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L’URBANISATION DU MONDE ET SES CONSÉQUENCES 1/4 CHAPITRE 4. COMMENT L’URBANISATION TRANSFORME-T-ELLE LE MONDE ? L’URBANISATION DU VILLAGE DE LIU GONG LI (CHINE) Tout commence dans un village qui s’appelle Liu Gong Li. […] Nous sommes en 1995 et celui-ci n’a pas changé depuis plusieurs siècles : son apparence, ses ruelles, ses familles nombreuses, sa culture ar- tisanale du blé et du maïs sont restées les mêmes. Ce hameau sem- blait ainsi figé dans le temps et seul au monde. Il avait d’ailleurs ob- tenu son nom, qui signifie ‘‘ six kilomètres ’’, lors de la construction de la longue route qui le relie à la ville de Chongqing. Avant ce petit village était connecté avec aucune autre ville et, tous les trois ou quatre ans, des problèmes environnementaux ou politiques provo- quaient des famines : les adultes et les enfants mouraient souvent. À Liu Gong Li, la vie de paysan n’avait donc rien de tranquille ! Mais, au cours des années 1990, la ville de Chongqing est devenue une grande métropole économique, l’une des plus importantes de Chine. C’est alors que Liu Gong Li a cessé d’être un village pour devenir une nouvelle destination pour des villageois venus d’ailleurs, de d’autres campagnes chinoises. […] En effet, en quelques années seulement, ce village de 70 habitants s’est complètement transformé : le chemin étroit qui permettait de relier Chongqing en une journée entière est devenu un grand boulevard goudron- né qui permet maintenant de s’y rendre en seulement deux heures. En fusionnant avec les autres villages situés aux alentours, Liu Gong Li est ainsi devenu un important quartier de plus 120 000 habitants. Ce n’est donc plus aujourd’hui un village rural isolé. Ces nouveaux quartiers, que les évadés des campagnes construisent eux-mêmes, fleurissent par centaines autour de la métropole de Chongqing. Plusieurs mil- lions de paysans s’y établissent d’ailleurs chaque année, même si une bonne partie d’entre eux, peut être la moitié, finissent par rentrer dans leur village d’origine, refoulés par la misère ou par le désespoir. En revanche ceux qui restent sont les nouveaux urbains les plus déterminés, comme pour Jian Wang, trente- neuf ans. Jian Wang habite aujourd’hui proche de la rue principale de Liu Gong Li, avec sa famille, dans un bloc de béton rectangulaire et bruyant d’où sort une agréable odeur de bois. Quatre ans auparavant, Mon- sieur Wang était arrivé de son village natal Nan Chung, à quatre-vingt kilomètres de là, avec l’argent qu’il avait économisé auparavant en travaillant deux ans dans les champs : 700 yuans (75 euros). […] Arrivé à Liu Gong Li, Monsieur Wang avait loué une chambre minuscule et s’était mis à fabriquer, de ses propres mains, des baignoires en bois traditionnelles, désormais populaires auprès de la nouvelle classe moyenne de Chongqing. Il lui fallait deux jours pour en fabriquer une puis la revendre pour un gain de 50 yuans par baignoire (5,30 €). Au bout d’un an, il en avait vendu assez pour se procurer des outils électriques et em- ménager dans un atelier plus grand. C’est alors qu’il a fait venir sa femme, son fils, sa belle-fille et son pe- tit-fils. Maintenant tous dorment, font la cuisine, se lavent et mangent dans la même pièce sans fenêtre. Mais pas question pour eux de repartir : ce petit espace offre une vie meilleure. « Ici vos petits-enfants ont peut être la chance de devenir quelqu’un alors qu’au village, c’est tout juste si on arrive à vivre » me dit Monsieur Wang. […] L’année précédente, le couple avait même acheté un petit restaurant que Jian Wang gère désormais avec son fils. Il faudra donc à la famille encore économiser des années, en espérant que le commerce des baignoires en bois continue à bien se porter, pour pouvoir quitter Liu Gong Li, ache- ter leur propre appartement à Chongqing et envoyer le petit à l’université. En effet, comme tant d’autres gens ici et ailleurs dans le monde, la famille Wang a misé toute sa vie sur la scolarisation des jeunes : « nous voulons qu’ils aillent à l’école et entrent à l’université pour qu’ils n’aient pas à travailler dans une usine comme celle-là » dit Mme Wang. « Mais si mon petit-fils n’est pas accepté à l’université, j’accepte- rai la réalité qui reste toujours mieux que la vie au village : il travaillera dans cette usine comme nous ». Chongqing Hong Kong Shanghaï Pékin Liu Gong Li 800 km N CHINE INDE JAPON MONGOLIE océan Pacifique

