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Travaux Pratiques de psychologie expérimentale Dr. R. Maurer & Dr. B. Baumberger Régine Niba, Philippe Robert, Cyril Rebetez L’asservissement de la position de la tête, de la vitesse et de la durée de la séquence dans une tâche de Wayfinding.

L’asservissement de la position de la tête, de la vitesse

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Page 1: L’asservissement de la position de la tête, de la vitesse

L’asservissement de la position de la tête, de la vitesse et de la durée de la séquence dans une

tâche de Wayfinding.

Régine Niba, Philippe Robert, Cyril Rebetez

Travaux Pratiques de psychologie expérimentale

Dr. R. Maurer & Dr. B. Baumberger

Page 2: L’asservissement de la position de la tête, de la vitesse

Table des Matières

INTRODUCTION................................................................................................................................................. 1

PERCEPTION ET ACTION....................................................................................................................................... 1

LA PERCEPTION DU MOUVEMENT ........................................................................................................................ 2

Le heading et le wayfinding........................................................................................................................... 3

LE COUPLAGE PERCEPTIVO-MOTEUR................................................................................................................... 5

MÉTHODE............................................................................................................................................................ 7

POPULATION : ..................................................................................................................................................... 7

VARIABLES INDÉPENDANTES : ............................................................................................................................ 7

VARIABLE DÉPENDANTE : ................................................................................................................................... 7

VARIABLES CONTRÔLÉES ET NEUTRALISÉES ....................................................................................................... 8

VN.................................................................................................................................................................. 8

VC.................................................................................................................................................................. 8

HYPOTHÈSES OPÉRATIONNELLES. ....................................................................................................................... 8

DESCRIPTION DU MATÉRIEL : .............................................................................................................................. 9

DISPOSITIF EXPÉRIMENTAL ................................................................................................................................. 9

-Asservissement de la position de la tête : ..................................................................................................... 9

- Vitesse de déplacement et durée de la séquence: ...................................................................................... 10

- Items.......................................................................................................................................................... 10

PROCÉDURE : .................................................................................................................................................... 11

RÉCOLTE DES DONNÉES. ................................................................................................................................... 11

RÉSULTATS....................................................................................................................................................... 12

EFFETS PRINCIPAUX ET INTERACTIONS DES VARIABLES INDÉPENDANTES ......................................................... 12

Durée de la séquence................................................................................................................................... 12

Asservissement de la position de la tête et de la vitesse .............................................................................. 13

Interactions.................................................................................................................................................. 13

RÉSULTATS DU QUESTIONNAIRE ....................................................................................................................... 14

Le choix de la durée de la séquence ............................................................................................................ 14

Asservissement de la position de la tête ...................................................................................................... 15

L’asservissement de la vitesse ..................................................................................................................... 15

DISCUSSION ...................................................................................................................................................... 16

LE CONTRÔLE DE LA DURÉE DE LA SÉQUENCE................................................................................................... 16

LES AUTRES POSSIBILITÉS D’ASSERVISSEMENT ................................................................................................. 17

SOURCES D’ERREURS DES SUJETS...................................................................................................................... 19

CONCLUSION..................................................................................................................................................... 20

BIBLIOGRAPHIE.............................................................................................................................................. 21

Page 3: L’asservissement de la position de la tête, de la vitesse

Résumé

Dans la littérature, les liens entre l’action et la perception dans des tâches de wayfinding ont

été encore peu étudiés. Dans cette étude nous nous sommes donc proposés d’examiner les

capacités des sujets à retrouver leur chemin dans un environnement virtuel dans diverses

modalités d’asservissement de leurs mouvements : asservissement de la position de la tête, de

la vitesse de déplacement et choix de la durée de la séquence.

Un paradigme présentant une forêt de cinq arbres vers laquelle le sujet se déplaçait a été

utilisé. La tâche du sujet était d’orienter sa trajectoire vers un arbre précis, la précision de

cette orientation dans les différentes conditions a alors pu être mesurée.

Les résultats ont été calculés à partir d’une population de 12 sujets étudiants (6 hommes et 6

femmes) âgés entre 21 et 37 ans. Le seul résultat significatif va dans le sens contraire de nos

hypothèses : le choix de la durée de la séquence a un effet négatif sur les performances.

L’asservissement de la position de la tête ainsi que l’asservissement de la vitesse, comme les

diverses interactions possibles n’ont pas un effet significatif sur les performances.

Ces résultats vont dans le sens d’une absence d’utilité du couplage visuo-moteur au profit

d’indices visuels seuls. Toutefois, il est possible d’imputer ces résultats à un trop grand

nombre de variables d’asservissement simultanées créant une interface trop lourde à maîtriser

pour le sujet, et à un mauvais calibrage du matériel. Nous proposons donc de réitérer

l’expérience en allégeant le dispositif avant de tirer d’autres conclusions.

(255 mots)

Page 4: L’asservissement de la position de la tête, de la vitesse

Introduction

Perception et action La perception sert à tout être vivant, elle est son lien avec l’environnement. Son rôle est un

apport continu d’informations à l’organisme. De l’autre côté, l’animal peut agir ou réagir par

le biais de l’action. Perception et action sont déjà intimement liées, simplement de part le fait

qu’elles se servent l’une de l’autre et se complètent. La perception sert donc au contrôle de

l’action. Berthoz (1997) affirme même que la perception est une « action simulée », donc

qu’elle n’existe que dans le but d’agir : percevoir quelque chose c’est penser comment agir

sur elle. Longtemps, on a cru que percevoir revenait simplement à tirer des informations

objectives de l’environnement pour obtenir une description générale de celui-ci. S’intéresser à

la perception visuelle en cours d’action, permet d’en révéler l’importance, en particulier à

travers ce mécanisme circulaire perception-action (Warren, 1995).

Le but de la perception n’est pas de fournir une description générale de la scène, mais plutôt

d’extraire de l’environnement, à chaque instant des informations bien particulières, qui sont

spécifiques à la tâche à accomplir. Ceci d’autant plus que les systèmes perceptifs sont

quantitativement imprécis et non-euclidien en ce qui concerne le système visuel, (Todd,

1995). De plus, les animaux sont généralement liés à l’environnement de deux manières :

d’une part en tirant de l’information de leurs systèmes perceptifs et d’autre part, en agissant

sur lui par le biais de systèmes effecteurs et locomoteurs, donc par l’action. Lors d’un

mouvement, l’environnement disponible change donc également la perception de celui-ci.

