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INTRODUCTION INTRODUCTION Pendant de nombreuses années, les structures gérontologiques ont largement été dominées par l’approche médicale. Le bien-être des résidents ou des patients était ignoré, seuls les soins corporels étaient prodigués. Suite à une prise de conscience progressive de l’importance de l’état psychologique pour la santé et le bien-être, les professionnels ont alors essayé d’appréhender les sujets âgés de manière plus globale. Les personnes âgées vivant en maison de retraite sont, en effet, confrontées à des problématiques diverses, c’est pour cette raison que les institutions ont donné une place de plus en plus importante aux psychologues. Désormais, beaucoup interviennent afin de réaliser des prises en charge individuelles mais également groupales. Des ateliers thérapeutiques utilisant des supports artistiques comme médiation thérapeutique ont été mis en place par des psychologues, que ce soit avec de la peinture, du théâtre, de la littérature ou de la musique, entre autre. Dans le cadre de mon stage, réalisé dans une maison de retraite, j’ai moi-même été amenée à m’occuper d’un atelier thérapeutique de musique classique, et ce, tout au long de l’année. L’idée d’allier la musique et la psychologie m’a séduite car la musique a toujours été présente dans ma vie, par l’écoute musicale et par la pratique d’un instrument. En ce sens, l’art musical a, à mes yeux, un fort pouvoir d’expression. Pourtant, ces ateliers n’ont pas pour but de jouer de la musique, ni même 1

L'Atelier Thérapeutique de Musique Classique

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mémoire de psychologie clinique - master 1

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INTRODUCTIONPendant de nombreuses annes, les structures grontologiques ont largement t domines par lapproche mdicale. Le bien-tre des rsidents ou des patients tait ignor, seuls les soins corporels taient prodigus. Suite une prise de conscience progressive de limportance de ltat psychologique pour la sant et le bien-tre, les professionnels ont alors essay dapprhender les sujets gs de manire plus globale.

Les personnes ges vivant en maison de retraite sont, en effet, confrontes des problmatiques diverses, cest pour cette raison que les institutions ont donn une place de plus en plus importante aux psychologues. Dsormais, beaucoup interviennent afin de raliser des prises en charge individuelles mais galement groupales.

Des ateliers thrapeutiques utilisant des supports artistiques comme mdiation thrapeutique ont t mis en place par des psychologues, que ce soit avec de la peinture, du thtre, de la littrature ou de la musique, entre autre. Dans le cadre de mon stage, ralis dans une maison de retraite, jai moi-mme t amene moccuper dun atelier thrapeutique de musique classique, et ce, tout au long de lanne. Lide dallier la musique et la psychologie ma sduite car la musique a toujours t prsente dans ma vie, par lcoute musicale et par la pratique dun instrument. En ce sens, lart musical a, mes yeux, un fort pouvoir dexpression. Pourtant, ces ateliers nont pas pour but de jouer de la musique, ni mme dchanger autour de ce thme, mais dcouter des extraits duvres musicales. Runir un groupe de personnes pour auditionner des uvres me semblait, au premier abord, plutt proche de lanimation que dune psychothrapie.

Je me suis alors pose de nombreuses questions propos de ce type de pratique. Quel est le rle spcifique du psychologue dans cet atelier? En quoi la musique peut-elle avoir sa place au sein dune thrapie? Quel est lapport du groupe pour lindividu? En somme, je me suis demande quels sont les bnfices que les rsidents peuvent retirer de ces ateliers.

Avant dessayer de rpondre ces questions, il me semble primordial de prsenter les apports thoriques concernant le processus de vieillissement. Les personnes ges qui participent ces ateliers sont confrontes des pertes diverses et sont, en gnral, galement atteintes de pathologies. Jaborderai ensuite limportance de cette tape de vie quest linstitutionnalisation. Enfin, je mintresserai lintrt de la musique en tant que mdiation thrapeutique.

APPORTS THEORIQUES

1.Le processus de Vieillissement

La grontologie est au carrefour de diffrents domaines. La personne ge est confronte des problmatiques psychologiques particulires, notamment des pertes de diffrentes natures. De plus, le vieillissement saccompagne bien souvent de pathologies diverses, motivant souvent une institutionnalisation. Ces difficults lies lge ont donc des rpercussions sur les relations sociales. Cest pour cela que de nombreux auteurs abordent le vieillissement sous un angle bio-psycho-social. Mme si ces trois domaines sont intriqus dans ce processus, jaborderai la snescence, principalement aux niveaux psychologique et psychanalytique, et de temps autres, social.

1.1.Pertes et vieillissement

En rgle gnrale, le vieillissement est peru comme une priode de la vie o le sujet est confront de nombreuses pertes, quelles soient objectales, narcissiques ou physiques. La mtaphore assiette de descente, illustre parfaitement cette vision du vieillissement, qui met en avant les dgradations subies par la personne ge et dont lissue est la mort (G. Le Gous, 2000, p.24). Deux psychanalystes, G. Ferrey et G. Le Gous proposent trois grands types de pertes, qui sont la perte dobjet, la perte de fonctions et la perte de soi (1989, p.18-19). Je vais me baser sur cette classification pour aborder les diffrentes pertes caractristiques de la snescence.

1.1.1.La perte dobjet

En vieillissant, le sujet affronte des pertes d'objets. Dans ce cadre, la notion dobjet renvoie la relation objectale, c'est--dire au mode de relation [du sujet] avec son monde, relation qui est le rsultat complexe et total dune certaine organisation de la personnalit, dune apprhension plus ou moins fantasmatique des objets et de tels types privilgis de dfense, (J. Laplanche et J-B. Pontalis, 1967, p. 290). Lors de la perte dun objet, le sujet doit oprer un travail de deuil car l'preuve de ralit a montr que l'objet aim n'existe plus et dicte l'exigence de retirer toute la libido des liens qui la retiennent cet objet (S. Freud, 1915, p.150). Le monde apparat dsormais vide aux yeux du sujet. Ce travail de deuil se droule en trois phases (M. Hanus, 2003). Dans un premier temps, suite lannonce du dcs du proche, le sujet se trouve dans un tat de choc. Le refus de la reconnaissance de la ralit souligne le caractre traumatique de la perte dun tre cher. Ce nest que dans la seconde phase que lindividu prend conscience de sa mort, ce qui le plonge dans un tat dpressif ractionnel. Se remmorer les instants passs avec le dfunt lamne ensuite tre confront la ralit de la perte. Ce travail permet alors un dsinvestissement progressif. Dans la dernire phase, le sujet peut, dsomais, se souvenir du dfunt sans ressentir une douleur excessive. Mais, ce processus nest pas toujours mis en place et il peut mme parfois revtir une allure pathologique, ou, entraner le sujet dans la mlancolie, thme que jaborderai ultrieurement.

Au fur et mesure que les annes passent, affronter la mort dautrui est de plus en plus frquent. En effet, le sujet g voit peu peu ses proches dcder, que ce soit son conjoint, ses amis, ou les membres de sa famille. Mme si le sujet a conscience que son entourage va progressivement sen aller, il nest pas nanmoins prpar ces pertes successives. Cette accumulation de pertes induit une tension dans linconscient, qui surgit ensuite dans la conscience.

G. Le Gous (2000) souligne que, dans certains cas, lobjet peut avoir t dsinvesti avant sa mort. Cette situation aide le sujet affronter la ralit et dpasser la disparition dune personne qui il tient. En revanche, lorsque lobjet a t profondment investi pendant de nombreuses annes, le travail de deuil devient particulirement difficile voire impossible pour certains. Au fil du temps, lautre nest plus seulement un objet externe, mais fait dsormais partie intgrante de soi lintrieur mme du narcissisme et est devenu un prolongement de soi, suite aux introjections rgulires de ltre aim (op. cit., 2000, p.49). Son dcs cause une hmorragie narcissique, que le sujet doit arrter (G. Ferrey et G. Le Gous, 1989, p.15). Dans ce cas l, la relation psychanalytique devient alors difficile, tant donn que le sujet narrive plus investir une nouvelle relation.

Suite laccumulation de pertes objectales, le sujet peut se protger en diminuant ses changes avec autrui et en se repliant sur lui-mme. Ce retour sur soi permettrait alors au sujet de ne pas sattacher dautres personnes et, par voie de consquence, de ne pas tre confront de nouvelles pertes. La relation dobjet rgresse vers le narcissisme, entranant un dsintrt du monde extrieur (M. Pruchon, 1994). Le dsinvestissement, sous-tendu par la pulsion de mort ainsi que par une diminution de la libido, est caractristique du grand ge. Dans une de ses lettres rdiges pour son amie Lou Andras-Salom, S. Freud, alors g de 79 ans, tmoigne de ce dtachement li au vieillissement: En ce qui me concerne, ce dsir na plus chez moi la mme intensit. Une carapace dinsensibilit se forme lentement autour de moi; je le constate sans men plaindre. Cest une volution naturelle, une faon commencer devenir inorganique. Cest ce quon appelle, je crois, le dtachement du grand ge. Cela doit tre en rapport avec un tournant dcisif dans la relation entre les deux pulsions dont jai suppos lexistence (cit par M. Pruchon, 1994, p.89). Pour certains, ce dtachement est synonyme de carapace dinsensibilit, pour dautres, de dsintrt ou dindiffrence. Lorsque nous ctoyons rgulirement des personnes trs ges, il est frquent de les entendre dire quelles sennuient voire, quelles se sentent inutiles. Le dsir de mort devient alors prpondrant, un dsir de sen aller et den finir avec la vie. Cet ennui serait d lincapacit dinvestissement dun nouvel objet, un sentiment dappauvrissement source dangoisse, mais galement une diminution de stimuli. Noffrant aucune gratification narcissique, le monde extrieur et le prsent sont alors dlaisss par le sujet, qui se tourne dsormais vers son pass. Ce surinvestissement du pass peut parfois branler les limites entre le prsent et le pass et aboutir un tlescopage, comme cela est le cas, par exemple, dans la dmence (op. cit., p.96). Cependant, tous ne sombrent pas dans cette confusion. Ce nest pas parce que certaines personnes investissent le pass que la barrire entre le pass et le prsent nest pas tablie.

Il me semble que linvestissement du pass, lorsque les limites temporelles sont respectes, permet de ne pas oublier qui nous sommes. Comme le souligne Victor Hugo, Qui ne se souvient pas est plus mort que les morts (cit par M. Pruchon, 1994, prface). Les ateliers de musique classique pourraient tre un moyen de se souvenir, surtout que la mmoire saffaiblit au cours du vieillissement.

Je vais maintenant prsenter les caractristiques mnsiques du sujet vieillissant.

1.1.2.La perte des fonctionsLexpression la perte des fonctions a t initialement propose G. Ferry et G. Le Gous (1989). Elle sintresse aux effets de lge sur les fonctions corporelles et sexuelles. Mais dautres fonctions sont galement atteintes par le vieillissement, notamment les fonctions cognitives. Dans le cadre des ateliers thrapeutiques de musique classique, je ne mintresserai qu laltration des fonctions mnsiques.

