19
Société québécoise de science politique L'aspect radical et révolutionnaire de la théorie sociale et politique de Popper Author(s): Fred Eidlin Source: Canadian Journal of Political Science / Revue canadienne de science politique, Vol. 17, No. 3 (Sep., 1984), pp. 503-520 Published by: Canadian Political Science Association and the Société québécoise de science politique Stable URL: http://www.jstor.org/stable/3227605 . Accessed: 09/06/2014 20:08 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Canadian Political Science Association and Société québécoise de science politique are collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Canadian Journal of Political Science / Revue canadienne de science politique. http://www.jstor.org This content downloaded from 195.78.109.149 on Mon, 9 Jun 2014 20:08:01 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

L'aspect radical et révolutionnaire de la théorie sociale et politique de Popper

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: L'aspect radical et révolutionnaire de la théorie sociale et politique de Popper

Société québécoise de science politique

L'aspect radical et révolutionnaire de la théorie sociale et politique de PopperAuthor(s): Fred EidlinSource: Canadian Journal of Political Science / Revue canadienne de science politique, Vol. 17,No. 3 (Sep., 1984), pp. 503-520Published by: Canadian Political Science Association and the Société québécoise de science politiqueStable URL: http://www.jstor.org/stable/3227605 .

Accessed: 09/06/2014 20:08

Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at .http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp

.JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range ofcontent in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new formsof scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected].

.

Canadian Political Science Association and Société québécoise de science politique are collaborating withJSTOR to digitize, preserve and extend access to Canadian Journal of Political Science / Revue canadienne descience politique.

http://www.jstor.org

This content downloaded from 195.78.109.149 on Mon, 9 Jun 2014 20:08:01 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 2: L'aspect radical et révolutionnaire de la théorie sociale et politique de Popper

L'aspect radical et revolutionnaire de la theorie sociale et politique de Popper*

FRED EIDLIN University of Guelph

Introduction

Les connaissances humaines etant faillibles, I'homme est-il en mesure de planifier et d'appliquer une reforme fondamentale et globale de la societe qui serait guidee et alimentee par une theorie politique globale, rationnellement plausible et moralement defendable?

Les partisans de la revolution violente ignorent habituellement ou

rejettent, du fait de leur impatience, toute question traitant du caractere epistemologique des theories sur lesquelles se fondent leurs prescriptions pour ' action violente. Vraisemblablement, ils soutiendront que l'ordre politique et social present est si corrompu qu'il n'est d'autre issue que de l'aneantir pour permettre la construction d'un systeme acceptable.

La theorie sociale et politique de Karl Popper est parfois qualifice de conservatrice parce qu'elle met l'accent sur des questions concernant le caractere des connaissances theoriques qui sous-tendent les appels a la violence revolutionnaire. Ainsi, comment les partisans de la revolution violente peuvent-ils savoir que la violence qu'ils prechent pourra etre contr6lee une fois amorcee? Comment peuvent-ils savoir que certaines consequences inattendues, non premeditees, n'aboutiront pas a un ordre social pire que celui qu'ils veulent detruire? Comment peuvent-ils savoir que le nouveau regime qu'ils souhaitent construire justifiera le couit en souffrances humaines causees par leur mouvement revolutionnaire? C'est surtout pour de telles raisons, fondees sur les limites des connaissances humaines, que Popper preconise la methode de l'Fdification des changements politiques et sociaux par interventions limitees (piecemeal engineering) plut6t que la methode d'edification

* Des versions preliminaires de cet article ont &t6 presentees (en anglais) au congres annuel de l'Association canadienne de science politique, juin 1980, et (en franqais) au

colloque << Karl Popper et la science d'aujourd'hui ,,, Centre Culturel International, Cerisy-la-Salle (France), 1-11 juillet, 1981. J'aimerais remercier William Brandon. David Braybrooke, Raimondo Cubeddu, Jean-Claude Dumoncel. Harvey Fields, Bill Graf, Alkis Kontos, Tom Settle et Mark Warren pour leurs remarques critiques.

Canadian Journal of Political Science / Revue canadienne de science politique, XVll:3 (September/septembre 1984). Printed in Canada / Imprime au Canada

This content downloaded from 195.78.109.149 on Mon, 9 Jun 2014 20:08:01 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 3: L'aspect radical et révolutionnaire de la théorie sociale et politique de Popper

504 FRED EIDLIN

utopiste (utopian social engineering), transformation rapide, globale, fond6e sur un plan de societ6 a construire.

Dans cet article, nous tenterons de demontrer que de tels arguments ne sont pas incompatibles avec une position radicale et revolutionnaire en science sociale et politique et qu'ils lui sont, au contraire, essentiels. Contrairement a la plupart des conservateurs, Popper refuse l'idee que la tradition ne puisse pas &tre 6tudi6e par une quelconque th6orie rationnelle, qu'elle joue un r6le important dans la societ6 mais doive etre consid6r6e comme simplement immuable. Selon lui, une attitude critique peut &tre adopt6e a l'endroit de l'ensemble des traditions. Une telle attitude pourrait aboutir a des th6ories empiriques et normatives

d6montrant le besoin de changements complets et radicaux dans la

societ6. Et la theorie de la m6thode de Popper-qui est la meme pour la science sociale theorique et pour la science naturelle th6orique-exige des hypotheses audacieuses et instructives contr6lees par une critique severe. Dans le domaine de la th6orie, une conjecture audacieuse qui s'avere fausse est pref6rable a une conjecture vraie, mais moins instructive.

La construction sociale (social engineering), toutefois, est tres diff6rente. En effet, comme pour la construction en gen6ral, nous sommes moralement obliges de soupeser le degr6 de nos connaissances avant de les mettre en application d'une maniere qui pourrait affecter des vies humaines. Et parce qu'il est impossible de prevoir les resultats de nos interventions pour changer la soci6t6, les r6formes doivent &tre

r6alisees au moyen d'interventions limitees et contrdlees par une comparaison critique entre les r6sultats attendus et obtenus. Donc, bien qu'il n'y ait pas lieu de craindre la revolution radicale en science theorique (personne n'est blesse lorsqu'on tue les th6ories), I'application de th6ories a l'action politique pr6sente des risques. Or ces risques entrainent des problemes moraux que la science ne peut r6soudre et impliquent des d6cisions qu'elle ne peut prendre. Il n'est pas question, ici, de tenter de prouver que la th6orie politique et sociale de Popper est tout a fait diff6rente de ce qu'on croit ge6nralement. Popper d6teste la violence: la prudence et la mod6ration dans l'action politique font done naturellement partie de sa philosophie. D'aucuns considerent que ces seules caracteristiques suffisent a situer Popper de fagon d6cisive dans le camp liberal, sinon conservateur.

