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8’18’’ Trop fragiles pour accueillir des visiteurs, les deux grottes ornées sont en cours de reproduction à l’identique. Le point sur des chantiers extraordinaires. 28 - Sciences et Avenir - Mars 2014 - N° 805 N° 805 - Mars 2014 - Sciences et Avenir - 29 a DOSSIER Préhistoire LASCAUX / CHAUVET À l’ère des fac-similés 50 millions d’euros le coût du projet Lascaux IV (Dordogne) dont 7 millions pour le seul fac-similé (auxquels s’ajoutent 7 millions pour les parkings) 51 millions d’euros le coût total du projet de la Caverne du Pont d’Arc (Ardèche) dont 15 millions pour le seul fac-similé 800 000 le nombre total annuel de visiteurs attendus à Lascaux IV et à la Caverne du Pont d’Arc La salle des Taureaux de Lascaux IV (vue d’artiste). Les visiteurs, munis d’une torche interactive, seront plongés dans des conditions identiques à celles d’une visite réelle d’une grotte ornée. DOSSIER DOSSIER RÉALISÉ PAR Bernadette Arnaud O urs des cavernes, taureaux, che- vaux, mammouths, bisons, rhinocéros, lions… Aucune des peintures ori- ginales ornant les grottes de Las- caux en Dordogne — datée de -17 000 ans — et Chauvet, en Ardèche — -36 000 ans — n’est aujourd’hui directement acces- sible. Personne, hormis quelques scientifiques dûment habilités, ne peut pénétrer dans ces lieux, trop fragiles pour supporter des visites, a fortiori celles des foules de touristes. Pourtant, ces deux grottes ornées, découvertes res- pectivement en 1940 et 1994, figurent parmi les plus belles du monde, l’une (Lascaux) étant classée au patrimoine mondial depuis 1979, la seconde (Chau- vet) attendant son éventuelle inscription en juin lors de la réu- nion de l’Unesco à Doha (Qatar). Comment, dès lors, permettre à chacun d’avoir accès à ces trésors sans risquer de les abîmer ? En multipliant les… fausses grottes. Testée depuis trente et un ans

Lascaux / Chauvet : à l'ère des fac-similés

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Un article initialement publié dans le numéro de Sciences et Avenir daté mars 2014 (numéro 805).

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Trop fragiles pour accueillir des visiteurs, les deux grottes ornées sont en cours de reproduction à l’identique. Le point sur des chantiers extraordinaires.

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DoSSier

Préhistoire

LASCAUX / CHAUVET

À l’ère desfac-similés

50millions d’eurosle coût du projet Lascaux IV

(Dordogne) dont 7 millions pour le seul fac-similé (auxquels

s’ajoutent 7 millions pour les parkings)

51millions d’euros

le coût total du projet de la Caverne du Pont d’Arc

(Ardèche) dont 15 millions pour le seul fac-similé

800 000le nombre total annuel de visiteurs attendus

à Lascaux IV et à la Caverne du Pont d’Arc

La salle des Taureaux de Lascaux IV (vue d’artiste). Les visiteurs,

munis d’une torche interactive, seront plongés dans des

conditions identiques à celles d’une visite réelle d’une grotte

ornée.

DOSSIER

DOSSIER RÉALISÉ PAR

Bernadette ArnaudOurs des cavernes,

taureaux, che-vaux, mammouths, bisons, rhinocéros,

lions… Aucune des peintures ori-ginales ornant les grottes de Las-caux en Dordogne — datée de -17 000 ans — et Chauvet, en Ardèche — -36 000 ans — n’est aujourd’hui directement acces-

sible. Personne, hormis quelques scientifi ques dûment habilités, ne peut pénétrer dans ces lieux, trop fragiles pour supporter des visites, a fortiori celles des foules de touristes. Pourtant, ces deux grottes ornées, découvertes res-pectivement en 1940 et 1994, fi gurent parmi les plus belles du monde, l’une (Lascaux) étant