Les fonctions cognitives, en rgle gnrale, ne sont pas pargnes par le vieillissement normal, c'est--dire qui ne soit pas accompagn par une pathologie. La dtrioration cognitive est induite par des dommages progressifs, cause par le vieillissement, infligs des structures anatomiques qui sous-tendent ces processus.

En 1968, R-C. Atkinson et R-M. Schiffrin ont propos une vision dichotomique de la mmoire, suite aux travaux raliss par B. Milner avec le clbre patient crbrols H.M.: la mmoire court terme et la mmoire long terme (R. Gil, 1996). Etant donn que je mintresse la sollicitation des souvenirs par la musique au cours des ateliers, je naborderai que la mmoire long terme chez le sujet g.

La mmoire long terme est elle-mme subdivise en deux parties, la mmoire dclarative et la mmoire non dclarative (op. cit., p.183). La mmoire non-dclarative est galement appele implicite car le sujet na pas conscience de ses apprentissages. Elle comprend le conditionnement, la mmoire procdurale (les habilets motrices) ainsi que les habilets perceptivomotrices et cognitives (op. cit.). La mmoire dclarative, ou explicite, fait rfrence une mmoire que le sujet peut exprimer de manire consciente. Elle comprend la mmoire smantique, qui dsigne les connaissances libres de toute rfrence spatio-temporelle (comme par exemple, savoir que Paris est la capitale de la France), et de la mmoire pisodique, qui renvoie lhistoire personnelle du sujet.

La neuropsychologie clinique sest particulirement intresse la mmoire pisodique et smantique. De nombreux tests permettent de discriminer les sujets vieillissant normalement de ceux qui sont atteints dune pathologie, notamment de la maladie dAlzheimer. Lors de lvaluation de la mmoire pisodique, les performances chutent de manire importante en rappel libre, chez des sujets gs de plus de 60 ans. Cest ce que Kral a appel les oublis bnins de la snescence (cit par R. Gil, 1996, p.224). Ces oublis sont qualifis de bnins tant donn que lors dun rappel indic, o des aides sont fournies au sujet, les dficits du sujet diminuent fortement, voire disparaissent. Ce bnfice du rappel indic permet donc de mettre en vidence que le vieillissement altre le processus de rcupration de linformation et non celui du stockage. Dans ce cadre, il me semble que la musique pourrait alors jouer un rle dindiage mnsique lors des ateliers de musique classique.

Un autre type de mmoire long terme est la mmoire autobiographique, dfinie comme tant un ensemble dinformations et de souvenirs particuliers un individu, accumuls depuis son plus jeune ge, et qui lui permettent de construire un sentiment didentit et de continuit (P. Piolino, B. Desgranges, F. Eustache, 2000, p.45). La mmoire autobiographique se diffrencie de la mmoire pisodique tant donn quelle est compose dlments pisodiques mais galement smantiques (R. Gil, 1996, p. 181). Les travaux montrent des rsultats htrognes quant aux effets de lge sur la mmoire autobiographique (P. Piolino, B. Desgranges, F. Eustache, 2000). Cependant, A. Lieury et al. (1992) ont mis en vidence que le nombre de souvenirs, en utilisant la mthode des mots indics, est moins important pour les sujets institutionnaliss que pour les sujets autonomes du mme ge (cit par P. Piolino, B. Desgranges, F. Eustache, 2000, p 109).

Si la musique peut jouer un rle dindiage, la mmoire pourrait donc tre mobilise lors des ateliers de musique classique.

L-S. Cermak (1984) a propos le modle de smantisation qui prsume que les informations anciennes sont de nature smantique alors que les informations rcentes sont pisodiques (cit par P. Piolino, B. Desgranges, F. Eustache, 2000, p. 106). Mme si des tudes ont mis en vidence un dficit de la mmoire pisodique chez les personnes ges ainsi quune compensation par des souvenirs plus ou moins gnriques, ce modle peut tre remis en question (op. cit., 2000, p. 120). En effet, les sujets gs ont des souvenirs pisodiques anciens, gnralement encods pendant la priode adulte jeune.

Il est cependant intressant de noter quil nest pas rare que des sujets gs se plaignent dune altration de leurs capacits mnsiques alors que le bilan neuropsychologique ne dcle aucun trouble (B. Verdon, 2003). Cette plainte est notamment sous-tendue par une angoisse engendre par la confrontation prochaine du sujet sa propre mort. Cette angoisse a t aborde par G. Ferrey et G. Le Gous (1989) avec la notion de perte de soi.

1.1.3.La perte de soi

Avant daborder la notion de perte de soi proprement dite, je vais mintresser limage de soi, qui me semble fortement lie. De nombreux auteurs, notamment J. Lacan, affirment que la construction de soi serait intrique la perception de soi.

1.1.3.1.Image de soi

Tout au long de notre vie, notre image et notre corps jouent un rle primordial dans la construction de notre identit. La perception de soi est influence par l'image que nous renvoie notre corps, que ce soit par le regard d'autrui ou travers le reflet dun miroir et ce, diffrentes priodes de la vie. Selon J. Lacan (1966), le rapport du jeune enfant avec son propre reflet renvoy par le miroir est lorigine de la constitution du Moi. Ce postulat fonde le stade du miroir (p 93-94). L'enfant se construit par rapport sa propre image mais aussi par rapport l'image d'autrui. Le Moi se constitue sur le mme modle qu'autrui, mais cela lui permet aussi de s'en diffrencier. Or, en vieillissant, notre image change et se dgrade. Le sujet g ne peroit plus qu'un corps rid, marqu par le passage du temps. J. Messy (1992) a repris le postulat dustade du miroir pour expliquer langoisse suscite chez le sujet g par le reflet de son visage ou de son corps, en proposant la notion du miroir bris. Il ne voit quune image morcele travers son reflet renvoy par le miroir, un Moi hideur. Cette image rvle la chute dun idal, provoquant une angoisse chez le sujet, qui se retrouve confront au vieillissement et sa mort qui approche. Le stade du miroir bris est une rgression au fantasme du corpsmorcel (notion propose par J. Lacan, 1966):La perception anticipe du morcellement venir (mort-scellement) fait ressurgir le fantasme du corps morcel, cause dangoisse, vcu rtroactivement par lenfant du miroir (J. Messy, 1992, p.43).

La littrature potique offre dabondants tmoignages de cette confrontation une image de soi qui nous dplait, comme par exemple, le pome en prose de C. Baudelaire, Le Miroir. S. de Beauvoir souligne le dcalage qui peut exister, entre le sentiment didentit qui reste inchang et lapparence physique, o le corps est en opposition au soi (cit par G. Coudin, 2002).

Etant donn que la perception de soi est galement influence par le regard dautrui, comme lavance J. Lacan, il me semble que le processus de lidentification pourrait alors jouer un rle important. Quest-ce que lidentification? Lidentification est dfinie comme tant un processus psychologique par lequel un sujet assimile un aspect, une proprit, un attribut de lautre et se transforme, totalement ou partiellement, sur le modle de celui-ci. La personnalit se constitue et se diffrencie par une srie didentifications (J. Laplanche et J-B. Pontalis, 1967, p. 187). S. Freud (1921) a propos trois types didentifications. Le premier renvoie lidentification au pre, dans la priode pr-dipienne. Le second fait rfrence la formation du symptme nvrotique, o lidentification a pris la place du choix dobjet, le choix dobjet a rgress jusqu lidentification, comme lillustre, par exemple, le cas Dora (op. cit., p. 169). Enfin, le troisime type didentification se met en place dans le cas o le sujet partage un ou plusieurs lments communs avec une personne, investie de manire non sexuelle. Dans ce cadre, S. Freud parle alors de communaut affective (op. cit., p.171). Plus les points communs sont nombreux et importants, plus lidentification partielle et lexistence dun lien entre les individus seront favorises. Lorsque le sujet g se retrouve en compagnie dautres personnes du mme ge et faisant face des problmatiques semblables, ne pouvons-nous pas parler de processus didentification? En se runissant pour partager un plaisir commun, en loccurrence, couter de la musique classique, ce processus pourrait alors tre favoris chez les sujet participant aux ateliers thrapeutiques.

En plus du caractre brutal de leur confrontation leur image renvoye par le miroir, les personnes ges doivent galement faire face au discours social, fortement pjoratif. Comme le signalent les sociologues, lavieillessevhicule dans notre socit deux reprsentations opposes (V. Caradec, 2001). La premire est celle dun retrait actif, jouant un rle qui lui est propre. Quant la seconde, beaucoup plus ngative, elle est connote de dpendance, de pertes et de solitude. En rgle gnrale, cette deuxime image se rapproche davantage de ce que se reprsentent les jeunes adultes. Le tableau d'Epinal illustre ce discours social, tant donn que la vieillesse est synonyme de dcadence 60 ans, d'ge caduc 70 ans, de dcrpitude 80 ans et d'imbcilit ou d'enfance 100 ans. Comment la personne ge peut-elle continuer apprcier son image alors que celle-ci est socialement dgrade et dvalorise (C. Herfray, 1988) ? Des sociologues ont propos la notion de lgisme qui dnonce la discrimination envers la population ge (V. Caradec, 2001, p.104). Laccumulation de remarques et de comportements dplaisants, dont les personnes ges sont victimes, a des impacts ngatifs sur lidentit de celles-ci, ce qui peut les conduire vers un isolement social. Ce regard pjoratif induit une crise narcissique, o l'amour pour soi-mme est branl. Il engendre galement des rpercussions importantes sur l'conomie libidinale, pouvant aboutir un repli sur soi (C. Herfray,1988). Mais cette crise narcissique a t conteste par des tudes psychosociologiques. G. Coudin (2002) dfinit lestime de soi comme tant le sentiment de sa propre valeur () fonction du ratio entre attentes de rles et rles russis (p.115). Elle fait remarquer que, malgr ce que nous pouvons croire, lestime de soi resterait stable chez les personnes ges. Etant donn que le discours social est beaucoup plus noir que nest la ralit, les sujets gs sont surpris et fiers de constater quils peuvent encore assurer un rle. Les attentes sont donc bien moindres que la ralit. Dans cette approche, le discours social serait alors protecteur.

Cependant, il me semble important de souligner que ces deux approches utilisent des mthodes dvaluation diffrentes, ce qui peut expliquer cette opposition de points de vue.

1.1.3.2.Le Soi et la mort

Lorsque G. Ferrey et G. Le Gous (1989) proposent la notion de perte de soi, ils abordent la confrontation du sujet sa propre mort. Se reprsenter la mort de quelquun qui nous est proche est douloureux, mais cependant pas impossible. Mais se reprsenter sa propre mort, sa propre fin, est tout fait diffrent. Comme le souligne G. Le Gous en proposant le fantasme dternit, le Moi se croit labri de la mort: la mort ne nous ne menace pas vraiment, elle narrive quaux autres (2001, p. 48). Cependant, le Moi de ladulte vieillissant est soumis au principe de ralit: la fin approche. Le sujet jeune peut remettre ses projets plus tard, tandis quavec le temps, lavenir disparat et ses projets, ses souhaits, senvolent avec lui. Le concept de terminaison illustre cette prise de conscience progressive (op. cit.) Le vieillissement engendre donc de la souffrance : Vieillir, cest souffrir car les pertes de soi qui sadditionnent attaquent le narcissisme au point que dans une perspective anale qui tend fcaliser le dclin, certaines personnes ges disent que vieillir est une faon de pourrir avant de mourir (G. Le Gous, 2000, p. 25). Ce conflit entre les dsirs et la ralit induit donc une angoisse importante, une angoisse de mort, qui peut mme parfois revtir une forme pathologique (J. Guillaumin, 1982, p. 135).