Pourtant, nous n'utilisons pas les mots < radicale > et << revolutionnaire >> seulement pour choquer le lecteur ou attirer l'attention. Dans la discussion qui suit, nous aimerions insister sur des aspects importants de la th6orie sociale et politique de Popper qui sont souvent oublies. Nous souhaitons d6montrer que cette philosophie rev&t le mime caractere que la planification et l'ex6cution de reformes fondamentales et consciencieuses de la soci~t6. C'est une philosophie qui exige que nous fassions quelque chose pour am6liorer la soci6te et

This content downloaded from 195.78.109.149 on Mon, 9 Jun 2014 20:08:01 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 4: L'aspect radical et révolutionnaire de la théorie sociale et politique de Popper

Resume. Cet article tente de d6montrer que la th6orie sociale et politique de Popper s'apparente a l'id6e d'une r6forme fondamentale et globale de la societ6, guid6e et aliment6e par une th6orie rationnellement plausible et moralement d6fendable. Les arguments de Popper en faveur de la mod6ration dans l'action politique ne reposent sur aucune idealisation, ni de la tradition, ni du statu quo, ni m&me sur son d6goiit de la violence; ils se fondent bien davantage sur les limites des connaissances inh6rentes a l'&tre humain. Alors qu'il n'y a pas lieu de craindre une r6volution radicale en science th6orique (personne n'est bless6 lorsqu'on tue les th6ories), I'application de th6ories a l'action politique pr6sente des risques. Or ces risques entrainent des problemes moraux que la science ne peut r6soudre et des d6cisions qu'elle ne peut pas prendre. L'6thique sociale et politique de Popper est humanitaire et 6galitaire. Elle exige l'l1imination des souffrances inutiles pour tous les membres de la socit&6. Si cela implique de vastes transformations fondamentales des normes et des institutions politiques et sociales, ces changements doivent demeurer parmi les buts ultimes, sinon imm6diats, de l'action politique.

Abstract. This article argues that Popper's social and political theory is congenial to the planning and carrying out of fundamental and thoroughgoing reform of society guided and informed by rationally plausible and morally defensible theory. Popper's arguments for moderation in political action do not rest on or support any kind of idealization of either tradition or status quo, or even upon his dislike of violence, but rather upon the inherent limitations of human knowledge. While there is no need to fear radical revolution in theoretical science (no one is harmed when theories are killed), the application of theories to political action involves risk. And risk presents moral problems and decisions which cannot be resolved by science. Popper's social and political ethics are humanitarian and egalitarian. If this should require broad, fundamental changes in political and social norms and institutions, then such changes must remain among the ultimate, if not the immediate goals of political action.

non que nous comptions sur des el6ments ext6rieurs a nous-meme (tels que la << main invisible >> d'Adam Smith ou les lois inexorables de 1'<< histoire >) pour le faire. Il nous parait evident que les arguments de Popper en faveur de la moderation dans l'action politique ne reposent sur une idealisation, ni des traditions, ni du statu quo, ni meme sur son

degoiit pour la violence; ils s'appuient plut6t sur la reconnaissance des limites naturelles des connaissances humaines.

Assurement, Popper s'attaque au pr6jug6 qui veut que la reforme par petits remaniements soit futile-la conviction qu'on doive aller aux sources du mal social et que seule une purge complete du systeme social actuel suffira si on veut ameliorer le monde.' Cependant, il ne nie pas la possibilite qu'il soit parfois n6cessaire d'aller aux sources de l'ordre politique et social pour instaurer une reforme de la societe. Et il est, d'ailleurs, tout a fait possible que l'effet cumulatif des r6formes, resul- tant de la construction sociale par petits remaniements, donne a un changement des dimensions r6volutionnaires.

L'argumentation de Popper d6montre non seulement que la r6forme par petits remaniements est possible et qu'elle peut &tre tres valable, mais aussi que, pour des raisons pratiques causees par les limitations des connaissances, c'est la seule methode qui permette de realiser un programme de changements radicaux et revolutionnaires.

1 Karl R. Popper, The Open Society and Its Enemies I: The Spell of Plato (5e 6d.; Princeton, N.J.: Princeton University Press, 1966), 164.

This content downloaded from 195.78.109.149 on Mon, 9 Jun 2014 20:08:01 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 5: L'aspect radical et révolutionnaire de la théorie sociale et politique de Popper

506 FRED EIDLIN

Popper insiste, par ailleurs, sur le fait que la m6thode de r6forme par petits remaniements est possible meme si celui qui l'adopte n'a pas de projet global de societe. Mais, cette methode peut aussi &tre combin6e a une theorie sociale et peut &tre utilis6e pour la d6velopper et 1' ameliorer. En d'autre mots, l'action politique n'est pas forc6ment restreinte par la theorie liberale-incrementaliste qui veut que l'action politique fond6e sur un plan ou une theorie soit impossible et que le mieux que l'on puisse esperer soit de se tirer d'affaire tant bien que mal avec des ajustements marginaux sans relation avec une r6forme globale. Popper ne critique meme pas l'ideal de la tentative utopique de creer un Etat parfait en utilisant un plan d'ensemble de la socie6t.2 << Parce qu'un ideal ne peut jamais etre atteint, il doit toujours rester utopique. Cette critique serait fausse >>, 6crit-il, << parce que plusieurs choses qui ont et6 accomplies ont d6j~a 6t6 dogmatiquement d6clar6es irr6alisables dans le passe ... >>.3

Pour nous, l'ethique sociale et politique de Popper est humanitaire et egalitaire. Elle exige l'Flimination des souffrances inutiles pour tous les membres de la soci6t6. Et lorsque cela implique des changements globaux et fondamentaux des normes et des institutions politiques et sociales, ces changements doivent demeurer parmi les buts ultimes, sinon immediats, de l'action politique. Que ces buts puissent sembler difficiles, voire impossibles a atteindre, nejustifie pas moralement qu'on les abandonne. Meme les moyens violents pourraient &tre acceptables pour la poursuite de buts justes a condition qu'on ait suffisamment reflechi a certaines questions comme: << Quelles chances ces moyens auront-ils de donner les resultats attendus? >>.

Connaissance et action

Un probleme crucial pour la theorie politique est celui de la relation entre la connaissance qu'on peut avoir de la soci6te et les tentatives qu'on peut faire pour la changer ou pour defendre le statu quo. Toute proposition pour agir ou ne pas agir, visant a amener ou a empecher un changement quelconque dans la soci6te, doit necessairement &tre fondee sur des connaissances theoriques variees. De telles theories

peuvent &tre vagues, inconsistantes et inarticulees. Et pourtant, il serait insens6 de proposer des actions visant des changements, sans que soient

impliqu6s quelques liens theoriques entre ces actions et les changements qu'on attend d'elles. Celui qui propose des changements dans la societe doit donc faire un grand nombre de suppositions theoriques sur plusieurs problemes. Par exemple, etant donne ce que l'on croit tre les realites de la nature humaine, quelles sortes de solutions politiques et sociales sont possibles? Et encore, quel genre de programme d'action provoquera des

changements desires ou maintiendra avec succes le statu quo? Le

2 Ibid., 159. 3 Ibid., 161.

This content downloaded from 195.78.109.149 on Mon, 9 Jun 2014 20:08:01 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 6: L'aspect radical et révolutionnaire de la théorie sociale et politique de Popper

La theorie sociale et politique de Popper 507

caractere raisonnable et, donc, la moralit6 et la prudence de toute action visant a changer la soci6te ou ' defendre le statu quo dependra, dans une large mesure, de la v6rite des presuppositions theoriques sur lesquelles elle est fondee. Car si la theorie est fausse, I'action qu'elle gouverne et informe est, par consequent, probablement erronee. Et puisque les consequences d'une telle action peuvent affecter les vies et le bien-etre des etres humains, le statut epistemologique des theories sur lesquelles elle est fondee n'est pas purement et simplement une question de

speculation abstraite et acad6mique; il s'agit, au contraire, d'une question de portee morale et pratique immediate. Ces propos paraissent sans doute evidents. Nous les enongons dans le but de mettre l'accent sur l'importance des fondements epistemologiques de toute theorie qui guiderait une action rationnelle visant a changer la societe ou a preserver un statu quo.