classée au patrimoine mondial depuis 1979, la seconde (Chau-vet) attendant son éventuelle inscription en juin lors de la réu-nion de l’Unesco à Doha (Qatar). Comment, dès lors, permettre à chacun d’avoir accès à ces trésors sans risquer de les abîmer ? En multipliant les… fausses grottes. Testée depuis trente et un ans

a à Lascaux, l’idée des fac-similés (« fait de façon similaire ») a large-ment fait ses preuves : Lascaux II, la réplique construite en 1983 sur la commune de Montignac (Dor-dogne), accueille chaque année plus de 300 000 visiteurs. Elle a même été complétée en 2008 par une copie itinérante en kit, Lascaux III, destinée à parcou-rir le monde. Sa présentation à Bordeaux en octobre 2012 a attiré 105 000 visiteurs, avant de gagner Chicago (États-Unis) jusqu’en septembre 2013, puis Houston (États-Unis), Montréal (Canada) et Denver (États-Unis) en 2015. Le succès est tel que la décision a donc été prise en juillet 2008 de construire Lascaux IV afin de présenter l’intégralité des œuvres, et non plus une sélection comme le faisaient Lascaux II et III. Une initiative présentée comme nécessaire pour préser-ver la grotte originale, fragilisée par la fréquentation massive de la première réplique située à peine à 200 mètres. Lascaux IV devrait ouvrir ses portes en mai 2016. Parallèlement, sur le site du Razal en Ardèche, ce sont les 8500 m2 de l’espace de restitution de la grotte Chauvet qui sont en cours de réalisation à 2 km à vol d’oiseau de l’originale. Cette Caverne du Pont d’Arc, selon son appellation touristique officielle, devrait être inaugurée au printemps 2015 avec plus de 400 000 visiteurs atten-dus chaque année. « L’art pariétal parle de l’âme et des émotions. De la transcendance de l’être humain dans le bref espace d’une vie. C’est à cette étincelle d’allumette dans le noir que les fac-similés nous permet-tent d’avoir accès », confie l’artiste espagnol Miguel Barcelo, membre du comité de recherche scienti-fique de la grotte Chauvet. Ces deux initiatives doivent beau-coup aux collectivités locales qui y voient une manne touristique, l’Ardèche espérant même redorer son image jugée trop marquée par

la fréquentation massive de ses célèbres gorges en canoë… Mais elles doivent moins à l’État qui a d’ailleurs failli se désengager du projet Lascaux IV après avoir pro-mis une participation de 16 mil-lions d’euros sur les 50 millions prévus. Le ministère de la Culture avait en effet annoncé son retrait à l’été 2013, jugeant le projet « non prioritaire ». Avant de revenir dans la boucle in extremis à hauteur de… 4 millions d’euros, le reste étant financé par la région Aquitaine et le conseil général de la Dor-dogne. Quant au projet ardéchois — le plus important au monde —, il est financé par la région Rhône-Alpes, le département de l’Ardèche et l’État à hauteur de 12 millions d’euros chacun. L’Europe (8 mil-lions), le Syndicat mixte de la Caverne et la société Kléber-Ros-sillon (futur exploitant) complè-tent le budget.

La France recèle 60 % des grottes ornées d’Europe

Ce n’est pas un hasard si la France est pionnière dans le domaine de la fabrication des répliques. Le pays recèle en effet 150 des 250 grottes ornées d’Europe et dispose déjà de nombreux autres fac-similés comme ceux des peintures de la grotte de Niaux à Tarascon-sur-Ariège (Ariège), de Marsoulas (Haute-Garonne), de Font-de-Gaume et de Com-barelles (Dordogne). Et pour les mêmes raisons de préservation, l’Espagne fait désormais visiter depuis juillet 2000 à Santillana del Mar, sa Neogrotte d’Altamira, copie du célèbre site cantabrique, ainsi que celles d’Ekain, au Pays basque, ou Candamo, dans les Asturies. Dorénavant, pour remonter dans les profondeurs du temps et parta-ger cet héritage éblouissant laissé par les hommes et les femmes du paléolithique, il faudra plus que jamais faire confiance aux « copistes ». Ces nouveaux maîtres de la reproduction. J B. A.

interview

Marie-José Mondzain PHILoSoPHE, DIRECTRICE DE RECHERCHE AU CNRS*.