Dans cette perspective, le sujet ne doit pas raliser un travail de deuil d'un tre cher, mais de lui-mme, cest dire un deuil de soi (C. David, cit par M. Cournut-Janin, 2001, p.554). La personne ge approche de sa propre mort et le final serait le renoncement tre vivant. Selon H. Bianchi (1987), le sujet doit alors raliser un deuil du Moi-objet, qui rassemble son propre narcissisme mais aussi l'autre, que ce soit un sujet rel ou un centre d'intrt abstrait (p. 99). Un deuil du Moi-objet aboutirait un investissement non-narcissique de l'autre. En revanche, pour M. Pruchon et A. Thom-Renault (1992), le Moi doit faire le deuil de lui-mme, mais de manire partielle, et non, totale. Le Moi, en tant quobjet, va tre dsinvesti, mais en mme temps, un nouvel objet va tre investi, comme par exemple la foi. Tout ce travail permet de se prparer la mort, tout en continuant de vivre. En ce sens, la pulsion de mort, mais galement la pulsion de vie, notamment sollicite par la remmoration de souvenirs, permettraient de raliser ce travail de deuil de soi. La russite de la perte de soi peut tre galement facilite si la personne rinvestit des occupations qui lui plaisent, le bon objet interne lemporte sur le mauvais, lamour [doit tre] plus fort que les pulsions destructrices (G. Le Gous, 2000, p. 51).

Alors que G. Le Gous met en avant les souffrances engendres par cette confrontation la mort, E. Kbler-Ross estime au contraire que le deuil de l'illusion de l'immortalit permettrait daccepter son destin mais galement de ressentir une trange paix (C. Herfray, 1988, p.217). Ce serait ltape ultime du travail de deuil ralis par des sujets mourants.

Lapproche sociologique sest galement intresse la prise de conscience de lapproche de sa propre mort, qui amnerait rflchir sur soi-mme. Que ce soit travers un point de vue psychanalytique ou sociologique, la majorit des auteurs constatent un repli sur soi chez les sujets gs. V. Caradec (2001) prsume que trois mcanismes sous-tendraient ce retour sur soi. Le premier consiste essayer de donner une signification sa vie. Il cite alors Butler, qui suppose que le sujet accomplit une relecture de sa vie et Marshall, selon qui, une reconstruction du pass est ralise lorsque les personnes ges discutent avec leurs proches. Si la musique joue un rle dans la remmoration de souvenirs, peut-tre permettrait-elle aux rsidents deffectuer cette relecture de vieou une reconstruction du pass. Le deuxime mcanisme permet de donner un sens sa mort, se rapprochant dune certaine srnit: la mort nest pas tragique pour celui qui meurt, seulement pour les survivants (V. Caradec, 2001, p. 120). Enfin, le troisime est une tentative de contrle sur sa mort. La transmission de ce quest le sujet, prend alors ici tout son sens (op. cit.). Chacun essaie de sauvegarder son identit, mais aussi de perptrer ce quil est, dans le but dtre, en quelque sorte, encore prsent aprs avoir quitt ce monde.

En plus des nombreuses pertes auxquelles elles sont confrontes que je viens daborder, les personnes ges sont galement atteintes, dans la majeure partie des cas, de pathologies diverses. Je vais maintenant prsenter les pathologies les plus frquemment rencontres chez les sujets gs.

1.2.Pathologies

Au cours du vieillissement, les individus subissent des pathologies diverses, quelles soient dorigine organique ou psychologique. Selon une tude gouvernementale, environ 85 % des personnes ges de plus de 70 ans places en Etablissement dHbergement pour Personnes Ages Dpendantes (EHPAD), seraient atteintes de troubles neuropsychiatriques (N. Dutheil et S. Scheidegger, 2006). Parmi elles, entre 31% et 35 % auraient un trouble dpressif et entre 28% et 39% seraient dmentes. De ce fait, jaborderai trois pathologies : la dpression, la maladie dAlzheimer et la maladie de Parkinson.

1.2.1.La dpression et le sujet g

Avant daborder les apports psychanalytiques propos de la dpression, je vais tout dabord mintresser la smiologie de la pathologie ainsi quaux problmes rencontrs dans le diagnostic, chez les sujets gs.

Le DSM-IV-R propose que la dpression, intitule pisode dpressif majeur, soit tout dabord caractris par au moins lun des deux aspects principaux: une anhdonie, c'est--dire une perte dintrt ou du plaisir, et/ou une humeur dpressive, triste. Cinq autres symptmes sont galement indispensables, parmi une liste, concernant des problmes somatiques, tels quune [une] perte ou [un] gain de poids significatif en labsence de rgime, ou [une] diminution ou [une] augmentation de lapptit, une insomnie ou [une] hypersomnie, une fatigue ou [une] perte dnergie, une agitation ou [un] ralentissement psychomoteur; mais aussi des symptmes davantage psychologiques, comme par exemple, un sentiment de dvalorisation ou de culpabilit excessive ou inapproprie, une diminution penser ou se concentrer, des penses de mort rcurrentes. Ces divers symptmes doivent avoir une rpercussion importante sur la vie sociale ou professionnelle du sujet.

Malgr le fait que la dpression soit massivement rpandue chez les personnes ges, elle est peu diagnostique (J. Vzina et al., 1995, p.317-318). En effet, les critres prsents peuvent tre confondus avec une pathologie somatique ou avec le processus normal du vieillissement, notamment en ce qui concerne la fatigue ou les troubles du sommeil. Le diagnostic est encore plus difficile tablir lorsque la dpression prend une dimension dlirante ou cognitive (A-M. Ergis, P. Fossati, 2006).

La perte dnergie et lhumeur dpressive sont gnralement banalises chez le sujet g. Par exemple, J. Guillaumin (1976) assimile la dpression une exprience deffondrement du potentiel nergtique la suite du glissement ou de leffacement des structures intrapsychiques auxquelles il saccrochait (p.1060). Or, la vieillesse est caractrise par une baisse de lnergie dinvestissement (M. Pruchon, 1997). Les raisons de la diminution des activits peuvent tre diverses, comme par exemple lapathie, la peur de lchec ou des problmes de sant. Etant donn que la vieillesse est gnralement caractrise par une rduction de la libido et une diminution des activits, ceci expliquerait la confusion rcurrente entre dpression et vieillissement.

Lexpression des symptmes peut se faire galement par le biais de plaintes somatiques. Cest pour cela que la dpression masque, dpression () camoufle derrire dautres symptmes est trs frquente dans la population ge, tant donn que les personnes ont gnralement des problmes de sant divers partir dun certain ge (J. Vzina et al.,1995, p. 320).

Il est important de ne pas banaliser la dpression chez le sujet g car le dsir de mort est frquent, dsir aboutissant parfois au passage lacte. Selon lINSEE, plus de 10000 personnes ges de plus de 65 ans se sont donnes la mort en 2001.

La psychanalyse a tent dexpliquer ce qui serait lorigine de cette pathologie. Un des principaux textes a t rdig par S. Freud (1915). Le terme mlancolie y est employ en tant que synonyme de la dpression: la mlancolie se caractrise du point de vue psychique par une dpression profondment douloureuse, une suspension de lintrt pour le monde extrieur, la perte de la capacit daimer, linhibition de toute activit et la diminution du sentiment destime de soi qui se manifeste en des auto-reproches et des auto-injures et va jusqu lattente dlirante du chtiment (p. 149). Rapprochant la mlancolie au travail de deuil, S. Freud explique que tous deux surviennent aprs la perte dun objet. Le travail de deuil permet un rinvestissement de la libido vers de nouveaux objets, tandis que la libido se tourne vers le Moi dans le cas de la mlancolie. Etant donn que chacun est confront des pertes objectales en vieillissant, il me semble que ceci peut en partie expliquer la frquence de la pathologie dpressive dans cette population.

Alors que S. Freud propose que la dpression soit induite suite la perte dun objet, P. Charazac (2005), lui, postule que la perception dune modification corporelle pourrait galement tre lorigine de laffect. Cet affect dpressif, caractris par des motions telles que la tristesse ou la morosit, prend son origine, selon M. Klein (1968), lors de la phase dpressive, au huitime mois de la vie. Le bb passerait par deux phases successives, caractrisant des relations objectales spcifiques. Dans la premire phase, appele schizo-paranode, le clivage du bon et du mauvais objet est luvre. Puis, l'enfant apprhende progressivement la mre en tant quobjet total, et non plus, comme un objet partiel. Dans cette seconde phase, qualifie de dpressive, les caractres bon et mauvais ne sont plus rattachs des objets spars mais rapports au mme objet. Lenfant craint que ses pulsions destructrices natteignent lobjet damour. Au comble de son ambivalence, le bb est expos au dsespoir. De nombreux auteurs ont avanc que, lors de crises existentielles, cette position dpressive serait rlabore deux reprises. La premire rlaboration aurait lieu vers lge de cinquante ans, lorsque la mort se profile et simmisce dans la psych de lindividu (E. Jacques, cit par P. Charazac, 2005, p.23). Cette mme angoisse, que lenfant ressent envers une mre menaante est alors prouve. Quelques annes plus tard, lorsque le sujet a atteint le grand ge, cette position serait de nouveau mobilise loccasion des modifications physiques imposes par le vieillissement. Ce serait une une reconstruction dpressive partir de matriaux nouveaux, matriaux bass sur des substrats organiques (P. Charazac, 2005, p.24). Dans ce cas, la plainte physique serait sous-tendue par le besoin de trouver une raison sa mort prochaine. Cette rlaboration de la position dpressive serait donc tendance corporelle (op. cit.). Il est intressant de se demander comment le sujet g passe de la position dpressive la dpression. Cette pathologie trouverait son origine dans lenvahissement des mauvais objets internes qui menacent notre narcissisme. P. Charazac (2005) propose que la dpression traduirait lincapacit atteindre la position dpressive. Il est important de noter que laffect dpressif nest pas confondre avec la dpression. La seule prsence dun affect dpressif chez un sujet nimplique pas quil soit dpressif. On ne peut parler de dpression qu condition davoir authentifi la prsence dun syndrome dpressif, regroupement de symptmes, que jai au pralable prsents (op. cit., p.27).

1.2.2.Les maladies neurodgnratives

De nombreux tests neuropsychologiques permettent de dpister une dmence. Le Mini Mental State (MMS) est un test qui permet dobjectiver la prsence dune dmence chez le sujet, mais dvaluer galement son intensit. Le MMS explore diffrents domaines altrs par une dmence: lorientation temporo-spatiale, le langage, la mmoire, les praxies constructives et lattention. Le seuil pathologique est, en gnral, de 24/30. Cependant, il est important de souligner que leffet du niveau-socio-conomique du sujet est important. Le Groupe de Rflexion sur les Evaluations Cognitives a remarqu que plus le niveau dtudes est lev, plus le score seuil sera proche de 30. Cest pour cette raison que certains auteurs estiment que ce score serait plutt de 26/30.