L’action génère de nouvelles informations qui peuvent, à leur tour, servir à exécuter un autre

mouvement et ainsi de suite. Cette circularité montre que la perception s’inscrit dans une

continuité temporelle et ne donne pas lieu simplement à une succession de « percepts »

instantanés (Shaw, Turvey & Mace, 1981). Les jugements peuvent être qualitatifs ou même

ponctuellement erronés, mais ils se précisent et s’inscrivent dans la continuité de l’interaction

entre l’animal et son environnement. C’est d’ailleurs ce qui est à l’origine de l’adage de

Gibson : « We perceive in order to move but we must also move in order to perceive »

(Gibson, 1979).

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Page 5: L’asservissement de la position de la tête, de la vitesse

En s’intéressant plus précisément à un niveau locomoteur et postural de l’action sur

l’environnement, Warren (1995) distingue quatre grands systèmes perceptifs impliqués : 1) Le

système visuel ; 2) le système vestibulaire (canaux semi-circulaires et otolithes) ; 3) le

système somato-sensoriel (récepteurs musculaires, articulatoires et cutanés) ; 4) le système

auditif. Les systèmes visuels et auditifs ont des rôles plus prospectifs et anticipatoires alors

que les systèmes vestibulaires et somato-sensoriels sont plus mécaniques et fournissent de

l’information sur l’action en cours et sur d’éventuelles perturbations. En situation ordinaire,

ces quatre systèmes donnent une information redondante mais, en cas de conflit, certains

systèmes peuvent prendre le pas sur d’autres. Il semble que la locomotion et la posture soient

d’abord influencés par la vision et le système somato-sensoriel.

La perception du mouvement Gibson (1950) met déjà en évidence l’évolution que subit l’information visuelle lors du

déplacement de l’observateur. Lors d’un mouvement rectiligne les éléments du champ visuel

se déplacent dans le sens inverse de la direction de mouvement, c’est-à-dire en s’éloignant du

point de l’horizon vers lequel l’observateur se dirige. Ce point est appelé focus d’expansion.

Une variation de la position sur la rétine du focus d’expansion indique un changement de

direction de mouvement. En fait, on distingue trois flux (Cutting, Springer, Barren & Johnson,

1992), le flux rétinien correspondant à la totalité des éléments projetés sur la rétine,

relativement à la direction du regard (défilement de l’image sur la rétine) ; celui-ci se

compose de deux éléments :

1. Le flux optique proprement dit, découlant de la translation de l’observateur, on

peut y observer le focus d’expansion (donnant la direction de mouvement), et la

parallaxe de mouvement (les points se déplacent avec une amplitude inversement

proportionnelle à leur distance de l’observateur).

2. Le flux rotationnel résultant des rotations de l’observateur (lors d’un déplacement

non-rectiligne par exemple). Les mouvements de la tête et des yeux produisent

également ce type de flux, notamment lorsque le sujet ne regarde pas dans la

direction de son mouvement. Aucune information relative à la direction de

mouvement ou à la position en profondeur des éléments du champ n’est disponible

dans ce flux.

Flux rétinien = flux optique + flux rotationnel

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Page 6: L’asservissement de la position de la tête, de la vitesse

Le heading et le wayfinding

Afin de se déplacer sans heurts dans un environnement encombré, l’humain doit être

rapidement à même de dire si son mouvement propre (le heading) le conduit vers un obstacle.

Il semble que le temps nécessaire à la détection d’une éventuelle collision ainsi qu’au

changement de direction consécutif soit d’un peu plus de 3 secondes. Vishton & Cutting

(1995) montre que pour satisfaire cette exigence, un observateur doit être capable de

distinguer deux tracés écartés de 3° seulement lorsqu’il se déplace à la vitesse d’un joggeur

(2.5 m/s) (0.6° en cas de sprint à 10 m/s). Diverses études ont été menées pour tenter de

découvrir les indices sur lesquels se base l’humain afin de déterminer la direction de son

mouvement (on parle alors d’une tâche de wayfinding). Bien entendu, plusieurs théories ont

été proposées mais la plus probable se base sur le mouvement des objets (et non pas sur le

mouvement global du flux) flux (Cutting, Springer, Barren & Johnson, 1992; Vishton &

Cutting, 1995; Cutting, 1996; Cutting, Vishton, Flückiger, Baumberger & Gerndt, 1997;

Cutting, Wang, Flückiger & Baumberger, 1999; Cutting, Alliprandini & Wang, 2000)

D’après Vishton & Cutting (1995), la capacité à trouver son chemin est meilleure lorsque le

déplacement de l’observateur est plus rapide. Ces auteurs montrent que cette différence de

performance est plutôt due à l’augmentation des déplacements relatifs des stimuli

environnementaux (consécutivement à l’augmentation de la vitesse), qu’à l’augmentation de

leurs vitesses relatives. La vitesse de l’observateur a cependant bien une influence (mais

indirecte) sur ses performances. Ces chercheurs proposent ensuite une théorie qui n’est plus

issue de l’estimation basée sur les vecteurs de déplacement de multiples éléments du flux

optique (Cutting, 1996; Cutting, Wang, Flückiger & Baumberger, 1999), mais basée sur le

déplacement de quelques objets spécifiques du flux rétinien ainsi que de la connaissance de la

profondeur relative de tous ces objets (Vishton & Cutting, 1995, Cutting & Vishton, 1995).

Cutting, Springer, Barren & Johnson (1992) s’intéressent en premier lieu à la parallaxe de

mouvement différentielle (DMP) qui semble être un indice pertinent pour le wayfinding. Un

sujet en déplacement peut trouver sa direction de mouvement en utilisant les informations

issues de la vitesse et du déplacement relatif des objets proches et lointains par rapport à son

point de fixation. Le sujet qui fixe un point et qui le poursuit du regard durant son

déplacement, verra les objets les plus proches (en deçà de son point de fixation) se déplacer

dans le sens opposé et plus rapidement que les objets lointains (qui se déplacent dans le même

sens que le sujet). Le heading est donc opposé au déplacement des objets les plus proches.