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L ’ U R B A N I S A T I O N D U M O N D E E T S E S C O N S É Q U E N C E S

1/4CHAPITRE 4. COMMENT L’URBANISATION TRANSFORME-T-ELLE LE MONDE ?

L ’ U R B A N I S A T I O N D U V I L L A G E D E L I U G O N G L I ( C H I N E )

Tout commence dans un village qui s’appelle Liu Gong Li. […] Nous sommes en 1995 et celui-ci n’a pas changé depuis plusieurs siècles : son apparence, ses ruelles, ses familles nombreuses, sa culture ar-tisanale du blé et du maïs sont restées les mêmes. Ce hameau sem-blait ainsi figé dans le temps et seul au monde. Il avait d’ailleurs ob-tenu son nom, qui signifie ‘‘six kilomètres’’, lors de la construction de la longue route qui le relie à la ville de Chongqing. Avant ce petit village était connecté avec aucune autre ville et, tous les trois ou quatre ans, des problèmes environnementaux ou politiques provo-quaient des famines : les adultes et les enfants mouraient souvent. À Liu Gong Li, la vie de paysan n’avait donc rien de tranquille !

Mais, au cours des années 1990, la ville de Chongqing est devenue une grande métropole économique, l’une des plus importantes de Chine. C’est alors que Liu Gong Li a cessé d’être un village pour devenir une nouvelle destination pour des villageois venus d’ailleurs, de d’autres campagnes chinoises. […] En effet, en quelques années seulement, ce village de 70 habitants s’est complètement transformé : le chemin étroit qui permettait de relier Chongqing en une journée entière est devenu un grand boulevard goudron-né qui permet maintenant de s’y rendre en seulement deux heures. En fusionnant avec les autres villages situés aux alentours, Liu Gong Li est ainsi devenu un important quartier de plus 120 000 habitants. Ce n’est donc plus aujourd’hui un village rural isolé. Ces nouveaux quartiers, que les évadés des campagnes construisent eux-mêmes, fleurissent par centaines autour de la métropole de Chongqing. Plusieurs mil-lions de paysans s’y établissent d’ailleurs chaque année, même si une bonne partie d’entre eux, peut être la moitié, finissent par rentrer dans leur village d’origine, refoulés par la misère ou par le désespoir. En revanche ceux qui restent sont les nouveaux urbains les plus déterminés, comme pour Jian Wang, trente-neuf ans.

