L'Artillerie française

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Une brève histoire de l'artillerie française des origines à 1815

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LArtillerie franaise WaterlooUne brve histoire de lartillerie franaise des origines 1815

Par Michel Damiens

Lartillerie franaise WaterlooLartillerie a jou un grand rle durant la campagne de Belgique en 1815 et les historiens sen sont fait lcho. Malheureusement, la plupart des auteurs contemporains nont quune notion trs vague de ce qutait rellement lartillerie au temps de Napolon. Lvolution de cette arme au cours des deux sicles qui nous sparent de ces vnements a t telle que bon nombre de notions qui taient videntes pour les historiens du XIXe sicle nous sont devenues totalement trangres. De telle sorte que lon trouve parfois sous la plume dauteurs rputs srieux de la deuxime moiti du XXe sicle des commentaires qui frisent labsurde. Nous allons tenter dans cet article de retracer brivement : un fort volume ny suffirait pas lhistoire de larme en France et de montrer pourquoi Napolon prtendument artilleur lui-mme ne pouvait pas demander son artillerie plus quelle ntait techniquement en mesure de lui fournir.

Les six calibres de FranceLartillerie feu ses dbuts ntait considre quen tant que compose de pices de sige, plus apte abattre de puissants murs que les trbuchets ou onagres en usage jusque-l. Certains chefs de guerre le premier tant peut-tre Edouard III en 1346 Crcy mirent en ligne en campagne ce quil est convenu dappeler des canons. Mais jusquau XVIe sicle, ces armes taient plus impressionnantes quefficaces. Intransportables une fois laction engage, elles ne prsentaient aucune fiabilit et explosaient gnralement aprs une douzaine de coups. Vers le milieu du XVe sicle, on commena construire des affts roue permettant de transporter les pices sur le champ de bataille. Linvention des tourillons permettant de fixer le canon sur lafft tout en lui laissant une certaine libert de pointage constitue une amlioration capitale de mme que lutilisation de la fonte de fer puis du bronze pour couler les canons au lieu du fer pour les forger ; autre amlioration : lutilisation de la fonte de fer pour fabriquer les boulets, jusque-l taills dans la pierre. Cest lpoque o, en France, sous Charles VII, Jean Bureau constitue le premier systme : on ne fabriquerait plus en France que des pices de 2, 4, 8, 16, 32 et 64 livres. Ce systme dit des six calibres de France resta trs longtemps en vigueur. Ainsi quon le voit, cest ds cette poque que lon commena donner le calibre des pices daprs le poids de la munition quelles tirent. Il faut sans doute voir lorigine de cette particularit au fait que le systme de poids tait beaucoup plus uniforme que le systme de mesures de longueur et donnait lieu moins de variation. Le boulet tant en fonte de fer et la fonte de fer pesant toujours le mme poids, la sphre est toujours du mme poids selon le volume. La masse volumique de la fonte peut pourtant varier de 6800 7400 kg/m, mais la variation nest pas importante pour un aussi petit volume. Pour faire plaisir aux amateurs de calculs, voici les caractristiques dun boulet de 12 en fonte de fer 7200 kg/m1. Il est entendu que la livre, ancienne mesure de poids en France, est gale 488,5 g, soit 0,4885 kg. Un boulet de 12 pse donc 5,862 kg. On peut donc fondre 1 228 boulets dans 1 m de fonte et un boulet fait 792 cm soit 0,000792 m. On utilise alors la formule et lon obtient 5,794 cm de rayon et 11,58 cm de diamtre. Soit si lon transpose en mesures anciennes (au

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Cest la masse volumique le plus souvent donne par les auteurs de traits sur lartillerie.

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pied-du-roi ) : 4 pouces 3 lignes 9 points. On verra que le calibre du boulet de 12 (11,77 cm soit 4 pouces 4 lignes 4 points) utilis sous lEmpire, est trs lgrement suprieur. Au XVIe sicle, sous Henri II, Jean dEstres, grand-matre de lartillerie, procda une rationalisation du systme dit des six calibres de France . Cest lui qui dtermina la proportion des pices : un tiers du parc sera constitu de pices tirant des gros calibres de 16 64 livres et destin aux siges, deux tiers destins lartillerie de campagne.

LouvoisMais cest sous Louis XIV que lon sembla vouloir sorienter vers un vrai systme dartillerie. Louvois commena par revenir au principe des six calibres de France que lon avait un peu oubli au cours des temps. Louvois, pour autoritaire quil ait t, nosa cependant pas compltement bousculer le vieux systme de Jean Bureau : on supprima les pices de 2 livres et on ajouta la pice de 12 livres au systme. Mais, malgr tout, le parc de lartillerie du roi de France restait dsesprment clectique : trois sortes de pices (longues, moyennes et courtes), soit en bronze soit en fonte de fer, taient en service pour chaque calibre. A chacun de ces types de pices correspondait en principe un afft particulier, mais l aussi Franois Michel Le Tellier marquis de Louvois Gravure du XIXe s. rgnait la plus parfaite anarchie. A cette plthore, venaient encore se greffer des normes qui diffraient suivant les fonderies. A ces pices vinrent sajouter des mortiers de tous les calibres, des obusiers de tous les types ainsi que des pices lgres la sudoise . On ne pouvait en effet pas avoir t aveugle au point dignorer les progrs que, durant la guerre de Trente Ans, le roi de Sude Gustave-Adolphe avait fait faire lartillerie, la rendant plus lgre et plus mobile. La timide rforme de 1679 avait t une tentative de rponse ces nouveauts. Mais loin datteindre son but, cette rforme ne fit quaggraver le mal, ajoutant des matriels nouveaux des matriels anciens que lon ne se dcidait pas abandonner : on trouvait encore des couleuvrines dans les parcs dartillerie !... Les artilleurs se montraient lpoque fort conservateurs. Non seulement, ils restaient attachs leurs anciens principes, mais ils refusaient de voir les progrs quavaient fait leurs ennemis traditionnels en la matire. Ainsi en va-t-il, par exemple, de la gargousse : alors que les Autrichiens, inspirs par les Sudois, avaient gnralis son usage, les Franais continuaient prfrer le chargement la lanterne. La mthode consistait amener un baril de poudre auprs de la pice approvisionner avec des bouchons de foin et des boulets. On dfonait le baril et on puisait, au moyen dune lanterne une louche cylindrique la poudre et on la versait dans le canon ; on refoulait ; on mettait un bouchon de paille, on refoulait ; on plaait le boulet avec un bouchon et on refoulait encore. Pour le tir rapproch, on supprimait les bouchons. En cas durgence, et de tir mitraille, on utilisait quand 3

mme une gargousse, ce qui rendait le tir beaucoup plus rapide. Ce dernier dtail prouve que les artilleurs ntaient pas gens presss et quils privilgiaient le tir lent et prcis que permettait la variation de la charge de poudre. La hausse tait dtermine par des coins de mire , soit de simples clisses que lon glissait entre la culasse et lentretoise de culasse. Il faut ajouter cela quen aot 1703, se trouvant cras sous le poids de la dette, Louis XIV dcrta la suppression de tous les offices dartillerie existants pour les remplacer par des offices vnaux, hrditaires de surcrot, et assortis de privilges exorbitants.

La rforme de 1720Cest la priode de paix qui suivit la mort de Louis XIV qui permit dessayer de rationaliser un peu tout cela. Lune des premires mesures prises par le Rgent fut, ds mars 1716, la suppression de tous les offices dans lartillerie crs par les dits de 1703, 1704, 1706, 1708 et 1715. Le Rgent, dans lexpos des motifs de son ordonnance, justifiait cette suppression par la fin de ltat de guerre : Ces offices sont devenus charge ltat et nos finances, par les privilges et exemptions dont jouissent ceux qui ont acquis lesdits offices, et par les gages considrables qui leur ont t attribus Et le prince constatait que certains acqureurs de ces offices taient si peu comptents que lautorit avait t oblige afin que le service nen souffrt point, de commettre et demployer, par des commissions particulires, en leurs lieu et place dautres officiers plus expriments entre ceux qui avaient t conservs pour composer les quipages dartillerie la suite des armes. On saccorde voir dans cet arrt la main de Claude Le Blanc, homme jouissant de la confiance totale du Rgent, membre du Conseil de la Guerre depuis 1716 et secrtaire dtat la Guerre partir de 1718. Cest ce mme Le Blanc qui inspira lordonnance du 5 fvrier 1720 qui rorganisait le service de lartillerie. Le rgiment royal de Bombardiers fut incorpor en mme temps que toutes les compagnies de Mineurs dans le rgiment Royal-Artillerie. En mme temps, lordonnance organisait les compagnies du Royal-Artillerie en leur attribuant : un capitaine en premier, un capitaine en second, deux lieutenants, deux sous-lieutenants, quatre sergents, quatre caporaux, quatre anspessades (aidecaporaux), deux cadets, deux tambours et quatre-vingt soldats . Chaque compagnie serait divise en trois escouades. La premire, qui sera double, sera compose de vingt-quatre canonniers ou bombardiers ; la seconde escouade sera compose de douze mineurs et sapeurs et douze soldats-apprentis. La troisime escouade sera compose de douze ouvriers en fer et en bois lusage de lartillerie et douze ouvriers-apprentis. Insigne de poche du 1er d'Artillerie portant les couleurs de Royal-Artillerie

Une autre ordonnance, dat du mme jour, rglait le service du rgiment Royal-Artillerie, dont les bataillons devaient tre soumis une double inspection : celle des directeurs et inspecteurs gnraux de linfanterie et celle des deux officiers chargs spcialement des coles dartillerie. Lordonnance dsignait pour directeur gnral des coles dartillerie, Louis Camus Destouches2, et2

Le pre naturel de lencyclopdiste dAlembert

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pour inspecteur gnral desdites cole, le marchal de camp Jean-Florent de Vallire. Lordonnance tablissait aussi les coles dartillerie Metz, Strasbourg, La Fre, Grenoble et Perpignan et leur imposait leur programme dinstruction. Il est remarquer que linstruction de ces coles tait dispense aux hommes de troupe autant quaux officiers, mme si le programme de ces derniers tait beaucoup plus complet, notamment sur la thorie de larme : On leur enseignera les fortifications et les parties de gomtrie ncessaires pour les clairer bien placer une batterie dans toutes les occasions o lon se sert de canons et de mortiers, tirer autant juste quil est possible le canon, les bombes et les pierres, bien mener les sapes, conduire les galeries et rameaux des mines, placer les fourneaux et dterminer leurs charges ; on les instruira dans les parties de mchaniques qui apprennent se servir avec adresse des leviers, poulies et cordages pour le mouvement des fardeaux

VallireDestouches et Vallire sattaqurent aussitt avec acharnement leur tche. Ds le 23 juin 1720, ils adressaient aux coles une instruction dterminant la cration de polygones de tirs. Le 22 mai 1722, le rgent signe une longue ordonnance rglant le service de lartillerie dans les armes, les places et les coles dont le but est dassimiler dfinitivement les officiers dartillerie aux officiers du rgiment RoyalArtillerie. Cest donc cette ordonnance qui fait de lartillerie une partie intgrante de larme. Mais les ingnieurs restrent en dehors de la hirarchie militaire et neurent aucun grade correspondant leur fonction jusqu lordonnance du 7 fvrier 1744 qui les intgraient dfinitivement larme. Destouches mourut en 1726, mais Vallire, aprs avoir ainsi rgl le problme du personnel Clich Bulloz de lartillerie, entama la rorganisation du matriel qui allait le rendre clbre. Lordonnance du 7 octobre 1732, allait bouleverser le paysage des artilleurs. En quatorze articles, Vallire rglait la question de la diversit anarchique des matriels :Vallire par Jean-Baptiste II Lemoyne (RMN)

