre l'objet symbolisé et le symbole lui-même est

nécessaire et formelle). Lorsqu'il s'agit cependant du

176

Page 177: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

symbolisme religieux, du symbolisme de la Bible, par

exemple, ou bien de celui implicite de la cathédrale

gothique, l'efficacité du symbole n'est plus dans la relation

conventionnelle entre l'objet et le signe, mais, comme le

démontrait Malinowski1 dans A Scientific Theory of

Culture (1944), dans son potentiel expressif, dans

l'influence suggestive qu'il exerce sur l'esprit récepteur (ce

qui implique plus de variables et moins de constantes).

"Après les angoisses de l'an 1000 où, pendant un

temps, l'homme oppressé par sa finitude n'a cherché que

de refuges, le temps des cathédrales le porte avec une

soudaine hardiesse à goûter aux voies de l'éternité. Quels

moyens de se convertir à l'éternel? Le mouvement ou

l'immobilité? L'extase ou l'action?"2. En réalité, les deux

chemins sont explorés. Le XIIIe siècle est l'époque des

grands mystiques et c'est aussi le temps des grands

voyages. Triompher de l'espace c'est en quelque manière

triompher du temps. Jusqu'alors les distances sont perçues

par leur durée :on est à tant de jours de quelque chose, il

faut tant de mois de navigation. Effacer les distances par la

connaissance des pays et des hommes, c'est se nouer à

l'immensité du monde. Mais cette immensité est sentie

contenue, finie, c'est pourquoi le symbole du monde est le

cercle. L'universel est sphérique, replié sur lui-même. Et

l'éternité s'exprime aussi par un symbole circulaire. 1 Bronislaw Kaspar Malinowski s'est illustré en tant que théoricien du fonctionnalisme selon lequel chaque élément constitutif d'un système culturel s'explique par son rôle, sa fonction, dans cet ensemble. Il a tenté parmi les premiers un rapprochement entre psychanalyse et anthropologie2 Robert Philippe, Le temps des cathédrales, Eds. Planète, Paris, 1965, p. 193.

177

Page 178: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

Comme il faut rendre le mouvement du temps, c'est la

roue. Pendant le XIIe et le XIIIe siècles, l'iconographie s'est

enrichie des roues de fortune, des globes, des cages

circulaires et transparentes qui sont comme l'écorce du

monde à travers laquelle se lit la vie des êtres. La roue (fig.

72), qui est symbole d'éternité, est aussi instrument de

supplice, comme on peut voir dans le Martyre de saint

Georges à la cathédrale de Chartres. Roue de fortune, roue

de torture, le sens symbolique est voisin. Il s'agit de

signifier le recommencement perpétuel du bien comme du

mal. Il y a dans le choix du mouvement circulaire clos une

volonté de nier le changement.

C'est alors que tout se convertit au cercle ou au

mouvement du cercle. La danse, qu'elle soit jeu pur ou

technique d'extase est devenue circulaire. Au mouvement

linéaire des défilés ou des processions se substitue la

ronde qui est à la fois l'image perpétuelle du monde et de

son recommencement.

Le renoncement à l'ordre des choses exprime un

désarroi qui, sans avoir l'importance des angoisses de l'an

1000, est cependant fondé sur la crainte du dépérissement

et même d'une fin du monde. Pour chaque conjoncture

apocalyptique (car il en est plusieurs) on avance des

explications événementielles, anecdotiques : presque

toujours les invasions, la guerre, la mortalité. En réalité ce

contexte appartient, comme la prise de conscience, à un

moment du cycle de métamorphose. De la fin du XI à l'an

178

Page 179: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

1300 l'humanité a refait son chemin puis, comme l'arche

d'un projectile, est retombée dans les craintes de sa propre

fin. "Il faut faire un cercle en forme de roue, au milieu

placer l'essieu. Puis faire cinq rayons pour séparer les

représentations des cinq voies : en bas de l'essieu et, des

deux côtés, les démons affamés et les animaux1 au-dessus,

il faut peindre les hommes et les dieux"1. C'est le système

du monde que définit le Vinaya, la discipline, deuxième

corbeille des saintes écritures du bouddhisme. Les cinq

voies de régénération : infernale, démoniaque, bestiale,

humaine, divine, selon les démérites et les mérites de

l'Être, tournant à l'intérieur du Samsara, la roue du cycle

infini de la Vie. L'essieu contient une bouddha,

accompagnée de trois formes : un pigeon symbolise la

convoitise, lin serpent la colère, un porc l'ignorance.

Sur le modèle de cette cosmographie bouddhique,

toute représentation de l'univers est désormais circulaire.

La complexité des mondes s'exprime par la multiplication

des cercles, concentriques ou sécants, égaux ou

hiérarchisés mais de toute façon, l'enveloppe du monde est

une circonférence. Au moment où les volumes et les

ouvertures s'affranchissent du plein cintre, le monde; au

contraire, épouse la perfection de la courbe.

Dans les arts du monde entier, toute une série de

formes tendent vers le rond : les unes se rattachent à un

artifice de représentation de l'objet ou de l'être; ainsi les

mandorles qui sont comme des incisions en amande dans 1 Apud Robert Philippe, op. cit., p. 194.

179

Page 180: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

un espace décoratif où logent les sujets principaux, le

Christ ou la Vierge dans l'art chrétien, les autres

fournissent des attributs conventionnels aux personnages

sacrés : ainsi les auréoles, ces disques dont les visages

n'occupent jamais le centre et qui font à l'esprit une

couronne de lumière.

Maître des distances et conscient du temps, l'homme

du XIIIe siècle fait l'apprentissage de la troisième

dimension du monde : son épaisseur, ce qui lui donne un

volume, une masse. Du cercle on passe ainsi à la sphère,

pleine à l'origine et portant la vie sur son écorce, puis

creuse et fermée comme une prison sur le cloaque d'une

biologie trouble. La première vision est d'optimisme, la

seconde de désespoir.

A l'image de l'espace, la figuration du temps est

également circulaire. Cette transcription graphique a pris

corps avec les premiers zodiaques. Elles s'est épanouie

dans l'Orient, puis s'est répandue dans l'Occident. Pendant

les XIIe et XIIIe siècles, le zodiaque (fig. 73 ) est le

mouvement annuel du temps et les cadrans solaires qui en

inscrivent le mouvement quotidien se multiplient. Au

zodiaque sont attachés les travaux et les mois et le

symbolisme astrologique qui lui est propre. La préférence

est toujours accordée aux travaux agricoles intimement liés

au rythme des saisons (fig. 74, 75 a, b, c). Ainsi se déroule

sous nos yeux le mouvement utile du temps.

