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LA SAINTE-CHAPELLE retrouve son éclat divin GRAND-ANGLE Chef-d’œuvre absolu du gothique rayon- nant, la Sainte-Chapelle, sur l’île de la Cité à Paris, fait l’objet d’une restaura- tion sans précédent portant essentiellement sur ses ex- traordinaires vitraux. Se- crets d’un chantier exem- plaire associant scientifi- ques et restaurateurs. PAR PEDRO LIMA (TEXTE) ET PHILIPPE PSAÏLA (PHOTOS) Sur la façade nord de la nef, un échafaudage protège l’accès aux immenses verrières de plus de 15 m de hauteur, durant leur restauration. Fin du chantier prévue fin 2014. 62 • LE FIGARO MAGAZINE - 27 DÉCEMBRE 2013

LASAINTE-CHAPELLE · 2018-03-15 · LASAINTE-CHAPELLE retrouve son éclat divin GRAND-ANGLE Chef-d’œuvre absolu du gothique rayon-nant, la Sainte-Chapelle, sur l’île de la Cité

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LA SAINTE-CHAPELLEretrouve son éclat divinGRAND-ANGLE Chef-d’œuvreabsolu du gothique rayon-nant, la Sainte-Chapelle,sur l’île de la Cité à Paris,fait l’objet d’une restaura-tion sans précédent portantessentiellement sur ses ex-traordinaires vitraux. Se-crets d’un chantier exem-plaire associant scientifi-ques et restaurateurs.PAR PEDRO LIMA (TEXTE) ET PHILIPPE PSAÏLA (PHOTOS)

Sur la façade nordde la nef, un échafaudageprotège l’accèsaux immenses verrièresde plus de 15 mde hauteur, durantleur restauration. Fin duchantier prévue fin 2014.

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En1242,leroideFranceLouisIX,plustardcanonisépourdevenirSaint Louis, ordonne l’érection,dans l’enceinte de son palais del’île de la Cité, d’une somp­tueuse chapelle sainte. Elle seradestinée à accueillir les reliques

du Christ, un fragment de la vraie Croix et laSainte Couronne d’épines, acquises à prix d’orauprès de l’empereur de Constantinople. Consa­crée en 1248, la Sainte­Chapelle est aujourd’huil’un des monuments les plus célèbres de France,avec près d’un million de visiteurs annuels. Au­delà de son architecture audacieuse, fine et élan­cée, de sa flèche culminant à plus de 30 mètresdans le ciel parisien, ce sont surtout les 15 somp­tueuses baies vitrées multicolores de la chapellehaute, dans la nef et l’abside, qui enchantent lesvisiteurs du monde entier. Véritable mur de lu­mière polychrome de plus de 15 mètres de hau­teur, ce chef­d’œuvre magistral accompli par lesmaîtres verriers parisiens du Moyen Age visaitunbutprécis :«Les1 113panneauxdevitrailcompo­sant les quinze baies représentent en effet des scènes decouronnement, de croisades, des fleurs de lys, ainsi quedes épisodes bibliques. Elles permirent ainsi à Louis IXdes’inscriredans lacontinuitédesroisde l’AncienTes­tament, et d’asseoir avec prestige son pouvoir politiqueetreligieux»,décrypteIsabelledeGourcuff,admi­nistratrice du monument. Détail étonnant : lareine Marguerite de Provence, épouse deLouis IX, est quant à elle très peu évoquée.

Des vitraux victimes de la pollutionet des agressions atmosphériques

Or, avec le passage des siècles, l’éclat des vitrauxde la Sainte­Chapelle s’est terni. Sur leur face in­terne, ils ont été victimes de la condensation del’air, et, sur la face externe, de la pollution et desagressions atmosphériques… D’où la nécessitéd’un ambitieux chantier de restauration, initiédès les années 1970. Depuis 2008, la dernièretranche de ce programme concerne les sept ver­rières du nord de l’abside et de la nef. Budget to­tal, 10 millions d’euros, pris en charge par l’Etatet les fondations Velux.