I. Il ne sera dornavant fabriqu des pices de canon que du calibre de 24, de 16, de 12, de 8 et de 4 ; des mortiers de 12 pouces juste et de 8 pouces 3 lignes de diamtre ; des pierriers de 15 pouces ; et, pour lpreuve des poudres, de 7 pouces de lignes. II. Les dimensions et le poids des pices de chaque calibre, des mortiers et pierriers, de mme que les dimensions des plates-bandes et moulures, la position des anses et des tourillons, et les ornements desdites pices, mortiers et pierriers demeureront fixs, suivant et conformment aux tables, esquisses, plans et coupes que Sa Majest en a fait dresser, et qui seront insrs la suite de la

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prsente ordonnance ; sans que sous quelque prtexte que ce soit il puisse y tre fait aucun changement. III. La lumire des pices de canon, mortiers et pierriers, sera perce dans le milieu dune masse de cuivre rouge, pure rosette, bien conroy, et aura la figure dun cne tronqu renvers. IV. Il sera fait pour les pices de canon, ainsi quil est marqu aux plans, un canal extrieur, depuis la lumire jusqu lcu des armes de Sa Majest, dune ligne de profondeur et de 6 lignes de large, pour viter que le vent ne chasse la trane de poudre. V. La visire et le bouton de mire seront supprims. VI. Les pices continueront dtre coules par la vole. VII. Le poids, tant des pices de canon, que des mortiers et des pierriers, lanne, le quantime du mois de la fonte & le nom du fondeur, seront marqus sur la pice. VIII. On observera de numroter sur lun des tourillons, par premire, deuxime, troisime et quatrime, les pices, mortiers et pierriers de chaque fonte. Les cinq derniers articles rglaient la manire dont les pices devaient tre fondues et prouves. Lordonnance tait accompagne dun vritable atlas reprsentant les pices telles quelles devaient tre construites avec toutes leurs dimensions, leurs paisseurs et mme leurs moulures, les cotes en calibre tant ensuite converties en pieds, pouces et lignes dans des tableaux dune grande prcision. On constate que les canons de Vallire sont, pour les plus gros, longs de 22 calibres, et pour les plus lgers, de 26 calibres. La maxime de Vallire tait en effet de compenser la faiblesse du calibre par la force de la poudre ; ds lors les canons les plus lgers devaient-ils tre plus longs afin datteindre la prcision de tir et la porte voulue. Le systme Vallire, ainsi quon lappela quoiquil ne sagt pas dun systme proprement parler consistait donc ne plus admettre que cinq types de canons, deux types de mortiers et deux de pierriers. Encore fallait-il que, techniquement, la fabrication des canons permette de respecter les normes dtermines par Vallire.

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Un canon de 12 livres fondu Naples par Hieronymus Castranova en 1736. Quoique napolitaine, cette pice rpond parfaitement aux prescriptions de Vallire. A comparer avec le canon hollandais de 12 droite, fondu par Johann II Maritz La Haye en 1792 qui rpond celles de Gribeauval. (Bruxelles, Muse royal de lArme et dHistoire militaire)

Les fondeursJusqualors, les canons taient fondus selon la technique du noyau . On commenait par construire un moule autour dun cylindre mtallique correspondant au calibre. Le bronze tait ensuite coul dans le moule et une fois quil avait durci, on retirait la barre mtallique. On alsait alors lme afin quelle soit aussi rgulire que possible. Cette technique, pour astucieuse quelle soit, nen tait pas moins assez alatoire. La barre mtallique pouvait tre mal centre, elle pouvait bouger lors de la coule, elle pouvait se dformer la chaleur et lalsage au couteau ! noffrait aucune garantie dexactitude Cest en 1704 quun fondeur bernois du nom de Johann Maritz trouva la solution ce problme. Il eut lide de couler la pice sans y introduire de noyau et, une fois refroidie, de la forer en son centre. Mais cette opration, longue et difficile exigeait une prcision millimtrique que les moyens mcaniques de lpoque nautorisaient pas. Maritz inventa alors une machine qui rpondait ces besoins. Une fois coul et refroidi, le canon tait fix horizontalement sur la machine face un fort dont le diamtre correspondait celui de lme dsire. Cette technique prsentait toutefois un inconvnient : il cotait plus cher en mtal. Mais Maritz y rpondait en rcuprant les dchets de 7

lalsage pour une fonte ultrieure et en faisant remarquer quil diminuait considrablement le nombre de pices rates, souvent insouponnables et qui se brisaient aux essais ou, pire, sur le champ de bataille. En 1725, le gouvernement franais voulut remettre les fonderies de Lyon et de Perpignan en service et se mit en qute de fondeurs comptents pour y oprer. Le lieutenant gnral dartillerie du Lyonnais, Baraillon de Saint-Didier, ne trouvant en France personne rpondant aux exigences, se tourna vers la Suisse et sintressa trs vivement Maritz. Mais celui-ci nentendait pas quitter son atelier bernois sans une trs srieuse compensation financire que les Franais jugrent exorbitante. Baraillon engagea alors un fondeur dorigine saxonne nomm Georg Munich qui donna toute satisfaction jusquau dbut 1732 lorsque, au cours dessais, quatre pices deux canons et deux mortiers montrrent des signes de dtrioration prmature. Vallire, alert, exigea de connatre les raisons de cette dfaillance. Aprs enqute, il savra que Munich avait cru faire des conomies en ne portant pas lalliage une temprature suffisante pour assurer le parfait amalgame du cuivre et de ltain. La faiblesse de lalliage se constatait surtout dans les environs de lme : le noyau mtallique avait sans doute augment les effets du mauvais mlange. Somm de sexpliquer, Munich refusa dadmettre les conclusions des experts, sobstina en dniant toute comptence aux artilleurs et se vit finalement renvoyer en avril 1733. La recherche dun nouveau matre-fondeur pour remplacer Munich ramena Maritz sur le tapis. En effet, lenqute des artilleurs avait montr que cest le systme mme de la fonte noyau qui prsentait des vices. En outre, lheure o lEurope rarmait, on risquait fort de voir Maritz passer au service dune puissance trangre moins regardante la dpense Le secrtaire la Guerre, dAngervilliers, pour se faire une opinion, demanda soumettre le systme de Maritz des preuves. Cest ainsi que le 2 mai 1734, Johannes Maritz dbarqua Lyon avec sa machine forer les canons. On lui fit couler une pice de 12 et une pice de 24 selon sa mthode. Vallire lui-mme assistait aux preuves et savoua conquis. Il voyait l le moyen de raliser son vu le plus cher : uniformiser la fabrication des pices dartillerie. Maritz fut donc engag et install dans latelier de Lyon. En 1738, son fils, Jean II, fut mis en possession de latelier de Strasbourg o lon transporta la machine forer. En 1746, Jean II fit construire une deuxime machine pour linstaller dans latelier de Douai qui restait aux mains des Brenger. Cependant le jeune fils Brenger suivit lenseignement de Maritz, fit connaissance de la fille de Jean II quil pousa en 1750, lanne mme o Maritz fut anobli. Il tait, dans les faits, matres de trois fonderies sur les cinq que comptait le royaume et supervisait les autres en tant que commissaire gnral des fontes. Luniformisation des fabrications dont rvait Vallire tait ds lors une ralit.

Le canon la sudoise Mais, si Vallire faisait faire un progrs considrable dans luniformisation et la simplification de lartillerie, il ne rglait nullement le problme des affts. Il sopposa mme avec vigueur aux amliorations proposes dans ce domaine. Un canon de 12 pour tre tract avait toujours besoin de neuf chevaux que lon attelait encore toujours la file Bien plus grave, alors que la gargousse tait dj utilise pour le service de nombreuses pices, Vallire en revint lancien systme dit la lanterne que nous avons dcrit plus haut. Il jugeait en effet ce systme plus prcis dans le dosage de la charge et plus conomique.

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Ladministration de Vallire se montra donc fort conservatrice mais elle ne put compltement sopposer quelques innovations marquantes. Ainsi, en 1737, le gnral gouverneur de la place de Metz, le comte de Belle-Isle, sur les rapports dun de ses officiers qui avait examin lartillerie sudoise, fit fondre un canon et construire un afft la sudoise . Il confia le maniement de cette pice lgre des soldats de linfanterie qui, au bout de huit jours, avaient acquis assez dhabilet pour tirer 10 coups la minute ! Le comte de Breteuil qui dtenait cette poque le portefeuille de la Guerre fut mis au courant des essais pratiqus Metz et se montra fort sceptique devant une telle performance. Aussi ordonna-t-il de renouveler les essais. En mme temps, il fit monter les canons, que lon fora au calibre de 4, sur un nouvel afft imagin par le capitaine Cuisinier, commandant la compagnie douvriers dartillerie de Metz. Lexprience fut un triomphe et, malgr les rticences du vieux Vallire, le ministre ordonna la fabrication de cinquante pices la sudoise . Limmense supriorit du canon la sudoise rside la fois dans son poids et dans sa mobilit. En effet, ce canon navait que 17 calibres de longueur au lieu de 26 pour le canon de 4 du systme Vallire et ne pesait que 600 livres (150 fois le boulet) au lieu de 1 150 ! Ajoutons cela que, aprs les expriences, on put rduire la charge de poudre une livre un tiers au lieu de deux livres sans changer les performances de la pice. Le nouvel afft, plus lger, plus facile atteler que lancien, tait pourvu dune vis de pointage remplaant les anciens coins de mire et portait un coffre de chargement entre les deux flasques, de telle sorte que la pice, peine dtele, pouvait ouvrir le feu sans attendre les caissons. Grce sa lgret, les dplacements sur le champ de bataille pouvaient se faire sans chevaux. Le nouveau canon de 4 tait attel trois chevaux la file, au lieu de sept pour le mme calibre dans le systme Vallire. Le coffre contenait 55 coups Disons-le tout de suite : le canon la sudoise est le modle de toutes les pices mises en uvre par Gribeauval. En tout cas, suite lexprience malheureuse de la campagne de 1741 au cours de laquelle on nengagea pas les nouvelles pices de 4 et qui vit le matriel dartillerie fondre comme neige au soleil cause de son manque de mobilit, les gnraux exigrent corps et cri un systme de pices plus courtes et plus lgres. On rclama le rtablissement de la cartouche boulet pour augmenter le rythme de tir. Le duc du Maine, qui tait grand-matre de lartillerie, et qui tait trs jaloux de ses prrogatives, refusa denvisager une rforme du systme Vallire. Il voyait dans le canon la sudoise un gros inconvnient : ces pices taient destines accompagner linfanterie sur le champ de bataille et leur service distrayait un personnel nombreux des grosses batteries qui continuait bnficier de sa prfrence. On se contenta donc, par gard pour le duc, daugmenter le personnel du corps royal dartillerie pour servir les pices la sudoise. Mais nul nest ternel, et le duc du Maine moins encore puisquil mourut en duel en 1755. Aussitt, lentourage militaire du roi remit en chantier la rforme quil avait tant souhaite. Et cela se traduisit par lordonnance du 20 janvier 1757 : Art. 1. Il sera dlivr dornavant, lentre en campagne, des magasins de lartillerie, une pice de canon la sudoise chacun des bataillons dinfanterie, tant franaise qutrangre, qui seront destins servir en campagne. Art.2. Ladite pice la sudoise sera monte sur son afft et un avant-train ; elle sera garnie dun coffre qui contiendra les munitions ncessaires. 9