« Des copies fidèles mais désincarnées »Qu’induit le mot fac-similé ?Dans ce mot l’on peut entendre deux choses : d’une part, « fait pareil », mais aussi « produire le même effet », parce qu’ayant été réalisé « à l’image de ». Ce que l’on attend donc d’un fac-similé, c’est qu’il soit au plus près de l’original. D’où cet appel à des « faussaires » qui, pour le réaliser, utilisent au maximum les mêmes supports et matériaux. Tout en sachant que ce qui sera livré sera un double anachronique, puisque ne provenant ni de la même époque, ni des mêmes mains. Peut-on s’investir émotionnellement dans un lieu, sachant qu’il n’est qu’une copie de la réalité ?Le fac-similé partage avec le pastiche ou la copie le statut singulier d’être davantage un « comme si ». Le double un peu spectral d’un original. Il sera toujours évident, qu’il s’agisse des grottes de Lascaux ou Chauvet ou bien d’autres, que les fac-similés exposés n’auront pas été « faits » de la même façon que les œuvres d’origine, il y a des milliers d’années. Néanmoins, le choix de la réplique pour « voir pareillement », et qui transforme un geste d’art en patrimoine culturel, n’empêche pas de s’investir émotionnellement. Dans la duplication, se combinent des registres hétérogènes, qui sont ceux du savoir, de l’émotion et de l’art.S’il y avait une différence notable avec les productions originales, quelle serait-elle ?Les copistes vont utiliser des procédés fidèles, mais désincarnés. Il ne faut pas oublier que les hommes de la préhistoire contemplaient du vivant et le reproduisaient. Les plasticiens, aujourd’hui, regardent de l’inanimé. Ils copient des images. Bien que parfaites dans leurs restitutions, il ne faut pas minorer cette neutralisation de l’environnement vivant. À nous de faire le deuil de ce transfert vital, même si on ne peut que se réjouir de pouvoir pérenniser, immortaliser, vulgariser et diffuser ces archives millénaires. Propos recueillis par B. A.

* Auteure de Homo Spectator, Bayard, 2011.

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VALLON-PONT-D’ARC ARDÈCHE

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Pierrelatte

Pont-Saint-Esprit

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Caverne du Pont d’Arc

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VALLON-PONT-D’ARC

Un chantier d’exception pour révéler Chauvet au grand public

LaCaverneduPontd’Arc,dansl’Ardèche,estencoursdemontagepouruneinaugurationauprintemps2015.reportageaucœurduplusgrandfac-similéaumonde.

La tête légèrement incli-née face à la paroi, un bout de charbon de bois dans une

main, un tirage photographique dans l’autre, Gilles Tosello, peintre et préhistorien, accentue à l’aide du fusain l’aspect sombre des cornes d’un auroch, puis éclair-cit celles en forme de croissant de deux rhinocéros. À proximité, sur un plan de travail, des prépa-rations de couleurs ont été dispo-sées. Pigments, poudres… Dans l’entrepôt discret qui abrite son atelier installé dans le nouveau quartier de Borderouge, dans le nord-ouest de Toulouse, l’ar-

tiste met la dernière touche à la réplique des peintures du pan-neau des Chevaux de la grotte Chauvet-Pont-d’Arc, la célèbre cavité des gorges de l’Ardèche datée de -36 000 ans. 44 m2 de paroi ornée, que ce diplômé en arts graphiques, également doc-teur en préhistoire, reproduit grandeur nature depuis mainte-nant quatre mois. Objectif : réa-liser d’ici à cet été, l’intégralité des 240 m2 de surfaces ornées de 425 fi gures animales de cet extra-ordinaire bestiaire réalisé il y a 300 siècles ! Le tout constituant le duplicata de la grotte, interdite

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Le�peintre�et�préhis�torien� Gilles Tosello reproduit grandeur nature les 44 m2 du panneau des Chevaux peint il y a 300 siècles.