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Page 7: L’asservissement de la position de la tête, de la vitesse

Ces mêmes auteurs montrent que dans des situations où les règles de la DMP sont violées, on

observe une chute des performances par rapport à celles où ces règles sont respectées. On peut

donc considérer que les observateurs en déplacement utilisent la DMP et que cette dernière est

un bon indicateur de performance dans une tâche de Wayfinding.

Puis, (Cutting, 1996; Cutting & al. 1997; Cutting, Wang, Flückiger & Baumberger 1999),

définissent plusieurs zones du champ visuel dans lesquelles les objets bougent de manière

identique sur la rétine.

Du côté droit de « l’axe du regard » et dans la partie proche de l’observateur, les objets

s’éloignent de l’axe en décélérant ; ce pattern spécifique, que Cutting nomme « outward

deceleration » (OD) s’explique par la dominance du champ du vecteur optique (extéroceptif,

induit par le mouvement de l’observateur) sur le champ rotationnel (induit par le mouvement

des yeux).

Toujours à droite de l’axe du regard, les objets plus lointains tendent à s’approcher de l’axe en

ralentissant ; ce pattern, « l’inward motion » (IM), naît de la dominance des vecteurs du flux

rotationnel sur le flux optique. On observe également l’IM dans la région gauche et à

proximité de l’axe de fixation. Les objets plus lointains (toujours à gauche de l’axe) sont,

quant à eux, dans une zone d’OD.

On voit que les objets proches et les objets lointains peuvent être tous deux soit en OD, soit en

IM. Il est à préciser qu’une connaissance de la profondeur de ces différents objets est requise

pour tirer parti de ces indices (ce qui n’était pas le cas pour la DMP). En outre, des objets

satisfaisant les règles de la DMP peuvent se situer soit en IM soit en OD; c’est pourquoi

l’information contenue dans la DMP peut être considérée comme étant orthogonale par

rapport à celle que recèlent l’OD et l’IM. Cutting et al. (1992) ré-analysent les données de

l’expérience et montrent que l’ajout de ces deux indices à la DMP permet d’expliquer

davantage de la performance des sujets (Cependant la DMP reste le meilleur indice, suivi de

l’IM, l’apport de l’OD restant quelque peu marginal).

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Page 8: L’asservissement de la position de la tête, de la vitesse

Toutefois, dans un article ultérieur (Vishton et Cutting, 1995), ces indices sont quelque peu

révisés ; sur la base des résultats de leurs expériences, on s’aperçoit que ce n’est pas le flux

qui importe dans les tâches de wayfinding, mais plutôt les déplacements rétiniens d’objets

particuliers à partir de localisations particulières. La DMP et l’IM ne seraient pas des sources

d’information en elles-mêmes. Pour le Wayfinding, il serait plus idoine de parler de

« differential parallactic displacements » (DPD) : lors d’une poursuite oculaire, les objets

proches se déplacent sur une plus grande distance et dans la direction opposée à celle des

objets lointains. De même, il conviendrait de parler de « Inward Displacements » (ID) lorsque

dans la poursuite, seuls les objets lointains se déplacent lentement vers la fovéa.

Cutting (1996) introduit un autre indice : la direction de déplacement de l’objet le plus grand.

(DDLO). Lorsqu’un observateur se déplace dans un environnement “encombré”, un objet

plus proche (généralement plus grand et plus rapide sur la rétine) que l’objet de fixation se

déplacera sur la rétine dans la direction inverse du heading. Les résultats de Cutting (1996),

Cutting et al. (1997) et surtout Cutting, Wang, Flückiger & Baumberger (1999), semblent

montrer que le DDLO est un bon prédicteur des performances. Selon d’autres auteurs (Kim,

Growney & Turvey, 1996), il pourrait même être substitué à la DMP puisqu’il offre une très

bonne corrélation avec cette dernière (bien qu’il n’explique pas autant de variance).

Les indices actuellement mis en avant par Cutting, Alliprandini & Wang (2000) sont en

premier lieu le DDLO, suivi de l’IM et de l’OD. Il est également à noter que l’IM et l’OD,

lorsqu’ils sont utilisables donnent avec certitude la direction de heading, sans ambiguïté

possible (on les appelle des invariants) alors que DDLO, expliquant cependant plus de

variance, n’est pas lié avec le heading par une corrélation maximale, c’est pourquoi on parle

d’une heuristique. Une exploration active du sujet est importante pour la perception spatiale,

environnementale et plus particulièrement en situation réelle donc naturelle (Gibson, 1962 ;

Peruch, Vercher, et Gauthier, 1995).

Le couplage perceptivo-moteur

Pour une perception optimale de l’environnement, les systèmes visuel et moteur de l’individu

doivent pouvoir interagir. Dans une expérience classique portant sur le couplage visuo-

moteur, Held & Hein (1963) ont placé deux chatons en face au même environnement visuel ;

le premier en situation d’interaction motrice et le second n’en bénéficiant pas de cette

expérience.

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Page 9: L’asservissement de la position de la tête, de la vitesse

Au cours de son développement, le premier animal a ainsi pu expérimenter les effets de

l’interaction entre ses propres déplacements et les flux visuels tandis que le second a reçu ces

informations par le biais de déplacements passifs. L’étude montre que le chat n’ayant pas

bénéficié de l’interaction visuo-motrice s’avère incapable d’éviter la collision avec les objets

de l’environnement lors de son déplacement dans l’espace. Une corrélation entre les

afférences visuelles et motrices doit s’opérer pour pouvoir se déplacer de façon adéquate.

Une expérience exercée en milieu virtuel menée par Peruch, Vercher, et Gautier (1995) porte

sur des sujets qui explorent un espace de manière active et d’autres de manière passive. Ils

devaient ensuite retrouver un objet donné par le chemin le plus court. Les sujets ayant pu

mener une exploration active montrent de meilleurs résultats que les sujets en exploration

dirigée. Une fois de plus, l’activité améliore la perception de l’environnement. Dans la même

lignée Lee et Lishman (1977) soulignent la pertinence de la perception induite par une

exploration active de l’environnement pour l’extraction d’informations invariantes et co-

variantes.