180

Page 181: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

Toute la vie de l'homme prend place dans un espace

symboliquement circulaire. Qu'il s'agisse de confronter des

mouvements parallèles – la terre, l'enfer et le paradis, qu'il

s'agisse de juxtaposer les moments d'un drame enchaînés

dans le temps, l'artiste gothique recourt avec insistance au

cercle. Image de la vie des hommes, image du monde

aussi, le cercle est présent avec son symbolisme

intrinsèque dans chaque cathédrale gothique. Tout ce qui

touche à la cathédrale est symbole. D'ailleurs ne l'appelle-t-

on pas la Maison de Dieu? Jésus lui-même n'a-t-il pas eu

recours au symbole inaugurant ainsi l'emploi de ce

procédé dans le Nouveau Testament, fondement de loi

chrétienne, le jour où il a parlé du "Signe de Jonas" (le

prophète englouti par un grand poisson, durant trois jours

et ensuite échappé de ses entrailles) pour signifier sa

propre mort, son séjour dans la terre et sa résurrection le

troisième jour ? Dans cette même perspective, l'Eglise

exalte Marie, mère de Dieu fait homme, par les mots que la

Bible applique à la Sagesse "créée dès le commencement

et avant tous les siècles" (aux premiers siècles ud

christianisme, les Pères de l'Eglise l'ont fait avec ferveur)

et identifier sur le plan symbolique la destinée de l'homme

aux faits mêmes dont la Bible relate le déroulement

progressif. : "c'est nous que la traversée de l'eau

baptismale rend à la vie comme celle de la mer Rouge

pour les gens de Moïse les rendait à leur destin … "La

liturgie, l'art de nos cathédrales, fait largement appel à

181

Page 182: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

l'interprétation de la Bible par le symbole et l'image

significative"1. Et cela d'autant plus que tous les livres de

l'Ancien Testament convergent vers l'Incarnation du Fils de

Dieu avec une éblouissante évidence, étant en harmonie

symbolique avec le Nouveau Testament. Passer de l'Ancien

au Nouveau Testament ce n' est donc pas changer de livre,

ce n'est pas en fermer un pour ouvrir un autre,

radicalement nouveau, et ce serait une erreur de

considérer la Bible comme la juxtaposition de deux parties

sans liaison étroite entre elles. "Dans maintes oeuvres d'art

du Moyen Âge par exemple sur un vitrail de Chartres, on

voit les quatre grands prophètes portant sur leurs épaules

les quatre évangélistes : image exacte; le Nouveau Tes-

tament a pour soubassement l'Ancien... "2. L 'image

significative du vitrail de la cathédrale de Chartres a un

sens tropologique : elle symbolise l'évolution progressive,

ascendante de l'esprit humain qui va se perfectionnant

depuis la Création jusqu' à la Parousie, à travers "les

espérances messianique du peuple élu et son attente du

Sauveur que Jésus a reprises et assumées, en les

spiritualisant, en les dépouillant de leurs caractères trop

nationalistes et trop temporels"3 , pour leur conférer la

vraie signification universelle et surnaturelle.

Si les fidèles qui priaient dans la cathédrale dirigeaient

leurs regards vers les fenêtres des chapelles, ils y

1 Daniel Rops, "Introduction générale à la lecture et à la méditation des textes sacrés", in La Sainte Bible, op. cit., p. XXIV.2 Ibidem, p. XXV.3 Ibidem.

182

Page 183: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

voyaient, racontée, la vie exemplaire de justes, rechaussée

par des touches de lumière. Cette alliance de l'élément

architectural et de l'image significative renforçait le

potentiel symbolique de la fenêtre. "Et il fit à la maison des

fenêtres à grillages"1, lit-on dans le Premier Livre des Rois.

"Il" c'est le roi Salomon et "la maison" c'est le Temple, "la

maison que le roi Salomon construisit à Yahweh"2. Pour le

maître de l'oeuvre, les trois grandes fenêtres du temple de

Jérusalem symbolisaient les trois stations du Soleil,

correspondant à l'est, au sud et à l'ouest; il n' y avait

aucune ouverture vers le nord parce que les rayons du

Soleil ne pouvaient pas éclairer par là la maison de Dieu.

Par contre, les disciples, assis au nord, dans la posture

spécifique de récepteurs de la lumière, la recevaient avec

une intensité maximale par la fenêtre sud qui positionnait

le foyer de connaissance où était censé se trouver leur

Maître (ce symbolisme s'est conservé dans là tradition

maçonnique). En tant qu'ouverture vers la lumière et le

grand air la fenêtre symbolise tout naturellement la

réceptivité, la soif de connaissance et de communication.

Si elle est ronde, elle suggère la voûte céleste et induit un

état de réceptivité analogue à celui de l'oeil et de la

conscience ; si elle est carrée, elle suggère la terre ferme

et induit une réceptivité particulièrement accrue par

rapport à tout ce qui appartient à l'horizon terrestre.

Combinant à sa manière ces deux paramètres symboliques,

1 La Sainte Bible, op. cit., Premier livre des Rois, chap. 6, vers. 4, p. 371.2 Ibidem, vers. 2.

183

Page 184: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

le maître d'oeuvre a découpé les fenêtres de sa cathédrale,

en ogive, tout comme les voûtes, en les harmonisant avec

les lignes de force, verticales, de l'édifice. A cette étape

finale de notre démarche, nous ne saurions nous empêcher

de revenir à Lucian Blaga et à sa Trilogie de la culture

pour citer ce profond et synthétique jugement de valeur

sur la symbolique métaphysique, latente, du paradigme

architectural, offert par la cathédrale gothique : "Le

gothique avec ses formes tendant vers l'abstraction avec sa

manière sublimée, avec ses lignes jaillissant vers le ciel,

avec son articulation spatiale dépouillée de substance, avec

sa frénésie de la verticalité perdue à l'infini, signifie avant

toute chose un élan spirituel de bas en haut, une

transformation de la vie dans le sens de la transcendance,

une transfiguration, dynamique et par l'effort humain, de la

réalité. La dynamique verticale du gothique symbolise

l'homme qui recrée en lui-même le ciel par une sublimation

tout intérieure ... L'homme gothique a le sentiment de sa

possibilité d'accéder à la transcendance de bas en haut. Il

la réalise par le dépuration du moi et par la

dématérialisation"1.

C'est ce que nous avons tenté de démontrer en

esquissant cette symbolique de la cathédrale, car son

architecture tend toujours et réussit à se poser comme

Porte sacrée entre l'espace réel et l'ouverture de l'espace

spirituel et transcendant, tout en proposant une iconologie

architecturale caractérisée. En vertu de celle-ci la figure 1 Lucian Balga, Trilogia culturii, op. cit., p. 157 (notre traduction).