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PréhistoireDoSSier

Préhistoire

a sure d’une bouche ; le petit rec-tangle blanc d’un œil ; le halo clair d’une paupière… Autant d’expres-sions uniques imaginées par les peintres de la préhistoire et qui rendent leur trait si émouvant et « vivant ». « La difficulté a été de transposer sur la copie toutes les techniques utilisées par ces artistes il y a 30 000 ans », s’émerveille Gilles Tosello, dou-blement impliqué dans la réali-sation du fac-similé. D’abord en tant qu’artiste, ensuite comme membre de l’équipe scientifi que de la grotte Chauvet-Pont-d’Arc (lire l’encadré p. 34). « Nos ancêtres ont su jouer avec les particularités de la paroi. Dans la cavité réelle, une partie de la roche est en effet très meuble, explique-t-il. Par endroits, une sorte de film ocre recouvre le calcaire blanc entré dans un pro-cessus de décomposition chimique. Cela forme deux couches de pel-licules tendres, plastiques, que les peintres de la préhistoire ont exploi-tées soit en dessinant carrément au doigt dans la pâte, soit en éliminant la partie souple pour tracer directe-ment, avec du charbon de bois, sur la roche plus ferme. »

Restituer l’incroyable énergie des premiers artistes

Le préhistorien moderne obtient ce charbon en faisant brûler du pin noir (Pinus nigra), une essence méridionale proche de Pinus syl-vestris utilisé par les artistes de Chauvet. « Ce que j’ai voulu trans-mettre en restituant ces peintures, c’est aussi l’incroyable énergie de ces premiers artistes de l’humanité, poursuit le préhistorien. Car les représentations de Chauvet diffèrent de celles de Lascaux. C’est essentiel-lement du dessin, du trait, de l’es-tompe, et non des aplats de couleurs. Une sorte de calligraphie avec des pleins et des déliés réalisés avec des gestes vifs. » D’où sa crainte parfois, dans cette recherche de perfection du copiste, d’oublier l’énergie

1.�Numéris�ation�3D�de�la�grotte�par scanner, complétée

par des prises de vue (ici, peinture de Lascaux).

2.�Sculpture�des��volumes��des��parois��par fraisage

à l’aide de différentes résines.

3.�Pos�itionnement�des��œuvres��pariétales���par

projection. Les copistes reproduisent les contours.

4.�Réalis�ation�des��peintures�� par les artistes

plasticiens à l’aide de pigments.

La construction d’un fac-similé en 4 étapes

d’accès depuis sa découverte en 1994. Devant l’immensité de la tâche, l’ensemble des travaux a été partagé avec Alain Dallis, res-ponsable de la société Arc et Os, une structure également spécia-lisée dans les répliques, instal-lée à Montignac (Dordogne), à 160 kilomètres de là. Depuis 2007, date de la créa-tion du Syndicat mixte espace de restitution de la grotte Chau-vet-Pont-d’Arc, projet porté par le conseil général de l’Ardèche et la région Rhône-Alpes (lire p. 30), plusieurs entreprises contribuent à la réalisation de la réplique, la plus importante au monde, située sur les collines du Razal à 5 kilo-mètres par la route environ de Vallon-Pont-d’Arc. L’ouverture est prévue au printemps 2015.

Une version compactée des 8500m2 de l’originale

Le programme architectural de cet ensemble, offi ciellement bap-tisé depuis janvier 2014 Caverne du Pont-d’Arc, est d’ailleurs bien avancé. Cinq pôles en forme de patte d’ours sont déjà sortis de terre. Un bâtiment, dit de l’Ana-morphose, contiendra à lui seul une version compactée (3500 m2) des 8500 m2 de la grotte originale. La société française Ateliers artis-tiques du béton (AAB), spéciali-sée dans la réalisation de décors, installe actuellement sur ce chan-tier les armatures métalliques et les treillis appelés à supporter le béton projeté et le mortier sur les-quels viendront s’accrocher les fac-similés des représentations de la grotte. Une surenchère de lions, mammouths, rhinocéros lai-neux, ours, panthères, chevaux, bouquetins, cerfs, rennes et bisons dessinés par des chasseurs de la culture aurignacienne, les pre-miers hommes modernes arri-vés en Europe.Première étape de cet ambitieux chantier, la fabrication, dans les ateliers de Montignac, des parois