Ces diverses études ont mis en évidence le lien important entre le couplage perceptivo-moteur

et la perception visuelle. Ce lien n’a cependant été que peu exploré dans les tâches (plus

investiguées) de wayfinding : les études s’effectuent toujours à l’aide de simulations virtuelles

face auxquelles le sujet est plus ou moins passif et se contente de donner sa réponse. Si,

comme le disait Gibson et comme l’a rappelé Warren, la perception et l’action sont deux

éléments intrinsèquement liés, il peut sembler préjudiciable d’empêcher toute action du sujet

au cours d’expériences sur la perception. C’est pourquoi nous ré-investiguons ici ce domaine

de recherche en permettant cette fois aux sujets d’avoir un certain contrôle sur la scène qui

leur est présentée. Ainsi, nous pourrons rapprocher la simulation virtuelle d’une situation

certainement plus réelle et permettre d’approcher de plus près les mécanismes controversés

qui régissent la perception humaine.

Si le couplage visuo-moteur a une importance dans la perception de la direction du

déplacement propre, on peut s’attendre à ce que l’asservissement de la scène visuelle au

mouvement de l’observateur (aussi bien au niveau de la position latérale de sa tête que de sa

vitesse) influence directement les performances dans une tâche de wayfinding. D’autre part, si

on laisse au sujet l’opportunité d’être actif et de décider du moment de sa réponse, cela devrait

également influencer ses performances.

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Page 10: L’asservissement de la position de la tête, de la vitesse

Méthode

Population :

19 sujets : 7 hommes et 12 femmes, âgés entre 21 et 37 ans (m=24,37, e-t=3.52). Parmi ceux-

ci ; 17 sujets sont étudiants en psychologie en année de licence, 2 sont étudiants en première

année en sciences économiques et sociales. Sur les 17 étudiants en psychologie, tous à

l’exception d’un seul, suivent les travaux pratiques, au cours desquels les diverses recherches

sur le wayfinding ont été présentées. Au total, 74% des sujets avaient déjà participé à ce type

d’expérience.

Variables indépendantes :

1° Asservissement de la position latérale de la tête (A):

- Aucun

- Normal

- Exagéré

2° Vitesse (F):

- Fixe

- Asservie

3° Durée de la séquence (C) :

- Fixe

- Libre (choix propre au sujet)

Notre plan est entièrement intra : A3*F2*C2 avec donc 12 conditions par séquence, soit un

total de 48 présentations pour les 4 séquences (patterns de position d’arbres) différentes.

Variable dépendante :

- Erreur d’ajustement entre le heading et la direction de l’arbre (en degrés).

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Page 11: L’asservissement de la position de la tête, de la vitesse

Variables contrôlées et neutralisées

VN

• L’ordre de présentation des variables “asservissement de la position de la tête” et

“asservissement de la vitesse” ainsi que les 4 types de dispositions des arbres a été

déterminé aléatoirement par un programme informatique.

• L’ordre dans lequel les sujets passaient les deux modalités de la variable “durée de la

séquence” a été alterné.

VC

• Les deux parties étant identiques : les 24 séquences étaient composées par les modalités

des deux autres variables (asservissement de la vitesse et asservissement de la position de

la tête) : 2 X 3 X 4 (dispositions des arbres) = 24 séquences. La distribution des modalités

des variables se faisait de manière aléatoire à travers les items.

• Tous les sujets ont manié le joystick de la main droite (y compris les gauchers).

• Dans toutes les séquences, le heading de départ du sujet est écarté de 10 degrés du chemin

direct vers l’arbre central, tous les sujets commencent donc avec 10° d’erreur.

• Le départ de toutes les séquences se situe à 40m des arbres virtuels.

• La durée de toutes les séquences à durée fixe est de 24s. Il s’agit également de la durée

maximale de réponse dans la condition « durée libre ».

Hypothèses opérationnelles. Asservissement du regard : Plus le sujet contrôle son environnement visuel,

meilleures seront ses performances (plus les angles d’erreurs

d’ajustement seront faibles).

Taille de l’erreur : Aucun > Normal > Exagéré

Asservissement de la vitesse : Basé sur la même idée, plus le sujet peut contrôler son

déplacement (et donc ce qu’il voit), plus ses erreurs angulaires

seront faibles.

Taille de l’erreur : Non > Oui

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Page 12: L’asservissement de la position de la tête, de la vitesse

Durée de la séquenceDurée de la séquence : Le sujet peut lui-même choisir le moment où il arrête sa

progression. De cette manière, il ne risque pas d’être surpris par

la fin de la séquence au moment même où il ajuste sa direction,

risquant alors d’ajouter de l’erreur. Les performances en termes

de taille de l’erreur d’ajustement seront donc meilleures lorsque

le sujet sera libre de donner sa réponse quand il le veut.

entrée

487 cm

63 cm

516 cm

518 cm

écran

266 cm

Sujet

Joystick

Système d'asservissement

Plan du laboratoire

entrée

487 cm

63 cm

516 cm

518 cm

écran

266 cm

Sujet

Joystick

Système d'asservissement

Plan du laboratoire

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Taille de l’erreur : Fixe > Libre

Nous ne postulons pas d’interaction entre ces variables. Tous les facteurs étudiés peuvent

influencer indépendamment notre VD mais ils ne s’influencent pas les uns les autres.

Description du matériel : Un matériel relativement conséquent et

onéreux a été nécessaire pour cette

expérience puisque les séquences étaient

calculées en temps réel sur une console

silicon graphics en fonction des

informations provenant du joystick et du

casque d’asservissement (donnant à

chaque instant la position de la tête du

sujet grâce à un système d’ultrasons). La séquence en cours était projetée sur un écran géant

(1.55m * 2.17m). En outre, la simulation virtuelle était calculée pour le point de vue d’un

sujet ayant les yeux à 1.6m du sol et avec un angle de vue de 45° (Le sujet était donc placé à

4.24m de l’écran pour que son angle de vue corresponde à celui présenté). Le plan du

laboratoire ci-dessus permet d’avoir une bonne idée de la disposition des lieux.