Jian Wang habite aujourd’hui proche de la rue principale de Liu Gong Li, avec sa famille, dans un bloc de béton rectangulaire et bruyant d’où sort une agréable odeur de bois. Quatre ans auparavant, Mon-sieur Wang était arrivé de son village natal Nan Chung, à quatre-vingt kilomètres de là, avec l’argent qu’il avait économisé auparavant en travaillant deux ans dans les champs : 700 yuans (75 euros). […] Arrivé à Liu Gong Li, Monsieur Wang avait loué une chambre minuscule et s’était mis à fabriquer, de ses propres mains, des baignoires en bois traditionnelles, désormais populaires auprès de la nouvelle classe moyenne de Chongqing. Il lui fallait deux jours pour en fabriquer une puis la revendre pour un gain de 50 yuans par baignoire (5,30 €). Au bout d’un an, il en avait vendu assez pour se procurer des outils électriques et em-ménager dans un atelier plus grand. C’est alors qu’il a fait venir sa femme, son fils, sa belle-fille et son pe-tit-fils. Maintenant tous dorment, font la cuisine, se lavent et mangent dans la même pièce sans fenêtre. Mais pas question pour eux de repartir : ce petit espace offre une vie meilleure. « Ici vos petits-enfants ont peut être la chance de devenir quelqu’un alors qu’au village, c’est tout juste si on arrive à vivre » me dit Monsieur Wang. […] L’année précédente, le couple avait même acheté un petit restaurant que Jian Wang gère désormais avec son fils. Il faudra donc à la famille encore économiser des années, en espérant que le commerce des baignoires en bois continue à bien se porter, pour pouvoir quitter Liu Gong Li, ache-ter leur propre appartement à Chongqing et envoyer le petit à l’université. En effet, comme tant d’autres gens ici et ailleurs dans le monde, la famille Wang a misé toute sa vie sur la scolarisation des jeunes : « nous voulons qu’ils aillent à l’école et entrent à l’université pour qu’ils n’aient pas à travailler dans une usine comme celle-là » dit Mme Wang. « Mais si mon petit-fils n’est pas accepté à l’université, j’accepte-rai la réalité qui reste toujours mieux que la vie au village : il travaillera dans cette usine comme nous ».

Chongqing

Hong Kong

Shanghaï

Pékin

Liu Gong Li

800 kmN

CHINE

INDE

JAPON

MONGOLIE

océan

Pa c i f i q ue

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2/4CHAPITRE 4. COMMENT L’URBANISATION TRANSFORME-T-ELLE LE MONDE ?

Au bout de la rue du fabricant de baignoires se trouve un lieu extrêmement bruyant où vingt em-ployés forgent des objets métalliques ; un peu plus loin il y a un atelier où l’on mélange des pigments pour la peinture ; là-bas une usine qui fabrique des bobines de moteur électrique ; par là, un atelier à l’odeur répugnante où des travailleurs, à peine des adolescents, sont penchés sur des machines d’où sortent des jouets de plage gonflables. Ces usines, dont la plupart des produits sont destinés aux consommateurs asiatiques, ont toutes été fondées au cours des douze dernières années par la première vague de villageois arrivés.

Ces quartiers, comme celui de Liu Gong Li, peuvent être qualifiés de « villes tremplins ». Situés hors des cartes touristiques, ils sont l’œuvre des grandes migrations humaines, celles qui urbanisent le monde. Ce n’est en effet pas seulement des lieux où l’on vit et travaille, où l’on dort, se nourrit et s’approvisionne : plus important encore, ce sont des lieux de transition. Habités par des paysans qui ont quitté un village, ces villes tremplins servent à les propulser vers la grande ville. Les gens y gagnent alors mieux leur vie et envoient de l’argent à leurs familles parfois restées dans le monde rural. L’urbanisation ne fait pas qu’améliorer la vie de ceux qui déménagent en ville, elle améliore aussi les conditions de la paysannerie. […] Ces quartiers portent ainsi plusieurs noms dans le monde : dans les pays pauvres on dit slum, favela, bidonville, barrio, alors que dans les pays riches on dit plutôt quartier d’immigrants, banlieue difficile ou Chinatown. Quiconque visite ces quartiers se rend vite compte que leur pauvreté est une vue de l’esprit, qu’ils constituent au contraire des tremplins où se transforment les personnes, les familles et les villages. Aujourd’hui, plus de la moitié de la population mondiale habite dans les villes. En 2050, ce sera plus de 70 %. Et quand les paysans s’urbanisent, ou migrent vers les pays plus urbains, ils ne reviennent presque jamais à la campagne. Après que cette dernière moitié de l’humanité se sera installé dans les villes, il y aura d’autres migrations, mais jamais plus de mouvements de la même ampleur, et l’humanité aura atteint un équilibre nouveau. Les « quartiers » et « villages tremplins » ne sont pas la cause de la croissance démographique ; en fait ils y mettent fin : quand les villageois migrent vers la ville, la taille de leur famille rétrécit, leur métier change, leurs pratiques s’ur-banisent... Sans ces migrations rurales massives, la population du monde augmenterait bien trop vite. La « ville tremplin » est donc une machine qui transforme les humains et le fonctionnement du monde.

