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L'ATTITUDE, CLEF DE VOÛTE DE LA SORTIE DU SOUS-DÉVELOPPEMENT Rémy Volpi De Boeck Supérieur | Innovations 2006/1 - no 23 pages 141 à 171 ISSN 1267-4982 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-innovations-2006-1-page-141.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Volpi Rémy, « L'attitude, clef de voûte de la sortie du sous-développement », Innovations, 2006/1 no 23, p. 141-171. DOI : 10.3917/inno.023.0141 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur. © De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - National Chung Hsing University - - 140.120.135.222 - 13/04/2014 03h07. © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - National Chung Hsing University - - 140.120.135.222 - 13/04/2014 03h07. © De Boeck Supérieur

L'attitude, clef de voûte de la sortie du sous-développement

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L'ATTITUDE, CLEF DE VOÛTE DE LA SORTIE DUSOUS-DÉVELOPPEMENT Rémy Volpi De Boeck Supérieur | Innovations 2006/1 - no 23pages 141 à 171

ISSN 1267-4982

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-innovations-2006-1-page-141.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Volpi Rémy, « L'attitude, clef de voûte de la sortie du sous-développement  »,

Innovations, 2006/1 no 23, p. 141-171. DOI : 10.3917/inno.023.0141

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La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites desconditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votreétablissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière quece soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur enFrance. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

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Innovations, Cahiers d’économie de l’innovation n°23, 2006-1, pp.141-171.

L’attitude, clef de voûte de la sortie du sous-développement

Rémy VOLPI1

Laboratoire de Recherche sur l’Industrie et l’Innovation Université du Littoral, Dunkerque

Résumé / Abstract Quand le coût de l’homme est inférieur au revenu, il y a sous-développe-

ment. Celui-ci, pour Marx, est le fait du capitalisme qui, de plus, le renforce implacablement. Pourtant, c’est en s’insérant dans le marché capitaliste mondial que maints pays se sont extirpés de la misère. Ceci suppose d’abord un chan-gement radical d’attitude, puis un métissage avec la culture occidentale.

Attitude, a keystone to leave under-development

Under-development is a revenue per capita that does not match the cost of a

man. To Marx this is fostered by capitalism which implacably increases it to boot. However, many a country have eradicated desti-tution via their insertion into the global capitalistic market. This firstly requires a radical attitudinal change, then some crossbreeding with Western culture. JEL B250, O110

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La pauvreté fait scandale. Parmi les cinq obligations que l’Islam impose à tout musulman figure la zakat, aumône payée par les riches à hauteur de 2,5% de leurs revenus, et répartie entre les pauvres. Emmanuel Levinas souligne que la quintes-sence du message de la Bible est l’attention qu’il faut porter à l’Autre. Et le Christ, tout imprégné du Livre, se range sans ambiguïté du côté des pauvres : « En vérité, je vous le déclare, un riche entrera difficilement dans le royaume des cieux. Je vous le répète, il est plus facile à un chameau de passer par un trou d’aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu ».

Même cantonnée à sa seule dimension économique, la pauvreté est un phénomène bien trop grave pour que son diagnostic et son traitement ressortissent exclusivement aux avis autorisés d’économistes patentés. Galbraith ne nous met-il pas en garde contre « Les mensonges de l’économie », titre de son tout dernier ouvrage ?

Car d’une part, à en juger avec le recul du temps, nombre d’économistes renommés n’ont pas toujours fait preuve de clairvoyance. Ainsi, à l’aube de la Première Guerre mondiale, Anatole Leroy-Beaulieu estimait que les guerres deviendraient plus rares au motif qu’elles nécessitent une folle consommation collective exigeant une épargne volontaire ex ante. Il n’avait à aucun moment imaginé un financement monétaire inflation-niste. Quant à Norman Angell, dont le livre, La Grande Illusion, connut en 1910 un énorme succès, il soutenait que, la guerre n’étant plus rentable, elle est impossible : « La force du crédit universel muselle seule les canons ». Et Galbraith prend un malin plaisir à souligner qu’Irving Fisher, avec beaucoup d’as-surance, pronostiquait, en 1929, un « permanent plateau of prospe-rity »1. S’agissant de la lutte mondiale contre le sous-développe-ment et la pauvreté, Joseph Stiglitz n’a de cesse de fustiger dans chacune des 324 pages de La Grande Désillusion, les mé-faits de ses collègues à l’œuvre : « Une image peut valoir mille mots, et une photo saisie au vol en 1998 et montrée dans le monde entier s’est gravée dans l’esprit de millions de personnes, en particulier dans les ex-colonies. On y voit le di-recteur général du FMI, Michel Camdessus, un ex-bureaucrate du Trésor français, de petite taille et bien vêtu, qui se disait autrefois socialiste – il se définit lui-même, avec malice, comme un « socialiste de l’espèce néolibérale » – debout, regard sévère et bras croisés, dominant le président indonésien assis et

1 John Kenneth GALBRAITH, La crise économique de 1929, Petite Bibliothèque Payot, Paris, 1961, p.95 et 170-171.

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humilié. Celui-ci, impuissant, se voit contraint d’abandonner la souveraineté économique de son pays au FMI en échange de l’aide dont il a besoin. Paradoxalement, une bonne partie de cet argent n’a pas servi, en fin de compte, à aider l’Indonésie, mais à tirer d’affaire les « puissances coloniales »1. Enfin, Joseph Schumpeter n’a-t-il pas prédit l’extinction du capitalisme et l’avènement du socialisme ? Joan Robinson, agacée par tant d’arrogantes certitudes, a eu ce mot iconoclaste : « Etudier l’économie, ce n’est pas chercher à acquérir un ensemble de ré-ponses toutes prêtes à des questions économiques, c’est ap-prendre à ne pas se laisser induire en erreur par les écono-mistes ».

Et d’autre part, maintes innovations sont le fait d’outsiders improbables. Adam Smith2 rappelle que c’est un enfant qui a amélioré de façon significative la pompe à feu, ancêtre de la machine à vapeur. Marx souligne que « Savetier, reste à la savate ! ce dernier mot de la sagesse dans la période du métier et de la manufacture devient folie le jour où l’on doit à l’hor-loger Watt la machine à vapeur, au barbier Arkwright le métier continu à filer, et à l’orfèvre Fulton le bateau à vapeur ». Et Lénine ne dit-il pas, avec une humilité qui l’honore, que « l’Histoire a infiniment plus d’imagination que nous ».

C’est pourquoi on ne peut que suivre Gunnar Myrdal3 quand il affirme : « Une théorie du sous-développement et du développement qui n’opère qu’avec des variables « écono-miques » est vouée, pour des raisons de simple logique, au manque de réalisme et de pertinence ».

Enfin, Thierry Gaudin4 nous explique les raisons de son profond scepticisme : « L’état lamentable où se trouve la Russie quelques années après son ouverture à l’économie de marché, la pauvreté et la violence de toutes les grandes villes du monde alors que la technique permettrait de donner une vie décente à tous, montre clairement la faillite des doctrines économiques, y compris le libéralisme ». Guy Sorman5 soutient de même que « les techniques qui permettent de résorber la pauvreté de masse, particulièrement la famine, existent et sont

1 Joseph STIGLITZ, La Grande Désillusion, Fayard, Paris, 2002, p.71. 2 Adam SMITH, The Wealth of Nations, The Penguin English Librairy, Reprinted 1982, p.114-115. 3 Gunnar MYRDAL, Théorie économique et pays sous-développés, Editions Présence Africaine, Paris, 1959, p.189. 4 Thierry GAUDIN, Introduction à l’économie cognitive, Edition de l’Aube, Paris, 1997, p.7. 5 Guy SORMAN, La nouvelle richesse des nations, Fayard, 1987, p.207.

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disponibles. La vraie question est de se demander pourquoi elles ne sont pas plus utilisées ».

Car, comme le proclame Alfred Marshall1, « il n’y a aucune justification morale au fait que l’extrême pauvreté puisse coexister avec la très grande richesse ». Et il ajoute que « l’étude des causes de la pauvreté est l’étude de la dégradation d’une large partie de l’humanité ». SOUS-DEVELOPPEMENT : DE QUOI S’AGIT-IL ?

Pauvreté, misère, sous-développement, chiffres

S’il est vrai que la connaissance des mots mène à la

connaissance des choses, tentons de cerner le sens de pauvreté, misère, sous-développement.

Pauvreté n’est pas vice dit-on. Elle est même une vertu pour les moines franciscains qui, à l’exemple du Poverello2, font vœu de pauvreté. La pauvreté, « manque de biens, insuffisance des choses nécessaires à la vie » peut être supportable. L’ethnologue Germaine Tillon3 décrit la société algérienne des Aurès d’avant la Seconde Guerre mondiale comme « équilibrée et heureuse dans sa tranquillité ancestrale ». De même, pour Guy Sorman4, « la pauvreté n’est pas le sous-développement : la civilisation indienne est fondée sur la frugalité et le refus de l’ostentation. Cette pauvreté, assortie d’une culture complexe et raffinée telle qu’on peut la rencontrer dans tout village indien, est acceptable. Ce qui n’est pas acceptable, c’est la misère ».

La misère, c’est non seulement un état d’extrême pauvreté, mais également et surtout la faiblesse et l’impuissance de l’homme, le néant de sa condition. Le village des Aurès de Germaine Tillon s’est, vingt plus tard, clochardisé, sa tradition coranique s’est trouvée dévalorisée. « Le Tiers Monde, ce n’est pas seulement la pauvreté de masse, c’est, à des degrés divers, la victoire permanente des forts sur les faibles, le règne d’idéo-logies délirantes, la priorité donnée à la politique sur l’éco-nomie, à la hiérarchie sur le talent, l’ignorance des droits de l’homme, l’absence de légalité, le refus du pluralisme, l’inter-

1 Cité par John Kenneth GALBRAITH dans l’Ere de l’opulence. 2 Voir Albert JACQUART, Le souci des pauvres, Calmann-Lévy, Paris, 1996. 3 Cité par Daniel COHEN, La mondialisation et ses ennemis, Grasset, Paris, 2004, p.12. 4 Guy SORMAN, La nouvelle richesse des nations, Fayard, 1987, p.95.