Ainsi donc, les canons la sudoise, taient servis par des fantassins et non plus par des artilleurs. Vallire crut en mourir Mais toutes ces annes dinertie navaient pas empch les scientifiques et les techniciens de larme de se pencher leurs risques et prils sur les questions que posait lartillerie. Bernard Forest de Blidor dmontra le premier que la porte ntait pas rellement proportionnelle la charge en poudre : La poudre qui senflamme dans les derniers instants est en bien plus grande quantit que celle qui agit au commencement de lexplosion ; lon voit quil sen faut bien quun boulet ou une balle reoivent toute limpulsion de la poudre, et ce serait mme beaucoup sils en recevaient la moiti. En consquence, il proposait soit de donner une forme sphrique aux chambres3 qui acclrait la dflagration des gaz soit de ralentir la sortie du projectile en lobligeant suivre des rayures. Les conclusions de Blidor soulevrent un tonnerre de rprobations au point quil fut admis faire valoir ses droits la retraite . Mais le marchal de Belle-Isle, dcidment progressiste, nen fit pas moins vrifier les expriences de Blidor sur le polygone de Metz, et les conclusions de cette tude aboutissaient au mme rsultat. On se dcida donc rduire la charge de poudre au tiers du poids du boulet. Logiquement, il aurait fallu continuer sur la piste trace par Blidor et entreprendre de raccourcir la longueur et lpaisseur des canons et donc leur poids, puisquils avaient une influence limite sur leur porte. Mais Vallire veillait et interdit absolument tout changementLe malheureux a d pousser de sombres gmissements quand, au cours de la campagne de 1756 en Allemagne, le marchal de Broglie, aux prises avec un ennemi dot du double de son artillerie et emptr dans les longues et lourdes pices du systme, entreprit de forer ses pices de 8 et de 12, augmentant leur calibre et les transformant en pices de 12 et de 16 beaucoup plus lgres et maniables que leurs quivalents du systme . La mort du vieux gnral en 1759 ne suffit pas dbloquer les choses puisque son fils Joseph Florent Vallire dfendit avec acharnement le systme de son pre mme contre Gribeauval. Mais cette mort eut au moins le mrite de permettre Blidor de rintgrer son corps Enfin vint Gribeauval

GribeauvalN Amiens en 1715, Jean-Baptiste Vaquette de Gribeauval entra dans lartillerie royale en 1732 et reut sa commission dofficier en 1735. En 1752, on le retrouve capitaine dune compagnie de mineurs. Il est envoy en Prusse pour y observer lvolution de lartillerie que prsidait Frdric II. Aprs le retournement des alliances, en 1757, Gribeauval est envoy en Autriche o il se distingua dans la dfense de Schweidnitz lanne suivante. Fait prisonnier par les Prussiens, il est chang et revient en Autriche o il reoit lordre de Marie-Thrse, distinction rarement accorde un tranger.

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Il est amusant de noter que les ingnieurs du constructeur allemand de camions M.A.N. arrivrent la mme conclusion au dbut des annes 1950 en laborant le procd M pour les chambres de combustion de ses moteurs diesel : elles sont sphriques, situes dans la tte de piston, donnent prs de 30 p.c. de performances de plus que les traditionnelles chambres cylindriques et suppriment le cognement diesel . Si Blidor suggrait dadopter des chambres sphriques, il finit par rserver cette innovation aux mortiers, jugeant que le cercle de jonction entre la chambre et lme du canon poserait plus de problmes quil nen rsoudrait.

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Le sjour de Gribeauval en Autriche fut pour lui une source relle dinspiration. En 1753, en effet, le prince Liechtenstein, avait rvolutionn lartillerie autrichienne en imposant le premier vrai systme intgr dartillerie digne de ce nom en Europe. Gribeauval constata que, alors que les artilleurs prussiens ttonnaient, les artilleurs autrichiens avaient introduit un grand nombre de nouveauts qui rendait leur arme sans doute la plus efficace dEurope. On possde de lui un rapport dat de Vienne le 3 mars 1762 rpondant un questionnaire en dix-huit points, rdig par le ministre de la Guerre4, qui ressemble furieusement une liste de courses comme les connaissent les espions modernes. Cest une vritable photographie de lartillerie autrichienne de campagne lpoque de Marie-Thrse. Les remarques faites par Gribeauval prfigurent merveille la philosophie qui va linspirer par la suite : 1 Il ny a, en Autriche, que trois calibres de canon (3, 6 et 12) et deux dobusiers (7 et 10 livres de pierre). 2 Ces pices ne font que 16 calibres de boulet de longueur. 3 Les flasques dafft nont quun calibre dpaisseur mais ils sont renforcs par de trs solides sous-bandes et malgr leur lgret, les affts se montrent trs rsistants.M. de Gribeauval, inspecteur gnral de l'artillerie. Dessin la mine de plomb, sanguine, gouache, aquarelle par Louis Carrogis dit Carmontelle (1760). Chantilly, Muse Cond. (RMN)

4 Leffectif se monte 5 bouches feu par mille hommes, y compris le canon de rgiment qui consiste en 2 pices de 3 livres par bataillons.

5Le canon de rgiment ne quitte pas les bataillons ; les autres pices sont partages en 4 divisions de rserve. 6 Les pices de 3 sont approvisionnes de 200 coups par pice dont 150 boulets et le reste en cartouches balles. 7 Les cartouches boulet sont semblables celles utilises en France, mais sont peintes avec une peinture qui empche la poudre de tamiser et nempte pas les pices. Les boites cartouches sont de fer blanc, avec un culot de fer battu dun doigt dpaisseur et elles contiennent des balles de fer bien barbes, beaucoup plus efficace que les balles en plomb utilises en France.

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Sans doute par le chef des bureaux du ministre de la Guerre, M. Dubois, qui, selon Napolon III, est trs certainement lauteur du mmoire sur lartillerie de 1763 dont nous allons parler.

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8 Les toupilles (ou tuyaux damorce) sont plus gros que les franais et les lumires des pices sont donc plus grandes. Ces toupilles sont de cuivre ou de fer blanc. Dans le fond de leur charge, on place un petit cne en cuivre trs pointu pour percer la gargousse. 9 Les caissons dartillerie sont peu prs semblables aux franais mais ils ne tournent pas sur euxmmes et ont une flche au lieu de brancards ( limonires ). 10 Les pices de 3 psent environ 400 livres et sont atteles deux chevaux ; chaque pice a son caisson attel deux chevaux galement et porte 170 180 cartouches. Le coffret dafft porte 20 30 cartouches ; Les pices de 6 psent entre 6 et 700 livres et sont atteles quatre chevaux ainsi que les caissons qui portent 90 100 coups ; Les pices de 12 psent environ 1400 livres, sont atteles six chevaux, leurs deux caissons quatre et ils transportent chacun 70 cartouches 3 livres de poudre pour le boulet et 3 livres pour la cartouche balle. 11 Les chevaux dartillerie sont aux frais de lImpratrice et entretenus par la direction de lartillerie. 12 Lartillerie de rgiment suit les bataillons ; lautre marche, selon les circonstances, ct des colonnes, dans les colonnes mmes, devant ou derrire. Le parc marche toujours part. 13 Les pices sont servies par 8 hommes. Gribeauval remarque que dans lartillerie de rgiment, parmi ces 8 hommes, 2 seulement sont des artilleurs, les autres tant fournis par les rgiments dinfanterie eux-mmes. 14 Les canonniers et leurs officiers restent attachs leur pice pour toute la campagne et en sont donc responsables. Par l, ils sont tous intresss, officiers et soldats, soigner de prs leurs attirails et munitions, puisque leur honneur en dpend ; aussi tout est soign icy avec la plus grande attention. 15 Devant lennemi, les pices sont tranes bras, sauf sil y a de trs grands mouvements fournir. 16 ( propos des pices dorigine trangre, moins efficaces et plus difficiles servir que celles dorigine autrichienne) 17 Il y a 20 30 obusiers dans larme, attels quatre chevaux, efficaces dans lattaque des postes mais de peu dusage en plaine. 18 Aprs avoir parl des coins de mire, Gribeauval fait remarquer que les affts de 12 ont un double encastrement de tourillons pour faire porter dans les marches partie du poids de la pice sur lavant-train . Louis XV stait en effet vu soumettre par le ministre de la Guerre, lpoque le duc de Choiseul, un mmoire qui montrait ltat catastrophique ( effrayant selon le rapport lui-mme) dans lequel se trouvait son artillerie. Le mmoire en 22 points, dont la plupart des auteurs estiment quil a t inspir par les rapports de Gribeauval, rclamait, propos de lartillerie de campagne, des rformes urgentes et des rponses prcises aux questions suivantes : 1 Fixation invariable des canons de campagne et de sige ;

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2 Composition dun quipage de campagne pour une arme de 100 000 hommes. Proportion des quipages la force des armes ; 3 Mode demploi du canon dinfanterie : doit-il rester avec linfanterie ou venir combattre avec le parc dartillerie ? Doit-il tre servi par des canonniers ou par des soldats dinfanterie ? 4 Fixation du meilleur modle pour les affts ainsi que pour les accessoires dartillerie. Uniformit de construction dans les arsenaux ; 5 Fixation des rgles de construction pour les obusiers et leurs affts ; 6 Fixation des rgles de construction pour les mortiers et leurs affts ; 7 Modles de caissons adopter ; 8 Fixation du vent des boulets, de la forme des gargousses, des cartouches, etc. Lauteur anonyme du rapport concluait : Tout le militaire convient qu lavenir les batailles, les actions, les attaques et dfense de poste la guerre ne seront plus dcides que par la supriorit de lartillerie. A quoi Gribeauval, interrog par le ministre sur ce rapport, rpondait sagement : Il faut bien se garder de laisser oublier aux troupes leurs manuvres et volutions. La meilleure artillerie sera peu de chose, si larme est mal dispose et ne sait pas manuvrer. Choiseul, avec lappui actif de Louis XV, sattaqua avec vigueur la rforme en profondeur de larme. Il faut faire remarquer que Choiseul est, proprement parler, linventeur de nombreuses rformes dont on crdite gnralement la Rvolution : fin du privilge noble pour les grades dofficiers subalternes, fin du recrutement des compagnies par leur capitaine, instruction des recrues prise en charge par le Roi et, donc, cration de lEcole militaire, fin du logement de la troupe chez lhabitant et, donc, encasernement progressif de larme, cration dun systme de milice mettant fin au mercenariat, etc. Comme toutes les rformes entreprises sous Louis XV, celle-ci connut des sorts divers et la mort du roi en 1774 amena une raction conservatrice qui mit mal la plupart des progrs raliss sous son rgne. En attendant, Choiseul proposa Gribeauval au poste dinspecteur gnral de lartillerie, proposition agre par le roi et assortie dun brevet de marchal-decamp. La charge de grand-matre de lartillerie ayant t supprime ds 1755, Gribeauval se trouva mme doprer les rformes radicales que le roi attendait de lui. La premire chose que fit Gribeauval, cest de mettre un terme la confusion des genres en appliquant une stricte sparation entre lartillerie de campagne, celle de sige, celle de ctes et celle de place. A propos de lartillerie de campagne, son premier soin fut, en 1764, de runir une commission de techniciens chargs de laider dans son entreprise et den exprimenter les essais.Le duc de Choiseul. Huile sur toile attribue aux frres Van Loo. Copie. Verdun, Muse de la Princerie (RMN)