Le probleme epistemologique pour la theorie radicale-revolutionnaire

Les revolutionnaires radicaux sont particulierement vulnerables quand il s'agit de la veracit6 des theories sur lesquelles sont fondes leurs projets pour l'action. Aussi mauvais que puisse &tre le statu quo, il y a au moins un sens dans lequel on peut dire avec confiance qu'il fonctionne, et ce fait est important. On peut, en effet, observer le fonctionnement d'un statu quo; meme s'il est insatisfaisant. Et une telle 6vidence peut convaincre beaucoup de gens d'appuyer le statu quo. Or, puisque les r6volutionnaires radicaux proposent de remplacer le statu quo par un ordre social et politique completement nouveau, qui n'ajamais existe et qui ne peut donc pas etre observ6 en operation, ils peuvent difficilement 6viter les questions sur le statut epist6mologique de leurs theories. Comment savent-ils, par exemple, que le plan d'action qu'ils recommandent va, effectivement, mener au nouvel ordre qu'ils pr6voient et preconisent? Comment savent-ils qu'un tel ordre sera viable dans toutes les circonstances concretes possibles? Comment savent-ils que la violence qu'ils proposent peut &tre contr6l~e, une fois commencee? Comment savent-ils que des consequences imprevues et inopinees ne meneront pas a un nouvel ordre social et politique pire que celui qu'ils proposent de detruire et de remplacer?

Confrontes de telles questions, les r6volutionnaires radicaux sont devant une problematique dont l'urgence morale est particuliere a cause des cohits elev6s-en termes de souffrance humaine-que leur violence revolutionnaire va occasionner. Meme si on admet que certaines fins peuvent justifier des moyens extraordinaires4 (ce qui est d6ja une presupposition problematique), il faut quand meme poser la question: oui ou non, a-t-on une raison suffisante de croire que ces moyens vont, 4 Une bonne finjustifie-t-elle de mauvais moyens? Voir ibid., 286-87, note 6 du chapitre

9.

This content downloaded from 195.78.109.149 on Mon, 9 Jun 2014 20:08:01 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 7: L'aspect radical et révolutionnaire de la théorie sociale et politique de Popper

508 FRED EIDLIN

en effet, aboutir aux fins desir6es? Sans de telles assurances, il est difficile de voir comment ces fins pourraient justifier moralement la decision de realiser un tel programme et, en meme temps, d'insister sur le fait que cette decision est bas6e sur une consideration rationnelle des couts, be6nfices et risques.

Les champions de la revolution violente et radicale ont tendance a ignorer ou

' rejeter impatiemment de telles questions. Ils r6pondraient

probablement en avangant que: << on ne peut pas faire une omelette sans d'abord casser des oeufs >>, ou, comme le disait Mao, qu' << une

r6volution n'est pas une partie de th6 ", ou encore que << ce qui existe est mauvais et que quelque chose doit le remplacer >. De telles remarques sont, bien stir, des reponses insatisfaisantes aux questions posees. Elles presupposent fondamentalement, que la revolution va, en realite, aboutir a une meilleure societ6, mais evitent de poser la question decisive: << Comment sait-on que cette presupposition est vraie? >. Il n'y a pas lieu d'evaluer les raisons qui justifient l'indignation morale vis a vis de l'ordre etabli, pas plus que l'exactitude du diagnostic qui est fait des points faibles de son fonctionnement, si, en fait, on ne peut pas savoir que la revolution va aboutir a une meilleure societe. Comme

l'ecrit John Dunn:

Un moyen de caracteriser la faille centrale de cette tradition de l'interpretation politique est d'y voir une disposition qui entretient de maniere persistante une aversion morale pour excuser I'affaiblissement de la d6termination a comprendre (ou m^me 'a reflechir serieusement sur) les propri6tes causales de l'ordre social futur qu'on espere substituer au present. Montrer une telle disposition, c'est encourager un exces de raffinement moral pour sanctionner la credulite sociale et

mrme refuser la tentative de prendre la responsabilite des

consequences de ses propres actions meme si celles-ci s'averent initialement couronnees de succes.i

Pour eviter les malentendus, nous aimerions souligner que nous n'avons pas l'intention de chercher a savoir, dans cet expose, si les moyens violents sont quelquefois justifies dans la poursuite des buts politiques. L'argument de notre expose est tout a fait en harmonie avec la proposition de recours a la violence pour des fins limit6es (par exemple, pour ecarter du pouvoir de mauvais gouvernements qui ne permettent pas d'introduire, par des moyens pacifiques, les changements necessaires). Nous admettons aussi qu'il peut &tre tout a fait justifiable de prendre des risques. Ceux qui prennent les decisions politiques doivent tres souvent agir sans avoir toutes les connaissances voulues et doivent donc, inevitablement, prendre des risques.

S'interroger sur le statut des theories qui servent de base h des propositions de violence implique qu'on devrait au moins pouvoir calculer les risques et les prendre en consideration. II est connu que

5 John Dunn, Western Political Theory in the Face of the Future (Cambridge: Cambridge University Press, 1979), 97 (traduction de l'auteur).

This content downloaded from 195.78.109.149 on Mon, 9 Jun 2014 20:08:01 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 8: L'aspect radical et révolutionnaire de la théorie sociale et politique de Popper

La theorie sociale et politique de Popper 509

certaines theories politiques et sociales evaluent positivement la violence. Il y a des gens qui croient que la violence ennoblit l'homme. Notre critique ne se dirige pas contre de tels points de vue. L'argument de notre expose presuppose que la violence-bien qu'elle soit parfois necessaire-est un mal. Notre cible principale est donc toute theorie de revolution radicale qui, admettant que la violence est mauvaise, pretend toutefois que la violence va &tre justifice par un meilleur ordre social et politique.

Le probleme epistemologique pour les theories du statu quo et de l'incrementalisme

L'ensemble des arguments contre la theorie revolutionnaire et radicale est tellement imposant que, comme l' crit Glenn Tinder: << nous pouvons nous demander s'il est possible de se donner meme des buts historiques limites >>.6 Les theories de la revolution radicale n'arrivent pas a repondre aux critiques epistemologiques portees contre elles. Mais, en plus, le bilan historique de leurs echecs concrets est tellement abominable qu'il est difficile, a notre epoque, de trouver des appuis a la defense de telles theories, qui soient intellectuellement respectables.