Pour les équipes engagées dans ce chantierexemplaire,larestaurationd’unebaiedébuteparladéposedesvitraux.Ainsi,aumoisdemai2012,les deux immenses verrières du Livre de Josué etdu Livre des nombres, composées au total de200 panneaux, ont été patiemment démontées,sous le regard curieux des visiteurs. Perchés àplus de 20 mètres de hauteur sur leur échafau­dage avec vue plongeante sur la nef, artisans etrestaurateursréalisentcettetâcheavecprécision,marteauetburinenmain.L’opérationestrendue

Les immenses verrières so nt patiemment démontéesJuchés sur leurs échafaudages(en haut), les restaurateursdéposent les verrières du Livrede Josué et du Livredes nombres, composéesau total de 200 panneaux.

Plusieurs échantillonssont analysés au Laboratoirede recherche des monumentshistoriques (ci-contre), afin dedéterminer la nature précise desdépôts qui les recouvrent et demettre au point le bon traitement.

Les restauratrices de l’atelierDebitus, à Tours, nettoientun à un les milliers de fragmentsqui composent les verrières.8 000 heures de travail au total.

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délicate par l’état précaire des structures en fer,appelées barlotières, qui soutiennent les pan­neaux vitrés. Les artisans, toujours méticuleux,prennent également soin de ne pas détériorer lesfragilesréseauxdeplombmaintenantlesmilliersde fragments de verre coloré entre eux, et for­mant la structure géométrique complexe del’œuvre : losanges, trilobes ou quadrilatères…Malgré ces efforts et une concentration de tousles instants, ces spécialistes restent sensibles ausavoir­faire de leurs prédécesseurs : « Ils maîtri­saient à merveille la cuisson et la décoration du verre,pour le rendre à la fois coloré et très résistant, ce qui apermis aux vitraux de parvenir jusqu’à nous, admirele maître verrier Claire Babet, coordinatrice duchantier. Ils étaient surtout des artistes accomplis, quiont créé des œuvres parfaites, équilibrées du point devue des couleurs et des dessins quelle que soit l’échelle àlaquelle on les observe, depuis la scène détaillée jusqu’àla composition d’ensemble. » Ainsi, sur les vitrauxdelaSainte­Chapelle,lesmaîtresverriersontpri­vilégié une gamme colorée rouge et bleue. Or, lajuxtapositiondescouleurssurlespanneauxpro­duisait pour le spectateur, d’heure en heure, unchangement de tonalité chromatique générale,en fonction de la lumière extérieure.

Dix restaurateurs nettoient lesmilliers de fragments avec minutie

Présenteauxcôtésdesrestaurateurssurl’écha­faudage, Claudine Loisel est spécialiste des vi­traux au Laboratoire de recherche des monu­mentshistoriques(LRMH).Sonrôle:mettreaupoint, avec sa collègue Fanny Bauchau, le trai­tementdesverresquiseraappliquéparlesmaî­tresverriersdansleursateliersderestauration.Loupe en main, elle observe attentivement unescène de couronnement à peine retirée de la fa­çade par Claire Babet, aux reflets bleus et orcomme recouverts d’un voile noirâtre. « Regar­dez la face interne du vitrail, sur laquelle les artisansont apposé la peinture, appelée “grisaille”, qui étaitfixée par cuisson. On y voit un dépôt dû à la pollutionet à l’emploi de vernis lors de restaurations passées,qu’il faudra caractériser au microscope afin deconcevoir le traitement approprié », explique lachercheuse.