La commission tomba vite daccord pour dire que la premire chose faire, ctait daugmenter la mobilit

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de lartillerie de campagne et, cet effet, de lallger radicalement. On commena par abandonner les pices de 16 aux artilleries de sige et de place et limiter au calibre de 12 lartillerie de campagne. On convint ensuite dallger les pices de 12, de 8 et de 4, tant bien entendu quelles devaient conserver la porte idale de 500 toises, soit peu prs 1000 mtres. Gribeauval, sappuyant sur les travaux de Blidor, suggra donc dunifier la longueur des canons 18 calibres (au lieu des 20, 22 ou mme 24 nagure prconiss par Vallire) et leur poids environ 150 fois celui de leur boulet. Les expriences menes par la commission Strasbourg conclurent que ces modifications rpondaient parfaitement lobjectif poursuivi. On ne fondit ds lors plus de pices quen fonction de ces critres et lon obtint ainsi des canons de 12 pesant 1800 livres au lieu de 3200, des canons de 8 pesant 1200 livres au lieu de 2100 et des canons de 4 pesant 600 livres au lieu de 1150. On voit immdiatement le gain ralis. Gribeauval ne stait pas montr plus radical quil ne convenait : les artilleries prussienne et autrichienne avaient dj diminu la longueur de leurs pices 16 calibres ; mais Gribeauval prfra garder une marge de manuvre se traduisant par une plus grande solidit de ses pices. Les faits devaient lui donner raison : certaines pices fondues sous Gribeauval taient encore en service dans la Grande Arme Ces modifications furent accompagnes de changements radicaux dans la fabrication. Jusque-l, en effet, on avait presque limit les interventions des artilleurs la rception des pices et on laissait la libert aux fondeurs de procder un peu comme ils voulaient. De telle sorte que l-mme o Vallire avait fix des normes, il existait des variations assez importantes entre les pices, tenant souvent au manque de rigueur des units de mesure. On a vu des pices sensment de mme calibre dont la bouche et lme variant de deux lignes (prs de 5 mm). Parfois, les tourillons taient de longueur ingale ou ntaient pas exactement dans le mme axe, ce qui avait des consquences dsastreuses dont la moindre ntait pas que, lors du tir, la pice sortait de son axe pour se jeter sur un ct de lafft, ne manquant pas de le disloquer en peu de temps. Pour remdier cela, il ny avait quun moyen : tailler les flasques dafft la mesure des variations prsentes par les tourillons ; de telle sorte que beaucoup de pices devaient avoir leur afft particulier. Ce qui allait lencontre mme des objectifs de Gribeauval, savoir linterchangeabilit entre les canons et les affts. Gribeauval, avec la collaboration enthousiaste de Jean II Maritz, inspecteur gnral aux fontes, mit fin cela en dsignant des officiers chargs de surveiller toutes les tapes de la fonte et en leur distribuant des talons en cuivre de trs grande prcision, la clbre toile dartillerie . On mit dfinitivement fin la fonte noyau : tous les canons seraient couls pleins, puis fors sur la machine de Maritz. La surface extrieure serait presque entirement faonne sur le tour avec la plus grande prcision sous la surveillance des inspecteurs arms de leur talon en cuivre. Cette manire de faire avait lavantage de rvler le moindre dfaut dans la coule quil devenait impossible de masquer mais comme consquence de supprimer les belles ornementations que Vallire avait dessines On attacha une grande attention la fonte des tourillons et on leur ajouta des embases destins laisser le moins de jeu possible entre la pice et la flasque de lafft. En outre, outre la lumire fut perce dans un grain de cuivre rosette viss froid dans la pice, ce qui avait lavantage de rduire les dformations subies lors de la dflagration et de maintenir un diamtre constant de louverture o devait se placer ltoupille damorce que, par la mme occasion, on adopta dfinitivement.

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Par ailleurs, la composition de la poudre de changea pas, mais Gribeauval renona lusage qui consistait transporter la poudre et les projectiles sur le champ de bataille dans des voitures spares et adopta dfinitivement la cartouche boulet. La commission procda de nombreux essais pour dterminer la matire dont seraient enveloppes les gargousses et sarrta la serge croise, dans la mesure o ce textile produisait le moins de flammches toujours dangereuses au moment du rechargement. La charge de poudre fut fixe 4 livres pour le canon de 12, 2 livres pour le canon de 8 et 1 livres pour celui de 4. Ainsi charge un canon de 12, une inclinaison de 6 au-dessus de lhorizontale, portait jusqu 911 toises (1775,5 m), celle de 8 633 toises (1233,7 m) et celle de 4 773 toises (1509,5 m), toutes ces portes dans les conditions optimales du polygone. Notons, car ce dtail est souvent ignor que, dans une cartouche, le boulet est fix par des bandelettes en fer-blanc un sabot de bois qui est attach au sachet de serge contenant la poudre. Quant au boulet, on augmenta son diamtre de manire rduire le vent une ligne au lieu de deux prcdemment. Le tir tait ainsi plus prcis, lusure des pices tait rduite du fait que le boulet avait moins de jeu pour se heurter lme du canon et la porte plus longue puisque les gaz produits par la poudre ne pouvaient schapper. Pour les projectiles mitraille, Gribeauval sinspira largement du modle autrichien et adopta des boites cylindriques en tle, munies dun culot en fer et remplies de balles en fer battu. Les pices de 12 et celles de 8 pouvaient tirer deux modles de boites contenant 41 balles de 1 pouce 5 ligne (38,35 mm) et ou 112 balles de 1 pouce (27,07 mm), les pices de 4 pouvaient tirer deux modles aussi : lun de 41 balles, lautre de 61 balles. Bien entendu, des spcifications aussi prcises, notamment en ce qui concerne le vent, exigeaient une vrification rigoureuse lors de la rception du matriel. Jusque l, on stait content de vrifier le calibre des boulets au moyen dun gabarit appel lunette. Mais, bien sr, si la lunette arrtait les boulets qui ne serait pas entr dans lme du canon, elle laissait passer les boulets trop petits, crant ainsi un vent trop important, ou ceux qui prsentaient une asprit ou taient ovaliss. On eut alors lastucieuse ide de faire rouler les boulets dans un tuyau qui aurait une ligne de moins que la pice : tous les boulets qui sy arrtaient seraient rebuts. Puis on passait les boulets par une lunette ayant neuf points de moins douverture : tous ceux qui passaient taient rejets. Bien entendu, les acquits de Gribeauval nauraient pas suffi sil ne stait srieusement pench sur la question des affts que Vallire lui-mme avait quelque peu nglig. Nous avons dit que Gribeauval avait t frapp par la lgret et la solidit des affts autrichiens. Le but recherch tait ici encore la mobilit. On augmenta donc le diamtre des roues davant-train ; on fit monter les affts et les avant-trains sur des essieux de fer tournant dans des botes en fonte lubrifies. Cela avait pour consquence de rendre la voiture dartillerie plus facile manuvrer mais prsentait linconvnient daugmenter leffet du recul, dautant plus considrable que la pice tait lgre. Gribeauval, pour tenter de remdier cet inconvnient, retraa le profil des flasques, donnant la crosse un angle dincidence sur le sol assez prononc. Par ailleurs, le fait de renforcer lafft en y appliquant de nombreuses ferrures augmentait son poids, rduisant ainsi un peu le recul. Il faut remarquer que pour les pices de 12 et de 8, Gribeauval avait prvu sur les affts deux encastrements pour les tourillons, lun pour la position de tir, lautre quatre calibres en arrire du premier pour le transport, reportant ainsi le poids de la pice vers larrire et le rpartissant entre les deux trains. Et enfin, il place un coffret munitions entre les deux flasques, permettant la pice

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douvrir le feu ds sa mise en place sans attendre les caissons. Lafft de lobusier de campagne (de 6 pouces) est semblable celui des canons, si ce nest lessieu qui est en bois. Il faut aussi noter que, dans le but de faciliter le transport, Gribeauval unifia la voie de toutes les voitures dartillerie et la fixa 4 pieds 8 pouces 6 lignes (1435 mm) du milieu dune jante au milieu de la jante correspondante de la roue en vis--vis. On ne sait pas trs exactement sur quelle base Gribeauval tablit cette mesure mais il faut constater quelle correspond trs exactement lcartement des rails utiliss sur 60 p.c. des lignes de chemin de fer construites dans le monde et que cela ne saurait tre une concidence Autre nouveaut importante : Gribeauval adopta lattelage timon qui permet des allures soutenues au lieu de celui limonire qui ne permet que la marche au pas. Il justifiait cette mesure en crivant : Il est de ncessit absolue de trotter avec le canon et les voitures de munitions ; car il en est dune file dartillerie comme des colonnes dinfanterie et de cavalerie : quoique la tte marche doucement, la queue trotte pendant la moiti ou au moins le tiers de la marche. Si, dans un jour de bataille, lennemi marque, par son dveloppement, quil veut faire effort contre la partie droite, lartillerie de la rserve du centre doit sy porter le plus lgrement possible, pour arriver temps ; si la gauche est libre, elle doit remplacer avec la mme vitesse ce qui est sorti du centre. Sagit-il de poursuivre lennemi ? Il faut se porter fort vite lattaque des postes qui soutiennent la retraite ; si, au contraire, il faut soutenir une retraite, on ne saurait dblayer trop tt le chemin des troupes, ni arriver trop vite dans les postes choisis pour favoriser la retraite. Dans toutes ces occasions, il faut savoir trotter et mme galoper ; ce nest que pour ces instants prcieux quest faite toute la dpense de lartillerie ; il faut donc, avant tout, se mettre en tat den profiter ; et, comme lattelage timon peut seul procurer cet avantage, il parat quon doit sy fixer en tchant de diminuer, autant quil est possible, les inconvnients quil entrane.5 Les canons de 12 ncessitaient six chevaux. Ceux de 8 et de 4 en ncessitaient 4. Mais sur le champ de bataille, pour les dplacements courte distance, il tait long et difficile datteler les pices et le mieux semblait de pouvoir les mouvoir sans laide des chevaux mais seulement la force des canonniers et des fantassins. Gribeauval inventa un systme de bretelles en bricoles et de leviers qui facilitait cette manuvre. Huit hommes suffisaient pour dplacer les pices de 8 et de 4 tandis que les pices de 12 ncessitaient de 11 15 hommes. Une des innovations les plus importantes de Gribeauval fut lutilisation de la prolonge. Il expliquait : Pour faire de longs trajets en retraite, ou pour couvrir une colonne qui aurait craindre lennemi sur son flanc, ou enfin pour franchir les fosss, rideaux, etc., avec les pices des trois calibres, on spare lavant-train de lafft, dont la crosse pose terre ; on attache un bout dune demi prolonge aux armons de lavant train, laquelle passe sur lavant train, embrasse dun tour la cheville ouvrire, repasse sur le couvercle du coffret de munitions, et est attache de lautre bout lanneau dembrelage ; on laisse environ 4 toises de longueur au cordage entre lavant-train et lafft auquel les chevaux sont attels ; lorsquils marchent, la pice, tire par le cordage, suit aisment, au moyen de la coupe de la partie infrieure de la crosse qui est faite en traneau ; les canonniers et servants, portant leurs armements, accompagnent la pice dans leur postes respectifs, droite et gauche. Lorsque lon veut5

Gribeauval, cit par Bonaparte et Fav, Etudes sur le pass et lavenir, p. 139.