de roche qui supporteront les fresques. Elles doivent être par-faitement identiques aux origi-naux afi n de pouvoir y replacer précisément les peintures. « Nous utilisons les relevés scanner 3D réa-lisés dans la grotte », explique Alain Dallis. Cette copie informatique de la cavité a été réalisée durant plusieurs années par Guy Perazio, expert en numérisation 3D (lire S. et A. n° 767, janvier 2013). « Les fichiers numériques sont transmis à une entreprise de fraisage qui sculpte les volumes dans des mousses de haute densité », poursuit l’expert. Les formes ainsi obtenues servent de substrats à des coques en résine sur lesquelles sont modelées les textures des parois, le grain de sa « peau » en quelque sorte, qui don-neront l’illusion du calcaire. Pour ce faire, les artistes plasticiens de la société périgourdine ont obtenu l’autorisation exceptionnelle de se rendre dans le site original pour vérifi er et comparer, munis de leurs échantillons, la structure de la roche, ses réseaux de fi ssures, les plaques d’argile, les calcites, les oxydations de manganèse, tous les accidents géologiques qui compo-sent un relief. Un réalisme poussé au point de faire apparaître dans la réplique, les conglomérats de coquillages fossiles affl eurant sur les parois d’origine. Une fois la roche restituée avec toutes ses aspérités, les colora-tions sont travaillées à l’aide de poudre d’alumine, de sable, de pig-ments naturels, d’ocres et de terres de Sienne. Vient alors l’étape de la restitution des dessins : les photos numériques en haute défi nition des peintures sont directement projetées sur ces parois synthé-tiques. Chaque fi gure retrouve sa place exacte au millimètre près. Les copistes peuvent dès lors se mettre à l’œuvre, reproduisant les contours avant de reporter l’en-semble des détails picturaux : ici, l’enchaînement d’une courbe ; là, un petit tracé noir à la commis-

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Sur�le�s�ite�du�Razal� (Ardèche), la cage métallique où sera projeté le béton qui servira de support aux répliques.

À�Montignac� (Dordogne), les parois de roche qui supporteront les fresques sont reproduites à l’identique.

À�Paris�,� les concrétions calcaires, réalisées en silicone, dévoilent la richesse géologique de la grotte.

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a première, d’effacer l’émotion. Pour s’en prémunir, l’artiste-préhis-torien a affiché sur les murs de son atelier des tirages photogra-phiques grandeur nature de tous les panneaux qu’il doit peindre. Certains, immenses, ont même été placés dans les cintres de l’ate-lier. Ainsi, dans les moments de doute, déroulés du plafond, ils servent à vérifier une couleur, une teinte, l’extrémité d’une patte d’ours ou celles des ramures d’un mégacéros. Les deux ateliers du sud de la France ne sont pas les seuls à œuvrer à la réalisation de l’espace de restitution du Razal. À Paris, dans le quartier de la Bibliothèque nationale, d’étranges formes sont apparues dans les vastes salles occupées par la société Phéno-mènes. Un festival de concré-tions de calcite, de stalagmites, de pendeloques… Tout l’arsenal

des trésors géologiques rencon-trés dans une grotte. Y compris les moulages des ossements et crânes d’ours, présents en grande quantité dans le site ardéchois. « Nous élaborons les spéléothèmes, ces concrétions calcaires que l’on trouve dans les cavernes », explique la créatrice Danielle Allemand, responsable de la société. Sous les doigts agiles des sculpteurs,