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diction de la critique et le mépris de l’individu », analyse Guy Sorman.

Selon François Perroux, il y a sous-développement dans un pays lorsque la création de richesse est inférieure au coût de l’homme. Selon la doctrine marxiste1, c’est un « état de crise où sont entrées les économies et les sociétés dépendantes, à partir du moment où la croissance même du capitalisme mono-polistique a consommé leur ruine. Le sous-développement ap-paraît comme la conséquence inéluctable du long processus historique entraîné par le jeu des lois de la concurrence et de la course au profit, dans le cadre du colonialisme et du partage du monde entre les puissances impérialistes ».

Ajoutons que le sous-développement existe également au sein des puissances impérialistes avec les working poors et le quart monde. En 1957, lors de la cérémonie de l’indépendance du Ghana, le vice-président Nixon, avisant des Noirs, leur demande ce qu’ils ressentent quant à la liberté recouvrée : « Aucune idée, Monsieur, nous sommes de l’Alabama », lui auraient répondu ces Américains.

Pour Gunnar Myrdal, dont le propos est de rechercher pourquoi et comment ces inégalités en sont venues à se pro-duire, pourquoi elles persistent et pourquoi elles tendent à s’aggraver, « l’usage du concept dynamique de « pays sous-développés », opposé au concept statique de « pays arriérés », implique un jugement de valeur, à savoir qu’une politique publique admet, au nombre de ses objectifs, la nécessité d’un développement économique pour les pays ainsi désignés… Winslow, dit-il, met l’accent sur un processus circulaire et cu-mulatif, poussant continuellement les niveaux à la baisse, et dans lequel un facteur négatif est, en même temps, cause et effet d’autres facteurs négatifs. Ce concept implique une constellation circulaire de forces tendant à agir et à réagir l’une sur l’autre de manière à maintenir un pays pauvre dans un état de pauvreté. Car on donnera à celui qui a et il sera dans l’abondance, mais à celui qui n’a pas, on ôtera même ce qu’il a, dit-il, citant Saint Mathieu...Mais la nature cumulative de ces processus, si elle a contribué à enfoncer les pays sous-déve-loppés, contient, d’un autre coté, la promesse de bénéfices éle-vés pour leurs efforts politiques, s’ils s’arrangent pour les planifier avec intelligence, et les mettre en oeuvre avec efficacité ».

1 Centre d’Etudes et de Recherches Marxistes, Dictionnaire économique et social, Editions Sociales, 1975.

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Après l’aspect qualitatif, examinons l’aspect quantitatif. « Le monde compte aujourd’hui un milliard de riches, 2,5 milliards de pauvres et 2,5 milliards de très pauvres. En dollars courants, l’ensemble des pays pauvres et des pays très pauvres ne représente que 20% de la richesse mondiale, pour 85% de la population totale. S’agissant des pays les plus pauvres, le chiffre est encore plus saisissant : ils ne comptent que pour 3% de la richesse mondiale alors qu’ils rassemblent 40% des habitants de la planète »1. Enfin, la dette du tiers-monde atteint aujourd’hui 2000 milliards de dollars et le poids du rembour-sement empêche de nombreux pays d’investir dans l’avenir en améliorant l’éducation, la santé et les conditions de vie de leurs citoyens.

Le marxisme, horizon indépassable de notre temps

Comme pour faire pièce à l’aridité de ses propres propos,

Jean-Paul Sartre fait montre d’un insubmersible enthousiasme pour la claire vision marxiste, « horizon indépassable de notre temps ».

Pour Marx, le paupérisme est la conséquence fatale du système capitaliste. « Le paupérisme est l’hôtel des invalides de l’armée du travail », dit-il joliment. « Il forme avec la surpopu-lation relative une condition d’existence de la richesse capi-taliste. Dans le milieu capitaliste où ce ne sont pas les moyens de production qui sont au service du travailleur mais le tra-vailleur qui est au service des moyens de production, toutes les méthodes pour multiplier les ressources et la puissance du travail collectif s’exécutent aux dépens du travailleur indivi-duel ; tous les moyens pour développer la production font de lui un homme tronqué, parcellaire, ou l’accessoire d’une machine ; ils lui opposent, comme autant de pouvoirs ennemis, les puissances scientifiques de la production ; ils substituent au travail attrayant le travail forcé ; ils rendent les conditions dans lesquels le travail se fait, de plus en plus pénibles, et sou-mettent l’ouvrier durant son service à un despotisme aussi illimité que mesquin ; ils jettent sa femme et ses enfants dans les bagnes capitalistes ». A cet égard et par parenthèse, si l’on avait le pouvoir de questionner les lagerniks de la Kolyma, près d’un siècle après Le Capital, il est à craindre que le pathos de Marx leur soit aussi affriolant que les « déshabillez-moi ! » d’une Juliette Gréco bientôt octogénaire.

1 Daniel COHEN, La Mondialisation et ses ennemis, Grasset, Paris, 2004, p.179.

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Pour autant, le grand mérite de Marx est d’avoir dépassé l’économique pour atteindre à une vision holiste incluant la dimension temporelle : « Dans les premiers temps de l’histoire, nous trouvons presque partout une organisation complète de la société en classes distinctes, une hiérarchie variée de conditions sociales… Notre époque se distingue par la simplification des antagonismes de classe. La société tout entière se divise de plus en plus en deux vastes camps ennemis, en deux grandes classes diamétralement opposées : la bourgeoisie et le prolétariat. ...La découverte de l’Amérique, la circumnavigation de l’Afrique, donnèrent à la bourgeoisie naissante un champ d’action nouveau… La division du travail entre les différentes corpora-tions céda la place à la division du travail dans l’atelier mê-me… Mais les marchés grandissaient toujours, la demande croissait toujours. La manufacture devint à son tour insuf-fisante. Alors la vapeur et la machine révolutionnèrent la production industrielle… La grande industrie moderne détrôna la manufacture, la moyenne bourgeoisie céda la place aux millionnaires de l’industrie, aux chefs de véritables armées industrielles, aux bourgeois modernes… La bourgeoisie a joué dans l’histoire un rôle éminemment révolutionnaire… Tous les liens complexes et variés qui unissaient l’homme féodal à ses supérieurs naturels, elle les a brisés sans pitié pour ne laisser d’autre lien entre l’homme et l’homme que le froid intérêt, les dures exigences du paiement comptant. Elle a noyé les frissons sacrés de l’extase religieuse, de l’enthousiasme chevaleresque, de la sentimentalité à quatre sous dans les eaux glacées du calcul égoïste. En un mot, à la place de l’exploitation que masquaient les illusions religieuses et politiques, elle a mis une exploitation ouverte, éhontée, directe, aride. Par l’exploitation du marché mondial, la bourgeoisie donne un caractère cosmopolite à la production et à la consommation de tous les pays. Au grand désespoir des réactionnaires elle a ôté à l’in-dustrie sa base nationale… A mesure que le capitalisme déve-loppe les puissances productives du travail et fait, par là, tirer plus de produits de moins de travail du salarié, soit en pro-longeant sa journée, soit en rendant son labeur plus intense, ou encore en remplaçant une force supérieure et plus chère par plusieurs forces inférieures et à bon marché, l’homme par la femme, l’adulte par l’enfant, un ouvrier américain par trois Chinois, l’ouvrier moderne, loin de s’élever avec le progrès de l’industrie, descend au contraire toujours plus bas, au-dessous des conditions de sa propre classe. Le travailleur devient un pauvre et le paupérisme s’accroît plus rapidement encore que la

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population et la richesse… La bourgeoisie produit avant tout ses propres fossoyeurs. Son déclin et la victoire du prolétariat sont également inévitables »1.

Les émules de Marx

Est-ce que le bonheur des uns serait nécessairement obtenu

au prix du malheur des autres ? On trouve le thème de l’exploitation souligné sans vergogne par maints auteurs anté-rieurs. Par exemple, on a affirmé que l’esclavage dans les Caraïbes est nécessaire pour que les Européens puissent accéder à la consommation massive de sucre, auparavant denrée de luxe. Montesquieu note2 que « le sucre seroit trop cher, si l’on ne faisoit travailler la plante qui le produit par des esclaves ». Et de la même manière, sur le même sujet, Adam Smith3 écrit que « la fierté de l’homme fait qu’il aime dominer et rien ne le mortifie davantage que d’être obligé de con-descendre à persuader ses inférieurs. Partout où la loi l’autorise et où la nature du travail le permet, on préférera recourir aux esclaves plutôt qu’aux hommes libres. Les plantations de cannes à sucre et de tabac peuvent supporter les charges de la culture par des esclaves. La culture du blé, actuellement, ne le peut pas, semble-t-il. Dans les colonies anglaises où le revenu principal vient du blé, la plus grande partie du travail est effectuée par des hommes libres. La dernière résolution des Quakers en Pennsylvanie de libérer les esclaves noirs nous satisfait dans la mesure où leur nombre n’est pas élevé. Si tel n’avait pas été le cas, une telle résolution n’aurait jamais été acceptée. Dans nos colonies sucrières, au contraire, tout le travail est fait par des esclaves et, dans les colonies à tabac, la majeure partie est faite par eux. Les profits des plantations de cannes à sucre sont généralement très supérieurs à ceux de toute autre culture connue, que ce soit en Europe ou en Amérique ; et les profits des plantations de tabac, bien qu’in-férieurs à ceux de la culture de la canne à sucre, sont supérieurs à ceux du blé, ainsi que cela a déjà été observé. En consé-quence, le nombre d’esclaves noirs est bien supérieur, en pro-portion de celui des Blancs, dans nos colonies sucrières, à celui des colonies à tabac ».