184

Page 185: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

spatiale devient le symbole d'une fonction qui surpasse

l'acte concret du bâtisseur : à la fonction réelle succède

ainsi la fonction symbolique. Et le symbole, signe

d'entente, subordonne, nécessairement et de manière

efficace, à la valeur spirituelle, la valeur pratique de

communion. Leur résultante est une troisième valeur -

celle de représentation. La tendance profonde dé

l'architecture gothique à assumer une valeur de

représentation ne saurait s'expliquer par le seul désir de

manifester l'autorité divine en tant qu'instance souveraine.

Elle parvient aussi à imposer une qualité maîtresse de

l'homme son génie créateur bénéfique. Son oeuvre ne doit

pas contrarier celle de Dieu (le leitmotive de la Création fut

: "Et Dieu vit que cela était bon"1). Opérant sur les voies

tracées par la Providence, elle doit la continuer, de la

prolonger, de l'exalter. Et en effet, l'architecture gothique,

spirituellement, veut rejoindre le ciel et relier la société

des vivants à celle des élus. C'est un art "édifiant" par

excellence et qui a charge de préparer l'âme humaine à

une existence où l'espace terrestre et ses dimensions sont

abolies, où il n'y aura qu'ascension. A la fois "elocutio1' et

"dispositio", la cathédrale, envisage simultanément les

deux fins du "delectare" et du "docere". Cependant, si son

herméneutique est productive, une poétique et une

rhétorique modernes de l'art gothique restent à élaborer.

Et même si cela se faisait, l'interprétation du mystère

éclatant de la cathédrale gothique en serait-elle plus 1 La Sainte Bible, op. cit., "La Genèse", chap. 1, vers 1-31, pp. 5-6.

185

Page 186: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

éloquente que "la Cathédrale" d'un Auguste Rodin (fig. 76)

ou que celles d'un Claude Monet (fig. 77)? Car, en dernière

analyse, ce n'est que l'Art qui peut rendre l'ineffable de

l'Art.

186

Page 187: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

EN GUISE DE CONCLUSIONSEN GUISE DE CONCLUSIONS

S'il est un type d'édifice qui légitime le sujet d'un

mémoire de maîtrise c'est bien la cathédrale gothique. Car

une construction comme Notre-Dame de Paris ou Notre-

Dame de Chartres n'est pas seulement une prouesse

architecturale, mais une oeuvre où se conjuguent, pour la

gloire de Dieu et la joie des hommes, la multiplicité des

arts.

Certes, l'architecture est première, prodigieusement

audacieuse, inventive et mesurée. Les cathédrales Notre-

Dame de Paris et Notre-Dame de Chartres sont vastes :

elles ne sont pas gigantesques. Leurs piliers sont puissants

: ils ne sont pas massifs. Leurs voûtes montent hautes :

elles ne sont pas écrasantes. Voilà le premier miracle de

ces cathédrales : l'harmonie, l'équilibre , la proportion. La

cathédrale est la maison de Dieu et des hommes. L'homme

y est élevé, mais Dieu ne l'écrase pas. Le génie des

architectes a ainsi exprimé la justesse de la foi chrétienne.

En importance, les sculpteurs ne viennent pas loin derrière

les architectes. Comme eux, ceux qui ont taillé la pierre ou

187

Page 188: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

le bois sont aussi théologiens, par eux-mêmes ou par leurs

conseillers. Des hommes d'église dont certains très

illustres - Albert le Grand, Thomas d'Aquin - enseignaient

non loin de là. Bien des thèmes proprement chrétiens

peuvent être étudiés aux cathédrales : ce qui concerne la

Vierge Marie elle-même bien sûr, mais aussi la

Résurrection du Christ ou le Jugement dernier. La

sculpture a été peut-être le chantier le plus connu de ces

cathédrales, puisque certain éléments visibles aux façades

sont même antérieurs aux édifices actuels.

Aux cathédrales la pierre sert d'écrin à la lumière ;

tous les vitraux ne sont pas d'égale qualité, mais les trois

roses magistrales font oublier les fenêtres dont certaines

sont assez "médiocres" comme reconnaît Jacques Perrier,

évêque de Chartres, ancien curé de Notre-Dame1. Par le

symbole de la rose, nous plongeons en pleine culture

médiévale profane – pensons au Roman de la Rose - mais

aussi en pleine mystique musulmane, puis chrétienne.

Marie n'est-elle pas appelée "Rose mystique"?

L'homonymie de ce vocable avec la forme des grandes

verrières n'est pas un effet du hasard. Avec l'architecture,

la sculpture et le vitrail, croit-on avoir épuisé les arts qui se

sont exprimés aux cathédrales? Les peintres ont accroché

leurs toiles que restaurations progressives font émerger

des ténèbres. Les orfèvres se sont surpassés en de

multiples autels, châsses et reliquaires: ce sont eux qui ont

1 Apud Jacques Perrier, Les Cathédrales de France, Eds. Les Ducs de France, Paris, 1996, p. 14.

188

Page 189: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

le plus souffert des vandales de toutes sortes. La

renommée de ces deux cathédrales vient peut-être autant

de leurs précieuses reliques que de leurs propres mérites:

d'autres voûtes, d'autres tympans, d'autres bleus ou

d'autres rouges peuvent rivaliser avec les leurs. Mais il ne

faudrait pas oublier, pour leur notoriété exceptionnelle , les

voix qui s'y sont fait entendre : voix du plein chant ou de la

polyphonie, voix des orgues, voix de ceux qui ont fait

retenir le message de Celui dont Marie est la mère. Au

service de la musique, la maîtrise de ces deux cathédrales,

les organistes célèbres ont mis leur art et leur sens de la

liturgie. Au service de la parole, les orateurs sacrés ont mis

toute leur science et leur foi. Tous ceux-là ont, eux aussi,

construit la cathédrale. Il est vrai qu'aucun palais, aucun

musée, aucun théâtre, et peut-être aucun temple au

monde, ne joue sur des registres aussi divers qu'une

cathédrale gothique. En cela, peut-être est-elle déjà un

édifice catholique ; son génie est assurément de

rassembler le divers dans l'unité, pour la haute joie de

l'homme. Que représente une cathédrale dans la

conscience française? Il serait facile de le dire pour le XIXe

siècle de Victor Hugo ou de Michelet : l'incarnation

toujours vivante du génie d'un peuple, du génie du Peuple.

Tel est au moins le stéréotype que nous a transmis la

littérature romantique. Aujourd'hui, quel seraient les

résultats d'un sondage? Sans doute seraient-ils fort

composites. Pour chacun la cathédrale symbolise quelque

189

Page 190: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

chose de différent et en même temps de commun. Pour le

citoyen français, la cathédrale est un symbole de son

histoire. Plus encore dans l'imaginaire que dans la réalité.

Au temps des rois, Notre-Dame de Paris notamment, était

la cathédrale de la ville capitale, où les rois y allaient

entendre le Te Deum après leurs victoires.