Ces considerations nous menent a une question troublante que nous posions au tout debut de cet article : l'homme est-il capable de planifier et d'appliquer une reforme fondamentale et coherente de la societe qui serait guidee et alimentee par une theorie politique et sociale globale et rationnellement soutenable? Se contenter d'identifier des fautes epistemologiques dans la theorie radicale-revolutionnaire ne signifie pas qu'on ait repondu, d'une maniere satisfaisante, a ses inculpations des ordres sociaux et politiques existants. En d'autres mots, sommes-nous obliges, par les limitations inherentes a la science, d'abandonner tout espoir en une eventuelle theorie politique et sociale integr'e qui pourrait etre utilisee pour planifier et guider des changements systematiques et fondamentaux de la socitet?

L'urgence de cette question est accentuee par le fait que le statu quo et les strategies visant a le maintenir sont fondees-comme nous l'avons de'ji remarque-sur des theories qui peuvent etre desastreusement erronees. C'est pourquoi les arguments concernant les limitations de la connaissance humaine en general et de la science sociale en particulier ne fournissent pas une base de confort et de securite pour ceux qui defendent un statu quo, qu'ils soient liberaux, conservateurs, bureaucrates sovietiques ou autres. Bien stir, les ordres politiques existants ont tous ete soumis

. l'preuve de l'experience alors que les

plans rnvolutionnaires radicaux ne pourront l'.tre qu'apres avoir ete mis en oeuvre. Et la plausibilite des theories qui visent

. decrire et

. 6 Glenn Tinder, Political Thinking (3e ed.; Boston: Little, Brown, 1979), 174.

This content downloaded from 195.78.109.149 on Mon, 9 Jun 2014 20:08:01 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 9: L'aspect radical et révolutionnaire de la théorie sociale et politique de Popper

510 FRED EIDLIN

expliquer le fonctionnement des ordres existants est renforcee par le fait

qu'ils fonctionnent en realit6. N6anmoins, la plausibilit6 n'est pas une

garantie de verit6. Enoncer qu'un regime << fonctionne >> est presque une tautologie et n'explique pas comment-mmme

dans un sens

empirique-fonctionnel, laissant de c6t6 la dimension ethique-le

r6gime fonctionne ni s'il va continuer de fonctionner. Ce regime peut, en effet, avoir des d6fauts mortels-etre meme sur le point de s'effondrer. II faut ajouter que le fait qu'un regime << fonctionne > n'est pas une garantie de la veracit6 des theories qui pr6tendent decrire et expliquer son fonctionnement. II peut fonctionner d'une maniere tout a fait diff6rente et pour des raisons tout a fait diff6rentes, avec des actions

systematiquement erronees resultant d'une theorie systematiquement erronee.

Mais pourquoi ne pas choisir l'alternative de la reforme evolutionnaire au lieu de la revolution radicale ou de l'adhesion dogmatique a un statu quo? N'est-il pas vrai qu'en mettant l'accent sur les extremes on attaque des hommes de paille au lieu d'envisager la

position la plus courante et la plus raisonnable? N'est-il pas vrai, en effet, que la reforme 6volutionnaire evite le genre de problemes discut6s jusqu'ici?

Une difficult6 apparait parce que les theories de la reforme evo- lutionnaire tendent a suggerer qu'il n'est pas possible de planifier ni

d'appliquer une reforme fondamentale et approfondie de la soci6te qui serait guidee et informee par une theorie sociale et politique globale et rationnellement plausible. Une reponse typique a la reconnaissance de la faiblesse epistemologique-le bilan des echecs et des risques-des theories revolutionnaires radicales est une retraite dans une sorte d'incrementalisme: la politique (public policy) serait << une continuation de l'activit6 du gouvernement comme dans le passe avec seulement des modifications graduelles >. Selon Thomas Dye:

L'incrementalisme est conservateur en ce sens que les programmes existants, les politiques, et les d6penses publiques sont consid6r6s comme une base, et I'attention se fixe sur de nouveaux programmes et de nouvelles politiques et sur les accroissements, les diminutions ou modifications du programme actuel. Ceux qui font la politique acceptent, en general, la legitimite des programmes etablis et consentent tacitement a continuer la politique ant6rieure.7

De ce point de vue, la reforme consiste en des reglages marginaux qui pour la plupart servent de reponse aux problemes qui se manifestent dans la societ6. I1 nous semble que l'incrementalisme implique qu'il faille cesser de croire a la possibilite de tout programme de reforme qui serait guide et informe par une theorie sociale et politique systematique et globale.

7 Thomas R. Dye, Understanding Public Policy (Englewood Cliffs, N.J.:

Prentice-Hall, 1972), 30 (traduction de l'auteur).

This content downloaded from 195.78.109.149 on Mon, 9 Jun 2014 20:08:01 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 10: L'aspect radical et révolutionnaire de la théorie sociale et politique de Popper

La theorie sociale et politique de Popper 511

Mais qu'arrivera-t-il si, en ne s'adressant qu'aux problemes concrets du moment, l'incrementaliste met l'accent sur les sympt6mes tout en ignorant leurs causes? Qu'arrivera-t-il si les causes fondamentales se trouvent 'a un niveau plus profond et si des solutions viables exigeaient des changements plus fondamentaux et plus globaux que les petits ajustements preconises par l'incrementaliste? Qu'arrivera-t-il si de graves failles dans l'ordre social et politique n'ayant pas encore abouti 'a des problemes palpables demeurent intraitables par des moyens incrementalistes, au moment

ou0 on

reconnait enfin les problemes fondamentaux? Qu'arrivera-t-il si les problemes et la politique que l'incrementaliste preconise reposent sur des hypotheses erronees? Que dire d'une serie de petits reglages graduels qui arrivent a produire cumulativement de profonds changements sociaux, inattendus et involontaires? Ou pareille- ment, que peut-on dire de la possibilite qu'en faisant ce qui ne parait etre qu'un petit reglage graduel ceux qui font la politique s'engagent, sans le savoir, dans la realisation d'un programme de changement imprevu?"

De telles questions demontrent que les incrementalistes et autres partisans du changement evolutionnaire ne peuvent se dispenser d'une comprehension theorique de la societe, pas plus que toute personne qui agit pour changer ou pour maintenir des conditions politiques et sociales. Preconiser la reforme evolutionnaire n'implique pas necessairement, bien stir, qu'on ait abandonne tout programme de reforme ambitieux9 ou tout effort pour lier la reforme a une theorie globalisante. Nous pensons, neanmoins, qu'un tel abandon semble etre couramment associe aux theories de la reforme evolutionnaire. Et si ceci est vrai, nous croyons que cet abandon peut etre la consequence d'un pessimisme epistemologique repandu concernant la possibilite meme de concevoir une quelconque theorie/science sociale et politique qui soit d'une qualite suffisante pour servir l'action politique (public policy).10

La politique d'edification par interventions limitees et la science sociale theorique

Superficiellement, le noyau methodologique de la theorie sociale et politique de Popper-piecemeal social engineering (l'edification par

8 Voir, par exemple, David Braybrooke et Charles E. Lindblom, A Strategy of Decision: Policy Evaluation as a Social Process (New York: The Free Press, 1963), 108.