1.2.2.1

La maladie dAlzheimer

Mme si aucun des sujets de mon tude na la maladie dAlzheimer, je souhaite tout de mme prsenter, succinctement, cette pathologie. En effet, les personnes ges qui sont institutionnalises y sont quotidiennement confrontes.

La maladie dAlzheimer est une maladie neurodgnrative, mais son tiologie reste inconnue. Selon le DSM-IV, les troubles cognitifs sont au premier plan dans la maladie dAlzheimer. La mmoire antrograde puis rtrograde est fortement atteinte. La neuropsychologie clinique met en vidence un dficit du stockage et non de la rcupration de linformation (R. Gil, 2003). En effet, le rappel indic napporte aucun bnfice aux performances de rappel. Dautres troubles cognitifs sont galement prsents, notamment, une aphasie, des apraxies, une agnosie, et une perturbation des fonctions excutives. Ces dficits altrent le fonctionnement social et/ou professionnel et marquent un dclin continu. Des ides dlirantes, gnralement de perscution ou de jalousie, et des troubles du comportement peuvent galement tre associs aux symptmes cognitifs (G. Ferrey et G. Le Gous, 1989).

1.2.2.2.La maladie de Parkinson

Etant donn que lun des sujets de mon tude est atteint de la maladie de Parkinson, je vais dvelopper cette pathologie de manire beaucoup plus approfondie.

La maladie de Parkinson est une pathologie dgnrative sous-corticale, ce qui explique la prgnance dune symptomatologie motrice, du fait dun dysfonctionnement sous-cortico-frontal, qui perturbe les boucles de la rgulation motrice. Lexpression triade de symptmes moteurs est utilise pour la maladie de Parkinson. Ces trois symptmes sont le tonus et la rigidit des membres, les tremblements au repos et la bradykinsie, la lenteur des mouvements volontaires et lakinsie, terme qui dsigne lincapacit de raliser un mouvement.

Cependant, cette description de la maladie est rductrice, tant donn que des troubles cognitifs, dintensit variable, ont t relevs chez des patients non dments (P. Derkinderen, 2003). Les sujets parkinsoniens, un stade dbutant de la maladie, prouvent des difficults, qui sont sous-tendues par des troubles cognitifs divers, dans la ralisation des tches quotidiennes. Tout dabord, ils ont des dficits attentionnels, qui concernent lattention slective tandis que lattention soutenue reste prserve. Ensuite, ils ont galement une altration mnsique, mais seulement lors du rappel libre. En effet, un rappel indic permet de normaliser les performances, ce qui souligne un dficit de rcupration et non pas de stockage de linformation (op. cit.). Des auteurs se sont galement intresss la mmoire autobiographique, dans la maladie de Parkinson. Ils ont constat que les sujets ont des difficults organiser leurs souvenirs dans le temps mais quils peuvent rappeler leurs contenus (P. Piolino 2000). Enfin, des troubles des fonctions excutives, ensemble des processus cognitifs permettant dlaborer et de contrler les comportements volontaires, ont t relevs (P. Derkinderen, 2003, p.417).

Le sujet parkinsonien volue vers une dmence dans 15 20% du temps (op. cit.). La notion de dmence parkinsonienne est dailleurs controverse, tant donn que cette volution nest pas systmatique. (F. Mahieux, G. Fenelon, 2006). Cependant, un tableau clinique de la dmence dans la maladie de Parkinson peut tre bross. Des auteurs ont avanc que ce syndrome tait sous-cortico frontal (P. Derkinderen, 2003, p.417). Les troubles dcrits auparavant, en ce qui concerne le cas de maladie de Parkinson sans dmence avre, sont retrouvs, mais sont dintensit plus importante. Trois grands symptmes sont mis en avant: un syndrome dysxcutif svre; des troubles de rappel mnsiques en cas de rappel libre, mais qui disparaissent avec un indiage; une apathie, une lenteur de lidation (bradyphrnie) et frquemment un syndrome dpressif (op. cit.). En revanche, les fonctions instrumentales sont prserves.

Des troubles neuropsychiatriques, notamment des troubles de lhumeur, ont galement t relevs. Dans 30 40% des cas, une dpression peut prcder la maladie (J-L. Huto, F. Durif, p.409).

Les pathologies lies au vieillissement, diminuant lautonomie du sujet, sont souvent lorigine dune institutionnalisation dans un tablissement griatrique.

2.Les institutions griatriques

Jusquau dbut des annes 1960, les hospices, hbergements financs par les pouvoirs publics, accueillaient les personnes ges infirmes ou incurables. En 1962, le Rapport Laroque a compar les hospices des prisons, en soulevant que ces tablissements favorisaient lexclusion de cette population. Les mdecins griatres ont alors propos, dans les annes 1970, la notion de dpendance pour qualifier les personnes tant dans lincapacit et [dans] le besoin daide, la relation entre les deux apparaissant automatique, et assimilant la dpendance une perte dautonomie (V. Caradec, 2001, p. 24). La loi du 30 juin 1975 a promulgu la fermeture des hospices. A la suite de cela, lhbergement des personnes ges, qui ne peuvent plus se suffire elles-mmes, est devenu problmatique, puisque lhpital nest pas sens hberger les patients mais les soigner. Ce problme na cess de samplifier, notamment par la fermeture de nombreux lits en long sjour (A. Catherin-Quivet, 2005). Cest dans cette optique que des structures adaptes ont t cres, et elles ont volu pour aboutir la mise en place dEHPAD. En 1987, une Charte des droits et des liberts des personnes ges dpendantes a t propose, afin de souligner limportance des soins mdicaux mais galement psychologiques dans la griatrie: la vieillesse est une tape pendant laquelle chacun doit pouvoir poursuivre son panouissement (cit par M. Bauer, 2005 p.118).

Ce bref historique permet de montrer combien les soins apports la personne ge en tablissement griatrique de longue dure se sont longtemps limits soulager la souffrance physique, laissant de ct la souffrance psychologique.

Avant de prsenter les thrapies proposes dans une institution, je vais tout dabord mintresser la prise de dcision de cette tape.

2.1.La prise de dcision de linstitutionnalisation

Les raisons qui amnent une institutionnalisation de la personne ge sont trs diverses. Un dbut de maladie dAlzheimer, la ncessit de soins mdicaux particuliers afin de pallier une incapacit fonctionnelle (le fait de ne plus pouvoir marcher, ni se laver, ni manger seul), sont autant de raisons expliquant la baisse dautonomie du sujet, cause la plus frquemment voque pour justifier lentre dans une structure adapte.

La dcision du placement peut tre prise dun commun accord entre la famille et le sujet g. Une tude anthropologique a t mene dans un EHPAD afin doffrir un tmoignage du vcu des rsidents, et ce, de leur entre dans la structure jusqu leur dcs (N. Jaujou et al. 2006, p. 31). Certains rsidents expliquent avoir prfr linstitutionnalisation afin de soulager leur famille dun poids, dun fardeau (op. cit., p.30). Mais les auteurs mettent en avant que le discours tenu est parfois contraire la ralit. En effet, dans 80 %, ce ne sont pas les rsidents qui sont lorigine de cette prise de dcision mais la famille (S. Valois-Laublin, 2003, p.58). Comme le remarque P. Meire (1986), le terme de placement est plein de sousentendus et dvocations. Dans ce terme, il y a une bonne dose de passivit et de dsapprobation de soi. On est plac, quelquun agit votre place, o on vous place comme un bureau de placement (p. 82). La famille peut mme parfois entreprendre des dmarches sans que le principal concern ne le sache.

Dautres auteurs considrent que lquipe soignante et le patient joueraient un rle aussi important que celui de la famille dans cette prise de dcision. P. Charazac (2005) suppose que ces trois partenaires tablissent un consensus trois niveaux (p. 118). Le premier niveau, qualifi de symbolique, met en avant limportance de la lgitimit de la personne ou du groupe dcisionnaire aux yeux du patient. Laffectivit du principal concern prend une place majeure tant donn que la confiance quil accorde ses proches est primordiale. Le deuxime niveau concerne la ralit extrieure. Que ce soit propos des faits qui sont la base du placement ou des contraintes de linstitution, la dcision doit tre conforme la ralit perue par les trois partenaires (op. cit., p. 119). Enfin, le troisime niveau est appel thique (op. cit.). Lquipe soignante doit juger de lintrt de linstitutionnalisation pour le patient. Laccompagnement dans cette tape doit tre au mieux pour le sujet g, afin de laider affronter cette transition.

Le placement en institution est donc une dcision difficile prendre pour les trois partenaires. Je vais dsormais me centrer sur le vcu du rsident.

2.2.Linstitutionnalisation vcue par la personne ge

Que ce soit dun point de vue sociologique ou psychologique, linstitutionnalisation est, en gnral, une tape extrmement douloureuse pour la personne ge.

Comme cela a t prcdemment abord, la dcision est bien souvent prise par lentourage, contre le gr du principal intress. La personne ge doit alors quitter son domicile. Elle voit ses habitudes de vie bouleverses et ses proches sloigner, pour aller vivre dans un lieu quelle ne connat pas, et, qui plus est, avec des inconnus. Elle doit non seulement raliser le deuil de son ancien domicile, mais aussi accepter que linstitution constituera son dernier chez-soi (P. Charazac, 2005, p.116). Ce sujet est souvent vit, que ce soit par les soignants ou par la famille. Le sujet g vit tout ceci avec une grande souffrance : cest pour toujours (op. cit.). En effet, lissue de cette institutionnalisation sera, soit une entre dans un service rserv des soins palliatifs, soit la mort.

Dsormais, le niveau dindpendance du nouveau rsident diminue fortement: il nest plus libre de faire tout ce quil veut ni quand il le souhaite. Dornavant, lenjeu est dessayer de garder une part dautonomie dans un tablissement pour personnes dpendantes (N. Jaujou et al., 2006, p.84). Comme le souligne le sociologue V. Caradec, lentre en maison de retraite peut devenir un processus de dpersonnalisation aux effets dvastateurs pour lidentit (2001, p.116). Les relations entre le rsident et le personnel peuvent parfois tre dvalorisantes, comme par exemple, lorsque le personnel soignant rentre dans les chambres sans mme prendre la peine de frapper. Quant aux relations avec les autres rsidents, elles sont en gnral superficielles. Ceci serait d la dprise, c'est--dire un dsinvestissement objectal (op. cit., p.88). Cette dprise permettrait tout dabord de se protger de larrt dune relation engendr par un dcs mais aussi, de limage renvoye par les autres rsidents.

Lorsque nous travaillons dans une maison de retraite, il est trs frquent dentendre les rsidents appeler les autres pensionnaires, les vieux. Comme nous lavons vu prcdemment, beaucoup dentre eux ont une pathologie dgnrative et sont un stade plus ou moins avanc de la maladie. Dans une dmence avance, les troubles du comportement sont frquents, et peuvent tre parfois trs agressifs. Ceux qui sont relativement prservs ctoient des dments quotidiennement. Cette cohabitation est source dangoisse pour ceux qui sont encore valides (op. cit.). Les personnes mentalement ou physiquement dficientes reprsentent ce vers quoi ils ne veulent pas se diriger. En plus de subir sa propre image, le sujet sapproprie celle des autres pensionnaires, ce qui pourrait renforcer langoisse engendre par le miroir bris. Comme le souligne J. Messy (1992), le vieux, cest lautre, dans lequel nous ne nous re-connaissons pas (p.19).