TECHNIQUE

Le geste des peintres de la préhistoire à la loupe

Ils ont raclé, gratté, arraché avant de peindre ! C’est fou l’énergie mise en œuvre

et transmise jusqu’à nous par les artistes de la grotte Chauvet », s’émerveille Gilles Tosello, préhistorien et peintre. En réalisant pour le compte de l’espace de restitution certains des plus importants fac-similés de la cavité ardéchoise, le spécialiste, membre de l’équipe scientifique qui étudie ces œuvres depuis bientôt quinze ans, parvient encore à être surpris. « Ces scènes ont été anticipées avant d’être portées sur la paroi. Ce ne sont pas des dessins d’animaux jetés là au hasard. La maîtrise conceptuelle de ces hommes qui vivaient là il y a plus de 30 000 ans est tout à fait impressionnante », explique-t-il, songeur. Par endroits, il pense même avoir décelé des figures réalisées par un unique auteur. Une « même main », comme on dit dans le jargon artistique. « Regardez cette petite tache triangulaire, reproduite sous le museau de tous ces animaux d’espèces différentes… » Il en est certain, on la rencontre aussi sur un équidé, situé à plusieurs mètres de là à l’intérieur

de la cavité. Gilles Tosello note surtout la présence de plusieurs styles. « Il y a des niveaux techniques différents. L’auteur de ce bison n’est pas le même que celui qui a réalisé ces chevaux extraordinaires », ajoute-t-il, montrant du doigt les peintures. Certaines figures sont élaborées, d’autres plus schématiques. Mais partout le trait est sûr avec des reprises au silex pour accentuer les contours. Sans compter les questions que soulèvent plusieurs associations. Pourquoi avoir représenté conjointement des espèces appartenant à des biotopes différents ? « À l’époque, le cerf et le renne ou le bison et l’auroch ne se rencontraient pas ensemble dans la région. Tous ces animaux sont représentatifs d’écosystèmes et de climats différents. » Là réside l’un des mystères de la grotte Chauvet, preuve pour le préhistorien de la très grande mobilité géographique des hommes de ces époques. Car pour représenter aussi précisément ces animaux et leurs attitudes, il fallait bien les avoir vus quelque part !

les blocs de polystyrène se trans-forment en drapés. C’est sur eux que seront ensuite déposées, plus vraies que nature, des textures de roche réalisées en silicone.

Les cristaux du sol de la cavité brillent tels des diamants

« La grotte Chauvet est aussi — et c’est beaucoup moins connu — un trésor géologique, explique Danielle Allemand, qui a pu se rendre plu-sieurs fois dans la cavité origi-nale confronter les échantillons de ses réalisations avec la réalité. On y trouve des concrétions épous-touflantes. La calcite y est tellement omniprésente que les cristaux sur les sols ressemblent à des diamants. C’est une caverne qui scintille ! Nous nous devons de restituer cette réalité. » D’où ses recherches incessantes de transparence ou d’opacité de la matière pour traduire ici la vie des calcites, là, leur mort ; les aspects lissés, granuleux ou poudrés des parois. Jusqu’aux moulages des sols cristallisés, effectués dans de véritables cavités du Vercors et de l’Ardèche, pour parvenir à un réalisme stupéfiant. Danielle Allemand vient d’ailleurs de faire construire une dark room, une pièce obscure dans laquelle elle peut vérifier le rendu des struc-tures imitées en fonction des conditions d’éclairage. Plus tard, il s’agira aussi de travailler sur les odeurs présentes dans la cavité afin de les restituer aux visiteurs de la réplique.Dans quelques semaines, les premières copies déjà réalisées dans l’ensemble des ateliers vont rejoindre, par camions, le site de la Caverne du Pont d’Arc où débu-tera leur installation. À Toulouse, Gilles Tosello s’attaquera au grand panneau des félins, une scène de chasse unique dans l’art paléoli-thique associant bisons, rhino-céros et un groupe de lionnes à l’affût. Chasse et mort. Éros et Thanatos. Comme toujours, depuis la nuit des temps. J� B.�A.