9 Voir, par exemple, ibid., surtout 106-10; et Walter Lippmann, << The Agenda of Liberalism >, dans son livre The Good Society (New York: Grosset and Dunlop, 1937).

10 A vrai dire, les incrementalistes s'occupent des questions de valeurs dans la politique, et de la correction de la politique causee par la retroaction (feedback). Mais ce n'est pas du tout le type de relation entre la theorie et la pratique que nous croyons absent de la theorie incrementaliste.

This content downloaded from 195.78.109.149 on Mon, 9 Jun 2014 20:08:01 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 11: L'aspect radical et révolutionnaire de la théorie sociale et politique de Popper

512 FRED EIDLIN

interventions limitees)-parait tres semblable 'a l'incrementalisme avec toutes ses implications conservatrices et antitheoriques.11 Bien qu'une telle impression soit erronee, a bien des egards, il s'agit d'une interpretation qui peut trouver confirmation dans les ecrits de Popper.12

A partir de la description que fait Popper de la methode d'edification par interventions limitees, on pourrait conclure que ses prescriptions methodologiques pour la science sociale se distinguent, d'une maniere importante, de celles qui s'appliquent aux sciences naturelles. II pourrait meme sembler que Popper soit tres pessimiste quant a la possibilite meme d'une veritable science sociale theorique dont on pourrait se servir pour planifier les changements et pour guider et informer la genese des politiques. Ces conclusions que nous cherchons a refuter manifestent une croyance courante sur les idees de Popper. Ainsi, comme l'6crit Noretta Koertge: Etant donne les restrictions que Popper s'impose sur la possibilite d'une science sociale, il n'est pas 6tonnant qu'il confoive le

cherchelr en sciences sociales

coimmne un ingenieur. ... La thedorie me;thodologique de Popper pour la reconstruction sociale nous off ie tine alternative sdrieuse et interessante la

mitthodologie de conjectures audacienses et refiftations si'veres. Popper propose que les ing6nieurs sociaux commencent avec des problemes pratiques, et qu'ils fassent des conjectures avec peu de contenu empirique sur la question << comment peut-on y remedier >, puis sur la faqon de mettre a l'epreuve ces conjectures d'une maniere prudente en introduisant de petits changements. Ce qu'on apprend des succes et des echecs de ces tests est d'une application limitee-non seulement parce que les situations pratiques sont complexes au point que jamais deux cas ne seront semblables, mais aussi parce que la nouvelle connaissance elle-m&me (comme toute autre connaissance que nous acquerons) a un effet de retroaction sur la situation. C'est ainsi qu'on construit une espece de folklore oui tradition portant sir des choses qui ont marchi oi qui n'ont pas marchi dans le passe, mais on pent ai peine appeler ceci irne science systimatique de la socidte. 13

11 Dahl et Lindblom, par exemple, ont explicitement affirm6 que ces deux orientations ont beaucoup en commun (Robert A. Dahl et Charles E. Lindblom, Politics, Economics, and Welfare [New York: Harper Torchbooks, 1963] 82 [note]). N6anmoins, il n'y a aucune indication qu'ils soient conscients des diff6rences importantes examin6es dans cet article.

12 I1 ecrit, par exemple, dans La Misere de I'historicisme: o La maniire d'aborder un probleme pour le piecemeal social engineer est la suivante. Quoiqu'il puisse ch6rir des ideaux qui touchent la societe <dans son ensemble>>-son bien-&tre par exemple-il ne croit pas a la methode de la reconstruire en totalit6. Quelles que soient ses fins, il essaie de les r6aliser par de petits remaniements et r6glages qui permettent une amelioration continuelle >> (Karl R. Popper, The Poverty of Historicism [2e ed.; London: Routledge and Kegan Paul, 1969, 66 [traduction de I'auteur]). Ou comme il 1'ecrit dans La Societe ouierte et ses ennemis : << L'existence de maux sociaux ... peut etre relativemnent bien 6tablie. ... Il est infiniment plus difficile de raisonner sur une societe id6ale. La vie sociale est si compliqu6e que peu de gens ou meme personne ne pourrait juger un photocalque (blueprint) pour la reconstruction de la soci6te a grande 6chelle. ... Par contraste, des plans pour de petits remaniements sont simples. ... S'ils echouent, les dommages ne sont pas tellement graves, et la reparation peu difficile >> (Popper, Open Society 1, 159).

13 N. Koertge, << On Popper's Philosophy of Social Science ,,, in Kenneth F. Schaffner

This content downloaded from 195.78.109.149 on Mon, 9 Jun 2014 20:08:01 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 12: L'aspect radical et révolutionnaire de la théorie sociale et politique de Popper

La thelorie sociale et politique de Popper 513

Donc, en depit de l'insistance de Popper sur l'unite methodologique des sciences naturelles et sociales,14 Koertge voit des diff6rences interessantes entre la theorie methodologique que Popper a developpae pour les sciences naturelles et ses recommandations pour les sciences sociales. De meme, plus fondamentalement peut-&tre, elle remarque qu'alors que Popper propose d'encourager l'accroissement rapide de nos connaissances en sciences naturelles, ses recommandations methodologiques pour les sciences sociales < visent manifestement I'am6lioration de la condition humaine >>.15

L'analyse de Koertge manifeste une confusion courante entre deux aspects allies et partiellement interd6pendants de la pensee de Popper sur la theorie/science de la politique et de la societe, qui sont neanmoins distincts et analytiquement separables. II y a, d'un c6tk, sa philosophie des sciences theoriques et, de l'autre, celle des sciences appliquees. Et quoique Popper lui-meme fasse soigneusement la distinction entre ces deux aspects de sa pensee, il existe plusieurs raisons qui font que la distinction et sa portee sont souvent

neglig6es-mmme par des lecteurs attentifs de ses oeuvres.

Sources de la confusion

Cette confusion provient, en partie, des raisons pour lesquelles Popper s'est mis 'a proposer ses id6es sur la philosophie des sciences sociales dans ses oeuvres. Le fait que ces oeuvres soient d'un caractere polemique n'est pas important dans le contexte actuel: par contre, le caractere de la cible de sa pol6mique influence le caractere de cette critique d'une maniere importante. Dans La Misere de I'historicisme, de meme que dans La Socikte ourerte et ses ennemis, Popper critique ce qu'il appelle les theories de 1'<< Utopian social engineer- ing >>-c'est-a-dire, les theories de l'edification utopiste. II s'agit des theories qui visent a la reconstruction de l'ensemble de la societe selon un plan ou un photocalque bien specifi,"16 theories dont on dit qu'elles sont fondees sur << l'autorit6 de la science >. Popper qualifie ces theories de << pseudo-scientifiques >> et c'est contre elles qu'il developpe son alternative-l'6dification (par interventions limitees)-dont il dit, par contraste avec l'edification utopiste, qu'elle est toute en harmonie avec une comprehension correcte de l'esprit et de la methodologie de la science contemporaine et de ses applications a la reconstruction de la soci6te. En d'autres termes, c'est la modestie et la faillibilit6 de la science-son caractere d'essai et d'erreur-qui sont soulignees. I1 s'agit aussi des arguments concernant les limites

et Robert S. Cohen (dirs.), PSA 1972, Boston Studies in the Philosophy of Science 20 (Dordrecht-Holland: D. Reidel, 1974), 202 (traduction et accentuation de l'auteur).