Dispositif expérimental

-Asservissement de la position de la tête :

Un casque d’asservissement est placé sur la tête du sujet. Il est relié à un récepteur qui lui-

même est branché au dispositif informatique. Tout déplacement de la tête du sujet se répercute

sur la scène visuelle projetée à l’écran. Toutefois, pour que les déplacements de la tête

induisent un déplacement conséquent et perceptible sur la simulation visuelle, il faut que le

sujet déplace suffisamment sa tête latéralement.

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Page 13: L’asservissement de la position de la tête, de la vitesse

- Vitesse de déplacement et durée de la séquence:

Le joystick est placé sur un support à droite du sujet qui se tient en station debout, face à

l’écran, à une distance de 4.24 m de celui-ci.

Pour avancer, dans les essais en condition « avec asservissement de la vitesse », le sujet doit

incliner le joystick. Les fonctions de recul et de réglage de la vitesse de déplacement du

joystick sont désactivées.

Un bouton interrupteur permet au sujet d’arrêter la séquence en cours (dans la condition durée

libre) ; l’ordinateur poursuit alors en présentant la séquence suivante.

- Items

Chaque séquence comprend cinq arbres (trois bruns, un blanc et un noir). Leur disposition

varie selon les essais ; toutefois, l’emplacement des trois arbres bruns (comprenant l’arbre

central) disposés en ligne demeure constant. Autour de cet alignement gravitent deux autres

arbres (un noir et un blanc). Quatre dispositions différentes furent créées (c.f. annexe A). Ces

quatre dispositions se distribuent équitablement sur les 48 séquences expérimentales.

La présentation de ces 48 séquences se déroule en deux blocs de 24 items selon les modalités

de la VI « durée de la séquence ». Entre chaque séquence, apparaît un message, sur fond noir,

indiquant le numéro de la séquence suivante. Les deux blocs se divisent de la manière

suivante :

1° dans le premier bloc, une durée de 24s. est imposée aux sujets. Au terme de ce laps de

temps, l’ordinateur interrompt la séquence et passe à la suivante.

2° dans le deuxième, la durée de la séquence dépend du sujet. Il a à sa disposition, sur le

joystick, un bouton permettant d’interrompre la séquence. Si le sujet n’a pas actionné ce

bouton dans un laps de 24s, la séquence s’interrompt d’elle-même.

10

Page 14: L’asservissement de la position de la tête, de la vitesse

Procédure :

Le sujet commence par lire la consigne de l’expérience (cf. annexe B). Pour tous les items, la

tâche du sujet reste la même : il doit se diriger vers l’arbre central (toujours situé au milieu de

l’écran) parmi les cinq arbres virtuels.

Il est ensuite introduit dans la salle d’expérimentation, lumières éteintes; il se positionne face

à l’écran. Le joystick est placé à sa droite, sur un support. On lui rappelle brièvement les

conditions d’utilisation du joystick

Le casque d’asservissement est placé sur la tête du sujet, il est réglé de manière à diriger au

mieux la partie émettrice face au dispositif récepteur.

La consigne est répétée oralement au sujet, des précisions lui sont apportées quant à

l’utilisation du casque d’asservissement ainsi que sur les conditions d’arrêt de la séquence. Le

sujet débute ensuite l’expérience par une série de 6 tests dans le but de se familiariser avec le

matériel ; cela nous permet de vérifier que le sujet parvient à se diriger dans l’univers virtuel.

Nous profitons de ces essais pour inciter les sujets à utiliser les différentes possibilités

d’asservissement. L’expérience proprement dite peut alors commencer.

A la fin de la passation, le sujet remplit un questionnaire sur lequel figurent, outre le numéro

du sujet et l’heure de passation, des questions quant à son aisance à manier le matériel et son

appréciation des différentes conditions expérimentales (cf. annexe C).

Récolte des données.

Les données informatisées sont enregistrées automatiquement. Pour chaque séquence, deux

fichiers sont produits (96 fichiers par sujet). Le premier contient les mouvements du joystick

tout au long de la séquence, le second prend en compte les déplacements latéraux de la tête au

cours du temps. De plus, pour chaque bloc de 24 séquences, un troisième fichier comprenant

l’erreur d’orientation finale du sujet dans chaque séquence est crée. Au total, nous avons 98

fichiers par sujet. Dans un premier temps, nous concentrons notre attention sur ces derniers

fichiers et donc uniquement sur les erreurs d’ajustement des sujets. Les données sont mises en

forme sous Excel pour permettre un traitement inférentiel sous SPSS.

11

Page 15: L’asservissement de la position de la tête, de la vitesse

Résultats A l’examen du tableau comportant les résultats bruts des sujets (annexe D). Nous avons

constaté de nombreuses valeurs extrêmes (certains sujets ayant donné des réponses pouvant

aller jusqu’à 173.3° d’erreur !). Puisque l’erreur de départ est de 10 degrés, les dépassant cette

valeur ajoutent de l’erreur. Ce qui laisse supposer que soit ils n’ont pas compris la tâche, soit

qu’ils n’ont pu la mettre en œuvre pour une séquence donnée. Nous avons donc choisi

d’éliminer tous les résultats supérieurs à 10 degrés.

Ensuite, (annexe E) nous avons calculé les médianes pour chacune des modalités de chaque

condition (à partir des 4 dispositions d’arbres existantes, pour chaque condition

expérimentale). A ce stade nous avons dû éliminer 7 sujets (1 homme et 6 femmes), pour

chacun desquels toutes les médianes ne pouvaient être calculées en raison d’un trop grand

nombre de données extrêmes (donc éliminées) dans leurs résultats. La nouvelle population

(nommée par la suite « sujets retenus») était composée de 12 étudiants (6 hommes et 6

femmes), âgés entre 21 et 37 ans (m=24.33 ; e-t=4.25). Signalons encore que 58% des sujets

restants avaient déjà participé à ce type d’expérience.

Effets principaux et interactions des variables indépendantes

Durée de la séquence

Au niveau descriptif, une différence

semble se profiler. En effet, la

différence entre les moyennes est

relativement importante (mFixe = 3.15 ;

mLibre = 3.76) malgré des écart-types

d’ une certaine taille (e-tFixe = 1.93; e-

tLibre = 1.94). On remarque que c’est

dans les situations où la durée de la

séquence n’est pas choisie par le sujet que les performances, en terme de taille de l’erreur sont

les meilleures.