Cependant, il est possible que cette confrontation des personnes plus malades que soi permette une comparaison sociale vers le bas, qui consiste se comparer quelquun de plus dfavoris que soi (G. Coudin, 2002). Directement issue de la psychologie sociale, cette notion suppose que ce type de comparaison permettrait de sauvegarder son estime de soi mais galement de se valoriser.

Pour toutes ces raisons voques, le placement est vcu par la personne ge comme un vritable traumatisme psychique, c'est--dire un vnement de vie qui se dfinit par son intensit, l'incapacit o se trouve le sujet d'y rpondre adquatement, le bouleversement et les effets pathognes durables qu'ils provoquent dans l'organisation psychique (J. Laplanche et J-B. Pontalis, 1967, p. 499). Cest pour cela que P. Charazac a propos la notion de noyau traumatique afin de souligner les effets dvastateurs de cette tape dans la vie du sujet (2005, p.129).

Comme nous venons de le voir, le vieillissement est source de souffrances, qui sont aggraves suite une institutionnalisation. Il est donc important de proposer des thrapies afin que les personnes ges puissent affronter leurs angoisses.

2.3.Thrapies en institution

De nombreuses prises en charges psychologiques sont aujourdhui proposes aux personnes ges, afin de les aider affronter les difficults quelles rencontrent. Il est cependant important de noter quil nest pas toujours facile de les diffrencier et de connatre leurs spcificits.

2.3.1.Ateliers danimation

Depuis quelques annes, lanimation tient une place de plus en plus importante dans des institutions grontologiques. Elle peut tre dirige par des animateurs, mais aussi par des aides soignants ou des infirmiers, entre autre. De nombreux auteurs ont tent de dfinir lanimation en griatrie. Tous se rejoignent sur un point: lanimation a pour objectif de donner de la vie. M. Pruchon (1997) explique que quelle que soit la dfinition attribue au terme d'animation, il renvoie de par son tymologie latine anima (souffle, vie) la pulsion de vie, la libido, facteur de liaison (p.113). Comme je lai dj soulign, les professionnels de la grontologie ont pris conscience que ces tablissements ne doivent plus limiter leur pratique une gestion disciplinaire des corps (E. Goffman cit par V. Caradec, 2001). Les structures essaient de rendre dsormais la fin de vie des rsidents plus agrable, et ont l'objectif de solliciter la pulsion de vie: animer le sujet g, quest-ce que dautre que le faire vivre? (M. Brunet, 1999, p.97).

Alors que les animations sont ralises par le personnel mdical soignant ou par des animateurs, la psychothrapie est pratique par un psychologue.

2.3.2La psychothrapie

Avant de mintresser aux diverses psychothrapies proposes en grontologie, je vais prsenter les caractristiques gnrales de la psychothrapie.

2.3.2.1

La notion de psychothrapie

Le terme psychothrapie dsigne toute utilisation de moyens psychologiques pour traiter une maladie mentale, une inadaptation ou un trouble somatique (E. Roudinesco et M. Plon, 1997, p.756). La psychothrapie comporte des caractristiques bien prcises. Bloch propose sept critres permettant de dfinir une psychothrapie: le thrapeute, un patient, un lieu de rencontre, une rmunration, une relation particulire, une mthode et un systme de rfrence (cit par E. Lecourt, 2005, p.50). Le thrapeute est un professionnel ayant pour but de soigner et d'aider. Il utilise des mthodes et un savoir-faire particuliers, qui sont divers et varis. Sa pratique se rfre une thorie particulire, comme par exemple la psychanalyse ou le comportementalisme. Le patient demande une aide un professionnel, en l'occurrence, le thrapeute car il est en souffrance. Le lieu de rencontre est institutionnel, et il est toujours le mme. La relation entre le patient et le thrapeute donne une perspective d'espoir. Les rencontres sont rgulires mais de frquence variable. Il est important que cette relation ait un cot pour le patient, afin de donner un cadre professionnel cette dmarche. Cependant, en griatrie, la demande nest pas toujours prsente. Jaborderai ce point ultrieurement.

Etant donn que les ateliers de musique classique sont raliss en groupe, je vais aborder les apports psychanalytiques sur les psychothrapies de groupe.

2.4.2.2.Les psychothrapies de groupe

Il existe trois types dapproches psychanalytiques sur les psychothrapies de groupe: lanalyse de groupe, en groupe et du groupe (A. Deneux, 2006).

Lanalyse du groupe se proccupe de lentit groupe, qui devient un moyen thrapeutique en tant que tel. Selon Foulkes, un des pionniers de lcole anglaise, le groupe ragit comme un tout et pas seulement comme la somme de ses membres (cit par P. Robert, 2006). D. Anzieu est une figure emblmatique franaise du domaine. Pour lui, un groupe est une enveloppe qui fait tenir ensemble des individus (D. Anzieu cit par P. Privat et al. 2001, p.13-14). Lenveloppe psychique groupale est ncessaire lidentit et lespace interne du groupe. En prsentant la notion de Moi-Peau, il met en avant que lappareil psychique, individuel ou groupal, doit se constituer une enveloppe qui aura diverses fonctions: contenir, protger, dlimiter ou changer avec lextrieur. Tout en gardant l'ide d'un inconscient individuel, le groupe aurait donc son propre Soi, avec ses processus identificatoires et ses fantasmes. Il serait, tout comme le rve, le lieu mais aussi le moyen de la ralisation imaginaire des dsirs inconscients.

Dans la majeure partie des groupes rgne une illusion groupale (D. Anzieu, 1975). Chacun des membres a le sentiment dappartenir un bon groupe : Jappelle illusion groupale un tat psychique particulier qui sobserve aussi bien dans les groupes naturels que thrapeutiques ou formatifs, et qui est spontanment verbalis par les membres sous la forme suivante: nous sommes bien ensemble; nous constituons un bon groupe; notre chef ou notre moniteur est un bon chef, un bon moniteur (cit par E. Lecourt, 1993, p.26). Ce moment dillusion groupale est fusionnel. Mais cet tat nest quune ralit imaginaire, tant donn que le groupe est constitu dindividus diffrents. Chaque membre du groupe a des mcanismes de dfense et des angoisses. Ce sont ces points communs entre les individus qui vont favoriser la cration de lillusion groupale. Pour le groupe, lillusion groupale serait mise en place par la projection du Moi Idal de chacun des individus et cet ensemble formerait le Moi Idal Commun. Mais, en contrepartie, un autre processus va se mettre en place: le fantasme de casse, o une angoisse de castration et de destruction groupale sont sous-jacentes.

Tout comme D. Anzieu, R. Kas pense que le groupe a une ralit psychique qui lui est propre et il propose la notion dappareil psychique groupal (R. Kas, 1976). Lappareil psychique groupal accomplit un travail psychique particulier: produire et traiter la ralit psychique du groupe de et dans le groupe. (op. cit., R. Kas, 1999, p.64). Lappareil psychique groupal a pour fonction de relier et de transformer les psychs individuelles dans le groupe. En contrepartie, le groupe doit grer mais aussi transformer les investissements et les projectionsdu groupe. Ces processus constituent la ralit psychique du groupe.

Le deuxime type de psychothrapie de groupe est lanalyse en groupe. Elle sintresse lindividu dans le groupe et non au groupe lui-mme. De nombreux thrapeutes ralisent ce type de pratique dans les institutions, dans le but de multiplier les prises en charge et non pour les intrts que lentit groupe peut apporter. Les problmatiques et les spcificits groupales sont gnralement mconnues par ces professionnels. Or, il est primordial de bnficier dune formation adapte aux psychothrapies groupales et non de se contenter de son exprience propos des thrapies individuelles (A. Deneux, 2006).

Enfin, lanalyse de groupe sintresse chacun des sujets dans lespace du groupe. Ce type danalyse porte sur la dialectique des interactions qui se jouent entre [les individus], sur ce qui les lie, les confronte et les retient dans un ensemble (op. cit., p.82). Dans ce cas, rflchir sur lapport bnfique du groupe lindividu devient une priorit.

2.3.3.Les psychothrapies en griatrie

Les prises en charge psychothrapeutiques sont diverses. Elles sont adaptes selon trois facteurs: ltat actuel de lappareil psychique, la symptomatologie et la personnalit antrieure du patient ou du rsident (M. Pruchon, 1997 p. 122). Il va de soi quune psychothrapie mene auprs dune personne atteinte de la maladie dAlzheimer un stade avanc sera diffrente de celle ralise auprs dune personne dont les fonctions cognitives ne sont pas altres.

Un des obstacles dans la psychothrapie en grontologie est la mconnaissance de cette pratique par les rsidents, ce qui engendre une rsistance culturelle de la part des personnes ges (op. cit., p. 123). En plus de cela, tant donn que leur fin de vie approche grands pas, les sujets gs nesprent plus rien. Or, il est important de verbaliser ses dsirs. Mme sils ne sont pas ralisables, en parler permettra au moins de rver (P. Charazac, 2005). Dautres raisons peuvent expliquer cette rsistance de la part des rsidents, notamment la dpendance cre par la relation psychothrapeutique.

La demande dune cure psychanalytique ou dune psychothrapie dorientation analytique est donc plutt rare, dautant plus que les capacits de mentalisation chez ces sujets sont gnralement mauvaises, vu que beaucoup dentre eux sont atteints de dmence. Malgr ces inconvnients, il est primordial de privilgier lcoute et le dialogue, et de ne pas limiter les soins au domaine mdical, c'est--dire corporel (M. Pruchon, 1997).

M. Pruchon (1997) propose trois grands types dinterventions psychothrapeutiques. La premire, la psychothrapie base sur linsight, a pour objectif de se tourner vers le pass afin de reconsolider les assises identitaires et narcissiques du sujet. Comme le souligne F. Btourn (2007), essayer de redonner un statut dtre historique au rsident est ncessaire. Ceci est mes yeux primordial lorsque le sujet vit dans une institution griatrique, structure trop frquemment qualifie comme tant dshumanisante (M. Pruchon, 1997, p. 123). Les psychothrapies de soutien ont pour but daider le patient affronter les traumatismes actuels, comme par exemple les difficults engendres par linstitutionnalisation, par la maladie ou par un deuil du conjoint (P. Charazac, 2005). Elle est gnralement destine des rsidents ou des patients qui ont des capacits mentales limites. Enfin, dautres domaines thrapeutiques peuvent tre proposs, comme par exemple, la relaxation, lapsychothrapie mdiation corporelle, le psychodrame, o le patient doit jouer des rles divers qui le concernent, laccompagnement en fin de vie ou encore lanimation-psychothrapie (M. Pruchon, 1997). Les ateliers de musique classique appartiendraient cette catgorie. Lintrt est de susciter ou de maintenir le dsir et la curiosit, entre autre.