Prise dans le réseau des édifices qui l'entoure, la

cathédrale se doit à sa vocation chrétienne, c'est-à-dire

pleinement humaine. Elle tourne vers Dieu et unit en lui les

réalités humaines qui la bordent. Elle est le symbole d'une

cité dont Dieu n'est pas absent. Pour le visiteur privilégié,

c'est-à-dire celui qui se lève tôt et y entre, la cathédrale est

un vaisseau de paix où les pierres font entendre leur chant

puissant et mesuré. Aux premières heures du matin, la

cathédrale est le symbole de recueillement et d'intériorité.

Pour le catholique français c'est la cathédrale de son

diocèse. Il y vient pour les grandes heures de vie

ecclésiale, mais aussi pour des rassemblements solennels

ou festifs.

Pour le pèlerin, la cathédrale est le reliquaire qui

conserve soit la Couronne d'épines comme Notre-Dame de

Paris, soit la tunique de la Vierge comme Notre-Dame de

Chartres.

Pour le mélomane, ce sont les orgues les plus riches de

France où plusieurs noms célèbres les ont illustrées au

long des siècles. La musique d'orgue, essentiellement

190

Page 191: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

religieuse dans sa destination, trouve dans les cathédrales

le cadre le plus accordé dans la signification.

D'autres perceptions de ces cathédrales pourraient

encore être ajoutées Pour leurs architectes et maîtres

d'oeuvre, ce sont les cathédrales telles qu'elles auraient dû

être. Pour le choriste ce sont le berceau du chant liturgique

en terre de France. Pour l'homme de mémoire, ce sont des

scènes où se sont déroulés les actes de l'histoire.

Du Moyen Âge à nos jours la cathédrale parle à

chacun. Pour chacun elle est symbole. Le propre du

symbole est de réunir. Le 30 mai 1980, le pape Jean-Paul II

disait sur le parvis de Notre-Dame de Paris : "Ce lieu est un

lieu historique, un lieu sacré. Ici nous rencontrons le génie

de la France, génie qui s'est exprimé dans l'architecture de

ce temple il y a huit siècles, et qui est toujours là pour

témoigner de l'homme"1.

1 Apud Jacques Perrier, Les cathédrales de France, p. 170.

191

Page 192: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

GLOSSAIRE DES TERMES TECHNIQUESGLOSSAIRE DES TERMES TECHNIQUES

ABSIDE = Extrémité circulaire d'une église, derrière le chœur (à

l'origine : sorte de niche circulaire à l'extrémité des basiliques de

la Rome antique). Son orientation vers l'est est en rapport étroit

avec le symbolisme du soleil.

ARC = Elément de construction de forme courbe, reposant sur

deux points d'appui. Les pierres qui le composent s'appellent des

claveaux, celle du centre la clef. L'extérieur de l'arc s'appelle

extrados, la partie intérieure intrados. La courbe varie selon les

époques.

ARC BOUTANT = Arc enjambant le bas-côté destiné, dans la

construction gothique, à reporter sur la culée de la poussée de la

voûte.

ARC DOUBLEAU = Arc en saillie soutenant une voûte.

ARC EN ACCOLADE = Arc caractéristique des XIVe et Xve

siècles, formé de deux contre-courbes appuyées l'une contre

l'autre et couronnant portes et fenêtres.

ARC SURBAISSE OU EN ANSE DE PANIER = Arc dont la

hauteur est inférieure à la moitié de sa largeur.

ARC EN CROIX = Arc à l'angle droit ou presque droit.

ARC TRILOBE = Arc découpé en trois lobes.

ARCADE = Ouverture en arc; ensemble formé d'un arc et de ses

montants ou points d'appui.

192

Page 193: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

ARCATURE = Série de petites arcades décoratives, réelles ou

simulées.

ARCEAU = Désigne un motif représentant les mois, les saisons ou

les signes du zodiaque, inscrit dans un trèfle à quatre feuilles.

ARCHIVOLTE = Moulure ornée des voussures d'une arcade.

ARRÊTE D'UNE VOÛTE = Angle qu'elle forme avec un mur ou

une autre voûte.

AUTEL = Table où l'on célèbre le sacrifice chrétien, où l'on

célèbre la messe.

BANDEAU = Saillie de pierre horizontale courant autour d'un

édifice. Destiné d'abord à protéger les façades des eaux de pluie,

il marque ensuite le rythme horizontal entre deux étages.

BAPTISTERE = Edifice de plan circulaire ou polygonal où se

pratiquait le baptême par immersion. Sa forme est directement

liée à l'idée de vie éternelle conférée par la cérémonie, le cercle

n'ayant ni commencement ni fin.

BARLONG = Dont un côté est plu long que l'autre.

BAS-CÔTÉ = Nef latérale d'une église dont la voûte est moins

élevée que la nef principale.

BAS –RELIEF = Sculpture de faible relief exécutée sur une

surface dont elle ne se détache pas; le fond est abaissé par le

sculpteur qui modèle ensuite le volume gardé en réserve.

BERCEAU = Voûte engendrée par un arc en plein cintre.

BOSSAGE = Revêtement de façade en pierre formant un relief.

Les bosses peuvent être arrondies, taillées en pointes de diamant,

vermiculées ou laissées brutes. Le bossage permet d'animer des

surfaces par le jeu de l'ombre et de la lumière.

BUTÉE = Massif de pierre destiné à supporter une poussée.

CARRÉ DU TRANSEPT = Intersection du transept et de la nef

d'une église. On dit aussi "croisée du transept".

CATACOMBES = Galeries souterraines servant de cimetière. Ce

mode de sépulture, originaire d'Orient, a été adopté par les

premiers chrétiens qui y abritaient leurs réunions.

CATHÉDRALE = Eglise épiscopale d'un diocèse, celle où se

retrouve la cathèdre (le siège) de l'évêque.

193

Page 194: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

CHAMPLEVER = Enlever au burin le champ autour d'un motif,

d'une figure que l'on réserve, pour obtenir des blancs, des reliefs.

Travailler l'émail en pratiquant des alvéoles pour incruster la

pâte.

CHAPELLE = Partie d'une église où se dresse un autel

secondaire.

CHAPITEAU = Partie supérieure de la colonne ou du pilastre

supportant l'entablement ou le départ d'un arc. Il est composé de

plusieurs parties : l'abaque, la corbeille, (ou l'échine pour

l'ordre dorique), l'astragale. Ces éléments changent de

proportion, de forme et de décor selon les ordres.

CHÂSSE = Reliquaire de grande taille renfermant d'importantes

reliques d'un saint.

CHEVET = Chœur d'une église, vue de l'extérieur.

CHŒUR = Partie de l'église où se trouve l'autel et où se tient le

clergé. A partir du XIIe siècle le chœur fut isolé des fidèles par

une clôture qui en faisait le tour et à laquelle s'adossaient les

rangées de stalles.