Erreur de réponse moyenne selon la durée de la séquence

0

2

4

6

Fixe Libre

Durée de la séquence

Erre

ur m

oyen

ne (°

)

D’un point de vue inférentiel, l’ANOVA à mesures répétées montre un effet significatif

(F(1,11) = 4.83 ; p =0.05). On obtient bien un effet du choix de la durée de la séquence sur les

performances du sujet. Les résultats complets sont disponibles en annexe F.

12

Page 16: L’asservissement de la position de la tête, de la vitesse

Asservissement de la position de la tête et de la vitesse

L’effet de ces deux variables n’a pas pu être démontré au niveau inférentiel. L’ANOVA à

mesures répétées (multivariate test) indique un effet non-significatif pour l’asservissement de

la position de la tête: F (2,22) = 4.83 ; p = 0.97, comme pour l’asservissement de la vitesse :

F(1,11) = 0.04 ; p = 0.95. Ces deux variables n’ont donc aucun effet sur les performances du

sujet.

Interactions

A ce niveau, aucune interaction n’est significative mais nous pouvons néanmoins remarquer

quelques tendances que nous jugeons intéressantes.

L’interaction entre l’asservissement de la

vitesse et la durée de la séquence nous

révèle que bien que les sujets soient

toujours meilleurs en condition « durée de

séquence fixe », cette variable différencie

encore moins les sujets lorsque la position

de la tête est asservie que lorsqu’elle ne

l’est pas. Les résultats sont moins bons lorsque la durée est libre et sont meilleurs lorsqu’elle

est fixe et ce de façon plus marquée lorsqu’il n’y a aucun asservissement de la vitesse. Mais

rappelons-le, cette interaction n’est pas significative (F(1,11) = 1.041, p = 0.329).

Interaction entre l'asservissement de la vitesse et la durée de la séquence

22,5

33,5

44,5

Non Oui

asservissement de la vitesse

Erre

ur m

oyen

ne (°

)

Fixe

Libre

D’autre part, l’interaction (toujours non

significative : F (2,22)= .77 ; p = 0.49)

entre l’asservissement de la position de la

tête et la durée de la séquence suggère

néanmoins que les sujets sont

systématiquement meilleurs lorsque la

durée de la séquence est fixe par rapport à

la condition « durée libre ». La différence

de performance est toutefois moins importante pour les conditions d’asservissement de la

position de la tête « normal » et « exagéré » que pour la condition « aucun asservissement ».

mo

Interaction entre l'asservissement de la tête et la durée de la séquence

22,5

33,5

44,5

Aucun Normal Exagéré

Asservissement de la position de la tête

Erre

urye

nne

(°)

Fixe

Libre

13

Page 17: L’asservissement de la position de la tête, de la vitesse

Résultats du questionnaire Grâce au questionnaire distribué aux sujets en fin d’expérience (annexe C), nous avons pu

recueillir les impressions « à chaud » des sujets, ainsi que quelques indications sur leur

habitude quant à ce type d’expérience ou encore, comme nous allons le voir, quant à

l’utilisation d’un joystick :

Fréquence d'utilisation d'un joystick chez les sujets retenus

Jamais84%

Parfois0%

Souvent8%

Un peu8%

Fréquence d'utilisation d'un joystick chez les sujets éliminés

Un peu0%

Souvent0%

Parfois14%

Jamais86%

La grande majorité des sujets ont déclaré ne jamais utiliser de joystick. 85% des sujets n’étant

pas familier avec ce type d’appareil. En réalité seuls 2 sujets parmi ceux qui ont été retenus en

utilisaient plus fréquemment. Il n’y a pas réellement de différence entre les sujets ayant

obtenu des résultats satisfaisants et les autres.

Le choix de la durée de la séquence

Préférence de condition de durée de la séquence chez les sujets retenus

Durée libre92%

Durée f ixe8%

Sans avis0%

Préférence de condition de durée de la séquence chez les sujets éliminés

Durée f ixe14%

Sans avis29%

Durée libre57%

Un autre résultat intéressant est que les sujets semblent avoir largement préféré les séquences

dans lesquelles ils pouvaient définir eux-mêmes le moment de donner leur réponse et passer à

la suite, sans devoir attendre la fin de la séquence.

N.B. les réponses « Sans avis » correspondent à des réponses de sujets n’arrivant pas à se

décider. Les sujets éliminés ont, pour certains (2 sujets), eu plus de peine à se décider.

14

Page 18: L’asservissement de la position de la tête, de la vitesse

Asservissement de la position de la tête

Utilisation de la possibilité d'asservissement de la position de la tête

chez les sujets retenus

Jamais 50%Un peu

33%

Parfois17%

Toujours0%

Utilisation de la possibilité d'asservissement de la position de la tête

chez les sujets éliminés

Un peu71%

Jamais 29%

Parfois0%

Toujours0%

Les sujets utilisent peu ou prou les mouvements de leur tête pour changer leur perception de

l’espace en mouvement. Remarquons également que les sujets éliminés indiquent plus

souvent avoir un peu utilisé cet asservissement. Les meilleurs sujets affirment quant à eux

n’avoir pas eu recours au dispositif.

L’asservissement de la vitesse

Utilisation de l'asservissement de la vitesse chez les sujets conservés

Parfois42%

Toujours50%

Un peu0%

Jamais 8%

Utilisation de l'asservissement de la vitesse chez les sujets éliminés

Parfois57%

Toujours29%

Jamais 0% Un peu

14%

Il semble évident que tout le monde ait, tant soit peu, utilisé cet asservissement, sinon auquel

cas, le mouvement aurait été nul. Mais il est impossible de dire si les sujets ont fait varier leur

vitesse au cours du temps ou s’ils ont utilisé le joystick pour avancer. Les réponses varient

cependant entre les « bons » et les « mauvais » sujets, ces derniers semblent plus modérés

quant à leur utilisation du joystick pour avancer.

15

Page 19: L’asservissement de la position de la tête, de la vitesse

Discussion Récapitulons donc : le seul résultat statistiquement significatif est l’effet simple de la durée de

la séquence. Les sujets sont en effet plus précis lorsqu’ils ne peuvent pas décider de la fin de

la séquence que lorsque c’est le cas. Cependant, ces résultats vont dans le sens inverse de

notre troisième hypothèse opérationnelle qui prédisait que les sujets feraient des erreurs

d’ajustement plus faibles lorsqu’ils sont maîtres de la durée de la séquence. Il semble donc

qu’il s’agisse du contraire.