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tirer, le matre canonnier crie : Halte ! et dirige la pice en faisant le commandement : Chargez ! ; le coup parti, sil ne veut pas en tirer un second, il fait le commandement : Marche ! Sil faut descendre ou monter un rideau, passer un foss, on allonge, sil le faut le cordage, les chevaux passent avec lavant-train ; les canonniers et servants joignent leurs efforts ceux des chevaux, et la pice passe.6 Ainsi donc, les amliorations apportes par Gribeauval et la Commission de 1764 avaient-elles pour objectif principal la mobilit de lartillerie de campagne et, en corollaire, luniformisation des matriels permettant des rparations sur le terrain. Sans doute, Gribeauval ne parvint-il pas uniformiser le diamtre des roues il en restait 23 ! de tous les vhicules dartillerie mais il tait parvenu unifier leur cartement, ce qui tait un progrs considrable. En mme temps que Gribeauval se proccupait de la qualit du matriel, il proposait de le rpartir en deux groupes distincts : dune part, les canons dinfanterie ( raison de deux pices par bataillon), servis par les sapeurs du Corps-Royal et mis la disposition des chefs de brigade dinfanterie ; dautre part, les rserves gnrales, au nombre de deux ou de trois, sous les ordres direct du gnral de larme. Gribeauval estimait la proportion dartillerie ncessaire dans une arme 4 pices pour 1000 hommes dont, pour la rserve un quart en canons de 12, une moiti en canons de 8, et un quart en canons de 4 (outre les pices dinfanterie). De telle sorte que si lon compte 1000 hommes par bataillon et si larme compte 80 bataillons, outre les 160 pices dinfanterie, il faut compter 40 canons de 12, 80 canons de 8 et 40 canons de 4, quoi il faut ajouter 20 obusiers de 6 pouces affects la rserve.

La ractionLe systme Gribeauval fut adopt en 1765 par Choiseul. Mais il suscita une polmique dont on na pas ide. Jean-Florent de Vallire tait mort en 1759 et cest son fils, Joseph-Florent qui lui succda au poste de directeur gnral de lartillerie. Vallire fils se montra rsolument oppos Gribeauval, qui passait pour une crature du duc de Choiseul. Quand ce dernier fut renvoy en 1770, les jours du systme Gribeauval semblaient compts. Le nouveau secrtaire la Guerre, le marquis de Monteynard, semble en effet avoir t sensible aux arguments dvelopps contre le systme par Vallire fils. Quels taient-ils ? Vallire reprochait aux nouvelles pices davoir moins de porte, dtre moins prcises, davoir moins de vitesse initiale, de produire moins de ricochets, davoir un recul exagr et, enfin, dtre moins solides. La seule objection recevable tient au recul, les autres dmontrant une mconnaissance totale de la balistique. Lexprience avait dmontr quune ancienne pice de 12 avait un recul de 4 pieds et demi, tandis quune nouvelle, dans les mmes conditions, produisait un recul de 15 pieds et demi. On en concluait quil faudrait un temps considrable pour ramener la pice son emplacement de tir. Gribeauval rpondit sans nier le fait mais en faisant observer que la pice tant considrablement moins lourde demandait moins deffort dplacer et que lexprience avait dmontr que, malgr cet inconvnient, le rythme de tir des nouvelles pices de 12 tait beaucoup plus lev que celui des anciennes. Vallire fils reprochait paradoxalement aux cartouches boulet de faciliter le tir et donc de favoriser le gaspillage de munition et aux botes balles de coter trop cher. Il montrait que la diminution du vent empchait le tir boulets rouges. A quoi, les partisans de Gribeauval rpondaient que cest6

Gribeauval, cit par Bonaparte et Fav, p. 137.

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prcisment pourquoi on avait adopt des obusiers qui ne ncessitaient pas tous les apprts et toutes les prcautions que demandait un tir boulets rouges. On reprochait aux nouveaux affts dtre trop lourds, du fait des nombreuses ferrures quils comportaient. Gribeauval rpondit que cet inconvnient tait rel mais que lexcs de poids tait surtout d aux coffrets de munitions, dont personne ne pouvait nier lutilit, et de ladoption de lessieu en fer. Quant aux ferrures, tant normalises, leur rechange tait beaucoup plus facile et il ntait pas ncessaire, comme jadis, de les faire forger sur le terrain. Rien ne trouvait grce aux yeux de Vallire fils : ni les caissons dont les types taient jugs trop nombreux, ni la bricole, ni la prolonge, ni la hausse, ni la vis de pointage Et le ministre signa en aot 1772 la suppression du systme Gribeauval et le retour lancien systme

Canon de 12 livres mont sur un afft autrichien. Ce canon a t fondu Par Johann II Maritz La Haye en 1792. La diffrence entre l'afft du systme Gribeauval et lafft autrichien dont il sinspire largement tient essentiellement sa forme un peu plus ramasse et sa crosse plus recourbe. On remarque aussi ici labsence danneaux de pointage et dencastrement de transport. (Muse royal de lArme et dHistoire militaire, 2011)

La mort de Louis XV et lavnement de Louis XVI en 1774 amena la chute du ministre dAiguillon et les choiseulistes revinrent au pouvoir, quoique Choiseul lui-mme restt loign du pouvoir. Le jeune roi, passionn de mcanique, stait intress au dbat entre gribeauvalistes et valliristes . Peu de temps aprs son accession au trne, il nomma une commission de marchaux chargs dvaluer le systme. Lavis des marchaux de Broglie, Contades, Soubise et Richelieu fut unanime : il fallait adopter le systme Gribeauval et vite. Une ordonnance doctobre 1774 vint sanctionner la 18

dcision de la commission. Vallire fils mourut en 1776 et Louis XVI sempressa de nommer Gribeauval inspecteur gnral de lartillerie avec mission de mettre ses ides en uvre. La France se mettait mme de possder lartillerie qui allait lui permettre de soutenir les guerres de la Rpublique et de lEmpire. La querelle entre les bleus , valliristes, et rouges , gribeauvalistes, eut un effet imprvu : le neveu de Jean II Maritz, croyant les perspectives bouches pour lui en France, installa un atelier La Haye o il entreprit la fabrication de pices dartillerie selon les principes de Gribeauval. Le Muse royal de lArme et dHistoire militaire Bruxelles expose trois pices signes Johannes Maritz La Haye : un canon de 12 mont sur un afft de type autrichien, un obusier de 24, remont sur un afft anversois en 1854 et un obusier de10 livres, sur un afft autrichien lui aussi. Ce Maritz revint en France en 1802 et exera le poste de commissaire des fontes Douai, poste auquel lui succda son fils sous lEmpire, en mme temps quil dirigeait latelier de Strasbourg.

Canon de 12 sur afft autrichien

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Le matriel du systme GribeauvalAyant ainsi trs sommairement rsum les amliorations apportes lartillerie franaise dans le courant du XVIIIe sicle et aprs avoir constat que Gribeauval, pour stre trs largement inspir du systme Liechtenstein, ne la pas simplement copi mais y a apport de nombreuses corrections, redessinant toutes les pices, leurs affts et leurs accessoires, il est temps de passer en revue lartillerie de campagne telle quelle se prsentait sous lEmpire.

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Lafft

Les pices constituant un afft de 12 du systme Gribeauval

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Lafft est une voiture sur laquelle on place le canon pour le tirer ou pour le transporter. Il est compos de deux longues pices en bois appeles flasques. Les flasques sont runies par des entretoises : lentretoise de vole est la tte de lafft ; lentretoise de support, parce que cest sur cette pice que repose la culasse durant le transport, ou de mire, appele ainsi parce que cest contre cette pice que sappuie le canonnier pour pointer ; lentretoise de crosse, enfin, assemble les crosses de lafft. Cette dernire entretoise est perce dun trou la lunette dans lequel passe la cheville ouvrire de lavant-train. On constate que lcartement des flasques au niveau des crosses est plus important qu leur tte. En effet, le canon a plus de diamtre la culasse quaux tourillons et les flasques doivent tre aussi proches que possible du canon sans toutefois le gner. Il est essentiel que le canon soit parfaitement solidaire de lafft et quil ne sen dsolidarise jamais, ni durant le tir, ni durant le transport. A cet effet, on creuse sur le dessus des flasques un enfoncement circulaire dont la profondeur est gale deux tiers du diamtre du tourillon. Lorsque les tourillons sont placs dans ces creux, dans lesquels des susbandes en fer viennent les enfermer, le canon doit pouvoir se mouvoir dans le sens vertical tant au-dessus quau-dessous du plan horizontal : cest ce quon appelle pointer haut ou pointer bas . Les canons de campagne peuvent tre points sous langle de 3 degrs sous ce plan et 15 17 degrs au-dessus. Les logements des tourillons doivent donc tre placs le plus prs possible de la tte des flasques mais il faut quil reste assez de bois par-devant pour que lafft garde sa solidit et que lessieu dont ils dterminent la position soit solidement soutenu contre le recul de lafft. Lessieu se trouve prs de la ligne verticale qui passe derrire le logement du tourillon, afin dassurer un quilibre entre lavant et larrire de la pice. Lessieu porte donc la plus grande partie du poids de la pice et il transmet cette force de manire gale aux deux roues.