CHOEUR TRICONQUE = Pour une église, forme de

construction à plan cruciforme où le bras du transept, ainsi que le

chœur se terminent par une abside. Si les bras du transept sont

peu saillants et les trois absides proches les unes des autres, on

dit que le chevet est tréflé.

CINTRE = Courbure hémisphérique concave de la surface

inférieure d'une voûte, d'un arc. Figure en arc de cercle.

PLEIN CINTRE = Dont la courbure est en demi-cercle.

CINTRE SURBAISSÉ = Dont la courbure elliptique repose

sur le grand axe.

CLAIRE – VOIE = Rangée de fenêtres en haut de la nef.

CLEF = Claveau central d'un arc, parfois plus grand que les

autres et décoré.

CLEF DE VPOÛTE = Pierre la plupart du temps décorée de

feuilles ornementales ou de bustes de saints qui forme le point où

se croisent les nervures dans la voûte croisée d'arêtes ou

d'ogives, et qui pousse par son poids la voûte et la relie aux

194

Page 195: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

butées latérales. Plus l'ogive s'élèvera, plus la clef devra faire

contrepoids. Les clefs pendantes, outre leur fonction

architectonique, deviennent un élément décoratif très soigné du

gothique flamboyant.

CLOCHER = Bâtiment élevé d'une église dans lequel on place les

cloches.

CLOÎTRE = Partie d'un monastère interdite aux profanes et

fermée par une enceinte. Lieu situé à l'intérieur d'un monastère

ou contigu à une église cathédrale, et comportant une galerie à

colonnes qui encadre une cour ou un jardin carré.

CLÔTURE = Enceinte d'un monastère interdite aux laïques, où

les moines vivent cloîtrés.

COLONNE = Pilier circulaire supportant l'entablement d'une

architecture. La colonne est formée de deux ou trois parties selon

les ordres : le chapiteau, le fût et la base quand elle existe .

COLONNE ENGAGÉE = Dans un mur ou dans un pilier

sous la forme d'un quart, d'une moitié ou de trois quarts de tare

qui sert de support à l'arc doubleau ou aux nervures de la voûte.

Si un grand nombre de colonnes engagées ensserrent le pilier au

point que son fût ne soit plus visible, on dit que c'est un pilier

fasciculé.

COLLATERAL = Vaisseau latéral, bas-côté d'une nef d'église.

COMBLES = Construction surmontant un édifice et destinée à en

supporter le toit.

CONTREFORT = Pilier, saillie, mur massif servant d'appui à un

autre mur qui supporte une charge.

CORBEAU = Élément de pierre ou de bois soutenant les

corniches, les poutres et les encorbellements. Au Moyen Âge, les

corbeaux étaient souvent sculptés de personnages humoristiques

ou d'animaux fabuleux.

CORNICHE = Moulures saillantes couronnant un édifice pour le

protéger du ruissellement des eaux de pluie.

CROISÉE D'OGIVES = Élément d'une voûte gothique obtenu par

le croisement de deux arcs (les ogives) qui servent d'armature,

l'intervalle étant rempli d'un matériau plus léger. L'origine de la

195

Page 196: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

croisée est incertaine : France ou Angleterre? Elle semble en tout

cas avoir été inspirée par les coupoles à nervures de l'Orient.

CROISILLON = Bras du transept d'une église, de chaque côté du

carré. L'église étant orientée est-ouest, on parle de croisillon

nord ou de croisillon sud.

CRYPTE = Construction souterraine placée sous le chœur d'une

église et abritant les reliques de saints. A l'époque carolingienne,

la crypte prend la forme du confesio romain puis, à l'époque

romane, elle adopte à peu près le plan de l'église qu'elle supporte.

On a construit peu de cryptes à l'époque gothique.

CUL-DE-LAMPE = Petit support en encorbellement destiné à

recevoir la retombée d'un arc ou à soutenir une statue ; les culs-

de-lampe sont sculptés de feuillages ou de motifs allégoriques.

CULÉE = Massif de maçonnerie contenant la poussée d'un arc.

DÉAMBULATOIRE = Galerie qui tourne autour du chœur d'une

église et relie les bas-côtés.

DÉLIT = Joint ou veine d'un bloc d'ardoise ou de pierre.

EN DÉLIT = Se dit d'une pierre posée de telle manière que

ses lits de carrière se retrouvent verticaux.

DÉTREMPE = Couleur délayée dans l'eau additionnée d'un

agglutinant (gomme, colle, œuf). Ouvrage fait avec cette couleur.

DOSSERET = Pilastre ou pile de maçonnerie en saillie servant

d'assise à un arc doubleau ou à l'arc d'une ouverture.

ÉBRASSEMENT = Partie du renforcement d'une fenêtre entre le

plan de l'ouverture et le parement intérieur de la salle.

ENTABLEMENT = Partie de l'édifice au-dessus des colonnes.

FENÊTRES HAUTES = Étage des fenêtres hautes dans la nef

centrale d'une église à plan basilical.

FLAMBOYANT = Phase tardive du style gothique en France et en

Angleterre, appelé ainsi d'après la forme, semblable à des

flammes, du remplage des fenêtres.

FLÈCHE = Partie supérieure d'un clocher, de forme pyramidale

ouconique. Par mesure d'économie, les flèches furent souvent

reconstruites en charpentes recouverte de plomb, mais il existe

des flèches de pierre d'une très grande audace.

196

Page 197: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

FLEURON. Fleur ou bouton accompagné d'un feuillage

cruciforme placé au sommet d'une tour gothique, d'une gâble ou

d'un clocheton.

FORMERET = Arc parallèle à l'axe de la voûte.

FRONTON = Couronnement d'un édifice ou d'une ouverture

(porte ou fenêtre). Dans l'architecture du Moyen Âge, les frontons

très pointus et décorés s'appellent gâbles.

FRISE = Partie de l'entablement comprise entre l'architrave et la

corniche.

FÛT = Corps d'une colonne entre la base et le chapiteau.

GÂBLE = Surface décorative pyramidale à rampants moulurés

qui couronne certains arcs (portails gothiques).

GAINE = Piédestal se rétrécissant vers le bas et supportant une

sculpture. Si la gaine et a sculpture sont d'une seule pièce,

l'ensemble est appelé terme.

GARGOUILLE = Extrémité des gouttières dépassant de l'édifice

gothique afin d'écarter du mur l'écoulement des eaux et figurant

la tête d'un animal ou d'un monstre.

GOUTTIÈRE = Canal semi-cylindrique, fixé au bord inférieur des

toits.

GUILLOCHIS = Ornement formé de traits gravés entrecroisés

avec régularité.

HAUT - RELIEF = Sculpture dont les figures se détachent

presque entièrement du fond, où elles adhèrent cependant.

JAMBAGE = Montant vertical encadrant l'ouverture d'une porte

ou d'une fenêtre. Pile de maçonnerie soutenant le manteau d'une

cheminée.