14 Popper, Poverty, 130-42. 15 Koertge, << On Popper's Philosophy of Social Science >>, 205. 16 Popper, Poverty, 67.

This content downloaded from 195.78.109.149 on Mon, 9 Jun 2014 20:08:01 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 13: L'aspect radical et révolutionnaire de la théorie sociale et politique de Popper

514 FRED EIDLIN

inherentes 'a la science sociale-Popper affirme, par exemple, que << presentement les connaissances sociologiques necessaires pour la reconstruction Ba grande echelle n'existent pas >>.17 Les arguments de Popper en disent beaucoup sur la philosophie de la science sociale qui soutiendrait une science sociale theorique audacieuse et imaginatrice. Mais Popper n'a jamais organise ces idees dans une critique dirig6e contre la sterilit6, la timidit6, et le caractere non-theorique d'autant de science sociale actuelle.

Science theorique contre science appliquee, technologie et construction

Une autre raison pour laquelle la signification de la diff6rence est si souvent ignoree entre la science theorique d'un c6t6, et la science appliquee, la technologie et 1'<< engineering >>, de l'autre, est que ces expressions sont couramment confondues les unes avec les autres dans l'usage ordinaire. Joseph Agassi affirme mime que la litterature de la philosophie de la science ignore absolument cette distinction, confondant habituellement la science pure avec la science appliquee et les deux avec la technologie.18

Mais cette distinction est essentielle pour comprendre comment la theorie de la methode scientifique de Popper-<< une theorie des revolutions scientifiques et intellectuelles >>9--peut tre appliquee

' la science sociale (et, dans un sens, 'a la theorie sociale) et, en meme temps, etre en harmonie avec la theorie des petits remaniements (ou theorie sociale dans un autre sens). La comprehension de cette distinction et aussi des similarites et relations reciproques entre ces deux aspects de la theorie sociale et politique de Popper pourrait aider a rehabiliter la possibilite de planifier et d'executer des reformes fondamentales et globales de la societe, qui seraient guidees et informees par une theorie sociale et politique gen6rale et plausible.

11 faut voir, tout d'abord, la distinction entre la connaissance theorique et appliquee, et pourquoi cette distinction est importante dans le contexte actuel. Quand une decision doit tre prise pour savoir si oui ou non on peut appliquer quelque connaissance que l'on croit susceptible de produire des consequences indesirables pour la vie des gens, la question suivante se pose inevitablement: jusqu'a5 quel point peut-on avoir confiance en la veracite de ces connaissances? En particulier, peut-on &tre suffisamment certain pour justifier les risques qui sont en jeu? Parce que la connaissance humaine est faillible, les risques sont inevitables. On doit se demander comment on peut evaluer 17 Popper, Open Society 1, 161. 18 Joseph Agassi, << The Confusion between Science and Technology in the Standard

Philosophies of Science, ,> dans Joseph Agassi, Science in Flux (Dordrecht-Holland: D. Reidel, 1975), 283.

19 Popper, << Reason or Revolution >>, dans Theodor W. Adorno, et al., traduit par Glyn Adey et David Frisby, The Positivist Dispute in German Sociology (London: Heinemann, 1976), 291.

This content downloaded from 195.78.109.149 on Mon, 9 Jun 2014 20:08:01 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 14: L'aspect radical et révolutionnaire de la théorie sociale et politique de Popper

La theorie sociale et politiqIue de Popper 515

les risques avec suffisamment d'attention, et quels risques sont acceptables. Popper indique que le degre de certitude exige depend de

l'importance attachee a la verite ou faussete de ce que l'on croit. Dans notre vie quotidienne, un degre de certitude assez faible suffit dans la plupart des cas. Mais si la v6rite ou la fausset6 d'une conviction peuvent tirer a consequence, il faut prendre des moyens pour &tre aussi stir que possible. Popper ecrit, par exemple:

Si quelqu'un me demande, << &tes-vous certain que cette piece, dans votre main, est une piece de dix sous? >>, je la regarderai peut-etre de nouveau avant de dire, << oui >. Mais si de mon jugement dependent certaines choses, je prendrai la precaution d'aller a la banque la plus proche et je demanderai au caissier de regarder la piece de pres; et si la vie d'un homme en dependait, je m'efforcerais d'atteindre le caissier en chef de la Banque d'Angleterre et de lui demander de certifier l'authenticite de la piece.20

Nous avons donc note les limites imposees a la reconstruction sociale par le manque de certitude des connaissances sur lesquelles une telle reconstruction devrait &tre fond6e. Une limite cruciale est pos6e par le niveau de risque juge acceptable tout en consid6rant la plus ou moins grande certitude des connaissances. C'est pour cette raison que l'ingenieur social ne peut habituellementjustifier que la mise a l'epreuve de modestes hypotheses technologiques

' petite echelle.

11 faut souligner qu'on rencontre le meme problkme dans toutes sortes d'<< engineering >, de technologies et de sciences appliquees. En se servant des connaissances theoriques de la physique pour la construction d'un pont ou d'un avion, par exemple, il faut prendre des

d6cisions en ce qui concerne la certitude de ces theories physiques si on a l'intention de les appliquer. De la meme maniere, que ce soit en biochimie, en pharmacologie ou en medecine, il faut prendre des decisions quant h l'6lement de risque qui est lie6 l'incertitude des connaissances theoriques qu'on veut appliquer, comme l'ignorance des consequences non-intentionnelles, non-prevues et non-voulues d'une telle application. Afin de faire face aux risques associes a la science appliqu6e, a la technologie et h 1'<< engineering >, les soci6tes se servent d'une variete de moyens pour reduire les risques a un niveau acceptable. Ces moyens comprennent, par exemple, des institutions (codes, licences, lois) qui gouvernent le degrr de risque permis aux

decideurs--medecins, ingenieurs, politiciens, et ainsi de suite. Les ingenieurs s'efforcent de reduire le risque a un niveau tolerable en se servant de moyens tels que des hypotheses technologiques a port6e limitee ou en s'appuyant sur des standards etablis par leurs professions, gouvernements, et ainsi de suite.

11 faut remarquer aussi que les tests de certaines hypotheses en sciences naturelles, tout comme les tests de certaines hypotheses en

20 Popper, << Two Faces of Common Sense >, dans Objective Knowledge (Oxford University Press, 1972), 18 (traduction de l'auteur).

This content downloaded from 195.78.109.149 on Mon, 9 Jun 2014 20:08:01 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 15: L'aspect radical et révolutionnaire de la théorie sociale et politique de Popper

516 FRED EIDLIN

sciences sociales, peuvent aussi amener a penser que la certitude des theories qui informent ces tests peut devenir une question importante. Par exemple, du moment ou la theorie scientifique de la fission nucleaire a existe, il a fallu prendre une decision sur le dilemme de la mettre oui ou non a l'6preuve en provocant une reaction en chaine. Or, on ne pouvait pas etre certain qu'une reaction nucleaire pourrait &tre contr6lee.