Une pice de 12 livres sur son avant-train

Ainsi quil est facile de le comprendre, lorsque lafft est fix lavant-train, lensemble constitue comme une voiture quatre roues. La crosse se trouve plus haut quen position de tir et le poids de la pice, si ses tourillons restent dans la mme position, se porte vers la bouche et dsquilibre lensemble qui, ainsi, a tendance piquer du nez. Gribeauval qui fit cette constatation sur les affts autrichiens, pour remdier cet inconvnient, fit donc creuser dans les flasques, peu prs milongueur, une deuxime paire de logements identiques aux premiers, dans lesquels on engage les tourillons du canon lorsquil sagit de faire route. Toutefois, la procdure que constitue le transfert de la pice dun logement lautre demande un assez grand effort. Ds lors, on laisse le canon dans son logement de tir lorsquon marche lennemi ou que lon est porte de faire feu. Les canons de 6 et 22

de 4 livres tant trop lgers pour provoquer une fatigue excessive des roues, leur afft ne comporte pas ces logements de transport qui nexistent donc que sur les pices de 12 et de 8. Des sous-bandes en fer sont places dans les logements des tourillons qui, sans cela, ne rsisteraient pas leffort du recul. Les sous-bandes des logements de tir sont naturellement plus fortes que celles des logements de transport. La semelle est une pice en bois servant supporter la pice vers la culasse. Cette semelle est mobile et fixe par une charnire lentretoise de vole par un bout et, de lautre, elle appuie sur la tte de la vis de pointage. A noter que les semelles des obusiers sont fixes. Lessieu est ici en fer. On conoit que cette pice est essentielle. Elle ne peut ni plier ni se rompre. Briser un essieu en bataille quivaut perdre la pice. Aussi sa fabrication requiert-elle un soin tout particulier et la pice subit-elle des preuves svres avant dtre livre. Les pices en bois qui constituent lafft sont donc : deux flasques, trois entretoises, deux roues et une semelle mobile place sous la culasse. Les pices en fer sont : un essieu, un anneau carr portelevier, un crochet tte plate et perce, un crochet pointe droite, un crochet fourche, deux clous rivs de crosse, un crochet porte-seau, une vis de pointage et son crou en cuivre, deux doubles crochets de retraite, deux crochets de retraite, deux bouts dafft, deux recouvrement de talus des flasques, deux sous-bande fortes, deux chevilles tte ronde, quatre chevilles tte plate, deux sous-bandes minces pour les logements de transport (pour les pices de 8 et de 12) deux bandes de renfort, deux bandes dessieu, deux ttes dafft, quatre liens de flasque, une lunette, une contrelunette, un anneau dembrelage, deux grands anneaux de pointage, deux petits anneaux de pointage, un crochet porte-couvillon, deux anneaux carrs de manuvre, deux plaques de frottement de passoire, deux susbandes, une chane denrayage, quatre plaques de garnitures pour lencastrement des essieux, un bandeau de semelle, une calotte de semelle, une plaque de semelle, une charnire de semelle

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Le canonCommenons par dire que canons et obusiers de larme de terre sont en bronze compos de 11 parties dtain pour 100 parties de cuivre rosette. Cette proportion donne au cuivre de la solidit tout en le rendant fort peu oxydable. On a essay de faire des canons en fer ou de modifier la composition du bronze en y ajoutant du zinc mais les rsultats se sont toujours montrs dcevants avant la dcouverte du procd Bessemer. Le bronze des canons ncessite peu dentretien : un coup de chiffon suffit leur rendre leur brillant. Nanmoins, en campagne, les artilleurs avaient coutume de les laisser soxyder, ce qui contribuait les rendre moins reprables : une sorte de camouflage naturel en quelque sorte Le canon proprement dit est donc un tube en bronze ou en fonte de fer, de la forme dun cne tronqu ayant des renforts, dont lme est cylindrique, quon charge de poudre et dun projectile, et auquel on met le feu par la lumire. Le canon a une forme tronconique parce que leffort exerc par la poudre est plus important vers la culasse.

Le canon Gribeauval de 12 livres et son afft

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Dans le systme Gribeauval, la longueur totale dun canon, y compris le cul-de-lampe et le bouton est gal environ 18 fois son calibre : cest ainsi quun canon de 12 est long de trs exactement de 2,289 mtres (7 pieds 7 lignes 1 points) ; un canon de 6 est long de 1,660 mtres (5 pieds 1 pouce 4 lignes 1 point). Le diamtre la bouche dun canon de 12 est de 121 mm, celui de la pice de 6 est de 96 mm. Les diverses parties dun canon sont : lme, la bouche, la tranche de la bouche, le collet et le bourrelet en tulipe (portant une saillie en grain dorge qui ne doit pas le surmonter), la vole, le second renfort, le premier renfort, la plate-bande de culasse, le cul-de-lampe (qui comprend le bouton et le collet), la culasse, les tourillons, les embases des tourillons coups paralllement au second renfort, les anses, le grain de lumire, la lumire. Le tableau suivant montre les principales donnes concernant les canons de campagne existant en 1815. Nous y avons introduit la pice de campagne britannique de 9 afin dtablir un lment de comparaison. Le 9-pounder britannique est entirement inspir du systme Gribeauval. Introduit durant la campagne de la Pninsule, sa relative lgret prsentait lavantage de pouvoir en doter lartillerie cheval et, surtout, de pouvoir lembarquer beaucoup plus facilement que la pice de 12.

Calibre livres)

(en Longueur (en mtres)

Poids (en kg)

Diamtre de Charge la bouche poudre (en mm) kg) 121 101 106 96 84 1, 12 0, 90 0, 73 1, 95

de Porte Porte (en maximale (en efficace m) optimale (en m) 1 800 1 700 1 500 1 300 895 850 895 800 795

12 9 8 6 4

2, 289 1, 828 1, 996 1, 660 1, 583

986 665,4 584 387 289

Nous donnons ces chiffres sous toute rserve. Ils proviennent pour la plupart, sauf pour le canon britannique de 9, du Dictionnaire de lArtillerie du colonel H. Cotty qui tait directeur gnral des Manufactures royales darmes de guerre, chevalier de Saint-Louis et officier de la Lgion dhonneur7. Le colonel Cotty est affirmatif : La plus grande distance laquelle on doit tirer boulet avec le canon de bataille est de 500 toises (994 mtres) pour les pices de 12 et de 8. Si lon tire 50 toises de moins, leffet est plus certain et le tir plus vif. Le Manuel dArtillerie de Gassendi ne dit pas autre chose : il fixe la porte efficace dun canon de 12 900 mtres. Or les auteurs ont souvent donn des portes allant parfois jusquau double de celles donnes par les techniciens. Sans sen douter, ils sont pourtant moins loin de la vrit quon ne pourrait penser premire vue. Leffet le plus meurtrier dun boulet est en effet le ricochet : sur un terrain plat et sec, un boulet peut rebondir jusqu cinq fois, la longueur de chaque rebond tant diminue de moiti par rapport au prcdent, provoquant chaque fois des dgts dans les rangs ennemis. Lors de tests effectus en Angleterre en temps de paix, on a pu tablir un tableau montrant lefficacit des tirs pour des canons de 6 et de 12 des distances diffrentes :7

Col. H. Cotty Dictionnaire de lArtillerie A Paris, chez la veuve Agasse, rue des Poitevins, 6, 1822.

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Porte Yards 950 1350 1800 Mtres 868,68 1234,44 1645,92

Canon de 6 livres Direct 9 p.c. 0 p.c. 0 p.c. Ricochets 25 p.c. 25 p.c. ?

Canon de 12 livres Direct 13 p.c. 9 p.c. 0 p.c. Ricochets 22,5 p.c. 22,5 p.c. 20 p.c.

On peut donc tirer la conclusion que jusqu 1 800 mtres, un boulet de canon reprsente toujours un danger. Cest ce que les auteurs, sans trs bien le comprendre, expriment quand ils donnent des chiffres apparemment farfelus. Mais lartilleur qui saviserait de tirer sur une cible dispose cette distance sexposerait au ridicule Ces calculs et ces tests, rptons-le, ont eu lieu sur un terrain plat et sec. Or, Waterloo, il nen tait rien : le terrain tait boueux et vallonn. Nous entrons dans le dtail de lefficacit du tir dartillerie sous la rubrique Grande Batterie et pour plus de dtails, on se reportera aux divers articles qui traitent des artilleries des diffrentes nations en prsence. Voici encore quelques chiffres propos du canon de 12 livres : Elvation au-dessus du terrain de laxe de la pice suppose lhorizontale : 1,080 m Elvation maximum que la pice peut prendre sur son afft : 13 Abaissement maximum au-dessous de lhorizon : 3 Longueur de lafft en batterie avec sa pice : 5 m Front idem : 2 m Poids de lavant-train seul : 433 kg Poids de lafft charg de sa pice tout compris : 2133 kg Diamtre des roues 1,49 m Poids idem : 102 kg Voie des affts et voitures correspondantes : 1,523 m Longueur des essieux : 1,902 m Il existait plusieurs mthodes pour mettre une pice de canon hors service. La plus courante consistait lenclouer. Il sagissait de placer un long clou dans la lumire de la pice et de lenfoncer dun bon coup de maillet. Le clou se courbait ou scrasait alors dans la lumire et devenait impossible retirer. Les Franais disposaient de clous spciaux en acier dentels ou barbels. Pour dsenclouer un canon, on pouvait essayer darracher le clou. On pouvait aussi utiliser une technique tout fait spectaculaire. Il sagissait de remplir lme du canon dun mlange de poudre ordinaire et de poudre fusante et dy enfoncer ensuite une pice de bois circulaire ou deux boulets. On mettait feu par la bouche et, si tout allait bien, le clou jaillissait de la lumire comme un bouchon de champagne Si tout allait bien ! Inutile en effet de dire quune telle opration tait vraiment trs dangereuse et ne pouvait, de toute faon, pas tre utilise sur le terrain. Prcisons demble quon neut pas utiliser ces techniques Waterloo : la seule pice encloue durant toute la journe le fut vers 14.00 hrs quand un sergent de la batterie Rogers se vit sur le point dtre dbord et encloua son canon de 9 livres. Les instructions taient en effet de dtruire les canons

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plutt que de les laisser tomber aux mains de lennemi. Ramene un peu plus tard vers larrire, la pice fut remise en tat et ramene dans laction.

La hausse et la vis de pointageVallire avait supprim le grain et le cran de mire qui, sous Louis XIV, aidait pointer les pices. Non seulement Gribeauval les rtablit mais il fit adapter une hausse la culasse de ses canons. En mme temps, il adoptait la vis de pointage que Vallire avait carte pour en rester au vieux systme de coins. Quoique la hausse ne prtende aucune prcision, ctait une aide prcieuse pour le pointeur qui dun coup lautre, pouvait augmenter ou diminuer la porte du canon en se rfrant aux graduations quelle portait : cest un moyen denseigner au canonnier rectifier son pointage quand ses coups portaient trop loin ou trop court, et dassurer le tir aprs un coup tir convenablement La hausse de pointage est une targette gradue sur une hauteur de 4 centimtres, qui se place la culasse des canons de Hausse de pointage campagne. Elle glisse dans une coulisse et sarrte o lon veut, au moyen dune vis de pression. Le cran de mire est au milieu de la tte de la hausse. La vis de pointage sert lever ou abaisser la culasse dune pice dartillerie pour pointer cette pice. Elle est en fer forg et filets carrs ; elle tourne dans un crou en cuivre plac sur lafft sous la culasse.

Lavant-train

Logement de la hausse de pointage sur un canon de 6 (MRAHM)

Lavant train est une espce de chariot mont sur deux roues qui se joint lafft dun canon ou dun obusier au moyen dune cheville ouvrire que lon fait entrer dans la lunette perce dans lentretoise de crosse de lafft. Il sert faciliter le transport du canon de campagne en lui adjoignant, en quelque sorte, une seconde paire de roue. Les avant-trains des pices de campagne comportent toujours un timon. Cette faon datteler a le double avantage de raccourcir la longueur des colonnes et de rpartir galement leffort de tirage entre les chevaux. Les armons sont deux pices en bois encastres dans le corps de lessieu et dans la sellette quelles traversent et qui vont en avant, en se rapprochant jusqu ce quelles ne laissent entre elles que lespace ncessaire pour y loger la tte de timon ou le ttard de la limonire.