JUBÉ = Tribune formant une clôture entre le chœur et la nef

d'une église. On ychantait autrefois la formule : "Jube, domne,

benedicere", dont le nom de cette galerie surélevée. Comme ils

gênaient la vue du chœur, les jubés furent, au XVIIe siècle,

remplacés par des chaires à prêcher.

LANCÉOLÉ = Qui a l'aspect d'un fer de lance ; arc lancéolé.

LIERNE = Nervure de la voûte dite "en étoile", du gothique

flamboyant, joignant le tierceron de la nef.

197

Page 198: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

LINTEAU = Traverse de pierre au-dessus du portail pour

décharger l'ouverture du poids du mur ou du tympan qui la

surplombe.

MANDORLE = Grande auréole en forme d'amande entourant le

Christ dans les représentations du Jugement dernier ou de la

Transfiguration.

MENEAU = Montant ou traverse de pierre partageant une

fenêtre gothique en compartiments.

MOULE = Empreinte en creux, que l'on remplit d'une matière

malléable (terre, verre, bronze, matière plastique) qui s'y solidifie

en épousant la forme désirée.

MOULURE = Ornement linéaire, en relief ou en creux, présentant

un profil constant et servant à souligner une forme

architecturale, à mettre en valeur un objet.

NARTHEX = Vestibule de l'église, distinct du porche en ce qu'il

est compris sous la même couverture que la nef, souvent

surmonté d'une tribune.

NEF = Espace compris entre le chœur et l'entrée principale

d'une église. Sa forme allongée et les voûtes qui la couvrent la

font ressembler à un vaisseau retourné, d'où son nom.

Nervure = Arête saillante des arcs de la voûte d'ogives.

NICHE Renforcement ménagé dans un mur et pouvant recevoir

une statue, un meuble, etc.

OGIVE = Arc diagonal bandé sous une voûte et en marquant

l'arête.

OVE = Motif ornemental ayant la forme d'un œuf. Les oves sont

souvent séparés par des feuilles pointues.

PALMETTE = Ornement en forme de feuille de palmier.

PERLE = Ornement en forme de gain, taillé dans les moulures

dites baguettes.

PIEDROIT (PIED DRPOIT) = Montant vertical sur lequel

retombent les voussures d'une arcade ou d'une voûte.

PILASTRE = Pilier engagé, colonne plate engagée dans un mur

ou un support et formant une légère saillie.

198

Page 199: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

PILIER (PILE) = Support de maçonnerie de formes variées ; mais

s'il est rond, on parle de colonne. Il peut être carré ou formé d'un

noyau central, caontonné d'un faisceau de colonnettes.

PINACLE = Clocheton pointu, très décoré à l'époque gothique,

servant d'amortissement au contrefort ou à la butée d'un arc-

boutant.

PLATE-BANDE = Couronnement d'une ouverture rectangulaire,

construit en pierres taillées de façon à s'appuyer les unes sur les

autres, la clef du centre bloquant le tout.

PORCHE = Construction en saillie qui abrite la porte d'entrée

d'un édifice.

PORTAIL = Grande porte d'une église. Le portail comprend la

porte proprement dite – quelquefois partagée en deux parties par

un trumeau, deux piédroits souvent décorés de sculptures, un

tympan historié ou non selon les régions et surmonté de

voussures.

PORTIQUE = Galerie de rez-de-chaussée couverte, dont les

voûtes ou le plafond sont soutenus par des colonnettes.

PREDELLE = Panneau en longueur placé sous le retable.

RELIQUAIRE = Objet destiné à recevoir des reliques. Il peut

affecter des formes très variées : châsse, coffret ou statue.

Certains reliquaires épousent la forme de la relique qu'il contient,

comme la main-reliquaire.

REPOUSSÉ = Façonné par repoussage. Relief obtenu par

repoussage.

RETABLE = Tableau peint ou sculpté appuyé au mur sur lequel

s'adosse l'autel d'une église.

RONDE-BOSSE = Statue en plein relief dont on peut faire le

tour.

ROSACE = Motif ornemental en forme de rose servant surtout à

ponctuer en leur centre les voûtes, les coupoles, les plafonds.

ROSE = Grande verrière circulaire de l'époque gothique,

occupant tout le mur de fond de la nef ou des croisillons. La

dimension de ses ouvertures en a nécessité la découpe par des

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Page 200: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

"ramplages" de pierre, véritable armature qui, grâce à son

destin, joue un très grand rôle décoratif.

SEXPARTITE = Se dit d'une voûte gothique partagée en six

parties, pour la réparation des poussées et la résistance des piles.

TIERCERON = Nervure supplémentaire des voûtes gothiques

flamboyantes.

TIERS-POINT = Point d'intersection de deux arcs qui se coupent

pour former une ogive.

TORSADE = Motif ornemental imitant une frange torse.

TOUR-LANTERNE = Tour de carré du transept, en parrticulier

dans les églises normandes.

TRANSEPT = Partie de l'église formant une croix avec la nef

principale.

TRAVÉE = Espace compris entre deux piles supportant les arcs

doubleaux d'une voûte.

TRIBUNE = Galerie élevée au-dessus des bas-côtés d'une église.

Réservée aux femmes, cette galerie permettait de rassembler une

assistance plus nombreuse lors des pèlerinages. Elle a

l'inconvénient de supprimer la possibilité d'éclairage de la nef

autrement que par les fenêtres hautes et de créer une

horizontalité en contradiction avec l'effort des architectes

gothiques pourlancer la cathédrale vers le ciel. Aussi a-t-elle

disparu au XIIIe siècle.

TRIBUNE SIMULÉE OU AVEUGLE = Ouvertures dans le

mur de la nef, au-dessus des grandes arcades, qui servent

seulement à l'articulation du mur, mais ne sont pas reliées à un

espace réel.

TRIFORIUM = Petite galerie de circulation, ménagée au-dessus

des bas-côtés d'une église gothique en remplaçant les tribunes.

TRIPTIQUE = Panneau peint ou sculpté comprenant un tableau

central à deux volets.

TRUMEAU = Pile de pierres supportant le linteau d'une porte en

son milieu. Ceux des portails d'église sont souvent sculptés.

TYMPAN = Partie plate et sculptée d'un portail, comprise entre le

linteau et les voussures. Si le tympan est de grandes dimensions,

200

Page 201: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

il peut être à registres.

VAISSEAU = Espace allongé que forme l'intérieur d'un grand

bâtiment, d'un bâtiment voûté ; nef.

VERRIÈRE = Grande fenêtre. Vitrail de grandes dimensions.

VIERGE DE PITIÉ = Représentation de la vierge enceinte par la

douleur avec son Fils mort sur les genoux.

VISITATION = Visite faite par la Sainte Vierge à Sainte Élisabeth.

VITRAIL = Fenêtre garnie de verres colorés.