Tout ceci implique que, lorsque l'utilisation de nos connaissances theoriques est en jeu, la question de certitude peut etre pertinente et importante. Et dans les cas oii une telle utilisation entraine des risques pour d'autres gens, il y a un 6lement moral important dans la decision d'accepter un certain degre de risque.

Dans la science theorique, au contraire, a l'exception de certaines especes de tests qui sont des applications des connaissances, la faillibilite de la connaissance humaine a des consequences tout a fait

diff6rentes. Etant donne que les hypotheses et theories erronees peuvent etre eliminees sans nuire a qui que ce soit, la raison principale de se preoccuper d'6viter les erreurs disparait. En verit6, plus on fait d'erreurs, plus on a l'occasion d'ameliorer ses theories. Done du point de vue de Popper, en sciences theoriques, << there is nothing wrong with being wrong >> (il n'y a pas de mal a se tromper). << L'histoire de la science >>, 6crit-il, << comme l'histoire de toutes les idees humaines, est une histoire de reves irresponsables, d'obstination et d'erreur >>.21 Tout en admettant que << la taiche de la science est la recherche de la verite'-c'est-a-dire la recherche de theories vraies >>, il affirme que, dans la science, nous voulons plus que << la verite pure et simple >>; nous voulons << la verite interessante >>.22 Une conjecture audacieuse qui tente de resoudre un problteme interessant est beaucoup plus interessante que << n'importe quel recit d'affirmations vraies mais non-interessantes >>. Une telle conjecture audacieuse est pre6frable, meme si elle devait rapidement se r6v6ler fausse, puisque c'est de cette maniere que nous tirons des legons de nos erreurs. En apprenant que notre conjecture est fausse, nous en apprenons beaucoup sur la verite.23

La science sociale et la science politique et leur relation avec la theorie sociale et politique

Apres avoir examine le caractere de la distinction que fait Popper entre la science theorique et la technologie, il devrait &tre evident que faire des hypothe'ses et 6laborer des theories dans les sciences theoriques n'est pas soumis aux memes contraintes que dans la technologie sociale et

21 Popper, << Truth, Rationality, and the Growth of Knowledge >>, dans Popper, Conjectures and Refiutations: The Growth of Scientific Knowledge (New York: Harper Torchbooks, 1968), 216.

22 Ibid., 229. 23 Ibid., 230-31.

This content downloaded from 195.78.109.149 on Mon, 9 Jun 2014 20:08:01 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 16: L'aspect radical et révolutionnaire de la théorie sociale et politique de Popper

La thdorie sociale et politique de Popper 517

politique. Bien suir, Popper preconise ce qu'il appelle << la manieire technologique d'aborder la science sociale et la technologie sociale >>. Mais il y a une relation reciproque entre la science et la technologie. Pour Popper, la science sociale devrait commencer avec des problemes pratiques. Ceci exprime sa conviction: << qu'une methode de petits remaniements ... >> combinee avec l'analyse critique est la meilleure voie pour mener aux resultats pratiques dans les sciences sociales, comme dans les sciences naturelles. Les sciences sociales, affirme-t-il, ont volue surtout grace aux critiques des propositions qui visent a l'amelioration de la soci6te ou, plus precisement, grace aux efforts qu'on fait pour decouvrir si, oui on non, un plan 6conomique ou politique va aboutir aux resultats desires >>.24

Il1 y a, dans cette prescription, un element 6thique: la science devrait commencer par des probleimes pratiques puisqu'il y a un besoin de les r6soudre. Mais, en plus, il y a des arguments qui affirment que cette methode technologique va aboutir

' une science sociale plus

f6conde. La methode technologique << impose une discipline a nos speculations ... puisqu'elle nous force a soumettre nos theories aux standards de clarte et de testabilite pratique >>. Loin d'6liminer les problemes theoriques, Popper affirme: << C'est une de mes theses principales que la m6thode technologique va probablement &tre f6conde en produisant des probllemes purement theoriques importants >>.25 I1 ajoute que ceci n'est pas tres diff6rent de la situation en sciences naturelles otI des problemes theoriques resultent souvent de problemes pratiques.2"

Koertge a donc tort d'affirmer que la << technologie sociale a petits pas >> de Popper aboutit purement et simplement a<< une sorte de folklore ou tradition >> qu'on << pourrait a peine appeler une science

systematique de la societe >>.27 En effet bien que Popper souligne le caracte're unique de chaque situation sociale, il devrait &tre evident

'

tous les lecteurs de La Misere de I'historicisme qu'il s'interesse beaucoup a la formulation de generalisations concernant la socie6t. Cet interet comprend la decouverte << des lois ou hypotheses sociologiques >> qui sont, affirme-t-il, semblables aux lois ou hypotheses des sciences naturelles.28 I1 y a, cependant, dans les sciences sociales, un interet beaucoup moins marqu6 pour les lois universelles que dans les sciences naturelles. Ceci s'explique par une difference d'interit explicatif. La plus grande partie de ce qu'on appelle << theorie >> dans les sciences sociales consiste en des reconstructions generalis~es de situations ou contextes ou conditions typiques de diff6rents niveaux d'abstraction.29

24 Popper, Poverty, 58. 25 Ibid., 59. Voir aussi Popper, << Reason or Revolution >, 89. 26 Ibid., 134. 27 Koertge, << On Popper's Philosophy of Social Science >, 202. 28 Popper, Poverty, 62. 29 Popper, << La rationalit6 et le statut du principe de rationalit >>, dans Emil M. Classen

This content downloaded from 195.78.109.149 on Mon, 9 Jun 2014 20:08:01 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 17: L'aspect radical et révolutionnaire de la théorie sociale et politique de Popper

518 FRED EIDLIN

La theorie des organisations, par exemple, est un ensemble de

g6n6ralisations portant sur un type de contexte social. Un th6oricien des organisations peut s'int6resser

' l'organisation dans un sens tres large et

abstrait. 11 peut aussi s'interesser a un contexte organisationnel tres etroit, comme un ministeire d'un gouvernement, ou une section d'un ministe're, ou meme le rble d'un individu dans le ministere. II faut remarquer qu'il y a une continuite liant tous ces niveaux d'abstraction. D'un c6t6 la theorie de l'organisation au niveau le plus g6neral et abstrait peut contribuer a la compr6hension d'une organisation particuliere ou au r6le d'un individu qui en fait partie; de l'autre c6te, des

g6n6ralisations portant sur une organisation particuliere ou sur le r6le d'un individu unique peuvent contribuer a une connaissance gen6rale, abstraite et systematique des organisations.30

Les connaissances sociales scientifiques peuvent s'accroitre et peuvent &tre amelior6es par des mises a l'epreuve d'hypotheses technologiques limitees. Plus l'etat des connaissances sociales scientifiques s'ameliorera, plus les tentatives pour changer la societe seront inform6es. Assur6ment, la science sociale n'est qu'une partie de la theorie politique. Meme si nous connaissions les regularit6s et les

propri6t6s causales de l'ordre social et politique, nous ne saurions pas quels buts il nous faudrait poursuivre (quoique de telles connaissances puissent 6tablir des limites a nos actions). La science sociale ne peut pas non plus nous indiquer quels moyens sont permis et quels risques sont acceptables dans la poursuite de ces buts. De telles decisions ont un caractere irreductiblement moral et politique. En d'autres mots, la theorie sociale et politique-comme theorie technologique ou theorie d'action-doit necessairement avoir une dimension ethique. Et celle-ci ne peut pas &tre deriv6e de la science sociale.31 En mime temps, toute theorie sociale et politique adequate doit prendre en consideration les connaissances des regularit6s et proprietes causales de la soci6te que la science sociale a su d6gager.