1 Karl MARX, Le Manifeste du parti communiste, Union Générale d’Editions, Paris, 1976, (1ère parution, 1847), p.19 et suivantes. 2 De l’esprit des lois, Idées NRF Gallimard, Paris, 1970, p.203. 3 Adam SMITH, The Wealth of Nations, The Penguin English Library, 1982 (1ère édition, 1776), p.489, traduction de la citation par l’auteur de l’article.

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La puissance de la vision de Marx a fait école et s’est a-daptée, en tant que schéma explicatif, au monde d’aujourd’hui. Samir Amin en est un des tenants le plus connu. Il évoque la polarisation perverse entre un centre et une périphérie1. Le noyau central du prolétariat se situe désormais non plus au centre, mais à la périphérie. Le capitalisme structure le premier et désarticule la seconde : « L’histoire de l’expansion capitaliste n’est pas seulement celle du « développement » qu’elle a occa-sionné. C’est aussi celle des destructions sauvages sur lesquelles elle s’est construite… La différenciation au sein des périphé-ries, et notamment la « quart-mondialisation » n’est pas nou-velle ; la loi immanente de l’expansion mondiale l’a toujours expliquée... L’association CEE-ACP porte une lourde respon-sabilité dans l’involution du continent africain ».

Arghiri Emmanuel2 montre de même que l’exploitation du tiers-monde est le produit de l’écart salarial existant avec les nations développées et qu’elle s’exerce au profit de l’ensemble de ses membres, classe ouvrière comprise.

Le concept d’emprise de structures que François Perroux3 a développé peut expliquer le mécanisme de ce qui précède. « Le cas privilégié de la Grande-Bretagne au XIXème siècle est celui d’une grande nation dotée d’une économie très dépendante du commerce extérieur, mais dominante, c’est-à-dire capable d’exercer des actions asymétriques et irréversibles sur les zones clefs du monde, sur les économies développées et sur les éco-nomies en voie de développement. Est-il possible d’appré-hender sans passion cette réalité qu’est l’indépendance de la nation, comprise comme une modalité forte de l’interdépen-dance ? La souveraineté nationale, qui implique en principe l’indépendance, s’évanouit si, économiquement, les gouver-nants ne peuvent pas choisir une fonction d’objectif et favo-riser, pour la mettre en œuvre, un agencement de moyens à la disposition des nationaux et de l’Etat ».

Or, s’indigne René Dumont4, « Comment voulez-vous qu’un paysan du Burkina armé de sa seule force musculaire puisse soutenir la compétition avec un agriculteur des Etats-Unis ou du Canada ? Cela revient à faire concourir un coureur

1 Samir AMIN, La périphérie, victime du capitalisme occidental, dans Panorami-ques, 1er trimestre 1993, n°8. 2 Arghiri EMMANUEL, L’échange inégal (1969). 3 François PERROUX, Indépendance de la nation, Union Générale d’Editeurs, Paris, 1969, p.23, p.5, p.7. 4 Entretien avec René DUMONT, Le pillage ne s’est jamais mieux porté, Pano-ramiques 1er trimestre 1993, n°8.

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à pied et une automobile. L’économie totalement ouverte est une stupidité et a déjà fait d’immenses dégâts ».

Puisque l’humanité, sous le joug capitaliste, serait impla-cablement condamnée au « développement du sous-développe-ment »1, il convient d’extirper la cause du mal. La solution passe logiquement par l’éradication du capitalisme et son remplacement par une forme à trouver. A ce jour toutefois, les expériences de cet ordre menées ici et là ne se sont pas révélées probantes.

Mais quand Samir Amin affirme, dans L’avenir du maoïsme, que « quoi qu’il en soit, la réussite de la Corée du Nord est incomparablement supérieure à celle de la Corée du Sud », on éprouve soudain le sentiment hautement révulsant d’être au « pays du mensonge déconcertant ». On sait qu’issue, en tant qu’entité politique, d’une guerre civile (1950-1953), la Corée du Sud figurait à ses débuts parmi les pays les plus pauvres du monde. Or, après trois décennies de croissance rapide, elle a comblé en partie son retard : entre 1975 et 1995, le PNB par habitant est passé de 635 dollars à 10 500 dollars. La Corée du Nord non seulement a stagné au niveau initial, mais connaît la disette, dans un contexte affligeant de délire obsidional.

Peut-on un seul instant contester que les quatre dragons d’Asie ont réussi ce qu’aucune autre nation n’a fait à aucun moment de l’histoire de l’humanité : sortir de la pauvreté de masse en vingt-cinq ans ? L’humanité préfère-t-elle vraiment en passer par le lit de Procuste pour, assistée par tous les Lavrenti Béria, Feliks Dzerjinski, Pol Pot, Kim Il Sung et autres Macias Nguema, accoucher d’un mythique « homme nouveau » ?

Laissons plutôt Jean-Paul Sartre et son horizon indé-passable sur son piédestal, le fût métallique sur lequel, chez Renault, il s’était juché en mai 1968 pour préparer Boulogne-Billancourt désespérée à la révolution. « Ce marxisme-là, ana-lyse Alain Lipietz2, voit dans le développement des forces pro-ductrices l’index du char de l’Histoire, et considère les géné-rations de chair et de sang comme du combustible à sacrifier au Dieu Progrès, au nom d’un avenir paradisiaque sur quoi déboucherait notre vallée de larmes ».

La force du marxisme, au-delà de la pertinence de l’analyse, tient à sa vision manichéenne. En ce sens, c’est essentiellement

1 André GUNDER FRANCK, Le développement du sous-développement, Editions Maspéro, 1969. 2 Alain LIPIETZ, Mirages et miracles, La découverte, Paris, 1986, p.176.

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un outil performant pour les fétichistes du pouvoir : Siegried doit terrasser le dragon pour les beaux yeux de Brunehilde

Mais la réalité humaine est autrement plus complexe que la « sentimentalité à quatre sous » pour experts en psychologie des foules.

La puissance de la « bombe H »

La bombe H, selon l’expression de René Dumont, c’est

l’explosion démographique, c’est donc l’homme. Commençons par écarter péremptoirement le facteur

climatique, évoqué depuis la nuit des temps1 comme cause de l’écart entre pays pauvres et pays riches. Selon cette théorie, il tombe sous le sens que le chaud pousse à l’indolence et le froid à la lutte pour la survie. On explique ainsi que les peuples du nord sont méthodiques et organisés tandis que les peuples du sud, climatiquement favorisés, sont voués à des performances économiques moindres. En suivant ce raisonnement, on abou-tit à la conclusion que les Russes sont surdéveloppés tandis que les Singapouriens, qui vivent sous l’équateur, sont dans le plus total dénuement. On sait de surcroît que les quatre leviers fon-damentaux du développement économique que sont l’agri-culture, la roue, l’écriture et la métallurgie, ont tous été dé-couverts dans les parties les plus chaudes de l’Eurasie.

Se penchant sur l’Afrique2, Daniel Cohen3 observe que « l’homme le plus pauvre du monde est une femme, la femme africaine. L’économie africaine a longtemps été fondée sur l’esclavage, l’énergie animale y étant peu employée parce que les parasites la rendent difficile à employer. Il n’est pas excessif de dire que les femmes africaines sont les esclaves d’au-jourd’hui. L’exploitation des femmes n’est pas seulement une insulte au reste de l’humanité qui en accepte hypocritement l’existence. Elle provoque aussi un cercle autoentretenu de pauvreté et d’exploitation. L’esclavage des femmes dispense en effet les hommes d’investir dans la machine. L’épargne sert à acheter une autre femme, qui donnera d’autres enfants qui tra-vailleront pour le père ou seront vendus, si ce sont des filles. L’esclavage des femmes est le premier étage de la misère africaine. Au second étage, se déploie une seconde exploi-

1 et notamment par Montesquieu. 2 A cet égard, voir Claude FLUCHARD, André SALIFOU, L’Europe et l’Afrique du XVème siècle aux indépendances, De Boeck Université, Bruxelles, Bruxelles, 1987. 3 Daniel COHEN, Richesse du monde, pauvreté des nations, Flammarion, Paris, 1997, p.17-18.

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tation : celle des campagnes par les villes. Cette haine des cam-pagnes a une origine simple : les élites sont toutes urbaines, ou en tout état de cause, tiennent toutes des villes leur légitimité politique… En maintenant le prix des produits agricoles à un prix artificiellement bas, les pouvoirs urbains ruinent les paysans les plus vulnérables, les contraignant à l’exode rural qui les entassent dans les villes dont souvent la seule richesse est de pouvoir compter sur des prix agricoles subventionnés. Les villes se gonflent de vagabonds, de laissés pour compte, qui deviennent les soutiers d’une politique dont ils ont été les premières victimes. Briser cet enchaînement devient impos-sible : les révoltes urbaines sanctionnent immédiatement les gouvernements qui s’y essaient. La pauvreté des campagnes devient irréversible ».

En outre, ajoute Guy Sorman1, «en cours de construction, la basilique catholique de Yamoussoukro sera surmontée d’une coupole deux fois plus vaste que celle de Saint Pierre de Rome. Comme la Côte d’Ivoire n’a plus assez de ressources, le Pré-sident Houphouët a annoncé qu’il prélèverait sur ces res-sources personnelles, dont on ne voit pas en quoi elles sont distinctes de celles de l’Etat. Des projets irrationnels de cette sorte, que l’on appelle dans la littérature du développement les éléphants blancs, ont été semés dans toute l’Afrique. Les espèces en sont innombrables : capitales fantômes, usines démesurées à l’abandon, hôpitaux sans médecins, barrages sans eau, compagnies aériennes sans clients ni avions, armées sur-équipées ». Daniel Cohen2 ne fait que corroborer ce constat : « Des projets somptuaires sont engagés dans une course folle au bakchich et aux commissions qui laissent peu de place à l’efficacité économique… Les exemples de l’effet anti-Midas abondent… Au cœur du processus, on trouve toujours le même enchaînement : un pouvoir corrompu qui engage des dépenses inutiles pour détourner l’argent public, des caisses d’investissements immédiatement vidées, ou des programmes d’aides sociales qui sont détournées de leur fin ».

Axelle Kabou3 n’y va pas par quatre chemins : « On sait, depuis 1963 au moins, que l’homme « spolié », « bâillonné », « pillé » des tiers-mondistes est loin de rendre compte de la complexité des réalités culturelles africaines qui ont autorisé la traite négrière et la colonisation. Sous ce rapport, la théorie

1 Guy SORMAN, La nouvelle richesse des nations, Fayard, 1987, p.114-115. 2 Daniel COHEN, Richesse du monde, pauvreté des nations, Flammarion, Paris, 1997, p.27-28 3 Axelle KABOU, Et si l’Afrique refusait le développement ?, L’Harmattan, 1992.

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tiers-mondiste du sous-développement est largement lacunaire. L’intérêt du procès qui a été intenté à cette école est d’inciter à la recherche des processus culturels et politiques par lesquels l’Afrique en est arrivée à se servir des concepts marxistes d’im-périalisme et de néo-colonialisme, du centre et de la périphérie, pour cacher des choix peu courageux qui la déshonorent et dont elle refuse d’assumer les conséquences. En effet, plus l’Afrique noire s’est éloignée des voies permettant de la hisser à un rang respectable au plan mondial, plus elle s’est attachée, chez les marxistes comme chez les modérés, à orienter les esprits vers un interminable complot extérieur. De sorte qu’au-jourd’hui on sait à peu près tout sur les mécanismes de la lo-gique occidentale de domination, et fort peu de chose en re-vanche sur la logique africaine de sujétion, sans laquelle la première n’existerait pas ou n’aurait que des effets limités. L’Afrique aurait pu faire autrement. Elle a eu, et a encore le choix. Il serait naïf de croire le contraire. La question au-jourd’hui est plutôt de savoir ce qu’il faut faire pour éradiquer la haine séculaire des Africains pour leurs semblables ».

La maltraitance envers autrui ne tient pas à l’essence du capitaliste. Elle est en réalité consubstantielle à l’homme, ainsi que le voit Henry Laborit1 : « L’exploitation de l’homme par l’homme ne résulte pas seulement de la possession par quel-ques uns des moyens de production. Ce n’est là qu’un moyen de dominer. Faites-le disparaître, la domination s’installe à nou-veau sous une autre forme. L’exploitation de l’homme par l’homme résulte de son instinct de domination inscrit dans son paléo-encéphale reptilien ». Autrement dit, il en va du capita-lisme comme des stades : ce n’est pas parce que, en 1942 au Vél’ d’Hiv’, en 1955 au stade de Philippeville2, en 1973 au stade de Santiago du Chili, des humains ont été rassemblés pour être déportés, assassinés, torturés, par des représentants d’un Etat, que c’est là la vocation en soi des stades. On peut sereinement appliquer au capitalisme ce que Lénine dit à propos de son œuvre révolutionnaire : « Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain ».

En outre, l’exploitation et le pillage ne sont pas les seules causes du sous-développement. L’enfer est, dit-on, pavé de bonnes intentions. La société des Aurès décrite par Germaine Tillon s’est clochardisée en moins de vingt ans parce que les

1 Henri LABORIT, L’agressivité détournée, Union Générale d’Editions, Paris 1970, p.175. 2 Général AUSSARESSES, Services spéciaux Algérie 1955-1957, Perrin, 2002, p.23 à 40.

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Français, croyant bien faire, ont pulvérisé du DDT sur les étangs pour combattre le paludisme et le typhus, et construit une route pour désenclaver la région. En une génération, la population s’est multipliée, et pour faire face, les pasteurs ont augmenté leur cheptel, qui a rapidement détruit les sols. Grâce à la route, certains ont exporté et se sont enrichis, d’autres se sont endettés et parfois ruinés. La société traditionnelle s’est désintégrée à ce simple frôlement de la civilisation occiden-tale »1. Ce schéma est universel. Le seul fait d’avoir vendu des couteaux aux Inuits2 a anéanti les fondements mêmes de leur société traditionnelle où l’enseignement par les anciens de la fabrication d’outils tranchants à partir d’os est un acte structurant primordial. Dans la même veine, Galbraith3 évoque l’édification aux Indes par les Anglais, au XIXème siècle, d’un vaste réseau d’irrigation et l’installation d’une infrastructure ferroviaire, moyens de lutte contre la famine, dont la con-séquence a été un retour au niveau antérieur. Pour Karl Po-lanyi4 « ce n’est pas l’exploitation économique, comme on le suppose souvent, mais la désintégration de l’environnement culturel de la victime qui est alors la cause de la dégradation. Le processus économique peut naturellement fournir le véhicule de la destruction et, presque invariablement, l’infériorité économique fera céder le plus faible, mais la cause immédiate de sa perte n’est pas pour autant économique, elle se trouve dans la blessure mortelle infligée aux institutions dans les-quelles son existence sociale s’incarne. Le résultat est qu’il ne se respecte plus lui-même, et qu’il perd ses critères moraux ».

Galbraith5 affirme que « le capitalisme établi, tel qu’il existe en Europe, aux Etats-Unis, dans d’autres pays anglophones et en Extrême-Orient, est un système fondamentalement pacifi-que. Et, si l’on exclut les tensions qui peuvent résulter d’une crise économique prolongée, il le restera ». En outre, il s’avère que l’exploitation capitaliste du tiers-monde, au regard du « froid intérêt et des eaux glacées du calcul égoïste » est une

1 cf. Daniel COHEN, La Mondialisation et ses ennemis, Grasset, Paris, 2004, p.12-13. 2 Thierry GAUDIN, Introduction à l’économie cognitive, Edition de l’Aube, Paris, 1997, pp.61-63. 3 John Kenneth GALBRAITH, Théorie de la pauvreté de masse, Gallimard, Paris, 1980, p.67-68-69. 4 Karl POLANYI, La grande transformation, Gallimard, Paris, 1972 (1ère édition, 1944), p.270. 5 John Kenneth GALBRAITH, Voyage dans le temps économique, Seuil, Paris, 1995, p.270.

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ineptie. Jacques Marseille1 a montré que, tous comptes faits, le colonialisme a coûté plus à la France qu’il ne lui a rapportée. La Belgique, qui en 1880 était avec les Etats-Unis second ex aequo après la Grande-Bretagne dans le peloton de tête des pays industrialisés (la France ne venant qu’au sixième rang), voit son taux de croissance baisser dès qu’elle s’adonne au colonialisme. Les pays industrialisés non pourvus de colonies, par exemple les Etats-Unis ou la Suisse, ont connu un développement supérieur à celui des puissances colonisatrices. Les Pays-Bas, deux ans après s’être séparés des Indes néer-landaises, ont retrouvés un taux de croissance supérieur à celui d’avant l’indépendance. Au point que Paul Bairoch2 se complaît à dire que « l’Occident n’a pas besoin du tiers-monde, ce qui est une mauvaise nouvelle pour le tiers-monde ». Aussi, « la question majeure ne semble plus fondamentalement se poser en termes d’exploitation mais davantage en termes d’indifférence, d’oubli ou de peur. Indifférence envers des pays qui n’interviennent guère dans l’économie des riches, une fois garanti l’approvisionnement en pétrole. Oubli, ou manteau de Noé, jeté sur des pays qui se défont dans des luttes internes, les massacres, la famine. C’est de ces régions chaotiques que vien-nent les drogues, cocaïne, héroïne, chanvre indien. Commer-cialisées et consommées dans les pays du Nord comme dans ceux du Sud, elles témoignent du mal de vivre de pans entiers de la population »3. « Ce n’est pas de l’exploitation dont souffrent les pays pauvres. Au risque de paraître paradoxal, mieux vaudrait dire que c’est de ne pas être exploités qu’ils souffrent davantage, d’être oubliés, abandonnés à leur sort », affirme de manière similaire Daniel Cohen4, recoupant l’opi-nion de Joan Robinson pour qui « s’il est terrible d’être exploité, il est plus terrible encore de ne pas l’être du tout ».

Aussi, comment ne pas être troublé par le constat que des pays se sont extirpés du sous-développement, infirmant le dé-terminisme marxiste et confirmant le point de vue existen-tialiste de Jean-Paul Sartre qui veut que « l’essentiel n’est pas ce qu’on a fait de l’homme, mais ce que l’homme fait de ce qu’on

1 Jacques MARSEILLE, Empire colonial et capitalisme français, histoire d’un divorce, Albin Michel, Paris, 1984. 2 Paul BAIROCH, Mythes et paradoxes de l’histoire économique, Paris, La Découverte, 1994, cité par Daniel COHEN, La mondialisation et ses ennemis, Grasset, Paris, 2004, p.11. 3 Olivier DOLLFUS, Les poids plume et les poids lourds, Panoramiques n°8, 1er tri-mestre 1993. 4 Daniel COHEN, La mondialisation et ses ennemis, Grasset, Paris, 2004, p.11.

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a fait de lui » ? La Corée du Sud, Taiwan, Hong Kong, Singa-pour, étaient parmi les plus pauvres du monde au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Ces deux derniers qui n’étaient que deux grands bidonvilles autour des entrepôts du coloni-sateur anglais, sont aujourd’hui plus riches que leur coloni-sateur. Ils ont connu, à partir du milieu des années 1970, un décollage économique spectaculaire, avec des croissances éco-nomiques fortes proches de 10% l’an. S’inspirant du modèle de croissance japonais (un Etat fort, une priorité à l’exportation, un marché intérieur protégé, un effort considérable d’épargne et d’éducation), ces « dragons » sont passés, en moins d’une génération, de l’état de « pays sous-développés » à celui de « nouveaux pays industrialisés », puis, plus récemment à celui de « marchés émergents ». Pays dénués à l’origine de ressources naturelles, les deux Etats de la région, Singapour et Hong Kong, se sont ainsi rangés parmi les pays les plus riches du monde, avec à la fin des années 1990 un produit intérieur brut par habitant proche de 30 000 dollars (contre 23 000 en Fran-ce). Ces dragons aussi qualifiés de tigres, ont été suivis par les « bébés tigres », la Thaïlande, la Malaisie, et l’Indonésie qui ont connu à leur tour un décollage de leur économie dans les années 1980. D’autres pays pourraient les rejoindre : le Viêt Nam, le Laos et le Cambodge. Surtout, on évoque désormais la montée en puissance des « lions » de la zone, deux grandes puissances rugissantes, la Chine et l’Inde, qui connaissent à la fin du XXème siècle un développement économique rapide.

A l’inverse, d’autres pays, promis à un avenir brillant, tels l’Argentine ou le Venezuela, semblent victimes d’un sortilège anti-Midas. Alain Lipietz1 rappelle qu’au lendemain de la Secon-de Guerre mondiale, l’Argentine avait le cinquième niveau mondial de salaire, et que ce pays s’est fait une spécialité des décollages ratés. Et certains pays, riches de leur rente pétro-lière, minière ou agricole, ne sont pas pour autant développés. Enfin, comment comprendre que produire et exporter de la laine soit bon pour l’Australie et la Nouvelle Zélande, et mauvais pour l’Argentine et l’Uruguay ? Comment comprendre qu’exporter des produits primaires soit mauvais pour les pays en voie de développement et bon pour les pays développés qui en sont, combustibles exclus, les premiers exportateurs mon-diaux ? Comment comprendre que, dépourvu de ressources naturelles, le Japon soit une puissance économique de premier

1 Alain LIPIETZ, Le Nord et le Sud, une partie de quatre coins ?, Panoramiques n°8, 1er trimestre 1993.

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rang tandis que la Russie, abondamment dotée de tous les éléments du tableau de Mendeleïev, voie l’espérance de vie de ses concitoyens régresser à 58 ans ?

Le capitalisme est excellent pour la santé

Il en va du capitalisme comme de McDonald’s. Tout le

monde s’accorde pour dire que c’est une abomination, qu’il est coupable de tous les maux, qu’il faut l’éradiquer toutes affaires cessantes. Toutefois, les trente mille points de ventes de cette entreprise honnie non seulement ne désemplissent pas, mais leur nombre va croissant world wide. Tartufferie, pensée para-doxale, duplicité, mascarade ? Tra il dire e il fare c’è di mezzo il mare (entre dire et faire il y a la mer) dit opportunément un adage italien.

Mal défini en tant que doctrine, le capitalisme est le contraire d’un dogme, il n’est pas une recette incantatoire tirée d’un ouvrage de révélation. C’est un projet, tout comme l’entreprise qui en est la particule élémentaire. C’est donc avant tout une dynamique de changement1, ce que Marx a clairement diagnostiqué. C’est une formidable machine à créer de la richesse. Ayant l’étrange pouvoir « de transformer le sable en or », il fascine. Même la Chine l’a adopté : « Là où des haut-parleurs débitaient slogans, sornettes et marches patriotiques, c’est désormais l’animation commerciale qui constitue le nou-veau bruit de fond de Pékin »2. Mais cette machine ne dit pas comment répartir la richesse créée. Elle ne s’embarrasse pas de savoir au détriment de qui ou de quoi elle crée de la richesse.

C’est un phénomène en perpétuel devenir que l’humain tente de domestiquer. La protection sociale, le fordisme ont été des réponses à la paupérisation due « au satanic mill qui écrasa les hommes et les transforma en masse, véritable abîme de la dégradation humaine »3, dont le marxisme a fait son fonds de commerce. Le développement durable est une autre tentative. On4 nous assure que « l’entreprise responsable se comporte correctement envers les hommes et l’environnement. Toute-fois, la notion de « People Planet Profit » qui résume ce concept

1 John Kenneth GALBRAITH, Théorie de la pauvreté de masse, Gallimard, Paris, 1980, p.70. 2 Guy SORMAN, La nouvelle richesse des nations, Fayard, 1987, p.140. 3 Karl POLANYI, La grande transformation, Gallimard, Paris, 1972 (1ère édition, 1944), p.59-67. 4 Made in Holland 2003-2004, revue éditée par l’EVD, Agence pour le commerce extérieur du Ministère de l’Economie néerlandais, p.17 et suivantes.

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est plus facilement définie que mise en œuvre. Il existe d’innombrables grandes et petites entreprises aux Pays-Bas qui assument leurs responsabilités sociales. Toutes témoignent que l’entreprise durable, qui tient compte à la fois de l’homme et de l’environnement, est rentable. Les sociétés plus petites ont basé leurs activités sur le principe de l’entreprise responsable. Après s’être uniquement intéressées au profit, les grandes sociétés néerlandaises et les multinationales ont compris que leur stratégie à court terme devait être remplacée par un investis-sement sur le long terme à travers l’entreprise durable. La mo-dification de la gestion d’une multinationale peut faire l’effet d’une révolution. Les moyens relativement faibles que Shell investit dans le développement de l’hydrogène en tant que source d’énergie et combustible ainsi que dans la construction d’un parc d’éoliennes en mer peuvent à terme avoir des con-séquences importantes sur l’industrie pétrolière. Ainsi, les responsabilités sociales de l’entreprise ne se résument pas à de la charité ou de l’assistanat, mais constituent un solide in-vestissement dans la continuité de l’entreprise ». On ne sait cependant pas si l’intoxication inhérente à la modernité est intrinsèquement éliminable ou bien s’il s’agit plus modestement de s’intoxiquer à plus petit feu. Mais Claude Bernard a dit que « le poison est dans la dose ». « L’humanité inventera-t-elle un modèle de développement soutenable et solidaire du Nord et du Sud ? Ou le partage Nord/Sud prendra-t-il la forme d’une guerre de l’environnement ? Tel est l’enjeu du XXIème siècle », soutient Alain Lipietz1.

En tout état de cause, les Bolseros qui quittent Cuba en radeau pour Miami, les Africains qui franchissent le Détroit de Gibraltar après avoir traversé le Sahara, les Africains qui, arrivés à Lampedusa, s’enquièrent des trains pour Rome, les Afghans et les Kurdes qui errent à Calais en vue d’un passage pour l’Angleterre, les Mexicains qui gagnent les Etats-Unis, seraient-ils non seulement pauvres mais sots ? Et que dire de « l’hémorragie cérébrale du tiers-monde », selon l’expression de Sophie Boutillier et Dimitri Uzunidis2 ?

Guy Sorman dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas, à savoir que « le capitalisme est excellent pour la santé »3.

1 Alain LIPIETZ, Berlin, Bagdad, Rio, Quai Voltaire, 1992. 2 Croissance des Jeunes Nations, janvier 1987. 3 Titre du chapitre 13 de Guy SORMAN, La solution libérale, Fayard, Paris, 1984.

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Et le fait que « le stress soit devenu le mode de régulation de la société post-fordiste »1 ne change rien à l’affaire.

En pastichant Lénine qui disait que le « communisme c’est les soviets plus l’électricité », avant de préciser pragmatique-ment que « c’est les soviets plus l’administration ferroviaire à la prussienne plus l’organisation industrielle à l’américaine »2, nous dirons que le capitalisme c’est le marché, cet état de nature selon Alain Minc, qui, à tout prendre, vaut mieux que « la poignée de main invisible de la corruption ou la botte bien audible des militaires »3, plus l’Etat de droit, plus la démocratie.

SOUS-DEVELOPPEMENT : QUE FAIRE ?

A quoi sert l’économie (economics) ?

Galbraith4, se référant à Alfred Marshall, définit l’économie

comme « l’étude de l’humanité dans la conduite de sa vie de tout les jours ». Telle que définie par Robbins, l’économie est « la science qui étudie le comportement humain en tant que relation entre les fins et les moyens rares à usage alternatif ». L’homme est donc central. Dans cette optique, le dévelop-pement, pour Amartya Sen, consiste à donner aux personnes et aux sociétés les moyens de construire des destins dignes de leurs attentes. Il en découle qu’une approche qui n’intégrerait pas la dimension humaine a toutes chances d’être « à côté de la plaque », voire franchement contre-productive. Pourtant, les économistes du développement l’ignorent : « On peut lire dans un numéro spécial d’Economie et Prévision (97, 1991, p.V) consacrée à l’économie du développement : « Une des forces de l’approche de la Banque Mondiale, bien qu’en perpétuelle évolution, réside dans le choix d’une méthode transposable facilement d’un pays à l’autre, reposant sur le même logiciel ». Cette internationale du logiciel à travers laquelle nos éco-nomistes-statisticiens pensent trouver des réponses aux problè-mes d’ajustement et de développement a un côté BD de scien-

1 Daniel COHEN, cité par Jean GADREY, Nouvelle économie, nouveau mythe, Flammarion, Paris, 2000, p.205. 2 James P. WOMACK, Daniel T. JONES, Daniel ROOS, La macchina che ha cambiato il mondo, Rizzoli 1991 p.270, traduction de la citation par l’auteur de l’article. 3 l’expression est d’Alain LIPIETZ, Mirages et miracles, Editions La Découverte, 1985, p.17. 4 John Kenneth GALBRAITH, Nicole SALINGER, Tout savoir ou presque sur l’é-conomie, Seuil, 1978, p.11.

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ce-fiction. Laissons-les à leurs ordinateurs »1, conclut à bon droit Elsa Assidon.

Pourtant les discours volontaristes ne manquent pas. Au sein de l’Union européenne, par exemple, la Direction Gé-nérale du développement souligne que sa « mission consiste à aider à la réduction et à terme à l'éradication de la pauvreté dans les pays en développement et à promouvoir le dévelop-pement durable, la paix, la sécurité ainsi qu'un environnement stable et démocratique chez nos partenaires ».

Les analystes du développement se répartissent en deux camps. Pour les premiers, seule une stratégie nationaliste, éta-tiste et socialiste peut apporter une solution à la pauvreté des peuples. Cette approche a dominé le tiers-monde depuis la Seconde Guerre mondiale. Pour les seconds, au contraire, l’esprit d’entreprise, le libre échange et la démocratie, sont des principes universels, applicables à toutes les civilisations.

Les résultats escomptés n’étant pas au rendez-vous avec les premiers, et l’exemple asiatique aidant, c’est désormais l’inser-tion dans la dynamique capitaliste qui est mise en avant.

La question de l’annulation de la dette du tiers-monde est conjointement une préoccupation constante depuis plusieurs décennies. Beaucoup en effet militent pour l’annulation afin que les remboursements cessent d’« engloutir les ressources nécessaires pour répondre aux besoins les plus fondamentaux : une eau propre, un abri, la santé et l’éducation ». Un pays com-me le Mozambique consacre 3% de ses dépenses budgétaires à la santé, et 33% au remboursement de la dette. Mais une annu-lation globale de la dette manquerait son but si les comporte-ments des pays bénéficiaires ne changent pas (corruption, gaspillages, dépenses militaires excessives). En fait la question de savoir s’il faut annuler purement et simplement les dettes, à la manière du droit commercial sur la faillite, plutôt que de laisser le créancier imposer unilatéralement un rééchelonne-ment à sa guise, est sans commune mesure avec la question clef : pourquoi l’argent prêté ne produit-il pas de richesse ? Plus encore que l’annulation, même totale, des dettes, c’est l’enclenchement d’un processus de développement qui per-mettrait aux uns et aux autres de sortir de leur pauvreté et de leur dépendance financière qui importe.

A cet égard, le micro-crédit, système né il y a trente ans au Bangladesh, semble être une approche plus efficiente. Les

1 Elsa ASSIDON, Développement, Le miroir brisé, dans Panoramiques, 1er trimestre 1993, p.161.

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Nations Unies ont sacré 2005 année du micro-crédit. Destiné aux personnes en difficulté qui ne peuvent accéder aux services des banques classiques, le micro-crédit est un système éco-nomique pour aider ces personnes. Il offre, par le biais d’ONG, de petits crédits adaptés aux besoins.

Une autre réponse est le commerce équitable, consistant à ce que, à l’exemple de Max Havelaar, des entreprises du monde riche passent des contrats à moyen terme avec des producteurs et artisans du tiers monde, qui échappent ainsi à la « tyrannie » du marché parce qu’on leur garantit prix et écoulement des produits. De façon apparemment proche, on voit dans les rues des capitales européennes, jusqu’à Moscou, des Indios andins vendre des pulls de laine de leur fabrication.

Mais, pour intéressant que cela soit, ce n’est pas suffisant eu égard à l’ampleur du problème. La solution c’est l’industria-lisation et l’ouverture des économies. Pour reprendre l’exemple de la Corée du Sud, son rattrapage réussi repose sur un réel processus d’accumulation de capacités technologiques nationa-les. La production est dominée par des activités complexes ou lourdes, souvent tournées vers l’exportation. Parmi les grandes exportations coréennes, il y a les composants électroniques sophistiqués, des produits électroniques pour le grand public, des bateaux et des automobiles. Ces productions sont le fait de grands groupes économiques nationaux, les chaebols, qui déve-loppent des produits et les commercialisent sous leurs propres marques. Hyundai, Samsung, Daewoo et d’autres, ont atteint une dimension mondiale, faisant dans certains domaines jeu égal avec les firmes des pays avancés. Dans le classement mon-dial de la construction navale, la Corée a consolidé son leader-ship avec 40% de part de marché à la fin de 2003, dont 64% pour les porte-conteneurs et 50% pour les pétroliers.

Désormais, de l’Algérie à Madagascar, de la Tanzanie à la Zambie, l’aggiornamento est maintenant général : on ne parle plus que d’ouverture, de libéralisation, de privatisation, de rigueur budgétaire.

Ouverture, d’une part pour des raisons économiques : c’est grâce au marché mondial que les pays asiatiques ont pu accéder en quelques années à une économie de « marché » que les pays occidentaux ont mis plus d’un siècle à constituer. Un « mar-ché » est ce qui rend la relation entre producteurs et consom-mateurs non manipulable : c’est une structure de prix et des exigences de qualité qui sont cohérentes entre elles. Bien plus que des « parts » de marché, c’est bel et bien une « structure » de marché qui est ainsi captée par les pays asiatiques. Il est

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intéressant de noter à cet égard combien les choix domestiques faits à Taiwan ou en Corée, à Hong Kong ou à Singapour comptent peu dès lors que dans tous les cas, les pays se soumettent à l’impératif de prix, de qualité du marché mondial, dit Daniel Cohen. Incidemment, les seules nations qui ont véritablement échappé à la pauvreté de masse depuis vingt-cinq ans, la Corée, Taïwan, Singapour, Hong Kong, ont toutes adopté un modèle de croissance qui repose sur leurs propres forces. La notion d’avantage comparatif est déterminante et à ce jeu, tous les peuples sont élus. Toute nation dispose d’un tel avantage à un moment donné, à condition de se tourner vers les marchés extérieurs. Mais le marché n’est pas un système de sécurité sociale qui garantit à chaque pays une recette constan-te. Il est évident que si la Corée ou Taïwan avaient continué à vendre depuis vingt ans les mêmes produits sans efforts de productivité, ils seraient aujourd’hui aussi mal en point que la Tanzanie. Le marché mondial exige une révision permanente de l’avantage comparatif. Celui-ci n’est jamais acquis défini-tivement. Il suppose de réagir sans cesse à la concurrence et au protectionnisme. Il suppose que l’on emprunte le sentier étroit de l’industrie et de l’innovation, cette dernière étant le véritable nerf de la guerre de la nouvelle économie. En outre pour Amartya Sen, « les moyens et les fins du développement exigent que la perspective de la liberté soit placée au centre de la réflexion, que les personnes soient considérées comme des acteurs à part entière, tirant parti des occasions à leur dispo-sition et maîtrisant leur destin, non comme les destinataires passifs des fruits d’un développement programmé par des experts ». Dans cette optique, Amartya Sen considère le mar-ché lui-même comme un espace de liberté, appréciable en tant que tel, ce qui n’exclut pas d’en corriger les effets pervers.

Ouverture d’autre part, parce que la réussite économique n’exige pas d’avoir de l’argent mais des principes. L’analyse du taux de croissance entre la part imputable au capital, au travail et à la productivité montre, paradoxalement, comme le dit Paul Krugman, que les dragons doivent leur richesse à la transpi-ration plus qu’à l’inspiration. L’exemple de Singapour est le plus spectaculaire : près des deux tiers de son enrichissement provient de l’extraordinaire épargne que le gouvernement a mobilisé au service de l’accumulation du capital. Or, une so-ciété ouverte est moins vulnérable au népotisme, à la fraude, à la corruption. Toute dirigiste qu’elle soit, la stratégie coréenne se soumet aux prix et règles du marché pour commercialiser les produits coréens. La corruption est une pièce au sein d’un

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processus soumis à des règles qui lui sont extérieures dans le cas coréen. Elle sans limite dans le cas zaïrois, que l’économiste anglais Peter Bauer qualifiait de « kleptocratie ». Le respect de la règle de droit est un autre trait essentiel. C’est pourquoi les institutions financières insistent tant sur la nécessité d’une « bonne gouvernance » des Etats.

Enfin, a contrario, les choix inverses faits par les pays de l’ancienne URSS, c'est-à-dire le rejet de l’ouverture, prouve-raient qu’il ne suffit pas de scolariser sa main-d’œuvre et d’in-dustrialiser son économie à marche forcée pour rattraper les pays les plus riches.

De sorte que le Nord n’a plus de modèles à proposer au Sud, sinon celui de l’ouverture. Mais l’idée que l’on puisse importer purement et simplement les techniques étrangères sans s’approprier, au moins en partie, ses conditions de production est naïve. « La technologie n’est pas une ressource transférable qui pousse dans les forêts du Nord. Importer des machines ne suffit pas. Il faut construire les relations sociales du travail correspondantes »1. Les stratégies d’industrialisation industrialisantes recommandées à l’époque à l’Algérie, et les efforts incontestables qui ont été faits dans le domaine de la scolarisation par ce pays, n’ont pas produit du rattrapage, mais des usines en surcapacité et des chômeurs diplômés qui sont devenus les terres de mission du FIS.

C’est que l’homme évoqué plus haut n’est pas l’homo oeconomicus ou le Golem de Prague, mais l’homo sapiens, présent sur terre en de multiples déclinaisons culturelles. « Programma-tion collective de l’esprit » selon Geert Hoofstede2, la culture détermine la vision du monde et conditionne l’attitude, le comportement, la conduite3. Mais, insiste Karl Polanyi, « rien n’obscurcit aussi efficacement notre vision de la société que le préjugé économiste »4. Les économistes du développement ignorent le culturel, à cause des valeurs de progrès supposées universelles, de sorte qu’au mieux, ils ne tiennent compte des cultures que comme un maquis résistant à la modernité. Dans les faits, on bute toujours sur la diversité culturelle à laquelle on

1 Alain LIPIETZ, Mirages et miracles, Problèmes de l’industrialisation dans le tiers monde, Editions La Découverte, Paris, 1986, p.57. 2 Geert HOFSTEDE, Culture and Organization, Software of the Mind, Intercultural Cooperation and its Importance for Survival, HarperCollinsBusiness, London, 1994. 3 Attitude : disposition d’esprit. Comportement : action spontanée qui en résulte. Conduite : action calculée en fonction d’un objectif, d’une stratégie. 4 Karl POLANYI, La grande transformation, Gallimard, Paris, 1983 (1ère édition, 1944), p.214 et suivantes.

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cherche désespérément une place dans les analyses. Or, aucun projet de développement n’est jamais efficace s’il n’est authen-tiquement porté par la société. Il est donc temps d’approfondir la notion d’identité culturelle.

Une dimension première, la culture

Si les hommes sont bel et bien égaux en théorie, leurs

cultures les ont façonnés différemment et leur ont inculqué des comportements et des modes de raisonnement qui, selon les impératifs de chaque époque, peuvent se révéler inégalement opérationnels.

On le mesure déjà au sein d’un même pays quand il advient que les communautés linguistiques, religieuses ou ethniques manifestent, transitoirement, des dispositions sociales et éco-nomiques inégales. Ce fut longtemps le cas du Québec. On le voit en Suisse où la partie germanophone est plus dynamique, dit-on, que la partie romande, en Belgique où les Flamands voudraient se séparer des Wallons, maintenant retardataires, en Italie où la Ligue du Nord caresse l’idée d’abandonner le boulet du Mezzogiorno qui pend à la botte, en Israël où les Askhé-nazes dominent les Sépharades. A Chypre, alors que la com-munauté grecque qui a quitté en 1974 la partie nord de l’île, riche, où elle résidait majoritairement, pour le sud, pauvre, le PNB par habitant en République chypriote était, en 2000, le quadruple de celui de la partie turque.

Karl Polanyi se réfère à Margaret Mead : « Les objectifs pour lesquels des individus travailleront sont déterminés cultu-rellement et ne sont pas une réponse de l’organisme à une si-tuation extérieure sans définition culturelle telle qu’une simple disette. Le processus qui convertit un groupe de sauvages en mineurs dans une mine d’or, ou en équipage d’un bateau, ou bien le dépouille de tout ressort et qui le laisse mourir à côté de cours d’eau qui regorgent toujours de poissons, peut sembler si bizarre, si étranger à la nature de la société et à son fonction-nement normal qu’il en est pathologique ; pourtant, c’est pré-cisément ce qui arrivera en règle générale à une population au milieu d’un changement violent amené de l’extérieur, ou du moins produit à l’extérieur ». Et Polanyi illustre son propos avec le cas célèbre de l’Inde. « Dans la seconde moitié du XIXème siècle, les masses indiennes ne sont pas mortes de faim parce qu’elles étaient exploitées par le Lancashire. Elles ont péri en grand nombre parce que les communautés villa-geoises indiennes avaient été détruites. Que cela ait été occa-

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sionné par les forces de la concurrence économique, à savoir que des marchandises fabriquées mécaniquement aient été, de façon permanente, vendues moins cher que le cheddar tissé à la main, c’est vrai sans aucun doute, mais cela démontre l’inverse de l’exploitation économique, puisque le dumping implique l’in-verse d’un prix excessif…Les trois ou quatre grandes famines qui ont décimé l’Inde depuis la révolte de Cipayes n’ont été donc la conséquence ni des éléments ni de l’exploitation, mais simplement de la nouvelle organisation du marché du travail et de la terre, qui a détruit l’ancien village sans résoudre en réalité les problèmes ».

Pour expliquer le blocage du processus de développement, Galbraith1 met en avant le concept de l’accommodation : la pauvreté est un état d’équilibre qui tend inexorablement à se perpétuer car elle engendre chez ceux qui y sont enfermés l’attitude d’ajustement à l’inévitable. Cette attitude est l’une des constantes les plus profondes du comportement humain, à savoir le refus de lutter contre l’impossible, la tendance à préférer la résignation à l’espérance frustrée. S’il se produit une amélioration temporaire, les forces de rappel de l’accommo-dation jouent dans le sens d’un retour à l’équilibre antérieur. L’accommodation, qui permet de tirer le meilleur parti d’une situation sans espoir, est une solution parfaitement rationnelle. D’où la difficulté à la contrer. D’autant que, si l’on en croit Sommerset Maugham, « la tradition n’est pas notre geôlier, mais notre guide ».

Mais toutes les valeurs traditionnelles sont-elles dignes d’être conservées ? Une grande partie de la problématique n’est-elle pas liée, au contraire, à la perpétuation de traditions néfastes qui sont à l’origine du premier naufrage du continent africain : tradition de la division, de haine entre frères qui conduit à se vendre comme esclaves. Comment oser douter de l’universalisme de certaines valeurs, sous prétexte qu’elles sont apparues en Europe, quand de grandes voix, venues des pays du Sud, proclament au contraire leur attachement à ces acquis libérateurs ?

Daniel Cohen fait référence à Jared Diamond2 pour qui bon nombre de découvertes fondamentales n’ont été inventées qu’une seule fois. Une leçon de son travail fascinant est que la mondialisation fait tout simplement partie depuis toujours de

1 John Kenneth GALBRAITH, Théorie de la pauvreté de masse, Gallimard, Paris, 1979. 2 Jared DIAMOND, Guns, Germs and Steel, trad. fr. De l’inégalité parmi les sociétés, Essai sur l’homme et l’environnement dans l’histoire, Gallimard, Paris, 1997.

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l’histoire humaine. La diversité des cultures, qu’elle résulte des hasards de l’écologie ou de l’esprit humain, rend irrépressibles, dès l’origine, les apports et les emprunts croisés entre les civi-lisations. Seuls les mers et les déserts semblent faire durable-ment obstacle à cette marche têtue. En outre, souligne Daniel Cohen, le paradoxe central réside dans la difficulté où se trouvent les nations occidentales elles-mêmes à soutenir le choc de cette nouvelle mondialisation. La mondialisation fait peur aujourd’hui aux pays riches et non plus aux pays pauvres. Comme un boomerang, le modèle occidental revient à ses créateurs.

Le problème est donc celui du changement culturel. Or celui-ci est particulièrement rude. Pour François Perroux « le développement est la combinaison des changements mentaux et sociaux d’une population qui la rendent apte à faire croître, cumulativement et durablement, son produit réel global ». Et il poursuit : « L’industrialisation est un processus complexe dans lequel un groupe d’hommes se dote d’un système cohérent de machines par lequel il transforme le monde et se transforme lui-même. L’industrialisation est une dynamique sur rythme accéléré »1.

L’attitude, clef de voûte de la sortie du sous-développement

L’idée que le changement, conscient et volontaire, serait

naturel à l’homme, est en réalité une vision ethnocentrique occidentale récente. Dans les sociétés traditionnelles, où a vécu l’essentiel de l’humanité, « la vie est un film reproduisant un scénario immuable avec des acteurs différents. La tradition maintient présent dans l’esprit de tous les hommes, le mythe, lieu géométrique de toutes les institutions, de toutes les croyances, de toutes les techniques, qui rend impossible toute remise en cause des valeurs données, strictement fixées une fois pour toute par la société. Une seule réflexion est alors possible pour l’homme des civilisations traditionnelles : se mirer dans les eaux du mythe de la fondation, du schéma d’organisation du monde tel que le conçoit la société à laquelle il appartient. L’éveil de la conscience individuelle, du libre arbitre, est impossible dans de telles sociétés, figées dans le temps par le sentiment de leur perfection »2.

1 François PERROUX, L’Indépendance de la nation, Union Générale d’Editions, Paris, 1969, p.214. 2 cf. Jean SERVIER, L’histoire de l’utopie, Idées NRF, Gallimard, 1967, p.14-15.

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De sorte que, ainsi que l’affirme Arthur Lewis, qui reçut en 1979 le prix Nobel d’économie, dans l’histoire de l’humanité, la pauvreté et l’oppression sont la norme, la prospérité et la liberté, l’exception. La véritable énigme n’est donc pas le sous-développement, mais le développement : « ce n’est pas le non-développement qui est un scandale ; c’est le développement qui est un miracle »1, affirme Alain Peyrefitte.

Dans le même esprit, au niveau micro-économique, le so-cio-psychologue Frederick Herzberg2 distingue l’homme Adam, conservateur fuyant le risque, caractéristique de la so-ciété fermée, de l’homme Abraham, progressiste, caractéristi-que de la société ouverte. Et Alain Peyrefitte voit dans la con-fiance, propre aux sociétés ouvertes, le facteur clef des « mi-racles » économiques, qui transforme le désavantage initial en catalyseur de développement.

Pour en rester au comportement humain, René Girard3, s’appuyant sur le concept aristotélicien de mimésis4, fournit une explication convaincante de ce qui précède. Tous les mythes primitifs, dit-il, font état d’un emballement mimétique originel auquel le sacrifice d’une victime émissaire met fin. C’est autour de ce mécanisme de réconciliation que la société se différencie et se structure. Le rituel rappelle inlassablement le meurtre fondateur, les interdits visent à s’abstenir de tout mimétisme, par nature générateur de violence indifférenciée. Pour com-prendre la culture humaine, précise René Girard, « il faut admettre que le religieux n’est rien d’autre que cet immense effort pour maintenir la paix ». Dans ce contexte, on comprend que le changement soit banni. Mais, poursuit-il, la société occi-dentale « est la seule qui puisse déchaîner le désir mimétique sans avoir à redouter un emballement irrémédiable du système. C’est à cette aptitude inouïe à promouvoir la concurrence dans des limites qui restent socialement, sinon individuellement, acceptables, que nous devons les réalisations prodigieuses du monde moderne, son génie inventif ». On conçoit dès lors que « les changements mentaux et sociaux » de François Perroux, qui autorisent d’autres usages, plus productifs, des moyens rares de Robbins, nécessitent l’entrée radicale dans une autre

1 Alain PEYREFITTE, Du « miracle » en économie, Odile Jacob, p.37. 2 cf. Frederick HERZBERG, Le travail et la nature de l’homme, Entreprise Moderne d’Edition, Paris, 1971 3 René GIRARD, La violence et le sacré, Grasset, Paris, 1972, Des choses cachées depuis la fondation du monde, Grasset Paris, 1978, Le Bouc émissaire, Grasset, Paris, 1982. 4 « L’homme diffère des autres animaux en ce qu’il est le plus apte à l’imitation », ARISTOTE, Poétique, 4.

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dimension, celle de l’adhésion à la weltanschauung occidentale, et, en fait, son appropriation. Là gît la clef du développement.

Concrètement, que faire ? Il y a trois siècles, Pierre le Grand, tsar de toutes les Russies,

se demandait pourquoi dans son empire, malgré l’immensité du territoire et la faible densité de population, les habitants étaient pour la plupart très pauvres, alors qu’en Occident, dans les pays relativement minuscules et surpeuplés, ils avaient pu au contraire accumuler tant de richesses. Pour trouver la réponse à cette question, il décidait de partir plusieurs mois travailler incognito en Occident, notamment comme charpentier dans un chantier naval hollandais. Il revint de ce voyage avec la certitude que les échanges pratiqués entre les hommes et les nations étaient à l’origine de la croissance des richesses, en totale opposition avec le système d’économie vivrière per-sistant sur ses terres. Cette conviction le conduisit à entre-prendre la construction de Saint-Pétersbourg, port ouvert sur la Baltique, et surtout à contraindre ses sujets à s’occidentaliser, au moins dans la vêture. A l’instar de Pierre le Grand, Méhémet Ali en Egypte, l’empereur Meiji au Japon, Kamal Atatürk en Turquie, ont imposé autoritairement l’occidentalisa-tion. L’exemple récent du Shah d’Iran montre que le despotisme éclairé ne fait plus recette. On peut certes imaginer des modèles de développement, tel que celui du vol des oies sauvages de Kaname Akamatsu ou celui de Rostow avec ses cinq étapes successives. Sont-ils extrapolables à un milieu autre que celui où ils ont vu le jour ? Car le monde est en réalité fragmenté en systèmes culturels asymétriques et asynchrones.

Mais, observe Galbraith, même dans le pays le plus pauvre, l’accommodation n’est pas totale. Il y a toujours une minorité qui cherche à s’en affranchir. Lorsque les possibilités d’affran-chissement s’accroissent, l’accommodation se fait moins prégnante. Graduellement, l’équilibre de la pauvreté fait place à la dynamique du progrès. C’est le chemin suivi historiquement par le Japon et, plus récemment par les dragons d’Asie, mais aussi par l’Irlande et la Chine. C’est sur ces minorités qu’il importe de concentrer les ressources pour susciter un effet d’entraînement qui fasse craquer l’équilibre de la misère. Rompre avec l’accommodation passe classiquement par l’exode de cette minorité, qui peut se combiner à l’émergence du cercle vertueux du développement dans le pays d’origine, quand l’accumulation se substitue à l’accommodation.

Cela se réalise spontanément, comme ce fut le cas au XIXème siècle avec les « Barcelonnettes » partis faire fortune

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au Mexique, ou de façon similaire, avec les Mourides du Sénégal, adeptes du Cheikh Bamba, actifs en Europe, aux Etats-Unis, en Asie. Il en va de même avec les Mozabites en Algérie. Et si l’Inde dispose aujourd’hui de stocks de blé équivalents à ceux du Canada ou de l’Union européenne, c’est parce que cette révolution verte s’est produite initialement et s’est poursuivie avec le plus de succès dans une région particulière de l’Inde, le Pendjab, et chez un peuple à la religion singulière, les Sikhs. De même, un Mexicain qui dans son pays se montre conforme au cliché de la paresse, se révèle, dès qu’il a franchi la frontière des Etats-Unis, travailleur et entreprenant.

L’Etat peut-il jouer un rôle, en initiant le mouvement et en l’amplifiant ? Robert Reich1 met en avant une évolution radi-cale du paysage économique : alors que depuis le XVIIIème siècle on se représente les Etats comme des ensembles hu-mains solidaires, la mondialisation a modifié profondément ce concept. Avec les alliances, fusions, participations croisées, externalisations, l’internationalisation fait que les industries se sont constituées à l’échelle du globe, en archipels, échappant largement à l’emprise des nations. Par exemple, Gucci, filiale de PPR et marque mondiale, a son siège aux Pays-Bas, son état-major à Londres et ses actifs en Italie. Quant au PDG de Danone2, il déclare que «l’avantage compétitif d’une entreprise ne réside en rien dans ses origines. En quinze ans, de français notre marché est devenu multi-domestique, puis européen, latino-américain, asiatique et moyen-oriental. Nous ne l’avons pas fait en nous demandant si nous étions lyonnais, français ou européen, mais en recherchant des relais de croissance. De même, ce n’est pas la nationalité des membres du comité exécutif qui importe, mais celle de ceux qui font le business sur le terrain ». Il revient alors aux Etats de créer un climat de confiance pour attirer des entreprises auprès de populations susceptibles de rompre le blocage de l’accommodation et d’en accompagner la démarche.

De plus, la mimésis de René Girard peut jouer un rôle de catalyseur. Lorsqu’un pays voisin entreprend quelque chose qui réussit, on finit par faire pareil. Les blocs régionaux semblent manifester une tendance à la convergence. Il est possible de dire que la Chine continentale veut tout simplement faire à son tour comme les dragons. Enfin, Il faut savoir que dans la

1 Robert B. REICH, The Work of Nations, First Vintage Books Edition, New York, 1992. 2 Frank RIBOUD, cf. Enjeux Les Echos, novembre 2004, A la recherche de l’entreprise européenne.

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Silicon Valley, près du tiers des start up est possédé par des Chinois de Taiwan et de Chine continentale, et aussi par des Indiens.

Ce processus entraîne nécessairement un métissage culturel, une acculturation consciente ou inconsciente. Par exemple, lors de la rétrocession de Hong Kong en juillet 1997, le gouverneur britannique observait que le succès économique de ce petit territoire est dû à la rencontre de l’attitude entrepreneuriale et industrieuse des Chinois avec l’esprit de la loi du Royaume-Uni. Macao, jumelle de Hong Kong, pourtant en contact avec l’Occident par le biais du Portugal depuis 1557, n’a pas, et de loin, connu un tel développement. Les exemples de couplage fructueux sont légion. Au Yucatan, une usine maquiladora d’origine américaine emploie un millier de femmes mayas pour la fabrication robotisée de prothèses dentaires. Ces femmes ont appris la polyvalence, l’autonomie et l’initiative1. L’entre-prise coréenne LG, implantée en Inde depuis 1997, a mis en place un système de motivation des employés à mille lieux de la mentalité indienne, consistant, à la Coréenne, à hurler collecti-vement des slogans (« n°1 pour toujours, nous sommes les champions » !) en donnant en rythme des coups de poing ; conjointement la direction fixe des objectifs ambitieux (« le stress amène les gens à sortir d’eux le meilleur » dit un coach indien, ceinture noire six sigma, une technique américaine développée par Motorola). Le résultat est que LG a dépassé ses concurrents sur le marché indien, Whirlpool, Sony, Samsung, et entend dépasser Nokia en téléphonie mobile dans trois ans. Ce métissage, qui suppose respect réciproque, se généralise. Chez Toyota, on affirme que « nous étions une entreprise japo-naise dans une vingtaine de pays. Nous sommes devenus un groupe mondial. Or une multinationale avec un management national, ça n’est plus possible. Toyota est désormais un puzzle de nationalités ». Dans le même registre, le linguiste français Claude Hagège s’est offusqué haut et fort du fait que les cadres de Renault aient à communiquer en anglais, y compris dans les relations franco-françaises.

Des questions restent en suspens. Selon Thierry Gaudin2, « le système technique de la révolution industrielle était structu-ré par l’axe matière-énergie. Dans le système technique de la

1 cf. Colloque International « Travail divisé, travail recomposé », Laboratoire de Recherche sur l’Industrie et l’Innovation, Université du Littoral Côte d’Opale, Dunkerque, 25-26 mars 2004. 2 Thierry GAUDIN, Préliminaires à une prospective du capitalisme, Editions de l’Aube, 2003, Conférence donnée à Lille le 20 mars 2003, pp.19-20.

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révolution cognitive, c’est l’axe qui va du temps au vivant qui prédomine, avec essentiellement des machines qui vont plus vite que les neurones, d’où la constitution d’industries hallu-cinogènes, ainsi que la possibilité de manipuler le génome, ce qui donne à l’homme des pouvoirs de démiurge, tout en lui conservant les instincts d’un primate. Une période à hauts risques, donc ». D’autant, précise-t-il, que « la seule richesse à laquelle chacun devrait pouvoir prétendre est le temps. Car celui qui n’a pas le temps n’a rien, vit dans l’extrême pauvreté, même s’il court après les signes de richesses ».

En conclusion, dans un contexte mondialisé, c’est l’occur-rence de synergies entre cultures à attitude ouverte au change-ment, assorties à l’instauration d’un climat de confiance, qui rend possible la sortie du sous-développement.

Mais quand le monde sera peuplé d’Argentins, c'est-à-dire « d’Italiens parlant espagnol, se prenant pour des Anglais et imaginant vivre à Paris »1, le tango de la vie sera-t-il âpre, hau-tain, désespéré, comme celui des Porteños?

1 Guy SORMAN, La nouvelle richesse des nations, Fayard, 1987, p.57.

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