VOLÉE = Partie d'un escalier comprise entre deux paliers

successifs.

VOUSSURE = Épaisseur de l'intrados de plusieurs arcs accolés

en voûte au-dessus du portail.

VOÛTAIN = Un des compartiments d'une voûte d'ogives.

VOÛTE = Maçonnerie en forme de cintre couvrant un édifice et

constituée d'arcs de pierre s'appuyant les uns sur les autres. On

distingue plusieurs sortes de voûtes :

LA VOÛTE EN PLEIN CINTRE =faite d'arcs en plein cintre,

d'une semi-rond.

LA VOÛTE EN BERCEAU = Voûte en plein cintre, mais au

moins deux fois plus large que longue, souvent soutenue à des

intervalles réguliers par des arcs doubleaux.

LA VOÛTE D'ARRÊTES = formée du croisement de deux

voûtes en berceau.

LA VOÛTE D'OGIVES = construite par l'intersection de

deux arcs, l'intervalle étant rempli d'un matériau léger.

LA VOÛTE RAMPANTE = dont les naissances ne sont pas

au même niveau.

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Page 202: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

GLOSSAIRE DES NOMS PROPRESGLOSSAIRE DES NOMS PROPRES

Pierre ABELARD = Chanoine de Notre-Dame. Il entra à l'abbaye

de Saint-Denis après son histoire d'amour avec Héloïse, puis au

Peraclet, après la condamnation de son traité sur la Sainte Trinité

(1121).

André BEAUNEVEU = Sculpteur et miniaturiste français, né à

Valenciennes, mentionné de 1360 à 1400. Il travailla pour

Charles V puis pour Jean de Berry.

Jean BELLEGAMBE = Peintre flamand (Douai v. 1470 – id? 1543),

auteur des volets d'un des retables de la chartreuse de

Champmol.

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Page 203: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

Bernard DE CHARTRES = Il enseigna à Chartres autour de 1120.

Il ne nous reste rien de lui, mais il nous est connu par Jean de

Salisbury, qui signale sa réputation dans l'enseignement de la

grammaire et de sa connaissance de Platon.

Jean DE BERRY = Prince capétien (Vincennes 1340 – Paris

1416);, troisième fils de Jean II le Bon. Il fut l'un des régents de

son neveu Charles VI pendant la minorité, puis la folie de celui-ci.

La célèbre "librairie" de ce prince fastueux contenait quelques-

uns des plus beaux manuscrits du siècle, notamment les Très

riches heures du duc de Berry commandé aux frères de

Limbourg.

Jean BOURDICHON = Peintre et miniaturiste français (Tours? V.

1457 – id 1521), auteur des Heures d'Anne de Bretagne.

Melchior BROEDERLAM = Peintre flamand (Douai, 1470 – id?

1534/1540), auteur du Polyptyque d'Anchin (v. 1510, musée de

Douai).

CHAMPMOL = Monastère fondé près de Dijon par Philippe le

Hardi (1383) pour servir de nécropole à sa lignée. Rares vestiges

sur place (aujourd'hui dans un faubourg) dont les Puits de

Moïse de Sluter.

La CHARTREUSE = Monastère fondé par Saint Bruno, en 1084,

dans les Préalpes françaises.

Christine de Pisan = femme de lettres française (Venise v. 1365 –

v. 1430). Elle a laissé des ballades, des écrits historiques (Livres

des faits et des bons moeurs du roi Charles V) ainsi qu'un poème,

Pitié de Jeanne d'Arc, témoignage sur l'état des esprits lors de la

guerre de Cent Ans.

CLUNY = Ecole d'arts et de métiers. C'est là que fut fondée en

910 une abbaye de Bénédictins, d'où partit le mouvement de

réforme clunisien. L'abbatiale romane entreprise en 1088, le plus

vaste monument de l'Occident médiéval, a été démolie au début

du XIXe siècle.

LIVRE DU CCOEUR D'AMOUR EPRIS = Manuscrit à peintures

de la Bibliothèque nationale de Vienne (v. 1465). Le texte

allégorique, écrit par le roi René le Bon, est illustré de miniatures

203

Page 204: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

remarquables par leur usage de la lumière et de la couleur et par

leur monumentalité. Le peintre en serait un Flamand au service

du roi d'Anjou et de Provence (Berthélémy d'Eyck ?); auquel on a

tendance à attribuer aussi la célèbre Annonciation de l'église de

la Madeleine d'Aix (1443-1445).

Cour de Miracles = Ancien quartier du centre de Paris (jusqu'au

XVIIIe siècle) où vivaient les mendiants et les voleurs, ainsi

appelé parce que les infirmité des truands disparaissaient dès

qu'ils avaient regagné leur repaire.

Le COURONNEMENT DE LA VIERGE = Grand retable dÉ.

Quaronton (1453-1454, musée de Villeneuve-lès-Avignon), qui

témoigne de l'impact des modèles flamands et italien sur une

sensibilité française dans la lignée de l'art gothique du Nord,

aboutissant à un langage plastique spécifique du Xve siècle

provençal.

Saint Denis = Premier évêque de Paris (IIIe s.). Il a été décapité

sur la colline de Montmartre. Dagobert lui dédia une abbaye

célèbre.

Saint Etienne = Diacre et premier martyr chrétien (m. à

Jérusalem v. 37). Sa lapidation marqua le début d'une violente

persécution contre l'église de Jérusalem.

Jean FOUQUET = Peintre et miniaturiste français (1415-1481). Il

s'initia aux nouveautés de la Renaissance italienne lors d'un

séjour prolongé à Rome où, déjà très estimé, il fit un portrait du

pape Eugène IV. La maturité de son style, monumental et

sensible, apparaît dans le diptyque, aujourd'hui démembré, qui

comprend la Vierge et Etienne Chevalier avec Saint Etienne, ainsi

que dans les miniatures, comme celles des Heures dÉ. Chevalier

ou des Antiquités judaïques.

Jean FROISSART = Chroniqueur français (Valenciennes 1333 –

Chimay 1404). Ses chroniques forment une peinture vivante du

monde féodal entre 1325 et 1400.

Nicolas FROMENT = Peintre français, sans doute originaire du

nord de la France (m. en Avignon en 1483-1484). Installé dans le

204

Page 205: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

Midi à partir de 1465, il fut au service du roi René (triptyque du

Buisson ardent, 1476, cathédrale d'Aix).

Saint FULBERT = Evêque de Chartres (960 env. – 1028), né près

de Rome. Il vint en 984 à Reims pour y suivre les cours de Gilbert

d'Aurillac, futur Silvestre II. En 992 il se rend à Chartres pour y

apprendre la médecine. Il fut bientôt maître, chancelier et

chanoine. En 1006 il fut nommé évêque. Il entreprit la

reconstruction de la cathédrale dont il subsiste la crypte. Il donne

un enseignement à Chartres marqué par l'intérêt pour les arts

libéraux.