UnefoislanatureprécisedesdépôtsidentifiéeauLRMH, une équipe de dix restaurateurs réalise lepatient nettoyage des milliers de fragments deverre.Ceminutieuxlabeursedérouledanslesate­liers de Claire Babet, en Eure­et­Loir, et d’HervéDebitus à Tours (Indre­et­Loire), où les baies ontété transportées, conditionnées et numérotéesdans des caisses hermétiques. Employant descompresses, des éponges et des Coton­Tige imbi­bés de solvants, les artisans éliminent, centimè­

Les immenses verrières so nt patiemment démontées

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tre par centimètre, les dépôts noirs et gris :8 000 heures de travail au total sur les quelque46 000 pièces de verre composant les 200 pan­neaux des deux baies. Principale difficulté, la pré­sence entre les verres de plombs de casse, des ba­guettes de plomb utilisées lors de restaurationsantérieures pour ressouder des fragments de ver­res brisés. « Lorsque nous les enlevons afin de recollerles morceaux avec une résine polymère, nous devonscombler la partie manquante avec une retouche de cou­leur au pinceau », explique Laurence Cuzange, res­tauratrice à l’atelier Debitus. Lorsqu’un fragmentaétéperdu,lesmaîtresverriersreproduisentalorslesgestesdeleursprédécesseurs,sélectionnantunverre de la teinte voulue, le découpant finementavantdelepeindreetdelereplacerdanslepuzzlemulticolore. Au terme de cette entreprise de lon­gue haleine, les deux baies restaurées, à nouveauresplendissantes, ont regagné leur écrin magiqueen septembre dernier… Pour le plus grand plaisirdes visiteurs !

De plus, parallèlement à la restauration des vi­traux, c’est tout le bâtiment qui retrouve son lus­tred’antan,souslaconduitedeChristopheBotti­neau, architecte en chef des Monumentshistoriques : « Sur la façade, nous installons ainsi undouble vitrage externe pour protéger les vitraux quilaisse passer la lumière tout en épousant leurs formes etrestituel’aspectextérieurdumonument.Deplus, les fa­çades sont nettoyées par microsablage, certaines sculp­tures sont déposées, restaurées en atelier, puis reposéessur l’édifice. » Une tâche délicate qui conduit le

chef de chantier pour la maçonnerie LaurentBouillot, de l’entreprise Lanfry, à évoluer avecson équipe à plus de 50 mètres du sol, sur leséchafaudages extérieurs. Là, il prend des mesu­res au pied de la flèche, juché au­dessus des gar­gouilles, ou remet en place un aigle de pierre quisurplombe le Palais de justice.

Comme dans le cas des vitraux, les artisans enchargedelamaçonnerieetdesstructuresmétal­liques bénéficient de l’apport des scientifiquesdu LRMH. Ainsi, la spécialiste Lise Leroux a puétablir, grâce à une collection de 6 000 échan­tillonslithiquesconservésaulaboratoire, lapro­venance des pierres de la Sainte­Chapelle, es­sentiellement des carrières parisiennes, etconseiller les maçons pour les substitutions depierres nécessaires. Quant à sa collègue AnnickTexier,spécialistedesmétaux,ellen’hésitepasàenjamberleséchafaudagespourscruter, instru­ment d’analyse métallique en main, les structu­res en fer qui enchâssent les baies vitrées etconstituent un véritable squelette métallique dumonument…

A la fin de l’année 2014, maîtres verriers, ma­çons et ferronniers concluront ce chantierexemplaire avec la repose des dernières baiesrestaurées, L’Exode, La Genèse et La Rose occi­dentale. Monument emblématique du gothi­que rayonnant, la Sainte­Chapelle retrouveraalors, pour de nombreuses années, l’éclat divinqui a prévalu à sa consécration il y a près dehuit siècles. ■ PEDRO LIMA

Au total : 46 000 pièces de verre !

La façade nordde la Sainte-Chapelleest également rénovéedurant la restauration desvitraux, qui se termineraà la fin de l’année 2014.Durant le chantier, le monumentreste ouvert aux visites.

Les quinze verrièresdu monument, à droite cellesde la nef, représentent desscènes de couronnement, decroisades, des fleurs de lys,ainsi que des épisodes bibliquesà la gloire de Saint Louis.

Après leur patient nettoyageen atelier, les vitraux de laSainte-Chapelle retrouvent toutleur éclat, comme cette Cènedu Christ (ci-dessous), extraitede la verrière de la Passion,située au centre de l’abside.

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