D’après Doug SAUNDERS, Du village à la ville. Comment les migrants changent le monde, 2012

1. Chongqing, surnommée la « ville-montagne », est l’une des plus grandes villes du monde. Elle compte aujourd’hui 4,5 millions d’habitants dans son centre et 32 millions si l’on prend en compte l’ensemble de son étendue. Cette ville, créée dans les années 1990 par le gouvernement chinois, est actuellement un pôle économique, commercial, industriel et culturel très important de la Chine intérieure.

C H O N G Q I N G E T S A P É R I P H É R I E L ’URBANISATION DES VILLAGES PROCHES

© Tim Franco © Tim Franco

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A . L E V I L L A G E D E L I U G O N G L I A V A N T 1 9 9 5

1 Localise et situe le village de Liu Gong Li en faisant une phrase complète.

2 Quelle était la situation économique du village de Liu Gong Li avant 1995 ?

Justifie :

village pauvre et isolé

village riche et paisible

3 Quelle était les conditions de vie des villageois avant 1995 ?

Justifie :

conditions difficiles

conditions faciles

B . L I U G O N G L I , U N V I L L A G E Q U I S E T R A N S F O R M E

1 Quel aménagement a permis au village de Liu Gong Li d’être relié à Chongqing ? Pourquoi ?

Explications : une gare ferroviaire

un grand boulevard

un grand aéroport

2 Quelles sont les conséquences pour le village de Liu Gong Li ?

Population en 1995 : en 2012 : . Elle a donc été multipliée par :

Raisons de l’attractivité de Liu Gong Li :

avoir un travail mieux payé la météo

avoir une vie meilleure le tourisme

Population attirée par Liu Gong Li :

des artistes des anciens paysans

des patrons des fonctionnaires

C . L I U G O N G L I , U N Q U A R T I E R Q U I T R A N S F O R M E S E S H A B I T A N T S

1 Qui est Jian Wang ? Complète son parcours personnel et professionnel ci-dessous :

présence de la familletravaillieu d’habitationdate

oui non2008

oui non2009

oui non2012

oui nonavenir

3/4CHAPITRE 4. COMMENT L’URBANISATION TRANSFORME-T-ELLE LE MONDE ?

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SITUATION DE DÉPART

A

B

C

D

E

SITUATION FINALE

A

B

C

D

E

F

TRANSITION

VILLE-TREMPLIN

A

B

C

D

2 Peut-on dire que Jian Wang a changé de style de vie ? Justifie ta réponse.

D . L E S « V I L L E S T R E M P L I N S » D A N S L E M O N D E D ’ A U J O U R D ’ H U I

1 Aujourd’hui, combien de personnes sont urbaines dans le monde ? et en 2050 ?

en 2050 : ≈ %, soit milliards de personnesAjourd’hui : ≈ %, soit milliards de personnes

2 Comment nomme-t-on ce processus qui vise à concentrer les populations dans les villes ?

l’irrigation l’urbanisation la mondialisation

3 D’après l’auteur, qu’est-ce qu’une « ville tremplin » ? Comment sont-elles appelées en France ?

4 Pourquoi ces villes transforment-elles le monde ? Complète le schéma à l’aide des mots suivants :

B industrie, agriculture ou bureaux ?A monde rural ou monde urbain ?

D pauvreté très forte, forte ou moins forte ?C famille peu nombreuse, nombreuse ou divisée ?

F nom du processus qui transforme le monde.E grande ville ou village ?

4/4CHAPITRE 4. COMMENT L’URBANISATION TRANSFORME-T-ELLE LE MONDE ?