Sainte GENEVIÈVE = Patronne de Paris (Nanterre v. 422 –

Lutèce v. 502). Elle soutient le courage des habitants de Lutèce

lors de l'invasion hune d'Attila.

Jacquemart de HESDIN = Miniaturiste français, au service du

Duc de Berry de 1384 à 1409, auteur d'une partie des images en

en plein rouge des Petites heures de ce prince.

Simone MARTINI = Peintre italien (v. 1284 – 1344). Un des

maîtres de l'école de Sienne. Fresques au dessin et aux couleurs

raffinés.

Hans MEMLING = Peintre flamand (v. 1433 – 1494). Exerçant à

Bruges, comme Van Eyck, il représente l'aboutissement serein,

médité, harmonieux, de l'art primitif flamand.

Jean PERREAL = Peintre, dessinateur, décorateur et poète

français (connu à partir de 1493, m. en 1530). Il fut employé par

la ville de Lyon ; peintre en titre de trois rois de France et

conseiller de Marguerite d'Autriche dans son entreprise de Brou ;

mais on n'a de lui presque aucune œuvre certaine.

Claus SLUTER = Sculpteur néerlandais (Haarlem v. 1340/1350 –

Dijon 1405/1406). Installé à Dijon en 1385, il succède à Jean de

Merville comme imagier du Duc Philippe le Hardi. La plus célèbre

de ses œuvres conservées est l'ensemble des six prophètes du

Puits de Moïse (anc. Chartreuse de Champmol), sans douté

achevée par son neveu Claus de Werve (1380-1439). Le génie de

Sluter réside dans une puissance dramatique et un réalisme qui

exerceront une influence notable sur l'art européen du Xve siècle.

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Page 206: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

SUGER = (vers 1086 – 111). Abbé de Saint-Denis en 1122 où il

avait été élevé avec le futur Luis VI. Il joua un rôle politique sous

ce roi et sous son successeur Louis VII. Il assura la régence au

cours de la deuxième croisade (1147-1149). Il entreprit

également la reconstruction de son abbatiale dont il n'acheva que

le massif occidental et le chevet. Auteur de plusieurs ouvrages

dont deux consacrés à l'abbaye.

TRES RICHES HEURES= Manuscrit enluminé par les frères de

Limbourg, de 1413 à 1416, pour le Duc Jean de Berry (Château

de Chantilly) ; livres d'heures célèbre pour ses peintures en pleine

pages qui unissent des qualités flamandes (observation précise du

réel, apportant sur la vie de l'époque un témoignage captivant) et

italiennes (valeurs plastiques nouvelles).

Lorenzo VALLA = Humoriste italien (Rome 1407 – Naples 1457).

Il chercha à concilier la sagesse antique et la foi chrétienne (De la

volupté, 1431).

VAN DER WEYDEN = Peintre des Pays-Bas du Sud (Tournai v.

1400 – Bruxelles, 1464), le plus célèbre des "primitifs flamands"

après Van Eyck (Descente de Croix, v. 1435?, Prado, Saint Luc

peignant la Vierge, retable du Jugement dernier, v. 1445 – 1550,

Hôtel-Dieu de Beaune; portrait de l'Homme à la flèche,

Bruxelles).

Jan VAN EYCK = Peintre flamand (v. 1390 – Bruges 1441). Le

fondateur de l'école flamande. Il fit des découvertes techniques

capitales qui l'aidèrent à représenter le monde sensible avec une

fascinante vérité. Portraits (Les époux Arnolfi) et scènes

religieuses (L'Agneau mystique).

Giorgio VASARI = Peintre, architecte et historien de l'art italien

(Arezzo 1511 – Florence 1574), auteur d'un précieux recueil de

Vies d'artistes qui privilégie l'école florentine.

VILLARD DE HONNECOURT = (première moitié du XIIIe siècle).

Très célèbre par le carnet qu'il réalise. On y trouve des dessins

qui touchent à tous les domaines : architecture, sculpture,

technique … reproduisant monuments, sculptures, machines qu'il

a pu voir au cours d'un périple qui l'a conduit jusqu'en Hongrie.

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Page 207: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

Malgré des études récentes, sa personnalité nous échappe. Il

marque cependant une vaste curiosité, qui demeure pour

l'époque un témoignage unique.

Eugène VILLET-LE-DUC = Architecte et théologien français

(Paris 1814 – Lausanne 1879). Il restaura un grand nombre de

monuments du Moyen Âge, notamment l'abbatiale de Vézelay,

Notre-Dame de Paris et d'autres cathédrales, le château de

Pierrefonds, la cité de Carcassonne. Il est l'auteur, entre autres

ouvrages, du monumental Dictionnaire raisonné de l'architecture

française du Xie au XVIe siècle (1854 1868) et des Entretiens sur

l'architecture, qui ont défini les bases d'un nouveau rationalisme,

incluant l'emploi du métal.

Simon VOUET = Peintre français (Paris 1590 – id. 1649). Après

une importante période romaine (1614 – 1627), il fit à Paris, grâce

à son style aisé et décoratif (coloris vif, mouvement des

compositions) une carrière officielle brillante (Le Temps vaincu

par l'Amour, Vénus et l'espérance, Musée de Bourges,

Présentation au temple, allégorie dite La Richesse, Louvre).

Konrad WITZ = Peintre d'origine suave installé à Bâle en 1431

(m. en 1445 à Bâle ou à Genève). Sous l'influence des arts

bourguignon et flamand il a composé des panneaux de retables

remarquables par la force plastique et par l'attention portée au

réel. (Pêche miraculeuse, Musée d'Art et d'Histoire, Genève).

207

Page 208: L'Art Gothique - Lucrare Franceza

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Tchou, Paris, 1965.

43. **** Documents et civilisation du Moyen Âge au

Xxe siècle Classiques Hachette, 1975.

44. **** Larousse du Xxe siècle, sous la direction de

Paul Augé, Eds. Larousse, Paris, 1929.

45. La Sainte Bible, nouvelle édition publiée sous le

patronage de la Ligue Catholique de l'Evangile et la

direction de S. Em. Le Cardinal Liénart, Paris, 1951.

46. **** Miroir de l'histoire, n° 37, février, 1953.

47. Le Petit Larousse en couleurs, Eds. Larousse,

Paris, 1994.

48. **** Les Métamorphoses de l'humanité. Le temps

des cathédrales, sous la direction de Robert

Philippe, Eds; Planète, Paris, 1965.

49. **** New Bible Dictionnary, edited by J. D.

Douglas, The Intervarsity Fellowship, 1962.

50. **** Notre-Dame de Paris. Les vitraux,

Imprimerie Grou Radenez et Joly, Association

Maurice de Sully, Paris, 1987.

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