Ainsi, des projets de vie sont mis en place pour chacun des rsidents, afin de rpondre au mieux leurs besoins. Dans ce cadre, une psychothrapie peut tre propose pour, aider affronter les problmes ou soutenir, par exemple.

Sapparentant fortement la musicothrapie, les ateliers thrapeutiques auxquels je mintresse, utilisent la musique. Ainsi, je vais prsenter ce type de thrapie mais aussi la spcificit du support musical dans la thrapie.

3.Le support de la musique dans la pratique du psychologue

Diverses thrapies, qui utilisent des supports artistiques, ont vu le jour, et je me suis demande quelle tait la spcificit de la musique par rapport aux autres mdiations thrapeutiques.

3.1L'intrt port la musique au fil des sicles

L'ide d'un effet thrapeutique de la musique existe depuis lAntiquit. La musique peut avoir des vertus cathartiques ou sdatives (E. Lecourt, 2005). La catharsis est une mthode de psychothrapie o leffet thrapeutique cherch est une purgation (catharsis), une dcharge adquate des effets pathognes. La cure permet au sujet dvoquer et mme de revivre les vnements traumatiques auxquels ces affects sont lis et dabragir ceux-ci (J. Laplanche et J-B. Pontalis, 1967). Dans ce sens, la musique serait un moyen de se dcharger. En revanche, la musique sdative a pour but dapaiser l'esprit. Ceci peut tre illustr par les berceuses que peuvent chanter les mres leur bb afin de le tranquilliser (E. Lecourt, 2005).

Au XIXe sicle, les mdecins pratiquaient la musicothrapie dans les hpitaux psychiatriques dans le but de calmer les patients agits (E. Lecourt, 2001, p. 105). Cela rejoint ainsi leffet sdatif quelle peut procurer. Cette priode est la base de la musicothrapie, telle quelle est conue aujourdhui.

3.2.La musicothrapie: une mdiation thrapeutique

La musicothrapie est considre comme faisant partie des mdiations thrapeutiques car la musique est considre comme tant un objet mdiateur de la relation (C. Rivemale, 1996, p. 66). Selon C. Gurin,la rencontre clinique est toujours une triple rencontre avec l'autre, avec soi-mme et avec un objet qui articule le passage soi et de soi l'autre. Objet que nous pourrions appeler un objet de relation ou bien de rencontre (cit par E. Lecourt, 2005, p.62-63).

La notion dobjet transitionnel, propose par D. Winnicott (1975), est la base des mdiations thrapeutiques. Il explique que lenfant trouve un objet concret, quil cre ensuite en tant quobjet transitionnel, puis quil garde, notamment dans les situations de sparation. Cet objet ne reprsente pour lenfant ni une partie de lui-mme, ni un objet extrieur, mais un objet intermdiaire entre ces deux situations, qui permet le passage (la transition) du point de vue dveloppemental, entre la fusion initiale avec lobjet et la sparation. Ces objets transitionnels sont donc des lments normaux du dveloppement permettant daccder lindividuation. Lenfant trouve donc cet objet transitionnel pour ensuite se lapproprier.

D. Winnicott(1975) insiste galement sur la notion de jeu. En effet, selon lui, l'enfant fait sa premire exprience de jeu en utilisant cet objet transitionnel. Dans l'aire transitionnelle, espace de jeu cr par l'enfant, celui-ci joue en mettant la ralit extrieure au service de sa vie intrieure. Le jeu, acte spontan, permet l'enfant d'exprimenter sa crativit. Il peut sortir de l'tat fusionnel primaire sans se sentir en danger de destruction et accder ainsi son propre moi. Cest en jouant et seulement en jouant que l'individu, enfant ou adulte est capable d'tre cratif et d'utiliser sa personnalit toute entire. C'est seulement en tant cratif que l'individu dcouvre son vrai soi (D. Winnicott cit par C. Rivemale, 1996, p.67).

Dans le cadre de la musicothrapie, la musique est lobjet de relation. Mais quest-ce la musicothrapieexactement? Cest une forme de psychothrapie ou de rducation qui utilise le son et la musique - sous toutes leurs formes - comme moyen de communication, d'expression, de structuration et d'analyse de la relation. La musicothrapie fait partie des psychothrapies mdiation dans la mesure o elle introduit dans la relation patient-thrapeute un troisime terme: la musique. Celle-ci n'est pas l'objet de la thrapie, ni sa finalit mais le moyen d'une laboration et dune prise de conscience (N. Laeng, 2001, p.118). Ce nest donc pas la musique qui est thrapeutique en soi, mais sa signification dans la ralit interne du sujet. Cependant, il ne suffit pas dintroduire la musique dans une sance de musicothrapie pour assurer sa fonction dobjet transitionnel.

La musique peut, pour le thrapeute ou le patient, tre investie de deux manires: soit elle pose une distance, c'est--dire de ne pas se retrouver face face, soit elle est fusionnelle, c'est--dire de pouvoir se comprendre sans les mots (E. Lecourt, 2005). La thrapie engage un travail entre ces deux extrmes.

Quest-ce que la musique apporte de particulier par rapport aux autres mdiations thrapeutiques? Elle a un pouvoir affectif (S. Freud, cit par E. Lecourt, 2001, p.100). Elle peut rassembler des personnes afin de partager un plaisir commun, de sortir de la solitude et de s'ouvrir aux autres: la musique est au fondement de ltreensemble (E. Lecourt, 2003, p. 28). En effet, la musique a cette grande force, dans le cadre particulier de la musicothrapie, d'tre une exprience partage contre la solitude, le sentiment d'abandon et dimpuissance. Par exemple, R. Bright, a utilis la musique en griatrie, notamment pour lutter contre ce sentiment de solitude (cit par N. Laeng, 2001, p.122-123). Ce fait retient toute mon attention tant donn que la personne ge vivant en institution, se sent souvent seule et abandonne.

De plus, la musicothrapie s'inscrit dans un certain rapport au social, au culturel. L'axe thrapeutique principal n'est plus ici lanalyse de la relation transfrentielle, mme si celle-ci est souvent utilise techniquement. Ce serait plutt l'analyse du processus par lequel se symbolise, dans une situation donne, un vcu particulier caractris, notamment, par une implication corporelle. Il se joue alors une combinaison de dimensions individuelles, groupales et corporelles.

Enfin, divers auteurs avancent que la musique favoriserait lexpression des motions mais surtout permettrait de revivre le pass (N. Laeng, 2001, p.122-123). Etant donn que des dficits mnsiques sont constats dans le vieillissement normal mais aussi dans les dmences, ce point me semble intressant pour mon tude. Nous avons vu que le rappel indic permettait damliorer les performances du sujet g, ainsi que du sujet parkinsonien. La musique pourrait alors jouer un rle important dans la rminiscence de souvenirs (A. Goldberg, 2001). Mais en quoi raviver le pass serait thrapeutique? Comme nous lavons vu prcdemment, les thrapies bases sur linsight ont pour but de replacer le sujet g dans son histoire et dans son vcu. Il me semble alors que les ateliers thrapeutiques de musique classique pourraient partager ces mmes objectifs.

Comme de nombreuses thrapies, la musicothrapie peut tre pratique avec des techniques diverses.

3.3.Les techniques de la musicothrapie

Le musicothrapeute, quelles que soient les mthodes utilises, aura pour objectif essentiel le jeu, le dveloppement de la crativit, le plaisir, la reconnaissance de son identit. Il existe diverses perspectives de musicothrapie, qui se sont dveloppes selon les diffrents courants psychologiques du XXe.

3.2.1.Musicothrapie et approches thrapeutiques

Tout comme pour les thrapies, il existe diffrentes approches dans la musicothrapie (E. Lecourt, 2005, p.52-57).

Une thrapie oriente vers une dmarche psychanalytique s'intresse particulirement aux processus inconscients qui sont en jeu, mais aussi l'analyse de la relation thrapeutique. Cette thorie est notamment utilise lors de la communication sonore en groupe, c'est dire une production sonore, ralise par le biais d'instruments divers, ayant pour objectif de dialoguer avec autrui. Des lments inconscients et prconscients peuvent alors merger.

Le comportementalisme, dont l'un des auteurs pionniers est Watson, est un courant qui est largement rpandu dans les pays anglo-saxons. Deux principes fondamentaux le rgissent. Le premier met en avant que seul ce qui est objectivable peut tre pris en compte. Le deuxime porte laccent sur l'importance de l'environnement, qui entrane des modifications internes. Cependant, tous les aspects intra-psychiques n'ont aucun intrt pour ce courant, tant donn que le sujet n'est qu'une bote noire. La musicothrapie qui se base sur ce courant s'apparente au conditionnement, avec une utilisation du renforcement positif et ngatif.

Le cognitivisme, qui complte ou s'oppose au comportementalisme, tient en revanche compte des aspects intra-psychiques du sujet. Dans le cadre de la musicothrapie, la musique est un moyen utilis pour modifier les reprsentations.

Les thrapies familiales systmiques apprhendent le sujet dans un systme global dont il dpend (et non dans ses relations isoles). Le thrapeute peut proposer aux divers membres d'une famille de raliser une improvisation familiale, afin de mettre en lumire les diffrentes caractristiques relationnelles du groupe. Malgr l'importance de ce courant dans le domaine thrapeutique, la musicothrapie n'a pas beaucoup t influence par cette approche.

Enfin, les psychothrapies humanistes prnent une vision optimiste de l'tre humain. Lobjectif est la ralisation de soi-mme. La musique permettrait, selon cette vision, de vivre des expriences d'extase.

3.2.2.Musicothrapie rceptive et musicothrapie active

Il existe deux techniques de musicothrapie: la musicothrapie active et la musicothrapie rceptive (E. Lecourt, 1988). Dans la musicothrapie active, le patient produit de la musique, il est actif. Le sujet peut s'exprimer avec des instruments, mais aussi avec son corps. L'objectif n'est pas d'apprendre la musique, mais de sexprimer ce qui peut mme aider la personne se soulager, voire se structurer (E. Lecourt, 2005, p.120).

Mais au cours de ce mmoire, je mintresserai principalement la technique rceptive de la musicothrapie, tant donn que les ateliers thrapeutiques auxquels les sujets de mon tude participent, sy apparentent.

La musicothrapie passive peut tre mene en groupe ou individuellement. Le sujet est invit couter de la musique, dans le cadre d'une relation clinique. Le choix de la musique est essentiel. Afin de s'adapter chacun, le musicothrapeute doit avoir une culture musicale importante (op. cit., p. 106). Il propose des morceaux qu'il a lui-mme choisi, qui correspondent au plus prs la personnalit du ou des sujets. Aprs l'coute du morceau, le sujet est sollicit s'exprimer librement sur l'extrait cout. Lors des sances en groupe, le musicothrapeute favorise les changes intra-groupe.

Le nourrissage musical est une forme de musicothrapie passive (E. Lecourt, 1988, p. 45). Le terme nourrir est utilis car, dans ce cadre, le thrapeute rpond un besoin exprim par le patient. Le sujet coute les morceaux proposs par le thrapeute, puis, dans un second temps seulement, il verbalise les motions suscites par la musique.