Ainsi, tous les résultats expérimentaux vont dans le sens contraire de nos hypothèses

théoriques et rejettent donc la thèse de l’importance du couplage visuo-proprioceptif (Berthoz,

1997 ; Warren, 1995). Comme nous l’avons vu, les sujets obtiennent des résultats équivalents

qu’ils puissent utiliser des indices liés à leur mouvement ou non. L’apport du mouvement

pour une bonne perception est donc nul. Ces premières considérations nous mènent à penser à

une théorie de la perception du heading basée uniquement sur les flux visuels et non sur des

indices à la fois visuels et proprioceptifs. Nous nous positionnerions dans la lignée de Gibson

(1950, 1979) et de Cutting (1999). Néanmoins, comme nous allons le voir plus en détail, les

résultats ne mènent pas forcément à des conclusions aussi claires.

Le contrôle de la durée de la séquence Contrairement à notre hypothèse le contrôle de cette durée induit des résultats inférieurs aux

conditions à durée fixe. Une tentative d’explication serait que comme tous les sujets

commencent à une grande distance des arbres, identique dans toutes les séquences (40m), La

nécessité pour le système cognitif d’évaluer une éventuelle collision n’est alors pas critique.

La vitesse du sujet n’est pas assez importante pour que, s’il continue ainsi, il risque de rentrer

dans un obstacle sans pouvoir l’éviter à temps. Vishton & Cutting (1995) ont souligné que le

temps nécessaire à la détection d’une collision est d’environ 3 secondes ; nos séquences

avaient une durée maximum de 24s. On peut donc penser que tant que le sujet n’est pas assez

près de l’arbre-cible (i.e. tant qu’il n’est pas à moins de 3 secondes de lui), le système cognitif

n’est pas très efficace pour déterminer si oui ou non il y aura collision (pour déterminer si le

heading est le même que la direction de l’arbre). Ce fait explicité, on peut alors admettre que

les sujets en condition « durée fixe », et qui s’avancent donc beaucoup plus près des arbres,

auront d’une part (1) plus de temps pour ré-évaluer et corriger leur heading (malgré le fait que

les sujets répondaient quand ils le voulaient – et non pas au plus vite - ; le but implicite est de

16

Page 20: L’asservissement de la position de la tête, de la vitesse

faire un compromis entre la qualité de la réponse et le temps qu’on y investit). D’autre part

(2), ils bénéficieront de plus d’amplitude de mouvement des divers indices cités par Cutting,

Alliprandini et Wang (2000) et ce durant plus longtemps. Enfin, (3) ils arriveront toujours

dans la zone temporelle des 3 secondes avant le contact, zone dans laquelle il est essentiel de

déterminer s’il y aura collision, zone donc dans laquelle on peut s’attendre à ce que le système

perceptif soit le plus efficace.

Notons encore que dans les réponses au questionnaire, les sujets ont, avec une grande

majorité, préféré la condition de « durée libre » (92% des sujets retenus). Il s’agissait pourtant

de la condition dans laquelle leurs résultats étaient les moins bons. Il nous semble difficile

d’expliquer cette préférence autrement que par l’aspect plus actif de ces conditions, moins

répétitives et donc plus ludiques. De plus le fait que des sujets aient pu vouloir écourter la

passation plaide également en faveur de ce type de réponse ; la condition leur permettant

d’avancer rapidement, des sujets ont pu la préférer. Cela expliquerait également la précision

moindre des sujets dans cette condition.

Les autres possibilités d’asservissement L’effet des deux autres variables (asservissement de la position de la tête et asservissement de

la vitesse) sur la précision des réponses d’ajustement n’a pas pu être démontrée. La possibilité

d’agir, par son action propre, sur sa perception, ne semble, une fois encore pas améliorer la

capacité de heading d’un sujet. Cependant, on peut émettre plusieurs réserves quant à la

validité de ce résultat (ou plutôt de cette absence de résultat).

1. Comme le déplacement des sujets n’était pas actif (au sens locomoteur), il est possible que

cela les ait retenus, ou en tout cas dérangés, de se pencher à droite ou à gauche comme ils

l’auraient fait à pied.

2. Les sujets étaient asservis avec du matériel qu’ils n’avaient pas l’habitude d’utiliser (si

84% des sujets n’utilisaient jamais de joystick, que dire d’un dispositif d’asservissement

de la position de la tête !). Bien que nous nous assurions que le sujet avait bien compris ce

qu’il pouvait faire, et malgré les essais effectués avant la passation proprement dite,

l’interaction du sujet avec les instruments restait prudente et mesurée. Plus d’entraînement

(bien que cela eût difficilement conduit à une automatisation, qui ne reflèterait d’ailleurs

plus forcément le comportement du sujet en milieu réel), ainsi qu’un meilleur calibrage du

dispositif pourraient certainement améliorer les performances.

17

Page 21: L’asservissement de la position de la tête, de la vitesse

3. Lorsque les sujets tentaient de bouger la tête, ils accompagnaient souvent ce mouvement

par un geste du poignet qui faisait dériver le joystick. Le calibrage de ce dernier étant

relativement « fort » un petit mouvement du poignet pouvait produire un grand

déplacement de la direction de heading. Le sujet était alors perdu ne sachant pas vraiment

à quoi imputer le changement de la scène visuelle (mouvement de la tête ou du joystick).

Devant être précis et rapides (surtout dans les conditions de durée libre), les sujets ne

s’encombraient pas d’essais risquant d’ajouter de l’erreur dans un dispositif qu’ils avaient

déjà de la peine à appréhender. En outre, le sujet ne connaissait pas à l’avance la modalité

des variables (asservissement de la tête et/ou de la vitesse); il lui aurait donc été

nécessaire, à chaque item, de faire un essai pour remarquer la présence ou l’absence de

l’asservissement, avec les conséquences que cela peut avoir pour ses performances.