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Cinq�bâtiments�

composeront la Caverne du Pont

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Autre lieu, autre ré-plique. Celle de la célèbre grotte ornée de Lascaux

(Dordogne), un projet qui sera o� ciellement lancé le 24 avril, pour une ouverture au public pré-vue en mai 2016. Ce Lascaux IV, futur Centre international d’art pariétal Montignac-Lascaux (CIAPML), est encore à l’état de maquette. Après avoir remporté le concours d’architecture et de scé-nographie, le cabinet norvégien Snohetta, associé à l’agence borde-laise Duncan Lewis et à l’équipe de scénographie britannique Casson Mann, n’a en e� et pas débuté les travaux. Les appels d’o� res euro-péens pour la construction des bâtiments devraient être lancés

dans les semaines qui viennent. Fragilisée par les trop nombreuses visites et la dissémination de colo-nies d’algues sur ses parois (lire S. et A n° 750, août 2009), la grotte de Lascaux, datée de -17 000 ans, est inaccessible depuis cinquante ans après qu’André Malraux, alors ministre de la Culture, a décidé sa fermeture au public en 1963. Cependant, pour permettre à chacun d’admirer les trésors de cette « chapelle Sixtine de la pré-histoire », la réalisation d’une première copie baptisée Las-caux II avait été prévue. Mais depuis 1983, date de l’ouverture de cette réplique, elle semble à son tour avoir atteint ses limites, avec quelque 300 000 visiteurs chaque année. « Surtout, l’Unesco s’inquiète de ce que cette première réplique, réali-sée trop près de la grotte originale, fasse courir un risque à cette der-nière : trop d’autocars circulent en effet à proximité pour transporter des visiteurs », explique Nicolas Saint-Cyr, responsable de la scé-nographie de Lascaux IV. « L’ob-jectif est donc de sanctuariser la colline dans laquelle se trouve la grotte originale et de développer à ses

pieds, 500 mètres plus loin, ce nou-veau projet centré sur la reconstitu-tion totale de la cavité », poursuit l’expert, qui s’était déjà occupé en 2008 du projet Lascaux III, une version itinérante et en « kit » de la cavité ornée, actuellement exposée aux États-Unis.Lascaux IV se veut en effet la réplique intégrale des 575 m2 de fresques pariétales de la grotte ori-ginale « contrairement à Lascaux II qui reproduit uniquement la salle des Taureaux et la partie que l’on nomme le diverticule axial », précise Nicolas Saint-Cyr. Un challenge technologique, scientifi que… et aussi politique, le projet de 50 mil-lions d’euros étant principalement porté par la région Aquitaine et le conseil général de la Dordogne (lire p. 29). Il sera situé en lisière de la petite ville de Montignac, semi-enterré et bâti sur 8800 m2. Plusieurs pôles le composeront. « Le premier accueillera le fac-similé intégral de la grotte. Dans un monde souterrain totalement reconstitué, où l’on respirera l’odeur artificielle des pierres et de l’humidité qui règne dans l’original, dans une ambiance de haute technologie qui simulera les conditions d’éclairage d’il y a 20 000 ans, ce premier temps de visite sera consacré à la contem-plation », indique le scénographe. Un second pôle, destiné à la connaissance, présentera des détails du fac-similé afi n d’ini-tier les visiteurs à la compréhen-sion de l’art pariétal. En particulier grâce à l’usage d’une « torche » interactive, inspirée de la lampe de fortune qu’avait dû se confec-tionner le découvreur de la grotte, Marcel Ravidat, pour explorer les lieux en décembre 1940. En cours de mise au point, cet objet assistera le visiteur tout au long du parcours, le fac-similé devant être équipé d’un système de radio-identifi cation RFID (radio fre-quency identification). Il suffira de placer sa « torche » devant une peinture pour obtenir les infor-

mations complémentaires. Enfi n, chacun pourra télécharger sur Internet, chez lui, grâce à son numéro de billet, la documenta-tion glanée lors de sa visite. Plus loin, de grandes tables d’inter-prétation permettront de resti-tuer la grotte périgourdine dans l’ensemble de l’art pariétal mon-dial, en Afrique, Asie, Amérique, ou Australie.

La reconstitution des fresques pariétales est en cours

Un « théâtre de la préhistoire » sera également construit, consa-cré aux chasseurs du paléoli-thique, ainsi qu’une salle de projection 3D où il sera possible d’admirer les grands relevés géodésiques réalisés entre 2003 et 2012 dans la grotte originale pour les besoins de sa conserva-tion. « Le public pourra aussi assis-ter à une visite virtuelle d’autres grottes ornées inaccessibles comme Cussac en Dordogne et Cosquer, la grotte sous-marine située près de Marseille », ajoute Nicolas Saint-Cyr. Enfi n, certaines salles seront consacrées à la confrontation artistique entre les œuvres des peintres préhistoriques de Las-caux et celles du xxe siècle afi n de montrer l’infl uence qu’a exer-cée l’art pariétal sur des artistes tels que Klee, Kandinsky, Picasso, MirÓ ou Pollock. Le travail de reconstitution des premiers panneaux ornés a déjà commencé dans les locaux de la société Ateliers des fac-similés du Périgord (AFSP), situés à un jet de pierre des ateliers de la société Arc et Os où sont réalisées les répliques de la grotte Chauvet, en Ardèche (lire p. 31). « Il ne nous reste que quelques mois pour produire la totalité des peintures pariétales de Lascaux », explique, tout sourire, son responsable artistique, Francis Ringenbach. Avec ses fac-similés, la Dordogne, terre de préhistoire, vit une véritable multiplication des grottes ! � B. A.

Pourquoi une nouvelle copie de la grotte de Lascaux a-t-elle été jugée nécessaire ?Lascaux II est une réplique merveilleuse, malheureusement située trop près de la grotte originale. Cette cavité naturelle est très fragile, aussi sensible et vulnérable aux événements intérieurs qu’extérieurs. Or, la pollution due aux gaz d’échappement générés par les véhicules et autocars transportant les visiteurs est devenue trop dangereuse pour cette caverne dont l’entrée est à peine à cinq mètres de profondeur. Sanctuariser la colline de Lascaux et créer ce nouveau projet étaient donc nécessaires.Quel a été votre rôle dans cette opération ?En février 2010, le ministre de la Culture de l’époque, Frédéric Mitterrand, m’a confi é la présidence du Conseil scientifi que de la grotte de Lascaux avec pour objectif de veiller à la conservation de la cavité ornée, mais aussi d’informer et de communiquer. C’est à ce titre que je participe à l’élaboration de tout ce qui est présenté au public concernant la grotte originale, et je veille à la qualité des restitutions des peintures qui en sont faites comme c’est actuellement le cas avec le projet Lascaux IV.Que va devenir Lascaux II ?Pour l’instant, son sort n’est pas véritablement réglé. Mais il est probable que Lascaux II continuera à être visitée. Une chose est toutefois certaine : pour s’y rendre, il faudra se déplacer à pied.Quel est l’état de la grotte originale ?Son état est stable. Mais nous surveillons tout ce qui s’y passe, que ce soit l’air qui y circule, la température ou le taux d’humidité. Concernant les taches noires — des champignons — dont la présence avait soulevé une légitime inquiétude, elles se manifestent de moins en moins (lire S et A. n° 750, août 2009). Notre vigilance est absolue. Il ne faut pas oublier que la grotte de Lascaux est une cavité naturelle de 3000 m3, et donc un écosystème vivant complexe à préserver. Propos recueillis par B. A.

INTERVIEW

YVES COPPENSPALÉONTOLOGUE, PRÉSIDENT DU CONSEIL SCIENTIFIQUE DE LA GROTTE DE LASCAUX

« Sanctuariser la colline était nécessaire »

Lascaux, copie intégrale

La reproduction complète de la grotte ornée de Dordogne ouvrira en 2016. L’accès à la première réplique partielle, Lascaux II,

trop proche de la cavité naturelle, sera limité pour protéger le site.

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DOSSIER

PréhistoireDOSSIER

Préhistoire

�Dans le second pôle du nouveau Lascaux, les visiteurs pourront obtenir des informations détaillées en pointant une torche interactive sur le fac-similé.

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Située à 500 m de l’original,

Lascaux IV s’étendra sur 8800 m2 et

sera en partie enterrée

(ci-contre vue d’artiste).

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