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L'avant-train d'aprs Gribeauval

La sellette est une pice en bois place immdiatement au-dessus de lessieu ou du corps dessieu en bois et qui lui est unie par diverses ferrures. Les pices en bois qui composent un avant-train de campagne sont : deux armons, une sellette, un corps dessieu, un timon, une vole de derrire, une vole de bout de timon, une sassoire, quatre palonniers et deux roues. Les parties en fer : une bote dessieu, deux boulons de sellette, deux heurtequins patte, deux triers dessieu, une coiffe de sellette, une cheville ouvrire, deux tirants de vole, un brabant fourche, une happe virole, une happe crochet, une chane dattelage, deux boulons dassemblage pour les armons, un trier darmons, un grand anneau de vole, deux boulons de vole, une chane dembrelage, une bande de renfort de sassoire, deux boulons de sassoires, deux putons pour la prolonge, deux querres tige.

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Les rouesLes roues des voitures dartillerie, en ce compris celles des canons et des obusiers, sont toutes dun modle unique et ne diffrent que par leurs dimensions. Elles sont composes Dun moyeu en trois parties, savoir le gros et le petit bout, entours chacun de dun cercle de fer appel frette, et le bouge, sur les bords duquel sont appliqus deux autres cercles de fer appels cordons. De chaque ct du bouge, on trouve une espce de collet concave appel coltage ; Des jantes sur lesquelles sont places des bandes de roues, retenues par des clous. Les jantes sont traverses par des boulons crous ; Des rayons dits pattes ; Dune bote en fer pour les essieux en bois, en cuivre pour les essieux en fer. Si lon regarde le schma que nous donnons, on constate que les rayons ne sont pas exactement dans le plan, mais quil y a un dport de la jante vers lextrieur. Ce dport porte le nom dcuanteur. Lcuanteur sert diminuer les risques de versage du vhicule, aide rejeter les claboussures vers lextrieur, donne plus de solidit la roue. Toutefois, comme il est logique, trop Roue de voiture d'artillerie du systme Gribeauval dcuanteur affaiblirait la roue. Les roues de voitures dartillerie ont 5, 6 ou 7 bandes selon leur destination. Alors que la technologie de lpoque permettait parfaitement de raliser des roues ferres cercle, les artilleurs ont continu de ferrer bandes, alors que les roues ferres cercle sont plus solides puisque les jantes ne sont pas affaiblies par les clous fixant les bandes et sont entirement solidaires. En outre le ferrage cercle se fait beaucoup plus rapidement. Nanmoins ce type de ferrage ncessite des bois ayant sch trs longtemps. Or, ces bois sont difficiles trouver en campagne. On a donc continu privilgier lancien systme de ferrage bandes. Gribeauval aurait bien voulu rduire le nombre de types de roue daprs leur diamtre. Il ny arriva jamais. Le systme de lAn XI, dont nous parlerons bientt, russit exaucer le vu de Gribeauval puisque de 23, le nombre de types de roue passa 6.

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A gauche, roue ferre bandes ; droite, roue ferre cercle.

Obusier de 24 (1854) MRAHM

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LobusierComme nous y avons fait allusion, le systme Gribeauval a induit une tonnante consquence : le vent cest--dire lespace qui se trouve entre un projectile et la partie suprieure de la paroi de lme dune bouche feu et qui est gal la diffrence entre le diamtre de ce projectile et celui de lme de la pice a t fortement rduit, la diffrence tant devenue gale une ligne, soit 2,25 mm. Cela a considrablement augment la prcision du tir mais il ntait plus possible de tirer boulet rouge. Il a donc fallu inventer une pice destine inquiter lennemi derrire les retranchements et les hauteurs et pour brler les btiments dans lesquels il sabrite. Cest lobusier.

Obusier de 6 pouces

Selon toute vraisemblance, il sagirait dune invention hollandaise ou autrichienne : les Franais semparrent de ce type de pices inconnues Neerwinden en 1693. Mais ils ne fondirent leur premier obusier quen 1749 Douai. Il faut donc croire les spcialistes qui expliquent que lobusier de 6 a t copi par les ingnieurs franais sur une pice de dimensions trs proches utilises par les Autrichiens durant la Guerre de Sept Ans. Le systme Gribeauval comportait deux obusiers : lun de 8 pouces plus spcialement destin lartillerie de sige ; lautre de 6 pour lartillerie de campagne. Apparemment, Gribeauval, qui avait pourtant servi dans larme de Marie-Thrse, ne croyait gure lefficacit de ces pices. On constate, en tout cas, quil a apport beaucoup moins de soins leur conception qu celle des canons. Lobusier rentra dans le systme Gribeauval en 1774. Lobusier tire des obus, sphres de mtal creuses, remplies dune charge de poudre mise feu par une fuse. Le rglage de cette fuse doit lui permettre dexploser au moment de limpact, projetant une gerbe dclats extrmement meurtriers. Le calibre de lobusier de 6 pouces, compte tenu du vent, est en ralit de 6 pouces 1 ligne 6 points. Lme est lisse. La chambre est cylindrique et peut contenir jusqu 28 onces (856,6 gr) de poudre, mais, normalement on la charge 17 onces (520 gr) pour tirer un obus ou 22 onces (670 gr) pour la bote mitraille. On peut pointer 6, 10, 15 degrs (les obus pourront ricocher), 30 ou 45 degrs (et les obus ne ricocheront plus). A 6, lobus portera 780 mtres au premier rebond et restera dangereux jusquau dernier rebond 1200 mtres. 31

Les lments dun obusier de 6 sont la vole, le renfort, le pourtour de la chambre, le cul-de-lampe et le bouton, la culasse, les tourillons et leurs embases, les anses, le grain de lumire, la lumire, le canal damorce, lme, la chambre. Les moulures sont la gorge de la bouche, le listel suprieur de la plate-bande de vole, la plate-bande de la vole, le listel infrieur de la plate-bande de la vole, la gorge suprieure de la vole, la gorge infrieure de la vole, le listel du renfort de la vole, le tore du renfort de la vole, le listel infrieur du renfort, la gorge infrieure du renfort, la gorge de la culasse, le listel de la culasse, la plate-bande ou plinthe de la culasse, le listel du cul de lampe ou du bouton.

Obusier de 24, remont sur un afft anversois (1854) (MRAHM)

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Afft d'un obusier de 6

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Le caissonPas de systme dartillerie sans moyen de locomotion pour les munitions. Avant Gribeauval, on se contentait, en France, de transporter les poudres et les boulets dans des chariots spars. Ces chariots navaient rien de diffrent de ceux utiliss dans le civil et, dailleurs, taient mens par des civils. Gribeauval ramena dAutriche les Autrichiens appelaient ce vhicule un wurst lide de construire des vhicules spcifiques au transport de munitions en les rendant aussi fonctionnels que possible. Le gnral Allix nous dcrit le systme : Quant aux caissons munitions, il y en a aussi, dans ce systme, d'autant d'espces que de munitions, c'est--dire des caissons de 12, de 8, de 4, dobusier de 6 pouces et d'infanterie. Tous ces caissons sont les mmes en ce qui concerne leur forme extrieure, je veux dire qu'ils ont mme longueur, mme largeur et mme hauteur, l'exception toutefois du caisson de 4, qui tait moins haut que les autres ; mais tous ces caissons diffraient par leur division intrieure, en sorte que le caisson de 12 ne portait que des munitions de ce calibre, et de mme pour les autres ; en sorte que si le besoin exigeait que l'on transformt un caisson de 12 en un caisson de 8 ou d'obus, ou d'infanterie, il fallait commencer par dtruire les divisions intrieures de ce caisson, pour y substituer les divisions qui convenaient aux autres calibres. Cela avait un inconvnient dont lexprience de la guerre a fait justice. Dabord on a abandonn le caisson de 4, qui navait pas assez de hauteur pour contenir les munitions de 12, de 8 et dobus, et lon na conserv dans le systme Gribeauval quun seul caisson, susceptible des divisions intrieures qui conviennent, tant faites, aux munitions du 8, de lobusier et de linfanterie, comme aux munitions de 4, ce qui nempche pas quil ne faille ncessairement, et avant tout, oprer le changement de ces divisions intrieures.8

Figure 1 : Un canon de 12 en position de transport sur son avant-train et son caisson8

Jacques Alexandre Franois Allix Systme dartillerie de campagne du lieutenant-gnral Allix Paris, Anselin et Pochard, 1827, p. 81.

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Le caisson est donc une espce de chariot couvert en planche, dont on se sert pour voiturer des munitions ou des agrs9 . On distingue deux types de caissons : dune part, le caisson de 12 et de 8, qui emportent les cartouches canon de ces calibres, les munitions dobusier de 6 pouces et les cartouches fusil. On modifie les divisions de ces caissons selon les munitions quelles ont emporter. Dautre part, le caisson de 4 qui, comme on la vu, tait moins haut. Les caissons munitions sont tous partags en quatre grandes divisions transversales, lesquelles sont subdivises selon le calibre transport : pour le 12 en cinq cases transversales ; pour le 8 en quatre cases longitudinales. Dans le caisson de lobusier de 6, la troisime division a cinq cases longitudinales et le fond du caisson , pour les trois autres contient des petits carrs faits avec des liteaux, pour placer les obus, pour placer les obus et les empcher de balloter en route. Le caisson de Gribeauval nest pas exempt de dfauts dont le principal est sans doute de verser si lon tourne trop court. Cela est d au fait que la taille des roues, identique celle des roues davant-train dafft, est trop importante par rapport au plancher du caisson. On a suggr de rduire la taille de ces roues de faon ce quelles passent sous le plancher. Mais moins de rehausser ce plancher et de compromettre ainsi lquilibre de lensemble, les roues devenaient trop petites pour permettre une allure soutenue sur la route. En 1815, on ntait pas fix sur la solution adopter et on en resta donc aux dimensions tablies par Gribeauval. Par ailleurs, le toit en bois napparut pas suffisant pour protger les munitions. On couvrit donc ce toit de huit feuilles de tle, mais cela avait linconvnient dalourdir considrablement le caisson. Des expriences ont t faites pour remplacer ces feuilles de tle par des feuilles de zinc plus lgres, mais il a fallu renoncer car, non seulement le zinc tait beaucoup plus cher, mais encore on narrivait poser ces feuilles sans quelles se dchirent ou quelles gondolent.

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Cotty, p. 46.