4. Enfin, et surtout, les sujets n’utilisaient tout simplement pas les possibilités

d’asservissement ! On peut le voir dans le questionnaire : 50% des sujets n’utilisaient

jamais l’asservissement de la tête, 33% « un peu ». En ce qui concerne l’asservissement de

la vitesse, les sujets l’utilisaient peu, dans le sens qu’ils changeaient peu leur vitesse

pendant les séquences. Ce n’est pas ce qu’on peut voir dans les questionnaires (50% de

réponses « toujours » et 42% « parfois ») ; mais d’après nos observations et nos questions,

les sujets n’utilisaient pas vraiment l’asservissement puisqu’ils ne changeaient pas leur

vitesse de déplacement au cours du temps. Ils poussaient simplement le joystick au

maximum et se contentaient de gérer leur direction de mouvement sur l’axe gauche-droite.

Sachant que la vitesse maximum (celle qu’on atteint en poussant le joystick au

maximum), n’est que très légèrement supérieure à celle utilisée « par défaut » dans la

condition sans asservissement de la vitesse. On peut alors comprendre qu’aucune

différence significative ne soit observable puisque la vitesse des sujets ainsi que la

position latérale de leur tête étaient à peu de choses près toujours semblables. On pourrait

donc considérer que l’absence de résultats significatifs entre les diverses modalités

d’asservissement, n’est pas due aux variable, mais au fait que les sujets n’ont jamais

utilisé le dispositif : ils agissaient comme s’ils n’avaient aucune possibilité d’action !

A l’appui de cette hypothèse, les résultats descriptifs des interactions entre les deux types

d’asservissement et la durée de la séquence (prises deux à deux) semblent indiquer que les

séquences les plus pauvres (sans possibilités d’asservissement ni de durée de la séquence) ont

des résultats légèrement meilleurs que dans les autres conditions. Les possibilités d’action,

peu utilisées nous l’avons vu, induiraient donc plus facilement des erreurs (elles ajouteraient

18

Page 22: L’asservissement de la position de la tête, de la vitesse

de l’information inutilisable dans la présentation visuelle). De manière générale, les sujets

étaient meilleurs lorsqu’ils ne pouvaient pas avoir d’influence sur la scène visuelle ; ils

faisaient donc en sorte de ne pas en avoir (ils n’utilisaient pas les dispositifs).

Sources d’erreurs des sujets A un niveau plus général, le questionnaire ne nous a pas vraiment permis de remarquer de

grandes différences entre les sujets éliminés et ceux que nous avons retenus, a part peut-être la

légère différence confessée d’utilisation de l’asservissement de la position de la tête. Les

sujets éliminés semblent l’avoir plus utilisé, cela leur aurait-il porté préjudice ? Il s’agit

cependant des réponses subjectives des sujets ; si nous voulions obtenir une mesure objective

de leur utilisation des possibilités d’asservissement, nous devrions encore analyser les 96

fichiers restant par sujet pour déterminer comment ceux-ci bougeaient la tête et le joystick au

cours du temps et des séquences. Toutefois, selon nos propres observations et d’après les

témoignages des sujets, les possibilités d’asservissement n’ont, pour ainsi dire, jamais été

utilisées ; nous y renonçons donc.

Une question demeure, comment est-il possible que les sujets aient obtenu de si faibles

performances ? Chaque sujet a eu au moins une réponse « extrême », supérieure à dix degrés

(c’est-à-dire qu’il a rajouté de l’erreur, au lieu de la corriger). Nous pouvons proposer

quelques explications :

L’aspect matériel : comme mentionné auparavant, le joystick ne bénéficiait pas d’un calibrage

idéal ; la moindre poussée conduisait à un écart latéral relativement important. Ainsi, les

sujets se sentaient déstabilisés, d’autant plus qu’un déplacement latéral extrême pouvait

parfois induire chez certains sujets une impression de recul.

La tâche était-elle trop difficile ? ; par rapport aux paradigmes habituellement utilisés dans le

laboratoire, nous avons doublé la distance que devait parcourir le sujet, sans pour autant

augmenter la vitesse. Les angles à discriminer, pour une tâche de wayfinding, sont alors

nettement plus réduits. Peut-être que les capacités perceptives des sujets étaient dépassées ;

ceci est à mettre en rapport avec le manque de performances dans la condition « durée libre ».

Enfin, les sujets ont-ils besoin d’un couplage perceptivo-moteur pour mener à bien une telle

tâche ou ce couplage ajoute-t-il du bruit dans la perception du sujet, devenant ainsi source

d’erreurs ?

19

Page 23: L’asservissement de la position de la tête, de la vitesse

Conclusion Comme nous avons pu le remarquer, cette expérience a soulevé de nombreux problèmes

quant à son exécution. Nous n’avons observé qu’un seul résultat significatif : l’effet principal

de la durée de la séquence mais ce, dans le sens contraire à nos attentes, c’est lorsque la durée

de la séquence était fixe que les sujets réussissaient le mieux. Nous expliquons ceci par le fait

qu’en durée fixe, les sujets s’approchaient de plus près des arbres et bénéficiaient donc

d’informations plus précises. Nous pourrions donc proposer une nouvelle étude proposant des

séquences débutant à diverses distances du groupe d’arbres, et non à une distance constante

comme ici.

De plus, les sujets ne maîtrisaient pas le joystick qui n’était d’ailleurs pas calibré de façon

adéquate. Les sujets étaient également peu prompts à utiliser les possibilités d’asservissement.

Ces faits sont certainement dus au manque de maîtrise du matériel. Nous proposons donc de

retenter la même expérience en introduisant un nombre de séquences d’essais plus

conséquent. Il serait également souhaitable d’indiquer au sujet à chaque séquence quelles sont

ses possibilités d’action. Il serait également possible de diviser cette expérience en deux

autres plus simples dans lesquelles les sujets ne devraient manipuler qu’un seul type

d’asservissement à la fois.

Les divers résultats non-significatifs tendent à montrer que l’information motrice est non-

pertinente voire génératrice d’erreurs. Cependant, nous restons prudents, suite au caractère

discutable du dispositif expérimental (vitesse réduite et calibrage inapproprié), avant de

conclure à l’utilité exclusive de l’information visuelle dans une tâche de wayfinding.

20

Page 24: L’asservissement de la position de la tête, de la vitesse

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