Conclusion

Puisque dans les pages pr6cedentes, la th6orie r6volutionnaire a 6t6 l'objet de critiques, le lecteur de cet expose pourrait se demander pourquoi le titre fait mention d'un << aspect r6volutionnaire radical de

(dir.), Les fondements philosophiques des syst'mes economiques (Paris: Payot, 1967), 142.

30 Fred Eidlin, o Area Studies and/or Social Science: Contextually-limited Generalizations Versus General Laws >>, dans Fred Eidlin (dir.), Constitutional Democracy: Essays in Comparative Politics (Boulder: Westview Press, 1983), 199-216. Voir aussi Fred Eidlin, o Soviet Studies and <<Scientific> Political Science >>, Studies in Comparative Communism 12 (1979), 133-43.

31 Voir, par exemple, Fred Eidlin, o Popper's Fact-Standard Dualism Contra <Value-Free> Social Science >>, Social Science Quarterly 64 (1983), 1-18.

This content downloaded from 195.78.109.149 on Mon, 9 Jun 2014 20:08:01 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 18: L'aspect radical et révolutionnaire de la théorie sociale et politique de Popper

La thliorie sociale et politique de Popper 519

la theorie sociale et politique de Popper >>.3 Ce titre pourrait paraitre particulierement curieux parce que les idees de Popper exposees dans cette etude semblent clairement constituer, dans 1'ensemble, une theorie de reforme liberale et evolutionnaire. Certains lecteurs pourraient meme percevoir une similarite marquee entre les arguments avances ci-dessus, portant sur les contraintes 6thiques limitant la reconstruction sociale qu'implique la faillibilite de la connaissance humaine, et le type d'arguments que les conservateurs opposent volontiers aux projets de reformes liberaux-et encore plus aux projets de revolution radicale.

En conclusion, donc, nous tenterons de faire le lien entre les divers points discutes en indiquant pourquoi il serait inapproprie de caracteriser la theorie de Popper de conservatrice. Nous suggererons ensuite pourquoi, dans un sens important, cette theorie peut &tre considere comme radicale et revolutionnaire.

Avant tout, pourquoi la theorie n'est-elle pas conservatrice? Comme les conservateurs, pourtant, Popper souligne fortement l'importance de la tradition. Mais, contrairement

. la plupart des

conservateurs, il rejette l'idee que la tradition ne puisse pas &tre transformee par une theorie rationnelle, qu'elle joue un r6le important dans la societe mais qu'elle doive &tre consideree comme sacree.33 En depit des limites de la raison et de la connaissance humaine, il est possible d'adopter une attitude critique, meme h l'6gard de la totalite d'une tradition. Evidemment, <( nous devons connaitre et comprendre une tradition avant de pouvoir dire : nous rejetons cette tradition sur des bases rationnelles, mais nous pouvons nous lib6rer nous-memes des tabous d'une tradition, et reflechir de maniere critique pour savoir si nous devons l'accepter ou la rejeter >>.3 E-videmment, nous pouvons decider d'accepter une tradition de imanife re critique au lieu de la rejeter de manitere critique. Mais le point important qu'il faut souligner ici est qu'une telle position est tout a fait ouverte a la possibilite d'une theorie normative anti-traditionaliste. D'ailleurs, dans la conception de Popper, les traditions sont des phenomenes qui peuvent etre connus et

compris-pr6cisement grace au developpement d'une science sociale theorique. Autrement dit, la mise en garde morale de ne pas toucher a la societe ni ' ses traditions repose en grande partie sur les limites de la connaissance. Mais il s'agit

1. d'une restriction d'ordre pratique plut6t

que d'une prohibition de principe. L'amelioration des connaissances est primordiale dans la theorie de Popper, et une meilleure connaissance

32 Nous avons ete surpris de decouvrir que notre usage du terme < radical >> par rapport a la theorie de Popper n'etait pas aussi idiosyncratique que nous le pensions. Bryan Magee ecrit: << Mon sujet de discussion de plus longue date avec Popper ige concerne son refus de reconnaitre les consequences radicales de ses idWes dans la politique actuelle > (Popper [Glasgow: Fontana/Collins, 1975], 84).

33 Popper, o Rational Theory of Tradition >>, 120. 34 Ibid., 122 (traduction de l'auteur).

This content downloaded from 195.78.109.149 on Mon, 9 Jun 2014 20:08:01 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 19: L'aspect radical et révolutionnaire de la théorie sociale et politique de Popper

520 FRED EIDLIN

peut permettre des formes de construction sociale qui n'auraient pas 6t6 justifices auparavant.

En deuxieme lieu, nous voulons noter que l'objection centrale de Popper a la theorie radicale r6volutionnaire consiste a dire qu'on ne peut pas justifier la tentative de realiser des projets utopiques, et ceci en vertu des limites de la connaissance humaine. La technologie sociale, 6crit-il, << peut aborder un probleme avec un esprit ouvert quant l' I'chelle de la r6forme >>. L'utopiste, au contraire, << a d6cid6 au prealable qu'une transformation complete est possible >>, et il est pourtant plein de prejuges << contre certaines hypotheses qui posent des limites au

contr61e institutionnel >>.35

Dans ce sens, en prenant les mots << radicale >> et << revolutionnaire >> dans quelques-uns de leurs usages communs (pas tous, il est vrai), nous pouvons dire que de tels genres de r6forme peuvent &tre tout h fait en accord avec la theorie popperienne de la technologie sociale, si nous laissons de c6t6 sa theorie de la science sociale.

Evidemment, la theorie sociale et politique de Popper n'est pas li~e a priori h un changement radical, r6volutionnaire. En fait, elle pr6sente des arguments qui montrent pourquoi un tel changement devrait etre 6vite, si possible-en particulier le changement soudain et violent. En

consequence, si l'on decouvrait, dans le processus de la recherche sociale scientifique et de la technologie sociale graduelle (piecemeal), que de tels changements sont necessaires, le theoricien social serait oblige de chercher les moyens de les mener a bonne fin-les

consequences morales du fait de prendre des decisions sur la base d'une connaissance limitee 6tant toujours omnipr6sentes dans son esprit.

35 Pobpper, Poverty, 69.

This content downloaded from 195.78.109.149 on Mon, 9 Jun 2014 20:08:01 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions