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" L'assistance aux malades mentaux
au XVIIIe siècle à Marseille "
par J. ALLIEZ et J.-P. HUBER
I. — I N T R O D U C T I O N
Dans l'histoire de la psychiatrie, conceptions théoriques et attitudes pra
tiques vont de pair. L'étude du développement d'une psychiatrie « scienti
fique », tel qu'il s'est réalisé depuis le x v m e siècle, n'est pas séparable de
celle du changement dans la manière de réunir ou de traiter les malades
mentaux.
Notions cliniques progressivement affinées et transformation ou création
d'établissements de structuration de plus en plus médicalisée, y ont une
évolution parallèle. Cependant, les recherches sur l'évolution des modalités
de groupement ou de traitement collectif des états psychotiques restent
peu nombreuses en France, si l'histoire des « pionniers de la psychiatrie »
a toujours attiré les chercheurs depuis Sémelaigne, tant du point de vue
biographique que de l'évolution des idées.
Dans cette perspective, la thèse de M m e Bonnefous-Sérieux, sur la
« Charité de Senlis », reste exemplaire, c o m m e la monographie de J. Vie,
mais il existe peu de travaux importants consacrés à d'autres « maisons ».
Or, nous avons l'avantage, pour notre ville, de pouvoir consulter un ouvrage
publié en 1840, par J.-B. Lautard, mort presque centenaire en 1856, et qui
avait dirigé la « Maison des Fous » de Marseille pendant près de quarante
ans ; travail documenté, qui constitue une base d'étude permettant de suivre
l'évolution de la pratique asilaire avant la loi de 1838, dans une région
déterminée.
D'autres sources locales nous ont permis, croyons-nous, de jeter quelque
lumière sur la situation des malades mentaux à cette époque, qui peut être
considérée, en quelque sorte, c o m m e charnière entre deux temps.
* Communication présentée à la séance du 25 octobre 1975 de la Société Française d'Histoire de la Médecine.
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O n peut remarquer que les histoires de la^sychiatrie dont nous dispo
sons, les plus importantes étant de langue anglaise, ont paru négliger l'étude
du comportement de la Société vis-à-vis du malade mental et du phénomène
« folie », au moins dans une perspective diachronique.
Certains ouvrages se limitent à la naissance et au développement du mou
vement psychanalytique, dans une vision d'ailleurs plus hagiographique que
proprement historique. Les divers modes de réaction de la Société vis-à-vis
de la folie sont pratiquement passés sous silence, alors qu'ils sont pourtant
essentiels à connaître, non seulement pour l'évolution de la notion du fait
mental pathologique à travers les âges, mais pour mieux connaître la vie
et l'évolution m ê m e d'un groupe humain quelconque.
Cependant, deux ouvrages très importants font exception à cette tendance
générale, de façon d'ailleurs fort différente. Dans celui d'Ellenberger, récem
ment traduit en français, l'auteur s'est efforcé, au contraire, de situer l'étude
des défricheurs de la psychiatrie et l'évolution de notre science, en fonction
des conduites historiques et sociologiques. Le livre de Michel Foucault,
« Histoire de la folie à l'âge classique », est venu apporter, en outre, un
regain d'intérêt à la question, malgré les critiques justifiées qu'ont soulevées
les prises de position parfois excessives de leur auteur (cf. à ce sujet,
l'exposé de G. Daumézon, aux « Journées de l'Evolution psychiatrique » de
décembre 1969).
Il nous a donc paru intéressant d'étudier le développement de « l'Institu
tion psychiatrique » dans un cadre géographique précis, celui de Marseille,
et à une époque déterminée, soit au xvnC siècle, en essayant, dans un
second temps, de situer ce développement sur la toile de fond du contexte
régional, national et « culturel » de cette époque de notre Occident.
II. — L'HOPITAL SAINT-LAZARE D E M A R S E I L L E
Les sources dont nous nous sommes servi peuvent paraître minces mais,
en fait, comparées à d'autres hôpitaux, elles sont satisfaisantes. Nous avons,
en effet, pu utiliser le fonds H. XIII des Archives départementales des
Bouches-du-Rhône, entièrement consacré à cet Hôpital Saint-Lazare, et assez
fourni.
De plus, c o m m e nous l'avons dit, nous avons eu la chance de disposer
de la monographie extrêmement précieuse, écrite par J.-B. Lautard, qui fut
un des premiers médecins directeurs de l'Asile au xixc siècle. Enfin, nous
avons fait de larges emprunts au Diplôme d'Etudes supérieures de Droit
Romain, de Kunhmunch, sur le m ê m e sujet, qui, quoique centré sur l'aspect
juridique et administratif de la question, nous a fourni de précieuses
indications.
A. — Les locaux
Jusqu'en 1671, Marseille ne disposait d'aucun bâtiment spécialisé destiné
à recevoir les aliénés. C'est l'initiative privée d'un prêtre, l'abbé Garnier,
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qui va amorcer le mouvement ; il commence par réunir quelques aliénés
dans une pension et, c o m m e il ne recevait en fait presque que des indigents,
il touchait pour eux une allocation de la Ville. Très vite, les locaux dont il
disposait se révélèrent insuffisants, et la Ville envisagea alors la création
d'un hôpital, mieux approprié au but poursuivi, qui n'était pas alors de
soigner, mais simplement de réunir les aliénés en un lieu où ils ne puissent
plus commettre de désordres ou être sujets de gêne.
La Ville, pour des raisons d'économie qui allaient se révéler complète
ment fausses, crut bon de transformer le vieil Hôpital des Lépreux (il datait
du x n c siècle), dédié c o m m e tous ses semblables à Saint-Lazare et, pour
l'heure, presque inoccupé. Les travaux d'aménagement durèrent un an, et
ce n'est que le 30 janvier 1699, que le prêtre Garnier put conduire à Saint-
Lazare, les 13 h o m m e s et les 16 femmes dont il s'occupait, et qu'il confia
aux Recteurs de l'établissement.
Très vite, l'acquisition s'avéra désastreuse. L'hôpital menaçait ruine, les
locaux habitables étaient trop petits pour l'afFux sans cesse croissant des
malades (114 en 1788). La Ville accordait bien des subventions, mais elles
étaient régulièrement refusées par l'Intendant responsable de l'équilibre du
budget municipal. La situation était cependant sur le point de s'arranger,
et les plans d'un hôpital neuf établis quand éclata la Révolution. Ce n'est
finalement qu'en 1844 que Saint-Lazare put être évacué pour l'asile Saint-
Pierre, suivant les dispositions, alors récentes, de la loi de 1838. Il ne fut
cependant démoli qu'en 1867, après plus de 600 ans d'existence.
B. — La réglementation
Nous considérerons d'abord celle concernant l'hôpital, puis celle relative
au personnel soignant et aux malades.
1. Concernant l'hôpital:
Elle comprend la gestion et le financement,
a. La gestion :
Les modalités en furent fixées par le règlement de l'hôpital qui, pro
mulgué en 1699, ne devait pratiquement plus être modifié jusqu'en 1800.
Les responsables de l'hôpital sont 12 recteurs n o m m é s par les échevins pour
2 ans, avec renouvellement par moitié chaque année. Us exercent leur fonc
tion par paire, chaque semaine, à tour de rôle. Ce sont eux qui décident,
non seulement des entrées, mais encore des sorties. Ils surveillent le per
sonnel, assistent aux repas, s'assurent de la bonne tenue physique et
religieuse des employés et des malades.
Ces recteurs, doués de pouvoirs très étendus, étaient contrôlés par l'auto
rité municipale en premier lieu, mais également par l'Intendant, son sub
délégué, et le Procureur général de Provence. Cette administration semble
finalement avoir très bien fonctionné, compte tenu des moyens limités dont
elle disposait. En tous cas, aucun scandale n'a été signalé, et notamment
aucun internement abusif.
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b. Le financement :
Ce fut toujours le point noir de l'asile !
Avant la Révolution, il était assuré par les pensions versées par les
malades (ou par les municipalités dont ils dépendaient, si le patient était
indigent) et par les subventions ordinaires et extraordinaires de la Ville
(toujours rognées par l'Intendant). Il restait un déficit, variable avec les
années, mais allant en empirant avec elles. De plus, le paiement des pensions
était une cause perpétuelle de conflits et de procès avec les particuliers et
les municipalités.
La Révolution supprima pratiquement toutes ces ressources, déjà insuf
fisantes, et, si le nombre des malades passa de 114 en 1788 à 44 en 1795, il
faut l'attribuer à la surmortalité entraînée par la dénutrition (Pinel, en 1795,
fit la m ê m e remarque pour Bicêtre). Seule, la loi de juin 1838 devait résoudre
le problème du financement.
2. Concernant le personnel soignant :
Jusqu'en 1787, il n'y eut pas de médecin chargé de soigner les « insensés »
pour leur affection psychiatrique. Selon des modalités variables suivant
les époques, un médecin et un chirurgien s'occupaient des éventuels troubles
somatiques présentés par les malades. L'apparition d'un médecin permanent,
en 1787, est à la fois la conséquence et le symbole d'un changement profond
de la mentalité du siècle vis-à-vis de la maladie mentale. La folie devient
l'affaire d'un spécialiste, alors que pendant plus de 80 ans, les recteurs,
simples bourgeois sans compétences particulières, avaient été jugés aptes à
tenir le m ê m e rôle.
Le personnel « infirmier », lui aussi, n'avait aucune formation spéciale
et variait dans ses effectifs. Le personnage principal était représenté par la
« Mère », surveillante en chef de quelques domestiques. Il y avait également
un aumônier et un économe. Fait à souligner : tout le personnel, à l'excep
tion évidemment de l'aumônier, était laïc.
3. Concernant les malades :
Il y a lieu de séparer les modalités d'internement et celles de l'interdiction.
a. L'internement :
Il convient d'envisager les modes d'entrée et les modes de sortie.
• LES MODES D'ENTRÉE :
O n peut en considérer cinq, bien que, théoriquement, il n'y aurait dû
en avoir que deux : les Ordres du Roi et les Ordres de Justice. Cela montre
bien, d'ailleurs, quel écart existait entre ce qu'on appelle « Monarchie
absolue » et la réalité quotidienne du XVIIF siècle.
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R. Moulinas l'a très bien constaté, à propos d'un tout autre cas, celui
de la contrebande : « Vue, non pas de Versailles, mais du fond d'une loin
taine province, la Monarchie dite Absolue, c'est en fait la désobéissance
permanente, impunie et triomphante, c'est l'insoumission jusqu'au soulève
ment à main armée, qui est chose banale et courante, parce que les agents
de l'autorité centrale n'ont pas, en pratique, les moyens d'imposer le respect
de la Loi à des populations pour qui la docilité aux ordres du Roi est encore
loin d'être entrée dans les mœurs. »
La Révolution n'allait pas tarder à mettre fin à cela.
— L'internement par Ordre du Roi (la lettre de cachet) : il s'agissait
d'une procédure qui, contrairement à la légende, était fort longue et très
peu expéditive ; avant que la famille qui avait fait la demande reçoive satis
faction, de multiples formalités devaient être remplies et de nombreux
contrôles assurés. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que cette méthode de
placement ait été fort rare ; il n'y a certainement pas eu 10 malades placés
à Saint-Lazare par cette voie en un siècle.
— L'internement par Ordre de Justice : les m ê m e s remarques s'appli
quent : procédure longue et onéreuse, peu usitée, malgré la multiplicité des
juridictions.
— L'internement par ordre des Municipalités : c'était de loin le plus
fréquent. Les maires et échevins se considéraient c o m m e « Juges de Police »
et agissaient à ce titre, c o m m e responsables de la sûreté publique. Seuls,
étaient internés les sujets troublant gravement l'ordre public, ou ceux dont
la famille ne pouvait plus s'occuper. La municipalité en cause (car Saint-
Lazare ne recevait pas seulement des aliénés de Marseille) payait la pension,
quitte à elle à se retourner contre la famille. Les municipalités étant toujours
à court d'argent, l'internement n'était certainement décidé qu'à la toute
dernière extrémité.
— L'internement par ordre des parents : les parents pouvaient s'adresser
directement aux recteurs : l'avis des deux recteurs semainiers était cependant
nécessaire.
C o m m e c'était surtout les familles pauvres, donc peu susceptibles de
payer une pension, qui recourraient à cette formule, les recteurs étaient
certainement plus enclins à refuser des internements nécessaires qu'à en
pratiquer d'abusifs, surtout compte tenu du manque de place. Ce mode de
placement pouvait cependant conduire à des abus : il ne semble pas y en
avoir eu : les sujets détenus pouvaient se plaindre à l'Intendant ou au
Procureur Général. Une commission d'enquête de 1791 ne retrouva, par
ailleurs, aucun cas d'internement non justifié.
— Les malades libres, c'est-à-dire séjournant de leur propre volonté, vu les conditions de vie ; ils étaient évidemment rarissimes à Saint-Lazare ; nous avons pu cependant en retrouver un exemple.
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• LES MODES DE SORTIE :
Le principe général était que l'autorité ayant fait entrer le malade était
seule compétente pour le faire sortir. Là aussi, l'écart entre la pratique et la
théorie était grand. Les évasions étaient fréquentes, surtout pour les malades
placés par ordre du Roi ou par ordre de Justice, et en fait, c'était le plus
souvent les deux recteurs semainiers qui décidaient du départ. O n leur
reprochait, semble-t-il, beaucoup plus souvent de faire sortir des malades
prématurément que d'en garder guéris.
Quant aux décès à l'hôpital, ils représentaient en gros, entre le tiers et
le quart des admissions totales (sans compter, bien sûr, l'année exceptionnelle
de 1720, où la plupart des malades et tous les employés succombèrent à la
peste).
Nous avons reporté sur le graphique ci-joint, l'évolution du nombre des
admissions, sorties et décès de 10 ans en 10 ans, pour tout le XVIII e siècle,
en nous basant sur les chiffres donnés par J.-B. Lautard. De 1699 à 1801,
2 973 malades ont été admis à l'hôpital ; 2 (129, soit plus des deux tiers en sont
sortis, et 900 y sont morts. Il ne reste que les 44 malades qui représentent
l'effectif des hospitalisés en 1801.
V u les conditions déplorables d'hospitalisation et l'absence totale de soins spécialisés, ces résultats paraissent tout à fait honorables et entièrement à porter au crédit des recteurs, qui semblent toujours s'être acquittés de leur tâche difficile de la meilleure manière possible.
b. L'interdiction :
Elle était à l'époque, complètement séparée de l'internement et s'étendait
à d'autres catégories que les malades mentaux, aux prodigues, par exemple.
Il s'agissait d'une formalité longue, compliquée, coûteuse, et qui en pratique
ne devait être réservée qu'à une petite fraction de la population : celle
possédant une certaine fortune.
Nous avons pu en retrouver deux exemples aux Archives Départementales.
La loi de 1838 devait revenir, dans ses grandes lignes, à la législation
romaine qui faisait de l'interdiction une conséquence de la folie.
O n remarquera que nous assistons actuellement à une évolution inverse
avec la loi du 3 janvier 1968 sur les incapables majeurs.
C. La vie à l'hôpital
1° Avant 1785 :
Les malades sont logés dans des cellules, en principe un par cellule, en
fait souvent deux, voire trois. Ils couchent sur un lit scellé sur lequel est
disposée la paille contenue dans un matelas. Ils disposent de bancs de pierre
et de tables. Ceux qui le peuvent mangent au réfectoire. Les vêtements sont
fournis par l'hôpital ou la famille. L'hôpital est mixte : h o m m e s et femmes
habitent deux ailes du bâtiment séparées, mais la porte réunissant les deux
ailes n'est fermée que la nuit.
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431
1720 = peste
Ce graphique a été établi d'après ia statistique donnée par Lautard dans son ouvrage.
Les chiffres sont certainement sujets à caution, mais doivent quand m ê m e permettre
de donner une idée de la population de l'asile au xvinc siècle.
A noter la cassure profonde qu'a entraînée la peste de 1720.
La nourriture semble avoir été abondante, bien que peu variée (sa compo
sition est expressément prévue dans le règlement de l'hôpital). Si les malades
n'avaient pas d'occupation possible, les visites étaient autorisées, et peut-être
les sorties en permission. Les malades n'étaient obligés de rester dans leur
cellule que la nuit. Ils n'étaient que rarement enchaînés, et seulement sur
autorisation des recteurs. Aucun soin à visée psychiatrique n'était donné.
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2° Après 1785
E n 1785, paraît l'« Instruction sur la manière de gouverner les insensés
et de travailler à leur guérison dans les asiles qui leur sont destinés », par
Colombier et Doublet. Il s'agit d'une publication officielle qui manifestait
le désir du gouvernement d'améliorer et d'unifier les soins aux malades
mentaux. C'est une excellente synthèse des conceptions de l'époque en
matière de folie. Elle eut un très grand retentissement et, sans les événe
ments qui suivirent, aurait entraîné certainement de notables améliorations.
A Marseille, elle eut surtout pour conséquence l'engagement d'un médecin
à temps plein par l'hôpital, ce qui entraîna dorénavant la prescription de
traitements (qui, au début, semblent avoir surtout consisté en bains, purga-
tions et saignées).
Pendant la Révolution, toutes les réformes furent arrêtées et plusieurs
recteurs exécutés. La disette entraîna la mort de nombreux malades et, en
1801, le chiffre des hospitalisés était inférieur à celui de 1709 (44 contre 48).
Seul, le médecin vit sa situation s'améliorer, puisqu'il remplaça, en fait, les
recteurs dans l'administration de l'asile.
III. L E C O N T E X T E
Il nous a paru intéressant de replacer l'étude de l'évolution de l'Assis
tance aux Malades mentaux à Marseille dans le contexte éthique, philoso
phique et social de l'époque car, finalement, les modifications subies ne font
que refléter fidèlement les changements de mentalité survenus au « Siècle
des Lumières ».
A. — Le contexte régional
La Provence subit, au x v m c siècle, de profondes modifications : sa popula
tion se transforme (début du processus de désertion en Haute-Provence),
sa pensée et son commerce quittent le bassin fermé de la Méditerranée pour
se tourner à la fois vers l'Atlantique et l'intérieur de la France et de l'Europe ;
ses cadres administratifs soutiennent une lutte inégale contre un pouvoir
central conscient de sa force mais encore soucieux des libertés et des par
ticularismes. Dans ce contexte, les hôpitaux psychiatriques se créent avec
une étonnante simultanéité (Avignon, 1681 ; Aix, 1691 ; Marseille, 1699) et
évoluent de façon semblable.
D'autres formes d'assistance existaient, bien entendu, assurées par des
religieux ou des personnes privées. Le meilleur et le pire s'y côtoyaient :
le meilleur, par exemple, à Manosque, où le Père Pouttion, cité avec éloge
par Pinel, appliquait avant la lettre les principes du « no restraint » et du
traitement moral ; le pire, à Saint-Pierre-de-Canon, près de Salon, où des
religieux observantins ont été accusés de sévices sur les malades (il faut
noter d'ailleurs que des plaintes ayant été déposées, des réformes furent
entreprises et aboutirent en 1784).
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B. — Le contexte national
Il est caractérisé par le grand bouleversement des idées et des mœurs
qui secoue la France au xvnr siècle, et qui a donné à cette époque le n o m
d'« Age des Lumières ». La folie ne se définira pas seulement par un compor
tement incohérent, mais surtout par une déficience de la raison, cette idole
du siècle. La nécessite d'isoler les fous apparaît donc de plus en plus net
tement ; tant que l'on se basait sur le comportement, le fou pouvait bien
être mélangé avec tous les autres vagabonds et indigents. A partir du moment
où l'on prend en considération, non plus seulement ce qui est agi, mais ce
qui est pensé, le fou doit être séparé des autres formes de déviation sociale.
Cet isolement se fait de façon très variée ; dans le cadre des hôpitaux
généraux, bien sûr, car s'était là qu'il était le plus nécessaire, mais également
dans des services particuliers des hôpitaux, dans les prisons (notamment la
Bastille), dans les dépôts de mendicité et, accessoirement seulement, dans
des constructions spécialisées publiques ou privées.
Les soins, quand ils existent, se limitent le plus souvent aux bains, à la
purgation et à la saignée, encore qu'ils soient très peu variables d'un éta
blissement à l'autre. Les règlements changeaient également selon les lieux,
quoique l'on retrouve toujours les m ê m e s principes : contrôle des admissions
et des sorties (au moins pour les établissements publics), possibilité de
recours, préoccupations concernant le paiement des pensions, garantie de
la liberté individuelle, réglementations diverses concernant la nourriture, le
logement, les soins. La plupart des textes repris en 1838 étaient déjà en
germe à cette époque.
C. — Le contexte européen
L'évolution y est sensiblement la m ê m e ; une véritable Internationale
culturelle règne en effet sur l'Europe et y impose la primauté de la raison.
Cette unité explique la tranquillité relative des peuples d'Occident à cette
époque. Les conflits sont rares, n'intéressent que les gouvernements et les
spécialistes, car les passions en sont exclues ; le fanatisme religieux n'y
intervient plus et le fanatisme national pas encore.
C o m m e en France, donc, les établissements spécialisés pour malades
mentaux se créent et évoluent ; en Angleterre, patrie du « no restraint »,
mais également du sinistre Bedlam ; en Allemagne, avec beaucoup de retard ;
en Italie et en Espagne, avec une certaine avance (due en partie au fait que
les hôpitaux psychiatriques existaient dans ces régions dès le xve siècle, de
m ê m e d'ailleurs que dans les pays musulmans). Toutefois, dans les pays
anglo-saxons surtout, la grande différence viendra de l'absence de cassure
brutale entre le x v m e et le xixe siècle.
La grande expérience du « no restraint » pourra continuer à se développer,
particulièrement aux Etats-Unis et, finalement, l'évolution se fera plus vite
et plus harmonieusement qu'en France, et on y évitera mieux les grands
asiles concentrationnaires. Peut-on voir dans ce fait l'origine des différences
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nosographiques entre ces pays et les autres ? Si l'Angleterre et les Etats-Unis
ont du schizophrène une conception beaucoup plus large que la France et
l'Allemagne, c'est peut-être que les malades ont moins connu, dans ces pays,
le moule uniformisant de l'asile.
En conclusion, il semble que l'étude précise d'un établissement, de sa
conception et de son évolution, particulièrement quand il est consacré aux
« insensés », reflète de façon fidèle l'évolution des idées au cours d'une
période donnée. Encore faut-il, pour cela, disposer de sources suffisamment
abondantes (rares sur de tels sujets avant le xix° siècle) et fiables.
B I B L I O G R A P H I E
1. A L E X A N D E R (F.G.), S E L E S N I C K (S.T.) : « Histoire de la Psychiatrie », 1 vol. Armand Colin Ed., Paris, 1972, 480 p.
2. ALLIEZ (J.) : « Un précurseur de l'assistance moderne aux aliénés dans notre région: le R.P. Pouttion, de Manosque ». Bulletin de la Société de Psychiatrie de Marseille et du Sud-Est Méditerranéen, 1970, n" 21, pp. 431-436.
3. Archives communales de Marseille : série CG.
4. Archives départementales des Bouches-du-Rhône : Archives hospitalières de Marseille, série XIII, Fonds de l'Intendance de Provence.
5. A R N A U D (F.) : « Note sur le collège des médecins et l'exercice de la médecine à Marseille au XVIF siècle ». France Méd., Paris 1904, LI, pp. 409-412.
6. BLAIVE (P.) : « L'Administration de l'Assistance Publique à Marseille », Marseille, 305 p.
7. B O L L O T T E (G.) et B I G O R R E (A.) : « L'assistance aux malades mentaux à Dijon, du Moyen Age à 1838. Esquisse historique ». C.R. du Congrès de Psychiatrie et de Neurologie de Langue française, LXV- Session, Dijon 1967, pp. 1159-1162.
8. B O U T R Y (J.) : « La médecine et les institutions charitables au temps de Louis XVI ». Chron. Méd., Paris 1904, XI, pp. 737-743.
9. C A R E T T E (P.) : « François Doublet et la Psychiatrie au temps de Louis XVI ». Ann. Méd. Psychol., juin 1923.
10. C A R E T T E (P.) : «Le P. Pouttion, de Manosque, guérisseur des fous ». Bulletin de la Société Française d'Histoire de la Médecine, mars 1929.
11. C A R E T T E (P.): «Le service d'aliénés de l'ancien Hôtel-Dieu». Progrès Médical, 20 janvier 1926.
12. C A R E T T E (P.) : « Tenon et l'assistance aux aliénés, à la fin du XVIIF siècle ». Ann. •Méd. Psychol., juin 1923.
13. C A R E T T E (P.): « Un précurseur de Pinel : le chirurgien Tenon». Bulletin de la Société d'Histoire de la Médecine, novembre 1925.
14. C H A M B E R L A I N (A.S.) : « Earlv mental hospitals in Spain ». Amer. J. Psychiat., 1966, 123/2, pp. 143-149.
15. C O L O M B I E R (J.) et D O U B L E T (F.) : « Instruction sur la manière de gouverner les insensés et de travailler à leur guérison dans les asyles qui leur sont destinés ». Imprimerie Royale, Paris 1785 (in-4u imprimé par ordre et aux frais du gouvernement) et F. Brebion, Imprimeur du Roi, Marseille, 1786.
16. COSSA (P.) et M O U T O N (E.) : «Les insensés au XVIIL siècle à l'Asile public de Saint-Lazare et à l'Asile privé de Saint-Pierre de Canon ». X e Congrès des Médecins aliénistes et neurologistes de Provence, Marseille 1899, pp. 441467.
69
17. D E L A U N A Y (P.) : « Les médecins fonctionnaires parisiens au XVIII' siècle ». France Méd., Paris 1905, LU, pp. 397-407.
18. E L L E N B E R G E R (H.F.) : « The discovery of unconscious. The history and évolution of dynamic psychiatry ». Basic Books Inc. Publishers, N e w York 1970, 932 p.
19. F O S S E Y E U X (X.): «Les aliénés à Paris, au XVIIIe siècle; le quartier des déments à Saint-Lazare ». Bulletin de la Société Française d'Histoire de la Médecine, mars 1914.
20. F O U C A U L T (M.) : « Histoire de la folie à l'âge classique ». 1 vol. Gallimard Ed.,
Paris 1972, 620 p.
21. F U N C K B R E N T A N O (F.) : « Bicêtre ». Laboratoires CIBA Ed., Lyon 1938, 46 p.
22. F U N C K B R E N T A N O (F.): «L'Ancien Régime». Fayard Ed., Paris.
23. GALLOT-LAVALLEE (M.): «Un hygiéniste au XVIIIe siècle: J. Colombier». Thèse
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24. G A X O T T E (P.): «Le siècle de Louis XV». A. Fayard, Paris 1933, 500 p.
25. G U S D O R F : «Les principes de la pensée au Siècle des Lumières». Pion, Paris 1971.
26. G U Y A D E R (J.) : « La vie à l'Hôtel-Dieu-Saint-Jacques de Toulouse, de 1749 à 1792 ».
Thèse de Doctorat en droit, Toulouse 1973, 550 p.
27. H A Z A R D (P.) : « La crise de la conscience européenne ». Paris 1935.
28. H A Z A R D (P.) : « La pensée au XVIIIe siècle ». Paris 1949.
29. H U B E R (J.P.) : « L'assistance aux malades mentaux à Marseille, au XVIIIe siècle ». Marseille 1974. Thèse.
30. J E T T E R (D.) : « Zur Typologie des Irrenhauses in Frankreich and Deutschland (1780-1840) ». 1 vol. Franz Steiner Verlag, Wiesbaden 1971, 206 p. et 16 plans.
31. JOLY (A.) : « L'internement des fous sous l'Ancien Régime dans la Généralité de Basse-Normandie ». Caen 1868.
32. JUQUELIER (L.) et V I N C H O N : « Les vapeurs, les vaporeux et le Dr P. Pomme ». Annal, méd. psychol., juin 1913.
33. K U H N j M U N C H (O.) : « L'Hospice de Saint-Lazare et les insensés à Marseille, au XVIIIe siècle ». D.E.S. de Droit Romain et d'Histoire du Droit, Aix-en-Provence 1953.
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