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Cration de lartillerie chevalEn 1759, on vit avec tonnement les premiers artilleurs cheval apparatre sur le terrain dans les rangs de larme prussienne. Frdric II estimait en effet indispensable lexploitation immdiate de positions gagnes par la cavalerie. Des pices dartillerie devaient donc tre en mesure doccuper le terrain quasiment linstant mme o la cavalerie lavait dgag. Or, mme si une artillerie compose de pices de 3 atteles tait en elle-mme fort mobile, le personnel continuait marcher pied ou devait saccrocher comme il pouvait aux pices ou aux avant-trains, ce qui ralentissait considrablement les oprations. Lide tait donc fort simple : il suffisait de faire monter les artilleurs et de leur faire suivre cheval leurs pices. Arrivs destination, ils sautent de leur monture qui est confie un des leurs et sen vont mettre la pice en batterie. Linnovation prussienne ne fut pourtant pas accepte partout. Les Autrichiens firent construire des caissons semi-cylindriques (des wrtzen ) sur lesquels grimpaient les canonniers et qui les transportaient sur le champ de bataille. Mais la procdure tait acrobatique, risque et finalement assez lente. On utilisa quelque temps cette mthode dans larme franaise mais lexprience la fit compltement abandonner. Cest en 1791 que lon cra deux premires compagnies dartillerie cheval et on leur affectait des pices de 8 livres ; la loi du 29 avril 1792 portait ce nombre neuf compagnies ; en 1794, on en comptait dj neuf rgiments de 6 compagnies chacun Le premier coup de feu tir par une batterie cheval le fut larme du Rhin. Un auteur au service de Sa Majest le Roi dItalie , le chef descadron Christophe Clment compare les performances de lartillerie cheval franaise celles fournies par les Autrichiens :10

Les ntres, isols sur leurs chevaux, ont peu de dangers communs ; toujours en action ils arrivent en batterie, sautent terre, courrent (sic) la pice, sans avoir le temps de la rflexion ; et peine at-elle cess de tourner, que dj le feu prend, le coup part, et la flame (sic) et le bruit tourdissent, raniment le soldat. La cavalerie se dcide-t-elle charger la batterie ; lartillerie cheval continue le tir avec la moiti des canonniers, les autres prparent les chevaux ; ds que lennemi arrive 80 toises, o la mitraille cause du peu dtendue des gerbes nest plus dun grand effet, le dernier coup part, lartillerie se retire, les canonniers montent cheval et dfendent les pices le sabre la main

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Christophe Clment Essai sur lArtillerie cheval Pavie, Jean Capelli, imprimeur-libraire, 1808, p.

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Le systme de lAn XI (1802)Dire que, malgr les discussions, le systme Gribeauval donna pleine satisfaction serait un euphmisme. Lgret, mobilit, efficacit Que pouvait rver de mieux un artilleur ? Cependant, il nest de systme susceptible damlioration. On se rappelle que Gribeauval avait obtenu que lon affecte deux pices de petit calibre chaque bataillon dinfanterie tandis que les plus gros calibres constituaient la rserve. Or, les changements intervenus depuis la rvolution dans la nature mme de larme avaient mis en lumire les inconvnients de ce principe : lartillerie dit de rgiment gnait la marche des colonnes, ralentissait la mise en ligne des bataillons et se montrait peu efficace, tirant hors de porte ou sans justesse. Bonaparte avait d souffrir ce handicap, surtout durant les campagnes dItalie alors que ses troupes marchaient avec difficult sur les sentiers de montagne. En mme temps, on assistait la cration de lartillerie cheval laquelle on navait pas craint daffecter des pices de 8 livres au lieu de pices de 3 comme en Autriche ajoutant deux chevaux au quatre normalement utiliss pour les tracter. Le soin que lon apporta constituer les units dartillerie cheval montre quel point les gnraux croyaient en cette nouveaut : on slectionna les meilleurs canonniers et les plus hardis, les sous-officiers les plus prouvs et les officiers les plus intelligents. Mais ces officiers eux-mmes reconnaissaient que leur efficacit tait surtout due au calibre des pices quon leur avait affectes. Ds lors, on constata un abandon progressif de la pice de 4 et des batteries de rgiment. De leur ct, les Autrichiens, toujours lafft de nouveauts en matire dartillerie, en vinrent abandonner leurs pices de 3 et concevoir un canon de 6 livres susceptible de servir tant dans lartillerie pied que dans lartillerie cheval, et supprimrent lartillerie de rgiment en faveur des batteries de rserve.

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Le canon de 6 livres

Canon de 6 livres Mod. An XI "La Baleine", fondu Douai chez Brenger. On remarque la suppression des renforts et la simplification gnrale de la ligne. (MRAHM)

Ds lors, il savra quil serait peut-tre ncessaire de rformer le systme Gribeauval ou plutt de le perfectionner. Le Premier consul, ds la Paix dAmiens signe, profitant du rpit ainsi gagn, convoqua une commission de gnraux de larme, prside par le gnral dAboville et charge dvaluer les modifications apporter au systme Gribeauval. Ds labord, la commission se fixa un objectif : la simplification. Dans ce but, il commena par supprimer les calibres de 4 et de 8 livres et les remplaa par des pices nouvelles dun calibre de 6 livres. Ces canons, dune ligne fort pure grce la suppression des renforts, prsentaient, selon la commission et selon Napolon lui-mme lavantage dtre plus lger que celui de 8 tout en offrant des performances fort proches. Il tait plus facile transporter, pouvait tre mis immdiatement en batterie sans quon et changer la pice de position sur lafft, ncessitait moins de personnel, tirait des boulets plus lgers et pouvait donc disposer de plus munitions dans le mme nombre de caissons. Bref : la pice idale pour lartillerie cheval. Et qui peut le plus, peut le moins : lartillerie pied bnficiait avec ces pices de plus de mobilit Comme le mot dordre restait la simplification, on supprima le canon de 8. Ajoutons et ce nest pas un dtail que les Franais staient empars dun nombre considrable de pices de 6 autrichiennes et prussiennes sur les champs de bataille. Ladoption du calibre de 6 livres permettait de rutiliser ces nombreuses pices sans devoir multiplier les calibres de munitions. 38

La commission fit redessiner les affts de Gribeauval. Mais les changements sont trs peu sensibles et vont tous dans le sens de la simplification. Cest ainsi, par exemple, que le nouvel afft de la pice de 12 permet une lvation plus importante de la pice. Dans le mme esprit, les caissons et les fourgons subirent quelques modifications et un nouveau modle de forge de campagne fut mis en construction. La rforme de lan XI se fit progressivement sentir sur les champs de bataille mais pas au rythme quaurait souhait Napolon. Cest ainsi quen 1809, la Grande Arme comptait encore un nombre important de pices de 8 livres (37 au moins pour larme dAllemagne)11.Le remplacement des pices de 8 par les pices de 6 subit un coup dacclrateur imprvu suite la campagne de Russie. Il est extrmement difficile dtablir un dcompte des pertes de lartillerie au cours de lanne 1812. Mais, si elle manque cruellement de prcision, lvaluation de Thiers doit tre prise en compte : selon lui, 1000 bouches feu franchirent le Nimen en juin 181212 et quant au matriel (dartillerie), il tait rest enfoui tout entier sous les neiges de Russie 13.Mais, toujours selon la mme source, les arsenaux de terre et de mer en tait remplis . Comme depuis lan XI, on ne fondait plus, pour lartillerie de campagne, que des pices de 12 et de 6 outre les obusiers de 24 les 600 pices que put runir Napolon sur le Rhin en janvier 1813 ne devait compter que trs peu de pices de 8. En tout cas, lArme du Nord, en 1815, ne comptait pas une seule pice de 8 Malgr ses incontestables qualits, le canon de 6 ne convainquit pas tout le monde. Ds la premire abdication, certains gnraux spcialistes de larme, comme Ruty, prconisrent son abandon et le retour pur et simple au systme Gribeauval. Selon eux, les performances du canon de 8 compensaient largement le dsavantage du poids, dans la mesure o il ne rclamait pas plus de chevaux et o le changement de position de la pice sur lafft ne rclamait gure plus de temps que laccrochage ou le dcrochage de lavant-train. Sy mla une sorte de conflit idologique assez tonnant : le 6, qui avait t copi sur son homologue autrichien, devenait un symbole du rgime napolonien, tandis que le bon vieux 8, qui avait t approuv par Louis XVI, tait lui bien franais De telle sorte quen 1814, une ordonnance de Louis XVIII rtablissait le systme Gribeauval dans son intgralit et quune autre, de Napolon, signe en avril 1815, en revenait au systme de lAn XI La seconde Restauration supprima dfinitivement le systme de lan XI.

Lobusier de 24Lautre innovation introduite par le systme de lan XI est lobusier de 5 pouces et demi. Le calibre rel de cette pice est de 5 pouces 7 lignes 2 points Et encore les artilleurs de lpoque prfraientils parler dobusier de 24 14. En effet la munition tire par cet obusier tait-elle exactement du mme calibre que celui des boulets tir par le canon de sige de 24 soit 5 pouces 6 lignes. Les performances de cette pice sont sensiblement les mmes que celle de 6 pouces. Mais elle prsente lavantage dtre un peu plus lgre (environ 600 livres) et, surtout, moins gourmande en munition puisque, l o lobusier de 6 demande trois caissons, elle nen exige que deux. Lobusier de 24 entra en service en mme temps que le canon de 6 livres lors de la rforme de lan XI, dont le but affirm tait dallger le poids des pices dartillerie et daugmenter leur mobilit. Il tait destin remplacer progressivement lobusier de 6 pouces. Toutefois dans les batteries de 12, on continua affecter11 12

Napolon, Correspondance gnrale, XIX, n 15257. Au gnral Songis, Ebersdorf, 26 mai 1809) Ad. Thiers Histoire du Consulat et de lEmpire, XIII, p. 432. 13 Id., XV, p. 260. 14 Ce qui a, chez les auteurs, donn des aberrations qui nont pas mme lapparence de la vraisemblance : on trouve ainsi des obusiers de 24 pouces ou laffirmation que lobusier de 24 tirait des boulets de 24 livres.

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deux obusiers de 6, pour lexcellente raison qu un dtail prs, les affts des deux pices sont exactement semblables. Les batteries de 6, elles, se virent affecter deux obusiers de 24.

Les caissonsPendant la Rvolution et au dbut de lEmpire, trois caissons accompagnaient une pice de 12, deux caissons pour une pice de 8, un seul pour une pice de 4 et trois pour un obusier de 6. Lors de ladoption du systme dartillerie de lan XI, qui rformait le systme Gribeauval, les anciens caissons des pices de 12 livres furent adapts pour pouvoir charger des munitions de tous types. Ce chariot troit de quatre mtres de long au toit en pente, mont sur charnire pour tre ouvert, tait peint en vert olive et comptait quatre roues dont les deux arrires taient dun plus grand diamtre. Le caisson portait larrire une roue de secours. Sur les cts, on trouvait des pelles et une pioche et sur le devant une bote outil amovible. Lintrieur tait divis en compartiments tanches dessins pour maintenir les munitions sans trop de dgts pendant une priode assez longue. La configuration de ces compartiments pouvait tre modifie en fonction des types de munitions transporter ou de leur calibre. Un caisson de 12 emportait 68 coups : 48 cartouches boulet, 12 cartouches grosses balles, 8 cartouches petites balles 99 toupilles, 11 lances feu, 22 sachets de poudres, 12 toises de mche. Le coffret de devant contient 3 sacs cartouches, 1 sac toupilles, 1 tui lance feu, 3 dgorgeoirs, dont 2 ordinaires et 1 vrille, 2 porte-lances, 2 doigtiers, 2 spatules pour bourrer les toupes. Le train dune pice de 12 tant compos de trois caissons, chaque pice a donc 213 coups tirer. Le caisson de 12 peut contenir 16 335 cartouches fusil.

Figure 2 : un caisson d'artillerie. Le coffre de l'avant s