Je me suis demande en quoi la musicothrapie se distinguait de lanimation. N. Laeng (2001) explique que lanimation musicale recherche donner un plaisir commun ceux qui participent, tandis que dans la musicothrapie, lillusion groupale est une phase inaugurale et non laboutissement de la thrapie (p.122). Elle prcise galement que le musicothrapeute se distingue tout dabord par sa formation, et par ses objectifs mais galement par ses rfrences thoriques. Il est important dajouter que les musicothrapeutes bnficient dune formation universitaire, mise en place par une association, au dbut des annes 1970 (E. Lecourt, 2005). Aujourdhui, la musicothrapie est reprsente au niveau international, comprenant notamment une fdration mondiale.

La musique a donc largement sa place au sein des psychothrapies actuelles et elle joue un rle spcifique.

Mes assises thoriques mettent en avant la douleur engendre par le vieillissement mais aussi par linstitutionnalisation. La personne ge est confronte des pertes diverses, un appauvrissement de la vie sociale, ainsi qu une diminution de linvestissement de la libido. De nombreuses thrapies sont proposes dans les structures grontologiques. Mon tude va sintresser aux bnfices que le sujet peut trouver dans les ateliers thrapeutiques de musique classique mis en place dans les maisons de retraite.

PARTIE CLINIQUE

1.Hypothses

Mes assises thoriques mettent en avant les difficults engendres par le vieillissement mais surtout par linstitutionnalisation. Je pense que les ateliers thrapeutiques musicaux pourraient tre bnfiques sur deux niveaux, videmment lis:

La personne ge:

Son rapport avec les autres membres du groupe: le fait dtre en compagnie dun groupe permettrait de redynamiser son investissement objectal et de crer un tissu social, ce qui laidera lutter contre un sentiment de solitude mais galement de la renarcissiser.

Le rle de la musique: le sujet se remmorera des souvenirs grce lcoute musicale. Evoquer son pass lui permettra de sapprhender en tant qutre historique, ce qui est particulirement important lorsque le sujet est atteint dune pathologie dmentielle.

Le rle du psychologue lors des ateliers:

Bien quil se distingue de la musicothrapie pure, latelier thrapeutique na pas quune fonction occupationnelle. Tout dabord, le psychologue sollicitera les sujets verbaliser leurs ressentis. De plus, la dynamique de groupe que le psychologue met en place favorisera un sentiment d'appartenance ce groupe chez les participants, tout en respectant lindividualit de chacun. Le fait dtre en groupe et dcouter de la musique napporte pas au sujet les mmes intrts quun entretien individuel.

2.Mthodologie

Mme si lide de raliser ma recherche sur ma pratique ma dabord semble sduisante, jai prfr mener mon tude dans une autre maison de retraite pour deux raisons. Tout dabord dans un souci de rester la plus neutrepossible, mais surtout, pour observer le rle dun psychologue diplm et non pas stagiaire.

Je vais dsormais prsenter la structure qui ma accueillie, ensuite, le droulement de ma recherche, les ateliers et enfin les sujets.

2.1.Prsentation de linstitution et du rle du psychologue

Lensemble des sujets rside dans le mme EHPAD. Cette maison de retraite est prive, but non lucratif. Elle compte 107 lits et accueille des personnes atteintes de la maladie dAlzheimer, de Parkinson, dsorientes, dpendantes, mais galement autonomes et semi-valides. Cette structure est rcente, tant donn quelle na ouvert ses portes quen 2005.

A lexception du samedi et du dimanche, des animateurs mettent en place des activits quotidiennes. Ces animations peuvent tre artistiques, culturelles ou politiques.

Une seule psychologue, Mlle P., travaille au sein de ltablissement. Elle a t employe ds louverture de la structure. Elle est diplme dun DESS de Psychologie Clinique et de Psychopathologie. En plus des entretiens cliniques, elle propose deux ateliers thrapeutiques hebdomadaires: latelier mmoire et latelier de musique classique. Bien quelle utilise la musique dans sa pratique, elle nest pas forme la musicothrapie.

2.2.Le droulement de ma recherche et le choix du matriel

Ma recherche sest droule en deux temps, sur plusieurs jours. Mlle P. ma tout dabord donn la liste des participants. Elle ma brivement expliqu la situation de chacun, comme par exemple, leur date darrive et leur tat de sant. Etant donn quelle leur avait parl de mon projet, je suis alle raliser mes entretiens cliniques avec ceux qui avaient accept, au pralable, de rpondre mes questions.

Lentretien clinique me semblait tre la mthode la plus pertinente car je souhaitais approfondir les thmes abords. Soumettre un test me semblait trop superficiel puisque le plus intressant est dobserver lvolution du discours du sujet. Se contredit-il? Des motions sont-elles suscites par un sujet de discussion? Avec un test standardis, de nombreuses questions nauraient pas pu trouver de rponses. Javais pralablement dfini un questionnaire qui reprenait les diffrents domaines auxquels je mintressais, c'est--dire les thmes de mes trois hypothses: la musique, le rapport du rsident aux autres membres du groupe et le rle du psychologue, mais galement son vcu dans linstitution (cf. Annexe1).

Dans un second temps, jai assist latelier de musique classique. Il me semblait indispensable dobserver le droulement de ces ateliers, pour connatre les mthodes utilises par la psychologue, mais galement pour voir le comportement du sujet au sein du groupe. Ya til un dcalage entre ce qui est observable et ses ressentis? Comment participe-t-il aux sances? Cela peut tre intressant de comparer les propos dun sujet dans le cadre de lentretien clinique avec son attitude dans un groupe.

2.3.Prsentation des ateliers

Environ 7 8 rsidents, tous amoureux de musique classique, viennent rgulirement latelier. La grande majorit dentre eux y participe depuis le dbut. Le groupe est htrogne, tant donn que seulement trois dentre eux ont des pathologies dgnratives. Deux sont atteints de la maladie dAlzheimer, lun tant un stade dbutant tandis que le second est un stade avanc de la maladie. Le troisime, lun des sujets de mon tude, a la maladie de Parkinson. Quant aux autres, leurs fonctions cognitives sont plus ou moins prserves.

La sance dure environ 45 minutes et se droule dans une petite pice close. Les participants sont disposs en cercle. Au dbut de la sance, Mlle P. leur demande sils se rappellent ce quils ont cout la semaine passe. Ceux qui le souhaitent prennent la parole pour rpondre la question. Aprs cette courte stimulation mnsique, Mlle P. propose une liste dextraits musicaux afin que les rsidents ralisent une slection, ensemble, de ce quils veulent couter. Quand elle le peut, Mlle P. prsente luvre choisie et son compositeur. A la fin du morceau, certains expriment leur opinion vis--vis de lextrait cout tandis que dautres voquent brivement les souvenirs que luvre a pu faire ressurgir.

Ces ateliers sont donc davantage centrs sur laudition des morceaux que sur la verbalisation des ressentis. Les dialogues sont succincts car les rsidents viennent surtout pour couter de la musique.

Le jour o jai assist latelier, sept personnes taient prsentes, notamment celles avec qui je mtais entretenue. Jai alors observ leurs gestes, leurs interventions mais aussi leur comportement, que ce soit pendant lcoute des extraits ou lors des interactions. Je nai pas enregistr la sance, tant donn que le but principal de latelier est lcoute musicale et non les changes intra-groupe. Jai cependant pris quelques notes (cf. Annexe 2).

2.4Prsentation des sujets

Je me suis entretenue avec quatre personnes, deux femmes et deux hommes. Aucun dentre eux nest atteint de la maladie dAlzheimer. Je nai pas rellement slectionn les sujets de mon tude, dans le sens o jai men mes entretiens avec ceux qui ont accept de rpondre mes questions.

Mme T.

Mme T. a 82 ans, elle est veuve. Elle a t institutionnalise en juillet 2006. Aucun trouble neuropsychologique na t constat. En revanche, Mme T. est trs anxieuse et, daprs la psychologue, elle somatise beaucoup.

Elle na pas un grand niveau dtudes et elle a commenc travailler trs jeune. Elle a t domestique et soccupait des enfants de la famille qui lavait employe. Elle a ensuite t couturire.

Mme N.

Mme N. a 86 ans. Elle a travaill en tant que secrtaire dans une socit de mine de charbon. Elle a ensuite t assistante de direction.

Elle a t institutionnalise au dbut de lanne 2006. Le bilan, ralis avant son entre dans la maison de retraite, na pas rvl de troubles neuropsychologiques. Mais depuis quelques temps, la psychologue souponne des troubles des fonctions suprieures.

Au cours de lentretien, une aide-soignante est entre dans la chambre afin de lui faire un traitement. Elle est reste avec nous pendant les dernires minutes de lentretien. Ce fait est un biais mthodologique car sa prsence a pu influencer les propos de Mme N.

Mr G.

Mr G. est g de 71 ans. Une maladie de Parkinson lui a t diagnostique en 1999 et une dmence corps de Lewy est suspecte. Il a t institutionnalis en dbut danne 2006. Malgr ses problmes moteurs, Mr G. peut se dplacer tout seul, avec laide dune canne.

Ancien instructeur pilote davion, il tait galement minralogiste, ce qui lui a permis de raliser de nombreux voyages travers le monde.

Son dossier mdical comprend son score au MMS. Ses fonctions cognitives de Mr G. sont altres, tant donn quil a un score de 21/30. Ce score appartient la catgorie des dmences lgres, voire modres puisquil a un bon niveau dtudes. Aucune prcision ntait donne quant aux domaines altrs.

Mr R.

Mr R. a 77 ans. Il a t institutionnalis en dbut danne 2006. A son arrive, il tait dpressif mlancolique. Il est handicap moteur et se dplace en fauteuil roulant. En revanche, il na aucun trouble cognitif.

Il tait professeur darts dcoratifs dans une cole spcialise. Il est veuf, sa femme est dcde dun cancer, cela fait dj plusieurs annes.

3.Oprationnalisation des hypothsesAvant danalyser les propos des sujets en ce qui concerne mes hypothses proprement dites, je vais tout dabord mintresser leur vcu dans linstitution. Mes assises thoriques soulignent la souffrance engendre par le processus de vieillissement, ainsi que par lentre en maison de retraite. Jai donc tenu leur demander comment ils se sentaient dans cette structure (question n24), et quels sont les problmes quils rencontraient (questions n26 et n27). Savoir si linstitutionnalisation a t une tape douloureuse pour ces sujets me semble indispensable, tant donn que je prsume que les ateliers les aideraient affronter ces difficults.

3.1.La personne ge et le groupe

Ma premire hypothse sintresse lintrt dtre en groupe pour le sujet. Jai tout dabord demand comment se droulent les sances (question n1) mais galement si cet atelier lui plaisait (question n2). Je nai abord les relations quil entretenait avec les autres membres du groupe, que plus tard. Cela ma permis dobserver lvolution de son discours au fil de la discussion. Il est en effet possible que le sujet affirme apprcier ces sances et nmette aucune critique au dbut de lentretien puis que ses propos changent au fil des questions.

Il ma ensuite sembl primordial de savoir si, aux yeux du sujet, couter de la musique est quelque chose qui se partage, ou au contraire, reste une activit solitaire (question n11). Cette question me semble importante pour deux raisons. Tout dabord, elle permet de raliser une transition entre le lien de la personne avec la musique et ses rapports avec les autres membres du groupe. Mais surtout, la rponse peut me donner des pistes vis--vis de ce qui plat ou non au sujet, et sil apprcie dtre en groupe. La question suivante creuse lintrt quil porte aux interactions avec les autres rsidents ainsi quau partage des motions pendant la sance (questions n12 et 13). Je pense que les ateliers pourraient aider crer un tissu social, voire investir une relation avec un ou plusieurs membres du groupe. Si cela est le cas, le sujet rpondra quil a sympathis avec une ou plusieurs personnes, mais quil les frquente galement en dehors du temps de latelier (question n14). Il est galement possible que le sujet vive des moments douloureux lors dun atelier. Le fait dtre en groupe lui permettrait alors de les affronter (question n19). Les ateliers, raliss par la psychologue, ont donc des intrts diffrents voire complmentaires ceux des entretiens individuels (question n16).

3.2.La personne ge et la musique

Ce thme est rapidement abord au cours de lentretien dans le but de mettre le sujet laise. Etant donn que tous ceux qui vont aux ateliers disent apprcier la musique, ces questions devraient les inciter parler relativement facilement avant daborder les relations avec les autres membres du groupe. Il me semble indispensable de savoir si le sujet tait musicien, ou tout du moins mlomane (questions n7 et 8). En effet, un mlomane ou un musicien naura pas le mme rapport avec la musique que quelquun qui est peu coutumier de lart musical. Je pense que si cest le cas, il apprciera davantage ces ateliers. Ce plaisir sera dautant plus grand sil prfre la musique classique aux autres catgories de musique (question n5). En outre, les morceaux couts lui rappelleront des souvenirs (question n6), surtout si la musique fait partie de sa vie depuis plusieurs, voire de nombreuses annes. Se rappeler du pass peut raviver des motions, qui peuvent tre parfois douloureuses (question n18).

3.3.Le rle du psychologue

Je pense que les ateliers de musique classique se distinguent des ateliers danimation, notamment grce au rle du psychologue, qui se diffrencie de celui de lanimateur. Avant de my intresser, je dois massurer que les sujets participent aux deux activits afin de pouvoir comparer leurs perceptions vis--vis de ces deux pratiques (question n20). Il me semble que le psychologue est capable dtayer le sujet et quil est davantage lcoute (question n17). Les animations, dordre occupationnel, permettent de passer le temps alors que les ateliers favoriseraient, notamment, un retour sur soi. De plus, les ateliers les aident non seulement, se sentir mieux dans la structure (question n23) mais galement affronter leurs soucis quotidiens lis linstitution.

4.Analyse clinique

4.1.Le vcu des rsidents dans linstitution

Avant daborder lapport des ateliers thrapeutiques de musique classique, il me semble primordial de mintresser au vcu des diffrents sujets dans linstitution. Mes assises thoriques mettent en avant le traumatisme engendr par linstitutionnalisation. Jai tent de massurer si tel tait le cas pour les sujets interrogs.

Lentre en maison de retraite est particulirement douloureuse chez trois sujets. Linstitution est synonyme de dpendance. Mr G. illustre trs bien ce propos en expliquant que sil a besoin de quelque chose, il est oblig de demander quelquun. Ses habitudes sont rgies par les rgles de ltablissement, notamment les horaires de repas. Pour lui, il est tomb dans la vieillesse le jour o il est entr dans cette maison et dans ses habitudes. Il emploie le verbe tomber comme si la vieillesse tait une maladie.

Linstitution est galement le symbole de la fin de leur vie. Il na fallu que quelques minutes pour que Mr G. aborde ce sujet douloureux. Il va mme jusqu comparer la rsidence une socit, et sa chambre, une cellule. Il na plus de rapport avec le monde extrieur ni avec sa vie antrieure. Mme si cette rsidence est leur lieu de vie, Mr G. et Mr R. se trahissent parfois en utilisant le prsent pour raconter ce qui concerne leur ancien domicile respectif. Mr G prend conscience que cette vie appartient au pass, a vient de chez moi, de ma maison. Mais je nai plus de chez moi, cest vrai. Il ponctue sa phrase par un silence, qui traduit la douleur quil ressent. Il a minemment conscience que la seule issue est la mort: Moyennant quoi, jen sortirai les pieds les premiers de cette maison. Le silence et le vocabulaire quil a employ trahissent la douleur quil ressent face ce fait inluctable. Mme si la Maladie de Parkinson a une forte comorbidit avec la dpression, il me semble important de ne pas imputer son mal-tre la pathologie dont il souffre.

Quant Mr R., les derniers mois passs chez lui ont t difficiles. Il a eu de nombreux problmes, que ce soit de sant ou autres. Pour lui, cette priode est une triste fin, comme si sa vie tait dsormais termine. En plus de cela, il souligne quil paie un loyer, tous les mois, ce qui fait quil est lgalement chez lui. Mais trs vite, il avoue ressentir le contraire, tant donn quil a vendu sa maison afin de pouvoir rentrer dans la rsidence. Il investit ce lieu comme une structure mdicalise, qui lui apporte les soins ncessaires, et non comme son domicile: et puis, cest crit rsidence mdicalise. Il insiste mme sur ce sujet en disant quutiliser le terme de rsident est jouer sur les motsdune faon malhonnte . En ce sens, leur dire quils sont chez eux est vcu comme un mensonge.

Tout comme Mr R. et Mr G., Mme T. a du laisser toute une vie, tout un intrieur pour rentrer dans cette maison de retraite. Le thme de la solitude est rcurrent au cours de lentretien, dans lensemble, on se sent seul. Elle fait souvent rfrence la maison de repos o elle a sjourn avant dentrer dans linstitution. Sa vie tait diffrente l-bas car il lui tait plus facile de crer des liens, tandis que maintenant, cest individuel. Elle se plaint, de nombreuses reprises, quil ny ait pas de camaraderie. Je pense que cela est galement diffrent ses yeux car la maison de repos accueille les patients temporairement alors que la maison de retraite est un hbergement, son nouveau lieu de vie. Elle en partira probablement lorsquelle quittera ce monde, comme la soulign Mr G. En plus de cela, elle est confronte quotidiennement la misre des gens, alors que ce ntait pas le cas la maison de repos. Dans cette structure, lautre, il a plus de jambe (), lautre on le prend par la main pour aller manger (), pour leur dire ce quil a faire. Pour toutes ces raisons, elle vit dans un lieu quelle napprcie pas, et o elle ne se sent pas bien.

Seule Mme N. dit se plaire dans son nouveau lieu de vie. Cela dit, il est important de noter que la prsence de laide-soignante dans la chambre la fin de lentretien, pourrait influencer sa rponse dans le sens dune dsirabilit sociale. Elle justifie cependant son avis en mexpliquant quelle aurait lopportunit de partir Marseille tant donn que sa nice rside dans cette rgion, mais elle prfre rester ici: moi je veux vivre ici.

Leurs propos ne font donc que confirmer les assises thoriques de mon travail. Les ateliers pourraient tre un lieu dtayage, qui les aiderait affronter leurs difficults psychologiques et sociales.

4.2.Lapport des ateliers thrapeutiques

4.2.1.Le rapport de la personne ge avec les autres membres du groupe

Le fait dtre en compagnie dun groupe permettrait de redynamiser son investissement objectal et de crer un tissu social, ce qui laidera lutter contre un sentiment de solitude mais galement de la renarcissiser.

Chaque semaine, et ce, depuis plusieurs mois, les mmes rsidents se runissent afin de partager une tche commune. Mme sils se ctoient depuis un certain temps, dans un mme but, apprcient-ils le fait de se retrouver ou vont-ils plutt ces ateliers pour soccuper et faire passer le temps?

Au premier abord, que ce soit Mme T., Mme N ou Mr R., tous trois maffirment que le fait dtre en groupe leur plat. Pour Mme N., elle prfre plutt partager une coute musicale. Mr R. affirme mme ressentir que tous participent un mme plaisir. Quant Mr G., pour lui, la musique est un plaisir partag, mme sil pense navoir aucun point commun avec les autres membres du groupe.

Mais, au fur et mesure, jai pu noter que ces rponses sont, en ralit, superficielles. prouvent-ils une certaine ambivalence?

En approfondissant, Mme T. et Mr R. ont avou leurs rticences vis--vis des autres membres du groupe. Lors des ateliers, une participante que Mr R. surnomme la Castafiore, chante pendant la diffusion de lextrait. Il ne supporte pas ces moments l, et ceci lincite davantage partir qu rester, cest redoutable. Mais malgr le fait que cette dame lempche parfois de profiter de la musique, il a quelque sympathie pour dautres rsidents, () qu[il voit] hors des ateliers. Mme sil mavoue ne pas savoir si les ateliers sont la base de ces relations, ils y contribuent, car ces moments lamnent retrouver ceux quil apprcie. Cela sest confirm pendant la sance, o il a souvent discut avec Mme B., une femme avec qui il passe une grande partie de son temps. Tous deux paraissaient complices, et ils taient les principaux intervenants, que ce soit pour choisir les extraits ou pour donner leur avis. Les autres paraissaient davantage passifs et ne prenaient que rarement la parole.

Quant Mme T., elle trouve que les ateliers sont trs bien. Elle mexplique que ce sont des moments o elle se sent bien et o elle peut acqurir des connaissances, et ce, de nombreuses reprises au cours de lentretien. Cependant, elle souligne galement tre complexe de ne pas avoir pu faire dtudes il faut tre plus intellectuel, je suis pas cultive, je suis pas intellectuelle jtais manuelle. Elle maffirme ne pas avoir rellement les capacits dapprcier la musique tant donn que, contrairement aux autres, elle na pas dducation musicale, ceux qui ont fait de la musique apprcient encore mieux. Selon elle, elle ne fait donc pas partie intgrante du groupe: ya un ou deux couples dintellectuels, alors, ils sont entre eux. Elle na personne avec qui elle peut rellement discuter car il ny a pas dintimit. En effet, pendant le temps de latelier, personne ne lui a, adress la parole mais je dois galement prciser que je ne lai non plus pas vue se tourner vers quiconque pour parler. Mme T. est trs introvertie et timide, peut-tre cause de limage ngative quelle a delle-mme. Cela sest dailleurs vrifi pendant lentretien. Le temps quelle a mis pour rellement discuter et ne pas limiter ses rponses de simples oui, non a t particulirement long.

Mes hypothses proposaient que le fait dtre dans un groupe thrapeutique crerait un sentiment dappartenance, ce qui pourrait renarcissiser chacun de ses membres, mais je maperois que cela provoque leffet inverse chez Mme T. Elle se retrouve face des individus qui appartiennent une classe socio-culturelle plus leve que la sienne. Jai le sentiment que cet atelier ne fait qualimenter son complexe dinfriorit. Je me demande cependant pourquoi elle se rend ces ateliers alors quelle se sent rejete du groupe des intellectuels, dautant plus que la prsence nest aucunement obligatoire. Je pense que cette femme est psychologiquement dpendante dautrui. Elle le dit elle-mme: jai pas de caractre tre seule, elle nexiste quen tant avec dautres personnes. La solitude est source dangoisse, car tout au long de lentretien, elle rpte inlassablement quil ny a pas de camar